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Full text of "L'Allemagne et la réforme .."

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I 


L'ALL]        GNE    ET   LA    RÉFORME 


Pî 


L'ALLEMAGNE 


A  LA   FIN   DU   MOYEN   AGE 


JEAN    JANSSEN 


TRADUIT  DE  L'ALLEMAND  SUR  LA  QUATORZIEME  EDITION 


AVEC    UNE 


PREFACE   DE   M.    G.   A.    HEINRICH 


PARIS 


LIBRAIRIE    PLÖN 


^y'f,^l 


E.   PLÖN,   NOURPxIT  rx  C-,  IMPRIMEURS-ÉDITEURS 

n  U  E     G  A  li  A  >■  C  I  È  li  K  ,     10 

1887 

Tous    droits    réservés 


^^    ^- 


^-t**^  fei«  TE?«    CXiLLÊGfe. 


•  Si  quelqu'un  lit  toutes  les  chroniques,  il  trouvera  que  depuis  la  naissance 
du  Christ,  rien  ne  peut  être  comparé  à  ce  qui  s'est  produit  parmi  nous  depuis 
cent  ans.  Jamais,  dans  aucun  pays,  on  n'avait  vu  tant  de  bâtiment,  tant  de 
plantations.  Jamais  non  plus  le  bien  boire,  la  nourriture  abondante  et  délicate 
n'avaient  été  à  la  portée  de  tant  de  gens.  Les  costumes  sont  si  riches  qu'ils  ne 
pourraient  l'être  davantage.  Oui  a  jamais  ouï  parler  d'un  commerce  comme 
celui  d'aujourd'hui?  Il  fait  le  tour  du  monde,  il  embrasse  la  terre  entière!  La 
peinture,  la  gravure,  tous  les  arts  ont  progressé  et  progressent  encore.  Outre 
cela,  il  y  a  parmi  nous  des  gens  si  habiles  et  si  savants  que  leur  esprit  pénètre 
toute  chose,  de  sorte  que  maintenant  un  enfant  de  vingt  ans  en  sait  plus  que 
vingt  docteurs  n'en  savaient  autrefois.  » 

(Martin  Luther  (1521),  OEuvres  complètes,  édit.  de  Francfort,  t.  X,  p.  56.) 


^ 


PREFACE 

DE    LA    SIXIÈME    ÉDITION' 


tt  Vous  ne  pouviez  assure'ment  vous  proposer  de  tâche  plus 
fe'conde  et  plus  belle  que  celle  d'e'crire  une  histoire  populaire  de 
rAllemagne.  (Je  prends  ici  le  mot  populaire  dans  son  sens  le  plus 
e'ieve'.)  Utiliser  pour  cette  grande  œuvre  les  recherches  déjà  faites, 
les  re'sumer  dans  leurs  parties  essentielles  afin  d'en  composer  un 
ensemble  bien  coordonne';  s'efforcer  de  revêtir  les  faits  d'une  forme 
de  langage  siuipie,  e'nergique  et  concise,  en  un  mot  rendre  cette 
histoire  digne  d'être  appre'ciée  par  le  pubhc  intelligent  et  éclaire', 
c'est  là,  en  vérité,  une  noble  tâche,  et  je  loue  celui  qui  dès  sa  jeu- 
nesse s'est  donné  une  si  haute  mission.  Elevons  notre  pensée  vers 
un  but  vraiment  grand;  nous  puiserons  dans  sa  beauté  même  la 
force,  le  courage,  le  désintéressement  qui  nous  sont  nécessaires 
pour  le  poursuivre.  »  Voilà  ce  que  m'écrivait  Böhmer,  le  5  mai  1854, 
en  réponse  à  une  lettre  où  je  lui  faisais  part  de  l'intention  où  j'étais 
de  prendre  pour  objet  principal  des  travaux  de  toute  ma  vie  l'his- 
toire du  peuple  allemand  Lorsque  je  lui  présentai  plus  tard  le  plan 
de  mon  livre,  lui  indiquant  la  place  particulière  que  j'entendais 
y  faire  à  l'histoire  de  la  civilisation,  et  comment,  avec  une  prédi- 
lection marquée,  je  comptais  mettre  cette  histoire  sur  le  premier  plan, 
Böhmer  m'approuva  pleinement.  «  Je  tiens  pour  certain  y ,  me  dit-il, 
«  qu'à  notre  époque  il  est  très-nécessaire  d'insister  sur  ce  point 
plus  qu'on  ne  l'a  fait  jusqu'ici.  Les  études  modernes  doivent  être 
dirigées  dans  ce  sens.  Mais,  à  mon  avis,  il  faut  avoir  grand  soin  de 
tenir  tout  ce  qui  se  rapporte  à  la  civilisation  dans  un  certain  isole- 
ment de  l'histoire  proprement  dite,  c'est-à-dire  du  récit  des  événe- 
ments politiques.  » 


II  PREFACE. 

Lorsque  je  vins  me  fixer  à  Francfort,  dans  l'automne  de  1854, 
je  commençai,  sous  les  yeux  et  la  direction  de  Böhmer,  à  faire  des 
recherches  sur  la  pe'riode  dont  les  Registres  des  empereurs  retra- 
cent les  faits.  Mais  à  partir  de  1857  je  me  livrai  presque  exclusive- 
ment à  l'étude  des  documents  concernant  l'histoire  d'Allemagne 
à  partir  de  la  fin  du  quinzième  siècle,  et  je  restreignis  mon  plan  à 
cette  proportion.  Mes  recherches  dans  les  archives  de  Francfort 
m'enrichirent  de  précieux  trésors  d'informations.  Böhmer,  dès  1836, 
m'avait  signalé  leur  importance  capitale  au  point  de  vue  de  l'his- 
toire du  moyeu  âge  à  son  déclin.  De  1863  à  1873,  je  fis  paraître 
successivement  deux  volumes  contenant  les  correspondances  politi- 
ques conservées  dans  les  archives  de  Francfort,  et  se  rapportant  à  la 
période  qui  s'étend  du  règne  de  Venceslas  à  la  mort  de  Maximilien  I". 
Je  les  fis  suivre  de  chartes,  d'actes  officiels  ayant  trait  à  la  même 
époque.  De  1873  à  1878, je  donnai  d'importants  extraits  des  princi- 
paux documents  historiques  concernant  l'espace  de  temps  qui  sépare 
la  Réforme  de  la  guerre  de  Trente  ans.  Je  consultai  aussi  les  archives, 
alors  ouvertes  au  public,  de  Trêves  et  de  Mayence;  puis  celles  de 
Lucerne,  de  Zurich,  de  Wertheim,  etc.  Enfin,  je  mis  à  profit,  dans 
les  archives  du  Vatican,  les  renseignements  si  nombreux  sur  la 
guerre  de  Trente  ans  renfermés  dans  les  pièces  diplomatiques  de  la 
nonciature.  Ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  la  préface  de  la  quatrième 
édition  de  cet  ouvrage,  j'ai  rassemblé  pour  les  trois  prochains 
volumes  de  mon  ouvrage,  qui  doit  en  avoir  six,  des  matériaux 
et  dossiers  d'archives  extraits  de  plus  de  trois  cents  volumes  in- 
folio. Beaucoup  de  ces  matériaux  ont  déjà  été  utilisés  dans  mon 
second  volume,  paru  au  mois  d'octobre  dernier. 

Si,  dès  le  début  de  mon  travail,  j'avais  été  frappé  de  la  nécessité 
de  mettre  en  relief  plus  qu'on  ne  l'a  fait  jusqu'ici  l'histoire  de  la 
civilisation;  si  j'avais  résolu  de  mettre  au  second  rang  dans  mon 
ouvrage  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  les  événements  importants, 
les  actions  d'éclat,  c'est-à-dire  les  guerres  et  les  batailles,  et  de 
concentrer  tout  l'intérêt  historique  sur  le  peuple  allemand  étudié 
dans  ses  états  variés,  dans  ses  destinées  diverses,  cette  méthode  me 
parut  surtout  nécessaire  à  suivre  pour  l'histoire  du  moyen  âge  à 
son  déclin. 


l'RKFACE.  ni 

Il  existe  en  effet  un  {jrand  nombre  de  travaux  isole's,  de  disser- 
tations, de  monographies  se'pare'es  sur  la  vie  intellectuelle  et  l'e'co- 
nomie  politique  de  l'Allemagne  pendant  cette  pe'riode  de  notre 
histoire  nationale.  Presque  tous  ces  essais  sont  dus  à  des  e'rudits 
protestants  pleins  de  savoir  et  d'impartialité'.  Mais  ce  que  nous  ne 
possédions  pas  encore,  c'est  un  ouvrage  complet,  re'sumant  dans  un 
seul  ensemble  tant  d'e'tudes  particulières.  Or,  un  tel  livre  me  paraît 
indispensable  à  l'appre'ciation  juste  et  inde'pendante  de  la  fin  du 
moyen  âge.  J'ai  donc  cherché  à  fondre  dans  un  aperçu  général 
les  études  partielles  déjà  connues  du  public  sur  l'éducation  popu- 
laire, l'instruction  religieuse,  les  sciences  et  les  arts,  les  condi- 
tions de  l'économie  rurale,  les  métiers,  les  classes  ouvrières,  le 
commerce,  l'économie  politique  à  la  fin  du  quinzième  siècle,  et  j'ai 
complété  autant  que  possible  cet  aperçu  eu  y  ajoutant  le  fruit  de 
mes  recherches  personnelles  et  surtout  de  nombreuses  citations 
empruntées  à  des  documents  précieux  jusqu'ici  laissés  dans  l'ombre 
ou  négligés.  Le  résultat  que  j'ai  ainsi  obtenu  ne  correspond  cer- 
tainement pas  aux  idées  généralement  adoptées  sur  cette  époque  si 
décriée,  et  mon  livre  a  excité  de  l'étonnement  chez  beaucoup  de  mes 
lecteurs.  J'avoue  sincèrement  que,  pendant  les  longues  années  con- 
sacrées à  cette  étude,  j'ai  bien  souvent  éprouvé  la  même  surprise. 
Je  me  suis  efforcé  d'exposer  avec  simplicité  la  vérité  historique 
telle  que  j'ai  pu  la  saisir  en  puisant  aux  sources  mêmes  de  l'histoire. 
Je  me  sens  indépendant  de  toute  autre  «  tendance  « . 

Le  grand  fait  historique  de  la  révolution  du  seizième  siècle  ne 
s'est  pas  accompli  seulement  sur  le  terrain  ecclésiastique  et  reli- 
gieux :  il  s'est  produit  d'une  manière  peut-être  encore  plus  directe 
dans  le  domaine  économique,  judiciaire  et  social.  Plus,  dans  le 
cours  de  mes  études,  ce  fait  s'imposait  à  ma  conviction,  plus  aussi  je 
m'attachais  à  l'analyse  scrupuleuse  des  événements  qui  préparèrent 
cette  révolution,  et  entraînèrent  peu  à  peu  la  chute  de  l'ordre 
social  du  moyen  âge,  fondé  tout  entier  sur  la  doctrine  de  l'effica- 
cité des  bonnes  œuvres  pour  le  salut. 

Il  fallait  avant  tout  tenir  compte  de  l'influence  fatale  (si  sensible 
dès  la  fin  du  quinzième  siècle)  exercée  en  Allemagne  par  l'adop- 
tion du  droit  romain,  droit  transplanté  d'une  terre  étrangère  et 

a. 


IV  PREFACE. 

païenne  sur  un  sol  chre'tien.  Le  Code  Justinien  était  absolument 
oppose'  dans  ses  principes  à  la  jurisprudence,  à  l'économie  politique, 
à  tout  l'ensemble,  en  un  mot,  de  l'organisation  de  la  société  chré- 
tienne germanique  au  moyen  âge.  11  rompait  les  liens  intimes, 
l'heureuse  harmonie  qui  avaient  uni  jusque-là  les  forces  religieuses, 
sociales  et  politiques  de  notre  pays.  Ce  contraste  entre  le  nouveau 
droit  et  l'ancien  ordre  de  choses  devait  être  clairement  exposé. 
Aussi  en  ai-je  fait  le  sujet  d'une  étude  spéciale,  convaincu  que 
j'étais  de  l'importance  de  la  question.  Le  droit  romain,  en  effet, 
contenait  en  germe  le  dogme  de  l'omnipotence  des  princes,  plaie 
dévorante  qui  mit  longtemps  obstacle  au  développement  de 
la  civilisation,  et  [commença  d'exercer  sa  funeste  influence  bien 
avant  qu'éclatât  la  révolution  du  seizième  siècle. 

La  rapidité  avec  laquelle  cet  ouvrage  s'est  répandu  (à  ce  point  que 
dès  le  printemps  de  1876  une  sixièuie  édition  était  devenue  néces- 
saire) prouve  avec  évidence  l'iutérét  vif  et  général  qui  s'attache 
aux  sujets  que  j'y  ai  traités.  Une  étude  encore  plus  approfondie 
sur  cette  époque  serait  aussi  intéressante  qu'elle  est  souhaitable.  Je 
renouvelle  donc  ici  l'expression  de  l'ardent  désir  que  j'éprouve  de 
voir  mes  recherches  complétées,  corrigées  s'il  y  a  lieu,  et  discutées 
à  fond,  quand  l'importance  des  questions  soulevées  semblera  le 
réclamer. 

Jean  Janssen. 

8  décembre  1877. 


INTRODUCTION^ 


V! Histoire  du  peuple  allemand  (\q  Janssen,  dont  une  main  aussi 
habile  que  de'vouëe  offre  ia  traduction  au  public  français,  est  certai- 
nement Tune  des  œuvres  savantes  les  plus  originales  qui  aient  paru 
en  Allemagne  dans  ces  dernières  anne'es. 

Ce  n'est  pas  l'histoire  politique,  ce  n'est  pas  même  l'histoire  reli- 
gieuse que  l'écrivain  catholique  a  entrepris  de  raconter;  c'est  la 
vie  même  du  peuple  allemand,  telle  qu'elle  était  au  siècle  qui  a 
précédé  la  Réforme,  et  telle  qu'elle  est  devenue  au  milieu  des  luttes 
intestines  et  des  bouleversements  qui  l'ont  suivie,  dont  il  nous  retrace 
le  tableau.  Un  lecteur  français  donnerait  volontiers  pour  épigra[)he 
à  ce  travail  ces  paroles  célèbres  de  la  Bruyère  :  «  Ce  sont  les  faits 
qui  louent,  et  la  manière  de  les  raconter.  » 

JMais  les  faits  distribuent  le  blâme  aussi  bien  que  l'éloge,  et  de  là 
les  orages  que  le  livre  de  Janssen  a  soulevés.  L'apologie  de  la  civi- 
lisation catholique,  telle  qu'elle  ressort  de  ses  premiers  volumes,  a 
pour  conséquence  fatale  de  faire  envisager  dans  la  Réforme  non- 
seulement  une  immense  perturbation  de  toutes  les  relations  reli- 
gieuses et  sociales,  mais  encore  un  abaissement  du  niveau  intellec- 
tuel aussi  bien  que  des  mœurs,  une  diminution  du  bien-être  général, 
un  appauvrissement  de  tous,  aussi  bien  de  ceux  qui  répandaient  des 
bienfaits  que  de  ceux  qui  étaient  appelés  à  les  recevoir.  Or,  la 
Réforme  est  considérée  par  une  grande  partie  des  Allemands  comme 
le  point  de  départ  d'une  rénovation.  Des  générations  entières  sont 
élevées,  depuis  les  premiers  enseignements  qui  s'adressent  à  l'enfance 
jusqu'aux  leçons  les  plus  érudites  des  professeurs  des  universités, 
dans  cette  idée  que  la  vie  intellectuelle  et  morale  du  peuple  alle- 
mand date  de  la  grande  révolution  religieuse  accomplie  par  Luther, 


"^'  I  INTRODUCTION. 

et  que  tous  les  progrès  mate'riels  et  les  développements  de  la  civili- 
sation ont  été'  la  conséquence  de  cette  impulsion  féconde  imprimée 
à  son  peuple  par  le  génie  du  grand  réformateur. 

On  allègue  à  l'appui  de  cette  thèse  que  les  contrées  protestantes 
de  l'Allemagne  ont  eu  pour  ainsi  dire  jusqu'à  nos  jours  le  monopole 
de  la  gloire  littéraire;  que  c'est  dans  les  régions  protestantes  que 
se  sont  développées  principalement  la  philosophie,  l'histoire,  les 
sciences,  l'industrie  même,  tout  ce  qui  a  créé  en  un  mot  le  pres- 
tige de  l'Allemagne  moderne.  On  ajoute,  non  sans  orgueil,  que 
seule  une  puissance  protestante  a  pu  reconstituer  l'empire  alle- 
mand et  rendre  à  la  patrie  germanique  son  ancienne  unité.  Il  y  a 
donc,  pour  établir  la  supériorité  du  protestantisme  sur  le  catholi- 
cisme au  sein  de  l'Allemagne  contemporaine,  plus  qu'une  tradition, 
plus  qu'une  légende.  Il  y  a  un  enseignement  officiel,  une  constata- 
tion au  moins  apparente  de  faits  indéniables,  une  sorte  de  statis- 
tique des  productions  intellectuelles  et  une  énumération  rigoureuse 
de  leurs  auteurs,  en  un  mot  toute  une  philosophie  de  l'histoire 
aboutissant  à  la  glorification  récente  de  la  patrie  allemande. 

La  Réforme  est  en  Allemagne  pour  un  très-grand  nombre  de 
chrétiens  assez  tièdes  ce  que  la  Révolution  est  en  France  pour  une 
foule  de  bourgeois  fort  conservateurs.  C'est  un  dogme,  qui  impose, 
il  est  vrai,  peu  d'observances  à  ses  fidèles,  mais  auquel  il  est  interdit 
de  toucher.  L'Allemagne  date  de  la  diète  de  Worms  en  1521, 
comme  la  France  date  du  5  mai  1789.  Ceux  qui  le  répètent  le  plus 
haut  seraient  les  plus  embarrassés  s'il  s'agissait  de  le  prouver;  mais 
ils  n'en  tiennent  que  plus  à  leur  opinion. 

Enfin,  dans  cette  question  spéciale,  tout  ce  que  le  protestantisme 
compte  de  croyants  sincères  ou  de  lutteurs  ardents  a  pour  appui, 
dans  tous  les  rangs  de  la  société,  et  même  chez  un  grand  nombre 
d'hommes  nés  catholiques,  les  adeptes  delà  libre  pensée.  L'antique 
édifice  religieux  élevé  par  l'Église  au  moyen  âge  reçut  au  temps 
de  la  Réforme  un  terrible  assaut,  dont  les  désastres  sont  loin  d'être 
réparés.  Que  d'esprits  qui  tiendraient  Luther  et  ses  disciples  pour 
les  plus  dangereux  des  fanatiques  s'ils  étaient  obligés  de  se  con- 
former à  leurs  doctrines,  saluent  dans  les  réformateurs  des  auxi- 
liaires utiles!  Les  brèches  que  ces  éraancipateurs  de  la  pensée 


INTRODUCTION.  VU 

humaine  pratiquèi'ent  dans  le  vieil  e'difîce  catliolique  leur  paraissent 
les  passages  providentiels  par  où  la  libre  pensée  devait  faire  irrup- 
tion dans  le  monde.  Ces  pionniers  inconscients  croyaient  naïvement 
n'ouvrir  la  voie  qu'au  véritable  Évangile;  ils  ont  fraye  la  route  à  la 
philoso|>iiie  et  affranchi  l'humanité  delà  croyance  à  une  révélation. 
Le  culte  de  la  Réforme  corres|)ond  donc  admirablement  à  ce  singu- 
lier mélange  de  négation  téméraire  et  de  mysticisme  nuageux  qui 
est  si  souvent  au  fond  de  la  pensée  allemande.  Heurter  de  front 
ce  culte,  c'était  soulever  contre  soi  une  légion  d'adversaires.  Aussi 
les  critiques,  les  accusations,  les  invectives  elles-mêmes  n'ont-elles 
pas  manqué  à  l'auteur  de  \ Histoire  du  peuple  allemand. 

Apportait-il  donc  dans  ce  grand  débat  des  assertions  absolument 
nouvelles?  L'Eglise  n'est  pas  mieuxjustifiéepar  ses  travaux  qu'elle 
ne  Ta  été  par  les  savants  ouvrages  de  Voigt  et  de  Hurter,  ou  par 
les  études  magistrales  qu'au  début  de  sa  carrière,  et  au  temps  où 
rien  ne  faisait  prévoir  sa  rupture  avec  Rome,  Düllinger  consacrait 
précisément  à  l'histoire  de  la  Réforme.  La  guerre  de  Trente  ans  a 
été  l'objet  de  savantes  monographies  dans  lesquelles  plus  d'un  fait 
travesti  a  été  rectifié,  et  plus  d'un  personnage  calomnié  réhabilité 
d'une  façon  décisive.  11  en  est  résulté  souvent  d'ardentes  polémiques, 
comme  celle  dont  la  mémoire  de  Tilly,  pour  ne  citer  qu'un  exemple, 
a  été  l'objet  dans  ces  dernières  années.  Mais  aucun  livre  n'a  eu  un 
pareil  retentissement;  aucun  ouvrage  n'a  excité  autant  que  le  grand 
travail  de  Janssen  de  violentes  tempêtes  dans  le  monde  ordinaire- 
ment plus  calme  des  journaux  religieux  et  des  revues  savantes. 

C'est  que  le  livre  de  Janssen  est  pour  la  Réforme  précisément  ce 
que  le  livre  de  M.  Taine  est  pour  la  Révolution  française.  L'attitude 
des  deux  écrivains  est  presque  la  même,  quoique  les  deux  hommes 
soient  séparés  par  toute  la  distance  qu'on  peut  mettre  entre  un 
libre  penseur  et  un  croyant.  Le  procédé  est  à  coup  sûr  identique, 
et  à  la  lecture  des  deux  ouvrages,  il  est  impossible  à  un  lecteur 
clairvoyant  de  n'en  être  point  frappé.  Aux  discussions  théoriques 
sur  la  valeur  de  lancien  régime  et  des  temps  nouveaux,  M.  Taine 
a  substitué  une  immense  enquête  dans  laquelle  les  documents  ori- 
ginaux, juxtaposés  en  une  puissante  synthèse,  doivent  nous  fournir, 
si  tant  est  qu'on  puisse  y  arriver  jamais,  les  éléments  d'une  conclu- 


"^^'^  INTRODUCTION. 

sion  définitive.  Les  procès-verbaux,  les  rapports,  les  pièces  confi- 
dentielles nous  montrent,  à  Paris  et  en  province,  la  vie  de  la  nation 
française  pendant  cette  terrible  période  d'orag^e;  de  même  qu'une 
enquête  préalable,  fondée  sur  la  même  méthode,  nous  a  fait  conce- 
voir ce  qu'était  la  vie  nationale  avant  la  période  de  crise,  ce  qui  a 
préparé  le  conflit,  ce  qui  l'a  rendu  inévitable. 

Janssen  ne  procède  pas  autrement.  La  vie  industrielle,  sociale, 
religieuse,  l'organisation  des  institutions  de  bienfaisance,  les  mœurs 
chrétiennes  prises  dans  leurs  détails  les  plus  intimes,  dans  leur 
aspect  tantôt  naïf,  tantôt  pittoresque,  voilà  ce  qu'il  recherche  dans 
le  passé  et  ce  qu'il  met  sous  les  yeux  souvent  avec  un  rare  bonheur. 
Le  tableau  est  très-évidemment  à  l'avantage  du  catholicisme.  Ces 
institutions  charitables,  ces  liens  religieux  des  associations  indus- 
trielles ou  même  des  simples  associations  artistiques,  ces  rapports 
des  apprentis,  des  ouvriers,  des  patrons,  étaient  l'œuvre  de  la  plus 
vieille  expérience  en  même  temps  que  des  intentions  les  plus  bien- 
faisantes. La  piété  la  plus  sincère  et  la  sagesse  la  plus  éclairée  y 
avaient  collaboré  pendant  des  siècles.  Ces  institutions  avaient  le 
défaut  de  tout  ce  que  l'on  constituait  au  moyen  âge  :  elles  préten- 
daient à  une  immobilité  qui  semblait  exclure  le  progrès.  Elles  n'en 
étaient  pas  moins  la  condition  de  tout  le  bien  qui  s'opérait  alors 
dans  les  relations  sociales.  Elles  furent  attaquées,  bouleversées 
inconsidérément,  comme  tant  de  choses  le  furent  chez  nous  au 
moment  de  la  Révolution  française.  Les  réformateurs  qui  déchai- 
nèrent  l'orage  ont  plus  d'un  trait  de  ressemblance  avec  les  philo- 
sophes qui,  chez  nous,  poussèrent  au  renversement  du  vieil  édifice 
social.  Ce  fut  pour  des  questions  abstraites,  pour  des  principes  sou- 
vent contestables,  qu'ils  jetèrent  dans  la  masse  ces  grands  mots 
toujours  si  populaires  de  réforme,  de  réorganisation.  La  multitude, 
au  seizième  siècle  en  Allemagne,  comme  à  la  fin  du  dix-huitième  en 
France,  vit  surtout  dans  ce  mouvement  une  occasion  de  porter 
remède  à  tel  ou  tel  abus  dont  elle  ressentait,  dans  son  humble 
sphère,  l'inconvénient  immédiat.  Personne  au  début,  en  1517  ou 
même  eu  1521,  ne  veut  changer  Fensemble  de  la  religion;  pas  plus 
qu'en  1789  on  ne  songe  à  changer  en  France  la  forme  du  gouver- 
nement. Chacun  attaque  isolément  telle  pierre  de  la  vieille  construc- 


INTRODUCTION.  ^^ 

tien  qu'il  veut  changer  pour  rendre  l'édifice  plus  solide  ou  plus 
commode,  sans  se  douter  que  le  mur,  attaqué  de  tous  côtés  à  la 
fois,  va  s' écrouler  et  joncher  au  loin  le  sol  de  ses  dél)ris. 

Plus  heureuse  que  la  société  civile  d'avant  1789,  la  société  reli- 
gieuse conserva  en  quelques  points  comme  des  places  de  sûreté  où 
elle  put  profiter  des  terribles  leçons  de  l'expérience,  sans  voir  les 
conditions  de  sa  vie  complètement  bouleversées.  Les  pays  où  la 
Réforme  triomphe  voient  au  contraire  la  ruine  de  la  plupart  des 
institutions  qui  avaient  grandi  à  l'ombre  du  catholicisme  et  dont  la 
religion  était  l'élément  organisateur.  Il  y  a  là  un  terrible  interrègne 
dont  Janssen  constate  les  effets,  exactement  comme,  dans  les  livres 
de  M.  Taine,  nous  voyons  l'anarchie  se  substituer  à  l'ordre  et  accu- 
muler, pendant  la  période  néfaste  de  la  Terreur,  les  désastres  et 
les  ruines.  Janssen  attaque  la  légende  delà  réformation,  comme 
M.  Taine  attaque  celle  de  la  Révolution  française.  Une  foule  de 
petits  faits,  avec  leur  impitoyable  exactitude,  opposent  une  néga- 
tion décisive  à  cette  glorification  exagérée  d'un  mouvement  national. 
La  violence  et  le  désordre  apparaissent  là  où  l'on  ne  supposait  que 
l'irrésistible  courant  de  l'opinion.  Dans  les  deux  cas,  les  deux  ouvra- 
ges se  heurtent  aux  mêmes  préjugés  :  ils  rencontrent  les  mêmes 
partis  pris  qui  aiment  mieux  tout  absoudre  dans  la  révolution 
politique  ou  religieuse  du  seizième  ou  du  dix-huitième  siècle  que 
de  faire  à  l'ancien  régime  monarchique  ou  à  la  doctrine  catholique 
leur  place  légitime  dans  les  origines  des  progrès  contemporains. 

Le  mérite  des  deux  écrivains  sera  d'avoir  marqué  une  phase  nou- 
velle, imposé  un  changement  de  méthode  plutôt  que  d'avoir  clos  le 
débat;  car  le  grand  procès  de  la  Réforme,  pas  plus  que  celui  de  la 
Révolution  française,  ne  peut  encore  être  de  nos  jours  l'objet  d'un 
arrêt  sans  appel.  Tout  jugement  rendu  par  un  historien  soulèvera 
parmi  les  parties  intéressées  des  protestations  sans  nombre  et  des 
récriminations  passionnées.  Nous  pouvons  aisément  nous  le  figurer 
par  l'animosité  sourde  qui  accueille  chaque  nouveau  volume  de 
M.  Taine.  Quel  grief  irrémissible  en  effet  que  d'avoir  portéla  mainsur 
cette  légende  de  la  Révolution  française  ;  que  d'avoir  montré  l'igno- 
rance, l'erreur,  les  mille  indécisions  d'une  pensée  qui  n'est  point 
sûre  d'elle-même .  les  hasards  des  événements  et  les  résultats 


X  INTRODUCTION. 

imprévus  de  mille  aventures,  là  où  une  opinion  pre'conçue  voulait 
adûiirer  une  doctrine ,  là  où  une  ve'ritable  superstition  véne'rait  des 
lie'ros  et  saluait  en  eux  les  de'fenseurs  delà  justice,  les  re'gënérateurs 
du  monde  moderne  et  presque  les  apôtres  d'une  relig^ion  nouvelle! 
Cependant,  une  objection,  une  seule,  n'a  pu  être  faite  à  M.  Taine 
par  ses  adversaires.  En  vertu  d'une  singulière  ironi«  de  la  fortune, 
ce  contempteur  delà  vieille  tradition  jacobine  ne  saurait  être  accusé 
de  fanatisme  religieux;  sa  vie  tout  entière  témoigne  de  sa  profonde 
indifférence  à  l'égard  de  toute  religion  positive.  Pour  Janssen,  au 
contraire,  l'ardeur  de  ses  convictions  catholiques  amenait  tout  natu- 
rellement sur  les  lèvres  de  ses  contradicteurs  celte  accusation  de 
fanatisme  si  voisine  de  l'imputation  de  mauvaise  foi.  Dans  les 
innombrables  documents  que  met  à  la  disposition  de  l'historien  cette 
recherche  des  détails  intimes  de  la  vie  d'un  peuple  pendant  une 
longue  période,  le  choix  des  textes  et  la  feçon  de  les  grouper  ont 
une  importance  capitale.  Ou  reproche  à  Janssen  comme  à  M.  Taine 
d'avoir  inconsciemment  omis  ceux  qui  ne  pouvaient  prendre  place 
dans  un  réquisitoire.  Une  tendance  fort  naturelle  a  fait  que  les  deux 
écrivains,  pour  coutre-balancer  d'éternelles  apologies  dont  ils 
voyaient  mieux  que  personne  les  côtés  faibles,  ont  développé  davan- 
tage l'acte  d'accusation.  De  là  des  récriminations  amères  aux- 
quelles les  colères  religieuses  et  politiques,  en  France  comme  en 
Allemagne,  ont  ajouté  toute  l'âpreté  qui  résulte  d'habitudes  d'esprit 
invétérées  et  fortifiées  par  la  passion. 

M.  Taine  a,  jusqu'ici  du  moins,  dédaigné  de  répondre  à  ses 
contradicteurs.  Janssen  a  relevé  le  gant,  et,  dans  une  série  de  lettres 
écrites  avec  une  vivacité  qui  s'élève  parfois  jusqu'à  l'éloquence,  il  a 
cité,  discuté,  réfuté  la  plupart  des  arguments  de  ses  adversaires'. 
Ces  lettres  ont  leur  place  marquée  à  côté  de  son  grand  ouvrage 
parmi  les  productions  les  plus  remarquables  de  la  critique  allemande 
contemporaine.  On  y  entend  retentir  partout  l'accent  indigné  de 
l'honnête  homme,  révolté  qu'on  ait  pu  suspecter  sa  bonne  foi.  Les 
contradictions  de  ses  adversaires  y  sont  relevées  avec  finesse.  Les 
nuances  infinies  du  protestantisme  allemand  favorisent  ceux  qui 

1  An  meine  Kritiker,  et  la  suite  de  la  polémique  intitulée  :  Zweites  Wort  an  meine 
Kritiker.  Y r'ihowTQtn  Brisgau,  Herder,  1  vol.  in-8,  1884. 


INTRODUCTION.  XI 

le  combattent  en  leur  permettant  d'invoquer  contre  lui  des  prin- 
cipes souvent  fort  opposés  :  Janssen  attaque  en  de'tail  cette  arme'e 
si  nombreuse,  et  profite  avec  habileté  de  tout  ce  qui  sépare  entre 
eux  ses  adversaires  pour  les  vaincre  isolément. 

Le  ton  de  sa  polémique  ne  dégénère  jamais  en  invectives  ;  nouvel 
avantage  qu'il  a  sur  plus  d'un  contradicteur  dont  les  reproches 
touchent  souvent  à  la  violence  ou  à  la  grossièreté.  On  sent  que  ce 
domaine  de  la  critique  protestante  est  pour  lui  comme  un  pays  dont 
il  ne  saurait  sans  doute  faire  ni  surtout  conserver  la  conquête ,  mais 
où  il  marche  en  vainqueur  sans  que  personne,  au  moment  du  com- 
bat, puisse  lui  opposer  une  résistance  sérieuse. 

Deux  grands- faits,  aux  yeux  de  tout  lecteur  impartial,  semblent 
cependant  se  dégager  d'une  manière  évidente  de  cette  prodigieuse 
accumulation  de  preuves. 

Le  premier,  c'est  que  la  situation  du  peuple  allemand,  avant  la 
Réforme,  était  loin  d'être  aussi  malheureuse  qu'on  le  suppose  et 
qu'on  le  répète  généralement.  Sans  doute  le  quinzième  siècle  est 
une  période  troublée.  L'antique  organisation  du  moyen  âge  ne 
correspond  plus  aux  besoins  d'une  société  nouvelle,  et,  comme  dans 
tous  les  siècles  de  transition,  on  sent  je  ne  sais  quel  malaise  agiter 
sourdement  tout  le  corps  social.  Les  plus  hauts  dignitaires  du 
clergé,  recrutés,  souvent  sans  vocation,  dans  les  familles  princières 
qui  disposent  des  bénéfices,  donnent  parfois  l'exemple  de  la  plus 
triste  inconduite,  et  le  règne  de  3Iaximilien  n'est  que  la  succession 
des  efforts  impuissants  du  pouvoir  pour  maintenir  au  sein  de 
l'empire  un  peu  d'ordre  et  de  paix.  On  a  souvent  insisté  sur  les 
malheurs  de  cette  période,  et  dans  le  domaine  de  la  littérature  Gœtlie 
les  a  en  quelque  sorte  gravés  dans  la  mémoire  de  toute  l'Allemagne 
en  les  dépeignant  dans  son  Gœiz  de  Berlichingen. 

Pourtant  le  livre  de  Janssen  prouve  que,  pour  justifier  la  Réforme, 
on  s'est  attaché  surtout  à  montrer  les  ombres  du  tableau.  Dans  cette 
période  proclamée  néfaste,  les  universités  et  les  hautes  écoles  se 
créent  de  toutes  parts;  les  études  y  sont  florissantes  ;  ce  qui  prouve 
que  les  savants  et  leurs  élèves  y  ont  quelque  sécurité  et  quelque 
bien-être.  La  richesse  se  développe  dans  les  villes;  les  goûts  [artis- 
tiques se  répandent  jusque  dans  les  corporations  ouvrières,  signe 


XII  INTRODUCTION. 

incontestable  d'une  aisance  relative,  crime  existence  où  les  besoins 
les  plus  urgents  de  la  vie  sont  facilement  satisfaits.  Les  relations 
commerciales  s'e'tendent,  en  dépit  des  guerres  prive'es  et  des  hostilités 
seigneuriales.  L'examen  scrupuleux  des  institutions  de  bienfaisance 
nous  montre  le  clergé  inférieur  et  les  Ordres  religieux  dévoués  à 
leur  tâche,  attentifs  à  secourir  toutes  les  misères;  et  si  les  maux  du 
temps  sont  incontestablement  nombreux,  une  charité  non  moins 
industrieuse  que  prévoyante  s'applique  de  toutes  parts  à  les  guérir. 

Il  en  est  donc  de  ces  misères  antérieures  à  la  Réforme  comme  de 
l'esclavage  prétendu  des  classes  inférieures  avant  la  Révolution 
française.  11  ne  faut  pas  nier  des  maux  souvent  fort  réels,  ni  réha- 
biliter sans  restrictions  une  société  qui  eut  ses  imperfections  et  ses 
vices  ;  mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  la  plupart  des  écrivains, 
pour  le  besoin  de  leur  thèse,  se  sont  plu  à  assombrir  le  tableau.  11 
n'en  est  pas  moins  incontestable  que,  dans  les  deux  cas,  le  premier 
effet  de  la  prétendue  régénération  a  été  d'aggraver  la  misère,  et 
que  dans  la  France  de  la  Convention  et  du  Directoire,  comme  dans 
l'Allemagne  du  seizième  siècle,  les  faibles  et  les  paiivres,  pendant 
qu'on  leur  répétait  à  grand  fracas  qu'ils  étaient  affranchis,  ont  dû 
regretter  amèrement  les  jours  de  l'ancienne  servitude. 

Le  second  fait,  qui  va  en  quelque  sorte  découler  du  premier, 
c'est  un  jugement  bien  différent  porté  sur  les  calamités  des  luttes 
religieuses  et  particulièrement  de  la  guerre  de  Trente  ans. 

L'Allemagne,  en  1648,  était  tombée  à  un  degré  de  détresse  tel 
que  rarement  une  nation  peut  trouver  dans  son  histoire  un  âge 
aussi  malheureux.  En  décrivant  les  horreurs  commises  dans  tout 
le  pays  par  la  soldatesque,  les  villes  ruinées,  les  contrées  dépeu- 
plées et  incultes,  il  est  presque  de  tradition  d'en  accuser  surtout 
les  princes  catholiques,  de  mettre  à  leur  charge  l'envahissement  de 
l'Allemagne  par  les  armées  étrangères,  et  de  rendre  en  quelque 
sorte  l'Église  responsable  de  ces  longs  désastres  qu'un  siècle  suffit 
à  peine  à  réparer. 

Les  armées  catholiques  eurent  évidemment  leur  part  dans  ces 
ravages;  les  armées  protestantes  furent  leurs  très-dignes  émules, 
toutes  les  fois  qu'il  s'agit  de  rançonner  ou  de  piller  les  habitants; 
enfin  la  palme  du  brigandage  appartint  évidemment  à  ces  bandes 


INTRODICTION.  Xlll 

sans  foi  ni  loi,  qui  passaient  indifféremment  d'un  camp  à  l'autre, 
allantau  chef  qui  offrait  la  plus  forte  solde  et  qui  assurait  au  pillage 
la  i)lus  largpe  impunité'.  Tout  cela  est  inde'niable.  Mais  si  l'AUe- 
ma{jne  souffrit  tellement  de  ces  excès;  si,  dans  les  villes  aussi  bien 
que  dans  les  campagnes,  la  famine,  la  de'population,  la  misère  sous 
toutes  ses  formes  les  plus  affreuses,  firent  de  certaines  parties  de 
l'Allemagne  de  véritables  déserts,  n'est-ce  point  parce  que  toutes 
les  institutions  charitables  qui  auraient  pu  atténuer  quelques-uns  de 
ces  maux  avaient  été  bouleversées  ou  anéanties?  La  Réforme,  en 
portant  le  trouble  dans  toute  l'organisation  de  l'antique  charité 
catholique,  et  en  provoquant  dans  toute  l'Allemagne  des  désordres, 
des  luttes  ou  des  guerres,  agit  comme  le  ferait  une  sorte  de  génie 
destructeur  qui,  avant  de  semer  une  épidémie,  disperserait  les 
médecins  et  anéantirait  les  remèdes. 

Les  pays  catholiques  furent  incontestablement  les  plus  épargnés 
dans  cette  atroce  répartition  des  calamités  publiques,  et,  au  point 
de  vue  économique,  ils  furent  ceux  qui  retrouvèrent  le  plus  tôt  un 
peu  de  calme,  d'aisance  et  de  prospérité. 

Les  conclusions  philosophiques  du  livre  de  Janssen  ne  sont  point 
encore  formulées.  J\e  peut-on  cependant  les  pressentir?  L'esprit 
allemand,  avec  son  singulier  mélange  de  tendances  mystiques  et  de 
scepticisme,  avec  ses  facultés  critiques  unies  cependant  aux  plus 
nobles  instincts  poétiques,  à  la  prédominance  si  fréquente  du  senti- 
ment et  de  la  rêverie,  n'avait-il  pas,  plus  que  tout  autre,  besoin 
d'une  doctrine  qui  le  retînt  dans  de  justes  bornes  et  qui  le  préservât 
de  périlleux  écarts? 

La  doctrine  catholique,  avec  la  largeur  de  sa  théologie,  avec  cette 
sagesse  qui  laisse  un  champ  si  vaste  aux  opinions  humaines,  tout 
en  fixant  aux  systèmes  des  limites  qu'ils  ne  doivent  pas  franchir, 
ne  convenait-elle  pas  mieux  à  la  pensée  allemande  que  cet  esprit 
d'exégèse  téméraire  qui,  après  s'être  appliqué  aux  textes  de  l'Ecri- 
ture sainte,  a  envahi  le  domaine  universel  de  la  science?  La  néga- 
tion a  ébranlé  partout  les  bases  de  la  certitude  et  donné  ce  spectacle 
étrange  d'une  érudition  colossale  qui,  dans  tous  les  ordres  de  con- 
naissances, accumule  les  notions  les  plus  laborieusement  acquises 
pour  en  contester  ensuite  la  valeur  ou  en  nier  l'authenticité. 


XIV  INTRODUCTION. 

A  cette  conclusion ,  la  critique  protestante  et  rationaliste  re'pon- 
dra  sans  doute  en  re'pe'tant  cette  même  imposante  nomenclature  des 
e'crivains,  des  penseurs  et  des  savants  allemands  dont  la  majorité 
appartient  jusqu'à  nos  jours  aux  fractions  protestantes  du  pays. 
Janssen  pourra  répliquer,  soit  en  montrant  les  fatales  conse'quences 
des  systèmes  conçus  par  la  philosophie  allemande,  soit  en  prouvant 
que,  dans  la  pe'riode  contemporaine ,  les  pays  catholiques  sont  en 
voie  d'ascension  e'vidente.  Quelle  que  soit  l'issue  présente  de  ce 
débat,  la  postérité  y  interviendra  d'une  manière  indubitable,  en 
inscrivant  Janssen  parmi  les  grands  historiens  de  notre  siècle,  et 
en  donnant  à  ce  penseur,  non  moins  profond  que  courageux  et 
sincère,  une  place  eminente  parmi  ses  contemporains. 

G.  A.  Heinrich, 

Doyen  de  la  Faculté  des  lettres  de  Lyon, 


^ 


TABLE  DES  MATIERES 


INTRODUCTION 

ÉTAT   INTELLECTUEL  DE  l'ALLEMAGNE  AU  SORTIR  DU  MOYEN  AGE 

La  découverte  de  l'imprimerie  donne  l'essor  à  la  vie  de  la  pensée.  —  Influence 
du  cardinal  Nicolas  de  Cusa;  ses»réformes  dans  le  domaine  religieux;  il  relève 
les  études  théologiques  et  philosophiques,  et  l'enseignement  des  sciences 
exactes,  1-4.  —  Caractères  de  la  nouvelle  ère  de  progrès.  —  Le  mouvement 
fécond  qui  se  produit  est  étroitement  associé  à  la  doctrine  de  l'Église  sur  le 
mérite  des  bonnes  œuvres,  4-6. 

LIVRE    PREMIER 

l'instruction  POPULAIRE  ET  LA   SCIENCE 
CHAPITRE   PREMIER 

DIFFUSION    DE    L'iMPRISIERIE 

Jugements  des  contemporains  sur  la  nouvelle  découverte.  —  L'Allemagne  voit 
se  multiplier  les  foyers  de  la  science  et  de  la  vie  intellectuelle,  7-9.  —  Les 
Allemands  propagent  dans  toute  l'Europe  la  nouvelle  invention.  —  Buts  prin- 
cipaux qu'on  se  proposait  d'atteindre  par  son  moyen.  —  Part  qui  revient  au 
clergé  daus  les  premiers  progrès  de  l'imprimerie,  9-12.  —  La  librairie  con- 
tinue le  commerce  déjà  existant  des  manuscrits  et.  lui  donne  un  grande 
extension.  —  Commerce  par  voie  d'échanges.  —  Diffusion  des  livres  alle- 
mands dans  toute  l'Europe.  —  Ateliers  de  Koburger  à  Nuremberg.  —  Le 
libraire  Franz  Birckinann,  10-14.  —  Premiers  produits  bibliographiques.  — 
Éditions  de  la  Bible.  —  Éditions  des  Pères  de  l'Église,  des  écrivains  scolas- 
tiques  et  des  auteurs  classiques  de  l'antiquité.  — Publications  populaires,  14- 
17.  —  Évaluation  des  tirages.  —  Grand  nombre  des  éditions,  17-18. 

CHAPITRE   II 

LES  ÉCOLES  ÉLÉMENTAIRES    ET  L'INSTRUCTION  RELIGIEUSE  DU    PEUPLE 

I.  Le  clergé  s'emploie  activement  à  la  propagation  de  l'instruction  parmi  le 
peuple.  —  Enseignement  de  l'Église  touchant  les  devoirs  des  enfants  envers 
leurs  maîtres.  —  Les  instituteurs,  exhortés  à  seconder  les  efforts  du  clergé, 
19-20.  —  Nombreux  témoignages  attestant  le  grand  nombre  d'écoliers  qui 
fréquentent  les  écoles  de  lecture  et  d'écriture.  —  Position  considérée  des 
instituteurs.  —  Leurs  émoluments  évalués  d'après  la  valeur  de  l'argent  au 
quinzième  siècle,  20-23. 

II.  L'éducation  au  foyer  domestique.  —  La  famille  chrétienne,  23-26. 

III.  L'enseignement  religieux  par  la  prédication.  —  En  quelle  estime  l'Église 
tenait  la  prédication,  26-28.  —  Combien  les  sermons  étaient  alors  assidûment 
suivis.  — Fondations  de  chaires  dans  les  grandes  et  petites  villes,  et  jusque 
dans  les  villages,  29-30.  -^  Nombreux  sermonnaires  et  répertoires  à  l'usage 


XVI  TABLE    DES    MATIERES. 

des  prédicateurs.  —  Sujets  ordinaires  des  prédications  dans  les  villes  et  dans 
les  villages. 

IV.  Autres  modes  d'instruction  religieuse  :  catéchismes  en  images.  —  Enseigne- 
ment du  catécliisme.  —  Tableaux  des  dix  commandements,  32-34.  —  Le  caté- 
chisme de  Dederich  Colde,  le  plus  ancien  des  catéchismes  allemands.  — 
Doctrine  sur  la  nécessité  de  la  foi  pour  le  salut,  34-35.  —  Autres  catéchismes. 
—  Le  salut  des  hommes  uniquement  attribué  aux  mérites  de  la  passion  de 
Jésus-Christ.  — •  Trésor  des  richesses  du  salut,  30-37.  —  Doctrine  sur  les  saints  et 
sur  les  indulgences,  37-40.  —  Examens  de  conscience,  livres  de  prières  et  d'édi- 
fication, 40-41.  —  Livre  d'examens  de  conscience  de  Jean  Wolff. —  Explication 
du  quatrième  commandement.  —  Doctrine  sur  la  contrition  et  sur  la  justifi- 
cation, 41-43.  —  Les  Plenaries.  —  Leur  vaste  diffusion,  43-44.  —  .appréciation 
générale  de  l'enseignement  religieux  à  cette  époque.  —  Sa  parfaite  ortho- 
doxie et  pureté,  44-45. 

V.  Traduction  de  la  Bible  en  allemand.  —  But  que  les  traducteurs  se  propo- 
saient d'atteindre.  —  Comment  les  traducteurs  et  les  écrivains  ascétiques 
entendaient  la  lecture  de  la  Bible  en  langue  vulgaire.  —  Vaste  diffusion  des 
Bibles  allemandes,  45-48. 

CHAPITRE  III 
l'enseignement  moyen  et  l'.a.ncien  humanisme 

I.  Écoles  des  Frères  de  la  vie  commune.  —  Leurs  nombreux  élèves,  49.  —  Les 
papes  favorisent  leurs  écoles,  50.  —  Thomas  à  Kempis,  l'un  des  premiers  pro- 
moteurs des  études  classiques  en  Allemagne.  —  Caractère  de  l'ancien  huma- 
nisme, sorti  de  l'école  scolastique.  —  Combien  il  diffère  par  son  esprit  de 
l'humanisme  du  siècle  suivant,  50-52.  —  Rodolphe  Agricola;  services  rendus 
par  lui  aux  études  classiques.  —  Rapprochement  entre  .Agricola  et  Pétrarque, 
52-54. 

II.  Alexandre  Hégius,  pédagogue,  54-55.  —  Autres  pédagogues  ^vestphaliens.  — 
Leur  éloge.  —  Rodolphe  de  Langen.  —  Jean  Murmellius,  55-57.  —  Écoles 
rhénanes.  —  Enseignement  du  grec.  —  Méthodes  d'enseignement.  —  Éduca- 
tion. —  Vie  scolaire,  57-61. 

III.  Jacques  Wimpheling,  »  instituteur  de  l'Allemagne  - . —  Action  qu'il  a  exercée 
sur  son  temps.  —  Ses  ouvrages  pédagogiques  font  époque.  —  Principes  fon- 
damentaux de  la  pédagogie  de  son  temps,  61-64.  —  Jean  Cochlaus  à  Nurem- 
berg, G4.  —  .Administration  des  écoles  urbaines.  —  Fondations  pieuses  en 
faveur  des  écoles.  —  Bibliothèques  fondées  par  la  bourgeoisie  et  le  clergé, 
64-65.  —  Femmes  de  lettres  du  pays  rhénan  et  du  sud  de  l'Allemagne.  — 
Charité  Pirkheimer,  65-68. 

CHAPITRE  IV 

LES   UNIVERSITÉS  ET    LES   AUTRES    CE. N  TRES   INTEL'LECTUELS 

I.  Universités  anciennes  et  nouvelles.  —  Leur  objet.  —  Alliance  de  la  foi  et  de 
la  science.  —  citations  empruntées  aux  lettres  de  fondation  des  Universités, 
69-70.  —  Le  clergé,  et  surtout  les  papes,  soutiennent  les  Universités  par  leurs 
dons,  et  leur  accordent  une  protection  spéciale,  70-72.  —  Principaux  avantages 
de  ces  institutions.  —  Comment  elles  étaient  constituées.  —  Leur  caractère 
international,  72-75.  —  Grand  nombre  des  étudiants,  75.  —  Animation,  élan 
de  la  vie  intellectuelle  à  cette  époque.  —  Le  duché  de  Brandebourg  reste  seul 
étranger  au  mouvement  général,  75-76. 

II.  Université  de  Cologne.  —  Humanistes  :  Barthélemi  de  Cologne  et  Ortwin  Gra- 
tius,  76-78.  —  Werner  Rolevvinck,  prieur  des  Chartreux.  —  Ses  ouvrages.  — 
Vie  intellectuelle  à  la  Chartreuse  de  Cologne,  78-80. 

III.  i'ninersité  d' Heidelberg.  —  Jean  Dalberg,  évéque  de  Worms,  qui  en  est  élu 
chancelier,  lui  imprime  un  remarquable  élan.  —  Bibliothèque  de  Dalberg, 
81-83.  —  L'humaniste  Jean  Reuchlin.  —  Il  relève  à  Heidelberg  les  études  clas- 
siques. —  Il  ouvre  une  voie  nouvelle  à  l'enseignement  de  l'hébreu,  83-85.  — 


TABLE    UES    M  AT  I  K  K  li  S  .  XVIl 

Autres  savants  professeurs  d'Ueidelberg,  85-8G.  —  Société  littéraire  du 
Rhin,  son  but  et  son  extension.  —  Correspondances  échangées  entre  les 
savants,  86. 

IV.  L'abbé  de  Spouheim,  .lean  Trithème,  et  la  vie  intellectuelle  à  Ileidelberfj.  — 
Trithèine,  le  plus  grand  historien  de  son  siècle.—  Sa  maynifique  bibliothèque 
à  l'abbaye  de  Sponheim,  87-89.  —  Ses  travaux,  ses  noinbieux  écrits.  —  Com- 
ment il  envisageait  l'étude  de  la  Bible  et  des  Pères  de  l'Église,  la  scolastique 
elles  sciences  naturelles,  89-92.  —  Ses  écrits  littéraires  et  historiques.  —  Son 
ardent  patriotisme.  —  Influence  qu'il  exerce  sur  la  jeunesse.  —  Comment 
il  comprenait  l'étude  des  auteurs  de  l'antiquité.  —  Trithème,  jugé  par  son 
élève  et  continuateur  .Jean  Butzbach.  —  Histoire  littéraire  de  Butzbach, 
92-95. 

V.  Unirersité  de  Fribourg  en  Brisgau.  —  Ulrich  Zasius,  initiateur  éminent  dans  la 
science  du  droit.  — Ses  travaux  scientifiques,  son  caractère.  —  Jugement 
porté  sur  lui  par  Érasme,  95-97.  — Grégoire  Reisch,  philosophe,  cosmographe 
et  mathématicien.  —  L'Allemagne  lui  doit  sa  première  encyclopédie  philoso- 
phique. —  Son  élève  Martin  Waldseemüller  et  ses  travaux,  97-98. 

VL  Université  de  Bâle.  —  lleynlin  von  Stein,  écrivain  scolastique  ;  son  influence  et 
ses  écrits;  ses  amis.  —  .Jugement  porté  sur  lui  par  Wimpheling,  98-100.  — 
Sébastien  Brant,  professeur  et  écrivain.  —  Sa  foi  profonde,  lOO-lOl. 

VIL  Savants  amis  d'IIeynlin  von  Stein.  —  Geiler  de  Kaisersberget  le  cercle  de  ses 
amis  à  Strasbourg,  101-103.  —  Wimpheling  et  Brant  fondent  à  Strasbourg  une 
société  savante,  et  préparent  une  collection  complète  de  sources  historiques 
relatives  à  l'histoire  du  Ilaut-Ilhin.  —  Autres  travaux  historiques  à  Strasbourg. 
—  Histoire  d'Allemagne  de  Wimpheling.  —  Geiler  et  Brant  cherchent  à  réveiller 
le  patriotisme  chez  les  princes  allemands  et  dans  les  diverses  classes  sociales, 
104-106.  —  L'humanisme  à  Strasbourg,  106.  —  Ouvrages  de  Geiler  de  Kai- 
sersberg, action  qu'il  exerce  par  ses  prédications.  —  Jugement  porté  sur  lui 
par  Brant,  106-108. 

Vlli.  Univeisiié  de  Tubingue  et  sa  période  d'éclat.  —  Conrad  Summenhart  et  Gabriel 
Biel,  scolastiques  et  économistes.  —  Biel  blâme  avec  courage  la  manière  dont 
les  princes  exploitent  le  peuple,  108-110. 

IX.  Université  d' Ingolstadt,  l'un  des  établissements  enseignants  les  plus  remarqua- 
bles de  l'Allemagne  d'alors.  —  L'humaniste  .Jacques  Locher.  —  Jean  Eck  et  son 
influence  sur  la  science  de  son  temps,  110-111. 

X.  La  villelibre  de  Nureviberg,  son  importance  au  point  de  vue  intellectuel,  111.  — 
Jean  Müller,  surnommé  Régiomontan,  réformateur  de  l'astronomie  et  des 
mathématiques;  ses  relations  avec  Georges  Peuerbach.  —  Sa  vie  et  ses  tra- 
vaux. —  Il  fonde  la  trigonométrie  moderne.  —  Ses  recherches,  ses  découvertes, 
ses  innovations  scientifiques  à  Nuremberg.  —  Il  rattache  l'astronomie  alle- 
mande à  la  nautique  espagnole,  et  contribue  dans  une  large  mesure  aux 
découvertes  des  grands  navigateurs  de  son  temps,  Christophe  Colomb,  Vasco 
de  Gama,  etc.,  111-115.  —  Son  élève  Martin  Behaim,  cosmographe  et  naviga- 
teur, 115.  —  Régiomontan  à  Rome,  115-116.  —  Coup  d'œil  sur  l'ensemble  de 
ses  travaux.  —  Son  influence  intellectuelle  à  Nuremberg.  —  L'humaniste 
Willibald  Pirkheimer,  son  caractère  et  ses  travaux,  118-118. 

XI.  Conrad  Peutingcr,  ami  de  Willibald  Pirkheimer.  —  Action  qu'il  exerce  à 
Augsbourg.  —  Ses  rapports  avec  l'empereur  Maximilien.  —  Société  littéraire 
d'Augsbourg.  —  Collections  d'antiquités  de  Peutinger;  ses  écrits;  Peutinger, 
l'un  des  fondateurs  de  l'investigation  historique  fondée  sur  la  science.  — 
Maximilien  seconde  ses  efforts,  118-121. 

XII.  L'empereur  Maximilien,  jjrotecteur  de  la  science  et  des  arts,  favorise  particu- 
lièrement les  études  historiques  et  littéraires  se  rapportant  à  l'histoire  de 
l'Allemagne.  —  Divers  jugements  portés  par  les  savants  contemporains  sur 
Maximilien,  121-124.  —  Les  écrits  de  l'Empereur  :  le  lUeisskunig  et  le  Theuer- 
danl,-,  124-125.  —  Relations  de  Maximilien  avec  les  savants.  —  Maximilien  et 
l'Université  de  Vienne,  125. 

XIII.  L'Unii-ersité  de  Vienne.  —  Illustres  mathématiciens  et  astronomes  de  cette 
Université.  —  Peuerbach  et  Régiomontan  étendent  au  loin  sa  réputation.  — 

b 


XVIll  TABLE    DES    MATIERES. 

Ces  grands  hommes  donnent  aussi  l'élan  aux  études  classiques,  125-126.  — 
Conrad  Celtes.  —  Son  influence.  —  Ses  travaux  comme  écrivain  et  comme  pro- 
fesseur, 126-127.  —  Le  collège  des  «  poètes  .  et  la  Société  savante  du  Danube, 
127.  —  Age  d'or  de  l'Université  de  Vienne,  127-128.  —  Maxiinilien,  protecteur 
de  l'art  allemand. 


LIVRE    II 

l'art   et    la   vie    POPULAIRE 

INTRODUCTION 

On  apprend  à  connaître  un  peuple  en  étudiant  les  chefs-d'œuvre  artistiques 
qu'il  a  produits.  —  L'art  à  la  fin  du  moyen  âge,  129.  —  Il  sert  les  vues  de 
la  religion.  —  Étroite  union  des  arts  à  celte  époque.  —  Les  artistes  pui- 
saient l'inspiration  dans  leur  patriotisme.  —  .Monuments  qui  nous  permet- 
tent d'apprécier  l'art  du  quinzième  siècle  en  Allemagne. 

CHAPITRE    PREMIER 
l'architecture 

L'architecture,  centre  des  beaux-arts.  —  Caractères  de  l'architecture  germa- 
nique chrétienne,  132-133.  —  Organisation  corporative  des  ouvriers  et  des 
artistes,  133.  —  Confrérie  générale  de  la  maçonnerie  allemande.  —  Ateliers 
de  construction.  —  Les  ateliers  de  construction  faisaient  partie  des  institu- 
tions populaires,  133-134.  —  Théorie.  —  Premiers  écrits  théoriques,  134-135. 
—  L'architecture  germanique  chrétienne  se  propage  dans  toute  l'Europe.  — 
Caractère  du  style  gothique  de  la  dernière  époque,  135-136. 

I.  L'Allemagne  se  couvre  d'édifices  religieux.  L'essor  de  l'art  religieux  va  de 
pair  avec  les  progrès  de  la  science.  —  Liste  des  monuments  religieux  les 
plus  remarquables  de  cette  période.  —  Ils  témoignent  de  la  vitalité  et  de  la 
puissance  de  l'Église,  136-141.  -;-  Dans  quel  esprit  et  par  quels  moyens  les 
édifices  religieux  s'élèvent.  —  Églises  de  Xanten,  de  Francfort,  d'Ulm,  etc., 
141-143. 

II.  Architecture  civile.  —  Son  remarquable  développement.  —  Les  dessins  de 
Mérian,  143-144. 

CHAPITRE  II 

SCULPTURE     ET     PEI.NTUKE 

Étroits  rapports  de  la  sculpture  et  de  la  peinture  avec  l'architecture.  —  La 
sculpture  et  la  peinture,  au  service  de  la  religion  et  de  l'Église.  —  Les  églises 
du  moyen  âge,  semblables  à  des  expositions  monumentales  où  l'histoire 
biblique  se  déroule  à  l'aise.  Elles  sont  comme  des  musées  permanents  où  le 
peuple  est  initié  aux  arts,  145.  —  La  sculpture  et  la  peinture  ennoblissent 
aussi  la  vie  publique  et  domestique.  —  Les  rues  des  grandes  villes  ressem- 
blaient à  d'immenses  Chroniques  illustrées.  —  Caractère  essentiellement 
national  des  chefs-d'œuvre  de  cette  époque.  —  Corporations  d'artistes.  — 
Travaux  exécutés  à  Calcar,  petite  ville  des  pays  rhénans,  147-152. 

Orfèvres  et  sculpteurs,  et  les  différentes  branches  de  leur  art.  —  Ouvrages  d'or  et 
d'argent.  —  Villes  où  florissaient  davantage  les  corporations  d'orfèvres.  — 
Inventaires  de  quelques  trésors  de  sacristie,  152-154.  —  L'art  de  couler  en 
bronze;  fondeurs  de  Xuremlerg;  éloge  qu'en  fait  Hans  Rosenplüt.  —  Le  fon- 
deur Pierre  Fischer  et  ses  chefs-d'œuvre.  —  Le  tombeau  de  saint  Sébald.  — 
Sébastien  Lindenast.  —  Fonderies  du  nord  de  l'Allemagne.  —  Fonderies  de 
cloches,  154-157.  —  Sculpteurs  sur  pierre  et  sur  bois.  —  Adam  Krafft,  de 
Nuremberg.  —  Son  chemin  de  croix.  —  Tabernacle  de  la  cathédrale  d'Ulm, 
157-159.  —  Tilmann  Riemenschneider  à  Wurzbourg  et  Veit  Stoss  à  Cracovie 


TABLE    DES    M  A  T  I  E  H  E  S  .  XIX 

Cl  h  Niir(;iiil)erj;,  1.09-lGO.  —  Admirables  sculptures  exécutées  dans  les  peiKcs 
villes  et  même  dans  les  villages.  —  Stalles  de  chœurs  de  Georges  Syrlini,  dans 
la  cathédrale  d'Ulni,  IGO. 
l'ciiituri!.  —  I.  Les  frères  Van  Lyck.  —  L'École  flamande  et  l'École  de  Cologne. 

—  Etienne  Lochner.  —  Hans  Memling.  -^  Martin  Schonjjauer,  161-16.3.  — 
Caractère  de  la  peinture  allemande;  ses  diverses  écoles.  —  Schongaucr  et  ses 
élèves.  —  Durer  et  llolbein  le  jeune  élèvent  la  peinture  allemande  à  son  plus 
haut  degré  de  gloire,  163-1G6. 

JI.  Les  parents  d'Albert  Diirer,  d'après  les  renseignements  fournis  par  Diirer 
lui-même.  —  Éducation  de  l'homme  et  de  l'artiste.  —  Le  foyer  allemand, 
thème  continuel  de  ses  tableaux.  —  Influence  de  Dürer  sur  tous  les  arts 
plastiques  de  son  époque.  —  Période  d'éclat.  —  Durer,  par  son  génie,  appar- 
tient au  monde  entier,  166-171. 

III.  La  peinture  sur  verre.  —  Le  Dominicain  .lacques  Griesinger.  —  Autres 
peintres  verriers  célèbres.  —  Chefs-d'œuvre  de  la  peinture  sur  verre,  tant 
dans  les  églises  que  dans  les  chûteanx,  hôtels  de  ville,  etc.,  171-17.3. 

Mmiaitirc.  —  IV.  Villes  OÙ  elle  était  le  plus  cultivée.  —  Miniaturistes  célèbres. 

—  Miniaturistes  dans  les  cloîtres,  171-175.  —  Broderie  d'art.  —  Travaux  de 
broderie  exécutés  par  les  femmes,  175-176. 

CHAPITRE    III 

G  R  A  V  U  U  E 

L'invention  de  la  gravure,  aussi  importante  pour  l'art  que  la  découverte  de 
l'imprimerie  pour  les  lettres.  —  Premiers  emplois  de  la  gravure.  —  liiblcs  des 
pauvres.  —  L'imprimeur  Koburger,  de  Nuremberg,  fait  faire  un  progrès  con- 
sidérable à  l'art  du  graveur,  177-178.  —  Albert  Diirer  donne  à  l'art  de  la 
gravure  sur  bois  une  perfection  qu'elle  n'a  pas  dépassée  depuis.  .Ses  compo- 
sitions les  plus  célèbres  :  les  deux  Passions,  la  lie  de  Xolre-Dame,  179-182.  — 
La  gravure  sur  cuivre,  invention  allemande.  —  Premiers  graveurs.  —  Martin 
Schongauer. 

Durer  .Le  chcvaUcr,  la  mort  rt  le  démon,  Saint  Jérôme  et  la  mélancolie.  Ces  gravures  font 
époque  dans  l'histoire  de  l'art  et  de  la  civilisation,  183-184.  —  Élèves  de  Durer. 

—  Lucas  Cranach.  —  Décadence  de  l'art  du  quinzième  siècle,  185-186. 

CHAPITRE  IV 

I.  Vie  populaire  d'après  le  témoignage  des  arts  plastiques  —  L'art,  miroir 
fidèle  de  la  vie  allemande  au  quinzième  siècle.  —  L'humour  dans  l'art,  encou- 
ragé par  l'Église.  —  Son  but  et  son  emploi.  —  Vignettes  de  Durer  pour  le 
livre  d'heures  de  Maximilien.  —  Représentations  du  démon,  186-190.  —  Les 
vices  et  les  extravagances  de  l'époque  ridiculisés.  —  Railleries  sur  les  travers 
et  les  ridicules  des  villageois,  190-192.  —  Jeux  et  plaisirs  populaires.  —  Danses, 
192-193.  —  Richesse  et  variété  de  couleurs  et  de  forme  dans  les  costumes. 

—  Coiffures.  Chapeaux  et  bonnets.  —  Couleurs  des  vêtements  dans  la  classe 
moyenne.  —  Le  prolétariat  des  villes.  —  Costumes  sévères  des  bourgeois, 
193-199. 

II.  Le  foyer  allemand  d'après  l'art  du  quinzième  siècle.  —  Le  métier  et  l'art  se 
complètent  et  se  perfectionnent  mutuellement,  199-200. 

CHAPITRE   V 

L.V    MUSIQUE 

Progrès  de  la  musique  à  partir  du  milieu  du  quinzième  siècle.  —  La  véritable 
musique  religieuse  est  en  germe  dans  le  chant  grégorien.  —  La  musique, 
comparée  à  l'architecture,  201-202. 

I.  Développement  simultané  de  la  musique  dans  l'Allemagne  du  Sud  et  dans  les 

b. 


XX  TABLE    DES    MATIERES. 

Pays-Bas.  —  Le  Livre  de  chants  de  Lochamer.  —  Jacques  Obrecht  (f  1507)  et  Jean 
Ockenheim  (f  1515),  ancêtres  intellectuels  de  toutes  les  écoles  de  musique.  — 
Autres  célèbres  compositeurs  de  l'époque  et  leurs  œuvres  les  plus  importantes. 
—  Josquin  de  Prés.  —  Henri  Isaac.  —  Louis  Senfl.  —  Henri  Finck.  —  Etienne 
Mahu,  202-205.  —  .Musique  profane.  —  Son  caractère,  205-206. 

H.  Perfectionnement  des  instruments  de  musique  :  l'orgue.  —  Les  Allemands, 
premiers  facteurs  d'orgues  de  l'Europe.  —  Invention  de  la  pédale.  —  Célèbres 
facteurs  d'orgues  et  organistes.  —  L'aveugle-né  Nicolas  Baumann,  à  Nurem- 
berg (f  1473).  —  Paul  Hofbeimer,  organiste  à  la  cour  de  l'empereur  Maximi- 
lien.  —  Maître  Arnold  Schlick.  —  Violonistes  et  luthiers,  206-209. 

III.  Théoriciens.  —  Jean  Goodendach.  —  Jean  Färber.  —  Adam  de  Fulda.  — 
Culture  musicale  dans  les  écoles.  —  Manuel  de  Jean  Cochla^us,  209-210. 


CHAPITRE    VI 

POÉSIE    POPULAIRE 

L  Décadence  de  la  poésie  populaire  artistique  au  quinzième  siècle.  Cette  déca- 
dence n'implique  nullement  l'épuisement  de  la  veine  poétique  dans  la  nation. 

—  Comment  s'était  produite  la  poésie  artistique.  —  Raisons  qu'on  avait  d'at- 
tendre un  nouvel  épanouissement  de  cette  poésie.  —  Nouvelle  poésie  popu- 
laire. —  Son  caractère.  —  Sa  diffusion,  211-213  —  Chansons  populaires.  — 
Chants  d'amour  et  de  séparation.  —  Citations,  213-214. —  Rapports  étroits  de 
la  vie  allemande  avec  la  nature.  —  Chansons  de  buveurs.  —  Romances,  bal- 
lades. —  Chansons  historiques  et  politiques.  —  Chansons  contre  les  avocats, 
les  Juifs  et  les  chevaliers  brigands.  —  Chansons  satiriques.  —  Le  lied,  passion- 
nément aimé  du  peuple,  et  pourquoi,  214-219. 

II.  Chants  religieux  et  cantiques  spirituels;  ils  se  propagent  en  tous  lieux.  —  La 
poésie  lyrique,  art  essentiellement  allemand.  —  Jean  de  Salzbourg.  —  Henri 
de  Laufenberg,  219-221.  —  Le  quinzième  siècle,  époque  féconde  pour  le  déve- 
loppement du  chant  religieux.  —  Recueil  de  chants  d'Église  et  de  cantiques.  — 
Témoignage  de  Martin  Luther.  —  Progrès  de  l'harmonie;  développement  par 
le  contre-point  de  la  phrase  primitive.  —  Cantiques  allemands.  —  Citations 
des  textes,  221-222.  —  Beauté  des  cantiques  allemands.  —  Cantiques  en  l'hon- 
neur du  Sauveur,  de  la  Sainte  Vierge,  222-224.  —  Divers  cantiques  pieux.  — 
Importance  que  l'Église  attachait  aux  chants  religieux,  224-225. 

III.  Les  Mystères.  —  Leur  origine  et  leur  développement.  —  Leurs  cycles  divers 

—  Mystères  de  Pâques.  —  Le  Mystère  de  l'Antéchrist,  225-229. 

IV.  Popularité  des  Mystères.  —  Dans  quel  sérieux  esprit  de  foi  ils  étaient 
représentés.  —  Les  représentations  duraient  souvent  plusieurs  jours,  230-232. 

—  Caractère  particulier  des  Mystères  du  Saint-Sacrement,  232.  —  Appareil 
scénique  des  Mystères.  —  Leur  symbolisme.  —  En  quoi  ils  rappellent  souvent 
les  productions  des  arts  plastiques,  232-233.  —  Rôle  du  démon  dans  les  Mys- 
tères. —  Élément  comique  et  satirique.  —  La  foi  et  l'Église  y  sont  partout 
respectées,  233-236.  —  Divertissements  du  carnaval,  et  particulièrement  à 
Nuremberg,  236-237. 

V.  Comédies  latines.  —  Décadence  de  l'art  dramatique,  237-238. 

CHAPITRE    VII 

POÉSIES    JIOR.iLES    ET    POLITIQUES 

Caractère  et  mérite  de  ces  poésies.  —  La  poésie  didactique  très-goûtée  à  cette 
époque.  —  Avertissements  courageux  adressés  par  les  poètes  à  la  noblesse, 
aux  courtisans,  aux  princes,  au  clergé,  aux  diverses  classes  sociales.  —  La 
race  welche.  —  Le  roman  du  Renard,  238-242.  —  La  Xef  des  fous,  de  Sébastien 
Braut.  —  Influence  extraordinaire  de  crpoëme.  —  Il  est  essentiellement  reli- 
gieux, 243-245. 


TABLE    DES    MATIERES.  XXI 


CHAPITRE  VIII 

Pl\OSF    ET    LITTÉRATURE    POPULAIRES 

I.  La  prose,  aussi  iinporlante  pour  l'art  que  la  poésie,  216.  —  Progrès  impercep- 
tibles et  lents  de  la  prose  allemande  pendant  un  lonf}  espace  de  temps,  et  son 
épanouissement  au  quinzième  siècle.  —  Prose  narrative.  —  Histoire,  histo- 
riens. —  Historiens  populaires  à  Nuremberg.  —  Chronique  de  Cologne,  —  Chro- 
nique autrichienne  de  lacques  tlnrest.  —  Caractère  général  des  chroniques  alle- 
mandes. —  L'amour  du  pays  en  est  l'âme,  246-251.  —  Vaste  diffusion  des 
livres  populaires  à  cette  époque. 

II.  Livres  favoris  du  peuple.  —  Humour  populaire.  —  Le  roi  Salomon  et  Mm-colphe. 
—  Till  Eulenspiegel,  251-254. 

m.  Récits  de  voyages.  —  Itinéraires  de  pèlerinages.  —  La  -^  sainte  joie  de 
voyager  ».  —  Voyage  aux  lieux  saints  du  barbier  et  joueur  de  luth  .lost  Artus.  — 
Voyage  à  Jérusalem,  de  Bernard  de  Breidenbach.  —  Citation  curieuse  empruntée 
ù  la  dédicace  de  ce  livre,  254-257.  —  Traductions,  romans,  nouvelles.  — 
Richesse  d'invention.  —  Recueil  de  fables,  —  La  prose  dans  les  ouvrages  scien- 
tifiques, 257-258. 

IV.  Philosophie,  éloquence.  —  Geiler  de  Kaisersherg, 258-259. 

V.  Formation  de  la  langue.  L'»  allemand  vulgaire  ».  —  Témoignage  de  Luther 
sur  r  -  allemand  vulgaire  -  et  la  langue  dont  il  s'est  lui-même  servi.  — 
Excellence  de  la  prose  du  quinzième  siècle,  259-260.  jk 


ETAT  ECOISOiMlQüE,  JURIDIQUE  ET  POLITIQUE 

DE  L'ALLEMAGNE 

A  LA  FIN   DU  MOYEN   AGE 


LIVRE  III 

ÉCONOMIE    SOCIALE 

INTRODUCTION 

Union  et  rapports  mutuels  de  la  vie  intellectuelle  et  économique.  —  Branches 
diverses  d'économie.  —  Équilibre  entre  les  principaux  groupes  de  travail, 
260-261. 

CHAPITRE    PREMIER 

VIE    ET     TRAVAUX    PES     AGRICULTEURS 

I.  Possession,  partage  et  culture  du  sol.  —  Relations  entre  les  seigneurs  et  les 
colons,  265-267.  —  Les  biens  des  colons,  possessions  indépendantes.  —  Le  ser- 
vage, presque  généralement  aboli  vers  le  milieu  du  quinzième  siècle.  —  Colons 
héréditaires.  —  Droits  et  devoirs  des  seigneurs  et  des  colons,  267-269. 

II.  Les  livres  de  sagesse.  —  Redevances  et  corvées.  —  Redevances  en  nature  et 
en  argent.  —  Comment  elles  étaient  prélevées,  270-276. 

III.  Établissements  ruraux.  —  Droits  au  communal.  —  Droits  de  pâtis,  droits 
forestiers.  —  Les  colons  et  propriétaires  des  terrains  communaux.  —  Droits 
au  communal  des  paysans  non  propriétaires  appelés  ^  manants  >.  —  Proces- 
sions rurales  pour  l'inspection  et  la  vérification  des  limites  de  propriété, 
276-279.  — Divers  modes  de  construction  en  Franconie,  en  Souabe  et  en  Saxe. 
—  Enseignes  attachées  aux  maisons.  —  Estime  que  le  cultivateur  faisait  de 
son  état,  279-280. 

IV.  Aménagement  du  sol.  —  Économie  forestière  et  ses  progrès,  280-282. 

V.  Le  Règlement  de  Nicolas  Engelmann,  d'Erfurt,  nous  offre  le  fidèle  tableau  de 
la  vie  agraire  au  quinzième  siècle.  —  Prière  et  travail,  283-290. 


XXII  TABLE    DES    MATIERES. 

VI.  Possessions  foncières  des  villes.  —  Les  villes,  centres  de  culture  et  d'ayro- 
nomie.  —  Bourgeois  cultivateurs.  —  Place  considérable  que  tenait  l'agricul- 
ture dans  beaucoup  de  grandes  villes.  —  Forte  consommation  de  viande.  — 
Populations  des  villes.  —  Prix  modique  des  céréales  et  de  la  viande  de  bou- 
cherie, 291-294.  —  Développement  de  la  culture  du  lin  et  du  chanvre.  —  Cul- 
ture des  jardins.  —  Soins  extrêmes  apportés  à  la  culture  de  la  vigne,  294-297. 

VII.  Littérature  agricole  et  ses  progrès,  297-298. 

VIII.  Renseignements  sur  l'état  général  de  l'agriculture.  —  Le  Rheingau  et  la 
Poméranie,  298-300. 

IX.  Bien-être  des  paysans  dans  les  différentes  contrées  de  l'Allemagne.  —  Luxe 
des  habillements.  —  Nourriture  abondante  et  recherchée,  300-302. 

X.  Heureuses  conditions  de  vie  des  cultivateurs.  —  Les  salaires  des  journaliers 
cultivateurs,  appréciés  d'après  le  prix  des  objets  de  première  nécessité.  —  Ali- 
mentation. —  La  viande,  nourriture  quotidienne  du  peuple.  — -  Salaires  et 
nourriture  des  domestiques.  —  Salaires  élevés  des  travailleurs,  303-308. 

CHAPITRE   II 

VIE    ET    TRAVAUX    DES    ARTISANS 

I.  C'est  à  Charlemagne  qu'on  doit  le  premier  essor  de  l'industrie.  —  Les  abbayes 
et  les  évêques  favorisent  l'industrie.  —  Vie  industrielle  dans  les  villes,  309- 
310.  —  Origines  des  corporations.  —  Épanouissement  des  associations  de 
métiers,  310-314.  —  Principal  but  des  corporations.  —  Union  de  la  vie  du  tra- 
vail avec  la  religion  et  l'Église.  —  Obligations  religieuses  et  morales  des  as- 
sociés. —  Le  travail,  manifestation  de  la  personnalité,  314-318.  —  Le^  corpo- 
rations, associations  industrielles.  —  Les  corporations,  attentives  aux  intérêts 
des  travailleurs  comme  à  ceux  des  consommateurs,  318-322.  —  Les  corpora- 
tions, associations  juridiques.  —  Union  des  corporations  de  mêmes  métiers 
dans  des  villes  différentes.  —  Leurs  traditions  et  règlements  finissent  par 
former  une  sorte  de  droit  commercial,  commun  à  presque  tous  les  territoires 
allemands,  322-324. 

II.  Associés  du  dehors,  placés  sous  la  protection  des  corporations.  —  Les  ap- 
prentis, leur  situation.  —  Apprentis  et  compagnons.  —  L'honneur  profes- 
sionnel dans  les  compagnonnages.  —  Considération  dont  jouissait  le  compa- 
gnon. —  Le  travail,  parfois  abandonné  par  les  ouvriers  lorsque  l'honneur  de 
la  profession  semblait  être  en  jeu,  ou  par  suite  de  mécontentements.  —  Divers 
exemples  d'abandon  du  travail.  —  Comment  se  terminaient  les  différents 
entre  les  compagnons  elles  maîtres,  324-335.  —  Bonne  situation  matérielle 
des  ouvriers,  335-336. 

III.  Bains  pour  les  travailleurs,  337-338. 

IV.  L'indépendance  professionnelle  des  ouvriers  des  divers  métiers,  protégée 
par  l'association  du  travail  et  par  la  propriété  inaliénable,  339. 

V.  Corporations  minières.  —  L'exploitation  des  mines,  industrie  tout  alle- 
mande. —  Fécondité  du  sol.  —  Prodigieuses  richesses  de  l'Allemagne  en  or  et 
en  argent,  341-344. 

CHAPITRE  III 

LE     COMMERCE     ET     LE     CAPITAL 

I.  Associations  marchandes  dans  les  villes.  —  Union  des  marchands.  —  Les 
marchands  allemands  à  l'étranger,  344.  —  La  Hanse  allemande,  344-349. 

II  —  Réseau  hanséatique.  —  Importance  commerciale  de  Danzig.  —  Discipline 
sévère  établie  sur  les  navires  hanséatiques,  351-352.  —  Le  commerce  dans 
l'Allemagne  du  Sud  et  dans  les  villes  rhénanes.  —  Venise  et  le  commerce  alle- 
mand, 353-356.  —  L'Allemagne,  centre  universel  du  commerce.  —  La  foire  de 
Francfort,  356-357. 

III.  Les  Allemands  prennent  part  au  commerce  des  Indes  orientales,  357-358.—- 
Richesse  et  beauté  des  villes  allemandes.  Appréciations  de  voyageurs  étran- 
gers, 359-361.  —  Dangers  d'une  excessive  prospérité  commerciale,  361-362. 


TABLE    DKS    MATIÈRES.  XXIU 

IV.  Le  luxe  des  costumes,  et  son  incroyable  exagération.  —  Étranfçeté  des  modes. 

—  .Sermons  de  Geiler  sur  ce  sujet.  —  Il  rejette  la  faute  du  luxe  excessif 
qui  règne  dans  toutes  les  classes  sur  les  marchands.  —  Changements  perpétuels 
dans  les  modes,  .3(i3-3GC.  —  Le  luxe  des  costumes,  cause  principale  de  l'appau- 
vrissement de  la  noblesse,  3GC-367.  —Luxe  des  habits  des  gens  des  campagnes, 
368. —  Amour  du  bien-être  et  du  plaisir  parmi  les  villageois.  —  Les  noces.  — 
Excès  de  table.  —  Les  bains.  —  La  fréquentation  des  hôtelleries,  3G8-370. 

V.  Le  change.  —  Son  importance,  venue  de  l'incroyalile  confusion  qui  rèjjne 
dans  le  système  monétaire.  —  Les  .Juifs,  banquiers  universels  de  l'époque.  — 
Usure  juive.  —  Taux  incroyables  des  intérêts  autorisés   par  la  loi,  371-373. 

—  Haine  populaire  dont  les  .luifs  sont  partout  l'objet.  —  L'Kglise  défend  les 
Juifs  contre  leurs  persécuteurs,  374-377.  —  Les  .Juifs,  expulsés  des  pays  et  des 
cités,  378-379.  —  ÉtaI)Iissements  de  banques  de  change,  379. 

VI.  Le  luxe,  devenu  général,  engendre  l'usure  universelle.  —  Les  usuriers  chré- 
tiens plus  avides  que  les  usuriers  juifs,  380. 

VIL  Compagnies  commerciales.  —  Accapareurs.  —  Lois  d'Empire  contre  les 
monopolistes  ;  elles  restent  sans  effet.  —  Les  capitalistes,  exploiteurs  populaires. 

—  Enchérissement  des  denrées  alimentaires.  —  Falsification  des  denrées.  — 
Fortunes  colossales  des  capitalistes.  —  Banqueroutes;  tendances  funestes  qui 
se  produisent  dans  l'économie,  380-389.  —  Le  mauvais  état  de  l'économie, 
considéré  par  les  écrivains  contemporains  comme  la  conséquence  logique  de 
l'abandon  des  principes  du  droit  canon,  389. 

VIII.  Doctrine  de  l'Église  sur  l'économie.  —  La  propriété,  d'après  le  droit  ger- 
manique chrétien.  —  Principes  du  droit  canon  sur  l'acquisition  de  la  pro- 
priété par  le  travail  productif  de  valeur.  —  En  quelle  estime  le  droit  canon 
et  le  droit  germanique  tiennent  le  travail,  389-394.  —  Sentiments  des  écri- 
vains canonistes  sur  l'agriculture,  l'industrie  et  le  commerce.  —  En  interdi- 
sant l'usure,  l'Église  servait  les  intérêts  de  l'agriculture,  394-397.  —  Le  prêt 
à  intérêt,  considéré  comme  une  forme  du  vol  par  le  droit  germanique  chré- 
tien. —  Achat  de  rente.  — L'établissement  des  monts-de-piété  encouragé  par 
l'Église,  397-400.  —  Le  droit  germanique  chrétien  réclame  la  juste  estima- 
tion des  denrées.  —  Comment  l'Église  entendait  la  mise  en  pratique  de  la 
juste  estimation  des  denrées.  —  Équité  avec  laquelle  étaient  fixés  les  salaires 
des  travailleurs.  —  L'Église  interdit  les  agissements   monopolistes,  400-403. 

—  Conséquences  de  l'abandon  des  principes  économiques  du  droit  canon. 

IX.  Le  droit  romain,  nouvellement  introduit  en  Allemagne,  fournit  aux  adver- 
saires des  doctrines  de  l'Église  leur  arme  la  plus  puissante,  403-405. 


LIVRE   IV 

l'empire    romain    germanique    et    sa   SITUATION  EXTÉRIEURE 
CHAPITRE   PREMIER 

CONSTITUTION    ET    DROIT 

I.  Origines  et  éléments  constitutifs  de  l'Empire.  —  Le  droit  électif,   propriété 
commune  des  diverses  tribus.  —  L'Allemagne,   royaume  électif  héréditaire. 

—  Le  serment  du  couronnement.  —  Mission  et  prérogatives  de  la  royauté. 

—  Indépendance  des  diverses  classes  sociales.  —  La  royauté  étroitement  asso- 
ciée à  la  nation,  407-411. 

II.  L'Empire  romain  de  nation  germanique.  —  Union  et  mutuelle  action  des 
pouvoirs  spirituel  et  temporel.  —  Comment  le  moyen  âge  concevait  l'État. 

—  Le  serment  du  couronnement  scellait  entre  le  Pape  et  l'Empereur  un 
mutuel  contrat  —  Le  Pape,  sans  aucun  droit  sur  l'élection  du  souverain  alle- 
mand. —  A  l'Empereur  était  confiée  la  tutelle  de  l'Église.  —  L'Empereur  con- 
sidéré comme  la  pierre  angulaire  de  tout  droit,  411-414.  —  La  nation  alle- 
mande, fière  d'être  en  possession  de  la  plus  haute  souveraineté  temporelle. 

—  Expédition  romaine,  414-415. 


XXIV  TABLE    DES    MATIÈRES, 

III.  L'Empire  romain  germanique,  centre  politique  de  tous  les  peuples  euro- 
péens. —  Son  étendue  territoriale,  415.  —  Décadence  de  l'Empire  à  partir  du 
treizième  siècle.  —  Causes  de  cette  décadence,  415-417. 

La  royauté  cl  les  princes  depuis  l'ijiterregne.  —  Essais  de  restauration.  —  Système 
politique  d'Albert  I".  —  L'Empire,  autrefois  unifié,  devient  un  état  confédéré. 

—  La  Bulle  d'or  confirme  ce  nouvel  état  de  choses  (1366),  417-420.  —  Impor- 
tance de  cette  loi  fondamentale  de  l'Empire.  —  Victoire  remportée  par  les 
princes  sur  la  bourgeoisie,  420-421.  —  Affaiblissement  de  la  royauté.  — 
Dilapidation  des  impôts.  —  Revers  militaires.  —  Les  princes,  en  grande 
partie  responsables  de  la  mauvaise  situation  de  l'Empire.  —  Courte  espé- 
rance de  voir  les  choses  s'améliorer  sous  le  règne  d'Albert  II.  —  Plans  de 
réforme  d'Albert.  —  Accroissement  du  pouvoir  des  princes  sous  Frédéric  III, 
417-425. 

Importance  des  villes.  —  Sur  quoi  Cette  importance  était  fondée.  —  Les  villes 
libres  et  leur  gouvernement.  —  Conseils  urbains.  —  Villes  placées  sous  la 
juridiction  des  princes  ecclésiastiques  ou  temporels,  425-428. 

Constitution  des  Etats  territoriaux.  —  Leur  Organisation.  —  Leurs  relations  avec  les 
princes  souverains.  —  Leurs  privilèges,  428-432. 

Le  droit  germanique  et  ses  rapports  avec  l'État.  —  Les  droits  privés,  considérés  par  le 
droit  germanique  comme  dérivant  de  Dieu  même.  —  Le  droit  et  le  pouvoir 
souverain.  —  Mission  de  l'État  vis-à-vis  du  droit,  432-433.  —  En  quoi  la  loi 
germanique  faisait  consister  la  liberté.  —  La  liberté  et  le  droit.  —  La  fidé- 
lité au  devoir  et  l'honneur,  issu  du  droit,  placés  par  le  droit  germanique 
au-dessus  de  la  liberté.  —  Le  droit,  l'honneur  et  la  liberté  mis  à  l'abri  des 
attaques  arbitraires  du  pouvoir,  433-435.  —  Le  droit  allemand,  expression  de 
la  conscience  nationale.  —  Ses  traditions.  —  Ses  sources.  —  Droit  tradition- 
nel, bonnes  coutumes.  —  Sagesses.  —  Miroir  sa.ron.  —  Miroir  soitabe.  —  Miroir 
germanique.  —Multiplicité  et  variété  des  recueils  de  droit  au  quinzième  siècle, 
435-437. 

Procédure.  —  Son  influence  sur  la  marche  progressive  de  la  science  juridique. 

—  Principes  fondamentaux  de  la  procédure  à  cette  époque.  —  Sa  simplicité. 

—  Les  débats  juridiques  étaient  publics  et  oraux.  —  Avantages  de  ce  système. 

—  Avec  quelle  promptitude  les  jugements  étaient  souvent  exécutés.  —  Les 
Cours  souveraines  et  leur  importance,  437-441. 

Décadence  de  la  justice.  —  Le  droit  de  guerre  privé,  légalement  reconnu  sous  des 
conditions  déterminées.  —  Les  guerres  privées,  autorisées  ou  défendues,  se 
multiplient  de  plus  en  plus.  —  Imperfections  attachées  à  la  mauvaise  organi- 
sation du  Tribunal  Souverain.  —  Déplorable  état  de  la  justice.  —  Insécurité 
générale,  441-445. 

Plans  de  réforme.  —  Plans  de  réforme  proposés  par  Nicolas  de  Cusa.  —  Il  réclame 
la  réorganisation  de  la  justice  et  la  proclamation  de  la  Paix  Publique  per- 
pétuelle. —  Nicolas  insiste  sur  la  nécessité  de  consolider  le  pouvoir  de 
l'Empereur  au  moyen  d'une  armée  d'État  et  d'un  impôt  général.  —  Autres 
projets  de  réforme  proposés  par  Nicolas.  —  Progrès  obtenus  sous  Frédéric  III. 

—  L'Alliance  souabe,  445-452. 

Pouvoir  croissant  des  princes.  —  Accroissement  lent  et  continu  du  pouvoir  des 
princes  souverains  à  partir  de  la  seconde  moitié  du  quinzième  siècle.  — 
Principales  maisons  princières.  —  Les  villes  libres,  la  chevalerie  et  les  États 
provinciaux,  menacés  dans  leurs  libertés  par  les  empiétements  des  princes. 

—  Funeste  influence  exercée  sur  les  princes  par  les  docteurs  endroit  romain, 
452-454. 

CHAPITRE    II 

INTRODUCTION     P  '  l]  N     DROIT     ETRANGER 

I.  L'École  de  droit  de  Bologne.  —  Le  droit  romain  passe  dans  l'esprit  des  nou- 
veaux légistes  comme  étant  seul  légitimé  par  la  raison,  455-456.  —  Le  droit 
romain  complètement  opposé  au  droit  chrétien  germanique.  —  Le  droit, 
placé  au-dessous  du  pouvoir  de  l'État.  —  Puissance  illimitée  reconnue  au 


TABI.K    DK  S    MATIERES.  XXV 

représentant  de  ce  pouvoir.  —  F,a  loi  romaine  n'offre  aucune  garantie 
aux  individus  pour  la  défense  de  leurs  droits,  456-4ô7.  —  Où  devait  fatale- 
ment conduire  la  continuelle  complaisance  des  légistes  romains  envers 
les  détenteurs  du  pouvoir.  —  Les  empereurs  favorisent  rétai)lissement 
du  droit  étranger.  —  La  révolution  survenue  dans  la  jurisprudence  ne 
commence  véritablement  en  Allemagne  que  sous  le  règne  de  Charles  IV. 
457-Î59. 

Altitude  de  l'Église  vis-à-vis  du  droit  romain.  —  Sur  quelles  raisons  était  fondée 
l'opposition  de  l'Église  au  nouveau  droit,  659-461. 

Le  droit  romain  dans  les  Universités  et  dans  les  tribunaux.  —  Le  nombre  des  juristes 
romains  va  toujours  en  croissant,  à  partir  de  la  seconde  moitié  du  quinzième 
siècle.  —  Sentiments  des  savants  légistes  contemporains  sur  la  méthode 
d'enseignement  du  droit  romain,  et  sur  la  décadence  de  la  culture  juridique 
à  leur  époque,  462-463.  —  Les  traditions  et  coutumes  de  l'antique  droit  ger- 
manique sont  peu  à  peu  abandonnées.  —  La  nouvelle  jurisprudence  et  le 
droit  nouveau  contredisent  de  point  en  point  l'ancien  droit  populaire, 
463-465. 

Résistance  du  petiple  au  droit  étranger.  Plaintes  universelles  qui  se  font  entendre  sur 
les  avocats  exploiteurs  du  peuple,  encore  plus  haïs  que  les  chevaliers  bri- 
gands. —  Comment  les  contemporains  appréciaient  la  confusion  générale  sur- 
venue dans  les  questions  de  droit,  et  leur  sentiment  sur  les  dangers  d'un 
pareil  état  de  choses.  —  Le  peuple  résiste  ouvertement  à  l'introduction  du 
nouveau  droit.  —  Résistance  des  États  territoriaux,  de  la  noblesse  et  des 
paysans,  465-472. 

Les  représentants  du  droit  étranger  dans  les  cours  des  princes  souverains.  Changements  qui 
se  produisent  peu  à  peu  dans  le  système  gouvernemental  sous  l'influence  du 
droitromain.  —  Les  nouveaux  impôts,  conseillés  par  leslégistes  romains,  acca- 
blent le  peuple.  —  Les  paysans  opprimés  par  le  droit  étranger.  472-473. 

IL  L'absolutisme  des  princes  dans  les  questions  ecclésiastiques  et  temporelles, 
favorisé  par  le  droit  romain. 

III.  Indifférence  des  juristes  romains  par  rapport  à  l'Empire  et  à  son  honneur 
474-480. 

CHAPITRE    III 

POLITIQUE   EXTÉRIEURE    ET    ESS.4IS   D'UNIFICATION    SOUS    MAXIMILIEN    l" 

Ancienne  splendeur  de  l'Empire  romain  de  nation  germanique.  —  Consé- 
quences de  l'affaiblissement  de  l'Empire.  —  Revers  militaires  sous  Fré- 
déric III.  —  Politique  ambitieuse  des  rois  de  France.  —  Alliances  de  quelques 
princes  allemands  avec  la  France.  —  Comment  la  royauté  française  s'était 
affermie,  481-486.  —  Union  de  l'Italie  et  de  l'Empire.  —  Prépondérance  de  la 
France  en  Italie,  486-487.  —  L'Empire  et  l'Orient.  —  Conquêtes  des  Turcs 
depuis  1453.  —  Le  Pape  appelle  les  peuples  chrétiens  à  la  croisade.  —  Son 
entreprise  échoue.  —  Invasions  des  Turcs  en  Italie  et  eu  Allemagne.  —  Com- 
ment l'empereur  Maximilien  jugeait  la  situation,  487-490. 

Maximilien  1".  Son  caractère.  Ses  qualités  et  ses  défauts.  —  Sa  crédulité  quant 
aux  promesses  des  princes  allemands,  491-495.  —  Ses  vues  politiques,  partagées 
par  tous  les  esprits  supérieurs  de  son  temps,  495-496. 

Diète  de  Worms,  1495.  Projet  de  constitution  proposé  par  les  États.  —  Arrogance 
des  princes.  498-499.  —  Réformes  adoptées.  —  Paix  Publique  perpétuelle.  — 
Importance  de  cette  loi.  —  Érection  de  la  Chambre  Impériale.  »  Denier  com- 
mun. -  —Les  réformes  ne  peuvent  se  réaliser  qu'à  l'aide  de  l'impôt  d'Empire 
désigné  sous  ce  nom.  —  Les  États  le  rejettent.  — Les  espérances  de  Maximilien 
sont  déçues,  499-503. 

Diètes  de  Lindau,  de  Worms  et  de  Frihourg,  1496,  1497,  1498.  Le  Roi,  exposant 
ses  vues  aux  États,  insiste  sur  l'urgence  de  la  guerre  contre  la  France.  —  Dis- 
cours patriotique  de  l'archevêque  de  Mayence,  Berthold  de  Henneberg.  —  Les 
États,  indifférents  à  la  gloire  et  à  l'honneur  de  l'Empire.  —  La  Chambre  Im- 
périale se  dissout.  —  Discours  du   Roi,  503-509.  —  Nouveaux  revers  de  l'Em- 


XXVI  TABLE    DES    MATIÈRES. 

pii-e.  —  Campagne  malheureuse  de  Suisse  (1499  .  —  Conquête  de  Milan  par  les 
Français,  509-510. 

Diète  d'Augshourg,  1500.  Érection  d'un  conseil  d'État  ou  Régence  d'Empire.  —  Ce 
conseil,  dans  la  pensée  des  princes,  devait  achever  le  triomphe  de  l'oli- 
garchie princière  sur  la  monarchie.  —  Projet  dune  armée  d'État  et  pour- 
quoi il  échoue.  —  La  Régence  d'Empire  montre  des  sympathies  pour  la 
France.  —  On  craint  que  certains  territoires  allemands  ne  se  donnent  à  la 
France.  —  Douleur  des  vrais  amis  de  la  patrie  à  la  vue  de  la  déplorable  situa- 
tion de  l'Empire,  510-514.  —  Déclaration  de  Maximilien  aux  délégués  des 
villes  réunis  à  Ulm  (1502).  —  Le  bruit  de  l'abdication  de  Maximilien  se  répand 
en  France.  —  L'oligarchie,  tant  désirée  par  les  princes,  échoue  par  leur  pro- 
pre faute,  514-516, 

Affermissement  de  la  monarchie.  Guerre  de  Succession  bavaroise  (1504).  —  Diète  de 
Cologne  (1505).  —  Projet  de  réforme  présenté  par  le  Roi,  touchant  l'érection 
d'un  nouveau  conseil  d'État,  l'affermissement  du  pouvoir  exécutif  et  l'impôt 
d'Empire.  —  Les  États  refusent  de  sanctionner  les  vues  du  Roi,  mais  lui 
accordent  cependant  des  subsides  et  des  troupes.  —  Heureux  résultats  de  cette 
décision,  516-520.  —  Diète  de  Constance  (1507).  —  Discours  de  Maximilien  sur 
la  politique  française  et  sur  les  devoirs  qui  incombent  à  la  nation.  Effet  pro- 
duit par  son  éloquence.  —  La  guerre  d'Italie  est  résolue,  520-523. 

Guerres  d'Italie,  1508-1516.  Maximilien  prend  le  titre  d'Empereur  romain  à 
Trieste.  —  Guerre  vénitienne.  —  Ligue  de  Cambrai.  ~  Les  États,  à  la  diète 
de  Worms  (1509),  refusent  de  voter  des  secours  pour  la  guerre.  —  Politique 
intéressée  et  étroite  des  grandes  villes  commerçantes.  —  Comment  Maximilien 
jugeait  cette  politique  et  appréciait  sa  propre  situation.  —  Campagne  véni- 
tienne (1509).  —  Maximilien  passe  à  Bovolenta  la  revue  de  ses  troupes.  — 
Malheureuse  issue  de  la  campagne  d'Italie,  523-527.  —  Propositions  de  l'Em- 
pereur aux  États,  à  la  diète  d'Augsbourg  (1510).  — Les  promesses  des  États 
restent  sans  effet.  —  Maximilien  se  voit  abandonné  de  son  peuple  et  de  ses 
alliés.  —  Bataille  de  Marignan,  le  Milanais  est  reconquis  par  la  France.  — 
1516,  l'année  la  plus  désastreuse  de  la  guerre.  —  Tristes  résultats  de  la 
campagne  d'Italie,  527-530. 

Croisade  projetée,  1517-1518.  Progrès  de  l'Islamisme  depuis  Sélim  I".  —  Invasions 
des  Turcs  en  Hongrie  et  dans  les  pays  autrichiens.  —  Congrès  de  Cambrai  (1517). 
—  Entente  du  Pape  et  des  puissances  chrétiennes  relativement  à  une  expédi- 
tion contre  les  Turcs.  —  Diète  d'Augsbourg  (1518).  —  L'Empereur  appuie  les 
propositions  du  légat.  —  Les  États  refusent  tout  secours.  —  Conséquences  de 
ce  refus,  530-539. 

Derniers  plans  de  réforme  de  Maximilien.  L'impôt  régulier  et  perpétuel  proposé  par 
l'Empereur  est  rejeté  par  les  États.  —  Réorganisation  de  l'Empire,  basée  sur 
la  division  des  territoires  allemands  en  dix  cercles.  —  Les  États  consentent 
au  conseil  d'État  proposé  par  Maximilien.  —  Le  denier  commun.  —  Conduite 
intéressée  et  égoïste  des  princes.  —  Pamphlet  prophétique  à  ce  sujet.  —  Les 
réformes  proposées  par  l'Empereur  et  consenties  par  les  États  ne  sont  pas 
mises  à  exécution,  548. 

Troubles  dans  le  royaume.  Giitz  de  Berlichingen  et  Franz  de  Sickingen,  principaux 
représentants  du  parti  de  la  violence.  —  Le  brigandage  organisé  avec  système, 
et  regardé  par  ces  deux  chefs  comme  une  industrie  légitime.  —  Principales 
guerres  privées  conduites  par  Berlichingen.  —  Comment  il  les  juge  lui-même 
en  ses  mémoires,  539-541.  —  Sickingen  dirige  contre  Worms  les  bandes  de  ces 
aventuriers.  (1515).  —  La  sentence  du  ban,  prononcée  contre  lui,  demeure 
sans  nul  effet.  —  Maximilien  presse  en  vain  les  États  de  prendre  contre  les 
fauteurs  de  troubles  d'énergiques  moyens  de  répression.  — Alliance  de  Sickin- 
gen avec  François  I"  et  Ulrich  de  Wurtemberg.  —  Promesses  du  roi  de  France 
à  Sickingen.  —  Hardis  attentais  de  Sickingen,  541-542.  —  A  la  diète  de 
Mayence  (1517),  l'Empereur  réclame  avec  instance  du  secours  contre  les  per- 
turbateurs de  la  paix.  —  Les  princes  se  répandent  en  lamentations,  mais 
restent  inactifs.  —  Stériles  délibérations  de  la  diète  d'Augsbourg  (151. s).  — 
Pendant  cette  diète,  Sickingen  attaque  audacieusement  la  ville  libre  de  Metz, 


TABLE    DES    MATIERES.  XXVIl 

et  envahit  les  États  du  landfjrave  de  Hesse,  542-517.  A  qui  doit  être  imputée 
la  triste  situation  de  l'Empire.  —  .lufjements  des  contemporains  sur  les  efforts 
tentés  par  jMaximilien  pour  relever  l'antique  splendeur  de  l'Empire. 

CHAPITRE    IV 

ATTITUDK     DES     PRINCES     DANS     LA     QUESTION     ELECTIVE 

Craintes  de  Maximilien  au  sujet  de  l'avènement  d'un  souverain  français.  —  Les 
princes  électeurs.  —  Albert  et  .loacliim  de  Hohenzoliern  fdut  alliance  avec 
François  I"et  lui  promettent  leur  suffiaffe.  —  Ulrich  von  llutten  envoyé  en 
France  par  Albert,  en  qualité  de  néjjocialeur,  550-551.  —  Alliances  secrètes  de 
la  France  avec  divers  princes  et  électeurs,  551-552.  —  Maximilien  cherche  ù 
assurer  la  couronne  impériale  à  son  petit-fils  Charles  (1518J.  —  A  la  mort  de 
Maximilien,  François  iniiet  tout  en  œuvre  pour  parvenir  à  l'Empire.  —Élec- 
teurs achetés  par  îa  France.  —  Honteuse  cupidité  de  Joachim  de  Brandebourg. 

—  Déloyauté  d'Albert  de  Brandebourjj,  le  -  Pilate  palatin  ».  —  Attitude  de 
l'électeur  Frédéric  de  Saxe.  Son  opinion  sur  la  vénalité  des  princes,  552-559. 

—  Les  princes  allemands  arment  en  secret  pour  la  France.  —  Exhortation 
patriotique  adressée  aux  princes,  559-560.  —  Le  roi  Charles  fait  valoir  ses 
droits  à  l'Empire.  —  Les  confédérés  déclarent  hautement  leur  attachement  à 
l'Allemaiïne,  500-562.  —  Le  roi  Henri  Vlll  d'Angleterre  prétend  au  trône  im- 
périal, 560-561.  —  Albert  de  Mayence,  gagné  au  parti  de  Charles,  563.  —  Le 
peuple  donne  d'éclatants  témoignages  de  son  attachement  à  la  maison  sou- 
veraine d'Habsbourg.  — Joachim  de  Brandebourg  pose  sa  candidature.  —  La 
voix  populaire  décide  de  l'élection  de  Charles,  561-568. 

RÉSUMÉ    —    CONCLUSION 

Coup  d'œil  sur  l'état  intellectuel,  religieux,  politique,  juridique  et  économique 
de  l'Allemagne  à  la  fin  du  moyen  âge.  —  Heureux  résultats  des  tentatives  de 
réforme  dans  l'Église.  —  Jugements  des  contemporains  à  ce  sujet.  —  Clercs 
mondains.  —  Les  plus  hauts  emplois  et  dignités  ecclésiastiques,  donnés  aux 
cadets  des  familles  princières  ou  de  la  haute  noblesse.  —  Autres  abus  et  scan- 
dales dans  le  domaine  religieux,  569-580, —  L'autorité  de  l'Église,  attaquée 
par  la  nouvelle  école  des  humanistes,  —  Hérétiques  allemands  du  quinzième 
siècle.  —  Presque  toutes  les  doctrines  qui  devaient  bouleverser  la  société  du 
seizième  siècle  étaient  déjà  répandues  à  la  fin  du  quinzième.  —  L'Église,  encore 
en  possession  de  toute  sa  force  vitale.  —  Symptômes  menaçants.  —  Tendance 
à  s'affranchir  de  l'obéissance  envers  l'Église.  —  Conséquences  de  la  diffusion 
de  la  Bible  en  langue  vulgaire.  —  Fausses  interprétations  de  la  Sainte  Écri- 
ture. —  Inquiétude  générale,  trouble  profond  dans  les  esprits.  Sombres  pres- 
sentiments pour  l'avenir,  580-586. 


TITRES  COMPLETS  DES  OUVRAGES  CONSULTES 


Aeneae  Sylvii  Piccoloininei  Senensis  opéra  quae  extant  omnia.  Basileae,  1551. 
Allihn  m.  Dürerstudien.  Versuch  einer  Erklärung  schwer  zu  deutender  Kup- 
ferstiche. A.  Dürer's  vom  kulturhistorischen  Standpunkte.  Leipzig,  1871. 

—  Die  Bauhütte  des  ausgehenden  Mittelalters,  in  den  Grenzboten  Jahrg.  3i  b, 
trois  articles  dans  le  n»  42-44.  Leipzig,  1875. 

Alzog  J.  Die  deutschen  Plenarien  (llandpostillen)  inn  fünf  zehnten  und  zu  Anfang 
des  sechzehnten  Jahrhunderts.  Freiburg,  1874. 

Amhros  A.  W.  Geschichte  der  Musik  im  Zeitalter  der  Renaissance  bis  zu  Pales- 
trina.  Breslau,  1868. 

Andlo  P.  de.  De  imperio  Romano  libri  2.  Argentorati  1612. 

Anshelm  V.,  genannt  Rüd.  Berner  Chronik  von  Anfang  der  Stadt  Bern  bis  1526. 
6  Bde.  Bern,  1825-1833. 

Anzeiger  für  Kunde  der  deutschen  Vorzeit.  Neue  Folge.  Organ  des  germanis- 
chen Museums.  Bd.  1-29.  JNürnberg,  1854-1882. 

Arnold  F.  W.  und  Bellermann  II.  Das  Lochheimer  Liederbuch,  in  Chrysander's 
Jahrbücher  für  musikal.  Wissenschaft  Bd.  2,  1-234.  Leipzig,  1867. 

Arnold  W.  Verfassungsgeschichte  der  deutschen  Freistädte.  2  Bde.  Hamburg 
und  Gotha,  1854. 

—  Geschichte  desEigentumsin  dendeutschen  Städten. Mit  Urkunden.  Basel,  1861. 

—  Das  Aufkommen  des  Handwerkerstandes  im  Mittelalter.  Basel,  1861. 

—  Recht  und  Wirthschaft  nach  geschichtlicher  Ansicht.  Basel,  1863. 

—  Cultur  und  Rechtsleben.  Berlin,  1865. 

—  Cultur  und  Recht  der  Römer.  Berlin,  1868. 

—  Die  Réception  des  römischen  Rechts  und  ihre  Folgen,  in  Hoffmann's  Zeits- 
chrift :  Deutschland,  Jahrgang  1872.  301-342.  Wiesbaden,  1872. 

Arnoldi  J.  Geschichte  der  Oranien-Nassauischen  Länder  und  ihrer  Regenten. 

Bd.  3.  Abth.  1  und  2.  Hadamar,  1801,  1816. 
AscHBACH  J.  Geschichte  der  Wiener  Universität  im  ersten  Jahrhundert   ihres 

Bestehens.  2  Bde.  Wien,  1865,  1877. 

—  Die  früheren  Wanderjahre  des  Conrad  Celtes  und  die  Anfänge  der  von  ihm 
errichteten  gelehrten  Sodalitäten,  in  denSitzungsber.  der  K.K.Akademie  der 
Wissenschaften,  philos. -histor.  Classe  60,  75-150.  Wien,  1868. 

Baader  J.  Beiträge  zur  Kunstgeschichte  Nürnbergs.  2  Bdcbn.  Nördlingen,  1860, 
1862. 

—  Geschichte  der  Stadt  Freiburjj  im  Breisgau.  Erster  Band.  Freiburg,  1882. 
Barack  K.  A.  Ha«s  Böhm  und  die  Wallfahrt  nach  Niklashausen  im  Jahre  1476. 

Im  Archiv  des  historichen  Vereins  von  Unterfranken  und  Aschaffenburg  14  c, 
1-108.  Würzburg,  1858. 

—  Des  Teufels  Netz.  Satirisch-didaktisches  Gedicht,  in  der  Bibl.  des  literar. 
Vereins.  Stuttgart,  1863. 

Barthold  F.  W.  Geschichte  der  deutschen  Hansa.  3  Bde.  Leipzig,  1862. 
Basler  Chroniken,  herausgeg.  durch  W.  Vischerund  A.  Stern.  Bd.  1.  Leipzig,  1872. 
Baümker  W.  Zur  Geschichte  der  Tonkunst  in  Deutschland  von  den  ersten  An- 
fängen bis  zur  Reformation.  Freiburg,  1881. 
Becker  J.  l'oy.  Butzbach. 
Beer  A.  Allgemeine  Geschichte  des  Welthandels.  Bd.  1.  Wien.  1860. 


XXX  TITRES    COMPLETS    DES    OUVRAGES    CONSULTES. 

Belleuîmann  h.  J/o7j.  Arnold. 

Bensen  n.   W.   Historische  Untersuchungen    über    die   ehemalige  Reichsstadt 
Rotenburg.  Nürnberg,  1837. 

—  Geschichte  des  Bauernkrieges  in  Oslfranken.  Erlangen,  1840. 

Bernhardt   A.  Geschichte    des    Waldeigenthums,    der    Waldwirlhschafl    und 

Forstwirthschaft  in  Deutschland.  Bd.  1.  Berlin,  1872. 
Beseleu  G.  Volksrecht  und  .luristenrecht.  Leipzig,  184.3.  Erster  Nachtrag,  1844. 
Bezold  Fr.  V.  Der  rheinische  Bauernaufstand  vom  .Jahr  1431,  in  der  Zeitschrift 

für  die  Geschichte  des  Oberrheins,  27,  129-149.  Karlsruhe,  1875. 
BiANco  J.  F.  V.  Die  alte  Universität  Köln.  Erster  Theil.  Köln,  1855. 
Binder  F.  Charilas  Pirkheimer,  Aebtissin  von   St.  Clara  zu  Nürnberg.  2.  Aufl. 

Freiburg,  1878. 
BiNTERiM  A.  .L  Pragmatische  Geschichte  der  deutschen  National,  — Provinzial — 

und  vorzüglichsten  Dioecesanconcilien  vom  vierten  Jahrh.  bis  auf  das  Conci- 

lium  zu  Trient.  Bd.  7.  Mainz,  1848. 
Bitzer.  Die  Verfassung  der  Städte  und  Länder  Deutschlands  unter  dem  Ein- 
flüsse des  Einigungswesens,  Zeitschrift  für  die  gesammte  Staatswisseiischaft 

14,  543  bis  594,  Tübingen,  1858. 
Bodmann  J.  F.RheingauischeAlterthümer  oder  Landes  und  Regimentsverfassung 

des  westlichen  oder   Nieder-Rheingaues  im    mittleren  Zeitalter.   2  Theile. 

Mainz,  1819. 
BoEHMER  .1.  F.  Codex  diplom.  Mœno-Francofurtanus.  Frankfurt,  1836. 

—  Fontes  rerum  Germanicarum.  Bd.  1.  Stuttgart,  1843. 

Die  Regesten  des  Kaiserreiches  von  1198-1254.  Stuttgart,  1849. 

—  Die  Regesten  des  Kaiserreiches  von  1246-1313.  Stuttgart,  1844. 
Brant,  S.  Varia  Carmina.  Basil.  1498. 

—  Narrenschiff,  l'oy.  Gœdeke,  Simrock,  Zarncke. 

Braun  K.  Etwas  über  deutschen  Wein.  —  Zur  Geschichte  des  deutschen  Waldes. 

—  Die   Geschichte    des  Rheingauer    Markwaldes,    in  Aus  der  .Mappe  eines 

deutsdchen  Reichsbürgers.  Bd.  2  und  3.  Hannover,  1874. 
Brentano  L.  Die  Arbeitergilden  der  Gegenwart.  Bd.  1.  Leipzig,  1871. 
Brück  IL  Der  religiöse  Unterricht  für  .lugend  und  Volk  in  Deutschland  in  der 

zweiten  Hälfte  des  fünfzehnten  .Tahrhunderts.  Mainz,  1876. 
Bruder  A.   Zur  ökonomischen  Charakteristik   des  römischen  Rechtes,   in  der 

Zeitschrift  für  die  gesammte  Staatswissenschaft  32,  631-659;  33,  684-724.  35, 

284-317.  Tübingen,  1876,  1877,  1879. 
Buch  von  den  Früchten,  Bäumen  und  Kräutern.  Mainz,  1498. 
BucHiioLTZ  F.  B.  V.  Geschichte  der  Regierung  Ferdinand  des  Ersten.  8  Bde.  und 

ein  Urkundenband.  Wien,  1831-1838. 
BuscHii  J.  Liber  reformationis  monasteriorum  quorundam  Saxoniae,  in  Leibnitii 

Scriptt.  Rer.  Brunsv.  2,  476-506.  806-970.  Hannoverae,  1710. 
Butzbach  J.  Wanderbüchlein  (Chronica  eines  fahrenden  Schülers),  herausgeg. 

von  J,  Becker.  Regensburg,  1869. 
Chmel  .1.  Urkunden,  Briefe  und  Aktenstücke  zur  Geschichte  Maximilian's  I,  und 

seinerzeit,  in  der  Bibliothek  des  literarischen  Vereins.  Bd.  10  Stuttgart,  1845. 
Chroniken,    die,   der  deutschen  Städte  vom  vierzehnten  bis  in's  sechzehnte 

•Jahrhundert.  17  ßde.  Leipzig.  1862-1881. 
CocciNiüs  M.  De   hello  Maximiliani  cum  Venetis  liber,  bei  Freher  2,  539-566. 

Argentorati 1717. 
Contzen  H.  Geschichte  dervolkswisthschaftlichen  Literatur  im  Mittelalter  unter 

Berücksichtigung  der  mittelalterlichen  Staatslehre.  2  Aufl.  Berlin,  1872. 
Cornelius  C.  A.  Die  Münsterischen  Humanisten  und  ihr  Verhälttniss  zur  Refor- 
mation. Münster,  1851. 
CoRNiLL  0.  .lacob  Heller  und  Albrecht  Dürer.  Neujahrsblatt  des  Vereins  für  Ges- 
chichte und  Alterthumskunde  zu  Frankfurt  a.  M.,  1871. 
Crecelius.  Voy.  Krafft. 

Cruel  R.  Geschichte  der  deutschen  Predigt  im  Mittelalter.  Detmold,  1879. 
CuES  NicoLAUs  de.  De  Concordantia  catholica  (Schardius  De  jurisd.  imp.)  Basi- 

leae,  1566. 


TITRES    COMPLETS    DES    OUVRACES    CONSULTÉS.  XXXI 

Curieuse  Nachricliten.  Auf;sburfj,  1723. 

DAcm;L>L  L.  La  prédic;ition  avant  la  Uéforme,   licvuc  caiholique  de  l'Alsace,    1863, 

p.  1-9,  Ô8-67,  Strasbourg,  18G3.  Cri  réformateur  catholique  à  la  fin  du  w"  siè- 
cle, .Jean  Geiler  de  Kaysersberg.  Paris-Strasbourg,  187C. 
Datt.I.  Ph.  Volumen  rerum  Germanicarum  novura  sive  de  pace  imperii  publica. 

ülmae,  1698. 
De  Louinzi  Ph.  Geiler's  von  Kaysersberg  ausgewählte  Schriften  nebst  einer 

Abhandlung  über  Geiler's  Leben  und  echte  Schriften.  Bd.  1  und  2.  Trier,  1881. 
DFHN-RoTFi;LSEt\  IL  V.  Und  Lorz  W.   Die  Baudenkmaler  im  Regierungsbezirke 

Cassel.  Cassel,  1870. 
Delpuvt  G.  H   M.  Die  Brüderschaft  des  geraeinsamen  Lebens.  Deutsch  bearbeitet 

von  G.  Monike.  Leipzig,  1840. 
Deutsche  Reichstagsakten,  herausgeg.  von  J.  Weizsäcker.  Bd.  2.  München,  1874. 
Diederick  van  Munster,  minre  Brœder  der  Observanlen  :   aen  kerstenspiegel 

Aemsleredam,  saus  date. 
DiLLENBURGEK  W.  Gcschichtc  dcs  (lyninasiuiHS  zu  Emmerich.  Emmerich,  184G. 
DöLLi.NGER  J.  Die  Reformation,  ihre  innere  Entwicklung  und  ihre  Wirkungen. 

3  Bde.  Regensburg,  1846-1848. 
Dkovsen  J.  G.  Geschichte  der  preussischen  Politik.  Bd.  1  und  2.  Berlin,  1855-1857. 
Eichhorn  K.  F.  Deutsche  Staats-und  Rechtsgeschichte.  4  Bde,  Göttingen,  1834- 

1836. 
ENDEM.iNN  W.  Die  nationalökonomischen  Grundsätze  der  canonistischen  Lehre. 

Jena,  1863. 

—  Die  Bedeutunjj  der  Wacherlehre.  Berlin,  1866 

—  Studien  in  der  romanisch-canonistischen  Wirthschafts-und  Rechtslehre.  Bd.  1. 
Berlin,  1874. 

En.ne.\  L.  Geschichte  der  Stadt  Cöln.  Bd.  3.  Cöln  und  Neuss,  1869. 

Erhakdt  II.  A.  Geschichte  des  Wiederaufblühens  wissenschaftlicher  Bildung, 
vornehmlich  in  Teutschland,  bis  zum  Anfang  der  Reformation.  3  Bde.  Magde- 
burg, 1827-1832. 

Essenwein  A.  Die  mittelalterlichen  Kunstdeukmale  der  Stadt  Krakau.  TWien, 
1866  ) 

Eye  A.  V.  Leben  und  Wirken  Albrecht  Dürers.  Nördlingen,  1869. 

Lyn  cristlicii  erinanung,  Maynz,  1513. 

Eabri  f.  Evagatoriuni  in  terrae  sanctae,  Arabiae  et  Egypti  peregrinationem 
edid.  C.  H.  Hassler.  3  voll.  (^Bibliothèque  de  la  société  littéraire.)  Stuttgartige, 
1843-1849, 

Kalk  F.  Die  Kunstthätigkeit  in  .Mainz  von  Willigisens  Zeit  bis  zum  Schluss  des 
.Mittelalters.  Mainz,  1869. 

—  Wissenschaft  und  Kunst  am  Mittelrhein  um's  Jahr.  1450,  in  den  historisch, 
politischen  Blättern  76,  329-.351  und  77,  292-309.  München,  1875. 

—  Zur  Beurtheilung  des  fünfzehnten  Jahrhunderts,  im  «  Katholik^  1877  b,  405- 
420.  Mainz,  1877. 

—  Die  Druckkunst  im  Dienste  der  Kirche,  zunächst  in  Deutschland  bis  zum 
.lahre  1520.  Vereinsschrift  der  Görres-Gesellschaft.  Cöln,  1879. 

—  üom-und  Ilofpredigerstellen  in  Deutschland  im  Ausgang  des  Mittelalters,  in 
den  histor.-polit.  Blättern  88,  1-15;  82-92;  178-188.  München,  1881. 

—  Schulen  am  Mittelrhein  vor  1520,  im  •  Katholik  ^,1882.  Januar-und  Febru- 
arheft. Mainz,  1882. 

—  Die  deutsche  Trachten-und  Modewelt.  Ein  Beitrag  zur  deutschen  Cullur- 
geschichte.  2  Bde.  Leipzig,  1858. 

—  Die  Geschichte  des  deutschen  Handels.  2  Bde.  Leipzig,  1859-1860. 

—  Geschichte  des  deutschen  Zoll  Wesens.  Leipzig,  1869. 

—  Geschichtliche  Statistik  der  Preise  im  Königreich  Sachsen  aus  der  zweiten 
Hälfte  des  fünfzehnten  .Jahrhunderts,  in  Hildebrand's  Jahrbücher  für  Natio- 
nalökonomie und  Statistik,  siebenter  Jahrgang,  Bd.  2,  364-395.  Jena,  1869. 

—  Die  Steuerbewilligung  der  Landstande  im  Kurfürstenihum  Sachsen  bis  zu 
.\nfang  des  17.  Jahrhunderts,  in  der  Zeitschrift  fur  die  gesammte  Staatswis- 
senschaft 30,  395-448.  Tübingen,  1874. 


XXXIl        TITRES    CÜMl'LtTS    DES    OUVRAGES    CONSULTÉS. 

Falkenstein  K.  Geschichte  der  Buchdruckerkunst.  Leipzig,  1840. 

Fastnachtsspiele  aus  dem  fünfzehnten  Jahrhundert.  3  Bde.  Herausgegeben  von. 
A.  V.  Keller,  Bibliothèque  de  la  société  littéraire,  Stuttgart,  1853  Nachlese  dazU, 
Stuttgart,  1858. 

Faulmann  K.  Illustrirte  Geschichte  der  Buchdruckerkunst  mit  besonderer  Ber- 
rücksichtigung ihrer  technischen  Entwicklung  bis  zur  Gegenwart.  Wien,  Pest, 
Leipzig,  1882. 

Fiedler  J.  Peuerbach  und  Regiomontanus.  Eine  biographische  Skizze,  im 
Jahresbericht  des  gymnasiums  zu  Leobschütz,  1870. 

FiCKER  J.  Das  deutsche  Kaiserreich  in  seinen  universalen  und  nationalen  Bezie- 
hungen. Innsbruck,  1861. 

—  Deutsches  Königthum  und  Kaiserthum.  Innsbruck,  1862. 

Fischer  F.  C  J.  Geschichte  des  deutschen  Handels,  der  Schifffahrt,  Erfindungen, 
Künste  und  Gewerbe.  4  Th.  Hannover,  1785-1794. 

FLOSS  H.  J.  Das  Kloster  Rolandswerth  bei  Bonn.  Cöln,  1868. 

Fontes  rerura  Austriacarum.  Erste  Abtheilung  :  Scriptores.  Bd.  1,  herausgege- 
ben von  Th.  G.  von  Karajan.  Wien,  1855. 

FoRKEL  J.  N.  Allgemeine  Geschichte  der  Musik.  Bd.  2.  Leipzig,  1801. 

Fraas  C.  Geschichte  der  Landbau-und  Forstwissenschaft  seit  dem  sechzehnten 
Jahrhundert.  München,  1865. 

Frankfurter  Reichscorrespondenz  nebst  verwandten  Aktenstücken  von  1376- 
1519,  herausgegeben  von  J.  Janssen.  2  Bde.  Freiburg,  1863-1873. 

Franklin  O.  Beiträge  zur  Geschichte  der  Réception  des  römischen  Rechts  in 

Deutschland.  Hannover  1863. 

—  Das  Reichshofgericht  im  Mittelalter.  2  Bde.  Weimar,  1869. 

Freher  M.  Rerum  Germanicarum  scriptores,  toin.  2.,  edit.  3.  curante  B.  G.  Stru- 
vio.  Argentorati,  1717. 

Froissard,  Pierre  de.  Lettres.  Lyon,  1527'. 

Fugger  H.  J.  Spiegel  der  Ehren  des  Erzhauses  Oesterreich  (umgesetzt  von 
S.  Birken).  Nürnberg,  1668. 

Gaede  D.  Die  gutsherrlich-bäueiiichen  Besitzverhaltnisse  in  Neu- Vorpom- 
mern und  Rügen.  Berlin,  1853. 

Galletti  J.  G.  A.  Geschichte  Thüringens.  Bd.  5.  Gotha,  1784. 

Gassendi  P.  Tychonis  Brahei  vita,  accessit...  Joannis  Regioinontani  vita.  Hagae- 
Comitum,  1655. 

Geffcken  J.  Der  Bildercatechismus  des  15.  Jahrhunderts  und  die  catechetischen 
Hauptslüscke  in  dieser  Zeit  bis  auf  Luther.  Leipzig,  1855. 

Geiger  L.  Das  Studium  der  hebräischen  Sprache  in  Deutschland  vom  Ende  des 
15,  bis  zur  Mitte  des  16  Jahrhunderts.  Breslau,  1870. 

—  Nicolaus  Ellenbog,  ein  Humanist  und  Theologe  des  16  Jahrhunderts.  Nach 
handschriftlichen  Quellen.  Wien,  1870. 

—  .(ohann  Reuchlin,  sein  Leben  und  seine  Werke.  Leipzig,  1871. 

—  Peirarka  und  Deutschland,  in  Müller's  Zeitschrift  für  deutsche  Kulturge- 
schichte. Neue  Folge,  Jahrgangs,  207-228.  Hannover,  1874. 

—  Neue  Schriften  zur  Geschichte  des  Humanismus,  in  v.  Sybel's  Histor.  Ztschr. 
,lahrg.  17,  Heft  1,49-125  München,  1875. 

—  Beziehungen  zwischen  Deutschland  und  Italien  zur  Zeit  des  Humanismus, 
in  Müller's  Zeitschrift,  für  deutsche  Kulturgeschichte.  Neue  Folge,  Jahrg.  4, 
104-124.  Hannover,  1875. 

GEISSEL  J.  V.  Der  Kaiserdoin  zu  Speyer.  2  Aufl.  Cöln,  1876. 

Gemeiner  K.  Th.  Chronik  der  Stadt  und  des  Hochslift  Regensburg.  4  Th.  Regens- 
burg, 1816-1824. 

Gengler  II.  G-  Ueber  Aeneas  Sylvius  in  seiner  Bedeutung  für  die  deutsche 
Rechtsgeschichte.  Erlangen,  1860. 

'  M.  Janssen  a  eu  l'heureuse  chance  de  découvrir  à  Pome  en  1664,  dans  la  bibliothèque  du  cardinal 
Reisach  et  parmi  divers  petits  manuscrits  relatifs  à  l'histoire  du  seizième  siècle,  les  lettres  si  souvent 
citées  par  lui,  de  Pierre  de  Froissard.  II  pense  que  ce  recueil  a  été  réuni  depuis  à  la  bibliothèque  du 
cardinal  .Uitoiieili. 


TITRES    COMPLETS    DES    OUVRAGES    CONSULTÉS.      XXXIU 

Germama,  heraiisg.  von  Franz  Pfeiffer.  12  Bde.  Wien,  1855-1867. 
Gervinus  g.  g.  Geschichte  der  deutschen  Dichtung.  Bd.  2.  Leipzig,  1853. 
GessertM.  A.  Geschichte  der  Glasmalerei.  Stuttgart,  1839. 
GniLLANY  G.  \V.  Geschichte  des  Seefahrers  Ritter  .Martin  Bebaim.  Nürnberg,  185.3. 
GiERKE  0.  Das  deutsche  Genossenschaftsrecht.  2  Bde.  Berlin,  1868-187.3. 
Gmelin.i.  f.  Beytrage  zur  Geschichte  des  deutschen  Bergbaues.  Halle,  1783. 
GceoEKE  K.  Das  Narrenschiff  von  Sebastian  Brant.  t.eipzig,  1872. 
Goldast  M.  Politische  Heichshandel.  Frankfurt,  1614. 

—  Reichshaudlungen.  Frankfurt,  1712. 

GœRRES  ,1.  Die  deutschen  Volksbücher.  Heidelberg,  1807.  Wichtige  Zusätze 
von  Goerres  selbst  in  den  Heidelberger  .lahrbüchern  von  1808,  s.  409  ff. 

—  Altdeutsche  Volks-und  Meisterlieder.  Frankfurt,  1817. 

Gözens  von  Berlichingen  Lebensbeschreibung,  herausgegeben  von  F.  von  Stei- 
gerwald. Nürnberg, 1731. 

Graesse  .1.  G.  Lehrbuch  einer  allgemeinen  Literärgeschichte.  Bd.  3.  Abth.  1. 
Leipzig,  1852. 

Greife  B.  l'oy.  Rem. 

Grimm  J.  Deutsche  Rechtsalterthümer.  Göttingen,  1828. 

—  Weisthumer.  6  Bde.  Bd.  5  und  6  herausgegeben  und  bearbeitet  von  R.  Schrö- 
der. Göttingen,  1840-1842,  1863,  1866,  1869. 

Grure  K.  Johannes  Busch,  Augustinerpropst  zu  Hildesheim.  Ein  Katholischer 

Reformator  des  fünfzehnten  .lahrhunderts.  Freiburg,  1881. 
Grüneisen  C.  Niclaus  Manuel  Leben  und  Werke.  Stuttgart  und  Tübingen,  1837. 

—  Ulms  Kunstleben  im  Mittelalter.  Ulm,  1840. 

euDBNus  V.  F.  DE.  Codex  diplom.  anecdotorum  res  Moguntinas,  etc.  illustrantium. 
5  tom.  Francofurti  et  Lipsise,  1747-1758. 

Gl'icciaudini  Franc.  La  historia  d'Italia.  Vol.  1.  2.  Geneva,  1636. 

Güterbock  C.  Die  Entstehungsgeschichte  der  Carolina  auf  Grund  archivali^- 
cher  Forschungen  und  neu  aufgefundener  Entwürfe  dargestellt.  Würzburg, 
1876. 

HiEBERLiN  F.  D.  Die  allgemeine  Welthistorie.  Neue  Historie.  Bd.  9  und  10.  Halle, 
1771, 1772. 

Hagen  C.  Deutsche  Geschichte  seit  Rudolf  von  Habsburg.  Bd.  1  und  2.  Frank- 
furt, 1855-1857. 

—  Deutschlands  literarische  und  religiöse  Verhältnisse  im  Reformationszei- 
taller  3  Bde.  2  Ausg.  Frankfurt,  1868. 

Hain  L.  Repertorium  bibliographicum.  4  voll.  Stuttgart,  1826-1838. 

Haltais  C.  l'oy.  Haetzlerin  und  Theuerdank. 

Haml)urgische  Chroniken,  herausgegeben  von  J.  M.  Lappenberg.  Hamburg, 
1852,  1861. 

Hansen  g.  Die  Aufhebung  der  Leibeigenschaft  und  die  Umgestaltung  der  guts- 
bäuerlichen Verhältnisse  überhaupt  in  den  Herzogthümern  Schleswig  und 
Holstein.  Petersburg,  1861. 

Harff  A.  V.  Pilgerfahrt  von  Cöln  durch  Italien,  Syrien  u.  s.  w.  in  den  Jahren, 
•     1496  bis  1499,  herausgegeben  von  E.  von  Groote.  Cöln,  1860. 

Hartfelder  H.  Conrad  Celtes  und  der  Heidelberger  Humanistenkreis  ,  in  v. 
Sybel's  Histor.  Zeitschr.  47,  15-36.  München,  1882. 

Hautzheim  J.  Concilia  Germaniaî,  tom.  5  und  6.  Colonise,  1763-1765. 

Hasak  V.  Der  christliche  Glaube  des  deutschen  Volkes  beim  Schluss  des  Mittel- 
alters, dargestellt  in  deutschen  Sprachdenkmalen,  oder  fünfzig  Jahre  der 
deutschen  Sprache  im  Reforniationszeitalter  von  1470-1520.  Regensburg,  186S. 

—  Dr.  M.  Luther  und  die  religiöse  Literatur  seiner  Zeit  bis  zum  Jahr  1520. 
Regensburg,  1881. 

Hase  K.  Das  Geistliche  Schauspiel.  Geschichtliche  Uebersicht.  Leipzig,  1858. 
Hase  O.  Die  Koburger,  Buchhändler-Familie  in  Nürnberg.  Leipzig,  1869. 
Hassler  K.  D.  Ulms  Kunstgeschichte  im  Mittelalter,  in  Heideloff's  Kunst   des 

Mittelalters  in  Schwaben  81-521.  Stuttgart,  1864. 
Haetzlerin  C.  Liederbuch,  herausgeg.  von  C  Haltaus.  Quedlinburg  und  Leipzig 

1840. 


XXXIV        TITRES    COMPLETS   DES    OUVRAGES    CONSULTÉS. 

Haltz  J.  F.  Geschichte  der  Universität  Heidelberg.  Herausgegeben  von  v.  Reich- 
iin-Meldegg.  2  Bde.  Mannheim,  1862-1863. 

Havemann  W.  Geschichte  der  Lande  Braunschweig  und  Lüneburg.  3  Bde.  Göt- 
tingen, 1853,  1857. 

Heeren  A.  H.  Geschichte  der  classischen  Literatur  im  Mittelalter.  2  Bde.  Göttin- 
gen, 1822. 

Hegev^'isch  D.  H.  Geschichte  der  Regierung  Kaiser  Maximilian'sdes  Ersten.  2  Bde. 
Hamburg  und  Kiel,  1782,  1783. 

Hehle.  Der  schwäbische  Humanist  Jacob  Locher  (1471-1528).  Zwei  Theile,  im 
Programm  des  Gymnasiums  zu  Ehingen,  1873  und  1874. 

Heidemann  J.  Vorarbeiten  zu  einer  Geschichte  des  höheren  Schulwesens  in 
Wesel.  Programm  des  Gymnasiums  zu  Wesel,  1850. 

Heinrich  Ch.  G.  Teutsche  Reichsgeschichte.  Bd.  4.  Leipzig,  1791. 

Helferich.  Geldentwerthungim  sechzehnten  und  siebzehnten  Jahrhundert  {Würt- 
tembergische Getreidepreise  von  1456-1628),  Zeitschrift  für  die  gesammte 
Staatswissenschaft  14,  471-502.  Tübingen,  1858. 

Herberger  Th.  Conrad  Peutinger  in  seinem  Verhältniss  zum  Kaiser  Maximilian  I. 
Jahresbericht  des  histor.  Vereins  für  Schwaben  und  Neuburg  für  1849  et  1850, 
S.  29-72.  Augsburg,  1851. 

—  Augsburg  und  seine  frühere  Industrie.  Augsburg,  1852. 
Hettinger  f.  Die  Kunst  im  Christenthum.  Würzburg,  1867. 
Heumann  J.  Documenta  litteraria.  Altorfii,  1758. 

Hipler  f.  Nie.  Kopernikus  und  .M.  Luther.  Braunsberg,  1868, 

—  Christliche  Lehre  und  Erziehung  in  Ermeland  und  im  preussischen  Ordens- 
staate während  des  Mittelalters.  Ein  Beitrag  zur  Geschichte  des  Katechismus. 
Braunsberg,  1877. 

Hirsch  Th.  Danzigs  Handels  uud  Gewerbsgeschichte  unter  der  Herrschaft  des 
deutschen  Ordens.  Leipzig,  1858. 

—  Historisch  Politische  Blatter  für  das  Katholische  Deutschland.  Bd.  1-90.  Mün- 
chen, 1837-1882. 

HÖFLER  C  Ritter  Ludwigs  von  Eyb  Deniiwürdigkeiten  brandenburgischer 
(hohenzoUerischer)  Fürsten.  Bayreuth,  1849. 

—  Das  Kaiserliche  Buch  des  Markgrafen  Albrecht  Achilles.  Vorkurfürstliche  Pe- 
riode, 1440-1470.  Bayreuth,  1850. 

—  Ueberdiepolitische  Reformbewegung  in  Deutschland  im  fünfzehnten  Jahrhun- 
dert und  den  Antheil  Bayerns  an  derselben.  München,  1850. 

—  Fränkische  Studien,  im  Archiv,  für  Kunde  österreichischer  Geschichtsquel- 
len, 7,  1-146  und  S,  235-322.  Wien,  1851-1852.1 

—  Betrachtungen  über  das  deutche  Städtewesen  im  fünfzehnten  und  sechzehnten 
Jahrhundert,  im  Archiv  fur  Kunde  österreichischer  Geschichtsquellen,  11, 
179-224.  Wien,  1853. 

—  Ruprecht  von  der  Pfalz,  genannt   Clem,  römischer  König.  Freiburg,  1861. 

—  Kaiserthum  und  Papstthum.  Ein  Beitrag  zur  Philosophie  der  Geschichte. 
Prag,  1862. 

—  Carl's  I.  (V),  Königs  von  Aragon  und  Castilien,  Wahl  zum  römischen  Königfe. 
Wien,  1873. 

Hoffmann  von  Fallersleben.  Geschichte  des  deutschen  Kirchenliedes  bis  auf 
Luther's  Zeit  Hannover,  1854. 

—  Niederländisch  geistliche  Lieder  des  XV  Jahrhunderts.  Hannover,  1854. 

—  Geschichte  des  deutschen  Kirchenliedes  bis  auf  Luther's  Zeit.  Hannover,  1854. 
Holland  H.  Geschichte  der  deutschen  Literatur,  mit  besonderer  Berücksichti. 

gung  der  bildenden  Kunst.  Regensburg,  1853. 

—  Geschichte  der  altdeutschen  Dichtkunst  in  Bayern.  Regensburg,  1862. 
HoRAwiTz  A.  Beatus  Rhenanus.  Ein  biographischer  Versuch.  Des  Beatus  Rhena- 

nus  literarische  Thätigkeit  von  1508-1547.  In  den  Sitzungsber.  der  k.  k.  Akad. 
der  Wissenschaften  philos.-histor.  Classe.  Bd.  70,  189-244,  Bd.  71,  643-690  und 
Bd.  74,323-376.  Wien,  1870-1872. 

—  Nationale  Geschichtschreibung  im  sechzehnten  Jahrhundert,  in  v.  Sybel's 
Histor.  Zeitschrift.  Bd.  25,  66-101.  München,  1871. 


TITRES    COMPLETS    DES    OITVRAGES    f:ONSirLTÉS.        XXXV 

IlORAWiTz  A.  Zur  Geschichte  des  deutschen  Humanismus  und  der  deutschen 
Historiographie,  in  Müllers  Zeitschrift  fiii-  deutsche  Kulturgeschichte.  Neue 
Folge,  Jahrg.  4,  65-86.  Hannover,  1875. 

HoTHo  G.  H.  Geschichte  der  deutschen  und  niederländischen  Malerei.  2  Bde. 
Berlin,  1842-1843. 

—  Die  Malerschule  llubert's  van  Eyck,  nebst  deutschen  Vorgängern  und  Zeitge- 
nossen, ßd.  1.  Berlin,  1855. 

llüLLMANN  k.  D.  städlewesen  des  Mittelalters.  4  Bde.  Bonn,  1826-1829. 
Hlmboldt  \.   V.  Kosmos.  6  Bde.  Stuttgart,  1847-1862. 
Hymelstrasz,  Die,  édition  d'Augsbourg,  1484  fGeffken,  106i. 
Jacob  G.  Die  Kunst  im  Dienste  der  Kirche.  2  .Vufl.  Landshut,  1870. 
JäGER  c.  Geschichte  der  Stadt  lleilbronn  und  ihres  ehemaligen  Gebietes.  2  Bde. 
lleilbronn,  1828. 

—  Ulms  Verfassung,  bürgerliches  und  commercielles  Leben  im  Mittelalter, 
Stuttgart,  1831. 

—  Leber  Kaiser  Maximilian's  L  Verhältnisse  zum  Papstthum  ,  in  den  Sitzungs- 
berichten der  K.  Akademie  der  Wisseiisrhaften  12,195-236.  409-441.  Wien,  1854. 

Jahn-  0.  Bildungs;;ang  eines  deutschen  Gelehrten  am  Ausgang  des  fünfzehnten 
Jahrhunderts,  in  :  •  Aus  der  Alterthumswissenschaft  •  404-420.  Bonn,  1868. 

Jahrbuch  der  k.  k.  Central-Commission  zur  Erforschung  und  Erhaltung  der  Bau- 
denkmale. Bd   1-5.  Wien,  1856-1861. 

Jahrbücher  fur  Theologie  und  christliche  Philosophie  herausg.  von  Kuhn, 
Locherer  u.  s.  w.  Jahrgang,  1834.  Frankfurt,  1834. 

JaNxNer  f.  Die  Bauhütteu  des  deutschen  .Mittelalters.  Leipzig,  1876. 

Janssen  J.  Frankreichs  Fiheingelüste  und  deutschfeindliche  Politik.  Frank- 
furt, 1861. 

—  Kaiser  Maximilian's  Bedeutung  für  Deutschland,  im  Katholik,  Jahrgang, 
1869  a,  trois  articles.  Mainz,  1869. 

—  Au  meine  Kritiker,  \ebst  Ergänzungen  und  Erläuterungen  zu  den  drei 
ersten  Bänden  meiner  Geschichte  des  deutschen  Volkes.  Freiburg,  1882. 

Joachim  E.  Joannes  \auclerus  und  seine  Chronik.  Ein  Beitrag  zur  Kenntniss  der 
Historiographie  der  llumanistenzeit.  Gottingen,  1874. 

JÖRG  J.  E.  Deutschland  in  der  Kevolutionsperiode  von  1522-1526.  Freiburg,  1851. 

Judenwucher  und  Schinderey,  Augsburg,  1739. 

KäMMEL  0.  Johannes  Hass,  Stadtschreiber  und  Bürgermeister  zu  Görlitz.  Ein 
Lebensbild  aus  der  Reformationszeit.  Dresde,  1874. 

Kampschllte  f.  W.  Die  Universität  Erfurt  in  ihrem  Verhältniss  zu  dem  Huma- 
nismus und  der  Reformation.  2  Bde.  Trêves,  1858,  1860. 

—  Zur  Geschichte  des  Mittelalters.  Bonn,  1864. 

Kantzow  Th.  Pommerania  oder  Ursprunck,  Altheit  und  Geschieht  der  Völker 
und  Lande  Pommern,  Cassuben  und  so  weiter,  herausg.  von  H.  G.  L.  Kosegar- 
ten. 2  Bde.  Greifswald,  1816-1817. 

Kaufmann  L.  Albrecfat  Dürer.  Erste  Vereinsschrift  der  Görres-Gesellschaft  für 
1881.  Cöln,   1881. 

Kaulen  F.  Geschichte  der  Vulgata.  Mainz,  1868. 

Kehrein  J.  Zur  Geschichte  der  deutschen  Bibelübersetzung  vor  Luther.  Stuttgart, 
1851. 

—  Katholische  Kirchenlieder.  Hymnen,  Psalmen  aus  den  ältesten  gedruckten 
Gesang-und  Gebetbüchern  zusammengestellt.  Bd.  1.  Würzburg,  1859. 

Keisersberg  Geiler  v.  Narrenschiff  so  er  gepredigt  hat  zu  Strassburg,  1498. 

Strasbourg,  1520. 
Keller  A.  v.  Uoi/.  Fastnachtsspiele. 
Kellner  H.  Jakobus  von  Jüterbogk,  in  der  Tübinger  Theol.  Ouartalschrift  48,315 

bis  348.  Tübingen,  1866. 
Kerker  M.   Die    Predigt  in  der  letzten  Zeit  des  Mittelalters  mit  besonderer 

Beziehung  auf  das  südwestliche  Deutschland,  Tübinger  Theol.  Quartalschrift 

43,373  bis  410  und  44,267-301.  Tübingen,  1861  und  1862. 
Kerker  M.  Geiler  von  Kaisersberg  und  sein  Verhältniss  zur  Kirche,  in  den  Histor.- 

polit.  Bl.  48  und  49,  sept  articles.  München,  1861-1862. 


XXVI  TITRES    COMPLETS    DES    OUVRAGES    CONSULTES. 

Riesewetter  R.  G.  Geschichte  der  europaisch-abendländischen  Musik.  Leip- 
zig, J846. 

KiEssELBACH,  w.  DtF  Gang  des  Welthandels  und  die  Entwicklung  des  europäi- 
schen Volkslebens  im  Mittelalter.  Stuttgart,  186ü. 

KiNDLiNCER  N.  Ges(  hichte  der  deutschen  Hörigkeit,  insbesondere  der  sogenann- 
ten Leibeigenschaft.  Berlin,  1819. 

RiNK  R.  Geschichte  der  Kaiserl.  Universität  zu  Wien.  Bd.  1.  Wien,  1854. 

RiRCHHOFF  A.  Beiträge  zur  Geschichte  des  deutschen  Buchhandels.  2  Bdchn 
Leipzig,  1851-1853. 

Klüpfel  R.  Urkunden  zur  Geschichte  des  schwäbischen  Bundes.  1  Bde,  Biblio- 
thèque de  la  Société  littéraire,  roi.  14  et  15.  Stuttgart,  1846. 

KoBERSTEiN  A.  Gcschichte  der  deustchen  N';itionalliteratur.  Umgearbeitete 
Aufl.  von  C.  Bartsch,  Bd.  1.  Leipzig,  1872. 

RöHLER  J.  Rückblick  auf  die  Kntwicklung  des  höheren  Schulwesens  in 
Emmerich  von  seinen  Anfängen  bis  zur  Gegenwart.  Erster  Theil.  Festschrift. 
Emmerich,  1882. 

RoLL.vR  A.  F.  Analecta  nionumentorum  oninis  ani  Vindobonensium.  2  tora. 
Vindob.,  1661-1772. 

RrabbeO.  Die  Universität  Rostock   im  15.  und  16.  .Jahrhundert.  Rostock.  1854. 

Rrafft  C.  Mittheilungen  aus  der  Matrikel  der  altem  Cölner  Universität  zur 
Zeit  des  Humanismus  (1484-1533  ,  in  Hassel's  Zeitschrift  für  preussische 
Geschichte  und  Landeskunde  5,467-503.  Berlin,  1868. 

—  Mittheilungen  aus  der  niederrheinischen  Reformationsgeschichte,  in  der 
Zeitschrift  des  Bergischeu  Geschichtsvereins  5,193-340.  Bonn,  1869. 

Rrafft  C.  und  CreceliusW.  Mittheilungen  über  Alex.  Ilegiusund  seine  Schüler, 
sowie  andere  gleichzeitige  Gelehrte,  aus  den  Werken  des  Job.  B;itzbach, 
Zeitschrift  des  Bergischen  Geschichtsvereins  7,213-286.  Bonn,  1871. 

—  Briefe  und  Documente  aus  der  Zeit  der  Reformation  im  16.  .Jahrhundert, 
nebst  Mittheilungen  über  Cölnische  Gelehrte  und  Studien  im  13.  und  16 
Jahrhundert.  Elberfeld  (1875). 

Rralse  R.  Die  Schul-und  Universitatsjahre  des  Dichters  Eobanus  Hesse,  Pro- 
gramm des  Francisceums  in  Zerbst,  Th.  1.  Zerbst,  1873. 

Krenner.  Baierische  Landtagshandlungen  von  1429-1513. Bd.  10.11.  München. 1804. 

Kriegk  G.  L.  Frankfurter  Bürgerzwiste  und  Zustände  im  Mittelalter  Frank- 
furt, 1862. 

—  Deutsches  Bürgerthum  im  Mittelalter.  Frankfurt,  1868. 

—  Deutsches  Bürgerthum  im  Mlttelater.  Neue  Folge   Frankfurt,  1871. 

—  Geschichte  von  Frankfurt  am  Main.  Frankfurt,  1871. 
Klgler  f.  Handbuch  der  Malerei.  Bd.  2.  Berlin,  1847. 

—  Geschichte  der  Baukunst.  Bd.  3.  Stuttgart,  1859. 

Künstmann  F.  Hieronymus  Münzers's  Bericht  über  die  Entdeckung  der  Guinea, 
mit  einleitender  Erklärung,  in  den  Abhandlungen  der  histor.  Classe  der  Aka- 
demie der  Wissensch.  zu  München  7,289-362.  München.  1855. 

—  Die  Fahrt  der  ersten  Deutschen  nach  dem  portugiesischen  Indien,  in  den 
Historich-polistichen  Blättern  48,277-309.  München,  1861. 

Kurz  H.  Geschichte  der  deutschen  Literatur.  Bd.  1.  Leipzig,  1869. 

Lancizolle  C.  W.  V.  Grundzüge  der  Geschichte  des  deutschen  Städtewesens. 
Berlin,  1829. 

Landau  G.  Historisch-topographische  Beschreibung  der  wüsten  Ortschaften  im 
Kurfürstenthum  Hessen.  7  Suppl.  der  Zeitschrift  des  Vereins  für  hessische 
Geschichte  und  Landeskunde.  Cassel,  1858. 

LangK.  H.  Neuere  Geschichte  des  Fürstenthum  Baireuth  (seit  1486),  Bd.  1.  Göt- 
tingen, 1798. 

Langethal  Chr.  Ed,  Geschichte  der  teutschenLandwirthschaft.  3  Bde.  lena,  1847- 
1854. 

Lappenberg  J.  M.  Urkundliche  Geschichte  des  Hansischen  Stahlhofes  zu  London. 
Hamburg,  1851. 

—  Doctor  Thomas  Murner's  Ulenspiegei.  Leipzig,  1854. 
Lasaulx  E.  V.  Philosophie  der  schönen  Rünste.  München,  1860. 


TITRES    COMPLETS    DES    OUVRAGES    CONSULTÉS.      XXXVll 

l.r;  Gi,AY.  Correspondance  de  l'empereur  Maxiinilien  I"  et  de  Marguerite 
d'Autriche,  16ü7-lJ19.  l'aris,  1839. 

—  Négociations  diplomatiques  entre  la  France  et  l'Autriclie.  Bd.  1,  2.  Paris,  1845. 
LKinnNN  Chu.  Chronica  der  Stadt  Speyer.  Frankfurt,  1612. 

Lette  A.  und  von  Konm:  [-.  Die  Landescullurgesetzgebung  des  preussischen 
Staates.  Bd.  1  und  2  a.  Berlin.  1853-18.54. 

Leüthenmayu  .1.  B.  Forst  oder  St.  Leouhard.  Ein  Kulturbild  aus  dena  oberbaye- 
rischen I'faffenwinkel.  Neuburg,  a.  !».  1881. 

Lii.iENCRüN  K.  V.  Die  historischen  Volkslisder  der  Deutschen  vom  13  bis  16  Jahr- 
hundert, und  Nachtrag  Bd.  3.  Leipzig,  1865-1869. 

—  Der  Weisskunig  Kaiser  Max's  1  in  Kaumer's  (Riehl's)  Ilistor.  Taschenbuch. 
Folge  5,  Jahrfj.  3,  321-358.  Leipzig,  1873. 

Limburger  Chronik  (Fasti  Limburgenses).  Wetzlar,  1720. 

Linde  v.  d.  Cutenberg.  Geschichte  und  Erdichtung  aus  den  Quellen  nachgewiesen. 

Stuttgart,  1878. 
Lindemann  \V.  Johannes  Geiler  von  Kaisersberg,  ein   Katholischer  Reformator 

am  Ende  des  fünfzehnten  .Jahrhunderts.    Nach  dem  französischen  des  Abbé 

Dacheux..  Freibourg,  1877, 
Linsenmann  F.    Gabriel  Biel  und  die  Anfänge    der  Universität  zu    Tübingen. 

Gabriel  Biel,  der  letzte  Scholastiker  und  der  Nominalismus,  in  der  Tübinger 

Theolog.  QuartalschrifL  47,  195-226;  449-481;  601-676.  Tübingen,  1865. 

—  Conrad  Suinmenhart,  ein  Culturbild.  Zur  vierten  Säcularfeier  der  Universi- 
tät Tübingen.  Tübingen,  1877. 

Lisch  G.  C.  F.  Geschichte  der  Buchdruckerkunst  in  Mecklenburg  bis  zum  Jahre 

1540,  in  dem  Jahrb.  des  Vereins  für  mecklenburgische  Geschichte  und  Alter- 

thumskunde  4,  1-280.  Schwerin,  1839. 
Lochner  G.  \v.  K.  Des  Johann  Neudörfer,  Schreib-und  Rechenmeisters  zu  Nürn- 
berg, Nachrichten  von  Künstlern  und  VVerkleuten  daselbst,  aus  dem  Jahre  1547. 

Wien,  1875. 
Lobe   W.   Geschichte  der    Landwirthschaft    im   Altenburgischen    Osterlande. 

Leipzig,  1845. 
LoTz.  loy.  üehn-Rotfelser. 
Lübeckischer  Chroniken  in  nieder  deutscher  Sprache,  herausg.  von  F.  H.  Grau- 

toff.  2  Thl.  Hambourg,  1829,  1830. 
LüNiG  J.  Ch.  Deutsches  Reichsarchiv.  24.  Bde.  Leipzig,  1713-1722. 
LuTHAUDT     Chr.    E.    Albrecht     Dürer.    Zwei     Vorträje     mit    Erläuterungen, 

Leipzig,  1875. 
Machiavelli  f.  Opere.  8  voll.  Italia,  1873. 
Marx  J.  Geschichte  des  Erzstiftes  Trier  von  den  ältesten  Zeiten  bis  zum  Jahre 

1816.  5  Bde.  Frier,  1858-1864. 
Mascher  II.  A.  Das  deutsche  Gewerbewesen  von   der  frühesten  Zeit  bis  auf  die 

Gegenwart.  Potsdam,  1866. 
Malrenbrecher  W.  Studien  und  Skizzen  zur  Geschichte  der  Reformationszeit. 

Leipzig,  1874. 
Maurer    G.     L.     v.    Geschichte    des    altgermanischen    öffentlich-mündlichen 

Gerichtsverfahrens.  Heidelberg,  1824. 

—  Einleitung  zur  Geschichte  der  Mark,  —  Hof,  —Dorf,  —  und  Stadtverfassung 
und  der  öffentlichen  Gewalt.  München,  1854. 

—  Geschichte  der  Markenverfassung.  Erlangen,  1856. 

—  Geschichte  der  Fronhöfe,  der  Bauernhöfe  und  der  Hofverfassung  in  Deut- 
schland. 4  Bde.  Erlangen,  1862-1863. 

—  Ges(  hichte  der  Dorfverfassung  in  Deutschland.  2  Bde.  Erlangen,  1866. 

—  Geschichte  der  Städteverfassung  in  Deutschland.  4  Bde.  Erlangen,  1869-1871. 
Meister  k.  S.  Das  katholische  deutsche  Kirchenlied  in  seinen  Singweisen.  Frei- 
burg, 1862. 

Meister.  Die  deutschen  Stadtschulen  und  der  Schulstreit  im  Mittelalter,  im  Pro- 
gramm des  Gymnasiums  zu  Hadamar  1868.  Weilbourg,  1868. 

Meitzen  A.  Der  Boden  und  die  landwirthschaftlichen  Verhältnisse  des  preus- 
sischen Staates.  Bd.  I.  Berlin,  1868. 


XXXyiII     TITRES    COMPLETS    DES    OUVRAGES    CONSULTÉS. 

Menzel  C.  A.  Die  Geschichten  der  Deutschen.  Bd.  7  und  8.  Breslau,  1821-1823. 
Meuser.  Jüh.  Eck  in  seinem  Leben,  seiner  literarischen  und  kirchlichen  Wirk- 
samkeit, in  Dieringer's  kathol.  Zeitschr.  für  Wissenschaft  und  Kunst  3-a,  3-d. 

Cöln,  1846. 
Meyer  II.  Die  Strassburger  Goldschmiedezunft  von  ihrem  Entstehen  bis  1681. 

Ein  Beitrag  zur  Gewerbegeschichte  des  Mittelalters.  Leipzig,  1881. 
MiCHELSEN  A.  L.  J.   Der  Mainzer  Hof  zu  Erfurt  am  Ausgang  des  Mittelalters. 

lena,  1853. 
MiGNET.  Une  élection  à  l'empire,  Bévue  des  Deux  Mondes,  5,  209-264.  Paris,  1854. 
Mittheilungen  der  R.  K.  Central-Commission  zur  Erforschung  und  Erhaltung 

der  Baudenkmale.  Bd.  1-8.  Wien,  1856-1863. 
MoDDERMAN'N  M.  Die  Réception  des  römischen  Rechtes.  Autorisirte  Uebersetzung 

mit  Zusätzen  herausgegeben  von  K.  Schulz.  Jena,  1875. 
MoHNiKE  G.  Ortuinus  Grarius  in  Beziehung  auf  die  Epp.  obscurorum  virorum,  in 

Illgen's  Zeitschrift  für  die  histor.  Theologie  13,  Heft  3,  114-122  Leipzig,  1843. 
Moll  A.  Johannes  StöfHer  von  Justingen.  Ein  Charakterbild  aus  dem  ersten 

Halbjahrhundert  der  Universität  Tübingen.  Lindau,  1877. 
MoNE  F.  J.  Altdeutsche  Schauspiele.  Quedlingburg  und  Leipzig,  1841. 

—  Schauspiele  des  Mittelalters.  2  Bde.  Carlsruhe,  1846. 

—  Zeitschr.  für  die  Geschichte  des  Oberrheins.  21  Bde.  Carlsruhe,  1850  bis  1868. 

—  Quellensammlung  der  badischen  Landesgeschichte.  3  Bde.  Carlsruhe,  1848-1863. 

—  Zur  Handelsgeschichte  der  Städte  am  Bodensee  vom  13.  bis  16.  Jahrhun- 
dert mit  Venedig,  Mailand,  u.  s.  w.  —  Der  süddeutsche  Handel  mit  Venedig 
vom  13.  bis  15.  Jahrhundert,  in  der  Zeitschrift  für  die  Gesch.  des  Oberrheins. 
Bd.  4  und  5.  Carlsruhe,  1853,  1854. 

—  Ueberdas  Forstwesen  vom  14.  bis  17.  Jahrh.  —  Zur  Geschichte  des  Weinbaues 
vom  14.  bis  16.  Jahrh.  —  Zur  Geschichte  der  Viehzucht  vom  14.  bis  16  Jahrh. 

—  Fruchthandel,  Arbeitslöhne   und    Viehzucht  am  Bodensee    1433-1443.    — 

—  Ueber  die  Bauerngüter  vom  13.  bis  16  Jahrh.  —  Zur  Geschichte  der  Volks- 
wirthschaft  vom  14.  bis  16.  Jahrh.,  in  der  Zeitschrift  für  die  Geschichte  des 
Oberrheins.  Bd.  2,  3,  5,  6,  10,  Carlsruhe,  1851,  1852,  1854,  1855,  1859. 

MOSER  J.  Patriotische  Phantasien.  5  Bde.  Berlin,  1842,  1843. 

Müller  H.  Ueber  das  Verhältniss  des  Abtes  Tritheim  zu  Joachim  I.  von  Bran- 
denburg, im  Programm  der  Bürgerschule  zu  Crossen,  1868. 

Müller  J.  J.  Des  heiligen  römischen  Reiches  teutscher  Nation  Reichstags- Thea- 
trum  unter  Kayser  Friedrich  V  3  Th.,  lena,  1713. 

—  Reichstags-Thealrum  unter  Maximilian  L  2  Th.  Jena,  1718-1719. 
MüNZENBERGER  E.  F.  A.  Das  Frankfurter  und  Magdeburger  Beichtbüchlein  und 

das  Buch  vom  «  sterbenden  Menschen  >.  Mainz,  1881. 

MüRNER  Th.  Die  Narrenbeschwörung,  herausg.  von  K.Gödeke.  Leipzig,  1879. 

Muther  Th.  Aus  dem  Universitäts  und  Gelehrtenleben  im  Zeitalter  der  Refor- 
mation. Erlangen,  1866. 

—  Zur  Geschichte  der  Rechtswissenschaft  und  der  Universitäten  in  Deutschland, 
lena,  1876. 

Nettesheim  f.  Geschichte  der  Schulen  imalteraHerzogthumGeldern.  Ein  Beitrag 

zur  Geschichte  des  Unterrichlwesens  Deutschlands  und  der  Niederlande.  Aus 

den  Quellen  bearbeitet.  Düsseldorf,  1882. 
Neüdörfer  J.  l'oy.  Lochner. 
Neue  und    vollständigere    Sammlung  der  Reichsabschiede  (von  II.  Chr.  von 

Senckenberg).  Bd.  I  und  2.  Frankfurt,  1747. 
Neuman.\  M.  Geschichte  des  Wuchers  in  Deutschland  bis  zur  Begründung  der 

heutigen  Zinsgesetze.  Halle,  1856. 
Nordhoff  J.  B.  Der  Holz  und  Steinbau  Westfalens  in  seiner  culturgeschichtli- 

chen  und  systematischen  Entwicklung.  Münster,  1873. 

—  Denkwürdigkeiten  aus  dem  Münsterichen  Humanismus.  Münster,  1874. 

—  P.  Dederich  Cölde  und  sein  Christenspiegel,  in  Pick's  Monatsschrift  für  rhei- 
nisch-westfälische Geschichtsforschung  und  AUerthumskunde.  Jahrgang  I, 
Heft   1-8.  Bonn,  1875. 

—  Der  vormalige  Weinbau  in  Norddeutschland.  Münster,  1877. 


TITRES    Cf)MPLETS    DES    OFVRAGES    CONSULTÉS.       XXXIX 

Notizenblatt,  Beilaf^e  zum  Archiv  für  Kunde  österreichischer  Geschicbtsquellen. 
9  Bde.  Wien,  1851-1860. 

OcHENKOwsKi  \V.  V.  Knfjlands  wirthschaftliche  Ent\vickluni5  im  Ausgang  des 
Mittelalters.  lena,  1879. 

(ffiLSNER  L.  Schlesische  Urkunden  zur  Geschichte  der  .luden  im  Mittelalter,  im 
Archiv,  für  Kunde  österreichischer  Geschichtsquellen  31  a,  .07-144.  Wien,  1864. 

Otte  H.  Handbuch  der  kirchi.  Kunstarchaeologie  des  deutschen  Mittelalters. 
Leipzig,  1868. 

Otto  c.  Johannes  Cochläus  der  Humanist.  Breslau,  1874. 

Passavant.].  D.  Ansichten  über  die  bildenden  Künste.  Fleidelberg,  1820. 

Pauli  R.  Englands  Verhältnis  zu  der  Kaiserwahl  des  Jahres  1519,  in  den  For- 
schungen zur  deutschen  Geschichte  1,  413-436.  Göttingen,  1862. 

Paulsen  Fr.  Gründung,  Organisation  und  Lebensordnungen  der  deutschen  Uni- 
versitäten im  Mittelalter,  in  v.  Sybel's  histor.  ztschr.  45,  251-440.  München, 
1881. 

Pawlikowski  C.  C.  V.  Hundert  Bogen  aus  mehr  als  fünfhundert  alten  und  neuen 
Büchern  über  die  Juden  neben  den  Christen.  Freibourg,  1859. 

Peetz  H.  Volkswirthschaftliche  Studien  (über  Bayern).  München,  1880. 

Peschel  0.  Geschichte  der  Erdkunde.  München,  1865. 

Pez  A.  Scriptores  rerum  Austriacarum  veteres  ac  genuini.  3  tom.  Lipsiae,  1721- 
1725.  Ratisb.,  1745. 

Potthast  A.  Wegweiser  durch  die  Geschichtswerke  des  europäischen  Mittel- 
alters von  375-1500.  Berlin,  1862. 

Prantl  C.  Geschichte  der  Ludwig-Maximilians-Universität  in  Ingolstadt,  Lands- 
hut, 2  Bde.  München,  1872. 

Pressel  Fr.  Die  Unruhen  in  Ulm  1513,  in  der  Zeitschr.  für  die  Gesch.  des 
Oberrheins  27,  211-221.  Karlsruhe,  1875. 

QuiRiM  V.  Rilalione  anno  1506,  herausg.  von  J.  Chmel  in  Schmidt's  Zeitschrift 
für  Geschichtswissenschaft  2,273-288  ;  334-356.  Berlin,  1844. 

Rassmann  E.  Biographische  und  literarische  Nachrichten  von  Münsterischen 
Schulmännern  aus  dem  15.  und  16.  Jahrhundert,  im  Programm  der  Real- 
schule zur  Münster,  1862. 

Räumer  K.  v.  Die  deutschen  Universitäten.  Stuttgart,  1854. 

—  Geschichte  der  germanischen  Philologie,  vorzugsweise  in  Deutschland. 
München,  1870. 

Raynaldi.  Annales  ecclesiastici,  vol  8-12,  Lucae,  1752-1755. 

Reber  B.,  loy.  Stockmeyer. 

Reichensperger  A.  Vermischte  Schriften  über  christliche  Kunst.  Leipzig,  1856. 

—  Mathias  Merian  und  seine  Topographie.  Leipzig,  1856. 

—  Die  christlich-germanische  Baukunst  und  ihr  Verhältniss  zur  Gegenwart. 
Trier,  1860. 

—  Eine  kurze  Rede  und  eine  lange  Vorrede  über  Kunst.  Paderborn,  1863. 

—  Allerlei  aus  dem  Kunstgebiete.  Brixen.  1867. 

—  Ueber  das  Kunsthandwerk.  Cöln,  1875. 

Reichhardt  G.  Die  Druckorte  des  fünfzehnten  Jahrhunderts  und  die  Erzeu- 
gnisse ihrer  erstjährigen  Wirksamkeit.  Augsburg,  1853. 

Reichling  D.  Beiträge  zur  Charakteristik  der  Humanisten  Alexander  Hegius 
Joseph  Ilorlenius,  Jacob  Montanus  und  Johann  Murmellius,  in  Pick's  Monats- 
schrift für  rheinisch-wesfalische  Geschichtsforschung  und  Alterthumskunde, 
Jahrg.  3  Trier,  1877. 

—  Johannes  Murmellius.  Sein  Leben  und  seine  Werke.  Nebst  einem  ausführ- 
lichen bibliographischen  Verzeichniss  sämmtlicher  Schriften  und  einer 
Auswahl  von  Gedichten.  Freibourg,  1880. 

Rem  Lucas.  Tagebuch  aus  den  Jahren  1491-1541,  ein  Beitrag  zur  Handelsgeschichte 
der  Stadt  Augsburg,  mitgetheilt,  von  E.  Greiff.  Augsburg,  1861. 

Remling  f.  X.  Geschichte  der  Bischöfe  zu  Speier.  Bd.  2.  Mainz,  1854. 

Rettberg  R.  v.  Nürnbergs  Kunstleben  in  seinen  Denkmalen  dargestellt.  Stutt- 
gart, 1854. 

Reumont  A.  y.  Lorenzo  de'  Medici  il  Magnifico.  2  Bde.  Leipzig,  1874. 


XL  TITRES    COMPLETS    DES    OUVRAGES    CONSUI,TÉS. 

Revius.  Daventria  illustrata.  Lujjduni  Bat.,  1751. 

RircGEK  J.  A.Udalrici  Zasii  Epislolaee  ad  viros  setatis  suse  doctisslmos.  Ulmae,  1774. 

RiEHL  W.  H.  Die  Deutsche  Arbeit.  Stuttgart,  1861. 

—  Culturstudieii  aus  drei  .lahrlninderten.  Stuttgart,  1862. 

Rive  J.  €.  H.  l'eber  das  Bauernyiiterwesen  in  den  Grafschaften  Mark,  Reckling- 
hausen  ii.  s.  \v.,  Cuin,  182î. 

RûESLEn  R.  Die  Kaiserwahi  Carl's  V,  Wien,  1868. 

Röhrig  T.  Die  Schule  zu  Schlettstadt.  in  Illgen's  Zeitsrhr.  für  diehistor.  Theo- 
logie 4,  Stück.  2,  199-218.  Leipzig,  1834. 

RoLEwiNCK  \V.  De  laude  veteris  Saxoni«,  mit  deutscher  Uebersetzung  herausg. 
von  L.  Tross.  Coin,  1865. 

Roth  .1.  F.  Geschichte  der  Nürnbergischen  Handels.  4  Bde.  Leipzig,  1800-1802. 

Ro.scheu  W.  Die  Grundlagen  der  Nationalökonomie  0.  Aufl.  Stuttgard,  1871. 

—  Nationalökomomik  des  Ackerbaues  und  der  verwandten  Urproduktionen. 
Stuttgart,  187.3. 

—  Geschichte  der  Nationalökonomik  in  Deutschland,  München,  1874. 

—  Die  Stellung  der  .Juden  im  Mittelalter,  betrachtet  vom  Standpunkte  der 
allgemeinen  Handelspolitik,  in  der  Zeitschrift  für  die  gesammte  Staatswissens- 
chaft 31,503-526.  Tübingen,  1875. 

RruND  A.  Johannes  Trithemius,  im  Chilianeum,  Blätter  für  katholische  Wis- 
senschaft, Kunst  und  Leben.  Neue  Folge,  1,45-62.  112-121.  Zürich,  Stuttgart, 
Würzburg,  1869. 

S.VRTOiuus  G.  F.  Geschichte  des  hanseatischen  Bundes.  3  Bde,  Göttingen,  1802- 
1803. 

Sattler  C.  F.  Geschichte  des  Herzogthums  Wurtemberg  unter  der  Regierung 
der  Herzoge.  Theil,  Ulm,  1769. 

S.tviGNY  Fr.  C.  V.  Geschichte  des  römischen  Rechtes  im  Mittelalter.  6  Bde. 
Heidelberg,  1815-1831. 

ScH.iAB  C.  A.  Die  Geschichte  der  Erfindung  der  Buchdruckerkunst.  3  Bde. 
Mainz,   1830-1831. 

—  Diplomatische  Geschichte  der  .luden  zu  Mainz,  und  dessen  Umgebung. 
Mainz,  1855. 

ScHVNz  G.  Zur  Geschichte  der  deutschen  Gesellenverbande  im  Mittelalter. 
Leipzig,  1876. 

Schatzhehalter,  der,  oder  Schrein  der  wahren  Reichthümer  des  Heils  und  ewy- 
ger  Seligkeit.  Nürnberg  (Anthony  Kobergerj,  1491. 

Scheibler  l.  A.  Die  hervorragendsten  anonymen  Meister  und  Werke  der  Kölner 
Malerschule  von  1460-1500.  Inaugural-Dissertation.  Bonn,  1880. 

ScHLözER  K.  V.  Verfall  und  Untergang  der  Hansa  und  des  deutschen  Ordens  in 
den  Ostseeländern.  Berlin,  1853. 

Schmidt  C.  Ueber  das  Predigen  in  den  Landessprachen  wahrend  des  Mittelalters, 
in  den  Theolog.  Studien  und  Kritiken  19  a,  243-296.  Hamburg,  1846. 

Schmidt  C.  A.  Der  principelle  Unterschied  zwischen  dem  römischen  und  germa- 
nischen Rechte.  Rostock  und  Schwerin,  1853. 

—  Die  Réception  des  römischen  Rechtes  in  Deutschland.  Rostock,  1868. 
Schmidt  Ch.  Notice  sur  Sébastien  Brant,  Revue  d'Alsace,  nouvelle  série  3,  3-56, 

161-216,  346-388.  Colmar,  1874. 

Schmidt  W.  Martin  Schongauer,  in  :  Kunst  und  Künstler  des  Mittelalters  und  der 
Neuzeit  24-40.  Leipzig,  1875. 

ScHMOLLER  G.  Zur  Gcschichtc  der  nationalökonomischen  Ansichten  in  Deut- 
schland während  der  Reformationsperiode. in  derZeitschr.  für  die  gesammte 
Staatswissenschaft  16,  461-716.  Tübingen,  1860. 

—  Die  historische  Entwicklung  des  Fleischconsums,  sowie  der  Vich-und  Fleisch- 
preise in  Deutschland,  in  der  Zeitschr.  für  die  gesammte  Staatswissenschaft 
27,284-302.  Tübingen,  1871. 

—  Strasburg  zur  Zeit  der  Zunfikämpfe  und  die  Reforme  seiner  Verfassung  und 

—  Verwaltung  in  15.  Jahrhundert.  Strassburg,  1875. 

—  Die  Strassburger  Tucher-und  Weberzunft.  Urkunden  und  Darstellungen 
nebst  Regesten  und  Glossar,  Ein  Beitrag  zur  Geschichte  der  deutschen  Weberei 


TITRES    COMPLETS    DES    OUVRAGES    CONSULTÉS.  XLl 

und  des  deutschen  Gewerberechtes   vom  13.  bis  17.   Jahrhundert.   Strass- 

burß,  1879. 
ScHNEEGANS  W.  Abt  Johann  Trilhemiu.sund  Kloster  Sponheim.  Kreuznach,  1882. 
SciniNnEnc.  G.  Zur  wirthschaftlichen  Bedeutung  des  deutschen  Zunftwesens  im 

Mittelalter.  Berlin,  1868. 
ScHöNiiEnu  I).  rier  Kriefç  Kaiser  Maximilian's  I.  mit  Venedif;,  1509.  Wien,  1876. 
ScHREKENSTEiN  K.  If.  Rotli  V.  Gcschichtc  der  eheuialigen  freien  Reichsritterschaft. 

Bd  I  und  2  a.  Tübingen,  1859-1862. 
ScHWAuz    B.    Jacob   Wimpheliny    der  Altvater   des    deutschen   Schulwesens. 

Gotha,  1875. 
Scott  W.  B.  Albert  Durer,  his  life  and  works.  London,  1869. 
Schreiber  II.  Geschichte  der  Albert-Ludwigs-Universität  zu  Freiburg  im  Breis- 

gau.  2  Th.  Freiburg,  1857-1860. 
Seeber.   Leben  und  Treiben  der  österreichischen   Bauern  im  13.  Jahrh.  nach 

Neidhart,   llelbling  und  Wernher  Gartenare,  in  dem   liistor.  Jahrbuch  der 

Görres-Gesellschafl  Bd.  3,  416-444.  Münster,  1882. 
Seelen-fürer,  der,  ein  nutzberlich    buch   für  yeglichen  cristenmenschen  zum 

frumen  leben  und  seligen  sterben.  Mainz  bei  Peter  Scheffer  1498.  47  Blatter 

in-4''. 
SiGHART  J.  Geschichte  der  bildenden  Künste  im  Königreich  Bayern.  München, 

1862, 
Silbernagel  Joh.  Trithemius.  Landshut,  1868. 
SiMROcK  C.  Sebastian  Branl's  Narrenschiff  in  neuhochdeutscher  Uebertragung. 

Berlin,  1872. 
Sommer.  Geschiclitliche  und  dogmatische  Entwicklung  der  bäuerlichen  Rechts- 
verhältnisse in  Deutschland.  3  Bde.  Hamm,  1823,  1830. 
SoTZMANN  J.  D.  F.  Gutenberg  und  seine  Mitbewerber,  oder  die  Briefdrucker  und 

die  Buchdrucker,  in  Raumer's  histor.  Taschenbuch,  Neue  Folge,  Jahrg.  2,  515- 

677.  Leipzig,  1841. 
SpALATiN  G.  HisLorischer  Nachlass  und  Briefe.  Erster  Band  :  Das  Leben  und  die 

Zeitgeschichte    Friedrich's  des    Weisen;  herausg.  von  Ch.  G.  Neudeker  und 

L.  Preller,  lena,  1851. 
Spreng  F.  Zur  Ges(  hichte  des  Schulwesens  in  Deutschland,  im  Programm  des 

Real-Progymnasiums  zu  Seligenstadt,  1875-1876. 
Springer  A.  Bilder  aus  der  neuem  Kunstgeschichte.  Bonn,  1857. 
Stahl  F.  \V.  Das  deutsche  Handwerk.  Frster  (einziger)  Band.  Giessen,  1874. 
STäLiNlI.  F.  V.  VVirtembergische  Geschichten.  Bd  3.  Stuttgart,  1856. 
Steiff  K.  Der  erste   Buchdruck  in  Tübingen   (1498-1534).  Ein  Beitrag  zur  Ges- 
chichte der  Universität.  Tübingen,  1881. 
Stintzing  R.  Ulrich  Zasiiis.  Ein  Beitrag  zur  Geschichte  der  Rechtswissenschaft 

im  Zeitalter  der  Reformation.  Basel,  1857. 

—  Geschichte  der  populären  Literatur  des  römisch-canonischen  Rechts.  Leip- 
zig, 1867. 

—  Das  Sprüchwort  :  Juristen  böse  Christen,  in  seinen  geschichtlichen  Bedeu- 
tungen. Bonn,  1875. 

Stocbe  0.  Geschichte  der  deutschen  Rechtsquellen.  2  Bde  Braunswerg,  1860, 
1861. 

—  Die  Juden  in  Deutschland  während  des  Mittelalters  in  politischer,  socialer 
und  rechllicher  Beziehung,  Braunschweig,  1866. 

Stockbauer  J.  Nürnbergisches  Handwerksrecht  des  sechzehnten  Jahrhunderts. 
Schilderungen  aus  dem  Nürnberger  Gewerbeleben  nacharchivalischen  Docu- 
menten.  Nürnberg,  1879. 

Stockmeyer  j.  und  B.  Reber.  Beiträge  zur  Baseler  Buchdruckergeschichte. 
Basel,  1840. 

Stölzel  A.  Die  Entwicklung  des  gelehrten  Richterthums  in  deutschen  Territo- 
rien. 2  Bde,  Stuttgart,  1872, 

Stolle  K.  Thüringisch-Erfurt.  Chronik,  herausg.  von  L.  F.  Hesse  in  der  Bibliotek 
des  literar  Vereins  in  Stuttgart.  Bd.  32.  Stuttgart,  1854. 

Strahl.  Russlands  älteste  Gesandtschaften  in  Deutschland,  deutsche  Gesandt- 


XLll  TITRES    COMPLETS    DES    OUVRAGES    CONSULTES. 

Schäften  in  Russland  und  erstes  Freundschaftsbündniss  zwischen  Russland  und 
Oesterreich  unter  Friedrich  III  und  Maximilian  I.,  im  Archiv  der  Gesellschaft 
für  ältere  deutsche  Geschichtskunde  6,  523-54G  Hannover,  1838. 

Strauss  D.  F.  Ulrich  von  Hütten.  2  Bde.  Leipzig,  1858. 

StridaW.  Zur  Entstehung  des  deutschen  Zunftwesens,  in  Hildebrand's  Jahrbü- 
cher fur  Nationalöckonomie  und   Statistik.  Jahrg.  14,  Bd  2,  1-128.  lena,  1876. 

SuGENHEiM  S.  Geschichte  der  Aufhebung  der  Leibeigenschaft  und  Hörigkeit  in 
Europa. St.  Petersbourg,  1861. 

Thausing  M.  Dürers  Briefe.  Tagebücher  und  Reime.  Wien,  1872. 

—  Dürer,  Geschichte  seines  Lebens.  Leipzig,  1876. 

Theuerdank  herausg.  von  C.  Haltaus.  Quedlinburg  und  Leipzig,  1836. 

Thomas  J.  G.  C  Der  Oberhof  zu  Frankfurt  am  Main.  Frankfurt,  1841. 

Treitzsauerwein  M.  Der  Weiss-Kunig.  eine  Eräzhiung  von  den  Thaten  Kaiser 
Max's  des  Ersten.  Wien,  1775. 

Trithemh  J.  Opera  historica.  Francofurti,  1601. 

Chronicon  Hirsaugiense.  2  voll.  St.  Gallen,  1690. 

Uhland  L.  Alte  hoch-und  niederdeutsche  Volkslieder.  Bd.  1,  in  zwei  Abthei- 
lunP'en,  Stuttgart,  1844,  1845,  Bd  2  [ouvrage  connu  aussi  sous  le  titre  de  :  Zur  Ges- 
chichte der  Dichtung  und  Sagen,  Bd.  3j,  1866. 

Ullmann  11.  Franz  ven  Sickingen,  I  eipzig,  1872. 

Ullmann  C.  Reformatoren  vor  der  Reformation  vornehmlich  in  Deutschland  und 
den  Niederlanden.  2  Bde  Hamburg,  1841-1842. 

Unger  F.  VV.  Geschichte  der  deutschen  Landstände.  2  Bde  Hannover,  1844. 

Unrest  J.  Oesterreichische  Chronik  in  Hahns  Collect,  monument,  vet.  et  recen- 
tium,  1,537-803.  Brunsvig*,  1724. 

Vettori  f.  (Ambasciatore  della  republica  Fiorentina  a  Massimiliano  I.)  Viaggio 
in  Alemagna.  Parigi,  1837. 

ViLMAR  A.  F.  C.  Handbüchlein  für  Freunde  des  deutschen  Volksliedes.  [Mar- 
burg, 1867. 

ViscHER  W.  Geschichte  der  Universität  Basel  von  der  Gründung,  1460  bis  zur 
Reformation,  1529.  Basel,  1860. 

VuLPius  Curiositaten  der  physisch-literarisch-artistisch-historischen.  Vor-und 
Mitwelt.  Bd.  2.  Weimar,  1812. 

Waagen  G.  F.  Handbuch  der  deutschen  und  niederländischen  Malerschulen. 
Erste  Abtheilung.  Stuttgart,  1862. 

Wachsmuth  W.  Europäische  Sittengeschichte.  Bd.  4.  Leipzig,  1837. 

Wackernagel  Ph.  Das  deutsche  Kirchenlied  von  der  ältesten  Zeit  bis  zu  Anfang 
des  17.  Jahrh.  Bd.  2.  Leipzig,  1867. 

Wackernagel  W.  Geschichte  der  deutschen  Literatur.  Basel,  1848. 

—  Die  deutsche  Glasmalerei.  Leipzig,  1855. 

Walchner  K.  Die  allemanischen  Brüder,  im  Teutschen  Museum  von  Ernst 
Münch  1,265-305.  Freibourg,  1824. 

WÄCHTER  G.  G.  V.  Beitrage  zur  deutschen  Geschichte,  insbesondere  zur  Ges- 
chichte des  deutschen  Strafrechts.  Tübingen,  1845. 

Wagner  t.  Das  Jagdwesen  in  Württemberg  unter  den  Hergogen.  Ein  Beitrag 
zur  deutschen  Cultur  und  Rechtsgeschichie.  Tübingen,  1876. 

Wassermann  L.  Der  Kampf  gegen  die  Lebensmittelfälschung  vom  Ausgang  des 
Mittelalters  bis  zum  Ende  des  18.  Jahrhunderts.  Eine  culturgeschichtliche 
Studie.  Mainz,  1879. 

Wattenbach  W.  Peter  Luder,  der  erste  humanistische  Lehrer  in  Heidelberg, 
in  der  Zeitschrift  für  die  Geschichte  des  Oberrheins  22,  33-127.  Carls- 
ruhe, 1869. 

—  Sigismund  Gossembrot  als  Vorkämpfer  der  Humanisten  und  seine  Gegner, 
in  der  Zeilschrift  für  die  Geschichte  des  Oberrheins  25,  36-69.  Carlsruhe.  1873. 

Weale  J.  Hans  Memlinc,  zijn  leven  en  zijne  schilderwerken,  Brügge,  1871. 
Wegele  Fr.  X.  Götz  von  Berlichingen  und  seine  Denkwürdigkeiten,  in  MüUer's 

Zeitschrift  für  deutsche  Kulturgeschichte.  Neue  Folge.  Jahrgang  3,  129-166, 

Hannover,  1874. 
Wehrmann  C.  Die  älteren  Lübeckischen  Zunftrollen.  Lübeck,  1864. 


TITIîES    COMPLETS    DES    OUVRAGES    CONSULTES.  XLIU 

Weinreich's  C.  Danziger  Chronik,  herausr;.  und  erläutert  von  Th.  Hirsch  und 
F.  A.  Vossberfï.  Berlin,  1855, 

Welzenbach  Th.  Geschichte  der  Buchdruckerliunst  im  ehemaligen  Herzogthum 
Franken  und  in  benachbarten  Städten,  im  Archiv  des  Histor.  Vereins  von 
(nterfranken  und  Aschaffenburg,  14  b,  117-258.  VVürzburg,  1857. 

Welschgattung  die.  .Strassburg,  1513. 

Wenckek  J.  Apparatus  et  Fnstructus  archivorum.  Argentorati,  171.3. 

WiKiiEMANN  Tii.  Joh.  Eck,  Profcssop  der  Theologie  an  der  Universität  Ingolstadt. 
Hegensburg,  1865. 

Wyhegerllin  für  alle  frummen  cristenmenschen.  Mainz  bei  Feter  Schef- 
fer, 1509. 

WiLDA  W.  E.  Das  Gildenwesen  im  Mittelalter.  Halle,  1831. 

WiLKE.N  E.  Geschichte  der  geistlichen  Spiele  in  Deutschland.  Göttingen,  1872. 

WiLKEN  F.  Geschichte  der  Kunigl.  Bibliothek  zu  Berlin.  Berlin,  1828. 

WiMPHELiNG  .1.  Apologia  pro  republica  christiaua.  Phorce,  1506 

WiSKOwATOFF  P.  v.  Jacclj  Wimpheliug,  sein  Leben  und  seine  Schriften.  Ein  Bei- 
trag zur  Geschichte  der  deutschen  Humanisten.  Berlin,  1867. 

AViTTENAVEiLEd  II.  Der  r.ing,  herausg.  von  L.  Bechstein  in  der  Bibl.  des  literar. 
Vereins.  Bd.  23.  Stuttgart,  1851. 

WoKER  F.  W  Geschichte  der  norddeutschen  Franziskaner-Missionen  der  säch- 
sischen Ordensprovinz  vom  hl.  Kreuz.  Freiburg,  1880. 

Wolf  J.  A.  Die  St. -Nicolai-Pfarrkirche  zu  Calcar,  ihre  Kunstdenkmäler  und 
Künstler  archivalisch  und  archaeologisch  bearbeitet.  Calcar,  1880. 

WoLFF  J.  Vor  die  anhebende-n  kynder  und  ander  zu  bichten  u.  s.  w.  1478. 

WoLTMANN  A.  Holbein  und  seine  Zeit.  2  Bde,  Leipzig,  1866,  1868. 

W  üRZBACH  A.  v.  Martin  Schongauer,  eine  Kritische  Untersuchung  seines  Lebens 
und  seiner  Werke,  nebst  einem  chronologischen  Verzeichnisse  seiner  Kupfer- 
stiche. Wien,  1880. 

Zapf.  loh.  v.  Dalberg,  Bischof  von  Worms,  Augsburg,  1796.  Nachtrag.  Zürich, 
1798. 

Zappeut  G.  Uel)er  das  Badewesen  mittelalterlicher  und  späterer  Zeit,  im  Archiv 
für  Kunde  Österreich.  Geschichtsquellen  21,1-160.  Wien,  1859. 

Zarncke  Fr.  Sebastian  Braut's  Narrenschiff.  Leipzig,  1854. 

—  Die  deutschen  Universitäten  im  Mittelalter.  Erster  Beitrag.  Leipzig,  1857. 

—  Die  urkundlichen  Quellen  zur  Geschichte  der  Universität  Leipzig,  in  den 
Abhandlungen  der  Königl.  sächsischen  Gesellschaft  der  Wissenschaft,  3,  509- 
922.  Leipzig,  1857. 

Zaun  J.  Geschichte  des  Ortes  und  der  Pfarrei  Kidderich.  Wiesbaden,  1879. 
ZiEGLEK  A.  Regiomontanus,  ein  geistiger  Vorläufer  des  Golumbus.  Dresden, 

1874. 
ZöPFi,  H.  Deutsche  Rechtsgeschichte.  3.  Aufl.  Stuttgart,  1858. 


L'ALLEMAGNE  Au  TEMPS  DE  LA  REFOUME 


L'ALLEMAGNE 

A    LA    FIN   DU   MOYEN    AGE 


INTRODUCTION 

ÉTAT  INTELLECTUEL  DE  L'ALLEMAGNE  AU  DÉCLIN  DU  MOYEN  AGE. 

La  vie  Intellectuelle  du  peuple  allemand,  et  celle  du  peuple  chrétien 
en  général,  entrèrent,  à  partir  de  la  seconde  moitié  du  quinzième 
siècle,  dans  une  nouvelle  période  de  développement.  Une  révolution 
véritable  s'opéra  dans  le  monde  de  la  pensée  par  la  découverte 
de  Timprimerie  et  grâce  à  l'emploi  de  ces  caractères  coulés,  mobiles, 
détachés  les  uns  des  autres,  qui  rendaient  désormais  facile  la  repro- 
duction de  tous  les  manuscrits.  Cette  découverte  d'une  incalculable 
portée,  cet  instrument  puissant  de  civilisation,  allait  en  effet  con- 
server et  répandre  toutes  les  productions  de  l'intelligence  humaine, 
provoquer  et  activer  la  manifestation  des  idées  en  facilitant  leur 
échange.  Les  relations  entre  les  savants  allaient  se  multiplier,  les 
arts  et  les  sciences  devenir  accessibles  à  toutes  les  classes  de  la 
société;  en  un  mot,  suivant  l'expression  d'un  contemporain  de  Guten- 
berg,  "  l'imprimerie  allait  mettre  au  service  de  la  liberté  humaine 
un  glaive  tout-puissant,  un  glaive  à  deux  tranchants,  pouvant  servir 
au  bien  comme  au  mal,  aux  luttes  pour  la  vertu  et  pour  la  vérité, 
comme  aux  combats  du  vice  et  de  l'erreur  ". 

En  Allemagne,  les  premiers  progrès  de  l'imprimerie  secondèrent 
les  efforts,  la  féconde  activité  d'un  homme  de  génie,  Nicolas  de 
Cusa.  Ce  grand  esprit,  soit  que  nous  voyions  en  lui  le  réformateur 
ecclésiastique  et  le  restaurateur  des  sciences  naturelles,  soit  que 
nous  le  considérions  comme  homme  d'État,  nous  apparaît  comme 
un  géant  intellectuel  au  déclin  du  moyen  âge. 

1 


2  INTRODUCTION. 

I.e  cardinal  Nicolas  Krebs,  surnommé  Cusanus,  était  fils  d'un  pé- 
dieur  des  bords  de  la  Moselle  et  naquit  à  Cues,  près  de  Trêves.  Les 
réformes  ecclésiastiques  qu'il  entreprit  en  Allemagne  sur  l'ordre  du 
Pape  (1451),  partaient  toutes  de  ce  principe  -  qu'il  ne  faut  ni  fouler 
aux  pieds  ni  détruire,  mais  au  contraire  purifier  et  renouveler,  et 
que  ce  n'est  pas  à  l'homme  à  changer  ce  qui  est  saint,  mais  bien  à 
ce  qui  est  saint  de  changer  l'homme  >• .  Fidèle  à  cette  pensée,  il  com- 
mença tout  d'abord  par  se  réformer  lui-même,  et  bientôt  ses  con- 
temporains purent  dire  de  lui  "  qu'il  était  le  miroir  de  toutes  les 
vertus  sacerdotales  -.  11  annonçait  la  parole  de  Dieu  au  clergé  comme 
au  peuple;  mais  ce  qu'il  enseignait,  il  ne  manquait  pas  de  le  pratiquer 
lui-même,  et  son  exemple  prêchait  plus  éloquemment  encore  que  sa 
parole.  Simple  et  sans  faste,  infatigable  au  travail,  enseignant  et 
châtiant,  consolant  et  relevant,  véritable  père  des  pauvres,  il  par- 
courut l'Allemagne  d'une  extrémité  à  l'autre  durant  un  bon  nombre 
d'années,  rétablissant  l'ordre  dans  la  discipline  ecclésia.^tique,  qut 
depuis  longtemps  était  tombée  dans  un  grave  relâchement.  Il  releva 
autant  qu'il  le  put  dans  les  séminaires  l'éducation,  qui  alors  y  était 
très-abaissée,  et  propagea  parmi  le  peuple  l'enseignement  du  caté- 
chisme. Il  exerça  une  surveillance  active  sur  les  prédications,  s'oppo- 
sant  avec  une  inflexible  rigueur  aux  grands  abus  qui  s'y  rencontraient. 
Il  assembla  des  conciles  provinciaux  à  Salzbourg,  à  Magdebourg,  à 
Mayence  et  à  Cologne,  et  par  la  remise  en  usage  de  semblables 
assemblées  comme  par  les  sages  ordonnances  intimées  aux  monas- 
tères dont  il  faisait  la  visite,  il  contribua  puissamment  a  affermir  et 
à  assurer  l'amélioration  qui  se  produisit  insensiblement  dans  la  dis- 
cipline de  l'Église.  Le  projet  de  réforme  générale  qu'il  élabora  et 
présenta  au  pape  Pie  II,  est  admirable.  Le  cardinal  convient  fran- 
chement des  abus  existants,  et,  sans  vouloir  aucunement  toucher  à 
l'organisme  de  l'Église,  il  apporte  un  zèle  plein  d'intelligence  à 
signaler  le  mal  et  à  provoquer  la  réforme.  Or,  cette  réforme,  il 
rétendait  à  tous  les  degrés  de  la  hiérarchie,  et  lui  faisait  traverser 
la  cour  de  Rome  comme  le  plus  humble  monastère. 

;<  Nicolas  de  Cusa,  écrivait  à  la  fin  du  siècle  l'abbé  JeanTrithème, 
apparut  en  Allemagne  au  milieu  de  la  perturbation  et  des  ténèbres, 
comme  un  ange  de  lumière  et  de  paix.  Il  rétablit  l'unité  de  l'Église, 
consolida  l'autorité  du  Souverain  Pontife  et  répandit  avec  abon- 
dance des  semences  de  vie  nouvelle.  Une  partie  de  ces  semences  n'a 
pu  germer  à  cause  de  l'endurcissement  des  cœurs,  une  autre  partie  a 
porté  des  fleurs,  il  est  vrai,  mais  elles  ont  promptemeut  péri  à  cause 
de  la  négligence  et  de  la  lâcheté  des  hommes.  Enfin  une  bonne  par- 
tie a  porté  des  fruits  abondants  que  nous  récoltons  encore  aujour- 
d'hui, n  Nicolas  de  Cusa  était  un  homme  de  foi  et  de  charité,  un 


NICOLAS    DE    C  USA.  3 

vérilablc  ap6lre  de  pieté  et  de  science.  Son  inlellifjencc  embrassait 
toiiles  les  connaissances  de  l'esprit  humain,  mais  tout  sou  savoir  ne 
venait  que  de  Dieu,  et  il  ne  voiilail  l'employer  qu'à  sa  {jloire,  à  l'édi- 
ficalion  et  au  perfectionnement  des  âmes.  Aussi  l'on  puise  dans  ses 
écrits  une  science  et  une  sagesse  admirablement  pures.  -■  Savoir 
et  penser,  voir  des  yeux  de  l'esprit  la  vérilé,  disait-il,  voilà  le  vrai 
bonheur.  Plus  ou  avance  en  âge,  plus  ce  bonheur  grandit,  et  plus  ou 
s'applique  à  chercher  la  vérité,  plus  ou  se  sent  enflammé  du  désir  de 
la  posséder.  '  '  De  même  (jue  le  co'ur  ne  vit  en  réalité  qu'autant 
qu'il  aime,  de  même  c'est  la  vie  de  l'esprit  que  de  tendre  à  la  science 
et  à  la  vérité.  Au  milieu  des  agitations  politiques,  parmi  les  travaux 
de  cha(pie  jour,  dans  toules  les  contradictions  de  ce  monde,  portons 
hardiment  et  librement  nos  regards  vers  les  rég:ious  lumineuses  du 
ciel.  Élevons-nous  jusqu'à  la  source  de  toute  vérité  et  de  toute  beauté. 
Il  est  bon  d'étudier  son  propre  esprit  et  les  diverses  productions  de 
l'intelligence  humaine  durant  le  cours  des  siècles.  11  faut  observer  la 
nature  qui  nous  environne  et  toujours  mieux  la  pénétrer  et  l'appro- 
fondir; mais,  en  nous  livrant  à  ces  différentes  études,  nous  ne  devons 
pas  perdre  de  vue  cette  vérité  fondamentale  :  qu'on  ne  devient  grand 
que  par  l'humilité,  et  que  la  science  et  les  lumières  de  l'esprit  ne  ser- 
vent point  à  celui  qui  n'en  fait  pas  la  règle  de  ses  actions  et  de  sa  vie.  ' 

La  véritable  sphère  d'idées  du  cardinal,  c'était  la  philosophie  spécu- 
lative. Elle  fit  de  lui  le  régénérateur  des  sciences  sacrées.  Son  système 
de  théologie  et  de  philosophie  conciliait  les  tendances  diverses  qui 
s'étaient  jusque-là  combattues  au  sein  de  l'école  scolastique.  Ce  sys- 
tème, par  l'originalité  et  la  profondeur  des  pensées,  par  le  calme  et 
la  lucidité  avec  lesquels  les  divers  sujets  y  sont  exposés,  puis  com- 
binés dans  un  tout  harmonieux,  peut  être  comparé  aux  puissants 
monuments  élevés  en  Allemagne  par  l'art  chrétien  à  la  même  époque. 
Le  cardinal  de  Cusa  aida  aussi  à  une  plus  claire  intelligence  des  grands 
maîtres  de  la  scolastique  ancienne;  il  tira  le  mysticisme  des  bas-fonds 
du  panthéisme,  et  marqua  les  limites  précises  autant  que  lumineuses 
qui  empêchent  de  confondre  Dieu  avec  le  monde.  Enfin  il  aplanit  la 
voie  à  une  démonstration  plus  scientifique  des  vérités  de  la  foi.  Mais 
ce  qui  se  révèle  le  plus  à  nous  dans  l'effort  célèbre  qu'il  a  tenté, 
c'est  son  esprit  véritablement  philosophique,  c'est  son  âme,  pénétrée 
de  la  plus  pure  charité  chrétienne.  Il  ne  se  proposait  rien  moins  que 
de  ramener  toutes  les  discussions  religieuses  sur  un  terrain  pacifique, 
de  rétablir  dans  le  royaume  de  la  foi  la  paix  universelle,  et  de  réunir 
l'humanité  tout  entière  sous  la  protection  de  la  religion  catholique 
romaine. 

Son  activité  ne  fut  pas  moins  féconde  dans  le  domaine  des  sciences 
naturelles,  surtout  dans  la  physique  et  dans  les  mathématiques.  Près 

1. 


4  INTRODUCTION. 

d'un  siècle  avant  Copernic  il  eut  assez  de  hardiesse  et  de  liberté 
d'esprit  pour  attribuer  à  la  terre  le  double  mouvement  qui  la  fait 
tourner  sur  elle-même  et  avancer  en  même  temps  dans  l'espace.  Il 
composa  un  écrit  plein  de  savoir  sur  la  nécessité  de  rectifier  le  calen- 
drier julien,  et  ouvrit  la  voie  aux  astronomes  qui  bientôt  après 
amenèrent  une  révolution  si  complète  dans  les  idées  qu'on  se  faisait 
alors  des  corps  célestes  et  des  lois  qui  les  régissent.  Par  les  relations 
personnelles  qu'il  entretenait  avec  Georges  de  Peurbach  et  ,lean 
Müller,  il  féconda  le  génie  de  ces  grands  rénovateurs  de  l'étude  de 
la  nature,  qui,  en  faisant  procéder  leur  savoir  de  l'observation  directe 
des  phénomènes  naturels,  établirent  la  science  de  l'astronomie  sur 
les  bases  du  calcul.  Aicolas  de  Cusa  releva  aussi  en  Allemagne  les 
études  classiques.  Grâce  à  lui,  on  étudia  plus  à  fond  ces  chefs-d'œuvre 
de  l'antiquité  "  où  l'on  voit  s'unir  si  harmonieusement  l'esprit  et  le 
naturel,  le  libre  essor  de  la  pensée  et  la  mesure  ".  Sa  prédilection 
pour  les  auteurs  classiques,  qu'il  avait  lus  autrefois  avec  ardeur  au 
collège  des  "  Frères  de  la  vie  commune  »,  à  Deventer,  avait  encore 
grandi  en  Italie,  où  il  acquit  une  connaissance  très-approfondie  de  la 
langue  grecque.  Un  conmierce  assidu  avec  Platon  et  Aristote  changea 
alors  ce  goût  marqué  en  un  enthousiasme  -  qui  n'avait  de  repos  que 
lorsqu'il  pouvait  se  communiquer  au  plus  grand  nombre  possible  de 
personnes  •.  Il  travailla  avec  une  infatigable  activité  à  remettre  en 
honneur  l'étude  de  ces  philosophes.  Il  les  trouvait  admirablement 
propres  à  former  les  esprits  et  à  démontrer  la  supériorité  de  la 
doctrine  évangélique  sur  tout  autre  enseignement.  Il  était  plein 
d'affabilité,  d'une  encourageante  bonté  lorsqu'il  se  trouvait  au 
milieu  de  ses  élèves  avides  de  profiter  de  ses  leçons,  et  se  montrait 
toujours  disposé  à  les  aider  de  ses  avis  et  de  ses  explications,  alors 
même  qu'il  était  le  plus  accablé  sous  le  poids  des  devoirs  particuliers 
de  sa  charge.  Trithème  nous  apprend  qu'une  riche  collection  de 
manuscrits  grecs,  qu'il  avait  réunie  dans  un  voyage  à  Constantinoplc, 
devait  être  publiée  par  ses  soins  et  mise  à  la  disposition  du  public, 
l'année  même  où  il  termina  sa  laborieuse  et  féconde  carrière  (1467). 
Parmi  les  jeunes  gens  auxquels  il  avait  su  inspirer  par  ses  encoura- 
gements et  sa  bienveillante  sympathie  l'amour  des  études  classiques, 
Rodolphe  Agricola  est  celui  de  tous  qui  continua  plus  tard  avec  le 
plus  de  succès  son  œuvre  et  sa  pensée'. 

'  Extrait  des  œuvres  de  Sc.harpff,  le  Cardinalei  l'évèque  Nicolas  de  Cusa  (Mayence, 
1843);  Nicolas  de  Cusa.  réformateur  de  l'Eglise,  de  l'Empire  et  de  la  philosophie  [Tuhingue, 
J87]j,  —  j.  M.  Dux,  le  Cardinal  allemand  Nicolas  de  Cusa  et  l'Eglise  de  son  temps  (i\atis- 
bonne,  1847,  2  vol.).  —  F.  I.  Clemens,  Giordano  Bruno  et  Nicolas  de  Cusa  (Bonn,  1847). 
—  J.  Uebinger,  Philosophie  de  Nicolas  Cusanus  (Wurzbourg,  1880).  —  Grlbe,  .V^  de  Cusa 
dans  l'Allemagne  du  Norden  14.01  :  Histor.  Jahrb.  der  Görres  Gesellschaft  {Mnuster,  1880), 
t.  I,  p.  393,  412.  —  Literatur  Verzeichniss.  —  Chevalier,  Répertoire  des  sources  hislo- 


CARACTÈRE    f)  U    SIÈCLE    DE    LA    RÉFORME.  5 

Après  une  longue  période  de  stagnation  et  de  barbarie,  l'Alle- 
magne, vers  le  milieu  du  quinzième  siècle,  entra  dans  une  phase 
nouvelle,  et  la  vie  de  l'espril  y  prit  loul  à  coup  le  développement  le 
plus  heureux  et  le  plus  sain,  l'u  profond  besoin  de  culture  intellec- 
tuelle se  fit  sentir  dans  la  bourgeoisie  intelligente  et  prospère  de 
la  nation,  (le  besoiii  gagna  rapidement  loutes  les  classes  du  peuple, 
et  se  maniiesla  bieulùt  par  un  aclil"  et  lecond  mouvement.  Partout, 
dans  les  villes  comme  dans  les  campagnes,  de  nouvelles  écoles  furent 
établies,  les  anciennes  furent  améliorées.  On  chercha  à  donner  de 
fermes  assises  à  l'instruction  populaire  dans  un  système  scolaire  bien 
entendu.  Les  innouibrables  collèges,  le  grand  nombre  d'Universités 
qui  fureni  alors  fondés,  prouvent  l'ardent  et  puissant  besoin  d'ins- 
truction qui  s'emparait  de  tous  les  esprits.  Les  arts,  les  sciences,  dans 
leurs  branches  diverses,  progressaient  simultanément.  Des  hommes 
de  tout  îlge,  de  toute  condition,  devenaient  les  apùfres  zélés  du 
nouvel  élan  intellectuel.  ■■•  Ils  allaient,  dit  Wimpheling,  de  canton  eu 
canton,  de  pays  en  pays,  répandant  partout  la  bonne  nouvelle,  exaltant 
eu  tous  lieux  l'excellence  et  la  noblesse  des  arts  et  des  sciences,  et 
vantant  tous  les  bienfails  qu'on  peut  recevoir  par  leur  commerce.  ' 

Le  travail  de  l'esprit,  les  forces  des  intelligences  s'appuyant  sur  le 
ferme  sol  de  la  foi  chrétienne  et  s'inspirant  des  vues  de  l'Eglise, 
voilà  le  trait  le  plus  marqué  de  l'élan  vers  les  choses  intellectuelles 
qui  se  produisit  dans  les  esprits  à  cette  époque.  L'impulsion  donnée 
commença  au  milieu  du  quinzième  siècle,  et  dura  jusqu'à  l'apparition 
de  l'humanisme  moderne,  animé,  comme  on  le  sait,  d'un  tout  autre 
esprit,  et  hostile  à  l'Eglise. 

Celle  époque  fui  dans  l'histoire  de  notre  pays  l'une  des  plus  favo- 
rables au  développement  de  la  pensée,  l'une  des  plus  fertiles  en 
heureux  résultats.  L'Allemagne  parait  alors  inépuisablement  féconde 
en  hommes  remarquables,  nobles  de  caractère,  et  de  personnalité 
bien  tranchée.  Du  fond  de  leurs  collèges,  de  la  salle  de  cours  ou  ils 
enseignaient,  dans  les  paisibles  laboratoires  où  ils  cultivaient  les 
sciences  et  les  arts,  ces  hommes  donnèrent  l'impulsion  à  une  nou- 
velle vie  intellectuelle.  Chez  tous  ces  grands  esprits  la  crainte  de 
Dieu  était  le  commencement  de  la  sagesse.  Chrétiens  convaincus, 
humbles  croyants,  ils  n'en  étaient  pas  moins  indépendants  et  résolus. 
Leur  courage  ne  redoutait    rien,  et  leur  âme  énergique  et  forte 

riijucs  du  moijrn  âge  (Paris,  1880, t.  I,  roi.  16.31  et  ss.}.  —  Catalogw  de  la  Bibliothèque 
du  cardinal,  édité  par  Kraus,  dans  le  Scrapcum  1 1864,  p.  379).—  Thithemm  De  verasiu- 
diorum  rationc,  fol.  2.  —  Cette  œuvre. .malheureusement  incomplète,  dont  quelques 
pages  seulement  se  sont  conservées,  se  trouve  dans  le  Codex  saec  xvi',  prove- 
nant du  monastère  de  Camp  dans  le  Bas-Rhin.  Trithème  s'y  plaint  que  de 
cent  vingt-sept  abbayes  qui  avaient  promis  au  cardinal  la  stricte  observance, 
soixante-dix  seulement  y  soient  restées  fidèles  (1493).  Voy.  Soa\EEGA>s,p.  I5Ô-289- 


6  INTRODUCTION. 

était  en  même  temps  d'ime  sensibilité  profonde.  Ils  furent  les  pre- 
miers à  signaler  hardiment  les  vices  et  les  abus  qui  s'étaient  intro- 
duits dans  l'Église.  Leur  attachement  à  cette  Église  unique  et  univer- 
selle les  incitait  incessamment  à  favoriser  l'active  et  sage  réforme 
ecclésiastique  que  Nicolas  de  Cusa  avait  commencée  sur  le  sol  alle- 
mand. Leur  amour  pour  l'Église  ennoblissait  et  grandissait  leur  amour 
pour  leurs  concitoyens  et  leur  patrie.  Il  enflammait  leur  dévouement 
pour  r  i<  empereur  romain  de  nation  germanique  -.  Afin  de  soutenir 
la  puissance  et  la  gloire  de  cet  empereur,  ils  luttaient  avec  fermeté 
contre  l'ambition  accaparante,  la  soif  de  domination  des  princes, 
lis  désiraient  voir  renaître  l'ancienne  unité;  mais  le  sentiment  de 
l'intérêt  particulier  de  la  province  a  laquelle  ils  appartenaient  n'était 
pas  moins  profond  en  leur  âme,  et  dans  le  progrès  même  qu'ils 
rêvaient,  ils  souhaitaient  pour  chaque  conirée  de  l'Empire  l'indé- 
pendance et  le  droit  d'exister  personnellement.  Ce  droit,  ils  le  récla- 
maient aussi  dans  le  développement  de  l'instruction.  Soumis  comme 
Allemands  à  l'Empereur,  citoyens  de  l'Empire,  ils  se  sentaient  séparés 
des  autres  nations,  mais  vivant  en  même  temps  sous  la  protection  et 
l'autorité  de  l'Église  universelle;  la  conscience  de  cette  existence 
distincte  n'avait  jamais  pour  conséquence  une  inimitié  nationale, 
encore  moins  une  haine  héréditaire  pour  les  autres  peuples.  Ils 
n'éprouvaient  qu'un  seul  sentiment  à  leur  égard  :  le  désir  de  les 
surpasser  dans  tout  ce  qui  élait  bon  et  désirable. 

L'échange  des  idées,  les  rapports  fréquents  entre  les  professeurs, 
les  savants,  les  artistes  allemands  et  ceux  des  autres  nations  étaient 
très-actifs,  et  constituaient  un  puissant  moyen  de  progrès  pour  la 
civilisation,  les  sciences  et  les  arts.  Les  hautes  écoles  avaient  un  carac- 
tère essentiellement  international,  et  loin  de  diviser  les  peuples,  la 
civilisation  les  unissait. 

Les  nations  chrétiennes  n'avaient  qu'un  ennemi  commun,  1' =  ennemi 
héréditaire  de  la  chrétienté  -,  le  Turc.  Combattre  ensemble  cet 
ennemi,  sous  les  yeux  du  chef  suprême  de  l'Église,  paraissait  à  tous 
les  grands  hommes  d'alors  l'un  des  devoirs  les  plus  essentiels  des 
peuples  chrétiens. 

L'admirable  développement  de  la  vie  intellectuelle  à  cette  époque 
n'eût  pas  été  possible  sans  une  croyance  alors  fermement  enracinée  dans 
les  consciences,  celle  de  l'efficacité  des  bonnes  œuvres  pour  le  salut. 
D'une  part,  cette  doctrine,  appliquée  dans  la  pratique,  grâce  à  d'innom- 
brables legs  pieux,  créait  des  hôpitaux,  des  orphelinats,  des  établis- 
sements pour  les  pauvres  ;  de  l'autre,  elle  élevait  des  cathédi'ales,  des 
églises,  parait  des  plus  nobles  œuvres  d'art  la  maison  de  Dieu  dans  les 
villes  et  dans  les  campagnes,  et  fondait  en  même  temps  des  établisse- 
ments scolaires,  des  Universités,  enrichis  de  dotations  nombreuses. 


LIVRE   PREMIER 

L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 


CHAPITRE   PREMIER 

DIFFUSION    DE    l/ I  MF  RIM  ERIE '. 

«  Aucune  découverte,  aucun  progrès  intellectuel  ne  peut  nous 
rendre  fiers  à  plus  juste  titre,  nous  autres  Allemands,  que  Tinventioa 
de  rimprimerie.  Grâce  à  elle,  en  effet,  l'Allemagne  a  propagé  en  tous 
lieux  la  doctrine  chrétienne  et  les  sciences  divines  et  humaines  ;  elle 
est  ainsi  devenue  la  bienfaitrice  de  l'humanité  tout  entière.  Qu'elle  est 
bien  autrement  active  que  celle  d'autrefois,  la  vie  qui  se  manifeste 
maintenant  dans  toutes  les  classes  de  la  société!  Et  qui  ne  penserait 
avec  gratitude  à  ceux  qui  découvrirent  et  propagèrent  les  premiers 
l'art  merveilleux  de  la  typographie!  Ouel  est  celui  d'entre  nous  qui 
pourrait  ne  pas  leur  donner  un  souvenir  reconnaissant,  même  s'il 
n'a  pas  eu  comme  nous  l'honneur  d'entretenir  avec  eux  des  rap- 
ports personnels^?  " 

"  L'imprimerie  qu'on  vient  de  découvrir  à  Mayence  est  l'art  des 
arts,  la  science  des  sciences.  Grâce  à  sa  rapide  diffusion,  le  monde  a 
été  doté  d'un  magnifique  trésor,  jusque-là  enfoui,  de  sagesse  et  de 
science.  Un  nombre  infini  d'ouvrages  que  très-peu  d'étudiants  pou- 
vaient seuls  consulter  autrefois  à  Paris,  à  Athènes,  et  dans  les  biblio- 
thèques d'autres  grandes  villes  universitaires,  sont  maintenant  tra- 
duits dans  toutes  les  langues,  et  répandus  parmi  toutes  les  nations 
du  monde"'.  » 

'  Pour  ce  qui  concerne  les  inventeurs  de  l'imprimerie  et  l'histoire  de  cette 
grande  découverte,  voy.  ie  savant  ouvrage  de  V.  D.  Linde  sur  Gutenberg  et  Faul- 
mann,  p.  11-126.  Dans  l'importante  quesiion  de  savoir  où  gît  précisément  le  point 
essentiel  de  l'invention,  il  est  d'un  autre  avis  que  Gensfleiscli. 

■^Jacques  vviMPHFLiNG,  De  arte  impressoria.  Cette  dissertation  si  intéressante 
nous  a  été  communiquée  par  le  R.  P.  Jandel,  prieur  des  Dominicains  à  Rome. 

'  Werner  Folewinck,  dans  le  Fasciculus  temporum,  édition  Hain,  n»  6915. 


ö  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

'•  Que  d'élévations  vers  Dieu,  que  d'intimes  sentiments  de  dévotion 
ne  doil-on  pas  à  la  lecture  de  tant  de  livres  dont  l'imprimerie  nous 
a  dotés!  Que  de  précieuses  et  saintes  exhortations  se  trouvent  dans 
les  sermons  qu'on  publie!  Quelles  f, races  Dieu  ne  fera-t-il  pas  à 
ceux  qui  impriment  des  livres,  ou  aident  d'une  façon  quelconque  à 
ce  travail?  Pour  ceux  qui  aiment  les  arts  et  la  gloire,  voici  venir  l'âge 
d'or,  le  temps  de  la  félicité!  Ils  pourront  désormais  enrichir  le 
champ  de  leur  intelligence  de  nombreuses  et  précieuses  semences  ! 
Leur  esprit  va  s'illuminer  de  divins  rayons!  Quant  à  ceux  qui  n'aiment 
ni  leur  àme  ni  la  gloire,  je  dirai  seulement  que,  s'ils  le  veulent,  ils 
peuvent  avec  moitié  moins  de  peine  qu'autrefois  apprendre  en  un 
court  espace  de  temps  ce  qu'on  apprenait  jadis  en  bien  des  années  '.■' 

C'est  ainsi  que  s'exprimaient  les  contemporains  sur  la  nouvelle 
découverte. 

Dès  1507,  Wimpheling  disait  que  rien  ne  pouvait  faire  mieux 
comprendre  la  diversité  et  l'activité  du  mouvement  intellectuel  qui 
se  produisait  alors  en  Allemagne,  qu'un  coup  d'œil  jeté  sur  la  rapide 
extension  de  l'imprimerie.  En  un  très-petit  nombre  d'années,  en 
effet,  elle  avait  doté  toutes  les  grandes  et  beaucoup  de  petites  villes 
de  véritables  ateliers  intellectuels,  et  les  Allemands  avaient  porté 
le  nouvel  art  en  Italie,  en  France,  en  Espagne  et  jusque  dans 
l'extrême  Nord.  Lorsque,  après  la  conquête  de  Mayeuce  par  l'arche- 
vêque Adolphe  de  Nassau  (14f52),  le  «  merveilleux  secret  >;  fut  divul- 
gué, il  se  répandit  dans  toute  l'Europe,  et  l'imprimerie  prit  un  si 
prodigieux  développement  que  de  1102  à  lôOO  on  a  conservé  le  nom 
de  plus  de  mille  imprimeurs,  pour  hi  plupart  Allemands  d'origine  -. 
A  Mayeuce,  dès  la  période  des  incunables,  on  comptait  cinq  ateliers 
de  typographie,  six  à  Ulm,  seize  à  Bàle,  vingt  à  Augsbourg,  vingt 
et  un  à  Cologne  ^  A  Nuremberg,  antérieurement  à  lôOO,  vingt-cinq 
imprimeurs  reçurent  le  droit  de  bourgeoisie*.  Le  plus  célèbre  d'entre 
eux,  établi  à  Nuremberg  depuis  1470,  Anthoni  Koburger,  occupait 
vingt-quatre  presses  et  plus  de  cent  <  compagnons  ",  formant  dans 
ses  ateliers  le  personnel  des  compositeurs,  correcteurs,  pressiers, 
metteurs  en  pages,  relieurs  et  enlumineurs  \  En  outre,  il  faisait 
imprimer  dans  d'autres  villes,  et  notamment  à  Bàle,  Strasbourg  et 
Lyon.  Jean  Schonsperger  faisait  preuve  à  Augsbourg  d'une  activité 
presque  égale,    comme   aussi  à  Bàle,  Jean  Amerbach,  Wolfgang 

'  chronique  de  Koellioff,  édité  par  Cardauns  dans  les  Chroniken  der  deutschen 
Städte,  t.  XIV,  p.  792,  794. 

-  Voyez- en  la  liste  dans  Falkensteix,  p.  383.  393.  V^oy.  Reichhard,  p.  25,  35. 

=»SCHVU!,  t.  m,  p.  421,  423.  Gr^S.SE,  III.  p.  157-163.  Enncii.  t.  III,  p.  1034-1043. 
Sur  les  imprimés  du  quinzième  siècle  consultez  Faulmann.  p.  197-232. 

*  Baader,  An:.eiger  fur  die  Kunde  deutscher  Vorzeit,  t.  VII,  p.  119-120. 

'  Hase,  4-23.  —  Faulma»,  p.  178,  179. 


DIFFUSION    DE    I,'IMPIiIM[:r,  II-:.  9 

Lncliner  cl  Jean  Fro!)en.  Ce  dernier  fui  un  des  plus  savants  typo- 
graphes qui  aieni  jamais  existé  '.  Parmi  les  liommcs  remarquables 
de  ce  temps,  bcaucoi'.p  mirent  leurs  capacilcs  au  service  du  perfec- 
tionnement de  la  typojjrapliic.  Dès  1471,  le  célèbre  imprimeur 
Conrad  Schweinlieim  commençait  à  imprimer  sur  planches  métal- 
liques des  cartes  de  géographie.  En  1182,  Erhard  Tiatdolt  essayait 
pour  la  |)reniière  fois  de  multiplier  par  la  presse  les  figures  de  géo- 
métrie et  d'architecture,  tandis  qu'Erhard  OEglin  inventait  l'art 
d'imprimer  les  notes  de  musique  au  moyen  de  caractères  mo- 
biles'-. 

Pendant  qu'un  si  heureux  mouvement  se  produisait  en  Allema- 
gne, les  imprimeries  allcuiandes  portaient  la  grande  découverte  à 
Subiaco,  Rome,  Sienne,  Venise,  Foligno,  Pérouse,  Modène,  Ascoli, 
Urbin,  Naplcs,  Messine  e(  Palerme.  Avant  1 1  fin  du  quinzième  siècle, 
on  comptait  eu  Italie  plus  de  cent  imprimeries  allemandes  K  C'est 
à  un  imprimeur  de  Mayence,  Jean  Aeumeisicr,  que  l'Italie  doit  la 
première  édition  de  la  Divine  Comédie  (1-1 72j.  La  première  édition 
du  même  ouvrage  accompagnée  d'un  commentaire  est  aussi  sortie 
des. presses  allemandes'  (1181). 

Les  progrès  de  l'imprimerie  furent  presque  aussi  rapides  en  Espagne 
et  en  France,  grâce  aux  imprimeurs  allemands.  S'il  faut  en  croire 
Lope  de  Vega,  on  comptait  en  lôOO  trente  presses  établies  par  eux  à 
Valence,  Saragosse,  Séville,  Barcelone,  Tolosa,  Salamanque,  Burgos 
et  dans  d'autres  villes  encore.  Là  travaillaient  ces  hommes  que  Lope 
de  Vega  appelait  les  >■  armuriers  de  la  civilisation  =  •'.  Jérôme  Münzer, 
médecin  de  ISuremberg,  qui  visita  l'Espagne  en  1494,  trouva  établis 
à  Grenade,  délivrée  depuis  deux  ans  seulement  du  joug  des  Arabes 
et  en  partie  encore  peuplée  par  eux,  trois  imprimeurs  allemands, 

•  Stockmvyeu  et  Rkrek,  p.  86-J15.  Les  ouvrages  sortis  des  presses  de  l'inipri- 
nieijr  \iennois  Jean  Wiiiterbiirgei'  il492,  1519j  sont  à  peu  de  chose  près  égaux 
aux  nieilleurs  produits  des  imprimeries  de  Bûle,  Nuremberg  et  Augshourg. 
Voy.  U'ieii's  linchdruckcr  Geschichte,  de  A.  Mayeii,  1482-1882,  dans  la  première 
partie  du  tome  premier  i  Vienne,  1882). 

-  Invention  indépendante   de   celle  d'Ottaviano   dei  Petrucci.    Voy.  Amhuos. 
p.  190-199.  —  Sur  OEglin,  voy.  aussi  (lEaiiEUGrtv,  p.  41-42. 
3  Gr-esse,  III,  a.  p.  197-217.  Sur  les  premiers  imprimeurs  de  Subiaco   et    de 

Home,  voy.  Anßützc  -mi-  Geschichte  des  Duchhnndtls  im  xvi  Jnhrhiiinlcrt,  par  E.  FnOM- 
M\N,  -2^  livraison  (Italie,  lena,  1881).  F.vulmann,  p.  174,  182. 

*  Voy.  P.ELMONT,  t.  II,  p.  48.  —  F.iELMVNN.  p.  179.  A  partir  de  la  seconde  moitié 
du  quinzième  siècle,  on  voit  aussi  établis  en  Italie  beaucoup  de  copistes  et 
d'enlumineurs  allemands.  —  Voyez-en  la  liste  dans  V  Anzeiger  fur  die  Kunde  deutscher 
iorzeii,  16,  75.  76. 

^  Grosse,  III,  p.  225,  229.  —  F.vlkensteix,  p.  291-295.  Welzenbach,  p.  12.3- 
129.  —  Verzeichniss  deutscher  Dniclcr  in  Spanien  u.id  Portug/il.  de  V0.\  der  I.ivde. 
Pour  la  France,  voy.  l'excellent  ouvrage  de  Clvldin,  Antiquités  typographiques 
de  lu  France,  Origines  de  l  imprimerie  à  Alby  (1480-1484),  et  les  Pérégrinations  de 
J .  .Veumcister,  compagnon  de  Gulenberg  (Paris,  1880). 


tO  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

l'un  de  Strasbourg]?,  Tautre  de  Spire,  et  le  troisième  de  Gerleshofen'. 
Deux  autres  imprimeurs  originaires  de  Strasbourg-  et  de  Nordlingen 
allèrent  môme  se  fixer  à  Saint-Tbomé,  ile  malsaine  de  TAfrique,  dans 
le  golfe  de  (iuinée-. 

En  1Ô03,  Valentin  Ferdinand,  imprimeur  allemand  en  Portugal, 
fut  nommé  écuyer  de  la  reine  Eleonore,  et  le  roi  Jean  II  lui  accorda, 
ainsi  qu  à  ses  confrères,  droit  de  gentilbomme  dans  la  maison 
royale^  En  1516,  l'imprimeur  allemand  Hermann  von  Kempen  publia 
à  Lisbonne,  par  ordre  du  roi  don  Emmanuel,  le  Cancioneiro  de  Gar- 
cia de  Resende.  C'est  une  collcclion  complète  des  poésies  composées 
par  les  poètes  de  la  cour  à  cette  époque,  œuvre  très-importante  pour 
l'histoire  de  la  littérature  portugaise. 

A  Bude  r  ~:  art  allemand  "  fut  importé  en  1473,  à  Londres  en  1477, 
à  Oxford  en  1478,  en  Danemark  en  1482,  à  Stockholm  en  1483,  en 
Moravie  en  1486,  à  Constantinople  en  1490'.  "  Comme  les  apôtres 
du  Christ  s'en  allaient  autrefois  par  tout  le  monde  annonçant  la 
Bonne  Nouvelle  :•,  dit  Wimpheling,  >  ainsi  de  nos  jours  les  disciples 
du  saint  art  se  répandent  dans  toutes  les  contrées,  et  leurs  livres 
sont  comme  les  hérauts  de  l'Évangile  et  les  prédicateurs  de  la  vérité 
et  de  la  science  ^  • 

■  11  n'y  a  pas  aujourd'hui  d'homme  sensé  qui  ne  puisse  apprécier 
les  services  rendus  à  toutes  les  classes  de  la  société  par  l'art  de  l'im- 
primerie '!,  écrivait  en  1487  Adolphe  Occo,  médecin  de  l'archevêque 
d'Augsbourg  Frédéric,  à  l'imprimeur  Ratdolt.  Elle  a  vraiment  illu- 
miné ce  siècle,  grâce  à  la  miséricorde  du  Tout-Puissant.  Mais  c'est  sur- 
tout la  sainte  Épouse  de  .lésus-Christ,  l'Église  catholique,  qui  lui  est 
particulièrement  obligée.  Cette  découverte,  qui  lui  a  donné  une  gloire 
nouvelle,  et  l'a  dotée  de  tant  de  livres  remplis  d'une  science  divine, 
lui  permet  d'allerplus  richement  parée  à  la  rencontre  de  son  Époux '^.» 

Les  esprits  supérieurs  de  l'époque  ne  voyaient  pas  seulement 
dans  l'art  nouveau  la  source  de  grands  avantages  matériels,  ils  le 

'  Klnstmwn,  p.  298. 

-  Id.,  p.  360. 

^  (Jhillvxy,  p.  3Ö-36.  note. 

*  Voy.  Rf.ichard,  p.  .3-20.  —  Vander  Linde,  p.  109-110.—  Gn.ïSSE,  3  a  p.  259,261- 
264.  —  Falk,  BnicHiinst  16  llulskamp,  Literarischer,  Anweiscr,  1879.  n"  254.  —  Faul- 
MANN,  p.  171,  191,  193.  —  Sur  les  services  rendus  par  les  Westphaliens  à  la  typo- 
graphie, voy.  NoRDFioFF,  Htimaivsmtts ,  p.  129-133.  —  Les  recherches  les  plus 
récentes  semblent  établir  que  l'imprimerie  de  Cologne  a  été  la  mère  des  impri- 
meries hollandaises  et  anglaises.  Vov.  Van  der  Linde,  p.  259.  —  Reichli.ng, 
p.  290-292. 

'  De  arte  impreswria.  fol.  6. 

"  Occo  considère  aussi  les  livres  comme  des  joyaux  et  des  pierres  précieuses 
ornant  le  vêtement  de  l'Épouse  du  Christ.  Falk,  DrucJdnnst,  p.  8. 


lîUT    DE    L'IMPRIMERIE.    —    COOPÉRATION    DU    CLERGK.        II 

consi(I(^i*aicnt  comme  un  instrumcnf  puissant  qui  dcvail  servir  à  la 
fois  les  intértUs  de  TK^ylise  cl  ceux  de  la  science  et  de  la  civilisation. 
Aussi  les  «  Frt'res  de  la  vie  commune  "  établis  à  Rostock,  dans  un  de 
leurs  premiers  imprimés  (t  i70),  appellent-ils  la  typo{',rapliic  la  inrre 
commune  de  toutes  les  sciences,  Tauxilialrice  de  rÉp,lise  •.  Kux-mèmes 
se  qualifiaient  de  <  prêtres  de  Dieu  ■••  enseignant  non  par  la  parole 
parlée,  mais  par  la  parole  écrite  '.  Aussi  les  évèques  accordaient- 
ils  souvent  des  induljjences  à  ceux  (pii  répandaient  et  vendaient 
des  livres ^  La  même  conviction  faisait  des  membres  du  clergé 
les  promoteurs  les  plus  zélés,  comme  les  plus  compétents  de  l'art 
nouveau.  De  tous  côtés,  dans  les  couvents,  des  presses  étaient  établies. 
En  1170,  nous  voyons  une  imprimerie  s'ouvrir  chez  les  chanoines 
réguliers  de  Beromiinster,  en  Argovie;  en  1472,  chez  les  Bénédictins 
des  Saints  Clrich  et  Afra  à  Augsbourg;  en  1474,  chez  les  religieux  du 
même  Ordre  à  Bamberg;  en  1475,  chez  ceux  de  Blaubeuren;  en  1478, 
chez  les  Prémontrés  de  Schussenried;  en  1479,  chez  les  ermites 
augustins  de  Nuremberg  et  chez  les  Bénédictins  de  Saint-Pierre  à 
Erfurts  A  Bâle,  les  Frères  mineurs  et  lesCliartreux  s'étaient  faits  les 
plus  actifs  callaborateurs  de  .Jean  Araerbach'.  Le  scolasfique  alle- 
mand Jean  Heyulin  von  Stein  amena  à  Paris  les  premiers  imprimeurs 
appelés  communément  «  Frères  allemands    ,  et  les  seconda  aclive- 


'  Non  verbo,  sed  scripto  predicantes.  Voy.  Lisch,  p.  45-4(5.  C'est  aussi  ce 
qui  fait  dire  au  Bénédictin  de  Liesborn  Bernard  Witte,  dans  son  Hist.  ll'esipha- 
/ifie,  p.  559  :  ■  Oua  cerlc  nulla  in  mundo  ars  diftnior.  nulla  laudabilior,  aut  pro- 
fecto  utilior  sive  divinior  aut  sanctior  esse  unquani  potuisset.  L'arclievèque 
de  Mayence,  Berlhold  de  Ilenneberfî,  parle  de  la  divina  qua'dam  ars  inipri- 
inendi  ' .  —  Voy.  J'alk,  U'issciischa/t  und  /ùmsl  /un  Milldihcin,  in  den  Hislor.  Pol., 
p.  7",  296. 

-  VVELZENB.iCH,   p.  153-158.  FvLK,  Dnicf.luiisi,  p.  22. 

^  Voyez  sur  cette  imprimerie  et  sur  d'autres  imprimeries  de  monastères 
en  Allemagne  et  à  l'étranger,  la  thèse  approfondie  de  Falk  sur  l'imprimerie, 
foi.  9.  —  Voy.  aussi  Van  dei\  Linde,  p.  95,  97.  L'aclivile  littrraire  des  reli- 
gieux, dit  ce  dernier,  a  pris  comme  une  vie  nouvelle  au  milieu  du  quinzième 
siècle,  c'est-à-dire  à  l'époque  de  la  découverte  de  la  typographie,  grâce  aux 
efforts  intelligents  qui  suivirent  le  concile  de  Bàle.  »  Il  n'cst  donc  pas  éton- 
nant que  sous  la  dii'ectiou  d'abbés  zélés  pour  la  science,  les  moines,  de  très- 
bonne  heure,  aient  mis  à  profit  le  moyen  nouvellement  inventé  de  reproduire 
des  livres  par  la  typographie.  La  bonne  intelligence  qui  régnait  entre  les  mem- 
bres du  clergé  et  les  imprimeurs  facilita  dans  les  couvents  l'établissement 
de  nombreuses  presses  dès  le  quinzième  siècle.  Telle  est  l'origine,  comme 
•Schafarik  l'a  prouvé  (voyez  Scraprum,  ann.  1843,  p.  320;  ann.  1851,  p.  353),  de 
tous  les  imprimés  relatifs  à  l'ancien  slavon,  notamment  les  kyrilliques  de 
prêtres  et  moines  serbes  ou  bulgares.  Au  Monténégro,  on  trouve  une  impri- 
merie dans  un  monastère  dès  1493.  On  possède  des  i:nprimés  provenant  du 
couvent  de  Sainte-Brigitte  à  W^dstena,  en  Suède,  datant  de  1491.  L'imprimerie 
des  Sœurs  de  Saint-Dominique,  à  Florence,  a  produit,  de  1476  à  1484,  plus  de 
quatre-vingt-six  ouvrages.  Je  dois  ces  renseignements  aux  obligeantes  commu- 
nications de  M.  Van  der  Linde. 

*  Stockmayer  et  Reber,  p.  30-31. 


12  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

ment  dans  leurs  travaux  '.  un  professeur  de  théologie,  André 
Frisner,  exerça  le  premier  à  Leipzig  l'état  d'imprimeur  ^  et  c'est 
à  l'instigation  du  théologien  Paul  Scriptoris,  lecteur  des  Franciscains 
à  Tubingue,  que  cette  ville  a  dû  l'établissement  de  sa  première  presse^ 
(1498).  En  Italie,  le  monastère  bénédictin  de  Subiaco  ouvrit  ses 
portes  aux  premiers  imprimeurs  allemands.  Plus  tard,  c'est  sous  la 
direction  de  l'évêque  Giovan  Andrea  d'Aleria,  bibliothécaire  du  pape 
Sixte  IV,  que  ces  mêmes  imprimeurs  tirent  paraître  leurs  ouvrages. 
Le  célèbre  cardinal  Turre-Cremata  appela  d'Iugolstadt  à  Rome  le 
typographe  Ulrich  Hahn  (1466),  et  le  cardinal  Caraffa,  en  l'année  1469, 
fit  venir  dans  la  même  ville  Georges  Lauer,  de  Wiirzbourg'.  Ces  deux 
imprimeurs  trouvèrent  dans  les  biographes  pontificaux,  Campano  et 
Platina,  de  zélés  protecteurs.  En  (47."j,  on  comptait  déjà  à  Home  plus 
de  vingt  ateliers  de  typographie.  Avant  la  fin  du  siècle  on  estime 
que  le  nombre  des  ouvrages  qui  y  furent  imprimés  s'élève  ä  926.  Il 
n'est  que  juste  d'attribuer  surtout  aux  efforts  du  clergé  ce  résultat 
considérable*.  D'ailleurs,  prêtres  et  religieux  ne  se  contentaient  pas 
de  favoriser  les  progrès  de  l'invention  nouvelle  par  leur  coopération 
personnelle,  ils  lui  assuraient  encore  par  leurs  achats  considérables 
un  indispensable  soutien.  La  presque  totalité  des  ouvrages  imprimés 
en  Allemagne  pendant  le  quinzième  siècle  n'étaient  destinés  qu'à 
satisfaire  les  besoins  intellectuels  du  clergé,  et  c'est  après  que  l'élan 
eut  été  donné  par  lui,  que  le  goiH  des  livres  s'étendit  à  l'ensemble  du 
public  K 

Le  commerce  de  librairie  ne  fut  qu'une  continuation  et  une  exten- 
sion du  commerce  des  manuscrils.  Longtemps  avant  la  découverte 
de  l'imprimerie,  la  vente  de  ces  derniers  avait  pris  en  Allemagne,  où 
le  besoin  de  lire  était  très-répandu,  des  proportions  considérables  et 
toutes  les  allures  d'un  commerce  bien  réglé.  Dans  les  grands  centres 
de  commerce  et  dans  les  villes  libres  de  l'Empire  en  particulier,  des 
corporations  de  copistes  s'étaient  formées,  travaillant  moins  pour 
les  savants  que  pour  le  public  en  général.  Leurs  manuscrits,  don!  on 
faisait  déjcà  des  catalogues  en  due  forme,  étaient  livrés  à  des  mar- 


'  ViscHFu,  p.  161.  Sur  Ulrich  Gerinfï,  le  premier  imprimeur  de  Paris,  voy 
Aebi,  f'ie  Duchflrucl.erei  in  Bcroniunsicr,  p.  32-3G. 

-  VVrLZENnvcH,  p.  128. 

^  Stkiff,  p.  5,  35. 

*  Voy.  Serapeum.  13,  p.  242-249.  —  Weczenbach  ,  p.  12.3-124.  —  Relmont, 
Geschichte  der  Stadt  Rom,  3',  p.  347.  —  GftEGOnoviLS,  Geschichte  der  Stadt  Hom  im 
Mittelalter,  7,  p.  524-533. 

^  Ua.se,  p.  57-66.  —  F.\LK,  Dnicldunst,  p.  8-25.  Cet  ouvrage  renferme  une  nom- 
breuse liste  de  témoignages  relatifs  à  l'attitude  sympathique  et  désintéressée  du 
clergé  vis-à-vis  des  imprimeurs. 


l.IBliAiniE    A  (-1.  EM  A  MIE.  13 

chands  ambulants  qui  en  trouvaient  surtout  le  débit  aux  loires 
annuelles  et  aux  kermesses.  Vers  le  milieu  du  quinzième  siècle,  nous 
voyons  un  de  ces  marchands,  nommé  Dicpold  Lauber,  ouvrir  à 
Ha{;ucnau  une  boutique  abondamment  fournie.  Le  calali){j?ue  de  sa 
pacotille  nous  a  été  conservé.  On  y  voit  figurer  non-seulement  des 
auteurs  latins,  mais  encore  les  meilleures  ])roduclions  des  poètes 
allemands  du  moyen  àfje,  de  grandes  épopées,  de  petits  écrits  en 
prose,  des  récits  légendaires,  des  vies  de  saints,  des  livres  populaires, 
des  traités  de  médecine  à  l'usage  de  tous,  des  bibles  allemandes  rimées, 
des  formulaires  de  prières  et  d'édification.  La  variété  de  ce  catalogue 
montre  assez  que  dans  l'Allemagne  du  moyen  âge  les  livres  ne  s'adres- 
saient pas  seulement  aux  riches  et  aux  savants'.  Le  commerce  de  livres 
imprimés  se  développa  avec  une  telle  rapidité  que  vers  la  fin  du  quin- 
zième siècle,  il  s'était  étendu  à  l'Europe  civilisée  tout  entière.  La  foire 
de  Francfort  réunissait  annuellement  les  libraires  des  différentes 
nations.  Là  ils  communiquaient  ensemble.  Cette  foire  ne  commença 
toutefois  à  prendre  une  grande  importance  pour  la  librairie  que  vers 
le  commencement  du  seizième  siècle  -. 

A  l'origine,  les  imprimeurs  trafiquaient  entreeux  par  voie  d'échange. 
On  trouve  la  première  trace  de  ce  mode  de  commerce  dans  l'impri- 
merie du  monastère  des  Saints  Ulrich  et  Afra  à  Augsbourg  en  1474  \ 
Les  Frères  de  la  vie  commune  qui  dirigeaient  à  Rostock  une  des  plus 
anciennes  imprimeries  de  l'Allemagne  du  Nord  avaient  les  mêmes 
procédés  commerciaux.  Non-seulement  ils  vendaient  les  ouvrages 
sortis  de  leurs  propres  presses,  mais  encore  ceux  qu'ils  faisaient 
impiimer  en  d'autres  lieux.  Leur  commerce  s'étendait  aux  diocèses 
de  Lübeck  et  de  Schleswig,  et  même  jusqu'en  Danemark*. 

Dès  les  premiers  temps  de  l'imprimerie,  Pierre  Schöffer,  le  com- 
pagnon des  travaux  de  Guteuberg,  avait  ouvert  une  librairie  à  Paris, 
et  les  ouvrages  qui  s'y  trouvaient  réunis  en  147.3  étaient  évalués  alors 
à  2,425  écus  d'or,  somme  très-élevée  pour  l'époque  '\  La  librairie 
établie,  vers  le  même  temps,  à  Nuremberg  par  les  Koburger  avait 
déjà  une  importance  considérable  en  1500.  Koburger  envoyait  beau- 
coup de  ses  livres  en  Hongrie,  dans  les  Pays-Bas,  en  Italie,  et  parti- 
culièrement à  Venise.  «  Il  avait  des  agents  dans  tous  les  pays  -,  dit 
Neudorler,  ;  et  seize  magasins  ou  dépôts  dans  les  principales  villes 

'  Voy.  Kirchhoff,  t.  I,  p.  1-6,  et  Serapeum,  13,  p.  .307,  315.  —  Sotzmann, 
p.535-539.  —  MONE,  Ze/fw/i/v/M.  I,  p.  312.  —  WATTENB.iCH,  Schriftu-cseit,  p.  317-319. 
—  Falk,  Zur  Beurlheilung  des  funfielintcn  Jahrhunderts,  p.  413,  414.  —  Catalogue  de 
Laube  dont  Lempertz  a  fait  le  fac-similé.  Bilderhefte,  1862,  pi.  1. 

-Hase,  p.  67-68;  Geiger,  llcuchlia,  p.  252. 

^  KiucHHOFF,  t.  II,  p.  40  et  90,  note  17. 

*  Lisch,  p.  37-41. 

''SCHAAB,  Buchdnicherkunst,  t.  I,  p.  515.  —  Hase,  p.  83. 


14  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE, 

de  la  chrétienté.  «  Ses  relations  commerciales  semblent  s'être  éten- 
dues jusqu'en  Pologne  '.  Il  tenait  si  exactement  ses  livres  qu'il  pou- 
vait toujours  se  rendre  un  compte  exact  de  son  immense  commerce, 
et  combler  les  vides  qui  se  produisaient  dans  tel  ou  tel  magasin  par 
l'envoi  de  volumes  tirés  de  dépôts  bien  pourvus.  On  peut  citer  les 
titres  déplus  de  deux  cents  ouvrages,  pour  la  plupart  grands  in-folio ^ 
sortis  de  ses  ateliers  et  tirés  à  un  très-grand  nombre  d'exemplaires 
antérieurement  à  1500.  Ce  chifl're  énorme  peut  donner  une  idée  de 
l'activité  de  travail  qui  régnait  dans  ses  presses.  Il  mit  aussi  un  grand 
zèle  à  répandre  les  livres  classiques  édités  par  les  presses  italiennes. 
Dans  cet  ordre  d'idées  il  fut  le  digne  émule  des  grands  libraires  bâlois, 
Froben  et  Lachner,  auxquels  cette  branche  de  commerce  valait 
d'importants  bénéfices.  «  Dans  ce  moment  même,  écrivait  un  savant 
de  Bàle  à  l'un  de  ses  amis,  VVolfgang  Lachner,  le  beau-père  de  notre 
Froben,  fait  venir  de  Venise  une  cargaison  de  livres  classiques.  Ce 
sont  les  meilleures  éditions  de  l'imprimerie  des  Aide.  Si  tu  désires  en 
avoir,  fais-le-moi  savoir  bien  vite,  et  envoie-moi  de  l'argent  comptant, 
car  à  peine  un  ballot  de  ce  genre  est-il  arrivé,  que  déjà  il  y  a  tout 
autour  trente  amateurs  pour  un.  Ils  demandent  seulement  ce  que  cela 
coûte,  et  se  disputent  encore  par-dessus  le  marché  à  qui  en  aura^ 

Outre  ces  noms,  il  faut  encore  citer  au  nombre  des  éditeurs  les  plus 
actifs  et  les  mieux  inspirés  de  ce  temps  François  Birckmann  de 
Cologne,  qui  fut  le  principal  et  le  plus  intelligent  intermédiaire  des 
échanges  de  livres  entre  l'Allemagne,  la  France  et  les  Pays-Bas.  Les 
relations  qu'il  entretenait  avec  l'Angleterre  étaient  si  étendues 
qu'Érasme  écrivait  de  Cantorbéry  en  1510  que  depuis  longtemps 
Birckmann  envoyait  dans  celte  ville  "  presque  tous  les  ouvrages  qui 
paraissaient  *  » . 

Mais  ce  n'était  pas  seulement  dans  les  grandes  villes,  c'était  aussi 
dans  les  petits  centres  que  le  commerce  des  livres  prenait  activité  et 
vie.  Pour  n'en  citer  qu'un  exemple,  la  librairie  Jean  Rynmann,  à 
OEhringen,  entretenait  un  commerce  important  avec  les  pays  étran- 
gers comme  avec  la  haute  et  basse  Allemagne.  Plus  tard,  ce  même 
Rynmann  se  fixa  à  Augsbourg  et  étendit  son  activité  commerciale  à 


1  LocHNER,  p.  173,  177.  —  Hase,  p.  58,  66.  —  Voy.  Baader,  Jahrbücher  fur 
Kunstwissenschaft,  1868,  p.  235. 

-  Hase,  p.  ^3,  et  le  Cat;tlogue  des  éditions,  90-95. 

'Kirchhofe,  t.  I,  p.  77.  Sur  le  débit  par  les  marchands  allemands  des 
ouvrafjes  parus  chez  Aide,  voy.  aussi  Geiger,  Beziehungen  zieischen  Deutschland 
und  Italien,  p.  116. 

*  Kirchhofe,  t.  I,  p.  92-120.  Pour  plus  de  détails,  voy.  Campbell,  Annales  delà 
typographie  néerlandaise  au  quinzième  siècle  (la  Haye,  1874).  —  Yov.  Van  DER 
LixüE,  p.  105.  —  Reichlinc,  Murmcllius,  p.  8-9. 


OUVRAGES    EDITES.  15 

toutes  les  branches  de  la  science.  On  cite  les  noms  de  douze  autres 
libraires  établis  dans  cette  ville  à  la  même  épociuc  que  lui  '. 

Ces  quelques  cilations  suffisent  pour  montrer  les  proportions 
grandioses  qu'avait  prises  la  librairie  allemande  bien  peu  de  (emps 
après  la  découverte  de  Gutenber(;'.  '•  Nous  autres  Allemands  -,  écri- 
vait Wirapheling  en  I.507,  nous  dominons  presque  tout  le  marché 
intellectuel  de  l'Kurope  civilisée.  Mais  aussi,  ajoute-t-il,  nous  n'y 
offrons  (juère  que  de  nobles  productions,  qui  ne  tendent  qu'à  la 
gluire  de  Dieu,  au  salut  des  âmes  et  à  l'instruction  du  peuple  -. 

Le  plus  vénérable  de  tous  les  livres,  la  Bible,  avait  le  premier  rang 
dans  nos  anciennes  librairies.  Pendant  un  siècle  elle  occupa  plus  que 
tout  autre  livre  les  presses  de  l'Occident  \  En  l.jOO,  la  traduction  de  la 
Bible  d'après  la  Vulgate  avait  déjà  été  imprimée  près  de  cent  fois.  La 
première  œuvre  d'art  qui  sortit  des  presses  de  Koburger  fut  une 
splendide  Bible,  éditée  en  1483,  et  que  Michel  Wohlgemuth  avait 
enrichie  de  plus  de  cent  gravures  sur  bois.  Outre  ce  chef-d'œuvre, 
Koburger  publia  plus  de  quinze  éditions  de  la  Bible,  et  Amerbach, 
-■"  1479  à  1489  K 

■^nrimeurs  du  temps,  qui  étaient  pour  la  plupart  des 
'"  et  qui,  en  dehors  de  leur  commerce,  étaient 
grandes  entreprises  littéraires  %  tenaient 
i.  /    ■'■•'.■  olic  de  bonnes  éditions  correctes  des  écrits 

des  Pei^.^  es  anciens  scolastiques,  et  aussi  des  théolo- 

giens et  philosoj^..  l'époque;  ils  apportaient  un  grand  soin  à  ces 

publications,  et  s'efforçaient  de  n'en  produire  que  des  éditions  irré- 
prochables sous  le  rapport  de  la  correction  du  texte  comme  sous 
celui  de  la  beauté  du  caractère  et  du  papier.  Les  éditions  sorties  des 
ateliers  de  Koburger,  d'Amerbach,  de  Proben,  de  Schönsperger, 
de  Rynmann  et  d'autres  attestent  suffisamment  ce  fait.  Beaucoup 
d'ouvrages  in-folio,  imprimés  quinze  ou  vingt  ans  au  plus  après 
l'invention  de  la  typographie,  sont  d'incomparables  chefs-d'œuvre, 
dont  la  beauté  et  la  magnificence  n'ont  pu  encore  être  égalées.  Qu'on 
se  souvienne  du  Psautier  publié  par  Fust  et  Schöffer  en  1457;  c'est 
un  modèle  achevé  de  tous  les  genres  d'impression  ®.  Les  ouvrages  de 
Sébastien  Brant,  de  BeuchUn  et  d'autres  humanistes  allemands,  im- 
primés par  Bergmann  von  Olpe,  sont  aussi  très-remarquables  par  la 

'  Kirchhoff,  t.  I,  p.  11-39. 

-  De  artf  impressoria,  p.  12. 

^  Voy.  Kallex,  Geschichte  der  Vulgata,  p.  304-309. 

*  Hase,  p.  -iS-Sô.  La  première  édition  d'Amerbach  commence  par  ces  mots  : 
«  Fontibus  ex  graecis,  Hebraeorum  quoque  libris  emendata  satis  et  decoraia 
simul  Biblia  sum.  »  —  Stockmeyer  et  Reber,  p.  37-39. 

*  Voy.  Krafft,  Mitiheilungen  aus  der  Cölner  Universitälsmatrikel,  p.  473-475. 
®  Voy.  Falke.nstei.n,  p    123-125. 


16  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    S  CI  ENTE. 

netteté  des  caractères,  la  correction  du  texte  et  le  luxe  des  éditions. 
Les  gravures  cjui  les  accompag^nent  «ont  pour  la  plupart  comptées 
parmi  les  chefs-d'œuvre  de  l'art  allemande  Ces  gravures  que  les 
libraires  intercalaient  dans  les  livres,  les  frontispices  dont  ils  étaient 
ornés  firent  faire  à  l'art  du  graveur  un  progrès  considérable  ^ 

Ces  éditeurs,  ces  libraires  dont  nous  venons  de  parler,  n'étaient  pas 
uniquement  guidés  dans  leurs  travaux  par  l'espoir  de  bons  résultats 
matériels.  L'amour  de  la  science  et  de  la  vérité  les  inspirait.  Us  met- 
taient un  zèle  sincère  à  les  servir  et  n'hésitaient  pas  à  faire  de  grandes 
dépenses  pour  le  perfectionnement  de  leur  art  ^ 

Après  la  théologie,  après  la  littérature  sacrée,  ce  qu'ils  se  plu- 
rent surtout  à  favoriser,  ce  fut  l'essor  des  études  classiques.  Sous  ce 
rapport,  outre  les  éditeurs  déjà  nommés,  le  savant  Gottfried  Hit- 
torp ,  de  Cologne ,  et  les  frères  Léonard  et  Luc  Alautsee ,  de 
Vienne,  se  sont  acquis  des  droits  immortels  à  la  reconnaissance  de 
la  postérité^. 

Pour  le  peuple,  on  publiait  un  nombre  considérable  de  livres,  dus, 
pour  la  plupart,  à  des  ecclésiastiques  :  livres  de  prières,  catéchismes, 
examens  de  conscience,  paroissiens  avec  explications  abrégées  des 
épîtres  et  des  évangiles,  livres  d'édification,  recueils  de  chants  sacrés 
ou  profanes,  écrits  populaires,  calendriers,  annonces  mortuaires  et 
autres  imprimés,  nombreux  traités  sur  les  sciences  naturelles  et  sur 
la  médecine  populaire.  En  résumé,  les  écrits  allemands  du  quinzième 
siècle  qui  existent  encore  font  concevoir  une  trèe-favorablc  idée  de 
l'état  de  la  civilisation  à  cette  époque,  et  montrent  cjue  le  goiU  de  la 
lecture  avait  pénétré  dans  toutes  les  classes  \  "  Rien  que  dans  le  ter- 
ritoire d'Utrecht  ^  écrivait  sur  la  diffusion  des  livres  allemands  dans 
les  provinces  du  Sud  Jean  Buch,  prédicateur  de  la  réforme  catho- 
lique (1479),  "  il  y  a  plus  de  cent  associations  libres  de  Sœurs  e! 
de  Béguines  qui  possèdent  un  nombre  considérable  de  livres  alle- 
mands, et  les  lisent  tous  les  jours,  soit  en  particulier,  soit  en  com- 
mun, au  réfectoire  ".  ;<  Les  notables  de  notre  pays  et  des  envi- 
rons «,  ajoute-t-il,  "  aussi  bien  que  les  gens  du  peuple,  hommes  et 
femmes,  ont  beaucoup  de  ces  livres  où  ils  lisent  et  étudient.  »  «  A 
Zwolle,  Zutphen  et  Deventer,  partout,  dans  les  villes  et  dans  les 
villages,  on  lit  et  l'on  entend  lire  des  livres  allemands  ".  =) 

'  Voy.  Zarncke,  la  Xef  des  fous,  L,  LI. 

-  Voy.  Springer,  Gravures,  p.  171-173. 

^  Voy.  ce  que  dit  Jean  de  Müller  [Geschichte  der  Schweizer  Eidgenossen),  t.  V, 
p.  351,  sur  les  imprimeries  de  Bâle. 

*  Voy.  Kirchhoff,  t.  I,  p.  41-68.  —  Sur  les  imprimeurs  et  les  libraires  de 
Vienne,  voy,  Aschbach,   Wiener  Universität,  t.  II,  p.  126-127,  163. 

^  C.  A.  Menzel,  t.  VIII,  p.  231,  a  déjà  appelé  l'attention  sur  ce  point. 

^  EüSCHius,  p.  926.  —  Voy.  Grube,  p.  163.  «  A  Windesheira  et  dans  d  autres 


OUVRAf.KS    KDITES.  17 

Naliirellemeiit,  la  pre.>:se  reproduisait  do  prôfércncc  les  livres  qui 
Irouvaicüt  le  plus  d'aclieleurs  et  qu'on  voulait  davantage  répandre. 
On  peut  donc  conclure  justement  d'après  le  nombre  des  reproduc- 
tions d'un  ouvrage  rimporlance  et  la  valeur  que  lui  attribuaient  les 
conleniporains,  et  d'autre  part  calculer  l'influence  qu'exerçait  un 
écrit,  d'après  le  nombre  de  ses  éditions.  Aussi  n'est-il  pas  sans 
importance  pour  la  connaissance  et  l'appréciation  de  cette  épo- 
que, de  savoir  que  la  Bible  a  été  rééditée  plus  de  cent  fois  en  très- 
peu  d'années;  qu'un  ouvrage  théologique  de  Jean  Heynlin  de  Stein 
a  eu  vingt  éditions  de  1488  à  1500  ';  que  les  œuvres  pédagogi- 
ques de  Wimplieling  n'en  ont  pas  eu  moins  de  trente  en  vingt- 
cinq  ans  %  et  que  l'Imitation  de  Jésus-Christ  a  été  reproduite,  en 
différents  langages,  jusqu'à  cinquante-neuf  fois  avant  la  fin  du 
quinzième  siècle  \  Disons  aussi  qu'on  possède  encore  aujourd'hui 
quelques  exemplaires  d'un  recueil  de  proverbes  allemands  de  dix  édi- 
tions différentes  \ 

La  question  de  savoir  à  quel  nombre  d'exemplaires  chaque  édi- 
tion était  tirée  ne  saurait  être  résolue  qu'approximalivement. 
Dans  deux  livres  de  Wimpheling,  on  lit  que  l'édition  en  était  de 
mille  exemplaires  ^  Le  tirage  de  la  grammaire  latine  de  Cochlaeus, 
que  ce  savant  fît  imprimer  en  1511,  fut  également  de  mille  ^,  ainsi 
que  d'autres  ouvrages  du  temps.  Il  est  donc  presque  certain 
qu'abstraction  faite  des  grands  in-folio,  les  éditions  étaient  ordi- 
nairement de  mille  exemplaires.  Il  est  facile  de  calculer,  d'après 
cela,  quelles  proportions  prenaient  la  vente  et  la  diffusion  d'ou- 
vrages qui  comptaient  trente  et  jusqu'à  soixante  éditions.  Pour  les 
livres  de  prières  et  d'autres  du  même  genre,  les  éditions  étaient  sans 
doute  plus  fortes  encore.  Il  en  était  de  môme  de  certains  livres 
célèbres  pour  lesquels  on  pouvait  compter  sur  le  grand  public.  Ainsi 
VEloge  de  la  folie,  d'Erasme,  eut  dix-huit  cents  exemplaires  dès  la 
première  édition  '. 

D'innombrables  livres  du  quinzième  siècle  ont  été,  ou  perdus  pen- 
dant les  guerres  religieuses  et  civiles  qui  suivirent,  ou  mis  en  oubli 
par  suite  d'une  indifférence  à  laquelle  ils  commencent  à  peine  à 


couvents,  il  y  avait,  dès  cette  époque,  de3  bibliothèques  allemandes  populaires 
mises  à  la  disposition  de  tous.  » 

'  H.viN,  n°*  9899-9918. 

-  Id.,  n»'  16162-16167,  16177-16180,  16190.  —Et  Erhard,  t.  I",p.  455-460,  n»'4, 
8,  14,  25. 

3  Id ,  n"'  9078,  9136. 

*  Anzeiger  fur  Kunde  Deutscher  Vorzeit.  —  12,   13. 

»  WiSKOVATOFF,  p.  56,  notc  3. 

^  Otto,  p.  34. 

■^  Stockmeyer  et  Reber,  p.  89. 


18  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

échapper.  Néanmoins  on  peut  estimer  à  plus  de  mille  les  ouvrages 
imprimés  avant  1500  qui  sont  parvenus  jusqu'à  nous.  Beaucoup 
d'entre  eux  ont  trois  et  quatre  volumes  in-folio,  et  souvent  davantage. 
Ce  chiffre  fait  suffisamment  apprécier  l'acUvité  intellectuelle,  l'énergie 
laborieuse  et  féconde  de  l'époque  dont  nous  nous  occupons  '. 

'  Geffcken,  p.  1-3. 


CHAPITHK    II 

LES    ÉCOLES    ÉLÉMENTAIRES    ET    L'INSTRUCTION    RELIGIEUSE    DU    PEUPLE  '. 


Dans  im  caléchisme  écrit  en  bas  allemand  (imprimé  en  1470),  du 
Frère  mineur  Dedericli  Coelde,  on  lit,  entre  autres  choses,  au  chapitre 
où  il  est  question  des  devoirs  des  parents  envers  leurs  enfants  :  -  Il 
laut  envoyer  de  bonne  heure  les  enfants  à  l'école  de  maîtres  esti- 
mables, afin  qu'ils  y  soient  formés  au  respect,  qu'ils  n'apprennent 
pas  de  vilaines  choses  dans  les  rues,  et  ne  commettent  pas  le  péché. 
Les  parents  ont  grand  tort  qui  ne  consentent  point  à  ce  que  leurs 
enfants  soient  punis  par  le  maître  d'école  lorsqu'ils  font  mal.  :■ 
Sébastien  Brant,  s'adressant  aux  parents,  dit  aussi  dans  la  Nef  des 
fous-:  ■■  Quand  on  n'envoie  pas  les  enfants  à  de  bons  maîtres,  ils 
grandissent  pour  toute  espèce  de  mal  et  deviennent  des  blasphéma- 
teurs, des  joueurs  et  des  débauchés.  "  "  Voilà  ce  que  deviennent  ces 
enfants  qui,  dans  leur  jeunesse,  n'ont  pas  été  bien  disciplinés  et 
n'ont  pas  eu  un  bon  maître,  car  le  commencement,  le  milieu  et  la 
fin  d'une  vie  honorable,  c'est  une  bonne  éducation*.  » 

Dans  V Introduction  à  l'Examen  de  conscience,  livre  destiné  à  préparer 
les  fidèles  à  la  digue  réception  du  sacrement  de  pénitence  (1478),  le 
chapelain  Jean  Wolf  dit  aussi  «  qu'on  doit  aux  instituteurs  le  même 
respect,  le  même  amour,  la  même  obéissance  qu'à  ses  parents  selon 
la  chair  ».  u  Le  maître  qui  t'a  instruit  pendant  tes  jeunes  années, 
dit-il,  est  devenu  ton  père  spirituel  par  les  soins  et  l'instruction  qu'il 
t'a  donnés.  Son  enseignement  ne  saurait  être  payé  avec  de  l'or  et  de 


'  Les  renseignements  que  nous  possédons  sur  rinstruction  secondaire  au 
moment  qui  nous  occupe,  sont  en  très-petit  nombre.  Ils  suffisent  cependant 
pour  établir  l'existence  de  nombreuses  écoles  et  l'importance  qu'où  attachait 
alors  à  l'instruction.  Ils  témoignent  aussi  en  faveur  du  zèle  que  mettait  le 
clergé  à  favoriser  l'instruction  populaire. 

*  Xe/ des  fous,  §  6. 


20  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

l'argent,  parce  que  ce  qui  a  rapport  a  Tàme  est  infiniment  plus  élevé 
et  plus  noble  que  ce  qui  a  rapport  au  corps.  L'argent  que  l'institu- 
teur a  reçu  pour  t'avoir  instruit  a  été  depuis  longtemps  dépensé 
pour  les  besoins  de  son  existence,  au  lieu  que  toi  »,  dit  Wolff  au  péni- 
tent, "  pendant  dix  ans,  vingt  ans,  cinquante  ans,  peut-être,  tu  liras,  tu 
écriras,  tu  profiteras  de  ce  qui  t'a  été  enseigné.  "  Le  pénitent  doit  donc 
bien  s'examiner  sur  ces  choses,  et  bien  se  demander  "  si,  par  exemple, 
il  n'aurait  pas  gardé  rancune  au  maitre  des  coups  qu'il  en  a  reçus  '  ". 

(Juant  à  ce  qui  regarde  les  devoirs  des  instituteurs  populaires,  il 
leur  est  demandé  de  seconder  efficacement  l'Église  dans  l'enseigne- 
ment du  catéchisme  à  la  jeunesse.  On  lit  dans  un  excellent  petit 
ouvrage  d'enseignement  et  d'édification,  paru  en  1498,  et  intitulé  le 
Guide  de  Vâme  :  -  Les  maîtres  d'école  doivent  enseigner  aux  enfants 
la  doctrine  chrétienne  et  les  commandements  de  Dieu  et  de  l'Église. 
Ils  doivent  suppléer  à  tout  ce  (jue  les  pères  de  la  doctrine  (c'est-à-dire 
les  prêtres)  ne  peuvent  suffire  à  faire  dans  les  sermons  et  autres 
instructions  spirituelles,  et  leur  venir  en  aide-.  -^ 

L'enseignement,  alors,  n'était  pas  obligatoire;  cependant  les  écoles 
étaient  très-fréquentées,  comme  le  prouvent  beaucoup  de  documents 
conservés  dans  de  grandes  et  de  petites  villes,  et  même  dans  de 
simples  villages.  Le  maitre  d'uue  école  de  lecture  et  d'écriture  à 
Xanten  (Bas-Rhin)  se  plaint  que  lui  et  son  aide  ne  suffisent  plus  au 
grand  nombre  des  écoliers,  et  demande  qu'un  sous-maître  leur  soit 
adjoint,  sur  quoi  le  conseil  de  la  ville  leur  en  accorde  un,  ainsi  qu'à 
un  autre  instituteur  de  la  même  ville,  en  les  invitant  à  s'entendre 
avec  les  parents  pour  la  rétribution  scolaire  ^  (1491).  On  voit  d'après 
un  document  datant  de  1494  qu'à  Wezel  il  y  avait  cinq  instituteurs, 
chargés  d'enseigner  à  la  jeunesse  «  la  lecture,  l'écriture,  le  calcul  et 
le  chant  d'église  ".  A  Noël,  en  cette  même  année,  les  instituteurs  sont 
traités  et  récompensés  par  le  clergé  de  la  ville;  chacun  d'eux  reçoit  du 
drap  pour  se  faire  un  habit  neuf,  et  uue  petite  pièce  d'or;  car,  dit  le 
compte  rendu,  «  ils  l'avaient  bien  mérité,  et  il  était  juste  qu'ils  fussent 
récompensés  ^  ".  En  bien  des  localités,  les  directrices  des  écoles  de 
filles  pouvaient  s'applaudir  du  grand  nombre  de  leurs  élèves.  A 

'  Voy.  Brück,  9,  35. 

-  P.  17.  Wulff  exhorte  également  les  inslituteurs  à  enseigner  à  leurs  élèves 
les  coraniandements  de  Dieu. 

*  Comptes  de  la  ville  en  1491.  Archives  de  Xanten  d'après  les  notes  manuscrites 
du  chanoine  Pelz  (fol.  73). 

*  Notes  du  chanoine  Pelz,  fol.  74.  —  Pour  plus  de  détails,  voy.  Nettesheim,  et 
aussi  le  travail  de  Falk,  Schulen  am  MHielrhcin,  p.  157.  —  Sur  les  écoles  des  autres 
parties  de  l'Allemagne,  voy.  Meister,  Die  deutschen  S  ladt  Schulen,  p.  31-32  ;  Nettesheim, 
p.  79  et  suiv.  Une  statistique  faite  en  1526  par  des  inspecteurs  luthériens,  et 
présentée  au  prince  électeur,  établit  incontestablement  que  des  écoles  popu- 
laires existaient  dans  les  villages  de  la  Saxe  antérieurement  aux  troubles  reli- 


TRAITEMENT    D  E  S    I  N  S  T  l  TÜTEU  P.  S.  21 

Xanfcn,  une  liaison  d'édiicalion  ([ui  devait  vraisemblablement  son 
existence  ä  l'initiative  de  Nicolas  de  Cusa,  comptait,  en  1407,  quatre- 
vinpjt-quatre  jeunes  filles,  appartenant  soit  ä  la  noblesse,  soit  à  la 
bonrceoisie.  Alde{}onde  de  [lorslmar  se  trouvait  alors  à  la  tète  de  cette 
maison.  Elle  avait  été  instruite  par  les  ■-■■  Frères  de  la  vie  commune  -^ 
et  se  dirijyeait  d'après  leurs  conseils  dans  l'éducation  de  ses  élèves  ' 

Le  prix  qu'on  attachait  à  l'instruciion,  la  considération  dont 
étaient  entourés  ceux  qui  se  vouaient  à  l'éducation  nous  sont  attestés, 
parmi  d'autres  preuves,  par  l'imporlancc  des  honoraires  que  rece- 
vaient les  inslitulcurs.  Jusqu'à  la  fin  du  moyen  âge,  on  n'entend 
nulle  part  les  maitres  d'école  se  plaindre  de  l'insuffisance  de  leur 
traitement*.  Dans  un  temps  où  pour  un  florin  on  pouvait  acheter 
de  90  à  100  livres  de  viande  de  bii'uf,  110  à  120  livres  de  viande  de 
porc,  le  maître  d'école  de  Wecze,  villap;c  du  diidié  de  Clèves,  rece- 
vait on  premier  lieu  de  la  commune  :  4  florins,  4ô  boisseaux  de  seigle, 
32  de  froment,  4cS  d'avoine,  plus  fiO  bottes  de  paille.  La  commune 
lui  assurait  en  outre  la  jouissance  d'une  maison  avec  jardin,  d'un 
jardin  potager  d'un  tiers  de  journal,  et  la  libre  jouissance  d'une 
prairie  d'un  journal.  Chaque  écolier  devait  lui  payer  5  stubers 
par  mois  en  hiver  et  3  en  été,  et  il  recevait  annuellement  de  2  à 


{jieux  du  seizième  siècle.  —  D'autres  recherches  historiques  prouvent  également 
l'existence  d'écoles  dans  les  villages  dès  la  fin  du  quatorzième  siècle.  Voy.  Kamiiel, 

p.   14,  27,  34,  45-Î7.  —  Voy.   [àeiCHE,  Gesch.  des  Gymnasiums  St.  Elisabeth  in  Breslau, 

1843,  p.  3-8.  On  envoyait  les  enfants  à  l'école  dès  l'âge  de  six  ou  sept  ans.  Voy. 
Ennen,  Gedcnhbuch  d'Ilerniann  WEiNSREnc,  dans  le  Zeitschrift  fur  deutsche  Kulturges- 
chichte, 1874,  p.  47.  Voy.  Spreng,  p.  21-22,  et  aussi  la  feuille  extraite  du  formu- 
laire de  Strasbourg,  1483.  On  y  voit  que  les  instituteurs  acceptaient  pour  trois 
ans  la  direction  d'une  école.  ^  Pour  le  logement  et  la  rétrijjuiion.  il  percevra 
soixante  bons  gülden  du  Rhin  par  an,  et  de  plus  quinze  gülden  d'or  toutes  les 
fois  que  reviennent  les  jeûnes  des  Ouatre-Temps.  - 

'  Pelz,  Colleeianeen.  fol.  72.  Sur  les  écoles  de  filles  à  Spire  et  Überlingen.  — 
Voy.  MONE,  Zeitschrift,  t.  I,  p.  263,  et  l.  II,  p.  153.  .\  Siegen,  on  trouve  à  l'époque 
dont  nous  nous  occupons  deux  écoles  de  filles.  Voy.   G.  Achenr.vch,   Kirchliche 

Anrichlungen  der  Stadt  Siegen  vor  der  Reformation  (Siegen,   1881.  p.  17).  Kn    14Ô7  fut 

construite  à  Venlo,  ainsi  qu'on  le  voit  dans  les  comptes  de  la  ville,  une  nouvelle 
école  dans  laquelle  les  enfants  des  deux  sexes  étaient  rassemblés  dans  des  locaux 
différents.  Voy.  Xettesheim,  p.  85,  86.  k  Emmerich,  en  1445,  un  traité  fut  signé 
entre  la  ville  et  le  chapitre.  La  ville,  d'après  ce  traité,  acquit  le  droit  de  nommer 
une,  deux  institutrices  et  même  davantage  pour  le  service  de  l'école  des  filles. 
Le  conseil  de  la  ville  devait  les  présenter  au  chapitre.  Voy.  les  documents 
fournis  par  Nettesheim,  Suppl.,  2  D.  —  Voyez  Kohlet,,  p.  10.  —  Pelz  rapporte 
qu'il  existait  au  quinzième  siècle,  à  Clèves,  une  école  de  gentilshommes.  Il  y 
avait  aussi  une  école  spéciale  pour  la  noblesse  du  Uheingau.  —  Voy.  F.vlk.  Kunst 
und  Wissenschaft,  p.  339-340.  La  noblesse  de  Speyergau  avait  aussi  son  institut 
spécial  dans  le  couvent  des  Augustins  à  Ilerdt,  près  Germersheim,  où  les  reli- 
gieux appartenaient  à  l'ancienne  noblesse.  Voy.  Remling,  Klöster,  t.  Il,  p.  34. 

-  Kriegk,  dans  son  livre  :  Ueutsches Bùrgerthum,  nouvelle  série,  p.  67,  a  déjà  fait 
allusion  à  ce  fait. 


22  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

3  florins  environ,  pour  le  service  de  l'église.  Il  est  fait  mention, 
en  (510,  dans  les  archives  communales  de  Capellen,  près  de  Gueldre, 
de  l'obligation  imposée  à  tout  paysan  faisant  instruire  ses  enfants 
de  donner  à  l'instituteur  12  boisseaux  de  blé  et,  s'il  a  un  attelage  à 
lui,  une  charretée  de  bois  '.  A  Goch,  le  directeur  de  l'école  recevait, 
depuis  14.50,  outre  le  logement,  la  rétribution  scolaire  et  différents 
dons  faits  par  les  élèves,  8  florins  d'Arnheim.  Plus  tard,  une  fonda- 
tion pieuse  lui  assure  encore  un  revenu  de  3  flor.  1/2  d'or  rhénan,  à 
charge  par  lui  de  chanter  les  laudes  avec  ses  élèves.  Or,  le  greffier  de 
la  ville  ne  touchait  que  5  florins,  et  les  deux  bourgmestres  réunis  ne 
recevaient  pas  davantage-.  A  Eltville,  dans  le  Rheingau,  les  appointe- 
ments du  maître  d'école  montaient  à  24  florins  par  an;  de  plus,  chaque 
écolier  était  tenu  de  lui  payer  3  albus.  A  Kiderich,  ville  de  la  même 
province,  les  instituteurs  recevaient  de  30  à  90  florins.  Le  maître 
d'école  de  Seligenstadt  sur  le  Mein  avait,  outre  le  logement  et  le  vin, 
32  boisseaux  de  froment  et  la  rétribution  scolaire  que  devait  fournir 
chaque  écolier  \  Dans  les  écoles  de  Culmbach  el  de  Baireuth,  le 
maître  de  latin  recevait  plus  de  75  florins  d'or  par  an,  outre  la  nour- 
riture gratuite  \ 

Nous  ne  pouvons  faire  une  juste  évaluation  du  traitement  des 
instituteurs  dans  ces  diverses  écoles  qu'à  l'aide  de  comparaisons  : 
En  1451,  les  dépenses  faites  par  le  jeune  gentilhomme  Ort,  de  Franc- 
fort-sur-le-Mein,  à  l'Université  d' Erfurt,  pour  la  nourriture,  le  loge- 
ment, l'habillement,  le  blanchissage,  les  honoraires  des  profes- 
seurs, etc.,  ne  montèrent  pas,  pour  toute  une  année  de  séjour,  au 
delà  de  26  florins  pour  lui  et  son  gouverneur  \  Un  étudiant  de 
Francfort  en  pension  chez  Ulrich  Zasius,  professeur  à  l'Université 
de  Fribourg  au  commencement  du  seizième  siècle,  lui  payait 
10  florins  par  an  ^  Jusqu'en  1515  et  à  l'époque  où  l'argent  avait 
déjà  subi  une  forte  dépréciation,  un  foudre  de  vin  se  vendait 
9  florins  '.  Le  traitement  d'un  simple  maître  d'école  comme  celui 

'  Collectaneen  de  Pelz,  p.  78. 

-  Voy.  BergrvTH,  Beiträge  zur  Geschichte  der  Schulen  im  Goch,  dailS  la  Zeilschrift  für 
Erziehung  und  Unterricht  de  V.EGS  (Cologne,  1859,  t.  VlII,  p.  76-81).  —  Vov.  les 
détails  sur  les  appointements  et  autres  revenus  des  instituteurs.  Xettesheim. 
p.  115-127.  —  Voy.  les  renseignements  sur  les  appointements  des  maîtres  d'école, 
extraits  des  anciens  droits  et  usa;;es  de  la  ville  de  Frankenberg  par  .Jean 
Em:merich  (y  1494).  Schulhlall  für  die  Proriuz  Hessen-.Vassau,  1874,  p.  55. 

'  F.4.LK,  Schulen  am  Mittclrhein ,  p.  1.36,  139.  Z\UN,  Gesch.  von  Kiderich,  p.  156. 
Sur  les  émoluments  des  maîtres  d'école  dans  les  différentes  villes,  voy. 
Kettesheim,  p.  114. 

*  L.VNG,  Geschichte  des  Fiirslcnlhums  Bayreuth,  t.  I,  p.  69-70.  —  Vov.  IlvssELT,  t.  IV, 
p.  168. 

^  Voy.  Anzeiger  fur  Kunde  Deutscher  Vorzeit,  t.  I\.  p.  45-46. 

*  Curieuse  Xachrichlen,  p.  47. 
^  KuiECK,  p.  244. 


INSTRUCTION    CHRÉTIENNE.  23 

de  VVeeze  paraK  considérable  si  on  le  compare,  soif  à  celui  de 
i'arcliitcctc  de  la  calliédrale  de  Francfort,  qui  recevait  annuellement 
de  10  à  20  florins  ',  soit  à  celui  du  premier  chambellan  de  la  mère  du 
prince  Philippe,  électeur  palatin,  (jui  ne  dépassait  pas  30  florins-. 

«  Les  autorités  constituées  et  les  instituteurs  de  la  jeunesse  ont 
droit  au  même  respect,  à  la  même  estime  •',  dit  le  Guide  de  l'âme. 
«  Les  maîtres  d'école  ont  bien  du  mal  et  du  travail  pour  élever  et 
maintenir  les  enfants  dans  Tordre  et  la  discipline  chrétienne.  S'ils  le 
font,  tu  dois  les  respecter,  les  aimer  et  chercher  à  leur  être  a^yréable'.  ' 

En  quoi  consistaient  cet  ordre  et  cette  discipline  chrétienne? 
AJbert  Dürer  nous  eu  donne  quelque  idée  dans  les  vers  placés  par 
lui  au  bas  d'une  de  ses  gravures,  datée  de  1510.  Cette  p,ravure  repré- 
sente un  instituteur  qui  tient  un  bâton  dans  sa  main  droite,  et  dont  la 
main  gauche  repose  sur  un  livre  ouvert.  Devant  lui,  assis  sur  des  esca- 
beaux, sont  rangés  des  écoliers  qui  paraissent  écouter  avidement  la 
leçon.  Un  encrier  est  suspendu  à  leur  ceinture.  Voici  ce  qu'on  lit, 
entre  autres  choses,  dans  la  leçon  qui  leur  est  dictée  : 

«  Que  celui  qui  veut  devenir  sage  et  prudent  eu  demande  la  grâce 
à  Dieu  pendant  toute  sa  vie.  Évite  soigneusement  toute  mauvaise 
médisance,  afin  d'en  être  un  jour  récompensé.  Empêche  aussi  les 
autres  d'interpréter  en  mal  tout  ce  que  fait  le  prochain,  tu  préser- 
veras ainsi  ton  cœur  de  toute  amertume  ;  l'envie  et  la  haine  en  seront 
bannies,  et  ceux  qui  t'écouteront  apprendront  à  te  juger  favorable- 
ment. Dis  ton  opinion  avec  simplicité  et  droiture.  Reste  vrai,  ne 
mens  pas.  Ne  cherche  jamais  par  ruse  et  finesse  à  paraître  autre  que 
tu  n'es  au  fond  de  ton  cœur  ^  » 


II 


Toute  éducation  chrétienne  devait  commencer  dans  la  famille.  Tel 
était  le  désir  formel  de  l'Église.  La  maison  chrétienne  devait  être  la 
première  école  de  l'enfant.  «  Les  enfants  sont  tout  particulièrement 
l'espoir  de  l'Église  s  lit-on  dans  le  Guide  de  l'âme.  «  Il  faut  donc  com- 

•  Voy.  GwiNNER,  Kunst  und  Künstler  in  Francftirl,  6-7. 

2  Voy.  Hautz,  L'rhiindliche  Geschichte  der  Stipendien  und  Stiftungen  am  Lijceum  zu 
Heidelberg  (Heidelberg.  1856). 

'  P.  17.  Vérifier  les  citations  dans  Meister,  p.  26-27. 

*  Heller,  p.  683-685.  —  Th.vnsing,  Dürers  Briefe,  p.  155-157.  Le  revers  de 
médaille  du  système  scolaire  de  ce  temps,  c'est  le  changement  trop  fréquent 
des  instituteurs  et  la  conduite  de  ceux  qu'on  appelait  les  -  écoliers  de  passage, 
bacchants  et  arquebusiers  >.  Voy.  Nettesheim,  p.  113,  131. 


24  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

mencer  par  bien  exhorter  les  parents,  afin  qu'ils  élèvent  leurs  enfants 
dans  la  discipline  chrétienne  et  le  respect  de  la  religion.  La  mai'^on 
doit  être,  pour  les  enfants,  dès  l'âge  le  plus  tendre,  la  première  école 
et  la  première  église.  Mère  chrétienne,  lorsque  tu  tiens  sur  te:^ 
genoux  ton  enfant  qui  est  l'image  de  Dieu,  fais  le  signe  de  la  sainte 
croix  sur  son  front,  sur  ses  lèvres  et  sur  sa  poitrine.  Prie  avec  lui  dès 
qu'il  pourra  parler,  afin  qu'il  répète,  après  toi,  ta  prière.  Tu  dois  bénir 
ton  enfant,  lui  enseigner  la  foi,  le  conduire  de  bonne  heure  à  con- 
fesse, et  lui  apprendre  comment  il  faut  faire  pour  bien  se  confesser.  • 
"  Les  pères  et  mères  doivent  donner  à  leurs  enfants  l'exemple  d'une 
bonne  et  honorable  conduite,  les  mener  à  la  grand'messe,  au  sermon 
et  aux  vêpres  les  dimanches  et  jours  de  fête;  outre  cela,  il  est  bon  do 
les  conduire  à  la  messe  de  la  semaine  de  temps  en  temps.  Les  parents 
doivent  les  punir  aussi  souvent  que  cela  est  nécessaire.  -  «  Les  parents 
sont  obligés  »,  dit  le  catéchisme  de  Dederich  Coelde  (chap.  xxxvii) 
'.  d'apprendre  à  leurs  enfants,  eu  langue  allemande,  le  Noire  Père 
Y  Ave  Maria,  le  Credo  et  différents  points  de  doctrine  contenus  dan>^ 
ce  livre.  Item  :  on  doit  encore  leur  enseigner  à  honorer  I\Larie,  mère 
de  Dieu,  leur  ange  gardien  et  tous  les  saints  de  Dieu;  le  soir  et  le 
matin,  les  parents  doivent  bénir  leurs  enfants,  et  le  soir  les  faire 
agenouiller  devant  leur  lit  pour  remercier  Dieu.  Item  :  il  faut  que  les 
enfants  soient  instruits  dans  la  religion  dès  leur  jeunesse,  car  dans 
l'âge  mûr  ils  ne  sont  plus  flexibles,  et  ne  veulent  ni  ne  peuvent  plus 
bien  faire.  Les  parents  doivent  apprendre  à  leurs  enfants  le  Benc- 
dicitCj  les  Grâces,  et  à  louer  Dieu.  Les  enfants  doivent  être  formés 
à  la  modération  dans  le  boire  et  le  manger,  et  à  marcher  modes- 
tement dans  les  rues.  Item  :  il  faut  les  habiller  simplement  et 
non  d'une  façon  mondaine,  et  les  conduire  à  i'église  pour  entendre 
la  messe,  les  vêpres  et  le  sermon.  On  doit  encore  leur  enseigner  à 
servir  la  messe.  Les  parents  doivent  inspirer  à  leurs  enfants  le 
respect  pour  les  supérieurs,  les  tenir  éloignés  des  mauvaises  com- 
pagnies, les  punir  avec  modération,  mais,  lorsque  cela  est  nécessaire, 
leur  faire  sentir  fortement  la  verge.  De  la  mauvaise  éducation  dans 
la  famille,  est-il  dit  au  commencement  de  ce  chapitre,  viennent  la 
plupart  des  maux  de  ce  monde.  Le  salut  de  l'enfant  dépend  d'une 
discipline  sévère.  Les  parents  qui  laissent  grandir  leurs  enfants  dans 
l'exercice  de  leur  propre  volonté  se  préparent  à  eux-mêmes  la  verge. 
Que  la  maison  chrétienne  soit  un  temple  chrétien,  mais  surtout  les 
dimanches  et  autres  saints  jours,  quand  tous,  père,  mère,  enfants, 
sei'viteurs  et  servantes,  jeunes  et  vieux,  sont  réunis,  pour  louer 
Dieu,  prier  et  lire.  Ils  pourront  aussi  chanter,  jouer  et  se  réjouir.  " 
—  "  C'est  surtout  en  ces  saints  jours  que  les  parents  doivent  donner 
à  leurs  enfants  l'aliment  de  la  doctrine  chrétienne;  qu'ils  fassent  donc 


ÉnrcATioN   nEMf;iEUSE   dans   L\  FAMIF^LE.  25 

plus  d'aumônes  que  de  coiitiinio  ef  jîraliqiicnt  toutes  les  œuvres  de 
miséricorde;  qu'ils  pardonnent  les  olCenses  reçues;  c'est  donner  aux 
enfants  une  bonne  leçon  de  doctrine  chrétienne,  et  elle  ne  sera  pas 
perdue  '.  "  C'est  dans  le  même  esprit  que  Jean  Nieder,  dans  son  ser- 
mon sur  les  dix  commandements,  exhorte  parents  et  enfants  :  Si 
tu  es  pauvre  et  ne  possèdes  rien,  si  tu  ne  peux  rien  donner  au 
malheureux  assis  à  la  porte  de  l'éf^lise  et  n'as  rien  à  mettre  dans  sa 
sébile,  mcls-y  du  moins  un  Pater,  afin  qu'il  supporte  sa  peine  en 
patience.  Si  tu  vois  faire  le  mal  par  quelqu'un  des  tiens,  punis-le;  si 
quelqu'im  t'a  fait  quelque  malice,  remets-t'en  à  Dieu  :  il  en  reviendra 
du  profit  à  ton  âme.  ^'-  ^-  Le  chrétien  doit  assister  à  la  messe  et  au 
sermon  les  jours  saints,  puis,  en  de  semblables  jours,  il  doit  aussi 
lire  de  bons  livres  allemands  (jui  le  portent  au  recueillement,  lui  et 
les  autres;  il  peut  aussi  chanter  des  chansons  de  son  métier,  ou 
d'autres,  mais  jamais  de  chansons  mauvaises  et  i";rossières -.  » 

Etienne  Lanzkrana,  prévôt  de  Sainte-Dorolhée  à  Vienne  (1477), 
trace  uu  charmant  tableau  de  famille  chrétienne  dans  la  Roule  du 
Ciel,  à  l'endroit  où  il  exhorte  le  père  de  famille  à  se  rendre  au  ser- 
mon après  le  repas  avec  lout  son  petit  peuple  ■  .  -  Ensuite,  assis 
en  sa  maison  avec  sa  femme,  ses  enfants  et  son  petit  peuple,  il  leur 
demande  ce  qu'ils  ont  retenu  du  sermon,  il  leur  dit  ce  dont  il  se  sou- 
vient lui-même.  H  les  questionne  sur  ce  qu'ils  savent  et  comprennent 
des  dix  commandements  de  Dieu,  des  sept  péchés  capitaux,  du  Pater, 
du  Credo,  et  il  les  leur  explique.  Il  fait  ensuite  apporter  quelque  chose 
à  boire,  puis  i!  chante  avec  tous  les  siens  un  beau  cantique  à  la  louange 
de  Dieu,  de  Xotre-Dame  ou  des  chers  saints  du  Paradis,  et  il  se 
réjouit  ainsi  saintement  en  Dieu,  avec  tout  son  petit  monde.  '^  Pour 
les  dimanches  matins,  les  fidèles  sont  averlis  "  que  tout  chrétien 
arrivé  à  l'âge  de  raison  doit  entendre  une  messe  tout  entière,  de  sorte 
qu'il  ne  s'en  aille  pas  avant  la  bénédiction  du  prêtre...  Il  faut  rester 
pendant  le  sermon  et  l'écouter  attentivement...  On  doit  prier  ces 
jours-là  pour  les  divers  besoins  de  la  chrétienté  et  des  fidèles,  et 
réciter  publiquement  le  Confiteor  et  les  commandements  de  Dieu. 
Ce  qu'on  a  entendu  du  sermon,  on  fait  bien  de  le  mettre  par  écrit, 
lorsqu'on  ne  peut  le  retenir  autrement  '.  ;> 

<>  Sache  que  si  toi,  père  chrétien,  tu  n'entends  pas  le  sermon  et 
l'explication  du  Credo  et  des  commandements,  et  comment  il  faut 
faire  et  pratiquer  une  véritable  pénitence,  dit  le  l'etit  Jardin  béni 
(1509),  tu  ne  pourras  pas  instruire  tes  enfants  et  tes  domestiques,  le 

'  Seclenfiihrer,  p.  5. 

-  Tiré  dun  manuscrit  de  1474.  Voy.  II.vsak,  Der  christliche  Glaube,  p.  12-15. 
'  Himmelstrasse,  édi(.  d'Augsbourg,  1484,  p.  50-51.  C'est  un  des  livres  les  plus 
importants  pour  l'histoire  des  mœurs  et  de  la  civilisation  au  quinzième  siècle. 


26  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

soir,  après  le  travail,  sur  la  doctrine  et  sur  les  commaudements,  ains? 
que  c'est  ton  devoir.  Écoute  donc  attentivement  tous  les  dimanches 
la  parole  de  Dieu...  Assiste  au  sermon  le  matin  et  dans  l'après-dinée. 
Reçois  religieusement  la  parole  de  Dieu  dans  ton  cœur,  médite-la 
intérieurement,  interroge  quelqu'un  d'éclairé  sur  le  sens  de  ce  que 
tu  n'as  pas  compris  dans  le  sermon  que  tu  as  écouté,  ou  consulte  tes 
livres,  et  explique  ensuite  ce  qui  était  resté  obscur  pour  toi  â  tes^ 
enfants  et  à  tes  domestiques.  Ouc  la  parole  de  Dieu  soit  le  flambeau 
de  ton  chemin.  Il  est  très-salutaire  d'entendre  prêcher,  et  il  est 
également  salutaire  d'acheter  de  bons  livres  spirituels,  d'y  faire  sou- 
vent des  lectures,  afin  d'être  instruit  dans  la  foi,  dans  les  comman- 
dements, les  péchés,  les  verfus  et  dans  toute  vraie  doctrine  chré- 
tienne '.  ') 

C'est  aiasi  que  l'éducation  du  foyer  cl  de  l'école  devait  seconder 
les  prédications  e(  les  instructions  religieuses  de  l'église.  L'église, 
la  maison  et  l'école  devaient  mutuellement  s'assister  et  concourir  ai* 
même  but  dans  une  alliance  fidèle. 


III 


Les  actes  synodaux  et  toiis  les  livres  d'enseignement  destinés  à 
l'instruclion  du  clergé  et  aux  besoins  populaires  prouvent  avec 
évidence  l'importance  qu'on  attachait  à  la  parole  sainte  annoncée 
dans  la  chaire  -.  Le  synode  diocésain  tenu  à  Bâle  en  150.3  dit  expres- 
sément que  c;  les  pas(eurs  des  âmes  doivent  expliquer  tous  les 
dimanches  à  leurs  paroissiens  l'Évangile  du  jour  en  langue  vulgaire, 
et  les  instruire  en  chaire  au  commencement  de  chaque  carême  sur  la 
manière  de  se  confesser.  Les  fidèles  doivent  en  ce  temps  être  exhortés 
sérieusement  à  venir  entendre  les  prédications  et  autres  instructions. 
A  cette  époque  de  l'année,  tout  chrétien  doit  aller  assidûment  à 
l'église  et  mettre  du  zèle  à  entendre  la  parole  de  Dieu.  Ceux  qui  s'y 
refusent  doivent  être  dénoncés  à  l'évêque  ou  à  son  vicaire.  '  —  Tous 

'  IVeihegiirtleln.  3.  —  Voyez  les  documents  rassemblés  par  BnrcK,  p.  7-8.  — 
HiPLEU,  ChristUchc  Lehre,  p.  32-34. 

-  Du  oôté  des  protestant.s,  c.  Schmid  est  le  premier  qui,  dans  son  Traite  sur 
les  études  thèologiques,  ait  combattu  les  jufjemcnts  défavorables  prononcés  contre 
les  prédicateurs  allemands  avant  h  Réf.  rme.  —  Voyez  aussi  Gfffckkn,  BUler- 
caicchismiis  des  füii/zchnicn  Jahrhunderts,  1855.  Du  côté  des  catholiques,  les  meil- 
leurs travaux  relatifs  à  ce  sujet  sont  dus  à  M.  KrnKnrs.  Tiihin[)cr  theologische 
Quartnlschri/t,  1861-1862,  et  à  L.  DvcHEi  \.  Hevuc  catholique  de  l'Alsace.  —  Voyez 
Cruel,  p.  647-651.  Les  critiques  de  Kawerau  ont  été  réfutées  dans  mon  travail 
intitulé  :  A  mes  critiques,  p.  193-205. 


PRESCRIPTIONS    TOUCHANT    LES    P  RK  D  l  CA  T  I  ONS.  27 

ceux  qui  annoncent  la  parole  de  Dieu  doivent  insister  souvent  dans 
leurs  sermons  sur  la  bonne  éducation  des  enfants  et  soutenir  fidèle- 
ment les  droits  des  pauvres,  des  lépreux,  des  veuves,  des  orphelins 
ou  de  toute  autre  personne  tombée  dans  le  malheur  '.  "  Le  synode 
de  nambcr[j  (1191)  fait  roblijjation  aux  prédicateurs  d'expliquer  clai- 
rement et  in(elli{;iblement  le  Nouveau  TeslamenI   et,  une  fois  au 
moins  par  an,  les  dix  commandements  -.  Là  où  une  population  slave 
se  trouve  mêlée  à  la  population  allemande,  il  faut,  en  chaire,  avoir 
éjjard  à  l'une  et  à  l'autre,  l'ne  ordonnance  du  synode  diocésain  de 
Meissen  (1504)  porte  que  tout  curé  -   dans  la  paroisse  duquel  se 
trouvent  des  Slaves  est  obligé  de  s'adjoindre  un  prêtre  auxiliaire 
parlant  le  slavon  (wende),  afin  qu'une  partie  de  son  troupeau  ne  soit 
pas  privée  de  l'instruction  religieuse  et  des  prédications  ^  i.  Les  livres 
ascétiques  de  l'époque  sont  unanimes  à  représenter  aux  pasteurs  le 
devoir  qu'ils  ont  de  prêcher  tous  les  dimanches  et  jours  de  fête. 
Comme  le  sermon  prêché  après  la  messe  Ibrmait  alors  une  partie 
très-importante  du  service  divin,  lorsqu'une  église  devait  être  con- 
struite, on  en  combinait  les  proportions  d'après  le  nombre  des  assis- 
tants qui  venaient  écouter  les  prédications.  La  plupart  des  chaires 
du  moyen  âge  qui  subsistent  encore  datent  de  la  fin  du  quinzième 
siècle. 

Les  supérieurs  ecclésiastiques  restaient  fidèles,  dans  leurs  ordon- 
nances, au  principe  que  le  célèbre  prédicateur  et  défenseur  des  con- 
stitutions papales,  .lean  Ulrich  Surgant,  avait  énoncé  dans  sou  Manuel 
de  théologie  pastorale  (1503)  K  «  La  prédication,  y  est-il  dit,  contribue 
plus  que  tout  autre  moyen  à  la  conversion  de  l'homme.  C'est  elle 
surtout  qui  opère  le  retour  à  Dieu  du  pécheur  par  la  pénitence. 
Lorsque  tu  laisses  perdre  quelque  chose  de  la  parole  de  Dieu,  tu 
commets  un  aussi  grand  péché  que  si,  par  une  négligence  sacrilège, 
tu  laissais  tomber  à  terre  une  parcelle  du  Corps  de  Notre-Sei- 
gneur.  >' 

"  On  ne  saurait  exprimer  le  profit  d'un  bon  sermon  prêché  par 
un  prêtre  pieux  et  éclairé  qui  aime  Dieu  et  le  salut  des  âmes,  car 
nulle  parole  ne  surpasse  la  parole  divine,  et  la  plus  abondante  béné- 
diction de  Dieu  se  répand  sur  celui  qui  prêche  et  sur  tous  ceux  qui 
écoutent  prêcher  avec  humilité  et  sans  malice.  On  puise  dans  la  pré- 
dication une  ferme  résolution  de  faire  de  bonnes  œuvres;  on  y  trouve 
la  nourriture  et  la  consolation  de  l'âme,  et  les  biens  infinis  que  dis- 

'  HvRTZHEiM.  p.  6,  8-9.  23-24. 

-  Id.,  t.  V,  p.  628-629.  Voy.  V,  477.  et  VI,  8,  ordonnances  du  synode  de  Passau, 
1470.  —  Voy.  Cri  EL.  p,  610-614.  649. 

^  llARTZHEIM,    t.    VI,  p.   .H3.  —  Voy.    KERkEIl.  p.  403. 

*  Manuale sacerdotiim.  Voy.  Geffcken,  p.  196-203.  —  Kerker,  p.  379-381. 


28  L'INSTRUCTION    rOPULAIHE    ET    I.A    SCIENCE. 

pense  la  grâce,  comme  Tont  expcrimcuté  souvent  ceux  qui  cnteudent 
volontiers  la  parole  de  Dieu  '.  "  —  «  En  effet  -^  écrivait  révèc|uc  de 
Spire,  Mathieu  (1471),  «  les  meilleurs  prédicateurs  de  Spire  ont  tou- 
jours pu  constater  par  expérience  que  l'audition  attentive  de  la  parole 
sainte  procure  la  gloire  de  Dieu,  le  bien  de  l'Église,  l'exaltation  de 
ia  foi  orthodoxe  et  le  salut  des  âmes;  ils  ont  été  témoins  des  bienfaits 
innombrables  qui  en  découlent  pour  le  peuple  ^  " 

Aussi  les  fidèles  étaient-ils  instamment  invités  à  fréquenter  les 
prédications.  Dans  les  synodes  diocésains,  on  ordonnait  aux  prêtres 
d'exhorter  les  paroissiens,  et  même  sous  peine  d'excommunication,  à 
assister  les  dimanches  et  jours  de  fête  à  la  messe  et  au  sermon  jusqu'à 
la  fin  ^  Les  examens  de  conscience  de  Lübeck  demandent  (juc  "  ceux 
qui  ne  veulent  pas  assister  à  tout  le  sermon  le  dimanche  soient  exclus 
de  la  paroisse  '.  —  Nicolas  Rus  de  Rostock  disait  aussi  :  «  Les 
laïques  qui  sortent  de  l'église  quand  le  prêtre  commence  à  annoncer 
la  parole  de  Dieu,  doivent  être  bannis  par  l'évêque  K  "  Tous  les 
examens  de  conscience  du  temps  regardent  comme  un  péché  mortel 
l'abstention  du  sermon  i)ar  négligence  ou  par  mépris.  —  <=  Si  tu 
n'entends  pas  la  messe  et  le  sermon  les  dimanches  et  jours  de  fête, 
dit  Wolff  dans  son  examen  de  conscience,  tu  pèches  contre  le  troi- 
sième commandement.  " 

Le  Miroir  des  pccheiirs  (1470)  dit,  s'adressant  aux  pères  de  famille  : 
«  Si  tu  as  dans  ta  maison  déjeunes  garçons  ou  de  jeunes  filles,  et  que 
tu  ne  les  aies  pas  conduits  à  l'Église  lorsqu'ils  étaient  parvenus  â  l'âge 
d'adulte,  c'est-à-dire  à  douze  ans  pour  les  petites  filles,  à  quatorze 
pour  les  garçons,  et  qu'ils  n'aient  pas  entendu  la  messe  et  le  sermon, 
eux  et  toi  ne  pouvez  être  exempts  de  péché  mortel,  car  tout  chrétien 
parvenu  à  cet  âge  a  l'obligiation  d'écouter  attentivement  et  d'un 
cœur  recueilli  une  messe  entière  et  un  sermon  ^  » 

Les  anecdotes  qu'on  mêlait  aux  sermons  sont  très-intéressantes 
pour  celui  qui  veut  être  initié  à  la  manière  de  penser  de  cette 
époque.  Nous  lisons,  par  exemple,  dans  la  Consolnlion  de  l'âme 
(1483),  qu'un  saint  homme  vit  un  jour  un  démon  qui  cheminait  por- 
tant un  grand  sac.  11  lui  demanda  ce  que  le  sac  contenait  :  le  démon 
Uli  répondit  :  "  .le  porte  des  boites  d'onguent  -,  et  il  lui  montra  une 
petite  boite  noire.  ^  Vois,  dit-il,  c'est  un  baume  avec  lequel  je  ferme 
les  yeux  des  gens  afin  qu'ils  s'endorment  pendant  le  sermon.  Le  pré- 
dicateur me  fait  trop  de  tort  auprès  de  l'homme;  celui  que  j'ai  eu 


'  Seelenfûltrcr,  p.  0. 

-  Voy.  Gkissel,    Cathèdrah'  impiriak'  de  Spire,  t.  !I.  p.  G3. 

^  Voy.  Bi\TEi\ni,  t.  VII,  p.  :;;02-497. 

■*  Geffcken,  p.  15. 

*  Id.,  SuppL,  p.  59. 


FONDAT  KJNS    \)E    (JJAIfiES.  29 

trente  ou  quarante  ans  en  ma  puissance  nréchappe  après  l'audilion 
d'un  .seul  sernion  '.  >' 

De  même  que  les  prescriptions  de  rÉ[;lise  elles  livres  spirituels,  les 
règlements  des  maisons  chrétiennes  faisaient  tous  un  devoir  rigou- 
reux aux  domestiques  et  aux  servantes  de  Tassistauce  à  la  messe  et 
au  sermon  tous  les  dimanches  et  jours  de  fête,  et  cela  même  sous 
peine  de  renvoi.  Le  comte  d'Oettingen  faisait  à  ses  gens  la  déclara- 
tion suivante  (1497)  :  «  Celui  qui  est  à  mon  service,  qu'il  soit  serviteur 
ou  servante,  et  qui  ne  veut  pas  écouter  le  sermon  le  dimanche  et 
autres  saints  jours  jusqu'à  la  fin,  tranquillement  et  respectueuse- 
ment, sera  renvoyé  de  chez  moi  ^ 

Prêtres  et  laïques  faisaient  dans  les  églises  et  chapelles  de  nom- 
breuses fondations  eu  faveur  des  prédicateurs,  afin  d'assurer  à  ceux-ci 
des  loisirs  illimités  qui  leur  permissent  de  se  livrer  à  l'étude  et  de 
préparer  à  leur  aise  leurs  sermons.  Voici  le  nom  des  plus  connues  de 
ces  fondations  :  chaire  de  hi  cathédrale  de  Mayence,  1465;  de  Bâle, 
14G9;  de  Strasbourg,  d'Augsbourg  et  de  Constance  ^  1478.  La  chaire 
de  Strasbourg,  que  Geiler  von  Kaisersberg  illustra  pendant  trente 
ans  et  rendit  l'une  des  plus  célèbres  de  l'époque  e!  des  plus  fécondes 
en  heureux  résultats,  fut  fondée  grâce  aux  subventions  de  l'évêque 
et  du  chapitre,  principalement  par  les  riches  donations  de  l'ammeister 
Pierre  Schott.  Les  lettres  de  fondation  portent  que  "  la  charge  de 
prédicateur  doit  rester  éternellement  attachée  à  cette  donation. 
Celui  qui  exercera  cette  charge  doit  être  un  homme  connu,  non- 
seulement  par  ses  bonnes  mœurs  et  par  une  sage  vie,  mais  encore 
par  son  talent  et  sa  science;  il  devra  prêcher  à  toutes  les  grandes 
fêtes  et  dans  les  occasions  solennelles  ;  tous  les  dimanches  après  diner, 
et  pendant  le  Carême,  tous  les  jours.  »  —  A  Augsbourg,  le  prédica- 
teur de  la  cathédrale  devait,  selon  les  lettres  de  sa  charge  érigée  par 
l'évêque  Frédéric  de  Zollern  (1 Ô04),  prêcher  aussi  fréquemment  que 
celui  de  Strasbourg,  et,  outre  cela,  trois  fois  par  semaine  pendant 
l'Avent,  et  pendant  les  processions  générales  organisées  pour  obtenir 
la  victoire  sur  les  infidèles,  ou  en  temps  de  guerre,  ou  pendant  les 
épidémies,  les  orages  et  semblables  calamités  \ 

Un  renseignement  fourni  par  Jean  Cochlœus  donne  une  idée  de  la 
fréquence  des  prédications  dans  les  principales  villes  allemandes.  Il 
écrivait  de  Nuremberg  en  1511  :  '^  La  charité  est  extraordinairement 
vive  à  Nuremberg,  aussi  bien  par  rapport  à  Dieu  que  par  rapport  au 

'  Voy.  Geffcken,  p.  15. 

-  Curieuse  Nachrichten,  p.  43.  —  Voy.  Règlements  pour  les  domestiques  r on  Konigsbruck, 
MONE,  Zeitschrift,  t.  I,  p.   183. 

'  Voy.  Falk,  Domjiredigerslellen,  6-7.  —  Die  Mainzer  berühmtesten  Prediger,  p.  7-14, 
*  Voy.  Kerker,  p.  385-389.  —  F.\l1v,  Dompredigerstellen,  p.  88-91. 


30  LINSTRUCTIOX    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

prochain.  Les  prédications  sont  assidûment  suivies,  même  lorsqu'on 
prêche  eu  treize  égUses  à  la  fois  K  " 

Mais  ce  n'était  pas  seulement  dans  les  grandes  villes,  c'était  aussi 
dans  les  petites,  et  même  dans  les  villages,  que  des  chaires  étaient 
fondées.  Dans  le  seul  comté  de  Wurtemberg,  ou  compte  onze  fon- 
dations de  ce  genre  toutes  antérieures  â  1514  :  à  Stuttgard,  Waiblin- 
g:en,  Schorndorf,  Blaubeuren,  Sulz,  Dornstetten,  Bottwar,  Balingen, 
Brackenheim,  Neuffen,  Göppingen.  L'acte  de  fondation  de  la  chaire 
de  la  chapelle  de  Saint-Nicolas  à  Waiblingen,  eu  1462,  portait  :  «  Le 
prédicateur  est  tenu  de  prêcher  dans  la  chapelle  ou  bien  â  la  paroisse 
tous  les  dimanches,  aux  quatre  grandes  fêtes  de  l'année,  aux  fêtes 
de  Aotre-Dame  et  des  saints,  et  les  mercredis  et  vendredis  de  carême.  » 
A  Stuttgard,  la  fondation  de  la  chaire  était  due  à  une  confrérie;  â 
Schorndorf  et  a  Göppingen,  à  toute  la  commune;  à  Waiblingen  et 
Balingen,  à  un  bourgeois;  â  Neuffen,  à  une  bourgeoise;  à  Blau- 
beuren, Dornstetten,  Bottwar,  à  un  vicaire;  à  Brackenheim,  à  un 
prêtre  de  la  localité;  a  Sulz,  â  un  curé  de  village.  Ce  dernier, 
nommé  Thomas  Pflüger,  curé  de  Leidriugeu,  fonda  la  charge  de 
prédicateur  en  1492,  -  dans  la  conviction  que  la  prédication  assidue 
et  un  enseignement  sain  de  la  parole  de  Dieu  apportent  à  l'homme 
un  profit  multiple  pendant  qu'il  est  ici-bas  et  encore  dans  le  temps  de 
la  grâce,  et  l'aident  à  acquérir  la  félicité  éternelle.  Car,  par  la  prédi- 
cation, l'intelligence  humaine  est  éclairée  et  conduite  â  la  connais- 
sance du  Dieu  tout-puissant,  et  les  chrétiens  sont  ainsi  attirés  et  élevés 
à  l'amélioration  de  leur  vie,  à  la  pratique  de  la  parole  de  Jésus-Christ 
et  aux  bonnes  oeuvres,  de  sorte  qu'ils  deviennent  capables  de  plaire  à 
Dieu.  La  prédication  les  encourage  puissamment  et  les  attire  à 
l'observance  de  la  loi  sainte  ^  « 

Le  nombre  considérable  de  sermonnaires,  de  plans  de  sermons, 
de  répertoires,  de  recueils  d'exemples  à  l'usage  des  prédicateurs 
publiés  dès  les  premiers  temps  de  l'imprimerie,  prouve  combien  la 
prédication  était  fréquente  à  cette  époque.  Aujourd'hui  encore 
nous  possédons  les  exemplaires  de  plus  de  cent  éditions  différentes 
d'ouvrages  de  ce  genre,  d'une  valeurplus  ou  moins  grande.  Ce  sont  des 


'  Otto,  p.  48.  —  Trois  et  quatre  mille  personnes  assistaient  quelquefois  aux 
sermons  du  prédicateur  de  la  ville  à  Francfort.  —  Voy.  Falk,  Zur  Beurtheilung 
des  fünf  zehnten  Jahrhunderts,  p.  407-408.  On  prêchait  si  fréquemment  qu'on  en 
arriva  à  mettre  quelque  restriction  au  zèle  des  prédicateurs.  —  Voy.  Die  Predigt 

am  Anfang  des  sechszehnten  Jahrhundert,  dans  le  Journal  de  l'Eglise  silèsiennc,  1873,  p.  337- 
338.  —  Voy.  HiPLEU,  Christliche  Lehre,  p.  40-42. —  Voy.  aussi  Ordonnances  de  l'évèque 
Dietrich  de  Samland,  vom  fahre  1471.  —  Voy.  les  uotes  de  Falk,  dans  le  Hist.  pal. 
Dl.  (1878,  t.  LXXXI,  p.  34-47). 

-  Kerker,  Erste  Abhandlung,  p.  389-391.  —  Voy.  Leuthenmayr,  p.  544. 


MATIÈRE    DES    SERMONS.  31 

>ermons  pour  (ous  les  dimanches  et  f(Mcs  de  Tannée,  pour  l'Avcnt,  le 
Can'ine;  fies  séries  d'iuslrucl  ions  sur  le /V//c/-,  les  dix  eomniandeinoiils, 
les  sept  péchés capilaux  ou  d'autres  sujets;  des  sermons  sur  les  devoirs 
d'état,  des  discours  pour  les  maria^jes,  des  oraisons  funèbres,  etc. 

Les  plus  remarciuables  de  ces  recueils  sont  dus  au  Carme  Dyonisius, 
au  Franciscain  Henri  Herp,  à  (Gabriel  Biel,  prédicateur  de  la  cathé- 
drale de  Mayeuce,  et  à  Geiler  de  Kaisersberjj  *. 

De  tous  ces  sermonnaires,  â  peine  en  est-il  un  qui  n'ait  eu  plu- 
sieurs éditions  consécutives,  et  souvent  dans  cinq  ou  six  villes  dif- 
lérenles.  Ainsi,  par  exemple,  les  sermons  du  Dominicain  Jean  Herolt 
n'eurent  pas  moins  de  quarante  et  une  éditions  *,  antérieurement 
à  1500,  ce  qui  autorise  à  penser  que  plus  de  quarante  mille  exem- 
plaires en  furent  répandus. 

Les  sermons  étaient  prêches  en  langue  vulgaire,  mais  écrits  en 
latin;  et  lorsqu'ils  étaient  imprimés,  ils  paraissaient  également  dans 
cette  langue.  Ce  fait  n'a  rien  qui  puisse  nous  surprendre,  en  un  temps 
où  les  études  de  théologie,  de  philosophie,  les  lectures  des  Pères, 
des  scolastiques,  des  auteurs  ascétiques,  se  faisaient  en  latin.  Les 
prédicateurs  qui  profitaient  des  sermons  d'autrui  avaient  du  moins 
la  peine  de  les  traduire.  Il  leur  fallait  aussi,  selon  le  conseil  que  leur 
donne  Ulrich  Surgant,  dans  son  Manuel  de  théologie  pastorale,  «  faire  ce 
travail  avec  intelligence,  ne  pas  traduire  littéralement,  prendre  sur- 
tout l'esprit  de  ces  sermons  préparés,  puis  bien  s'enquérir  des  habi- 
tudes de  langage  du  pays  où  ils  prêchent,  afin  de  ne  pas  s'exposer 
à  employer  des  expressions  inintelligibles  ou  d'un  sens  douteux  ^  ». 

Les  prédicateurs  des  villes  supposaient  souvent  des  connaissances 
trop  élevées  à  leurs  auditeurs;  et  malheureusement  beaucoup  d'entre 
€ux  apportaient  en  chaire  la  science  de  l'école  :  les  sermons  de  Gabriel 
Biel,  par  exemple,  sont  en  partie  de  véritables  traités  sur  les  points  les 
plus  ardus  du  dogme,  sur  la  sainte  Trinité,  le  péché  originel,  les  sept 
sacrements  ^  D'autres  orateurs  commentent  des  livres  entiers  de  la 
Sainte  Écriture  dans  des  suites  de  longs  sermons.  "  Il  est  d'usage,  dit 

'  Geffcken,  p.  10-14.  —  Kerker,  Zweite  Abhandlung,  p.  267-279.  —  Hupfauer,  Cher 
den  Passaucr  Domherrn  Paul  IVaun  und  seine  Schriften  (Landshut,  1801).  —  Le  livre 
intitulé  Gabriel  Biel  prédicateur ,  par  Plitt,  est  très-partial  (Erlangen,  1879J.  —  Pour 
plus  de  détails,  voy.  Cruel,  p.  451  et  ss.  —  Voy.  les  Sermons  de  Geiler,  sur  la 
Nef  des  fous. 

^  H.iiN,  u»  8473-8515. 

3  Pour  plus  de  détails  sur  ce  qui  vient  d'être  dit,  voy.  Geffcken,  p.  10-14,  et 
Kerker,  Ziceite  Abhandlung,  p.  280-301.  L'idée  erronée  que  la  prédication  se  fai- 
sait autrefois  en  latin  est  maintenant  tout  à  fait  abandonnée.  —  Voy.  Statuta 
synodalia.  A.   Wenceslao  episc.   IVratis.  a.  1410  publicata  ean.  17. 

*  Voy.  Linsenmann,  p.  222.  —  Voy.  Keppler,  Im  histor.  Jahrbuch  der  Görres  gesell- 
-scÄa/i  (Munster,  1882,  t.  III,  p.  285-315). 


32  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

Erasme,  que  le  curé  explique  à  ses  paroissiens,  dans  l'ordre  oîi  ils  se 
succèdent,  les  Évangiles,  et  les  Épitres  de  saint  Paul  '.  >•  On  faisait  trois, 
quatre  et  cinq  sermons  de  suite  sur  chacun  des  commandements  de 
Dieu-.  C'était  alors  la  coutume  de  mêler  à  presque  tous  les  sermons 
des  récits  plus  ou  moins  longs,  des  légendes,  contes,  fables,  anecdotes 
pieuses  ou  même  profanes,  destinés  à  graver  plus  sûrement  dans  la 
mémoire  renseignement  moraP;  mais  ces  récits  tombaient  trop  sou- 
vent dans  un  merveilleux  de  mauvais  goût  ou  dans  la  grossièreté  \ 

Dans  les  campagnes,  le  prédicateur  se  bornait  d'ordinaire  à  rappeler 
les  passages  les  plus  frappants  de  TP^vangile,  qu'ils  faisaient  précéder 
ou  suivre  d'une  leçon  de  catéchisme  sur  quelque  point  de  doctrine  ou 
de  morale  K  «  L'usage  que  de  pieux  prêtres  ont  établi  dans  les  villes 
et  les  villages  est  bien  louable  »,  dit  le  Guide  de  L'âme  ;  u  le  matin  ou 
dans  l'après-chnée,  ils  expliquent  aux  jeunes  et  aux  vieux  les  articles 
de  la  foi  et  les  commandements  de  Dieu  ;  puis  ils  les  interrogent,  afin 
de  s'assurer  s'ils  les  ont  bien  compris.  C'est  ainsi  que  les  sermons  sont 
rendus  intelligibles  au  peuple,  et  que  les  tableaux  des  commande- 
ments, des  confessions,  et  autres  qui  sont  suspendus  dans  les  églises, 
sont  bien  compris  ".  » 

L'instruction  sur  le  catéchisme  qui  terminait  souvent  le  sermon 
était  donnée  de  beaucoup  de  manières  différentes  dans  les  villes  et 
dans  les  villages. 


IV 


Les  images  sont  les  livres  des  ignorants,  tel  était  alors  le  principe 
fondamental  del'instruction  religieuse  populaire.  C'étaitpouriustruire 
le  peuple  par  les  yeux  qu'on  avait  imaginé  la  représentation  de  ces 
scènes  dramatiques  appelées  mystères,  où  se  déroulait  toute  l'his- 
toire de  la  rédemption  du  monde;  dans  le  même  but  on  reproduisait 
fréquemment  des  sujets  empruntées  aux  Bibles  des  pauvres  (Histoire 
sainte  populaire)  dans  les  sculptures,  vitraux,  retables  d'autels;  on 
peignait  la  danse  des  morts  sur  les  murs  des  cimetières,  et  dans  les 
églises  on  plaçait  des  tableaux  représentant  les  stations  douloureuses 
du  Sauveur.  L'Église  attachait  à  l'exercice  du  Chemin  de  la  Croix  des 
indulgences  spéciales. 

'  Voy.  Kerker,  Zweite  Abhandlung,  p.  278-279. 

-  Voy.  BüCHius,  p.  927,  502,  et  Grube,  p.  113. 

"  F.  Pfeiffer,  Germania,  t.  III,  p.  407,  444. 

*  Spéculum  excmploriim,  II.viN,  n»  14915,  VOn  1481.  —  SCHEEG.VNS,  p.  132-134. 

^  Kerker,  Erste  Abhandlung ,  p.  405-408. 

«  P.   11. 


ENSEIGNEMENT    DU    CATECHISME.  33 

Oii  se  livrait  avec  uue  exlrèmc  aclivilé  à  la  compositioa  de  ces 
catéciiismes  populaires  illustrés,  surtout  dans  la  seconde  moitié  du 
quinzième  siècle  :  JNicolas  de  Cusa  avait  probablement  ouvert  cette 
voie,  car  dans  ses  visites  pastorales  souvent  renouvelées  à  travers 
l'Allemagne,  on  voit  qu'il  avait  fait  faire  dans  les  églises,  pour  com- 
battre la  grossière  ignorance  du  peuple,  des  tableaux  au-dessous 
desquels  se  lisaient  les  textes  saints,  et  des  représentations  en  images 
des  dix  commandements  ou  du  Credo  '. 

Geiler  von  Kaisersberg  dit  dans  sa  traduction  de  l'ouvrage  de 
Gerson  sur  les  dix  commandements,  la  confession  et  l'art  de  mourir  : 
«  Prêtres,  parents,  maîtres  d'école,  directeurs  d'hôpitaux  doivent 
faire  en  sorte  que  l'enseignement  renfermé  dans  ce  petit  livre 
soit  écrit  sur  des  tableaux  et  attaché  en  entier  ou  en  partie  dans 
des  endroits  publics,  comme  églises  paroissiales,  écoles,  hôpitaux, 
lieux  de  dévotion.  »  <  Car  ce  livre  a  été  écrit,  ajoute-t-il,  pour  le 
salut  des  fidèles,  et  particulièrement  pour  l'enseignement  du  peuple 
grossier  et  ignorant,  auquel  il  ne  sera  jamais  donné  de  recevoir 
l'instruction  au  moyen  des  sermons  prêches  à  l'église.  »  «  Mais  il  est 
surtout  destiné  aux  enfants  et  aux  jeunes  gens,  qui  doivent  connaître 
exactement  l'essence  fondamentale  et  les  points  les  plus  importants 
de  notre  foi.  Les  parents,  pères  et  mères,  doivent  marcher  dans  cette 
voie  de  concert  avec  l'instituteur  ^.  " 

"  Interroge  souvent  tes  enfants  ■-,  dit  le  Guide  de  l'âme  aux  parents, 
'>  assure-foi  qu'ils  ont  bien  compris  ce  qui  leur  a  été  dit  sur  la  foi 
et  les  commandements,  et  ce  qu'ils  ont  retenu  des  explications  de  la 
doctrine  qui  leur  ont  été  données  à  l'école  et  à  l'église.  Là  git  leur 
salut  et  le  tien.  Il  ne  suffît  pas  de  savoir  par  cœur  les  paroles  du 
Credo,  les  commandements,  les  noms  des  péchés  capitaux  et  des  sacre- 
ments :  tout  chrétien  arrivé  à  l'âge  de  raison  doit  être  en  état  de 
les  réciter  couramment.  L'important,  c'est  de  bien  entendre  le  sens 
de  toutes  ces  leçons  ^  "  Lanzkrana  s'exprime  encore  plus  clairement 
dans  la  Voie  du  ciel.  "  L'homme,  dit-il,  est  obligé  d'apprendre  les  dix 
commandements  de  Dieu  avec  grand  zèle  et  de  son  mieux,  dès  qu'il 
est  arrivé  à  l'âge  de  raison.  Xon-seulement  il  doit  pouvoir  les  réciter 
l'un  après  l'autre  selon  le  texte,  mais  encore  comprendre  ce  à  quoi 
chaque  commandement  l'engage,  et  comment  il  doit  l'observer,  ou 
bien  ce  qu'il  lui  défend;  de  quelle  manière  on  le  méprise,  on  le 
transgresse.  De  même  tout  chrétien  doit  apprendre  comment  on 

'  Voy.  SoTZM\N\,  p.  546-547.   —    Otte,  Anzeiger  fur  Kunde  der  Deutschen  Voneit, 
t.  III,  p.  111-112. 
-  Gfffcken,  p.  34-36. 
»  P.  14. 


34  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

pèche  par  les  sept  péchés  capitaux  et  ce  qui  apparfieul  à  une  vraie 
pénitence.  Qii'û  sache  aussi  ce  qu'il  doit  demander,  désirer  el 
espérer  de  Dieu,  et  l'explication  du  Pater.  Voilà  ce  que  les  pères 
et  mères  doivent  enseigner  à  leurs  enfants,  les  maîtres  d'école  à  leurs 
écoliers,  les  maîtres  à  leurs  domestiques,  les  supérieurs  à  leurs  infé- 
rieurs, ou  du  moins  voilà  ce  qu'ils  doivent  les  engager  à  apprendre, 
soit  par  eux-mêmes,  soit  par  le  secours  d'un  autre,  autant  que  cela 
convient  à  leur  position  '.  " 

Le  luthérien  Mathésius  nous  donne  ce  renseignement,  emprunté  aux 
souvenirs  de  sa  jeunesse  catholique  :  -  Les  parents  et  les  maîtres  d'école 
enseignaient  à  leurs  enfants  les  commandements,  le  Credo  et  le  Paler 
J'ai  appris  moi-même  ces  choses  dans  mon  enfance,  et,  selon  l'ancien 
usage  de  l'école,  je  récitais  souvent  mes  leçons  â  d'autres  enfants.  -^ 
Le  prince  Jean  Frédéric,  plus  tard  prince  électeur,  priait  souvent  son 
père,  lorsqu'il  avait  huit  ou  neuf  ans,  de  lui  permettre  de  courir  au 
catéchiî-me  avec  les  autres  enfants  de  la  ville  de  Torgau,  -  car  il 
était  pour  lors  agréable  au  petit  seigneur  de  voir  un  jeune  garçon 
en  interroger  un  autre  d'une  manière  infelligente  et  aimable-". 

Parmi  les  catéchismes  proprement  dits,  le  plus  ancien  de  ceux  qui 
nous  soient  connus,  c'est  le  Miroir  du  chrétien,  que  le  grand  prédi- 
cateur populaire  Dedcrich  Coelde,  religieux  minime  de  Munster,  en 
Westphalie,  fit  imprimer  en  1470  en  bas  allemand,  et  qui  fut  maintes 
fois  réédité  dans  la  suite.  Il  est  si  simple,  si  clair,  d'un  style  si 
ferme  et  si  précis,  qu'on  pourrait  s'en  servir  aujourd'hui  avec  autant 
de  profit  qu'il  y  a  quatre  siècles.  La  pensée  dominante  qui  l'anime, 
du  commencement  jusqu'à  la  fin,  c'est  celle-ci  :  Jésus  mon  tout  et 
tout  pour  Jésus.  Après  une  instruction  sur  la  foi  en  général,  il  traite 
du  symbole  des  Apôtres,  des  deux  principaux  commandements  sur  la 
charité,  des  huit  autres  commandements  de  Dieu,  et  des  cinq  de  l'Église. 

«  Comme  la  foi  est  le  fondement  de  toutes  les  vertus  et  le  commen- 
cement de  la  félicité  humaine  • ,  dit  l'auteur,  «  il  est  nécessaire  et  très- 
utile  que  l'homme  bon  et  vertueux  récite  souvent  le  Credo,  et  y  réflé- 
chisse tous  les  jours.  «  -  Et  nous  ne  sommes  pas  seulement  obligés  à 
croire  les  douze  articles  du  symbole,  mais  encore  tout  ce  que  les 
saintes  Écritures  nous  révèlent  et  ce  que  la  sainte  Église  chrétienne 
nous  ordonne  de  croire  \  '  A  propos  du  premier  commandement, 
Coelde  cherche  à  imprimer  avec  force  dans  les  esprits  la  pensée  sui- 
vante :  «  L'homme  doit  mettre  sa  foi,  son  espérance  et  son  amour 


1  p.  7  et  8.  Voy.  Geffcke\,  Suppl,  p.  107  et  108. 

5  Briisilein  Luthers' s  Einßuss  au/ das  Volkschubccsen,  p.  19-20. 

*  Tous  les  autres  livres  d'enseignement  de  l'époque  s'expriment  de  la  même 
manière  sur  la  nécessité  de  la  foi  pour  le  salut.  Pour  plus  de  détails,  voy. 
Brück,  p.  14. 


ENSEIGNEMENT    DU    CATÉCHISME.  35 

en  Dieu  seul,  cl  iioii  ditiis  imcimo  crcjiliii'c  :  ceux  donc  (|iii  niellent 
danslcs  s;iin(s,  plusqn'cn  Dieu,  leur  loi,  leur  espénincc  el  leur  amour, 
pèchent  confrc  le  prcmiei'  commandement  '.  > 

Après  avoir  parlé  des  commandements,  Coelde  traite  du  péché. 
11  parcourt  successivement  les  sept  péchés  capitaux,  les  péchés  de  par- 
ticipation, les  péchés  conlre  le  Sainl-Ksprit  et  les  autres;  puis  il  en 
vient  â  la  doctrine  de  l'absolution,  à  la  contrition,  la  confession  et  la 
satisfaction;  il  traite  ensuite  de  la  doctrine  des  œuvres  de  miséricorde 
corporelle  et  spirituelle,  etc.  Les  chapitres  sur  la  prière,  l'assistance 
dévote  à  la  sainte  messe  et  la  sanctificatiou  de  la  journée  chrétienne 
sont  particulièrement  remarquables.  Les  devoirs  d'état  y  sont  aussi 
très-clairement  exposés. 

Le  chapitre  sur  la  préparation  à  la  mort  et  sur  la  confiance  unique 
que  nous  devons  avoir  dans  les  mérites  de  Jésus-Christ,  sur  le  repentir 
et  la  pénitence  des  péchés  qui  tirent  toute  leur  efficacité  et  puissance 
'  de  la  dure  expiation  de  Xotre-Seigneur  -,  est  très-remarquable. 
Comme  le  livre  n'est  pas  seulement  un  catéchisme,  mais  aussi  un  livre 
de  prières,  ou  y  trouve,  mêlées  au  texte,  de  ferventes  oraisons  jacula- 
toires, que  les  malades  devaient,  ou  prononcer  eux-mêmes,  ou  se  faire 
suggérer.  On  conseille  aussi  de  leur  lire  la  Passion  du  Sauveur. 

Ce  que  l'auteur  recommande  de  la  manière  la  plus  pressante  pour  la 
méditation  journalière,  est  aussi  conseillé  dans  tous  les  livres  d'ensei- 
gnement religieux,  manuels  de  prières  ou  sermons  de  cette  époque. 
'  Tu  ne  dois  jamais  t'imaginer,  est-il  dit  dans  une  explication  des  dix 
commandements  (1515),  et  aucun  homme  ne  le  doit,  qu'il  nous  soit 
possible  par  nous-mêmes  d'entrer  dans  la  voie  du  salut.  Nous  ne 
devons  pas  non  plus  penser  que  par  nos  vertus  et  nos  bonnes  œuvres, 
nous  pouvons  être  sauvés.  S'il  nous  arrive  cjuelque  bien,  nous  en 
sommes  uniquement  redevables  aux  mérites  admirables  de  Jésus- 
Christ,  à  la  miséricorde  sans  bornes  de  Dieu,  qui  ne  veut  pas  nous 
juger  selon  son  équité,  mais  nous  faire  grâce.  C'est  dans  cette  misé- 
ricorde que  nous  devons  nous  réfugier,  prenant  notre  asile  dans 
l'aimable  Cœur  de  Jésus.  Le  Père  très-puissant  ne  nous  méprisera 
pas,  lorsque  nous  serons  abrités  dans  cette  maison  paternelle  où  il 
y  a  beaucoup  de  demeures  *.  " 

"  Tout  chrétien,  dit  Albert  von  Eyb  dans  son  Introduclionà  la  per- 
fection chrétienne,  doit  invoquer  Dieu  de  cette  manière  :  —  Je  ne  puis 
moi-même  me  sauver  par  mes  œuvres,  mais  toi.  Seigneur  mon  Dieu, 
sauve-moi,  aie  pitié  de  moi.  Mes  mérites  ne  me  donnent  nulle  conso- 
lation, mais  je  me  confie  en  ta  divine  miséricorde,  tu  es  mon  unique 

'  D'ordinaire,  dans  les  catéchismes,  on  expliquait  ce  qui  concerne  le  culte 
des  saints,  de  suite  après  les  chapitres  sur  Dieu.  Geffcken,  p.  53. 
^  Voy.  Brück,  p.  17  et  3,  note  5. 

3. 


36  L'INSTUUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

espérance.  Hélas!  mon  Dieu,  c'est  envers  toi  seul  que  j'ai  péché;  je 
te  suis  assez  cher  pour  fjue  tu  aies  voulu  me  sauver.  Tu  m'as  aimé 
jusqu'au  point  de  daigner  me  racheter.  Ne  me  laisse  pas  devenir  si 
indigne  de  tes  regards  que  tu  en  viennes  à  me  perdre  '.  «  Geiler  de 
Kaisersberg  enseignait  aux  fidèles  cette  prière  (1482)  :  ^-  Très-doux 
Jésus,  en  toi  est  mon  unique  espérance.  Seigneur,  je  te  demande  ton 
Paradis,  non  à  cause  de  mes  mérites,  mais  en  vertu  de  ta  très-sainte 
Passion  par  laquelle  tu  as  voulu  sauver  ton  indigue  serviteur,  lui 
achetant  le  paradis  au  prix  de  ton  sang  précieux.  »  Les  fidèles, 
dit-il  ailleurs,  doivent  invoquer  la  Sainte  Vierge  ainsi  qu'il  suit  : 
«  Reine  des  cieux,  mère  de  miséricorde,  refuge  des  pécheurs,  récon- 
cilie-moi avec  ton  Fils  unique,  et  demande  grâce  pour  moi,  misérable 
pécheur  ^  »  Dans  une  instruction  pastorale  de  Surgant  (1502j,  le  prêtre 
est  invité  à  exhorter  les  malades  comme  il  suit  :  "  Notre  cher  Sei- 
gneur Jésus  a  souffert  le  martyre  et  la  mort  amère  pour  vous  et 
pour  tous  les  hommes  sur  l'arbre  de  la  sainte  Croix,  car  il  ne 
veut  ni  ne  désire  la  mort  éternelle  de  l'homme,  mais  qu'il  se  con- 
vertisse et  vive  éternellement.  Vous  ne  devez  donc  pas  désespérer 
de  la  miséricorde  de  Dieu,  mais  mettre  eu  lui  tout  votre  espoir 
et  toute  votre  confiance,  supporter  patiemment  votre  maladie  et 
unir  vos  faibles  souffrances  aux  grands  tourments  de  Jésus-Christ. 
Ne  craignez  donc  pas  les  assauts  du  démon,  car,  à  l'ombre  de  la 
sainte  Croix,  vous  aurez  un  refuge  dans  toutes  vos  peines.  "  — 
«  Invoquez  aussi  la  très-digne  et  glorieuse  reine  et  mère  de  Dieu,  la 
Vierge  Marie,  tous  les  saints  et  anges  de  Dieu,  afin  qu'ils  vous  assis- 
tent à  votre  dernière  heure,  et  vous  conduisent,  lorsque  vous  sortirez 
de  ce  siècle,  à  la  félicité  éternelle  ^  »  Dans  le  Petit  Jardin  de  l'âme,  un 
des  livres  de  piété  les  plus  excellents  et  les  plus  répandus  de  l'époque, 
l'instruction  sur  la  manière  de  bien  mourir  est  vraiment  remarquable. 
"  L'homme  doit  tous  les  jours  apprendre  cette  leçon,  et  tant  et  si  bien 
l'apprendre  qu'il  la  sache  enfin  entièrement.  "  Voici  ce  qu'il  y  est 
expressément  dit  et  conseillé  sur  la  préparation  à  la  mort  :  "  Tandis 
que  ton  âme,  cette  noble  création  de  Dieu,  est  encore  en  toi  et  que 
tu  respires  encore,  tu  ne  dois  mettre  ton  espoir  et  ta  confiance  en 
rien  autre  chose  que  dans  les  mérites  et  la  mort  de  Jésus-Christ.  » 
Le  chrétien  doit  donc  s'écrier  :  -  0  miséricordieux  Seigneur  Jésus,  je 
mets  ta  mort  douloureuse  entre  ta  sentence  et  ma  pauvre  âme  M  » 
Ulric  Krafft,  dans  son  Combat  spirituel {iô03),  dit  aussi  :  «  Je  sais  que 

'  Spiegel  der  Sillen  (Augsbourg,  1511,  p.  125). 

*  Geiler  von  Kaisersiserg,   Wie  man  sich  halten  sol  bei  einem  sterbenden  Menschoi., 
1482.  Fac-simile  avec  une  introduction  par  L.  Dacheux  (Paris-Francfort,  1878). 

^  Extrait  du  Manuale  Ciiratorum.  —  Voy.  HaSAK,  Relig ,  liter.,  p,   238-239.  —  Voy. 
A  mes  critiques,  p.  42-44. 

*  Tiré  de  l'édit.  de  Strasbourg,  1509.  —  Hasak,  Christliche  Glaube,  p.  367-372. 


ENSEIGNEMENT    DU    CATECHISME.  37 

nous  avons  un  Dieu  plein  de  bonté;  je  veux  moiuMP  en  me  confinnt 
en  son  amour  et  sa  miséricorde,  et  non  en  espérant  dans  mes  bonnes 
œuvres  '.  '  Mais  cette  vérité  que  le  salut  du  genre  humain  est  attaché 
à  la  Passion  de  Jésus-Christ,  et  que  nous  ne  serons  sauvés  et  intro- 
duits dans  le  Paradis  que  par  elle,  n'est  exprimée  nulle  part  d'une 
manière  plus  profonde  et  plus  touchante  que  dans  le  livre  intitulé  : 
Trésor  des  vraies  richesses  du  salut  (1491)  :  «  IN'otre  force,  notre  salut, 
dit  l'auteur,  notre  défense,  notre  victoire  est  dans  la  foi.  Si  elle  est 
forte  en  nous,  nous  serons  puissants  contre  le  démon;  si  elle  est 
faible,  nous  serons  faibles;  si  nous  perdons  la  foi,  ce  qu'a  Dieu  ne 
plaise,  nous  perdons  notre  défense.  Si  notre  foi  est  inébranlable, 
nous  sommes  supérieurs  à  tous  nos  ennemis,  qui  ne  peuvent  nous 
nuire  et  nous  vaincre  que  s'ils  parviennent  à  l'affaiblir  ou  à  nous  la 
ravir.  Que  celui  donc  qui  veut  résister  au  démon  et  remporter  sur 
lui  la  victoire,  se  tienne  inébranlablemcnt  attaché  à  la  foi  et  la  con- 
serve intacte.  Lorsque  le  démon  t'attaque  par  l'orgueil  et  te  fait 
croire  que  tu  n'as  rien  à  redouter  du  jugement  de  !)ieu  parce  que  tu 
as  fait  ceci  et  cela,  et  tant  de  bonnes  œuvres,  et  parce  que  ta  bonne 
vie  et  ta  sainteté  t'ont  bien  mérité  le  salut,  montre-lui  l'article  du 
symbole  qui  parle  de  la  Passion  de  Jésus-Christ,  comme  pour  lui 
dire  :  Xon,  avec  mes  petites  œuvres,  faibles,  imparfaites,  sans  durée,  il 
serait  impossible  que  j'eusse  mérité  l'éternelle  félicité!  Mais  voilà  Celui 
qui  l'a  acquise,  Celui,  dis-je,  qui  a  souffert  pour  nous  sous  Ponce- 
Pilate,  qui  a  été  crucifié  pour  nous,  qui  est  mort  pour  nous.  C'est 
dans  la  Passion  et  les  mérites  de  Celui-là  seul  que  j'espère;  c'est  sa 
grâce  et  sa  douceur  que  j'invoque,  parles  mérites  de  tous  les  saints  et 
de  toute  la  sainte  chrétienté.  »  —  "  Réfléchis  bien  •',  est-il  dit  dans 
l'avertissement  au  lecteur  de  ce  même  livre,  «  à  ce  que  conseille  la  fidèle 
mère  de  tous  les  chrétiens,  à  ce  qu'elle  enseigne,  à  Celui  auquel  elle  nous 
adresse  et  veut  nous  conduire.  Cette  mère  très-sage  et  très-fidèle, 
l'Eglise  romaine,  met  sa  plus  haute  et  sa  meilleure  espérance  dans 
la  passion  et  la  mort  de  Jésus-Christ,  et  elle  apprend  à  ses  enfants  à 
recourir  à  lui  dans  leurs  plus  grands  et  suprêmes  périls,  témoignant 
ainsi  qu'il  n'est  pas  de  plus  siir  refuge  dans  la  détresse  ^.  » 

Un  autre  catéchisme  du  même  temps,  le  Guide  de  l'âme,  que  nous 
avons  déjà  cité,  se  distingue  particulièrement  par  la  clarté  avec 
laquelle  y  est  exposée  la  doctrine  sur  les  sacrements  et  sur  le  culte 
des  saints  :  -  Sache,  mon  cher  frère,  dit-il,  que  la  sainte  Église  a 
toujours  enseigné  que  la  prière  qu'on  adresse  aux  saints  est  fertile  en 
grâces  pour  celui  qui  veut  parvenir  au  ciel.  Invoque-les  donc  avec 

'  Hasvk,  p.  431-442. 

-  Paj-^e  D.  el  a-.  Von  den  Früchten  des  Leidens  Christi.  Tay.  Aa'.  —  Od*.  Pag. 
Dd*.,  llh^ 


3S  L'INSTRUCTION    l'OPULAlKE    ET    1- A    SCIENCE. 

fei'veur,  afin  qu'ils  ( "aident  par  la  prière  à  accomplir  tout  ce  qui  est 
bon  et  selon  la  volonté  de  Dieu;  ue  leur  demande  rien  d'autre.  Ton 
anp,e  aussi  t'aidera,  ainsi  que  ton  patron,  et  tout  particulièrement 
Marie,  .Mère  bénie  du  Seigneur.  Seulement  sois  attentif  à  les  prier 
comme  tu  le  dois,  mettant  ton  unique  confiance  en  Dieu  seul.  Ainsi 
faite,  ta  prière  sera  bonne  et  agréable  à  Dieu;  autrement,  non  '.  » 

Il  semble  que  dans  ce  chapitre,  le  Guide  de  l\îme  se  soit  inspiré  de 
YExpUcüüon  des  douze  articles  de  It  foi  chrétienne,  imprimée  à  Ulm 
en  i486,  où  il  est  dit  apropos  des  saints  :  «  L'Église  triomphante,  c'est- 
à-dire  les  saints  du  ciel,  intercède  pour  l'Église  de  la  chevalerie 
(lÉglise  mililantej;  car  dans  la  patrie  céleste,  les  saints  ont  une 
charité  plus  ardente  que  celle  qu'ils  avaient  ici-bas.  Sur  la  terre,  ils 
priaient  pour  les  vivants  et  les  morts;  or,  comme  l'amour  ne  tarit 
jamais,  ils  continuent  dans  le  ciel  à  prier  pour  les  vivants,  et  aussi 
pour  les  morts  qui  sont  dans  le  Purgatoire.  Celui  qui  dit  le  contraire 
tombe  dans  l'erreur  des  hérétiques  qui  prétendent  que  les  saints  ne 
prient  pas  pour  nous.  » 

<i  Tout  ce  que  nous  demandons  dans  nos  prières  ne,  tend  qu'à 
obtenir  ce  qui  est  nécessaire  à  la  vie  éternelle  que  Dieu  seul  peut 
nous  donner;  cependant  les  chers  saints,  par  leurs  prières  et  leurs 
mérites,  peuvent  nous  aider  à  l'obtenir  de  Dieu.  Donc,  notre  prière, 
à  proprement  parler,  ne  s'adresse  qu'à  Dieu  seul,  de  qui  nous  atten- 
dons ce  que  nous  demandons  par  nos  prières.  Aussi  l'Église  ne  dit- 
elle  pas  :  "  Christ,  priez  pour  nous  ;  mais  ^-  ayez  pitié  de  nous.  " 
«  >ious  nous  adressons  à  Dieu  comme  à  notre  Créateur  et  Sauveur  », 
est-il  dit  dans  le  Petit  Jardin  de  l'oraison  (1516),  -  et  nous  le  supplions 
de  nous  donner  sa  grâce  et  la  gloire  éternelle,  de  nous  pardonner 
nos  péchés  -,  etc.,  au  lieu  que  nous  demandons  aux  saints  qu'ils  nous 
obtiennent,  par  leurs  prières,  grâce  et  pardon  auprès  de  Dieu  ;  car 
s'ils  ne  peuvent  nous  donner  la  grâce  et  la  gloire,  ils  peuvent  néan- 
moins nous  l'obtenir  par  leurs  prières.  Voilà  pourquoi  nous  disons  à 
Jésus-Christ,  vrai  Dieu  et  vrai  homme  en  une  personne  unique  :  Sei- 
gneur, aie  pitié  de  moi,  pardonne-moi  mes  péchés,  fais-moi  part  de 
ta  grâce,  donne-moi  la  vie  éternelle!  Au  lieu  que  nous  disons  aux 
saints  :  O  Vierge  Marie,  prie  Dieu  pour  moi  !  Obtiens-moi  grâce  et 
faveur!  Aide-moi  par  ton  intercession  à  obtenir  la  vie  éternelle,  etc.^  » 
La  doctrine  qu'on  cherchait  à  imprimer  profondément  dans  les 
esprits  et  qu'on  enseignait  universellement  est  celle-ci  :  -  Il  faut 
invoquer  les  saints,  et  les  prier,  non  de  nous  secourir  par  eux-mêmes 
et  de  nous  donner  ce  que  nous  demandons,  mais  de  prier  sans  cesse 

'  p.  19. 

*  Hasak.  Christliche  Glaube-,  p.  94-95. 
»  P.  65  (Augsbourg,  1513  et  1515j. 


ensei(;nement  du  catéchisme.  39 

le  Toul-Puissant  de  nous  accorder  ce  que  nous  souhaitons,  en  faveur 
de  l<'nr  désir  el  de  leur  amilié  '.  ^^ 

La  doctrine  sur  les  indul{;ences  n'es!  pas  exposée  avec  moins  de 
clarté  :  «  L'indul{jence,  explique  (ieiler  von  Kaisersberg,  est  la 
rémission  d'une  faule,  mais  de  quelle  faute?  Il  n'est  nullement 
question  d'un  péché  mortel,  puisqu'il  faut  en  être  exempt  pour 
obtenir  l'indulgence.  11  ne  s'agit  pas  davantage  du  châtiment  éternel 
dû  au  péché,  puisqu'il  n'est  pas  de  rédemption  dans  l'enfer.  Il  ne 
s'agit  ici  que  du  châtiment  temporel  que  le  pécheur  a  encore  à  subir, 
lürs(|ue  s'étant  repenti  et  ayant  fait  pénitence,  il  a  déjà  mérité  que 
les  peines  éternelles  dues  à  ses  péchés  soient  changées  en  peines 
temporelles  ^  "  —  «  Sache,  dit  le  Guide  de  l'dme,  que  l'indulgence  ne 
remet  pas  les  péchés,  mais  seulement  les  punitions  (jue  les  péchés  ont 
méritées;  sache  que  lu  ne  gagneras  aucune  indulgence  si  tu  es  dans  le 
vice,  si  auparavant  tu  ne  t'es  confessé,  si  tu  ne  t'es  sincèrement 
repenti  et  si  tu  n'as  pas  dans  le  cœur  le  ferme  propos  de  te  corriger. 
Sans  toutes;  ces  choses,  rien  ne  t'aidera.  Dieu  est  clément  et  miséricor- 
dieux, et  il  a  donné  à  la  sainte  Église  le  pouvoir  de  délier  les  péchés 
ainsi  qu'un  grand  trésor  de  grâces,  mais  il  ne  les  dispense  pas  à  celui 
qui  n'est  pénitent  qu'en  apparence  et  s'imagine  pouvoir  obtenir  le 
ciel  par  des  œuvres  extérieures  \  "  La  Somme  de  Jean  (1482)  explique 
de  même  que  celui-là  seul  gagne  les  indulgences  "  qui  a  un  vrai 
repentir  de  ses  péchés...  )  Si  l'homme  est  en  état  de  péché  mortel, 
il  ne  gagne  pas  l'indulgence,  car  elle  n'est  jamais  pour  les  pécheurs  : 
elle  n'est  pas  non  plus  distribuée  dans  la  même  mesure  à  tous  les 
chrétiens  vraiment  repentants  :  on  y  participe  d'autant  plus  qu'on 
met  pour  l'obtenir  plus  de  dévotion  et  de  ferveur,  en  y  joignant  une 
aumône  faite  suivant  ses  moyens  '.  <  Contre  ceux  qui  disent  en  parlant 
des  indulgences  "  qu'on  peut  obtenir  le  pardon  de  ses  péchés  pour  de 
l'argent  et  qu'elles  sont  vénales  ',  YExplicatmi  des  articles  de  la  foi 
remarque  que  l'Église  ne  prétend  pas  amasser  de  l'argent  par  les 
indulgences,  mais  qu'elle  n'a  en  vue  que  la  louange  et  la  gloire  de 
Dieu.  "  Tous  ceux  qui  aident  à  bâtir  des  églises  ou  à  les  orner  ne 
gagnent  pas  l'indulgence,  mais  ceux-là  seuls  qui  sont  exempt  de  péchés 
mortels  et  apportent  leur  offrande  par  dévotion,  avec  une  vraie  foi, 
une  grande  confiance  dans  la  communion  des  saints  et  surtout  dans 
les  mérites  de  ceux  en  l'honneur  desquels  ces  églises  sont  construites, 

'  Summa  Johaiinls,  de  Frère  Bfrchthold,  Dominicain.  Trad.  allem,  parue  chez 
Sorjj  à  Augsbourîï,  1482.  p.  30'\  —  Voy.  Br.LCK,  p.  20-21.  —  II.vs.vk,  LU.  rcUg.. 
p.  210.  —  Voy.   Himmelstras/ic,  p.  39''.  —  Voy.  A  mes  critiques,  p.  32-49. 

-  Voy.  LiNDEMVW,   p.    81. 

'  P.  21 

*  Voy.  llAS.VK.  62.  —  Voy.  aussi  Himmehtratsc ,  p.  39.  —  Geffcken,  Suppl., 
p.  109. 


40  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

accompagnant  ces  sentiments  d'une  ferme  es^pérauce  dans  la  miséri- 
corde du  Dieu  très-clément  '. 

Un  manuel  de  catéchisme  plus  étendu,  livre  de  piété  en  même 
temps  que  livre  dogmatique,  c'est  la  Conwlntinn  de  l'âme  (Seelen- 
trost) *.  C'est  un  des  plus  beaux  ouvrages  qu'ait  produits  la  prose  alle- 
mande au  quinzième  siècle.  Il  a  été  imprimé  bien  des  fois  en  plusieurs 
dialectes,  de  1474  à  1491,  et  en  différents  endroits,  à  Augsbourg, 
Cologne,  Utrecht,  Harlem,  Zwolle  et  ailleurs.  «  J'ai  l'intention  -,  dit 
son  auteur  dont  le  nom  est  resté  inconnu  ',  d'écrire  en  allemand 
un  livre  tiré  de  TEcriture  sainte  pour  la  louange  de  Dieu  et  l'édifi- 
cation de  mes  frères  les  chrétiens;  je  veux  composer  ce  livre  de 
fleurs  cueillies  par  bien  des  mains,  et  il  s'appellera  la  Conso- 
lation de  l'âme;  j'y  parlerai  des  dix  commandements,  des  sacre- 
ments, des  béatitudes,  des  six  œuvres  de  miséricorde,  des  sept  fêtes 
de  Notre-Seigneur,  des  sept  dons  du  Saint-Esprit,  des  sept  péchés 
mortels,  des  sept  vertus  cardinales  et  de  tout  ce  que  Dieu  m'in- 
spirera... Ce  qui  n'est  pas  conforme  â  la  vérité,  je  le  laisserai  de 
côté,  et  ne  choisirai  que  ce  qu'il  y  a  de  meilleur,  que  ce  qui  est  pur  et 
consolant.  Je  ferai  comme  le  médecin  qui  cherche  des  plantes  utiles 
pour  en  composer  des  remèdes,  ou  bien  comme  la  colombe  qui  choisit 
les  plus  beaux  grains  pour  s'en  nourrir.  Je  demande  à  tous  ceux  qui 
liront  ce  livre  de  prier  Dieu  pour  moi,  afin  que  je  profite  de  leur 
prière  et  que  je  parvienne  avec  eux  là  où  nous  trouverons  l'éternelle 
consolation  de  nos  âmes.  Oue  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  nous 
aident  à  l'obtenir!  •  L'explication  de  chaque  commandement  est  suivie 
d'anecdotes  destinées  à  enseigner,  à  conseiller,  à  avertir.  Elles  sont 
d'une  délicatesse  de  sentiments  et  d'une  beauté  de  style  remarquables. 

Comme  on  attachait  une  grande  importance  a  la  digne  réception 
des  sacrements  de  pénitence  et  d'Eucharistie,  la  plupart  des  livres 
d'instruction  religieuse  paraissaient  annuellement,  sous  forme  de 
manuels  de  confession,  examens  de  conscience,  traités  sur  les  dix 
commandements,  sur  les  diverses  sortes  de  péchés,  sur  la  prépa- 
ration à  la  sainte  communion.  La  plus  grande  partie  des  nom- 
breux livres  de  piété  écrits  en  allemand  à  cette  époque  ne  contien- 

'  Hasak,  Christliche  Glaube,  p.  96.  —  Voy.  la  doctrine  sur  les  induljjences  dans 
le  livre  intitulé  :  Die  l.icbe  Gottes,  viilsammt  dem  Spiegel  der  kranken  und  sterbenden 
Menschen,  chap.  XVI.  Auf^sbourj;.  1494.  —  IIasak,  p.  164-168.  —  Voy.  les  ser- 
mons de  Ceiler  (Aufïsbounç,  l.ô04  .  — Sur  les  indulgences,  voyez  encore  le  tra- 
vail de  .lacques  de  JLTEr.Buck  ^mort  eu  1466i,  Kellner,  p.  327-329.  —  Voy.  Wir- 

TENWEILER,    Z?'";?.,   p.    101-112. 

*  GeffckeN,  p.  45-49,  110-lil.  Anzeiger  für  Kunde  Deutschen  l'oz-ciV,  p.  13,  307-309. 
—  IlASlK,   p.   100,   106. 

'  HAinzHrni,  Bibliotheca  Colon.,  p.  188,  attribue  au  prêfre  Jean  Moirs  le  livre 
de  la  Consolation  de  l'âme.  —  Voy.  BiNTERiM,  t.  \  H,  p.  564. 


EXAMENS    11  E    CONSCIENCE.  41 

nenl  que  fies  instructions  sur  la  confession  et  la  communion  '. 
Pnrmi  les  livres  do[',matiques  sur  la  confession,  le  livre  de  Jean 
WoH'f,  vicaire  de  ré,<',iise  Saint-Pierre  de  Francfort-sur-le-Mein,  brille 
au  premier  ran(;'  (1178)  -.  Il  commence  par  une  exccllenle  inslrncüon 
adressée  aux  enfants  qui  se  préparent  à  se  confesser  pour  la  première 
fois,  et  conlient  à  la  suite  de  l'examen  sur  les  dix  commandements, 
des  chapitres  sur  la  foi,  l'espérance  et  la  charité,  sur  les  sacrements, 
les  diverses  sortes  de  péché,  la  contrition,  la  confession  et  la  satisfac- 
tion. Le  pénitent,  s'examinant  d'après  l'examen  de  conscience  qu'il 
trouve  en  ce  livre,  doit  se  demander,  par  exemi)le,  s'il  amis  toute  sa 
confiance  en  Dieu  seul.  S'il  n'en  est  pas  ainsi,  il  doit  s'en  accuser,  et 
dire  :  «  J'ai  mis  mon  espérance  de  salut  éternel,  ou  dans  un  saint,  ou 
dans  une  créature  ",  car  '■  il  faut  mettre  en  Dieu  seul  toute  espé- 
rance de  pardon,  de  ,",rAce  et  de  salut  ;  .  Relativement  au  culte  des 
images,  VVolff  s'explique  ainsi  qu'il  suit  :  '=  Item,  nous  devons  honorer 
les  images  des  saints  avec  beaucoup  de  vénération,  non  pour  elles- 
mêmes,  mais  parce  qu'en  les  regardant  avec  respect,  nous  témoignons 
de  l'honneur  aux  personnes  que  ces  images  représentent  :  c'est 
ainsi  que  l'a  toujours  entendu  la  sainte  Église,  et  penser  autrement 
serait  de  l'idolûtrie  ^  ■'  Le  chapitre  sur  le  quatrième  commandement 
est  très-instructif.  Il  est  intitulé  :  Des  devoirs  des  enfants  envers  leurs 
parents  selon  la  chair,  et  du  respect,  amour  et  obéissance  qu'ils  leur 
doivent.  Les  devoirs  des  enfants  envers  leurs  supérieurs  spirituels, 
leurs  maîtres  et  instituteurs,  les  autorités  temporelles,  les  pauvres 
et  les  vieillards  y  sont  aussi  exposés.  A  propos  de  ces  derniers,  il  est 
dit  :  "  Les  pauvres  vieilles  gens  sont  tes  père  et  mère  suivant  l'âge, 
et  tiennent  la  place  de  .lésus-Christ.  "  Vient  ensuite  comme  point  de 
confession  :  «  Je  me  suis  moqué  des  pauvres  et  des  aveugles,  je  ne  les 
aipashonorés  avec  les  sept  œuvres  de  miséricorde,  je  ne  les  ai  ni  visités, 
ni  nourris,  ni  abreuvés,  ni  vêtus.  Je  ne  les  ai  pas  reçus  dans  ma  mai- 
son, ni  ensevelis  suivant  mes  moyens;  je  les  ai  rudoyés,  je  les  ai  fait 
longtemps  attendre  à  ma  porte  ''.  "  Le  chrétien  doit  considérer  son 
superflu  comme  la  propriété  du  pauvre,  et  par  conséquent  s'examiner 
sur  ce  point,  disant,  s'il  est  coupable  :  "  J'ai  été  trop  attaché  à  mon 

'  Pour  plus  de  flétails  sur  les  examens  de  conscience,  voy.  Falk,  Druckkunst, 
p.  .38-44,  99-104.  —  Voy.  Munzenberger,  t.  III,  p.  33.  —  IIasvk,  Ihligiöse  Lite- 
ratur, p.  214. 

ä  Voy.  MuNZENBEUGER,  p.  3-.33.  —  Geffckex,  p.  26-28.  —  Buuck,  p.  27-28, 
35-37.  —  Voy.  Eine  schone  geistliche  Lehre  und  L'nterwcysinge  van  der  Dichte  und  van 
dem   Sterbenden   mynschen   und  dem   (jiUden  Scclcnlrosl   (Magdebourjj,    1486).    —   Voy. 

MtNZENBERGER,    p.   24-72. 

^  Voy.  p  6  et  7.  Le  texte  est  tout  senil)lable  dans  la  traduction  faite  par 
Geiler  de  l'opuscule  de  Gerson  sur  les  commandements.  Geffcken,  p.  38.  — 
Voy.  sur  le  culte  des  images  le  tome  second  de  cet  ouvrage,  7«  édition. 

*  P.  7. 


42  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

superflu  qui  est  le  bien  du  pauvre;  je  l'ai  tant  aimé  que  je  n'ai  pas 
donné  l'aumône  ^  •■ 

Sur  le  repentir  nécessaire  pour  obtenir  le  pardon  de  ses  péchés,  il 
est  dit  :  "  Il  faut  que  tu  saches  qu'il  y  a  diverses  manières  d'éprouver 
du  repentir,  de  la  douleur  et  du  chagrin  de  ses  fautes.  La  première, 
c'est  quand  l'homme  remarque  et  comprend  que  ses  péchés  mortels 
sont  opposés  à  une  vie  vertueuse  et  morale.  Alors  un  grand  déplaisir 
et  dépit  vient  dans  son  cœur  à  la  pensée  de  ses  péchés...  Les  païens, 
les  Juifs  et  les   Turcs  éprouvent   la  même  douleur.    La  seconde, 
c'est  lorsque  l'homme  remarque  et  réfléchit  que,  par  ses  péchés 
mortels,  il  a  perdu  et  gaspillé  son  bon  renom,  et  qu'il  ne  sera  plus  cru 
ni  estimé  parmi  les  hommes;  alors  ses  péchés  lui  causent  du  repentir 
parce  qu'il  voit  qu'il  a  perdu  sa  bonne  réputation,  et  qu'à  la  place, 
il  en  a  maintenant  une  mauvaise,  étant  considéré  comme  adultère, 
meurtrier,  voleur,   etc.,  etc.   La   troisième,   c'est  quand  l'homme 
songe  qu'un  seul  de  ses  péchés  mortels  le  jettera  dans  le  feu  éternel 
de  l'enfer;  alors  une  grande  douleur  naît  dans  son  cœur  à  la  pensée 
que,  s'il  est  surpris  par  la  mort  dans  l'état  où  il  est,  il  sera  éternel- 
lement damné.  L'homme  se  repent  encore  d'une  autre   manière; 
c'est  quand  il  réfléchit  que  le  péché  mortel  le  privera  de  la  vue  du 
Dieu  tout-puissant  et  de  la  béatitude  éternelle;  alors  la  douleur  de 
ses  péchés  se  fait  jour  dans  son  cœur  à  l'idée  qu'ils  lui  ont  ravi  la 
félicité   du   ciel.  Dans  toutes  ces    douleurs    l'homme   ne    cherche 
uniquement  que  son  honneur  et  son  profit;  il  ne  désire  fuir  que  ce 
qui  lui  est  désavantageux,  le  déshonneur,  les  peines  personnelles: 
ainsi,  il  se  cherche  lui-même,  uniquement,  et  non  l'honneur  et  la 
gloire  de  Dieu.  Or,  il  faut  que  tous  ceux  qui  sont  coupables  de  péché 
mortel  en  viennent  à  les  regretter  uniquement  parce  qu'ils  ont  péché 
contre  le   très-haut,  très-parfait    et  tout -puissant  Seigneur,    leur 
Créateur,  leur  Père  et  souverain  Rédempteur;  contre  son  amour 
paternel,  insondable,  et  contre  son  honneur  et  sa  gbire,  outrageant 
par  le  péché  mortel  ses  ordres  divins  et  sa  volonté.  Lorsque  l'homme 
ressent  une  telle  douleur  dans  son  cœur  avec  une  forte  el  ferme  réso- 
lution de  ne  jamais  plus  rien  faire  contre  Thonueur  de  son  .Maître, 
lorsqu'il  est  résolu  à  confesser  ses  péchés,  à  faire  pénitence,  et  met 
ensuite  son  espérance  dans  la  miséricorde  infinie  de  Dieu  et  dans  la 
Passion  de  Aotre-Seigneur  Jésus-Christ ,  alors  les  péchés  mortels  sont 
effacés  de  son  àme  et  pardonnes,  et  l'amour  créateur  de  Dieu  lui 
est  de   nouveau  donné   et   infusé;  de   telle   sorte    que  cette  âme 
retrouve  sa  belle  parure,  qu'elle  est  ornée  et  revêtue  de  nouveau  par 
la  grâce,  el  redevient  le  temple  de  Dieu.  Avant  et  pendant  laconfes- 

'  p.  10. 


LIVr.ES    DK    l'IKTK,    É  V  A  N  G  ÉLI  AI  K  E  S.  43 

sioii,  loiil  clirélieii  doil  s'exci  1er  soigneusement  au  repentir  et  à  la 
douleur  '.  » 

Avecles  livres  d'ensei{jnement  religieux  el  les  manuels  pour  la  cou-- 
lession,  paraissaient  encore  en  al)ondance  des  récils  de  la  vie  de  .lésus- 
Christ  «  tirés  des  quatre  évan{jélisfes  et  accompagnés  de  courtes 
instructions  chrétiennes  ,  puis  ce  qu'on  appelait  les  Plenaries  (Livres 
desEvau(;iles),<jui  contenaient  dcsexplicatiousenallcmandde  la  sainte 
Messe.  Le  nombre  des  livres  de  piété,  de  vies  de  saints,  de  légendes 
pieuses,  grossissait  d'année  en  année  ^  :  '  Il  est  très-utile  pour  les  chré- 
tiens instruits,  ainsi  que  pour  les  ignorants  ,  écrivait  le  réformateur 
ecclésiastique  Jean  Busch,  ^  de  posséder  et  de  lirejournellement  des 
livres  édifiants  sur  les  vertus  et  les  vices,  sur  l' incarnation,  la  vie  et  la 
passion  de  Jésus-Christ,  la  vie,  les  saintes  actions  et  les  tourments  des 
saints  apôtres,  martyrs,  confesseurs  et  vierges,  les  homélies  et  les  ser- 
mons des  saints,  car  ils  nous  excitent  à  l'amélioration  de  notre  vie,  aux 
bonnes  mœurs,  à  la  crainte  de  l'enfer  et  à  l'amour  de  la  patrie  céleste ^  » 

'■  Homme  orgueilleux,  dit  VEvangile  de  Bdic  (1504),  n'as-tu  pas 
honte  de  ne  pas  prendre  la  peine  d'acheter  de  bons  livres,  lorsque  tu 
peux  maintenant  les  avoir  pour  si  peu  d'argent?  Tu  y  apprendrais  des 
choses  qui  t'attireraient  à  une  véritable  humilité  et  qui  nourriraient 
ton  âme,  au  lieu  de  dépenser  inutilement  ton  avoir  pour  des  objets 
de  luxe  et  de  vanité  *.  " 

Une  attention  toute  particulière  doit  être  accordée  aux  livres 
d'enseignement  religieux  connus  sous  le  nom  de  Plenarkx.  De  1470 
à  1519,  il  en  parut  quatre-vingt-dix-neuf  éditions  et  remaniements 
différents,  en  haut  et  en  bas  allemand  '.  Ces  livres  contiennent  les 
épltres  et  les  évangiles  de  l'année  ecclésiastique,  avec  leur  explica- 
tion. Dans  les  éditions  augmentées,  on  trouve  encore  le  texte  alle- 
mand des  prières  de  la  messe  pour  tous  les  dimanches  et  fêtes,  les 
explications  de  la  liturgie,  et  des  récits  instructifs  autant  que  saisis- 
sauts  destinés  à  graver  dans  les  esprits  d'une  façon  durable  et  péné- 
trante les  conseils  du  pieux  livre.  Si  l'on  n'avait  conservé  de  cette 
époque  d'autres  livres  d'enseignement  que  les  Plenaries,  ils  nous  four- 
niraient à  eux  seuls  la  preuve  irrécusable  que  pour  l'instruction  reli- 
gieuse du  peuple,  il  fut  fait  davantage  à  cette  époque  que  dans  les 

'  p.  19. 

-  Un  des  plus  beaux,  le  Passional,  ou  Vies  des  Saints,  parut  chez  Koburyer,  eu 
1488,  à  Nureml)er{î;  il  est  orné  de  deux  cent  soixante-deux  gravures  sur  bois. 
Falk,  Druckkunsi,  83-98. 

'  Blschius,  p.  926. 

*  Das  plcnaric  Buocli  (Baie,  1514,  p.  228). 

^  Voy.  le  catalogue  des  diverses  éditions  si  soigneusement  dre>sé  par  Falk, 
Druckhunst,  p.  80-83. 


44  L'INSTRUCTIOPf    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

temps  qui  Tont  précédée  ou  suivie.  En  effet,  quant  au  fond,  ces 
livres  sont  supérieurs,  sous  bien  des  rapports,  à  ce  qui  se  publie  aujour- 
d'hui dans  le  même  genre,  et  certains  d'entre  eux  peuvent  compter 
parmi  les  meilleurs  ouvrages  qu'ait  produits  la  prose  allemande  '. 

Tous  ces  livres,  destines  à  l'usage  général  du  peuple,  prouvent 
évidemment  cjue  les  enfants  et  les  adultes  étaient  instruits  dans 
les  plus  hautes  vérités  du  salut  et  conduits  à  une  vie  chrétienne  vrai- 
ment solide.  Nulle  part  on  n'y  entend  parler  du  salut  par  les  bonnes 
œuvres,  d'un  culte  idolâtre  des  saints  ni  d'une  doctrine  faussée 
sur  les  indulgences.  A  la  vérité,  dans  les  histoires  mêlées  à  ces  livres 
d'instruction  et  de  piété,  et  dans  les  légendes  des  saints,  il  y  a  un 
amour  du  merveilleux  qui  prend  toutes  les  formes,  et  se  porte  bien 
souvent  sur  des  choses  puériles.  Mais  à  travers  ces  scories  brille  l'or 
pur  d'une  foi  inébranlable  eu  la  puissance  suprême  qui  anime  et 
gouverne  tous  les  êlres,  est  partout  présente,  abrite  paternelle- 
ment les  bons,  ébranle  les  chancelants,  et  brise,  dans  sa  redou- 
table vengeance,  les  audacieux  et  les  révoltés.  Aussi  ce  merveilleux 
ne  laissait-il  pas  que  d'avoir  une  salutaire  influence  sur  la  conduite 
de  milliers  d'âmes  -.  ^  Il  n'est  pas  nécessaire  que  tu  croies  toutes  les 
merveilles  que  tu  lis  dans  les  livres  pieux  ^  dit  le  Guide  de  làtne. 
"  Les  miracles  de  la  sainte  Écriture  sont  véritables,  et  il  y  en  a  encore 
beaucoup  d'autres  qui  sont  tout  à  fait  dignes  de  créance,  et  que  les 
chers  saints  opèrent  par  la  grâce  de  Dieu;  mais  sache  que,  dans  les 
livres,  beaucoup  te  sont  seulement  racontés  pour  te  servir  d'exemple 
et  te  montrer  la  splendeur  de  la  puissance  et  de  la  majesté  de  Dieu, 
qui  récompense  les  bons  et  punit  les  méchants  ^  •■■' 

Dans  l'ensemble  des  livres  employés  et  reconnus  par  l'Église,  nous 
trouvons  la  doctrine  la  plus  pure,  la  plus  authentique,  la  plus  ortho- 
doxe. La  note  fondamentale  qui  y  domine  est  bien  rendue  par  les 
paroles  d'un  Exercice  pour  se  préparer  à  la  sainte  Communion,  édité 
à  Bâle  et  souvent  réimprimé  :  "  Entre  dans  l'intime  de  ton  cœur. 
Trouves-y  Jésus  crucifié;  cache-toi  dans  ses  plaies  sacrées.  Loin  de  toi 
toute  confiance  en  tes  propres  mérites;  tout  ton  salut  ne  se  trouve 
que  dans  la  croix  de  Jésus-Christ.  Mets-y  donc  avec  joie  ton  unique 
espérance  \  >^  Citons  aussi  les  paroles  du  cantique  par  lequel  com- 
mence le  Petit  Jardin  béni  : 

Le  soleil  de  la  divine  r>i'àce 
Luit  sur  nous,  plein  d';unour. 

'  Alzog,  p.  13-64.  —  Fai.k,  Dnœklimst,  p.  29-33. 

-  Comme  le  dit  très-justement  liLr.TEU,  l'apst  Iimoccn:,  Jli,  t.  IV,  p.  ô37, 

3  P.  18. 

*  Alzog,  p.  71.  — Voy.  les  excellentes  explications  de  MtN/.F.MsEnG!  iv,  p.  51-72 


T  l\  A  D  U  C  T  I  0  iN  S    ALL  L  M  A  N  I)  E  S    DE    LA    C  I  B  r,  E  45 

Jesus,  du  haut  du  ciel, 

Sera  notre  protecteur. 

Qu.ind  urinslruiras-lu, 

.lésus,  mou  uui(|ue  trésor? 

Ouan,]  poiirr;ii-je  chüntcr  tes  louanges 

Sans  fin,  éternellemeut? 

Mon  repentir  est  amer!... 

Oh!  prends-moi  dans  les  bras. 

Aie  pitié  de  moi, 

Mes  péchés  me  causent  tant  de  douleur! 

Puisque  tu  tes  livré  pour  moi 

A  de  cruels  tourments. 

Donne-moi  ta  fjrAce  et  ta  bénédiction 

Par  ta  mort  Irès-sainte! 

0  Jésus,  Maître  trcs-bon, 

Rp{jarde-moi  avec  miséricorde. 

Afin  que  de  ctrur  et  de  courajje 

Je  t'aime  toujours  de  plus  en  plus  '! 


«  Tout  ce  qu'enseigne  la  sainte  Église,  est-il  dit  dans  la  Porte  du 
c/e/(1513),  tout  ce  que  tu  entends  ou  lis  dans  les  sermons  et  les  autres 
instructions,  ce  qui  est  écrit  dans  les  livres  spirituels,  ce  que  tu 
chantes  à  la  gloire  et  à  la  louange  de  Dieu,  les  prières  que  tu  fais 
pour  obtenir  le  salut  de  ton  âme,  ce  que  tu  endures  dans  les  contra- 
dictions et  les  épreuves,  tout  cela  doit  t'exciter  à  lire  avec  humilité 
et  dévotion  les  saintes  Écritures,  les  Bibles  qui  sont  maintenant  tra- 
duites et  imprimées  en  langue  allemande  et  partout  répandues  en 
grand  nombre,  soit  complètes,  soit  abrégées,  et  que  tu  peux  acheter 
aujourd'hui  pour  peu  d'argent  ^  ^ 

Le  nombre  des  traductions  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament, 
soit  complètes,  soit  en  parties  séparées,  était  en  effet  considérable. 
On  compte  onze  éditions  des  psaumes  parues  avant  1513;  vingt-cinq, 
antérieurement  à  1518,  des  Évangiles  et  des  épitres.  En  même  temps, 
jusqu'au  moment  de  la  scission  de  l'Église,  il  ne  parut  pas  moins  de 
quatorze  éditions  de  la  Bible  en  haut  allemand  et  cinq  en  bas  alle- 
mand. Parmi  les  premières,  il  faut  noter  les  belles  éditions  d'Augs- 
bourg  (1477,  1480,  1487,  1490,  1507,  1518),  les  éditions  de  Nurem- 
berg, 1483,  et  celles  de  Strasbourg,  1485'.  Au  commencement  du 

•  IlASAK,  p.   1-2. 

-p.  19. 

'  Kehreix,  Deutsche  Bibel  Übersetzung  vor  Luther,  p.  33-53.  —  Voy.  HAtN,  n"»  3129- 
3143.  —  Steiff,  p.  9.  —  Alzog,  p.  65-66.  D'après  l'opinion  la  plus  répandue,  la 
première  tradu-tion  de  la  Bible  en  bon  allemand  parut  en  1466  chez  Eggestein, 
à  Strasbourg.  La  première  en  bas  allemand  parut  à  Delft,  en  1477.  (Voy.  Vax 
DER  Linde,  p.  105.)  La  première  en  bas  saxon,  à  Lübeck,  1494. 


46  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

seizième  siècle,  on  se  servait  déjà  d'une  sorte  de  Vulgate,  en  alle- 
mand, qui  servait  de  type  '. 

Comme  les  livres  de  dévotion  el  d'enseignement,  la  plupart  des  édi- 
tions de  la  Bible  étaient  ornées  de  beaucoup  de  gravures,  afin,  comme 
le  disait  l'éditeur  de  la  Bible  de  Cologne  (1470-1480),  que  le  lecteur 
se  trouvât  plus  attiré  à  prendre  fréquemment  en  main  la  sainte 
Bible.  C'était  aussi  le  but  qu'on  se  proposait  dans  les  Évangéliaires, 
comme  cela  y  est  expressément  et  maintes  fois  répété.  -  Ils  doivent 
servir,  y  est-il  dit,  à  porter  les  fidèles  à  la  lecture  assidue  et  aimée  de  la 
Bible,  particulièrement  à  celle  de  l'Évangile,  dont  la  force  et  la  vérité 
dépassent  toutes  les  autres  parties  de  l'Écriture  sainte.  '■  L'éditeur  de 
VÉi'aîKjéliaire  de  Bâle  s'exprime  de  la  même  manière  (1514).  Il  pose  en 
principe  pour  tout  chrétien  raisonnable  la  nécessité  de  l'étude  de  la 
Bible  :  «  Nous  aurons  à  rendre  un  compte  bien  sévère  à  Dieu  de  l'emploi 
de  notre  temps,  car  le  temps  présent  est  appelé  le  temps  de  la  grâce, 
il  est  infiniment  précieux  aux  hommes  pieux  el  bons.  Il  faudrait  donc 
conseiller  à  tout  chrétien  sensé  de  lire  volontiers  en  toute  occasion 
la  sainte  Écriture,  afin  qu'il  apprenne  à  connaître  Dieu,  son  créa- 
teur et  son  Seigneur;  car  les  grâces  que  l'homme  peut  obtenir  de 
Dieu  en  la  lisant  ou  l'écoutant  lire  sont  inexprimables;  surtout  il 
faut  se  conduire  d'après  ce  qu'on  lit,  car  l'apôtre  saint  Jacques  a  dit 
dans  le  quatrième  chapitre  de  son  épitre  :  <=  Celui  qui  sait  le  bien 
«  qu'il  doit  faire  et  ne  le  fait  pas,  est  coupable  de  péché.  ■■  Il  énumère 
ensuite  les  grâces  diverses  accordées  à  ceux  qui  lisent  ou  écoutent  lire 
la  sainte  Écriture,  et  il  ajoute  :  "  Sache  donc  qu'il  n'est  point  d'inquié- 
tude ni  d'épreuve  si  grandes  qui  ne  soient  consolées  certainement  par 
la  grâce  du  Saint-Esprit  pendant  la  lecture  de  la  sainte  Écriture, 
pourvu  qu'en  Usant,  tu  mettes  toute  ta  confiance  en  Dieu,  et  la 
prennes  fidèlement  à  cœur;  car  celui  dont  la  foi  est  faible  reste  sans 
secours  et  sans  grâce,  au  lieu  que  la  foi  ferme  et  vigoureuse  trouve 
partout  la  force  et  la  consolation  au  milieu  de  grâces  abondantes. 
C'est  pourquoi  Jésus-Christ,    notre  cher   Seigneur,    disait  à  saint 
Pierre  qui  se  croyait  en  péril  de  mort  sur  les  eaux  :  ;  O  homme 
«  de  peu  de  foi,  pourquoi  doutes-tu  de  ma  puissance  et  de  ma  force?  » 
"  Il  faut,  dit- il  encore,  distinguer  cinq  classes  de  lecteurs  :  les  pre- 
miers lisent  seulement  pour  savoir,  non  pour  agir,  et  afin  de  pou- 
voir reprendre  les  autres,  et  cela  s'appelle  vanité  orgueilleuse.  Les 
seconds  ne  lisent  que  pour  s'entendre  louer  et  passer  pour  des 

'  Geffcken,  p.  6-10.  —  Voy.  Maier,  dans  le  Journal  théologique  trimest.  de  Tubin- 
gue,  t.  LVI,  694.  Le  bibliothécaire  du  couven-t  des  Prémontrés,  le  Père  Phi- 
lippe Rlimesch,  prépare  avec  une  exactitude  toute  diplomatique  l'édition  du 

Coder     Teplcnsis   contenant    le     Livre    du   Nouveau   J'enlameiit ,     le    plus    ancien    des 

manuscriis  allemands  du  saint  Évangile,  le  même  qui  a  servi  de  modèle  à  toutes 
les  Bibles  allemandes  imprimées  au  quinzième  siècle,  Munich,  1881. 


TRADUCTIONS    ALLEMANDES    DE    LA    BIBLE.  47 

hommes  éclairés  et  savanls.  Les  troisièmes  étudient  el  lisent  ;ifiti 
de  tirer  profit  de  leur  savoir,  et  dans  foute  leur  science  il  n'y  a 
qu'une  laide  cii|)idité.  Les  (jualrièmes  étudient,  lisent  el  écoulent  afin 
de  pouvoir  instruire  et  ensei[}ner  beaucoup  d'âmes,  et  faire  ain^i  la 
volonté  de  Dieu,  cherchant  aussi  eux-mêmes,  par  tous  leurs  elTorts, 
à  devenir  meilleurs,  et  c'est  là  une  véritable  charité.  Les  cinquièmes 
et  derniers  cherchent  avec  tout  le  zèle  possible  à  s'instruire  et  à 
s'améliorer,  el  c'est  là  une  vertueuse  et  sage  prévoyance.  La  lecture  de 
ces  deux  dernières  classes  de  lecteurs  est  méritoire  et  louable,  pourvu 
qu'ils  ne  se  laissent  pas  enfler  par  l'orgueil,  ni  séduire  par  l'hypocrisie 
et  la  vaine  gloire  '.  ' 

L'éditeur  de  la  Ihble  de  Coloijnc  parle  très-bien  de  la  lecture  de 
la  sainte  Écriture  :  ■-  Tout  chrétien  doit  la  lire,  dit-il,  avec  dévo- 
tion et  respect;  les  bonnes  âmes  qui  regarderont,  liront  ou  enten- 
dront lire  cette  traduction  de  la  Bible  doivent  s'unir  à  Dieu  et  prier 
le  Saint-Esprit,  qui  est  le  maître  de  l'Écriture  sainte,  de  les  éclairer 
et  de  la  leur  faire  comprendre  selon  sa  volonté  sainte  et  pour  le 
salut  de  leurs  âmes.  '  Les  gens  instruits,  poursuit-il,  doivent  se  servir 
de  la  traduction  latine  de  saint  Jérôme;  mais  les  personnes  illet- 
trées, les  hommes  simples  (ecclésiastiques  ou  laïques),  et  particuliè- 
rement les  moines  et  les  religieuses,  doivent,  pour  fuir  l'oisiveté, 
qui  est  la  racine  de  tous  les  vices,  se  servir  de  la  présente  Bible  en 
traduction  allemande  pour  se  préserver  des  flèches  de  l'ennemi 
infernal.  Donc,  une  âme  désireuse  d'aider  les  hommes  à  se  sauver  a 
fait  par  charité  imprimer  cette  traduction  de  la  Bible  dans  la  digne 
ville  de  Cologne,  avec  beaucoup  de  peines  et  à  grands  frais;  elle 
avait  déjà  paru  il  y  a  longtemps  (de  1470  à  1480)  dans  l'Oberland 
et  dans  quelques  villes  des  Pays-Bas,  et  avait  été  répandue  en  manu- 
scrits dans  beaucoup  de  couvents  et  de  cloîtres.  Qne  tous  ceux 
qui  lisent  la  Bible  en  allemand  soient  soumis  de  cœur,  ne  jugent  pas 
ce  qu'ils  ne  comprennent  pas,  et  surtout  prennent  la  Bible  dans  le 
sens  entendu  généralement  par  l'Église  romaine  répandue  par  tout 
l'univers  '.  » 

On  lit  dans  un  petit  écrit  intitulé  :  Livret  singulièrement  utile  et  con- 
solant (1508)  3  :  ;(  L'homme  qui  se  dispose  à  lire  la  sainte  Écriture  doit 
faire  cette  prière  :  O  Seigneur  Jésus-Christ,  éclaire  mon  entende- 
ment et  ouvre  mes  sens,  afin  que  je  puisse  comprendre  ta  parole, 
que  j'y  puise  le  repentir  et  la  douleur  de  mes  péchés,  et  que  je  sois 
enflammé  d'une  vraie  dévotion;    apprends-moi  à   mettre  à  profit 

'  Voy.  Alzog,  p.  14-16. 
*  Voy.  Geffcken,  p.  8-9. 

'  Allen  den  die  Gotforchten  und  Ihm  gern  beheglick  sein  icolkii  (Leipzig,  1508,  p.  58). 
—  Hasak,  Christliche  Glaube,  p.  343. 


48  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

toutes  les  leclurcs  que  je  fais  dans  la  sainte  Écriture,  pour  que  je 
puisse  avancer  dans  la  prière  fervente,  la  bonne  méditation  et  con- 
templation; car  heureux,  Seigneur,  est  l'homme  que  tu  enseignes  et 
auquel  tu  apprends  ta  sainte  loi!  O  Seigneur  Jésus-Christ,  apprends- 
moi  à  comprendre  ce  que  je  lis,  afin  que  je  puisse  l'accomplir  vérita- 
blement par  le  cœur  et  par  les  œuvres.  «  Le  Petit  Jardin  ùéni  (1509) 
dit  de  même  :  "  Lis  et  médite  avec  zèle  la  sainte  Écriture,  surtout  les 
épitres  et  les  évangiles  des  dimanches  et  des  jours  de  fête.  Mais  sache 
bien  que  tu  ne  peux  le  faire  avec  profit  si  tu  n'en  demandes  d'abord 
au  Saint-Esprit  la  vraie  intellig^ence,  et  si  tu  ne  commences  par  te 
repentir  de  tes  péchés,  absolument  comme  si  tu  allais  te  confesser.  Si 
tu  es  orgueilleux,  toute  lecture  te  sera  nuisible.  Ce  que  tu  ne  com- 
prends pas  dans  la  sainte  Écriture,  passe-le,  et  remets-t'en  à  l'Église; 
elle  interprète  tout  avec  vérité,  et  elle  en  a  seule  le  pouvoir  '.  = 

Dès  1494  la  Bible  publiée  à  Lübeck  avait  paru  accompagnée  d'expli- 
cations destinées  à  en  éclairer  le  texte.  Ces  explications  étaient  dues  à 
Nicolas  de  Lyra;  l'auteur  désire  que  tout  chrétien  puisse  s'en  aider 
pour  mieux  comprendre  les  nombreux  passages  obscurs  et  inintelli- 
gibles de  la  sainte  Écriture  ^ 

La  rapidité  avec  laquelle  les  éditions  des  traductions  de  la  Bible  se 
succédèrent,  et  les  témoignages  positifs  des  contemporains  \  font 
présumer  qu'elles  étaient  très-répandues  parmi  le  peuple,  .lean  Eck 
raconte  qu'il  l'avait  lue  presque  tout  entière  à  dix  ans  ';  le  vicaire 
de  Xanten,  Adam  Potken,  dit  aussi  avoir  appris  dans  son  enfance 
(1470-1480)  les  quatre  évangiles  par  cœur;  plus  tard,  il  lisait  presque 
tous  les  jours  avec  ses  élèves,  âgées  de  onze  à  douze  ans,  quelque- 
chapitres  de  l'Ancien  ou  du  Nouveau  Testament  ^  L'étude  delà  Bible- 
était  si  ardemment  poursuivie  au  quinzième  siècle  qu'un  chanoine 
de  Cassel  (1480)  fonda  une  bourse  spéciale  en  faveur  d'un  ardent  tra- 
vailleur du  village  d'Harmuthsachsen,  afin  qu'il  piU  pendant  huit  ans 
s'appliquer  exclusivement  à  l'étude  de  la  sainte  Écriture  ^  ^  La  Bible 
est  le  champ  du  Seigneur  "  écrivait  à  l'humaniste  Conrad  Celtes 
l'abbesse  de  Nuremberg,  Charité  Pirkheimer  ;  u  la  science  divine  y  tire 
l'amande  de  son  enveloppe,  l'esprit  de  la  lettre,  l'huile  du  rocher,  et 
la  fleur  des  épines  \  ■■- 

ip.  12. 

2  Geffcken,  p.  Ô. 

3  V^oy.  Kerker,  Ersie  Abhandlung  über  die  Predigt,  p.  373-375.  —  Geffcken,  p.  10. 
*  Voy.  Albert,  Zeilschrift  fur  die  Historische  Theologie,  t.  XLIII,  p.  417. 

5  Collectaneen  du  cbail.  PeLZ,  t.  W,  p.  112. 
<*  Stolzel,  t.  I,  p.  130-131. 
'  BiMiER,  p.  86. 


CHAPITRE  III 

l'enseignement    MOVEiN    ET  l'ANCIEN    HUMANISME. 


On  doit  à  la  congrégation  des  «  Frères  de  la  vie  commune  , 
fondée  par  Gérard  Groote  '  dans  les  Pays-Bas,  l'établissement  de  nom- 
breuses et  florissantes  écoles,  qui,  à  l'époque  dont  nous  nous  occu- 
pons, eurent  une  influence  très-heureuse  sur  le  développement 
intellectuel  du  peuple;  ces  écoles  se  multiplièrent  peu  à  peu,  et 
s'échelonnèrent,  en  remontant  le  Rhin,  jusqu'en  Souabe.  Vers  la  tin 
du  quinzième  siècle,  elles  s'étaient  propagées  de  l'Escaut  à  la  Vistule, 
de  Cambrai  (à  travers  toute  l'Allemagne  au  nord)  jusqu'à  Culm,  dans 
la  Prusse  occidentale.  Les  religieux  qui  les  dirigeaient  plaçaient  bien 
au-dessus  de  la  science  proprement  dite  l'éducation  chrétienne,  et  la 
formation  de  la  jeunesse  à  une  piété  solide  et  pratique  était  le  pre- 
mier but  qu'ils  se  proposaient  d'atteindre.  Tout  leur  enseignement 
s'inspirait  de  l'esprit  chrétien.  L'élève,  sous  leur  direction,  apprenait 
à  considérer  les  principes  religieux  comme  le  fondement  de  l'être 
moral,  comme  la  base  de  toute  véritable  éducation;  cependant  on  ne 
négligeait  pas  de  lui  donner,  dans  une  large  mesure,  des  notions  scien- 
tifiques; il  était  initié  à  .une  bonne  méthode  de  travail,  en  sorte 
qu'un  goût  sérieux  pour  l'étude  personnelle  se  formait  en  lui.  Aussi  de 
tous  côtés  la  jeunesse,  désireuse  de  s'instruire,  accourait  dans  les  éta- 
blissements des  Frères.  A  Zwolle,  le  nombre  des  écoliers  variait 
entre  800  et  1,000;  à  Alkmaar,  on  en  comptait  900;  à  Herzogenbusch, 
1,200;  à  Deventer,  vers  l'an  1500,  il  y  eut  jusqu'à  2,200  écoliers-. 
Comme  l'enseignement  était  gratuit  chez  les  Frères,  leurs  écoles 
étaient  accessibles  aux  gens  de  petites  ressources.  Dans  les  villes  alle- 

'  Pour  l'appréciation  de  cet  homme  illustre  et  trop  peu  connu,  voy.  Tuhingcr 
Tkeol.  Qunrtalschiift,  652,  280-305.  —  Voyez  aussi  l'excellent  travail  de  K.  lIiRScnr: 
dans  la  Hazog's  Healencijclopédie,  2^,  p.  G78-760. 

-  Delprat,  p.  32,  37,  47.  —  BuTZBVcn,  ll'anderbuch'ein,  p.  167. 


50  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

mandes  où  ils  n'avaient  pas  d'établissements,  ils  prenaient  néanmoins 
un  vif  intérêt  à  l'instruction  de  la  jeunesse,  fournissaient  des  maîtres 
aux  écoles  de  la  ville,  payaient  la  rétribution  scolaire  des  écoliers 
pauvres  et  leur  procuraient  des  livres  et  d'autres  moyens  d'instruction. 
Le  pape  Eugène  IV  donna  à  l'archevêque  de  Cologne  et  aux  évo- 
ques de  Munster  et  d' Utrecht  l'ordre  formel  de  veiller  à  ce  que 
l'action  si  utile  des  Frères  ne  fiit  troublée  ni  entravée  par  personne 
(1431).  Les  papes  Pie  H  et  Sixte  IV  le  surpassèrent  encore  dans  la 
protection  marquée  qu'ils  leur  accordèrent.  Mais  parmi  les  princes 
de  l'Église  d'Allemagne,  leur  protecteur  le  plus  actif  fut  le  cardinal 
Nicolas  de  Cusa,  qui  avait  été  lui-même  élevé  à  Deventer,  et  y  avait 
fait  une  riche  fondation  en  faveur  de  vingt  étudiants  pauvres  de 
«  son  pays  du  Rhin  '  .  Il  prêta  aux  Frères  un  puissant  appui,  et  favo- 
risa l'extension  de  leur  Ordre.  Le  plus  illustre  des  protégés  du  cardinal, 
Rodolphe  Agricola,  faisait  partie  de  ce  groupe  déjeunes  gens  dis- 
tingués que  le  vénérable  Thomas  à  Kempis  réunissait  autour  de  lui 
à  Zwolle-;  il  faut  encore  citer  les  trois  Westphaliens  Alexandre 
Hegius,  Rodolphe  de  Langen  et  Louis  Dringenberg  parmi  ses  plus 
remarquables  disciples;  tous  trois  furent  aussi  remarquables  par 
leur  savoir  que  par  l'élévation  de  leurs  sentiments  religieux  et  la 
pureté  de  leurs  mœurs.  C'est  à  leur  zèle  ardent  qu'on  doit  la  restaura- 
tion des  études  classiques  sur  le  sol  allemand,  et  l'onpeutles  considérer 
comme  les  pères  de  l'ancien  humanisme.  Il  est  â  remarquer  (jue  la  cul- 
ture intellectuelle  de  ces  trois  savants  avait  subi  la  profonde  influence 
de  ce  même  homme,  qui,  dans  son  livre  de  ï Imitation  de  Jésus-Christ 
et  dans  ses  autres  écrits,  fit  éclore  dans  la  congrégation  des  "  Frères 
de  la  vie  commune     la  fleur  la  plus  exquise  de  la  piété  ascétique. 

Les  anciens  humanistes  de  notre  pays  n'avaient  pas  moins  d'enthou- 
siasme pour  l'héritage  grandiose  légué  par  les  peuples  de  l'antiquité 
que  n'en  eurent  plus  tard  leurs  successeurs,  lorsque,  réunissant  tous 
leurs  efforts,  ils  fondèrent,  vers  1510,  une  école  nouvelle.  Avant  eux 
leurs  prédécesseurs  du  quinzième  siècle  avaient  vu  dans  l'étude  de 
l'antiquité  un  des  plus  puissants  moyens  de  cultiver  avec  succès  l'intel- 
ligence humaine,  un  terrain  inépuisable  et  fécond  pour  toutes  les 
nobles  aspirations.  Mais,  dans  leur  pensée,  les  classiques  grecs  et  latins 
ne  devaient  pas  être  étudiés  dans  l'unique  dessein  d'atteindre  en  eux 
et  par  eux  le  but  et  le  terme  de  toute  éducation;  ils  entendaient  les 
mettre  au  service  des  intérêts  chrétiens.  Ils  trouvaient  excellent  que 
l'esprit  de  leurs  contemporains  se  retrempât  dans  l'étude  de  la  vie 
intellectuelle  des  anciens  et  acquit  une  connaissance  plus  exacte  de 

•  Delprat,  p.  32,  46,  91.  —  Revils,  p.  119-152. 

'  VOy.  DlLLE>BLRGER,  p.  4-7. 


L'ANCIEN    HUMANISME    ALLEMAND.  51 

l'antiquité  ;  mais  par  l'étude  des  classiques  ils  ne  voulaient  pas  se  borner 
à  former  l'intelligence  et  le  goiU,  ils  désiraient  avant  tout  parvenir, 
};rAcc  à  eux,  à  une  intclli{;cncc  plus  profonde  du  christianisme  et  à 
l'ainélioralion  de  la  vie  morale.  Celle  nianiérc  d'envisager  les  auteurs 
païens  n'avait  pas,  du  reste,  rien  de  nouveau.  Déjà,  mus  par  les  mômes 
motifs,  les  Pères  de  l'Eglise,  pendant  les  premiers  siècles,  avaient 
recommandé  et  encourage  l'étude  des  langues  antiques;  juscju'au 
treizième  siècle,  les  écrivains  de  l'antiquité  avaient  été  lus  assidi^menl 
dans  les  écoles  du  moyen  âge,  et  c'est  à  cette  période  primitive  de 
culture  classique  que  se  rattachaient,  à  l'époque  qui  nous  occupe,  les 
efforis  des  premiers  humanistes,  après  une  longue  période  de  stagna- 
lion  et  de  barbarie.  Réunissant  à  tous  les  manuscrits  qu'on  possédait 
déjà  ceux  qu'avait  fait  pénétrer  en  Occident  la  conquête  de  Constan- 
tinople,  et  dont  l'imprimerie  rendait  la  connaissance  plus  facile,  les 
nouveaux  travailleurs  s'efforcèrent  de  les  envisager  sous  tous  leurs 
aspects  et  d'en  faire  pénétrer  l'esprit  dans  la  vie  même  du  peuple. 

Us  ne  luttaient  pas  contre  l'école  scolastique  elle-même;  ils 
ne  rejetaient  que  la  forme  roide  et  embarrassée  de  son  langage,  et 
ne  blâmaient  que  ses  continuelles  querelles,  ses  subtilités  puériles, 
sa  pédante  argutie  sur  des  mots,  sa  science  stérile.  Leur  propre 
éducation,  solidement  scolastique,  les  préservait  de  l'esprit  exclusif 
et  des  extravagances  de  l'école  italienne,  aussi  bien  que  des  erreurs 
où  tombèrent  plus  tard  les  humanistes  de  la  nouvelle  école. 

Aussi  les  théologiens  el  philosophes  scolastiques,  dont  le  système 
dominait  alors  dans  les  universités,  ne  voyaient-ils  nullement  dans  les 
premiers  humanistes  des  novateurs  dangereux  ou  funestes.  Parmi  les 
deux  partis  qui  se  combattaient  au  sein  de  l'école,  nominaux  et  réa- 
listes, les  premiers  ont,  il  est  vrai,  peu  d'hommes  à  citer  dans  les  rangs 
de  l'ancien  humanisme,  mais  cela  lient  à  ce  que  les  nominaux,  selon 
l'essence  même  de  leur  système,  avaient  une  méthode  plus  dissol- 
vante, négative  et  analytique,  que  positive  et  créatrice.  Pour  les  réa- 
listes, c'est  à  eux  qu'on  doit  l'introduction  des  études  classiques  ' 
dans  les  hautes  écoles,  et  ceux-là  mêmes  dont  on  raille  aujourd'hui 
V obsmranlisme  ont  favorisé  et  aidé  le  mouvement  suscité  par  les 
nouveaux  savants,  aussi  longtemps  que  ce  mouvement  ne  menaça  ni 
l'autorité  de  l'Église  ni  les  fondements  de  la  vie  chrétienne. 

La  lutte  ne  commença  et  ne  devint  nécessaire  que  lorsque  les 
jeunes  humanistes  rejetèrent  toute  l'ancienne  science  théologique  et 
philosophique  comme  n'étant  que  purs  sophismes  et  barbarie,  récla- 
mèrent pour  leurs  idées  un  monopole  exclusif,  prétendirent  que  toute 
notion  scientifique  se  trouve  uniquement  contenue  dans  les  ouvrages 

'  Voy.  Zarncke,  Sébastien  Brand,  XX.  —  Fischer,  139. 


52  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

desancieos,  entrèrent  en  lutte  ouverte  avec  l'Église  et  le  christianisme , 
et  trop  souvent,  par  une  vie  frivole,  jetèrent  un  défi  ä  la  morale. 
Ainsi  l'humanisme  ancien  et  l'humanisme  moderne  sont  séparés 
par  l'essence  même  de  leur  nature.  De  plus,  il  y  a  encore  entre  eux 
cette  différence,  cjue  les  modernes  sont  trop  exclusivement  charmé'^ 
par  l'admirable  vêtement  delà  forme  antique;  l'élude  delà  langue,  les 
beautés  littéraires,  les  occupent  uniquement;  au  lieu  que  le  premier 
but  des  anciens  humanistes,  c'était  de  parvenir  par  la  lecture  des 
auteurs  anciens  à  une  connaissance  plus  approfondie  de  la  vie  antique 
prise  dans  son  ensemble.  Les  modernes,  outre  cela,  semblent  mépriser 
leur  langue  maternelle  et  la  littérature  nationale;  ils  les  traitent  de 
barbares;  elles  sont,  au  contraire,  l'objet  de  l'amour  et  de  la  sollici- 
tude des  vieux  maîtres  de  l'humanisme  allemand.  Dans  leur  pensée, 
les  études  classiques  devaient  donner  au  peuple  la  clef  de  son  propre 
passé,  et  lui  fournir  les  moyens  de  le  glorifier. 

Tous  ces  principes  de  l'ancien  humanisme  se  trouvaient  déjà  claire- 
ment accentués  dans  Agricole,  qui  peut  être  considéré  comme  le 
véritable  fondateur  de  l'école. 

Rodolphe  Agricola  ',  né  à  Laflo,  près  Groningen  (1442),  semble  avoir 
réuni  dans  sa  personne  toutes  les  connaissances  classiques  de  son 
temps.  Ses  contemporains  voyaient  en  lui  un  second  Virgile;  même 
en  Italie,  où  il  séjourna  de  1473  à  1480,  on  s'émerveillait  de  la  faci- 
lité d'élocution,  de  l'aisance,  de  la  pureté  avec  lesquelles  il  avait 
appris  à  s'exprimer  en  latin.  Son  grand  désir  était  de  voir  l'Alle- 
magne parvenir  ta  un  si  haut  degré  de  culture  et  de  science  clas- 
sique, que  dans  l'étude  même  du  latin,  elle  ne  fiU  pas  surpassée  par 
le  Latium.  Wimpheling  le  loue  d'avoir  insisté  pour  obtenir  que  les 
historiens  de  l'antiquité  fussent  traduits  en  allemand  et  accompagnés 
de  commentaires,  <  afin  que  le  peuple  apprit  à  les  connaître,  et  que 
par  leur  influence  la  langue  nationale  fût  perfectionnée^  •.  Au  reste, 
les  études  classiques  d'Agricola  ne  l'avaient  pas  rendu  étranger  à  sa 
propre  langue,  et  il  se  plaisait  à  chanter  sur  la  guitare  les  chansons 
allemandes  qu'il  composait.  11  étudia  aussi  à  fond  la  philosophie, 
et  ses  écrits  dans  ce  domaine  sont  restés  célèbres  par  l'exactitude 
des  définitions  et  la  pureté  du  langage.  L'histoire  naturelle  et  la 
médecine  lui  étaient  également  familières.  Déjà  parvenu  au  terme  de 
la  vie,  il  s'adonna  à  l'étude  de  l'hébreu,  l'enseigna  à  quelques  jeunes 


'  Voy.  Tresling,  l'ita  et  mérita  Budolphi  Agricole  (Groningae,  1830).  —  Meiners, 
t.  II,  p.  332-363.  —  Erhvrdt,  t  I,  p.  374-415.  —  Ritter,  Geschichte  der  Philosophie, 
t.  IX,  p.  261-267.  —  R.vLMER,  Gesch.  der  Pädagorjik,  t.  II,  p.  77-86.  —  Geiger,  Bio- 
rirnphie  allemande  universelle,  t.  I,  p.  151-156. 

-  De  arte  impressoria,  fol.  17.  —  Voy.  Geiger,  Reuchlin.p.  66-67. 


L'IIUIMANFSTE    RODOLPHE    A  MUCO  LA.  53 

gens  d'avenir,  e(  fil  une  traduction  des  psaumes  d'après  le  texte 
original  '.  Mais  son  véritable  mérite,  c'est  l'action  personnelle  qu'il 
exerça,  ce  sont  ses  efforts  persévérants  pour  faire  adopter  par  son 
temps  les  chefs-d'œuvre  de  la  littérature  antique.  Aussi,  sous  certains 
rapports,  fut-il  pour  T Allemagne  quelque  chose  de  ce  qu'avait  été 
Pétrarque  pour  l'Italie ^  C'est  lui,  au  reste,  qui  écrivit  le  premier  la 
vie  du  grand  humaniste  italien  et  révéla  sa  gloire  à  l'Allemagne. 
"  JXous  devons  à  Pétrarque,  dit-il,  les  progrès  qu'a  faits  de  nos  jours 
l'instruction.  Tous  les  siècles  doivent  le  gloi'ificr  :  l'antiquité,  parce 
qu'il  a  sauvé  ses  chefs-d'œuvre  de  la  destruction;  les  temps  modernes, 
parce  que,  grAce  à  son  effort  courageux,  une  nouvelle  culture  intel- 
lect iiclle  a  été  fondée,  et  qu'il  l'a  laissée  en  héritage  aux  âges  futurs.  >• 
Agricola  avait  d'ailleurs  plus  d'une  ressemblance  avec  Pétrarque; 
comme  lui  il  était  constamment  tourmenté  du  désir  de  voyager,  et 
comme  lui  professait  une  extrême  horreur  pour  tout  emploi  public. 
Il  entendait  ne  vivre  que  pour  l'étude,  n'être  troublé  par  rien,  et 
répandre  dans  une  libre  activité  les  semences  d'un  enseignement 
nouveau.  Comme  Pétrarque,  c'était  un  patriote  ardent.  Il  s'efforça 
d'affermir  dans  le  peuple  allemand  la  conscience  de  sa  valeur  et  de 
ses  aptitudes;  mais  il  dépassa  de  beaucoup  l'illustre  père  de  l'huma- 
nisme italien  par  sa  manière  profondément  chrétienne  d'envisager 
la  vie,  et  par  la  pureté  de  ses  mœurs.  "  Si  Agricola  est  si  grand, 
disait  Wimpheling,  c'est  parce  que  sa  science  et  sa  philosophie  ne 
lui  ont  servi  qu'à  s'affranchir  de  toutes  les  passions,  et  à  concourir 
au  grand  œuvre  de  perfectionnement  personnel  dont  Dieu  est  lui- 
même  l'architecte  dans  la  foi  et  dans  la  prière.  "  Agricola  insiste 
particulièrement  dans  ses  écrits  et  surtout  dans  sa  correspondance 
sur  la  nécessité  de  conserver  l'intégrité  de  la  foi,  sur  la  pureté  des 
mœurs  et  l'intime  union  de  la  piété  et  de  la  science.  Son  épitre  à  son 
ami  Barbirianus  compte  parmi  les  chefs-d'œuvre  de  la  littérature  péda- 
gogique. Il  lui  expose  ses  vues,  mûries  par  l'étude  et  l'expérience,  sur 
la  meilleure  méthode  et  sur  le  but  de  toute  culture  intellectuelle 
et  scientifique  \  Il  y  recommande  instamment  l'étude  des  philo- 
sophes, historiens,  orateurs  et  poètes  de  l'antiquité;  mais  il  ne 
faut  pas,  selon  lui,  étudier  trop  exclusivement  les  anciens.  »  Car 
les  anciens,  dit-il,  ou  ne  connaissaient  pas  le  but  véritable  de  la  vie, 
ou  ne  le  pressentaient  qu'obscurément  et  comme  à  travers  un  nuage, 
en  sorte  qu'us  eu  parlent  plus  qu'ils  n'en  sont  convaincus.  "  «  11  faut 
donc,  ajoute-t-il,  monter  plus  haut,  parvenir  jusqu'aux  saintes  Écri- 
tures. Ce  sont  elles  qui  dissipent  toute  obscurité  et  mettent  à  l'abri 

'  IlAUTFELDEa,  C.  Celles,  p.  17.  —  Kvilen,  p.  291. 
-  Voy.  Geiger,  Petrarca  und  Daitcläaiid,  p.  224-228. 
^  Voy.  EuHARüT,  t.  I,  p.  388-400. 


54  L'INSTRUCTION    POPUF-AIP.E    ET    LA    SCIENCE. 

de  foute  illusion  ou  trouble.  Il  faut  diriger  sa  vie  d'après  leur  ensei- 
gnement, et  bâtir  son  salut  sous  leur  direction  bénie.  L'étude  des 
classiques  doit  surtout  servir  à  nous  donner  une  claire  intelligence  des 
saintes  Ecritures.  '  Les  contemporains  parlent  avec  respect  de  la  vie 
sans  tache  d'Agricola  et  font  de  grands  éloges  de  sa  disposition  paci- 
fique, de  sa  modestie,  de  son  affabilité,  de  sa  simplicité  d'enfant.  H  fut 
enseveli  dans  l'habit  de  Saint-François,  et  enterré  à  Heidelberg  (1495). 


II 


Agricola  n'appartenait  pas  lui-même  à  l'enseignement  propre- 
ment dit,  mais  il  eut  une  grande  part  au  développement  intellectuel 
d'Alexandre  Hégius,  l'un  des  plus  grands  pédagofjues  du  siècle. 
«  J'avais  quarante  ans,  écrit  Hégius,  lorsque  j'allais  pour  la  première 
fois  chez  le  jeune  Agricola;  c'est  de  lui  que  j'ai  appris  (ouf  ce  que  je 
sais,  ou  du  moins  tout  ce  que  les  autres  s'imaginent  que  je  sais'.  - 
Hégius,  né  au  village  de  Heeck  dans  le  pays  de  Munster,  et  formé  à 
l'école  des  Frères  de  la  vie  commune  ■:,  fut  recteur  du  gymnase  de 
Wesel,  dans  le  Bas-Rhin,  de  1469  à  1474.  Il  prit  ensuite  pendant  un 
an  la  direclion  de  l'école  abbatiale,  alors  florissante,  d'Emmerich, 
et  trouva  depuis  à  Devenler  le  champ  le  plus  fécond  de  son  activité. 
Érasme  le  compte  parmi  les  savants  qui  remirent  en  honneur  la  bonne 
latinité,  et  déclare  que,  d'après  le  jugement  de  tous  les  savants  con- 
temporains, ses  ouvrages  sont  dignes  de  l'immortalité,  -  bien  qu'il 
n'ait  pas  été  assez  soigneux  de  sa  réputation  comme  écrivain  ".  Jean 
Murmellius  rapporte  que  son  maître  Hégius  possédait  également  bien 
;le  grec  et  le  latin,  et  recommandait  avec  ardeur  à  ses  élèves  l'étude 
de  ces  langues,  alors  peu  cultivée  eu  Allemagne*. 

Hégius  a  l'incontestable  mérite  d'avoir  simplifié  et  épuré  les 
méthodes  d'enseignement,  corrigé  ou  exclu  les  anciens  livres  d'étude 
et  fait  des  classi(iucs  anciens  le  principal  objet  de  l'enseignement  de  la 
jeunesse.  C'est  lui  qui  a  donné  à  l'instruction  scolaire  cette  impulsion, 
qui  agit  ensuite  si  puissamment  sur  la  nouvelle  vie  intellectuelle.  Venus 
des  environs  des  pays  éloignés,  les  jeunes  gens  avides  de  s'instruire 
affluaient  par  centaines  dans  les  salles  où  il  professait,  et  non-seule- 
ment il  sut  inspirer  à  un  nombre  incalculable  de  ses  élèves  l'amour 
de  l'étude,  mais  encore  il  éveilla  en  eux  un  enthousiasme  désintéressé 
pour  la  noble  mais  difficile  vocation  de  l'éducation  de  la  jeunesse  '. 

'  Voy.  Rassmann,  p.  10,  note  24.  —  Reichlisg ,  Supplement,  p.  289-290. 
-  Voy.  Reichling,  Suppl.,  p.  287-303.  —  Reiculing,  Àlurmellius,  p.  5-15. 
3  Voy.  Otto  Jahn,  p.  404-420. 


im;  DAGO  GUES    \V  E  S  TP  H  A  LIENS.  55 

Comme  Agricolîi,  il  dut  la  grande  influence  qu'il  exerça  à  l'élé- 
vafion  do  ses  .senliincnls  !'elip,ieux,  à  ses  qualités  morales,  à  sa  tou- 
clianle  simplicifé,  à  sa  modestie,  à  Tatlrait  qu'on  ressentait  pour  son 
âme  candide  et  pure.  "  Hégius  rayonnait  au  milieu  de  tous  comme 
un  radieux  flambeau  par  sa  piété,  et  parmi  la  légion  des  savants  par 
son  vaste  savoir  et  ses  {»randes  capacités  -,  dit  son  élève  Jean 
Butzbach,  dans  ce  "  Petit  Livret  de  voyage  "  [IVanderbüchlein),  où 
il  a  raconté  avec  tant  de  fraîcheur,  de  naturel,  d'une  manière  si  fidèle  et 
si  vivante,  ses  souvenirs  de  jeunesse,  sa  vie  et  ses  aventures  à  Deventer. 
Selon  Butzbach,  ïlégius  était  une  nature  de  la  vieille  roche  allemande. 
Simple,  lo\al,  il  était  le  vrai  père  de  ses  élèves,  surtout  de  ceux  (jui 
étaient  dans  le  besoin,  et  auxquels  il  donnait  ce  qu'il  recevait  des  plus 
riches.  Il  conserva  jusque  dans  l'extrême  vieillesse  la  soif  d'apprendre; 
dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  il  fît  un  voyage  à  Sponheim  pour 
voir  et  consulter  la  magnifique  bibliothèque  de  l'abbé  Trithème.  A  son 
retour,  il  raconta  à  ses  élèves  rassemblés  autour  de  lui,  et  au  nombre 
de  deux  mille  deux  cents,  qu'il  en  avait  admiré  les  livres  avec  un 
incroyable  plaisir,  et  que  toute  son  attente  avait  été  dépassée.  Déjà 
très-avancé  engage,  il  entra  dans  l'état  ecclésiastique  ;  lorsqu'il  mourut, 
le  27  décembre  1498,  les  pauvres  de  Deventer,  auxquels  il  avait  donné 
en  secret  et  peu  à  peu  toute  sa  fortune,  qui  était  assez  considérable, 
suivirent  son  cercueil,  et  l'accompagnèrent  de  leurs  pleurs  et  de  leurs 
lamentations.  Il  ne  laissa  rien  après  lui  que  ses  vêtements  et  ses  livres  '. 

On  a  dit  qu'en  admirant  la  valeur  morale  d'Hégius,  sa  noble 
modestie,  ses  travaux  si  étendus  et  si  profonds,  l'Allemagne  pouvait 
se  consoler,  s'il  est  vrai  que  dans  ses  commencements  l'humanisme 
n'y  ait  reçu  qu'une  échappée  du  jour  brillant  dont  il  resplendissait  à  la 
même  époque  en  Italie  -.  Mais  on  ne  songe  pas,  en  parlant  ainsi,  que 
l'élévation  d'àme  d'Hégius  et  son  désintéressement  ne  sont,  eu 
aucune  manière,  une  exception  isolée  parmi  les  pédagogues  allemands 
de  la  fin  du  quinzième  siècle.  Le  principe  qu'il  professait,  que  «  toute 
science  est  nuisible  qui  s'acquiert  par  la  perte  de  la  piété  ",  ne  lui 
appartient  pas  exclusivement;  c'est  celui  depres(iue  tous  les  hommes 
qui  furent  avec  lui  les  initiateurs  des  études  classiques  ou  qui  reçurent 
de  lui  la  direction  de  leur  esprit.  Beaucoup  d'entre  eux,  comme  les 
Westphaliens  Bodolphe  de  Langen,  Louis  de  Dringenberg,  Conrad 
Coclenius,  Timan,  Remuer,  Joseph  Horlenius,  ont  vraiment  bien 
mérité  de  l'enseignement  populaire  et  de  la  science. 

Parmi  les  diverses  races  allemandes,   les  Westphaliens  se  sont 

'  BuTZBVCH,  p.  148-151.  —   Voy.  Eriuup.  t.  I,   p.  41(3-427.   —  Ahrens,  Geschichte 
des  Lyceums  c«  Hannover,  p.  20  (Hanovre,  1870). 
'Jahn,  p.  417. 


S6  L'INSTRUCTION    FOt'üLAIRK    HT    L.\    SCIENCE. 

inconteslablement  distinj^ués  par  leur  zèle  pour  renseignement  de  la 
jeunesse.  ^■.  Aucun  aufre  peuple  parmi  les  hommes  •  écrivait  Érasme 
à  Thomas  Morus,  •■■  ne  mérite  dï'fre  autant  loué  pour  sa  persévérance 
au  travail,  son  esprit  de  foi,  la  pureté  de  ses  mœurs,  sa  simple  sagesse 
et  sa  sage  simplicité  '.  -^ 

"  une  grâce  si  abondante  a  été  répandue  sur  ce  pavs,  disait  Werner 
Rolewinck,  que,  depuis  qu'il  a  reçu  la  foi,  jamais  il  n'est  retourné  en 
arrière;  on  ne  voit  nulle  part  qu'il  s'y  soit  élevé  des  hérésiarques.  Si 
l'on  parle  de  la  fidélité,  soit  par  rapport  à  la  morale,  soit  par  rapport 
à  la  foi,  on  trouvera  que  la  bonté  divine  a  richement  doté  la  West- 
phalie.  Elle  a  excellé  dans  les  travaux  de  l'industrie,  la  prédication  de 
la  parole  de  Dieu,  l'étude  des  sciences,  la  pratique  religieuse,  les 
exercices  de  la  vie  monastique,  le  gouvernement  du  peuple,  les  bonnes 
mœurs  et  la  prompte  inlelligence  à  servir  le  prochain;  de  sorte  cjue 
dans  une  certaine  mesure,  elle  a  exercé  un  véritable  apostolat  dans  le 
monde  entier.  -  ^  Le  peuple  y  est,  en  général,  plein  de  simplicité  el 
de  droiture,  et  habitué  à  supporter  paisiblement  bien  des  genres  de 
violence  ,  continue  Rolewinck.  En  ce  qui  concerne  les  sciences, 
je  doute  fort  qu'il  y  ait  une  faculté  que  les  Westphaliens  redoutent 
d'aborder.  L'un  pénètre  les  profonds  mystères  de  la  théologie,  l'autre 
s'occupe  du  droit  canon,  un  troisième  approfondit  le  droit  civil; 
celui-là  se  voue  â  l'élude  de  la  médecine,  ceux-ci  donnent  toute  leur 
ardeur  intellectuelle  aux  arts,  à  la  poésie,  à  l'histoire,  à  l'astronomie, 
à  la  géométrie,  à  l'observation  des  eaux,  de  l'air,  des  météores,  des 
pays,  des  animaux,  etc.  -.  >  Les  Westphaliens  passaient  pour  le  peuple 
le  plus  "  passionné  pour  les  voyages  «.  On  les  appelait,  comme  les  Flo- 
rentins, «  le  cinquième  élément  >•,  parce  (ju'ils  étaient  partout  où  se 
trouvent  les  quatre  autres,  u  C'est  à  un  Westphalicu  qui  a  été  comme 
l'apôtre  de  l'éducation  de  la  jeunesse  dans  son  active  et  voyageuse 
existence,  dit  Wimpheling,  c'est  à  Louis  deDringenberg  que  l'Alsace 
doit  une  grande  partie  de  sa  culture  intellectuelle;  c'est  à  un  autre 
Westphalicn,  revenu  dans  sa  patrie  après  de  longs  séjours  en  Italie, 
que  la  Westphalie  est  redevable  de  la  prospérité  de  ses  propres  écoles.  » 

"  Cet  autre  Westphalien  -^  que  nous  avons  déjà  cité,  c'est  le  prévôt 
Rodolphe  de  Langen,  élevé  à  Deventer,  et  qui  le  premier  cultiva  avec 
goût  la  poésie  latine  en  Allemagne.  Il  réforma  les  études  scolaires  en 
Westphalie,  et  Munster  lui  doit  une  période  remarquable  d'épanouis- 
sement intellectuel.  Chaudement  appuyé  par  les  chanoines  de  la  cathé- 
drale et  par  ceux  des  quatre  autres  collégiales  de  la  ville,  Langen  éleva 
l'école  épiscopale  à  une  telle  réputation,  qu'elle  était  fréquentée  non- 

'  Voyez  K.v:mp.SCHL'I.TE,  Einfuhrwtg  des  Proteslanlisviiis  ni  Westfalen,  p.  20-21. 
-De  laude  Saxoniae,  p.  134-1 10,  201. 


MO  Di:  D'iNs  1  nunioN.  57 

seulement  par  les  éludiaii(sdcWe.sfphalieet  des  Pays-Bas  rhénans,  mais 
encore  par  ceux  de  Saxe  el  de  Poméranie.  Pendant  lonclemps  elle 
fui  d'une  importance  ca))ilale  pour  l'éducalion  de  la  jeunesse  dans 
rAllema{;ue  du  nord-ouest.  Elle  devint  aussi  une  féconde  pépinière 
de  professeurs  habiles,  et  juscpi'à  Goslar,  Rostock,  Lübeck,  Greifwald 
et  Copenhague,  les  heureux  effets  de  leur  activité  se  firent  sentir. 

Mais  l'école  épiscopale  de  Munster  dut  principalement  sa  répu- 
tation et  sa  gloire  à  Jean  de  Murmcllius,  que  Langen  avait  associé  à 
ses  fonctions  de  recteur.  Comme  ])hilologue,  écrivain,  pédagogue, 
professeur  et  poète  latin,  il  tient  un  rang  glorieux  parmi  les  réno- 
vateurs des  études  classi(iues  et  les  réformateurs  de  l'instruction. 
Murmcllius  agissait  selon  l'esprit  de  son  maitre  Ilégius.  "  La  fin 
et  le  but  des  études,  écrivait-il,  ne  peut  être  que  la  connaissance 
et  la  gloire  de  Dieu.  Ceux-là  seuls  sont  vraiment  sages  qui  s'appli- 
quent aux  lettres  et  aux  arts  afin  de  s'encourager,  eux  et  les  autres,  à 
une  bonne  vie,  à  la  justice  et  à  la  piété.  Hien  n'est  plus  nuisible  qu'un 
savant  qui  est  en  même  temps  un  méchant  homme;  il  vaut  mieux 
ne  rien  savoir  que  d'apprendre  et  de  rester  dans  le  péché.  ^ 
Murmcllius  édita  aussi  des  auteurs  latins,  et  non-seulement  des  clas- 
siques proprement  dits,  mais  encore  les  écrivains  chrétiens  d'un  temps 
plus  rapproché.  11  composa  environ  vingt-cinq  livres  d'enseignement, 
dont  plusieurs  se  sont  maintenus  pendant  des  siècles  dans  les  écoles 
allemandes  et  hollandaises.  C'est  à  sa  sollicitation  que  l'humaniste 
Jean  Césarius  fut  appelé  ä  Munster  afin  d'y  ouvrir  des  cours 
de  grec. 

Il  faut  encore  citer  parmi  les  savants  amis  de  Langen  le  comte 
Maurice  de  Spiegelberg,  lui  aussi  formé  à  Deventer,  et  dont  l'éduca- 
tion s'était  achevée  en  Italie.  Prévôt  delà  cathédrale  d'Emmerich, 
il  fut  l'apôtre  zélé  de  l'instruction  et  des  études  classiques,  et  peut  être 
considéré  comme  le  fondateur  du  collège  de  la  ville  '. 

Les  écoles  nouvellement  fondées  ou  améliorées  entretenaient  les 
unes  avec  les  autres  des  relations  amicales;  des  maîtres  de  Munster 
venaient  professer  à  Emmerich,  ceux  d'Emmerich  étaient  envoyés 
aux  collèges  des  villes  du  voisinage,  Xanten  et  Wesel.  Le  nombre 
d'élèves  de  ces  établissements  était  considérable  :  à  Emmerich, 
en  1510,  le  collège  comptait ,  sous  le  recteur  Robert  de  Venray,  quatre 
cent  cinquante  élèves  étudiant  le  latin.  On  dit  même  que  dans  la 

'  Voy.  Par:\IET  ,  Podolph  Langen ,  Leben  und  gesammelte  Gedichte  des  ersten 
Munster'  sehen  Humanisten  (Munster,  1869).  —  Vov.  de  plllS  Rir.VND,  dans  le  Journal 
(héol. et  hist.de  ßonn,  1870.  —  ^onoiiore,  Dcuhcniiurdig/.eiien,  t.  I,  p.41.  — CouM-Lius, 
p.  12.  —  Rassmvn.n,  p.  7-18.  —  XuKDiiOFF,  p.  88-89.  —  üeichling,  Ifie  Humanisten 
Joseph  Horlenim  et  Jacob  Montanas,  dans  le  Zeitschrift  des  wcstfäl  Allerthumsvereins, 
t.  XXX VI,  1-32,  et  Reichli.NG,  Murmcllius,  28. 


58  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

petite  ville  de  Frankenberg,  en  Hesse,  l'excellent  maître  Jacob  Horle 
avait  sous  sa  direction  près  de  cent  quatre-vingts  élèves  '. 

Le  Suisse  Henri  Bullinger,  qui  fréquenta  lécole  d'Emmericli  de 
1516  à  1519,  rapporte  qu'il  y  apprit  les  éléments  du  latin  dans  Donatus 
et  dans  la  grammaire  d'Aldus  Manutius.  ^-  Tous  les  jours,  dit-il,  on 
faisait  de^  exercices  en  classe  et  à  la  maison;  chaque  matin  nous 
devions  décliner,  comparer,  conjuguer:  on  lisait  à  haute  voix  les 
lettres  choisies  de  Pline,  les  épitres  de  Cicéron,  puis  des  fragments 
de  Virgile  et  d'Horace,  quelques  poésies  de  Baptiste  Mantuanus,  des 
lettres  de  saint  Jérôme,  d'autres  auteurs  encore.  Une  fois  par  semaine, 
nous  devions  composer  une  lettre  en  latin;  on  parlait  habituellement 
latin  dans  la  maison;  les  professeurs  du  collège  enseignaient  aussi 
les  principes  du  grec  et  de  la  dialectique.  Une  ferme  discipline  y 
régnait,  et  l'on  apportait  une  grande  attention  aux  exercices  reli- 
gieux^. " 

Au  collège  de  Xanten,  le  cliapelain  Adam  Potken  faisait  depuis  1496 
un  cours  de  grec;  lui-même,  avec  plusieurs  chanoines  de  la  ville, 
étudiait  tous  les  jours  l'hébreu.  Son  ami  Sébastien  Murrho,  de  Colmar, 
très-versé  dans  cette  langue,  lui  procurait  les  livres  qui  lui  étaient 
nécessaires.  Plus  tard,  Potken  fut  envoyé  dans  une  des  onze  écoles 
latines  de  Cologne  comme  professeur  de  grec;  ces  écoles  étaient 
unies  aux  onze  collégiales  de  la  ville,  et  comptaient  souvent  parmi 
leurs  professeurs  les  hommes  les  plus  instruits  et  les  plus  capables  ^ 
A  Cologne,  Potken  demeurait  dans  la  maison  de  son  parent  Jean 
Potken,  prévôt  de  Saint-(;eorges,  savant  orientaliste,  qui  avait  appris 
Téthiopien  à  Rome  et  donna  à  l'Europe  le  premier  ouvrage  imprimé 
en  caractères  éthiopiens''. 

On  obtenait  alors  de  la  jeunesse  studieuse  des  choses  extraor- 
dinaires. Adam  Potken  lisait  à  des  élèves  âgés  seulement  de  onze  à 
douze  ans  l'Éiiéide  de  Virgile  et  les  discours  de  Cicéron.  Jean  Eck  (né 
en  1486)  parcourut  le  cours  complet  des  classiques  latins  entre  sa 
neuvième  et  sa  douzième  année;  il  était  élève  à  l'école  et  dans  la  mai- 
son de  son  oncle,  simple  curé  de  paroisse,  et  ce  qu'il  nous  raconte  de 
son  éducation  est  d'un  intérêt  général  pour  l'histoire  de  l'enseigne- 
ment. On  expliquait  alternativement  à  l'enfant  les  auteurs  anciens  et 
modernes,  les  fables  d'fisope,  une  comédie  d'Arétinus,  l'élégie 
d'Alda  (de  (iarin  de  Vérone),  le  traité  attribué  à  Sénèque  sur  les 

'  Voy.  l'exoellent  travail  de  IUkhlint,  sur  MurmcUius,  p.  36-46.  79-80,  et  sa 
Bibliog.,  p.  V.Vl  et  SS. 

-  Voy.   DlLLENIiLRGKR,  p.    4-11.  —  KÖHI.ER,    p.    1Ô-I6. 

"  Pelz,  2^,  p.  114.  —  Nettf.sheim.  p.   166-167.   —  Kühleh,  p.    19.   —  Dir.LF\- 

BLRGER,  p.   32. 

*   Kr.ifft,    Mitlheibingen    nus  (Irr    Xiederrhcinischin    lic/'ormnlionsgcschichte ,    p.     193 

et  SS.  —  Voy.  KÖHLE?.,  p.  21-22. 


VIE    SCOLAIRE.  59 

<|ija(rc  vertus  cardinales,  les  lettres  de  Gasparin,  une  hymne  de 
Gersoii  en  Tlionneur  do  saint  Joseph,  deux  ouvrages  de  Boece,  le 
prolo(jue  de  saint  Jérôme  sur  la  Bible,  Térence,  et  les  cinq  premiers 
livres  de  l'Enéide.  Tout  jeune  qu'il  était,  il  dut  même  apprendre 
(|(ielques  notions  de  philosophie  et  de  jurisprudence,  et  étudier  les 
Pères  de  TK^jUse.  "  On  m'exerçait,  écril-il,  sur  les  cinq  traités  de 
dialectique  de  Pierre  d'Kspagne;  après  le  repas,  je  lisais  à  mon 
oncle  les  livres  de  Moise,  les  livres  historiques  de  l'Ancien  Testament, 
les  quatre  Evaiifjiles  et  les  Actes  des  apôtres.  Je  lus  aussi  un  ouvra{je 
sur  les  quatre  fins  dernières,  un  autre  sur  les  âmes;  une  partie  des 
discours  de  saint  Augustin  aux  solitaires  ;  le  livre  d'Augustin  d'An- 
cône  sur  la  puissance  de  l'Kglise  et  une  introdution  à  l'étude  du 
droit.  J'appris  par  cœur  par  ordre  alphabétique  les  quatre  chapitres 
du  troisième  livre  des  Dcm'tr/lrs,  avec  les  règles  et  les  principes  du 
droit  d'après  Panormiton.  Outre  cela,  mon  oncle  eut  soin  que  dans 
les  autres  écoles  j'entendisse  lire  les  Bucoliques,  le  Théodnie,  et  le 
sixième  traité  de  Pierre  d'Espagne.  Les  prêtres  qui  secondaient  mon 
oncle  m'expliquaient  aussi  les  Évangiles  des  dimanches  et  des  fêtes, 
le  traité  de  Cicéron  sur  l'amitié,  l'introduction  de  saint  Basile  aux 
études  d'humanité,  e!  la  guerre  de  Troie,  d'Homère'.  ^  Eck  lisait 
encore  à  lui  tout  seul  (juantité  d'autres  livres  latins  et  allemands. 
Ainsi  préparé,  il  entra  on  1498,  n'étant  encore  âgé  que  de  treize  ans, 
à  l'Université  d'Heidclberg,  et  deux  ans  après,  fut  élevé  à  Tübin- 
gen à  la  dignité  de  maître  es  arts  -. 

On  trouve  de  fréquents  exemples  de  pareille  précocité  d'esprit 
dans  les  jeunes  étudiants  universitaires  de  cette  époque.  Le  mathé- 
maticien et  astronome  Jean  Müller,  de  Kœnigsberg,  en  Franconie,  se 
fit  immatriculer  à  l'âge  de  douze  ans  à  l'université  de  Leipzig,  et  dès 
sa  seizième  année  obtint  le  grade  de  maître  es  arts  à  Vienne  ^  Jean 
Reuchlin  et  Geiler  de  Kaisersberg  commencèrent  dès  quinze  ans  leurs 
études  à  l'Université;  Jean  Spieshaimer,  surnommé  Cuspinianus, 
faisait  des  cours  à  l'école  supérieure  de  Vienne,  sur  Virgile,  Horace, 
Lucain,  Salluste  et  Cicéron,  n'ayant  encore  que  dix-huit  ans  ^  Trois  ans 
après,  il  professait  la  philosophie,  l'éloquence  et  les  arts  libéraux. 
Dans  sa  vingt-septième  année,  il  fut  élu  recteur  de  l'Université  ^ 

On  peut  bien  dire  que  depuis  quinze  siècles  et  demi  on  n'avait 
jamais  vu  parmi  nous  une  soif  d'instruction  plus  ardente.  De  là  venait 


'  Voy.  KnvFFT,  Mitthciluiigm^  p.  249-250. 
^  Sur  Pntken,  voy.  Pelz,  p.  2',  117-119. 
'  \VF,Lzr\mcH,  p.  124. 

*  MeLSFR,   t.  m,  p.  88-90.   —  WlFPEMANN,   p.   3-(j. 

*  Fiedler,  p.  3.  —  .Aschbach,  Wiener  Universität,  t.  I,  p.  358. 


60  L'INSTHUCTION    POPULAIRK    ET    LA    SCIENCE- 

cette  application  soutenue  qu'on  remarque  même  chez  les  tout  jeunes 
gens,  et  cette  passion  de  savoir  qui  ne  connaissait  nul  repos  jusque 
dans  Textreme  vieillesse. 

A  l'école  comme  dans  la  maison  paternelle,  régnait  une  discipline  qui 
convenait  à  tons  égards  à  cette  génération  vigoureuse  et  rude;  la  verge 
et  le  bâton  gouvernaient.  L'empereur  Maximilieu  lui-même  reçut 
dans  sa  jeunesse  des  coups  bien  appliqués  de  la  main  de  son  maître*, 
et  le  margrave  Albert  de  Brandebourg,  dans  un  voyage  qu'il  fit 
en  1474,  annonçait  à  sa  femme  qu'aussitôt  après  son  heureux 
retour,  il  se  proposait  de  -  poivrer  ■  ^  avec  la  verge,  elle,  son  jeune 
fils  le  petit  Alberl,  et  les  ■  demoiselles  •. 

Le  sceau  scolaire  de  la  ville  d'Hoxter,  qui  nous  a  été  conservé, 
montre  bien  le  rôle  imporlant  que  jouait  alors  la  verge.  Nous  y 
voyons  un  maitre  d'école,  revêtu  d'une  robe  à  larges  plis,  la  tête 
recouverte  d'un  bonnet  rond;  il  est  assis,  et  brandit  une  verge  de  sa 
main  droite  levée.  Un  petit  garçon  est  agenouillé  devant  lui;  de  sa 
main  gauche,  le  maître  tient  le  menton  de  l'enfant  et  lui  relève  la 
tète^  Dans  bien  des  localités  avait  lieu  annuellement,  en  été,  la  pro- 
cession des  verges.  Conduite  par  ses  maîtres,  et  accompagnée  par  la 
moilié  des  habitants  de  la  ville,  la  jeunesse  des  écoles  se  rendait  au 
bois  pour  faire  elle-même  la  provision  de  verges  destinées  à  ses 
propres  besoins.  Une  fois  que  cette  provision  était  faite,  la  troupe, 
dans  un  joyeux  tumulte,  s'ébattait  dans  la  verdure,  se  paraît  de  cou- 
ronnes printanières,  se  livrait  à  toutes  sortes  de  jeux  et  d'exercices 
gymnastiques;  ensuite,  les  écoliers  étaient  régalés  par  les  maîtres  et 
les  parents.  Chargés  de  l'instrument  de  leur  supplice,  ils  rentraient 
le  soir  dans  la  ville,  parmi  les  chants  et  les  rires.  Une  chanson  com- 
posée pour  cette  circonstance  nous  a  été  conservée  : 

Vous,  nos  pères,  vous,  nos  bonnes  petites  mères, 

Reäjardez,  voici  que  nous  rentrons 

Chargés  de  bois  de  l)0uleau! 

Il  nous  sera  très-utile 

Et  nullement  dommageable. 

Votre  volonté  et  Tordre  de  Dieu 

Nous  ont  contraints  de  porter  nous-mêmes  en  ce  jour 

Nos  propres  verges 

Avec  un  joyeux  courage*! 

En  dépit  de  l'effroi  que  pouvait  causer  aux  enfants  la  verge  ou 
le  bâton,  une  joie  innocente,  un  esprit  d'insouciante  gaieté  régnaient 

'  Voy.     Erhvui),    t.    I!I,    p.    429-i3î.    —    JIorwwiTZ,    Xalionak    Gesclùlschreibug, 
p.  70-92.  —  AscHii.vcii,   Wiener  L'nirersiliii,  t.  II,  p,  284-287. 
-  Voy.  Zappekt,  Gcspröchbüchlein,  p.  224. 

•*  HÖFLER,  Archiv,  fur  Kunde  Oslerr.  Gesckichlsqael'-cn,  t.  VII,  p.  104. 
*  Kriegk,  Burrjerthum,  neue  Folge,  p.  68.  —  Voy.  Falk,  Schulen  am  Mitlelrhein,  p.  51. 


.lACQUES    VVIMI'UKLIN«;.  61 

dans  les  écoles.  C'est  cet  esprit  qui  donna  naissance  aux  nom- 
breuses fë  les  scolaires,  aux  représcnfalions  lliéàtralessi  (rcqucnfes 
alors',  à  la  tète  de  saint  (jréjjoire  ou  jeu  de  Tévôque,  à  celles  du 
carnaval,  de  saint  André,  de  saint  Nicolas,  de  Xoël  *,  fêtes  qui  dans 
leur  {jaielé  franche  et  sp;intauée  exerçaient  une  action  si  bienfaisante 
sur  la  jeunesse,  elluidontiaienl  l'Iieureux  sentiment  du  plaisir  de  vivre. 


III 


L'école  florissante  dirigée  à  Sciilestadt  par  Louis  Dringenberp;,  et 
qu'on  avait  surnommée  la  •  perle  de  l'Alsace  ",  avait  une  importance 
encore  plus  grande  que  les  établissements  du  Khin  dont  nous  avons 
déjà  parlé.  Elle  tenait  le  premier  rang  en  Allemagne  parmi  les  écoles 
où  la  lecture  des  classiques  et  les  études  historiques  concernant  l'his- 
toire nationale  étaient  poursuivies  avec  le  plus  de  zèle^  Elle  comptait 
souvent  de  sept  à  huit  cents  élèves*;  et  parmi  ceux-ci,  à  côté  d'un 
Jean  de  Dalberg  et  d'un  Geiler  de  Kaisersberg-,  nous  voyons  appa- 
raître le  futur  "  instituteur  de  l'Allemagne  ',  Jacques  Wimpheling^ 

Wimpheling  naquit  à  Schlestadt  en  1450.  C'est  une  des  plus 
influentes  et  des  plus  attrayantes  personnalités  de  la  fin  du  moyen 
âge.  ]Non  que  son  caractère  fiU  aussi  bienveillant,  irréprochable, 
élevé  au-dessus  de  tous  les  malentendus  d'ici-bas  que  celui  d'un  Agri- 
cola  ou  d'un  Hégius;  il  était,  au  contraire,  mordant  et  âpre  dans  la 
discussion  " ,  souvent  imprudent  dans  ses  paroles,  et  maladroitement 
hardi  dans  ses  sorties.  Outre  cela,  s'il  faut  en  croire  ses  propres 
aveux  sur  lui-même,  la  maladie  et  l'excès  de  travail  le  rendaient  de 
temps  en  temps  injuste  et  amer.  Mais  sa  conduite  noble  et  désin- 
téressée, son  infatigable  activité  comme  professeur  et  écrivain,  sa 
constante  et  prompte  bonne  volonté  pour  le  bien,  lui  avaient  gagné  les 
cœurs  de  ses  contemporains  ^  Wimpheling  n'était  pas  seulement  un 
savant,  c'était  aussi  un  publiciste;  sa  grande  énergie  morale,  son 

'  Kriegk,  p.  98-99.  —   Voy.   la   Germanie  de  Pfeiffer,  t.  F,  p.   134. —  Falk.  Die 
Schul  und  Kinder/este  i)n  Mitlclaller  [Fraïii^fort,  1880j.  —  \ette.sheim,  p.   145-157. 
^  Voy.  KuiEGK,  Büigrrllium,  t.  I,  p.  435-442. 
'  Id.,  Bürgerlhum,  neue  Folge,  p.  93-94. 

*  Wimpheling,  De  arte  impressoria,  fol.  17. 

'En  1517,  l'école    comptait  neuf  cents  élèves.  —    Röukig,  p.  207-209.  — 
Schreiber,  t.  I,  p.  119-121.  —  Bader,   Gcsch.  der  Stadt  Freiburg,  t.  I,  p.  530. 

*  GoEDECKE,  Narrenhcscilicörung,  t.  MI-XIV. 

'  Sur  Wimphelinfï,  voy.  les  travaux  de  Wiskowatoff  et  de  Schwarz ,  puis  Auf- 
satz in  den  Hialor,  t'ont.  Blattern,  t.LXl  ,   p.  593-613. 


62  L'INSTRUCT  I0\    POPULAIRE    KT    LA    SCIENCE. 

incorruptible  amour  de  la  vérité,  son  noble  esprit  de  patriotisme 
le  rendaient  particulièrement  propre  à  populariser  la  science,  cbo-e 
dont  jusque-là  on  s'était  encore  peu  soucié.  Son  savoir,  comme  ses 
facultés  littéraires,  furent  uniquement  consacrés  à  son  propre  per- 
fectionnement, à  l'élévation  de  l'esprit  national  dans  toutes  les  classes 
du  peuple,  à  la  réforme  des  abus  ecclésiastiques  et  à  la  gloire  de  son 
pays.  "  A  quoi  bon  tous  les  livres,  écrit-il,  à  quoi  bon  les  plus 
savants  ouvrages,  les  plus  profondes  recherches,  s'ils  ne  servent  qu'à 
flatter  la  vanité  de  leurs  auteurs,  et  ne  font,  ni  ne  veulent  faire  pro- 
gresser le  bien  général?  Une  science  si  aride,  si  inutile,  si  nuisible, 
venue  de  l'orgueil  et  de  l'égoisme,  ne  peut  que  produire  une  pré- 
somption coupable  et  que  fomenter  toutes  les  mauvaises  inclina- 
tions et  toutes  les  passions  impures.  Si  ces  sentiments  dominent  dans 
l'âme  d'un  auteur,  sesécritsne  sauraient  exercer  uneboune  influence.  >■■ 
"  A  quoi  toute  notre  science  peut-elle  nous  servir  «,  demande-t-il  à 
un  autre  endroit,  -  si  nous  n'avons  pas  les  nobles  intentions  qui  y 
correspondent?  A  quoi  bon  tout  notre  travail,  s'il  ne  nous  conduit  à 
la  piété;  toute  notre  science,  si  elle  ne  nous  donne  l'amour  du  pro- 
chain; toutes  nos  lumières,  si  nous  ne  devenons  humbles?  Pourquoi 
l'étude  assidue,  si  elle  ne  nous  remplit  d'urbanité?  " 

La  meilleure  manière,  selon  lui,  d'atteindre  les  résultats  les  plus 
pratiques  et  les  plus  utiles,  c'est  de  se  vouer  à  l'instruction;  car 
c'est  de  la  meilleure  éducation  de  la  jeunesse  que  doit  sortir  la  vraie 
réforme,  non-seulement  celle  de  l'Église,  mais  encore  celle  de 
l'ordre  légal  dans  la  société  et  dans  la  famille.  Le  véritable  fon- 
dement de  notre  religion  >^,  écrivait-il  en  dédiant  à  son  ami  le 
prévôt  du  chapitre  de  Spire,  Georges  de  Gemmingen,  l'un  de  ses 
écrits  pédagogiques,  '■  le  soutien  de  toute  vie  honorable,  l'ornement 
de  toute  condition,  la  prospérité  de  la  chose  publique,  la  connais- 
sance solide  de  la  doctrine  sacrée,  la  victoire  assurée  sur  l'impureté 
et  les  passions,  tout  cela  repose  sur  une  éducation  bien  entendue,  à 
laquelle  on  a  su  apporter  des  soins  intelligents.  » 

Aussi  la  formation  de  la  jeunesse  était-elle  le  souci  dominant  de  sa 
vie;  si  Hégius,  dont  il  ne  prononçait  le  nom  qu'avec  vénération,  fut 
le  plus  grand  pédagogue  allemand  de  son  siècle,  Wirapheling  fut  le 
plus  parfait  des  écrivains  pédagogiques  de  l'époque  et  l'un  des  plus 
excellents  promoteurs  d'un  enseignement  perfectionné,  basé  sur  une 
manière  essentiellement  chrétienne  d'envisager  le  monde  et  la  vie. 
Aussi  Reuchlin  l'appelait-il  «  une  colonne  de  notre  religion  ;,  et 
après  sa  mort,  Beatus  Rhenanus,  faisant  son  éloge,  disait  de  lui  : 
«  AVimpheling,  en  aimant,  encourageant  et  protégeant  l'éducation 
de  la  jeunesse,  a  travaillé  plus  que  personne  en  Allemagne  au  progrès 
de  la  science.  ^  A  l'exemple  d'.i^^neas  Sylvius,  qui  avant  son  élévation 


PRINCIPES    DK    LA    PJ:  DA  GO  ME    A    CETTE    EPOQUE.  CS 

au  (rône  papal  exerça  une  si  féconde  influence  sur  la  vie  inlellectuelle 
de  son  pays,  N\'ini|)lielin[j  chercha  |)arficnlicrcnient  à  rendre  la 
noblesse  et  les  princes  capables  d'une  uoi>le  culture,  et  s'efl'orça  de 
les  [jagner  à  l'amour  des  éludes  classicjues  récemment  remises  en 
honneur  '. 

Parmi  ses  écrits  pédagogiques  (dont  trente  mille  exemplaires  envi- 
ron furent  imprimés  antérieurement  à  J.j17j,  il  en  est  deux  qui  sont 
du  j)lus  haut  intérêt.  Dans  le  premier,  intitulé  Guide  de  la  jeunesse 
(.''Alkmfujnc  (1  iîJ7),  Wnnpheliug  démontre  avec  une  claire  évidence 
les  vices  des  méthodes  d'enseignement  autrefois  employées;  il  prouve 
comment,  par  un  système  plus  rationnel,  on  peut  enseigner  la  jeu- 
nesse d'une  façon  plus  rapide  et  plus  intelligible.  Puis  il  donne  un 
grand  nombre  de  précieuses  règles  et  d'excellents  principes  pour 
l'enseignement  pratique  des  langues  anciennes.  L'auteur  ne  traite 
pas  seulement  de  l'instruction,  il  s'étend  sur  tout  ce  qui  concerne 
l'école,  et  parle  môme  de  la  personne  du  maître.  Son  ouvrage  nous 
offre  la  première  méthode  rationnelle  de  pédagogie  qui  nous  ait  été 
donnée  -  :  c'est  une  œuvre  vraiment  nationale,  et  qui  mérite  d'être 
saluée  par  tous  les  temps  avec  reconnaissance  et  respect  *.  Quant 
au  second  ouvrage  pédagogique  et  moral  de  Wimpheling,  la  Jeu- 
nesse  (1500),  il  appartient  au  petit  nombre  de  livres  qui  font  époque 
dans  l'histoire  de  l'humanité  *. 

Les  maîtres  et  pédagogues  de  ce  temps,  dans  leurs  efforts  en 
faveur  de  l'enseignement,  partaient  de  ce  principe  qu'il  ne  suffit  pas 
de  développer  les  aptitudes  et  les  capacités  de  l'enfant;  qu'il  faut 
avant  fout  les  ennoblir  et  les  perfectionner.  Ils  s'efforçaient 
d'inspirer  à  la  jeunesse  qui  leur  était  confiée  le  goût  et  l'amour  de 
l'étude,  l'habitude  du  travail  personnel,  et  prétendaient  l'élever  pour 
la  vie  et  pour  les  devoirs  qu'elle  comporte.  Ils  employaient  toutes  les 
ressources  de  leur  intelligence,  toute  la  chaleur  de  leur  conviction, 
à  les  initier  aux  chefs-d'œuvre  grecs  et  latins;  mais  ils  cherchaient 
en  même  temps  à  ne  pas  séparer  dans  l'esprit  de  leurs  élèves  l'admi- 
ration pour  la  beauté  de  la  forme  du  sens  intérieur  et  profond  de  la 
pensée.  L'étude  des  langues,  dans  leur  manière  de  voir,  ne  devait  pas 
avoir  uniquement  pour  but  la  connaissance  du  latin  et  du  grec;  selon 
les  paroles  de  Wimpheling,  les  langues  devaient  servir  d'instrument 
de  culture  intellectuelle,  et  l'élève  devait,  par  leur  secours,  s'exercer 
à  penser  avec  force.  Nos  anciens  maîtres  voyaient  dans  les  humanités 

'  Voy.  sa  lettre  à  Frédéric  de  Dalberg  daus  VN'iskowatoff,  p.  79. 

*Poiir  plus  de  détails,  voy.  Schwarz,  p.  122-151. 

s  Id.,  Sebasl.  BranC.  p.  353. 

*  Zaencke,  p.  xn.  —  Voy.  Schwarz,  p.  153-164. 


64  L'INSTHUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

une  sorîe  de  gymnastique  propre  à  former  l'indépendance  du  juge- 
ment. Avec  une  sage  prudence,  ils  évitaient  d'introduire  dans  leurs 
écoles  une  trop  grande  variété  dans  les  sujets  d'enseignement.  Après 
l'étude  solide  de  la  religion  et  les  soins  apportés  au  développement 
de  la  vie  chrétienne,  ils  se  proposaient  surtout  de  donner  à  leurs  élèves 
une  connaissance  approfondie  de  l'antiquité  classique.  Le  peu  de 
notions  de  fond  dont  on  s'occupait  n'était  abordé  qu'avec  une 
extrême  réserve,  en  passant,  et  comme  étude  accessoire.  Aussi  les 
maitres  de  ces  établissements  réussissaient-ils  à  donnera  leurs  élèves 
des  connaissances  bien  reliées  les  unes  aux  autres  et  formant  un 
ensemble  complet'. 

Dans  le  sud  de  l'Allemagne,  l'éducation  scolaire  suivit  le  même 
mouvement  que  celui  qui  s'était  produit  dans  les  Pays-Bas,  la  VVest- 
phalie  et  les  pays  rhénans.  Elle  s'y  développa  et  y  fleurit  peu  à  peu 
pendant  les  dernières  années  du  ({uinzième  siècle  :  JNuremberg  et 
Augsbourg  étaient  sous  ce  rapport  les  centres  intellectuels  les  plus 
remarquables.  Au  commencement  du  seizième  siècle,  il  y  avait  à 
Nuremberg  quatre  collèges  latins  qui,  par  les  soins  du  savant  prati- 
cien Willibald  Pirkheimer  et  du  prévôt  .lean  Kress,  étaient  en  état 
de  donner  une  éducation  excellente  sous  plus  d'un  rapport.  Une  école 
de  poésie  s'cfablit  même  à  Nuremberg;  la  direction  en  fut  confiée  à 
.lean  Cocléus  (1515).  Ce  même  Cocléus  entretenait  des  rapports  ami- 
caux et  littéraires  avec  Kreiss  et  Pirkheimer,  et  composa  plusieurs 
livres  d'enseignement,  entre  autres  une  grammaire  latine  souvent 
rééditée  et  très-appréciée  des  maitres  les  plus  savants  d'alors  pour 
sa  clarté  et  sa  précision.  Il  composa  aussi  un  abrégé  de  la  géographie 
mathématique  de  Pomponius  Mêla,  et  un  commentaire  sur  la  météo- 
rologie d'Aristote,  sur  les  travaux  duquel  il  établissait  les  fonde- 
ments de  l'enseignement  de  l'histoire  naturelle  et  de  la  physique  ^. 

On  peut  à  peine  nommer  une  grande  ville  en  Allemagne  à  cette 
époque  (si  l'on  en  excepte  les  villes  du  duché  de  Brandebourg)  qui 
n'ait  vu  se  fonder  ou  s'améliorer  une  école  supérieure  à  côté  de  se.< 
écoles  élémentaires  '. 

La  haute  direction  des  écoles  des  villes  était  généralement  confiée 
aux  autorités  municipales;  mais  tous  les  établissements  d'enseignement 
étaient  en  même  temps  étroitement  unis  à  l'Église,  non-seulement 
parce  que  la  plupart  des  maitres  appartenaient  à  l'état  ecclésiastique, 
mais  encore  parce  que  l'inspection  des  collèges  était,  ou  laissée,  ou 


'  Sur  les  écoles  supérieures  d'alors,  voy.  Heidemann,  p.  4-7.  —  Paculter, 
ilherblick  über  das  Gymnasium  bis  tum  Beginne  des  sechzehnten  Jahrhwiderts ,  1879, 
p.  359-384. 

*Otto,  p.  12-44. 

^  Érasme  à  J.  E.  Vives,  Opera,  III,  p.  689.  —  Voy.  Kirchuoff,  I,  49, 


FEMMES    LETTi;  i:tS.  65 

formellement  attribuée  au  cler{}C.  un  budget  spécial  pour  les  écoles 
n'existait  pas  plus  alors  que  des  fonds  particuliers  pour  les  indijjents. 
Ceux  mêmes  des  établissements  scolaires  qui  se  trouvaient  sous  la 
direclion  immédiate  des  municipalités  étaient  entretenus  par  des 
fonds  particuliers,  par  larétribulionqu'apportait  chaque  élève,  et  par 
les  le{js  en  leur  faveur  qui  se  renouvelaient  perpétuellement;  car 
Tinsfrucfion  de  la  jeunesse  comptait  parmi  les  œuvres  de  miséri- 
corde, e(,  obéissant  pieusement  à  l'enseignement  de  l'Église  sur  le 
mérite  des  bonnes  œuvres,  les  fidèles  s'empressaient  de  faire  de 
riches  donations  aux  écoles. 

Des  bibliothèques  se  fondaient  dans  le  même  esprit  :  ainsi,  par 
exemple,  nous  voyons  un  maître  charpentier  de  Xanten,  nommé 
Mathieu  Ilolthof,  abandonner  sa  maison  et  un  jardin  à  une  associa- 
tion de  Frères,  afin  <  qu'avec  l'argent  qu'on  en  retirera,  on  achète  de 
bons  livres  chrétiens  qui  puissent  être  utiles  aux  âmes  des  lecteurs; 
et  les  lecteurs  doivent  prier  pour  la  pauvre  âme  du  donateur  '  »  (1485). 
un  potier  d'étain  de  Francfort-sur-le-Mein  donne  également  la  somme 
alors  importante  de  .335  florins  d'or  pour  la  bibliothèque  du  cloître 
des  Carmes,  «  afin  que  cette  bibliothèque  contribue  à  la  gloire  de  Dieu, 
de  .sa  sainte  Mère,  à  l'utilité  de  tous,  et  que  les  livres  soient  conservés 
avec  honneur  ^  (1477).  C'est  à  un  autre  bourgeois  de  Francfort  que 
sont  dus  les  commencements  de  la  bibliothèque  de  la  ville  (1484)  ^ 
A  Ulm,  dès  1450,  une  famille  bourgeoise  ouvre  au  public  une  biblio- 
thèque, probablement  la  première  de  ce  genre  qui  ait  existé  en  Alle- 
magne'. 

Après  le  clergé,  c'est  la  bourgeoisie  qui  devient  le  véritable  sou- 
tien de  la  culture  intellectuelle;  mais  la  noblesse  aussi  prend  part 
avec  joie  à  la  renaissance  de  la  vie  de  la  pensée.  Plusieurs  des  hommes 
les  plus  influents  d'alors,  Maurice  de  Spiegelberg:,  Rodolphe  de 
Langen,  Jean  de  Dalberg,  appartenaient  à  l'aristocratie.  Huit  ou  neuf 
membres  d'une  même  famille  de  gentilshommes  obtinrent,  à  Pavie 
ou  à  Padoue,  le  bonnet  de  docteur  *.  A  l'Université  d'Erfurt,  on 
compte,  pendant  le  quinzième  siècle,  vingt  recteurs  appartenant  à 
la  noblesse  ^ 

Le  mouvement  intellectuel   eut  aussi  son  écho  dans  le  monde 

'  Pelz,  2a,  19. 

-  Kriegk,  Bürqirlhiimncue  Folge,  66,  et  Geschichte  Prancfurts,  p.  167. 

'  .Iager,  Schwäbisches  SUidtcicesen ,  t.  I,  p.  591.  —  Serapcum,  t.  V,  p.  193.  — 
Hassler,  p.  lil.  —  Falk,  Histor.  pol.  Blätter,  p.  77,  306.  —  Sur  la  bibliothèque 
paroissiale  de  Saint-Jacques  à  Brunn,  voy.  Serapeum,  t.  XI,  p.  382.  —  Falk,  Hist. 
Jahrbuch  der  Görres  Gesellschaft,  t.  I,  p.  297-304  (Â.'unster,  1880,!. 

*  Stôlzel,  t.  I,  p.  56. 

^  Hampschulte,  t.  I,  p.  24. 

5 


66  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

féminin;  surtout  dans  le  pays  du  Rhin  et  dans  T Allemagne  du  Sud, 
le  nombre  des  femmes  qui  s'adonneut  aux  sciences  est  assez  consi- 
dérable. Butzbach,  dans  l'ouvra^je  liitéraire  resté  inédit  qu'il  com- 
posa en  1.50.3,  cite  parmi  les  femmes  les  plus  accomplies  de  son 
temps  Gertrude  de  Coblentz,  maîtresse  des  novices  au  couvent  des 
Augustines  de  Wallenda,  jeune  fille  de  grande  capacité,  très-cul- 
tivée, aussi  distinguée  par  sa  piété  que  par  la  connaissance  qu'elle 
avait  acquise  des  saintes  Écritures.  11  nomme  encore  Christine  de 
Leyen,  religieuse  augustine  à  Marienthal,  et  Barbara  de  Dalberg,  reli- 
gieuse bénédictine  à  Marienberg  et  nièce  de  l'évêque  de  Worms'; 
elle  a  laissé  plusieurs  écrits  de  sa  composition.  Butzbach  dédie  son 
livre  à  Aleydis  Kaiskop,  Bénédictine  à  Rolandswerth  (t  1507),  très- 
célèbre  par  sa  connaissance  des  classiques  de  l'antiquité.  11  la  com- 
pare à  Roswitha,  à  Hildegarde  et  à  Elisabeth  de  Schönau.  Aleydis 
écrivit  sept  homélies  latines  sur  saint  Paul,  et  traduisit  en  allemand  un 
livre  latin  sur  la  sainte  Messe.  A  la  même  époque,  et  dans  le  même  cou- 
vent, vivait  Gertrude  de  Biichel,  ;<  très-experte  dans  les  beaux-arts  •, 
et  à  laquelle  Butzbach  dédia  un  ouvrage  sur  les  peintres  célèbres-. 
Au  monastère  de  Seebach,  près  de  Durkheim,  l'abbesse  Richemonde 
von  der  Horst  entretenait  avec  Trithème  une  correspondance  en  latin 
sur  des  sujets  spirituels,  et  Butzbach  en  fait  l'éloge  comme  l'auteur 
de  divers  écrits  ^  Parlant  de  la  religieuse  Ursule  Cantor,  il  assure 
qu'elle  n'a  eu  son  égale  dans  aucun  temps  '',  et  vante  ses  connais- 
sances théologiques,  son  goût  pour  les  belles-lettres  et  sou  talent  de 
bien  dire.  Une  autre  femme  très-distinguée  par  son  esprit,  et  celle-là 
restée  dans  le  monde,  c'est  Marguerite  de  Staffel  (f  1471;,  femme 
du  vicomte  du  Rheingau  Adam  d'Allendorf.  Comme  la  duchesse 
Hedwige  de  Souabe,  elle  lisait  avec  son  chapelain  les  anciens  clas- 
siques dans  l'original,  composait  de  petites  poésies  latines,  des 
morceaux  en  prose,  et  aussi  des  poésies  allemandes.  On  dit  qu'elle 
mit  en  rimes,  non  sans  verve  poétique,  une  vie  de  saint  Bernard  et 
de  sainte  Hildegarden  Catherine  d'Ostheim  appartient  aussi  au 
quinzième  siècle;  elle  avait  de  grandes  connaissances  historiques,  et 
composa  un  abrégé  delà  Chronique  de  Limbourg,  qu'elle  continua". 
Parmi  les  femmes  lettrées  de  rAllemague  du  Sud,  l'abbesse  de 

'  Voy.  Beckei\,  p.  268-269. 

-  Voy.  Floss,  Das  Kloster  Rolandsicerth  bei  Bonn  (Colonfue,  1868.  p.  20,  26,  70, 
74,  102;.  —  Voy.  aussi  sur  le  couvent  de  Lune,  Grlbe,  p.  250. 

'  Trithem.  Chron.  Sjwnh.,  p.  412.  —  Episl.  famil.,  p.  445,  455,  464,  476,  499,  502, 
503.  —  Voy.  Remling,  Klöster  in  Rheinbaiern,  t.  I,  p.  173.  — SilbekNaGEL,  p.  95   240. 

^  Voy.  sur  ce  point  Krafft  et  Crecelils,  t.  VII,  p.  224-225,  275.  —  Becker, 
p.  270.  —  Sur  Ursule,  cous,  la  Colner  cluonik,  Chroniken  der  Deutschen  Städte,  t.  XIV» 
p.  877. 

^  Voy.  BODMANN,  Rhein  g  aui  sehe  AUerthümcr,  p.  298,  552.  —  Falk,  p.  653, 

"  Kriegr,  Bürgerthum  neue  Folge,  p.  77, 


FEMMES    LETTREES.  67 

Nuremberg,  Charité  Pirklieimer,  brille  au  premier  rang,  par  sa 
science  autant  que  par  sa  noblesse  d'Ame.  Ses  lettres  et  ses  souve- 
nirs témoignent  liaulemiuit  de  sa  piété  pure,  de  son  esprit  élevé,  de 
son  noble  caractère.  "  Tous  ceux  qui  dépassent  les  autres  par  leur 
inlelligence  ou  leur  rang,  écrivait  le  légiste  Christophe  Scheurl, 
admirent  Tesprit  pénétrant,  la  science,  l'élévation  d'ûme  del'abbesse 
Charité  '.  » 

Clara  Pirkheimer,  religieuse  comme  sa  sœur  au  couvent  de  Sainte- 
Claire,  était  également  remarquable  par  sa  piété  et  par  la  culture  de 
son  esprit.  Les  savants  de  l'époque  parlent  des  deux  sœurs  avec  une 
sorte  d'orgueil  patrioticpie. 

Après  elles,  il  faut  encore  citer  la  religieuse  Clarisse  ApoUonia 
Tücher,  que  Christophe  Scheurl  appelle  «  la  couronne  de  son  cou- 
vent, l'amie  de  tout  ce  qui  touche  le  culte  de  Dieu,  le  miroir  de  la 
vertu,  l'exemple  et  le  modèle  de  ses  sœurs  ".  Apollonia  était  nièce 
du  juriste  de  Nuremberg,  Sixte  Tücher,  qui  fut  longtemps  l'orgueil 
de  l'Université  d'Ingolstadt  et  fit  preuve  de  grande  capacité  pour 
les  affaires  en  qualité  déconseiller  intime  du  Pape  et  de  l'Empereur. 
Il  était  prévôt  de  Saint-Laurent  de  Nuremberg  depuis  1497;  c'était 
le  modèle  de  la  ville  par  sa  conduite  sans  tache  comme  prêtre,  autant 
que  par  sa  bienfaisance  envers  les  malheureux.  Les  lettres  d'édifica- 
tion et  de  dévotion  qu'il  écrivit  à  Apollonia  et  à  sa  plus  intime  amie 
Charité  Pirkheimer,  charment  le  lecteur  par  leur  élévation  et  leur 
profondeur.  Cette  correspondance  est  un  touchant  monument  du 
véritable  humanisme  chrétien,  qui  ne  sépare  pas  la  science  de  la  foi, 
le  savoir  de  la  religion,  et  qui,  pour  combattre  l'orgueil  de  l'esprit, 
prend  pour  devise  et  pratique  fidèlement  la  belle  parole  de  Trithème  : 
"  Savoir,  c'est  aimer.  »  Sixte  encourage  ses  amies  à  l'étude  assidue, 
et  ne  cache  pas  son  étonnement  joyeux  en  constatant  «  les  aptitudes 
merveilleuses,  les  dons  intellectuels  des  femmes  ».  Mais,  ajoute-t-il 
dans  une  lettre  toute  paternelle  adressée  à  Charité,  «  je  ne  veux  pas 
que  tu  recherches  par  ton  savoir  une  vaine  louange,  mais  bien  que  tu 
l'attribues  à  Celui-là  seul  de  qui  découle  tout  don  parfait.  Emploie  le 
talent  qu'il  t'a  donné  pour  sa  gloire,  l'utilité  de  tes  sœurs  et  ton 
propre  salut;  mais  n'oublie  jamais  la  parole  d'or  de  l'Apôtre  :  «  Non 
«  la  science,  mais  la  charité  est  utile  à  l'homme  *.  » 

Véronique  Weiser,  la  savante  prieure  d'Augsbourg  (pour  laquelle 
les  deux  Holbein  composèrent,  l'un  son  plus  beau,  et  l'autre  son 


'  Voy.  sur  Charité  le  tome  I!  de  cet  ouvrage,  p.  352-364. 

-Pour  plus  de  détail  sur  Charité  et  son  cercle,  voy.  Binder,  p.  1-101.  — 
Voy.  dans  la  notice  sur  Barliara  Furerin,  abbesse  de  Gnadenberg,  une  jolie 
esquisse  de  la  vie  des  couvents  au  quinzième  siècle,  dans  les  Hist.  pol.  Blatter, 
t.  XLIX,  p    5.33-553. 


68  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

premier  tableau  '),  et  Marguerite  Weiser,  fidèle  associée  des  travaux 
scientifiques  de  son  mari,  Conrad  Peutinger,  le  célèbre  humaniste, 
étaient  les  dignes  émules  des  femmes  que  nous  venons  de  citer. 

Parmi  les  princesses  allemandes,  Mathilde,  fille  du  comte  palatin 
Louis  m,  était  célèbre  par  son  goût  éclairé  pour  les  sciences  et  les 
arts.  Elle  avait  réuni  une  collection  des  anciennes  poésies  du  temps 
des  Minnesinger,  composée  de  quatre-vingt-quatorze  pièces;  prenait 
plaisir  aux  vieux  chants  populaires  et  faisait  versifier  de  nouvelles 
chansons  sur  d'anciennes  mélodies*.  C'est  encouragé  par  elle  que 
le  chancelier  Nicolas  de  Wyle  entreprit  ses  traductions',  et  grâce  à 
l'impulsion  qu'elle  sut  donner,  son  second  mari,  l'archiduc  Albert 
d'Autriche,  fonda  l'Université  de  Fribourg,  et  le  fils  de  son  premier 
mariage,  le  comte  Ebrard  de  Wurtemberg,  l'Université  de  Tubingue. 

'   NOLTMANN.  t.  I,   p.    150. 

*  D'après  une  notice  écrite  par  J.  von  Görres,  Codex  saec.  xv. 
'  Voy.  Kürz,  Xiclasens  ron  Wyle,  p.  10.  ^ —  Muller,  Anzeiger  für  Kunde  der  Deulschoi 
Vorzeit,  1879,  p.  1-7.  —  Stalin,  t.  IIF,  p.  758,  763.  -  Hist.  pol.  Bialter,  79,  129. 


CHAPITRE  IV 

LES    UNIVERSITÉS   ET  AUTRES  CENTRES   INTELLECTUELS. 


Tous  les  humanistes  dont  nous  venons  d'énumérer  les  travaux, 
professeurs  ou  écrivains,  poursuivaient  un  but  élevé  :  ils  se  propo- 
saient de  mettre  à  la  portée  de  tout  le  monde  l'insl motion  et  la  cul- 
ture intellectuelle,  et  d'exercer  une  action  féconde,  vivifiante,  réfor- 
matrice, sous  le  rapport  social  comme  au  point  de  vue  de  l'Église,  par 
l'éducation  de  la  jeunesse  et  le  progrès  de  la  science.  C'est  la  même 
fin  que  voulaient  aussi  atteindre  les  Universités,  ces  foyers  d'instruc- 
tion, d'universel  savoir,  qui  dans  aucun  temps  de  l'histoire  d'Alle- 
magne ne  prirent  un  développement  comparable  à  celui  de  cette 
époque  et  ne  furent  l'objet  de  plus  d'enthousiasme,  de  plus  d'efforts 
généreux  et  désintéressés;  leur  extension,  leur  importance  grandis- 
santes manifestent  hautement  le  profond  besoin  d'instruction  qui 
s'était  emparé  de  toutes  'les  classes,  et  témoignent  du  respect  et  de 
l'amour  dont  les  sciences  étaient  partout  l'objet.  Les  fondations  faites 
en  faveur  de  ces  hautes  écoles  du  savoir  sont  très-nombreuses,  et 
dues  à  des  hommes  de  toutes  conditions  :  ecclésiastiques  du  haut  et 
bas  clergé,  princes,  nobles,  bourgeois,  paysans.  Les  legs  destinés 
aux  étudiants  pauvres  sont  innombrables;  on  voulait  qu'ils  pussent 
se  procurer  aussi  bien  que  les  riches  les  bénéfices  de  la  culture  et 
de  l'instruction. 

Tandis  que  les  hautes  écoles,  déjà  existantes,  de  Prague,  Vienne, 
Heidelberg,  Cologne,  Erfurt,  Leipzig  et  Rostock  étaient  dans  une 
période  d'épanouissement  fécond,  neuf  Universités  nouvelles  se  fon- 
daient en  Allemagne  en  l'espace  de  cinquante  ans  :  celles  de  Greifs- 
walde (1450),  de  Bâle  et  de  Fribourg  (1460),  d'Ingolstadt  (1472),  de 
Trêves'  (1473),  de  Tubingen  et  de  Mayence  (1477),  de  Wittenberg 
(1502)  et  de  Francfort-sur-l'Oder  (1506)*.  Ces  Universités  n'étaient 

'  Voy.  Maux.  t.  II.  p.  459  et  470. 

*  Pour  plus  de  détails  voyez  Paulsen,  p.  258-281. 


70  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

pas  seulement  destinées  à  la  bourgeoisie;  elles  servaient  aussi  au 
clergé,  lui  tenaient  lieu  d'écoles  d'enseignement  supérieur,  et 
aidaient  à  la  défense  et  à  la  propagation  de  la  foi;  aussi  tous  leurs 
anciens  tifres  de  fondation  (à  l'exception  de  l'université  de  Wit- 
tenberg ')  dérivent-ils  des  papes.  Ce  n'était  cju'en  vertu  du  pouvoir 
papal  qu'elles  entraient  dans  la  pleine  jouissance  de  leurs  droits,  dans 
le  cercle  de  leur  activité,  et  seulement  après  avoir  reçu  la  sanction 
papale,  elles  étaient  reconnues  comme  autorités  ecclésiastiques  et 
comptées  parmi  les  corps  les  plus  élevés  de  l'état  social  chrétien. 
Toute  leur  organisation  portait  l'empreinte  ecclésiastique*. 

Voici  ce  qu'on  enseignait  alors  :  Il  y  a  deux  ordres  de  sciences  : 
l'ordre  naturel,  auquel  se  rattachent  toutes  les  choses  que  la  raison 
peut  atteindre,  et  l'ordre  surnaturel,  qui  embrasse  toutes  les  vérités 
de  la  révélation.  Or,  ces  deux  ordres  de  connaissances  doivent  avoir 
leur  place  dans  les  hautes  écoles.  L'Église  est  une  vivante  unité  et 
embrasse  l'homme  tout  entier  :  la  science,  à  son  tour,  doit  tendre  à 
l'unité  vivante,  au  centre  de  toute  vie  supérieure,  et  doit  être  ramenée 
à  Dieu,  l'éternelle  source  d'où  elle  est  sortie.  Aucun  disciple  de  la 
science  ne  doit  désirer  servir  ses  intérêts  propres.  Nulle  science  ne 
doit  être  considérée  comme  étant  à  elle-même  son  propre  but,  et  l'on 
ne  doit  point  lui  dresser  d'autels  où  elle  soit  adorée  pour  elle-même. 
Les  sciences  doivent  être  mises  au  service  de  la  vérité  dans  le  sanc- 
tuaire de  la  foi.  Là  où  commencent  l'orgueil  et  la  présomption  témé- 
raires, aucune  d'elles  ne  peut  plus  porter  de  fruits.  On  comparait  les 
quatre  branches  de  la  science  :  théologie,  philosophie,  droit  et  méde- 
cine, aux  quatre  fleuves  du  paradis  terrestre,  chargés  par  Dieu  de 
répandre  l'abondance  et  la  bénédiction  du  Seigneur  dans  tous  les 
pays  de  la  terre,  pour  la  joie  de  toutes  les  générations  et  pour  la 
gloire  du  Tout-Puissant  K  Cet  esprit  inspirait  l'archiduc  Albert 
d'Autriche,  lorsque  dans  les  lettres  de  fondation  de  la  haute  école  de 
Fribourg,  il  appelle  les  universités  "  les  fontaines  de  vie  où  l'on  vient 
puiser  de  toutes  les  parties  du  monde  l'eau  vive  et  intarissable  d'une 
sagesse  consolatrice  et  guérissante,  l'eau  qui  éteint  les  funestes  effets 
de  l'ignorance  et  de  l'aveuglement  des  hommes  ».  C'est  encore  dans 
le  même  esprit  que  le  duc  Louis  de  Bavière  disait  en  ouvrant  l'Uni- 
versité d'Ingolstadt  :  «  Parmi  les  joies  que  la  grâce  de  Dieu  a  per- 
mises à  l'homme  dans  cette  vie  fragile,  l'instruction  et  l'art  sont  au 
premier  rang.  Grâce  à  eux,  en  effet,  le  chemin  qui  mène  à  une  bonne 
et  sainte  vie  nous  est  tracé;  l'intelligence  humaine  est  éclairée  dans 
le  vrai  savoir,  dans  les  choses  louables  et  dans  les  bonnes  mœurs;  la 

'  Voy.  Raumer,  Universiiiiten,  p.  13-14. 
'  Voy.  Paulsen,  p.  -282-404. 
'  Voy.  Ki>K,  t.  I,  p.  125-130. 


SERVICES    l!  EN  DUS    PAU    LE    C  L  E  HO  É    AUX    UNIVERSITÉS.      TI 

foi  chrétienne  est  angmcutée,  le  droi)  et  l'intérêt  commun  ont  un 
ferme  foiuleincnt.  -  ■<  Je  pense,  disnil  Kbrnrcl  de  Wurlemberj;  dans 
les  lettres  de  f'ond.Wion  de  ri'Uiversilé  de  'J'til)iii[;eii,  qne  je  ne  j)nis 
rien  faire  de  plus  utile,  pour  obtenir  mon  salut  éternel  et  êtreajjréable 
à  Dieu,  que  de  veiller  avec  une  appliealion  particulière  et  zélée  à  ce 
que  les  jeiiiics  [jeiis  bons  el  studieux  soient  insiruils  dans  les  beaux- 
arts  et  les  sciences,  et  mis  ainsi  en  état  de  bien  connaître  Dieu,  de  ne 
glorifier  que  lui  et  de  le  servir  uniquement  '.  »  Le  pape  Pic  II  a 
très-bien  défini  le  bn(  suprême  de  la  science  dans  la  bulle  de  fonda- 
tion de  rCniversilé  de  Bàle.  «  II  faut,  dit-il,  mettre  an  ranj^j  des  Joies 
les  meilleures  accordées  à  Tliomme  mortel  dans  cette  vie  périssable 
Télude  assidue,  qui  nous  met  en  mesure  de  posséder  la  perle  de  la 
science,  nous  monire  la  voie  d'une  vie  bonne  et  heureuse,  et  par  son 
excellence  rend  l'homme  instruit  de  beaucoup  supérieur  à  l'homme 
i[',norant.  De  plus,  l'étude  établit  une  ressemblance  entre  Dieu  et 
l'homme,  et  nous  fait  connaître  clairement  les  mystères  du  monde  : 
elle  vient  en  aide  à  l'ij^norant,  elle  élève  an  rang  le  plus  haut 
ceux  qui  étaient  nés  dans  le  plus  extrême  abaissement.  C'est  pour- 
quoi, continue  le  Saint-Père,  le  Siège  apostolique  a  constamment 
encouragé  les  sciences;  il  leur  a  préparé  des  asiles  auxquels  il 
s'est  plu  à  accorder  des  secours  utiles  au  temps  nécessaire ,  afin  que 
les  hommes  soient  plus  facilement  attirés  à  la  recherche  de  la  science, 
ce  bien  si  précieux  pour  l'humanité,  et  qu'ils  puissent  en  faire  part 
à  d'autres  lorsqu'ils  l'auront  obtenu.  C'est,  dit-il,  son  ardent  désir, 
qu'une  fontaine  de  science  toujours  jaillissante  soit  ouverte  à  Dàle, 
et  que  tous  ceux  qui  désirent  se  consacrer  à  l'étude  de  la  sainte 
Ecriture  puissent  venir  puiser  dans  cette  abondante  source,  "  Plu- 
sieurs années  auparavant,  le  Pape  avait  écrit  au  duc  Louis  de  Bavière  : 
«  Le  siège  apostolique  souhaite  que  la  science  soit  répandue  le  plus 
possible,  car  elle  seule,  tandis  que  les  autres  trésors  diminuent 
dans  la  mesure  où  on  les  partage,  s'accroît  et  augmente  d'autant 
plus  que  plus  de  personnes  y  participent  *.  >  L'histoire  de  toutes  les 
universités  témoigne  de  l'empressement  que  mit  une  grande  partie 
du  clergé  à  répondre  aux  encouragements  ainsi  donnés  par  le  Pape. 
On  trouve  à  Bâle,  parmi  les  noms  des  douze  cents  étudiants  que 
l'école  supérieure  comptait  dix  ans  après  son  inauguration,  un 
grand  nombre  d'ecclésiastiques,  hauts  dignitaires,  prévôts,  doyens, 
chanoines  de  grands  et  de  petits  chapitres  ou  appartenant  à  des 
églises  épiscopales  et  archiépiscopales  '.  A  Fribourg,  un  an  seule- 

'  Voy.  Raumer,  p.  8-9.  —  Schueiber,  t.  I,  p.  49.  —  Schneider,  Eberhard  im  Bart, 
p.  63-64. 

^  ViscHER,  p.  26-27.  —  Prantl.  t.  I,  p.  13. 
3  Voy.  ViscHER,  t.  XXXVII,  p.  256,  258. 


72  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

ment  après  rouverture  de  rUniversité,  la  plupart  des  234  étudiants 
immatriculés  appartiennent  à  Tétat  ecclésiastique  '.  Le  nombre  rela- 
tivement grand  des  étudiants  venus  des  villes  qui  étaient  le  siège  de 
cha|)itres,  d'évéchés  et  de  cloîtres,  prouve,  si  on  le  compare  à  celui 
des  étudiants  des  autres  villes,  que  beaucoup  d'élèves  des  établisse- 
ments ecclésiastiques  participaient  aux  étudesdes  Universités-.  C'était 
aussi  le  clergé  qui  contribuait  le  plus  à  fournir  les  sommes  néces- 
saires à  l'entretien  des  écoles  supérieures;  les  papes  surtout,  de  di- 
verses manières,  par  exemple  par  des  rentes,  des  prébendes,  des 
intérêts  pris  sur  le  revenu  du  clergé,  assuraient  l'existence  de  beau- 
coup de  ces  établissements.  L'Université  d'Ingolstadt,  grâce  au  bon 
vouloir  du  Pape  et  à  l'appui  du  clergé,  reçut  une  dotation  qui,  selon 
la  valeur  actuelle  de  l'argent,  peut  être  estimée  à  50,000  florins  de 
revenu  ». 

Les  Universités  du  moyen  âge  appartiennent  aux  créations  les 
plus  grandioses  de  l'esprit  chrétien.  Il  s'y  manifeste  avec  éclat,  dans 
toute  la  fraîcheur  et  la  vigueur  de  la  jeunesse.  Elles  furent  les  organes 
de  la  haute  culture  scientifique,  le  plus  puissant  levier  de  son  déve- 
loppement ultérieur,  le  point  central  auquel  se  rattachait  la  vie 
intellectuelle  de  la  nation. 

En  même  temps,  elles  étaient,  comme  dit  Wimpheling,  ^  les  filles 
privilégiées  et  bien-aimées  de  l'Église,  et  s'efforçaient,  par  leur 
fidélité  et  leur  attachement,  de  rendre  à  leur  mère  ce  qu'elles  lui 
devaient  ^  " . 

De  là  résulte  un  double  fait  :  les  Universités,  aussi  longtemps  que 
leur  union  à  l'Église  et  à  la  foi  ne  subit  aucune  atteinte,  parvinrent 
à  leur  plus  haut  point  de  splendeur;  et  lorsque  vint  la  scission  de 
l'Église,  presque  toutes,  Wittenberg  et  Erfurt  exceptées,  restèrent 
fidèles  au  siège  apostolique.  Constituées  en  corps  sociaux  indé- 
pendants, revêtues  d'un  caractère  ecclésiastique  et  corporatif,  elles 
n'adoptèrent  les  doctrines  nouvelles  que  lorsqu'on  eut  empiété  sur 

'  Schreiber,  t.  I,  p.  30-31.  —  Falk,  H,st.  pol.  Blätter,  t.  LXXVIII,  p.  923-928. 
—  Voy,  WiNTEU,  Die  cistcrciensrr,  t.  III,  p.  48-83.  —  VOV.  MuCK,  Kloster  Hcilsbronn, 
t    I,  p.  232. 

*  Voy.  Stolzel,  t.  I,  p.  131-134.  —  P.\llsen,  p.  309-310. 

2  Voy.  Prantl,  t.  I,  p.  19.  —  La  chaire  apostolique  faisait  tous  ses  efforts 
pour  donner  de  l'éclat  aux  Iniversités.  Tous  les  savants  modernes,  même 
parmi  les  adversaires  de  la  papauté,  avouent  que  les  papes  ont  été  ^  les  pre- 
miers et  les  plus  grands  i)ieniaiteurs  et  protecteurs  des  L'uiversités  »-  Voy. 
IIautz,  p.  42-44.  —  MeimjîS.  Gcsc/uchte  der  Hohen  Schulen,  t.  II,  p.  8-  —  RauMER, 
p.  10.  —  Pour  ce  qui  concerne  Tübingen,  voy.  Staliv,  t.  III,  p.  770-772.  —  Pour 
Rostock,  voy.  Kuabb,  p.  162-165.  —  Pour  Cologne,  voy.  Ennen.  t.  111,  p.  871.  — 
Voyez  aussi  les  pièces  justiticatives  dans  le  second  volume  de  VHisi.  de  l'Univer- 
sité de  Grei/aualde,  1856. 

*  I)e  arte  inipressoria,  p.  19. 


ORGANISATION    DES    UNIVERSITES.  73 

leur  libellé,  et  qu'elles  lurent  descendues  au  simple  rang  d'établis- 
sements d'ÉIat. 

Les  Iniversilés  du  moyen  ügc  étaient  des  corporations  libres, 
indé|)endan(es.  La  raison  de  leur  succès,  c'était  la  liberté  sans  entraves 
dont  elles  disposaient,  liberté  d'apprendre  comme  liberté  d'ensei- 
gner. Indépendantes  les  unes  des  autres,  indépendantes  de  l'Etat,  elles 
se  développèrent  dans  une  émulation  mutuelle,  animée  et  féconde.  De 
même  que  dans  les  diverses  corporations  de  métiers,  maîtres  et  com- 
pagnons formaient  un  parfait  ensemble,  une  association  libre  de  toute 
influence  exiérieure,  ayant  ses  propres  lois  et  ses  intérêts  séparés;  de 
même,  les  hautes  écoles  avaient  le  droit  de  s'organiser  a  leur  guise  : 
elles  se  complétaient  l'une  par  l'autre,  et,  fidèles  à  l'idéal  de  toute 
science  vraiment  libre,  se  composaient  de  membres  jouissant  des 
mêmes  droits.  Elles  avaient  le  pouvoir  presque  illimité  de  faire 
des  lois  et  de  se  donner  à  elles-mêmes  leurs  statuts  '.  Leurs  mem- 
bres n'étaient  soumis  qu'à  leur  propre  juridiction,  et  leur  invio- 
labilité était  assurée.  Elles  ne  payaient  ni  contributions  ni  droits,  et 
jouissaient  de  beaucoup  de  privilèges  par  lesquels  leur  rang,  leur 
importance  intellectuelle  étaient  honorés  et  reconnus.  Dans  presque 
toutes  les  Universités,  la  concurrence  entre  les  professeurs  était  par- 
faitement libre,  et  le  droit  d'cnseigiier  donné  à  tout  docteur  exciîait 
une  émulation  féconde  entre  étudiants  et  professeurs*.  Au  moyen  âge 

'  «  Nul  prince,  nui  chancelier  n'a  rien  à  voir  dans  nos  privilèges  et  nos 
libertés»,  disait  ,Iean  Rone,  professeur  à  l'Université  de  Leipzig  dans  un  dis- 
cours public  prononcé  en  présence  du  duc  de  Saxe  (1445).  "  L'Université  se  gou- 
verne elle-méuie,  elle  change  et  améliore  elle-même  ses  statuts  selon  ses 
besoins.  '  Voy.  Zvrncke,  Doc,  p.  723. 

^  Paulsen  dit  tros-justenient,  en  parlant  de  laposition  faite  au  moyen  âge 
aux  jeunes  gens  qui  voulaient  se  vouer  à  la  science  ;  «  Autrefois,  la  jeunesse 
pauvre  ne  connaissait  pas  les  tourments  d'amour-propre  des  temps  actuels.  Le 
manque  de  fortune  n'était  pas  une  cause  de  défaveur.  Au  contraire,  bien  des 
mains  étaient  tendues  pour  venir  en  aide  à  l'étudiant  sans  ressource.  Danstousles 
établissements  ecclésiastiques,  c'est-à-dire  dans  tontes  les  maisons  d'enseigne- 
ment, collégiales,  écoles  monastiques,  gymnases,  universités,  les  pauvres  jouis- 
saient, comme  disent  les  statuts  de  Vienne,  du  privilège  '<  du  bon  vouloir  ».  On 
les  admettait  gratuitement,  aussi  bien  à  l'immatriculation  qu'aux  cours  et  aux 
promotions.  Une  multitude  de  fondations,  de  dons  étaient  faits  en  faveur  des 
jeunes  gens  sans  ressource.  Outre  cela,  dans  les  écoles  secondaires,  la  men- 
dicité passait  pour  un  moyen  réglementaire  de  subvenir  aux  dépenses,  et  elle 
n'était  pas  tout  à  fait  exclue  des  Universités.  Comment  la  mendicité  aurait-elle 
nui  à  l'honneur  de  ces  sociétés  qui  recevaient  dans  leur  sein  tant  de  meml)res 
des  Ordres  mendiants,  oijiigés  par  devoir  d'état  à  demander  l'aumône?  Dans 
la  pensée  de  l'Église,  très-conforme,  du  reste,  à  celle  de  l'Évangile,  la  richesse 
et  le  bien-être  semblaient  bien  plus  dangereux  pour  la  vocation  que  la  pauvreté 
et  la  mendicilè.  Tout  étudiant  pauvre,  était  donc  libre  de  gagner  sa  vie  en  se 
mettant  au  service  des  autres.  Très-fréquemment,  les  savants  recevaient  les 
services  personnels  de  ces  jeunes  gens  sans  ressource.  Le  travail  des  mains  ne 
passait  nullement  pour  déshonorant  au  moyen  âge,  et  les  écoliers  ne  se  trou- 
vaient pas  plus  humiliés  de  remplir  auprès  de  leurs  maîtres  l'office  de  ser- 
viteurs, que  le  page  ne  croyait  s'abaisser  en  servant  son  seigneur.  Cet  état  de 


74  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

comme  dans  raiitiquité,  on  avait  coutume  de  prolonger  souvent  le 
temps  des  études  jusque  bien  avant  dans  la  vie,  de  sorte  que  les  uni- 
versités n'étaient  pas  uniquement  fréquentées  par  les  jeunes  gens; 
on  y  voyait  des  hommes  déjà  considérés,  revêtus  de  hautes  dignités; 
abbés,  prévôts,  chanoines,  princes  s'y  trouvaient  souvent  en  grand 
nombre,  et  ce  qui  était  encore  plus  remarquable,  le  rang  de  profes- 
seur et  d'étudiant  n'était  pas  essentiellement  distinct,  surtout  dans 
la  Faculté  de  philosophie  (ordinairement  appelée  Faculté  des  artistes). 
Cette  Faculté  se  composait  de  différentes  classes,  représentant  des 
degrés  divers  de  culture;  leurs  membres  s'instruisaient  mutuellement 
les  uns  les  autres,  de  sorte  qu'un  étudiant,  devenu  déjà  homme  fait 
et  professeur  dans  l'une  de  ces  classes,  était  en  même  temps  élève 
dans  la  Faculté  supérieure'.  Cet  état  de  choses  donnait  au  profes- 
sorat une  émulation  vive,  animée  et  jeune;  aux  étudiants  une  dignité, 
une  influence  dont  on  retrouve  parfois  la  trace  dans  les  constitu- 
tions des  Universités.  Qu'on  ajoute  à  cela  le  caractère  international 
qu'avaient  alors  les  hautes  écoles;  car,  entre  les  savants  de  toute 
l'Europe  civilisée,  un  continuel  courant  était  établi;  d'incessants 
voyages,  de  fréquents  échanges  intellectuels  mettaient  en  rapport  les 
hommes  distingués  de  tous  les  pays.  La  culture  de  l'esprit  recevait 
ainsi  une  vie,  un  développement  toujours  nouveau,  et  les  esprits  vrai- 
ment remarquables,  sortis  des  limites  étroites  de  leur  patrie,  voyaient 
leur  savoir  devenir  comme  le  trésor  commun  de  tous  ceux  qui  dési- 
raient acquérir  la  science  -. 

Grâce  à  ce  caractère  international,  les  Universités  étaient  consi- 
dérées comme  appartenant  non  à  un  pays,  non  à  un  peuple,  mais  au 
monde  cultivé  tout  entier,  et  devenaient  d'universels  foyers  de  cul- 
ture. Combien  l'émulation  des  étudiants  devait  être  stimulée,  lorsque, 
comme  cela  eut  lieu  à  Cologne,  non-seulement  des  Allemands  venus 
de  tous  les  points  de  la  patrie,  mais  encore  des  jeunes  gens  avides 
d'apprendre,  accourus  d'Ecosse,  de  Suède,  de  Danemark,  de  Norvège 
et  de  Livonie,  étaient  assis  côte  à  côte  dans  les  salles  de  cours,  et 
briguaient  ensemble  les  honneurs  académiques!  L'école  supérieure 
d'Ingolstadt,  par  exemple,  dès  les  dix  premières  années  de  sa  fonda- 
lion,  une  des  plus  importantes  Universités  de  l'Allemagne,  attirait 
d'Italie,  de  France,  d'Angleterre,  d'Espagne,  de  Hongrie  et  de 
Pologne  un  grand  nombre  d'étudiants;  Rostock,  après  la  fondation 
de  l'Université  d'Upsal  (1477)  et  de  Copenhague  (1479),  fut  considéré 

choses  rendait  possible  le  recrutement  du  clergé  dans  la  masse  du  peuple;  il 
n'y  avait  dans  les  universités  et  les  écoles  latines  nulle  condition  qui  ne  fût 
représentée.  > 

'  Voy.  ViscHER,  p.  157. 

2  Voy.  Ullmann,  t.  Il,  p.  315-316. 


OhGAMSATION    DES    UNIVERSITÉS.  75 

(oinmc  riniversilé  reine  des  États  Scandinaves,  et  Ton  y  comptait 
|)ar  centaines  des  Suédois,  des  Danois,  des  IS'orvégiens,  mêlés  aux 
Allemands'.  A  Cracovic,  où,  d'après  le  fémoigna{',e  d'un  Flalien,  quinze 
cents  étudiants  étaient  réunis*  à  l'époque  où  Adalbert  Hlarer  parvint 
à  y  attirer  Copernic  pour  y  professer  l'astronomie,  les  étudiants 
allemands  affluaient.  Mais  c'est  avec  l'Italie  surtout  qu'à  partir  de  la 
seconde  moitié  du  quinzième  siècle,  les  rapports  intellectuels  de 
l'Allemagne  devinrent  importants.  Des  professeurs  allemands  ensei- 
gnaient dans  les  Universités  italiennes,  des  professeurs  italiens  étaient 
de  temps  en  temps  appelés  aux  Universités  allemandes,  et  le  nom- 
bre des  étudiants  allemands  qui  fréquentaient  les  Universités  de 
Bologne,  Padoue  et  Pavie  était  encore  très-considérable  au  temps 
où  déjà  les  écoles  supérieures  de  l'Allemagne  étaient  dans  leur  plein 
épanouissement. 

11  est  difficile  d'arriver  à  des  données  précises  quant  au  nombre 
exact  des  étudiants  des  diverses  Universités'.  D'après  ce  que  rapporte 
Wimpheling,  l'Université  de  Cologne  comptait,  vers  la  fin  du  quin- 
zième siècle,  environ  deux  mille  professeurs  etétudiants^  Celle  d'In- 
^jolstadt  reçut,  dès  la  première  année  de  son  inauguration,  environ 
huit  cents  inscriptions.  En  1492,  les  cours  de  philosophie  furent  divisés 
«ntre  trente-trois  professeurs,  et  dans  l'espace  d'un  an,  quarante- 
sept  collaborateurs  leur  furent  adjoints.  Dès  1490,  le  nombre  des 
bacheliers  qui  expliquaient  Pierre  Lombard  était  si  grand,  que  le 
local  et  le  temps  devinrent  également  insuftisanis,  et  que  les  étudiants 
se  virent  obligés  de  venir  à  tour  de  rôle  recevoir  les  leçons  du  profes- 
seur \  A  Vienne,  en  1453,  la  Faculté  de  philosophie  comptait  quatre- 
vingt-deux,  et  en  1476  cent  cinq  professeurs  et  docteurs.  Parmi  les 
sept  cent  onze  étudiants  immatriculés  en  1451  à  l'Université  de  Vienne 
(ce  chiffre  est  le  plus  élevé  qui  se  rencontre  pendant  le  quinzième 
siècle),  on  ne  compte  pas  moins  de  quatre  cent  quatre  étudiants  venus 
des  pays  du  Rhin^ 

Dans  toutes  les  contrées  de  rAIlemagne,  la  vie  intellectuelle  était 
si  animée,  si  pleine  d'élan,  qu'on  n'avait  jusque-là  rien  vu  d'ana- 
logue, et  que  rien  de  semblable  ne  s'est  produit  depuis.  Seule,  la 

'  Voy.  Krabbe,  p.  289-294. 

-  Ce  chiffre  est  très-exagéré.  —  Voy.  IIipleb,  p.  14-17.  —  Jérôme  Munser, 
médecin  de  Xuiemberg,  estime  le  nombre  des  étudiants  de  Paris  à  quinze 
mille  en  1495,  parmi  lesquels  il  y  avait  au  moins  neuf  mille  étrangers.  Kunst- 
M.VXN,  p.  305. 

'  Voy.  Pallsen,  p.  290-308. 

*  De  arte  impressoria,  p.  18. 

^  Prantl,  t.  I,  p.  21,  64,  71,  77,  89.  —  Sur  le  nombre  des  étudiants  à  Heidel- 
berg, voy.  Falk.  Hisi.  pot.  Blätter,  t.  LXXVIII,  p.  924. 

*  IviNK,  t.  I.  p.  145.  —  Voy.  les  calculs  de  Stolzel,  p.  42-44. 


76  L'INSTRUCTIO\    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

ville  de  Berlin,  daiis  le  duché  de  Brandebourg,  resta  en  dehors  de  ce 
mouvement  et  subit  peu  l'influence  du  nouvel  essor  que  prenait  de 
tous  côtés  la  civilisation.  Berlin  restait  encore  au  dernier  échelon 
de  la  culture  intellectuelle.  Dans  la  lettre  circulaire  du  prince  électeur 
Joachim  pour  la  fondation  de  l'Université  de  Francfort-sur-l'Oder, 
il  assure  ^  qu'un  homme  remarquable  par  son  savoir  est  aussi  rare 
dans  son  pays  qu'un  corbeau  blanc  ■ .  Comme  preuve  à  l'appui  de  ce 
fait,  on  peut  citer  ce  que  le  père  de  ce  prince  disait  du  duché  de 
Brandebourg;  il  n'y  avait,  selon  lui,  c  nulle  contrée  d'Allemagne  où 
les  querelles,  les  meurtres  et  la  cruauté  fussent  plus  à  l'ordre  du 
jour  '  ' .  L'abbé  de  Sponheim,  Trithème,  qui  fit  un  long  séjour  à  la 
cour  de  Brandebourg,  écrivait  de  Berlin  à  un  ami  ^20  octobre 
1505)  :  «  On  trouve  rarement  ici  un  homme  qui  montre  quelque  inté- 
rêt pour  les  sciences;  le  manque  d'éducation  et  de  savoir-vivre  est 
cause  que  les  gens  aiment  mieux  boire,  bien  manger  et  ne  rien  faire, 
que  s'instruire  *,  '  Berlin  n'a  eu  son  premier  imprimeur  qu'en  1539, 
et  ce  ne  fut  que  cent  vingt  ans  après  qu'elle  vit  s'ouvrir  sa  première 
librairie  \ 


II 


La  vie  intellectuelle  et  scientifique,  dans  la  dernière  partie  du 
quinzième  siècle  et  dans  les  premières  années  du  seizième,  fut  sur- 
tout active  et  animée  dans  les  pays  du  Bhin.  Là,  plus  que  partout 
ailleurs,  les  L^niversités  étaient  en  harmonie  avec  la  culture  générale 
des  esprits  et  trouvaient  un  ferme  appui  dans  l'excellent  enseigne- 
ment des  écoles  moyennes. 

L'Université  de  Cologne,  comme  importance,  gloire,  célébrité,  tint 
pendant  longtemps  le  premier  rang  parmi  les  Universités  du  Bhin. 
Ce  n'était  pas  seulement  pour  tout  le  Bas-Rhin,  la  Westphalie,  la 
Hollande  qu'elle  était  le  foyer  principal  des  choses  de  rintelligence, 
elle  comptait  aussi,  parmi  ses  deux  mille  étudiants,  des  centaines 
d'étrangers  venus  d'Ecosse,  de  Suède,  de  Danemark,  de  Norvège,  de 
Livonie.  Pleins  d'ardeur  pour  les  sciences,  ils  affluaient  tous  les  ans 
vers  la  métropole  ecclésiastique  de  l'Allemagne.  Cologne,  en  effet, 
était  la  véritable  -  Rome  allemande  ' .  Il  n'est  pas  étonnant  que  l'ensei- 
gnement supérieur  ait  eu  un  caractère  particulièrement  religieux 
dans  une  ville  qui  comptait  dix-neuf  paroisses,  plus  de  cent  chapelles, 

'  V'oy.  Mlller,  p.  S. 

'  Trithemii  Epp.famil..  p.  480. 

'  WiLicEN,  p.  G-8.  —  Voy.  Gu.vssE,  3a,  p.  18G.  —  îvirchoff,  t.  II,  p.  75. 


UNIVERSITE    DE    COLOGNE.  77 

vingt-deux  monastères  de  moines  et  de  religieuses,  onze  collégiales, 
douze  liApitaux  confu^sà  la  direction  du  clergé,  soixanle-seize  congré- 
gations, e(  où  tous  les  jours  «  plus  de  mille  messes  se  célébraient  ", 
disait-on  proverbialement  •. 

L'ancienne  mélhode  scolasfique  y  régnait  en  souveraine;  mais 
les  études  humanistes  y  étaient  aussi  cultivées  avec  ardeur.  Les 
livres  matriculaires  de  l'Université  nous  prouvent  qu'une  grande 
partie  des  savants  qui  ont  le  plus  contribué  à  propager  et  aifermir 
l'humanisme  en  Allemagne,  avait  été  formés  à  Cologne,  ou  du  moins 
y  avaient  enseigné  pendant  quelque  temps.  L'Italien  Guillaume 
Mithridate  y  professait  le  grec  et  l'hébreu,  l'arabe  et  le  chaldéen 
dès  1484,  En  1487,  l'humaniste  André  Cantor  de  Groningen  vint  à 
l'Université  dans  le  but  d'y  réformer  l'enseignement  de  la  langue 
latine.  Depuis  1491,  Jean  César,  élève  d'Alexandre  Hégius  et  l'un 
des  plus  remarquables  humanistes  du  Rhin,  y  donnait  à  ses  élèves 
une  connaissance  approfondie  du  grec.  Les  études  classiques  y  prirent 
encore  un  plus  grand  essor,  lorsque  Érasme  de  Rotterdam  commença 
à  rassembler  autour  de  lui  un  cercle  de  jeunes  disciples*.  Dans  le 
groupe  des  humanistes,  on  voyait  aussi  le  Frère  mineur  Dederich 
Coelde,  auteur  de  plusieurs  livres  populaires  de  piété  et  de  l'un  de 
nos  plus  anciens  catéchismes'. 

Deux  autres  savants,  formés  par  Hégius,  exerçaient  aussi  à  Cologne 
une  action  féconde  :  Barthélémy  de  Cologne  et  le  Westphahen  Ort- 
win  Gratins.  Le  premier,  célèbre  aussi  en  Italie  par  son  savoir,  son 
goût  éclairé,  distingué  à  la  fois  comme  poète  et  comme  philosophe  \ 
avait  enseigné  autrefois  à  l'école  de  Deventer.  «  C'est  un  homme 
d'une  haute  intelligence  et  d'un  esprit  plein  de  finesse  ',  écrivait,  en 
parlant  de  lui,  son  élève  Jean  Butzbach;  «  il  est  doué  d'une  merveil- 
leuse éloquence  et  très-versé  dans  plusieurs  branches  de  la  science. 
Tout  le  monde  était  dans  l'admiration  de  voir  qu'un  homme  comuio 
lui,  d'un  savoir  si  étendu,  étudiait  bien  avant  dans  la  nuit  avec  une 
ardeur  infatigable,  comme  s'il  ne  savait  encore  rien.  Il  aimait  beau- 
coup les  jeunes  gens  vraiment  travailleurs  et  faisait  toujours  volon- 
tiers ce  qu'ils  désiraient.  Aussi  les  étudiants  persévérants  et  ardents 
à  l'étude  que  j'y  ai  connus,  lui  étaient-ils  tellement  attachés,  que 
lorsqu'ils  avaient  reçu  pendant  plusieurs  années  de  suite  les  leçons 

'  Voy.  Otto,  p.  5.  —  Voy.  les  renseignements  donnés  par  Krafft  dans  le 
Zeitichriftfur  den  Dergischen  Gesehichtsvercin.   t.  VI,  p.  252. 

-  Voy.  Krafft,  Henseignemenls  sur  les  inscriptions  de  l'Université  de  Cologne,  p.  468- 
483. —  Krafft,  Lettres  et  documents,  p.  117-127,  182-201.  —  EnneN,  l'Humanisme  à 
Cologne,  Beilage  zu  der  Kölnischen  l'olkszeitung,  14  février  1869. 

^  Voy.  Nordhoff,  Dederich  Coelde,  p.  354-360. 

*  Sur  Barthélémy  de  Cologne,  voy.  Müllkr,  Archiv,  fur  Literaturgeschichte, 
l.  III,  p.  453-463. 


^8  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA     SCIENCE. 

d'un  si  bon  professeur,  et  qu'enfin  il  fallait  s'en  aller,  ils  pouvaient  à 
peine  s'y  résoudre  et  s'arracher  de  lui  '.  » 

Son  ami  Ortwin  Gratius',  qui  a  été  si  injustement  raillé  et  déprécié 
dans  les  Lettres  des  /tommes  inconnus  ^,  faisait  à  Cologne  des  cours 
sur  la  grammaire  latine  et  sur  les  auteurs  classiques.  Il  était 
en  même  temps  le  savant  conseiller,  en  tout  ce  qui  concernait  les 
sciences,  des  successeurs  du  célèbre  éditeur  Quintel.  Il  entretenait 
d'affectueuses  relations  d'amitié  et  d'étude  avec  plusieurs  de  ses  con- 
temporains célèbres;  le  poëte  Remaclus  de  Florence,  le  juriste 
anglais  William  Harris,  et  Pierre  de  Ravenne,  si  admiré  en  Italie  et  en 
Allemagne,  et  que  l'on  appelait  la  «  merveille  de  la  science  juridique  », 
étaient  de  ses  amis.  Ce  dernier  parle  de  lui  en  termes  chaleureux 
à  propos  de  renseignements  et  de  services  scientifiques  qu'il  avait 
reçus  de  lui  pendant  son  séjour  à  Cologne.  Il  renouvela  plusieurs  fois 
le  témoignage  de  sa  gratitude,  et  ne  se  sépara  de  lui  qu'à  regret. 
Lorsqu'en  1508  il  lui  fallut  retourner  en  Italie  après  avoir  professé 
pendant  quelque  temps  dans  la  métropole  du  Rhin,  il  s'estimait  heu- 
reux d'avoir  pu  y  entretenir  des  rapports  intellectuels  avec  tant  de 
théologiens  remarquables,  de  légistes,  de  médecins,  d'artistes;  et 
célébrait  tous  ces  étincelants  fliambeaux  du  savoir.  Il  prit  congé  d'eux 
avec  larmes  :  «  Adieu,  s'écriait-il,  adieu,  Cologne,  la  plus  illustre  cité 
de  l'Allemagne;  adieu,  heureuse  Cologne,  sainte  Cologne!  Adieu, 
terre  où  je  ne  puis  espérer  revenir  à  cause  de  la  grande  distance, 
mais  vers  laquelle  les  yeux  de  mon  esprit  seront  toujours  fixés'!  » 

Au  commencement  du  seizième  siècle,  le  mouvement  qui  porta  les 
esprits  vers  les  études  classiques  dut  une  impulsion  durable  à  l'in- 
fluence de  deux  poètes  latins  :  Georges  Sibitus^  et  Henri  Glareanus. 
(Ce  dernier  fut  couronné  de  lauriers  à  Cologne  par  l'empereur  Maxi- 
milien'*.)  D'après  le  témoignage  de  Mélanchthon,  dans  les  écoles  supé- 
rieures des  bords  du  Rhin,  l'étude  de  la  philologie  et  de  la  philo- 
sophie était  poussée  avec  ardeur  dans  sa  jeunesse  et  enseignée 
par  des  hommes  de  la  plus  grande  valeur  \  Le  savant  prévôt  Henri 
Mangold,  plus  d'une  fois  revêtu  de  la  dignité  de  recteur  de  l'Uni- 
versité, était  au  nombre  des  professeurs  scolastiques,  mais  c'était 
en  même  temps  un  ardent  promoteur  des  études  classiques.  Même 

'   ll'anderbiichlein,  p.  159-160. 

-  Voy.  nos  remarques  sur  ce  sujet,  t.  II,  p.  57. 

'  Voy.  DELpaxT,  p.  166.  —  Bianco,  p.  700-701.  —  Reichli^g,  dans  le  Monas- 
schrift  de  Pick,  1878,  p.  498.  —  Krafft,  Millheilungen  aus  der  Cölner  Universitäts 
Matrikel. 

*  Mltheu,  p.  115-116. 

^  BÖCKING,  Opp.  Hutteni  Suppl.,  t.  II,  p.  469. 

*■'  Schreiber,  Glarean,  p.  7-12.  — Rrafft,  p.  483. 

''  BiANCO,  t.  I,  p.  384-386.  —  Voy.  aussi  .MÖuleFi.  JahrbmU  fur  Theologie  und 
Christliche  Philosophie,  1834,  p.  187. 


WER  NE  p.    ROLEWINR.  79 

les  deux  coryphées  de  la  Faculté  de  théolofjie,  Théodore  de  Sustern 
et  Arnold  de  Tunjjeru,  eulrelenaient  avec  plusieurs  "  jeunes  poêles  >' 
(on  nommait  ainsi  les  humanistes)  des  relations  amicales,  bien  que 
d'après  leur  style  ils  ne  paraissent  (juère  s'être  formés  sur  les 
modèles  antiques.  En  1512,  l'humaniste  Hermann  von  dem  Busche 
accompagnait  d'une  pièce  de  vers  louangeuse  un  écrit  de  Tun- 
gcrn'.  Adam  Polken  cite  encore  parmi  les  promoteurs  des  études 
classiques  chrétiennes  deux  savants  qui  ne  faisaient  pas  partie  de 
l'Université,  Adam  Mayer*,  abbé  de  Saint-Martin  (f  1499),  célèbre 
par  ses  nombreux  écrits  de  théologie  pastorale  et  de  droit  ecclé- 
siastique, et  par  son  zèle  pour  la  réforme  des  monastères,  et  le  prieur 
des  Chartreux  Werner  Rolewink,  Tune  des  personnalités  les  plus 
dignes  de  respect  de  la  fin  du  quinzième  siècle. 

Les  ouvrages  de  Rolewink  sont  pour  la  plupart  théologiques, 
mystiques,  ascétiques  et  édifiants.  Ils  traitent  principalement 
des  saintes  Écritures,  dont  l'étude  avait  absorbé  son  infatigable 
ardeur,  dès  sa  jeunesse,  dans  la  solitude  du  cloitre.  Parmi  les 
nombreux  commentaires  qu'il  écrivit  sur  les  épitres  de  saint  Paul, 
il  en  est  un  qui  n'a  pas  moins  de  six  volumes  in-folio.  Parvenu 
à  l'âge  de  soixante-seize  ans,  et  peu  de  temps  avant  qu'il  fût  atteint 
de  la  peste  dans  [l'exercice  de  ses  fonctions  sacerdotales  (1502),  il 
fit,  comme  Potken  le  raconte,  des  cours  publics  sur  les  épitres  de 
saint  Paul  aux  Romains,  et  sut  enthousiasmer  son  vaste  auditoire, 
dans  lequel  se  trouvaient  de  nombreux  professeurs  de  l'Université. 

Mais  Rolewink  ne  mit  pas  exclusivement  ses  facultés  au  service 
de  la  science  sacrée,  il  était  également  versé  dans  les  sciences  pro- 
fanes. Il  composa  des  écrits  sur  la  meilleure  forme  de  gouverne- 
ment, sur  l'origine  de  la  noblesse,  sur  l'instruction  des  paysans^; 
son  Abrégé  d'histoire  universelle,  un  de  ses  livres  les  plus  goûtés, 
fut  édité  et  réédité  trente  fois  en  l'espace  de  dix-huit  ans  (1474- 
1492).  En  1513,  l'ouvrage  avait  déjà  été  traduit  six  fois  eu  français, 
et  c'est  un  des  premiers  livres  imprimés  en  Espagne  *.  Son  Eloge  du 
pays  de  Saxe  (maintenant  appelé  Westphalie)  montre  à  quel  point 
l'esprit  du  théologien  et  de  l'écrivain  mystique  était  capable  de 
s'identifier  avec  la  vie  populaire,  et  combien  son  cœur  battait  chaude- 
ment pour  la  patrie  allemande,  surtout  pour  son  pays  de  Westphalie, 
«  la  vraie  terre  des  héros  »,  dit-il.  Il  décrit  avec  tant  de  charme  et 
de  vie  les  mœurs,  les  usages,  les  habitudes  de  ses  compatriotes,  qu'il 

'  Voy.  Erh.vi\d,  t.  III,  p.  73.  —  Reichli.ng,  Munndlius,  p.  22. 

*  Voy.  sur  cet  abbé,  Enne.\,  t.  III,  p.  773-774. 

'  De  regimine  ruslicorum.  —  Voy.  E>'\E\,  les  Incunables  de  Cologne,  n°  67,  p.    8i,  154. 

*  Voy.  POTTHAST,   p.  518-519. 


80  [/liSSTCUniON    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

n'existe  rien  en  ce  genre  qui  puisse,  au  quinzième  siècle,  ê(re  com- 
paré à  son  livre.  "  La  force  de  l'inclination  naturelle,  écrit-il,  tourne 
chaque  chose  vers  ce  qui  lui  est  semblable,  et  par  nature,  tout  homme 
est  ami  de  tout  homme.  Mais  ceux-là  sont  bien  plus  intimement 
unis  qui  sont  du  même  sang  ou  de  la  même  patrie.  »  --  Efforçons- 
nous,  dit-il  en  s'adressant  à  ses  compatriotes,  «  de  continuer  et  de 
transmettre  à  nos  descendants  la  bonne  réputation  qui  nous  vient  de 
nos  pères  depuis  les  temps  anciens  jusqu'à  nos  jours;  soyons  comme 
eux  remplis  de  la  crainte  de  Dieu,  simples  et  droits  de  cœur.  Et  vous, 
prélats,  vous,  hommes  sortis  de  rien  et  maintenant  élevés  si  haut, 
gardez  l'antique  modestie,  l'humilité,  la  douceur.  Soyez  généreux 
envers  les  pauvres,  accessibles  à  vos  supérieurs,  bienveillants  pour 
tous;  que  la  maturité  de  l'esprit  vous  rende  plus  respectables,  la 
bonté  plus  dignes  d'amour,  et  que  l'humilité  fasse  de  vous  le  modèle 
des  autres.  »  La  préface  de  cet  ouvrage,  qui  donne  vraiment  à 
Rolewink  une  place  d'honneur  parmi  les  historiens  chrétiens,  se  ter- 
mine par  ces  paroles  :  «  Reçois,  ô  ma  patrie,  6  toi,  qui  t'es  toujours 
montrée  reconnaissante  envers  moi  et  n'auras  vraisemblablement  pas 
mes  os,  le  faible  hommage  que  je  t'offre,  et  efforce-toi  de  donner 
un  si  excellent  exemple,  que  ceux  qui  viendront  après  nous  et  qui  se 
souviendront  peut-être  de  moi,  brillent  par  leurs  bonnes  mœurs, 
par  l'observation  de  tout  ce  qui  est  juste,  et  s'acquièrent  ainsi  une 
gloire  légitime  '.  » 

Les  ouvrages  de  Rolewiuk  témoignent  de  sa  science  des  saintes 
Écritures,  et  de  l'exacte  connaissance  qu'il  avait  acquise  des  ouvra- 
ges des  Pères  de  l'Église,  des  anciens  théologiens,  des  chroni- 
queurs et  des  historiens  du  passé.  Les  auteurs  classiques  ne  lui 
étaient  pas  étrangers,  comme  le  prouvent  ses  écrits,  et  ce  que  dit 
Potken,  que  «  le  prieur  des  Chartreux,  cet  homme  vertueux  admiré 
de  tous,  qui  marchait  dans  la  voie  de  la  sainteté  ",  était  en  même 
temps  très-zélé  pour  le  progrès  des  études  classiques,  n'a  par  coîl^h'- 
quent  rien  d'invraisemblable.  D'ailleurs,  la  Chartreuse  de  Cologne, 
qui  dans  le  peuple  était  de  tous  cotés  en  grande  vénération  et  consi- 
dérée «  comme  offrant  à  tous  les  Oi'dres  religieux  le  modèle  de  la 
parfaite  discipline  ascétique  ",  cachait,  dans  son  complet  isolement 
du  monde,  un  grand  nombre  de  moines  érudits,  persévérants  et 
laborieux,  des  poètes  religieux,  des  écrivains  mystiques  et  ascétiques. 
Là  étudiaient  des  hommes  comme  Hermann  Appeldorn  (f  1472), 
Henri  de  Birnbaun  (f  1473),  Hermann  Grefke  (f  1480),  Henri  de 
Dissen  (f  1484)  ;  citons  surtout  le  plus  intime  ami  de  Rolewink,  Pierre 
Blomevenna.  Ces  religieux  <  ont  laissé  dans  leurs  poésies  et  dans  leurs 

'  De  laude  Saxonla-,  t.  XV,  p.  239-247. 


WERNKR    ROLE  WINK.  8J 

écrits  la  Irace  et  la  pi-ciive  de  leiii"  pieux  enthousiasme;  ils  nous 
révèleul  incouscienimcnt  le  |)ur  et  trau(iuille  bonheur  qui  réjjnait  en 
eux  et  autour  d'eux  .  Blomevenna,  émule  intellectuel  de  Thomas  à 
Kcmpisetné  dans  la  même  condition  que  lui,  fut  prieur  de  son  Ordre 
après  la  mort  de  Holewiiik.  Il  sut  attacher  à  sa  personne  et  à  sa  com- 
munauté de  nombreux  disciples,  qui,  plus  tard,  parlaient  avec  une 
affection  touchante  de  rhumilité  candide,  de  l'élévation  morale,  de 
la  bonté  pleine  de  dévouement  ><  du  saint  homme  '  ». 


III 


La  seconde  Université  du  pays  du  Rhin,  Heidelberg,  avait  pris  un 
nouvel  essor  dès  la  première  moitié  du  quinzième  siècle,  grâce  â  la 
sollicitude  d'^Enéas  Silvius,  plus  tard  élevé  sur  le  trône  pontifical  sous 
le  nom  de  Pie  II,  et  qui,  à  l'époque  où  il  n'était  encore  que  prévôt 
de  la  cathédrale  de  Worms,  en  avait  été  élu  chancelier.  Sous  le  gou- 
vernement du  comte  palatin  Frédéric  (1452),  d'importantes  réformes 
y  furent  introduites,  surtout  sous  le  rapport  des  études  philoso- 
phiques; là  aussi,  les  réalistes  firent  preuve  de  vues  larges  et  élevées, 
favorisèrent  le  mouvement  scientifique  et  devinrent  les  promoteurs 
zélés  des  études  classiques.  Les  Nominaux,  au  contraire,  s'attirèrent 
le  reproche  mérité  de  rester  stérilement  enfermés  dans  le  cercle 
étroit  de  leurs  subtilités  philosophiques.  Le  premier  humaniste  qui 
ouvrit  une  chaire  d'enseignement  à  Heidelberg  (1456),  Pierre  Luder, 
fut  soutenu  dans  ses  efforts  par  deux  professeurs  de  théologie  et  de 
droit  canon.  Le  célèbre  chroniqueur  et  biographe  du  comte  palatin 
Frédéric,  Mathias  de  Kemmat,  était  élève  de  Luder.  Il  avait  probable- 
ment reçu  sa  première  éducation  de  l'Italien  Arriginus,  qui  avait  établi 
son  centre  d'action  dans  un  château  des  environs  de  Culmbach  ». 

Mais  à  dire  le  vrai,  la  période  glorieuse  de  l'Université  de  Heidelberg 
ne  commence  qu'en  1476,  sous  l'électeur  palatin  PhiUppe,  qui,  formé 
lui-même  à  l'étude  des  sciences,  rassemblait  à  sa  cour  un  grand 
nombre  de  savants  distingués  et  s'acquit  des  droits  à  la  reconnais- 
sance de  la  postérité  en  se  montrant  le  généreux  Mécène  des  savants 
et  des  artistes.  Philippe  encourageait  particulièrement  l'étude  de 
l'histoire,  car,  disait-il,  ^  par  l'histoire,  on  apprend  à  connaître  Dieu 

'  Pelz,  2«,  p.  113-115.  —  Voy.  Tross,  t.  I,  xvii.  —  Krafft,  p.  252-25  i.  — 
Voy.  aussi  lopuscule  intitulé  :  Vorder  Re/ormalion,  dans  les  Hisl,  und  pol.  Blätter, 
79,  116-121. 

*  Voy.  Haütz,  p.  298-303.  —  Zarncke,  Universitäten^  p.  225.  —  La  Nef  des  fous, 
XX.  —  WattEiNBACH,  Pierre  Luder,  p.  33-49. 


82  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

et  ses  jugements;  ou  voit  clairement  que  les  hiérarchies  royales 
ont  été  établies  par  sou  ordre  pour  être  les  gardiennes  de  la  société 
humaine,  les  conservatrices  du  droit,  de  Tordre  et  de  la  paix,  et 
qu'elles  ont  pour  mission  de  faire  connaître  Dieu  aux  hommes  ".  C'est 
à  l'instigation  de  ce  prince  que  Rodolphe  Agricola  composa  sod 
Histoire  universelle,  (]m  fut  considérée  comme  le  premier  livre  d'histoire 
composé  d'après  les  modèles  de  l'antiquité  '  ;  Trithème,  stimulé  par 
lui,  avait  fait  le  projet  d'établir  à  Sponheim  une  imprimerie  spéciale 
pour  la  reproduction  des  documents  relatifs  à  l'histoire  d'Alle- 
magne ', 

La  personnalité  la  plus  influente  de  l'Université  d'Heidelberg 
à  cette  époque,  c'est  Jean  de  Dalberg.  "  Ce  que  j'ai  reçu  et  donné, 
appris  et  enseigné  de  meilleur,  disait  Agricola,  je  le  dois  à  cet  ami; 
ceux-là  seuls  qui  ont  joui  de  son  étroite  intimité  peuvent  avoir  une 
juste  idée  de  ses  capacités  intellectuelles,  de  la  sincérité  de  son  cœur, 
de  son  grand  et  mâle  caractère,  de  sa  simplicité  d'enfant,  de  son  zèle 
pour  la  gloire  de  Dieu,  de  son  amour  pour  la  science.  » 

Jean  de  Dalberg,  issu  d'une  très-ancienne  famille  noble,  naquit 
en  1445.  Il  étudia  à  l'Université  d'Erfurt,  puis  à  Schlestadt,  sous  la 
direction  de  Louis  Driugenbcrg,  et  voyagea  ensuite  en  Italie,  où,  mis 
en  rapport  avec  des  savants  grecs  et  italiens,  il  acquit  une  connais- 
sance très-approfondie  des  auteurs  de  l'antiquité.  Revenu  dans  son 
pays,  l'électeur  palatin  Philippe  le  nomma  curateur  de  l'Université 
d'Heidelberg  (1482);  la  même  année,  il  fut  élu  évéque  par  le  chapitre 
de  Worms,  puis  confirmé  par  le  Pape  dans  cette  dignité. 

A  partir  de  ce  moment,  il  partagea  son  activité  et  sa  vie  entre 
Worms  et  Heidelberg,  et  sa  maison  devint,  dans  ses  deux  villes,  le 
centre  des  savants  et  des  hommes  de  lettres.  Sa  haute  intelligence, 
son  désintéressement,  l'enthousiasme  communicatif  de  sa  nature, 
lui  donnaient  sur  les  esprits  un  extraordinaire  ascendant.  On  pou- 
vait ajuste  titre  lui  appliquer  cette  parole  d'un  ancien  :  ^-  Le  vrai 
mérite  est  toujours  et  partout  modeste,  la  vraie  supériorité  a  toujours 
de  la  noblesse,  la  vraie  science  est  toujours  équitable.  "  Il  éleva 
l'Université  au  plus  haut  degré  de  sa  gloire,  et  posa  les  fondements 
de  presque  tout  ce  qui  fait  encore  aujourd'hui  sa  célébrité  '.  Hei- 
delberg lui  doit  sa  première  chaire  de  grec.  La  bibliothèque  de 
l'Université,  connue  autrefois  sous  le  nom  de  Palatine  et  maintenant 

'  Voy.  Geiger,  Betuhling,  p.  64-65. 

'  VViMPHELlNG,  De  arte  impressoria,  f.  21. 

'  Pour  plus  de  détails,  voy.  Ullmann,  Jean  de  Dalberg.  Dans  les  Theolog.  Studien 
und  Kritiken,  année  1841,  cah.  3,  p.  555-584.  —  Voy.  aussi  les  renseignements  donnés 
par  Falk.  Hist.  und  pol.  Blätter,  t.  LXXVIIl,  p.  856-859.  928-930.  —  Voy.  ce  qu'il  dit 
sur  les  encouragements  donnés  aux  arts  par  Dalberg,  t.  LXXIX,  p.  127-129. 


I 


JEAN    DE    DA  I,B  ERC;.  83 

cöl(''brc  dans  le  monde  enlier,  lui  créée  par  lui;  il  possédait  en 
oulre  une  i)il)liollié([iie  privée,  riche  en  ouvrages  grecs,  lafins  cl 
hébreux,  qu'il  inellait  sans  nulle  réserve  à  la  disposition  de  tout  tra- 
vailleur désireux  d'y  faire  des  recherches.  Jean  Reuchlin,  que  Dalberg 
avail  attiré  auprès  de  lui,  appelle  cette  bibliothèque  un  trésor  unique 
en  Allemagne,  et,  plein  de  reconnaissance,  nous  apprend  qu'il  a  tou- 
jours pu  en  jouir  à  son  gré  et  en  toute  liberté  '. 

Lorsque  Jean  Reuchlin  (né  à  Pforzheim  en  1455)  vint  à  Heidelberg 
(1490),  il  comptait  d(\ià  parmi  les  illustrations  de  la  science.  Entouré 
d'un  auditoire  considérable  d'hommes  faits  et  de  jeunes  gens,  il  avait 
professé  le  grec  et  le  latin  à  l'Université  de  Bâle  dans  sa  jeunesse. 
Personne  ne  peut  lui  disputer  le  mérite  d'avoir  été  en  Allemagne  l'un 
des  premiers  savants  dont  l'exemple,  l'influence,  les  constants  encou- 
ragements, ont  fait  comprendre  ^l'importance  et  la  nécessité  de 
l'étude  de  la  langue  et  de  la  littérature  grecques,  et  donné  une  invio- 
lable place  à  la  langue  d'Homère  dans  le  haut  enseignement  '.  En 
Italie,  sa  connaissance  du  grec  lui  avait  valu  la  considération  de 
tous  les  hommes  cultivés.  Sa  réputation  comme  écrivain  est  égale- 
ment établie.  Le  dictionnaire  latin  qu'il  avait  publié  à  Bâle,  étant  à 
peine  âgé  de  vingt  ans,  paraissait  presque  chaque  année  en  édition 
nouvelle.  Il  traduisit  en  allemand  deux  discours  de  Démosthène 
et  une  partie  de  l'Iliade,  beaucoup  d'autres  auteurs  grecs  en  latin  et 
un  ouvrage  sur  les  quatre  idiomes  du  grec.  De  plus,  il  occupait 
comme  jurisconsulte  à  la  cour  du  comte  Ebrard  de  Wurtemberg:  une 
position  considérée,  avait  dirigé  dans  beaucoup  de  diètes  les  affaires 
de  son  maître,  et  reçu  de  nombreux  témoignages  d'honneur.  Voulant 
honorer  sa  vie  sans  tache  et  la'noblesse  l'élévation  de  son  caractère, 
l'empereur  Maximilien  lui  avait  conféré  la  noblesse  en  l'élevant  et 
l'avait  élevé  à  la  dignité  de  comte  palatin  de  l'Empire. 

A  Heidelberg,  où  il  séjourna  plusieurs  années  après  la  mort 
d'Ebrard,  il  fut  nommé  par  Dalberg  directeur  de  la  bibliothèque  de 
l'Université,  et  par  le  comte  palatin  Philippe,  conseiller  électoral 
et  premier  gouverneur  de  ses  fils.  En  1498,  il  commença  à  pro- 
fesser l'hébreu  et  ouvrit  une  voie  nouvelle  à  cette  branche  de  la 
science. 

L'étude  de  l'hébreu  n'était  cependant  nullement  négligée  dans 
l'Eglise  lorsque  Reuchlin  commença  à  professer. 

L'ordre  donné  par  le  Pape  au  concile  de  Vienne  (1312),  d'établir 
des  chaires  d'hébreu,  de  chaldéen  et  d'arabe,  à  Rome,  Bologne, 
Paris,  Oxford  et  Salamanque,  n'était  pas  resté  sans  écho  en  Alle- 
magne. En  1477,  le  Dominicain  Pierre  Schwarz  avait  publié  une 

'  Ge[GKR,  Studium  der  hebräischen  Sprache,  p.  12. 
*  Geiger,  Reuchling,  p.  100. 


84  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

introduction  grammaticale  à  l'étude  de  l'hébreu'.  Rodophe  Agricola 
traduisait  les  psaumes  sur  le  texte  original.  A  Xanten,  Cologne,  Col- 
mar,  Mayence  ^  on  voit  l'étude  de  l'hébreu  se  poursuivre  avec  ardeur; 
à  Tubingen,  les  théologiens  Conrad  Summenhart,  Paul  ScriptoI•is^ 
l'avaient  professé,  ainsi  que  Grégoire  Reisch,  à  Fribourg.  Jean  Eck, 
qui  l'étudia  exclusivement  pendant  six  ans,  était  élève  de  ce  dernier*. 
Arnold  de  Tungern,  plus  tard  adversaire  de  Reuchlin,  peut  être  cité, 
comme  lui,  parmi  les  savants  qui  remirent  en  honneur  les  études 
hébraïques  ^ 

Mais  c'est  à  Reuchlin  qu'appartenait  la  gloire  impérissable  d'avoir 
fondé  en  Allemagne  l'étude  véritablement  scientifique  de  l'hébreu; 
et  sa  grammaire,  accompagnée  d'un  dictionnaire,  présente  la  première 
méthode  complète  pour  l'étude  de  cette  langue". 

Reuchlin,  dans  ses  investigations  scientifiques,  était  dirigé,  comme 
les  savants  dont  nous  avons  précédemment  parlé,  par  un  esprit  pro- 
fondément religieux.  Pour  lui  aussi  la  science  ne  devait  avoir  qu'un 
but  :  affermir  et  approfondir  la  foi.  Fils  soumis  de  l'Église,  il  se  tenait 
plein  de  dévouement  à  ses  côtés,  ei  soumettait  à  sou  jugement  ses 
écrits,  son  système  scientifique,  toujours  prêt  à  retirer  ce  qu'il  avait  pu 
avancer  d'erronée  Par  ses  recherches  savantes,  par  ses  commentaires 
sur  le  texte  original  du  Nouveau  Testament,  il  entendait  créer  un 
contre-poids  salutaire  à  l'étude  exclusive  des  auteurs  de  l'antiquité; 
mais  ce  qu'il  avait  le  plus  à  cœur,  c'était  de  prouver  aux  théologiens 
de  son  temps  la  nécessité  de  l'étude  de  l'hébreu.  ■■  On  tient  la  langue 
hébraïque  pour  barbare  ',  disait-il;  '^  il  est  vrai  qu'on  n'y  trouve  pas 
de  belles  phrases,  de  manières  élégantes  de  s'exprimer,  mais  il  n'y  a 
que  les  curieux  qui  recherchent  ces  choses.  Les  hommes  de  travail  et 
de  science  n'y  donnent  point  d'attention.  L'hébreu  est  une  langue 
limpide;  rien  ne  l'a  falsifiée;  elle  est  concise  et  laconique.  C'est  la 
langue  dans  laquelle  Dieu  a  parlé  aux  hommes,  et  dans  laquelle  les 
hommes  se  sont  entretenus  avec  les  anges.  Pour  la  comprendre*  on 
n'a  pas  besoin  de  la  fontaine  de  Castalie  ni  du  chêne  de  Dodone.  En 
dehors  de  ce  qu'elle  rapporte,  il  n'existe  aucun  souvenir  de  l'humanité 
avant  la  guerre  de  Troie,  et  ce  ne  fut  que  cent  cinquante  ans  après 
Moïse  qu'Homère  et  Hésiode  ont  chanté.  Et  malgré  son  antiquité, 

'  Voy.  IIOKEU,  Bihl.  (le  Heihbrunn^  p.  212. 

5  Falk,  Wisscnschofl  und  Kunst,  p.  332. 

'  Linsenmann,  Summcnharl,  p.  17-18.  —  82  M"  12. 

*  Geigeu,  Studium  der  Hehidïschcii  Sprache,  p.  19,  23,  30.  —  Voy.  Falk,  Zur  Beur- 
theilung  des  fünfzehnten  lahrhundcrts.  p.  418. 

^  Voy.  MÖHLER,  lahrbuch  der  Theologie  (Francfort.  1834,  t.  I,  p.  77). 

®  Voy.  le  travail  intitulé  :  Reuchlin  und  das  Jüdenthum ,  dans  le  Jüdischer  Zeit- 
schrift de  Geiger  (Breslau,  1870,  t.  VIIl,p.  241-263).  —  Sur  les  erreurs  cabalistiques 
de  Reuchling,  voy.  encore  dans  le  tome  second  de  cet  ouvrage,  p.  37-39. 

'  Geiger,  Reuchling,  p.  147. 


so  CI  KT  K    LITTERAIRE    IUI    RHIN.  85 

c'esi  1,1  plus  riciic  de  (ouïes  les  lan[jiics;  les  autres,  pauvres  et  besoi- 
jyneuses,  viennent  puiser  en  elle  comme  en  leur  source  première'.  » 

l.cs  efforts  de  Heuclilin  portèrent  des  fruits  abondants;  tandis 
(ju'il  servait  rÉjylise,  il  se  vil  à  sou  tour  compris  et  soutenu  dans  ses 
éludes  par  les  serviteurs  de  rK[jlise.  Tantôt  c'est  un  abbé  d'Otto- 
beurn  qui  lui  demande  un  maitre  d'hébreu  pour  ses  religieux;  tantôt 
un  prévôt  de  Mor  qui  sollicite  de  lui  des  explications  sur  quelques 
passages  de  ses  écrits.  Le  provincial  des  Dominicains  lui  cède  un 
manuscrit  hébreu  avec  l'autorisation  de  s'en  servir  pendant  toute  sa 
vie.  Des  religieux  comme  l'infotigable  Nicolas  Ellenborg*,  auquel 
Ottobeurn  dut  plus  tard  l'établissement  d'une  école  supérieure  et 
une  imprimerie,  comme  Guillaume  Schrader,  de  Camp  (Bas-Rhin), 
qui  emploie  sa  grande  fortune  à  l'acquisition  de  manuscrits  hébreux, 
prennent  part  à  ses  travaux  \  Nicolas  Basilius,  d'Hersau,  d'autres 
encore,  deviennent  les  disciples  les  plus  zélés,  les  plus  chauds  apôtres 
de  sa  gloire.  «  Reuchlin  a  ressuscité  l'étude  du  grec  »,  écrivait  ce 
dernier  en  1501,  ^■.  il  a  tiré  l'hébreu  delà  poussière  où  il  était  enseveli. 
La  république  des  savants  lui  doit  des  remerciments  infinis  pour 
avoir  pris  un  tel  fardeau  sur  ses  épaules;  les  théologiens  devraient  lui 
décerner  une  couronne,  car  il  a  rendu  aux  saintes  Écritures  leur 
primitif  éclat  ^.  " 

Jacques  Wimpheling  comptait  alors  avec  Keuchlin  parmi  les  plus 
grandes  illustrations  d'Heidelberg.  Il  était  redevable  à  Dalberg  de 
la  première  idée  de  son  Guide  de  ta  jeunesse  allemande  \  Les  poètes 
latins  Conrad  Leontius  et  Jacques  Dracontius,  le  gentilhomme  saxon 
Henri  de  Bïinau,  savant  philosophe,  les  juristes  Adam  Werner  de 
Themar,  Jean  Wacker,  surnommé  Vigilius,  chanoine  de  la  cathédrale 
de  Worms,  et  Dietrich  de  Pleningen*,  prenaient  une  part  active  à  la 
vie  scientifique  et  littéraire  de  la  ville. 

La  maison  de  Dalberg,  -^  où  tout  était  esprit  et  vie  »,  était  le  centre 
de  réunion  de  tous  les  amis  de  la  science  et  des  lettres.  Ils  s'y  réunis- 
saient, et  d'intimes  et  charmantes  relations  les  rapprochaient;  ils 
partageaient  le  repas  de  leur  hôte,  et  mettaient  en  commun  tous  leurs 
travaux.  Au  dire  de  Wimpheling,  l'électeur  palatin  Philippe  prenait 
part  de  temps  en  temps  à  ces  réunions.  Là,  Wimpheling  s'entretenait 
avec  ses  amis  sur  l'histoire  d'Allemagne  qu'il  méditait;  Pleningen 


'  Geiger,  p.  161. 

-  Voy.  Geiger,  p.  13,  18,  22-24. 

'  Codex  Camp.,  p.  27. 

*  Geiger,  SluiUum  der  hebr.  Sprache,  p.  37. 

*  Voy.  WlSKOWATOFF.   p.   72-74. 

"  IUrtfelder,  .Idam  Werner  iCarlsruhe,  1880).  —  Hartfelder,  Celles,  p.  29. 


83  L'INSTRUCTIOiN    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

lisait  ses  traductions  d'aiiteiiis  latins;  Reuchlin  communiquait  ses 
traductions  d'Homère,  et  c'est  chez  Dalberg  que  Reuchlin  fit  repré- 
senter un  drame  en  latin,  le  premier  qui  ait  été  joué  en  Allemagne. 

L'influence  intellectuelle  et  scientifique  de  Dalberg  s'étendait  bien 
au  delà  d'Heidelberg;  il  présidait  et  dirigeait  la  Société  littéraire  du 
Rhin,  fondée  à  Mayence  par  Conrad  Celtes  '  (1491).  Parmi  les  mem- 
bres de  cette  académie  se  trouvaient  les  savants  les  plus  marquants 
du  pays  rhénan,  du  centre  et  de  la  partie  sud-ouest  de  l'Allemagne  : 
théologiens,  juristes,  médecins,  philosophes,  mathématiciens,  lin- 
guistes, historiens  et  poètes.  En  dehors  de  Trithème,  de  Reuchlia, 
de  Wimpheling,  des  hommes  comme  le  mathématicien  et  historio- 
graphe Jean  Stabius,  le  savant  hébraisant  Sprenz,  plus  tard  évéque 
de  Brizen,  Ulrich  Zasius,  surnommé  le  prince  des  juristes  allemands, 
en  faisaient  partie,  ainsi  que  les  humanistes  Conrad  Pentinger, 
d'Augsbourg,  Willibald  Pirkheimer,  de  Nuremberg,  et  Henri  Bebel, 
de  Tübingen. 

Le  but  principal  que  se  proposait  la  Société  Rhénane,  et  beaucoup 
d'autres  du  même  genre  qui  se  formèrent  à  peu  près  à  la  même 
époque,  c'était  le  progrès  et  la  diffusion  des  sciences  en  général, 
particulièrement  la  culture  des  éludes  classiques,  mais  surtout  les 
recherches  sur  l'histoire  nationale.  Leurs  membres  s'entr'aidaient 
dans  leurs  travaux  scientifiques,  se  communiquaient  leurs  écrits,  les 
soumettaient  à  une  critique  réciproque  et  cherchaient  le  plus  possible 
à  les  propager. 

Notons  aussi  la  tentative  du  libraire  Aldus  Manutius.  Il  avait  fondé 
à  Venise,  en  1502,  une  société  scientifique,  qui  dans  sa  pensée  devait 
servir  de  point  de  jonction  entre  les  savants  d'Allemagne  et  d'Italie. 
<  Si  ce  plan  se  réalise  ' ,  écrivait-il  à  Conrad  Celtes,  «  notre  société 
deviendra  extrêmement  utile  à  tous  ceux  qui  désirent  s'instruire, 
non-seulement  dans  le  présent,  mais  encore  dans  l'avenir,  et  l'Alle- 
magne sera  considérée  par  les  nôtres  comme  une  seconde  Athènes  *.  " 

"  Dans  les  rapports  échaugés  entre  les  savants,  rapports  pleins  de 
vie  et  d'animation  ",  écrivait  non  sans  fierté  Wimpheling,  «  on  voit  de 
tous  côtés  poindre  une  vie  nouvelle;  un  appel  encourageant  réveille 
les  endormis.  Les  lettres  que  nous  échangeons  se  croisent  à  travers 
notre  pays,  comme  les  messagers  d'une  bonne  nouvelle.  '  Il  faut  se 
souvenir  que  les  correspondances  que  les  savants  entretenaient  alors 

'  Voy.  AscHiiACH,  Conrad  Celtes,  p.  75-150.  —  Sur  les  savants  de  Mayence, 
voy.  Falk,  Hisl.  und  pol.  liUuier ,  t.  LXXVI,  p.  334-339,  et  t.  LXXVII,  p.  304- 
307.  —  Sur  Rodolphe  de  Rudesheini,  voy.  Falk,  dans  le  Crt^Aw/Z^i/e,  1876,  p.  428-433. 

*  Voy.  Geiger,  Beziehungen  fleischen  Üeulchltind  und  Ilalien,  p.  120-124.  —  Sur 
Aldus  Manulius,  voy.  Frommann,  Aufsälze  zur  Geschichte  des  Buchhandelt  im  sechzehnten 
Jahrhundert,  cah.  II,  11-51.  (Italic,  léna,   1881.) 


JEAN    TRI  THÈME.  87 

€ntre  eux  ne  servaient  pas  seulement  leurs  intérêts  personnels;  dans 
une  certaine  mesure,  elles  tenaient  la  place  qu'occupent  aujourd'lmi 
les  revues  et  les  journaux  scientifiques  ou  littéraires. 

Sous  la  présidence  de  Dalberg  (1491-1503),  la  Société  savante  du 
Rhin  parvint  à  son  plus  haut  degré  de  splendeur.  Lorsqu'il  mourut 
(1503),  sa  mort  fut  pour  la  civilisation  allemande  une  perte  encore 
plus  sensible  que  celle  d'Agricola,  son  émule  et  son  ami.  Comme 
prêtre,  sa  vie  avait  été  un  modèle  admirable.  ^  J'estime,  écrivait 
Willibald  Perkheimer,  que  cet  évéque  est  digne  d'une  mémoire 
éternelle,  autant  à  cause  de  ses  vertus  et  de  son  humanité  que  pour 
ses  connaissances  étendues  '.  •  Voici  l'épitaphe  qui  est  gravée  sur  son 
tombeau  à  Worms  :  -  Il  fut  personnellement  heureux,  et  eut  en 
outre  le  bonheur  de  laisser  à  ses  descendants  le  modèle  achevé  d'une 
noble  vie.  ;> 


IV 


.Teau  Trithème  fné  en  14G2  dans  le  village  de  Trittenheim,  sur 
la  Moselle)  entretenait  de  fréquentes  et  intimes  relations  avec 
l'Université  d'Heidelberg.  Abbé  des  Bénédictins  de  Sponheim,  près 
Creuznach,  il  avait  fondé  dans  sou  monastère  une  sorte  d'aca- 
démie savante.  Ses  élèves  et  amis  le  regardaient  comme  -■  l'ornemenl 
de  son  pays,  le  maître  et  le  modèle  de  ses  religieux,  l'instituteur  et 
l'ami  du  sacerdoce,  le  père  des  pauvres  et  le  médecin  des  malades-  •. 
«  Trithème,  disait  de  lui  Conrad  Celtes,  est  sobre  dans  le  boire;  il 
méprise  l'usage  de  la  viande;  il  ne  se  nourrit  que  de  légumes,  d'œufs 
et  de  lait,  comme  le  faisaient  nos  ancêtres  avant  qu'il  y  eût  encore 
dans  notre  pays  tant  d'épices  pour  aiguiser  l'appétit;  avant  que  nul 
médecin  eiU  encore  inventé  ces  remèdes,  qui  ne  servent  qu'à  nous 
donner  la  fièvre  et  la  goutte.  :;  -  Il  était  modeste  dans  ses  paroles, 
plus  encore  dans  sa  vie'  ;  toute  son  attitude  inspirait  le  respect. 
"  Ses  traits  mâles  et  accentués,  écrivait'Wimpheling,  expriment  une 
inefi^ble  bonté*.  « 

Sa  science  était  universelle,  et  le  siècle  en  connut  à  peine  un  second 
savant  qui  puisse  lui  être  comparé.  Très-familiarisé  avec  les  clas- 
siques grecs  et  latins,  versé  dans  l'hébreu,  possédant  des  connais- 
sances remarquables  en  théologie  et  en  philosophie,  en  histoire  et 

'  Voy.  Zapf,  Append.,  p.  55. 
'  Voy.  SiLBERXAGF.L.  p.  235. 

*  Hàrtfelper,  C.  Celles,  p.  27. 

*  De  arte  impressoria,  p.  lU. 


83  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

en  droit  canon,  il  s'adonnait  de  plus  avec  ardeur  à  l'étude  des  mathé- 
matiques, de  l'astronomie,  de  la  physique,  de  la  chimie  et  de  la 
médecine,  et  pratiquait  même  cette  dernière  science  lorsqu'il  s'agis- 
sait de  soulager  les  pauvres.  Ses  relations  littéraires  étaient  si  éten- 
dues, comme  le  prouve  sa  correspondance  avec  des  théologiens, 
des  légistes,  des  mathématiciens,  des  médecins,  des  physiciens  et  des 
poètes,  que  sous  ce  rapport  on  ne  peut  le  comparer  qu'à  Érasme. 
Tous  les  savants  illustres  de  l'époque,  beaucoup  de  grands  person^ 
nages,  Maximilien  lui-même,  l'électeur  palatin  Philippe,  Joachim  de 
Brandebourg,  d'autres  encore,  sollicitaient  son  amitié.  Wimphe- 
ling  rapporte  qu'il  recevait  même  de  nombreuses  lettres  d'Italie.  Les 
savants  de  ce  pays  lui  demandaient  avis  sur  des  questions  scientifi- 
ques, et  s'estimaient  heureux  de  posséder  un  autographe  de  sa  main. 
La  bibliothèque  qu'il  fonda  à  Sponheiin  contribua  beaucoup  à  le 
rendre  universellement  célèbre;  au  prix  de  grands  labeurs  et  de 
sacrifices  considérables,  il  en  avait  t'ait  une  collection  unique  en 
Allemagne,  par  l'acquisition  des  ouvrages  les  plus  rares,  les  plus 
précieux.  Il  y  en  avait  en  douze  langues  ditiérentes.  En  1505,  cette 
bibliothèque  comptait  deux  mille  volumes  se  rapportant  à  toutes  les 
branches  de  connaissances  humaines.  Les  manuscrits  qu'elle  renfer- 
mait furent  estimés  à  quatre-vingt  mille  couronnes'.  Les  religieux 
de  l'abbaye,  suivant  la  direction  que  leur  donnait  Trithème,  travail- 
laient avec  ardeur,  pour  la  gloire  de  Dieu,  à  multiplier  les  copies  des 
manuscrits.  Trithème  lui-même  copia  de  sa  propre  main  une  version 
du  Nouveau  Testament  en  grec  et  un  recueil  des  poésies  de  la  reli- 
gieuse Roswitha^.  En  même  temps  qu'avec  une  vive  et  joyeuse  sym- 
pathie il  soutenait  les  grandes  entreprises  littéraires  commencées 
par  Koburger  à  Nuremberg,  par  Jean  Amerbach  à  BâleS  il  formait 
le  plan  de  fonder  à  Sponheim  une  imprimerie  particulière  qui  devait 
être  uniquement  employée  à  reproduire  les  anciens  documents  de 
l'histoire  d'Allemagne.  «  L'abbé  Trithème,  écrivait  Wimpheling, 
eu  1507,  est  d'une  activité  merveilleuse,  et  sa  bibliothèque  jouit 
d'une  réputation  bien  justifiée  dans  tout  le  monde  cultivé.  Sa  vertu 
et  sa  science  le  font  jouir  d'une  gloire  universelle  et  méritée.  Je  le 
vis  une  fois  à  Sponheim  parmi  des  enfants  de  paysans  auxquels  il 
inculquait  les  éléments  de  la  doctrine  chrétienne.  Je  l'ai  vu  égale- 
ment parmi  des  prêtres  venus  de  différents  endroits  pour  être 
instruits  par  lui  dans  les  saintes  Écritures  et  dans  la  langue  grecque, 
puis  parmi  des  savants,  que  la  renommée  de  son  nom  et  les  trésors 

'  Voy.  Vogel,  dans  le  Senipnim,  1842,  p.  312-328.  —  Silrkun.vgel    p    12-18.  — 
Schneegans,  p.  80-86. 

-  Voy.  RllaM),  Theol.  LileraturblaU.,  1868,  colouiies  738,  770 
^  Voy.  ilASE,  p.  57,  —  Serapcum,  18ô4.  n"  18. 


JEAN    TRITHÈME.  89 

(lo  sa  bibliothèque  avaicnl,  pour  la  plupart,  atlirés  de  bien  loin,  et 
auxquels  il  abandonnait  sans  reslricdon  le  libre  usa[;e  de  ses  trésors; 
il  élait  d'un  abord  faeile,  et  tous  pouvaient  profiter  de  la  sage  et 
cliarniante  conversation  de  celui  qui  avait  rassemblé  et  mis  en  ordre 
tons  ces  beaux  livres'.  "  Alexandre  Hégius  fit  le  pèlerinajje  de 
Sponheim  dans  un  âge  déjà  très-avancé,  tout  exprès  pour  consulter 
la  bibliothèque  de  l'abbé  Trithème  et  jouir  de  son  saint  et  agréable 
commerce.  De  toutes  les  ])arties  de  l'Europe,  savants,  docteurs,  pré- 
lats, princes  et  nobles  allluaieni  chez  lui  et  s'y  donnaient  rendez- 
vous,  u  Les  visiteurs  viennent  en  grand  nombre,  rapporte  Trithème; 
quelques-uns  restent  un  mois,  d'autres  deux  et  trois  mois,  d'autres 
une  année  entière,  et  peuvent  s'adonner  dans  notre  monastère,  sans 
bourse  délier,  à  leur  amour  pour  les  études  grecques  et  latines  ^  » 
Théologie,  philosophie,  histoire  naturelle,  médecine,  histoire,  lit- 
térature, l'activité  d'esprit  de  Trithème  embrassait  tout;  et  son  ardent 
labeur  parait  encore  plus  merveilleux,  si  l'on  se  rappelle  que  sa  capa- 
cité de  travail  aurait  pu  être  absorbée  par  les  nécessités  de  la  vie 
pratique,  car  non-seulement  il  avait  la  sollicitude  du  monastère  dont 
il  était  le  supérieur,  mais  il  s'était  constitué  le  zélé  réformateur  de 
son  ordre.  Mais  c'était  précisément  cet  esprit  réformateur,  c'était  le 
zèle  enflammé  de  son  âme  pour  la  perfection  de  ses  frères,  qui  lui  don- 
naient l'énergie  nécessaire  à  de  si  incessants  travaux.  Dans  sa  pensée, 
ils  ne  devaient  être  que  les  instruments  du  perfectionnement  moral 
qu'il  rêvait  ^  ^  Comment  pouvons-nous  désirer  nous  reposer  ou  rester 
oisifs,  écrit-il  dans  son  Introduction  à  la  véritable  méthode  d'enseigne- 
ment ^,  si  nous  réfléchissons  à  tout  ce  que  nous  avons  à  faire  chaque 
jour  pour  nous  et  pour  les  autres;  à  la  fragilité  de  notre  vie,  à  la 
promptitude  avec  laquelle  la  mort  mettra  fin  à  tout  le  travail  par 
lequel  nous  opérons  notre  salut,  grâce  au  secours  divin  et  aux  mérites 
du  Rédempteur?  Que  nous  agissions  par  la  parole  ou  par  la  plume, 
souvenons-nous  toujours  que  nous  sommes  les  prédicateurs  de  la 
vérité,  les  apôtres  de  la  charité,  et  que  cette  charité  doit  établir 
la  paix  en  nous  et  répandre  le  salut  et  la  bénédiction  de  Dieu  sur 
les  autres,  autant  que  cela  est  en  notre  pouvoir.  Cette  pensée  nous 
rendra  tolérable  et  léger  le  plus  rude  travail,  et  les  peines  les  plus 
accablantes  nous  deviendront  douces  et  aimées.  Une  .science  qui 
n'est  pas  animée  d'un  tel  esprit  conduit  au  mal,  souille  notre  cœur, 
remplit  notre  être  d'amertume,  trouble  le  monde,  j  II  exprime 
la  même  pensée  dans  une  lettre  adressée  à  son  frère.  '    La  vraie 

'  De  arte  impressoria,  p.   19. 

-  Trith.  Chron.  Sponk.,  p.  395,  4(18,  413,  416. 

'  Voy.  SiLBF.r.N.vGEL,  p.  236-244.  —  Voy.  Sch\eeg\>s,  p.  28*-293. 

*  De  vera  studiorum  ratione,  fol.  2. 


90  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

science,  dit- il,  est  celle  qui  conduit  à  la  connaissance  de  Dieu, 
améliore  nos  mœurs,  restreint  nos  convoitises,  purifie  nos  incli- 
nations ,  accroît  rintelligence  de  tout  ce  qui  est  nécessaire  au 
salut  de  l'âme,  et  enflamme  notre  cœur  d'amour  pour  notre  Créa- 
teur, '■ 

Les  livres  d'édification,  les  travaux  sur  la  théologie  pastorale,  les 
discours  et  lettres  spirituelles  de  Trithème  mettent  dans  tout  leur 
jour  ses  nobles  aspirations,  ses  vues  sur  les  plus  difficiles  et  les  plus 
hauts  problèmes  de  la  vie  '.  Nous  y  trouvons  les  effusions  d'un  cœur 
rempli  de  la  piété  la  plus  intérieure,  des  méditations  profondes, 
d'admirables  témoignages  de  cet  esprit  grave  et  élevé  dans  lequel 
l'étude  de  la  sainte  Écriture  était  alors  cultivée  et  encouragée. 

Trithème,  d'accord  en  cela  avec  les  meilleurs  théologiens  de  son 
siècle,  pensait  que  les  études  théologiques  devaient  être  rattachées 
davantage  à  la  sainte  Écriture,  et  que  la  théologie  routinière  et 
surannée  de  la  scolaslique  avait  besoin  d'être  rafraîchie  et  rajeunie 
par  une  connaissance  plus  approfondie  de  la  Bible.  Comme  eux, 
Trithème  était  persuadé  qu'une  vie  pure  donne  seule  la  juste  intel- 
ligence de  l'Écriture,  et  qu'elle  ne  peut  être  interprétée  que  dans  le 
sens  ou  l'Église,  guidée  par  le  Saint-Esprit,  l'a  toujours  entendue. 
"  Pour  l'étude  de  la  Bible  -,  écrit-il  à  un  ancien  condisciple,  -  la 
charité  et  la  pratique  de  la  vie  chrétienne,  la  solitude  et  le  repos 
sont  indispensables;  car  la  sagesse  de  Dieu  n'habite  que  chez  un 
homme  vertueux,  ne  s'harmonise  qu'avec  un  esprit  sage,  remplit  le 
cœur  pacifique,  et  chérit  ceux  qui  sont  doux,  calmes  et  purs  de  cœur. 
Si  la  sainte  Écriture  ne  semble  pas  toujours  démontrer  avec  une 
clarté  suffisante  toutes  les  vérités  de  la  foi,  c'est  que  si  elles  y 
paraissaient  avec  évidence,  l'autorité  de  l'Église  aurait  une  moindre 
portée,  et  que  le  mérite  de  la  sainte  obéissance  serait  en  partie  perdu. 
Mais  l'Église  et  la  sainte  Écriture  réunies  marchent  de  concert; 
l'Église  confirme  la  sainte  Écriture,  et  la  sainte  Écriture  confirme  à  son 
tour  l'Église;  car  le  même  esprit  qui  a  fondé  l'Égiise  a  aussi  inspiré 
l'Écriture.  Aussi  saint  Augustin  disait-il  :  "  Je  ne  croirais  pas  à 
••  l'Évangile  si  l'Église  ne  m'en  faisait  une  obligation  ;'  L'Église  seule, 
dans  les  cas  douteux  qui  regardent  la  foi,  a  le  droit  de  l'interpréta- 
tion, et  celui  qui  ose  se  détourner  de  cette  interprétation  a  déjà 
renié  l'Évangile  du  Christ  -.  " 

Les  promoteurs  du  nouveau  mouvement  .intellectuel,  les  apôtres 
d'une  science  éclairée,  s'efforçaient  de  quitter  l'ornière  usée  de  ce 
formalisme  sans  vie  que  suivait  depuis  plus  d'un  siècle  la  théologie; 
mais  d'un  autre  côté,  ils  s'appliquaient  à  rattacher  leurs  efforts  à  ceux 

'  Voy    RuLAND.  dans  le  Chilianeum,  p.  112-118. 
-  Voy.  SiLiiKnNA(;Ei ,  p.  213. 


JEAN    TRITIIÈME.  91 

de  leurs  grands  prédécesseurs  des  douzième  et  treizième  siècles. 
Depuis  que  l'aclive  et  mémorai)le  influence  de  iNicolas  de  Cusa  et  du 
Chartreux  Dyouisius  s'éfaif  fait  sonlir,  la  scolastiquc,  qui  formait 
encore  universellement  le  point  central  et  le  fonds  essentiel  do  la 
Ihéologie,  prenait  une  vie  nouvelle,  en  Allemagne  comme  ailleurs. 
Klle  comptait  parmi  ses  pionniers  beaucoup  d'esprits  nobles  et  pro- 
fonds, qui,  sans  méconnaître  aucunement  les  besoins  et  la  direction 
d'esprit  de  leur  temps,  s'appliquaient  à  les  diriger  sagement  et  à  en 
assurer  le  progrès*.  C'étaient  précisément  les  savants  les  plus  mar- 
quants d'entre  les  scolastiques,  des  hommes  comme  Trithème,  Heyn- 
lin  von  Stein,  Grégoire  Heisch,  Gabriel  Biel,  Geiler  von  Kaisersberg, 
d'autres  encore,  qui  déployaient  sous  ce  rapport  l'activité  la  plus 
intelligente  et  la  plus  féconde.  «  Trithème  compte  parmi  les  plus 
grands  bienfaits  et  les  plus  heureux  événements  de  notre  temps  »,  écri- 
vait Wimpheling  en  1507,  "  le  mouvement  qui  s'est  opéré  dans  l'ensei- 
gnement théologique.  Il  le  voit  avec  joie  se  détourner  de  la  stérile 
chicane  de  mots,  et  des  subtilités  puériles  d'une  science  en  décadence. 
Il  s'applaudit  de  voir  élever  de  nouveau  sur  le  chandelier  un  docteur 
comme  saint  Thomas  d'Aquin,  l'Ange  de  l'école*.  "  Pour  s'assurer 
de  la  vérité  de  cette  assertion  et  constater  le  rang  que  saint  Thomas 
avait  repris,  et  combien  il  était  redevenu  véritablement  le  maître  par 
excellencedes  théologiens  de  l'Occident,  il  ne  fautqu'èlrcattentif  à  ce 
seul  fait  :  il  existe  aujourd'hui  encore  au  moins  deux  cent  seize  édi- 
tions et  réimpressions  connues,  datant  de  cette  époque,  des  écrits  de 
ce  docteur'.  Les  travaux  des  théologiens  dans  le  domaine  des  sciences 
naturelles  eurent  une  très-heureuse  action  sur  la  science  scolastique, 
à  laquelle  ils  s'efforçaient  de  rattacher  les  études  théologiques.  Ils 
luttèrent  aussi  énergiquement  contre  les  extravagances  de  l'astro- 
logie, de  l'alchimie  et  de  la  magie,  dont  les  adeptes  devenaient  tou- 
jours plus  nombreux.  Les  connaissances  scientifiques  de  Trithème 
étaient  si  extraordinaires  que,  comme  autrefois  Albert  Magnus,  il 
était  tenu  par  beaucoup  pour  un  enchanteur,  un  faiseur  de  miracles; 
on  prétendait  même  qu'il  avait  ressussité  des  morts,  conjuré  les  esprits 
infernaux,  prédit  les  événements  à  venir,  découvert  les  voleurs  et  les 
brigands  à  l'aide  de  formules  de  sorcellerie*.  Pourtant,  dans  un  écrit 
spécial,  il  avait  été  le  premier  à  combattre  les  magiciens  et  les  vains 
enchantements  superstitieux  défendus  par  l'Église,  et  il  appelle  les 
alchimistes  des  niais  et  des  présomptueux,  <  des  imitateurs  de  singes, 

'  ViSCHER,  p.  139-140. 

'  De  arte  impressoria,  20. 

«Hain,  n»  1328-1543. 

*  Voy.  le  mémoire  de  Falk  sur  les  savants'  amis  de  Trithème  dans  les  Hist.  und 
jiol.  Blatter,  t.  LXXVII,  p.  923-933.  — kö.MG,  Vorsehungen  tur  deulschsn  Geschickte, 
p.  20,  37. 


92  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

des  ennemis  de  la  nature  et  des  contempteurs  des  choses  divines  '-.  îl 
traite  avec  un  franc  mépris  et  comme  un  dangereux  imposteur  le 
fameux  maître  de  magie  noire,  Georges  Sabellicus,  que  le  chevalier 
Frantz  de  Sickingen  choyait  et  entretenait  à  Kreuznach  (dans  le  voi- 
sinage de  Sponheim),  et  auquel  il  avait  même  confié  des  fonctions 
d'instituteur*.  «  Loin  de  nous,  hommes  vains  et  téméraires,  écrit-il, 
astrologues  menteurs,  qui  remplissez  les  esprits  d'illusions  et  n  êtes 
que  des  bavards  frivoles!  Sachez  que  le  cours  des  astres  n'a  rien  ä  nous 
apprendre  sur  l'âme  immortelle,  les  sciences  naturelles  et  la  sagesse 
qui  est  au-dessus  des  sens.  —  L'esprit  est  libre,  il  n'est  point  assu- 
jetti aux  étoiles;  il  n'est  nullement  influencé  par  elles  et  ne  suit 
pas  davantage  leurs  mouvements.  11  n'a  de  société  et  de  rapports 
qu'avec  le  Principe  immatériel  par  lequel  il  a  été  créé  et  dont  il  est 
fécondé.  —  Les  astres  n'ont  aucun  pouvoir  sur  nous,  qui  ne  sommes 
mus  que  par  l'esprit  et  reconnaissons  Jésus-Christ  pour  notre  unique 
Maître.  C'est  à  Lui  seul  que  toute  puissance  a  été  donnée.  » 

Parmi  les  ouvrages  littéraires  de  Trithème,  il  en  est  deux  qui, 
encore  aujourd'hui,  sont  indispensables  à  l'érudit.  Heynlin  von  Stein - 
le  pressa  beaucoup  de  publier  le  premier,  qui  fut  un  événement  à 
l'époque  où  il  parut.  C'est  un  ouvrage  patrologique,  intitulé  :  Ecri- 
vains ecclésiastiques,  véritable  répertoire  d'universel  savoir.  Le  second, 
dont  Wimpheling  avait  conçu  le  plan,  le  Catalogne  des  hommes  célèbres 
de  l'Allemagne,  est  la  première  histoire  littéraire  dont  notre  pays  ait 
été  doté. 

Mais  c'est  surtout  dans  ses  œuvres  historiques  que  Trithème  nous 
charme  ^  Les  Annales  d'Hirsau  n'étaient  dans  sa  pensée  que  le  préam- 
bule d'une  histoire  d'Allemagne  générale  et  détaillée,  pour  laquelle  le 
moine  Paul  Lang  rassembla  des  matériaux  dans  les  monastères  alle- 
mands jusque  dans  les  dernières  années  de  la  vie  de  son  supérieur*. 

L'amour  de  son  pays,  qui  est  le  trait  particulier  de  ses  ouvrages, 
a  chez  Trithème  un  accent  qui  pénètre  et  qui  touche.  Ses  immenses 
et  savants  travaux  Ihéologiques  et  scientifiques  ne  l'empêchent  pas 
de  garder  un  intérêt  plein  d'activité  pour  le  passé  de  la  vieille  Alle- 
magne, et  il  aime  à  exprimer  dans  ses  livres  et  dans  ses  lettres  la 
chaleur  de  ses  sentiments  patriotiques.  Dans  la  Société  littéraire 
rhénane,  on  l'avait  surnommé  le  <  prince  de  la  science  nationale  >'. 
"  Nous  l'appelons  aussi  »,  écrivait  Wimpheling  à  Home,  ^-  l'heureux 
père  d'une  innombrable  postérité  intellectuelle,  le  meilleur  et  le  plus 

'  Opera,  II,  p.  559.  —  Voy.  Ulmann,  Franz,  iwm  Sickingen,  p.  19. 

*  Voy.  VValchnf.r,  p.  288. 

'  Voy.  Sayigny,  Gesch.  des  römischen  Hechts,  l.  III,  p.  33-34. 

^  Voyez-en  la  liste  dans  Potth.vst,  p.  552-553.  Theol.  Liicnnurbhat..  Bonn,  1868, 
colonne  767-770.  — Voy.  aussi  Mittermullir,  dans  les  Hist.  und  pol.  DL,  t.  LXII, 
p.  837-855.  —  Reichling,  dans  le  Literatur  Handweiser  de  Hühkamp,  1882,  n"  312. 


TRITHÈME    ET    SES    ÉLÈVES.  93 

illiisire  fils  de  l'Allemagne,  ce  pays  si  favorisé  sous  le  rapport  des 
prodiiils  naturels  comme  sous  celui  des  dons  intellectuels'. 

On  peut  juger  de  l'enthousiasme  que  les  écrits  de  Trithème  exci- 
taient dans  la  jeunesse,  par  ce  que  raconte  Jean  IJutzbacli  :  Étant 
encore  (oui  jeune,  il  lut  d'un  bout  à  l'autre,  cl  presque  en  retenant 
son  souffle,  le  premier  ouvrage  de  Trithème  qui  lui  était  tombé  sous 
la  main,  et  la  science  universelle  de  Faul  cur  qui  semble  embrasser 
le  ciel  et  la  terre,  sa  lumineuse  manière  d'exposer  les  faits,  s'emparè- 
rent tellement  de  son  esprit  qu'il  ne  pouvait  s'empêcher  d'y  penser 
jour  et  nuit'.  Nicolas  Gerbellius  s'estime  heureux  «  de  vivre  dans  un 
siècle  on  l'Allemagne  a  la  gloire  de  posséder  des  hommes  aussi 
accomplis  que  Trithème  ».  Jean  Centurian,  qui  avait  étudié  deux  ans 
le  grec,  l'hébreu  et  l'Écriture  sainte  sous  sa  direction,  peut  à  peine 
trouver  des  paroles  pour  exprimer  son  admiration  pour  son  maître, 
louer  sa  sollicitude  infatigable,  son  incessante  ardeur  au  travail  et  sa 
conduite  sans  tache  \ 

«  Qu'il  est  doux,  écrivait  de  son  côté  Trithème,  de  pouvoir  enflam- 
mer d'ardeur  la  jeunesse  pour  l'étude  élevée  des  sciences  sacrées  et 
profanes,  de  la  remplir  d'un  saint  amour  pour  l'Église  et  la  patrie,  et 
de  l'exciter  à  employer  toutes  ses  forces  à  la  gloire  de  Dieu,  à  son 
propre  salut  et  à  celui  de  ses  frères!  Pendant  le  labeur  du  jour,  dans 
les  offices  du  chœur,  dans  le  silence  tranquille  de  la  nuit,  il  me 
semble  toujours  entendre  une  voix  me  crier  :  Le  temps  est  court, 
mets-le  à  profit;  n'en  perds  aucun  moment;  améliore-toi  et  cherche 
à  améliorer  les  autres;  apprends  et  enseigne,  instruis-toi  et  instruis. 
Et  vous,  noble  jeunesse,  sur  laquelle  nous  fondons  l'espoir  de  notre 
avenir,  combattez  un  vaillant  combat  contre  le  péché  et  la  mort 
spirituelle,  contre  la  faiblesse  de  la  nature  et  les  dis.sipations  de  la 
vie,  croissez  dans  toute  science;  mais  n'oubliez  pas  que  tout  votre 
savoir  ne  recevra  sa  véritable  dignité  et  sa  consécration  que  par  la 
piété.  De  même  que  la  religion  doit  inspirer  toute  vie,  il  faut  qu'elle 
pénètre  et  transfigure  toutes  nos  connaissances.  » 

u  Les  anciens  auteurs  dont  la  lecture  nous  occupe,  continue-t-il, 
ne  doivent  être  pour  nous  que  le  moyen  d'atteindre  à  une  fin 
élevée.  Nous  pouvons  en  bonne  conscience  en  recommander  l'étude 
à  tous  ceux  qui  veulent  s'y  adonner,  non  dans  un  esprit  mon- 
dain et  seulement  pour  des  puériHtés  d'esprit,  mais  pour  le  sérieux 
développement    de  leurs  facultés   intellectuelles,  y   cherchant,    à 

'    SiLBERNAGEL,  p.   204. 

*  De  arte  impressoria,  p.  21. 

'  U'anderhücklein,  p.  225,  273.  —  HaGEN  ,  Literarische  lerhiiltnisse,  t.  I,  p.  238.  — 
RULAND,  p.  53.  —  Uartfelder,  C.  Celtes,  p.  26-27. 


94  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

l'exemple  des  saints  Pères,  des  fruits  mûrs  pour  ramélioration  de  la 
science  chrétienne.  Nous  estimons  même  que  leur  étude  est  néces- 
saire à  cette  science.  "  Le  même  sentiment  est  développé  avec  une 
éloquence  chaleureuse  par  Jean  Butzbach,  disciple  plein  de  talent  de 
Trithème,  dans  un  écrit  où  il  réfute  les  contempteurs  et  ennemis 
des  études  humanistes.  «  Celui  qui  n'a  pas  étudié  les  classiques,  dit-il, 
se  passera  aisément  de  l'étude  de  l'Écriture  et  des  Pères,  d'abord 
parce  qu'il  n'a  pas  la  connaissance  des  langues  qu'il  faut  absolument 
savoir  pour  les  pénétrer,  ensuite  parce  que  son  intelligence  n'aura 
pas  été  dressée  à  un  sérieux  travail.  Les  sciences  profanes  sont  comme 
des  degrés  par  lesquels  on  monte  jusqu'à  la  théologie,  reiue  de  toutes 
les  sciences.  '  Si,  selon  lui,  les  Pères  de  l'Église  se  sont  si  ardemment 
occupés  des  classiques,  c'était  afin  de  parvenir,  bien  préparés  et  bien 
armés,  à  l'étude  de  la  sainte  Écriture.  ■>  Si  vous  aviez  étudié  les  écrits 
des  Pères,  dit-il,  si  vous  aviez  lu  saint  Jérôme,  vous  sauriez  le  sens 
mystique  de  ce  que  firent  les  Israélites  lorsqu'ils  emportèrent  avec 
eux  les  vases  d'or  des  Égyptiens;  vous  sauriez  pourquoi  ils  se  sont 
servis  de  l'or  des  païens  pour  en  revêtir  l'arche  d'alliance;  pourquoi 
la  reine  de  Saba  vint  à  la  cour  du  roi  de  la  paix  et  mit  à  ses  pieds  les 
trésors  et  les  parfums  de  l'Arabie;  pourquoi  les  mages  vinrent  des 
pays  lointains  pour  offrir  au  Sauveur,  couché  dans  la  crèche,  l'or, 
l'encens  et  la  myrrhe;  vous  comprendriez,  alors,  que  tous  les  trésors 
intellectuels  des  païens  doivent  être  employés  au  service  de  la  vérité 
pour  la  gloire  du  Très-Haut.  »  «  Quand  saint  Jérôme  nous  raconte 
qu'il  fut  sévèrement  châtié  par  Dieu  pour  être  plus  cicéronien  que 
chrétien,  il  faut  bien  se  persuader  que  Dieu  ne  voulait  pas  lui  repro- 
cher d'avoir  étudié  les  anciens  auteurs,  mais  seulement  d'avoir  eu 
pour  eux  une  prédilection  exagérée,  s'exposant  par  là  au  danger 
de  perdre  le  goût  des  choses  divines.  Ce  n'est  que  par  l'étude  des 
classiques  que  saint  Jérôme  est  devenu  un  si  brillant  flambeau  de 
l'Église.  Dieu,  voulant  qu'il  traduisit  pour  le  bénéfice  de  l'Église 
l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament,  avait  d'abord  permis  qu'il  s'éprit 
de  ces  études,  sans  lesquelles  un  tel  travail  eût  été  impossible.  Il  est 
clair  que  dans  les  auteurs  de  l'antiquité,  plus  d'un  récit  pourrait  nuire 
à  la  délicatesse  morale,  mais  nous  ne  devons  pas  pour  cela  en  aban- 
donner la  lecture.  Efforçons-nous  seulement  d'éliminer  autant  que 
possible  ce  qu'ils  contiennent  de  dangereux,  et,  suivant  le  con- 
seil de  saint  Basile,  faisons  comme  les  abeilles,  qui  sucent  entière- 
ment la  plante  ou  le  poison  'qu'elle  renferme,  mais  n'en  emportent 
que  le  miel  '.  » 

Butzbach,  qui  se  faisait  ainsi  l'intelligent  interprète  des  pensées  de 

>  Becker,  p.  246-250. 


UNIVERSITE    DE    F  lU  BOURG.    ULRICH    ZASIUS.  95 

son  maître,  dépassaK  do  beaucoup  par  ses  dons  inicllectucis  tous  les 
disciples  de  Tridiènie  et  fut  celui  qui  pénélra  le  plus  profondément 
sa  pensée  et  ses  tendances.  Maître  des  novices  et  plus  tard  prieur  au 
monaslère  de  Laacli,  il  se  montra  aussi  infatifjable  au  Iravail  que  l'avait 
été  Trilhème,  et  chercha  comme  lui  à  acquérir  une  science  univer- 
selle. Comme  écrivain,  il  déployait  une  activité  multiple  et  féconde'; 
Il  était  d'un  caractère  ferme  et  persévérant,  noble  et  désintéressé 
dans  ses  intentions  comme  Trifhème,  et  comme  lui  joyeusement 
ému  quand  son  amour  pour  l'étude  et  les  sciences  semblait  se 
communiquer  autour  de  lui.  L'excellent  supplément  qu'il  ajouta  au 
Dictionnaire  des  savants,  de  Trithème,  est  digne  de  son  maître.  Cet 
ouvrage,  auquel  il  collabora  de  1.308  à  151.3  avec  son  ami  et  confrère 
.lacques  Siberti,  est  une  histoire  de  la  littérature  contemporaine 
composée  de  quinze  cent  cinquante-cinq  articles  différents,  et  conte- 
nant des  renseignements  et  des  appréciations  littéraires  sur  les 
savants  contemporains  de  l'Europe. 


L'Université  de  Fribourg  prenait  aussi  un  rapide  essor.  Parmi  ses 
professeurs,  deux  savants  s'y  distinguaient  particulièrement  par  leurs 
travaux  scientifiques;  et  leur  influence  personnelle  fut  considérable. 
Le  premier,  Zasius,  né  à  Constance  en  1461,  fut,  en  matière  de  juris- 
prudence, ce  qu'avait  été  Wimpheling  pourla  pédagogie  et  Reuchlln 
pour  l'hébreu  :  l'initiateur  d'un  progrès  nouveau,  et  le  promoteur 
d'importantes  réformes.  La  seule  différence  qui  existe  entre  lui  et 
les  savants  que  nous  venons  de  nommer,  c'est  que  ceux-ci  brillèrent 
aussi  par  les  disciples  qui  les  suivirent,  au  lieu  que  Zasius  fut,  dans 
son  siècle  et  dans  les  deux  suivants,  une  apparition  isolée  et  gran- 
diose. Ses  ouvrages  ont  sur  ceux  de  ses  prédécesseurs  la  supériorité 
de  la  forme,  d'une  plus  grande  pureté  de  style,  d'une  langue  plus 
aisée,  plus  coulante;  la  pensée  s'y  développe  avec  plus  de  naturel, 
la  phrase  y  est  maniée  avec  plus  d'art.  Mais  c'est  surtout  par  le  fond 
des  idées  qu'il  les  dépasse.  La  force  de  raisonnement  partout  victo- 
rieuse qu'il  opposait  à  la  barbarie  des  glossateurs,  a  frayé  une  voie 
toute  nouvelle  ;  il  y  marche  avec  indépendance  et  hardiesse,  s'appuyant 
toutefois  sur  l'autorité  des  grands  esprits  du  passé.  Dans  l'explication 
des  textes,  il  cherche  à  s'affranchir  des  préjugés  reçus,  met  de  côté 


*  Voyez  la  liste  de  ses  écrits  par  Becker,  p.  263-277. 


96  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

les  subtilités  entortillées,  et  les  remplace  par  une  interprétation 
simple,  conforme  à  la  nature  des  sujets  qu'il  traite'.  -  Avant  tout, 
je  tiens  à  déclarer,  dit-il  dans  l'introduction  du  principal  de  ses 
ouvrages,  que  je  ne  veux  m'occuper  que  du  texte  des  documents 
originaux,  et  ne  ferai  usage  que  de  preuves  vraies  et  solides,  repo- 
sant sur  le  droit  ou  sur  la  nature  des  choses;  c'est  sur  ces  inébran- 
lables fondements  que  je  veux  ra'appuyer  uniquement.  »  Bien  éloigné 
de  vouloir  asservir  l'esprit  allemand  au  droit  romain,  étranger  à  la 
nation,  il  déclare  que  son  intention  est  de  ne  prendre  de  ce  droit  que 
ce  qui  «  correspond  aux  mœurs  de  l'Allemagne,  et  ce  qui  lui  semble 
utile  et  salutaire  à  son  pays  >>.  Lorsque  dans  le  droit  allemand  se 
trouvent  des  imperfections  ou  des  lacunes,  alors,  seulement,  il  se 
montre  disposé  à  introduire  le  droit  romain  pour  suppléer  à  ce  qui 
manque  aux  lacunes  (jui  se  rencontrent  dans  le  droit  national  ou 
pour  y  apporter  des  améliorations.  Ce  qui  était  incompatible 
avec  les  mœurs  et  l'esprit  de  la  nation  n'avait  aucune  valeur  à  ses 
yeux. 

Il  était  en  guerre  ouverte  avec  ces  chicaneurs  et  ces  avocats  qui 
se  servaient  du  droit  romain  pour  contourner  les  lois  nationales  et  ne 
trouvaient  d'autres  solutions  aux  procès  qu'on  mettait  entre  leurs 
mains,  que  l'appauvrissement  ou  même  la  ruine  complète  des  deux 
parties  opposées.  Il  les  regardait  comme  les  plus  grands  ennemis  du 
pays.  «  Ils  empoisonnent  la  justice  ,  disait-il  avec  douleur,  «  ils  se 
raillent  des  juges,  ils  troublent  la  paix,  ils  cherchent  à  mettre  la 
confusion  dans  l'État,  et  sont  hais  des  dieux  et  des  hommes-.  " 

La  noble  idée  qu'il  avait  conçue  de  la  jurisprudence  se  fait 
jour  dans  sa  manière  d'apprécier  la  dignité  du  doctorat  en  droit. 
u  On  n'obtient  pas  ce  grade,  dit-il,  pour  s'inscrire  parmi  les  servi- 
teurs des  cours,  pour  se  laisser  marquer  au  fer  rouge  de  leur 
estampille,  ni  pour  se  salir  dans  la  boue  des  tribunaux  et  des  con- 
sistoires, mais  pour  faire  parler  le  droit,  l'enseigner,  résoudre  les 
questions  douteuses,  et  diriger  l'État.  Voilà  la  vocation  d'un  véritable 
docteur;  celui  qui  agit  avec  indépendance  et  désintéressement  sert  le 
peuple;  celui  qui  est  esclave  et  intéressé  le  perd'.  )  Dans  sa  chaire 
de  professeur,  Zasius  savait  entraîner  ses  auditeurs  par  la  clarté  de 
ses  pensées,  la  chaleur  de  ses  sentiments,  aussi  bien  que  par  sabrillante 
éloquence.  Aucun  de  ses  contemporains,  affirme  son  élève  Fichard, 
ne  l'a  jamais  surpassé  dans  le  don  de  la  parole,  ni  en  Allemagne,  ni  en 
Italie.  »  "  Lorsque  nous  accueillions  notre  Zasius  dans  la  salle  des 
cours  >',  écrit  un  autre  de  ses  élèves,  -  ou  lorsque  nous  le  recondui- 

'  V'oy.  Becker,  p.  277,  et  Krafft  et  Crecelils,  t.  VII,  p.  213-286. 
*  Voy.  Stintzing.  p.  143-144. 
'  STii\'TZi.\G,  p.  70,  90,  102,  147. 


[INIVKRSITI':    DE    FniCOUUC.    (Jl.KICH    ZASIUS.  97 

sions  chez  lui,  ne  nous  semblait-il  pas  un  ange?  Combien  de  fois  ne  me 
suis-je  pasdit  :  llcsl  lemps,  voici  l'heure  du  cours,  il  faul  aller  écouîei* 
Zasius,  se  repaiire  de  son  cnseij",nemenl!  Avais-.je  un  doute  qui  me 
loiirmeiitail?  .J'allais  chez  Zasius  et  je  lui  demandais  conseil.  C'est 
jour  de  ièle,  me  disais-je,  il  laut  se  rendre  au  service  divin.  Allons 
accompagner  Zasius  à  l'église,  et  nous  le  reconduirons  ensuite  chez 
lui!  » 

La  loi  profonde  qui  formait  comme  l'essence  de  sa  nature,  sa 
loyauté,  sa  bonhomie,  sa  simplicité,  lui  gagnaient  le  cœur  de  tous 
ceux  qui  étaient  en  rapport  avec  lui.  "  Zasius  -,  écrivait  Erasme  à 
Willibald  Pirkhcimcr,  «  est  un  rare  exemplaire  des  vieilles  mœurs  et 
des  anciennes  vertus.  Sa  vie  est  d'une  pureté  vraiment  évangélique. 
Personne  ne  le  quitte  sans  se  sentir  enflammé  du  désir  de  devenir 
meilleur,  .le  ne  sais  pas  en  Allemagne  une  âme  plus  noble  ni  plus 
pure  :  c'est  un  grand  homme;  l'Allemagne  n'en  possède  pas  un 
second  qui  lui  soit  comparable.  Si  quelqu'un  est  digne  de  l'immor- 
talité, c'est  lui '.  " 

Grégoire  Rcisch,  prieur  du  couvent  des  Chartreux,  aussi  éminent 
comme  théologien  que  comme  philosophe,  entretenait  avec  Zasius 
des  rapports  d'amitié ^  Reisch  professait  la  cosmographie  et  les 
mathématiques  ^  et  donnait  de  plus  des  leçons  d'hébreu  à  quelques 
jeunes  gens  zélés  pour  la  science  ".  11  appartenait  au  g;roupe  des 
réalistes  qui,  grâce  à  son  ami  Georges  Nordhofer,  savant  très-versé 
dans  l'interprétation  des  Ecritures,  avait  obtenu  la  prépondérance  à 
Fribourg  (1489).  George  Reisch  était  célèbre  dans  tout  le  monde 
savant  depuis  la  publication  de  son  ouvrage  intitulé  :  Perle  de  la 
■philosophie.  Ce  travail  l^it  suite  pour  ainsi  dire  au  Miroir  de  la  nature 
de  Vincent  de  Reauvais,  au  Livre  de  la  Nature  de  Conrad  de  May- 
genberg,  prêtre  de  Ratisbonne,  et  au  Tableau  du  Monde  du  cardinal 
Pierre  d'Ailly.  C'est  la  première  encyclopédie  philosophique  dont 
notre  pays  ait  été  doté;  elle  était  réimprimée  tous  les  deux  ou  trois 
ans,  et  pendant  un  demi-siècle  contribua  dans  une  large  mesure  au 
progrès  de  la  science  ^  Reisch  s'y  est  surtout  occupé  des  sciences 
mathématiques,  mais  la  musique  y  est  aussi  l'objet  d'un  examen 
attentif.  Les  travaux  minéralogiques,  météorologiques  et  ethnogra- 
phiques du  prieur  des  Chartreux  témoignent  aussi  de  son  observa- 

'  Voy.  Stintzing,  t.  LXVI,  p.  287-289. 

2  Voy.  les  Chroniques  de  Bâle,  t.  \,  p.  337,  397-398  . 

•*  WiMPHKLiXG.  De  arte  impressoria,  p.   21. 

"  Voy.  WiEDEM.vNN,  p.  23.  —  La  grammaire  grecque  était  enseignée  à  l'Uni- 
versité dès  1461.  Voy.  Opusc.  Academica  latina  de  Ch.  Zell,  p.  72. 

•"  Voy.  H.viN,  n"  13852,  et  Gu  esse,  Trésor  de  livres  rares  et  précieux,  t.  VI,  p.  73, 
Revue  hist.,  t.  II,  p.  617,  Paris,  1876. 


98  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

tion  aiguisée'.  Celui  de  ses  élèves  qui  le  suivit  de  plus  près  dans  la 
science  de  la  cosmographie  lut  Mari  in  Waldseemuiler,  de  Fribourg, 
qui,  en  1507,  dédia  à  Tempereur  Maximilien  une  Introduction  à  la 
cosmographie  avec  le  récit  des  quatre  voyages  d'Améric  Vespuce-. 
C'était  la  première  fois  qu'on  réunissait  los  récits  de  voyages  du 
Florentin.  L'auteur  donne  la  description  des  cartes  qu'il  a  tracées 
des  divers  pays  de  l'Europe,  et  remarque  que  pour  les  plus  récentes, 
il  s'est  servi  des  données  de  Ptolémée  aussi  bien  que  des  observa- 
tions nouvellement  faites  par  les  navigateurs  modernes.  Il  travailla 
aussi  à  la  belle  édition  de  Ptolémée  parue  à  Strasbourg,  et  exposa 
en  deux  traités  les  principes  de  l'architecture  et  de  la  perspective, 
traités  dont  se  servit  plus  tard  son  maître  Reisch  dans  une  nouvelle 
édition  de  son  Encyclopédie''  (1509). 


VI 


L'Université  de  Bâle  surpassait  encore  celle  de  Fribourg  par  l'active 
énergie  de  ses  efforts  intellectuels  l'éhiu  vif  et  spontané  de  son  dé- 
veloppement et  les  féconds  travaux  de  ses  professeurs.  Bàle,  jusqu'à 
l'époque  de  la  ■scission  religieuse*,  fut  le  «  séjour  favori  des  Muses  ". 
Pendant  les  dix  premières  années  de  son  érection,  le  savant  qui  y  fut 
le  plus  justement  célèbre  fut  Heyulin  von  Stein,  issu  probablement 
d'une  noble  famille  de  Souabe,  savant  laborieux,  grave  et  austère, 
maître  éloquent,  et  d'un  caractère  ferme  et  droit.  Il  fut  l'un  des 
derniers  représentants  éminents  de  l'Ecole  scolastique;  il  appar- 
tenait au  parti  des  réalistes,  et  pourtant  il  le  cédait  à  peu  de  ses 
contemporains  en  enthousiasme  pour  l'étude  de  l'antiquité,  récem- 
ment remise  en  honneur.  Partout  où  il  déploya  son  infatigable  acti- 
vité, à  Bàle,  Paris,  Tiibiagen  et  Berne,  son  influence  eut  les  plus 
heureux  résultats;  recteur  de  l'Université  de  Paris,  il  chercha  à  faire 
prévaloir  en  France  les  études  classiques,  recommandant  particuliè- 
rement aux  écrivains  la  pureté  et  l'élégance  de  la  langue  latine.  Paris 

'  Dit  Alex.  DE  Humboldt,  dans  le  Cosmos,  t.  II,  p.  286.  —  V'oy.  les  Recherches 
critiques  de  IIiMBOLDT,  t.  I,  p.  109;  t.  II,  p.  359. 

-  Sur  les  connaissances  des  sciences  naturelles  des  scolastiques  en  général, 
Peschel  dit  dans  VHisi.  dv  la  géogr.  :  ■  On  comparait  et  on  observait  alors  avec  ta 
même  pénétration  qu'aujourd'hui.  " 

^  Voy.  Al.  DE  Humboldt,  Kritische  Untersuchungen,  t.  II,  p.  358-371.  —  Ghillany, 
p_  4_6.  —  Peschel,  Zeitaller  der  Enldeclaingen,  p.  4(0-415.  —  Schreiber,  t.  I, 
p.  235-240.  C'est  probablement  Waldseemuiler  qui  a  le  premier  proposé  de 
donner  au  nouveau  monde  le  nom  d'Amérique. 

*  C'est  Érasme  qui  la  nomme  ainsi  dans  une  lettre  datée  de  1516.  —  Voy. 
WOLTMANN,  t.  I,  p.  267. 


u  M  V  i;  r,  s  IT  I-:   de  r.ALt:.  ueyîvmîv  von  stein.  99 

lui  (loil  sa  première  imprimerie,  établie  par  les  lypographcs  connus 
alors  sous  le  nom  de  irères  allemands  -.  De  concert  avec  le  célèbre 
réaliste  GuiManme  Ficliet,  il  assura  aux  savants  grecs  qui  étaient 
venus  s'établir  à  Paris  après  les  bouleversements  de  leur  pays,  les 
conditions  de  vie  les  meilleures  et  les  plus  ajyréables.  Il  entretint 
avec  rilalic  des  rapports  actifs,  acheta  de  nombreux  manuscrits,  et 
sul,  en  les  confrontant  soigneusement,  arrivera  rétablir  la  pureté 
(Vnn  grand  nombre  de  textes.  Il  avait  autrefois  grandement  con- 
tribué au  développement  intellectuel  dWgricola  et  de  r»euchlin,  et 
tous  deux,  avec  les  expressions  les  plus  sincères  de  vénération  et 
d'estime,  témoignent  de  leur  reconnaissance  envers  leur  ancien 
maitre.  Il  réussit  ä  fonder  à  Berne  une  maison  d'éducation  et  d'ensei- 
gnement dont  la  direction  fut  confiée  au  moine  Nicolas  Weiden- 
busch, célèbre  aussi  par  ses  connaissances  médicales.  Prédicateur  de 
l'Évangile,  Heynlin  combattit  avec  zèle  les  vices  et  les  dérèglements 
de  son  temps  dans  les  chaires  de  Berne  et  de  Bàle  '. 

Il  était,  dans  cette  dernière  ville,  le  centre  intellectuel  d'un  groupe 
de  savants  éminents,  professeurs  d'Universités  ou  littérateurs.  Citons 
parmi  eux  des  hommes  parvenus  plus  tard  à  la  plus  haute  célébrité  : 
Sébastien  Brant  et  Geiler  von  fvaisersberg.  Nommons  aussi  Guil- 
laume Textoris,  d'Aix-la-Chapelle,  professeur  de  théologie,  dont 
Trithème  loue  l'éloquence  et  l'esprit  indépendant,  et  le  coadjuteur 
de  Tévcque  de  Bàle,  Christophe  von  Utcnheim,  si  activement  zélé 
pour  la  réforme  de  l'Eglise.  Le  théologien  Jean  de  Gengeubach,  qui 
occupait  depuis  1474  la  première  chaire  érigée  en  Allemagne  pour 
l'enseignement  de  la  poésie  et  des  arts  libéraux,  faisait  aussi  partie 
de  ce  groupe.  L'archidiacre  Jean  Bergmann  (d'Olpe,  en  Westphalie) 
se  montra  le  Mécène  intelligent  et  désintéressé  des  amis  d'Heyn- 
lin.  Il  établit  une  imprimerie  à  ses  frais  pour  populariser  les  écrits 
de  Brant,  de  Beuchlin,de  Wimpheling,  et  en  donna  au  public  d'excel- 
lentes éditions,  ornées  des  chefs-d'œuvre  de  la  gravure  sur  bois. 
L'imprimeur  Jean  Amerbach  le  seconda  avec  désintéressement  dans 
ses  vues,  et  de  son  côté  retira  un  grand  fruit  des  conseils  et  de  l'aide 
d'Heynlin,  sous  lequel  il  avait  autrefois  étudié  à  Paris. 

Après  une  existence  agitée,  Heynlin  se  retira  à  la  Chartreuse  de 
Bàle,  dans  la  vallée  de  Sainte-Marguerite  (1487),  et  consacra  les  neuf 
dernières  années  de  sa  vie  à  la  prière  et  au  travail  solitaire.  Dans 
cette  dernière  période  de  sa  vie  il  publia  presque  tous  les  ouvrages 
des  Pères  de  l'ÉgUse  (saint  Augustin,  saint  Ambroise  et  saint  Jérôme) 
et  enrichit  plusieurs  ouvrages  de  Cicéron  d'introductions  et  de  som- 
maires. Ses  travaux  sur  la  philosophie  d'Aristote  prouvent  combien 

'  La  BiI)liothèqiie  de  Bâie  conserve  encore  cinq  in-quarto  de  ses  sermons. 

7. 


100  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

le  système  du  Stagyrite  lui  était  familier;  il  souhaitait  ardemment  le 
voir  mieux  compris  de  ses  contemporains.  Son  Trailé  sur  la  Sainte 
Messe  eut  vingt  éditions  différentes  en  l'espace  de  douze  ans,  à  Rome, 
Cologne,  Strasbourg,  Bâle,  Leipzig  et  ailleurs'. 

(^  Comme  un  géant  courageux  de  la  foi-,  écrivait  à  son  sujet  Wim- 
pheling,  =.  il  était  toujours  armé  et  prêt  au  combat  ;  il  a  livré  plus  d'une 
rude  bataille;  mais  au  fond  de  son  cœur  il  était  toujours  incliné  vers 
la  paix.  Ses  labeurs  furent  bénis  de  Dieu.  Il  ne  prenait  jamais  en 
main  un  livre  ni  une  plume  sans  s'être  auparavant  recueilli  devant  Dieu 
dans  la  prière.  Il  avait  si  souvent  lu  et  médité  la  sainte  Écriture  qu'il 
la  savait  prseque  entièrement  par  cœur.  Son  âme  était  pure  comme 
celle  d'un  enfant.  Jouer  avec  les  cnfaots  était  sa  récréation  préférée 
lorsqu'il  se  sentait  fatigué  d'un  long  travail*.  ■ 

Lorsque  Heynlin  mourut  regretté  de  tous,  il  n'y  eut,  parmi  les 
nombreux  amis  qu'il  avait  en  dehors  du  cloître,  que  le  plus  intime 
d'entre  eux,  Sébastien  ßrant,  à  qui  il  fut  permis  d'assister  à  ses  der- 
niers moments  (1496). 

Sébastien  Brant,  né  à  Strasbourg,  en  1457  ^  avait  comraeficé  sa 
carrière  à  Bâle,  comme  professeur  des  deux  droits,  et  de  concert  avec 
Ulrich  Krafft  (maître  d'Ulrich  Zasius),  avait  donné  l'élan  à  l'étude 
de  la  jurisprudence  à  l'Universiîé.  En  même  temps,  au  grand  applau- 
dissement des  étudiants,  il  professa  les  humanités,  et  se  fit  connaître 
ei  apprécier  par  ses  poésies  latines,  la  publication  de  plusieurs 
auteurs  latins  et  les  efforts  qu'il  fit  pour  propager  les  études  huma- 
nistes chrétiennes.  C'est  à  lui  que  la  littérature  et  la  science  doivent 
la  première  édition  des  œuvres  de  Pétrarque,  qu'il  a  glorifié  dans  une 
enthousiaste  poésie  latine*.  Il  donna  aussi  ses  soins  à  toute  une  série 
d'éditions  d'anciens  livres  de  droit,  prit  une  part  active  à  la  publi- 
cation des  célèbres  concordances  de  la  Bible  (1496),  puis  à  l'édition 
de  la  Bible  en  six  volumes  in-folio  parue  en  1498  avec  les  commen- 
taires de  Nicolas  de  Lyra  '. 

L'esprit  de  Brant  n'était  nullement  porté  à  une  science  purement 
théorique.  Il  allait  toujours  droit  au  but  pratique  et,  dans  les  ten- 
dances de  son  temps,  saisissait  de  préférence  le  côté  populaire,  poli- 

»  VisCHER,  p.  15?-l65,  18?.  —  V^ALcaNE[\,  p.  279-288.  —  Zarncke,  la  XeJ  des 
fous,  de  Brant,  foL  XX,  XXI.  L.  Geiger,  Rcuchlin,  p.  10-13.  -  Schreiber,  t.  I, 
p.  234.  —  IlAiN,  n"  2899-9918.  Voy.  les  vers  adressés  par  Brant  à  Heynlin, 
dans  \3iCarmina  de  ce  dernier,  p.  140-141,  et  les  Chroniques  de  Bâle,  1. 1,  p.  342-347. 

^  De  arte  impressoria.  p.  23. 

^  Voy.  Schmidt,  p.  6. 

*  Voyez-en  la  trad.  dans  Geiger,  dans  le  Z eitschr if t  fur  deutsche  hulturgeschichii\ 
1874,  p.  222-224. 

*  Voy.  Schmidt,  p.  17-20.  —  Goedeke,  t.  XI. 


SEBASTIEN    B  RANT.  101 

liqiic  Cl  moral  '.  C'est  ce  que  nous  prouve  surtout  son  poëme  didac- 
tique et  religieux  de  la  \ef  des  fous ,  où  il  nous  a  donné  une  si 
nolde  preuve  de  son  patriotisme  et  de  sa  foi.  Il  aimait  avec  enthou- 
siasme l'ancienne  constitution  chrétienne  qui  unissait  les  peuples 
sous  les  puissances  réunies  du  Pape  et  de  l'Enipereur -;  il  était  invin- 
ciblement attaché  à  rK{>lise,  et  aimait  à  répéter  souvent  ces  paroles, 
dont  il  avait  fait  sa  maxime  favorite  : 

"  Ne  te  laisse  pas  ébranler  dans  la  foi 

Même  si  l'on  veut  en  disputer; 

Crois  purement,  simplement. 

Ce  que  la  sainte  Église  t'enseifjne. 

Ne  te  laisse  pas  prendre  aux  doctrines  subtiles 

Que  ton  intelligence  ne  peut  pas  comprendre  ^.  • 


VII 


Le  prédicateur  eu  titre  de  la  cathédrale  de  Strasbourg-,  Geiler  de 
Kaisersberg  (né  à  Strasbourg,  eu  1445),  occupait  dans  cette  ville  une 
position  analogue  à  celle  qu'avait  à  Bâle  Heynlin  von  Stern,  son  ami 
et  son  élève.  Il  y  était  le  chef  de  ces  savants  distingués  que  la  "  reine 
du  haut  Rhin  ■'  pouvait  à  bon  di^oit  se  montrer  heureuse  et  fière  de 
posséder.  Théologien  scolastique,  zélé  partisan  et  propagateur  des 
études  d'humanisme  chrétien,  prédicateur  illustre,  il  partageait 
entièrement  les  idées  et  les  vues  de  son  maitre  HeynHn,  et  ferme 
avec  ses  deux  amis,  Jean  ïrithème  et  Gabriel  Biel,  la  série  des 
grands  théologiens  du  moyen  âge.  Son  excellente  éducation,  fon- 
cièrement scolastique,  formait  précisément  la  base  de  son  talent 
lumineux,  clair,  pénétrant,  et  si  bien  adapté  au  genre  tout  popu- 
laire de  sa  prédication.  Ses  connaissances  sur  la  Bible  et  les  saints 
Pères  étaient  profondes  et  complètes.  Il  en  recommandait  l'étude 
avec  instance  aux  théologiens;  mais  en  même  temps  il  se  tenait 
attaché  à  ce  principe  qu'il  regardait  comme  irréfutable  :  '•  Les 
jeunes  gens  encore  novices  dans  la  théologie  ne  doivent  pas  être 
exclusivement  mis  à  l'étude  des  anciens  et  vénérables  Pères, 
ces  colonnes  et  ces  lumières  de  l'Église;  qu'on  leur  fasse  plutôt 
approfondir  les  docteurs  de  la  théologie  scolastique  moderne. 
Ces  maîtres  procèdent  par  un  ensemble  de  questions  bien  posées, 
admirablement  propres  à  former  l'esprit  à  la  discussion,  à  la  contro- 

'  Voyez  l'excellent  parallèle  de  Stintzin,^  entre  Brant  et  Érasme,  Litt,  pojj., 
p.  453. 
*  Voy.  Schmidt,  p.  198-200. 
'  Voy.   Zahncke,  Xef  (les  fous,  App..  p.  154. 


102  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

verse  contre  les  hérétiques,  â  aiguiser  l'esprit,  à  donner  Tintelli- 
gence  des  contradictions  apparentes  de  la  sainte  Écriture  ^  «  <  Nul 
théologien,  dit-il,  ne  devrait  laisser  passer  un  seul  jour  sans  lire  la 
sainte  Bible.  C'est  le  livre  des  livres.  Il  faut  le  méditer,  en  acquérir 
une  très-exacte  connaissance,  si  l'on  veut  pouvoir  ensuite  l'expliquer 
au  peuple  avec  fruit.  Mais,  quant  à  son  interprétation,  appuyons- 
nous  toujours  sur  l'irréprochable  doctrine  de  l'Eglise.  '■ 

A  l'époque  dont  nous  nous  occupons,  â  peine  trouve-t-on  en  Alle- 
magne une  personnalité  qui  ait  joui  auprès  des  contemporains  d'une 
estime  aussi  générale;  il  a,  de  nos  jours  encore,  gardé  sur  les  esprits 
une  action  puissante.  On  avait  surnommé  Geiler  •■■  la  Trompette 
retentissante  de  Strasbourg  '  .  Les  dons  tju'il  possédait  se  trouvent 
rarement  réunis;  il  alliait  une  grande  énergie  intellectuelle  â  la  plus 
extrême  douceur;  une  ferme  décision,  une  persévérance  de  fer,  une 
force  de  caractère  inébranlable,  au  plus  tendre  amour  du  prochain 
et  à  une  humilité  d'enfant.  11  y  avait  sur  son  visage  grave  et  mâle 
une  expression  de  pureté  dont  on  restait  touché,  et  qui  trahissait 
la  source  de  sa  force.  «  11  se  consumait,  dit  Wimpheling,  en 
amour  pour  ses  frères;  toute  sa  vie  il  eut  au  cœur  une  profonde 
douleur  morale  causée  par  les  vices  et  les  erreurs  de  son  temps;  il 
exerçait  envers  lui-même,  avec  une  extrême  rigueur,  les  plus  rudes 
pénitences,  mais  en  même  temps  il  éiail  ennemi  de  toute  humeur 
sombre  et  chagrine.  D'un  caractère  gai  dans  le  commerce  journa- 
lier, profond  dans  ses  affections  envers  les  rares  élus  qui  avaient 
le  bonheur  de  jouir  de  sa  proche  intimité,  cet  homme,  d'une  rigueur 
ascétique,  avait  besoin  d'un  abandon  cœur  â  cœur,  d'une  confiance 
sans  contrainte  avec  ceux  qu'il  aimait.  Un  vivant  échange  dépensée, 
les  effusions  de  l'amitié,  lui  étaient  absolument  nécessaires,  et  il 
mettait  en  pratique  cette  belle  parole  :  -  La  propre  joie  de  l'homme, 
c'est  l'homme.  " 

Le  chanoine  Thomas  Wolf  était  de  ses  amis.  C'est  dans  sa  maison 
que  Pic  de  la  Mirandoledit  avoir  rencontré  le  -  banquet  des  sages  ". 
Le  chanoine  Pierre  Schott,  fils  de  l'ammeister  Schott,  aux  efforts 
duquel  Geiler  devait  la  chaire  de  la  cathédrale,  en  faisait  également 
partie.  Pierre  Schott,  comme  le  prouvent  ses  écrits,  était  un  disciple 
fervent  de  l'humanisme  chrétien,  un  canouiste  des  plus  instruits, 
un  prêtre  pieux  "  rempli  de  zèle  pour  le  salut  des  âmes  ■.  Sous 
l'influence  de  Geiler  se  développa  aussi  le  savant  théologien  Ottmar 
Nachtigale  -,  qui,  après  avoir  parcouru  presque  toute  l'Europe  et  une 

'  RlEGC.F.R,  Amœuilates  lilerariie  Friburgcnses,  t.  I,  p.  109.  —  Vov.  Kehker,  49, 
283.  —  Voy.  sur  les  éludes  scolast.  le  jugemeut  de  Gabr.  Biel,  dans  Linsen- 
ï!\N\,   C.  Summenharl,  p.  14. 

-  Luscinius. 


ÉTUDES    llISTOr,  IQUKS    A    STr.ASBOUP.G.  103 

|j;iiMic  (le  l'Asie,  Cul  lon{j(cmp.s  professeur  de  j^rec  à  Strasbour^y, 
sa  ville  nalale.  '■  .l'ai  reeii  dans  mon  enfance  ])eanc()np  de  sajjes 
conseils  du  docleur  Kaisersber{j  ■^,  a-t-il  dit  dans  la  préface  de  son 
Histoire  évangélir/ue,  "  soit  dans  ses  sermons,  prêches  à  Strasbourg, 
si)it  dans  sa  maison;  ils  ni'onl  été  exirèmement  utiles,  el  je  leur  dois 
de  n'élre  pas  re^jardé  comme  un  mondain.  Plaise  à  Dieu  que  ce 
jn{',ement  soil  vrai  '  !  " 

C'est  surloul  lorsqu'il  fut  donné  à  Geiler  d'atlirer  à  Strasbourjj 
ses  deux  plus  inlimes  amis,  Sébastien  Braut  et  Jacques  W'im- 
l)lieling',  que  son  goiU  pour  les  éludes  historiques  et  humanistes 
prit  tout  son  développemen  et  exerça  le  plus  d'influence.  Brant, 
sur  sa  recommandaîion,  lut  appelé  de  Bàle  pour  venir  prendre  à 
Slrasbour(y  les  fonctions  de  syndic  du  Conseil  (ir)00),  et  bientôt 
après  eut  ä  remplir  la  charge  de  secrétaire  de  la  ville  et  de  con- 
servateur des  archives.  Quant  à  Winipheling,  à  la  prière  de  Kai- 
sersberg, il  établit  sa  résidence  à  Strasbourg  pendant  de  longues 
années,  et  travailla  de  concert  avec  lui  à  la  publicaliou  des  œuvres 
de  .lean  (Jerson. 

\Vimpheliug  et  Braut,  aussi  enthousiasmés  pour  le  passé  de  l'xVlle- 
magne  que  pour  la  littérature  classique,  fondèrent  à  Strasbourg 
une  société  savante  dont  le  principal  but  était  le  progrès  des  études 
historiques  nationales.  Secondés  par  de  jeunes  travailleurs  qu'ils  dési- 
gnaient, ils  préparèrent  un  recueil  de  tous  les  documents  relatifs  à 
l'histoire  du  Haut  Rhin,  recueil  qui,  dans  leur  pensée,  devait  être 
accompagné  d'explications  biographiques  et  ethnographiques.  ■<  Aous 
nous  proposons  ",  écrivait  Wimpheling  en  1507  en  parlant  de  cet 
ouvrage  qui  malheureusement  ne  fut  pas  terminé,  «  d'offrir  à  notre 
ville  natale,  à  -  notre  petite  patrie  ',  l'hommage  que  nous  lui  devons, 
nous,  ses  fils  reconnaissants.  Quel  lieu  sur  la  terre  pourrait  nous  être 
plus  cher  que  le  sol  qui  nous  a  vus  naître,  sur  lequel  nous  avons 
grandi,  auquel  se  rattachent  tous  les  souvenirs  de  noire  jeunesse!  Ce 
sol  nous  renseignera  sur  la  vie  de  nos  pères;  il  cache  leurs  ossements, 
et  en  étudiant  son  passé,  nous  apprendrons  à  connaître  nos  propres 
origines  ^.  " 

A  l'instigation  de  Geiler,  Thomas  Woîf  le  jeune  conçut  le  plan 
dune  histoire  de  Strasbourg  depuis  ses  premières  origines,  et  Wim- 
pheling composa  une  histoire  des  évèques  de  la  môme  ville;  Brant 
rassembla  des  matériaux  pour  l'histoire  contemporaine,  disposa  en 
notes  quotidiennes  les  annales  delà  ville,  et  s'acquit  le  grand  mérite 

'  noLLîNGrn,  Reformation,  {.  I,  p.  5î7-.^î8.  —  Sur  les  savants  amis  (\i  Ceilcr, 
voy.  Dacheux,  p.  •284-471.  —  Lindemaw,  p.  i2U-i;îi. 
-  De  nrle  imprcssoi in,  fol.  17. 


104  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

d'avoir  remis  de  l'ordre  dans  ses  archives  '.  Dans  un  écrit  que  V>'im- 
phelin(}"  publia  en  1501  intitulé  :  L'Allemagne,  hommage  à  Strasbourg 
et  au  Rhin,  dédié  au  conseil  de  la  ville,  il  considère  comme  le  devoir 
spécial  d'une  bonne  administration  municipale  •■  la  rédaction  exacte  > 
des  livres  de  chroniques,  dans  lesquels  doivent  être  consignés  pour  la 
postérité  -  tous  les  événements  importants  et  tous  les  souvenirs 
intéressants  la  ville  :;,  pour  l'utilité  et  le  bien  des  générations 
futures,  l'enseignement  et  l'encouragement  de  la  jeunesse,  la  pro- 
tection de  la  liberté  et  la  fidèle  conservation  des  privilèges  accordés 
à  la  ville  par  les  papes  et  les  empereurs.  Il  sollicite  du  conseil  avec 
chaleur,  au  nom  des  intérêts  les  plus  élevés  de  la  cité,  qu'un  collège 
y  soit  fondé  et  que  la  science  y  soit  encouragée  ^  Dans  son  amour 
pour  son  pays,  ^Vimpheling  s'efforce  d'établir  la  preuve  que  les  pays 
occidentaux  du  Rhin  ont  toujours  appartenus  à  l'Allemagne,  et  que 
par  conséquent  les  Français  ne  peuvent  élever  aucun  droit  à  la  pos- 
session de  l'Alsace. 

Son  patriotisme  s'exprime  aussi  avec  chaleur  dans  son  Abrégé  de 
l'histoire  d'Allemagne  jusqu'à  îios  jours,  composé  d'après  le  travail 
préparé  par  le  chanoine  de  Colmar,  Sébastien  Murrho  (1502). 
"  J'admire  toujours,  dit-il,  l'honnêteté  des  anciens  auteurs,  et  je  me 
détourne  de  ces  historiens  modernes  qui  me  semblent  toujours  des 
flatteurs.  Car  au  lieu  de  se  borner  à  ne  rien  raconter  de  faux,  à  ne 
rien  taire  de  vrai,  pour  ne  pas  être  soupçonné  de  préférences,  de  parti 
pris,  de  dispositions  partiales  et  hostiles,  ils  ont  coutume,  quand  ils 
parlent  des  Allemands,  d'énumérer  leurs  vices,  et  même  les  moindres; 
quant  à  leurs  vertus,  ou  ils  les  passent  sous  silence,  ou  s'ils  en  parlent, 
c'est  avec  un  visible  mauvais  vouloir,  et  en  leur  mesurant  un  éloge 
qui  leur  appartient  justement.  Pour  nous,  nous  sommes  fiers  d'appar- 
tenir à  la  race  des  Germains,  dont  les  actions  admirables  et  glorieuses 
vont  être  rapportées  dans  ce  livre.  =) 

Cet  ouvrage  est  la  première  histoire  générale  d'Allemagne  qu'un 
humaniste  ait  composée.  Au  point  de  vue  d'une  érudition  appro- 
fondie, elle  reste  certainement  bien  en  arrière  des  ouvrages  ana- 
logues d'un  Irenicus  ou  d'un  Bealus  Rhenauus;  mais  elle  donna 
néanmoins  un  vigoureux  élan  à  la  sérieuse  étude  du  passé  national. 
Dans  une  exposition  animée,  attrayante,  Wimpheling,  pour  fortifier 
chez  les  Allemands  le  sentiment  de  leur  propre  valeur  et  exciter  la 
jeunesse  au  désir  des  actions  généreuses,  célèbre  le  glorieux  passé  du 
peuple  allemand,  avec  lequel,  selon  lui,  aucune  autre  nation  de  la 

■  Voy.  Cliion.  der  deutschen  Städte,  t.  VIII,  p.  65-GS.  —  Wencker,  Apparalus  Archi- 
torum,  p.  15-10. 

-WiskowaTOFF,   p.    101-102;  HoraWITZ,  Xationale  Geschichtssclireibung ,  p.  71-72. 


WIM  PII  EL  IN  G    lIISTOniEN.  105 

terre  ne   peut  se  mesurer  sous  le  rapport  de   la  jjloire  miliiaire 
comme  sous  celui  des  mœurs  et  des  dons  intellectuels.  A  son  avis, 
rien  que  par  l'invention  de  l'imprimerie,  les  Allemands  ont  été  les 
|)lus  ijrands   bienfaiteurs   des  autres  peuples.  En  architecture,  en 
sculpture,  en  peinture,  ils  ont  donne  à  l'Europe  les  maîtres  les  plus 
parfaits.  11  traite  à  fond  les  événements  intellectuels  de  son  temps, 
donne  des  détails  biographiques  sur  les  savants  et  les  artistes  les 
plus  illustres  et  nous  fournit  ainsi  ap,réablement  la  preuve  que,  dès 
lors,  on  savait  unir  avec  intelligence  l'histoire  de  la  civilisation  à 
l'histoire  politique  et  littéraire.  Ce  qui  fait  dans  cet  ouvrage  une 
impression  touchante,  c'est  l'intime  union  des  convictions  religieuses 
avec  le  fidèle  amour  du  pays;  et,  qu'on  le  sache  bien,  ces  sentiments 
n'appartiennent  pas  exclusivement  à  Wimpheling-;  ils  étaient  com- 
muns à  toute  l'école  de  l'humanisme  chrétien  de  cette  époque.  Com- 
battre pour  l'unité  et  la  pureté  de  la  foi,  pour  l'honneur  et  l'intégrité 
de  l'empire,  paraissait  à  ces  nobles  lutteurs  le  plus  sacré  des  devoirs 
et  la  plus  haute  des  missions,  llétablir  la  souveraineté  du  christia- 
nisme sur  le  monde  par  l'autoriié  unie  du  Pape  et  de  l'Empereur,  tel 
était  le  but  suprême  de   leurs  efforts.  De  la  leurs  émouvantes  et 
continuelles  exhortations,  leur  douleur  de  voir  la  chrétienté  amoin- 
drie  par  les   empiétements   des   Turcs  qui   menaçaient  d'inonder 
toute  l'Europe;  leur  indignation  en  voyant  l'empire   m.enacé   de 
périr  à  cause  de  l'égoïste  ambition,   de  la  soif  de  domination  des 
princes.  .Maximilien,  enthousiasmé  pour  tout  ce  qui  était  noble  et 
grand,  n'était  en  rien  soutenu  par  eux,  et  demeurait  isolé  par  leur  faute; 
c'était  là  pour  eux  un  regret  constant.  -<  Tous  les  yeux,  dit  vrimpheling, 
sont  fixés  sur  Maximilien.  Depuis  Charlemagne,  aucun  empereur  n'a 
fait  naître  dans  toutes  les  classes  du  peuple  d'aussi  légitimes  espé- 
rances. Tous  attendent  de  lui  l'union  des  forces  de  l'Allemagne, 
tous  espèrent  qu'il  nous  dirigera  dans  une  campagne  glorieuse  contre 
les  Turcs.  »  '■  Combien  de  temps,  dit-il  encore  en  g'adressant  aux 
princes   allemands,  souffrirez-vous  que  la  religion  catholique  reste 
sans  défense,  et  que  Constantinoplesoit  occupée  contre  toute  justice? 
Peut-être  avez-vous  à  l'intérieur  de  justes  guerres  à  soutenir,  mais 
il  serait  plus  équitable  encore  de  combattre  pour  le  Christ.  Mettez 
un  terme  aux  divisions  intestines,  et  que  votre  vaillance  invaincue 
se  tourne  enfin   vers   les   Turcs     Délivrez  les  malheureux  prison- 
niers chrétiens  qui  languissent  dans  l'esclavage  des  infidèles;  délivrez 
Constantinople!  Vous  êtes  nobles,  vous  portez  des  insignes  guer- 
riers; des  chaînes  d'or  sont  suspendues  à  votre  cou,  et  de  précieuses 
bagues  brillent  à  vos  doigts;  vos  épées  et  vos  éperons  ctincellent 
d'or.  Vous  êtes  chrétiens,  et  voulez  être  tenus  et  considérés  i)0ur 
tels  :  montrez  donc  par  des  actes  votre  religion  et  votre  foi  !  Ne 


106  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

souffrez  pas  que  votre  gloire  soit  ternie  et  qu'on  puisse  vous  repro- 
cher votre  lâcheté,  votre  indifférence,  la  paresse,  l'ivrognerie,  le  luxe, 
la  danse,  le  spectacle,  la  volupté,  la. frivolité,  la  cupidité,  le  bien- 
être,  vos  chasses  fastueuses,  et  tous  vos  autres  vices!  Et  combien 
pour  les  princes  allemands  la  victoire  serait  aisée  s'ils  désiraient  vrai- 
ment l'obtenir!  Oue  le  peuple  qu'ils  gouvernent  est  admirable!  quelle 
gloire  guerrière  ne  possède-t-ii  pas  !  Quelle  comparaison  les  autres 
nations  peuvent-elles  soutenir  avec  lui'?  "  Geiler  faisait  entendre  le 
même  cri  d'appel  dans  ses  prédications,  et  Brant  le  répétait  dans 
son  grand  poëme  didactique  et  religieux  comme  dans  ses  petites 
poésies  latines,  adressées  aux  princes  et  aux  petits  États  indépen- 
dants. «  Les  royaumes  divisés  périssent,  écrivait-il,  la  discorde 
ouvre  à  l'ennemi  un  passage  facile.  L'attelage  désuni  renverse  la 
charrue  ^  ' 

L'étude  des  classiques  antiques  était  poussée  avec  autant  d'ardeur 
à  Strasbourg  que  les  recherches  historiques,  grâce  surtout  à  l'infa- 
tigable activité  de  Brant  ^  Geiler,  (jui  considérait  les  humanités 
comme  le  meilleur  moyen  d'aiguiser  l'esprit  et  d'apprendre  à  dis- 
cerner et  à  exposer  la  vérité  avec  justesse,  prenait  à  ces  études  un 
intérêt  plein  de  sympathie;  aussi  employa-t-il  son  crédit  auprès  de 
l'évêque  et  des  chanoines  *  pour  que  le  savant  pédagogue  Jérôme 
Gebweiler'  fût  appelé  à  Strasbourg"  en  qualité  de  recteur  de  l'école 
collégiale.  C'est  aussi  grâce  à  Geiler  que  Beatus  Rhenanus  de 
Schlestadt,  qui  devint  depuis  un  philologue  si  distingué  et  ouvrit 
une  voie  nouvelle  à  la  science  historique,  vint  se  fixer  à  Strasbourg'. 
Ce  même  Bhenanus  fut  témoin  plus  tard  des  regrets  universels  du 
peuple  aux  funérailles  du  vénérable  Prédicateur  de  la  cathédrale  (1510), 
et  retraça  sa  vie  et  ses  œuvres  dans  un  panégyrique  ému. 

Le  lecteur  qui  lira  sans  prévention  les  écrits  de  Geiler  demeurera 
frappé  de  son  amour  pour  la  vérité,  de  sa  hardiesse,  de  sa  liberté 
d'esprit,  de  la  justice  inaltérable,  de  la  droiture  et  de  la  loyauté  de 
ce  grand  caractère.  Sa  puissante  éloquence,  son  expression  vive, 
animée,  simple,  et  toujours  intelligible  à  tous,  est  presque  unique  en 
sou  genre.  Comme  ses  sermons  avaient  trait  à  la  vie  populaire,  aux 
mœurs  de  son  époque,  on  y  trouve  encore  aujourd'hui  de  précieux 
matériaux  pour  la  connaissance  du  temps  auquel  il  appartenait,  pour 

'  Voyez    pour  plus    de    détails  VEpiiomc    gcrmanicorum  rcruin  commenté  par 

IlOR.vwiTZ  [Xalionalc  Geschichtsschreibung). 
-  Voy.  GOEDECKE,  t.  XIII-XIX. 
•^  Schmidt,  p.  198-213. 
*  Schmidt,  p.  42-iÔ,  163. 

■'  D'après  un  renseignement  fourni  par  r.orres,  dans  le  Coder  de  Slrasbour;j. 
'"'  Voy.  Wii-DF.MW.N,  p.  404. 
"  Voy.  IIOKVWiTZ,  Benins  Rhenanus,  7Ü,  195,  puis  71,  643,  et  72,  360. 


GEILER    DE    KAI  SERS  im:  R  G.  107 

l'étude  des  mœurs  et  des  idées  religieuses  d'alors';  c'éfail,  dans  la 
meilleure  aceeption  du  mot,  l'homme  du  peuple,  le  défenseur  de  tous 
SCS  droits  légitimes,  le  père  des  opprimés  et  des  malheureux,  à 
quelque  classe  qu'ils  appartinssent.  II  combattait  énergiquemeni 
Texploilatiou  du  pauvre  par  le  riche,  l'inégale  distribution  des 
impôts,  la  passion  clTrénée  de  la  noblesse  pour  la  chasse,  et  s'em- 
ployait avec  zèle  à  organiser  la  charité  publique.  Il  réprouvait  avec 
vigueur  les  punitions  barbares,  sur! ont  la  torture,  et  témoi}',nait 
une  compassion  touchante  aux  condamnés  à  mort,  auxquels  juscfu'à 
celte  époque  on  avait  refusé  à  Strasbourg  les  sacrements  et  la  sépul- 
ture chrétienne.  Ce  qu'il  recevait  d'appointements  comme  prédica- 
teur était  la  part  des  pauvres.  Tous  les  jours  il  faisait  l'aumône  aux 
enfants  trouvés  et  aux  orphelins  abandonnés,  et  dès  qu'il  paraissait 
dans  la  rue,  une  foule  de  malheureux  l'entouraient  et  lui  demandaient 
assistance  ^ 

Prédicateur  de  la  cathédrale.  Geiler  exerça  pendant  trente  ans  une 
influence  immense  sur  son  auditoire;  les  grands  et  les  petits  s'y  trou- 
vaient confondus.  11  avait  l'art  de  faire  vibrer  les  sentiments  les  plus 
intimes  du  canir  humain.  Il  ranimait  la  foi,  inspirait  la  piété.  A  une 
époque  où  la  religion  étendait  encore  ses  profondes  racines  dans 
la  vie  sociale  et  dans  la  vie  politique,  un  homme  aussi  éclairé  de 
l'esprit  de  Dieu,  d'un  caractère  aussi  ferme,  était  une  véritable  puis- 
sance publique;  aussi  Geiler  JGua-t-il  un  rôle  important  dans  le  mou- 
vement politique  et  social  de  son  temps.  S'il  flagellait  sévèrement 
les  vices  croissants  des  classes  populaires,  surtout  le  luxe,  la  passion 
du  bien-être;  s'il  s'élevait  contre  l'insubordination  envers  les  auto- 
rités constituées  par  Dieu,  il  tenait  avec  le  même  courage  un  langage 
hardi,  grave,  plein  de  force,  aux  classes  élevées  et  leur  rappelait 
sévèrement  leurs  devoirs.  -  0  toi,  dépositaire  in-^ensé  de  la  puis- 
sance ',  s'écriait-il  un  jour  en  s'adressant  aux  potentats  qui  oppri- 
maient et  méprisaient  leurs  subordonnés,  ■  d'où  vient  ton  dédain 
pour  celui  qui  t'est  soumis"?  ne  vaut-il  pas  autant  que  toi?  N"es-tu 
pas  pétri  de  la  même  argile  que  lui"?  .\-t-il  été  baptisé  avec  de  l'eau 
et  toi  avec  du  malvoisie?  O  insensé  que  tu  es!  Penses-tu  que  l'épée 
ait  été  mise  en  ta  main  afin  de  perdre  ceux  qui  t'ont  été  confiés  ou 
bien  pour  les  protéger  et  les  défendre?  ' 

Geilerétait,  comme  le  dit  Brant  dans  le  panégyrique  qu'il  tracedelui. 

L'homme  qui  ensemençait  la  justice; 
L'ennemi  particulier  de  la  malice  huuiaine  : 

'  Voy.  Wackeknacel,  Gcschklitc  der  deutschen  Literatur,  p.  341.  —  Sur  les  écrits  de 
Geiler,  voy.  Kerker.  49,  748-757.  —  Dacheux,  Jean  Geiler,  p.  557-583. 
-  Voy.  Dacheux,  p.  45-97.  —  Kerker,  48,  p.  644-647,  727. 


108  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

Le  censeur  qui  excellait  à  déraciner  les  vices  et  les  actions  mauvaises; 

Le  miroir  et  le  justicier  des  péchés; 

La  consolation  et  le  refuge  de  tous  les  pauvres; 

Un  père  compatissant  et  affable; 

Doux  dans  sa  conduite,  bienveillant  et  bon, 

Calme,  droit,  vaillant  et  humble. 

Il  ne  faisait  pas  acception  de  personnes; 

Son  blâme  et  sa  leçon  atteignaient  chacun. 

C'est  avec  le  même  poids  et  la  même  mesure 

Qu'il  pesait  les  actions  des  petits  et  des  grands.  » 

Gabriel  Biel,  jîrofesseur  à  TUniversité  de  Tübingen,  était  le  di(}ue 
ami  et  le  contemporain  de  Geiler. 


VIII 


Créée  pkis  tard  que  les  Universités  de  Fribourg  et  de  Bâle,  T Uni- 
versité de  Tübingen  devint  au  bout  de  peu  de  temps  le  troisit'me 
centre  intellectuel  de  rAîlemagne  du  Sud.  Inaugurée  en  1477,  elle 
se  développa  si  rapidement  que  le  Florentin  Marsilius  Ficinus  écri- 
vait dès  1490  à  Reucblin  (conseiller  du  comte  Eberhard  de  Wur- 
temberg dans  toutes  les  choses  qui  regardaient  la  fondation  de 
rUniversité)  :  "  Les  étudiants  qui  sont  envoyés  de  Tübingen  aux 
académies  italiennes  eu  savent  autant  que  ceux  qui  ont  achevé  leurs 
études  dans  ces  académies.  "  Le  maître  d'Eberhard,  Jean  Bergen- 
hanns, surnommé  Nauclerus,  éditeur  d'une  vaste  encyclopédie  d'his- 
toire universelle  ',  partage  avec  Reuchlin  l'honneur  de  la  fondation 
de  cette  Université.  Elle  doit  sa  première  péiMode  d'éclat,  avant  la 
séparation  de  l'Eglise,  aux  théologiens  scolastiques  Paul  Scriptoris, 
Conrad  Summenhart  et  Gabriel  Biel.  Paul  Scriptoris,  gardien  des 
Frères  mineurs  de  Tiibingen,  y  fit  progresser,  de  concert  avec  Sum- 
menhart, l'étude  des  langues  grecque  et  hébraïque;  il  professa  aussi 
les  mathématicjues,  mais  seulement  dans  un  cercle  d'amis.  En  1497, 
il  fit  un  cours  sur  Euclide  et  la  géographie  de  Ptolémée;  presque 
tous  les  professeurs  de  l'Université  faisait  partie  de  l'auditoire.  Sou 
élève  Jean  Stoffler,  curé  de  Justingen,  fabriquait  dans  l'atelier  qu'il 
avait  créé  lui-même,  des  globes  célestes,  ainsi  que  de  grandes  hor- 
loges de  clochers  et  de  tours,  et  s'acquit  une  réputation  fort  étendue 
comme  professeur  de  mathématiques  et  d'astronomie.  Il  prit  une 
part  active  à  l'amélioration  du  calendrier  et  fut  l'un  des  premiers 
savants  qui  écrivirent  sur  la  manière  de  tracer  les  cartes  -.  Sum- 

'  Voy.  .lovcuiM,  8-70.  —  Trois  bourgeois  de  Tuliingue  firent  imprimer  à  leurs 
frais  ce  volumineux  ouvrage,  p.  19. 
-  Pour  plus  de  détails,  voy.  Moll,  p.  18-i9. 


UMVl'RSlTi:    DE    TÜBINGEN.  109 

mculiarl  (f  (502),  innovateur  plein  de  zèle,  donnait  pour  base  à  Tin- 
(crpiM'Ialion  de  la  sainte  Ecriture  l'étude  des  lanj",ues  orijyinales. 
>Son  traité  sur  les  "  Contrats  "  et  son  livre  sur  la  ^  IJime  ••  conlri- 
buèreut  puissamment  aux  progrès  de  l'économie  sociale".  Quant  à 
(Gabriel  Biel  (r  en  1-195),  c'était  à  l'Université  de  Tübingen  l'un  des 
savants  les  plus  influents,  il  appartenait  à  l'école  des  nominaux  et 
fut  du  petit  nombre  de  ceux  qui  produisirent  un  système  de  théo- 
logie dont  l'orthodoxie  ne  l'ut  jamais  attaqué  par  aucun  théologien 
calliüli(pie-.  Les  adversaires  la  plus  déclarés  de  lascolastique  louaient 
la  simplicité  d'expression,  la  clarté  et  la  concision  de  son  style  ^ 
(Uî  l'avait  surnommé  '-  le  roi  des  théologiens  ".  Les  ouvrages 
(le  Sumnicnhart,  Biel,  Jean  Trithème,  Heynlin  von  Stein,  Georges 
lUich  et  d'autres  encore  prouvent  bien  que  les  hommes  les  plus 
distingués  de  l'école  scoiasiique  de  la  fin  du  quinzième  siècle 
étaient  loin  des  vaines  spéculations,  des  futiles  jeux  d'esprit  de  leurs 
prédécesseurs,  et  savaient  se  préoccuper  des  questions  et  des  néces- 
sités de  la  vie  pratique.  Les  idées  de  Biel  sur  le  prix  des  denrées, 
si;r  le  salaire  des  travailleurs,  les  questions  monétaires,  etc.,  sont 
encore  aujourd'hui  dignes  d'attention  et  d'intérêt.  Sou  travail  sur 
les  monnaies  est  un  véritable  livre  d'or  \  Voici  comment  il  s'y 
exprime  sur  l'altération  des  monnaies  par  les  princes,  altération 
qui  n'était  que  trop  fréquente  :  "  Le  prince  a  bien,  il  est  vrai,  le  droit 
de  battre  monnaie,  dit-il  ;  mais  une  fois  qu'elle  est  mise  en  circulation, 
elle  ne  lui  appartient  plus,  elle  est  à  ceux  qui  l'ont  reçue  en  échange 
de  pain  ou  d'un  travail  quelconque.  Lorsque  le  prince  décrie  une 
nionuaie,  la  reprend  à  bas  prix  et  eu  émet  au  même  taux  une  autre 
de  moindre  valeur,  il  fait  uu  acte  déloyal,  c'est  une  iniquité  qui 
appelle  la  réforme;  il  se  livre  à  une  exploitation  du  peuple  injuste 
et  tyranuique,  tout  aussi  répréhensible  que  s'il  achetait  du  blé  à 
un  prix  fixé  par  lui  pour  le  revendre  ensuite  plus  cher.  »  Biel  con- 
damne avec  la  même  fermeté  les  vexations  que  les  grands  font  subir 
à  leurs  subordonnés  dans  les  lois  qui  se  rapportent  aux  eaux,  bois 
et  pâturages.  Il  blâme  sévèrement  les  seigneurs  de  tous  les  dégâts 
occasionnés  par  leurs  chasses,  et  se  plaint  surtout  de  ce  qu'ils 
imposent  aux  paysans  l'obligation  de  conserver  le  gibier,  qui  porte 

'  MoLL.  Voyez  dans  Linse>mann  l'excellente  biographie  de  Slmmexhart,  2-68, 
sur  la  manière  dont  Summenliart  reconnaissait  et  combattait  les  abus  ecclésias- 
tiques. —  Voy.  dans  le  même  ouvrage,  p.  69-76. 

-  LiNSEMïANN,  Gabriel  Biel.  p.  ^21. 

3  Voy.  Erhard,  t.  I,  p.  192-194. 

*  Voy.  ce  que  dit  Roscher  sur  Biel,  dans  le  rapport  fait  à  la  Société  royale 
saxonne  de  science  et  de  philologie,  t.  XIII,  p.  164-174.—  Contzen,  Geschichte  der 
volkswirtscha/tl,  LiUratur  des  Mittelalters,  p.  1G1-1G6.  —  Voy.  aussi  Falk,  Die  volhs- 
winhschafll  der  Reformationszeit,  dans  les  Zeitschrift  fur  Deutsche  Anschauung e7i  luUur- 
geschichle,  1874,  p.  167-206. 


110  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

un  si  grand  préjudice  à  leurs  champs.  Dans  un  temps  où  l'absolu- 
tisme des  princes  allait  toujours  croissant,  Biel  leur  répète  très  à 
propos  =  que  les  princes  sont  faits  pour  le  peuple,  et  que  pressurer 
le  peuple  par  des  impôts  est  un  crime  abominable,  devant  Dieu  et 
devant  les  hommes  ". 


1\ 


La  quatrième  Université  de  fondation  nouvelle  de  TAllemagne 
du  Sud,  Ingolstadt,  fut,  dès  les  premières  années  de  son  existence, 
considérée  comme  l'un  des  établissements  d'enseignement  les  plus 
remarquables  de  l'époque.  De  nombreux  étudiants  y  affluaient,  venus 
d'Italie,  de  France,  d'Espagne,  d'Angleterre,  de  Hongrie  et  de 
Pologne.  Parmi  les  humanistes  les  plus  distingués  dont  elle  était 
rîère,  Jacques  Locher,  surnommé  Philomusus,  se  rendit  particulière- 
ment célèbre  par  ses  traductions.  On  lui  doit  plusieurs  livres  d'en- 
seignement, et  ses  éditions  d'auteurs  classiques  accompagnées  de 
commentaires,  rendirent  de  grands  services  à  la  philologie  K  Jean 
Turmaier,  surnommé  VAventin,  contribua  aux  progrès  des  études 
classiques  dans  leurs  différentes  branches,  et  fonda  à  Ingolstadt  une 
Académie  de  littérateurs;  ses  ouvrages  historiques  lui  valurent  plus 
tard  le  surnom  de  Père  de  l'histoire  nationale.  Jean  Bichenstein, 
d'Erlangen,  fut  aussi  une  illustration  de  cette  université,  et  de  con- 
cert avec  son  maître  Reuchlin  remit  en  honneur  la  langue  et  la  litté- 
rature hébraïques  ^ 

Mais  le  savant  qui  exerça  l'action  la  plus  étendue  à  Ingolstadt, 
c'est  le  professeur  de  théologie  Jean  Eck.  Il  était  doué  de  facultés 
véritablement  extraordinaires;  son  esprit  était  d'une  vigueur  et 
d'une  souplesse  exceptionnelles.  A  peine  âge  de  quinze  ans,  il  don- 
nait souvent  à  Fribourg  six  heures  de  cours  ou  de  répétitions  de 
philosophie  par  jour,  ce  qui  ne  l'empêchait  pas  de  suivre  les  cours 
des  plus  célèbres  théologiens  et  juristes.  Dès  sa  première  jeunesse  il 
entretenait  avec  ses  plus  célèbres  coutemporains,  Braut,  Geiler  von 
Kaisersberg,  Peutinger,  Ueichlin,  Wiinpheling,  Zasius  et  d'autres, 
des  relations  d'amitié  et  de  science,  et  devint  bientôt  lui-même  un 
profond  théologien,  un  philosophe  éminent  \  A  vingt-quatre  ans, 
il  était   professeur  de  théologie  à  Ingolstadt,  et  deux   ans  après, 

'  Voy.  IlEHLE,  t.  XVIII,  p.  34-39.  —  Prantl,  t.  I,  p.  133. 

-  Geiger,  Sttidiiim  der  Itebraischens-praclic,  p.  48-55.  —  Pr.vntl,  t.  I,  p.   136-137. 

*   WlEDEMANX,  8-31. 


VIE    INTELLECTUELLE    A    NUHEMBEUG.    JEAN    MULLEU.       111 

excnail  los  (oiiclions  do  reciciir  de  l'Université.  Désireux  de  réfor- 
iiior  les  éhidcs  pliilosopliifiiics,  il  |)nblia  deux  volumes  in-lülio  de 
coinmeiUaires  sur  la  diaicclicjue  cl  la  pliysicjuc  d'Aristotc'.  Profes- 
seur, éerivain  controversistc,  il  s'acquit  une  {grande  répufalion  dans 
loule  l'Allemaî^ne.  L'empereur  Maximilien  lui  demandait  avis  dans 
les  qiieslions  religieuses.  Dans  une  visite  qu'il  fit  à  Xureinber}],  il 
fut  reçu  par  le  conseil  de  la  ville  et  par  les  savants  du  lieu  avec  les 
plus  {grandes  marques  de  respect  et  d'honneur  ^ 

Eclv  élait  un  homme  de  l'ancien  temps,  une  nature  conservatrice, 
mais  en  même  temps  un  fidèle  adhérent,  un  champion  zélé  des 
nouveaux  efforts  de  la  science,  l'ami  de  toute  vraie  réforme,  un 
de  ces  sages  esprits  qui,  tout  en  aimant  le  passé,  savent  mettre  à 
l'écart  les  choses  surannées.  Voici  les  paroles  qu'il  prononça  dans 
un  discours  qu'il  fit  à  Ingolstadt  (1511)  :  "  .le  m'applaudis  d'appar- 
tenir à  un  siècle  qui  a  su  rompre  avec  la  barbarie,  où  la  jeunesse  est 
excellemment  instruite,  où  les  orateurs  les  plus  éminenls  se  servent 
avec  aisance  des  langues  grecque  et  latine.  Nous  possédons  parmi 
nous  de  nombreux  savants  qui  ont  réussi  à  remettre  les  belles-lettres 
en  honneur,  et  qui,  débarrassant  les  anciens  auteurs  de  ce  qu'ils  con- 
tenaient de  superflu  et  d'inutile,  ont  eu  l'art  de  rendre  tout  ce  qu'ils 
louchent  plus  brillant,  plus  pur,  plus  gracieux;  d'excellents  écrivains 
classiques  ont  été  remis  en  lumière;  d'autres,  grecs  et  hébreux,  sont 
mis  au  jour  pour  la  première  lois...  Oui,  en  vérité,  nous  devons  nous 
estimer  heureux  de  vivre  dans  un  pareil  siècle  M  " 


X 


Parmi  les  centres  intellectuels  des  villes  de  l'Allemagne  du  Sud  qui 
ne  possédaient  point  d'Université,  la  ville  libre  de  Nuremberg  était, 
à  la  fin  du  moyen  âge,  la  première  en  importance.  On  l'appelait  ^  le 
plus  précieux  joyau  de  l'empire,  le  centre  où  les  peuples  se  rap- 
prochent ,  le  point  de  jonction  des  arts  et  de  l'industrie  ».  Un  com- 
merce florissant  y  avait  établi  le  bien-être  et  la  prospérité;  le  goût, 
l'amour  des  arts  et  des  sciences  s'y  était  développé  parmi  les  riches 
marchands;  les  maîtres  des  corporations  bourgeoises  rivalisaient  de 
zèle  et  d'habileté  avec  les  plus  grands  artistes;  l'art  nouveau  de  la 
typographie  y  était  cultivé  plus  qu'en  aucun  autre  lieu. 

Toutes  les  muses  entrèrent  par  la  porte  de  Nuremberg  »,  lors- 

'  Mecsf.r,  3^  p.  102.  —  WiEDEMANN-,  p.  33-34.  —  Prantl,  t.  I,  p.  115-129. 

-  WlEDEMAW,   p.    35. 

*  IIagen,  Liierarische  Verhaltnisse,  t.  I,  p.  215. 


112  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE, 

qu'en  juin  1471,  peu  de  semaines  après  la  naissance  cV Albert  Durer, 
le  réformateur  de  l'astronomie  et  des  mathématiques,  la  -  merveille 
de  son  siècle  ",  Jean  Muller  (surnommé  Régiomontan,  par  allusion  à 
son  lieu  de  naissance,  Königsberg,  village  de  la  basse  Franconie),  vint 
s'y  fixer.  11  fit  de  cette  ville  le  vrai  foyer  des  sciences  mathématiques 
et  physiques,  et  contribua  aussi  puissamment  à  lui  mériter  le  surnom 
de  «  capitale  de  l'art  allemand  " . 

A  peine  âgé  de  douze  ans,  Régiomontan  entra  à  l'Université  de 
Leipzig  pour  y  étudier  la  philosophie  et  les  mathématiques;  deux 
ans  plus  tard,  il  se  rendit  à  Vienne  et  se  mit  sous  la  direction  du 
célèbre  Georges  de  Peuerbach,  le  plus  illustre  des  professeurs  et 
savants  astronomes  de  ce  temps.  Régiomontan  n'avait  que  seize  ans 
lorsqu'il  obtint  le  grade  de  maître  es  arts.  Il  ouvrit  alors  à  Vienne 
(1458)  des  conférences  sur  l'astronomie  et  les  mathématiques,  et 
plus  tard  y  professa  aussi  la  philologie  (1461).  En  collaboration  avec 
Peuerbach,  il  travailla,  encouragé  et  soutenu  par  le  cardinal  Bessa- 
rion  et  l'évêque  Jean  de  Grossv.ardeiu,  à  plusieurs  ouvrages  impor- 
tants qui  ouvrirent  des  voies  nouvelles  à  la  science.  Peuerbach  et 
Régiomontan  ont  établi  la  science  de  l'astronomie  sur  ses  véritables 
fondements  :  l'observation  directe  des  phénomènes,  et  le  calcul  '. 

Si  les  Allemands  ne  dominaient  point  les  mers  et  étaient  par  con- 
séquent incapables  de  donner  à  la  science  un  très-large  développe- 
ment, on  peut  du  moins  leur  attribuer  le  mérite  d'avoir  fondé  dès 
le  quinzième  siècle,  par  Régiomontan  et  Peuerbach,  la  géographie 
mathématique  moderne.  L'époque  où  vécurent  ces  grands  hommes  peut 
vraiment  s'appeler  le  siècle  de  la  géographie.  Encouragés  et  dirigés 
par  le  cardinal  Nicolas  de  Cusa,  ils  furent  en  Europe  les  initiateurs 
de  l'observation  directe  des  phénomènes  naturels,  augmentèrent  par 
leur  travail  attentif  et  minutieux  le  trésor  de  connaissances  acquises 
par  les  Grecs  et  les  Arabes,  et  furent  pour  beaucoup  dans  ce  déve- 
loppement hardi  et  grandiose  de  la  pensée  dont  le  système  de 
Copernic  fut  comme  le  couronnements  L'ouvrage  de  Peuerbach  sur 
les  planètes,  que  Régiomontan  fit  publier,  exerça  surtout  une  grande 
action  sur  Copernic.  Peuerbach  y  expose  son  nouveau  système  pla- 
nétaire, y  traite  des  sphères,  des  mouvements  des  planètes,  explique 
les  problèmes  les  plus  difficiles  avec  un  savoir  et  une  clarté  remar- 
quables. L'ouvrage  fut,  pendant  plus  d'un  demi-siècle,  la  source 
principale  des  études  astronomiques,  et  resta  longtemps,  dans  les 
écoles  de  toute  l'Europe,  comme  le  manuel  de  tout  l'enseignement 

'  Voy.  AsHBACH,  Ciüvcrsität  Wien,  t.  I,  p.  479-493,  544.  —  Fiedler,  t.  I.  p.  7. 
2  Paroles  d'Alex,  de   Humboldt  dans  le  Cosmos,  t.  II,  p.  345,  t.  III,  p.  74.  et 
VHisl.  de  la  Géogr.,  de  Peschel,  p.  343. 


LES    ASTRONOMES    PEUERßACll    ET    JEAN    MÜLLER-  113 

madiémalique.  Peuerbach  composa  un  second  ouvrage  sur  les  éclipses 
de  soleil  et  de  lune,  qui  fit  <''(>alcmcut  époque,  et  que  Ilégiomontan 
se  charjyea  aussi  de  l'aire  parai! re. 

Peuerbach  mourut  â  j)eine  àjjé  de  Ireulc-buit  ans  (1401).  Pié{)io- 
monfan  se  rendit  peu  après  en  Italie  sur  l'invilation  du  cardinal 
Bessarion.  il  y  acquit,  pendant  un  séjour  de  plusieurs  années,  une 
connaissance  approlondie  du  grec,  entra  en  rapport  avec  les  ora- 
teurs, historiens,  philosophes  et  poètes  grecs  qui  y  séjournaient, 
et  composa  même  dans  leur  langue  des  vers  pleins  de  goût*.  Il 
ras-embla  beaucoup  de  manuscrits  grecs  et  latins,  puis  porta 
toute  son  ardeur  vers  les  éludes  Ihéologiques  et  bibliques.  Il  avait 
fait  de  sa  propre  main  une  copie  correcte  et  soignée  d'un  Nouveau 
Testament  grec  qu'il  n'avait  pu  acquérir,  et  que  depuis  il  porta  tou- 
jours sur  lui.  Il  professa  l'astronomie  dans  plusieurs  Universités  ita- 
liennes, commenta  l'astronome  arabe  Alfragan,  fit  à  Viterbe  et  ail- 
leurs d'importantes  observations  astronomiques,  et  termina  en  1463, 
dans  le  cloitre  de  Saint-Georges  de  Venise,  un  grand  ouvrage  de 
littérature  mathématique  qui  a  servi  de  base  â  la  trigonométrie 
moderne.  Chrétien  convaincu  et  savant  illustre,  il  combattit  avec 
énergie  les  erreurs  extravagantes  de  l'astrologie. 

Régiomontan  revint  en  1408  à  Vienne,  riche  des  nombreux 
manuscrits  et  autres  trésors  littéraires  qu'il  avait  rassemblés,  et  en 
possession  de  presque  toute  la  littérature  mathématique  de  l'anti- 
quité '.  Aussitôt  après  son  retour,  il  s'occupa  d'organiser  à  Bude 
pour  le  roi  de  Hongrie,  Mathias  Corviu,  amateur  et  protecteur  des 
lettres,  une  bibliothèque  composée  des  manuscrits  qu'il  avait  achetés 
en  Grèce  pour  ce  prince.  Il  retourna  ensuite  en  Franconie,  dans  sa 
patrie  de  Nuremberg,  pour  s'y  livrer,  dans  un  travail  incessant  et 
paisible,  à  ses  recherches  scientifiques.  «  J'ai  choisi  Nuremberg  pour 
ma  résidence  perpétuelle  ",  écrivait-il  au  célèbre  mathématicien  Chris- 
tian Hoder,  d'Erfurt;  "  j'y  trouve  aisément  les  instruments  particuliers 
qui  sont  indir^pensables  a  l'astronomie,  et  il  m'y  est  plus  facile  qu'ail- 
leurs d'y  nouer  des  relations  avec  les  savants  de  tous  les  pays,  car 
Nuremberg,  à  cause  des  perpétuels  voyages  de  ses  marchands,  peut 
être  considéré  comme  le  centre  de  l'Europe.  " 

Ce  que  l'esprit  universel  et  incessamment  actif  de  Régiomontan 
parvint  à  créer  à  Nuremberg  en  l'espace  de  quatre  ans  seulement, 
appartient,  dans  l'histoire  du  développement  de  l'esprit  humain,  aux 
phénomènes  les  plus  extraordinaires.  Le  désir  de  tout  savoir,  de 
tout  connaître,  particulier  aux  esprits  de  sou  siècle,  semblait  s'être 
incarné  en  lui;  mais  il  était  en  même  temps  possédé  du  désir  de 

'  Gassendi,  p.  353-354. 

-  VOy.  FlEDLtR,  p.    7. 


114  L'INSTRUCTION"    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

répandre  autant  que  possible  l'instruction  et  les  connaissances  scien- 
tifiques. Il  se  mit  donc  à  l'œuvre,  et  parvint  à  enthousiasmer  pour 
les  choses  intellectuelles  et  les  intérêts  élevés  une  ville  populeuse  et 
marchande,  si  bien  qu'il  trouva  aide  et  sympathie  dans  lOutes  les 
classes  de  la  société  pour  les  diverses  inventions  de  sou  zèle. 

Afin  d'intéresser  les  bourgeois  désireux  de  s'instruire  à  ses  études 
et  à  ses  découvertes,  il  fit  des  cours  populaires  sur  les  mathématiques 
et  l'astronomie,  première  tentative  de  ce  genre  faite  en  Allemagne. 
L'horloge  de  la  ville  fut  réglée  d'après  un  travail  entrepris  par  lui 
pour  mesurer  la  longueur  des  jours.  Il  connaissait  à  fond  la  méca- 
nique et  la  physique,  composa  des  traités  sur  les  miroirs  ardents, 
les  canaux,  les  poids  et  mesures.  Il  organisa  un  grand  atelier,  où,  sous 
sa  direction,  toutes  sortes  d'instruments  d'astronomie,  machines, 
rouages,  boussoles,  globes  terrestres  et  cartes  étaient  exécutés.  Ces 
instruments  eurent  plus  tard  une  très-grande  importance  pour  l'astro- 
nomie nautique;  en  peu  de  temps,  Nuremberg  fut  en  état  de  fournir 
les  meilleures  boussoles  à  tous  les  navigateurs  européens,  et  ses 
excellentes  cartes  étaient  très-recherchées  par  les  géographes.  Pour 
encourager  encore  davantage  les  sciences,  principalement  les  mathé- 
matiques, Piégiomoutan  fonda  des  prix  attachés  à  la  solution  de 
divers  problèmes  K 

Son  élève  et  ami,  Bernard  Walther,  facteur  des  marchands  Vöhlin 
et  Weiser,  lui  fournit  les  fonds  nécessaires  à  l'établissement  d'une 
imprimerie  uniquement  destinée  à  l'impression  des  ouvrages  d'astro- 
nomie et  de  mathématiques,  et  Régiomontan  inventa  à  cet  effet  un 
appareil  qui  lui  donne  rang  parmi  les  inventeurs  de  l'imprimerie. 
Outre  les  ouvrages  scientifiques  d'une  haute  valeur^  qui  sortirent 
les  premiers  de  ces  presses,  il  y  fit  imprimer  un  calendrier  popu- 
laire, le  premier  de  ce  genre  paru  en  Allemagne,  et  qui  depuis 
a  servi  de  type  et  de  modèle  à  tous  les  autres.  Il  projetait  de 
publier  la  collection  des  ouvrages  des  plus  célèbres  mathématiciens, 
astronomes  et  astrologues  de  l'antiquité  et  du  moyen  âge,  et  se 
proposait  de  les  enrichir  de  commentaires  et  de  notes;  déjà  il  avait 
fait  la  liste  des  auteurs  qui  devaient  y  figurer^  et  avait  écrit  aux 
savants  compétents  d'Allemagne  et  de  l'étranger  pour  leur  demander 
leur  concours,  lorsque  la  mort  vint  arrêter  l'exécution  de  son  dessein  '. 

La  générosité  princière  de  Bernard  ^^'alther  lui  avait  aussi  permis 
de  faire  construire  à  Nuremberg  le  premier  observatoire  complet 
qu'ait  encore  connu  l'Europe.  Il  y  plaça  les  instruments  inventés  et 

'  AsHBACH,  f'nivtrsilé  de  Vienne,  t.  I,  p.  533. 
-  Voyez-en  la  liste  dans  Ziegler,  p.  25-37. 
2  Voy.  Gassendi,  p.  362-363. 
*  Voy.AsHBACH,  t.  î,  p.  551-552. 


Li:  s    ASTRONOMES    PEUERBACII    ET   .JEAN    MÜLLER.  115 

perfectionnés  par  lui  pour  l'observation  des  astres.  Le  premier  do 
tous  les  astronomes  occidentaux,  il  déte-.nina  la  hauteur,  la  (',ran- 
dcnr  des  comètes,  la  durée  de  leurs  évolutions,  et  fit  entrer  ■:  dans 
le  domaine  de  la  science  positive  et  de  l'observation  ces  corps  restés 
jn'(pic-là  à  l'état  d'énigme  ".  Il  perfectionna  l'astrolabe,  découvrit 
rinstrument  nommé  bâlon  de  .lacob,  et  établit  le  premier  sur  une 
base  savante  les  annales  d'astronomie  appelées  Ephémérides.  Il  rat- 
tacha l'astronomie  allemande  à  la  nautique  espagnole,  et  ses  travaux, 
ses  inventions,  contribuèrent  puissamment  à  cette  découverte  d'un 
monde  nouveau  qui  fut  le  plus  glorieux  événement  de  son  siècle. 
La  part  qu'il  y  prit  n'est  pas  seulement  intellectuelle;  en  effet,  sans 
l'astrolabe  perfectionné  et  le  bûlon  de  Jacob,  grâce  auxquels  les 
distances  purent  être  mesurées  d'après  la  hauteur  du  soleil,  il  n'eût 
pas  été  possible  aux  grands  navigateurs  de  l'époque,  Colomb,  Vasco 
de  Gama,  Cabot,  Magellan,  de  s'aventurer  sur  l'Océan  au  delà  de  leurs 
prédécesseurs  et  de  faire  leurs  admirables  découvertes.  Les  Ephémé- 
rides de  Régiomontan,  calculées  pour  trente-deux  ans,  accompa- 
gnèrent Colomb  et  Vespuce  dans  le  nouveau  monde,  et  c'est  d'elles  que 
Colomb  se  servit  pour  prédire  aux  Indiens  une  éclipse  de  lune.  Le 
livre  des  Ephémérides,  dès  son  apparition  (1475),  excita  un  tel  enthou- 
siasme qu'on  l'achetait  pour  ainsi  dire  au  poids  de  l'or.  Les  Vénitiens 
en  firent  le  commerce  jusqu'en  Grèce,  et  dans  toutes  les  bibliothèques 
on  s'estimait  heureux  d'en  posséder  le  moindre  fragment'. 

Parmi  ceux  qui  se  faisaient  gloire  d'être  les  disciples  de  Régiomon- 
tan, le  INurembergeois  Martin  Behaim  brille  au  premier  rang.  Cos- 
mographe et  navigateur,  il  prit  personnellement  part  aux  voyages 
de  découvertes,  et  dès  1492  indiquait  sur  son  globe  terrestre  la 
route  précise  que  suivit  six  ans  après  Vasco  de  Gama,  doublant  le 
cap  de  Bonne-Espérance  pour  arriver  aux  Indes  orientales.  C'est 
Behaim  aussi  qui  fit  naître  dans  la  pensée  de  Magellan  l'idée  pre- 
mière du  détroit  qui  porte  son  nom.  'Som  savons  d'après  des  docu- 
ments indiscutables,  et  Magellan  a  lui-même  affirmé  à  plusieurs 
reprises,  que  ce  fut  en  étudiant  une  carte  de  Behaim  qu'il  le  pres- 
sentit pour  la  première  fois;  dès  lors  la  pensée  de  s'en  servir  pour 
parvenir  aux  îles  Moluques  s'éveilla  dans  son  esprit*. 

La  réputation  de  Régiomontan  était  déjà  européenne,  lorsque  le 
pape  Sixte  IV  le  nomma  évéque  de  Ratisbonne,  et  par  un  rescrit  de  sa 
propre  main  l'appela  à  Rome  pour  la  réforme  du  calendrier  Julien. 
Obéissant  à  cette  invitation,  Régiomontan  quitta  Nuremberg  pour  se 
rendre  à  Rome,  où  il  fut  reçu  avec  les  plus  grands  honneurs  (147.J); 

'  Voy.  Charles  Ritteh,  Hisl.  de  la  Giogr.,  p.  254-255.  —  Peschel,  Hist.  de  la  Géogr... 
p.  360.  —  ZiEGLER,  p.  79-80,  92-98.  —  Ghillanv,  p.  37-40.—  De  Reumo.\t,  Mn- 
iheilungen,  dans  le  Anzeiger  fur  Kunde  der  deutschen  Vorzeit,  1879.  p.  103-104. 

*  GiiiLLANY,  p.  51,  55.  68,  72.  —  Asubach,  p.  556. —  Gassendi,  p.  368. 


116  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

mais  il  y  trouva  Tannée  suivante,  comme  il  terminait  sa  trente  et  unième 
année,  une  mort  prématurée.  Telle  était  l'importance  qu'avait  aux 
yeux  de  tous  la  vie  de  ce  grand  homme,  qu'on  voulut  voir  une  coïn- 
cidence mystérieuse  entre  sa  mort  et  l'apparition  d'une  comète'. 

«  Rome  cache  dans  ses  murs  > ,  écrivait  Wimpheling  à  un  cardinal 
romain  (1507),  "  la  dépouille  mortelle  d'un  Allemand  que  la  patrie 
pleure  encore  aujourd'hui  comme  l'un  de  ses  plus  glorieux  enfants. 
Par  son  génie,  Régiomontan  appartient  au  monde  entier,  et  les 
peuples  étrangers  envieront  à  l'Allemagne  la  gloire  de  lui  avoir 
donné  naissance.  C'était  une  noble  nature;  sa  vie  sans  tache  lui 
assure  la  couronne  de  la  vie  éternelle  ^  » 

A  iNuremberg,  où  Régiomontan  était  vénéré  comme  un  père  et  un 
bieniaiteur,  la  nouvelle  de  sa  mort  plongea  toute  la  population  dans 
une  affliction  profonde. 

Sous  ^on  influence,  la  vie  intellectuelle  s'était  épanouie;  les  arts 
avaient  pris  un  essor  puissant;  la  ville,  sous  le  rapport  des  sciences, 
était  devenue  une  étoile  de  première  grandeur. 

Un  attrait  irrésistible  poussait  alors  les  intelligences  vers  la  rigueur 
et  la  précision  des  sciences  exactes.  Un  goiit  extraordinaire  pour  le 
calcul  et  la  géométrie  se  faisait  jour  dans  toutes  les  classes  de  la 
société.  Bernard  Walther,  Jean  Werner,  Conrad  Heinfogel,  dis- 
ciples illustres  de  Régiomontan,  continuèrent  avec  succès  l'œuvre  de 
leur  maître.  Walther  fut  après  lui  le  plus  célèbre  astronome  allemand 
de  son  siècle;  pendant  un  long  espace  de  temps,  aucune  Uni- 
versité ne  put  être  comparée  à  Nuremberg  pour  le  nombre  et  le 
mérite  des  savants  formés  parées  grands  hommes  dans  les  sciences  des 
mathématiques,  de  l'astronomie,  de  la  physique  et  de  la  cosmographie. 

Les  esprits  mêmes  que  leurs  aptitudes  et  leurs  vocations  semblaient 
devoir  éloigner  des  sciences  positives,  comme  Willibald  Pirkheimer 
et  Albert  Durer,  par  exemple,  ne  pouvaient  résister  à  la  force  du 
courant  qui  entraînait  toute  leur  génération  vers  les  mathématiques 
et  l'astronomie.  Avec  une  ardeur  qui  semble  l'apanage  exclusif  de  ce 
siècle^  ils  se  vouèrent  à  ces  sciences,  et  y  acquirent  de  si  grandes 
connaissances,  qu'on  peut  ajouter  leurs  noms  à  ceux  des  mathémati- 
ciens les  plus  remarquables  de  l'époque.  Durer,  par  ses  livres  sur  la 
géométrie  et  par  la  belle  carte  céleste  admirablement  dessinée,  puis 
gravée  sur  bois,  qu'il  exécuta  d'après  les  données  de  Stabius  et  de 
Heinfogel.  rendit  un  important  service  aux  mathématiques  et  à  l'as- 
tronomie. Pirkheimer  aida  Schoner  dans  la  fabrication  d'instruments 
astronomiques  perfectionnés,  et  fit  éditer  les  œuvres  d'Archimède 


'  Albach,  p.  556.  —  Gassendi,  p.  368. 
*  De  arte  iwpressoria,  fol.  19. 


VIE    l\Ti:[.r,Ef;TLELLE    A    NUREMKEP.G.  117 

(rl'jipiTs  un  exemplaire  de  sa  riche  bibliotluV^ue)  par  Thomas  Venalo- 
riiis,  éh've  de  Schoner. 

Wimphelinp;  affirme  que  le  zèle  de  Hcgiomonfan  fif  aussi  pro- 
jyresser  les  belles-lettres  à  Nuremberg',;  qu'il  encouragea  partioulière- 
nienl  l'élude  de  la  lan[jue  [grecque  et  les  études  historiques.  Il  fut, 
selon  foute  apparence,  l'un  des  premiers  savants  allemands  qui 
apprirent  le  jjrcc  et  se  perfectionnèrent  dans  cette  langue  par  leurs 
r;ip[)orls  avec  les  savants  grecs  établis  en  Italie.  Rien  que  pour  l'ou- 
vrage qu'il  se  proposait  de  publier,  le  tracé  des  cartes  des  différents 
pays  de  l'Europe  accompagné  de  notes  historiques  et  géographiques 
tirées  des  sources  les  plus  authentiques,  il  esf  clair  qu'il  lui  avait 
fallu  se  livrer  à  une  étude  très-approfondie  de  l'histoire. 

Le  riche  patricien  Jean  Löffelholz,  Jean  Pirkheimer  (père  de  Wil- 
libald) et  Sebald  Sclireyer  se  montrèrent  à  Nuremberg  les  protec- 
teurs éclairés  et  zélés  du  progrès  scientifique.  Ils  créèrent  des 
bibliothèques,  donnèrent  l'hospitalité  à  de  jeunes  savants,  et  se 
chargèrent  même  de  l'impression  de  leurs  ouvrages.  C'est  la  libéra- 
li'é  de  Schreyer  qui  permit  au  médecin  Hartmann  Schedel  la  publi- 
cation de  son  magnifique  livre  des  Chroniques,  illustré  de  plus  de 
2200  gravures  sur  bois'.  Ce  même  médecin,  mettant  à  profit  les 
manuscrits,  les  livres,  les  documents  rassemblés  par  lui  à  Padoue 
lorsqu'il  y  était  étudiant,  composa  un  grand  ouvrage  sur  l'histoire 
eî  les  antiquités  nationales;  il  y  a  mêlé  aussi  ses  souvenirs  personnels, 
et  rapporte  les  choses  dignes  de  remarque  qu'il  a  vues  en  Italie, 
surtout  à  Rome  et  à  Padoue.  Il  analyse  avec  un  soin  particulier  les 
inscriptions  qu'il  a  recueillies.  «  Je  souhaite,  dit-il,  que  les  généra- 
tions futures  puissent  connaître  ces  monuments  du  passé,  vraiment 
faits  pour  les  récréer  et  les  améliorer.  >'  Son  ami  Willibald  Pir- 
kheimer lui  fournit  un  grand  nombre  de  notices,  de  copies  et  de 
dessins  pour  une  autre  collection  d'antiquités  et  d'épigrammes  qu'il 
publia  à  la  gloire  de  l'Allemagne  ^  Sigismond  Meisterlin,  moine  béné- 
dictin, était  ami  de  Schreyer  et  de  Schedel;  c'est  à  lui  qu'on  doit  la 
première  histoire  de  Nuremberg  depuis  ses  origines;  elle  est  digne 
d'intérêt,  et  écrite  avec  clarté. 

Nuremberg  comptait  tant  d'amis  et  de  protecteurs  des  belles-lettres 
qu'on  la  considérait  avec  raison  comme  la  ville  de  l'Allemagne  où 
la  littérature  classique  était  cultivée  avec  le  plus  d'ardeur'. 

Willibald  Pirkheimer  (né  en  1470)  fut  à  Nuremberg  le  plus  généreux 

'  Voy.  llASR,  p.  28-35. 

*  Voyez  sur  les  études  et  les  voyafjes  de  Schedel,  le  travail  de  Wattenbach 
dans  les  Forschungen  zur  deutschen  Geschichte,  t.  XI,  p.  351-374.  —  Voy.  auSSi 
Jahn,  .ius  der  Alterlhumswlssenschaft.  p.  348.  —  Voy.  Rossi,  Pepertorium  fur 
Kunstwissenschaft.  1879.  t.  II,  p.  30!.  303. 

'  Voy.  Il.vGEN,  1,  179. 


118  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

Mécène  des  sciences  et  des  arts.  A  la  fois  distingué  comme  liomme 
d'Etat,  philologue,  écrivain  et  orateur,  il  fut  même  général  d'armée, 
servit  Maximilien,  et  s'acquit  en  Allemagne  et  à  l'étranger  un  grand 
renom  militaire.  11  était  comme  le  prince  de  tous  les  savants  d'alors; 
ses  relations  littéraires  s'étendaient  jusqu'en  France,  en  Italie,  en 
Angleterre.  A  iSuremberg,  sa  riche  bibliothèque,  sa  maison  ornée 
des  chefs-d'œuvre  de  l'art,  était  pour  l'Allemagne  un  véritable  foyer 
intellectuel,  et  le  centre  commun  de  tous  les  humanistes. 

Il  est  vrai  que  dans  sa  conduite  il  n'était  point  irréprochable,  et  bien 
loin  de  ressembler  à  ses  amis,  Wimpheling,  Geiler  de  Kaisersberg  et 
Brant.  Il  n'avait  pas  su  se  tenir  assez  eu  garde  contre  les  idées  maté- 
rialistes des  auteurs  de  l'antiquité  qu'il  étudiait  avec  tant  d'ardeur,  et 
son  caractère  était  passionné  et  caustique.  Les  lettres  qu'Albert  Durer 
lui  adressait  '  font  allusion  à  des  choses  peu  édifiantes  de  sa  vie,  bien 
faites  pour  jeter  parfois  du  discrédit  sur  son  nom.  Sa  manière  d'en- 
visap;er  les  auteurs  païens  se  rapprochait  déjà  un  peu  des  erreurs  qui 
plus  tard  devaient  si  malheureusement  se  manifester  dans  la  guerre 
entreprise  par  l'humanisme  moderne  contre  le  christianisme  révélé. 
Comme  Erasme,  il  attaqua  à  pl-usicurs  reprises,  en  ses  fondements 
mêmes,  la  science  religieuse  du  moyen  âge;  il  ne  réprouve  pas  seu- 
lement la  forme  de  son  langage,  il  eu  rejette  l'esprit,  précurseur 
dangereux  de  la  génération  naissante  des  philosophes  hostiles  à 
rÉglise.  Quelquefois  cependant  il  se  montra  dévoué  à  la  littérature 
ecclésiastique;  il  édita  et  traduisit  certains  ouvrages  des  Pères  de 
l'Église  et  d'autres  écrivains  du  christianisme  primitif,  et  dans  les 
préfaces  ou  les  dédicaces  dont  il  accompagnait  ces  éditions,  on 
entend  encore  le  noble  accent  d'une  âme  religieuse^.  Mais  c'est  sur- 
tout dans  les  rapports  qu'il  entretenait  avec  sa  sœur  Charité,  abbesse 
de  Sainte-Claire,  que  sa  personnalité  nous  apparaît  sous  son  aspect 
le  plus  élevé  et  le  plus  pur.  Les  lettres  échangées  entre  le  frère  et  la 
sœur,  aussi  bien  que  les  «  souvenirs  "  personnels  de  Charité,  forment 
un  précieux  trésor  de  sagesse,  de  piété,  de  sentiments  élevés  :  au 
point  de  vue  historique,  elles  sont  d'un  inestimable  prix^ 


XI 


L'ami  de  Willibald  Pirkheimer,  Conrad  Peutinger^  (né  en  1465), 
exerçait  à  Augsbourg  la  même  influence  intellectuelle  que  Pirkheimer 

1  TnACSiNO,  3,  p.  23. 
-  Voy.  BiNDCu,  p.  4i-51. 

^  Pour  plus  de  détails,  voy.  Bindkr,  p.  51-101. 

»Voy.  llERBEiiGEii,  p   31-02.  —   KiuiAUD,  t.  III,  p.  39i-411.  —  II.vgi.n,  t.  I.  p.  211- 
213.  —  DÖLL1NGEU,  liefurmalion,  t.  I,  p.  517-519. 


CONRAD    Pi;UTINf;ER    A    A  U  0  S  B  O  Ij 'i  G.  II» 

1\  Nurcmbcpc;.  C'était  une  organisation  {'rancle  et  noble,  une  intel- 
ligence vi(;ourense.  Dès  sa  première  jeunesse  il  avait  étuflié  aiiK 
universités  de  Rome,  de  Padouc  et  de  Bologne,  et,  mis  en  ra|)[)ort 
avec  Pomponius  Lantus,  Pie  de  la  Mirandole  et  Ange  Politianus, 
avait  acquis  des  connaissances  solides  dans  la  jurisprudence,  les 
belles-lettres  et  les  arts.  Sur  le  conseil  de  F.euchlin,  son  ami,  il 
s'était  mis  à  apprendre  le  grec  ayant  déjà  dépassé  quarante  ans, 
et  était  parvenu  à  le  posséder  parfaitement.  Ulrich  Zasius  le  met  au 
petit  nombre  de  ceux  qui  ont  profondément  pénétré  la  substance 
du  droit  romain  et  réussi  à  l'entrelacer  heureusement  au  droit 
national.  Il  était  également  très-versé  dans  la  théologie,  écrivit 
sur  les  antiquités  ecclésiastiques,  et  prépara  l'édition  d'un  com- 
mentaire du  Livre  des  Sentences  de  Pierre  Lombard.  Il  était  connu 
en  tous  lieux  pour  sa  science  profonde  de  l'Écriture  et  des  Pères, 
et  fut  l'un  de  ceux  dont  l'empereur  Maximilien  demanda  l'avis, 
lorsque,  plein  de  sollicitude  pour  l'éducation  religieuse  du  peuple, 
il  s'enquit  auprès  des  savants  de  la  méthode  la  plus  courte  et  la 
plus  claire  d'enseigner  aux  petits  et  aux  simples  les  vérités  ré- 
vélées. 

Peutinger  entretint  avec  Maximilien  des  rapports  bien  plus  intimes 
lorsqu'en  1190  il  entra  au  service  de  sa  ville  natale  en  qualité  de 
secrétaire  de  la  municipalité.  Homme  de  cœur,  ami  enthousiaste 
de  l'art  et  de  l'histoire  d'Allemagne,  ses  goûts,  ses  tendances, 
ses  désirs,  se  rapprochaient  intimement  des  vues  personnelles  de 
l'Empereur.  C'est  ce  qui  explique  facilement  les  rapports  mutuels 
de  ces  deux  hommes,  l'attachement  profond,  l'invariable  dévoue- 
ment de  l'un,  la  pleine  confiance  de  l'autre  '.  Maximilien  chargea 
Peutinger  de  plusieurs  négociations  politiques  importantes,  et 
l'attacha  toujours  davantage  à  sa  personne  par  les  liens  de  la  plus 
cordiale  affection.  Peutinger  ne  s'en  servit  jamais  pour  favoriser  ses 
intérêts  personnels;  il  n'était  préoccupé  que  de  ce  qui  pouvait 
être  utile  à  sa  ville  natale  et  ne  pensait  qu'aux  nobles  résultats 
qu'il  s'était  proposé  d'atteindre.  Aussi  son  désintéressement  n'a-t-il 
jamais  fait  l'objet  du  moindre  soupçon.  Il  prenait  une  part  vive  et 
respectueuse  aux  efforts  scientifiques  des  savants  contemporains,  et 
se  réjouissait  de  voir  ses  propres  ouvrages  complétés  et  corrigés  par 
des  hommes  compétents.  Jamais  on  ne  vit  chez  lui  la  moindre  trace 
de  vanité  personnelle;  il  resta  toujours  étranger  à  l'orgueil  delà 
fausse  science. 

Peutinger  trouvait  a  Augsbourg  un  terrain  bien  préparé  pour  les 

'  Lorsque  l'Empereur  vint  à  Augsbourg  en  1504,  la  fille  de  Peutinger,  Juliane, 
âgée  de  quatre  ans  (un  enfant  prediget,  lui  fit  en  latin,  au  nom  du  conseil  de 
la  ville,  un  discours  de  bienvenue.  Herberger,  p.  36. 


120  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

(tudes  historiques.  Depuis  une  trentaine  d'années,  surtout  dans  le 
monastère  des  Bénédictins  de  Saint-Ulrich  et  Afra,  la  discipline  reli- 
i,ieuse  et  le  zèle  pour  la  science  florissaient  de  concert  et  excitaient 
nu  intérêt  enthousiaste.  Une  imprimerie  spéciale  avait  été  établie 
dans  l'intérieur  du  couvent,  et  ses  produits,  ainsi  que  de  nombreux 
achats  et  échanges  de  livres,  avaient  fini  par  former  une  riche  biblio- 
thèque classique.  A  la  sollicitation  du  bourgmestre  Sigismond  Gos- 
sembrod',  humaniste  zélé,  un  moine  de  Tabbaye,  Sigismond  Meis- 
terliu,  composa  une  histoire  d'Augsbourg,  et  plus  tard,  sur  l'ordre 
de  l'abbé  Jean  de  Giltlingen,  une  histoire  ecclésiastique  de  la  ville  et 
une  histoire  de  l'abbaye,  ouvrages  remarquables  par  le  judicieux 
emploi  des  sources,  Tindepeiidance  des  jugements  et  l'exposition 
vivante  et  animée  des  événements  dont  ce  religieux  avait  été  témoin-. 
IJicnlôt  une  société  littéraire  se  forma  à  Augsbourg,  se  proposant 
surtout  de  faire  progresser  les  recherches  historiques.  Elle  était 
composée  d'ecclésiastiques,  de  magistrats,  de  bourgeois;  Peutinger 
en  était  l'âme,  la  cheville  ouvrière.  C'est  grâce  à  ses  efforts  et  à  ses 
dons  que  fut  fondée  une  excellente  bibliothèque  de  documents  rela- 
tifs à  l'histoire  d'Allemagne  ^  Il  rassembla  avec  un  zèle  infa- 
tigable des  manuscrits  précieux,  des  monnaies,  des  monuments  de 
l'antiquité,  et  forma  ainsi  peu  à  peu  une  collection  d'inscriptions 
romaines  découvertes  dans  la  ville  et  dans  le  diocèse  d'Augsbourg, 
qui  est  restée  unique  en  ce  genre.  Sur  l'ordre  de  l'Empereur  et  avec 
le  concours  delà  société  historique,  il  fit  imprimer  le  fac-similé  de  ces 
inscriptions,  qui  contiennent  les  plus  anciens  monuments  de  l'his- 
toire d'Augsbourg.  L'année  suivante,  il  fit  paraître  sous  le  titre  de 
Propos  (le  table  sur  les  admirables  antiquités  de  l'Alkmae/Jie,  un  ouvrage 
patriotique  chaleureux,  auquel  il  dut  de  voir  s'étendre  dans  un  vaste 
rayon  sa  réputation  littéraire.  En  1507  il  le  fit  suivre  de  la  première 
édition  du  Ligurinus,  poème  historique  qui  remonte  au  temps  de 
Frédéric  Barberousse  '  et  que  Conrad  Celtes  avait  découvert  dans  le 
monastère  d'Ebrach.  Ce  livre  fit  l'admiration  de  tous  les  savants  con- 
temporains; il  eut  sept  éditions  en  un  an.  Quelques  années  plus  tard 
(1514-1515),  Peutinger  dotait  encore  la  science  historique  de  trois 
nouveaux  ouvrages  :  la  Chronique  d'Ursperg,  découverte  par  lui, 
l'histoire  des  Goths  par  Jordanis,  et  celle  des  Lombards  par  le  diacre 
Paul.  Maximilicn  l'avait  aussi  désigné  pour  d'autres  travaux  histo- 
riques destinés  à  seconder  dans  leur  ensemble  les  glorieux  efforts 


'  Voy.  Wattenbacii,  p.  3G-G9. 

-  Voy.  Ctironilcen  der  deiilsr/tcii  Stiidic,  t.  III,  p.  6-8. 
'  Voy.  IIerbekger,  p.  66. 

*  Panxencekg,   Forsctmitgcn  zur   deu'sclien   Gcsctiiclitc,    t.    XI,    p.   lGI-300.    —   Voy. 
HORAWITZ,   GescliiclUe  des  dculsclicn  Humanismus,  p.  Sô-86. 


w 

L'EMPEP.EUR  MAXIMIMEN  PIlOTfiCTElJU  DES  SCIENCES  ET  DES  ARTS.    121 

tentés  par  l'Empereur  pour  favoriser  les  pro{ifrès  de  la  science, 
efforts  qui  trouvaient  à  Vienne,  capitale  de  l'Empire,  le  centre  de 
foutes  leurs  énergies;  Maximilien  cherchait  à  y  réunir  les  savants 
les  j>lus  illustres  de  l'époque,  et  prélciidail  élever  l'Université  au 
ran(}  de  la  plus  haute  école  intellectuelle  de  l'Europe. 


XII 


L'amour  de  la  science  et  des  arts  avait  été  mis  au  cœur  de  l'Empe- 
reur dès  sa  première  jeunesse.  Grâce  à  la  sollicitude  paternelle,  il 
avait  reçu  une  éducation  vraiment  princière  et  vraiment  humaine.  Il 
était  solidement  instruit;  on  trouve  dans  ses  compositions  écrites, 
conservées  à  la  Bibliothèque  impériale  de  Vienne,  des  essais  sur  la 
généalogie  et  l'histoire  de  sa  maison,  l'artillerie,  la  science  héral- 
dique, l'armurerie,  l'architecture,  la  chasse,  la  fauconnerie,  d'autres 
sujets  encore.  Aucun  prince  du  moyen  âge  ne  s'est  approprié  autant 
que  lui  la  connaissance  des  langues;  les  divers  dialectes  de  ses  Etats 
lui  étaient  familiers,  et  il  possédait  outre  cela  beaucoup  de  langues 
étrangères.  On  raconte  que  pendant  une  de  ses  campagnes,  il  s'en- 
tretint un  jour  avec  sept  chefs  militaires  eu  sept  langues  différentes  '  ; 
il  avait  surtout  une  telle  connaissance  du  latin  que  Willibald  Pirkhei- 
mer,  qui  avait  vu  quelques-uns  des  mémoires  dictés  par  l'Empereur 
sur  sa  vie,  assurait  à  un  ami  que  les  récits  d'aucun  écrivain  allemand 
n'étaient  écrits  dans  un  style  plus  concis  ni  dans  un  latin  plus  pur. 
Même  pendant  ses  campagnes  il  lisait  constamment  les  meilleurs 
poètes.  "  Personne  en  Allemagne,  écrivait  Trithème,  n'a  pour  s'in- 
struire une  plus  grande  ardeur;  personne  n'aime  l'étude  d'un  plus 
sérieux  amour.  Il  s'intéresse  aux  sciences  les  plus  diverses;  nul 
n'éprouve  de  leur  progrès  et  du  développement  des  arts  une  joie 
plus  vraie,  plus  cordiale.  Il  est  l'ami,  le  protecteur  de  tous  les 
savants ^  ^ 

Maximilien  ne  favorisait  pas  seulement,  comme  plusieurs  princes 
de  son  temps,  telle  ou  telle  étude  spéciale,  objet  de  ses  sympathies 
particulières;  il  étendait  sa  protection  et  son  amour  aux  branches  les 
plus  variées  des  sciences  humaines  :  théologiens,  jurisconsultes,  his- 
toriens, poètes,  linguistes,  mais  avant  tout  humanistes  et  artistes. 


'  Voy.  LiLiKNCRON,  IVeisshmig,  p.  343-344,  34-i.  —  Uvltai.s,  p.  7-10.  —  Z.irPF.UT, 
Gcspnichhüchlcin,  p.  239-241.  —  Vov.  l'OLlTZ,  Jalii buch  der  Geschichte  und Stnatskunst, 
t.  II.  p.  304. 

*  De  vera  sludioium  ration?,  p.  7. 


122  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

recevaient  ses  encouragemeiitset  se  félicitaient  de  son  constant  appui. 
Ils  parlaient  tous  avec  enthousiasme  de  ce  grand  prince,  qui  réunis- 
sait à  toute  la  dignité  de  son  rang  la  plus  grande  affabilité  de  carac- 
tère. L'Empereur  les  attirait  dans  son  intimité,  les  honorait  de  sa 
confiance  et  donnait  Tâme  et  la  vie  à  tout  ce  dont  il  s'occupait.  Si 
Maximilien  mérita  le  glorieux  surnom  de  "  père  des  arts  et  des 
sciences  ",  c'est  surtout  parce  que  tout  son  effort,  toute  son  appli- 
cation, pour  parler  avec  \Vimpheling,  -  ne  tendait  qu'à  affermir 
parmi  ses  sujets  l'attachement  et  la  fidélité  ä  l'Église  et  à  l'empire; 
qu'à  améliorer  les  mœurs  et  à  faire  aimer  davantage  la  patrie'  ».  La 
devise  qu'un  Franco-Rhénan  lui  a  prêtée  peut  surtout  se  rapporter  à 
son  amour  pour  les  sciences  et  les  arts  : 

Allemand  je  suis,  en  Allemand  je  pense, 
Kn  Allemand  j"agis,  Allemand  je  demeure! 

De  là  sa  sollicitude  particulière  pour  l'histoire  nationale.  Jamais 
«  empereur  romain  de  nation  allemande  ^  n'avait  été  un  Mécène  à 
la  fois  si  intelligent  et  si  rempli  d'amour  pour  son  pays.  "  Il  ne  pre- 
nait à  rien  plus  de  plaisir  qu'à  l'histoire  -,  raconte  Joseph  Griinbeck, 
«  et  avait  coutume  de  dire  qu'un  prince  qui  n'a  pas  souci  de  son 
histoire  ni  de  celle  de  ses  prédécesseurs,  et  n'a  pas  à  cœur  de 
transmettre  son  nom  à  la  postérité,  est  digne  d'aversion.  Dans  sa 
pensée,  un  tel  prince  ne  pouvait  être  non  plus  l'ami  du  bien  public, 
puisqu'il  laissait  dans  l'obscurité  une  science  si  féconde  en  enseigne- 
ments, et  où  la  vertu  trouve  un  si  utile,  aliment.  Cette  négligence  était 
cause,  selon  lui,  de  la  ruine  de  beaucoup  de  principautés  puissantes, 
de  communes,  de  villes,  que  leurs  anciens  souverains,  sans  expérience, 
ignorants  et  grossiers,  avaient  mal  su  gouverner-.  " 

«  Lorsqu'il  fut  parvenu  à  sa  majorité  s  rapporte  Freizsaurwein 
dans  le  IVeisshunig ,  "  il  n'épargna  aucune  dépense  pour  envoyer  des 
savants  de  tous  côtés,  avec  mission  de  chercher  dans  les  manuscrits 
conservés  soit  dans  les  monastères,  soit  chez  les  particuliers,  des 
informations  sur  les  familles  royales  et  princières.  " 

"  Tout  ce  qu'ils  avaient  pu  découvrir  devait  être  consigné  par  écrit 
à  la  louange  des  souverains  d'autrefois,  et  si  un  roi  ou  un  prince 
avait  fait  jadis  une  fondation  tombée  depuis  en  oubli,  il  avait  soin 
de  remettre  en  honneur  sa  mémoire,  qui  sans  lui  eût  entièrement 
péri.  ') 

"  Les  monnaies  que  les  empereurs,  rois,  et  autres  princes  puissants 


'  De.  arte  impresson'a ,  fol.  12. 
-  Voy.  Haltals,  p.  II. 


/ 


L'EMPEREUR  MAXIMILIEN  PROTECTETR   DES  SCIENCES  ET  DES  ARTS.    123 

avaicnl  (ail  aiiIrcCois  frapper,  (lu'oii  déco  livra  il  et  qu'on  venait  lui 
apporler,  il  les  conservait,  et  les  faisait  peindre  dans  un  livre,  de 
sorle  ([ne  souvent  un  souverain  dont  le  nom  sans  lui  eût  é(é  abso- 
lument effacé,  lui  devait  comme  une  vie  nouvelle.  Il  avait  fait  aussi 
récrire  riiisloire  des  princes  (jui  avaieiK  régné  dans  les  temps  passés, 
et  se  plaisait  à  remettre  en  mémoire  leurs  bonnes  actions.  Ouelle 
noblesse  d'âme  véritablement  royale  dans  ce  jeune  et  s.1{;e  roi!  11 
doit  servir  d'exemple  à  tous  les  souverains  futurs,  et  leur  montrer 
comment  ils  doivent  garder  et  vénérer  la  mémoire  de  leurs  j)rédé- 
cesseurs  '.  >' 

Wiinpliclin};  écrit  de  même  :  "  Tout  ce  qui  peut  jeter  quelque 
lumière  sur  le  passé  du  peuple  allemand,  est  l'objet  de  la  vive 
sympathie  du  Roi.  Il  se  plonge  dans  l'étude  des  vieux  chroniqueurs 
et  historiens;  il  fait  recueillir  et  publier  leurs  écrits,  et  pour  cela 
entre  en  correspondance  ou  entretient  des  rapports  personnels  avec 
les  hommes  les  plus  instruits.  »  "  Il  consulte  les  savants  de  son  entou- 
rage sur  la  composition  d'une  histoire  destinée  au  peuple,  et  qui  doit 
paraître  sous  ce  titre  :  Galerie  des  ancêtres  allemands  -.  » 

Il  avait  chargé  Peulinger  de  composer  un  vaste  ouvrage,  le  Livre 
des  Empereurs.  Il  préparait  également  un  recueil  de  documents  rela- 
tifs à  la  maison  de  Habsbourg.  =-  Pour  ce  livre  non-seulement  l'Empe- 
reur faisait  venir  de  tous  côtés  des  chroniques  et  des  documents, 
mais  encore,  il  apportait  à  Peutinger  le  résultat  de  ses  recherches 
personnelles,  et  parfois  provoquait  les  franches  critiques  de  son 
savant  ami  \  ■■  Maximilien  tit  explorer  une  grande  partie  de  l'Alle- 
magne, de  l'Italie  et  de  la  France  par  ses  historiographes,  Jean 
Stabius,  LadislasSuntheim  et  Jacques  Manlius,  qui  amassèrent  dans  les 
monastères  de  ces  pays  de  nombreux  manuscrits.  Aidés  par  la  libéralité 
de  l'Empereur,  Conrad  Celtes  et  le  mathématicien  André  Stiborius  par- 
coururent l'Allemagne  du  Nord  pour  y  recueillir  les  matériaux  néces- 
saires à  un  grand  ouvrage  d'histoire,  de  géographie  et  de  statistique. 
Wimpheling  assure  que  dans  un  pressant  besoin  d'argent,  Maxi- 
milien mit  un  jour  en  gage  un  joyau  qui  lui  était  cher,  afin  de 
rendre  possible  la  continuation  d'un  voyage  scientifique  entrepris 
sous  ses  auspices.  C'est  lui  qui  chargea  Suntheim  de  recueillir  les 
matériaux  d'une  histoire  généalogique  de  la  maison  de  Habsbourg 
et  d'autres  maisons  princières  allemandes;  l'historiographe  Stabius 
et  le  savant  médecin  et  archiviste  impérial  Jean  Spieshaimer,  sur- 
nommé Cuspluianus,  préparèrent  par  son  ordre  la  première  édition 
d'Otto  de  Fraising  et  de  son  continuateur  Radévicus. 

'   U'ci'sskunig,   p.  68-69 

-  De  firCe  imjircssoria.  fol.  12. 

^  Voy.  lIlRBERGEIX,   p.  64-67. 


124  L'INSTrUCTIOX    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

Ce  que  faisait  l'Empereur  pour  la  scienceétait  conçu  d'après  un  plan 
si  suivi;  tous  ses  efforts  se  rattachaient  si  bien  les  uns  aux  autres 
pour  atteindre  la  même  fin,  qu'il  semblait  être  le  chef  d'une  vaste 
confrérie  de  savants  réunissant  tous  leurs  efforts  pour  le  progrès  de 
l'histoire  des  antiquités  nationales.  Au  prix  de  beaucoup  de  peines  et 
de  sacrifices  l'Empereur  eut  enfin  la  joie  de  réaliser  le  but  qu'il  avait 
toujours  poursuivi  avec  tant  d'ardeur  :  il  donna  vie  et  chaleur  au  sen- 
timent patriotique  et  -  rendit  plus  cher  à  chacun  le  sol  de  la  patrie  '  ». 

Maximilien  sauva  de  l'oubli  un  grand  nombre  de  monuments 
historiques  et  littéraires;  légendes,  chants  populaires  furent,  grâce  à 
lui,  conservés  à  la  postérité.  On  lui  doit  entre  autres  la  préservation 
d'une  des  plus  précieuses  perles  de  la  poésie  allemande  au  moyen 
âge,  un  poëme  d'une  aussi  grande  valeur,  peut-être,  que  les  i\ibe- 
lungen  :  le  Giidrun^,  qu'il  fit  insérer  dans  le  recueil  des  parchemins 
conservés  au  château  d'Ambras,  en  Tvrol. 

Comme  écrivain,  l'Empereur  s'est  fait  connaître  par  le  Thcucrdank 
et  le  Wcisskunig.  Il  conçut  lui-même  l'idée  du  Theucrdanh,  poëme  allé- 
gorique dont  sa  vie  privée  fait  tout  le  sujet.  Il  est  l'auteur  de  la  plus 
grande  partie  des  chants  qui  y  sont  mêlés  et  qui  furent  revus  et 
retouchés  par  son  secrétaire  Melchior  Pfinzing,  prévôt  de  Saint- 
Alban  à  Mayence.  L'ouvrage,  dont  la  première  édition  appartient 
aux  plus  étonnantes  créations  de  la  typographie,  rencontra  chez  les 
couiemporains  la  sympathie  la  plus  vive,  parce  qu'ils  y  voyaient 
retracée  dans  une  brillante  lumière  la  personnalité  chevaleresque 
et  noble  de  l'Empereur.  Au  point  de  vue  poétique,  cet  ouvrage 
est  assez  pauvre  et  dénué  d'invention;  mais  le  langage  en  est 
sérieux,  mesuré;  il  manque,  il  est  vrai,  d'énergie  et  d'ampleur, 
mais  non  de  pureté  de  style  ni  de  choix  d'expression.  Le  poëte  royal 
a  voulu  démontrer  que  dans  tous  les  combats  imaginables  de  la  vie, 
un  esprit  résolu  et  une  ferme  confiance  en  Dieu  finissent  toujours 
par  remporter  la  victoire.  En  effet,  son  héros  parvient  au  but.  Au 
milieu  d'épreuves  et  de  souffrances  sans  nombre,  il  se  dirige  vers 
lui  avec  grandeur  d'àme  et  sans  effort.  Sa  conscience  loyale  et  pure 
lui  sert  de  guide.  Sa  foi  inébranlable  lui  donne  le  courage  et  l'éner- 
gie nécessaires;  il  triomphe,  il  obtient  sa  récompense  malgré  la 
nuée  d'ennemis  qui  lui  font  obstacle,  et  en  dépit  de  toutes  les  tem- 
pêtes  imaginables  ^  Ou  se  souvient  involontairement  en  lisant  le 

'  Voy.  Wattenbach.  Deuichlands  Geschicklsquellm,  p.  2-3.  —  IIorawitz,  Xatio- 
nii/c  Gcschichlschrcihung ,  p.  G9-70,  et  notre  article  intitulé  :  Maximilians  Bedeutung 
für  DcuUchland,  dans  le  Catholique.  1869;  p.  528-534. 

-  Voy.  Pfeiffeu,  Germanie,  t.  XI.  p.  381-384;   t.  IX,  p.  381-384. 

M'oy.  IlALTAis,  p.  34,  9G,  109-110.  —  Dans  un  ouvj-arre  intitulé  :  Frcydal, 
l'Empereur  voulut  poéti.-er  et  äjlorifier  par  l'art  ses  fiançailles  avec  Marie  de 
Bourgogne,  et  les  tournois  et  divertissements  qui  les  suivirent.  Ce  splendide 


L'EMPEr.EUR  MAMMIMEN  F'KOTIC  I  ECli   DFS  SCIENCES  ET  DES  AKTS.    12.> 

WehsJiuniu,  du  flcssin  d'Albert  Diirci"  :  le  Chevalier,  la  Mort  et  le 
Démon. 

Le  TIteuerdanli  décrit  la  vie  privée  de  TEmpereur  sous  le  voile  de 
rallé[',orie,  et  rouvi"i{;e  en  |)rose  et  non  alIc{',ori(jue  du  \Vcissknni(j  (le 
roi  sa(>e)  Iraile,  dans  la  parue  composée  par  Maximilien,  de  sa  vie 
publique  et  des  événements  imporlaiils  de  sou  rè^jue'. 

L'Empereur,  en  parlant  des  savants,  avait  coutume  de  dire  "  que 
c'était  à  eux  de  régner,  et  non  d'être  soumis,  et  que  les  plus  grands 
bonneurs  leur  étaient  dus,  parce  que  Dieu  et  la  nature  les  ont  plus 
favorisés  que  les  autres  >  ;  ou  comprendra  donc  facilement  qu'il  recber- 
cbût  leur  constant  commerce;  il  les  disîiuj'juait,  les  récompensait,  et 
confiait  â  leurs  soins  les  emplois  les  plus  importants.  Presque  tous 
ses  conseillers  étaient  des  bommes  de  science,  des  amis,  des  promo- 
teurs de  la  littérature  classique,  et  ses  histono{;rapbes,  que  nous 
avons  déjà  nommés,  en  faisaient  partie.  Jean  Stabius,  que  l'Univer- 
sité de  Vienne  comptai!  parmi  ses  plus  illustres  savants,  accompa- 
{jnait  l'Empereur  dans  presque  tous  ses  voyages.  Le  sénateur  impé- 
rial Sébastien  Sprenz,  plus  tard  évêque  de  Brunn,  se  distinguait  par 
sa  connaissance  de  l'bébreu  et  des  sciences  exactes.  Les  conseillers 
impériaux  Ulricb  de  Ilelfenstein,  .lacques  Spiegel,  Jacques  Villin- 
ger,  Jacques  Bannisis,  Georges  Neudecker  et  d'autres,  étaient  tous 
regardés  par  les  humanistes  comme  des  savants  éminents,  et  prê- 
taient leur  appui  à  la  nouvelle  direction  donnée  aux  études  scien- 
tifiques. Le  chancelier  et  conseiller  intime  de  Maximilien,  Mathieu 
Lang,  plus  tard  évéque  de  Gurk  et  archevêque  de  Salzbourg  ^  était 
le  plus  prôné  de  (ous.  La  cour  de  Maximilien  était  "  l'école  de  toute 
vraie  civilisation  ^  et  la  tille  chérie  de  l'Empereur",  l'Université  de 
Vienne  brillait  d'uu  éclat  et  d'une  gloire  qu'aucune  autre  Université 
n'égalait  eu  Allemagne  K 


XIll 


Dès  le  règne  de  Frédéric  III,  l'Université  de  Vienne  s'était  acquis 
un  renom  universel  grâce  à  ses  illustres  mathématiciens  et  astro- 

ouvrage,  dont  la  mort  de  l'Empereur  empêcha  ia  publication,  contient  deux 
cent  cinquante-cinq  dessins  exécutés  avec  soin.  Voy./^rfyr/a/ de  l'empereurMaxi- 
milien  I".  Turniere  und  Mununereioi,  publié  SOUS  la  direction  du  chambeHan 
François,  comte  Folliot  de  Cheneville  oe  Ouiai.\  de  I.eitneu,  Vienne,  1880. 

'  Voy.  le  beau  travail  de  Eiliencron  sur  le  U'.isd'unig,  328-329. 

3  Voy.  IIagen,  t.  I.  p.  220-222.  —  Il0RAV>irz,  .VaCionale  Geschichtsckreibitng, 
p.  90-100.  —  AsHBACH,  Wanderjahre  des  Conrad  Celles,  p.  119.  —  Euuaud,  t.  II, 
p.  98,  et  t.  III,  p.  429. 

'  IlALTAUS,  p.   10. 

*  D«  arte  impressoria,  fol.  12. 


123  L'INSTUUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

nomes,  .lean  de  Gmunclen,  Georges  de  Peuerbacli  et  Jean  Müller, 
surnommé  llegiomontan.  Dans  aucune  autre  Université,  l'astro- 
nomie et  les  mathématiques  ne  furent  professées  par  de  plus 
grands  génies  et  n'eurent  de  plus  brillants  résultats  '.  Peuerbach  et 
Regiomontan  furent  les  premiers  qui,  par  leurs  cours  sur  les  poètes 
et  les  prosateurs  latins,  y  donnèrent  l'élan  aux  études  humanistes'. 
Bernard  Perger,  maître  es  arts,  y  introduisit  une  méthode  perfec- 
tionnée d'enseigner  le  latin,  et  composa  dans  ce  but,  d'après  une 
grammaire  de  l'archevêque  iSicolas  de  Siponio,  un  livre  d'enseigne- 
ment dont  on  connaît  dix-huit  éditioas  et  rééditions  antérieures  à 
1500  \  Dès  1457  on  expliquait  à  Vienne  des  auteurs  grecs,  et  quel- 
ques-uns même  des  plus  difficiles  \ 

Mais  l'humanisme  ne  commença  vraiment  à  y  progresser  que  lors- 
que Conrad  Celtes,  savant  d'une  intelligence  hors  ligne,  y  vint  pro- 
fesser, sur  la  demande  expresse  que  lui  en  fit  l'Empereur^  (1497). 
Par  ses  manières  de  voir  toutes  païennes  et  matérialistes,  par  son 
genre  de  vie  épicurienne.  Celtes  n'appartient  pas  au  groupe  des 
anciens  humanistes  chrétiens,  si  graves,  si  retenus  dans  leurs  mœurs. 
Il  est  bien  plutôt  du  nombre  des  savants  émancipés  qui  formèrent 
plus  tard  une  nouvelle  école;  il  s'attirait  à  cause  de  cela  le  blâme  de 
la  noble  Charité  Pirkheimer,  qui  lui  reprochait  avec  une  entière 
franchise  de  parler  du  paganisme  classique  d'une  manière  partiale 
et  propre  à  flatter  de  mauvaises  tendances'''.  Mais  il  faut  laisser 
à  Celtes  le  grand  mérite  d'avoir  constamment  cherché  à  exciter  en 
Allemagne  l'amour  de  la  science,  et  surtout  d'avoir,  par  sa  parole 
et  ses  écrits,  travaillé  avec  succès  au  développement  de  l'histoire 
nationale.  Dans  ses  nombreux  voyages  il  avait  visité  les  grands  fleuves 
allemands  jusqu'à  leur  source,  avait  parcouru  les  capitales  de  l'Alle- 
magne, appris  à  en  connaître  toutes  les  curiosités,  et  acquis  sur  les 
gens  et  les  pays  des  connaissances  dont  personne  avant  lui  ne  s'était 
soucié.  Il  se  proposait  de  consigner  les  fruits  de  ce  voyage  et  les 
résultats  de  ses  longues  recherches  historiques  dans  un  ouvrage  où 
il  voulait  retracer  l'histoire  générale  et  descriptive  de  l'Allemagne 
et  des  Allemands  ^  lorsqu'au  milieu  de  ses  travaux,  âgé  seulement  de 
quarante-neuf  ans,  il  fut  surpris  par  la  mort  (1508). 

De  nombreux  trésors  de  lit  térature  ancienne,  entre  autres  la  célèbre 
carte  itinéraire  qui  date  du  temps  de  Marc-Aurèle,  les  ouvrages  de 

'  AsHBACH,  UniversitiU  Wien,  t.  I,  p.  455-467,  479-493,  537-557. 

-  ASHEACH,  t.  I,  p.  353,  481,  538.  —  Kink,  t.  I,  p.  182. 

3  Hain,  n"  12602-12619.  —  Ashbach,  l.  I,  p.  576. 

^  ASHBACH,  t.  I,  p.  354. 

5  Voy.  Ashbach,  t.  II,  p.  56. 

"BiNDEU,  p.  80-87. 

'  Germania  iUustrata. 


UNIVERSITK    DE    VIENNK,    CONHAD    CELTES.  127 

Roswilha,  rcli{jicu.se  de  (iaiulerslicimer,  le  poëmc  historique  de /,/</m- 
rhins,  doivent  leur  eoiiservalion  à  Conrad  Celles.  Il  fit  à  Vienne  un 
cours  spécial  sur  Lijjurinus,  et  l'ut  sans  doute  le  prenn"er  professeur 
allemand  qui  ait  enseip,né  dans  une  Université  1  histoire  générale, 
faisant  de  l'histoire  de  TKnipirc  {germanique  l'objet  d'un  cours  spé- 
cial e(  enthousiasmant  ainsi  la  jeunesse  pour  la  (grandeur  et  la  {gloire 
du  passé. 

Doué  d'un  talent  extraordinaire  pour  l'enseignement  ^  Celtes 
rassemblait  autour  de  lui  un  groupe  nombreux  de  jeunes  gens  avides 
de  savoir.  Il  cherchait  surfout  à  éveiller  dans  la  noblesse  le  goiU  des 
choses  intellectuelles  et  scientifiques.  La  Bibliothèque  impériale  fondée 
par  Maximilien,  et  dont  la  direction  lui  avait  été  confiée,  fut  enri- 
chie par  lui  de  précieux  ouvrages  latins  et  grecs,  de  cartes  célestes 
et  géographiques,  etc.,  en  sorte  que  peu  à  peu  elle  put  offrir  aux  tra- 
vailleurs d'excellents  instruments  d'étude. 

Celtes  fit  preuve  aussi  d'une  remarquable  activité  comme  directeur 
du  collège  des  poètes,  que  l'Empereur  avait  fondé  sur  son  conseil 
(1501),  académie  destinée  à  relever  l'étude  de  la  poésie  et  des  mathé- 
matiques à  l'Université,  et  à  en  assurer  l'avenir.  Ce  collège  des 
poêles,  le  premier  de  ce  genre  qui  ait  existé  dans  une  Université 
allemande,  consistait,  à  proprement  parler,  en  une  réunion  de  sa- 
vants et  déjeunes  gens  d'avenir,  demeurant  ensemble  et  partageant 
les  mêmes  études  '. 

Non  content  d'avoir  autrefois  fondé  la  «  société  littéraire  du  Rhin  », 
Celtes  organisa  à  Vienne  pour  le  progrès  des  études  humanistes, 
des  beaux-arts  et  des  sciences,  la  société  dite  du  Danube,  académie 
royale  qui  comptait  parmi  ses  adhérents,  Allemands,  Magyares, 
Slaves  et  Italiens  -.  Un  de  ses  membres  les  plus  actifs,  Cuspi- 
nian,  s'était  voué  spécialement  aux  études  historiques  et  a  laissé, 
entre  autres  écrits,  un  important  ouvrage  sur  les  empereurs  romains 
de  nation  allemande,  ouvrage  pour  lequel  il  avait  fait  de  grandes 
recherches  dans  les  archives  et  bibliothèques  de  l'Autriche  \  Le  ma- 
thémalicien  Jean  Stabius,  André  Stiborius  et  le  médecin  Barthé- 
lémy Steber,  surnommé  Scipiou,  appartenaient  aussi  à  la  Société  du 
Danube  et  étaient  en  même  temps  au  nombre  des  professeurs  les 
plus  distingués  de  l'Université  ^ 

C'est  certainement  sous  Maximilien  que  l'Université  de  Vienne,  si 

■  ASHBACH,  rnnwrsUat  U'icii..  t.  II,  p.  65,  207,  248,  439-441. 

*  ASHBACH,  t.  II,  p.  73,  421-433. 

*  Voy.  ASHBVCH,  ÜniversiUit  Wien,  t.  II,  p.  43,  55,  57,  78,  189-270.  —  Erhaud, 
t.  II,  p.  1-146.  —  KiNK,  t.  I,  p.  201-212.  —  Raumes,  Germ.  Philologie,  p.  13-15.  — 
Sur  Cuspinian,  voy.  Ashbach,  I.  Il,  p.  284-309.  —  Erhaud,  t.  III,  p.  429-434.  — 
HOKAWITZ,  Nationale  Geschichischreibutig ,  p.  70,  92. 

*  Sur  stabius,  voy.  Ashcach,  t.  II,  p.  56,  68,  70,  75,  88,  289,  342,  364-372.  — 


123  L'INSTRUCTION    POPULAIRE    ET    LA    SCIENCE. 

justement  fière  de  ses  illustres  et  nombreux  professeurs,  atteignit  son 
épanouissement  le  plus  complet  et  connut  son  '-  âge  d'or  ;'.  Sans 
épargner  les  sacrifices  personnels,  l'Empereur  travaillait  incessam- 
ment à  l'élever  au  rang  de  première  Université  de  l'Europe;  l'Uni- 
versité même  de  Paris  ',  au  dire  de  l'humaniste  Loriii  Glareanus,  ne 
pouvait  rivaliser  avec  elle.  Sa  réputation  dépassait  celle  de  toutes  les 
autres.  Froissard,  historien  d'un  savoir  si  eminent  et  d'un  si  excellent 
jugement,  constate  avec  étonnement  le  nombre  d'hommes  supérieurs 
qu'il  apprit  à  y  connaitre,  et  rapporte  que  la  vie  intellectuelle  y  était 
pleine  d'animation  parmi  les  étudiants.  Il  admire  la  vie  sans  con- 
trainte de  la  cour  et  les  rapports  pleins  de  confiance  et  de  cordialité 
que  Maximilien  entretenait  avec  les  savants.  "  L'Empereur  ne  les 
nomme  pas  seulement  ses  amis  ,  écrit-il,  il  les  traite  véritablement 
comme  tels  ;  il  recherche  volontiers  leur  commerce  et  s'en  édifie.  U 
n'y  a  certainement  pas  de  souverain  plus  disposé  à  se  laisser  volon- 
tiers instruire  par  ceux  qui  en  savent  plus  que  lui,  et  son  intelligence 
est  si  grande  que  les  questions  qu'il  pose  sont  à  elles  seules  pleines 
d'enseignement  ^  » 

Les  arts  plastiques,  aussi  bien  que  la  science  et  la  littérature,  trou- 
vèrent en  Maximilien  un  protecteur  enthousiaste.  11  fit  construire 
ou  restaurer  un  grand  nombre  d'églises  et  de  châteaux,  fit  d'impor- 
tantes commandes  aux  fondeurs  de  brouze,  armuriers,  orfèvres, 
émailleurs,  peintres,  graveurs  et  imprimeurs  d'ouvrages  illustrés. 
On  lui  doit  l'exécution  d'un  grand  nombre  des  phis  belles  créations 
artistiques  de  l'époque.  La  meilleure  preuve  de  son  goût  intelli- 
gent pour  les  arts,  c'est  le  grandiose  monument  funèbre  qu'il  fit 
exécuter  pour  lui  à  Inspruck  et  dont  il  traça  lui-même  le  plan^ 
avec  son  ami  Conrad  Peutinger.  C'est  un  des  derniers  et  des  plus 
remarquables  monuments  de  l'art  allemand  du  moyen  âge. 

SOTZMANN,  /.  Slabius  cl  sa  carte  du  monde  de  1515  (1848).  —  ThaüSing,  Bibliogr.  de 
Durer,  p.  37Ü,  375-3:6.  —  Sur  Stiborius.  voy.  Ashbach,  t.  11,  p.  56,  75,  88,  107, 
289,  373-375.  —  Sur  Steber,  t.  II,  p.  55,  75,  95,  97,  197.  354-356. 

1  Voy.  ASHB.VCH.  t.  II,  p.  125.  137.  —  Kink,  t.  I,  p.   2..7-229. 

-  Lettre  de  Froissard,  p.  14-16, 

3  Voy.  IlEP.BEUGER,  p.  54-62. —  'L'Empereur  voulut  reposera  Inspruck,  entouré 
des  souvenirs  de  ses  hauts  faits,  parmi  les  statues  de  ses  puissants  an  êtres  et  de 
tous  ceux  qui,  depuis  le  commencement  de  l'ère  moderne,  avaient  régné  glorieu- 
sement. C'est  une  œuvre  d'art  dont  nous  ne  voyons  l'équivalent  chez  aucun  peu- 
ple, ni  comme  idée,  ni  comme  exécution.  Lorsqu'on  pér.ètre  d.ins  ce  lieu,pirmi 
tous  ces  nobles  personnages  (56  figures  en  bronze  en  grande  partie  de  grandeur 
naturelles  on  se  sent  pénétré  d'une  émotion  puissante.'  (Böhmeh,  Mélanges,  p.  66-67.) 


LIVRE    II 

L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 


INTRODUCTION 


Le  cœur  et  rintelligence,  le  travail  et  la  persévérance  d'un  peuple 
s'expriment  d'une  façon  plus  claire  et  plus  significative  encore  par 
ses  œuvres  d'art  que  par  sa  littérature.  En  effet,  les  arts  reçoivent  du 
caractère  et  des  sentiments  d'une  nation  leur  sens  intellectuel  et 
moral;  ils  incarnent  sa  pensée,  son  idéal,  et  sont  le  reflet  le  plus  fidèle 
et  le  plus  intime  de  son  âme  '. 

Vers  la  fin  du  moyen  âge,  l'art  eut  une  importance  d'autant  plus 
grande  pour  le  peuple  allemand,  que  dans  nulle  autre  période  anté- 
rieure ou  postérieure  il  ne  réussit  mieux  à  exprimer  sa  vie  personnelle  et 
les  dons  qui  lui  sont  propres.  Les  chefs-d'œuvre  de  l'art  à  cette  époque, 
par  leur  fini,  leur  harmonieuse  unité,  l'intime  union  de  logique 
et  d'idéal  qui  les  caractérisent,  sont  l'admiration  de  tous  les  siècles, 
les  plus  nobles  monuments  historiques  de  notre  pays,  les  preuves  de 
l'élévation  morale  de  la  nation,  le  plus  beau  témoignage  de  son  génie, 
composé  de  foi  robuste  et  d'ardent  patriotisme.  Ils  nous  fournissent 
aussi  l'irréfutable  preuve  que  l'Église,  dans  le  domaine  de  l'art  comme 
dans  celui  de  la  science,  régnait  encore  sur  tous  les  esprits,  et  bien 
éloignée  de  mettre  obstacle  à  l'essor  de  la  pensée,  prêtait  aux  idéales 
conceptions  des  artistes  les  mobiles  et  les  moyens  nécessaires  à  leur 
exécution.  Les  relations  étroites  et  mutuelles  qui  existaient  entre 
l'Église  et  ses  membres  avaient  fait  éclore  cette  foi  pleine  de  vie, 
cette  transfiguration  des  choses  de  la  terre,  ce  dévouement  humble 
et  désintéressé  à  des  fins  élevées  qui  doivent  être  considérées  comme 
les  sources  véritables  de  l'art  au  moyen  âge.  L'art  ne  prospère  jamais 
autant  qu'aux  époques  où  les  esprits  sont  bien  équilibrés,  où  les 
croyances  sont  vigoureuses,  où  l'intelligence,  planant  bien  au-dessus 

^  Voy.  RicHL,  p.  292. 

!.  9 


I 
130  L'ART    ET    LA   VIE    POPULAIRE. 

de  ce  qui  est  purement  utile,  est  capable  de  s YHever  jusqu'aux  œuvres 
créées  par  uue  iuspiratiou  indépendante  et  haute,  et  y  trouve  sa 
satisfaction  et  sa  joie. 

L'Église  mit  l'art  au  service  de  Dieu;  elle  vit  en  lui  le  complément 
essentiel  de  l'enseignement  oral  et  écrit  qu'elle  donnait  au  peuple. 
Elle  confia  aux  artistes  une  mission  sublime,  les  considérant  comme 
les  prêtres  du  beau,  les  appelant  à  coopérer  à  la  propagation  du 
royaume  de  Dieu  sur  la  terre  et  les  invitant  «  à  annoncer  l'Évangile 
aux  pauvres'  ».  De  leur  côté,  les  grands  artistes,  répondant  fidèle- 
ment à  cet  appel,  reg:ardèrent  l'art  comme  un  service  qu'ils  devaient 
à  Dieu  et  aux  hommes.  Ils  n'élevaient  pas  le  beau  sur  un  autel  pour 
en  faire  une  idole  et  l'adorer  pour  lui-même;  mais,  ainsi  que  le  dit 
si  simplement  Pierre  Fisher  dans  l'inscription  du  tombeau  de  saint 
Sebald,  ils  ne  travaillaient  que  "  pour  la  gloire  de  Dieu  ".  Chacun 
de  leurs  chefs-d'œuvre  avait  un  sens  élevé  et  se  rapportait  à  une 
grande  idée.  Par  eux,  ils  souhaitaient  éveiller  et  augmenter  dans  les 
âmes  le  désir  et  l'amour  des  biens  célestes  ;  ils  ne  se  proposaient  pas 
seulement  d'éclairer  le  goût  du  peuple,  ils  ambitionnaient  avant  tout 
de  faire  sou  éducation  morale;  ils  ne  pensaient  pas  à  flatter  l'amour 
du  faste  et  du  luxe  chez  les  grands,  mais  à  glorifier  l'Église  et  à 
rehausser  l'éclat  de  la  vie  publique.  Insouciants  de  leur  propre 
gloire,  les  architectes  ensevelissaient  leurs  noms  dans  les  fonde- 
ments des  cathédrales. 

Toutes  les  branches  de  l'art  formaient  un  grand  ensemble  :  édi- 
fices, statues,  peinture  musique,  sortaient  de  la  même  racine, 
avaient  la  môme  pensée  pour  fondement  et  semblaient  ne  former 
qu'un  même  chef-d'œuvre.  Architectes,  sculpteurs,  peintres  et  musi- 
ciens ne  travaillaie  jamais  isolément;  ils  cultivaient  l'art  en  com- 
mun, dans  le  même  esprit  à  la  fois  populaire  et  religieux,  et  l'unité 
de  l'art  faisait  sa  véritable  grandeur-. 

Comme  tous  les  arts  se  tenaient,  il  n'était  pas  rare  que  les  grands 
artistes  en  cultivassent  plusieurs  à  la  fois  :  Albert  Durer,  par  exemple, 
était  peintre  autant  que  sculpteur,  graveur  sur  cuivre  et  graveur  sur 
bois;  il  possédait  en  outre  des  connaissances  rares  en  perspective 
aussi  bien  qu'en  architecture,  et  ne  fut  pas  étranger  à  l'art  d'écrire. 

Embrassant  et  pénétrant  tous  les  rapports  de  la  vie  sociale,  don- 
nant noblesse  et  beauté  aux  œuvres  les  plus  grandes  comme  au  plus 
modeste  travail,  grandi  au  sein  même  de  la  vie  populaire,  l'art  ren- 
contra dans  toutes  les  classes  de  la  société  une  sympathie,  un  encou- 
ragement dont  on  trouverait  difficilement  un  plus  bel  exemple  dans 

'  Comme  le  dit  très-justement  Trithème  dans  De  vcra  studiorum  mtione,  3^. 
-  V^oy.  sur  ce  point  Uettixger,  p.  25-26,  Passacanl's  Ansichten  über  die  bildenden 
Künste,  p.  97,  124-125. 


INTRODUCTION  131 

la  vie  d'aucune  ^utre  nation,  et  qui  ne  s'est  pas  reproduit  au  mc^me 
dep,r(^  dans  los  temps  modernes, 

'l'an!  que  l'art  conserva  les  principes  reli(jieux  et  patriotiques  qui 
lui  avaient  donné  naissance,  il  fut  dans  un  constant  progrès  et 
marcha  à  la  conquête  d'une  fyloire  universelle;  mais  dans  la  même 
mesure  où  s'évanouirent  la  fidélité  et  la  solidité  du  sentiment  reli- 
gieux, où  la  foi  des  ancêtres  et  les  antiques  traditions  furent  mises 
en  oubli  et  méprisées,  il  vit  l'inspiration  lui  échapper.  Plus  il  regarda 
les  divinités  étrangères,  plus  il  voulut  ressusciter  et  donner  une  vie 
factice  au  paganisme  (qu'on  croyait  mort  depuis  longtemps),  plus  il 
vit  disparaître  sa  force  créatrice,  son  originalité,  et  il  tomba  enfin 
dans  une  sécheresse  et  une  aridité  complètes. 

Nous  possédons  beaucoup  de  monuments  artistiques  bien  capables 
de  nous  foire  apprécier  l'art  allemand  de  la  fin  du  moyen  âge;  mais 
tous  ces  chefs-d'œuvre,  depuis  les  majestueuses  cathédrales  jusqu'au 
plus  humble  meuble  de  ménage,  ne  sont  que  de  faibles  débris,  que 
des  ruines,  comparativement  à  l'ancienne  splendeur,  à  la  profusion,  à 
la  magnificence  des  chefs-d'œuvre  du  quinzième  siècle.  Malheureu- 
sement, dans  les  luttes  religieuses  et  politiques  des  âges  suivants,  pen- 
dant la  révolte  des  paysans,  la  guerre  de  Trente  ans,  les  guerres 
plus  récentes  avec  les  Français,  la  plupart  de  ces  chefs-d'œuvre  ont 
été  anéantis,  volés,  ou  transportés  h  l'étranger.  Puis,  avec  une  aveugle 
passion,  pendant  le  règne  d'une  pensée  soi-disant  libérale  et  éclairée, 
en  pleine  paix,  on  a  exercé  une  véritable  fureur  destructive  contre 
tout  ce  qui  portait  encore  l'empreinte  du  peuple  allemand  tel  que  le 
christianisme  l'avait  façonné. 


CHAPITRE   PREMIER 

ARCHITECTURE. 

L'architecture  forme  chez  tous  les  peuples  que  domine  un  senti- 
ment vraiment  esthétique  le  centre  de  la  vie  des  arts.  C'est  elle,  en 
effet,  qui  représente  le  mieux  l'effort,  le  savoir,  la  capacité  et  les 
aptitudes  artistiques  d'une  nation,  et  sert  de  fidèle  miroir  aux  traits 
particuliers  de  caractère,  aux  tendances  d'esprit  qui  lui  ont  été  pro- 
pres pendant  une  période  de  temps  déterminée.  Elle  est  l'expression 
directe  de  ses  besoins  intellectuels  et  matériels.  Étroitement  associée 
à  tout  ce  qui  intéresse  la  religion  et  la  société,  elle  symbolise  avec 
clarté  les  rapports  mutuels  échangés  entre  l'art  et  la  vie  des  citoyens. 
Elle  est  le  lien  qui  les  unit,  le  point  de  départ  de  tous  les  autres  arts, 
elle  est  par  excellence  Vart  populaire. 

L'art  allemand,  élevé  et  grandi  dans  les  cloîtres,  naquit  au  sein  du 
peuple  comme  le  monachisme  lui-même.  Vers  la  fin  du  moyen  âge, 
il  s'exprima  surtout  par  l'architecture.  La  race  germanique  a  reçu 
pour  elle  un  don  spécial.  Nulle  part  plus  qu'en  Allemagne  elle  n'a 
compté  un  plus  grand  nombre  de  maîtres  de  génie. 

Suivant  avec  fidélité  la  direction  d'esprit  universellement  chré- 
tienne qui  dominait  alors,  sa  force  créatrice  se  manifesta  surtout,  et 
avec  une  étonnante  variété,  dans  les  édifices  religieux.  Toutes  les 
contrées  de  l'Allemagne  furent  dotées  d'innombrables  églises,  nobles 
manifestations  de  l'esprit  religieux,  sublime  poésie  chrétienne  com- 
posée avec  des  pierres  et  des  couleurs.  On  a  dit  excellemment  que  le 
style  chrétien  germanique,  appelé  gothique,  était  la  véritable  pensée 
architecturale  du  christianisme.  En  effet,  l'ensemble  d'une  cathé- 
drale ne  représente  pas  seulement  l'unité  organique  des  diverses 
parties  :  l'édifice  s'élève,  il  grandit,  il  semble  mû  par  la  pensée  inté- 
rieure qui  en  est  l'âme;  il  incarne  dans  sa  matière  et  dans  sa  forme, 
sans  fausse  apparence  et  sans  voile,  l'idée  même  du  vrai.  Toutes  ses 
lignes  s'élancent  vers  le  ciel,  comme  pour  diriger  le  regard  vers 
Dieu.  L'ordre,  la  division,  la  structure,  la  force  des  matériaux, 
figurent  la  victoire  de  l'esprit,  triomphant  de  la  matière  dans  une 
marche  ascendante  et  irrésistible.  Les  détails  de  l'édifice,  ses  sculp- 


UNION    DES    ATELIERS.  133 

turcs  aux  ornementations  si  varices,  s'harmonisent  avec  la  pensée 
fondamentale  et  rappellent  en  même  temps  les  habitudes  intellec- 
tuelles de  l'époque  qui  les  vit  cclore,  où  nul  objet  jusqu'en  ses  der- 
niers replis  u'écliappait  à  l'investigation  curieuse,  et  où  les  sujets 
scientifiques  les  plus  importants  étaient  noyés  dans  une  foule  de  dis- 
tinctions subtiles.  Construits  d'après  des  régies  immuables,  dans  un 
esprit  de  renoncement  et  de  prière,  créés  uniquement  pour  glorifier 
Dieu  et  édifier  le  peuple,  ces  monuments,  dans  leur  impérissable 
grandeur,  saisissent  encore  maintenant  jusqu'au  fond  de  son  être  le 
spectateur  qui  les  contemple,  et  le  remplissent  de  foi  religieuse, 
d'étonuement  et  de  respect. 

Pour  expliquer  comment  il  a  pu  se  faire  que,  dans  un  espace  de  temps 
relativement  court,  un  si  grand  nombre  d'œuvres  merveilleuses  aient 
été  créées,  il  faut  se  rappeler  l'or^janisation  corporative  des  artistes 
d'alors  et  les  nombreuses  associations  d'ouvriers  qui  s'étaient  formées. 

Pour  les  ouvriers  en  effet  comme  pour  toutes  les  autres  classes 
sociales,  s'étaient  organisées  ces  corporations  laborieu.*=es,  si  con- 
formes au  génie  allemand,  auxquelles  nous  devons  l'éclosion  simul- 
tanée de  tant  de  chefs-d'œuvre;  c'est  grâce  à  leurs  efforts  réunis, 
conçus  avec  sagesse,  exécutés  avec  enthousiasme,  que  les  créations 
les  plus  sublimes  de  l'imagination  sont  devenues  réalisables.  Les  cor- 
porations maintenaient  les  apprentis  par  une  ferme  discipline;  les 
jeunes  ouvriers  recevaient  chez  leurs  patrons  une  éducation  graduée 
qui  les  rendait  peu  â  peu  propres  à  atteindre  un  but  déterminé 
d'avance.  Ils  ne  devaient  pas  seulement  savoir,  avant  tout  ils  de- 
vaient pouvoir.  Chaque  apprenti  devait  parfaire  ses  années  d'appren- 
tissage et  de  voyage,  et  celui-là  seul  devenait  patron  qui,  après  avoir 
été  mis  longtemps  à  l'épreuve  dans  la  pratique  des  diverses  branches 
de  son  art,  avait  fait  véritablement  œuvre  de  raaitre.  C'est  Ihabileté 
acquise  par  le  manœuvre  sous  la  discipline  de  la  corporation,  qui 
permettait  d'obtenir  cette  perfection  admirable  que  nous  voyons 
également  répandue  dans  tous  les  détails  d'une  cathédrale  gothique. 
La  perpétuité  et  l'uniformité  du  mode  de  travail,  l'appui,  le  concours 
mutuel  que  se  prêtaient  tailleurs  de  pierre,  charpentiers,  serruriers, 
fondeurs  de  métaux,  ont  seuls  rendu  possible  cette  harmonieuse  abon- 
dance d'ornements  qui,  subdivisant  l'ensemble  de  l'édifice  en  un  nom- 
bre infini  de  petites  et  plus  petites  parties,  laisse  cependant  pressen- 
tir l'ensemble  dans  le  moindre  détail  '. 

Pour  l'utilité  et  l'avantage  des  maîtres  de  construction  comme  de 

'  Voy.  REicntNSPERGER,  Christlich  germanische  Baukunst,  p.  12-21 .' Dursch,  Aesthetik 
der  christlich  bildenden  Kunst,  p.  310.  —  Frédéric  Schlegel,  OEuvres  complètes,  t.  VI, 
p.  201-2U3.  —  Springer,  Baukunst  des  christl.  Mittelalters,  p.  121-122. 


134  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

toute  la  manœuvre,  '■  pour  éviter  les  querelles,  les  dissensions,  les 
malentendus,  les  dépenses  et  le  dommage  »,  les  corporations  de  tail- 
leurs de  pierre  depuis  longtemps  existantes  s'unirent  pour  former 
la  confrérie  générale  de  la  maçonnerie  allemande. 

Dans  les  deux  grandes  réunions  des  tailleurs  de  pierre  qui  eurent 
lieu  à  Ratisbonne  eu  1459  et  à  Spire  en  1464,  tous  les  ateliers  et  cor- 
porations se  subordonnèrent  par  un  traité  général  aux  quatre  ateliers 
principaux  de  Strasbourg,  Cologne,  Vienne  et  Berne,  et  confièrent 
à  Tarcliitecte  en  chef  de  la  cathédrale  de  Strasbourg  la  charge  de 
président  et  la  juridiction  suprême.  Tous  les  ateliers  de  construction 
avaient  les  mêmes  règles,  usages  et  juridiction.  Ils  devaient  conserver 
et  cultiver  entre  eux  «  une  véritable  amitié,  le  bon  accord  et  Tobéis- 
sance,  comme  étant  le  fondement  de  tout  bien  ■  .  La  vieille  devise  des 
constructeurs  était  : 

L'art  du  compas  et  Injustice 
Sans  Dieu  ne  sont  à  nul  propices. 

"  Maîtres  et  compagnons  ' ,  est-il  dit  dans  une  constitution  des  tail- 
leurs de  pierre  qui  date  de  1462,  -  doivent  maintenir  parmi  eux  Tordre 
chrétien,  se  prêter  mutuellement  appui,  assister  tous  les  dimanches 
à  la  grand'messe  et  recevoir  la  sainte  communion  au  moins  une  fois 
l'an.  "  La  foi  pratique  et  la  conduite  honorable  devaient  être  comme 
les  pihers  de  l'atelier  :  -  Tout  patron,  dit  la  constitution  déjà  citée, 
doit  tenir  sa  maison  libre,  et  veiller  à  ce  qu'aucune  dissension  ne  s'y 
élève.  '■  "  L'atelier  doit  rester  libre  comme  le  lieu  oii  l'on  rend  la  jus- 
tice. "  «  Chaque  ouvrier  doit  faire  un  don  toutes  les  semaines  pour 
le  service  divin  et  le  soin  de  ses  frères  malades;  il  est  soumis  à  une 
exacte  surveillance  sous  le  rapport  du  jeu,  de  la  boisson,  des  mœurs, 
des  jurements  et  mauvaises  paroles.  L'instruction  de  l'apprenti  est 
gratuite.  "  «  On  ne  doit  pas  payer  pour  lui.  » 

Les  ateliers  de  construction  faisaient  partie  des  institutions  du 
pays,  et  l'on  regardait  comme  un  trait  vraiment  populaire  dans  la 
vie  de  Maximilien  la  connaissance  qu'il  avait  voulu  acquérir  de 
r  «  art  du  compas  '.  L'Empereur,  en  effet,  savait  tracer  un  plan,  et 
s'était  même  fait  inscrire  parmi  les  compagnons  d'un  atelier  de  con- 
struction '.  Il  y  avait  aussi  beaucoup  d'architectes  dans  les  cloîtres, 
surtout  dans  les  monastères  des  Bénédictins,  des  Cisterciens  et  des 
Dominicains.  Ces  derniers  fondèrent  même  à  Strasbourg  une  sorte 
d'école  d'architecture. 

On  n'écrivit  aucun  livre  de  théorie  sur  l'  <  art  sublime  »  tant  que 

'  Voy.  le  travail  de  Janner  sur  les  Ateliers  de  consliuction,  Allihn  Bauhütte,  n"^  43- 
44.  —  Reichensperger,  Mélanges,  p.  156-163,  et  son  opuscule  sur  les  Ateliers  de 
constr.  au  moyen  âge  [ColOQue,  1879).  —  Grc.\eiSE.\  et  ."Malch,   p.  3-19. 


ATELIERS    DE    f:0  N  S  T  R  UCT  I  0  N.  135 

la  tradition  du  passé  ré(yna  en  souveraine.  Ce  ne  fut  qu'au  commen- 
cement de  la  Renaissance  que  se  fit  senlir  le  besoin  de  fixer  par  écrit 
les  rè[>,ies  de  rarcliileclure.  C'est  ainsi  (ju'il  ne  devint  nécessaire 
d'écrire  les  principes  du  droil  national  qu'au  moment  de  l'envaliisse- 
mcnldudroil  romain.  L'arcliilecle  Malliiieii  Horilzer,  de  Halisbonnc, 
sur  l'ordre  (jue  lui  en  donna  l'évéïiuc  Guillaume  de  liciclienau,  (jrand 
ami  des  arts,  composa  un  travail  intitulé  :  Manière  de  construire 
exactement  les  pinacles  (liStî),  petit  ouvra(j'e  dans  lequel,  sur  un 
ton  de  simple  et  cordiale  bonhomie,  l'auteur  explique  le  développe- 
ment de  certaines  parties  d'un  édifice  gothique.  Après  lui,  Laurent 
Lacher,  archilecle  du  Palatinat,  composa  une  instrucdon  du  même 
genre  pour  ses  fils  (15tß).  Cet  écrit  prouve  bien  que  les  maîtres  du 
quinzième  siècle  étaient  déjà  convaincus  que  l'art  véritable,  dans  son 
expression  extérieure,  repose  sur  une  loi  intérieure,  et  que  ce  n'est 
que  sur  le  fondement  d'une  règle  précise  qu'une  œuvre  vraiment 
belle  et  indépendante  peut  être  exécutée  •. 

Unissant  une  logique  rigoureus:^  à  une  grande  liberté  d'inspira- 
tion, l'activité  féconde  de  l'architecture  germanique  marqua  de  son 
empreinte  le  monde  chrétien  tout  entier.  Elle  avait  pris  droit  de 
bourgeoisie  en  Italie  par  la  construction  des  cathédrales  et  églises  de 
Milan,  Florence,  Orvieto,  Assise,  Sienne,  et  un  grand  nombre 
d'autres  d'imporlance  diverse.  En  liOO,  on  fit  venir  des  architectes 
de  Strasbourg  à  INlilan,  afin  d'entendre  leur  avis  quant  à  la  conti- 
nuation du  Dôme.  «  Les  Allemands,  disait  l'Italien  Paul  Jovius,  pro- 
duisent les  œuvres  d'art  les  plus  sublimes,  et  nous.  Italiens  endormis, 
pour  avoir  de  bons  architectes,  nous  sommes  obligés  d'en  envojer 
chercher  chez  eux-.  "  André  Palladio  (f  1580),  un  des  maîtres  les  plus 
influents  de  l'architecture  de  la  Kenaissance,  avouait  que  les  monu- 
ments les  plus  remarquables  de  l'Italie  étaient  dus  aux  Allemands  ^ 
L'art  germanique  avait  aussi  pris  possession  de  l'Angleterre  par  les 
cathédrales  et  églises  de  Salisbury,  Ely,  Lincoln,  Worcester,  Win- 
chester, Glocester,  Exeter,  Beverley,  Bristol  et  York.  En  Espagne  et 
en  Portugal,  on  doit  aux  Allemands  les  cathédrales  de  Barcelone, 
Léon,  Oviedo,  Tolède,  Séville,  et  les  églises  abbatiales  de  Batalha  et 
Belem.  Vers  le  milieu  du  quinzième  siècle,  un  architecte  de  Cologne 
exécuta  un  des  portails  les  plus  admirables  de  Burgos.  Palma,  dans  les 
lies  Majorques,  semble  une  ville  gothique  construite  d'un  seul  jet.  Au 
moment  de  la  conquête  de  l'ile  par  les  Espagnols,  il  est  probable  que 
toute  une  colonie,  composée  en  grande  partie  de  tailleurs  de  pierre 

'  Pour  plus  de  détails,  voy.  Reichensperger,  Mélanges,  p.  55-71  et  133-155.  — 
Voy.  SiGHART,  p.  443,  note. 

^  Voy.  SPRiNT.rR,  Bilder,  p.  174-175. 

^  Voy.  Reichensperger,  Mélajiges,  p.  173-174. 


133  L'ART    ET    LA   VIE    POPULAIRE. 

allemands  venus  d'Espagne,  s'y  était  établie.  La  Hongrie  tout  entière 
se  couvrit  aussi  d'édifices  dus  en  grande  partie  à  des  maîtres  alle- 
mands; par  leur  importance  ils  peuvent  soutenir  la  comparaison 
avec  les  plus  beaux  monuments  des  autres  pays  •.  Dans  la  vieille  ville 
polonaise  de  Cracovie,  les  plus  remarquables  édifices  dus  à  l'archi- 
tecturc  du  moyen  âge  portent  l'empreinte  germanique  ^. 

11  est  vrai  que  dans  les  édifices  gothiques  du  moyen  âge  à  son  déclin, 
la  profusion  des  ornements  de  détail  ne  reste  pas  toujours  dans  une 
juste  proportion  avec  le  reste  de  l'édifice.  Ils  continuent  néanmoins 
à  être  conçus  et  exécutés  «  d'après  le  compas  et  la  justice  »,  et  dans 
leurs  compositions  décoratives,  gracieuses  et  brillantes,  on  découvre 
souvent  des  merveilles  d'art  ^  En  Allemagne  aussi  bien  qu'en  Angle- 
terre et  en  Espagne,  et  particulièrement  dans  les  cathédrales  de 
Ségovie  et  de  Salamanque  ^  le  gothique  de  la  dernière  époque  s'épa- 
nouit dans  toute  la  force  vitale,  la  puissance  et  la  beauté  de  son 
style.  Peu  de  temps  avant  qu'il  cessât  de  produire  ses  chefs-d'œuvre, 
une  princesse  allemande,  fille  de  Maximilien,  Marguerite  d'Autriche, 
fit  construire  cette  cathédrale  de  Brou,  qui  semble  réunir,  comme  dans 
un  faisceau  de  rayons,  toute  la  splendeur  de  l'art  du  moyen  âge  ^ 

L'influence  de  l'architecture  germanique  persista  encore  pendant 
la  première  période  de  ce  qu'on  a  appelé  la  Renaissance,  En  effet, 
dans  ses  parties  essentielles,  l'art  ogival  y  est  encore  guidé  par  les 
principes  que  le  moyen  âge  lui  a  légués.  Les  maîtres  de  l'art  nou- 
veau héritèrent  de  leurs  prédécesseurs  l'habileté  technique,  la 
richesse  d'imagination,  et  aussi  longtemps  qu'ils  vécurent  des  grandes 
traditions  du  passé,  on  leur  a  dii  des  œuvres  vraiment  dignes  de  notre 
admiration. 


On  ne  peut  se  faire  quune  idée  approximative  de  la  féconde 
activité  de  l'architecture  religieuse  au  déclin  du  moyen  âge  :  une 
quantité  incalculable  d'églises  datant  de  cette  époque  ont  été  rasées 

1  Voy.  Jahrbuch  der  Central  commission,  t.  I,  p.  95,96,  108,  122-123.—  Voy.  docu- 
ments divers,  t.  VIII,  p.  87.  Églises  golh.  de  la  Croatie.  —  Voy.  Renseignements 
divers,  t.  I,  p.  232-236. 

-Voy.  l'ouvrage  illustré  d'EsSElVWEiN,  Mittelalterlichen  Kunstdenhmale  der  Stadt 
Cralcau.  —  Sur  l'art  allemand  en  Bohême,  voy.  les  Renseignements  dirers,  t.  II, 
p.  232.  —  Wermcke,  Anzeiger  für  Kunst  der  deutschen  Vorzeit,  1881,  p.  141,  144. 

^  Voy.  KuGLER,  Bauhunst,  t.  III,  p.  303. 

*  Street,  Gothic  Architecture  in  Spain,  2"  édit.,  p.  248-432. 

5  Rëichenspergeu,  Mélanges,  p.  230-232. 


ÉDIFICES    RELI  fil  EUX.  137 

dans  les  siècles  qui  suivirent.  Mais  celles  qui  sont  restées  debout 
sont  encore  en  si  grand  nombre  qu'on  peut  affirmer  que  dans 
aucune  période  de  notre  histoire  on  n'a  élevé  autant  d'édifices 
reli(jieux.  Cette  ardeur  pour  la  construction  des  églises  se  pro- 
duisit simultanément  dans  toutes  les  parties  de  T Allemagne,  aussi 
bien  dans  les  petites  villes  que  dans  les  grandes;  les  villages  mêmes 
virent  s'élever  des  églises  parfois  capables  par  leur  beauté  de  riva- 
liser avec  les  grandioses  cathédrales,  et  qui,  relativement  parlant, 
commandèrent  d'aussi  importants  sacrifices  que  les  dômes  de  Fri- 
bourg  ou  d'Ulm  '. 

Jusque  dans  les  pays  reculés  de  l'Allemagne  du  Nord,  où  la  civili- 
sation pénétra  tardivement,  de  nombreuses  églises  furent  con- 
struites entre  14.50  et  1.515,  beaucoup  d'autres  furent  restaurées,  et 
sont  d'une  graiide  valeur  au  point  de  vue  artistique  -.  Citons  surtout 
les  églises  de  Berlin,  Brandebourg,  Breslau,  Danzig,  Dargun, 
Elbing,  Francfort-sur-l'Oder,  Furstenwald,  Gardelegen,  Gleiwitz, 
Güstrow,  Havelberg,  Heiligengrab,  Juterbogk,  Lübeck,  Neu-Ruppin, 
Neustadt-Ebers- Walde,  Pelplin,  Pritzwalk,  Rostock,  Salzwedel,  See- 
hausen, Stendal,  Stettin,  Stralsund,  Tangermunde,  Tliorn,  Wer- 
ben, Wilsnack,  Wismar,  Wittstock,  Wolminstadt,  Wursthausen, 
Ziesar;  dans  un  grand  nombre  de  ces  localités,  beaucoup  d'églises 
se  bâtissaient  ta  la  fois,  comme  par  exemple  à  Danzig,  où  en  dehors 
de  la  grandiose  église  de  Sainte-Marie  qui  date  de  1.502,  nous  voyons 
ou  se  commencer  ou  s'achever  :  Saint-Jean  (1460-146.5),  la  Sainte- 
Trinité  (1481-149.5),  la  chapelle  de  Sainte-Anne  (1490),  le  chœur  de 
l'église  des  Carmélites  (1467),  l'église  de  Sainte- Barbe  (vers  1499), 
Saint-Barthélémy  (1499),  Sainte-Brigitte  (1515),  Saint-Pierre  et  Saint- 
Paul  (1515j  '.  Dans  ces  pays,  où  l'on  en  était  réduit  à  l'usage  exclusif 
des  briques,  le  talent  des  architectes  se  révèle  avec  évidence;  avec 
cette  matière  pauvre  et  ingrate,  ils  parviennent  à  obtenir  les  effets 
les  plus  grandioses  K 

Les  édifices  religieux  de  Thuringe  et  de  Saxe  attestent  la  même 
extraordinaire  fécondité  de  travail.  On  en  peut  voir  les  preuves  à 
Altenbourg,  Anaberg,  Bautzen,  Brunswick,  Calbe  sur  la  Saale, 
Chemnitz,  Cobourg,  Duderstadt,  Eisfeld,  Eisleben,  Erfurt,  Freiberg, 

'  Les  noms  des  architectes  d'un  nombre  infini  de  ces  monuments  sont  incon- 
nus, mais  rien  que  dans  l'espace  de  temps  compris  entre  1450  et  1520,  on  peut 
cependant  en  citer  environ  deux  cents.  —  Sighart,  p.  418-495.  —  Otte,  p.  632- 
644. 

-  Pour  ce  qui  suit,  voy.  Otte,  p.  489-623.  On  n'a  compris  dans  cette  liste  que 
les  monuments  qui  ont  une  date  d'ori;;ine  très-précise  et  très-authentique. 

^  Sur  les  monuments  élevés  à  Danziij  pendant  la  seconde  moitié  du  quin- 
zième siècle,  voy.  Hirsch  et  Vossberg  dans  la  IVeinrekh's  Chronik,  XIX-XXI. 

*  ScHN.AASE,  Documents,  t.  VIII,  p.  56. 


138  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

Freibourg-sur-rUnstrut,  Görlitz,  Goslar,  Halberstadt,  Halle-sur-la- 
Saale,  Hiidesheim,  léna,   Leipzig,  Magdebourg,  Meissen,  Merse- 
bourg,  Naumbourg,  Nordhausen,  Pirna,  Roehlitz,  Romhild,  Saalfeld, 
Sangerhausen,  Wittenberg,  Zerbst,  et  Zwickau.  Citons  la  ville  de 
Görlitz,  où  l'église  de  Notre-Dame  fut  construite  entre  1458  et  1473; 
celle  du  Saint-Sépulcre,  en  1465;   de  la  Sainte-Croix,  de  1481  à 
1498;  l'église  de  Sainte-Anne,  de  1508  à  1512,  et  en  1497,  l'église 
colossale  de  Saint-Pierre  et  de  Saint-Paul  avait  été  achevée.  Mais 
l'Allemagne  du  Sud  montre  encore  plus  d'ardeur  que  celle  du  Nord, 
tant  pour  l'érection  de  nouvelles  églises  que  pour  la  reconstruction 
ou  l'achèvement  des  anciennes.  Dans  l'Autriche  allemande,  il  faut 
particulièrement  citer  les  édifices  de  Aller-Heiligen,  Ansbach,  Bär- 
neck, Braunau,  Brunn,  Eisenerz,  Efferding,  Feltkirsch,  Gratz,  Gres- 
ten,  Gross-Pechlarn,  Knittelfeld,  Krems,  Kuttenberg,  Lana,  Leoben, 
Mariabuch,  Melk,  Méran,  Mödling,  Neuberg,  Nussdorf,  Obermauern, 
Pottendorf,  Prachatitz,  Prague,  Purgstall,  Rabenstein,  Salzbourg, 
Saint-Georges,  Saint-Marein,   Saint-Oswald,  Saint-Paul,  Saint-Ru- 
precht,  Saint-Wolfgang,  Schönbach,  Schwaz,  Schweigers,  Sobieslau, 
Stein,  Stein  près  de  Laybach,  Steyer,  Strassengen,  Tabor,  Töllers- 
heim,  Waidhofen,  Vienne,  Viener-Neustadt,  Wilhemsbourg,  Win- 
dischgräz.  Rien  que  dans  le  district  des  forets  de  Vienne,  quatre- 
vingt-dix  églises  environ  furent  bâties  ou  restaurées  dans  la  seconde 
moitié  du  quinzième  siècle'. 

En  Souabe  et  en  Bavière,  d'innombrables  monuments  religieux 
attestent  la  mêmeactivité  féconde.  Citonsleséghses  de  Alpirsbachprès 
deFreudenstadt,  Altheim,  Alttötting,  Amberg,  Augsbourg,  Bebenhau- 
sen, Beinstein  près  de  Weiblingen,  Berchtesgaden,  Blaubeuren,  Blu- 
tenburg,  ßogenberg,  Burghausen, Chammunster,  Dingolfing,  Diukels- 
buhl,  Donauwörth,  Eggenfelden,  Elhvangen,  Entringen,  Esslingen, 
Freising,  Gaimersheim,  Geisenhauseu,  Gnadenberg,  Hallen  Souabe, 
Heilbronn,  Hirschau,  Ingolstadt,  Kelheim,  Landshut,  Leutkirch, 
Magstadt,  Memmingen,  Monheim,  Munich,  Neumarkt,  Neunbourg, 
Neuötting,  Nördlingen,  OEhringen,  Passau,  Pipping,  Prull,  Ratis- 
bonne.  Rottweil,  Saint-Nicolas,  Schorndorf,  Schrobenhausen,  Schwä- 
bisch-Gmünd,  Straubing,  Stuttgard,  Sulz,  Tirschenreuth,  Tölz, 
Trosberg,  Tubinguen,  Ulm,  Velden,  Vilsbibourg,  Waiblingen,  Was- 
serbourg,  Weil-la-Ville,  Weilheim,  Wimpfen-la-Montagne.  Dans 
quelques  villes,  la  presque  totalité  des  églises  date  de  la  fin  du 
quinzième  siècle,  par  exemple  à  Wailbligen,  oîi  les  églises  paroissiales 
ont  été  achevées  entre  1459  et  1489  ;  la  chapelle  du  cimetière,  avec  sa 
crypte,est  de  1496  ;  cellede  Saint-Nicolas,  de  1488.  A  Stuttgard,  l'église 

'  Voy.  Jahrbuch  der  Centrakommission,  t.  II,  p.  104. 


ÉDIFICES    RELIGIEUX.  ï''9 

de  Saint-Léonard  est  de  1171,  l'église  abbatiale  de  1490,  la  cliapclle 
de  riirtpilal  de  1493.  A  Aujjsboiirp,,  le  Dôme  fut  achevé  en  1484,  Sainl- 
Ulricli  est  commencé  en  1407,  Saint-Geor^jes  achevé  entre  1490  et 
1505.  Saint  Maurice  date  aussi  de  cette  époque.  Le  Dôme  de  P.aiis- 
bonnc,  chef-d'œuvre  de  premier  ordre,  est  de  1486,  la  cathédrale 
d'rim  de  1507,  et  Notre-Dame  de  Munich  fut  construite  entre  1408 
et  1488. 

La  VVesfphalie  et  le  pays  rhénan  furent,  aussi  bien  que  la  Bavière 
et  la  Souabe,  dotés  de  nombreux  et  d'imposants  monuments  reli- 
gieux. Citons  en  Westphalie  ceux  de  :   Blomberg,   Bocholt,  Bor- 
ken, Coesfeld,  Corbach,  Dortmund,  Everswinkel,  Hamm,  Liesborn, 
Lippstadt,   Lüdinghausen,  Mollenbcck,   Munster,  Nottuln,  Bheine, 
Schwerte,  Soest,   Unna,  Freden,  Wcdderen.  Dans  le  pays  rhénan  : 
Alzey,    Andernach,   Baden-Baden,    Bâle,   Berne,   Bingen,    Bonn, 
Bruchsal,  Calcar,  Clausen,  Clèves,  Coblentz,  Cologne,  Constance, 
Cues-sur-la-Moselle,  Duisbourg,  Elten,  Emmerich,  Essen,  Fribourg, 
Heidelberg,  Hernsheim,  Kiedrich;  dans  le  Bheingau,  Landau,  Linz, 
Mayence,  Meisenheim,  Metz,  Neustadt,  Rokeskyll  et  Saint-Goar,  Sim- 
mern, Sobernheim,  Strasbourg,  Thann,  Trêves,  Überlingen,  Worms, 
Xanten,  Zug  et  Zurich.  On  travailla  clans  cette  dernière  ville  à  la 
grandiose  cathédrale  de  1480  à  1490;  au  dôme  de  Notre-Dame  de 
1484  à  1507;  à  la  Wasserkische  de  1479  à  1486.  A  Cologne,  se  mani- 
feste en  même  temps  une  incroyable  ardeur  pour  l'architecture  reli- 
gieuse. Sans  parler  des  édifices  civils,  Sainte-Ursule  est  construite 
entre  1449  et  1467,  les  Saints-Apôtres  en  1451,   Saint-Séverin  en 
1479,  l'église  des  Frères-Mineurs  en  1480,  Saint-Martin-le-Petit,  Saint- 
Laurent,  à  la  même  date;  Saint-Jean  et  Saint-Cordula  en  1483.  En 
1456,  Saint-Columba  fut  agrandi  pour  la  première  fois,  en  1493  pour 
la  seconde,  en  1504  pour  la  troisième.  En  1491,  Saint-Paul  est  con- 
tinué. En  1402,  l'église  des  Macchabées  est  érigée,  en  1465  s'élève  la 
chapelle  du  Sauveur  dans  Sainte-Marie  du  Capitole,  la  chapelle  de 
Saini-Thomas  date  de  1469,  celle  de  Sainte-Catherine  de  1473,  la 
sacristie  de  la  chapelle  de  l'hôtel  de  ville,  de  1474,  l'église  et  le 
cloître  de  Saint-Apern,  de  1477,  l'église  et  le  cloître  de  Sion,  de  1480, 
ainsi  que  l'église  des  Frères  de  la  Croix;  l'église  du  cloitre  de  Mom- 
mersloch  s'achève  en  1483;  la  chapelle  du  Baptistère  de  Saint-Jean 
en  1489,  en  1490,  l'église  des  Frères  de  Weidenbach;  en  1493,  la 
seconde  chapelle  de  Sainte-Marie  du  Capitole;  en  1505  le  Baptistère 
et  Saint-Séverin.  Outre  cela,  de  1447  à  1513  on  travailla  sans  relâche 
au  Dôme'. 

'  Voy.  Ennex,  surl'arcliitecture  dans  le  diocèse  de  Worms  au  déclin  du  moyen 
âge;  voy.  rarticle  de  Falk,  t.  III,  p.  982-1001.  —  Voy.  le  Mémoire  de  Falk,  dans 
les  Histor.  und  Pol.  Blätter,  t    LXXIX,  p.  125-130. 


1^0  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

Dans  tout  le  territoire  du  Rhin  central  où  Farcliitecture  chrétienne 
du  moyen  âge  eut  son  plus  magnifique  épanouissement,  la  période 
comprise  entre  1450  et  lölö  fut  peut-être  la  plus  féconde.  Jusque 
dans  les  petites  localités  de  brillants  chefs-d'œuvre  furent  exécutés, 
entre  autres  la  splendide  église  paroissiale  de  Kiderich,  la  chapelle 
de  Saint -Michel  de  la  même  petite  ville,  et  Teglise  du  Cygne, 
à  Forst.  Cette  dernière  pourrait  bien  représenter  le  point  culminant 
de  l'art  chrétien.  Elle  nous  offre  la  preuve  du  génie  avec  lequel  les 
architectes  d'alors  savaient  se  prêter  à  toutes  les  exigences;  ils  exé- 
cutaient les  petites  choses  avec  la  même  habileté,  le  même  suc- 
cès que  les  grandes  ' .  L'essor  de  l'architecture  semblait  suivre 
l'élan  de  la  vie  intellectuelle.  Ainsi  à  Bàle  et  à  Fribourg,  c'est  à 
l'époque  où  les  Universités  nouvellement  fondées  entrent  dans  leur 
première  période  d'éclat,  qu'on  érige  à  Bàle  (de  1470  à  1487)  le 
second  chemin  de  croix;  entre  1484  et  1500  s'élève  le  clocher  sud  de 
la  cathédrale;  de  1496  à  1503  l'église  de  Saint-Léonard.  De  1471 
à  1509,  le  chœur  de  la  cathédrale  de  Fribourg,  avec  sou  admirable 
couronne  de  chapelles  est  construit  ^.  A  Francfort-sur-le-Mein  le  zèle 
pour  la  construction  des  églises  parait  surprenant  lorsqu'on  le  com- 
pare à  l'inertie  du  passé.  En  1452,  ou  y  construit  Saint-Pierre; 
en  1455,  Notre-Dame  la  Blanche;  en  1458,  Notre-Dame;  en  1485, 
l'église  de  l'ordre  Teutouique;  en  1507,  Saint-Léonard;  en  1512,  le 
Dôme. 

Des  centaines  d'églises  s'élèvent  aussi  en  Francouie  et  dans  la  Hesse. 
D'après  une  liste  très-exactement  faite,  dans  un  seul  district  de  ce 
pays  (celui  qui  appartient  aujourd'hui  au  district  impérial  prussien 
de  Cassel')  nous  constatons  que  des  éghses  furent,  ou  construites,  ou 
réparées  et  achevées,  dans  plus  de  soixante  localités  différentes. 

Les  noms  de  ces  localités  prouvent  que  dans  ce  pays,  dépouillé  par 
la  guerre  de  tant  de  monuments,  la  quatrième  partie  environ  des 
éghses  qui  sont  encore  debout  date  de  la  tin  du  moyen  âge.  Pour 
prendre  un  autre  exemple  dans  un  pays  différent,  c'est  à  la  même 
époque  qu'appartient  presque  la  moitié 'des  édifices  religieux  dignes 
d'attention  au  poiut  de  vue  de  l'art,  qui  subsistent  encore  dans  les  deux 
Alsaces  (districts  de  Kaisersberg  et  de  Rappoltsweiler*). 

L'érection  de  ces  innombrables  édifices  permet  de  constater  l'ac- 

'  Reichensperger,  Mélanges,  p.  111-121.— Sur  Kiedrich,  vov.  Zaln,  82  foIL, 
132  foil. 

-  Sur  le  chœur  de  !a  cathédrale,  voy.  Bader,  Geschichte  der  Sladl  Freiburg,  t.  I, 
p.  533-541 

^  Voy.  liaudenlniiiler  im  Regierungsbezirk  Cassel,  DEHN  Rotfelser  et  LOTZ  (Cassel, 
1870).  —  LOTZ,  KunsUopographie  Dculschlmuh,  t.  II  (CaSiCl,  1862). 

*  Voy.  ?iJV^k\:u,SuUislique  mon.  des  cantons  de  Kaijsersberg  et  de  liibeauvillé  (Stvashourf^, 
1860.) 


ÉDIFICKS    RELIGIEUX.  141 

lion  puissante  qu'exerçait  encore,  dans  toutes  les  parties  de  l'Alle- 
maîpie,  l'Éj^iise  dont  ils  servaient  les  vues.  Tant  et  de  si  admirables 
enlises,  «ans  parler  des  richesses  dont  elles  él aient  intérieurement 
ornées,  n'auraient  pu  s'élever,  si  dans  toutes  les  classes,  dans  les 
familles  comme  dans  les  corporations,  n'eiU  dominé  l'esprit  de  foi, 
la  vive  ferveur.  Ce  n'était  pas  l'amour  de  l'art  qui  poussait  les  ùmes 
vers  la  dévotion;  c'étaient  le  sentiment  relifjieux,  la  culture  religieuse 
élevée  du  peuple  qui  faisaient  éclore  les  œuvres  de  l'art  chrétien  et  en 
inspiraient  l'amour.  La  nation  y  joignait  ses  plus  nobles  efforts  et 
tenait  à  y  participer  selon  ses  moyens,  par  des  offrandes,  grandes 
ou  petites. 

Qu'on  prenne  en  main,  par  exemple,  les  comptes  d'architecture 
de  l'église  de  Xanten  :  le  maître  architecte  reçoit,  pour  couvrir  les 
frais  de  la  bâtisse,  de  celui-ci  un  lit,  de  cet  autre  un  ustensile  de 
ménage;  un  troisième  apporte  son  habit;  le  quatrième  amène  sa 
vache,  un  autre  offre  du  blé,  et  le  maître  architecte  est  prié  d'employer 
le  prix  de  revient  de  tous  ces  dons  de  la  manière  qu'il  jugera  être  la 
plus  utile.  Dans  le  chœur  de  l'église,  on  voyait  suspendus  des  cui- 
rasses, des  casques,  foute  espèce  d'armes  destinées  à  être  vendues. 
Un  bourgeois  donne  ses  pierres  précieuses;  un  seigneur  offre  les 
dîmes  apportées  par  ses  fermiers;  on  offre  des  matériaux  de  con- 
struction, le  gain  d'une  partie  de  quilles,  l'aumône  qu'on  est  obligé 
de  faire  en  entrant  dans  une  confrérie.  Un  valet  de  service  donne 
dix  pièces  de  menue  monnaie;  une  pauvre  vieille  femme,  quatorze 
deniers.  Les  tailleurs  de  pierre  eux-mêmes  ne  restent  pas  en  arrière 
et  donnent  souvent  d'une  main  ce  qu'ils  viennent  de  recevoir  de 
l'autre  comme  salaire  de  leur  semaine'. 

Les  choses  se  passaient  de  même  à  Francfort-sur-le-Mein  ;  dans 
cette  ville,  la  collégiale  de  Saint-Barthélémy  avait  chargé  un  em- 
ployé spécial  de  recevoir  les  dons  apportés  pour  l'achèvement  de  la 
cathédrale.  Cet  homme  se  tenait  tout  le  long  du  jour  dans  le  cime- 
tière, près  d'une  image  représentant  le  Sauveur  au  jardin  des  Olives. 
On  apportait  au  "  gardien  de  l'image  »  non-seulement  de  bonnes 
pièces  sonnantes,  mais  encore  des  objets  de  ménage,  d'habillement, 
même  des  veaux,  des  porcs,  des  poulets,  etc.,  que  l'on  renfermait  dans 
des  clôtures  disposées  à  cet  effet.  La  confrérie  des  boulangers  se 

'  SCHOLTEX,  jlusztijc  aus  den  Baurcchimngen  der  St  Vicloi's  Kirche  zu  Xanten,  p.  21,  26, 
30,  36,  39,  ^3,  48,  54-59,  63,  64,  74  (Berlin,  1852). 

REicii^ysPEKGEK,  Mélanges,  p.  268-270;  nous  voyons  p.ir  ces  comptes  combien, 
même  à  cette  époque,  lérection  d'un  (jrand  édifi*  e  éiait  chose  dispendieuse.  — 
Otte,  p.  631.  —  Voy.  aussi  sur  ce  sujet  Allihx,  Bauhütte,  n»  42,  p.  84-92.  Il  y 
rend  pleine  justice  à  l'ardeur  pour  les  œuvres  d'art  et  d'architecture  •  de  ce 
quinzième  siècle  si  raillé  «.  —  Voyez  aussi  SciiueGRAF,  Drei  Rechnungen  über  den 
Regenshurgcr  Dom,  1487-1489  (Ratisbonne,  1857). 


142  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

chargea  cVengraisser  gratuitement  les  porcs  donnés  de  cette  manière, 
jusqu'au  moment  où  ils  seraient  en  état  d'être  tués.  Chaque  samedi 
lecollecteur  des  aumônes  vendait  à  l'encan  les  objets  qu'il  avait  reçus 
pendant  la  semaine,  et  le  vendredi,  on  voyait  fréquemment  un  paysan 
suspendre  son  harnais  ou  son  meilleur  vêtement,  une  femme  sa  plus 
belle  jupe,  auprès  de  la  pieuse  image;  puis  le  lendemain  on  venait 
racheter  ce  qu'on  avait  donné  la  veille'. 

On  lit  dans  une  chronique  manuscrite  relative  à  la  construction 
de  la  cathédrale  d'ülm  :  "  A  l'endroit  où  le  conseil  de  fabrique  a 
coutume  de  s'acquitter  des  devoirs  de  sa  charge,  on  a  construit  une 
baraque  où  chacun  peut  apporter  la  petite  offrande  volontaire  de 
son  bon  cœur.  Ni  tablier,  ni  cotillon,  ni  ceinture,  ni  collier  n'est 
méprisé;  on  les  vend  ensuite  chez  les  fripiers,  près  du  logis  des 
cloutiers,  le  plus  avantageusement  possible  au  profit  de  l'édifice. 
Quelques  bourgeois  se  sont  engagés  à  faire  corvée  d'hommes  et  de 
chevaux  pendant  une  année  entière;  d'autres,  pendant  six  mois,  un, 
deux  ou  trois  mois  ;  quelques-uns  même  achètent  des  chevaux  à  cet 
effet.  Aussi,  grâce  à  leurs  efforts,  l'œuvre  a  grandi  sous  leurs  mains 
de  telle  manière  que...  en  1488,  non-seulement  la  grande  et  splendide 
église  avec  son  clocher  a  été  élevée,  voûtée,  couverte,  mais  encore 
ornée  à  T'inléricur  de  cinquante-deux  autels.  On  n'a  accepté  pour 
cette  construction  l'aide  d'aucun  étranger.  Le  dôme,  avec  le  clocher, 
d'après  les  comptes,  coûta  environ  neuf  tonnes  d'or.  En  1452,  Claus 
Lieb,  surnommé  «  le  forgeron  des  pierres  ",  fit  construire  à  ses  frais 
l'admirable  sacristie.  Pour  rendre  grâces  à  Dieu  ou  plutôt  pour  ser- 
vir de  prière  perpétuelle  (car  alors  tous  ceux  qui  avaient  fait  un 
don  à  l'église  pouvaient  y  suspendre,  en  souvenir  de  leur  libéralité, 
soit  des  armoiries,  soit  un  écusson,  soit  un  tableau),  il  se  contenta 
d'enfouir  son  enclume  dans  les  fondements.  On  lit  sur  la  porte  de  la 
sacristie  :  "  Claus  Lieb,  surnommé  le  forgeron  des  pierres.  »  En 
1.517  fut  achevé  le  groupe  du  Christ  et  des  apôtres  à  la  montagne 
des  Oliviers.  On  y  voit  douze  figures,  sans  compter  celle  du  Christ  et 
des  trois  apôtres  ses  compagnons.  La  fondatrice,  qui  a  une  confiserie 
dans  la  rue  d'Herbel,  se  nomme  Marie  Tauscudschon,  et  elle  a,  dit- 
on,  dépensé  7,000  florins  pour  ces  sculptures  -.  » 

'  Kriegk,  Geschichte  Francfiirl's,  p.  165. 

-  Hisi.  und  Pol.  Blatt.,  t.  XXXII,  p.  103-104.  —  Voy.  les  dons  d'armes  et  d"habits 
offerts  pour  l'église  de  Notre-Dame  à  Mayence.— Mo.ne,  t. XI,  p.  138.  —Falk,  ll'issen- 
schdfi  und  Kunsi,  p.  350.  —  Sur  les  dons  volontaires  offerts  pour  les  éiyUses  de 
Nuremberg,  voy  Baader,  App.,  t.  I,  p.  54,  et  t.  II,  p.  29,  32,  34.  —  Voy.  aussi 
Passaviint's  Ansichten,  p.  124-125.  —  Dans  l'église  de  iNussdorf,  on  a  trouvé  dans  les 
voûtes  d'arête  des  écussons  où  étaient  peints  des  serpettes  de  vignerons,  des 
épis,  des  abeilles  et  des  raisins,  probablement  en  souvenir  des  cultivateurs  et 
vignerons  qui  avaient  coopéré  à  la  construction  de  l'édifice.  Jahrbuch  der  Cen- 
iralcommissioi: ,  t.  Il,  p.  155. 


AhCllITECTURE    CIVILE.  143 

C'est  à  ces  efforts  réunis  qu'iuspirait  une  foi  commune,  c'est  à 
l'ardente  piété  des  pauvres  et  des  riches,  des  bourgeois  et  des  pay- 
sans, des  prêtres  et  des  nobles,  des  individus  comme  des  corpora- 
lions  et  des  monastères,  (juc  la  plupart  de  nos  églises  doivent  leur 
origine.  Les  nations  et  les  villes,  jalouses  de  se  surpasser  les  unes  les 
autres  dans  le  témoignage  de  leur  piété,  de  leur  prospérité,  de  leur 
culture  artistique,  s'imposaient  mille  sacrifices  généreux,  et  cela  à 
une  époque  où  la  libéralité  chrétienne  s'exprimait  eu  même  temps  de 
la  manière  la  plus  large,  dans  des  legs  pieux  et  d'innombrables  fon- 
dations de  bienfaisance.  Cela  est  si  vrai  que  le  Pape  lui-même  dans 
un  bref  adressé  au  Conseil  de  Francfort-sur-le-.Meiu,  lui  recommande 
de  veiller  à  ce  que  la  ville  ne  vienne  à  s'appauvrir  par  trop  de  Jegs 
faits  aux  églises  '. 


II 


C'est  par  les  édifices  religieux  que  l'architecture  du  quinzième 
siècle  exprima  le  plus  magnifiquement  son  génie;  mais  elle  ne  consa- 
cra pas  exclusivement  à  l'Eglise  ses  glorieux  labeurs  ;  elle  sut  aussi 
parer  la  vie  publique,  le  foyer  domestique  des  plus  nobles  créations. 
Après  Dieu,  elle  se  plut  à  servir  les  intérêts  communs,  la  liberté, 
riionneurdes  citoyens  à  défendre,  à  fortifier  les  villes;  elle  a  élevé 
ces  tours  puissantes,  ces  donjons,  ces  doubles  portes  que  les  engins 
modernes  ont  de  la  peine  à  détruire.  On  lui  doit  encore  ces  hôtels 
de  ville,  ces  arsenaux,  ces  salles  où  se  discutaient  les  intérêts  de  la 
commune,  et  ces  maisons  de  réunions  publiques  qui  servaient  aux 
joyeuses  assemblées.  Les  tours  et  portes  de  ville  étaient  fréquem- 
ment construites  par  les  plus  grands  architectes.  Si  les  cités  rivali- 
saient de  zèle  pour  élever  au  Maître  du  ciel  et  de  la  terre  les  plus 
magnifiques  cathédrales,  elles  avaient  entre  elles  la  même  émulation 
pour  l'érection  de  bâtiments  publics  destinés  à  attester  devant  la 
postérité  leur  puissance,  leur  dignité,  la  vitalité  de  leur  génie.  iNon- 
seulement  en  temps  de  paix,  mais  au  milieu  même  du  tumulte  des 
armes,  s'élevaient  des  édifices  nombreux.  L'Allemagne  fut  dotée  en 
même  temps  de  monuments  religieux  et  civils  de  toute  proportion, 
de  toute  nature.  Les  maisons  bourgeoises  et  les  demeures  patriciennes 
avec  leurs  hautspignons,leursfenêtresaussiartistiques  que  commodes, 
aux  formes  si  variées  et  si  élégantes,  même  les  habitations  de  pay- 
sans, les  plus  simples  constructions  de  bois  joint,  révèlent,  dans  leurs 

'  Kriegk,  Geschichte  Francjurl's,  p.  164. 


144  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

plus  petits  détails,  le  sentiment  artistique  plein  de  sève  et  de  justesse 
qui  régnait  alors  dans  toutes  les  classes  de  la  nation.  Les  simples 
particuliers  éprouvaient  aussi  bien  que  la  commune  en  général  l'am- 
bition de  laisser  à  leur  pays  un  beau,  un  irréprochable  travail  qui 
servit  d'encouragement,  d'objet  d'émulation  aux  artistes  à  venir, 
et  contribuât  à  la  gloire  de  la  patrie.  Le  bourgeois,  le  paysan  même 
tenait  à  honneur  d'avoir  chez  lui,  exécutés  avec  le  plus  de  perfection 
possible,  les  objets  qui  servaient  à  la  vie  de  tous  les  jours  '. 

Si  l'on  veut  se  faire  une  idée  delà  splendeur  de  l'architecture  alle- 
mande à  cette  époque,  il  faut  étudier  les  dessins  de  Mérian  dans  la 
topographie  de  Zeiler.  Non-seulement  les  édifices  civils,  les  châ- 
teaux, les  hôtels  de  ville,  les  portes  fortifiées,  mais  encore  l'aspect 
général  des  cités,  nous  révèlent  l'effort  et  le  labeur  de  ces  mêmes 
associations  qui,  maniant  la  matière  et  la  lorme  sous  tous  les  aspects 
possibles,  arrivaient  à  cette  perfection,  à  cette  juste  harmonie  de 
tous  les  détails ,  que  nous  avons  déjà  admirées  dans  les  édifices 
religieux  ^ 

'  Dit  Juste  >JÖser.  Voy.  Reichensperger,  Mélanges,  p.  409-412.  —  Cknsllick  ger- 
manische Baukunst,  p.  20,  30-32,  37.  —  On  ne  peut  nier  que  les  demeures  d'autre- 
fois n'eussent  bien  moins  d'air  et  de  lumière  que  celles  d'aujourdliui;  mais 
il  faut  se  rappeler  que  toutes  les  villes  d'alors,  dés  qu'elles  avaient  un  peu 
d'importance-,  étaient  fortifiées,  et  que  les  murs  d'enceinte  rendaient  néces- 
saire l'afTglomération  des  bâtiments.  "  Quelle  cho:ve  plus  attrayante  pour 
l'esprit,  dit  .lacob  Grimm,  que  la  description  d'une  ville  du  moyen  âge?  Les 
arts,  que  la  richesse  seule  fait  éclore,  se  montrent  à  nos  regards;  d'admirables 
églises  et  édifices  publics  s'élèvent  dans  l'enceinte  des  solides  murailles;  les 
places  plantées  d'arbres  é.gayent  les  demeures,  a;3réables  d'aspect;  et  au  dedans 
nous  voyons  s'épanouir  une  vie  active  et  laborieuse,  qui  ne  met  point  ol)stacle 
aux  jeux,  aux  divertissements,  aux  danses,  aux  exercices  militaires.  Conscients 
de  leur  fortune  bien  établie,  les  bourgeois,  dans  leurs  beaux  babils,  vont  et 
viennent,  fiers  de  leurs  libertés,  prêts  à  se  défendre  vaillamment  contre  toute 
attaque,  généreux  dans  leurs  dons,  loyaux  et  fermes  dans  leur  vie  de  famille, 
pleins  de  respect  et  de  piété  pour  Dieu.  " 

-  On  peut  y  constater  l'état  de  prospérité  et  de  splendeur  dans  lequel  l'Alle- 
magne sortit  des  mains  de  l'art  du  moyen  âge.  Pour  plus  de  détails,  voy.  Reichen.s- 
PERGER,  Martin  Mérian,  p.  6-18;  Mélangi's,  p.  195-490.  Toute  l'architecture  du 
moyen  âge  est  isiue  de  l'église;  cependant  l'architecture  profane  n'y  eut  pas 
moins  son  caractère  personnel,  et  sut  s'adapter  à  toutes  les  destinations,  à  tous^ 
les  besoins.  Un  château  fort  de  cette  époque,  bien  qu'il  soit  impossible  de  nier 
son  caractère  gothique,  n'imite  pas  plus  une  église,  un  monastère,  que  les  habits, 
les  meubles  des  laïques  n'imitent  les  meubles,  les  ornements  d'église  Une  loi 
profonde,  ayant  sa  racine  dans  le  christianisme  même,  inspira  jusqu'au  moment 
de  la  Renaissance  toutes  les  manifestations  de  l'art  sans  nuire  en  aucune  manière 
à  l'individualité.  Au  contraire,  daUb  la  période  qui  commence  à  la  Renaissance, 
tous  les  arts,  même  l'art  religieux,  subirent  l'intluence  des  cours  princières. 


CHAI'ITHE  II 

SCüLPTüilfc:  ET   r  El  M  URL. 

En  Allemafvnc  comme  paiioiit  ailleurs,  les  progrès  de  la  sculpture 
et  de  la  peiiilurc  suivirent  de  près  ceux  de  l'architecture  leur  sunir. 
L'archiiccture  a  besoin  de  leur  secours;  elle  ne  peut  arriver  à  un 
plein  épanouissement  ni  produire  tout  son  effet,  qu'elle  ne  leur 
soit  étroitement  associée.  D'autre  part,  la  sculpture  et  la  peinture 
ne  peuvent  prospérer  si  elles  ne  trouvent  un  ferme  appui  dans 
l'architecture. 

Les  murs  du  saint  édifice  une  fois  achevés,  il  fallait  songer  à 
animer  ces  espaces  froids  et  vides;  à  les  orner  extérieurement  et 
intérieurement  de  statues,  de  tableaux  destinés  à  symboliser  les 
enseignements  et  les  saintes  traditions  du  christianisme,  à  rendre 
comme  visibles  les  personnes  et  les  objets  du  culte,  à  être,  enfin, 
comme  «  les  prédicateurs  d'une  vie  plus  haute  ".  La  ferveur  chré- 
tienne avait  hâte  d'orner,  de  rendre  magnifique  le  lieu  où  le  Sau- 
veur réside,  s'unit  aux  hommes  dans  sa  miséricorde  et  son  amour; 
où,  dans  un  saint  recueillement,  le  peuple  fidèle  adore  et  élève  ses 
pensées  vers  le  ciel.  Tout  ce  que  la  terre  peut  donner  de  plus  beau, 
tout  ce  qui  peut  aider  les  élans  religieux  de  l'âme,  fut  employé 
à  parer  nos  temples,  et  la  sculpture  et  la  peinture,  marchant  sur 
les  pas  de  l'architecture  pour  servir  l'Église,  prêtèrent  à  l'esprit 
chrétien  son  expression  la  plus  sublime.  Leurs  chefs-d'œuvre  ont 
gardé  l'empreinte  de  ce  qu'il  y  a  de  meilleur  et  de  plus  durable 
dans  toute  œuvre  d'art  :  l'amour  ardent  de  l'artiste  pour  sa  créa- 
tion. 

Les  églises  n'étaient  pas  seulement  pour  nos  pères  le  sanctuaire 
de  la  prière;  elles  étaient  encore  comme  des  expositions  grandioses, 
où,  sous  leurs  yeux,  la  divine  histoire  de  la  Rédemption  se  déroulait 
à  Taise.  Elles  étaient  en  même  temps  pour  le  peuple  des  musées  con- 
stamment ouverts,  des  galeries  historiques,  où,  de  siècle  en  siècle,  les 
chefs-d'œuvre  venaient  s'ajouter  aux  chefs-d'œuvre.  C'est  en  les 
admirant  tous  les  jours  que  se  formait  le  sens  esthétique  dans  la 
jeunesse;  grâce  à  elles,  les  artistes  trouvaient  des  occasions  sans 

10 


146  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

cesse  renouvelées  de  pratiquer  leur  art.  Les  commandes  abondaient, 
venues  soit  des  particuliers,  soit  des  corporations. 

Toute  famille  aisée,  toute  corporation  tenait  à  faire  hommage 
à  Dieu  d'un  don  particulier  pour  sa  sainte  demeure  ;  on  offrait  un 
tableau,  une  statue,  un  vitrail,  un  devant  d'autel;  les  portraits  de 
famille  eux-mêmes,  en  leur  qualité  de  portraits  de  donateurs,  étaient 
apportés  aux  pieds  des  saints,  et  servaient  une  pensée  élevée.  Quand 
les  artistes  se  représentaient  eux-mêmes,  soit  par  la  couleur,  soit  par 
le  bronze,  le  bois  ou  la  pierre,  ils  se  donnaient  l'attitude  d'humbles 
suppliants;  dans  celles  de  leurs  compositions  qui  ont  de  nombreux 
personnages,  ou  les  voit  chercher  toujours  la  place  la  plus  modeste 
pour  y  figurer;  souvent,  comme  Adam  Krafft,  dans  le  tabernacle  de 
l'église  de  Saint-Laurent,  ils  paraissent  en  habits  de  travail,  revêtus 
de  leur  tablier,  un  outil  à  la  main  et  dans  l'attitude  de  serviteurs'. 

Mais  ce  n'était  pas  seulement  la  vie  religieuse,  c'était  aussi  la  vie 
domestique  et  publique  que  la  sculpture  et  la  peinture  s'efforçaient 
d'ennoblir  et  d'orner.  Les  hôtels  de  ville,  les  maisons  des  corpora- 
tions, les  demeures  patriciennes  étaient  des  musées  d'art  en  petit,  et 
attestent  encore  aujourd'hui  la  force  et  la  sève  du  sentiment  artis- 
tique de  la  nation  ^ 

Aucune  maison  bourgeoise  n'était  dépourvue  de  peinture;  toutes 
portaient  sur  leur  fronton,  soit  un  symbole  quelconque,  soit  l'image 
du  saint  patron  de  la  famille .  L'aspect  seul  des  rues  dans  les 
grandes  villes  disait  le  rôle  important  qu'avait  l'art  dans  la  vie 
de  la  nation  :  elles  ressemblaient  à  des  chroniques  illustrées,  dont 
les  murs,  recouverts  de  fresques,  étaient  comme  les  feuillets;  ces 
fresques  faisaient  mieux  pénétrer  dans  l'intime  de  la  vie  populaire 
et  bourgeoise  que  n'importe  quel  livre  écrit  ou  imprimé.  D'excellents 
artistes  s'y  essayaient;  il  arrivait  souvent  qu'ils  les  réussissaient 
mieux,  y  montraient  plus  d'habileté  et  de  talent  que  dans  leurs 
autres  compositions,  et  de  véritables  chefs-d'œuvre  se  trouvaient 
ainsi  exposés  dans  la  rue,  pour  l'ornementation  d'une  simple  maison 
bourgeoise  '.  On  dépensait  souvent  de  grosses  sommes  pour  l'embel- 
lissement des  villes;  ainsi  à  Nuremberg,  en  1447,  la  ville  donne 
500  florins  pour  dorer  la  belle  fontaine  qui  s'y  trouve;  une  nouvelle 
peinture  et  dorure  coûte  plus  tard  400  florins  (1491)  K 

Tous  les  chefs-d'œuvre  de  l'époque  portent  l'empreinte  de  l'art 
national. 


'  Voyez  MONZ,  Zeilschrlfi,  t.  III,  p.  3-8,  et  t.  XVII,  p.  257-279.  —  Rettberg,  Nürn- 
bergs Kunstleben,  p.  59,  91.  —  RiEHL,  p.  113. 
2  VOV.  Ennen,  t.  III,  p.  960. 

'  Particulièrement  à  Aujjsbourg.  Voy.  Rieiil,  p.  291  298.  —  IIerbergvb,  p.  62. 
*  Chroniken  der  dculsdiai  Staate,  t.  X,  p.  167,  et  t.  XI,  p.  560,  note  3,  p.  :66. 


I 


DÉVELOPPEMENT    DE    L'AKT.  Ii7 

L'art  est  le  bien  commun  de  l'humanitr,  il  a  ses  racines  dans  la 
vie  iutcllecfuelle  et  universelle  de  l'esprit  humain  :  toutefois  il  porte, 
là  où  il  se  produil,  les  caractères  du  milieu  où  il  se  développe  '. 
Counne  les  mœurs  et  le  langage,  il  croit  sur  un  sol  religieux,  au  sein 
même  du  peuple;  il  traduit  et  revêt  la  vie  intime  et  les  sentiments 
les  plus  élevés  de  la  nation  sous  le  symbole  de  l'image,  de  même 
(juc  la  langue,  sous  le  synibole  des  mots,  les  mœurs,  sous  la  forme 
des  relations  sociales,  les  traduisent  et  les  revêtent.  Les  artistes 
allemands  d'alors,  par  nature  comme  par  développement  personnel, 
avaient  le  sentiment  très-prononcé  de  l'amour  de  leur  pays;  ils  trans- 
portèrent tout  naturellement  ce  sentiment  dans  l'art.  On  peut 
presque  discerner  les  traits  de  caractère  particuliers  à  chaque  pro- 
vince allemande  en  étudiant  les  (ruvres  artistiques  qui  lui  appar- 
tiennent en  propre.  De  môme  que  toute  grande  ville  avait  un  dialecte 
particulier,  l'art  y  avait  aussi  certaines  nuances,  qui  n'étaient  qu'à  lui. 

Tous  ces  artistes  remarquables  qui  produisirent  en  si  grande 
abondance  des  œuvres  si  variées  et  si  admirables,  n'étaient  que  de 
simples  bourgeois,  d'humbles  ouvriers  d'une  corporation  de  la  ville. 
Le  jeune  homme  se  rendait  dans  l'atelier  d'un  maître,  y  apprenait 
la  préparation  traditionnelle  de  la  matière  première,  acquérait  la 
pratique  des  travaux  de  son  état,  avançait  peu  à  peu,  et  devenait 
enfin  premier  ouvrier.  11  étudiait  le  maître,  se  perfectionnait  en 
suivant  son  exemple,  puis  il  se  mettait  en  voyage;  s'il  parvenait  à 
produire  quelque  ouvrage  vraiment  remarquable,  il  faisait  ce  qu'on 
appelait  "  œuvre  de  maître  »,  et  passait  patron;  sinon,  il  restait 
simple  ouvrier,  et  se  bornait  à  aider  son  maître  dans  l'exécution  des 
commandes  reçues.  Au  reste,  les  patrons  eux-mêmes,  verriers,  sta- 
tuaires, sculpteurs  sur  bois,  fondeurs  en  métaux,  fondeurs  de  cloches, 
orfèvres,  forgerons,  serruriers,  travaillaient  avec  leurs  ouvriers  et 
leurs  apprentis,  maintenaient  parmi  eux  l'ordre  et  la  discipline, 
mangeaient  à  la  même  table,  couchaient  sous  le  même  toit,  et  ne  se 
distinguaient  en  rien  des  autres  gens  du  métier. 

Parmi  les  vies  des  nombreux  protecteurs  de  l'art  à  cette  époque, 
nous  choisirons  celle  du  drapier  et  échevin  Jacques  Heller,  de  Franc- 
fort-sur-le-Mein.  Nous  pourrons  y  étudier  la  manière  dont  l'art  se 
développait  alors,  ses  étroits  rapports  avec  la  vie  des  citoyens,  et  la 
souplesse  avec  laquelle  il  se  pliait  aux  besoins  des  hommes  de  ce 
temps.  Les  grandes  capacités  de  Heller,  sa  connaissance  pratique 
des  affaires  lui  avaient  valu  la  considération  de  ses  concitoyens.  H 
avait  vu  le  monde;  en  1500  il  avait  visité  Rome  et  avait  repré- 
senté plusieurs  fois  avec  succès  les  intérêts  de  Francfort  dans  les 

'  Voy.  LUTHARDT,  p.  34-35, 

10. 


148  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

diètes  de  l'empire  et  différentes  affaires  diplomatiques.  Les  legs, 
les  fondations  qu'il  fit  en  si  grande  abondance  nous  fout  conce- 
voir une  haute  idée  de  sa  bonté  de  cœur,  de  sa  bienfaisance  envers 
la  misère  et  le  malheur,  de  sou   affectueuse  sollicitude  pour  ses 
subordonnés,  de  sa  belle  et  patriarcale  manière  de  vivre  dans  sa 
maison,  au  milieu  de  ses  fidèles  serviteurs.  Plein  d'amour  pour  son 
pays,  ami  zéîé  du  progrès  de  la  science,  il  donna  «  de  bon  cœur  », 
et  pour  l'utilité  commune  de  la  ville,  une  somme  importante  pour  la 
construction  d'une  nouvelle  bibliothèque.  Jusque  par  delà  la  mort, 
il  voulut  concourir  à  l'honneur,  à  la  prospérité  de  sa  ville  natale  par 
l.î  donation  de  sommes  considérables  qu'il  attribua  à  la  construc- 
tion d'édifices  publics,  églises,  et  murs  d'enceinte.  Une  profonde  et 
grave  piélé,  un  esprit   entièrement  dévoué   à  l'Église   furent  les 
mobiles  qui  le  dirigèrent  toute  sa  vie.  Sa  foi  était  aussi  la  cause  de 
la  protection  qu'il  accordait  aux  arts,  et  s'il  faisait  travailler  sculp- 
teurs et   fondeurs,    peintres,  orfèvres,  brodeurs,  c'était  pour  prê- 
ter une   expression  durable  à  sa  piété.   On  a  conservé  des  ordres 
écrits  laissés  par   lui  pour    l'achèvement  de   précieux  ornements 
d'église  destinés  à  des  cloîtres  et  à  des  églises  de  la  ville  et  des 
environs.  Il  y  indique  avec  précision  les  belles  broderies  d'art  qui 
doivent  y  être  employées;  par  exemple,  pour  le  cloître  des  Domini- 
cains de  Francfort,  il  ordonne  qu'on  fasse  un  ornement  d'église 
:  avec  du  velours  rouge,  du  meilleur  et  du  plus  beau,  richement 
orné,  exécuté  de  la  manière  la  plus  artistique,  avec  une  belle  croix 
sous  laquelle  Marie  et  saint  Jean  seront  représentés,   et  où  seront 
brodés  deux  écussons  :  le  sien  et  celui  de  sa  femme  »,  «  plus,  deux 
dalmatiques  et  une  chape   de  chœur  où  saint   Jacques  et  sainte 
Catherine  soient  brodés  »,  ouvrage  auquel  les  perles  de  sa  défunte 
femme  doivent  être  employées.  Outre  cela,  il  ordonne  de  dépenser 
quatre-vingts  et  même  cent  florins  en  surplus,  afin  qu'elles  soient 
encore  plus  belles,  plus  dignes  d'être  consacrées  à  la  gloire  et  à  la 
louange  de  Dieu.  Pour  son  tombeau,  dont  il  avait  marqué  la  place 
dans  le  cloître  des  Dominicains,  il  fit  faire,  de  son  vivant,  un  bel 
ouvrage  d'art  en  bronze,  surmonté  d'une  statue  de  la  Mort  '.  Dans 
l'église  de  Notre-Dame,  il  fit  exécuter  un  admirable  groupe  sculpté 
représentant  Jésus  au  jardin  de  Gethsémani,  non  loin  duquel  sont 
les  apôtres  endormis  -.  11  joignit  à  cette  offrande  magnifique  une 
fondation  pieuse.   Mais   tous  ces   dons    restent    bien    au-dessous, 
comme  valeur  artistique,  d'un  tableau  d'autel  destiné  au  couvent  des 
Dominicains  (qu'Albert  Durer  peignit  par  son  ordre),   et  d'un  Cal- 

'  Lorsque  le  monastère  fut  supprimé,  cette  statue  fut  brisée  comme  n'étant 
que  du  •■  vieux  métal  ■,  et  vendue  à  des  Juifs. 
^  Il  n'existe  plus  maintenant. 


DÉVELOPPEMENT    DE    L'ART.  149 

vairc  qu'un  niailrc  inconnu  cxrcula  sous  sa  (iirccfion  pour  le  ciinc- 
Jière  de  la  calhédrale.  Le  labloau  de  Durer  représente  l'assomption 
el  le  courounenicnt  de  la  Sainte  Vierge;  il  excita  chez  les  contem- 
porains l'admiration  la  plus  vive,  et  jouit  pendant  un  siècle  d'une 
réputation  très-étendue  '.  Ouant  au  Calvaire,  c'est  ce  que  Francfort 
possède  de  plus  remarquable  en  fait  de  sculpture  du  moyeu  âge.  Il  se 
compose  de  sept  statues  plus  grandes  que  nature,  d'une  exécution  par- 
laite  et  d'un  effet  saisissant.  Le  Christ  en  croix,  surtout,  est  une  créa- 
tion magi>^trale  et  sublime;  la  douloureuse  et  noble  expression  de  li 
tète  inclinée  produit  une  émotion  profonde.  Sur  le  socle  de  ce  monu- 
ment, modèle  d'harmonieuse  composition,  on  lit  l'inscription  latine 
suivante  :  "  En  Tan  1."jü9,  h  s  époux  Jacob  Heller  et  CiU/ierine  de  Mol- 
/laini,  demeurant  à  Nuremberg ,  ont  érigé  ce  Calvaire,  à  la  louange  de 
notre  glorieux  triomphateur  Jésns-Christ,  en  leur  nom  et  en  celui  de  leurs 
ancêtres,  afin  fjue  Dieu  accorde  sa  grâce  aux  vivants  et  le  repos  éternel  aux 
ntorts.  »  Les  textes  de  la  sainte  Écriture,  gravés  en  relief  eu  plusieurs 
endroits  et  au  bord  des  vêtements  des  personnages,  sont  dignes 
d'attention,  en  ce  qu'ils  montrent  bien  les  sentiments  qui  ont 
présidé  à  l'érection  du  monument.  Les  citations  de  la  sainte  Ecri- 
ture et  les  représentations  plastiques  sont  dans  un  parfait  rapport, 
et  font  de  l'œuvre  entière  comme  une  expression  grandiose  de  la 
foi,  de  l'espérance,  de  l'amour  confiant  et  tendre  du  donateur.  Le. 
dernier  texte  :  =  Et  .Jacob  prit  la  pierre,  et  il  la  dressa  comme  un 
signe  i>,  fut  évidemment  choisi  par  Heller  par  allusion  à  son  propre 
prénom,  et  pour  bien  indiquer  qu'il  faisait  cette  fondation  pour  le 
salut  éternel  des  morts  et  des  vivants,  dressant  ainsi  un  signe  com- 
mémoratif,  érigeant  un  sanctuaire  de  prières  pour  les  générations 
présentes  et  futures.  Heller  fît  en  outre  une  donation  pour  que  tous 
les  vendredis  de  l'année,  le  recteur  de  l'École  de  la  Collégiale  de 
Saint-Barthélémy,  avec  sept  de  ses  élèves,  vint  devant  le  sanctuaire 
«  réciter  un  office  eu  mémoire  du  Christ  -,  et  pour  que,  devant  le 
Calvaire  et  le  jardin  des  Oliviers,  en  l'église  Notre-Dame,  deux 
lampes  brûlassent  perpétuellement  -. 

Toute  bonne  œuvre,  sous  quelque  forme  qu'elle  se  produisit,  était 
considérée  par  les  chrétiens  de  ce  temps  comme  agréable  à  Dieu;  on 
l'accomplissait  '^  de  par  Dieu  ",  comme  on  disait  jadis,  c'est-à-dire 
pour  satisfaire  au  commandement  que  Dieu  nous  fait  de  témoigner 
notre   charité  par  des  actes.  On  faisait  le  bien  "  pour  obtenir  son 


'  Voy.  K.viFFMVNX,  A.  Durer,  p.  27-29. 

*  Voy.  le  beau  travail  de  Cormll,  intitulé  Jacob  Heller  et  Alb.  Durer.  —  Voy. 
.1.  Merlo,  Annalen  fies  kistor.  Vereins  für  den  .Vietlenliein  Cologne,  1882),  cah.  38,  103- 
110.  —  Sur  d'autres  donations  faites  par  des  bourgeois  de  Francfort,  voy.  Kriegk, 
Geschichte  von  Francfurt,  p.  161-181. 


150  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

propre  salut,  et  parce  que  le  bonheur  éternel  ne  peut  être  mérite 
que  par  les  œuvres  de  miséricorde  spirituelle  et  corporelle  :  les 
aumônes,  la  construction  des  églises,  les  tableaux  qui  servent  à  les 
orner,  les  statues  et  autres  décorations  d'église,  enfin  tout  ce  qui 
peut  attirer  les  hommes  aux  saintes  méditations  et  à  la  pieuse  fer- 
veur^; tous  ces  dons  doivent  être  faits  afin  de  trouver  grâce  devant 
Dieu  ".  La  doctrine  de  l'Église  sur  le  mérite  des  bonnes  œuvres  était 
alors  acceptée  par  toutes  les  classes  de  la  société;  grâce  à  son 
influence,  les  États  et  les  villes  n'avaient  jamais  besoin  d'établir  un 
budget  courant  pour  la  construction  des  églises,  des  écoles,  des 
maisons  de  bienfaisance,  hôpitaux,  orphelinats  et  autres  étabUsse- 
ments  charitables.  Le  gouvernement,  les  caisses  communales  ne 
fournissaient  aucun  subside  à  la  charité,  et  l'on  ne  faisait  pas  de 
collecte  dans  les  maisons.  Tous  les  frais  qu'exige  le  secours  des 
misérables  étaient  couverts  par  des  dons  volontaires;  en  même  temps 
le  même  désir  de  plaire  à  Dieu  et  de  sauver  son  âme  procurait  aux 
artistes  la  commande  d'innombrables  œuvres  d'art  qui  glorifiaient 
à  la  fois  la  religion  et  la  patrie. 

Étudions  de  plus  près  les  choses  :  examinons,  par  exemple,  l'acti- 
vité artistique  qui  régnait  dans  la  petite  ville  de  Calcar  (Bas-Rhin). 
Nous  pouvons  du  reste  admirer  encore  dans  son  église  un  grand 
nombre  de  magnifiques  tableaux  et  de  riches  sculptures  sur  bois, 
datant  de  cette  époque-. 

Il  y  avait  à  Calcar  diverses  corporations  parmi  lesquelles,  autant 
que  nos  renseignements  nous  permettent  d'en  juger,  la  corporation 
de  Notre-Dame  et  celle  de  Sainte-Anne  tenaient  le  premier  rang 
par  la  munificence  de  leurs  dons.  En  1492,  la  corporation  de  Notre- 
Dame  fit  exécuter  par  maître  Dérick  Bongert  l'autel  en  bois 
sculpté  de  la  sainte  Famille  qui  existe  encore,  et  qui  est  mer- 
veilleusement beau.  Dans  les  comptes  de  cette  corporation,  nous 
voyons  qu'un  certain  maître  Arnt  acheva  en  1480  un  Ensevelissement 
du  Christ  ;  qu'un  autre,  nommé  Ewert,  sculpta  un  retable  d'autel  (1492); 
enfin  qu'en  1498  cette  même  corporation  résolut  d'ériger  dans  l'église, 
en  l'honneur  de  la  Passion,  le  célèbre  autel  que  nous  pouvons 
encore  y  admirer.  Les  notables  de  la  confrérie,  accompagnés  du 
curé  de  la  paroisse  Jean  Houdaen  (docteur  et  autrefois  professeur 
de  théologie),  se  rendirent  à  Utrecht  pour  examiner  et  étudier  les 
autels  en  bois  sculpté  qui  s'y  trouvent.  Un  dessinateur  qu'ils  avaient 
emmené  avec  eux  fit,  aidé  par  maître  Arnt,  les  dessins  nécessaires. 
On  tira  d'Amsterdam,  de  Nimègue  et  des  forêts  impériales  le  plus 

'  Seelenfuhrer ,  p.  9 

-  Tiré  du  travail  si  consciencieux  de  Wolff  sur  l'église  de  Saint-Nicolas  à 
Calcar. 


DÉVELOPPEMENT    DE    L'ART-  151 

beau  bois  qu'il  i'u(  possible  fie  se  procurer  \  et  aussiUM  après  le 
relour  des  déléjjués,  on  fil  faire  par  un  eiiarpcnlicr  de  Calear  la 
caisse  de  l'autel.  Le  travail  lut  partagé  entre  plusieurs  sculpteurs 
sur  bois,  eu  e(jard  à  leur  capacité.  Les  trois  groupes  inférieurs,  qui 
représenfent  l'enlrée  de  Jésus  à  .lérusalem,  la  fête  de  l'Agneau 
pascal  et  le  lavenicnl  des  pieds,  furent  confiés  à  .Ican  Van  Ilaldern; 
l'ornementation,  à  Hytermann,  au  bahutier  Derick-Jeger  et  à  son 
fils.  Le  sujet  principal,  la  Passion  de  .Jésus-Christ,  fut  exécuté  par 
le  "  très-célèbre  tailleur  d'images  "  maître  Lodewicli.  Cet  autel, 
dont  l'harmonieuse  perfection  fait  une  œuvre  incomparable,  fut 
fcrminé  en  1500,  et  les  notables  de  la  corporation  donnèrent  à 
maiire  Lodewich,  en  récompense  de  son  travail,  178  florins  d'or. 
La  même  corporation  confia  plus  tard  l'exécution  du  riche  et  admi- 
rable autel  des  Sept- Douleurs  de  Marie  à  un  autre  bourgeois 
de  Calcar,  maitre  Henri  d'Ouwermann;  les  magnifiques  stalles  qui 
ornent  le  chœur  de  l'église  furent  exécutées  aux  frais  de  la  fa- 
brique, par  Henri  Bernts  (1505-1.508).  Comme  perfection  de  sculp- 
ture, c'est  bien  ce  que  le  Bas-Rhin  possède  de  plus  remarquable 
parmi  les  œuvres  de  ce  genre.  Le  maitre  sculpteur  reçut  comme 
salaire  200  florins  d'or,  deux  muids  de  seigle,  quatre  tonneaux  de 
bière,  et,  comme  hommage  particulier,  "  un  manteau  et  cinq  aunes 
d'étoffe  de  soie  d'Ypres  pour  sa  femme  ».  Le  candélabre  de  la  cha- 
pelle de  la  Vierge,  haut  de  13  pieds,  large  de  7,  une  des  plus 
grandioses  productions  de  ce  genre ,  est  aussi  l'ouvrage  de  Henri 
Bernts;  mais  il  mourut  avant  de  l'avoir  achevé,  et  il  fut  alors  confié 
à  maitre  Kerstken  de  Hingenbergh^  "  bourgeois  de  la  ville  "  (1510). 
Outre  les  seize  sculpteurs  de  Calcar  dont  les  noms  sont  venus  jusqu'à 
nous,  tant  de  peintres  y  étaient  employés  en  même  temps  qu'on  peut 
encore  aujourd'hui  citer  les  noms  de  treize  d'entre  eux,  parmi  lesquels 
se  trouvait  Jean  Jost,  vulgairement  appelé  Jean  de  Calcar,  et  le  plus 
célèbre  de  tous  (t  1519)  ^  C'est  lui  que  la  corporation  de  Notre- 
Dame  chargea  d'exécuter  les  quatre  panneaux  du  maitre-autel,  dont 
le  prieur  du  couvent  des  ürsulines  avait  fait  les  dessins.  En  dehors 
des  peintres  proprement  dits,  il  y  avait  à  Calcar  deux  peintres  ver- 
riers (1485-1515),  plus  huit  brodeurs  en  soie  chargés  de  fournir  les 
ornements  à  personnages  brodés  de  perles  et  de  pierres  précieuses, 
les  bannières  et  d'autres  objets  servant  au  culte.  Parmi  eux  on  cite 
particulièrement  le  Frère  Egbert,  probablement  Dominicain  \  De 

'  Voy.  WoLFF,  t.  VIL 
-  VVOLFF,  p.  23-28. 
'  Voy.  WoLFF,  p.  13-;2. 

'  Il  est  probable  qu'alors  à  Calcar  toute  maison  bourgeoise  avait  des  vitraux 
peints.  Voy.  Wolff,  22. 


152  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

belles  orgues  furent  aussi  construites  pour  réglisc,  mais  il  n'eu  reste 
plus  rien  que  les  comptes  (t482-15t9). 

Dans  les  monuments  d'art  de  la  pelile  cité  du  Bas-Rhin,  la  sculpture 
et  la  peinture  restent  étroitement  unies  :  il  en  était  ainsi  au  moyen 
âge  comme  dans  l'antiquité  (chez  les  Grecs  en  particulier).  Les  sculp- 
tures sur  pierre,  sur  bois  et  même  sur  ivoire,  étaient  peintes,  et 
sur  les  tableaux,  nous  trouvons  des  ornements  en  relief. 

ORFÈVRES   ET   SCULPTEURS. 

La  sculpture  vient  toujours  sur  les  pas  de  l'architecture;  c'est  elle 
qui  a  la  mission  de  décorer  les  édifices  d'une  manière  qui  leur  soit 
appropriée.  Dans  son  âge  d'or,  elle  était  inséparable  de  l'art  qui 
l'avait  fait  naître  ;  le  principe  de  l'architecture  se  fait  sentir  partout 
dans  ses  productions,  et  toutes  témoignent  de  l'union  organique  des 
deux  arts.  La  partie  de  beaucoup  la  plus  considérable  des  sculptures 
du  quinzième  siècle  n'existe  plus.  Cependant  nous  possédons  encore 
d'innombrables  ouvrages,  eu  métal,  en  pierre  ou  en  bois,  datant  de 
cette  époque  :  sculptures  de  cathédrales,  d'églises,  de  chapelles,  de 
maisons  particulières;  portails,  devants  d'autels  ornés  de  statues  et 
de  bas-reliefs;  autels  en  bronze,  tabernacles,  buffets  d'orgue,  fonts 
baptismaux  et  fontaines,  tombeaux  en  pierre  ou  en  métal,  lutrins  en 
bronze  coulé  ou  en  bois  sculpté,  cuves  baptismales  en  bronze  ou  en 
cuivre  jaune,  chaires  et  stalles  de  chœur,  statues,  vases  sacrés  de 
toute  grandeur  et  de  toute  matière,  expositions,  saints  ciboires, 
calices,  ostensoirs,  reliquaires,  croix  d'autel,  crosses  d'cvéqiie,  chan- 
deliers et  autres  ouvrages  d'orfèvrerie,  hanaps,  gardes  d'épée,  etc. 

Parmi  les  ouvriers  en  métaux,  les  orfèvres  qui  travaillaient  l'or  et 
l'argent  étaient  les  plus  occupés;  ils  exécutaient  souvent  de  véri- 
tables chefs-d'œuvre  qui  égalent  et  peut-être  dépassent  ce  que  les 
Grecs  et  les  Orientaux  ont  fait  de  plus  parfait  en  ce  genre.  Leurs 
corporations  tes  plus  florissantes  étaient  celles  de  Nuremberg,  de 
Cologne,  d'Augsbourg,  de  Ratisbonne,  de  Landshut  et  de  Mayence. 
Dans  cette  dernière  ville,  on  comptait  en  1475  plus  de  trente 
orfèvres  ^;  les  noms  de  beaucoup  d'entre  eux  nous  ont  été  conservés  ^ 
Le  célèbre  orfèvre  Georges  Seid  avait  son  atelier  à  Augsbourg;  il 


1  Otte,  p.  650-651.  Les  sculpteurs  sur  bois  et  les  peintres  ne  formaient  qu'une 
même  corporation.  Documents,  t.  VII,  p.  22. 

"  Falk,  Kunsthütigkeit  in  Mainz  zum  Jahr  1475. 

'  SiGüAUT,  p.  551-554.  •  Il  n'y  avait  presque  pas  de  ville  un  peu  importante  par 
son  commerce  dans  l'Allema^jne  d'alors,  qui  ne  fût  fière  d'avoir  son  orfèvre 
célèbre.  -  Meyeu,  p.  185. 


OEUVRES    D'ART    EN    MÉTAL.  153 

mit  vingt-six  ans  à  exécuter  un  autel  en  argent  pour  la  cathédrale, 
représenlant  la  Cène,  la  Passion  de  Jésus-Christ  et  la  Résurrection; 
il  pesait  environ  deux  cents  livres. 

La  corporation  des  orfèvres  de  ^'uremberg  comptait  souvent 
plus  de  cinquante  maîtres;  tous  avaient  de  grands  ateliers,  et  leurs 
ouvrages  délicats  éiaient  recherchés  dans  toute  l'Europe.  Ils  ne  se 
bornaient  pas  à  ciseler  d'admirables  parures,  des  vases  précieux; 
leur  principal  mérite  consistait  à  composer  eux-mêmes  les  dessins  des 
ornements  et  des  figures  qu'ils  coulaient  ensuite  en  métal.  Tous  les 
joyaux  d'alors  ont  une  valeur  artistique;  ils  sont  d'une  variété  de 
forme  et  de  composition  étonnante,  et  représentent  des  animaux, 
des  figures  de  femme,  des  groupes  religieux  ou  profanes  exécutés 
soit  en  métal  ciselé,  soit  en  émail.  On  émaillait,  par  exemple, 
des  paons  aux  queues  chatoyantes,  des  figures  de  femmes  partant 
des  couronnes  d'or  et  parées  de  vêtements  éclatants.  Puis  on  ache- 
vait l'ornementation  de  ces  bijoux  avec  des  perles  et  des  pierres  pré- 
cieuses. Le  conseil  de  Nuremberg  fit  exécuter  en  1509,  pour  le  roi 
Ladislas  de  Hongrie,  une  fleur  en  vermeil  d'un  travail  exquis,  et  en 
1512,  pour  l'évéque  Laurent  de  Wurtzbourg,  un  vase  en  vermeil  où 
les  travaux  des  douze  mois  de  l'année  étaient  gravés  avec  beaucoup 
d'art  '. 

Pour  se  faire  une  idée  des  richesses  d'orfèvrerie  que  possédait 
l'Allemagne  au  quinzième  siècle,  il  suffirait  de  parcourir  l'inventaire 
des  trésors  de  quelques  églises.  Citons,  surtout,  celui  de  Sainte- 
Marie  à  Nuremberg  (1466)  et  celui  de  la  cathédrale  de  Freising  (1482). 
Dans  la  cathédrale  de  Passau,  l'inventaire  mentionne  deux  grands 
reliquaires  en  forme  d'églises  et  de  tours,  vingt  appliques  en  argent, 
quarante  statues  du  même  métal,  des  châsses,  des  expositions  ^  Dans 
la  cathédrale  de  Berne  se  trouvaient,  entre  autres  objets  précieux, 
une  tète  de  Christ  en  argent,  pesant  trente  et  une  livres  ;  deux 
anges  en  argent  richement  dorés,  du  poids  de  quatre-vingts  livres; 
les  bustes  en  argent  de  saint  Vincent  et  de  saint  Achate,  un  reliquaire 
en  or  massif  pesant  vingt-huit  livres,  contenant  le  chef  du  saint 
patron    de    l'église    et    couvert    de    pierres   prc'cieuses    estimées 

'  On  peut  se  rendre  compte  du  nombre  d'olijets  d'art,  en  or  et  en  argent,  que 
possédaient  les  églises  de  Xurember.j,  dans  les  documents  qui  nous  racontent 
le  dépouillement  des  églises  ordonné  par  le  conseil  de  la  ville  en  1552.  On  tira 
de  tous  les  olijets  en  argent  doré  ou  non  doré  une  somme  de  mille  sept  cents 
marcs,  pesant  ensemble  près  de  neuf  cents  livres.  On  les  emporta,  on  les  fondit, 
on  les  vendit;  on  fit  plus  tard  de  l'argent  avec  tout  ce  qui  en  restait  encore. 
Les  marcliands  étrangers  qui  trafiquaient  avec  Nuremberg  emportèrent  dans 
d'autres  pays  des  cargaisons  entières  d'objets  précieux.  Les  chefs-d'œuvre 
d'Albert  Durer  furent  vendus,  «  comme  vieux  tableaux  papistes  »,  aux  Italiens. 
Français,  Angkiis.  Hollandais.  Voy.  Van  Eye,  p.  487.  —  IIassler,  p.  IIG. 

-  Voy.  Baader,  t.  I,  p.  74-s9.  —  Sighart,  p.  547,  5.J2. 


15«  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

2,000  ducats;  de  plus,  les  statues  des  douze  apôtres,  pesant  cha- 
cune vingt-quatre  livres  *.  Pour  citer  encore  un  autre  exemple, 
le  prieur  du  monastère  de  Tégernsée,  Conrad,  achète  la  même 
année  (1462)  deux  reliquaires  d'argent  en  forme  de  bras,  quatre 
expositions,  dont  Tune,  ornée  de  l'image  de  la  Vierge,  coûta 
520  florins;  une  statuette  de  la  Mère  de  Dieu,  entourée  d'un  soleil 
estimé  500  florins;  plus,  les  statuettes  en  argent  de  saint  Benoît 
et  de  sainte  Scholastique;  un  pectoral  en  or  pur  orné  de  pierreries; 
une  mitre,  une  chaîne  et  une  croix,  un  grand  nombre  de  reliquaires 
et  dix-huit  calices.  Les  particuliers  possédaient  aussi  beaucoup  d'ob- 
jets précieux  ^ 

Citons  parmi  les  œuvres  d'art  qui  nous  ont  été  conservées,  le  grand 
ostensoir  de  la  cathédrale  de  Coire,  haut  d'environ  un  mètre.  C'est 
un  chef-d'œuvre  de  premier  ordre,  tant  à  cause  de  la  perfection  des 
figures  que  pour  le  goût  de  Tornementation.  Il  est  cependant  de 
beaucoup  surpassé  en  richesse,  sinon  en  beauté  artistique,  par  l'os- 
tensoir de  maître  Lucas,  bourgeois  et  conseiller  de  Donauwœrth 
(1513);  l'empereur  Maximilien  en  fit  présent  au  monastère  du  lieu; 
c'est  un  ouvrage  splendide,  orné  de  quarante  figurines,  d'inscrip- 
tions et  d'écussons  émaillés  ^ 

Les  fondeurs  en  bronze  de  Nuremberg  n'étaient  pas  moins 
habiles  que  les  orfèvres,  et  avaient  une  grande  célébrité.  Dès  1447, 
le  poète  Hans  Rosenplut  disait  à  propos  d'eux  :  -  J'ai  trouvé  bien  des 
maîtres  à  Nuremberg  :  j'ai  visité  dans  leurs  ateliers  les  fondeurs  de 
métaux  :  ils  n'ont  pas  leurs  pareils  dans  le  monde  entier.  Ce  qui  vole, 
court,  nage  ou  plane,  homme,  auge,  oiseau,  poisson,  ver  ou  insecte, 
toutes  les  créatures  selon  leur  rang  et  tout  ce  que  la  terre  peut  pro- 
duire, ils  savent  le  représenter,  le  couler  en  cuivre,  et  nul  ouvrage 
ne  leur  semble  trop  difficile.  Leur  art  et  leur  travail  sont  célèbres 
dans  les  pays  les  plus  lointains;  ils  sont  bien  dignes  d'être  nommés 
et  célébrés  comme  de  grands  artistes.  Nemrod  ne  connaissait  pas  de 
tels  maîtres  quand  il  voulut  faire  construire  la  tour  de  Babylone; 
c'est  pourquoi  je  loue  et  j'exalte  Nuremberg;  elle  est  plus  riche  en 
artistes  habiles  qu'aucune  autre  ville  du  monde  *.  » 

Le  plus  célèbre  fondeur  de  Nuremberg,  Pierre  Fischer,  était 
simple  chaudronnier.  Il  éleva  son  art  jusqu'à  la  plus  haute  perfec- 


'  SCHEUUER,  Bernisches  Mauwleum,  t.  I,  p.  26ü.  —  Fisciier,  Geschichte  der  Dispulalion 
zu  Bern,  p.  576. 

*  Voy.  SiGHART.  p.  547. 

3  Sif.HiRT,  p.  555.   Otte,   182-183. 

*  LocuNER,  Der  Spruch  von  Nürnberg,  poésie  descriptive  de  Rosenplut  (Nurem- 
berg, ISJi). 


PIERRE    FISCHER.  155 

fccfion.  «  Pierre  Fischer,  écrit  Neudörl'er,  était  affable  envers  tout  le 
monde  et  très-expérimenté  dans  les  ouvra{jes  profanes  (pour  parler 
comme  un  laïque).  Il  avait  une  si  grande  réputation  que  lorsqu'un 
prince  ou  un  grand  personnage  visitait  la  ville,  il  était  rare  qu'il 
lu'gligeat  d'aller  voir  Fischer  dans  sa  fonderie,  où  il  se  rendait  et  tra- 
vaillait tous  les  jours.  "  Fischer  et  ses  deux  illustres  amis,  le  tailleur 
de   pierre  Adam    Krafft  et  le    chaudronnier  Sébastien  Lindenast, 
semblaient  n'avoir  qu'un  même  cœur.  Tous  trois  étaient  également 
désintéressés,  simples,  avides  d'apprendre  toujours  davantage,  et 
cela  jusqu'à  l'Age  le  plus  avancé.  "  Ils  étaient  comme  des  frères,  dit 
Neudörfer;  tous  les  vendredis,  même  lorsqu'ils  furent  devenus  vieux, 
ils  se  réunissaient  et  s'exerçaient  ensemble  comme  des  apprentis,  ainsi 
que  nous  le  prouvent  les  dessins  qu'ils  exécutaient  dans  leurs  réunions. 
Ils  se  séparaient  ensuite  amicalement,  mais  sans  avoir  ni  bu  ni  mangé 
ensemble  *.  «  Fischer  s'est  représenté  lui-même  dans  le  plus  beau  de 
ses  chefs-d'œuvre,  le  tombeau  de  saint  Sébald  *;  nous  voyons  en  lui 
un  petit  homme  trapu,    à  la  barbe  épaisse,  revêtu  de  son  tablier 
de  travail,   coiffé  d'un  bonnet,  et  tenant  à  la  main  son  marteau. 
11  travailla  au  tombeau  de  saint  Sébald   de  1508  à  1519,  secondé 
par  ses  cinq  fils,  et  grava  cette  inscription  en  lettres  coulées  sur  le 
socle  du  monument  :  "  Ceci  a  été  exécuté  à  la  louange  unique  du 
Dieu  tout-puissant  et  en  l'honneur  du  prince  du  ciel  saint  Sébald, 
à  l'aide  des  aumônes  données  par  les  dévotes  gens.  »  Ce  monument 
pèse  cent  cinquante-neuf  quintaux  cent  vingt-neuf  livres;  pour  la 
perfection  avec  laquelle  le  bronze  est  coulé,  la  noblesse  du  sentiment, 
la  richesse  d'imagination,  cet  admirable  ouvrage  n'a  qu'un  unique 
équivalent  dans  les  chefs-d'œuvre  du  quinzième  siècle  :  ce  sont  les 
grandes  portes  de  bronze  exécutées  par  Ghiberti  à  Florence.  Sur  le 
tombeau  d'argent  du  saint,  l'artiste  a  élevé  un  temple;  les  motifs 
si  variés  de  la  sculpture  permettent  diverses  interprétations;  mais  il 
parait  cependant  certain  que  le  maître  a  voulu  exprimer  l'hommage 
que  toute  la  terre  rend  au  Sauveur,  et  comment  toute  créature  tire  de 
lui  son  origine,  se  rapporte  à  lui  et  le  glorifie.  La  nature  et  toutes 
ses  productions,  le  paganisme  avec  ses  actions  héroïques  et  ses  vertus 
naturelles,  l'Ancien  Testament  avec  ses  prophètes,  le  Nouveau  avec 
ses  apôtres  et  ses  saints,  tout  apporte  son  hommage  à  l'Enfant 
Jésus,  assis  sur  un  trône  au  sommet  delà  tour  du  milieu;  il  tient 
le  globe  du  monde  entre  ses  mains,  et  semble  marquer  le  commen- 
cement et  le  terme  du  développement  historique  de  l'humanité. 
Les  statues  des  apôtres,  pleines  de  caractère  et  d'expression,  n'ont 


'Neüdörfer,  éd.  de  Lochner,  p.  21-37.  —  Lochner,  p.  21-31,  37-48. 
*  Dans  l'église  de  Saint-Sébald,  à  Nuremberg. 


156 


L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 


peut-être  pas  été  surpassées.  Beaucoup  d'entre  elles,  dans  leurs  formes 
mouvementées,  sortent  tout  à  fait  du  calme  solennel,  de  Timmobilité 
béate  de  l'ancien  art  plastique,  et  sont  comme  le  symbole  de  l'ani- 
mation, de  l'ardeur  qui  se  manifestaient  à  cette  époque  dans  la  vie 
religieuse  '. 

Parmi  les  autres  œuvres  du  même  maitre  que  nous  possédons  encore, 
les  plus  justement  célèbres  par  la  perfection  de  leur  travail  sont  les 
tombeaux  de  l'évêque  Henri  de  Bamberg  et  celui  de  Marguerite  Tu- 
cher, représentant  la  résurrection  de  Lazare  (cathédrale  de  Ratis- 
bonne).  Pour  le  grandiose  monument  funèbre  que  l'empereur  Maxi 
milien  se  faisait  élever  à  Inspruck,  Fischer  exécuta  la  statue  du  roi 
Artus  d'Angleterre,  remarquable  par  la  calme  et  simple  beauté,  la 
perfection  et  la  délicatesse  de  l'exécution.  Quant  aux  grandes  com- 
positions en  bronze  de  Fischer  qui,  s'il  faut  en  croire  Neudörfer, 
•  remplissaient  la  Pologne,  la  Bohême,  la  Hongrie,  et  les  demeures 
des  princes  dans  tout  le  saint-empire  romain  ",  nous  n'en  possédons 
plus  aucune. 

Les  plus  belles  compositions  de  son  ami  Sébastien  Lindenast,  qui 
exécutait  avec  tant  d'art  statuettes,  hanaps,  agrafes,  fermoirs  et 
quantité  d'autres  joyaux  en  cuivre,  -  comme  s'ils  eussent  été  d'or  et 
d'argent  -,  ont  également  disparu.  C'est  à  Lindenast  qu'on  devait  les 
figures  en  cuivre  repoussé  qui  ornaient  l'horloge  d'art  construite  par 
le  maure  serrurier  Georges  Heuss  dans  l'église  Notre-Dame,  à  Nurem 
berg  (1506-1509).  On  y  voyait  l'empereur  Charles  IV  assis  sur  un 
trône;  devant  lui  se  tenait  un  héraut.  Au  coup  de  l'heure,  sonnée 
par  la  Mort,  deux  joueurs  de  trompette,  placés  de  chaque  côté  de 
la  porte,  embouchaient  leurs  instruments  :  les  sept  princes  électeurs 
entraient  alors,  défilaient  devant  l'Empereur  en  s'inclinant,  et  sor 
talent  par  une  autre  porte  -. 

Au  nord  de  l'Allemagne,  les  fonderies  les  plus  importantes  étaient 
celles  de  Brunswick,  Dortmund,  Erfurt,  Magdebourg,  Zwickau  et 
Leipzig.  Une  des  plus  belies  œuvres  de  ces  fonderies,  c'est  le  taber- 
nacle, haut  de  trente  pieds,  de  l'église  Sainte-Marie,  à  Lübeck.  L'or- 
fèvre Nicolas  Rughesee  et  le  fondeur  Nicolas  Gruden  l'exécutèrent 
ensemble  (1479)  K 

Les  innombrables  tombes  en  cuivre  encastrées  dans  le  dallage  ou 

'  Baadeu,  Pièces  jusi.,  t.  I,  p.  53  —Sur  l'œuvre  elle-même,  voy.  Sighart,  p.  560- 
562.  —  Otte,  p.  517.  —  Rettbkrg,  p.  148-156.  —  Voy.  aussi  Beugau,  Grenzhoien, 
1873  a.,  p.  53-62. 

*  Voy.  Otte,  p.  264-719.  —  Pour  plus  de  détails  sur  ce  chef-d'œuvre,  voy. 
Baader,  t.  I,  p.  73,  99-111.  —  Les  statues  furent  en  faraude  partie  vendues  plus 
tard  comme  ■  vieux  cuivre  ».  L'Empereur  et  son  héraut  sont  seuls  demeurés. 

^  Otte,  p.  714.  —  Les  armuriers  allemands  ne  le  cédaient  en  rieu,  pour  l'habi- 
leté, aux  armuriers  d'Italie.  Jahrbuch,  t,  IV,  p.  231. 


ADAM    Kl!  A  FF  T.  157 

les  nuirs  des  églises  soni  {ycneralcmenl  duii  dessin  plein  de  style, 
et  dignes  d'intérêt  à  tous  les  points  de  vue.  Elles  expriment  admira- 
blement la  doctrine  du  christianisme  sur  la  mort. 

Dans  l'art  de  la  fonderie  des  cloches,  le  quinzième  siècle  n"a  pas 
été  surpassé.  Les  plus  grandes  cloches  de  la  cathédrale  de  Cologne 
ont  été  fondues  en  1418  et  1449  ';  celles  de  l'église  Sainte-Marie  de 
Danzig  en  1458;  celles  de  la  cathédrale  d'Halberstadt  en  ll.'iT; 
celles  de  Merseburg  en  1507;  d'Erfurt  en  1497;  de  Sainte-Elisabeth, 
à  Breslau,  en  1507.  Elles  sont  au-dessus  de  fout  ce  que  l'art  ancien 
et  moderne  a  produit  en  ce  genre,  par  la  perfection  achevée  de  leur 
fonderie,  le  mélange  harmonieux  et  riche  de  leurs  sons,  la  beauté 
de  leur  poli  et  le  goût  de  leur  ornementation  *. 

La  sculpture  sur  pierre  et  sur  bois  produisit  pendant  la  même  pé- 
riode d'admirables  chefs-d'œuvre  qui  peuvent  être  placés  sur  le 
même  rang  que  les  plus  beaux  ouvrages  des  artistes  en  métaux,  et  les 
surpassent  peut-être  encore  K 

Le  ])lus  illustre  et  le  plus  fécond  sculpteur  de  l'époque,  c'est  l'ami 
de  Pierre  Fischer,  Adam  Krafft  '.  Par  sa  simplicité,  sa  chaleur  de 
cœur,  sa  dignité  de  caractère,  il  est  le  fidèle  reflet  de  l'esprit  alle- 
mand à  cette  époque;  ces  qualilés  lui  donnent  plus  d'un  trait  de 
ressemblance  avec  Albert  Durer.  Aucun  maître  allemand  n'a  repré- 
senté avec  plus  d'émotion  et  de  profondeur  l'histoire  de  la  Passion 
de  Jésus-Christ.  Ses  principaux  ouvrages,  exécutés  à  Nuremberg, 
datent  de  1490  à  1507. 

A  la  plus  ancienne  de  ses  œuvres,  les  sept  g'randes  scènes  de  la 
Passion,  se  rattache  un  trait  qui  caractérise  admirablement  l'esprit 
de  foi  et  de  ferveur  de  ce  siècle,  un  bourgeois  de  Nuremberg,  Mar- 
tin Ketzel,  entreprit  un  pèlerinage  à  Jérusalem  dans  le  dessein  de 
mesurer  exactement  la  distance  qui  sépare  la  maison  de  Pilate  du 
Calvaire  (1477).  Revenu  dans  son  pays,  il  s'aperçut  qu'il  avait  perdu 
cette  mesure,  recommença  un  nouveau  pèlerinage,  et  fit  exécuter  par 
Adam  Krafft,  d'après  ses  indications,  le  Calvaire  qu'il  s'était  proposé 


'  Sur  les  fondeurs  de  cloches  de  Cologue,  voy.  Ennen,  t.  Ilf,  p.  1032-1033.  — 
Nordhoff,  KunslgeschichlUchc  Beziehungen  zicisrhcn  Rheinland  und  lUesl/alen,  p.  66- 
67,  96-97.  —  Falk,  Zur  Bcurlheilunj  dcsfiin/zchnlcn  Jahrhunderts,  p.  419-420. 

-  «  Les  cloches  de  l'ancien  papisme  du  moyeu  âge  et  celles  de  la  sombre  anti- 
quité sont  généralement  fondues  avec  le  meilleur  et  le  plus  pur  métal.  -  Uahn, 

Cainpanalugie,  p.  90  (Erfurt,  1822), 

^  La  sculpture  sur  ivoire  avait  précédé  la  sculpture  sur  bois.  Sur  ce  point  et 
sur  la  laute  estime  où  nos  sculpteurs  sur  ivoire  étaient  tenus  en  Italie,  voy. 
SciiAFFt;,  Die  Lenkmiiler  der  El/enbeinpluitik  des  Grossherzogl  Museums  zu  Darmstadt, 
p.  74-  Darmstadt,  1872). 

*  Voy.  NKUDÖaFER,  p.  12-19,  —  Wanderer,  Adam  Kraffl  et  son  école,  1490-1507 
(Nuremberg,  1869). 


158  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

d'ériger.  Il  se  compose  de  sept  piliers  en  grès  dont  cliacun  est  sur- 
monté d'une  grande  scène  sculptée  de  la  Passion;  ces  piliers  allaient 
de  sa  maison  (plus  tard  surnommée  maison  de  Pilate)  jusqu'au  cime- 
tière de  Saint-Jean.  Sur  chacun  d'eux  est  placée  une  inscription  expli- 
quant le  sujet  de  la  scène  représentée,  et  indiquant  la  distance  de  la 
maison  de  Pilate.  Ces  groupes  sont  grandioses,  et  d'un  effet  admi- 
rable; le  dernier  surtout  frappe  et  émeut.  Nous  lisons  sur  l'inscrip- 
tion du  pilier  :  ';  Ici,  devant  sa  Mère  bénie,  le  corps  du  Christ  est  étendu  ; 
la  Vierge  gémit  et  pleure,  son  cœur  est  navré  de  la  plus  amère  douleur.  " 
Joseph  d'Arimathie  soulève  avec  respect  sous  les  épaules  le  corps  du 
Sauveur;  Marie,  agenouillée,  attire  sur  son  cœur  la  tête  de  son  Fils, 
délivrée  de  la  cruelle  couronne  d'épines;  Madeleine,  aux  pieds  de 
Jésus,  arrose  le  suaire  de  ses  larmes.  Un  sentiment  vrai  et  pro- 
fond anime  chaque  figure;  les  costumes  nurembourgeois  dont  sont 
revêtus  les  personnages  semblent  les  rendre  familiers  aux  specta- 
teurs, les  rapprocher  d'eux,  et  augmenter  l'impression  de  leur  vivante 
sympathie. 

La  même  force  et  la  même  chaleur,  avec  plus  de  grâce  et  de  per- 
fection encore  dans  l'attitude  des  personnages,  se  font  admirer  dans 
rEnsevelissement  du  Christ,  du  même  artiste.  Ce  groupe  lui  fut 
commandé  par  Sébald  Schreyer,  curateur  de  l'Église  et  grand  ama- 
teur des  arts  (1492).  Krafft  exécuta  aussi  de  1496  à  1500  un  admirable 
chef-d'œuvre,  pieuse  donation  de  Jean  Imhoff  *  ;  c'est  le  tabernacle 
haut  de  64  pieds  qui  orne  le  chœur  de  Saint-Laurent,  à  Nuremberg. 
Porté  par  les  deux  figures  agenouillées,  de  grandeur  naturelle,  de 
Krafft  et  de  ses  deux  compagnons,  l'ouvrage  s'élève,  semblable  en  sa 
structure  à  une  superbe  plante  dont  les  branches  et  les  fruits  de  pierre 
se  terminent  par  une  fleur  habilement  recourbée  comme  la  houlette 
d'un  berger.  Les  piliers  du  tabernacle  sont  ornés  défigures  de  saints. 
A  sa  porte  veillent  des  anges.  Comme  le  Saint  Sacrement  fut  institué 
en  l'honneur  de  la  mort  du  Rédempteur,  l'artiste  a  représenté  dans 
son  œuvre  quelques  épisodes  de  la  Passion,  qui,  avec  la  Résurrection, 
complètent  pour  tous  les  fidèles  les  fruits  de  la  sainte  Cène  *. 

Ce  chef-d'œuvre  n'est  surpassé  que  par  le  tabernacle  de  la  cathé- 
drale d'Ulm,  c|u'une  bourgeoise  delà  ville,  Angélique  Zähringer,  fit 
élever  par  le 'maitre  de  Weingarten  >  (1461-1469)^G'estunedesplus 
magnifiques  créations  de  la  sculpture  du  moyen  âge.  L'architecture 
en  est  aussi  admirable  que  la  sculpture.  La  finesse  des  ornementa- 

1  Voir  le  contrat  de  l'artiste  avec  le  donateur  Imhoff,  publié  par  Allhin, 
dans  le  Grenzboten,  p.  191,  n"  44,  1875. 

-  Rettberg,  p.  83-91.  —  Sigh\rt,  p.  525-526. 

'  V.  Hassler,  p.  106.  —  Je  cite  le  premier  projet  présenté  par  le  maître  à  la 
donatrice. 


VEIT    STOSS.  159 

tions  est  élonnante;  ou  les  croirait  vraiment  exécutées  en  fili- 
{jrauc,  el  elles  sont  si  délicaleuieul  ciselées,  qu'autrefois,  et  même  il 
n'y  a  qu'un  siècle,  on  croyait  généralemeut  quelles  avaient  été 
exécutées  en  pierre  coulée,  «  art  perdu  aujourd'hui  -,  disait-on.  Ce 
tabernacle  est  plus  {yrand  de  moitié  que  celui  de  rsuremberjj. 

Tilmauu  lliemenscimeider  suivit  uue  direction  artistique  presque 
semblable  à  celle  d'Adam  Kraiit.  11  avait  de  (grands  ateliers  à  Wurtz- 
bourj;;  ses  plus  beaux  ouvrajyes  sont  :  les  tombeaux  des  évêqucs 
[U)dül|)lie  de  Sclicreuberjj  ^^  Laurent  de  Bibra  dans  le  dôme  de 
Wurtzbourg;  puis  le  monument  funèbre  de  l'empereur  Henri  11  et 
de  sa  femme  Cunégonde,  dans  le  dôme  de  Bamberg  (1499-1513).  Sur 
la  dalle  qui  les  recouvre  on  voit  les  statues  des  deux  saints  dans  l'al- 
titude d'un  tranquille  repos.  L'œuvre  est  remarquable  par  la  noblesse 
de  la  composition  comme  par  le  fini  de  l'exécution.  Sur  les  quatre 
cotés  du  tombeaux,  des  bas-reliefs  sculptés  rappellent  des  traits 
empruntés  à  la  vie  des  deux  époux. 

Parmi  les  maîtres  si  nombreux  d'alors,  il  faut  encore  citer  Veit  Stoss 
(né  en  1447);  il  travailla  alternativement  à  Cracovie  et  à  Nuremberg. 
Il  était  sculpteur  sur  bois,  statuaire,  peintre,  graveur  sur  cuivre, 
mécanicien  et  architecte.  A  Cracovie,  il  acheva  en  1489  le  magni- 
que  maitre-autel  de  l'église  Notre-Dame';  en  1492,  à  la  cathé- 
drale, le  tombeau  du  roi  Casimir;  en  1495,  les  cent  quarante-sept 
stalles  de  chœur  de  l'église  de  Notre-Dame.  Son  labeur  persévérant 
exerça  une  grande  influence  sur  les  progrès  de  l'art  en  Pologne  et 
en  Hongrie  *.  Aussi  dans  le  comtat  de  Zipfer,  tout  ce  qui  est  resté 
debout  dans  les  villes  et  dans  les  villages  en  fait  de  sculptures, 
porte-t-il  l'empreinte  de  l'art  allemand.  Stoss  travailla  aussi  à  Nu- 
remberg avec  une  infatigable  ardeur;  il  reçut  des  commandes  de 
Transylvanie,  et  même  de  Portugal  \  -■  11  fit  pour  le  roi  de  Portu- 
gal, rapporte  Neudörfer,  les  statues  d'Adam  et  d'Eve  en  bois  peint, 
de  grandeur  naturelle;  ils  ont  une  telle  vérité  d'attitude  qu'on  reste 
saisi  à  leur  aspect,  il  semble  qu'ils  soient  vivants.  11  m'a  fait  voir  à 
moi-même  une  mappemonde  en  relief  où  il  a  représenté  les  hautes 
montagnes,  les  vallées,  les  fleuves,  les  plus  humbles  cours  d'eau,  les 
villes  et  les  forets  \     Son  œuvre  la  plus  considérable  à  Nuremberg, 

'  Voy.  sur  les  offrandes  pour  les  autels,  Essenwein,  p.  101-102,  et  Suppl.,  t.  XV, 
p.  28. 

2  Voy.  Documenls,  t.  HI,  p.  253-257;  t.  IV,  p.  41,  44;  t.  V,  p.  227.  Fol. 

'  Pour  plus  de  détails,  voy    KuNSTM.iNN,  p.  304. 

*  Neudoufer,  p.  84.  —  Veit  Stoss  est  le  seul  des  fjrands  artistes  du  quinzième 
siècle  dont  la  vie  soit  entachée  d'une  faute  considérable.  Dans  un  procès  qu'il 
eut  à  soutenir  contre  un  négociant  de  Nuremberg,  qu'il  accusait  de  lui  avoir 
fait  perdre  une  somme  importante,  il  apposa  une  signature  fausse  et  fut  con- 


160  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

c'est  le  rosaire  de  l'église  de  Saint -Laurent  que  lui  avait  commandé 
le  marchand  Antoine  Tücher,  et  qu'il  termina  en  1518.  Il  y  avait  à 
Nuremberg  tant  de  sculpteurs  sur  bois,  qu'on  peut  à  peine  com- 
prendre comment  tous  pouvaient  réussir  à  gagner  leur  vie  '. 

Le  plus  célèbre  d'entre  eux,  celui  dont  le  génie  fut  le  plus  profond, 
c'est  maître  Georges  Syrlin,  d'Ulm.  Ses  stalles  de  chœur,  dans  la 
cathédrale  d'ülm,  développent  en  d'admirables  sculptures  la  philo- 
sophie de  la  nature,  de  l'histoire  et  de  la  révélation.  L'artiste  nous 
montre  d'abord  la  nature  ininîelligente,  le  monde  des  plantes  et  des 
animaux;  puis  il  nous  représente  l'humanité  que  le  péché  a  dégradée, 
qui  a  oublié  Dieu  et  en  est,  à  cause  de  cela,  abandonnée.  Sur  ce 
premier  plan  s'élève,  en  trois  autres  plans  superposés,  le  Paganisme 
penseur,  avide  de  trouver  Dieu;  l'Ancien  Testament  et  son  attente 
pleine  de  foi;  enfin  le  Nouveau  Testament  dans  toute  sa  plénitude  de 
lumière.  Le  Paganisme  est  représenté  par  ses  grands  hommes  :  Pytha- 
gore,  Cicéron,  Sénèque,  Ouintilien,  les  sibylles;  le  Judaïsme,  par 
ses  patriarches,  ses  prophètes  et  ses  saintes  femmes;  le  Christianisme, 
par  ses  apôtres  et  ses  saints.  L'exécution  artistique  correspond  par- 
faitement à  un  plan  si  vaste.  On  est  émerveillé  de  la  richesse  d'ima 
gination  de  l'artiste  et  de  l'inépuisable  variété  qu'il  sait  donner  à 
l'expression  de  tant  de  figures.  L'attitude  des  personnages  est  pleine  de 
vérité,  de  grâce  et  de  vie;  on  trouve  même  dans  cette  œuvre,  à  côté 
d'un  profond  sentiment  religieux,  la  trace  d'un  enjouement  aimable. 
La  création  de  maître  Syrlin  est  d'autant  plus  digne  d'admiration 
qu'il  n'a  mis  que  cinq  ans  à  l'exécuter  (1469-1474)  *. 

Jusque  dans  les  petites  villes  et  dans  les  villages,  on  découvre  de 
magnifiques  sculptures  datant  de  cette  époque.  Par  leur  simple 
beauté,  la  largeur  avec  laquelle  sont  traités  les  personnages,  leur 
caractère  élevé,  elles  appartiennent  aux  œuvres  les  plus  achevées  de 
l'art  allemand.  Citons,  à  l'appui  de  cette  assertion,  les  œuvres  d'art 
des  églises  de  Lorech  (sur  le  Rhin),  de  Clausen  (près  de  Trêves),  de 
Blaubeurcn ,  d'Eschach ,  d'Heerberg  (dans  un  coin  ignoré  de  la 
Souabe\  de  Saint-Wolfgang  (village  près  d'Ischl),  de  Kafermacht, 
en  Autriche,  de  Rottenburg  sur  la  Tauber,  de  Cregiieugen,  lieu  de 
pèlerinage  près  de  Rottenberg,  de  Gnadcuberg,  lieu  de  pèlerinage 
dans  le  Palatinat  \ 

damné  pour  cette  déloyauté  à  être  marqué  duii  fer  rouge  aux  deux  joues.  Il 
se  tint  toujours  pour  injustement  accusé,  et  l'empereur  Maximilien  le  rétablit 
dauj  tous  ses  droits  de  bourgeoisie  (1502-Iô06j.  Chroniken  der  deutschen  Slddic,  t.  X, 
p.  6137.  —  Ba.vder,  Beilrüge,  t.  I,  p.  14-25. 

'  Voyez-en  la  liste  dans  IUideu,  t.  I,  p.  4,  5.  —  Sighart,  p.  5iO. 

-  Voy.  IIasslek,  p.  107-114. 

3  Voy.  VV.v.vGEN,  t.  I,  p.  186-189.  —  Kugler,  Hnndbuch,  \.  II,  p.  419-420.  —  Sur 
les  œuvres  dart  d'origine  allemande  de  la  Hongrie,  voy.  Scheigeh,  Documents, 


LliS    IRKK  ES    VAN    EYCK.  ICI 

On  ne  counail  le  nom  que  de  bien  peu  des  artistes  auxquels  sont 
dus  tant  d'ouvrages  admirables.  Les  raaitrcs  du  quinzième  siècle 
ii'allacliaicnl  aucune  importance  à  ce  qui  leur  était  personnel;  ils  ne 
paraissent  nulle  part  dans  leurs  œuvres,  ils  ne  cherchent  jamais  à 
mettre  leur  personnalité  eu  relief;  leurs  créations  fleurissaient  pour 
ainsi  dire  dans  leur  ûme;  elles  étaient  déjà  contenues  en  germe  dans 
leur  foi  vive,  dans  leur  ardente  piété;  elles  en  étaient  le  produit 
presque  inconscient;  de  là  leur  simplicité  et  leur  calme,  et  c'est  pré- 
cisément dans  cette  absence  de  prétentions,  dans  ce  calme,  que  gît 
le  secret  du  puissant  effet  qu'elles  produisent.  Si  elles  nous  font  une 
telle  impression  de  grandeur,  c'est  que  la  grandeur  est  comme 
iuliérenlc  à  leur  nature  '. 


Les  deux  frères  Van  Eyck  :  Hubert  (f  14.32)  et  Jean  (f  1440), 
tous  deux  établis  à  Bruges  durant  presque  toute  leur  vie,  passent 
généralement  pour  avoir  été  les  véritables  initiateurs  de  la  peinture 
en  Allemagne.  La  vigueur  du  dessin,  la  clarté  de  la  composition,  la 
profondeur  du  sentiment,  la  vérité  et  l'harmonie  de  la  coloration, 
fout  de  leurs  tableaux  des  chefs-d'œuvre  dont  aucune  toile  jusque-là 
n'avait  pu  faire  pressentir  la  perfection.  Au  point  de  vue  de  l'his- 
toire de  l'art,  ces  deux  maîtres  sont  doublement  dignes  d'être  étudiés. 
D'abord,  ils  sont  les  premiers  qui  aient  eu  la  pensée  de  mettre  la 
peinture  à  l'huile,  depuis  longtemps  découverte,  au.  service  d'un  art 
élevé  ;  puis  c'est  à  eux  encore  que  l'on  doit  l'introduction  dans  l'art  de 
l'étude  d'après  nature;  ils  ont  traité  le  portrait  et  le  paysage  avec  un 
soin,  un  amour  inconnus  jusqu'à  eux  *.  Aussi  leur  réputation  s'était- 
elle  répandue  dans  l'Europe  entière;  ils  eurent  de  nombreux  élèves, 

1. 1,  p.  173.  —  Sur  les  stalles  de  chœur  de  la  Bavière,  voy.  Sighvrt,  Documcnis,  t  VI, 
p.  106,  107.  —  Sur  les  déprédations  exercées  plus  tard  par  les  protestants  dans 
les  églises,  voy.  les  détails  donnés  par  nous,  dans  le  tome  III  de  cet  ouvra-ge.  A 
Saint-Gall,  au  moment  oii  s'exerça  la  plus  grande  fureur  contre  les  images 
saintes,  on  emplit  quarante  voitures  de  débris,  d'images  brisées  qu'on  livra 
plus  tard  aux  flammes.  A  Zurich,  il  fallut  treize  jours  pour  anéantir  les  «  idoles  • 
en  présence  des  autorités  de  la  ville.  On  en  brûla  les  restes  à  Bâle,  le  mercredi 
des  Cendres,  dans  le  cimetière  de  la  cathédrale.  A  Ulm,  la  même  fureur  de  des- 
truction anéantit  cinquante  des  plus  beaux  autels,  avec  leurs  sculptures  de  bois. 
On  alla  jusqu'ù  jeter  violemment  dehors  l'orgue  de  la  cathédrale  ;  puis  l'on  brûla 
toutes  ces  •  idoles  -  pour  la  -  gloire  de  Dieu  ».  Voyez  notre  troisième  volume. 

'  Voy.  A.  Stifter,  Mélanges,  t.  I,  p.  235-253. 

-  Pour  plus  de  détails,  voy.  Eisenm.\nn,  Die  Brüder  Van  Eyck,  dans  l'ouvrage 
intitulé  :  Kunst  und  Künstler  des  Mittelaiters  und  der  iVeuzeit,  p,  3-6.  —  Sur  Durer, 
considéré  comme  le  premier  paysagiste  allemand,  voy.  Kaufm.vnn,  p.  35. 

il 


162  1,'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

non-seulement  en  Allemagne,  mais  en  Italie  '.  Antonelli  de  Messine 
faisait  partie  de  ces  derniers,  et  communiqua  plus  tard  aux  artistes 
de  Venise  le  goiU  que  les  maîtres  flamands  lui  avaient  inspire  pour 
le  paysage  ^  L'école  des  frères  Van  Eyck  exerça  une  puissante 
influence  à  Florence  môme,  et  Dominique  Ghirlandajo  n'y  resta  pas 
étranger.  Les  artistes  de  la  haute  Allemagne  lui  durent  aussi  leur 
inspiration,  et  beaucoup  d'entre  eux,  après  avoir  étudié  dans  les  ate- 
liers des  frères  Van  Eyck,  importèrent  dans  leur  patrie  1'  "  art  des 
Pays-Bas  " . 

Cependant,  les  plus  célèbres  et  les  plus  universellement  admirés  des 
artistes  de  notre  pays  ne  subirent  pas  l'influence  flamande.  Le  fond 
et  la  manière  de  leurs  tableaux  montrent  clairement  qu'ils  relèvent 
bien  plutôt  de  l'école  de  Cologne.  .Cette  école,  qui  avait  peut-être 
reçu  des  Grecs,  dès  l'époque  des  Othon,  les  premiers  principes  de 
l'art,  était  entrée  dans  un  plein  épanouissement  depuis  le  commen- 
cement du  quatorzième  siècle.  Efle  devait  surtout  sa  réputation  à 
Etienne  Locliner,  de  Constance,  dont  l'influence  domina  à  Cologne 
jusqu'au  seizième  siècle,  et  qui  eut  toute  une  pléiade  de  disciples 
remarquables  :  le  "  maitre  de  la  Passion  de  Liversberg  »  le  "  maître 
de  la  Glorification  de  Marie  »,  et  le  «  maître  de  Saint-Séveriu  »  en 
sont  les  plus  admirés  (1460-1500)  '. 

Parmi  les  artistes  venus  du  dehors  qui  reçurent  à  Cologne  la 
direction  de  leur  talent,  deux  maîtres  doivent  surtout  attirer  notre 
attention  :  Hans  ]\Iemling,  dit  Hans  l'Allemand,  né  en  Francouie  (mort 
vers  1495),  ordinairement  pris  à  tort  pour  un  Flamand  par  nos  bio- 
graphes, et  Martin  Schongauer,  né  en  Souabe,  surnommé  à  cause  de 
l'admiration  générale  qu'il  inspirait  «  Martin  Schön  »(Martin  le  Beau). 
H  est  évident  que  les  personnages  des  tableaux  de  Memling  ont  eu 
pour  modèles  des  habitants  du  pays  du  Bhin  ;  les  détails  d'architec- 
ture offrent  tous  les  caractères  de  l'art  rhénan;  la  couleur  est  celle 
de  l'école  de  Cologne,  nullement  celle  des  frères  Van  Eyck.  Mem- 
ling resta  toujours  fidèle  à  la  tradition  de  Cologne,  même  après  que 
depuis  longtemps  il  se  fut  fixé  à  Bruges  et  eut  travaillé  dans  l'atelier 
de  Boger  van  der  Weyden,  élève  plein  de  talent  des  frères  Van 
Eyck*.  Martin  Schongauer  suivit  la  même  voie,  bien  qu'il  ait  eu 
comme  lui  le  bénéfice  des  leçons  des  maîtres  flamands.  Comparons 
avec  la  délicieuse  composition  d'Etienne  Lochner,  Marie  dans  le  huis- 

ï  Vittoria  Colonna  et  Michel-Ange  trouvaient  qu'il  y  avait  plus  de  sentiment 
religieux  dans  les  tableaux  de  l'école  flamande  que  dans  ceux  de  l'école  italienne. 
Voy.  Documents,  t.  V,  p.  155. 

-  Voy.  A.  DE  Humboldt,  Cosmos,  t.  II,  p.  81-82. 

^  Schciblcr,  p.  11-56,  p.  17. 

*  ThaüSING,  Vie  de  Durer,  p.  54. 


I 


CARACTÈRE    DE    r,A    P  E  î  M  U  R  E    ALLEMANDE.  Iti3 

son  (le  roses  (Musée  (le  Ç()l()(;nc),  cf  avec  sou  principal  clief-d'd'uvre 
couim  sous  le  nom  de  Tableau  de  la  Cathédrale,  les  loiles  de  Menilinj'; 
conservées  dans  la  salle  capitulaire  de  riiôpilal  Saint-Jean  à  Bruges. 
Kxauiiuons  aussi  les  Sept  Joies  de  Marie,  du  même  arfisle,  dans  la 
l'iuacollièque  de  Munich,  c(  Marie  dans  le  buisson  de  roses,  de  Scliou- 
jjauer,  à  Sainl-Martin  de  Colmar  :  nous  ne  pourrons  plus  conserver 
de  doutes  sur  leur  proche  pareille.  Le  dessin  plein  de  finesse  et  de 
senlimeul,  l'expression  d'humble  innocence  de  Marie,  sa  dijjnilé  vir- 
{jiuale,  la  force,  la  profondeur  idéale  de  la  pensée,  surtout  dans  les 
fip,ures  de  madones,  placent  les  trois  maiires  bien  au-dessus  de  tous  les 
artistes  de  leur  temps.  Mais  ce  qui  les  sépare  surtout  d'eux,  ce  qui  crée 
leur  véritable  orijyinalité,  c'est  le  noble  besoin  de  vérité  qui  se  fait 
admirer  dans  leurs  tableaux  et  s'efforce  toujours  de  donner  une  forme 
précise  aux  créations  les  plus  idéales.  En  effet,  dans  les  toiles  de  cette 
école,  les  figures  de  saints,  empreintes  d'un  si  profond  sentiment 
d'amour  divin,  n'en  sont  pas  moins  vivantes  ;  on  sent  qu'elles  appartien- 
nent à  un  monde  supérieur,  mais  en  même  temps  réel;  les  corps  sont 
pleins  de  vigueur,  on  reconnaît  d^ins  les  figures  des  individualités  bien 
caractérisées;  les  plus  petits  détails  sont  bien  observés,  pris  sur  le  vif, 
et  les  personnages  semblent  former  une  série  de  portraits.  Tout  ce 
([ui  les  entoure,  vêtements,  meubles,  bijoux,  est  emprunté  à  la  vie  de 
tous  les  jours  et  introduit  le  spectateur  dans  les  mœurs  de  l'époque'. 

Les  œuvres  de  Memliug  et  de  Schongauer  ont  de  plus  un  intérêt 
spécial  pour  nous  :  ils  reproduisent  avec  une  grande  fidélité  les  traits 
de  caractère  les  plus  saillants  du  peuple  allemand;  ils  expriment  la 
profondeur  et  la  pureté  de  sa  foi,  sa  loyauté,  sa  noble  simplicité; 
en  même  temps,  ils  ont  un  intérêt  psychologique  qui  nous  semble 
surpasser  encore  leur  valeur  artistique  :  ils  nous  fournissent  d'inap- 
préciables et  féconds  documents  d'histoire  nationale,  et  nous  pou- 
vons y  étudier  les  progrès  de  notre  civilisation.  La  tête  du  Christ  de 
MemlingS  le  Christ  détaché  de  la  croix  de  Schongauer  ^  suffiraient 
à  eux  seuls  pour  donner  une  haute  idée  du  sentiment  religieux  d'un 
siècle  qui  vit  éclore  de  pareils  chefs-d'œuvre.  Le  plus  célèbre  tableau 
de  Schongauer  nous  offre  eu  une  seule  physionomie  l'expression  delà 
sainteté,  de  l'amour,  de  la  douleur  et  de  la  félicité.  Dans  le  visage  de 
Marie,  en  effet,  la  sainteté  devient  de  l'amour,  l'amour  de  la  douleur,  la 
souffrance  de  l'extase,  et  tout  semble  se  confondre  et  s'unir  dans  un 
unique  sentiment;  de  belles  larmes  coulent  en  abondance  sur  les  joues 
de  la  Vierge  et  adoucissent  son  martyre.  Les  tourments  du  Sauveur 

'  Sur  le  mélange  d'idéal  et  de  réalisme  des  anciens  maîtres,  voy.  Reiciie>spei\- 
GER,  Mélanges,  p.  464. 
-  Dans  la  Pinacothèque  de  ."Munich. 
'  A  Colmar. 

11. 


164  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

semblent  s'assoupir  entre  les  bras  de  sa  sainte  Mère.  ^îous  nous  sentons, 
en  contemplant  ce  tableau,  envahi  par  une  émotion  religieuse  qui  ne 
laisse  de  place  à  aucune  autre  pensée  '.  Quant  à  la  tête  du  Christ  de 
Memling,  c'est  une  œuvre  unique  parmi  toutes  les  créations  de  la  pein- 
ture. Aucun  maître,  à  quelque  nation  qu'il  appartienne,  ni  avant  ni 
après  lui,  n'a  su  exprimer  à  la  fois  une  majesté  si  divine,  une  telle  plé- 
nitude de  lumière  et  d'amour.  On  a  dit  que  c'était  le  seul  Christ  devant 
lequel  on  piU  lire  et  méditer  l'Évangile.  Rappelons-nous  aussi  les 
Sept  Joies  de  Marie,  de  Memling.  Cette  toile  est  bien  conforme  à  l'esprit 
d'une  époque  qui,  ainsi  que  le  dit  Wimpheîing,  «  se  plaisait  à 
accroître  toujours  davantage  la  gloire  de  la  iMére  de  Dieu,  afin  de 
rendre  un  hommage  plus  magnifique  au  divin  Rédempteur  ». 
Maître  Conrad  de  Wurzbourg  avait  composé  jadis  sur  la  vie  de  la 
Sainte  Vierge  un  poème  intitulé  la  Forge  d'or-  :  le  tableau  des  Sept  Joies 
semble  être  comme  un  second  poème  sur  le  même  sujet,  composé 
avec  les  brillantes  couleurs  de  la  palette.  Le  tableau  des  Sept  Sacre- 
ments, dans  la  galerie  d'Anvers,  nous  offre  aussi  une  admirable  preuve 
des  rapports  qui  unissaient  autrefois  la  religion  et  l'art.  Le  tableau, 
divisé  en  trois  panneaux,  représente  l'intérieur  d'une  cathédrale 
gothique.  Dans  l'espace  du  milieu  l'artiste  a  placé  l'image  du  Sau- 
veur crucifié,  source  et  racine  de  tout  salut.  A  ses  cotés  se  tiennent 
la  Vierge  et  saint  Jean,  sainte  Madeleine  et  les  saintes  femmes. 
Derrière  ce  groupe  principal,  on  célèbre  la  Messe  au  grand  autel.  Le 
prêtre,  après  la  consécration,  élève  la  sainte  Hostie.  Le  plus  auguste 
des  sacrements  tient  à  juste  titre  la  première  place  au  centre  de  cette 
composition.  Dans  les  panneaux  des  côtés,  on  administre  les  autres 
sacrements.  Le  maître  a  trouvé  pour  chacun  d'eux,  presque  tou- 
jours dans  des  chapelles  latérales,  l'espace  approprié.  Des  groupes 
d'anges,  tenant  des  banderoles  où  sont  écrits  les  noms  des  sacre- 
ments, planent  dans  les  airs.  Ce  tableau,  par  la  simplicité  et  la  grâce 
de  sa  composition,  fait  une  impression  puissante,  et  c'est  pour  ainsi 
dire  une  épopée  chrétienne  exécutée  avec  des  couleurs. 

L'école  de  Calcar,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  suivit,  dans  le  Bas- 
Rhin,  les  traditions  de  Memling.  On  lui  doit  tant  d'œuvres  nobles  et 
gracieuses,  d'une  couleur  si  vigoureuse  et  si  brillante,  d'une  expres- 
sion si  profonde  et  si  vraie;  elles  sont  tout  à  la  fois  si  fidèles  et  si 
originales  dans  leur  exécution,  qu'on  ne  peut  se  lasser  de  les  con- 
templer ^ 

•  Voy.  OuANDT,  Martin  Schongaiicr  als  Maler  und  seine  U'crhc  in  Calmar,  darij  I.l  Kunst- 
blatt, 1840,  p.  317. 

ä  Holland,  Geschichte  der  Literatur,  p.  137-189. 
'  Voy.  Waagen,  t.  I,  p.  168. 


MARTIN    s  cil  ONG  A  HER.  165 

Ouant  à  l'école  westphalicnnc,  ses  tendances  sont  les  mêmes  que 
celles  de  l'école  de  Colopyiie.  Klle  compte  parmi  ses  peintres  des 
maiiros  d'un  réel  mérite;  l'éneq^ie  de  l'expression  et  la  délicatesse 
des  nuances  sont  les  traits  distinctiCs  de  sa  manière.  Son  centre 
était  à  Munster,  et  les  deux  artistes  qui  l'ont  le  plus  glorieusement 
représentée  sont  le  Maître  de  Liesborne  et  Jarenus  de  Soest'.  Les 
t.ibleaux  du  célèbre  peintre  viennois  \VolfVjan*v  l^ueland  *  (1501)  et 
des  artistes  tyroliens  Michel  et  Frédéric  Paclier,  ceux  de  Gaspard, 
•lean  et  Jacques  Rosenthaler,  du  Tyrol,  se  rapprochent  d'une  manière 
frappante  des  traditions  de  l'école  westphalienne,  sans  qu'on  ait  pu 
jusqu'ici  retrouver  le  fil  qui  les  relief 

Mais  le  maître  dont  l'influence  fut  la  plus  durable  et  la  plus 
féconde,  c'est  incontestablement  Martin  Schongauer;  il  était  telle- 
ment admiré  dans  l'Europe  entière,  qu'Italiens,  Espagnols,  Anglais 
achetaient  et  emportaient  ses  tableaux  et  ses  gravures  <  comme  les 
plus  précieux  trésors  de  la  terre  *  ".  On  le  mettait  au  même  rang 
que  le  Pérugin,  le  maître  de  Raphaël.  «  Il  était  intimement  lié  avec 
Pierre  Pérugin  ",  dit  une  chronique  contemporaine.  «  Tous  deux 
se  donnaient  souvent  la  joie  de  s'envoyer  réciproquement  leurs 
tableaux.  Ils  avaient  pris  l'un  de  l'autre  ce  qu'ils  avaient  de  meilleur, 
ainsi  que  les  connaisseurs  peuvent  le  constater  ^  » 

L'atelier  de  Schongauer  à  Colmar  était  le  véritable  centre  de  tous 
les  artistes  du  temps.  Les  peintres  de  Souabe,  surtout,  s'y  formèrent, 
et  leur  goiît  délicat,  leur  sentiment  profond,  les  mit  bientôt  au- 
dessus  de  tous  les  autres.  C'est  là  que  se  développa  Barthélémy  Zeit- 
bloom,  d'Ulm,  que  la  noble  simplicité,  la  vérité  et  la  pureté  suave  de 
ses  compositions  ont  fait  surnommer  «  le  plus  Allemand  de  tous  les 
peintres^  ».  Hans  Burkmaïer,  d'Augsbourg,  travaillait  aussi  dans  l'ate- 
lier de  Martin.  On  doit  à  son  infatigable  talent  un  grand  nombre  de 
tableaux  religieux  et  profanes.  Il  est  le  premier  des  maîtres  de  la 
haute  Allemagne  qui  ait  peint  d'après  nature  les  fonds  de  paysage  et 
jusqu'aux  plus  petits  détails  de  ses  tableaux".  Hans  Holbein  l'aîné,  qui 
pendant  la  prriode  brillante  de  son  talent  fut  l'un  de  nos  meilleurs 

'  Voy.  NOKDHOFF,  Kunslgeschichllichu  Beziehungen  zwischen  Rheinland  und  Westfalen. 
p.  54-60.  —  NOROIIOIF,  Die  Chroniken  des  Klosters  Liesborn,  p.  32-40  plunster,   1866j. 
-  Voy.  Jacob,  p.  279. 
2  Je  m'appuie  ici  sur  l'opinion  de  Böhmer,  si  compétent  en  cette  matière. 

*  Van  D;  iTSCHEiico.NSTE,  p.  4-5.  —  Voy.  Wurzbach,  p.  3,  et  le  juj^ement  qu'en 
a  porté  WniPiiELiNG,  p.  47-48.  —  Voy.  aussi  IIotiio,  2,  p.  207-219.  —  Schnaase, 
Geschichte  Schongauer's,  t.  VIII,  p.  185-189. 

*  Voy.  Schmidt,  p.  28. 

•^  Voy.  Waagen,  t.  I,  p.  184-189.  —  IIassler,  p.  117-119.  —  W.  Schmidt,  p.  39-40. 
—  Bode  et  L.  SCHEIBLER,  Jahrbuch  der  Königl.  jircuss.  Kunstsammlung,  t.  II.  p.  54-61 
(Berlin,  1881). 

'  Otte,  p.  748. 


J66  •  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

maîtres,  dut  aussi  à  Schonp;auer  rinspiration  et  la  direction  de  sod 
talent.  L'influence  de  ■;  maître  Martin  ■■  est  ép,alement  très-sensible 
dans  les  toiles  d'Hans  Holbein  le  jeune.  Ou  prétend  même  quAlbert 
Durer,  malgré  roriginalité  de  son  génie,  la  subit  toute  sa  vie  '. 

Durer  et  Holbein  le  jeune  élevèrent  la  peinture  allemande  à  son 
j)lus  haut  degré  de  gloire.  Bien  peu  de  maîtres  ont  possédé  au  même 
degré  la  faculté  créatrice,  l'imagination  féconde.  Leur  observation 
de  la  nature  est  si  fine,  si  pénétrante,  leur  imagination  si  riche  eu 
inventions  toujours  nouvelles,  si  prompte  à  les  mettre  eu  œuvre, 
qu'on  peut  leur  appliquer  ce  qu'on  a  dit  à  propos  de  Shakespeare  : 
leur  génie  semble  vraiment  -  réunir  mille  âmes  sous  son  sceptre  '■. 
Leurs  meilleures  compositions  appartiennent  encore  à  Tancien  temps, 
au  vieil  esprit  germanique  chrétien  du  quinzième  siècle,  aux  grandes 
traditions  du  moyen  âge.  Ils  ne  sont  nullement  les  précurseurs  de  ce 
qu'on  a  appelé  l'art  de  la  Renaissance,  et  ce  qu'ils  ont  pu  s'appro- 
prier des  idées  nouvelles  ne  leur  fit  jamais  perdre  le  caractère  tout 
national  de  leur  génie;  ils  gardèrent  toujours  leur  gravité  et  leur 
humour  allemands.  Si,  dans  leurs  œuvres  de  second  ordre,  ils  imitent 
parfois  l'antique,  ce  n'est  là  qu'un  détail  de  mode,  et  ne  change 
rien  à  l'ensemble  de  leur  œuvre.  On  peut  comparer  leurs  écarts  dans 
ce  genre  à  ces  excroissances  bizarres  qui  sortent  souvent  du  tronc  le 
plus  sain  et  le  plus  vigoureux.  Ils  auraient  sans  doute  produit  encore 
beaucoup  d'ouvrages  admirables,  si  les  commencements  des  troubles 
religieux,  qui  déjà  assombrissaient  l'horizon,  n'avaient  paralysé  leurs 
efforts,  et  si  leur  vie  privée,  placée  dans  d'aussi  favorables  conditions 
que  celle  d'un  Raphaël  ou  d'un  Titien,  avait  permis  à  leur  génie  un 
complet  épanouissement. 


II 


Albert  Durer  est  le  seul  artiste  de  son  siècle  qui  ait  laissé  des 
mémoires  autobiographiques  sur  ses  parents,  son  éducation,  sa  for- 
mation artistique.  Ces  mémoires  n'ont  pas  seulement  un  puissani 
intérêt  au  point  de  vue  de  ce  qui  le  concerne  personnellement,  ils 
sont  encore  d'une  valeur  inappréciable  pour  quiconque  veut  étudier 
les  mœurs  de  cette  bourgeoisie  allemande  du  quinzième  siècle,  si 
honorable,  si  solide,  et  de  laquelle  sont  sortis  nos  plus  grands 
artistes. 

Le  père   de  Durer   était   orfèvre,   orijiiuaire  d'une  colonie  allc- 

'  Schott,  p.  ?.4-3J.  —  Scinwin.  p.  24,  34-3.j. 


ALBERT    DURER.  167 

inniide  élablie  en  Honcrie.  De  Iloiijjric,  il  s'élait  rendu  dans  les 
l»ays-lîas,  cf  y  avait  séjuiirné  loiij; temps  parnn  les  grands  artistes 
alors  en  réputation;  il  vint  enfin  se  fixer  à  Nurcmberp;,  ou  il 
se  maria.  Il  eut  dix-huit  enCants.  Albert  naquit  le  21  mai  1471. 
L'honnête  orfèvre  était  habile  en  son  métier;  c'était,  selon  l'expres- 
sion de  son  fils,  "  un  pur  artiste  ».  Mais  le  soutien  de  sa  nombreuse 
famille  exi{',eait  de  lui  un  travail  rude  et  incessant.  -  Mon  cher  père, 
écrit  Durer,  a  passé  sa  vie  au  milieu  de  {grandes  fatijyues,  d'un  labeur 
difficile  et  ardu,  n'ayant  pour  entretenir  sa  vie,  celle  de  sa  femme  et 
de  ses  enfants,  que  ce  qu'il  j<;a[!?nait  de  ses  mains.  Aussi  possédait-il 
Irès-peu  de  chose;  il  a  éprouvé  en  sa  vie  beaucoup  de  tribulations, 
de  luttes,  de  contradictions  de  tous  {genres;  mais  tous  ceux  qui  le 
connaissaient  avaient  une  bonne  parole  à  dire  de  lui,  car  il  tenait  la 
conduite  d'un  bon  et  honorable  chrétien  ;  c'était  un  homme  patient, 
affable,  pacifique  avec  chacun,  et  très-reconnaissant  envers  Dieu  '.  » 
Albert  Durera  laissé  de  son  père  un  tableau  fait  de  main  de  maître, 
conservé  aujourd'hui  dans  la  Pinacothèque  de  Munich.  Ce  portrait 
correspond  parfaitement  à  l'idée  qu'il  vient  de  nous  donner  du  carac- 
tère de  son  père.  Le  vieillard  est  grand  et  maigre,  son  visage  est 
grave.  Il  semble  accepter  sans  regret  sa  vie  dépouillée  de  tout  bien- 
être  et  joie  extérieure,  dans  le  sentiment  qu'il  a  d'une  conscience 
sans  reproche-.  Il  s'efforça  toujours  de  conserver  dans  ses  enfants 
une  grande  pureté  de  mœurs.  «  Mon  cher  père  prenait  beaucoup  de 
peine  pour  notre  éducation,  écrit  Durer.  Il  nous  élevait  pour  la 
gloire  de  Dieu;  son  plus  grand  désir  était  de  maintenir  ses  enfants 
dans  une  sévère  discipline,  afin  qu'ils  devinssent  agréables  à  Dieu 
et  aux  hommes.  Aussi  nous  recommandait-il  tous  les  jours  d'aimer 
Dieu  et  de  montrer  une  sincère  affection  à  notre  prochain.  » 

Durer  dit  plus  loin,  en  parlant  de  sa  mère  :  "  Elle  avait  pour  con- 
stante habitude  d'aller  beaucoup  à  l'église.  Elle  ne  manquait  pas  de 
me  reprendre  toutes  les  fois  que  je  n'agissais  pas  bien.  Elle  nous 
gardait  avec  grand  soin  du  péché,  moi  et  mes  frères,  et  soit  que 
j'entrasse  ou  sortisse,  avait  coutume  de  me  dire  :  "  Que  le  Christ 
«  te  bénisse!  "  Elle  nous  donnait  de  saints  avertissements  avec  un 
grand  zèle,  et  avait  en  continuel  souci  le  salut  de  notre  âme.  Je  ne 
puis  assez  louer  ses  bonnes  œuvres,  la  bienveillance  et  la  charité 
qu'elle  montrait  à  chacun,  ni  assez  parler  du  bon  renom  qu'elle 
s'est  acquis  ^  » 

Il  nous  donne  sur  son  éducation  les  détails  suivants  :  '^  Lorsque 
j'eus  appris  à  lire  et  à  écrire,  mon  père  me  retira  de  l'école  et  me  fit 

'  Thausing,  Dürers  Briefe  und  Tagebücher,  p.  73. 
-  Van  Eye,  p.  4-5. 
^Thausing,  p.  137. 


168  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

apprendre  l'état  d'orfèvre;  et  lorsque  je  sus  convenablement  travail- 
ler, il  se  trouva  que  mon  goiU  m'attirait  plus  vers  la  peinture  que  vers 
le  métier  d'orfèvre.  J'exposai  la  chose  à  mon  père,  mais  il  ne  s'en 
montra  pas  satisfait,  car  il  avait  regret  du  temps  que  j'avais  perdu. 
Cependant  il  se  rendit  à  mes  raisons,  et  l'année  que  l'on  comptait 
être  la  quatorze  cent  quatre-vingt-sixième  après  la  naissance  du 
Christ,  le  jour  de  Saint-André,  30  novembre,  mon  père  me  mit  en 
apprentissage  sous  la  conduite  de  Michel  Wohlgemuîh.  Il  fut  con- 
venu que  je  le  servirais  durant  trois  ans;  pendant  ce  temps  Dieu 
me  fit  la  grâce  d'une  grande  application,  en  sorte  que  j'appris  beau- 
coup de  choses;  mais  j'eus  extrêmement  à  souffrir  des  élèves  du 
maître.  "  Wohlgemuth  était  l'un  des  meilleurs  peintres  de  Nurem- 
berg, et  son  atelier  y  était  célèbre  '. 

«  Et  lorsque  j'eus  fini  mon  apprentissage,  continue  Durer,  mon 
père  m'envoya  voyager  au  loin;  je  restai  quatre  ans  loin  de  Nurem- 
berg, puis  il  me  rappela.  »  «  Pendant  ses  années  d'absence,  a  raconté 
un  de  ses  amis.  Durer  étudia  à  Colmar,  cher  Casper  et  Paulus, 
orfèvres;  et  chez  Ludwig,  le  peintre;  puis  à  Baie,  chez  Georges, 
orfèvre;  tous  quatre  frères  de  Martin  Schön.  Chez  tous  il  fut  reçu 
avec  honneur  et  retenu  avec  joie  *.  » 

«  J'étais  parti  en  1490,  à  Pâques,  poursuit  Durer,  et  je  revins  en 
1494  au  temps  de  la  Pentecôte;  et  après  mon  retour  Haus  Frey  vint 
s'entendre  avec  mon  père.  Il  me  donna  sa  fille,  la  demoiselle  Agnès, 
et  avec  elle  200  florins,  et  nous  fimes  les  noces.  - 

«  Ensuite  il  arriva  que  mon  père  fut  pris  subitement  de  la  dysseu- 
terie.  Son  mal  devint  si  grave  que  personne  ne  put  rien  pour  l'ar- 
rêter. Et  lorsque  mon  père  vit  la  mort  devant  ses  yeux,  il  l'accepta 
avec  résignation  et  grande  patience.  Il  me  recommanda  ma  mère, 
me  priant  instamment  de  vivre  dans  l'amitié  de  Dieu.  Il  reçut  aussi 
les  saints  sacrements,  et  trépassa  chrétiennement,  l'an  1502.  O 
vous  tous  qui  êtes  mes  amis,  je  vous  en  supplie  pour  l'amour  de  Dieu, 
lorsque  vous  lirez  le  récit  de  la  mort  de  mon  pieux  père,  souvenez- 
vous  de  son  âme,  et  dites  pour  elle  un  Palev  et  un  Ave!  Faites-le 
aussi  pour  votre  propre  salut,  afin  que  nous  obtenions  tous  la  grâce 
de  bien  servir  Dieu,  et  méritions  de  mener  une  sainte  vie  et  de  faire 
une  bonne  fin!  Non,  il  n'est  pas  possible  que  celui  qui  a  bien  vécu 
parte  de  ce  monde  en  mauvaise  disposition,  car  Dieu  est  plein  de 
miséricorde  ^  » 

Aubasd'unegravuresurboisqu'ilfitparaitreen  feuille  volante  (1510), 


'   TiJAUSiNG,  Durer  Gcsch.  seines  Lebens,  p.  53-73. 

^  Nendorfeu,  p. 132. 

^  Thausing,  Dürers'  Briefe  und  Tagebücher,  74,  134. 


Ar.RI'RT    nu  RE  H.  169 

\)uvvv  s'exprime   à   peu    près   de   iiu-ine   à   propos   de   la   mort   ; 

a  Celui  qui  se  dispose  tous  les  jours  a  la  mort  est  regardé  de  Dieu  avec 
complaisance,  car  il  est  dans  la  voie  de  cotte  paix  véritable,  que  Dieu  seul, 
et  non  le  monde,  peut  donner.  Celui  qui  l'ait  le  bien  durant  sa  vie  sentira 
dans  son  vœur  nailri;  un  ferme  couraj^fî.  Lheurc  de  la  mon  le  réjouira; 
elle  sera  pour  lui  l'annonce  de  la  félicité  '.  ' 

Voici  dans  quels  termes  émouvanîs  Durer  raconte  la  mort  de  sa 
mère  :  «  11  faul  que  vous  sachiez  que  deux  ans  après  la  mort  de  mon 
père,  je  recueillis  chez  moi  ma  pauvre  malheureuse  mère;  je  la  pris 
sous  ma  {;arde,  car  elle  uavait  plus  aucune  ressource.  Or,   après 
qu'elle  eut  habité  neuf  ans  chez  moi,  un  matin,  tout  à  coup,  elle 
tomba  si  mortellement  malade,   que  pour  entrer  chez    elle    nous 
fûmes  obligés  de  briser  la  porte,  sans  cela  nous  n'aurions  pu  pénétrer 
dans  sa  chambre,  parce  qu'elle  u'eiU  plus  eu  la  force  de  nous  ouvrir. 
Nous  la  portâmes  en  bas,  dans  une  autre  pièce;  là,  elle  reçut  les 
deux  sacrements,  tout  le  monde  pensant  qu'eue  allait  mourir.  Un 
an  juste  après  le  jour  où  elle  était  tombée  malade,  un  mardi,  dix- 
septième  jour  de  mai,  ma  mère  mourut  chrétiennement,  absoute,  de 
par  laulorilé  papale,  de  peine  et  de  châtiment.  Avant  de  mourir, 
elle  me  donna  sa  bénédicîion,  et  avec  beaucoup  de  pieuses  paroles 
me  souhaita  la  paix  du  Seijjncur,  me  recommandant  surtout  de  me 
garder  de  tout  péché.  Elle  demanda  aussi  à  boire  l'eau  bénite  de  la 
Saint-Jean,  et  on  lui  en  donna.  Elle  craignait  beaucoup  la  mort, 
mais  elle  disait  «  qu'elle  n'avait  aucune  crainte  de  paraître  devant 
'  Dieu  ".  Elle  a  eu.de  la  peine  à  mourir,  et  je  remarquai  qu'elle 
voyait  devant  elle  quelque  chose  qui  l'épouvantait,  car  elle  demanda 
de  l'eau  bénite,  bien  qu'elle  n'eût  pas  prononcé  une  parole  depuis 
longtemps.  Enfin  ses  yeux  devinrent  sans  regard,  et  je  vis  la  mort 
lui  donner  deux  grands  coups  au  cœur.  Elle  ferma  alors  les  yeux  et 
la  bouche,  et  mourut  en  souffrant.  Je  me  mis  à  réciter  des  prières 
près  d'elle,  et  je  ressentis  à  ce  moment  de  telles  angoisses  qu'il  me 
serait  impossible  de  vous  les  exprimer.  Oue  Dieu  fasse  miséricorde 
à  ma  mère!  Sa  plus  grande  joie  a  toujours  élé  de  nous  parler  de  Dieu, 
et  elle  voyait  avec  bonheur  tout  ce  qui  pouvait  rapporter  de  la  gloire 
au  Seigneur.  Elle  avait  soixante-trois  ans  lorsqu'elle  mourut  ;  je  la  fis 
enterrer  honorablement  et  selon  mes  moyens.  Que  Notre-Seigneur 
me  fasse  la  grâce  de  faire  une  sainte  mort  comme  elle  !  Et  puisse  Dieu, 
avec  toute  l'armée  céleste,  mon  père,  ma  mère,  mes  parents  et  mes 
amis,  être  présents  à  ma  fin  !  Et  que  le  Dieu  tout-puissant  nous 

'  Thai-sing,  p.  154-159.  Voyez  t.  XIV-XV.  Durer  déposa  une  somme  impor- 
tante dans  In  caisse  municipale  de  Nuremberg,  pour  la  fondation  d'une  messe 
perpétuelle  à  Sainl-Sébald.  Baader,  1-6. 


170  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

donne  la  vie  éternelle!  Amen.  Et  après  que  ma  mère  fut  morte, 
sa  figure  devint  plus  belle  qu'elle  ne  l'avait  été  durant  sa  vie  '.  " 

Ces  paroles  si  simples  retracent  avec  fidélité  la  vie  chrétienne  dans 
la  famille  telle  qu'on  la  pratiquait  au  quinzième  siècle.  Elles  nous 
montrent  les  étroits  rapports  qui  rattachaient  alors  le  foyer  à  la  reli- 
gion, et  comment,  ainsi  qu'on  l'a  dit,  -  ils  semblaient  ne  former 
qu'un  seul  morceau  '-.  Elles  expliquent  aussi  la  place  qu'occupe  le 
home  dans  l'œuvre  de  Durer,  et  pourquoi  ses  tableaux  nous  représen- 
tent si  fréquemment  des  scènes  d'intérieur^.  C'est  que  l'artiste  avait 
goûté  dans  le  sanctuaire  de  la  famille  ses  joies  les  meilleures  et  les 
plus  nobles,  et  qu'il  y  avait  joui  des  plus  excellents  biens  d'ici-bas. 
Lorsqu'à  son  tour  il  eut  fondé  une  famille,  il  resta  envers  sa  femme, 
ses  frères,  ses  sœurs  et  ses  domestiques,  fidèle  aux  devoirs  que  ses 
parents  lui  avaient  recommandé  d'accomplir  sur  leur  lit  de  mort. 
Son  travail  pourvoyait  à  son  entretien  et  à  celui  des  siens.  Au  mi- 
lieu de  circonstances  pénibles,  parmi  de  nombreuses  difficultés  et  de 
lourdes  fatigues,  il  fit  constamment  preuve  d'une  étonnante  et  infa- 
tigable ardeur  au  travail.  11  était  tout  à  la  fois  peintre,  dessinateur, 
graveur  sur  cuivre,  sur  ctain,  sur  fer,  sur  bois,  sculpteur,  orfèvre, 
imprimeur.  Il  serait  difficile  de  nommer  une  branche  des  arts  plas- 
tiques où  son  admirable  génie  n'ait  exercé  une  influence  décisive.  11 
fut  même  écrivain,  et  nous  a  laissé  un  grand  nombre  de  conseils 
pratiques  et  d'axiomes  précieux  sur  les  arts,  formant  l'introduction 
du  grand  ouvrage  encyclopédique  qu'il  se  proposait  d'écrire  et  qui 
devait  embrasser  toutes  les  connaissances  que  selon  lui  un  artiste  doit 
posséder.  Sa  Géométrie  et  ses  Leçons  sur  les  proportions  n'en  sont  que 
des  fragments  détachés  ■-. 

Sa  philosophie  lumineuse  et  fermement  appuyée  sur  les  principes 
chrétiens,  tire  toute  sa  grandeur  de  la  conviction,  profondément 
enracinée  eu  son  esprit,  que  toute  beauté  vient  de  Dieu  :  «  Si 
nous  nous  demandons  comment  nous  y  prendre  pour  faire  une  belle 
figure  ) ,  dit-il,  ^  quelques-uns  diront  que  nous  y  parvenons  d'après 

'  Thausixg,  Dürers  Brir/e  und  Tagebücher,  p.  136-138.  —  L'auteur  dit  en  parlant 
de  ce  récit  de  nurer  :  -  Nous  n'y  trouvons  point  d'exaltation  creuse,  point  de 
tressaillements  maladifs  de  sensibilité.  Il  n  existe  pas  là  de  lutte  intérieure. 
Chez  lui,  l'attention  auxclioses  présentes,  les  vérités  religieuses  qu'il  tient  pour 
tout  aussi  réelles,  empêchent  l'àme  de  tomber  dans  l'abattement.  Les  esprits 
sont  trop  sains,  trop  élastiques  pour  plier  sous  les  coups  même  les  plus  rudes. 
Plus  leur  sentiment  est  simple,  plus  il  est  profond,  et  plus  il  leur  permet  de 
se  remettre  promptement  à  un  travail  qui  les  sorte  d'eux-mêmes.  L'homme 
dans  ce  travail  met  toute  son  Ame,  toute  sa  pensée.  Voilà  pourquoi  les  chefs- 
d'œuvre  de  ce  temps  nous  causent  une  admiration  si  ineffaçable,  pourquoi  les 
termes  si  simples  dans  lesquels  Durer  nous  raconte  les  plus  petites  circonstances 
de  la  mort  de  ses  parents,  nous  émeuvent  si  profondément. 

*  LUTHARDT,  p.  3Ô-37. 

•'  Thausing,  Dürer,  Geschichte  seines  Lebens,  p.  514. 


l'KINTIiK.S    VERniERS.  171 

noire  sens  humain.  Mais  d'autres  n'accorderont  pas  qu'ils  aient  rai- 
son, cl  moi  non  pins  je  ne  l'accorderai  pas,  à  moins  que  cela  ne  me 
soit  bien  évidemment  prouvé.  iMais  de  cela,  qui  pourra  nous  con- 
vaincre? Car  je  crois  qu'il  n'est  personne  qui  dans  la  moindre  des 
créai nres  vivantes  ne  dislinfyue  la  fin  plus  haute  pour  laquelle  elle  a 
éfé créée.  Ouc  dire  donc  de  l'honmie,  qui  est  une  créature  loule  â  pari, 
cl  à  la(iuelle  Dieu  a  assujetti  toutes  les  autres?  J'accorde  bien  que 
tel  ou  (el  artiste  ima{;inera  ou  exécutera  une  figure  plus  belle  qu'un 
autre  parce  qu'il  aura  mieux  compris  les  conditions  de  sa  vie,  mais 
il  n'arrivera  jamais  à  une  telle  perfection  qu'il  ne  soit  possible  de  s'en 
imaginer  une  plus  parfaite  encore,  La  perfeclion  ne  saurait  appar- 
tenir à  l'esprit  de  l'homme;  Dieu  seul  sait  ce  secret,  et  celui  auquel  il 
le  révèle,  car  celui  qui  est  la  vérité  connaît  seul  quelle  est  la  plus 
belle  forme  et  la  plus  belle  proportion  de  l'homme.  ^  Pour  Durer,  la 
productivité  n'est  donc  autre  chose  que  le  don  que  Dieu  a  fait  à 
l'homme  "  de  m.odeler  et  de  faire  tous  les  jours  beaucoup  de  nouvelles 
figures  d'hommes  et  d'autres  créatures  ',  selon  le  don  particulier  qui 
lui  a  été  départi  par  le  Créateur  ". 

La  période  d'éclat  de  son  génie  s'arrête  au  moment  où  les  luttes 
religieuses  commencent.  Ses  œuvres  les  plus  admirées  sont  presque 
toutes  antérieures  aux  premiers  troubles  amenés  par  la  Reforme,  Les 
esquisses  de  son  plus  célèbre  tableau,  les  Quatre  Tempéraments,  étaient 
commencées  longtemps  avant  I.jIS^. 

Ses  créations  lui  assujettirent,  pour  ainsi  parler,  l'Europe  entière; 
son  influence  est  sensible  jusque  dans  les  œuvres  de  Raphaël  ^  L'art 
lui  doit  un  progrès,  une  extension  immenses.  C'est  un  maître  qui 
appartient  au  monde  entier. 

Ses  élèves  et  continua! eurs  les  plus  remarquables  sont  :  Hans 
Schaiifl^lin,  Albert  Altdorfer,  Hans  Balduug,  Mathieu  Grunwald  el 
Lucas  Cranach, 


III 


La  peinture  sur  verre  atteignit  son  plus  grand  éclat  en  Allemagne, 
vers  la  seconde  moitié  du  quinzième  siècle  *.  Là  oii  elle  n'avait  pas 

'  Voy.  Kalfiiann,  A.  Durer,  p.  80. 

-  Waagen,  t.  I,  p.  199.  —  Sighaut,  p.  619.  —  Durer,  dans  son  art,  resta  fidèle 
catholique  jusquà  sa  mort.  —  Voy.  Kaufmann,  p.  83-93. 

=  Voy.  Spuingeu,  p.  179-180.  —  .Sighart,  p.  631.  —  Van  Eye,  p.  277.  —  Kauf- 
mann, Die  Xachifirhung  Dürers  auf  die  spätere  zeit  in  fier  Zeitschrift  für  Deutsche  Cultur 
geschickte,  p.  470-481,  1873,  et  du  même  auteur  :  A.  Durer,  p.  93,  101. 

*  Schäfer,  Die  Glasmalerei  des  Mittelalters  und  der  Itcnaissance  {ßresXaiU,  1881). 


172  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

nn  caraclère  monumental  et  purement  décoratif,  elle  tenait  à  peu 
près  la  place  de  ce  qu'on  a  appelé  de  nos  jours  la  peinture  de  clie- 
valet.  Ses  instruments,  ses  moyens  d'exécution  ctaieni  des  plus  sim- 
ples, et  pourtant  les  verriers  parvenaient  à  produire  les  plus  brillants 
effets.  Ce  qui  nous  a  été  conservé  des  vitraux  ornant  au  quinzième 
siècle  riutéricur  des  habitations,  et  pour  la  plupart  représentant  des 
armoiries,  sont,  dans  leur  f;enre,  des  modèles  inimitables. 

Les  verriers,  eux  aussi,  étaient  organisés  en  corporation;  mais  ils 
formaient  presque  toujours  avec  les  peintres  une  association  com- 
mune. A  certains  jours,  peintres  et  verriers  réimis  assislaient  au 
service  divin,  aux  messes  pour  les  membres  trépassés,  et  partici- 
paient ensemble  aux  fêtes  organisées  par  leur  confrérie.  Dans 
Tintérieur  des  monastères  beaucoup  de  religieux  cultivaient  aussi 
avec  succès  l'art  de  la  peinture  sur  verre  et  parfois  créaient  des 
œuvres  exquises.  Le  Dominicain  Jacques  Griesinger,  d'Ulm  (f  1491), 
brillait  admirablement  les  couleurs  et  forma  à  Bologne  une  école 
particulière;  ou  lui  doit  cetle  belle  nuance  jaune  qui  se  prépare  avec 
l'argent.  "  [1  menait  une  vie  toute  sainte  et  vertueuse,  qui  était  un 
spectacle  et  un  exemple  pour  tous  les  nobles  bourgeois  et  seigneurs 
de  la  ville  '.  »  Dans  les  monastères  de  Klus  (1486)  et  de  Walken- 
ried  (1515)  se  cachaient  aussi  de  vrais  talents.  Adélaïde  Schraders, 
Sœur  converse  du  monastère  de  Wienhausen,  peignit  au  commence- 
ment du  seizième  siècle  dans  son  couvent,  des  vitraux  dont  elle  avait 
composé  elle-même  les  dessins  ^.  Vers  la  même  époque,  une  religieuse 
du  monastère  de  Sainte-Catherine,  à  Nuremberg,  écrivit  en  allemand 
un  petit  traité  sur  les  beaux-arts,  où  elle  donne  une  très-claire  et 
spéciale  instruction  sur  la  manière  de  préparer  les  peintures  sur 
verre  des  mosaïques  '. 

Citons  parmi  les  vitraux  les  plus  remarquables  de  l'époque,  ceux 
de  l'église  Saint-Nicolas  de  Wilsnack;  de  Sainte-Catherine  à  Salzwe- 
del;  de  la  cathédrale  de  Stendal;  de  l'église  de  Falkenhagen;  de 
Saint-Mathieu  à  Trêves;  du  chœur  de  la  cathédrale  de  Fribourg;  des 
Dômes  de  Katisbonne,  d'Augsbourg  et  d' Eichstadt;  de  Notre-Dame 
de  Munich;  de  la  chapelle  du  château  de  Blutenburg;  des  églises  de 
Pipping,  de  Yenkofen,  de  Saint-Jacques,  à  Straubing,  de  la  chapelle 
du  château  de  Vienne-Neustadt,  de  l'église  du  Précieux-Sang  à 
Weiten  *. 

'  Voy.  HvssLER,  p.  121.  —  Il  fut  considéré  et  même  vénéré  comme  saint.  Voy. 
Haling,  t.  III,  75i.  —  Wackf.iwagel,  Glasmalerei,  64,  158-159. 

^  Voy.  Otte,  p.  794,  note. 

^  Wackernagpl,  p.  55,  156. 

*  Voy.  la  liste  des  plus  célèbres  verriers  et  de  leurs  œuvres  dans  Cessert. 
p.  93,  128,  135,  133.  —  Ottf,  p.  794-797.  Les  principaux  chefs-d'œuvre  de  ce 
temps  ont  été  dispersés  en  divers  pays. 


M  I  M  A  T  U  R  I  S  r  E  S .  1 73 

Mais  les  plus  admirables  viiraux  de  celle  épofjiie  sont  ceux  de 
Nureiiibei-j;,  d'IJiiii  et  de  Cuiojjnc.  Les  verrières  des  deux  éj^lises 
principales  de  Nuremberjy  (Saint-Laurcnl  et  Saint-Scbaldj  passent 
pour  les  plus  belles  du  monde.  Veit  Hirscbwofyel  (né  en  1151),  issu 
d'une  ancienne  l'aniiüc  de  vei-ricrs  de  IN'uremberf},  n'avait  point  de 
rival  dans  son  art  :  le  vitrail  de  Sainl-Laurent  où  est  représenté 
l'arbre  fyénéalojjique  de  Jésus-Christ,  la  famille  et  les  saints  patrons 
du  donaleur,  passe  pour  l'un  de  scsplus  brillants  chefs-d'œuvre  (1493)  '. 
A  Ulm,  les  viiraux  du  chu'ur  commandés  par  le  conseil  de  la  ville  et 
exécutés  par  Haus  Wild  (1480),  sont  di(>nes,  par  l'éclat  de  leur  colo- 
ris, de  compler  parmi  ce  que  l'art  a  produit  en  ce  genre  de  plus  admi- 
rable. Les  viiraux  du  côlé  nord,  dans  la  nei' de  la  cathédrale  de  Colo- 
gne, ont  été  exécutés  entre  1507  et  1509  :  ce  sont  les  plus  célèbres. 

Les  innombrables  verrières  qui  ornaient  les  couvents  ont  été  presque 
toutes  détruiles;  nous  n'en  possédons  plus  que  des  débris,  mais  on 
peut  encore  voir  à  Ilirschau  ce  qui  reste  des  grandioses  peintures 
sur  verre  que  Trithème  fit  exécuter  pour  un  chemin  de  croix,  et  qui 
ornaient  les  quarante  fenêtres  de  la  chapelle.  Ces  vitraux  avaient  été 
faits  d'après  les  dessins  de  la  Bible  des  Pauvres  -  (1181). 

Les  verriers  ne  décoraient  pas  seulement  les  églises,  les  che- 
mins de  croix,  ils  ornaient  aussi  les  châteaux,  les  hôtels  de  ville, 
les  salles  de  confrérie,  les  demeures  patriciennes.  Les  plus  grands 
artistes,  Albert  Durer  et  Holbein  par  exemple,  fournirent  sou- 
vent des  cartons  pour  des  vitraux  de  ce  genre.  «  Autrefois,  dit  un 
écrivain  d'Augsbourg',  il  n'y  avait  pas  d'églises,  pas  d'édifice 
pubhc,  pas  de  maisons  de  bourgeois  aisés  où  ne  se  trouvassent  des 
vitraux  peints '.  »  Or,  ceci  était  vrai  de  toutes  les  grandes  villes,  sur- 
tout de  celles  du  Sud,  où  la  peinture  sur  verre  était  cultivée  avec 
prédilection. 


IV 


La  miniature  aussi  produisit  à  cette  époque  des  œuvres  achevées. 
On  avait  alors  tant  de  goût  pour  ce  genre  de  peinture  que  les 
miniaturistes,  les  enlumineurs  formaient  dans  beaucoup  de  villes 
des  confréries  particulières.  L'ornementation  des  livres  de  prières 


'  Sur  Veit  Ilirscliwngel,  voy.  Nküdörfer,  p.  147,  et  Lochxer,  p.  147-150.  Voy. 
Rr.TTnERG,  Xurnher(;rr  Briefe,  p.  13B-138. 

-  Voy.  Lessing,  OEtivres  cmnplèles,  t.  IX,  p    222-"238. 
'  Voy.  WACKEr.NAGEL,  Glasmalerei,  p.  87-88,  169. 


174  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

par  la  miniature  devenait  toujours  plus  riche,  et  dans  beaucoup  de 
monastères,  la  plupart  des  religieuses  possédaient  des  livres  d'offices 
enluminés  '.  Les  peintres  les  plus  célèbres  ne  dédaignaient  pas 
d'orner  de  miniatures  ou  de  fins  dessins  à  la  plume  le  missel  destiné 
à  un  grand  personnage  ou  à  un  ami.  Les  vignettes  du  livre  d'Heures 
de  l'empereur  Maximilien,  par  Durer,  sont  les  chefs-d'œuvre  de  ce 
genre.  On  ne  se  lasse  pas  d'admirer  leur  goût  délicat,  leur  merveil- 
leuse richesse  d'invention,  leur  sentiment  religieux  plein  de  profon- 
deur, et  en  même  temps  le  vif  et  spirituel  enjouement  qui  s'y  glisse 
â  chaque  instant. 

Nuremberg,  où  habitait  le  peintre  Glockendon  et  sa  famille,  Ratis- 
bonne,  où  Berthold  Furtmeyer  avait  son  ateher,  étaient  les  centres 
principaux  des  miniaturistes.  On  avait  surnommé  ces  deux  derniers 
peintres  les  "  princes  de  la  petite  peinture  ".  Le  missel  en  cinq 
volumes  exécuté  par  Furtmeyer  *  pour  l'archevêque  de  Salzbourg, 
Bernard  de  Rohr,  appartient  aux  œuvres  les  plus  admirées  en  ce 
genre  \  L'artiste  y  a  fait  preuve  d'une  fécondité  d'imagination 
extraordinaire.  Les  religieux  Souabe  avaient  une  grande  réputation 
comme  miniaturistes.  Pierre- Jean  Franck,  moine  du  monastère 
de  Saint-Ulrich,  à  Augsbourg,  passait  pour  l'un  des  meilleurs  enlu- 
mineurs de  son  temps  ^  (de  1472  à  1492);  les  Pères  Conrad  Wagner, 
Etienne  Degen  et  Léonard  Wagner  (1489j  partageaient  ses  travaux. 
Dans  les  monastères  de  Scheyern,  les  religieux  Jean  Keim,  Maurice 
et  Henri  Molitor  (1468),  enrichissaient  d'admirables  enluminures  les 
bréviaires  et  les  livres  spirituels  de  leur  couvent.  A  Vornbach,  le 
Frère  Georges  Baumgartner  enlumina  une  histoire  universeile. 
A  Ebersberg,  le  Frère  Vitus  Auslasser  peignit  un  herbier.  A  IVurem- 
berg,  la  Mère  Marguerite,  religieuse  carmélite,  orna  cinq  volumes 
in-folio  d'initiales  et  de  peintures  délicates.  Dans  la  même  ville,  les 
religieux  de  Saint-François  achevèrent  entre  1491  et  1494  un  graduel 
dont  les  miniatures  furent  célèbres  à  cause  de  Thabileté  et  du  fini 
du  dessin.  Les  grandes  et  belles  miniatures  du  livre  de  lecture  des 
Bénédictins  de  Saint-Étienne  ^  sont  dues  au  Frère  Jean  Esswurm 
{1515)  «. 

Nous  connaissons  le  nom  de  bien  peu  de  ces  moines  miniatu- 
ristes. Mais  ce  que  nous  savons  d'eux  suffit  pour  nous  permettre  de 
constater  que  leur  art  modeste  était  resté  familier  et  cher  aux  reli- 

'  SiGHART,  p.  566. 
-  Bibliothèque  de  Munich. 

2  Sur  la  vie  et  les  œuvres  de  Furtmeyer,  voy.  Sighaut,  Documents,  t.  VII,  p.  145 
jusqu'à  151.  —  Voy.  \VEiNGiRT.\En,  Documents,  t.  VI,  p.  249  jusqu'à  254. 
*  Voy.  Archiv,  fur  die  Geschichte  des  Bislhums  Augsburg,  t.  II,  p.  79. 
^  Bibliothèque  de  l'université  de  Wurzbourg. 
«  Voy.  SiGu.iRT,  p.  645-656.  —  E>NE.\,  t.  III,  p.  1017. 


15  KO  DE  URS.  175 


ßiciix  dans  rinléricur  de  leurs  paisibles  cellules,  à  une  époque  ou 
des  aris  de  plus  d'iinporlance,  ('Tandis  eux  aussi  dans  les  cloîtres, 
s'étaient  répandus  dans  le  monde  entier  '. 


Tout,  dans  Tart,  s'épanouissait  simultanément*,  tout  marchait  de 
concert  :  miniatures,  cathédrales  {grandioses,  chefs-d'œuvre  de  sculp- 
ture et  de  peinture,  ouvra^jes  délicats  exécutés  avec  l'aiguille  et 
la  bobine.  Les  tapis,  les  ornements  d'église  tissés  et  brodés,  qu'on 
peut  encore  admirer  dans  le  trésor  impérial  de  Vienne,  à  l'église 
d'Eisleben,  à  la  cathédrale  et  à  l'hôtel  de  ville  de  Ratisbonnc,  à  la 
cathédrale  de  Spire,  à  Halberstadt,  à  Saint-Laurent  et  Saint-Sébald 
de  Nuremberg  et  dans  beaucoup  d'églises  de  Cologne  et  d'ailleurs, 
sont  généralement  d'une  rare  et  merveilleuse  beauté.  Les  tapis  des 
vestibules,  des  appartements,  les  habits  des  notables,  les  bannières, 
même  les  «  housses  d'apparat  »  des  chevaux  n'étaient  pas  moins 
remarquables.  On  les  couvrait  d'ornementations  pleines  de  goût, 
compositions  ingénieuses  ou  copies  de  dessins  de  grands  maîtres. 
Ceux  qui  confectionnaient  ces  ouvrages  s'appelaient  les  «  couseurs 
de  soie  »,  et  leur  grand  nombre  prouve  que  leur  habile  concours 
était  très-fréquemment  réclamé  \ 

Neudörfer,  après  avoir  rapporté  plusieurs  faits  relatifs  au  bro- 
deur de  soie  Bernard  Müller  de  Nuremberg  (qui  parmi  ses  ouvriers 
en  possédait  un  "  si  exercé  dans  son  art  qu'avec  des  morceaux  de  soie 
il  savait  admirablement  imiter  les  tigures  humaines),  "  dit  en  l'honneur 
des  dames  de  Nuremberg  :  "  Comme  les  femmes  peuvent  prendre 
part  à  ces  beaux  travaux,  je  ne  puis  m'empêcher  de  citer  ici  une  preuve 
honorable  de  leur  persévérance.  Il  y  a  de  cela  quelques  années,  lorsque 
l'ornementation  des  églises  prit  un  si  grand  développement,  ces  dames 
estimables  exécutèrent  non-seulement  les  plus  fines  broderies  de  soie, 
mais  se  montrèrent  encore  très-habiles  et  très-laborieuses  dans  la 


'  Les  miniatures  de  cette  époque  que  nous  possédons  encore  sont  dues  à  des 
maîtres  inconnus.  Elles  ne  sont  qu'un  très-petit  spécimen  des  splendeurs  du 
passé. 

-  Tisseurs  et  brodeurs  entretenaient  des  rapports  continuels  avec  les  peintres 
et  les  dessinateurs.  Pour  plus  de  détails,  voy.  Bock,  Geschichte  der  liiurgischen 
Gcwamlcr  des  Miiuhdters,  t.  I,  p.  116-121,  252-272.'voy.  aussi  Otte,  p.  207,  260-261, 
797-798.  —  SiGHAUT,  p.  657-6jS.  —  Sur  les  images  saintes  d'Heidelberg  au 
quinzième  siècle,  voy.  les  articles  de  Schneider,  dans  Vânzeigcr  fur  Kunde  der 
deutsehen  Vorzeit,  1877,  p.  13-14. 

^  SiGH.MVT,  p.  656. 


176  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIUE. 

fabrication  des  tapisseries,  comme  le  prouvent  les  tentures,  les  cous- 
sins de  bancs  et  de  sièges  qu'on  trouve  encore  dans  tant  d'anciennes 
familles.  Le  vieux  maitre  Sébald  Baumhauer,  sacristain  de  Saint- 
Sébald,  qu'Albert  Durer  honorait  et  louait,  et  qu'il  appelait  «  un 
(!  peintre  du  bon  vieux  temps  i,  m'a  dit  qu'il  avait  entendu  raconter 
aux  vieillards  de  la  ville  les  plus  digues  de  foi,  que  les  respectables 
veuves  qui  confectionnaient  les  tentures  d'église,  restaient  toute  la 
journée  à  Saint-Sébald,  dans  le  petit  cloître  de  Saint-Michel;  qu'elles 
y  faisaient  leurs  prières,  y  prenaient  leurs  repas,  et  tout  le  jour  res- 
taient occupées  à  leur  travail  '.  " 

Dans  les  couvents  on  tissait  et  l'on  brodait  aussi  avec  beaucoup 
d'art  un  grand  nombre  d'images  saintes  pour  l'ornementation  des 
églises,  et  les  plus  grandes  princesses  se  plaisaient  à  confectionner 
pour  la  gloire  de  Dieu  de  riches  ornements  de  ce  genre  ^ 

'  NELDÖr.FEr.,  p.  180. 
-  Siciivnr,  p.  657. 


CHAPITHE  m 

(;  R  A  V  U  R  E  . 

En  même  temps  que  la  peinture,  marchant  avec  elle,  la  gravure, 
(ant  sur  bois  que  sur  cuivre,  développait  dans  un  riche  épanouisse- 
ment l'art  de  la  vieille  Allemagne.  Vers  la  fin  du  quinzième  siècle, 
elle  commença  d'être  considérée  comme  le  complément  essentiel  de 
la  peinture,  et  fut  cultivée  par  les  plus  excellents  artistes. 

La  reproduction  des  dessins  sur  le  bois  on  sur  le  cuivre,  invention 
tout  allemande,  fut  aussi  importante  pour  l'art  que  la  découverte  de 
l'imprimerie  l'avait  été  pour  les  sciences  et  les  lettres.  Par  la  gra- 
vure, en  effet,  les  productions  des  maîtres  se  multiplièrent  rapide- 
ment et  furent  mises  à  la  portée  de  toutes  les  classes.  Mais  cette 
admirable  invention  ne  servit  pas  seulement  les  intérêts  de  l'art, 
elle  est  encore  un  événement  de  la  plus  haute  importance,  si  on  la 
considère  au  point  de  vue  du  progrès  intellectuel  et  de  la  civilisation, 
La  pensée,  incarnée  dans  l'image,  devint,  comme  l'idée  exprimée 
par  l'imprimerie  ou  la  parole,  l'agent  d'un  fécond  mouvement  dans 
les  intelligences'. 

Dans  ses  commencements,  la  gravure  servit  surtout  à  la  religion, 
et  fut  presque  exclusivement  mise  au  service  des  églises  et  des 
couvents.  Les  Ordres  religieux,  particulièrement  les  Ordres  men- 
diants, cherchèrent,  au  moyen  des  images  qu'ils  répandaient  à  pro- 
fusion parmi  le  peuple,  à  fixer  le  souvenir  de  leurs  exhortations 
et  de  leur  enseignement.  Ils  s'en  servirent  aussi  pour  leur  propre 
édification  ou  pour  glorifier  la  mémoire  de  leurs  saints  protecteurs 
et  patrons.  Peu  à  peu,  les  images  devinrent  un  besoin.  On  en 
voulut  non-seulement  pour  les  églises  et  les  monastères,  mais  encore 


'  Voy.  Springer,  p.  171,206.  — Woltmann,  t.  I,  p.  21.  —  \orduoff,  Kunst 
fje.'chichlliche  Beziehungen,  zwischen  Rheinland  und  Westfalen,  p.  59-60.  —  ThaL'SING, 
Durer,  Geschichte  seines  Lehens,  p  1.3-15.  —  Le  livre  d'EsSE.NWEiX,  Die  Hohschmilte  des 
vierzehnten  und  fünfzehnten  Jahrhunderts,    donne    d'exccllents    renseignements    Slll" 

l'liisloire  de  la  yravure  sur  bois.  (Nuremberg,  1875. j 

12 


178  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

pour  le  foyer  domestique.  Chacun  voulut  avoir  sous  les  yeux  uu 
souvenir  sensible  du  Sauveur,  de  la  Vierge,  de  ses  saints  patrons. 
Les  tableaux,  les  crucifix  sculptés,  les  miniatures  n'étaient  pas  à  la 
portée  de  tout  le  monde;  au  lieu  que  le  plus  pauvre  d'entre  les 
fidèles  pouvait  acheter  une  image  en  papier  qu'il  mettait  dans  son 
livre  de  prières,  ou  attachait  aux  murs  et  aux  portes  de  sa  maison  '. 

Primitivement,  les  images  ne  furent  reproduites  que  sur  feuilles 
détachées.  Mais  à  partir  de  la  seconde  moitié  du  quinzième  siècle, 
on  voit  apparaître  différents  livres,  appelés  xijkxjvaphiques,  conte- 
nant des  séries  d'images  accompagnées  de  courtes  explications  et 
d'applications  pratiques.  C'est  ainsi  que  furent  édités  VApo- 
calypse,  la  Passion,  le  Salve,  Regina,  la  Bible  des  pauvres  et  la  Danse 
des  morts.  Parmi  ces  productions,  les  plus  connues  sent  les  Bibles 
des  auvresj  suites  d'images,  au  nombre  de  quarante-huit  à  soixante, 
tirées  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  et  suivies  d'explica- 
tions. Mais  ceux  auxquels  ces  livres  étaient  destinés  n'étaient  pas 
les  pauvres  proprement  dits,  c'étaient  les  prédicateurs  populaires 
auxquels  leur  pauvreté  ne  permettait  pas  d'acheter  une  Bible  com- 
plète, et  qui  s'estimaient  heureux  de  posséder  en  abrégé  l'histoire 
des  faits  principaux  de  la  Sainte  Ecriture  ^  Les  traductions  alle- 
mandes des  Bibles  populaires  furent  également  ornées  de  gravures 
sur  bois  :  la  superbe  Bible  éditée  à  Nuremberg  en  1483,  chez 
Koburger,  en  contient  plus  de  cent. 

Koburger,  comme  imprimeur  et  éditeur,  s'est  acquis  des  droits 
incontestables  à  la  reconnaissance  de  la  postérité.  En  obtenant 
d'un  grand  nombre  d'artistes  de  talent  des  dessins  pour  ses  gra- 
veurs sur  bois,  il  provoqua  un  notable  perfectionnement  dans  l'art. 
Les  gravures  exécutées  sous  la  chrection  de  Michel  Wohlgemuth 
pour  le  livre  intitulé  Trésor  des  vraies  richesses  du  salut  (1491), 
celles  de  Guillaume  Pleydenwurf  pour  le  Livre  des  Chroniques  de 
Hartmann  Schedel  (1493),  nous  donnent  déjà  les  preuves  d'un 
progrès  sensible  ^  Plus  importants  encore  sont  les  travaux  de  Hans 


'  VOy.  SOTZMANN,  p.  550. 

-  Yoy.  les  anciens  documents  sur  ce  sujet  dans  l'ouvrafje  de  Weigel  et  Zester- 
M.VNN,  Die  Anfang echr  Bitcltdnicker  Kunst  in  Bild  und  Schrift.  (Leipzig,  1865,  t.  I,  p.  128, 
et  t.  II.)  —  Voy.  la  description  qu'en  donne  Sighart,  Hisior.  und  Pol.  Blutter,  t.  LVII, 
p.  813-823.  —  Voy.  encore  Jahrbuch  der  central  Commission,  t.  V,  p.  11-18.  —  Sur 
les  rapports  qui  existent  entre  la  Bilile  des  pauvres  et  les  stalles  de  chœur,  voy. 
Doeiiments,  t.  VIII,  p.  264.  La  Bible  des  pauvres  contient  pour  ainsi  dire  le  type 
le  plus  ancien  de  la  gravure.  Elle  représente  la  transition  qui  se  produisit 
entre  les  compositions  grandioses  de  l'architecture  et  de  la  peinture  et  les  images 
vulgaires  fixées  sur  le  papier. 

"  Voy.  Thausing,  Durer,  Geschichte  seines  Lehens,  p.  49-52.  —  Sur  les  gravures  sur 
bois  de  cette  chronique,  voy.  Hase,  p.  28-35.  La  plupart  des  gravures  de  ce  temps 
sont  d'une  vigueur  remarquable.  La  manière  dont  les  personnages  historiques 


GRAVÜRE    SUR    BOIS,    ALBERT    DURER.  179 

lUirjjkmaier,  d'Au(;sbourg-,  qui  fournit  aux  {yraveurs  sur  bois  plus  de 
sept  ccQts  dessins.  Le  même  maître,  en  collaboration  avec  Albert 
Durer  et  d'autres  artistes,  fut  chargé  par  Maximilicu  d'exécuter  la 
célèbre  Marche  triomphale,  et  travailla  à  l'édition  illustrée  du  Theuer- 
danli.  Il  exécuta  aussi  vinjjt  dessins  pour  le  Weisshunuj. 

Les  plus  grands  maitres  de  cette  époque,  Dürer,  Holbein,  Hans 
Scliaiiffelin,  Cranacli,  faisaient  reproduire  par  le  burin  du  graveur 
non-seulement  des  dessins  isolés,  mais  d'importantes  compositions. 
Beaucoup  d'entre  eux  taillaient  eux-mêmes  leur  bois.  Une  fois  gravés, 
les  dessins  étaient  apportés  eu  grand  nombre  sur  tous  les  marchés 
de  l'Europe,  et  trouvaient  un  grand  débit  aux  jours  de  fête  et  aux 
kermesses.  Hs  reproduisaient  des  sujets  tantôt  religieux,  tantôt  pro- 
fanes, des  compositions  humoristiques  et  satiriques;  ils  fustigeaient 
les  abus  ecclésiastiques  ou  politiques,  tournaient  les  Juifs  en  déri- 
sion, ou  bien  encore  instruisaient,  moralisaient,  reflétaient,  en  un 
mot,  une  variété  infinie  d'idées.  Comme  ils  étaient  destinés  au  peuple, 
nous  remarquons  dans  les  pensées  qu'ils  expriment,  comme  dans 
leur  exécution,  un  caractère  essentiellement  populaire,  caractère 
dont  ils  conservent  encore  la  trace,  même  quand  ils  s'élèvent  au- 
dessus  de  l'horizon  ordinaire  des  masses  et  supposent  un  degré  de 
culture  plus  avancé. 

Nous  en  avons  souvent  la  preuve  dans  les  dessins  d'Albert  Dürer. 
Ce  maître  éleva  l'art  de  la  gravure  sur  bois  à  une  perfection  que 
jusqu'alors  rien  n'avait  pu  faire  pressentir  :  nul  artiste  jusqu'à  pré- 
sent n'a  pu  lui  être  comparé  ^ 

Les  premières  (ouvres  qu'il  offrit  au  public  en  1478,  au  début  de 
sa  carrière  et  n'étant  encore  âgé  que  de  vingt-sept  ans,  appartiennent 
déjà  aux  compositions  les  plus  puissantes  de  l'art.  Je  veux  parler  des 
quinze  grands  dessins  de  l'Apocalypse,  dans  lesquels  sont  représen- 
tées, sous  le  voile  du  symbolisme  religieux  et  d'une  manière  si  saisis- 
sante, les  épouvantes  des  jugements  du  Seigneur  et  la  paix  des 
bienheureux.  Admirons  surtout  les  quatre  anges  et  les  quatre  cava- 
hers  des  bords  de  l'Euphrate.  Ils  sont  d'une  émouvante  beauté.  Les 
deux  Passions  révèlent  la  même  vérité  d'expression,  la  même  vigueur 
de  dessin,  et  peuvent  être  comparées  à  de  sublimes  tragédies.  On 
ne  peut  se  défendre,  en  regardant  le  Christ  souffrant  du  frontispice, 


sont  représentés,  l'aspect  donné  aux  villes  témoignent  de  l'intelligence  avec 
laquelle  les  artistes  d'alors  s'assimilaient  toutes  choses,  fondaient  le  passé 
dans  le  présent,  et  savaient  ainsi  se  faire  comprendre  du  peuple.  La  correction 
archaïque  d'aujourd'hui  laisse  froide  la  plus  grande  partie  du  public. 

'  Springer,  p.  184-185.  —  Il  est  prouvé  que  Dürer  a  fait  les  dessins  de  cent 
soixante-dix  de  ces  gravures.  Rauf.mann.  A.  Durer,  p.  36. 

12. 


180  L'AP.T    ET    LA    VIE    POl-ULAIHE. 

d'une  impression  profonde,  ineffaçable.  Jésus  est  assis  sur  une  pierre. 
H  semble  déjà  dépouillé  de  toute  attache  à  la  vie  terrestre.  11  est  seul 
avec  sa  douleur.  Dans  la  Petite  Passion,  il  appuie  sa  tète  sur  sa  main; 
dans  la  Grande,  insulté  par  le  soldat  romain  agenouillé  devant  lui 
par  dérision,  il  a  joint  ses  mains  pour  la  prière,  et  son  regard, 
dirigé  vers  le  spectateur,  trahit  une  souffrance  poignante.  Ce  dessin 
exprime  l'outrage  perpétuel  et  sans  cesse  renaissant  que  le  pécheur 
de  tous  les  siècles  inflige  au  Sauveur.  On  voit  sur  les  pieds  et  les 
mains  les  stigmates  anticipés.  L'artiste  avait  certainement  dans 
la  pensée  la  plainte  du  Prophète  :  «  Venez,  voyez  s'il  est  une  dou- 
leur qui  surpasse  la  mienne!  »  Dürer  a  mis  dans  cette  composi- 
tion sou  âme  tout  entière.  Il  a  répété  par  son  crayon  cette  prière 
qu'il  avait  composée  en  méditant  la  Passion  de  Jésus-Christ,  et 
qui  nous  a  été  conservée  dans  le  livre  des  Srpt  Offices  :  «  Vers 
l'heure  des  vêpres,  on  descendit  Jésus  de  la  croix,  et  on  le  remit 
à  sa  Mère.  En  ce  jour,  la  toute-puissance  du  ^îaître  resta  entière- 
ment cachée  dans  le  sein  de  Dieu!  O  homme,  contemple  cette  mort, 
remède  de  ta  grande  détresse!  Marie,  couronne  des  vierges,  recon- 
nais ici  le  glaive  de  Siméou!  Ici  repose  l'abrégé  de  toute  perfection. 
Celui  qui  nous  a  délivrés  du  péché!  0  toi,  Dieu  et  Seigneur  tout- 
puissant!  nous  contemplons  avec  compassion  les  grands  tourments 
et  la  mort  cruelle  que  Jésus,  ton  Fils  unique,  a  soufferts  pour  nous 
racheter.  Donne-moi  une  vraie  contrition  de  mes  péchés,  rends-moi 
meilleur,  je  t'en  supplie  de  tonte  mon  âme!  Seigneur,  par  ton 
triomphe,  laisse-moi  un  jour  avoir  part  à  la  victoire  '!  » 

Voici  comment  Hotho  décrit  le  frontispice  de  la  Petite  Passion  : 
«  Une  large  auréole,  aux  lumineux  rayons,  entoure  la  tête  inclinée 
du  Christ.  De  longues  boucles  s'enroulent  sur  son  épaule  gauche; 
une  barbe  épaisse  entoure  le  menton  et  les  lèvres.  Le  front  proé- 
minent, couronné  d'épines,  le  nez  noble  et  fin,  la  bouche,  tout 
exprime  la  souffrance.  Jésus  appuie  sa  tête  sur  sa  main,  où  nous  voyons 
par  avance  la  place  des  clous  indiquée;  son  visage  exprime  la  plus 
intense  douleur.  Il  est  assis  sur  une  pierre  basse  ;  son  corps  est  incliné, 
son  attitude  affaissée;  il  semble  sortir  du  tombeau,  et  gémir  sur  tous 
les  péchés  du  monde  se  déroulant  devant  lui  à  travers  la  longue 
suite  des  siècles.  Ces  péchés  ne  lui  font  plus  subir  de  peines  phy- 
siques, mais,  affligeant  son  âme  jusqu'en  ses  profondeurs,  le  navrent 
plus  cruellement  encore,  et  renouvellent  pour  lui,  sans  relâche,  le  pré- 
toire, la  flagellation,  la  trahison  des  apôtres,  la  croix.  La  Passion, 
accomplie  dans  le  passé,  nous  est  représentée  comme  une  réalité 
immuable.  Une  perpétuelle  douleur  d'amour,  un  reproche  plaintif  et 

'  Thalsing,  Durcr's  Diie/e,  p.  154-155.  : 


GRAVURE    SUR    BOIS,    ALBERT    DURER.  181 

incessanl,  une  conJcmplalioii  cicrnelle  du  mystère  du  péché  et  de  la 
réj)arali()n  se  liscnl  sur  les  Irails  du  Clirisl;  c(  en  même  temps  (jue 
ce  re{;ard  si  j)r()lbud  Jelé  dans  l'àme  du  Fils  de  Dieu,  sa  personne 
humaine,  son  aKilude,  nous  sont  représentées  d'une  manière  telle- 
ment Crappanle  ([ue,  dans  ce  sujet  où  tout  était  évidemment  épi(jue, 
nous  nous  sentons  touchés  par  la  poésie  lyrique  la  plus  émou- 
vante. » 

Le  dessin  du  Portement  de  croix,  où  sont  représentés  un  si  {^rand 
nombre  de  personnages,  a  acquis  une  célébrité  particulière  pour 
avoir  servi  de  motif  à  l'une  des  plus  admirables  compositions  de 
lîaphaél  '. 

A  côté  du  sublime  pathétique  des  Deux  Passions,  admirons  les 
vingt  gravures  sur  bois  qui  représentent  la  lie  de  Notre-Danu-,  Elles 
datent  pour  la  plupart  de  lô04  et  de  1505',  et  forment  un  délicieux 
poème,  plein  de  tendresse,  de  pureté  et  de  mélancolie.  Les  moindres 
détails,  les  paj sages,  les  incidents  familiers  de  la  vie  champêtre,  les 
animaux,  rapprochés  de  l'homme  dans  une  union  aimable,  tout  porte 
le  caractère  de  l'idylle  et  adoucit  avec  charme  l'austérité  de  la  vie  de 
la  Sainte  Vierge  et  de  ses  parents.  La  mort  même  de  la  .Mère  de  Dieu, 
entourée  des  disciples  et  étendue  sur  son  lit  de  mort;  Pierre  répan- 
dant l'eau  sainte  sur  celle  qui  s'en  va  ;  Jean  tenant  pour  elle  un  cierge 
allumé;  un  autre  apôtre  élevant  la  croix,  nous  mspirent  une  émotion 
pénétrante  et  douces  Durera  mis  aux  pieds  de  la  Reine  du  ciel, 
dans  ces  pages  suaves,  toute  sa  tendresse,  tout  son  hommage.  L'art 
véritable  a  cela  de  commun  avec  l'amour,  qu'il  apporte  une  attention 
affectueuse  au  moindre  détail  concernant  la  personne  aimée.  C'est 
dans  la  l'ie  de  Xotre-Daine,  plus  que  dans  toutes  les  autres  composi- 
tions de  Dürer,  que  se  montre  dans  foute  sa  grâce  et  sa  vérité  ce 
qui  constitue  essentiellement  l'art  allemand  :  la  vie  du  sentiment. 

De  même  que  l'auteur  (VHéliand  fait  passer  les  eaux  vives  de 
l'Évangile  à  travers  sa  patrie  saxonne,  et  transporte  le  Christ  et  ses 
disciples  dans  sa  terre  natale  comme  si  toute  la  sainte  histoire  s'y 
était  accomplie,  Durer  fait  subir  aux  faits  religieux,  aux  légendes 
pieuses  les  conditions  ordinaires  de  la  vie  dans  son  pays  et  parmi 
ses  concitoyens.  Toute  distance,  toute  trace,  tout  souvenir  d'une  con- 
trée étrangère  disparait  dans  ces  compositions  pleines  de  vie.  Tout 
s'échauffe,  tout  se  rapproche  de  nous  dans  une  réalité  familière. 
L'àme  du  quinzième  siècle  qui  inspira   Dürer  et  auquel  il  servit 

'  Voy.  Van  Eyk,  p.  277. 

*  Th\i;.SI\G,  Durer,  (icsrhkhtc  seines  Lebens,  p.  248-253. 

'Cette  {îravure  a  été  plusieurs  fois  reproduite  par  les  imitateurs  de  Durer. 
Voilà  pourquoi  dans  les  musées  nous  rencontrons  des  tableaux  dans  le  même 
genre  qui  portent  le  nom  de  Dürer. 


182  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

à  son  tour  d'interprète  et  de  héraut,  s'y  reflète  avec  une  admirable 
fidélité  '. 

Dans  les  archives  du  couvent  de  Sainte-Claire,  à  Nuremberg,  se 
trouve  le  plan  ébauché  que  Dinner  avait  tracé  pour  son  œuvre  *.  11 
date  du  temps  où  Charité  Pirklieimer  en  était  abbesse.  C'est  en  com- 
parant cette  ébauche  avec  la  composition  du  maitre,  qu'on  peut 
apprécier  sa  fécondité  d'idées,  le  don  merveilleux  d'invention  qu'il 
possédait.  Mais  l'œuvre  la  plus  {grandiose  qui  fut  jamais  exécutée  par 
la  gravure  sur  bois,  c'est  VAtc  de  triomphe  de  Maximilien,  fait  par 
Dürer  à  la  prière  ^  de  l'Empereur, 

La  gravure  sur  cuivre  se  perfectionnait  en  même  temps,  et  attei- 
gnait son  plus  grand  développement.  Les  premiers  incunables  sur 
cuivre,  comme  les  premières  productions  de  la  gravure  sur  bois, 
semblent  nous  être  venus  de  la  haute  Allemagne,  vraisemblable- 
ment de  l'ancienne  Bavière.  Il  est  certain,  en  tout  cas,  que  la  gra- 
vure sur  cuivre  a  été  mise  en  usage  en  Allemagne  bien  avant 
d'être  introduite  en  Italie*.  Ce  furent  des  orfèvres  allemands  qui 
eurent  les  premiers  l'idée  de  tirer  sur  cuivre  les  copies  d'images 
religieuses  qu'ils  propagèrent  ensuite;  et  le  premier  emploi  de  la 
nouvelle  découverte  fut  de  servir  à  l'instruction  religieuse  du 
peuple.  Les  deux  principaux  graveurs  sur  cuivre  de  cette  époque, 
Franz  de  Bohold  et  Israël  de  Meckenen  (mort  eu  1503),  restent  tous 
deux  fort  en  arrière,  comme  habileté  technique,  de  deux  maîtres 
de  génie  qui  ne  nous'  sont  connus  que  par  leur  monogramme,  et 
dont  les  dessins  portent  la  date  de  1451  à  1466.  Nous  y  admirons 
une  observation  de  la  nature  bien  plus  vraie,  plus  délicate  et  d'un 
style  plus  large  que  dans  les  compositions  des  artistes  que  nous 
venons  de  nommer  '\ 

C'est  à  l'école  d'un  de  ces  maîtres  inconnus  (dont  les  initiales  sont 
E.  S.)  que  se  forma  Martin  Schongauer,  plus  célèbre  peut-être  encore 
comme  graveur  que  comme  peintre.  En  invention,  sentiment,  simple 
grandeur  de  style,  non-seulement  il  surpasse  ses  pr^'décesseurs,  mais 
il  est  au-dessus  de  tous  les  artistes  qui  le  suivirent,  si  nous  en  excep- 
tons Albert  Dürer.  Ses  gravures,  dont  soixante-dix  nous  ont  été  con- 
servées, se  répandirent  rapidement  et  lui  méritèrent  une  réputation 

'  Voy.  Van  Eye,  p.  280-320.  —  Llthardt,  p.  3.  —  Voy.  .1.  ALDEMcmcHEX,  Die 
Mitulalterliche  Kunslin  Soest,  p.  23-24,  et  planche  4.  {Ronn,  1875.) 

-  Voy.  Baader,  t.  II,  p.  36,  63-70. 

'  Thausing,  Durer,  Geschichte  seines  Lehens,  p.  370-373. 

*  Voy.  SiGHAUT,  Histor.  und  Polit.  BL,  t.  LVII,  p.  822.  —  W.  SCHMIDT,  p.  35-3G. 
—  Schott,  p.  2-3. 

'  Otte,  p.  802-803.  —  Klgler,  Handbuch,  t.  II,  p.  494.  —  SCHOTT,  p.  9-10.  —  Vov. 
Von  der  Linde,  p.  13. 


GRAVURE    SUR    CUIVIIE.  183 

européenne.  Michcl-Anjje  lui-même  s'imposa,  dit-on,  le  minutieux 
travail  de  copier  l'une  d'elles  '.  Le  dessin  de  la  Tejiladon  de  saint 
Antoine  exerça  à  lui  seul  une  puissante  influence  sur  l'art.  Parmi 
les  élèves  qui  se  formèrent  à  Colmar  dans  son  atelier,  il  faut  citer 
Barthélémy  Zeilbloom,  d'fjlin,  ancpiel  sont  allrihués  plus  de  cent 
cin<{uanle  dessins  d'un  reniar<|ual)le  fini-. 

Mais  on  ne  saurait  parler  de  la  f,ravure  sur  cuivre  sans  en  revenir 
encore  ;i  Albert  Durer,  auquel  elle  est  redevable  de  son  immense 
extension,  de  sa  mise  en  œuvre  si  variée,  de  son  perfectionnement 
admirable.  C'est  encore  à  lui  qu'on  doit  les  premières  eaux-fortes.  Ses 
dessins  furent  reproduits  en  Allemajyne  et  à  l'étranfjer  plus  fréquem- 
ment encore  que  ceux  de  Schonp^auer,  et  des  maîtres  illustres  comme 
André  del  Sarto,  Nicolas  Alunno,  Marc  de  Ravenne,  y  puisaient  des 
motifs  pour  leurs  tableaux.  C'est  donc  avec  un  orgueil  fort  légitime 
que  l'ingénieur  militaire  Daniel  Specklin  a  rangé  la  gravure  sur 
cuivre  «  parmi  ces  arts  subtils  qui  doivent  leur  finesse  et  leur  per- 
fection aux  Allemands \  bien  qu'en  puisse  dire  l'Italie  ». 

Schongaucr  ne  s'était  pas  borné  à  reproduire  des  sujets  religieux; 
son  burin  avait  retracé  les  sujets  les  plus  divers,  animaux,  armoiries, 
motiis  de  tout  genre  ^  Mais  Dürer  étendit  encore  le  domaine  de  la  gra- 
vure et  la  mit  au  service  de  toutes  les  formes  de  la  pensée  :  histoire, 
mythologie,  humour,  satire,  allégorie,  architecture,  paysages,  por- 
traits, il  y  a  de  tout  dans  son  œuvre,  et  son  invention  est  aussi  féconde 
que  son  labeur  est  infatigable.  Parmi  celles  de  ses  compositions  qui 
sont  d'un  intérêt  historique  universel,  trois  sont  particulièrement 
dignes  d'être  étudiées,  parce  que  l'artiste  a  su  y  donner  vie  à  sa 
manière  personnelle  d'envisager  le  monde  et  les  choses.  Elles  sont 
intitulées  :  le  Chevalier,  la  Mort  et  le  Démon  (1513),  Saint  Jérôme,  et 
la  Mélancolie  (1514).  Ces  trois  dessins  s'expliquent  réciproquement 
l'un  par  l'autre ^  A  la  profondeur  tout  ta  part  de  l'expression,  au 
fini  de  l'exécution,  on  est  facilement  averti  qu'on  a  sous  les  yeux  les 
modèles  les  plus  achevés  qu'ait  jamais  pu  produire  la  gravure  sur 
cuivre. 

Dans  la  première  de  ces  compositions  nous  apercevons  un  guerrier 
chevauchant  parmi  de  sombres  replis  de  rochers,  loin  de  tout  sentier 

'  Springer,  p.  179-180. 

2  Voy.  Uassler,  p.  118-119. 

'  Voy.  Springer,  p.  17i-175. 

*  Pour  plus  de  détails,  voy.  W.  SciniiDT,  p.  35-38. 

^  Voy.  les  diverses  interprétations  de  ces  trois  dessins  dans  Van  Eye,  p,  349- 
356.  —  Allihn,  p.  95-115.  —  [atiiardt,  p.  46-49.  —  Waagen,  p.  223-226.  —  Thau- 
SlNG,  Durer,  Geschichte  seines  Lebens,  p.  450-454.  —  Kai;f:\Ian\,  .J.  Durer,  p.  38-42.  — 
Sur  saint  Jérôme  et  la  Mélancolie,  voy.  Springer,  p.  200-201, 


184  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

tracé.  Il  est  revêtu  d'une  armure  brillante.  A  ses  côtés  se  tient  la 
Mort,  dont  la  tête  est  couronnée  de  serpents  entrelacés.  Elle  pré- 
sente en  grimaçant  au  chevalier  le  sablier  fatal.  Le  démon,  sous  une 
forme  plus  repoussante  encore,  armé  d'une  lance  crochue,  étend  vers 
lui  sa  griffe.  Mais  sans  se  laisser  épouvanter  par  la  mort  ou  par  le 
démon,  ne  regardant  ni  à  droite  ni  à  gauche,  le  chevalier  poursuit 
sa  marche  avec  assurance.  Sa  ferme  foi,  la  conscience  du  devoir 
loyalement  accompli,  lui  donnent  la  certitude  de  la  victoire  '. 

L'artiste  complèle  la  pensée  d'une  portée  générale  qu'il  a  cherché  à 
exprimer  dans  son  premier  dessin,  par  le  second  qui  nous  transporte 
dans  la  chambre  de  saint  Jérôme.  Tout  dans  cette  composition  res- 
pire un  charme  intime,  tout  y  est  agréable  aux  yeux.  Saint  Jérôme 
est  assis  devant  un  pupitre  et  écrit.  Autour  de  lui  règne  un  ordre 
plein  d'harmonie.  Un  soleil  radieux  pénètre  à  travers  les  petites 
vitres  rondes  des  fenêtres,  et  répand  dans  la  chambre  sa  joyeuse 
clarté.  Un  lion,  aux  yeux  à  demi  fermés,  étend  ses  membres  à  cette 
chaleur  bienfaisante.  A  ses  côtés,  un  chien ^  dort  profondément. 
Aucune  pensée  troublante,  nulle  anxiété  venue  du  dehors,  n'altèrent 
la  bienheureuse  sérénité,  la  foi  calme  et  profonde  qui  se  reflètent 
sur  le  beau  et  expressif  visage  du  Père  de  l'Église.  Mais  cette  paix 
dont  il  jouit,  le  saint  n'entend  pas  la  garder  pour  lui  seul  :  il  est 
absorbé  tout  entier  dans  un  travail  qui  le  reud  heureux,  et  qui  aura 
pour  but  d'en  répandre  au  loin  les  fruits. 

La  troisième  composition  est  d'un  caractère  tout  différent.  Une 
femme  aux  ailes  d'ange  nous  y  est  représentée.  Sa  tête  couronnée 
de  myrte  est  appuyée  sur  sa  main  gauche.  Sa  main  droite  tient  un 
livre  et  un  compas.  Elle  est  assise  au  bord  de  la  mer,  et  plongée  dans 
une  méditation  profonde.  Un  maigre  lévrier,  qui  parait  épuisé  de 
fatigue,  est  couché  à  ses  pieds.  Tout  autour  d'elle,  dans  un  désordre 
qui  est  un  véritable  chaos,  et  dont  l'effet  désagréable  est  rendu  plus 
pénible  encore  par  le  reflet  blafard  d'une  comète  qui  perce  les  nues, 
sont  jetés  çà  et  là,  pêle-mêle,  les  instruments,  les  symboles  diffé- 
rents des  sciences  humaines.  Ici,  point  de  soleil  réchauffant,  point 
d'agréable  bien-être,  nulle  trace  des  doux  effets  de  ce  contentement 
intérieur  que  possède  le  chevalier  parmi  les  plus  redoutables  périls, 
et  qu'exprime  le  visage  de  saint  Jérôm.e  absorbé  dans  son  travail. 
La  rêveuse  est  plongée  dans  de  sombres  et  profondes  pensées.  Son 
regard  se  perd  au  loin.  Ses  traits  expriment  une  souffrance  amère. 

Ces  trois  dessins  marquent  les  limites  de  deux  âges  bien  différents 

'  Voy.  Van  Eye,  p.  361.  IL  Grimm  établit  un  rapprochement  entre  le  dessin  : 
le  chevalier,  la  mort  et  le  démon,  et  le  Enchiriitinu  iniliiis  christia/ii  d'Érasme.  — 
Voy.  Preussiche  Jahrbücher,  1875,  t.  XXXVI,  p.  543-549. 

*  Ou  un  reuard. 


ÉI^ÈVES    D'ALBERT    DURER.  185 

dans  riiistoirc  de  la  civilisalioii  et  de  la  foi  en  Allemagoe.  En  efTct, 
si  Ton  reconnaît  dans  les  deux  premiers  le  symbole  d'un  siècle  calme 
et  lerme  dans  sa  croyance  au  milieu  même  de  la  lulle,  d'un  sK'cle 
plein  d'activifc,  mais  alfranchi  de  loute  incertitude  sur  les  questions 
les  plus  sublimes  et  les  plus  redoutables  (}ui  intéressent  notre  être, 
le  troisième  est  an  contraire  rima[;c  d'un  temps  présomptueux,  trop 
confiant  en  lui-même,  cherchant  a  résoudre  les  problèmes  de  l'exis- 
tence et  de  la  nature  par  ses  propres  investifjations,  par  le  seul 
secours  des  sciences  iiumaincs,  et  restant  en  même  temps  torturé  par 
la  terrible  certitude  de  l'impuissance  de  ses  efforts.  L'artiste,  pour 
adoucir  l'impression  qu'il  a  produite,  a  étendu  un  arc-en-ciel  sur  la 
vaste  mer,  comme  un  symbole  de  paix. 

Parmi  les  nombreux  élèves  et  successeurs  de  Dürer,  aucun,  même 
do  loin,  ne  peut  être  comparé  au  "  prince  des  graveurs  ;.  Aucun  ne 
possède  son  enjouement  naïf,  son  inspiration  féconde,  sa  profondeur 
de  sentiment,  bien  que  plusieurs  d'entre  eux,  comme  Hans  Schäuf- 
felin,  Albert  Altdorler,  Henri  Aldegrever,  Hans  Sébald  Beham,  fus- 
sent passés  maîtres  dans  la  prali(iue  de  leur  art;  mais  malheureu- 
sement bien  des  disciples  et  imitateurs  d'Albert  Dürer  perdirent 
la  noble  simplicité  du  style  allemand,  et  tombèrent  dans  un  style 
froid  et  maniéré'.  En  ce  qui  concerne  la  gravure,  on  put  bientôt 
s'apercevoir  que  les  artistes  n'arrivaient  ä  produire  des  œuvres 
remarquables  qu'autant  qu'ils  restaient  fidèles  aux  traditions,  au 
génie,  à  la  façon  de  sentir  et  de  penser  qui  avaient  inspiré  leurs 
maîtres,  qu'autant  qu'ils  s'abreuvaient  à  cette  source  de  foi  où  Dürer 
avait  si  abondamment  puisé.  Plus  ils  se  séparèrent  de  l'inspiration 
primitive  et  renoncèrent  aux  vigoureuses  pensées  d'autrefois,  plus 
ils  perdirent  les  convictions  religieuses,  et  par  conséquent  le  sens 
moral  dans  sa  plus  haute  expression,  plus  ils  virent  la  puissance 
créatrice  leur  échapper,  et,  peu  à  peu,  ils  tombèrent  dans  une  com- 
plète vulgarité. 

Donnons  toutefois  un  rang  à  part  à  Lucas  Cranach  (né  en  1472); 
c'est  lui  qui  implanta  en  Saxe  l'art  de  Dürer  ^;  il  est  resté  le  plus 
célèbre  de  ses  élèves.  Dans  ses  premiers  dessins  (1504-1509),  nous 
admirons  une  délicatesse  délicieuse,  une  grâce,  une  naïveté  qui  nous 
enchantent.  Parmi  les  compositions  qu'il  donna  alors  au  public, 
beaucoup  sont  dignes  d'être  mises  au  rang  des  plus  remarquables  de 
l'époque.  Aussi  le  Nurembourgeois  Christophe  Scheurl  n'hésite-t-il 

'  Voy.  Klgler,  Handbuch  der  Kunstgeschichte,  t.  II,  [).  494-495.  —  Va\  Eye,  p.  263- 
264. 

'  Voy.  l'ouvrage  illuslré  de  C.  AnüI\K\,  Monumente  des  MitlclalteTS  und  der  Ihnais- 
sance  aus  dem  Sachsischen  Erzgebirge.  (Dresde,  1875.) 


186 


L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 


pas  à  lui  donner  la  première  place  après  Dürer  parmi  les  maîtres 
allemands.  Mais  peu  à  peu  Cranach  donna  dans  un  faux  sentimenta- 
lisme, et,  d'année  en  année,  son  talent  tomba  dans  un  plus  triste 
abaissement'. 


'  Voy.  KUGLER,  Handbuch  der  Malerei,  t.  II,  p.  253-260.  —  Schwase,  dans  la  Kunst- 
blatt, 1849,  n"  14.  Cranach  travaillait  à  Wittenberg,  comme  un  fabricant,  avec  un 
grand  nombre  de  rapins  barbouilleurs.  Outre  cela,  il  avait  une  boutique  de 
livres  et  de  papier,  et  était  propriétaire  de  la  pharmacie  de  la  ville.  —  Voy. 
ScHLCHARiiT,  Lucas  Cranach,  t.  I,  p.  68-71.  —  Otte,  p.  778.  —  Voy.  aussi  IIOLL.VND, 
p.  202-203.  —  Allihn,  p.  60-61.  —  La  description  de  diverses  caricatures  par 
SCHLCHAnDT,  t.  II,  p.  240-247.  —  Voy.  nos  Documents,  t.  II,  p.  427,  et  t.  III,  p.  533. 


CIIAPITHE  IV 

VIE  ropuLAiiu:,  d'après  le  témoignage  des  arts  plastiques. 


I 


Pendant  sa  période  d'épanouissement,  l'art  allemand  fut  le  miroir 
fidèle  des  âmes,  des  caractères,  des  idées,  des  tendances,  de  toutes 
les  manifestations  delà  pensée  du  temps  fécond  et  mouvementé  dont 
nous  nous  occupons.  Tout  ce  qui  intéressait  la  vie  de  la  nation  l'inté- 
ressait, et  ce  qui  dominait  dans  les  idées  reçut,  grâce  à  lui,  son 
expression  la  plus  haute. 

Les  deux  traits  caractéristiques  de  l'esprit  allemand  à  cette  époque, 
c'est  une  religieuse  gravité  auprès  de  laquelle  se  montre  sans  cesse 
une  veine  humoristique  pleine  de  iVaicheur  et  de  sève. 

L'humour,  dans  son  essence,  l'humour  qui  n'est  que  le  jeu  intelli- 
gent des  contrastes,  fleurit  toujours  abondamment  dans  les  périodes 
où  l'art  chrétien  et  la  littérature  chrétienne  ont  prédominé.  Il  ne 
leur  appartient  pas  exclusivement,  mais  nous  serons  toujours  sih's  de 
le  rencontrer  là  où  ils  ont  une  grande  influence.  En  effet,  ce  jeu  des 
contrastes  ne  peut  se  produire  librement  que  si  de  solides  principes 
sont  posés.  Or  c'est  le  christianisme  qui,  pour  la  première  fois,  a  donné 
il  l'esprit  humain  la  claire  conscience  de  ses  grandeurs  et  de  ses  fai- 
blesses, aussi  bien  que  du  rapport  qui  existe  entre  sa  liberté  et 
les  lois  éternelles  de  Dieu;  c'est  donc  le  christianisme  qui  a  fondé  le 
centre  inébranlable  autour  duquel  peut  se  mouvoir  l'humour  ',  et 
c'est  pour  cela  qu'aussi  longtemps  que  la  vie  personnelle,  la  vie  privée 
et  publique  reposèrent  sur  la  base  affermie  de  la  religion,  aussi  long- 
temps que  l'Église  donna  l'unité  et  l'âme  à  l'organisme  compliqué 
du  moyen  âge,  l'humour  demeura  vigoureuse,  saine  et  vivace 
parmi  le  peuple,  et  se  répandit  au  dehors  dans  une  expansion  riche 
et  variée.  La  poésie  de  la  vie  populaire  au  moyen  âge,  dans  ses 

'  Voy.  ReiCHENSPERGER,  Mélanges,  p.  471-478. 


188  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

diverses  manifestations  :  jeux  publics,  divertissements,  fêtes  sou- 
vent singulières  où  les  fous  et  les  ânes  avaient  un  rôle  ',  innombra- 
bles facéties  et  récils  comiques  qui  charmaient  tant  nos  aïeux,  nous 
atteste  ce  fait,  et  les  ans  plastiques,  comme  la  littérature,  nous 
apportent  le  même  témoignage.  L'humour  ne  peut  déborder  avec 
cette  puissance  que  dans  les  siècles  de  foi,  alors  que  les  volontés  sont 
vigoureuses  et  les  sentiments  profonds;  les  gens  convaincus  et 
croyants  portent  seuls  dans  la  vie  de  tous  les  jours  la  liberté  et 
l'audace,  parce  que  le  bon  sens  et  le  courage  dirigent  leurs  intel- 
ligences. Ils  sont  joyeux  de  vivre;  en  eux,  les  organes  les  plus 
nobles  et  les  plus  intimes  de  la  pensée  restent  intacts,  même  lorsque 
leur  gaieté  devient  crue  et  môme  irrévérencieuse.  Dans  les  âges 
d'incrédulité,  au  contraire,  il  n'y  a  j  as  d'humour,  et  il  n'y  en  a  pas 
davantage  dans  les  époques  où  règne  une  étroite  bigoterie. 

Si  l'Église  du  moyeu  âge  eût  voulu  réprimer  l'humour,  sa  grande 
autorité  lui  eût  rendu  l'entreprise  bien  facile;  mais  elle  était  très- 
éloignée  d'un  pareil  dessein.  Comme  elle  embrassait  l'homme  tout 
entier  et  comprenait  tous  ses  besoins,  toutes  ses  aspirations,  elle 
laissait  un  libre  essor  aux  manifestations  légitimes  de  la  pensée,  elle 
leur  accordait  une  pleine  indépendance,  pourvu  (jue  la  raillerie  ne  tou- 
chât ni  à  la  foi  proprement  dite,  ni  à  elle,  qui  s'en  était  constituée 
la  gardienne.  Elle  favorisait  l'humour,  elle  lui  laissait  même  pour 
ainsi  dire  -  monter  la  garde  auprès  des  choses  saintes  -,  comme  si  elle 
eût  aimé  que  l'homme  fût  souvent  rappelé  au  souvenir  de  tout  ce  qui 
sépare  du  divin  sa  nature  infirme  et  bornée.  Ce  n'était  pas  seule- 
ment sur  les  portails  des  églises,  sur  les  gargouilles  ou  autres  parties 
secondaires  de  l'extérieur  des  édifices  religieux  qu'on  apercevait  des 
figures  grotesques;  l'humour  posait  sa  raillerie  malicieuse  et  spiri- 
tuelle sur  les  piliers  et  les  lutrins,  jusque  dans  le  sanctuaire,  et  même 
sur  le  tabernacle.  D'une  amusante  espièglerie  elle  passait  souvent  à 
une  foudroyante  satire;  mais,  dans  toutes  ses  manifestations,  elle  ne 
cessait  d'attester  une  ardente  soif  pour  la  vérité,  une  conviction  pro- 
fonde du  néant  de  toulesles  vanités  de  la  terre,  et  ce  continuel  combat 
entre  le  bien  et  le  mal  qui  se  livre  dans  l'àme  humaine.  Elle  flagellait 
les  extravagances  du  temps  et  ne  se  lassait  pas  de  prémunir  les  hommes 
contre  l'orgueil  et  la  vanité.  Les  figures  grotesques  et  satiriques  que 
nous  apercevons  à  l'intérieur  des  églises  et  des  cloîtres,  et  qui  sont  si 
fréquemment  placées  sur  les  sièges  des  prêtres,  dans  les  stalles  des 

'  •  Nos  fêtes  religieuses  et  populaires  du  moyen  Age.  dit  GrRviNus.ft.  II,  p.  277- 
278).  étaient  pleines  de  vie  poétique,  de  joies  élevées  :  qui  n"envierait  ce  temps, 
maintenant  que  chez  nous  tout  est  étouffé  par  la  routine?  Il  faudrait  avoir 
perdu  l'esprit,  ajoute-t-il,  pour  préférer  les  divertissements  du  présent  à  ceux 
d'autrefois.  • 


I.MIUMOUR    DANS    L'ART.  189 

rclifjieux,  rcmplis.s;iieiit  auprès  du  clergé  le  même  rôle  que  jouaient 
les  Tous  à  la  cour  auprès  des  rois.  Ceux-ci,  dans  i'espril  du  icmps, 
è(aien(  donnés  aux  princes  ^  comme  ces  miroirs  bombés  dans  lesquels 
leur  apparaissait,  plaisamment  parodiée,  leur  figure  de  travers  et 
(oute  rapetissée  '.  »  Tant  que  rK{>lise  resta  ferme  et  inébranlable  sur 
ses  piliers  éternels,  elle  ne  |)ut  qu'approuver  la  guerre  entreprise  par 
l'humour  contre  les  abus  existants.  Il  ne  lui  déplaisait  pas  de  voir 
traités  sans  miséricorde  ceux  qui  avaient  entre  les  mains  le  pouvoir 
spirituel  ou  temporel  ;  elle  aimait  à  voir  l'orgueil,  la  mollesse,  l'amour 
immodéré  des  biens  de  la  terre,  tournés  en  ridicule.  Ces  railleries  ne 
devinrent  dangereuses,  en  effet,  que  lorsque  le  principe  d'autorité 
venant  à  s'ébranler,  la  conduite  de  Dieu  sur  son  Église  étant  niée, 
l'humour  se  débarrassa  du  frein  salutaire  qu'une  loi  supérieure  lui 
avait  imposé  :  alors  ce  qui  avait  été  autrefois  gaieté  devint  basse 
bouffonnerie;  l'amusante  satire  se  changea  en  caricature  vulgaire, 
et  tomba  enfin  dans  cette  grossièreté  sans  mesure  qui  devait  avoir 
plus  tard  nue  influence  destructive  et  funeste  sur  tous  les  liens 
sociaux. 

Mais  lorsqu'une  loi  sage  et  restrictive  tempérait  l'exubérance  de 
la  force,  alors  qu'un  but  élevé,  immuable,  était  placé  devant  tous  les 
yeux,  le  contraste  entre  les  choses  graves  et  plaisantes,  sublimes 
et  ridicules,  n'était  pas  seulement  toléré,  il  était  aimé,  bien  que 
dans  le  libre  espace  laissé  à  la  lutte,  les  chocs  fussent  quelquefois 
d'une  extrême  rudesse.  Un  artiste,  par  exemple,  orne  la  page  d'un 
petit  livre  de  prières;  son  pinceau  délicat  y  donne  le  témoignage 
de  sa  patience  infinie,  de  son  fervent  amour,  de  sa  piété  profonde; 
mais,  dans  les  feuillages  entrelacés  de  sa  vignette,  il  place  un  singe 
habillé  en  chasseur  qui  dirige  son  arbalète  vers  un  autre  singe, 
lequel  lui  présente  en  guise  de  cible  le  bas  de  son  dos  ^  L'hu- 
mour coule  à  flots  dans  les  admirables  dessins  à  la  plume  exécutés 
par  Dürer  pour  le  livre  d'heures  de  Maximilien  '.  Pour  commenter 
une  prière  sur  la  connaissance  de  l'humaine  misère,  l'artiste  nous 
présente  un  médecin  maigre  et  ratatiné,  contemplant  un  urinoir 
à  travers  de  grosses  lunettes,  tandis  que  de  la  main  gauche  il  retient 
son  chapelet,  qui  glisse  sur  son  dos.  A  côté  d'une  prière  contre  la 
tentation,  il  nous  montre  un  renard  au  bord  d'une  flaque  d'eau, 
jouant  de  la  flûte  et  attirant  les  poules  qui,  toutes,  viennent  mala- 

'  Gorhes,  Volksbücher,  p.  294-295. 

2'Voy.  Falke,  t.  I,  p.  279. 

^  A.  Dl'REr's  Baïuheichuungcn  aus  dem  Gebetbuch  des  Kaisers  Maximilian,  Maximilien 
von  F.  X.  Stößer.  (Munich,  1850.)  —  Voy.  l'explication  des  dessins  dans  Heller, 
t.  IF,  p.  869-886.  —  Thausing,  Durer,  Geschichte  seines  Lehens,  p.  380-381.  — L'ouvrage 
de  Schäfer,  Deutsche  Stiidletcahrzeichen,  ihre  Enlslchunç},  Geschichte  und  Deutung,  t.  J. 
(Leipzig,  1858.) 


190  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE, 

droiteraent  se  livrer  à  lui.  Près  cVuu  charitable  donneur  d'aumônes, 
il  place  un  autre  renard  qui  a  volé  un  poulet.  A  coté  d'un  ange  qui 
prie,  un  satyre  joue  de  la  trompette.  Sous  David  qui  chante  les  louan- 
ges de  Dieu  sur  la  harpe,  un  butor  pousse  son  cri  strident.  Une  exhor- 
tation adressée  aux  puissants  de  la  terre  est  commentée  par  un  dessin 
où  nous  voyons  un  empereur  tenant  d'une  main  la  mappemonde  et 
de  l'autre  son  sceptre,  traîné  dans  un  char  par  un  bouc,  qu'un 
petit  enfant,  monté  sur  un  cheval  de  bois,  tire  par  la  barbe.  Mais  le 
plus  amusant  de  tous  ces  contrastes  se  trouve  dans  la  page  qui 
représente  la  Sainte  Vierge  en  prière.  Marie  est  plongée  dans  un 
fervent  recueillement;  le  Saint-Esprit  plane  sur  sa  tête  virginale, 
tandis  qu'à  sa  gauche,  dans  un  coin,  le  démon,  exaspéré  par  une 
épouvantable  grêle,  s'arrache  les  cheveux  et  s'enfuit  en  hurlant.  La 
satire,  par  ces  jeux  capricieux  de  lumière,  servait  à  mettre  en  relief, 
dans  toute  leur  profondeur  et  leur  puissance,  les  idées  graves  et 
sublimes  de  la  foi.  Dans  les  dessins  représentant  le  démon,  et 
lorsqu'il  s'agissait  de  faire  comprendre  à  la  fois  sa  haine  contre 
l'Église  et  son  impuissance  finale,  il  est  rare  qu'on  ne  trouve  pas 
quelques  traits  plaisants.  A  côté  de  lui,  les  petits  anges  que  les  artistes 
occupent  à  toutes  sortes  de  jeux  enfantins,  et  qui  témoignent  leur 
joie  naïve,  ressortent  avec  un  charme  d'autant  plus  aimable. 

Les  folies,  les  travers  du  temps  sont  raillés  en  traits  piquants,  en 
mordantes  satires  dans  d'innombrables  gravures.  La  vanité,  la  pas- 
sion ridicule  des  femmes  pour  les  ajustements,  y  sont  tournées  en 
dérision  avec  une  sorte  de  prédilection.  Les  présomptueux  et  les  fats, 
jeunes  ou  vieux,  qui  veulent  plaire  et  s'imaginent  être  aimés,  servent 
aussi  de  cible  à  la  plaisanterie  d'une  peu  enviable  manière.  Mais  les 
paysans  bouffis  de  vanité,  amoureux  d'un  luxe  au-dessus  de  leur  état, 
doivent  endurer  plus  que  tous  les  autres  le  fouet  de  la  satire  :  l'art 
du  quinzième  siècle  ne  se  lasse  pas  de  les  fustiger. 

Le  paysan  d'alors,  dans  la  plupart  des  contrées  allemandes,  n'était 
pas  cet  homme  opprimé,  courbé  sous  une  morne  résignation,  que 
nous  voyons  apparaître  après  la  grande  révolution  sociale  du  seizième 
siècle;  c'est  un  être  vigoureux  et  hardi,  une  nature  pleine  d'énergie, 
fortement  attachée  à  la  vie.  Il  a  le  droit  de  porter  des  armes,  il  est 
en  mesure  de  se  défendre,  tout  comme  les  membres  des  corporations 
ouvrières  des  villes.  Il  prend  part  à  la  vie  publique,  aux  réunions 
communales,  aux  assises  populaires.  On  peut  apprécier  dans  les  docu- 
ments de  l'époque  qui  le  concernent,  et  qui  sont  eu  si  grand  nombre, 
l'importance  de  la  place  qu'il  occupe  dans  la  société.  On  est  si  bien 
renseigné  sur  lui,  grâce  aux  nombreux  témoignages  qui  nous  ont 


SCÈNES    VILLAGEOISF.S.  191 

(Mé  conservés,  que  nous  sommes  plus  â  môme  de  connaître  sa 
vie,  ses  mœurs,  ses  faiblesses,  ses  ridicules,  ses  plaisirs  ou  ses 
accès  de  colère,  que  le  degré  exact  de  civilisation  des  classes  plus 
élevées  '. 

En  Franconic,  eu  Bavière,  eu  Bris^jau,  en  Alsace,  là  précisément 
où  devaient  se  montrer  plus  tard  les  premiers  signes  avant-coureurs 
de  la  guerre  des  paysans,  l'homme  de  la  campagne  vivait  en  général 
dans  des  conditions  de  grand  bien-être.  L'aisance  dont  il  jouissait 
le  rendait  orgueilleux;  il  ne  s'estimait  pas  au-dessous  des  classes 
supérieures.  11  imitait  les  mœurs  et  les  plaisirs  des  nobles,  et  s'ha- 
billait avec  du  velours  et  de  la  soie.  On  lit  dans  un  des  Diver- 
tissements pour  le  carnaval,  édités  à  Nuremberg,  où  se  trouvent 
à  l'adresse  des  paysans  des  railleries  si  fréquentes  :  '-  Les  paysans 
ne  peuvent  plus  supporter  que  les  nobles  et  leurs  enfants  s'ha- 
billent autrement  qu'eux.  »  «  Autrefois,  ajoute  la  satire,  les  villa- 
geois portaient  des  manteaux  gris,  des  bonnets  gris,  un  chapeau 
grossier,  une  blouse  de  chanvre  ou  de  lin.  Leurs  souliers  étaient 
attachés  avec  des  écorces  d'arbre,  leurs  cheveux  étaient  coupés 
au-dessus  des  oreilles,  "  à  la  mode  wende  »,  les  selles,  les  har- 
nais de  leurs  chevaux  étaient  simples.  »  «  Mais  maintenant  qu'ils 
portent  des  habits  de  soie,  comme  les  chevaliers,  tout  va  mal.  " 
Sébastien  Brant  'dit  aussi  dans  la  Nef  des  fous  :  «  Les  paysans  por- 
tent des  habits  de  soie  et  des  chaînes  d'or;  ils  ne  supportent  plus 
le  coutil  grossier,  il  leur  faut  du  drap  de  Londres  ou  de  Malines.  Ils 
s'en  font  des  habits  avec  des  crevés  à  la  dernière  mode,  des  vêtements 
de  toutes  couleurs,  de  toutes  fourrures.  Ils  portent  sur  leurs  manches 
l'image  d'un  fou;  les  gens  de  la  ville  peuvent  maintenant  prendre 
lies  paysans  de  bonnes  leçons  de  luxe  et  de  vice!  » 

Les  gravures  du  temps  ne  cessent  d'amuser  le  public  aux  dépens 
des  paysans.  On  aimait  à  se  divertir  de  leurs  ridicules,  et  les  dessins 
représentant  des  scènes  de  mœurs  villageoises  étaient  alors  fort 
appréciés.  —  Sur  la  dernière  page,  entourée  de  vignettes,  du  livre 
d'heures  de  Maximilien,  Durera  fait  l'excellente  satire  d'une  ;  danse 
rustique  ».  Un  villageois  et  une  villageoise  s'élancent  pour  danser; 
la  femme  a  de  longs  cheveux  flottants  et  une  robe  traînante  comme 
celles  des  dames  de  la  ville;  l'homme,  la  bouche  largement  ouverte, 
lève  gauchement  la  main.  Un  autre  couple  exécute  une  -  danse  de 
cour  »  :  le  paysan  plein  de  gravité  qui  s'apprête  à  la  commencer 
})orte  un  verre  d'eau  sur  la  tête  et,  gravement,  se  met  en  mesure  de 
danser-. 


'  Voy.  Allihn,  Dürersludien,  p.  82-94.  —  Voy.  Seeker,  p.  413 
=  UüLAND,  t.  II,  p.  394. 


192  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

Un  dessin  à  la  plume  attribué  à  Martin  Scliongauer  est  encore  plus 
malicieux  :  des  paysans  petits-maitres  dansent  avec  leurs  belles; 
Tartiste,  comme  Dürer,  tire  un  excellent  parti  des  ridicules  de  ces 
jeunes  fats,  de  ces  grosses  paysannes  qui  s'habillent  à  la  mode 
des  villes  et  trahissent  involontairement  leur  origine  par  leurs  mou- 
vements lourds  et  sans  grâce  '.  Les  villageois,  avec  leur  faux  vernis 
de  cour,  leurs  prétendues  belles  manières,  rappellent  l'aventure  de 
Don  Quichotte  lorsqu'il  voulut  s'accoutrer  en  chevalier.  Ils  ont 
emprunté  au  costume  des  nobles,  éperons,  ceinture  et  épée,  sans 
pouvoir  cependant  dissimuler  leur  gaucherie;  les  fourreaux  de  leurs 
épées  sont  détériorés,  et  çà  et  !à  on  aperçoit  le  genou  nu  â  travers  le 
haut-de-chausses  déchiré  '\ 

Presque  tous  les  artistes  de  ce  temps  ont  reproduit  par  la  gravure 
les  scènes  populaires  les  plus  variées,  et  grâce  à  eux  nous  avons 
sous  les  yeux,  dans  un  relief  vivant  et  animé,  le  tableau  des  mœurs 
populaires  de  l'époque;  nous  pouvons  donc  suivre  le  paysan  dans  ses 
travaux  et  dans  ses  plaisirs,  et  établir  facilement  entre  la  vie  d'autre- 
fois et  celle  d'aujourd'hui  d'intéressants  rapprochements,  une  mi- 
niature, ou  bien  un  vitrail,  nous  fait  assister  à  un  marché.  Des 
jeunes  filles  et  des  femmes  assises  offrent  et  vantent  leur  marchan- 
dise. Il  y  a  du  pain  blanc,  du  beurre  et  des  amfs  dans  les  paniers, 
du  lait  dans  les  cruches,  des  pigeons  et  des  poulets  dans  les  corbeilles 
tressées  qu'elles  portent  sur  la  tête.  Les  robes  des  marchandes  sont 
d'une  grande  simplicité,  elles  couvrent  le  buste,  enveloppent  jusqu'au 
cou,  et  s'ajustent  au  corps  avec  grâce;  les  manches  sont  modéré- 
ment larges;  les  jupes  tombent  jusqu'aux  pieds,  mais  ne  sont  point 
d'une  longueur  gênante.  Le  tablier  est  noué;  les  cheveux,  séparés 
sur  le  front,  tombent  librement  sur  le  dos  pour  les  jeunes  filles, 
tandis  que  les  femmes  plus  âgées  ou  celles  venues  de  la  ville,  les 
cachent  sous  un  fichu  qui  tombe  en  larges  plis  ou  s'attache  sous  le 
menton  ^ 

Les  dessins  représentant  les  divertissements  et  les  jeux  sont  éga- 
lement intéressants  :  une  gravure,  par  exemple,  nous  initie  aux 
jeux  du  monde  enfantin;  les  enfants  jouent  à  la  toupie,  à  la  main 
chaude,  à  colin-maillard,  à  la  balançoire,  à  la  culbute^.  Une  autre 


'  Voy.  Falke,  p.  313-314. 

'  Voy.  Allihn,  p.  90.  Sur  le  luxe  d'habillement  des  paysans,  voyez  aussi  Nor- 

TiENBERG,  Kölnisches  Literaturleben,  p.  27-28. 

^Voy.  Falke,  t.  I,  p.  311-312. 

*  Zingeile  a  prouvé  dans  son  charmant  travail  intitulé  :  Die  deutschen  Kinderspiele 
im  Mittelidier,  qu'on  peut  lire  dans  les  comptes  rendus  des  séances  de  l'Académie 
de  Vienne,  t.  LVII,  p.  119-169,  que  les  petits  paysans  d'autrefois  possédaient  la 


LES    MARCHÉS,    LA    DANSE.  193 

nous  fait  assisteraux  jeux  dcsliommcs  laits.  Les  joueurs  sont  allablés 
auiour  des  ccliiquiers  cl  des  damiers.  Là,  au  milieu  de  la  bruyante 
allégresse  du  peuple,  on  planle  un  mai;  ici  c'est  une  fête  d'arquebu- 
siers qui  s'apprête.  Comme  la  danse  appartenait  aux  divertissements 
favoris  de  ce  temps,  et  qu'elle  était  un  véritable  besoin  pour  foules  les 
conditions,  les  artistes  la  prenaient  très-souvent  pour  motif  de  leurs 
coFnpositions.  Le  peuple  et  la  petite  bourgeoisie  s'ébattaient  en  plein 
air  ;  on  ne  savait  ce  que  c'était  que  de  danser  dans  un  espace  resserré, 
et  jamais  les  auberges  n'avaient  de  salle  de  danse.  Nous  voyons  le  peuple 
se  presser  gaieuîcut  sur  la  place  ou  sur  la  pelouse;  la  cornemuse,  le 
tambour,  le  tambourin,  le  violon  accompagnent  les  pas  des  danseurs. 
Ouant  aux  gens  des  classes  plus  élevées,  ils  avaient  leurs  salles  de  danse 
particulières,  et  quelquefois  les  sa  les  de  l'iiôlel  de  ville  leuren  tenaient 
lieu,  une  gravure  sur  cuivre  d'Israël  de  Meckenen  nous  fait  assister  à 
une  de  ces  fêtes  qui  se  célébraient  souvent  dans  le  Bas-Rhin  à  la  fin 
du  quinzième  siècle.  Au  milieu  de  la  salle,  élevés  sur  une  large  estrade 
soutenue  par  des  poteaux,  les  musiciens  soufflent  dans  leurs  instru- 
ments. Les  couples  dansants  se  meuvent  alentour  avec  une  extrême 
diL^iculté,  à  cause  des  vêtements  étroits  des  hommes,  de  leurs  souliers 
pointus  ou  de  leurs  larges  pantoufles,  mais  surtout  à  cause  des  longues 
traînes  des  dames  qui  embarrassent  les  pieds  des  danseurs;  tout  le 
plancher  de  la  salle  en  est  couvert.  Une  étonnante  variété  règne  dans 
les  costumes  des  femmes;  ils  sont  tantôt  larges,  tantôt  étroiis;  là 
modestes,  ici  inconvenants.  Les  coiffures  sont,  ou  pointues  en  pain  de 
sucre  avec  des  voiles  tombant  jusqu'à  terre,  ou  en  forme  de  turbans, 
ou  plates  et  ornées  de  guirlandes  et  de  rubans.  Les  hommes  ont  une 
veste  étroite  qu'une  seconde  veste  plus  large  recouvre;  elle  est  ouverte 
ou  rattachée  sur  la  poitrine  par  des  brandebourgs.  Ils  portent  aussi 
quelquefois  un  long  pardessus  fermé  par  des  attaches  et  tombant  jus- 
qu'à terre,  ou  bien  encore  un  petit  manteau  court.  Le  cou  et  les  épaules 
sont  découverts;  tous  les  visages  sont  sans  barbe,  mais  entourés  de 
longs  cheveux  bouclés.  Pour  coiffure,  un  ruban  bariolé,  un  béret 
orné  de  plumes,  ou  bien  un  bonnet  ayant  la  forme  d'un  mouchoir 
plié.  On  peut  se  rendre  un  compte  très-exact  de  la  variété,  des  cou- 
leurs bigarrées,  de  la  richesse,  de  la  forme,  du  luxe  des  vêtements  et 
des  étoffes,  en  examinant  attentivement  les  tableaux  d'autel,  les 
miniatures,  les  émaux  du  temps,  car  tout  ici  a  été  pris  sur  le  vif  et 
emprunté  à  la  réalité  de  la  vie  de  tous  les  jours.  Nous  y  voyons  des 
habits  de  cérémonie  en  brocart;  des  robes  brodées  d'or,  sur  un  fond 
rouge,  noir,  vert,  bleu;  des  manches  chamarrées  d'ornements, 
ouvertes,  déchiquetées;  des  robes  semées  de  perles  et  de  pierres 

plus  grande  partie  des  jeui  et  des  jouets  qui  amusent  actuellement  la  jeunesse 
de  ngs  villages. 

13 


I9i  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

précieuses;  autour  du  cou  et  des  épaules  sont  souvent  enroulés  jusqu'à 
six  ou  sept  rangs  de  cliaiues  d'or  ou  de  fil  de  corail;  les  doigts  sont 
ornés  de  bagues  '. 

On  peut  aussi  se  rendre  compte  du  luxe  extraordinaire,  de 
l'étonnante  variélé  des  costumes  de  l'époque,  surtout  de  ceux  des 
femmes,  en  jetant  les  yeux  sur  les  inventaires  que  nous  possédons 
encore  de  la  garde-robe  des  bourgeoises  à  leur  aise.  La  femme 
de  Georges  Winter,  bourgeois  de  Nuremberg,  dans  la  liste  qu'elle 
dresse  des  effets  donnés  à  sa  fille  en  mariage  (1485),  désigne  parmi 
beaucoup  d'autres  objets  :  quatre  manteaux  de  drap  d'Arras  ou  de 
Malincs  (deux  doublés  de  soie),  six  robes,  un  manteau  et  trois  robes 
longues,  trois  habits  de  dessous,  six  tabliers  à  manches,  dont  un  noir; 
deux  robes  blanches  pour  le  bain,  cinq  chemises,  deux  peignoirs, 
deux  guimpes,  sept  paires  de  manches,  dix-neuf  voiles;  entre  autres 
bijoux,  environ  trente  bagues.  Un  bourgeois  de  Breslau  donne  à  sa 
fille,  dans  son  trousseau  :  un  manteau  doublé  de  fourrure  et  une  robe 
semblable,  quatre  robes  de  différents  prix,  plusieurs  bonnets,  cein- 
tures et  manches,  un  corsage  orné  de  perles,  et  une  bague  d'alliance 
de  la  valeur  de  vingt-cinq  florins.  La  fille  d'un  autre  bourgeois  de 
Breslau  reçoit  par  ses  tuteurs,  dans  l'héritage  de  sa  mère  (1490), 
trente-six  bagues  en  or,  des  ceintures,  des  agrafes,  des  chaines. 

Les  coiffures  du  temps,  pour  les  hommes  comme  pour  les  femmes, 
sont  de  formes  variées  et  bizarres;  quelques  femmes  portent  des  bon- 
nets pointus,  longs  d'une  aune;  d'autres,  un  long  bourrelet  bigarré, 
orné  de  cordons  de  perles,  d'or,  de  pierreries,  de  fleurs  ou  de  plumes. 
Les  coiffures  des  jeunes  filles  de  la  bourgeoisie  des  villes  sont  parti- 
culièrement étranges  :  ce  sont  des  fichus  blancs,  formant  de  roides 
coiffes,  attachées  pour  la  plupart  à  une  haute  et  large  carcasse  en 
fil  de  fer;  un  ruban  posé  par-dessus  les  lie  sous  le  menton.  Les  cha- 
peaux et  les  bonnets  d'hommes  ne  sont  pas  moins  bizarres.  Un  livre 
de  droit  municipal  de  la  ville  de  Hambourg  nous  offre,  dans  ses  mi- 
niatures, des  personnages  coiffés  de  chapeaux  hauts  et  bas,  aux  bords 
larges  ou  étroits,  retroussés  par  devant  et  pendants  par  derrière,  ou 
vice  versa;  des  chapeaux  de  fourrure  commune,  de  feutre,  de  drap 
de  toutes  couleurs,  divisés  en  deux,  rayés,  ornés  de  plumes,  de 
galons  de  ganses  d'or,  quelquefois  de  bandelettes  tombant  jusqu'à 
terre.  ?sous  y  voyons  aussi  des  bonnets  de  tous  genres,  en  fourrure, 
en  feutre  ou  en  drap,  carrés,  ronds  ou  pointus,  et  des  capuchons  ornés 
d'un  ou  de  plusieurs  glands  bariolés. 

'  Les  joyaux  d'autrefois,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  avaient  toujours  une 
valeur  artistique.  La  perfection  avec  laquelle  sont  peintes  les  armoiries  de  cette 
époque  prouve  combien  dans  la  noblesse  le  luxe  était  plein  de  goût. 


COSTUMES    POPULAIRES    DU    PEUPLE.  195 

Le  plus  bel  ornement  pour  un  homme  était  alors  une  lon{jue  che- 
velure bouclée,  et  Ton  mettail  beaucoup  de  temps  et  de  soin  à  sa  coif- 
fure. Lorsque  le  fils  du  riche  palriciendc  Bûle  Jérôme  Tchekenburlin 
prit  en  dégoi\t  les  vanités  du  siècle  et  entra,  à  vinjjt-six  ans,  dans 
l'Ordre  des  Chartreux,  il  fit  faire  son  portrait  dans  le  vêtement  de 
fête  avec  lequel  il  était  entré  au  couvent.  Il  y  est  représenté  la  tète 
bouclée  et  crêpée;  les  cheveux  couvrent  le  front,  et  tombent  sur  le 
cou  nu,  dans  une  riche  profusion.  Dans  le  portrait  du  jeune  roi 
Maximilien,  nous  voyons  également  de  longs  cheveux  blonds,  symé- 
triquement arrangés  et  tombant  jusque  sur  les  épaules  en  ondula- 
tions régulières.  Le  portrait  d'Albert  Dürer,  qui  le  représente  dans 
sa  jeunesse  (il  était  simple  fils  d'orfèvre),  nous  le  montre  coiffé  de 
longues  boucles  soigneusement  ondulées,  tombant  orgueilleusement 
sur  la  nuque  bien  dégagée.  11  n'est  pas  rare,  dans  les  dessins  du  temps, 
de  voir  cette  masse  de  boucles  entourée  d'un  cercle  de  métal  peint  et 
fermé  par  une  élégante  agrafe  d'or  à  laquelle  on  attachait  un  pana- 
che de  plumes  de  héron,  ou  bien  une  couronne  de  lierre  naturel. 
Les  hommes  portaient  aussi  quelquefois  des  couronnes  de  fleurs. 

Au  lieu  de  ces  libres  et  longs  cheveux  bouclés,  les  femmes  por- 
tent pour  la  plupart  des  nattes  épaisses  plaquées  près  des  oreilles; 
on  leur  adresse  souvent  le  reproche  de  se  servir  des  cheveux  des 
morts  et  de  les  tresser  avec  les  leurs.  Les  jeunes  filles  enferment 
leurs  nattes  dans  des  filets  dorés  ou  dans  de  petits  sacs  d'étoffe 
voyante,  dorée,  entremêlée  de  fils  d'or  et  de  perles,  semée  de  pierres 
précieuses;  de  petites  plaques  d'or  y  sont  suspendues  '.  Le  dessin 
des  Fiançailles  de  la  Vierge,  par  Dürer,  nous  permet  d'étudier  le  cos- 
tume des  jeunes  fiancées  de  la  haute  bourgeoisie.  La  Sainte  Vierge 
porte  une  robe  très-riche  garnie  de  fourrure,  avec  de  larges  manches 
et  une  traine.  Sous  cette  robe,  une  autre  robe  de  dessous,  en  velours, 
est  visible  seulement  parles  manches  étroites  qui  viennent  jusque  sur 
les  mains.  Marie  porte  une  petite  coiffe  et  un  voile;  une  de  ses  com- 
pagnes, Nurembourgeoise  de  bonne  famille,  porte  uu  manteau  de 
pluie  à  longs  plis  et  une  coiffe  de  lin  très-boulfante  ^ 

Dans  la  classe  ouvrière,  les  couleurs  des  habits  sont  plus  variées 
encore  que  les  façons.  Des  tailleurs  de  pierre,  des  charpentiers 
sont  représentés  à  leur  travail  en  vêtements  rouges,  en  culottes 
et  en  bonnets  bleus,  ou  bien  eu  habits  jaunes  avec  des  culottes  et  des 
bonnets  rouges.  D'autres  ont  des  habits  de  deux  nuances,  bleu  clair 
et  jaune,  vert  et  rouge.  Les  marchands,  derrière  leurs  comptoirs, 
portent  aussi  des  costumes  voyants  et  bariolés.  Un  paysan,  condui- 


'  Falke,  t.  I,  p.  279-305.  —  Documeiils,  t.  V  et  t.  VL 
'Van  Eye,  p.  299. 


13. 


196  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

sant  ses  porcs  au  marché,  porte  un  habit  vert,  un  chapeau  rouge  et 
des  culottes  brunes.  Un  charretier  ou  un  vigneron  qui  pousse  un  ton- 
neau sur  sa  brouette,  parait  en  habit  rouge  doubié  de  vert;  il  porte 
un  bonnet  rouge,  des  culottes  bleues,  et  de  courtes  bottes  d'écuyer 
couleur  de  cuir.  De  sottes  pimbêches  de  village  ont  des  toilettes  où 
les  nuances,  étrangement  mêlées,  produisent  reflet  le  plus  ridicule: 
la  moitié  de  leur  vêtement  est  d'une  couleur  uniforme,  l'autre  moitié 
est  de  toutes  les  nuances  de  Farc-en-ciel,  et  divisée  en  tout  petits 
morceaux,  bandes,  carrés,  triangles.  On  voit  aussi  des  jeunes  gens 
habillés  de  rouge  de  la  tête  aux  pieds.  Les  broderies  étaient  alors 
très  à  la  mode  et  d'une  extrême  richesse.  Le  Francfortois  Bernard 
Hohrbach  surchargea  tellement  de  broderies  en  fil  d'argent  les 
manches  de  son  habit,  qu'il  portait  sur  lui  en  l'endossant  un  poids  de 
onze  marcs  et  demi  d'argent  (1464 j. 

La  variété  de  la  vie,  la  mode,  capricieuse  et  arbitraire,  se  reflètent 
fidèlement  dans  les  compositions  de  nos  artistes.  Les  divers  états 
sont  devant  nos  yeux;  nous  apprenons  même  à  connaître  ces  gens 
sans  aveu,  cette  race  paresseuse,  ennemie  de  toute  règle  et  de  tout 
travail,  qui  forme  en  tout  temps  comme  la  lie  populaire  des  villes. 
Qu'on  examine,  par  exemple,  dans  le  grand  Portement  de  croix  de 
Martin  Schongauer,  les  individus  hideux  qui  traînent  le  Sauveur  au 
supplice  :  leur  physionomie,  leur  aspect  sont  d'une  vérité  saisissante; 
c'est  le  hasard,  la  chance  ou  la  charité  compatissante  de  quelque 
bonne  âme  qui  les  a  vêtus.  L'un  porte  un  pardessus,  mais  ses  bras 
et  ses  jambes  sont  nus;  un  autre  possède  un  étroit  haut-de-chausse, 
mais  il  n'a  point  de  souliers  aux  pieds,  et  les  larges  déchirures  de  sa 
veste  trop  courte  laissent  apercevoir  une  chemise  plissée.  Un  autre, 
dont  les  épaules  sont  nues,  porte  un  bonnet  pointu  sous  lequel  apparaît 
une  longue  tresse  de  cheveux  qui  traîne  sur  son  dos.  Un  troisième  a 
roulé  un  mouchoir  sur  sa  tête  en  forme  de  turban.  Un  quatrième  a 
enfoncé  sur  ses  cheveux  ras  un  feutre  mou  et  déformé.  Un  cinquième, 
qui  est  nu-tête,  laisse  flotter  au  vent  sa  chevelure  en  désordre.  Des 
hommes  ayant  appartenu  autrefois  à  une  classe  plus  élevée  sont 
mêlés  à  cette  troupe  sordide  :  celui-ci  porte  un  habit  sans  manches, 
garni  à  toutes  les  coutures  de  franges  et  de  nœuds  de  ruban  ;  les 
manches  de  sa  chemise  sont  retroussées  jusqu'aux  épaules;  celui-là,' 
dont  les  jambes  sont  nues  et  qui  porte  des  souliers  attachés  avec  de 
la  tresse  de  paille,  a  enveloppé  fièrement  ses  épaules  d'une  peau  de 
mouton  dans  laquelle  il  se  drape  comme  dans  une  hermine  royale. 
Un  vieillard  traîne  négligemment  un  vieux  froc  de  moine  qu'il  serre 
autour  de  son  corps  décharné.  Les  attitudes,  les  physionomies,  les 
traits  rudes,  les  articulations  osseuses  de  tous  ces  personnages,  qu'on 
rencontre  très-fréquemment  dans  les  tableaux  et  les  dessins  du  temps^ 


L'ART    DANS    L\    VIE    DOMESTIQUE.  197 

sont  d'une  vulgarité  repoussante.  Nous  voyons  revivre  devant  nous  ce 
prolétariat  dépravé  des  villes  qui  joua  un  rôle  si  fatal  dans  les  lutlcs 
religieuses  et  polilirpies  du  seizième  siècle. 

AfCrancliis  par  leurs  professions  mômes  de  la  mobilité  et  des 
caprices  de  la  mode,  l'ouvrier,  le  bourgeois,  le  magislrat,  le  savant 
comparaissent  à  leur  tour  devant  nous.  L'habillement  des  ouvriers 
est  voyant,  bigarré,  mais  d'une  extrême  simplicité;  ils  portent  un 
costume  court  et  commode,  une  sorte  de  blouse,  des  culottes  larges 
ou  étroites,  qu'ils  renferment  dans  leurs  boites  longues  ou  courtes, 
ou  bien  laissent  flotter.  Représentés  à  leur  travail,  ils  ont  en 
général  une  veste  sans  manches,  et  les  manches  de  leur  chemise 
sont  retroussées  jusqu'aux  épaules.  La  tête,  rasée  court,  est  couverte 
d'un  simple  béret  plat,  ou  d'un  chapeau  de  feutre.  Quant  aux  bour- 
geois, ils  portent  un  habit  assez  long  par-dessus  leurs  vestes  courtes, 
soit  de  la  forme  d'une  blouse  qui,  fermée  par  devant,  s'enfilait  par 
la  tète,  soit  de  la  forme  d'un  manteau,  et  ouvert  par  devant.  Leur 
costume  est  en  général  de  couleur  sombre,  noire  ou  brune,  doublé  de 
fourrure  ou  garni  de  galons.  Les  docteurs,  les  savants,  les  médecins 
portent  une  houppelande,  avec  ou  sans  ceinture,  longue,  large,  tom- 
bant presque  sur  les  pieds,  ouverte  comme  l'habit,  ou  fermée  comme 
la  longue  blouse,  presque  toujours  de  couleur  foncée,  quelquefois, 
cependant,  rouge.  Un  simple  béret  est  posé  sur  les  cheveux  coupés 
court  '. 

C'est  ainsi  que  les  artistes  contemporains  font  défiler  devant  nos 
yeux  la  respectable  bourgeoisie  allemande  d'autrefois.  Ils  nous 
montrent  avec  la  même  exactitude  fidèle  le  foyer  domestique  de 
nos  aïeux.  Que  la  chambre  où  Dürer  a  placé  son  saint  Jérôme  est 
charmante!  Elle  a  deux  fenêtres,  ornées  de  petites  vitres  rondes;  le 
plafond  est  en  bois  bruni.  Voici  dans  le  coin  une  de  ces  solides  tables 
de  chêne  qu'on  aimait  tant  jadis;  un  crucifix  et  un  encrier  y  sont 
posés.  La  chambre  est  abondamment  pourvue  de  tous  les  meubles  et 
ustensiles  qui  rendent  la  vie  à  la  fois  commode  et  agréable.  On  aper- 
çoit, pendu  au  mur,  ce  grand  sablier  qui  dans  un  intérieur  bien 
réglé  ne  pouvait  alors  manquer  de  se  trouver.  Sur  une  planche  fixée 
contre  la  muraille,  voici  des  fioles  de  baume,  la  cire  roulée  qui  tenait 
lieu  de  chandelle,  le  petit  coffre  contenant  les  médicaments.  Des 
courroies  attachées  au  mur  retiennent  des  parchemins,  des  papiers 
de  toutes  sortes,  ainsi  qu'une  grande  paire  de  ciseaux.  A  côté  du 

'  F\L!cc,  t.  I,  p.  305-316.  —  L'excellent  ouvrage  de  Frisch  (Nuremberg,  1876) 
donne  des  descriptions  pleines  de  vie  des  divers  costumes  de  la  fin  du  quinzième 
siècle  et  du  commencement  du  seizième. 


198  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

rosaire,  nous  apercevons  une  brosse;  une  grande  citrouille  est  sus- 
pendue au  plafond  ;  sous  le  banc,  voici  des  sabots  aux  épaisses  semelles. 
Tout,  dans  ce  dessin,  respire  le  confort  et  le  chaud  bien-être  de  la 
bonne  vie  allemande  d'autrefois. 

Dürer,  dans  son  dessin  de  la  Naissance  de  la  Vierge,  a  complété 
le  portrait  de  l'ancien  home  allemand.  On  se  trouve  ici  en  pleine 
réalité  terrestre  :  dans  le  fond  de  la  chambre  de  l'accouchée,  un 
escalier,  occupant  une  large  place,  conduit  à  l'étage  supérieur;  il  est 
muni  d'une  solide  rampe  de  madriers.  Dans  une  niche,  placée  dans 
le  mur,  se  trouve  un  lavabo;  une  grosse  boule  creuse  en  métal,  avec 
un  robinet,  contient  l'eau  pour  la  toilette;  au-dessous,  sur  une  pierre 
de  support,  voici  le  bassin  où  l'on  faisait  couler  l'eau  sur  les  mains; 
à  côté,  l'essuie-main  et  la  brosse.  Sur  une  planche  placée  au-dessus  de 
la  porte,  sont  posés  un  livre  de  prières  à  la  reliure  élégante,  un  chan- 
delier artistement  travaillé,  une  boîte  à  épices  et  deux  fioles  de 
baume.  Devant  la  fenêtre,  nous  retrouvons  ces  bancs  en  bois  si  com- 
modes qui  se  rencontrent  encore  souvent  dans  les  maisons  de  la 
vieille  Allemagne  ;  on  ne  voit  point  d'autres  sièges  dans  la  chambre. 
Ils  sont  en  bois,  garnis  de  coussins  mobiles,  et  servent  en  même 
temps  de  petits  bahuts;  la  table  est  solide,  un  grand  coffre  sculpté 
occupe  un  coin  de  la  chambre,  et  contient  le  linge  et  les  autres 
effets  précieux  de  la  maîtresse  de  la  maison.  Sainte  Anne  est  couchée 
dans  un  grand  lit  à  baldaquin,  et  se  dispose  à  prendre  la  soupe  et  la 
boisson  fortifiante  qu'on  lui  apporte;  on  sent  régner  autour  d'elle 
la  douce  atmosphère  de  la  vie  de  famille.  Un  groupe  animé  de 
commères  et  de  voisines  se  mettent  en  devoir  de  réparer  la  fatigue 
et  l'inquiétude  passées  par  un  solide  et  copieux  repas;  une  matrone 
respectable,  à  l'air  important,  armée  de  tous  les  insignes  de  ses 
dignités  domestiques,  un  grand  sac,  un  trousseau  de  clefs,  un  cou- 
teau suspendu  à  sa  ceinture,  est  sur  le  premier  plan,  assise  sur  un 
escabeau ,  et  paraît  avoir  grand'soif.  Une  servante  apporte  le  ber- 
ceau de  la  petite  Marie,  ainsi  que  l'eau  pour  le  bain  '. 

Dans  le  dessin  de  la  Sainte  Famille  aie  travail,  de  Durer,  nous  trou- 
vons encore  une  représentation  charmante  de  la  vie  intime  d'autre- 
fois :  Marie  est  assise  en  plein  air  devant  la  maison,  et  tient  un  fuseau 
entre  ses  mains;  l'Enfant  Jésus  est  couché  dans  son  berceau;  Joseph, 
qui  travaille  avec  ardeur,  taille  une  auge  dans  un  tronc  d'arbre; 
autour  d'eux,  déjeunes  garçons  aux  ailes  d'anges  rassemblent  dans 
une  corbeille,  avec  la  main  ou  le  râteau,  les  copeaux  bons  à  con- 
server, et  se  livrent  en  même  temps  à  toutes  sortes  de  jeux  enfantins. 
On  apporte  à  la  jeune  mère  un  bouquet  de  fleurs  de  mai.  Cette  vie 

'  Voy.  sur  ces  dessins  Van  Eye,  p.  349-352,  292-294,  311-312. 


L'A  UT    DANN    I.A    MAISON.  199 

de  famille  intime  et  aimable,  c'est  l'âme  véritable  de  ce  foyer  alle- 
mand, "  où  tout  est  bien  entendu  et  marche  aisément,  oii  tout  res- 
pire la  paix,  la  liberté,  la  joie  ». 


II 


Le  foyer  domestique  était  le  véritable  centre  de  la  vie  de  nos 
aïeux,  et  l'on  ne  saurait  constater  sans  admiration  la  manière  dont 
ils  savaient  agréablement  et  confortablement  s'arranger  entre  leurs 
quatre  murs.  Tout  ce  qui  servait  à  leurs  besoins  journaliers  n'était 
pas  seulement  d'un  usage  pratique,  mais  encore  fait  pour  charmer 
le  regard.  Kampes,  plafonds,  portes,  fenêtres,  tables,  sièges, 
armoires,  bahuts,  serrures,  marteaux  de  porte,  poêles,  flambeaux  ', 
tout  révèle  le  goût  fin,  la  main  habile,  l'amour  de  l'ouvrier  qui  les 
exécuta.  Les  ustensiles  de  cuisine  d'un  simple  ménage  bourgeois, 
dont  quelques  rares  échantillons  seulement  sont  venus  jusqu'à  nous, 
offrent  le  même  caractère  d'originalité  et  de  goût.  Aussi  Wimphe- 
ling  disait-il  avec  un  juste  orgueil  que  l'art  allemand  méritait  l'admi- 
ration universelle,  non-seulement  à  cause  de  ses  créations  sublimes 
dans  le  domaine  de  l'architecture,  de  la  peinture  ou  du  dessin,  mais 
parce  qu'il  avait  su  produire  des  œuvres  achevées  dans  les  plus 
humbles  petits  meubles  du  ménage  ^  On  apportait  à  perfectionner 
les  plus  simples  objets  ce  même  soin,  cette  même  conscience,  ce  même 
goiït  qu'on  mettait  à  l'exécution  des  grandes  choses. 

Ce  fait  s'explique  surtout  par  l'étroite  et  heureuse  union  qui 
existait  autrefois  entre  les  artistes  et  les  ouvriers.  L'art  était  sorti 
du  métier  comme  la  fleur  délicate  sort  de  sa  tige;  il  exerçait  une 
influence  souveraine  sur  le  tronc  qui  l'avait  porté.  Son  union  vivante 
et  perpétuelle  avec  lui  était  sensible  dans  les  moindres  travaux  des 
artisans  '.  Au  reste,  les  premiers  maîtres  de  l'art  ne  faisaient  nulle 
difficulté  de  se  nommer  eux-mêmes,  tout  simplement,  «  ouvriers  ». 
Surlin  d'Ulm  est  appelé  t-  menuisier  »  dans  les  documents  de  l'époque  ; 
Adam  Krafft,  -  tailleur  de  pierre  »;  Pierre  Fischer,  "  chaudron- 
nier ».  Les  plans  de  simples  maisons  de  ville  ou  de  campagne  étaient 
souvent  tracés  par  les  architectes  les  plus  savants  de  nos  cathédrales; 
et  ces  mêmes  artistes  qui  sculptaient  avec  tant  de  perfection  les 
stalles  de  chœur  de  nos  églises  achevaient  avec  un  soin  minutieux  de 

'  Voy.  Rettberg,  p.  59. 

*  Voy.  HOUAWITZ,  Xationale  Geschichlschreibung,  p.  77. 

'  Pour  plus  de  détails,  voy.  Reichenspeuger,  Da$  Kvntthandieerk .  —  Meyer, 
p.  185. 


200  L'ART    ET    LA    V I K    POPULAIUii. 

petits  ustensiles  de  ménage;  les  p\üs  grands  peintres  ne  refusaient 
pas  de  prêter  leur  talent  à  la  décoration  du  pignon  d'une  maison 
bourgeoise,  à  Tornementation  d'une  fenêtre,  aux  écussons  d'une 
famille  considérée. 

Ainsi  l'art  et  le  métier  se  complétaient,  s'aidaient  réciproquement. 
Le  plus  simple  ouvrier  avait  l'ambition  de  produire  des  ouvrages 
vraiment  artistiques,  visait  à  la  perfcclion,  et  voulait  faire  œuvre  de 
maître;  cependant  il  n'avait  pas  !a  pensée  d'aller  au  delà  des  limites 
de  sa  profession,  et  trouvait  dans  sou  métier  salaire,  considération, 
honneur  et  joie.  Les  moindres  objets  sortis  de  ses  mains  attestent  son 
amour  pour  son  travail,  et  voilà  pourquoi  ils  nous  produisent  une  si 
agréable  impression.  Aussi  ouvriers  et  artistes  trouvaient-ils  occu- 
pation et  salaire  parmi  la  classe  aisée  qui,  pouvant  jouir  en  repos  de 
la  vie,  était  fière  d'acquérir  des  œuvres  d'art  écloses  sur  le  sol  de  la 
patrie. 


CHAPITRE  V 

LA  MUSIQUE. 

Tandis  que  rarchilecturc,  le  dessin,  la  peinture  et  la  gravure  pre- 
naient un  si  admirable  essor,  le  plus  puissant  et  le  plus  émouvant  de 
tous  les  arts,  la  musique,  s'acheminait  peu  à  peu  vers  la  perlection 
la  plus  achevée. 

A  partir  du  milieu  du  quinzième  siècle,  les  compositions  musicales 
se  multiplient  d'une  manière  surprenante.  On  peut  a  peine  compter 
les  artistes  distingués  qui  se  produisent.  Le  talent  même  médiocre 
devient  jusqu'à  un  certain  point  remarquable,  grâce  aux  ressources 
plus  grandes  dont  l'art  dispose.  Les  compositions  musicales  de  cette 
époque  semblent  sortir  d'un  cœur  débordant.  Ou  dirait  que  les 
arts  plastiques  ont  jeté  un  cri  d'appel  à  la  musique.  Mais  il  faut 
reconnaître  que  cet  épanouissement  magnifique  eut  sa  source  dans 
rintelHgence  populaire,  qui  sut  comprendre  la  musique  avec  toute 
son  àme,  l'honorer,  l'apprécier  dans  tout  ce  qu'elle  produisait 
de  vraiment  beau.  Destinée  principalement  à  exprimer  la  pensée 
religieuse,  elle  acquit,  dès  cette  époque,  et  garda  pour  toujours, 
la  valeur  et  l'importance  d'un  art;  dés  lors,  les  grands  compositeurs 
eurent  dans  la  société  une  position  entourée  de  considération  et  de 
respect  ',  aussi  bien  dans  les  églises,  dans  les  chapelles  où  se  célé- 
braient solennellement  les  offices,  que  dans  les  académies  de  chant, 
composées  d'ecclésiastiques  et  de  laïques  '. 

Le  plain-chant  grégorien  servit  de  fond,  de  base,  à  tout  le  pro- 
grès réalisé  dans  l'art  musical;  c'est  en  le  prenant  pour  principe  que 
les  artistes  allemands  établirent  les  lois  de  la  vraie  musique  religieuse; 
ils  ne  firent  que  développer  dans  renchevêtrement  savant  de  leurs 
compositions  a  plusieurs  voix  le  sens  profond  et  complet  des  anciens 
chants  liturgiques.  Les  messes  des  maîtres  du  quinzième  siècle, 
leurs  nombreux  motets  composés  sur  un  psaume,  un  antiphone,  une 
hymne  de  l'Église,  rappellent  dans  leur  unité  sévère,  dans  leurs  déve- 
loppements savants,  les  merveilies  architecturales  de  l'époque.   La 

'  Voj  ez  Ambhos,  p.  3-7,  3  î-33. 


202  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

science  musicale  a  pour  lois  fondamentales  la  mesure,  le  rhythme, 
l'exacte  symétrie  :  de  même,  dans  Tarchitecture,  la  profondeur  de 
sentiment  la  plus  sublime  est  soumise  à  ces  lois  rigoureusement 
mathématiques  qui  savent  dompter  la  matière  de  pierre,  de  métal  ou 
de  bois,  si  grossière,  si  lourde  et  si  roide;  ces  mêmes  lois  ont  égale- 
ment triomphé  dans  le  domaine  des  sons;  elles  l'ont  affranchi,  et 
l'ont  fait  sortir,  libre  et  clair,  de  la  matière  en  mouvement  '. 


Le  mérite  d'avoir  dégagé  de  ses  entraves  primitives  la  phrase  à 
plusieurs  voix,  et  de  lui  avoir  fait  faire  un  progrès  si  sensible, 
appartient  à  ces  mêmes  contrées  du  Sud,  où  les  chants  des  trouvères 
et  les  mélodies  populaires  avaient  fleuri  avec  plus  d'abondance  et 
d'originalité  que  partout  ailleurs;  c'est  là  que  les  orgues  et  l'art  d'en 
tirer  de  beaux  sons  se  sont  d'abord  perfectionnés.  Le  Livre  de  chants 
de  Lochamer  ^,  qui  date  du  quinzième  siècle,  suppose  déjà  dans  son 
auteur  une  connaissance  approfondie  de  l'harmonie.  Parmi  ces 
chants,  il  en  est  vraiment  d'admirables.  C'est  un  des  monuments  les 
plus  anciens  et  les  plus  curieux  de  l'art  musical  en  Allemagne;  il  ne 
contient  pas  seulement  des  mélodies  populaires  allemandes,  il  s'y 
trouve  aussi  beaucoup  d'airs  venus  des  Pays-Bas  '.  Un  autre  témoi- 
gnage de  l'art  à  cette  époque  atteste  aussi  les  progrès  de  la  musique 
dans  les  Pays-Bas  :  c'est  un  intéressant  recueil  de  chants  et  de  motets, 
publié  à  Augsbourg  en  1458  ''. 

Jacques  Obrecht  (f  1507),  originaire,  selon  toute  apparence,  des 

'  Voyez  LasaL'LX,  Philosophie  der  schönen  Künste,  p.  121-122.  —  Entreliens  d' Ecker- 
mann avec  Gœihe,  t.  !I,  p.  88.  —  Reicliensperger  a  dit  :  »  La  musique  religieuse  du 
moyen  âge  est  comme  le  compl.-^ment  nécessaire  de  l'architecture  religieuse  de 
cette  époque.  L'architecture  produit  ses  effets  par  ses  proportions  dans  l'espace, 
comme  la  musique  produit  les  siens  par  ses  proportions  dans  le  temps.  - 
[Mélanges,  p.  520-523.)  —  La  question  de  savoir  si  le  nouvel  art  musical  se  déve- 
loppa d'abord  dans  l'Allemagne  du  Sud  ou  en  Flandre  n'a  aucune  importance  au 
point  de  vue  national,  puisque  les  Flamands  sont  d'origine  allemande.  Le  seul 
fait  intéressant  pour  l'histoire  de  la  musique,  c'est  l'apparition  simultanée  dans 
l'Allema-gne  du  Centre  et  du  Sud.  et  dans  les  Pays-Bas,  de  tant  de  maures  remar- 
quables qui  donnèrent,  par  l'influence  réciproque  qu'ils  exercèrent  les  uns  sur 
les  autres,  un  nouvel  élan  à  leur  art. 

'  Voyez  Chrvsandkr,  Jahrbuch  für  miisih.  IVissenschaft,  t.  Il,  p.  1-234.  —  Chroniken 
der  Deutschen  Städte,  t.  I,  p.  98,  214,  et  plus  loin,  t.  II,  IX,  X,  t.  X,  p.  189,  et  t.  XI, 
p.  515,  611. 

*  Voy.  le  chant  de  la  page  121. 

*  Voy.  Paul  DE  StetteN,  Kunst.  Gewerh  und  Handelsgeschichte  der  Stadt  Augshourg,  524. 


ANCETRES    DE    LA    MUSIQUE    MODERNE.  203 

contrées  du  Hhin,  et  le  Flamand  Jean  Ockenheim  (f  1512),  sont 
les  deux  anc(Hres  iiilellecfuels  de  tontes  les  écoles  de  musique  '. 

Dans  les  œuvres  d'Ockcnheim,  nous  admirons  une  profonde  iiUel- 
lijjence  de  la  musique  religieuse,  une  étonnante  dextérité  dans  la 
science  des  canons,  une  manière  de  phraser  pleine  d'ori^jinalilé  et 
d'ampleur.  Ses  compositions  nous  font,  pour  ainsi  dire,  entendre 
une  àme  qui  chante.  On  y  trouve  des  périodes  entières  d'un  éton- 
nant dessin  mélodique  et  d'une  remarquable  délicatesse  de  senti- 
ment ^ 

Le  plus  doué  de  ses  élèves,  Josquin  de  Prés  \  fut  l'objet  des 
louanges  enthousiastes  de  ses  contemporains,  qui  ne  pouvaient  se 
lasser  de  l'admirer  *.  «  Son  talent,  dit  Henri  Loritz,  était  à  la  fois  si 
souple  et  si  puissant  qu'il  se  prêtait  à  tout  ce  que  voulait  le  maître. 
Personne  ne  l'a  surpassé  dans  l'expression  énergique  des  sentiments. 
Personne  ne  savait  s'emparer  d'un  sujet  d'une  façon  plus  heureuse. 
Nul  ne  peut  l'égaler  dans  son  jeu  plein  de  grâce  et  de  légèreté, 
de  même  que  nul  poète  latin  n'eût  osé  se  comparer  à  Virgile.  » 
Le  Luxembourgeois  Adrien  Coclicus,  qui  s'était  formé  sous  Josquin, 
disait  de  son  maître  :  "  Il  était  le  plus  grand,  parmi  ces  musiciens 
de  premier  ordre,  qui  sont  en  quelque  sorte  les  rois  des  autres, 
parce  que  non-seulement  ils  enseignent,  mais  joignent  la  théorie  à 
la  pratique,  connaissent  les  lois  de  toutes  les  compositions,  et  savent 
exprimer  toutes  les  émotions  de  l'âme.  )i  Aussitôt  que  Josquin  avait 
remarqué  dans  un  de  ses  élèves  une  intelligence  vive  et  prompte, 
il  lui  apprenait  en  peu  de  mots,  le  guidant  toujours  par  des  exem- 
ples, à  composer  à  trois,  quatre,  cinq  et  six  parties.  Du  reste,  il  trou- 
vait peu  de  musiciens  propres  à  la  composition,  et  c'était  son  prin- 
cipe qu'on  n'y  doit  former  que  ceux  qui  ont  un  attrait  particulier 
pour  cet  art  admirable,  «  Il  existe  tant  d'œuvres  ravissantes  com- 
posées par  les  anciens  maîtres,  disait-il;  sur  mille  élèves,  un  seul  à 
peine  serait  capable  de  faire  quelque  chose  de  comparable  ou  de 
meilleur  ^  !  » 

Jacques  Obrecht  surpasse  beaucoup  Josquin  et  Ockenheim  par  la 
simple  beauté  du  style  et  l'élévation  de  la  pensée.  «  L'œuvre 
d'Obrecht,  dit  Glaréan,  joint  à  une  grande  simplicité  une  majesté 


'  ElTNKU,  Bibliographie  (1er  Xlusihsammebcerhc . 

*  Ambros,  p.  170-179.  — Jacoc,  p.  402. 
'  Jodocus  Pratensis. 

*  François  Commer  a  publié  un  clioix  des  meilleurs  motets  de  Josquin,  dans 
sa  Colleclio  ojjerum  miisicorum  Ballavorum  (Berlin,  1S43). 

'  FORKKL,  t.  II,  p.  516,  550-615.  —  Voy.  la  biographie  de  Coclicus,  dans  la 
Xiederrheinischen  Musikzciiung  (Cologne,  1861).  Année  9,  p.  82.  —  Voyez  le  célèbre 
ouvrage    de    A.    V.    Tuimus,     Harmonicale    Symbolic    des    Atterthums,    t.    I,    p.    289 

(Cologne,  1868). 


204  L'ART    ET    LA    VIE    POP  U  LA  1RS. 

surprenante.  Il  vise  moins  aux  effets  savants  que  Josquin;  il  ne  se 
propose  pas  comme  lui  de  produire  telle  ou  telle  impression;  il  laisse 
ses  compositions  s'emparer  de  l'auditeur.  On  raconte  que  son  imagi- 
nation et  son  ardeur  au  travail  étaient  si  grandes  qu'il  eût  été  en  état 
de  composer  en  une  seule  nuit  une  messe  admirable.  •'  Plusieurs  de 
ses  messes  et  de  ses  motets  sont  de  vraies  «  cathédrales  gothiques, 
construites  avec  des  sons  '  ». 

Obrecht  vécut  quelque  temps  à  Florence,  à  la  cour  de  Laurent  de 
Médicis.  Il  y  rencontra  son  compatriote  Henri  Isaack,  maître  de  cha- 
pelle à  Saint-.leau  (1475-Î480),  et  que  Laurent  avait  chargé  d'ensei- 
gner la  musique  à  ses  enfants.  Obrecht  fut  entouré  à  Florence 
d'une  grande  considération,  et  l'empereur  Maximilien  lui  confia  des 
intérêts  diplomatiques  à  la  cour  des  Médicis.  Il  passa  près  de  Maximii- 
lien  les  dernières  années  de  sa  vie,  et  faisait,  ainsi  que  Josquin,  l'orgueil 
et  l'ornement  de  la  chapelle  impériale  -. 

Henri  Isaack  est  l'un  de  nos  meilleurs  compositeurs,  tant  anciens 
que  modernes.  Il  faut  ranger  parmi  les  véritables  chefs-d'œuvre  ses 
deux  motets  à  six  voix,  si  remarquables  par  leur  grandiose  structure. 
L'artiste  y  a  glorifié  les  suprêmes  pouvoirs  spnituel  et  temporel, 
le  Pape  et  l'Empereur.  Un  autre  motet  sur  une  hymne  à  la  Vierge 
passe  pour  un  modèle  achevé  de  clarté  et  de  pureté  de  style.  Le  tra- 
vail dans  lequel  il  a  remanié  les  offices  des  dimanches  et  jours  de  fête 
de  l'année  ecclésiastique  renferme  un  trésor  inestimable  :  c'est  une 
collection  de  modèles  admirablement  choisis  pour  servir  à  l'étude 
du  contre-point  et  du  plain-chant  grégorien  3.  Une  grande  partie  de 
cet  ouvrage  est  due  à  Louis  Senfl,  de  Zurich,  élève  d'Isaack,  maître 
doué,  à  coup  sih',  de  génie,  unissant  à  un  profond  sentiment  de 
la  musique  religieuse  l'imagination  la  plus  riche.  Parmi  ses  chants 
d'église,  il  en  est  un  qui  est  un  vrai  diamant,  c'est  celui  qui  commence 
par  ces  mots  :  "  Dieu  éternel.  ^  On  y  sent  passer  le  souffle  d'une  foi 
ardente;  il  appartient  à  ces  chants  historiques,  dans  le  sens  le  plus 
élevé  du  mot,  où  s'incarne  avec  puissance  l'esprit  de  toute  une  époque  ^ 

Citons  encore  un  autre  compositeur  de  musique  religieuse  égale- 
ment remarquable,  c'est  Henri  Fiuck,  maître  de  chapelle  à  la  cour 
polonaise  de  Cracovie  (1492).  Son  cantique  des  Pèlerins,  «  Mettons- 
nous  en  route  au  nom  de  Dieu  ;-,  s'empare  de  notre  âme  aussi  forte- 
ment que  les  plus  admirables  chœurs  de  Händel.  Finck  a  remanié 
un  grand  nombre  d'anciennes   hymnes  latines;,  ces  compositions 

'  FouKEL,  1. 1[,  p.  520-027.  —  Amcros,  p.  179-184. 

-  Ambros,  p.  203.  — Sur  la  protection  accordée  par  Maximilien  aux  musiciens, 
voy.  le  Diarium  de  Cuspinian,  t.  II,  p.  C07.  —  Voy.  Ashbach,  Universität  Wien.,  t.  U, 
p.  8Ü. 

'  Ambugs,  p.  380-389. 

^  Ibid.,  p.  AQi-iU. 


MUSIQUE    PROFANE.  2  05 

soat  pleines  de  [;randcur,  d'une  îonalilô  pnissante,  d'une  valeur 
exceptionnelle.  On  lui  doil,  encore  les  Sept  Salutations  au  Sauveur 
.souffrant,  nioteîs  à  quatre  ou  six  voix  d'une  beauté  simple,  d'une  noble 
clarlé  de  style,  animés  du  sentiment  de  la  plus  fervente  piété.  L'art 
allemand  du  quinzième  siècle  ne  peut  leur  comparer  que  les  deux 
Passions  d'Albert  Dürer,  inspirées  par  la  même  foi  ardente  '.  L'œuvre 
de  Finck  a  aussi  du  rapport  avec  les  Lamentations  à  quatre  voix  du 
composilcur  allemand  Etienne  Maliu,  précurseur  de  Palestrina  ^,  et 
presque  contemporain  de  Finck.  Le  doyen  de  Leibach  Arnold  de 
Brück  a  également  écrit  sous  la  même  inspiration.  Ses  chants  reli- 
gieux sont  pleins  d'enthousiasme,  de  gravité  sévère,  d'élévation  et 
de  grâce;  ou  peut  les  ranger  -  parmi  ce  qui  a  été  composé  de  meil- 
leur dans  tous  les  temps  en  fait  de  musique  sacrée  »  ^ 

Dans  toutes  ces  grandes  compositions  de  musique  religieuse,  l'idéal 
le  plus  élevé  de  l'art,  c'est-à-dire  l'unité  de  toutes  les  parties  avec 
l'ensemble,  l'ensemble  inspirant  à  son  tour  toutes  les  parties,  se 
trouve  atteint  de  la  manière  la  plus  heureuse.  Elles  ont  toutes  pour 
principe  le  plain-chant  liturgique,  ce  qui  n'empêche  nullement 
qu'autour  de  cette  première  assise  ne  viennent  se  grouper  les  idées 
les  plus  originales.  La  phrase  fondamentale  donne  à  toutes  les 
parties  «  la  mesure  et  la  justesse,  la  vie  et  le  mouvement,  la  lumière 
et  la  couleur  "  ;  l'harmonie  s'élance  d'elle-même  de  la  tige  sévère,  et 
reste  à  la  fois  originale  et  soumise.  Si  l'on  y  remarque  bien  des  sur- 
charges de  mauvais  goût,  comme  dans  les  édifices  du  style  gothique 
de  la  dernière  période,  le  fond  de  l'œuvre,  chez  les  maitres  vraiment 
dignes  de  ce  nom,  n'est  point  défiguré  par  ces  taches.  Nos  anciens 
compositeurs  combattent  ces  mauvaises  tendances  avec  d'autant  plus 
de  succès,  qu'ils  sont  résolus  de  se  maintenir  toujours  sur  le  ter- 
rain de  la  tradition  liturgique  et,  prêtres  du  beau,  ne  veulent  servir 
que  l'aulel*. 

La  musique  profane  eut  aussi  ses  grands  maîtres.  Presque  tous 
les  artistes  qui  amenèrent  l'art  religieux  à  une  perfection  si  haute 

'  Ambuos,  p.  368-371. 

'Ces  lamentations,  seule  œuvre  importante  de  Stephan  Mahut,  ont  paru  dans 
la  Musica  sacra  de  Gommer,  t.  XVH  (Berlin,  1876J. 

5  •  Svon  Paier  noster  à  cinq  voix  pourrait  être  préféré  comme  puissance,  éléva- 
tion, hi'.rmonie,  à  celui  de  Palestrina.  •  Ambt.os,  p.  389-404. 

*  Jacob,  p.  395-401.  —  Kien  n'est  plus  erroné  que  l'assertion  de  Brendel  :  «  La 
première  (irande  époque  de  la  musique  allemande  date  de  Luther  •  {Geschichte 
der  Musik,  5«  édition,  page  121),  et  que  celle  de  Franck  :  «  Ce  n'est  que  depuis  la 
Réforme  que  l'on  peut  parler  de  musique  allemande.  •  (Geschichte  der  Tonkunst, 
3«  édit.,  p  45  )  —  Au  contraire,  les  luttes  relifjieuses  du  seizième  siècle  firent 
tomber  la  musique  nationale  dans  une  complète  décadence.  —  Voy.  Arnold 
et  BellerMaNN,  dans  le  Jakrbuch  für  musikalische  Wissenschaft,  de  Chrysxnder,  t.  II, 
p.  163,  169-170. 


206  L'ART    ET    LA   VIE    POPULAIRE. 

ont  ajusté  nos  chansons  populaires  à  de  délicieuses  mélodies,  et 
y  ont  fréquemment  ajouté  des  beautés  qu'on  peut  encore  y  admirer. 
Les  airs  sont  toujours  admirablement  adaptés  aux  paroles,  et  leur 
donnent  cette  signification  profonde  que  ne  possèdent  point  les  mots 
fugitifs;  l'auditeur,  comme  le  dit  très-bien  le  Luxembourgeois  Jean 
Ott  dans  l'introduction  de  son  recueil  de  chants,  ;;  impose  silence, 
dès  qu'il  les  entend,  à  ses  propres  pensées,  pour  songer  en  lui-même 
au  sens  des  paroles  *  ». 

L'air  de  Henri  Isaack,  sur  les  paroles  attribuées  à  l'empereur  Maxi- 
milien,  Innspruck,  ich  muss  dich  lassen,  est  connu  de  tout  le  monde. 
Mon  unique  joie  en  ce  monde,  du  même  auteur,  restera  toujours  une 
perle  inestimable  pour  tous  ceux  qui  aiment  la  musique.  Tout  ce  qu'il 
y  a  de  délicat,  d'intime,  d'aimant,  dans  le  genius  allemand,  y  est 
exprimé.  Une  inspiration  à  la  fois  naïve  et  profonde,  presque  reli- 
gieuse, anime  également  les  chansons  de  Henri  Finck. 

Dans  les  compositions  musicales,  comme  dans  la  peinture  et  le 
dessin,  une  gaieté  malicieuse  sait  aussi  se  frayer  sa  voie.  On  peut  en 
suivre  les  nuances  diverses,  depuis  le  badinage  enjoué  jusqu'à  la  plus 
âpre  satire,  dans  les  chansons  :  Un  vieillard  voulait  faire  sa  eour,  de 
Mahu;  dans  la  Petite  Fille  du  paysan,  d'Isaack;  dans  Feuillage  et  gazon, 
de  Senti,  et  dans  les  rustiques  chansons  à  boire  de  Finck  *. 

Ce  qui  rend  la  musique  de  ce  temps  si  particulièrement  sympa- 
thique, c'est  le  sentiment  de  foi,  de  tendre  piété  qui  l'anime;  c'est  sa 
verte  vigueur,  sa  puissance,  inséparablement  associée  à  une  si  grande 
déUcatesse,  à  une  gaieté  si  saine  et  si  fraîche;  on  s'en  souvient, 
nous  avions  déjà  signalé  les  mêmes  dons  chez  nos  dessinateurs  et  nos 
peintres  de  génie  de  la  même  époque.  Le  peuple  allemand  s'est 
rarement  donné  à  lui-même  un  plus  beau  témoignage  que  daos  les 
œuvres  d'art  du  quinzième  siècle  ^ 


II 


Plus  la  phrase  musicale  sortait  de  ses  commencements  informes, 
plus  la  musique  devenait  un  art,  plus  aussi  l'on  redoublait  de  zèle 
et  d'effort  pour  perfectionner  ses  moyens  d'exécution,  et  obtenir 
un  son  plein,  riche  et  pur. 

Ce  fut  d'abord  par  l'orgue,  le  plus  puissant  de  tous  les  instruments, 
qu'on  se  rapprocha  de  ce  but.  Dans  aucun  pays,  on  n'apporta  à  son 

1  Voy.  Arnold,  p.  7.  —  Gervixls,  t.  II,  p.  269. 

-  Ambros,  p.  370,  383,  390,  409.  —  Forkel,  t.  II,  p.  670-G91. 

'  Comme  le  dit  très-bien  Ambros,  p.  367. 


FACTEURS    D'ÜIU;UES,    ORGANISTES.  2l)7 

perfcctionucmcnt  un  zèle  plus  persévérant  qu'en  Allema^-ne,  et,  dès 
le  quatorzième  siècle,  les  Allemands  passaient  pour  les  plus  habiles 
fadeurs  d'orgues  de  l'FAiropc.  C'est  un  Allemand  qui  fabriqua  le  pre- 
mier or}}ue  envoyé  à  Venise;  il  y  excita  un  étonnement  extraordi- 
naire, on  venait  le  voir  comme  une  merveille.  Un  artiste  allemand, 
nommé  Bernhard,  qui  habitait  aussi  Venise,  conçut  alors  la  pensée 
hardie  d'élever  d'une  octave  le  clavier  de  l'orgue  et  d'accompagner 
le  chant,  devenu  ainsi  plus  clair,  de  doubles  basses  qui  lui  donnèrent 
un  admirable  relief.  Il  acheva  de  métamorphoser  l'orgue  et  d'en  faire 
rinsîrument  grandiose  que  nous  possédons  aujourd'hui,  iorsqu'en 
1470  il  inventa  la  pédale".  Conrad  Rosenburger  de  Nuremberg  con- 
struisit deux  orgues  semblables,  avec  clavier  et  pédales,  pour  l'église 
des  Cordeliers  de  cette  ville  et  pour  la  cathédrale  de  Bamberg 
(1475),  L'orguede  Saint-Sauveur,  à  Nuremberg  (dû  vraisemblablement 
à  Henri  Tràxdorf  *  et  perfectionné  par  le  Cordelier  Léonard  Marca) 
(1479),  était  célèbre  par  ses  proportions  gigantesques.  En  1463, 
Etienne  Castendorfer  de  Breslau  ajouta  la  pédale  nouvellement 
inventée  à  l'orgue  de  la  cathédrale  d'Erfurt.  En  1499,  Henri  Kranz 
construisit  le  grand  orgue  de  l'église  collégiale  de  Brunswick.  Stras- 
bourg ne  tarda  pas  à  voir  aussi  les  orgues  de  sa  cathédrale  se  per- 
fectionner, et,  dèsie  commencement  du  seizième  siècle,  presque  toutes 
les  grandes  villes  de  l'Allemagne  possédaient  de  magnifiques  orgues 
à  pédale.  L'humaniste  Rodolphe  Agricola  est  cité  parmi  les  facteurs 
d'orgues  de  l'époque,  et  passe  pour  avoir  construit  celui  de  Saint- 
Martin,  à  Groningen.  Au  moins  est-il  certain  qu'il  y  a  travaillée 

A  mesure  que  les  instruments  se  perfectionnaient,  les  exécutants 
devenaient  plus  habiles.  Dès  la  première  moitié  du  quinzième  siècle, 
plus  d'un  prêtre  ou  d'un  moine  se  distingue  comme  organiste. 
L'aveugle-né  Conrad  Baumann,  du  Luxembourg,  fut  le  plus  célèbre 
d'entre  eux.  Hans  Rosenpliit,  dans  une  de  ses  poésies,  dit,  eu  parlant 
de  son  jeu,  '<  qu'il  rendait  le  courage  au  cœur  le  plus  abattu  ». 

(1  II  faut  encore,  dit-il,  que  je  vous  parle  d'un  maître  que  Di;;u  a  bien 
affligé.  11  s'appelle  maître  Conrad  Baumann.  11  a  reçu  un  tel  don  pour  la 
musique,  qu'il  est  le  maître  de  tous  les  maîtres,  j 

Les  princes  contemporains,  l'empereur  Frédéric,  les  ducs  de  Fer- 
rare  et  de  Mantoue  entre  autres,  firent  souvent  venir  auprès  d'eux 

'  Kiesewetter,  p.  53-54.  —  Voy.  Rettberg,  dans  le  Anzeiger  für  die  Kunde 
Deutscher  Vorzeit,  t.  VII,  p.  241-242.  —  D'après  Arnold,  p.  68-69,  la  pédale  était 
déjà  inventée  en  Allemagne,  et  Bernhard  n'en  fut  considéré  comme  le  premier 
inventeur  par  les  Italiens  que  parce  qu'il  avait  porté  sa  découverte  à  Veuise. 

*  Voy.  LocHNER,  p.  222-223. 

*  Voy.  FORKEL,  t.  II,  p.  724-727.  —  Arnold,  p.  67-70.  —  Voy.  Baader,  Appen- 
dice, t.  I,  p.  33.  —  MONE,  Zeitsehriß,  t.  XXIV,  p,  256. 


208  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

l'artiste  aveugle.  II  ne  retournait  dans  son  pays  que  cumblé  de  pré- 
sents et  reconduit  dans  un  carrosse.  L'Italie,  pour  honorer  son 
incomparable  talent,  léleva  au  rang  de  chevalier.  Il  passa  ses  der- 
nières années  à  la  cour  du  duc  Albert  III  de  Bavière,  prince  très- 
amateur  de  musique,  et  mourut  à  Munich  en  1473.  Ce  qui  nous  reste 
de  ses  œuvres  forme  le  monument  le  plus  ancien  que  nous  possédions 
de  musique  instrumentale  savamment  composée  (1452).  Aous  y  trou- 
vons la  preuve  que,  dès  cette  époque,  l'art  de  l'organiste  était  en  plein 
épanouissement,  qu'il  était  cultivé  non-seulement  par  quelques  indi- 
vidus isolés,  mais  par  toute  une  pléiade  d'artistes,  et  cela  dans  un 
temps  où  il  restait  presque  ignoré  de  l'Europe  tout  entière  ^ 

Citons  après  Conrad  Baumann  Paul  Hoflieimer,  de  Rastadt  (près 
de  Salzbourg),  organiste  à  la  cour  de  l'em.pereur  Maximilien;  il 
rendit  plus  puissant,  plus  large,  l'art  de  l'organiste.  Ottmar  Nachti- 
gall dit  en  parlant  de  lui  :  "  Les  morceaux  les  plus  longs  ne  le 
fatiguent  pas,  et  il  exécute  les  plus  petits  avec  perfection.  Il  se  fraye 
un  libre  chemin  partout  où  son  inleliigence  et  sa  main  le  conduisent. 
La  merveilleuse  agilité  de  ses  doigts  ne  trouble  jamais  l'essor  majes- 
tueux de  ses  modulations.  Il  ne  lui  suffit  pas  d'avoir  exécuté  quelques 
morceaux  puissants,  il  y  ajoute  toujours  des  pièces  brillantes  ou 
gracieuses.  Personne  ne  l'a  surpassé,  personne  ne  saurait  même 
l'atteindre.  =>  Il  forma  quelques  organistes  excellents  qui  propagèrent 
son  enseignement  à  Vienne,  Passau,  Constance,  Berne,  Spire,  et  à 
la  cour  de  Saxe^  Le  célèbre  organiste  maître  Arnold  Schlick,  qui 
édita  en  1512  le  Miroir  du  fadeur  d'orgues,  était  attaché  à  la  cour 
palatine  d'Heidelberg.  Ses  importants  ouvrages  nous  permettent  de 
connaître  exactement  la  structure  de  l'orgue  à  cette  époque,  et  ren- 
ferment des  documents  précieux  sur  la  musique  de  son  temps.  Nous 
y  sommes  surtout  renseignés  sur  le  plain-chant  et  la  manière  dont  il 
était  accompagné  par  l'orgue.  Dans  l'application  pratique  de  l'acous- 
tique, Schlick  a  devancé  de  beaucoup  les  théoriciens  de  son  siècle  et 
du  siècle  suivant  ^  C'était  aussi  un  célèbre  joueur  de  luth.  Sa  tabla- 
ture de  l'orgue  contient  quatorze  remarquables  morceaux  pour  cet 
instrument  ^. 

L'art  du  luthier,  comme  celui  du  facteur  d'orgues,  a  pris  naissance 
à  Nuremberg.  Les  luths  fabriqués  par  le  Nurembergeois  Conrad 
Gerla  (1460)  étaient  recherchés  de  tous  côtés;  le  duc  de  Bourgogne, 
Charles  le  Téméraire,  en  fit  venir  trois  pour  ses  luthiers.  Les  descen- 

'  Pour  plus  de  détails,  voy.  Aunold,  p.  71-88.  —  Baumanx,  Orgelhueh,  p.  177-224. 
-Amekos,  p.  373-374.  434.  —  Balemker,  p.  120-121. 

^  Monaishcfie  fur  Musik-Gcschichte.   2'  année,  1870,  p.  183.  — Falk,  Zur  Beurlhei- 
lung  des  xv«  Jahrhunderts,  p.  416-417. 
*  Voy,  Amdros,  p.  428-429. 


THÉORICIENS.  209 

danls  de  Conrad  Gerla,  les  deux  IlansGeiia  ',  étaieut  à  la  fois  d'excel- 
lents luthiers  et  de  remarquables  exécutants.  Mais  Conrad  liaumann 
raveu(jle  ■•  dépassait  tous  les  autres,  et  élait  certainement  lui-même 
le  plus  admirable  des  instruments  et  le  maître  par  excellence  de  la 
musique  de  son  temps  >.  Baumann  est  l'inventeur  de  la  tablature 
du  lutii^  Elans  .ludenkunig,  Hans  Gerla  et  lians  .Neusiedler  publièrent 
aussi  des  méthodes  de  luth  accompagnées  de  démonstrations  théo- 
riques. 


III 


Les  brillantes  productions  des  compositeurs  avaient  depuis  long- 
temps excité  l'émulation  des  théoriciens,  des  écrivains  et  des  profes- 
seurs. Les  plus  anciens  propagateurs  des  règles  de  l'art  musical  dans 
notre  pays  furent  les  deux  Carmes  Jean  d'Erfurt  et  Jean  Gooden- 
dach.  Ce  dernier  eut  pour  élève  le  grand  théoricien  Franchiuus  Gafor, 
autour  duquel  se  groupèrent  les  plus  savants  musiciens  d'Italie  au 
commencement  du  seizième  siècle.  Un  autre  savant  musicien  con- 
temporain fut  le  moine  Jean  Färber,  maître  de  chapelle  et  chanteur 
du  roi  Ferdinand  de  Naples,  puis  chanoine  de  l'église  de  INivelle. 
«  C'est  un  savant  illustre  sous  tous  les  rapports  ",  dit  Trithème  en 
parlant  de  lui  (1495),  «  un  grand  mathématicien,  un  musicien  accom- 
pli. On  lui  doit  trois  livres  sur  le  contre-point,  un  livre  sur  les  sons,  et 
un  autre  sur  l'origine  de  la  musique.  >  Färber  a  réuni  dans  ses  œuvres 
le  trésor  complet  des  notions  musicales  de  son  temps.  Ses  ouvrages 
sont  clairs,  d'une  science  sûre,  remarquables  par  la  disposition  des 
matières  comme  par  leur  exposition;  écrits  en  bon  latin,  ils  démon- 
trent tous  les  principes  de  l'art  par  des  exemples  bien  choisis,  tantôt 
composés  par  l'auteur  lui-même,  tantôt  empruntés  aux  meilleurs 
maîtres  K 

Le  moine  Adam  de  Fulda  fut  aussi  un  théoricien  remarquable;  sou 
Traité  delà  musique  parut  en  1490;  il  est  l'auteur  d'un  motet  à  quatre 
voix  sur  un  chant  liturgique  qui  fut  très-goùté  et  très-chanté  dans 
toute  l'Allemagne  *.  Les  prêtres  Conrad  de  Zabern,  de  Maj  ence  (1474), 


'  Sur  les  deux  célèbres  fabricants  de  clairons  et  de  trompettes,  Hans  IVeuschel 
père  et  fils,  voyez  Lochner,  p.  163-170. 

*  Arnold,  p.  72-73.  —  Ambros,  p.  427. 

'  Voy.  Johannis  Tinctoris  terminorum  musicœ  dißnitorium,  aveC  les  explications  de 
Bellermann,  Chrysxnder,  Jahrbuch  fur  musikalische  lUissenscka/t,  t.  I,  p.  55-114.  — 
Ambros,  p.  141-142. 

*  Voy.  Baumker,  p.  96-103.  —  Allgemeine  Deutsche  Biographie,  t.  I,p.  43.  — 
Ambros,  p.  366.  —  Voy.  Geryinls,  t.  II,  p.  282. 

14 


210  L'ART    ET    LA   VIE    POPULAIRE. 

et  Sébastien  Virdimg,  d'Amberg  '  ;  plus  tard  Faber  de  Stablo  (1496)  et 
Michel  Reinsbeck,  de  Nuremberg:  (1500),  écrivirent  également  sur  le 
chant  liturgique  et  sur  divers  sujets  d'art  musical.  Le  manuel  que 
Jean  CochhTus,  recteur  de  Téglise  Saint-Laurent  à  ISuremberg,  fit 
paraître,  en  1511,  pour  servir  à  renseignement  delà  musique  et  du 
chant,  est  extrêmement  intéressant,  et  nous  fournit  les  renseigne- 
ments les  plus  curieux  sur  la  culture  musicale  de  cette  époque.  C'est 
un  petit  ouvrage  si  savant  qu'on  peut  à  peine  comprendre  comment 
il  pouvait  être  mis  entre  les  mains  des  élèves  d'une  école,  et  cepen- 
dant il  était  spécialement  destiné  aux  jeunes  écoliers  de  Saint-Lau- 
rent, qui,  réunis  à  ceux  des  deux  autres  écoles  de  la  ville,  soutenaient 
tous  les  ans,  le  jour  de  la  Sainte- Catherine,  un  concours  musical,  et 
exécutaient  une  messe  sous  la  direction  de  leur  recteur*.  De  sem- 
blables concours  n'étaient  pas  rares  au  quinzième  siècle  dans  les 
écoles  d'Allemagne. 

'  Voy.  siirces  motets  les  renseignements  de  Falk,  dans  Petzholdt,  1879,  n°543. 
^  Otto,  p.  37-39.  —  Quatre  éditions  de  cette  méthode  avaient  paru  avant  1520. 


CHAPITHE    VI 

POÉSIE    POPULAIRE  '. 


Ainiîi  que  nous  venons  de  le  constater,  les  arts,  au  moment  qui 
nous  occupe,  florissaient  à  l'envi.  Parmi  ceux  qui  frappent  l'oreille, 
le  premier  de  tous,  la  musique,  avait  foit  de  merveilleux  progrès; 
mais  il  n'en  était  pas  de  même  du  second.  La  poésie,  en  effet,  j'en- 
tends la  poésie  artistique,  était  au  contraire  tombée  dans  une  pro- 
fonde décadence.  On  se  tromperait  cependant  grandement  si  l'on  en 
concluait  que  toute  puissance  poétique  fiU  paralysée  dans  la  nation. 
Le  principe  essentiel  de  la  poésie,  c'est  l'imagination  créatrice  qui 
a  pour  domaine  le  vaste  champ  où  se  meuvent  la  pensée  humaine  et  le 
monde  des  sentiments.  Or,  cette  imagination  s'était  affirmée  avec 
éclat,  avec  une  variété  prodigieuse,  dans  les  chefs-d'œuvre  des  arts 
plastiques  et  dans  les  compositions  musicales;  la  forme  et  la  matière 
différaient  seules.  Ce  n'était  pas  avec  des  mots,  mais  avec  des  pierres, 
des  mélaux,  du  bois,  des  couleurs  et  des  sous  que  l'Allemagne  avait 
été  dotée  de  poésies  sublimes  ;  et  comme  la  musique,  dans  le  déve- 
loppement normal  d'un  peuple,  précède  toujours  la  poésie  (parce 
que  le  chant,  l'épopée,  l'art  dramatique  ne  se  forment  que  par  l'im- 
pulsion qu'elle  leur  imprime  et  l'accompagnement  nécessaire  qu'elle 
y  ajoute  *),  l'admirable  progrès  qui  s'était  produit  dans  l'art  des  sons 
faisait  espérer  qu'un  nouveau  printemps  renaîtrait  bientôt  pour  la 
poésie.  Mais  cet  espoir  était  encore  fondé  sur  un  motif  plus  profond. 

A  l'époque  du  premier  épanouissement  de  la  littérature,  le  chant 
populaire,  origine  de  nos  grandes  poésies  héroïques  et  de  nos  épopées 
nationales,  avait  donné  naissance  à  la  poésie  artistique;  ensuite  il 
avait  été  refoulé  par  le  brillant  essor  de  la  poésie  savante,  œuvre  des 

'  •  Les  chansons  des  laïques  dans  le  pays  d'Allemagne  sont  faites  avec  simplicité 
et  mieux  connues  de  tous  que  bien  des  ouvrages  où  l'on  a  mis  beaucoup  d'art  et 
de  travail.  »  Hugo  de  Trimberg,  dans  son  poëme  intitulé  le  Renner.  Vers  11080, 

>  Voy.  Gervinüs,  2,  249. 

14. 


2l2  l.'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

clercs  et  des  chevaliers;  mais  sitôt  que  dans  le  cours  du  quatorzième 
siècle  cette  veine  eut  été  épuisée,  il  se  fit  jour  de  nouveau,  et  révéla 
une  fois  de  plus  la  fécondité  de  son  inspiration  créatrice.  La  poésie 
artistique  aurait  pu  y  trouver  une  mine  féconde  d'idées,  des  sujets 
nouveaux  et  comme  une  nouvelle  vie,  si,  à  ce  moment  même,  le  trou- 
ble violent  survenu  au  commencement  du  seizième  siècle  ne  fût  venu 
interrompre  toute  culture  intellecluelle. 

La  nouvelle  poésie  populaire  se  développa,  dans  les  classes  infé- 
rieures, en  même  temps  que  le  sentiment  de  la  personnalité  et  le 
besoin  de  la  liberté;  elle  n'appartenait  pas  exclusivement  à  telle  ou 
telle  classe  sociale,  mais  à  la  nation  tout  entière.  Ce  qui  était  cher 
et  précieux  au  peuple  de  temps  immémorial  trouva  dans  le  lyrisme 
populaire  une  expression  tantôt  joyeuse,  tantôt  plaintive,  toujours 
pleine  de  simplicité  et  de  fraîcheur;  c'est  justement  sa  forme  dénuée 
d'art  et  toute  naïve  qui  fait  sa  grâce  et  produit  une  impression  si 
profonde.  Sortie  directement  des  sentiments  naturels,  elle  reproduit 
avec  fidélité  l'émotion  immédiate,  sans  y  mêler  rien  d'étranger,  et  avec 
une  sincérité  exempte  de  toute  prétention.  Eu  elle,  tout  est  vu  de  face. 
Elle  n'a  point  de  réminiscence;  nulle  part  elle  ne  nous  montre  le  vague 
horizon,  ni  le  passé  lointain.  Tout  s'y  passe  dans  l'actualité,  tout  y 
respire  la  joie  franche  du  moment  présent,  tout  y  est  personnel;  les 
arbres  et  les  fleurs  ont  un  langage,  ils  consolent,  ils  avertissent,  et 
même  ils  voyagent  '. 

Les  chansons  populaires  étaient  le  trésor  commun  de  la  nation;  on 
les  chantait  aussi  bien  devant  l'Empereur  et  les  princes  que  pendant 
les  danses  champêtres;  "  sous  le  tilleul  du  village,  dans  le  calme  tran- 
quille du  soir  ",  comme  dans  les  gais  repas;  môme  dans  les  saints  asiles 
de  nos  églises,  on  entendait  souvent  retentir  les  mélodies  que  le  peuple 
chantait  dans  ses  réunions  joyeuses.  L'air  et  les  paroles  étaient  insé- 
parablement unis;  la  chanson  n'existait  que  par  cette  union,  il  n'en 
existait  point  qui  fussent  destinées  uniquement  à  la  lecture.  Le  poète 
populaire,  dès  qu'il  avait  composé  quelques  paroles,  les  adaptait 
aussitôt,  soit  à  un  air  nouveau,  soit  à  une  mélodie  déjà  connue  qui 
prêtait  à  ses  simples  vers  leur  vie  et  leur  accent  *.  Le  chant  détermi- 
nait la  durée  de  la  chanson  et  assurait,  pour  ainsi  dire,  la  perpétuité 
de  sa  vie.  Ce  n'était  pas  seulement  par  les  lèvres  que  le  plaisir  du 
chant  se  faisait  sentir;  le  lied  servait  encore  à  accompagner  les  rondes 
joyeuses,  et  le  mouvement  de  la  danse  lui  prêtait  une  poésie  nouvelle. 
Beaucoup  d'anciennes  mélodies  nous  ont  sans  doute  été  conservées 
de  la  sorte  dans  des  danses  rustiques  encore  en  usage  aujourd'hui  '. 

'  Voy.  Gervinus,  1. 11,269-271.  Kurz,  t.  I,  p.  590-592.— Vilmar,  Handbüchlein,i-1. 
*Sur  les  mélodies  populaires,  voy.  Liliencron,  àdiVLS  Y  Appendice,  t.  I,  p.  24. 
^  Voy.  GORRES,  Alldeutsche  Volks  und  Meislerlieder,  t.   XVI  et  XIX.  —  Sur  l'union 


CHANSONS    D'AMOUR.  213 

Les  auteurs  de  ces  chansons  restent  toujours  inconnus.  Tantôt  c'est 
un  joyeux  chasseur  qui  a  «  clianfé  dans  le  bois  ce  qui  résonnait  dans 
son  âme  '  ;  tantôt  c'est  un  l)er{',cr  ((ui  a  «  cause  avec  les  fleurs  >  ;  ce 
sont  des  mineurs  qui,  près  du  vin  frais,  «  ont  trinqué  avec  délices  »  ; 
c'est  un  <'  pieux  chevalier  "  qui  a  rimé  une  chanson  tout  en  parcou- 
rant le  royaume,  ou  bien  c'est  une  «  cenlille  demoiselle  >  toute 
dolente  de  l'absence  de  son  bien-aimé.  La  chanson  populaire  n'est 
pas  l'd'uvre  de  la  -  grande  masse  »,  c'est  la  rêverie  de  quelques  élus 
qui  épanchent  dans  leurs  chants  naïfs  ce  que  le  cœur  leur  envoie. 
«  Ils  ont  moins  inventé  que  trouvé,  à  l'instant  voulu,  l'accent  de  joie 
ou  de  douleur,  de  plainte  ou  d'allégresse  qui  passait  en  ce  moment 
dans  l'âme  de  la  nation.  Ce  qui,  dans  le  lied,  était  digne  de  pénétrer 
le  cd'ur  jusqu'en  ses  fibres  les  plus  profondes,  ce  qui  pouvait  y 
éveiller  non-seulement  une  note  isolée,  mais  toute  une  série  d'ac- 
cords harmonieux,  ce  qui  prêtait  une  forme  à  un  sentiment  vrai,  se 
transmettait  rapidement  de  bouche  en  bouche,  d'âme  à  âme,  et  deve- 
nait comme  la  propriété  indestructible  de  tous.  -  Une  pensée  déplus 
s'était  envolée  d'une  simple  vie  isolée,  et  faisait  désormais  partie  de  la 
grande  vie  universelle  qui  venait  de  l'adopter'.  '  Voilà  pourquoi  nous 
sentons  battre  dans  la  chanson  populaire  le  cœur  même  du  peuple. 
Là  se  manifeste  toute  sa  joie  comme  toute  sa  peine  ;  mais  nous  y  voyons 
surtout  couler  avec  transparence  et  profusion  la  source  de  son  amour. 

Les  chansons  d'amour  surpassent  toutes  les  autres  par  leur  fraî- 
cheur, la  justesse  des  impressions,  l'enjouement  aimable  et  la  sérieuse 
profondeur.  Beaucoup  d'entre  elles  expriment  avec  tant  de  pureté,  de 
modestie,  de  calme,  un  attachement  profond,  que  nous  pouvons  sûre- 
ment les  attribuer  à  des  femmes.  Celles  si  nombreuses  qui  peignent 
le  chagrin  de  la  séparation  sont  d'une  mélancolie  pénétrante.  Citons- 
en  quelques  exemples  : 

«  Mon  cœur  est  bien  affligé,  c'est  l'absence  qui  cause  sa  peine;  mon 
cœur  ne  guérira  jamais,  il  voudrait  mourir  de  sa  souffrance.  Toi  qui  es 
ma  couronne,  il  faut  que  je  te  quitte,  que  je  m'éloigne  de  toi!  Il  faut  que 
je  m'en  aille,  bien  au  delà  de  la  bruyère  -!  ' 

Le  voyageur  s'éloigne,  mais  bientôt  il  s'arrête  pour  écouter  son 
cœur  : 

oLù-haut,  sur  cette  montagne,  j'entends  le  bruit  du  moulin;  il  ne 
moud  que  de  l'amour,  du  malin  jusqu'au  soir;  le  moulin  est  brisé,  notre 

de  la  danse  et  du  chant,  voy.  les  détails  pleins  d'intérêt  donnés  par  Lhland, 
t.  II,  p.  39J-403,  et  les  citations,  p.  471-486. 

'  Voy.  (JORRES,  dans  son  compte  rendu  du  travail  de  Griinm  [Alldeutschen 
Meistergesang) ,  dans  le  Heidelb.  Jahrbuch,  n"'  48,  49,  p.  753-773,  et  Alldeutsche  Volks 
und  Meislerlieder,  t.  XX-XXI. 

-  Weckherli.N,  Beiträge  zur  Geschichte  alldeutscher  Sprache  und  Diclitkunsl,  p.  79. 


214  L'ART    ET    LA   VIE    POPULAIRE. 

amour  est  fini!  Dieu  te  bénisse,  mon  doux  amour!  Pour  moi,  je  m'en  vais 
dans  la  misère  '.  » 

Aller  "  dans  la  misère  ",  cela  signifie  toujours,  dans  nos  chansons 
populaires,  aller  à  l'étranger.  Les  Allemands  d'autrefois  aimaient 
tellement  leur  pays  et  avaient  un  tel  besoin  d'y  vivre,  que  l'existence 
au  loin  leur  apparaissait  comme  un  bannissement  cruel  et  une  épreuve 
amère  -. 

Un  profond  et  calme  regret  d'amour  se  révèle  avec  une  simplicité 
émouvante  dans  le  lied  suivant  : 

a  J'entends  une  faucille  qui  frôle,  qui  frôle  doucement  les  blés;  j'entends 
une  douce  jeune  fille  se  plaindre,  elle  a  perdu  son  amoureux.  0  faucille, 
frôle  encore,  continue  à  frôler  le  blé  avec  ton  bruit  léger!  moi,  je  connais 
une  triste  jeune  fille,  qui  a  perdu  son  amoureux  ^!  " 

Sans  souffrance,  point  d'amour  : 

»  C'est  un  mot  bien  connu  depuis  plus  de  cent  ans  :  celui  qui  n'a  jamais 
connu  la  peine,  comment  peut-il  dire  (ju'il  a  connu  l'amour^?  » 

Tout  chagrin  se  réfugie  vers  Dieu  avec  confiance  : 

a  Mon  cœur  est  bien  affligé.  Que  Dieu  mène  tout  à  bien!  Je  m'éloigne 
d'ici  avec  douleur,  mais  je  vois  ([ue  je  ne  puis  rien  changer  h  mon  sort. 
Que  Dieu  console  les  cœurs  souffrants  ^!  f 

Ces  simples  chants  sont  toujours  en  pleine  harmonie  avec  la  vie  delà 
nature.  La  jeune  fille  aimée  ressemble  à  un  rosier,  elle  est  comparée 
à  la  petite  rose  de  la  bruyère  : 

a  Celui  qui  cueillera  la  petite  rose,  la  petite  rose  de  la  bruyère,  ce  sera 
un  jeune  gars  modeste  et  réservé;  alors  la  tige  sera  toute  dépouillée.  Le 
bon  Dieu  sait  bien  à  qui  je  songe!  Pense  à  moi  comme  je  pense  à  toi, 
petite  rose  sur  la  bruyère  ß!  " 

La  chanson  populaire  fait  sans  cesse  appel  à  la  sympathie  de  la 
nature.  L'été  et  l'hiver,  le  bois  et  la  prairie,  les  feuilles  et  les  fleurs, 
les  oiseaux  et  les  animaux,  l'eau  et  le  vent,  le  soleil,  la  lune  et  l'étoile 
du  matin,  doivent  compatir  aux  souffrances  des  malheureux  ou  par- 
tager la  joie  des  jeunes  cœurs.  Tantôt  la  nature  fait  partie  intégrante 
du  lied;  pensées  et  sentiments  se  confondent  avec  sa  vie.  Tantôt  ses 
images  ferment  l'horizon,  et  servent  de  cadre  ou  de  bordure. 

Aussi  longtemps   que  l'esprit  populaire  allemand  n'eut  pas  été 


'  Uhland,  t.  I,  p.  77.  —  Voy.  t.  II,  p.  446. 

*  Voy.  ViLMVR,  p.  175. 

3  Uhland,  t.  I,  p.  78.  —  Voy.  Vilmar,  p.  191-192. 

*  Voyez-en  la  mélodie  dans  Forkel,  t.  II,  p.  765. 
=  Uhland,  t.  I,  p.  137. 

6/W.,  p.  111-112,  et  t.  II,  p.  450,  545-546. 


CHANSONS    A    BOIRE,    CHANSONS    POLITIQUES.  215 

altéré  et  ai{;ri  par  les  passions  et  les  luttes  reli^jieuses,  il  demeura 
étroilcment  associé  à  toutes  les  choses  du  monde  extérieur.  Dans  sa 
littérature  et  dans  ses  mœurs,  on  sent  Tinfluenee  de  son  commerce 
intime  avec  la  nature.  Des  fêtes  populaires,  renouvelées  tous  les  ans, 
{^ardaient  encore  l'empreinte  du  culte  que  lui  avaient  consacré  les  Ger- 
mains ;  elle  est  mêlée  à  presque  tous  les  symboles,  formules  et  prescrip- 
tions du  droit  allemand;  et  les  arts  mêmes  qui  avaient  {grandi  à  l'in- 
térieur des  cloilres  ou  derrière  les  murs  d'enceinte  des  villes  forlitiées, 
restaient  empreints  de  cet  amour  pour  la  nature,  si  prolondéinent 
implanté  dans  les  cœurs  allemands.  L'architecture  changeait  la  mai- 
son de  pierre  en  un  bois  fleuri,  et  la  peinture,  tandis  qu'elle  donnait 
aux  traits  humains  une  expression  si  élevée,  ouvrait  l'arrière-plau  de 
ses  tableaux  pour  laisser  entrevoir  un  verdoyant  paysage.  Pour  ren- 
dre l'impression  du  bonheur  par  une  image,  nos  poètes  ne  savaient 
rien  trouver  de  mieux  que  la  félicité  infinie  goûtée  dans  la  foret 
ombreuse,  au  milieu  des  champs,  parmi  les  fleurs,  sous  le  tilleul  em- 
baumé où  chante  l'oiseau  des  bois  *.  L'amour  de  la  nature  servait 
comme  de  fond  commun  à  la  vie  intime  et  à  la  poésie,  et  il  n'est  pas 
rare  que  les  chansons  populaires,  dont  le  sens  poétique  est  si  profond, 
soient  également  remarquables  par  une  fine  observation  de  la  nature 
comprise  jusqu'en  ses  plus  délicates  merveilles.  Les  chants  si  connus  : 
«  Le  joyeux  temps  de  l'été  me  réjouit  le  cœur  ",  «  Voulez-vous  enten- 
dre un  conte  nouveau  »?  «  Il  y  a  un  tilleul  dans  cette  vallée,  large  en 
haut,  étroit  en  bas,  où  se  tient  le  rossignol  ",  n'ont  jamais  été  oubliés. 
A  ces  lieder  viennent  se  joindre  les  chansons  de  cavaliers,  de  chas- 
seurs, de  buveurs  :  elles  sont  pleines  d'entrain  et  parfois  d'humour 
malicieuse. 

«  Vin!  vin  du  Rhin,  pur,  fin  et  clair,  ta  couleur  a  un  plus  joli  reflet  que 
le  cristal  et  le  rubis!  Tu  es  un  remède  pour  les  affligés!  A  boire!  Ton 
pouvoir  fait  des  merveilles!  Tu  donnes  de  l'audace  au  timide,  tu  rends  le 
vilain  généreux-!  " 

a  Celui  que  j'aime  entre  tous  est  lié  par  des  anneaux;  il  a  une  robe  de 
bois,  il  rafraîchit  malades  et  bien  portants  :  il  se  nomme  le  vin.  Versez  à 
boire!  ma  voix  aura  de  plus  profonds  accents!  Frère,  vide  ton  verre  en  un 
clin  d'œil  ^l  ■» 


'  Uhland,  t.  II,  p.  13-15.  L'ouvrage  d'Ubland  sur  les  chants  populaires  est  cer- 
tainement l'un  des  plus  beaux  livres  qu'ait  produits  la  littérature  allemande. 
Franz  Pfeiffer  qui  l'a  édité  n'exagère  pas  lorsqu'il  dit  dans  la  préface  qu'on 
n'a  jamais  saisi  avec  autant  de  chaleur  et  d'intelligence,  de  profondeur  et  de 
charme  la  forme  et  la  beauté  de  la  poésie  populaire.  —  Voy.  aussi  le  livre  de 
ViLMAR,  Handbnclilcin.  Schaller,  Briefe  zum  Kosmos,  p.  292.  —  HOLLAND,  Geschichte  der 
Deutschen  Literatur,  155. 

*  Voy.  Holland,  Altdeutsehe  Dichtkunst,  p.  576-577. 

*  Uhland,  t.  I,  p.  584. 


216  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

4  Béni  soit  celui  qui,  pour  la  première  fois,  a  pensé  qu'il  fallait 
diviser  la  monnaie  en  liards!  il  a  eu  là  une  bonne  idée!  Moi,  bien  souvent, 
je  dépense  toute  ma  monnaie,  et  il  ne  me  reste  plus  que  trois  liards  K  ' 

Les  romances  et  les  chansons  qui  appartiennent  au  genre  de  la  bal- 
lade forment  une  série  à  part.  Beaucoup  d'entre  elles,  d'une  poésie 
fraîche,  d'un  sentiment  profond,  peuvent  être  rangées  parmi  ce  que 
les  poètes  populaires  de  tous  les  temps  et  de  tous  les  pays  ont  pro- 
duit de  plus  exquise  Puis  viennent  les  chansons  historiques,  les  cou- 
plets sur  les  guerres,  les  escarmouches,  les  batailles,  les  événements 
contemporains;  chansons  politiques,  armes  d'ironie  et  de  menace 
avec  lesquelles  les  diverses  classes  de  la  société  se  combattaient  réci- 
proquement, comme  souvent  elles  le  faisaient  par  les  armes.  Ainsi, 
dans  la  grande  guerre  entre  les  princes  et  les  cités  (1449),  les  chan- 
sonniers d'Augsbourg  composèrent  cette  satire  rimée  contre  les  pré- 
lats trop  belliqueux  d'alors  : 

s  La  pauvre  commune  ne  sait  plus  ce  qu'elle  fait!  Elle  verse  inutile- 
ment son  sang  dans  la  guerre.  Seigneur,  je  t'en  prie,  prends-nous  sous  ta 
garde,  car  voilà  que  maintenant  les  chefs  qui  gouvernent  la  chrétienté  et 
devraient  honorer  la  sainte  foi  sont  les  premiers  à  combattre.  L'évêque 
de  Mayence  ouvre  la  danse;  je  préférerais  qu'il  chantât  au  chœur  dans  sa 
cathédrale,  ou  f|u'il  veillât  au  bon  ordre  parmi  ses  clercs.  L'évêque  de  Bam- 
berg danse  après  lui;  l'évêque  d'Eichstatt  ne  manque  pas  davantage  à  la 
ronde.  La  guerre  est  devenue  mortelle  pour  l'aumône.  Jadis  les  saints 
Pères  propageaient  la  foi,  convertissaient  de  grands  peuples  au  christia- 
nisme; mais  ceux-ci  détruisent  la  religion.  0  Seigneur,  je  me  plains  à  toi 
de  ce  malheur!  J'ai  entendu  dire  que  les  prophéties  annonçaient  qu'on 
en  viendrait  à  tuer  les  prêtres  '^.  » 

En  réponse  à  cette  chanson,  on  riposta  du  côté  des  princes  par  une 
autre  chanson;  les  cités  y  étaient  accusées  d'avoir  détruit  des  églises 
et  des  monastères,  de  ne  pas  même  avoir  épargné  le  Saint  Sacrement. 
L'orgueil  des  bourgeois,  qui  prétendaient  égaler  le  faste  et  les  riches 
habillements  delà  noblesse,  devenait  intolérable,  disait  la  chanson  : 

s  Ils  croient  que  personne  ne  peut  les  égaler;  ils  se  nomment  le  Saint- 
Empire  romain,  et  ce  ne  sont  que  des  paysans;  ils  se  tenaient  derrière  la 
porte  avec  force  révérences,  autrefois,  quand  passaient  les  princes  qui 
gouvernent  le  pays.  Le  roi  Sigismond  était  fou  en  vérité,  quand  il  a  per- 
mis à  ces  gens  la  trompette  et  le  fifre!  Leur  vanité  en  a  été  enflée;  d'après 
le  bon  usage,  cela  ne  convient  qu'aux  princes.  » 

Pour  conclure,  on  souhaite  aux  nobles  de  réussir  dans  leur  entreprise  : 

'  Holland,  AUdentsclic  Dichikunst,  p.  573. 
^  Voy.  Kurz,  p.  593. 

*  Voy.  sur  ces  prophéties  les  passages  du  livre  de  la  Sibylle  de  lôl5.  Nor- 
DE.NBERG,  Kölnisches  Literatur  Leben,  p.  22-23. 


CHANSONS  CONTRE  LES  AVOCATS.  217 

«Puisse  la  noblesse  avoir  la  victoire,  et  mettre  fin  aux  niaiseries  de  ces 
paysans!  Je  le  souhaite  de  tout  mon  cœur!  Puissent-ils  s'humilier  devant 
les  seigneurs,  et  ne  gagner  à  cette  guerre  que  repentir,  peine  et  cha- 
grin '  !  ' 

Syi'iacus  Spatigenbcrj';  dit  dans  sa  Chronif/ue  de  Mansfelt  (1452)  : 
.  On  rima  et  l'on  clianla  des  chansons  pour  rappeler  aux  autorités 
le  devoir  qu'elles  avaient  de  maintenir  l'équité  dans  le  goiiverne- 
mcnl  ;  on  les  exhortait  à  ne  pas  accorder  trop  de  liberté  et  de  pou- 
voir à  la  noblesse,  à  ne  pas  permet! re  aux  bourgeois  trop  de  luxe 
et  de  magnificence,  h  ne  pas  charger  au  delà  de  toute  mesure 
les  gens  de  la  campagne,  à  tenir  les  routes  en  bon  état  et  à  rendre 
Justice  à  chacun*  ", 

C'était  en  effet  du  manque  de  justice  et  d'équité  qu'on  avait  le  plus 
souvent  à  se  plaindre.  Les  représentants  du  droit  romain  nouvelle- 
ment introduit  s'attiraient  déjà  par  leurs  fiitales  pratiques  la  répro- 
bation populaire.  Dans  une  chanson  satirique  oi^i  les  classes  élevées 
sont  mises  en  accusation,  un  poète  inconnu  se  fait  l'éclio  des  plaintes 
formulées  contre  les  nouveaux  légistes  : 

Il  Depuis  qu'on  a  admis  ce  droit  dans  le  conseil  des  princes,  bien  des 
maux  sont  tombés  sur  le  pays  ".  " 

On  appelait  les  légistes  :  'c  Plieurs  de  droit,  coupeurs  de  bourse, 
sangsues.  " 

t  Partout  aujourd'hui  l'un  trompe  l'outre.  On  toid  et  l'on  fausse  le  droit. 
Le  jugement,  qui  devrait  être  vérilique,  se  vend  maintenant  pour  des  avan- 
tages temporels  et  de  l'argent.  Partout  procès  et  appels.  Et  dans  les  arrêts 
qu'on  prononce,  le  pauvre,  qui  ne  connaît  pas  la  chicane,  est  souvent 
victime...  Ce  qu'autrefois  on  aimait  et  estimait,  aujourd'hui  on  n'en  fait 
plus  de  cas.  Le  vieux  droit  a  été  retourné.  Les  nouvelles  inventions  sont 
aujourd'hui  en  faveur  dans  le  monde  entier,  j 

Voilà  ce  qu'on  lit  dans  un  pamphlet  datant  de  1493,  et  où  les 
princes,  les  Juifs  et  les  légistes  sont  stigmatisés.  Ces  derniers  sont 
menacés  d'une  vigoureuse  expulsion;  les  princes  sont  rappelés  à 
l'ordre  à  cause  de  leur  trafic  avec  les  Juifs  usuriers;  on  les  engage 
à  ne  pas  tant  les  aimer  : 

u  Et  le  plus  grand  mal  encore  de  tout,  c'est  que  les  princes  et  les  sei- 
gneurs s'arrangent  a\ec  les  maudits  Juiisqui  enlèvent  aux  chrétiens  leur 
avoir,  les  mauvais  chiens  qu'ils  sont!  Seigneur  prince,  veux-tu  m'entcn- 

'  LiLiENCRON,  t.  I,  p.  415-419.  —  Voy.  t.  II,  p.  334-338,  les  vers  composés  plus 
lard  contre  les  paysans  de  Nuremberg. 
-  Voy.  LiLiENCRON,  t.  I,  p.  449. 
'  LlLIENCROX,  1. 1,  p.  560. 


218  L'ART    ET    LA   VIE    POPULAIRE. 

dre?  Prends  garde  A  toi!  Ils  te  maudissent  soir  et  matin.  Prince,  comte, 
seigneur,  suis  le  conseil  que  je  te  donne  .-  si  tu  aimes  Dieu,  si  tu  veux 
parvenir  au  paradis,  évite  trois  choses  sur  la  terre  :  ne  t'adonne  pas  à 
l'usure,  n'abaisse  pas  le  droit  jusqu'à  en  faire  ton  serviteur,  ne  t'attache 
pas  aux  Juifs,  ne  leur  donne  pas  ta  confiance  :  ce  sont  les  voleurs  de  ton 
àme  et  les  insulteurs  de  IS'otre-Dame.  ■• 

Les  prêtres  ne  sont  pas  épargnés  non  plus;  surtout  ceux  qui  sont 
nobles,  ne  cherchent  que  les  bénéfices  et  s'adonnent  au  jeu,  à  la  chasse 
et  aux  plaisirs  : 

«  Leur  conduite  nous  afflige  grandement!  Ce  qu'ils  devraient  nous 
défendre,  ils  le  font  toute  la  journée!  11  n'y  a  qu'une  plainte  contre  eux. 
En  vérité,  je  le  déclare,  ils  se  déshonorent  eux-mêmes.  « 

Le  brigandage  de  la  noblesse  est  intolérable,  dit  encore  la  chan- 
son. Les  gentilshommes  semblent  considérer  le  vol  comme  une 
<•  action  honorable  ".  On  va  même  jusqu'à  l'enseigner  '■  comme  on 
enseigne  à  lire  aux  enfants  -.  Cela  n'était  que  trop  vrai.  Werner 
Rolewinck  nous  a  donné  d'amples  détails  sur  la  manière  dont  on 
formait  au  vol,  en  Westphalie,  les  jeunes  gentilshommes  (1478). 
Lorsqu'ils  se  mettaient  en  campagne,  ils  chantaient,  dans  le  patois 
de  leur  pays  : 

t  Volons,  pillons  sans  vergogne  !  Les  meilleurs  du  pays  le  font  bien  !  » 
Les  paysans  ripostaient  à  leur  tour  : 

<•  Prendre,  rouer,  di^coller,  emprisonner,  il  n'y  a  pas  là  de  péché!  Si 
nous  ne  le  faisions,  nous  n'aurions  rien  à  mettre  sous  la  dent  i.  i 

On  donnait  par  dérision  l'instruetion  suivante  aux  jeunes  nobles  : 

<•  Si  tu  veux  te  nourrir,  écoute,  jeune  gentilhomme,  suis  ma  leçon  : 
monte  à  cheval,  mets-tni  en  campagne,  tiens-toi  près  du  bois  vert;  quand 
le  paysan  viendra  abattre  du  fagot,  jette-toi  promptement  sur  lui,  saisis- 
le  par  le  collet;  que  Ion  cœur  se  réjouisse,  car  bientôt  tu  pourras  le  dé- 
pouiller. Dételle  ses  chevaux  gaiement  et  courageusement,  et,  s'il  a  de 
l'argent,  coupe-lui  la  gorge  '-.  s 

Une  autre  chanson  satirique,  soi-disant  chantée  par  le  gentil- 
homme brigand,  réclame  le  pillage  des  marchands  : 

"  Les  marchands  sont  devenus  nobles,  on  s'en  aperçoit  tous  les  jours. 
Eh  bien!  que  les  chevaliers  achèvent  de  les  équiper!  Qu'on  les  dépouille 
de  leur  fourrure  de  martre,  qu'on  les  échaude,  qu'on  les  pille,  ces  bons 
marchands:  Cela  rabattra  un  peu  leur  orgueil  ^!  • 

'^  De  laude  Saxoniœ,  p.  212-214. 
«  Uhland,  t.  I,  p.  339. 
^  Ibid.,  p.  369. 


CHANT    RELIGIEUX.  219 

Les  chansons  satiriques  railleuses  et  dénonciatrices  qui  s'attaquaient 
aux  lirréliqucs  et  leur  reprochaient  de  décliircr  l'unité  de  l'Ej^lise  ', 
é(aicn(  très-répandues  parmi  le  peuple,  coninic  aussi  les  chansons 
conlre  les  Suisses,  qui  voulaient  se  séparer  du  royaume  et  servaient 
les  Français  conlre  l'Empereur  ^ 

Le  lied  élait  passionnément  aimé  du  peuple. 

On  chantait,  "  parce  qu'il  n'y  a  rien  dans  la  vie  qu'un  refrain  fçai, 
parti  du  C(rur,  ne  change  en  joie  ".  Surtout  il  était  d'usaj^e,  dans 
toutes  les  réjouissances  et  divertissements,  de  chauler  leslicder  nou- 
veaux les  plus  gais,  afin  d'empêcher  qu'on  ne  bavarde  et  ne  trinque 
avec  excès  ^  "  Lorsque  deux  ou  trois  personnes  sont  ensemble,  il 
laut  chanter  ",  lit-on  dans  un  livre  de  piété  daté  de  1509.  "  Que  tous 
chantent  pendant  le  travail,  dans  la  maison,  aux  champs,  pendant  la 
prière  et  les  exercices  de  piété,  dans  la  joie  et  la  souffrance,  dans  le 
deuil  et  les  festins.  Oua»d  hi  chanson  est  honnête,  sache  qu'elle  est 
agréable  à  Dieu;  mais  lorsqu'elle  ne  l'est  pas,  tu  pèches  en  la  chan- 
tant; évite  de  le  faire.  Le  chant  qui  se  rapporte  à  la  gloire  de  Dieu 
et  des  saints,  et  qu'on  entend  dans  les  églises  de  tous  les  peuples 
chrétiens,  celui  des  après-midi,  des  dimanches  et  des  jours  de  fête, 
celui  que  chantent  enfants  et  serviteurs  devant  les  digues  pères  de 
famille,  ceux-là  sont  singulièrement  louables,  et  disposent  le  C(Pur  à 
la  joie.  Or  Dieu  aime  un  cœur  joyeux*.  » 


II 


La  poésie  lyrique  est  l'expression  la  plus  profonde,  la  plus  trans- 
parente, la  plus  élevée  de  l'àme  populaire;  semblable  à  la  respira- 
tion et  au  battement  du  pouls,  elle  est  le  témoignage  et  la  mesure  de 
sa'force  et  de  sa  vie  \ 


'  WiMPHKLiNG,  dans  son  livre  De  arte  hnprcssoria,  p.  17,  s'appuie  sur  l(;s  chansons 
si  répandues  parmi  le  peuple  contre  les  liussites  et  les  autres  hérétiques  pour 
prouver  l'esprit  religieux  populaire  de  son  temps.  —  Comparez  aussi  Liliencuon, 
t.  II,  III. 

*  Voy.  WiMPHELiNG,  dans  les  passages  déjà  indiqués.  Le  chroniqueur  suisse 
Anshelm  raconte  que  depuis  1488  les  confédérés,  surtout  à  cause  de  leur  attache- 
ment pour  la  France,  furent  inhumainement  poursuivis  eu  Allemagne  par  des  chan- 
sons grossières,  méprisantes  et  railleuses.  —  Voy.  Gruneisen,  p.  43.  — Liliencron, 
t.  II,  p.  363,  sur  la  rudesse  et  la  vulgarité  des  chants  populaires  à  partir  des 
troubles  du  seizième  siècle.  Voy.  Gervinus,  t.  II,  p.  258,  275-276. 

'  Voy.  ces  passages  dans  GœOEKE,  Gnïndriss  zur  Geschichte  der  deutschen  Dichtung, 
122. 

*  Ein  christlich  crmanuiig  zum  f rumen  leben  (Mayence,  1509). 

*  Voy.  GÖRRES,  Alldeutsche  Volkslieder,  t.  IV-VI. 


2-20  L'ART    ET    LA    ME    POPULAIRE. 

Cette  vie  iulime  s'est  déjà  révélée  à  nous  dans  les  chants  popu- 
laires profanes;  mais  elle  se  manifeste  mieux  encore  dans  les  pieux 
cantiques  qui  alimentaient  la  piété  du  foyer,  et  dans  le  chant  d'église 
qui  se  mêlait  aux  offices  publics  à  l'intérieur  des  temples,  et  servait 
aux  exercices  religieux  du  peuple  assemblé. 

Les  chants  religieux  et  les  cantiques  spirituels  en  langue  vulgaire 
étaient  en  usage  en  Allemagne  dès  le  neuvième  siècle,  et  le  peu  qui 
nous  en  a  été  conservé  met  daus  fout  son  jour  la  piété  naïve,  la  foi 
simple,  fendre  et  robuste  de  nos  ancêtres.  '^  Le  monde  entier  »,  écri- 
vait, en  1148,  le  prévôt  Gerhoh  de  Reichersberg  dans  son  Explica- 
tion des  psaumes,  <■  loue  maintenant  le  Sauveur  daus  des  cantiques 
composés  eu  langue  vulgaire.  L'usage  s'en  est  surtout  répandu 
parmi  les  Allemands,  dont  la  langue  s'ajuste  à  merveille  à  d'harmo- 
nieuses mélodies  K  »  i-  Ouand  nous  quittâmes  les  pays  allemands  », 
écrivait  le  moine  Gottfried,  qui  avait  accompagné  saint  Bernard 
pendant  la  prédication  de  la  croisade,  à  l'évêque  Hermann  de 
Constance  (1146),  "  votre  cantique  ^  Christ,  accorde-nous  ta  grâce  », 
cessa  fout  à  coup,  et  personne  ne  se  trouva  là  pour  continuer  à 
louer  Dieu.  Sachez  que  le  peuple  romain  n'a  point,  comme  vos 
compatriotes,  de  chants  qui  lui  soient  propres,  et  par  lesquels  il 
puisse  témoigner  à  Dieu  sa  reconnaissance  pour  chacun  de  ses  bien- 
faits -.  " 

A  partir  du  douzième  siècle,  les  documents  abondent  sur  les  can- 
tiques allemands  chantés  pendant  le  service  divin,  les  processions, 
les  pèlerinages,  la  représentation  des  mystères  et  autres  saintes 
circonstances  ^  On  les  chantait  nîême  pendant  le  combat,  et  si 
les  chevaliers  de  l'ordre  Teutonique  entonnèrent  le  cantique  "  Le 
Christ  est  ressuscité  »  dans  la  sanglante  bataille  de  Tannenberg 
(1410),  dès  1167,  l'armée  allemande  avait  chanté  «  Jésus,  foi  qui  es 
né  d'une  Vierge  »,  pendant  la  bataille  de  Tusculum,  et  tandis  que 
l'archevêque  Christian,  de  Mayence,  s'élançait  dans  la  mêlée,  sa 
bannière  à  la  main.  Le  cantique  avant  la  prédication,  «  Viens,  Esprit- 
Saint  »  ;  celui  de  Noël,  "  Un  beau  petit  enfant  nous  est  né  »  ;  celui  de 
Pâques,  "  Jésus-Christ  est  ressuscité,  le  premier  d'entre  tous  les  mar- 
tyrs »;  le  chant  de  l'Ascension,  ^-  Jésus-Christ  s'est  élevé  au  Ciel  »; 
celui  de  la  Pentecôte,  -  Prions  maintenant  le  Saint-Esprit  »,  étaient 
depuis  le  treizième  siècle  sur  les  lèvres  de  tous  les  fidèles.  Frère  Ber- 
thold,  célèbre  prédicateur  (f  1272),  fait  dans  un  de  ses  sermons 
l'éioge  du  cantique  de  la  Pentecôte  :  C'est  un  très-beau  cantique, 
dit-il;  chantez-le  d'autant  plus  volontiers  que  vous  le  chanterez  plus 

'  Voy.  Hoffmann,  Kirchenlied,  p.  41. 

*  Beniaidi  Opp  ,  éd.  Mabilion,  t.  II,  p.  1197.  —  Voy.  Baumker,  p.  125. 

^  Voy.  Hoffmann,  p.  42,  48.  —  Koberstein,  t.  I,  p.  230-346. 


CHANT    KEI.KMEUX.  221 

souvent;  chan(cz-Ic  de  (ouïe  votre  âme,  qu'il  vous  aide  à  appeler 
Dieu  à  votre  secours;  celui  qui  Ta  composé  était  un  homme  sajje;  il 
a  l'ait  là  une  bonne  et  utile  trouvaille.  »  Bertiiold  conseille  ensuite  à 
ses  auditeurs  d'en  composer  de  semblables,  s'ils  en  ont  le  talent  '. 
Dans  une  des  strophes  du  cantique  pascal,  attribué  au  curé  Conrad 
de  Oueinfurt  (f  1382),  on  lit  : 

«  Fnilcs  résonner  vos  accords  clairs  et  doux,  vous,  fidèles,  dans  la  nef, 
vous,  |)r^lres,  dans  le  chœur!  répétez  encore  voire  cantique,  chantez  ;\ 
pleine  voix  :  «  Le  Christ  s'est  affranchi  aujourd'hui  des  liens  de  la 
mort  -!  1 

Jean  de  Salzbourg-,  moine  bénédictin,  fut  au  quatorzième  siècle 
le  plus  zélé  propap,ateur  des  cantiques  spirituels;  il  traduisit  en  alle- 
mand un  nombre  considérable  des  meilleures  hymnes  de  l'ancienne 
liturgie,  et  composa  quelques  cantiques  empreints  d'une  piété  pro- 
fonde, qu'il  mit  en  musique  avec  le  concours  d'un  prêtre  séculier. 
L'air,  le  "  ton  ^  de  beaucoup  de  ces  cantiques  se  conserva;  et  sur  ces 
anciennes  mélodies  on  composa  et  l'on  chanta  de  nouveaux  canti- 
ques qui  étaient  encore  d'un  usage  fréquent  vers  la  fin  du  moyeu 
âge  ». 

Au  quinzième  siècle,  le  prêtre  Henri  de  Laufenberg,  entré  en 
1415  au  cloître  de  Saint -Jean,  à  Strasbourg,  tenta  d'adapter  la 
musique  profane  aux  cantiques  spirituels,  et  transforma  en  chants 
pieux  les  chansons  préférées  du  peuple. 

Le  quinzième  siècle  fut  l'époque  la  plus  favorable  au  dévelop- 
pement du  cantique.  Les  essais  de  réforme  qui  avaient  été  tentés  à 
l'intérieur  de  l'Église,  le  nouvel  épanouissement  de  la  piété,  les 
innombrables  Bibles  allemandes  et  livres  d'édification  mis  pour  la 
première  fois  entre  les  mains  de  tous,  exercèrent  tout  naturellement 
une  grande  influence  sur  le  chant  religieux.  Les  luttes  religieuses 
elles-mêmes  secondèrent  ce  progrès,  car  pour  combattre  les  héré- 
tiques qui  cherchaient  à  propager  leur  doctrine  par  des  cantiques, 
on  se  servit  des  mêmes  armes  qu'eux.  Les  cantiques  des  diverses 
contrées  allemandes  qui  n'avaient  jusque-là  existé  que  dans  les  mé- 
moires devinrent,  à  partir  de  la  découverte  de  l'imprimerie,  le  trésor 
commun  de  tous  les  chrétiens;  les  fidèles  les  savaient  par  cœur; 
de  1470  à  1518,  on  en  connaît  plus  de  trente  recueils  imprimés  en 
langue  vulgaire,  abstraction  faite  de  beaucoup  d'autres,  sans  indica- 
tion précise  de  date  et  de  lieu;  ils  contiennent  la  traduction  des 
chants  liturgiques,  des  offices,  des  hymnes  de  l'Église,  des  psaumes 

Voy.  Holland,  Alldeutsche  Dichtkunst,  p.  418-419. 
*  Voy.  KOBERSTEIN,  t.  I,  p.  346.  ^ 

'  Pour  plus  de  détails,  voy.  Holl\nd,  p.  420-423. 


222  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

de  la  pénitence;  ou  bien  ce  sont  de  pieux  traités  accompagnés  de 
cantiques  '. 

«  Les  papistes,  dit  Luther,  dans  un  de  ses  sermons,  ont  autrefois 
composé  de  beaux  cantiques,  par  exemple  :  «  0  toi  qui  as  brisé  l'en- 
fer et  vaincu  l'exécrable  démon  -  ;  ou  bien  "  Le  Christ  est  ressus- 
cité, le  premier  d'entre  tous  les  martyrs  ».  Ils  semblaient  vrai- 
ment partir  du  cœur.  A  Noël,  ou  chantait  :  i--  un  beau  petit  enfant 
nous  est  né  aujourd'hui  ";  à  la  Pentecôte:  "  Prions  maintenant  le 
Saint-Esprit  >;  pendant  la  messe  on  entendait  le  beau  cantique  : 
"  Dieu  saint,  sois  loué  et  béni,  toi  qui  nous  as  nourris  de  ta  propre 
substance  -  !  ■ 

Plus,  durant  les  quatorzième  et  quinzième  siècles,  le  chant  popu- 
laire profane  ou  spirituel  s'était  perfectionné,  plus  aussi  la  mélodie 
populaire  proprement  dite  s'était  développée.  Les  musiciens  de  pro- 
fession sentirent  leur  émulation  s'éveiller  %  et  s'efforcèrent  de  mo- 
duler savamment  ces  effusions  directes  de  la  poésie  nationale.  C'est 
par  centaines  que  nous  possédons  les  admirables  cantiques  adaptés 
à  ces  inimitables  mélodies  ^  Les  chants  d'Église  à  quatre  voix,  édités 
par  Erhard  OEglin  avec  un  soin  d'artiste  si  minutieux,  marquent  le 
grand  progrès  accompli  dans  le  cours  du  siècle,  et  montrent  avec 
quelle  aisance  les  musiciens  étaient  arrivés  à  composer  des  chants  à 
plusieurs  voix.  Dans  ces  compositions,  la  mélodie  populaire  primitive 
"  joue  le  rôle  de  note  tenue,  dans  des  strophes  séparées  par  des 
pauses.  La  phrase  primitive  est  tout  entourée  de  voix  qui,  autour 
d'elle,  composent  une  symphonie  en  contre-point.  Elle  rappelle  la 
sainte  image  qui,  dans  les  autels  en  bois  sculpté  du  moyen  âge,  forme 
le  sujet  principal,  et  que  nos  artistes  environnaient  de  tant  de  per- 
sonnages secondaires  \  " 

Ces  cantiques,  dont  la  beauté  a  été  à  peine  surpassée  de  nos  jours, 
pourraient  à  eux  seuls  former  un  ensemble  complet  de  doctrine  reli- 
gieuse. Leur  piété  simple  et  solide  nous  offre  sans  cesse  Jésus-Christ 
comme  principe  et  fin  de   tout  salut.  Que  de  chants  d'un  senti- 

'  Voy.  Wackernagel,  p.  807;  voyez-en  le  catalogue  dans  Meister,  36-39. 

^Luthers  Sämvulkhc  Werke.  Édit.  de  Francfort,  vol.  V,  p.  23.  Contre  l'affirma- 
tion de  Cawerau  que  ses  cantiques  n'étaient  point  chantés  dans  l'église,  voy.  ma 
Lrochure  Ames  critiques,  p.  61-62.  Plus  de  la  moitié  des  chants  attribués  à  Luther 
ont  une  origine  plus  ancienne  et  ont  été  seulement  remaniés  par  lui,  c'est-à-dire 
adaptés  à  la  nouvelle  doctrine;  d'autres  ne  sont  que  des  traductions  d'hymnes 
latines  et  de  psaumes;  très-peu  sont  vraiment  de  sa  composition.  Il  transporta 
aussi  dans  la  nouvelle  église  les  mélodies  de  nos  anciens  chants  d'église;  il  est 
très-douteux  qu'il  ait  composé  lui-même  une  seule  des  mélodies  qui  lui  sont 
attribuées.  —  Voy.  Meister,  p.  16,  30,  et  Baumker,  p.  138,  154. 

'  Voy.  ci-dessus. 

*  Voy.  Arnold,  p.  20-60,  165-170. 

5  Ambros,  p.  368. 


CANTIQUES.    NOELS.  223 

nient  fondre  cl  délicat  savent  aussi  louer  avec  f/,ràce  la  Mère  de  Dieu 
et  les  saiuls!  Mais  les  plus  prolonds  et  les  plus  élevés  sont  consacrés 
au  Sauveur;  ils  sont  d'une  tendresse,  d'une  pureté  incomparables,  et 
ce  qui  en  fait  l'immuable  fond,  c'est  toujours  une  pensée  analogue 
à  celle-ci  : 

"  Au  milieu  du  temps  de  notre  vie,  nous  sommes  environnés  par  la 
mort  :  qui  cherchons-nous  donc  ici-bas,  qui  peut  nous  aider,  qui  pourra 
nous  obtenir  miséricorde,  si  ce  n'est  loi,  Seigneur,  toi  seul,  que  nos 
fautes  ont  justement  irrité  '  !  « 

Ils  expriment  aussi  la  sainte  allégresse  d'une  foi  pleine  de  con- 
fiance : 

"  Jésus,  consolateur  du  pécheur,  celui  qui  te  cherche  sera  délivré, 
celui  (|ui  te  prie  sera  protégé,  pourvu  qu'il  ne  cherche  que  loi  seul!  O 
Jésus!  douce  fontaine  du  cœur!  Ton  éclat  est  plus  brillanl  que  celui  du 
soleil,  ta  bonté  chasse  toute  peine  et  fait  oublier  toute  la  vanité  du  monde. 
Aucune  langue  ne  peut  dire,  aucun  livre  n'imaginera  jamais,  l'homme 
éprouvé  peut  seul  savoir  ce  que  c'est  que  d'aimer  Jésus  -.  » 

"  Si  je  sacrifiais  ma  jeune  vie  pour  Dieu,  mon  Créateur,  il  me  donnerait 
son  royaume  éternel  en  échange.  Et  que  pourrait-il  m'arriver  de  plus 
heureux?  Il  a  souffert  pour  nous  une  mort  cruelle  et  amère,  il  a  combattu 
comme  un  vaillant  chevalier,  il  a  abandonné  sa  royauté  pour  nous  tirer 
de  la  misère.  S'il  me  fallait  renoncer  au  monde,  je  ne  m'en  soucierais 
guère!  Je  me  tournerais  alors  entièrement  vers  Jésus-Christ  seul  ^.  i 

Mais  c'est  dans  les  noëls  que  l'esprit  si  profondément  religieux  du 
quinzième  siècle  s'exprime  avec  le  plus  de  grâce  et  de  pureté.  Leur 
naïveté  aimable,  leur  simplicité  émouvante,  ne  seront  jamais  égalées 
par  l'art  le  plus  raffinée  Cela  est  surtout  vrai  des  cantiques  sur  la 
fuite  et  le  séjour  en  Egypte.  Nous  possédons  environ  cent  de  ces 
noëls  ^  au  nombre  desquels  se  trouve  celui  qui  est  le  plus  répandu 
et  nous  charme  autant  par  sa  mélodie  que  par  ses  paroles  : 

ï  Un  rameau  est  issu  d'une  racine  délicate.  Il  sortait  de  Jessé,  comme 
nos  pères  l'ont  chanté.  Au  milieu  du  rude  hiver,  vers  le  milieu  de  la  nuit, 
il  a  produit  une  petite  fleur.  » 

Parmi  les  créatures,  le  plus  grand  et  le  plus  bel  éloge  appartient  à 

*  Ph.  Wackernagel,  p.  750. 

*  Traduction  d'un  cantique  très-répandu  de  saint  Bernard,  tiré  d'un  manuscrit 
de  Cologne  (1460,.  — Hoffmann,  Kirchenlied,  p.  310-3!2.  Ph.  Waokernagel,  p.  629, 
note. 

*Tiré  d'un  manuscrit  de  Ratisbonne,  du  commencement  du  seizième  siècle, 
Uhland,  1. 1,  p.  866. 

*  Ainsi  que  le  dit  Hoffmann,  Niederl.  geistl.  Lieder,  p.  3-5. 

»Meister,  p.  145-273.  —  Phil.  Wackernagel,  631-632,  698-703,  711.  —  Hoffmann, 
Kirchenlied,^.  165. 


224  L'AllT    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

la  Vierge  Mère.  Elle  est  vénérée  comme  Tabrégé  de  toutes  les  vertus; 
elle  est  invoquée  comme  notre  continuelle  et  puissante  avocate 
auprès  du  Sauveur  : 

1  J'ai  choisi  pour  l'objet  de  mon  amour  une  tendre  jeune  fiile.  Elle  est 
de  haute  naissance,  elle  est  la  joie  de  mon  cœur  !  Depuis  des  milliers  d'an- 
nées, on  a  bien  parlé  d'elle!  Elle  est  de  grande  noblesse,  elle  est  d'illustre 
origine!  Elle  est  comme  un  jardin  joyeux,  plein  de  merveilleuses  fleurs. 
Ma  tristesse  a  cessé  dès  que  je  l'ai  aperçue.  Elle  est  la  couronne  des 
femmes,  la  guirlande  des  vierges.  Elle  est  la  récompense  des  anges,  elle  est 
l'éclat  du  ciel!  —  Isi  le  soleil  ni  la  lune  ne  peuvent  lui  èire  comparés  '.  » 

Ce  qui  domine  dans  tous  ces  cantiques  pieux,  c'est  Jésus-Christ, 
considéré  non -seulement  comme  Époux  de  l'Église,  mais  encore 
comme  celui  de  toute  âme  fidèle.  Cette  pensée  s'y  retrouve  sans  cesse, 
elle  est  développée  sous  tous  ses  aspects  ^  L'aimable  allégorie  de  la 
strophe  suivante  en  est  une  forme  gracieuse  : 

Nous  allons  bâtir  une  petite  maison, 
Un  pelit  cloître  pour  notre  âme. 
Jésus-Christ  en  sera  le  Maître, 
La  Vierge  Marie  la  ménagère, 
La  crainte  de  Dieu  la  portière. 
L'amour  de  Dieu  le  sommelier; 
L'humilité  y  habitera. 
Et  la  sagesse  tiendra  tout  sous  clef  ^. 

Le  désh'  du  ciel,  véritable  nostalgie  du  chrétien,  ne  s'exprime  nulle 
part  plus  fidèlement  que  dans  le  cantique  populaire  suivant  : 

c  Je  voudrais  être  dans  mon  pays  et  dépouillé  de  toutes  les  consola- 
tions du  monde.  Je  veux  parler  de  mon  pays  du  ciel!  L;\  je  contemple- 
rai Dieu  éternellement.  Allons,  mon  àme,  prépare-toi!  La  troupe  des 
anges  t'attend.  Le  monde  entier  est  trop  étroit  pour  toi.  Dans  ma  vraie 
patrie,  la  vie  ne  connaît  pns  la  mort,  la  joie  est  sans  chagrin,  la  santé 
sans  souffrance,  le  bonheur  dure  aujourd'hui  et  durera  toujours.  Là, 
mille  années  sont  comme  un  jour,  et  l'on  ne  connaît  aucun  chagrin. 
Allons,  mon  cœur!  allons,  mon  âme,  cherche  le  bien  suprême!  Ce  qui 
n'est  pas  du  ciel,  n'en  fais  aucun  cas,  et  pense  toujours  à  ta  vraie  patrie: 
Tu  sais  bien  qu'il  te  faudra  partir  d'ici,  que  ce  soit  aujourd'hui  ou 
demain!  Puisqu'il  n'en  peut  être  autrement,  maud.t  le  faux  éclat  du 
monde!  Pleure  tes  péchés,  améliore-toi  comme  si  tu  partais  demain  pour 
le  paradis.  Adieu,  monde!  Que  Dieu  te  bénissse!  Je  pars  pour  le  ciel  ^!» 

Les  cantiques  allemands  chantés  par  le  peuple  n'appartenaient 
pas  plus  qu'aujourd'hui  aux  offices  religieux  proprement  dits.  Mais 

'  Tiré  d'un  manuscrit  de  Stuttgard  (quinzième  siècle).  Uhland.  I,  842-844. 
'  Voy.  Hoffmann,  Geistliche  Lieder,  p.  6. 

'  Tiré  d'un  manuscrit  du  quinzième  siècle  de  Vienne.  Uhland,  t.  I,  p.  864. 
*  Voy.  Ph.  Wackernagel,  p.  C31.  —  Uhland,  p.  868. 


I 


OR^(;I^f^:  du  drame  ueligikux.  225 

ils  prirent  peu  à  peu,  par  le  lonjj  usage  qu'on  eu  avail  l'ait  à  Tiiite- 
rieur  des  éf;liscs  et  au  dehors,  un  certain  caractère  lilurjyique  \ 
ElTusious  d'une  foi  sincère  et  tendre,  ils  étaient  en  même  temps  un 
puissant  moyen  de  raviver  sans  cesse  la  fol  populaire;  [jrAce  à  eux, 
les  fidèles  participaient  au  culte  d'une  double  manière:  par  la  prière 
et  par  le  clianl.  Les  cantiques  allemands  élaient  en  usajjc  durant  les 
pèlerinages,  les  processions,  aux  principales  fêtes  de  l'année,  pen- 
dant la  représenlation  des  mystères,  aux  consécrations  d'églises, 
aux  fêtes  des  saints,  avant  et  après  le  sermon,  à  la  suite  des  proses 
liturgiques  de  la  messe,  enfin  aux  offices  de  l'après-midi  et  du  soir. 
C'est  donc  avec  raison  que  Philippe  .Mélanchthon,  dans  son  apologie 
de  la  confession  d'Augsbourg,  déclarait  que  l'usage  des  cantiques  en 
langue  vulgaire  <-  avait  toujours  été  tenu  pour  louable  dans  l'Kglise  *  'i . 
"  Nul  peuple  de  la  chrétienté  ne  pouvait  se  vanter  de  posséder  un 
témoignage  plus  poétique  de  sa  foi,  un  plus  beau  trésor  de  cantiques 
spirituels'  ",  que  le  peuple  allemand  au  commencement  du  seizième 
siècle. 


111 


Le  drame  spirituel,  comme  le  chant  religieux,  sortit  à  la  fois  du 
culte  liturgique  et  de  la  fraîche  et  saine  vitalité  populaire.  Si  l'on 
entre  bien  dans  l'esprit  de  ces  représentations  et  qu'on  se  rende  un 
compte  exact  de  l'action  qu'elles  exerçaient  sur  les  âmes,  on  connaî- 
tra à  fond  une  grande  partie  de  ce  qui  constituait  à  cette  époque  la 
culture  intellectuelle  du  peuple. 

Depuis  les  temps  les  plus  anciens,  le  service  divin,  en  se  dévelop- 
pant, avait  pris  de  plus  en  plus  la  forme  symbolique  d'un  drame  litur- 
gique. Le  centre  de  tout  le  culte,  la  sainte  messe,  est  en  elle-même 
une  commémoration  dramatique,  un  renouvellement  non  sanglant 
du  sacrifice  du  Golgotha,  c'est-à-dire  de  la  plus  sublime  et  de  la  plus 
sainte  tragédie  qu'il  soit  possible  de  concevoir.  Toutes  ses  parties 
développent  graduellement  le  drame  auguste  de  l'immolation  divine; 
il  se  déroule  en  cinq  actes,  si  l'on  peut  ainsi  parler,  devant  les  fidèles 


'  Voy.  Hoffmann,  p,  192-193.  —  Voy.  Biumker,  p.  128-129,  qui  prouve  avec  évi- 
dence que  pendant  tout  le  moyen  âge  le  cliant  grégorien  latin  fut  seul  chanté  dans 
les  églises,  et  que  les  évéques  veillaient  avec  soin  à  ce  qu'il  fût  intégralement 
conservé. 

*  Voy.  Jacob,  p.  366-368.  —  Meister,  p.  13-16.  —  Baumkeu,  p.  130-137. 

'  C'est  l'aveu  de  Pli.  W;tckernagel,  malgré  ses  préjugés  protestants.  —  Voy.  : 
A  mes  critiques,  p.  62. 

15 


2j6  L'AUT    et    la    vie    POPULAIRE. 

qui  rotfrent  et  y  participent  avec  le  prêtre,  et  leur  fait  successive- 
ment parcourir  toute  la  gamme  des  sentiments  religieux  '.  Aussi 
la  mes<e  est-elle  tout  naturellement  devenue  le  texte  de  nos  grands 
compositeurs  de  musique  sacrée.  Pendant  la  grand'messe,  prêtre, 
lévites  et  assistants  sont  en  communication  continuelle.  Ils  se 
parlent,  ils  se  répondent.  Tous  les  détails  du  culte  sont  symboliques: 
la  couleur,  la  forme  des  vêtements  sacerdotaux,  rornementatiou  des 
autels,  et  jusqu'à  la  pensée  qui  a  présidé  à  la  structure  du  saint  édi- 
fice. Les  vêpres  aussi,  avec  leurs  antiennes  et  leurs  répons,  établis- 
sent un  continuel  dialogue  entre  le  prêtre  et  les  fidèles.  Les  proces- 
sions solennelles  d'autrefois,  suivies  par  les  Ordres  religieux  et  le 
clergé  séculier  en  costumes  si  variés,  les  corporations  et  les  confré- 
ries en  habits  de  fête,  les  cierges,  les  bannières  flottantes,  tout  com- 
posait déjà  une  sorte  de  représentation  ^cénique. 

A  côté  des  éléments  dramatiques  qui  existaient  déjà  dans  le 
développement  régulier  du  culte,  les  premiers  germes  du  véritable 
drame  spirituel  ne  tardèrent  pas  à  se  luoutrer.  L'initiative  du  clergé 
les  fit  éclore,  et  c'est  sous  sa  direction  que  furent  représentés,  soit 
dans  nos  églises,  soit  dans  les  cimetières  ou  les  cloîtres,  les  pre- 
miers essais  des  Mystères,  destinés  à  instruire  et  à  édifier  le  peuple. 

Mais  il  faut  en  chercher  la  véritable  origine  dans  ces  rites  sym- 
boliques qui,  dès  la  plus  haute  antiquité  chrétienne,  ont  été  en 
usage  pour  la  célébration  de  nos  grandes  fêtes.  A  >i'oël,  par 
exemple,  on  a  toujours  représenté  la  Crèche,  l'Enfant  Jésus,  sa 
sainte  Mère;  le  vendredi  saint,  on  ensevelissait  solennellement  un 
crucifix  qu'on  venait  relever  en  grande  pompe  à  l'aube  de  Pâques. 
A  ces  premiers  essais  se  joignit  bientôt  la  récitation  de  versets 
bibliques  expliquant  la  fête,  puis  des  proses,  des  hymnes  liturgiques, 
de  saintes  légendes.  On  y  mêla  plus  tard  des  allusions  aux  événe- 
ments actuels;  enfin  l'élément  comique  vint  s'y  mêler,  se  rappor- 
tant plus  ou  moins  à  quelque  trait  du  mystère  représenté^. 

Vers  la  fin  du  moyen  âge,  on  était  en  possession  de  drames  reli- 
gieux appropriés  à  toutes  les  fêtes  du  Sauveur,  depuis  Noël  jusqu'à 
l'Ascension;  mais  l'histoire  de  la  Passion,  surtout  dans  les  représen- 
tations de  Pâques,  restait  le  thème  préféré  du  public.  Aussi  prenait- 
on  un  soin  particulier  pour  l'entourer  de  magnificence,  s'efforçant 


'  Voy.  Guido  GÖRRES,  Das  iheater  im  MitUlalter,  dans  la  Histor.  und  pol.  Blät.,  p.  6,  9, 
37.  Görres  a  le  mérite  d'avoir  le  premier  attiré  l'atteation  des  érudits  sur  l'an- 
cien art  dramatique  allemand.  —  Voy.  ^ur  ce  sujet  les  travaux  si  approfondis  de 
MoNE  (1841-1846),  d'HoFFM.vw  von  Falters,  de  Leben,  de  Pichler,  de  Vi'einhold  et 
de  Hase. 

*  Voy.  Wilken,  über  die  kritische  Bthandlung  der  geistlichen  Spiele  (Halle,  1873, 
p.  7-101. 


LES    MYSTÈRES.  227 

(oii.joiirs  d;ivaii(a(je  d'y  représenter  l'histoire  de  la  Rédemption  dans 
(ont  son  vaste  développement  historique.  Le  mystère  commençait 
{»énéralcmcnt  par  la  chute  de  Lucifer  et  de  ses  anp,es;  venaient 
ensuilc  le  paradis  terrestre,  le  bannissement  d'Adam  et  Kve,  et 
l'arbre  de  la  science  opposé  à  l'arbre  de  la  croix.  Set  h  est  envoyé 
par  Adam  mourant  au  paradis  terrestre  afin  d'y  chercher,  pour 
la  {]?uérison  de  son  père,  un  fruit  de  l'arbre  de  vie.  Le  chérubin  qui 
en  (jardc  la  porte  lui  en  donne  un  rameau  qui  doit  rendre  la  santé  à 
Adam  et  lui  oblenir  la  vie  éternelle;  mais  Adam  est  mort  dans  l'inter- 
valle, et  Seth  plante  sur  sa  tombe  ce  rameau  sacré,  d'oiinailra  un 
jour  l'ai'brc  de  la  croix.  Comme  prélude  à  la  grande  épopée  chré- 
tienne, les  prophètes  sont  introduits,  ainsi  que  les  païens  qui  ont 
pressenti  et  annoncé  le  Christ,  tels  que  Virp,ile  et  les  Sibylles.  Puis 
viennent  des  scènes  isolées  de  la  vie  du  Sauveur,  quelques-uns  de 
ses  miracles,  la  guérison  de  l'aveugle-né,  la  résurrection  de  Lazare, 
témoignages  saisissants  de  la  puissance  infinie  de  Celui  qui  dispense 
la  lumière  et  la  vie.  Ensuite  se  développe  toute  la  tragédie  de  la  Pas- 
sion; puis  la  Résurrection,  l'Ascension;  souvent  même,  le  mystère 
s'étendait  jusqu'au  Jugement  dernier  '.  Comme  l'épopée,  le  drame 
chrétien  est  essentiellement  tragique;  comme  la  théologie  chrétienne, 
il  voit  dans  l'histoire  du  monde  une  vaste  tragédie,  dont  le  Jugement 
dernier  est  le  suprême  dénoihnent  -. 

En  dehors  des  drames  religieux  qui  se  rapportent  directement  au 
Sauveur  et  forment  le  cycle  principal,  on  jouait  de  nombreux 
mystères  sur  la  vie  de  la  Sainte  Vierge,  ils  étaient  représentés  soit 
isolément  (comme  le  mystère  si  touchant  des  Lamentations  de  Marie), 
soit  rattachés  à  ceux  du  premier  cycle.  On  composait  aussi  d'autres 
mystères  sur  les  légendes  des  saints,  les  paraboles,  l'Antéchrist,  le 
Jugement  dernier;  l'un  des  plus  remarquables  parmi  ces  derniers 
est  le  mystère  de  Tegernsé,  intitulé  :  De  l'avènement  et  de  ta  chute  de 
l'Aulec/irist.  C'est  le  plus  ancien  drame  d'origine  allemande  que  nous 
possédions,  et  l'un  des  plus  grandioses  et  des  plus  riches  en  dévelop- 
pements qu'ait  produits  l'art  dramatique  au  moyen  âge.  Il  a  un  intérêt 
non-seulement  religieux,  mais  politique;  car  le  poëte  a  établi  des 
rapprochements  entre  l'Antéchrist,  les  princes  de  la  chrétienté  et 
leur  chef  suprême,  "  l'empereur  romain  de  nation  allemande  «. 
Ce  mystère  semble  avoir  été  fréquemment  représenté  pendant  le 
quinzième  siècle  ^ 

>  Hase,  p.  15-20.  —  Wilken,  p.  63-130. 

*  Voy.  IMo.NE,  Alldeutsche  Schauspiele,  p.  16,  et  Schnuspide  des  Millclallcrs,  t.  I,  p.  336- 
337. 

^  A  Xanten,  d  après  le  témoignage  du  chanoine  Pelz,  le  grand  drame  de  X'Anic- 
ehriti,  traduit  du  latin,  fut  représenté  deux  fois,  en  1473  et  1481. 

15. 


2-28  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

Des  personnages  allégoriques  ouvrent  le  drame  :  on  assiste  d'abord 
à  la  lutte  du  paganisme  avec  la  synagogue;  puis  l'Église  parait  :  elle 
est  accompagnée  de  la  Miséricorde,  tenant  à  la  main  une  branche 
d'olivier,  et  de  la  Justice,  portant  le  glaive  et  la  balance.  A  sa  droite, 
se  tient  le  Pape  avec  tout  son  clergé;  à  sa  gauche,  l'Empereur, 
ses  hommes  d'armes  et  plusieurs  souverains.  L'Empereur  ordonne 
aux  rois  de  lui  rendre  hommage,  "  car,  ainsi  que  les  historiens  l'ont 
rapporté,  le  monde  entier  est  tributaire  de  Tempire  romain  ".  La 
bravoure  des  ancêtres  avait  établi  cet  ordre  de  choses,  mais  l'incapa- 
cité de  leurs  descendants  l'a  détruit;  ils  ont  laissé  tomber  en  désué- 
tude la  puissance  de  l'empire;  l'Empereur  actuel  prétend  bien  la  réta- 
blir, et  tous  les  souverains  doivent  lui  payer  le  tribut  autrefois  exigé. 
Les  rois  de  Grèce  et  de  Jérusalem  s'inclinent  devant  sa  tou(e-puis- 
sance,  mais  le  roi  de  France  résiste  audacieusement;  il  est  vaincu 
dans  un  combat  et  réduit  au  rôle  de  vassal.  L'Empereur,  chef  reconnu 
de  la  chrétienté,  triomphe  ensuite  du  roi  de  Babylone,  allié  des 
païens,  et  vient  déposer  sa  couronne  et  son  sceptre  dans  le  temple 
de  Jérusalem,  en  chantant  : 

tt  Prends  ce  que  je  viens  l'offrir,  reçois-le  avec  complaisance  !  Roi  des 
rois,  l'empire  est  à  toi!  Nous  ne  sommes  souverains  que  par  ta  grâce; 
toi  seul  diriges  l'univers!  » 

Pendant  ce  temps,  grandit  à  Jérusalem  l'ennemi  le  plus  redou- 
table de  la  chrétienté  :  l'Antéchrist  s'avance,  entouré  de  l'Hypocri- 
sie  et   de   l'Hérésie.   «  Oue  mou  œuvre  soit  fondée  sur  vous,  dit-il 
en  se   tournant    vers  elles;  c'est  par    vous  que  grandira  l'œuvre 
que  je    médite;     toi,   élève  l'édifice;    toi,   anéantis  le    clergé.    » 
L'hypocrisie  et  l'hérésie  s'y  déclarent  préparées.  «  Depuis  long- 
temps  la  sainte   religion   chancelle,    disent-elles;   la   vanité   s'est 
emparée  de  la  mère  Église.  A  quoi  bon  les  dépenses  de   tous  ce.^ 
prêtres  somptueusement  vêtus?  Dieu  n'aime  pas  les  prélats  mon- 
dains. Monte  jusqu'au  sommet  de  la  puissance  !  Grâce  à  notre  utile 
secours,   le  monde   entier  t'appartiendra.  Nous   l'avons  rendu  les 
laïques  favorables;  par  toi  l'enseignement  des  prêtres  sera  détruit,  n 
L'Antéchrist  commence  son  œuvre  :  «  A  la  fin,  vous  m'avez  enfanté, 
dit-il,  moi  qui  depuis  si  longtemps  étais  conçu  sous  le  cœur  de 
l'Église.  Je  vais  donc  enfin  déployer  ma  force  et  soumettre  les  puis- 
sances! J'abolirai  tout  ce  qui  est  ancien,  et  j'établirai  des  lois  nou- 
velles! !  On  élève  le  trône  de  l'Antéchrist  dans  le  temple  du  Seigneur; 
l'Église,  persécutée,  accablée  d'outrages  et  de  coups,  se  réfugie  près 
du  Pape.  L'Antéchrist  envoie  alors  des  ambassadeurs  à  tous  les  souve- 
rains de  la  terre  pour  les  engager  à  se  soumettre.  Les  rois  de 
Grèce  et  de  France  viennent  l'adorer;  il  écrit  les  initiales  de  son  nom 


LES    MYSTÈRES,  229 

sur  leurs  fronts;  mais  le  roi  des  Allemands,  qu'il  veut  gagner  par  des 
présents,  renvoie  ses  messagers.  Un  combat  s'engage,  et  Tarniee 
allemande  a  la  victoire.  Alors  l'Antéchrist  a  recours  aux  moyens 
superstitieux;  il  opère  des  prodiges,  guérit  un  prétendu  boiteux,  un 
faux  lépreux,  et  ressuscite  un  soi-disant  mort.  11  parvient  par  ces 
faux  miracles  à  ébranler  la  foi  des  Allemands;  l'Empereur  s'age- 
nouille devant  lui,  lui  i^nt  hommage  de  sa  couronne,  et  se  fait  ensuite 
sacrer  et  couronner  par  lui.  Aidé  des  Allemands,  l'Antéchrist  soumet 
le  roi  de  Babylone  et  fait  martyriser  les  Juift  qui  avaient  d'abord 
reconnu  son  empire,  mais  que  l'apparition  d'Enoch  et  d'Élie  avait 
convertis  à  la  foi  de  Jésus  crucifié.  La  domination  de  l'Antéchrist 
s'étend  plus  loin  que  le  pouvoir  de  l'Église  n'atteignit  jamais;  il  est  à 
l'apogée  de  la  gloire,  et  s'écrie  avec  orgueil  : 

a  Voilà  ce  que  m'avaient  prédit  mes  prophètes,  les  hommes  de  mon 
nom,  ceux  qui  ont  eu  soin  de  mes  droits!  C'est  ma  gloire  qu'ils  ont  pré- 
parée si  longtemps!  Celui  qui  en  sera  digne  la  partagera  avec  moi.  Après 
la  chute  des  audacieux  que  la  vanité  aveuglait,  la  paix,  la  sécurité  sont 
le  partage  de  tous  !  » 

Mais  soudain  le  roulement  du  tonnerre  lui  annonce  le  châtiment 
du  ciel;  il  est  foudroyé  et  précipité  de  son  trône;  les  hypocrites 
s'enfuient;  ceux  qui  s'étaient  laissé  séduire  reviennent  à  la  vraie  foi, 
et  l'Église  délivrée  chante  un  alléluia.  «  Voyez  le  sort  de  l'homme 
qui  n'a  pas  pris  Dieu  pour  sou  protecteur!  Pour  moi,  j'ai  été  comme 
un  olivier  fertile  dans  la  maison  de  mon  Dieu.  Chantez  les  louanges 
du  Seigneur'!  »  L'intérêt  du  sujet,  la  musique,  le  chant,  la  mise  en 
scène  devaient  faire  de  ce  drame,  si  simple  en  son  essence,  une  repré- 
sentation très-émouvante.  Lorsqu'il  fut  représenté  à  Francfort-sur- 
le-Mein  (1469),  le  conseil  de  la  ville  se  vit  forcé  de  pourvoir  à  la 
sécurité  des  Juifs  *. 


IV 


Les  mystères  furent  d'abord  entièrement  composés  en  langue 
latine;  puis,  insensiblement,  les  chants  qui  y  étaient  intercalés 
furent  traduits,  puis  les  textes  tout  entiers,  et  l'on  en  rima  même  de 
nouveaux  en  allemand.  Le  drame  et  le  chant  progressaient  ensemble, 
et  l'un  par  l'autre.  Quant  aux  Lamentations  de  Marie^  dramatiques  et 

'  Voy.  Holland,  .tUdeutsche  Dlchikunsi,  p.  612-622.  —  Voy.  l'analyse  du  drame 
dans  Hase,  p.  25-30,  et  Wilken,  p.  145-153. 
*  Voy.  Rriegk,  Deulchcs  Bûrgerlhum,  p.  440. 


230  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

lyriques  tout  à  la  fois,  elles  appartiennent  autant  aux  chants  d'Église 
qu'aux  mystères  proprement  dits  '.  La  musique  prit  une  part  égale 
au  développement  de  l'un  et  de  l'autre. 

Les  mystères  étaient  devenus  si  populaires  en  Allemagne,  qu'au 
quatorzième  siècle  on  en  représentait  jusque  dans  les  églises  de  vil- 
lage. Les  paysans  y  prenaient  une  pari  personnelle*.  Un  fait  qui 
atteste  bieu  leur  popularité,  c'est  qu'ainsi  que  les  épopées  antiques, 
ils  n'étaient  pas  écrits,  mais  transmis  d'une  génération  à  l'autre,  et 
formaient  un  trésor  appartenant  à  tous  '. 

Lorsque  les  mystères  étaient  encore  représentés  dans  les  églises,  le 
théâtre  se  construisait  derrière  le  chœur  des  chantres;  plus  tard,  on 
transporta  la  scène  dramatique  dans  les  cimetières  ou  sur  les  places 
de  marché.  Là  se  rassemblaient  tous  les  acteurs;  non  des  acteurs  de 
profession,  venus  pour  gagner  de  l'argent  (on  ne  demandait  aucune 
rétribution  aux  spectateurs*),  mais  des  prêtres,  des  élèves  des  écoles 
supérieures,  qui  désiraient  prendre  part  à  la  représentation  et  se 
chargeaient  aussi  des  rôles  de  femme.  Les  costumes  des  acteurs, 
comme  ceux  dont  les  peintres  revêtaient  les  personnages  évangé- 
liques,  n'étaient  autres  que  ceux  qu'il  était  de  mode  de  porter  alors; 
seulement,  Dieu  le  Père,  les  anges  et  les  apôtres  avaient  l'habit  ecclé- 
siastique, et  Jésus-Christ  était  vêtu  comme  un  évêque.  Acteurs  et 
spectateurs  prenaient  la  représentation  fort  au  sérieux.  Avant  que 
le  mystère  commençât,  toute  l'assistance  entonnait  le  cantique  si 
connu  : 

Il  Prions  maintenant  le  Saiut-Esprit  afin  qu'il  nous  accorde  la  grâce 
de  toujours  conserver  la  vraie  foi,  et  nous  garde  au  moment  de  notre 
mort,  lorsqu'au  sortir  de  ce  monde  de  misères  nous  irons  enfin  dans  notre 
patrie.  Kyrie,  eleison!  « 

Citons  le  prologue  du  mystère  de  sainte  Dorothée  : 

s  Au  commencement  de  tout  ce  que  l'homme  veut  entreprendre,  il 
doit  d'abord  invoquer  Dieu  de  son  mieux,  afin  de  s'acquitter  de  ce  qu'il 


•  Voy.  WiLKEX,  288-289. 

-  Euienspitsel  trouble  dans  un  village  la  représentation  d'un  Mystère  de 
Pâque.>.  L.vi'PENBERG,  p.  16  et  232-233. 

'Il  ne  nous  a  été  conservé  que  peu  de  textes  complets  des  Mystères  de  Pâques,  même 
de  ceux  le  plus  universellement  en  usage;  des  autres,  il  ne  nous  reste  que  des 
espèces  de  répi-rtoires  qui,  à  chaque  représentation,  étaient  comme  des  lils  con- 
ducteurs dans  la  main  de  l'imprésario,  et  ne  contenaient  que  des  commence- 
ments de  discours,  de  vers  ou  de  chants,  et  quelques  observations  sur  tel  ou  tel 
moment  de  la  représentation. 

^  «  rsous  allons  avoir  un  Mystère  de  Pâques;  il  nous  réjouira  et  ne  nous  coûtera 
pas  beaucoup  ■> ,  ce  qui  veut  dire  rien  du  tout.  Wackernagel,  Geschichte  der  deutschen 
Literatur,  p.  308. 


I.I.S    .MYSTKIU'S  231 

va  fait«;  avec  moins  do  fx'cht'  et  plus  de  mérite.  Puisse  Dieu  nous  aider, 
aliiM|ue  ce  que  nous  coninu  néons  réussisse!  Quesainltt  [)orotliée,  la  pieuse 
vierge,  nous  accorde  aussi  son  secours!  ('.hant(>ns  maintenant  tous  ensemble 
le  cantique  au  Sainl-Esj;rit  '.  " 

Vn  saiiif,  ordinairernent  sninf  Aiif;nstin,  remplissait  le  rôle  de 
coryphée,  et  doiiiiail  aux  assistants  des  éclaircissements  sur  le  pieux 
drame.  Oiielqiiefois  Vir(}ile,  ■-  le  païen  d'autrefois  -^  était  chargé 
de  cette  fonction,  et  donnait  sur  le  temps,  le  lieu,  Tcnchainement 
des  parties,  les  explications  nécessaires.  Les  acteurs  s'avançaient  sur 
le  devant  de  la  scène  chaque  l'ois  que  leur  tour  de  parler  ou  d'agir 
était  venu,  puis  ils  retournaient  à  leur  place.  Des  enfants  de  chœur 
exécutaient  les  chants  Intercalés  dans  le  drame;  les  spectateurs  se 
tenaient  debout  ou  assis  autour  de  la  scène;  la  représentation  finie, 
on  allait  généralement  entendre  l'office  à  l'église,  ou  bien  acteurs 
et  spectateurs  entonnaient  ensemble  un  cantique.  Dans  les  mys- 
tères de  Pâques,  on  chantait  ordinairement  :  -  Le  Christ  est  res- 
suscité ",  ou  bien  encore  :  <;  Christ,  tu  es  doux  et  bienfaisant!  »  — 
Les  représentations  avaient  presque  toujours  lieu  dans  l'après-midi 
et  se  continuaient  souvent  durant  plusieurs  jours.  Elles  exigeaient 
un  personnel  considérable,  surtout  à  la  fin  du  quinzième  siècle, 
au  moment  du  plus  beau  triomphe  de  la  musique  et  des  arts  plas- 
tiques. A  Francfort-sur-le-Mein,  en  1498,  la  représentation  du  mys- 
tère de  la  Passion  dura  quatre  jours,  et  eut  un  si  grand  succès 
que,  dans  la  même  année,  une  seconde  représentation  eut  lieu.  "  Les 
acteurs  qui  y  prirent  part  >> ,  lit-on  dans  un  document  conservé 
dans  les  archives  de  la  ville,  -  étalent  au  nombre  de  deux  cent 
cinquante;  ils  jouèrent  pendant  quatre  jours  consécutifs,  avec  de 
très-beaux  costumes,  et  à  la  satisfaction  générale,  jusqu'à  l'heure  du 
Salve^.  n  En  1506,  dans  la  même  ville,  deux  cent  soixante-seize  per- 
sonnages figurèrent  dans  le  même  mystère.  Le  drame  finissait  ordi- 
nairement par  l'ascension  du  Sauveur,  puis,  comme  épilogue,  par 
le  triomphe  et  la  glorification  de  l'Église.  Deux  acteurs  entraient  alors 
en  scène  :  l'un  représentait  l'Église;  elle  était  entourée  de  chrétiens; 
l'autre  était  la  synagogue,  environnée  de  Juifs.  Une  dispute  s'enga- 

'  Hoffmann  von  Falleusleben,  Fundgruben,  t.  II,  p.  284.  —  Voy.  Hase,  p.  51. 

*Kriegk,  Dürgerihuvi,  p.  586,  n''419. — Entre  1456  et  1506,  il  ny  eut  pas  moins  de 
huit  repréisentatious  de  drames  religieux  à  Francforl-sur-le-Mein.  Krie(.k,p.441. — 
A  Alsfeld,  en  1501,  1511,  1517,  le  Mystère  de  la  Passion  fut  représenté  pendant  trois 
jours  con^écutif.^.  — Voy.  Wilke.s,  p.  110.  — A  Botzen,  en  15(4,  on  joua  pendant 
sept  jours  le  drame  de  la  Passion,  dont  la  représentation  était  divisée  entre  les 
jours  de  fête  qui  s  échelonnent  entre  le  dimanche  des  Rameaux  et  lAscension. 
—  TlCHLER,  Dramen  des  Millelulters  in  Tyrol,  p.  64.  —  GUAFE,  Leipzit/s  religiöses  Lehsn 
bis  zum  Ausbruch  der  Reformation,  dans  le  Zeilschrijifur  die  Hislor.  Theologie  de  lllgcn, 
t.  IX,  p.  62. 


232  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

geait  entre  les  deux  religions,  à  la  suite  de  laquelle  huit  ou  dix  Juifs 
se  faisaient  baptiser  par  saint  Augustin,  qui  se  trouvait  sur  la  scène. 
A  cette  vue,  la  synagogue  laissait  échapper  un  cri  de  détresse;  la 
couronne  tombait  de  sa  tête,  et  l'Église,  au  contraire,  chantait  une 
hymne  de  joie  ',  à  laquelle  Tiramense  assistance  se  joignait  dans  une 
sorte  de  chœur  final. 

Les  scènes  de  la  Passion  étaient  encore  représentées  d'une  autre 
manière,  non  plus  sur  un  théâtre,  mais  dans  des  processions  mou- 
vantes et  animées  qui  avaient  lieu  à  la  fête  du  Saint-Sacrement  :  là 
aussi  (comme,  par  exemple,  à  Kiinzelsau,  1479),  toulela  sainte  histoire 
était  représentée,  depuis  la  création  du  monde  jusqu'au  Jugement 
dernier,  par  des  groupes  successifs.  Dans  la  grande  procession  qui 
eut  lieu  à  Zerbst,  les  conseillers  de  la  ville,  les  membres  des  confré- 
ries religieuses  et  des  corporations,  se  chargèrent  de  représenter 
les  personnages  de  la  sainte  Écriture  (1479).  A  Freiberg,  en  Saxe,  ces 
processions  avaient  lieu  tous  les  sept  ans,  au  temps  de  la  Pentecôte. 
Le  premier  jour  de  la  fête,  les  plus  antiques  scènes  bibliques,  la 
chute  des  anges,  la  faute  et  le  châtiment  de  nos  premiers  parents, 
étaient  représentées.  Le  second  jour,  venait  la  rédemption  du  monde; 
le  troisième,  tout  se  terminait  par  la  procession  du  Jugement  dernier. 
Ces  processions  étaient  faites  en  grande  pompe.  Les  acteurs  appar- 
tenaient à  toutes  les  classes  sociales,  plusieurs  d'entre  eux  faisaient 
même  partie  des  autorités  de  la  ville.  Les  relations  du  temps,  qui  font 
connaître  les  impressions  des  témoins  oculaires,  attestent  l'indicible 
émotion  des  auditeurs  à  la  vue  •;  d'un  spectacle  si  magnifique  ^  «. 

Les  mystères,  pris  dans  leur  ensemble,  étaient,  pour  la  foi  du  peuple, 
de  grandes  fêtes  édifiantes.  Jeunes  et  vieux  s'en  promettaient  une 
grande  joie  longtemps  à  l'avance;  elles  demeuraient  dans  toutes  les 
mémoires  et  exerçaient  une  heureuse  influence  sur  la  vie  morale.  Le 
sujet,  comme  celui  des  tragédies  grecques,  avait  l'immense  avantage 
d'être  familier  à  tous;  quelques  traits  bien  marqués  suffisaient  pour 
faire  reconnaître  tout  de  suite  une  ancienne  connaissance  dans  chaque 
type  familier  à  son  imagination.  Le  peuple  retrouvait  avec  bonheur 
ces  personnages  dont  les  paroles  lui  étaient  si  connues,  et  qui  lui 
étaient  apparus  si  souvent,  dès  son  enfance,  dans  les  sculptures  et 
les  tableaux  des  églises.  Il  les  voyait  avec  joie  sortir,  pour  ainsi  dire, 
de  leur  cadre,  et  s'avancer  vers  lui,  pleins  de  vie,  sous  les  traits  de 
ses  propres  enfants.  La  sympathie  d'une  foule  animée  des  mêmes  sen- 
timents, qui  regardait  l'assistance  aux  mystères  comme  une  sainte 
action,  le  nombre  considérable  d'acteurs  de  toute  classe,  rendaient 

^  FiCHARD,  Frankfurter  Archiv.,  t.  III,  p.  131,  158.  —  Kriegk,  p.  439. 
'  Voy.  WiLKEN,  p.  138-142.  —  (inAFE,  p.  62.  —  Voy.  aussi  Schreibfk,  Theater  &u 
Freiburg,  p.  25.  —  Wackerxagll,  Geschichte  der  deutschen  Literatur,  p.  312-313. 


CARACTÈRES    DU    DRAME    RELIGIEUX,  233 

ces  rcprésenlations  suscepliblcs  de  produire  les  plus  (irands  effets 
dans  les  âmes.  On  n'épargnait  rien  pour  obtenir  ce  résultat,  et  Ton 
faisait  avec  !c  plus  grand  soin  des  répétilions  (jénérales  muKipliées  '. 

Ou  pourrait  comparer  l'appareil  scénique  des  mystères  â  un 
immense  tableau  vivant  dont  la  signification,  élevée  bien  au-dessus 
des  choses  vulgaires  et  quotidiennes,  devait  produire  l'impression  la 
plus  saisissante.  C'est  qu'en  effet  on  ne  saurait  imaginer  de  sujet 
plus  émouvant  et  plus  grandiose  à  la  fois  que  celui  de  ces  repré- 
sentations symboliques  et  historiques  tout  ensemble,  oii  se  déroulait 
dans  loufe  sa  bcauié  le  plan  do  Dieu  sur  l'humanité.  Leur  trann-iille 
caractère  épique,  leurs  innombrables  allusions  symboliques,  offrent 
beaucoup  d'analogie  avec  les  sculptures  et  les  tableaux  de  la  même 
époque.  Le  grand  nombre  des  personnages,  disposés  en  groupes, 
rappelle  les  statues /jui  se  pressent  aux  portails  de  nos  églises  et  sur 
les  retables  d'autels;  acteurs  et  statues  portent  les  mêmes  costumes^ 
Les  arts  plastiques,  à  leur  tour,  nous  font  souvenir  des  drames  reli- 
gieux, et  l'on  a  comparé  avec  justesse  les  représentations  des  Mys- 
tères aux  gravures  sur  bois  d'Albert  Dürer. 

Les  mystères  n'avaient  rien  de  monotone.  Comme  les  peintres 
du  temps,  les  poètes  faisaient  souvent  preuve  d'une  merveilleuse 
variété,  aussi  bien  dans  le  choix  des  sujets  que  dans  la  façon  de 
les  traiter.  Leur  manière  de  rattacher  l'histoire  de  la  Rédcm-ption 
à  la  vie  réelle  et  de  tous  les  jours  révèle  en  eux  un  sens  religieux  et 
philosophique  que  les  mystiques  seuls  ont  possédé  à  une  telle  pro- 
fondeur. L'art  avec  lequel  ils  savent  grouper  les  personnages  et  les 
faits  a  souvent  de  quoi  nous  étonner,  et  témoigne  d'une  véritable 
habileté  dramatique  ^  Les  intermèdes,  dont  le  sujet  est  emprunté  à 
l'Ancien  Testament,  prouvent  l'intuliion  artistique  qu'ils  avaient  de 
la  cohésion  organique  des  faits  de  la  sainte  Écriture.  Ces  sortes  de 
prologues  servaient  d'introduction  aux  événements  évangéliques  qui 
allaient  suivre  :  Joseph  vendu  par  ses  frères  précède  et  prophétise  la 
trahison  de  Judas. 

L'élément  comique  rude,  trop  libre,  qui  s'y  introduisit  peu  à  peu 
resta  toujours  inoffensif,  du  moins  en  Allemagne,  et  ne  tomba  point 
dans  une  dangereuse  licence.  Exempt  d'une  indécence  déplacée, 
il  était  calculé  pour  mettre  en  relief,  par  le  contraste,  les  choses 
saintes  \  Les  scènes  les  plus  sérieuses,  les  paroles  les  plus  émou- 

'  Hase.  p.  86.  —  Holland,  Mluhuischc  Dichihunsi,  p.  631.  —  Wilken,  p.  271,  279. 

-Comme  le  dit  Devrient  :  Gcschidue  des  deutschen  Sc/iauspiels,  t.  I,  p.  73-74.  — 
Voy.  EiCHENDOPvFF,  Zur  Geschichte  des  Dramas,  p.  17-18. 

^  Mone  a  attiré  le  premier  l'attention  sur  les  rapports  qui  existent  entre  le 
drame  spirituel  et  les  autres  arts  dans  un  livre  intitulé  :  Altdeutschen  Schauspielen, 
p.  15-16. 

*  Voyez  Holland,  Geschichte  der  deutsrhen  Literatur,  p.  213-2Î7. 


234  L'ART    ET    LA   VIE    POPULAIRE. 

vantes,  étaient  souvent  rapprochées  de  dialogues  comiques  où  méde- 
cins, soldats  hâbleurs,  charlatans  de  place  publique,  Juifs  et  colpor- 
teurs usuriers,  venaient  exciter  la  risée  populaire.  Dans  les  mystères 
de  Pâques,  le  personnage  favori  était  ordinairement  le  marchand 
chargé  de  vendre  des  parfums  aux  saintes  femmes  se  rendant  au 
tombeau;  il  se  querellait  avec  sa  femme  à  propos  du  prix  de  sa  mar- 
chandise, tandis  que  son  valet,  prodiguant  les  bouffonneries  et  les 
lazzi  de  tout  genre,  dépensait  avec  libéralité,  à  la  grande  joie  du 
public,  les  saillies  populaires  de  son  esprit,  l'abondant  trésor  d'invec- 
tives et  d'épithètes  du  quinzième  siècle'.  Judas  ne  manquait  pas  non 
plus  de  faire  rire  à  ses  dépens,  lorsque,  après  avoir  marchandé  au  con- 
seil des  prêtres  le  salaire  de  sa  trahison,  il  s'apercevait  qu'il  avait  été 
payé  en  fausse  monnaie.  Toujours  le  démon  est  chargé  d'amuser 
malgré  lui  la  foule;  tantôt  c'est  un  pauvre  diable  stupide,  tantôt  un 
présomptueux  ridicule.  Parfois  aussi,  comme  dans  le  poëme  du 
Filet,  du  diable,  il  tourne  très-plaisamment  des  sermons  contre  lui- 
même-. 

Dans  le  mystère  pascal  composé  en  bas  allemand  et  représenté  à 
Redent  in  près  Wismar  (1475),  les  scènes  où  figure  le  démon  sont  remar- 
quables; bien  conçues,  bien  coordonnées,  elles  forment  souvent  des 
scènes  d'excellente  comédie.  Lucifer,  voyant  sa  puissance  restreinte  par 
l'œuvre  de  la  Rédemption,  entre  dans  une  violente  rage;  il  est  assis 
enchaîné,  dans  un  tonneau,  image  de  l'Enfer.  Son  monologue  peint 
bien  son  désespoir  farouche;  il  frémit  de  colère  en  se  voyant  contraint 
d'avouer  que  Jésus-Christ  est  Dieu,  puisqu'il  est  ressuscité,  qu'il  a 
brisé  les  portes  des  limbes  et  délivré  les  âmes  des  patriarches.  Cette 
pensée  lui  est  intolérable;  non-seuiemeut  il  regrette  amèrement  la 
félicité  qu'il  a  perdue,  il  est  encore  dévoré  de  haine  et  d'envie  en 
songeant  que  les  hommes  vont  être  sauvés  en  masse.  Il  est  humilié 
lorsqu'il  songe  que  l'homme,  créature  primitivement  placée  au-dessous 
de  lui,  et  qu'il  se  flattait  d'anéantir,  entrera  dans  le  ciel,  tandis  qu'il 
en  sera  éternellement  banni.  Cette  idée  le  rend  fou;  ou  se  rap- 
pelle ici  involontairement  ce  dessin  de  Dürer  où  le  démon,  furieux 
de  l'incarnation  du  Fils  de  Dieu,  s'arrache  les  cheveux  en  hurlant 
de  rage.  Lucifer,  enchaîné,  est  condamné  à  l'impuissance;  il  envoie 
donc  ses  démons  dans  le  monde  entier,  en  les  chargeant  d'entraîner 
dans  l'enfer  des  hommes  de  toute  condition.  Mais  les  démons  met- 
tent peu  d'adresse  à  s'acquitter  de  leur  mission;  mécontent  d'eux, 
Lucifer  finit  par  les  envoyer  tous  ensemble  à  Lübeck;  là,  sans  doute, 

'  Usitées  non-seulement  dans  les  classes  inférieures,  mais  encore  parmi  les 
princes. 

^EiCHENDORFF,  Zur  Geschichte  des  Dramas,  p.  20-21.  —  Voyez  Bauack,  p.  445.  — 
IMONE,  Schouspielc  <les  Mittelalters,  t.  II,  p.  33-107.  —  Wilkkn,  p.  2ôu,  note. 


NULLE    HOSTILITÉ   CONTRE    L'ÉGLISE    I)A\S    LES    MYSTÈRES,    235 

ils  pourront  faire  de  riches  captures.  Ici  viennent  se  placer  des  scènes 
du  meilleur  comique,  et  la  pièce  est  entremêlée  de  piquantes  satires 
sur  les  vices  et  les  travers  de  toutes  les  conditions.  De  même  (jue 
Dante,  dans  sa  Divine  Comédie,  fait  de  continuelles  allusions  aux  évé- 
nements et  aux  personnalités  de  son  (emj)S,  le  poète  du  moyen  âge 
intercale  dans  son  drame  le  tableau  des  différends  qui  divisaient  alors 
Lübeck  et  Wismar.  Ces  scènes  prises  sur  le  vif,  pleines  d'animation, 
de  couleur  locale,  sont  vraiment  plaisantes.  Les  deux  villes  avaient 
surtout  à  se  reprocher  mutuellement  des  malversations  commer- 
ciales, et  l'on  ne  saurait  s'empêcher  de  rire  en  voyant  boulanp,ers, 
cordonniers,  tailleurs,  aubergistes,  tisserands,  bouchers  venir  con- 
fesser au  démon  leurs  tromperies.  L'auleur,  pour  les  mieux  railler, 
leur  fait  demander  pardon  au  diable,  comme  si  celui-ci  devait  être 
leur  juge  au  dernier  jour,  et  comme  s'il  avait  le  pouvoir  de  par- 
donner. La  satire  se  tourne  aussi  contre  les  Allemands,  car  le  démon 
ne  va  pas  chercher  des  âmes  dans  les  villes  wendes  (slaves)  dont 
Wismar  faisait  partie;  c'est  dans  celles  d'Allemagne  qu'il  compte 
bien  trouver  sa  proie.  Lucifer  parle  allemand  avec  les  démons  et  les 
pécheurs  :  -  ?se  comprends-tu  donc  plus  l'allemand?  dit-il  à  Satan; 
crois-tu  donc  que  je  sois  Wende?  "  Satan  amène  devant  Lucifer  un 
prêtre  qu'il  a  surpris  dans  des  pensées  mondaines  pendant  qu'il 
lisait  son  bréviaire;  mais  ce  prêtre  rend  l'enfer  si  intolérable  à  Satan 
qu'il  est  contraint  de  se  réfugier  dans  un  marais  sauvage.  Là,  il  se 
lamente,  il  gémit;  mais  Lucifer  se  moque  de  lui  :  «  Ce  qui  t'arriveest 
bien  juste,  lui  dit-il,  tu  n'avais  qu'à  laisser  ce  pauvre  prêtre  tranquille!  » 
Le  prêtre  menace  Lucifer  du  Jugement  dernier,  sans  réussir  à  lui 
faire  peur,  car  la  fin  du  monde  est  bien  éloignée,  et  jusque-là  on 
aura  le  temps  de  jeter  encore  bien  des  pécheurs  en  enfer.  Le  poète 
veut  préserver  par  là  les  auditeurs  d'une  fausse  sécurité  sur  leur 
salut.  Lucifer  pousse  des  gémissements  atroces,  il  n'a  pas  de  repos; 
sa  haine  et  son  envie  contre  les  hommes  le  poussent  incessamment 
à  les  tenter.  La  paix  n'a  été  promise  qu'aux  justes,  et,  à  cet  instant, 
toute  l'assistance  priait  d'une  seule  voix  pour  les  morts  :  -  Donnez- 
leur,  Seigneur,  le  repos  éternel!  » 

On  voyait  fréquemment,  dans  les  poëraes,  les  nouvelles  en  prose, 
les  Hvres  de  piété  de  l'époque,  les  prêtres  conduits  en  enfer,  de  même 
que  dans  les  représentations  plastiques  du  Jugement  dernier,  on  voit 
très-souvent  le  diable  traîner  par  la  corde,  dans  la  gueule  de  l'enfer, 
des  prêtres,  des  moines  et  de  hauts  dignitaires  de  l'Église.  Les  plai- 
santeries satiriques  et  les  attaques  contre  les  vices  et  les  imperfec- 
tions du  clergé  sont  tout  aussi  fréquentes  dans  les  représentations 
dramatiques  qu'à  l'intérieur  des  cathédrales  et  des  cloîtres;  mais 
l'Eglise  elle-même  et  les  choses  de  la  foi  restent  encore  inattaquées. 


23Ô  L'ART    ET    LA   VIE    POPULAIRE. 

Même  dans  le  mystère  bien  connu  de  Dame  Jeanne,  composé  par  le 
prêtre  Théodore  Scherenberg  (1480),  et  où  la  légende  de  la  papesse 
Jeanne  était  présentée  comme  un  fait  historique  (selon  la  croyance 
générale  de  cette  époque),  ou  ne  trouve  nulle  part  une  intention 
hostile  à  l'Église.  C'est  le  démon  qui  a  poussé  Jeanne  à  jouer  son 
odieux  rôle.  Jésus  accuse  devant  sa  Mère  la  femme  audacieuse  qui 
trouble  l'ordre  établi  dans  l'Église  et  dans  la  nature.  Il  veut  laisser 
mourir  la  coupable  dans  sou  péché,  mais  Marie  implore  sa  grâce  : 

t  Toi  qui  as  daigué  me  chuisir  pour  ta  mère,  ne  laisse  pas  la  pauvre 
âme  se  perdre!  j 

Cette  intercession  apaise  la  colère  divine.  La  coupable  obtiendra 
son  pardon,  pourvu  qu'en  punition  de  son  crime  elle  se  soumette  â 
l'humiliation  temporelle.  Jeanne  accepte  cette  expiation  et,  pleine 
de  repentir,  se  tourne  vers  le  Sauveur,  le  suppliant  de  lui  pardonner 
comme  il  a  pardonné  à  tant  de  grands  coupables  : 

c  Oublie  mes  fautes,  Dieu  miséricordieux!  Par  ton  amer  supplice,  Sei- 
gneur, ne  me  laisse  pas  périr!  r\e  me  laisse  pas  mourir  misérablement 
dans  mon  crime!  > 

Elle  implore  aussi  la  miséricorde  de  la  Sainte  Vierge  : 

t  Marie,  Mère  très-pure,  consolatrice  de  tous  les  pécheurs,  je  t'apporte 
ma  plainte!  Je  ne  suis  qu'une  pécheresse;  mes  yeux  répandent  des 
larmes  de  sang!  Vierge,  laisse-moi  en  savourer  l'amertume,  et  prie  pour 
ton  cher  enfant!  - 

Elle  est  mise  à  mort  dans  les  rues  de  Rome.  Saint  Michel  délivre 
son  âme  de  la  puissance  des  démons,  et  le  Christ  Taccueille  avec  joie 
à  son  arrivée  au  ciel  : 

«  Sois  la  bienvenue,  ma  (ille  bien-aimée!  Tu  seras  éternellement  heu- 
reuse avec  moi  dans  mon  royaume  céleste,  et  tout  ce  que  lu  as  fait  de  mal 
dans  la  vie  sera  effacé  et  pardonné,  car  Marie,  ma  mère  bien-aimée,  t'a 
prêté  son  assistance,  ainsi  que  saint  Nicolas!  Sois  donc  en  paix,  sois  heu- 
reuse! I 

Et  les  chants  des  processions  de  la  terre  se  mêlent  à  Valleluia 
du  ciel. 

Même  dans  les  divertissements  pour  le  carnaval,  rimes  par  Hans 
Rosenplut  et  par  le  barbier  Hans  Folz,  compositions  toutes  profanes, 
rudes,  grossières  et  de  mauvais  goût,  où  les  paysans  vaniteux,  les 
Juifs  usuriers,  les  colporteurs  déshonnétes,  les  prêtres  indignes  sont 
l'objet  de  mordantes  satires,  la  foi  et  l'Église  sont  partout  respectées. 
Elles  sont  même  souvent  défendues  contre  les  Juifs  et  les  hérétiques. 


COMIîDIES    LATINES.  237 

Ainsi,  par  exemple,  Haas  Folz,  dans  la  pièce  intitulée  :  l'Erreur  de 
Bohême  (t  ^63),  allribiie  l'hérésie  des  Hussites  (qui  comptait  à  Niirem- 
hcxYj  beaucoup  d'adhéreuls)  à  une  inspiration  de  Judas  '. 

Ces  divertissements  de  carnaval  étaient  surtout  de  mode  à  Xurem- 
bcrfy.  On  en  retrouve  aussi  des  traces  à  In^jolstadt,  Lübeck,  Bamberg, 
Lucerne  et  Bâle.  Ils  n'ont  aucun  rapport  avec  les  mystères.  Les  plus 
burlesques  bouffonneries  de  ceux-ci  différent  absolument  des  plai- 
santeries grossières,  des  mots  <à  double  entente  qu'on  y  rencontre  trop 
souvent,  et  où  non-seulement  la  population  des  villes,  mais  encore 
les  fils  libertins  des  grands  négociants  de  Nuremberg  semblent  avoir 
pris  grand  plaisir.  Au  reste,  on  conçoit  facilement  qu'il  y  eut  un 
certain  dérèglement  de  mœurs  dans  une  ville  comme  Nuremberg,  où 
Rosenplnt  constatait  avec  orgueil  que  l'abondance  et  la  richesse 
étaient  apportées  par  sept  peuples  différents  :  les  Hongrois,  les  Escla- 
vons,  les  Turcs,  les  Arabes,  les  Français,  les  Anglais  et  les  Hollandais. 


Les  élèves  des  hautes  écoles  et  des  Universités,  pour  s'exercer  à 
parler  couramment  le  latin,  représentaient  assez  souvent  des  comé- 
dies latines.  Joseph  Griienbeck  a  publié  le  recueil  des  pièces  jouées 
par  la  jeunesse  scolaire  d'Augsbourg  (1497).  A  Zwickau,  on  avait 
accommodé  à  la  scène  des  comédies  de  Térence,  éditées  avec  une 
introduction  allemande  et  des  explications  intercalées  dans  le  texte, 
destinées  à  aider  l'intelligence  des  élèves  auxquels  le  latin  n'était 
pas  encore  familier.  Une  traduction  en  prose  des  comédies  de  Té- 
rence parut  à  Strasbourg  en  1499.  Dès  1486,  Hans  Nythardt,  d'Ulm, 
avait  traduit  une  comédie  du  même  auteur  et,  dans  la  préface  et  les 
notes,  avait  essayé  de  donner  quelques  notions  sur  les  principes  de 
la  poésie  classique,  l'essence  et  la  structure  de  la  comédie  antique. 
Le  chanoine  Albert  d'Eyck  donna  une  bonne  traduction  de  deux 
pièces  de  Plante  (Augsbourg-,  1511).  En  se  guidant  sur  les  modèles 
de  l'antiquité,  on  composa  même  des  comédies  latines,  indépendantes 
de  toute  traduction-.  Jean  Reuchlin  en  prit  l'initiative  et  fit  repré- 

■  A.  von  Keller  a  réuni  en  trois  volumes  les  comôdies  du  carnaval  du  quinzième 
siècle  (1853).  —  Voyez  aussi  quatre  comédies  de  carnaval  ;1161-1468)  dans  les 

Archiv,  fur  Literatur  geschickte  von  Schnorr  von  Caro'sfeld,  3,  t.  I,  p.  25.  —  SUP  ies  comé- 
dies du  carnaval  A  Ingolstadt  et  en  Suisse,  voyez  Keller,  t.  III,  p.  1076.  a  Bam- 
berg et  à  Lübeck,  voy.  l'appendice  du  nièniL'  ouvrage,  p.  301. 

-  Voyez  WiLKEN',  p.  255,  260.  —  Mo.NE,  Schauspiele  des  Mittelalters,  t.  II,  p.  369-370. 


238  L'ART    ET    LA   VIE    POPULAIRE. 

senter,  chez  Jean  de  Dalberg:,  à  Heidelberg,  une  pièce  populaire  et 
humoristique  intitulée  Heinw,  à  laquelle  il  donna  la  forme  et  les 
divisions  de  la  comédie  classique.  Reuchlin  y  raille  avec  esprit  les 
prédictions  d'un  astrologue  et  les  intrigues  d'un  juriste. 

Le  trouble  violent  qui  interrompit  au  seizième  siècle  le  dévelop- 
pement de  la  civilisation,  l'anarchie  religieuse,  les  luttes  politiques 
amenèrent  le  dépérissement  de  l'art  dramatique,  comme  de  toutes 
les  autres  branches  de  culture  intellectuelle.  Dans  le  déchirement 
universel,  religieux  et  social  qui  suivit,  toute  force  créatrice,  tout 
enthousiasme  périrent,  et  la  pieuse  tradition  de  nos  anciens  drames 
ne  se  conserva  plus  que  dans  quelques  vallées  ignorées'. 

^  Gervinl's,  t.  II,  p.  342-344.  —  Wackernagel,  Geschichte  der  Literatur,  p.  316.  — 
Geiger,  Revchlin,  p.  82-92. 


CHAPITRE   Vil 

POÉSIES    MORALES    ET    POLITIQUES. 

Tandis  que,  dans  une  pleine  liberté,  le  génie  poétique  de  notre 
pays  donnait  ses  plus  belles  fleurs  à  la  poésie  populaire,  religieuse 
ou  profane,  et  que  les  fêtes  nationales,  revenant  périodiquement, 
avec  leurs  saintes  allégresses,  leur  fraîche  poésie,  élevaient  toutes  les 
classes  sociales  au-dessus  des  préoccupations  vulgaires  et  de  la  vie  de 
tous  les  jours,  le  moment  des  hautes  inspirations,  de  Timagination 
créatrice,  était  depuis  longtemps  passé  pour  la  poésie  artistique. 
Aucune  de  ses  productions  ne  nous  présente  la  réalité  sous  un  jour  qui 
l'embellisse  ou  l'élève;  aucune  ne  lui  prête  un  charme  qui  l'ennoblisse 
et  vienne  rafraîchir  notre  esprit  par  un  prestige  poétique.  L'«  art  libre 
du  poêle  "  était  devenu  un  métier;  un  courant  rude  et  réaliste  y  do- 
minait, ainsi  que  le  goiU  de  ce  qui  tombe  sous  les  sens,  de  ce  qui  est 
à  la  portée  de  tous.  L'effort  poétique  se  produisait  de  préférence  dans 
le  genre  didactique.  S'inspirant  surtout  des  impressions  du  moment, 
uos  poètes  suivaient  une  direction  toute  pratique,  et  s'élevaient  rare- 
ment au-dessus  d'une  insipide  description  ou  d'un  bon  sens  terre  à 
terre.  Aussi  est-il  bien  peu  de  leurs  productions  qui  puissent  préfendre 
à  quelque  valeur  littéraire.  Néanmoins,  si  Ton  a  égard  au  sérieux  bon 
vouloir,  à  la  franchise,  à  la  loyauté  de  ces  modestes  rimeurs,  qui 
sans  verve  poétique,  il  est  vrai,  mais  avec  tant  de  dévouement,  se 
mettaient  au  service  de  leurs  contemporains  et,  partant  d'un  point  de 
vue  moral  et  chrétien,  se  proposaient  de  relever  les  mœurs,  de  perfec- 
tionner et  d'ennoblir  l'état  politique  et  religieux,  on  ne  pourra  s'em- 
pêcher de  leur  accorder  un  certain  mérite,  et  même  un  certain  sen- 
timent poétique.  Rien  que  dans  la  mâle  liberté  avec  laquelle  ils 
disent  la  vérité  aux  puissants  de  la  terre,  on  sent  passer  je  ne  sais 
quel  souffle  fortifiant.  Ils  nommaient  la  vertu,  vertu;  le  vice,  vice, 
et  renvoyaient  le  puissant  et  l'humble  devant  le  tribunal  du  suprême 
liémunérateur '.  "  Si  tu  veux  lire  des  poésies,  dit  le  Guide  de  l'âme, 
choisis  celles  qui  te  disent  la  vérité  sous  le  voile  de  la  fiction,  font 

'  Voy.  Gruneisen,  p.  50-51. 


240  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

l'éloge  de  la  vertu,  montrent  à  nu  la  honte  du  mal  et  t'apprennent  à 
prier  et  à  travailler  '.  «  Les  poètes  didactiques,  en  effet,  encoura- 
geaient sans  cesse  le  peuple  à  l'amour  du  travail,  et  dans  plus  d'un 
passage  des  poésies  ou  des  dictons  de  l'époque,  on  trouve  à  sa  louange 
des  vers  qui  rappellent  ceux  d'Hans  Rosenplut  dans  le  Miracle  des 
(jouîtes  de  sueur  ^  : 

4  Le  travail  est  le  plus  bel  ordre  qui  ail  jamais  été  fondé  sur  la  terre! 
Travailler,  c'est  servir  Dieu.  L'homme  laborieux  a  plus  d'un  avantage 
sur  le  voluptueux  fainéant  dont  la  vie  est  pleine  de  soucis.  La  mollesse, 
la  volupté,  sont  les  sources  de  beaucoup  de  maladies.  Le  repentir  suit  une 
vie  sans  travail  et  sans  fatigue,  j 

a  Celui  qui  passera  sa  jeunesse  dans  l'oisiveté  en  pâtira  quand  il  sera 
vieux;  et  peut-être  que  ses  yeux  seront  rouges  et  gonflés  a  force  d'avoir 
versé  des  larmes  de  regret,  d 

C'est  ainsi  que  s'exprime  en  vers  le  moine  Ulrich  Bonner  dans 
son  recueil  de  sermons  intitulé  :  Pierres  précieuses,  premier  livre 
allemand  qui  ait  été  imprimé  (146L). 

Aux  poésies  didactiques  très-lues,  à  ce  qu'il  semble,  à  cette 
époque,  appartient  l'ouvrage  de  Conrad  Vintler,  imprimé  pour  la 
première  fois  en  1486,  et  intitulé  :  le  Livre  de  la  vertu.  L'auteur  s'y 
élève  surtout  contre  la  vie  désordonnée  de  ces  gentilshommes  "  qui 
savent  mieux  comment  le  fumier  engraisse  les  champs  que  la  manière 
dont  un  noble  doit  se  comporter  '>.  11  raille  aussi  l'orgueil  et  les 
modes  extravagantes  des  dames  de  haut  parage  :  "  Si  quelqu'un,  prêt 
à  entreprendre  un  long  voyage  sur  mer  pour  voir  des  choses  nou- 
velles et  surprenantes,  veut  venir  avec  moi,  dit-il,  je  me  charge  de 
lui  montrer,  tout  près  d'ici,  de  quoi  satisfaire  sa  curiosité.  Je  lui 
montrerai  d'étranges  choses,  en  fait  de  manches,  touffes  de  cheveux, 
chaperons  de  toutes  sortes!  Nos  vaniteux  de  la  campagne  portent  de 
vraies  défroques  de  fous.  Les  femmes  ont  des  traînes  de  deux  aunes 
de  long  qui  ramassent  la  boue,  et  à  leurs  coiffes  des  guenilles  de 
six  aunes.  Elles  veulent  porter  les  modes  des  hommes,  et  se  conduire 
comme  les  hommes.  En  bon  ami  je  les  blâme  de  ce  qui  les  désho- 
nore, car  celles  qui  sont  pieuses  méritent  vraiment  d'être  averties. 
Mais  il  y  a  tant  de  pauvres  dames  nobles  qui  veulent  être  vêtues 
d'or  et  d'argent  comme  les  princesses!  il  en  est  tant  qui  portent  des 
perles,  et  n'ont  pas  même  dans  leur  cuisine  de  quoi  élever  un  poulet! 
Et  pourtant  il  est  bien  vrai,  sur  mon  honneur,  que  nul  ornement  ne 
les  pare  mieux  que  la  modestie  '.  "  Finstler,  probablement  un  clerc  S 

'  Page  17. 

-  Voy.  KrLLER,  p.  1152. 

3  Gervinls,  t.  II,  p.  348-350. 

•*  Voy.  Kürz,  p  632. 


POÉSIES    MORALES    ET    P  O  F.  ITl  0  U  E  S  .  241 

s'attaclK;  à  bien  définir  les  vices  et  les  vertus.  11  les  explique  avec 
(Icfaii,  en  s'aidant  d'exeinjjles  tirés  de  riiisloire,  et  coule  de  nom- 
breuses anecdotes  destinées  à  bien  persuader  son  lecteur  qu'il  est 
absurde  de  croire  aux  sorciers,  aux  diseurs  de  bonne  aventure,  aux 
expli(jneurs  de  sonjycs  :«  Si  la  vieille  icniniequi  se  vante  de  sorcellerie, 
dit-il,  pouvait  réellement  se  taire  obéir  de  Dieu,  Dieu  ne  pourrait 
plus  être  tenu  pour  Dieu!  Plus  d'un  saint  homme  a  passé  par  de 
rudes  angoisses  avant  que  le  Seigneur  l'ait  honoré,  une  seule  fois 
dans  sa  vie,  d'un  éclaircissement  sur  un  mystère.  Comment  donc 
se  mettrait-il  au  service  d'une  bonne  femme?  » 

Le  Miroir  du  gouvernement  à  la  cour  des  princes,  avec  un  désir  tout 
aussi  sage  et  estimable  d'être  utile,  condamne  la  désastreuse  con- 
duite des  g?rands.  L'auteur  inconnu  de  cet  ouvrage  avait  acquis  beau- 
coup d'expérience  dans  les  cours  où  il  avait  séjourné,  et  présente  aux 
princes  le  trop  fidèle  tableau  des  actes  répréhensibles  qui  lèsent  les 
intérêts  de  leurs  subordonnés.  Il  leur  adresse  de  sérieux  avis  et 
des  exhortations  excellentes. 

.lean  Kothe,  secrétaire  de  la  ville  d'Eisenach,  plus  tard  chanoine, 
enseigne  aux  chevaliers  comment  ils  doivent  se  conduire,  dans  le 
Miroir  du  chevalier  et  dans  le  poëme  didactique  intitulé  :  l'Éducation 
du  comeiller.  L'auteur  du  Filet  du  diable  dépeint  avec  une  sombre 
philosophie  les  travers  et  les  vices  des  divers  états ,  dans  le  dia- 
logue qu'il  imagine  entre  le  diable  et  un  ermite.  Partout  il  ren- 
contre le  mal  et  le  péché.  11  ne  juge  avec  indulgence  que  les 
ermites,  les  béguines,  les  religieuses  régulières,  les  pauvres  volon- 
taires et  les  recluses.  Son  zèle  ardent  pour  l'unité  de  l'Église  et 
pour  l'obéissance  due  à  son  autorité,  repose  seul  d'une  si  sévère 
misanthropie.  Nous  sommes  également  touchés  de  la  chaleur 
de  sou  attachement  à  l'Empereur  et  à  la  patrie  '.  Pariant  des 
princes  électeurs,  il  dit  en  gémissant  :  «  Ils  ont  juré  fidélité 
à  l'ejiipire,  mais  ce  grand  serment  est  entièrement  mis  eu  oubli, 
car  ils  ont  laissé  l'empire  se  démembrer,  ils  Tout  eux-mêmes 
morcelé-!  » 

Le  poëme  politique  et  moral  intitulé  :  la  Race  italienne  se  montre 
surtout  préoccupé  des  événements  contemporains,  flétrit  les  vices 
des  différentes  classes  populaires  et  s'attaque  particulièrement 
aux  princes  et  aux  représentants  du  droit  romain  nouvellement 
introduit.  Selon  lui,  si  l'Allemagne  veut  vivre,  il  faut  qu'elle  con- 
centre toute  la  puissance  entre  les  mains  d'un  seul.  Les  empereurs 
ont  beaucoup  trop  cédé  de  leur  pouvoir,  de  sorte  que  personne 
ne  veut    plus  obéir.    Les  chefs   de   l'empire  devraient   se    réunir 

'  Voy.  les  passages  cités  par  Baiwck,  p.  446-447. 
'  Barack,  v°  7544-7548,  page  238. 

16 


242  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

taudis  qu'il  en  est  temps  encore,  se  grouper  autour  de  l'Empereur, 
faire  œuvre  de  fidèles  sujets,  et  lui  rendre  sa  première  autorité.  Si 
par  ce  moyen  l'unité  de  la  patrie  était  restaurée,  tous  les  maux  qui 
menacent  l'empire  pourraient  encore  être  conjurés;  mais  si  l'on  con- 
tinue à  marcher  dans  la  voie  actuelle,  l'empire  ne  pourra  subsister 
longtemps  :  il  s'écroulera  de  lui-même,  une  conviction  semblable 
inspirait  à  Sébastien  Brant  l'avertissement  qu'il  adressait,  dans  la  Nef 
des  fous,  aux  princes  et  aux  petits  États  qui  compromettaient  l'unité 
de  l'empire  par  leur  esprit  d'égoïste  ambition  :  «  Au  nom  de  Dieu, 
princes,  considérez  le  dommage  que  vous  avez  fini  par  causer!  Si 
l'empire  vient  à  périr,  vous  non  plus  ne  serez  pas  éternels!  Toute 
chose  non  partagée  conserve  plus  de  valeur  que  si  elle  était  divisée. 
Aussi  longtemps  que  subsiste  l'unité,  la  force  et  la  puissance  croissent; 
mais  si  la  désunion  commence,  le  royaume  le  plus  pospère  sera  bientôt 
détruit.  Autrefois  le  nom  allemand  était  si  respecté  et  s'était  acquis 
une  telle  réputation  que  tous  lui  accordaient  l'empire  suprême.  Main- 
tenant, ou  voit  les  Allemands  s'appliquer  eux-mêmes  à  détruire  leur 
propre  royaume.  Vous  avez  aujourd'hui  un  si  bon  roi  pour  vous 
conduire  sous  son  égide  de  chevalier!  Il  maintiendrait  si  bien  tout 
le  royaume  si  vous  vouliez  seulement  lui  venir  en  aide!  Le  noble 
prince  Maximilien  est  bien  digne  de  la  couronne  impériale,  et,  si 
vous  le  vouliez,  il  guiderait  facilement  notre  saint  et  bieu-aimé 
pays.  Il  se  mettrait  courageusement  à  l'œuvre,  dès  aujourd'hui. 
Rétablissez  l'honneur  de  l'empire,  afin  qu'on  ne  vous  compare  pas  au 
batelier  qui  s'endort  sur  la  mer  lorsque  vient  l'orage.  Levez-vous, 
réveillez-vous  de  votre  rêve,  car  je  vous  le  dis  en  vérité,  la  cognée 
est  déjà  à  la  racine  de  l'arbre  '  !  '■ 

L'auteur  de  la  Race  velche  déplore  surtout  l'état  dans  lequel  est 
tombée  la  justice  du  royaume.  Il  oppose  les  simples  usages  du  vieux 
droit  germanique  aux  écritures  sans  fin,  aux  subtilités  contournées 
du  droit  romain,  et  témoigne  ainsi  de  ses  vues  larges  et  de  son  véri- 
table patriotisme. 

Le  Roman  du  Renard,  publié  à  Lübeck  en  1498,  contient  les  plus 
amères  attaques  contre  les  vices  et  les  mœurs  du  clergé,  et  contre  la 
politique  astucieuse  et  déloyale  suivie  par  les  princes  envers  les  popu- 
lations qu'ils  exploitent.  L'auteur,  cependant,  ne  semble  pas  avoir  eu 
l'idée  préconçue  de  donner  des  leçons  de  morale,  dans  ce  poëme 
plaisant  et  satirique.  Au  reste,  sou  ouvrage  n'est  qu'un  remanie- 
ment du  Renard  néerlandais  de  Willem  et  de  son  continuateur. 
C'est  le  poëme  le  plus  important  que  nous  possédions  en  bas  alle- 
mand. 

'  raragraplie  99. 


LA    NEF    DK. S    F  O  f  S  .  24S 

La  Nef  des  Joua,  de  Sébastien  Braiif,  est  assurément  le  plus  remar- 
quable de  (üus  ee.s  poëmes  moraux  ou  polili([ues  (llOi).  L'œuvre  est 
salirùpie  daus  sa  l'orme,  mais  proroiidémeiil  religieuse  dans  son 
essence.  Elle  rendit  un  nouvel  éclat  à  la  poésie  allemande  après  une 
période  de  triste  médiocrité  et  releva  sa  gloire,  aussi  bien  dans  notre 
pays  (ju'â  l'étranger. 

L'histoire  littéraire  ne  nous  offre  qu'un  bien  petit  nombre  d'ou- 
vrages ayant  exercé  une  aussi  vaste  et  aussi  rapide  influence  sur  les 
esprits  '.  Dans  un  très-court  espace  de  temps,  un  nombre  incroyable 
(fcxemplaires  de  ce  poème  se  répandit  dans  la  bau'.e  Allemagne.  La 
basse  Allemagne  et  les  Pays-Bas  se  l'approprièrent  aussilôt  par  des 
traductions.  11  lut  traduit  deux  fois  en  latin,  trois  en  français,  deux 
en  anglais.  Tous  les  ans  on  le  remaniait,  on  l'imitait,  ou  le  contre- 
faisait. Les  contemporains  comparaient  Sébastien  Brant  à  Dante  : 
<  La  Nef  des  fous,  dit  Trithème,  est  une  satire  divine  »,  et  il  se  demande 
si  l'on  peut  faire  une  lecture  à  la  fois  plus  utile  et  plus  agréable. 
W'impheling  exprime  le  désir  que  ce  poème  soit  introduit  dans  les 
écoles  et  y  devienne  classique,  et  Geiler  de  Kaisersberg  l'a  com- 
menté dans  une  série  de  sermons. 

Quoique  dans  la  composition  de  son  ouvrage  Brant  n'ait  rien  tiré 
de  son  propre  fonds  et  qu'il  se  soit  servi  d'anciens  moules,  depuis 
longtemps  connus  ^  il  n'en  a  pas  moins  ouvert  la  voie  à  une  phase 
littéraire  toute  nouvelle.  Il  est  le  premier  «  qui  ait  su  exprimer  dans 
une  forme  pleine  de  justesse  l'esprit  des  bourgeois  de  nos  villes, 
et  c'est  lui  qui  inaugura  la  littérature  bourgeoise  proprement  dite  •'. 
Les  deux  traits  distinctifs  du  caraclère  bourgeois  à  celte  époque  : 
une  gravité  digne,  un  sens  humoristisque  plein  de  hardiesse,  sont 
fondus  si  harmonieusement  dans  son  livre  que,  sous  ce  rapport,  nul 
poète  ne  peut  lui  être  comparé.  11  a  laissé  à  la  langue  l'empreinte  de 
son  individualité,  de  son  esprit,  et  plus  d'une  de  ses  expressions, 
plus  d'une  de  ses  tournures  de  phrases  sont  venues  grossir  le  trésor 
linguistique  des  générations  suivantes  '. 

Brant  signale  les  vices  des  autorités  ecclésiastiques  et  laïques 
avec  une  courageuse  franchise.  Partout  oii  il  rencontre  le  mal,  il  le 

'Comme  le  dit  le  plus  savant  de  ses  nouveaux  éditeurs,  Zarncke,  LXXIV. 
•  Ce  livre,  dit-il,  parcuurut  rapidement  les  pays  de  l'Occident.  Brant  brilla  à 
l'horizon  intellectuel  de  son  siècle,  dans  le  jugement  et  les  appréciations  de  ses 
contemporains,  comme  un  astre  de  première  grandeur.  Il  fut  au  quinzième 
I  siècle  ce  qu'avaient  été  Henri  de  Veldeckin  au  treizième,  Opitz  au  dix-septième, 
j  Goethe  au  dix-neuvième.  On  l'honora,  on  l'admira  comme  le  créateur  d'une 
nouvelle  poésie.  » 

*  ZvuNCKE,  Préface  à  la  Ne/des/ous,  dans  le  Serapeum,  1868,  pages  49-54.  —  Voy. 
aussi  Schmidt,  p.  346-348. 

*  Zarncke,  Xef  des  fous,  LXXV  à  LXX  VHI.  —Les  observ  ations  de  Schmidt  (p.  355- 
372)  ne  détruisent  pas  l'excellente  critique  de  Zarncke  sur  la  Xef  det  fous. 

16. 


244  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

dénonce,  il  le  stigmatise  d'un  trait  mordant  et  acéré.  Il  fait  défiler 
devant  nos  yeux  les  avoués,  les  usuriers,  les  gens  qui  ont  la  manie 
de  bâtir,  les  ouvriers,  les  paysans,  les  chicaneurs,  les  joueurs,  les 
chasseurs,  les  astrologues,  les  mendiants,  etc.,  avec  tous  leurs  travers 
et  tous  leurs  vices,  tantôt  avec  un  enjouement  malicieux,  tantôt  avec 
une  juste  sévérité. 
S'adressant  aux  astrologues,  il  leur  dit,  par  exemple  : 

a  11  ne  sied  pas  à  un  chrétien  de  s'adonner  ;\  la  science  des  païens; 
d'être  atlenlif  au  cours  des  planètes,  pour  voir  si  aujourd'hui  il  leur  sera 
avantageux  d'acheter,  de  bMir,  de  guerroyer,  de  se  marier,  de  faire 
des  amis,  etc.  Notre  entretien,  notre  travail,  notre  conduite,  notre 
récompense  ne  doivent  venir  que  de  Dieu  et  ne  se  rapporter  qu'à  lui 
seul  '.  i 

Brant  n'a  pas  seulement  combattu  les  vices,  les  folies  de  son  temps, 
il  s'est  attaqué  à  des  défauts  communs  à  toute  l'espèce  humaine  -. 
Lorsque,  par  exemple,  il  blâme  sévèrement  la  vanité  qui  pousse  les 
hommes  à  s'élever  au-dessus  de  leur  condition,  lorsqu'il  raille  les 
extravagances  des  modes,  se  plaint  de  la  falsification  des  denrées, 
s'indigne  contre  les  ouvriers  dont  le  travail  est  de  plus  en  plus  mau- 
vais, et  qui  s'acquittent  de  leur  besogne  avec  peu  de  conscience,  notre 
temps  peut  se  reconnaître  eu  ce  miroir  mieux  peut-être  que  ne  le 
faisait  le  quinzième  siècle.  Mais  ce  qui  prouve  en  faveur  des  contempo- 
rains de  Brant,  c'est  la  manière  dont  ils  acceptent  des  reproches  si 
peu  ménagés,  et  qui  mettent  à  nu  toutes  leurs  misères  morales.  Loin  de 
s'en  offenser,  ils  paraissent  avoir  toujours  témoigné  autant  d'affec- 
tion que  de  respect  à  des  censeurs,  à  des  conseillers  aussi  rudes  que 
Brant,  Heynlin  von  Stein  et  Geiler  de  Kaisersberg. 

Au  reste,  Brant  n'est  pas  exclusivement  un  poëte  satirique,  encore 
moins  un  moraliste  de  profession  :  c'est  un  poëte  profondément  reli- 
gieux qui  regarde  comme  insensés  ceux  qui,  pour  un  mince  salaire, 
une  satisfaction  d'un  instant,  exposent  l'éternelle  félicité  de  leur 
âme.  Malgré  le  nom  que  porte  son  livre,  la  sagesse,  celle-là  seule 
qui  peut  mettre  l'âme  en  possession  du  bonheur  éternel,  y  est 
enseignée.  Aussi  Geiler  appelle-t-il  la  Nef  des  fous  le  «  miroir  du 
salut  î).  Le  fils  de  Brant,  Onufrius  (élève  d'Ulrich  Zasius,  avec  quill 
était  intimement  lié),  dit  en  en  parlant  : 

»  Bien  loin  d'enseigner  la  folie,  elle  préserve  de  toute  légèreté  cou- 
pable, et  montre  combien  sont  nombreux  les  insensés  que  la  vanité 
aveugle  et  fait  danser  sur  la  corde  des  fous.  Cette  nef,  ajoute-t-il,  nous 

'  Paragraphe  65. 
-  Voy.  Zarnckt-,  XL. 


LA    NEF    DES    FOUS.  245 

apporte  le  snliil  de  l'i^nie.  Elle  nous  enseigne  le  fondement  de  toutes  les 
vertus;  si  nous  savons  en  profiter,  elle  nous  préservera  des  peines  éter- 
nelles et  nous  conduira  si'irement  à  la  rive  céleste.  Si  l'on  en  comprenait 
bien  le  sens,  on  l'appellerait  la  Net'  du  salut  '.  » 

'  Voy.  SnmocK,  XVII,   où  le  carartère  essenliellement  reiifjieux   du  poëme 
est  mieux  apprécié  que  dans  tout  autre  ouvrafje  littéraire  ou  historique. 


CHAPITRE    VIII 

PROSE    ET    LITTÉRATURE    POPULAIRE. 


La  prose  caractérise  aussi  bien  que  la  poésie  le  degré  de  culture 
intellectuelle  d'une  nation.  Au  début  d'une  littérature,  la  poésie  est 
comme  le  premier  balbutiement  instinctif  de  la  langue;  mais  la  prose 
en  représente  l'épanouissement,  conquis  au  prix  des  labeurs  et  des 
efforts  de  l'intelligence.  Si  l'histoire  atteste  que  chez  tous  les  peuples 
les  poètes  ont  précédé  les  prosateurs,  c'est  que,  pour  produire  une 
prose  correcte  et  élégante,  il  faut  que  l'esprit  d'une  nation  soit  déjà 
parvenu  à  la  maturité  '. 

En  Allemagne,  tandis  que  peu  à  peu  la  poésie  était  tombée  dans  la 
médiocrité,  la  prose,  au  contraire,  s'était  développée,  à  partir  de  la 
fin  du  quatorzième  siècle,*  dans  la  même  proportion,  en  suivant  le 
même  mouvement  que  la  poésie  populaire  et  les  arts  plastiques.  Elle 
fit  de  tels  progrès  en  ampleur,  souplesse,  profondeur,  que  non-seu- 
lement elle  devint  capable  de  saisir  et  d'exprimer,  dans  leurs  traits 
essentiels,  toutes  les  idées  qui  dans  les  siècles  suivants  devaient  être 
de  son  ressort,  mais  que,  dans  chaque  direction  prise  à  part,  philo- 
sophie, rhétorique,  éloquence,  narration,  elle  produisit  des  œuvres 
nombreuses  dont  quelques-unes  sont  achevées. 

C'est  surtout  la  prose  narrative,  dans  l'histoire,  dans  la  nouvelle, 
qui  prit,  à  partir  de  ce  moment,  un  remarquable  essor.  Pour  s'en 
convaincre,  il  suffirait  de  parcourir  les  recueils  d'exemples  à  l'usage 
des  prédicateurs  parus  dans  la  haute  Allemagne,  les  Nouvelles  con- 
tenues dans  le  livre  de  piété  intitulé  :  la  Consolation  de  l'dmc  (écrit 
dans  le  dialecte  de  Cologne),  les  contes,  les  légendes,  également  en 
bas  allemand,  de  la  chronique  du  Dominicain  de  Lübeck,  Hermann 
Corner.  Dans  tous  ces  livres  -,  le  style  est  plein  de  naturel  et  d'intérêt 

'  Lasai  Lx,  p    197. 

*  Communiqués  par  Pfeiffer,  dans  son  travail  intitulé  :  Die  Predigtmärlcin.  Voy. 


HISTOIRE.  247 

dnmalifjiio.  Surfoul  dans  los  Xouvcllos  composées  en  Alsace,  on  sent 
|)ass(M'  (111  véritable  souille  poélicjiie.  La  naïvelé,  la' grâce,  rinlime 
abandon  du  récit  leur  prêtent  un  attrait  lout  particulier.  Même  dans 
de  simples  traductions,  par  exemple  dans  le  livre,  traduit  du  latin, 
des  Sept  Sages,  se  révèle  un  art  véritable.  Le  conteur  emprunte  ses 
expressions  à  la  lanj^ue  populaire;  il  évite  presque  toujours  ces 
formes,  ces  tournures  venues  des  lanp,ues  étrangères  qui  déparent  si 
souvent  la  littérature  des  époques  postérieures.  Le  style  est  simple, 
il  caresse  doucement  l'oreille,  et  son  aimable  naïveté  nous  charme'. 

Un  grand  nombre  d'ouvrages  d'histoire  datant  de  cette  époque  sont 
remarquables  par  la  sobriété,  la  simplicité,  le  tour  épique  du  style, 
toujours  parfaitement  approprié  aux  événements,  aux  personnages. 
La  C/irotiifjuc  de  Limbourg,  qui  appartient  encore  au  quatorzième  siècle, 
est,  en  sa  manière  sobre,  vigoureuse,  fidèle  et  vivante  d'exposer  les 
faits,  un  livre  modèle  en  ce  genre  ^.  On  peut  lui  comparer,  sous  beau- 
coup de  rapports,  la  Chronique  d'Alsace  du  chanoine  de  Strasbourg 
Jacques  Twinger  (de  Königshofen)  et  la  Chronique  de  Thuringe,  écrite 
par  un  prêtre  d'Eisenach,  Jean  Rothe.  Les  chroniqueurs  bavarois,  Hans 
Ebran  de  VVildenberg,  Ulrich  Fiittrer  et  Feit  Arnpeck,  précurseurs  de 
l'historien  JeanTurmayr  (surnommé  l'Aventin^),  ont  fait  preuve  d'un 
labeur  persévérant,  d'un  fidèle  amour  pour  leur  mission  d'historien, 
d'un  talent  d'où  la  critique  n'est  pas  absente,  mais  qui  est  surtout 
littéraire.  L'historien  du  Schleswig-,  Pierre  Eschenloer,  se  distingue 
par  une  exactitude  diplomatique.  La  Suisse,  relativement  parlant, 
est  le  pays  le  plus  riche  en  bons  et  solides  ouvrages  d'histoire.  11  faut 
surtout  citer  :  Melchior  Russ  et  Petermann  Etterlin,  à  Lucerne; 
Conrad  Justinger  et  Diebold  Schilling,  à  Berne. 

Un  monument  précieux  pour  l'histoire  de  la  bourgeoisie  des  pays 
allemands,  c'est  l'autobiographie  et  la  chronique  de  Burkard  Zink 
(t  1474)  ;  Zink  était  receveur  des  impôts  à  Augsbourg,  et  avait  beaucoup 
voyagé.  D'un  ton  plein  de  bonhomie,  il  expose  les  faits  dans  un  style 
coulant  et  familier;  il  raconte  ses  voyages,  ses  aventures,  et  dépeint 
la  vie  active  et  variée  de  la  riche  cité  d' Augsbourg;  il  montre  une 
sympathie  chaude  et  sincère  pour  les  intérêts  de  la  ville,  comme  en 

Germania,  t.  III,  p.  407-444.  —  Voy.  les  Nouvelles  dans  le  livre  de  Frommann,  Deu- 
ischc  Mundarten,  t.  I,  p.  170-226,  et  t.  II,  p.  1-17,  289-302.  —  Les  contes  et  léijeiides 
dans  la  Germania,  t.  IX,  p.  261-289.  —  Voyez  les  récits  reproduits  dans  la  Zeits- 
chrift fur  deutsche  Philologie,  vON  Höpfner  et  Zacher,  t.  VI,  p.  430-442  (Halle,  1875). 
'  Voyez  Kurz,  p.  445.  —  Dans  la  haute  Allemagne,  la  prose  souffrit  beaucoup 
du  mélange  de  dialectes  différents. 

*  Ainsi,  par  exemple,  le  portrait  du  héros  Cuno  de  Falkenstein  est  vraiment 
digne  de  la  plus  belle  épopée,  p.  42-43,  édit.  de  1720.  —  Chrysander,  Jahrbücher, 
1. 1,  p.  119. 

*  Voyez  A.  KluCKHOHN  dans  ses  Forschungen  zur  deutschen  Geschichte,  t.  VII, 
p.  203-213. 


248  L'ART    ET    LA   VIE    POPULAIRE. 

général  pour  tout  ce  qui  peut  contribuer  à  la  prospérité  de  la  bour- 
geoisie '. 

La  Chronique  de  Ahiremherg,  de  Sigmont  Meisterlin,  est  d'un 
intérêt  plus  étendu,  d'une  plus  grande  portée  littéraire;  elle  fut 
longtemps  d'une  importance  capitale  pour  l'histoire  de  la  ville. 
Après  avoir  reçu  une  instruction  solide  chez  les  Bénédictins  de  Saint- 
Ulrich  et  Afra,  à  Augsbourg,  école  aussi  remarquable  sous  le  rap- 
port de  la  discipline  ecclésiastique  que  sous  celui  des  études  scien- 
tifiques, Meisterlin  visita,  chargé  d'une  mission  spéciale  du  conseil  de 
Nuremberg,  les  monastères  de  Franconie,  de  Bavière  et  de  Souabe. 
A'son  retour,  il  rédigea  sa  chronique,  qu'il  termina  en  1488  *.  Il  a  de 
belles  paroles  dans  son  introduction  et  d'autres  endroits  de  son  livre, 
sur  la  portée  de  l'histoire  et  la  mission  de  l'historien.  Il  se  propose 
d'offrir  à  la  génération  grandissante  le  récit  du  glorieux  passé  de 
Nuremberg,  afin  qu'elle  soit  encouragée  et  fortifiée  par  les  exemples 
de  ceux  qui  l'ont  devancée,  et  conserve  avec  fermeté  l'honneur  qu'ils 
ont  acquis.  «  J'estime,  dit-il,  que  lorsque  nos  jeunes  gens  suivent 
les  excellents  exemples  de  leurs  pères  et  maintiennent  la  bonne 
situation  dans  laquelle  ils  ont  su  établir  leur  patrie,  c'est  une  chose 
glorieuse  et  utile  à  tous.  L'honneur  et  la  louange  augmentent  le 
zèle  des  hommes  pour  le  bien.  Tous  les  cœurs  sont  enflammés,  dès 
qu'une  grande  action  leur  offre  l'espérance  d'acquérir  de  la  gloire 
et  des  louanges,  dit  Cicéron;  au  lieu  que  l'on  tient  caché  ce  qui  est 
méprisable.  Nos  jeunes  gens  concevront  une  noble  ambition  quand 
ils  verront  louer  leurs  pères,  qui  ont  tant  peiné,  qui  ont  livré  de  si 
durs  combats,  lorsqu'on  mettra  sous  leurs  yeux  leur  probité  sans  tache 
et  les  preuves  de  leurs  persévérants  efforts.  Alors  ils  fuiront  ce  qui 
est  honteux,  ils  s'attacheront  à  la  vertu,  à  la  paix,  et,  dans  la  guerre 
comme  à  la  maison,  auront  une  conduite  exemplaire.  C'est  dans  cette 
espérance  que  nous  nous  adonnons  à  l'histoire,  rejetant  toutes  les 
fables  et  les  contes;  nous  n'en  voulons  pas  admettre  parce  que  l'histoire 
ne  réclame  que  la  vérité;  nous  entreprenons  cette  tâche  dans  le  désir 
d'être  agréable  à  ceux  qui  aiment  la  gloire,  l'honneur  et  l'intérêt  de 
leur  patrie.  "  La  déesse  de  l'envie  avoue  qu'  «  eu  traversant  l'Alle- 
magne ,  elle  n'a  vu  nulle  part  le  service  de  Dieu  plus  en  honneur,  un 
clergé  mieux  discipliné,  plus  d'aumônes  distribuées,  une  plus  stricte 
justice  rendue  à  chacun  que  dans  la  ville  de  Nuremberg  ^  ». 

Après  Meisterlin,  l'histoire,  à  Nuremberg,  devint,  littéralement 


Dans  le  tome  cinquième  des  Chroniken  der  deutschen  Städte.  —  Voyez  la  pré- 
face, XI-XLI. 

-Édité  pour  la  première  fois  dans  le  troisième  tome  des  Cluonikcn  der  deutschen 
Städte. 

^  Voyez  C/ironiken  der  deutschen  Städte,  t.  III,  p.  3-23,  3i,  130,  166. 


Il  IS  TOI  HE.  240 

parlai! (,  l'apana^ic  de  la  bourgeoisie.  La  clironiquc  du  bras«eu?'  et 
curaleur  des  pauvres,  Henri  Deichsler,  et  beaucoup  d'aulrcs  mémoires 
el  annales  du  même  {jenre  ',  introduisent  le  lecteur  dans  la  pleine 
réalité  de  la  vie  bourgeoise,  si  animée  à  celte  époque.  Avec  nos  bons 
chroniqueurs,  nous  parcourons  les  rues,  les  places  de  Nuremberg; 
nous  pénétrons  même  dans  Tintéricur  des  maisons  et  sommes  initiés, 
par  des  détails  pris  sur  le  vil",  à  tout  ce  (jui  intéressait  et  passionnait 
alors  grands  et  petits.  On  pourrait  dilficilement  citer,  à  d'autres 
époques,  des  tableaux  d'histoire  contempoiaine  aussi  vivants,  aussi 
populaires  que  ceux  des  chroniqueurs  de  Nuremberg  et  d'autres 
villes  allemandes,  pendant  les  dernières  années  du  quinzième  siècle  -. 

Cologne  aussi  eut  sa  chronique  :  un  auteur  resté  inconnu  publia 
V Histoire  de  la  sainte  ville  de  Cologne.  Elle  est  écrite  dans  le  dia- 
lecte du  bas  Rhin  (1499).  En  général,  la  prose  de  la  basse  Allema- 
gne surpasse  de  beaucoup  par  son  charme,  par  la  grâce  attrayante 
du  récit,  ce  que  la  haute  Allemagne  a  produit  de  meilleur  \  et,  sous 
tous  ces  rapports,  rien  ne  peut  être  comparé  à  la  Chronique  de  Cologne. 
C'est  une  histoire  universelle,  une  source  inestimable  d'informations 
pour  l'histoire  particulière  de  la  ville  durant  les  quatorzième  et 
quinzième  siècles;  mais,  à  partir  de  1450,  elle  s'étend  bien  au  delà 
des  limites  restreintes  de  Cologne.  L'auteur  nous  dit  dans  son 
introduction,  après  avoir  parlé  de  l'utilité  des  connaissances  histo- 
riques, «  que,  pour  employer  utilement  son  temps,  pour  la  gloire  de 
Dieu,  de  sa  sainte  Mère  et  des  trois  saints  rois,  il  a  pris  courage, 
avec  la  grâce  de  Dieu,  et  s'est  mis  à  composer  une  chronique  tirée 
de  chroniques  allemandes  et  latines,  utiles  et  plaisantes  à  lire  et  à 
entendre  ».  «  Je  veux  écrire  ce  livre  en  allemand  vulgaire,  dit-il,  car 
il  est  de  l'inclination  naturelle  de  tout  homme  d'être  surtout  curieux 
de  ce  qui  concerne  son  pays.  Il  entend  plus  volontiers  parler  du  sol 
qui  l'a  vu  naitre,  où  il  a  été  élevé,  des  actions  courageuses  et  des 
glorieuses  aventures  de  ses  ancêtres  et  prédécesseurs,  que  de  ce  qui 
regarde  les  étrangers.  C'est  pourquoi  je  veux  écrire  en  allemand  les 
événements  les  plus  remarquables  et  les  plus  intéressants  des  pays 
allemands.  "  L'auteur  appelle  la  "  très-glorieuse  et  sainte  ville  de 
Cologne  la  capitale  et  la  métropole  de  tous  les  pays  de  l'Allemagne  ». 
«  Il  y  a  un  proverbe  qui  dit  :  Paris  en  France,  Londres  en  Angleterre, 
Cologne  en  Allemagne,  Rome  en  Italie;  un  autre  appelle  Cologne 
une  couronne  qui  brille  au-dessus  de  toutes  les  villes;  c'est  pourquoi 
je  m'étendrai  particulièrement  sur  les  commencements  et  l'origine 

'  Reproduits  dans  les  X*  et  XP  tomes  des  Cfironiken  der  dctUschen  Städte. 

*  Voyez  là-dessus  Kern,  dans  les  Chrouihen  der  deutschen  Städte,  t.  X,  p.  47-89, 

'Voyez  FnoJlMANN,  Deutsche  Mundarten,  t.  I,   p.    173. 


250  L'ART    ET    LA    VIE    FOPULAIhE. 

de  notre  cité,  et  rapporterai  tout  ce  que  j'ai  pu  découvrir  sur  ce  sujet 
dans  les  écrits  authentiques.  "  Le  chroniqueur  ne  méconnaît  nulle- 
ment les  plaies  du  temps,  les  gra\es  abus  qui  se  sont  introduits  dans 
le  cierge  et  parmi  les  laïques;  mais  il  n'est  cependant  pas  de  l'avis  de 
ceux  qui  se  plaignent  toujours  de  leur  siècle.  "  Les  hommes  qui  ont 
vécu  avant  nous,  dans  les  années  écoulées,  ont,  selon  lui,  souffert  et 
supporté  des  choses  bien  plus  rudes  que  ceux  qui  vivent  maintenant.  » 
Les  temps  présents,  à  l'entendre,  sont  <  des  années  d'or  »  comparées 
au  passé.  «  Mais,  ajoute-t-iî,  parce  que  dans  notre  siècle  on  s'est 
habitué  à  couler  des  jours  paisibles  et  agréables,  sous  un  ciel  pur  et 
clément,  on  est  facilement  ému  et  troublé  par  le  plus  petit  nuage 
d'anxiété  qui  menace  à  l'horizon  '.  " 

La  Chronique  d'Autriche,  de  .Jacques  Unrest,  curé  de  Saint-Martin, 
à  Techelsberg,  en  Cariuîhie,  est,  parmi  beaucoup  d'autres  du  même 
genre,  celle  qui  se  rapproche  le  plus  de  la  chronique  de  Cologne 
par  son  caractère  véritablement  populaire;  elle  s'arrête  en  1449. 
L'allemand  des  pays  du  sud,  mêlé  de  dialecte,  met  dans  un  relief 
agréable  et  original  le  sentiment  naïf,  l'accent  plein  de  sincérité, 
l'intérêt  vivant  du  récit.  L'auteur  voit  juste,  juge  avec  intelligence 
et  sent  avec  chaleur.  Dans  ses  paroles,  exemptes  d'emphase,  respire 
une  âme  élevée  et  loyale,  amie  du  droit  et  de  la  vérité.  C'est  surtout 
par  ces  qualités  qu'il  se  rapproche  du  chroniqueur  de  Cologne.  Les 
deux  historiens  veulent  de  tout  leur  cœur,  de  tout  leur  loyal  bon 
vouloir,  dire  la  vérité  tout  entière  sans  y  mêler  aucun  ornement; 
ils  entendent  parler  en  toute  liberté,  épargnant  aussi  peu  le  clergé 
que, les  laïques  quand  il  y  a  des  fautes  à  blâmer  ou  des  abus  à  signa- 
ler -.  Comme  beaucoup  d'historiens  du  même  temps,  ils  paraissent 
avoir  pris  à  cœur  ces  paroles  du  Guide  de  l'âme  :  »  Les  puissants  de  la 
terre,  spirituels  ou  temporels,  doivent  apprendre  dans  l'histoire 
des  temps  passés  à  devenir  graves,  humbles  et  bons;  l'homme  léger 
tombe  dans  la  peine  et  la  honte;  l'orgueilleux  est  frappé  par  la  jus- 
tice de  Dieu;  mais- celui  qui  est  humble  et  fait  le  bien  de  toutes 
ses  forces  trouve  la  grâce  et  la  joie.  Il  y  a  un  Prince  au-dessus  de 
tous  les  princes,  un  .luge  souverain  au-dessus  de  tous  les  juges  de  la 
terre,  un  Rémunérateur  tout-puissant  et  un  Vengeur  redoutable.  Voilà 
ce  qu'il  vous  faut  apprendre  dans  l'histoire  des  temps  passés;  et  sachez 
que  ce  qui  est  mal  porte  toujours  en  soi-même  son  châtiment  \  » 

'  Sur  la  chronique  de  Co'ogne,  voyez  les  recherches  critiques  de  Cardauns 
dans  l'introduction  à  la  nouvelle  édition  qu'il  en  a  donnée  :  Chroniken  der  deutschen 
Studie.  XIII,  p.  211-252. 

-  Sur  Unrest  voyez  les  observations  critiques  de  Kroxes  dans  les  Archit\  fur 
Österreichische  Geschichte,  XLVIII,  p.  421-530. 

^  Page  22. 


HISTOIRE.  25  t 

Ces  clironùiiicurs  simples  et  vrais,  pas  plus  que  les  jjraiuls  artistes 
leurs  conlemporaiiis,  n'avaient  le  dessein  de  travailler  dans  un  but 
personnel.  Ils  laissaient  aux  laits  leur  éloquence,  et  les  cliar[',eaient 
d'éclairer,  d'émouvoir  et  de  saisir  l'esprit  du  lecteur.  Les  moyens 
arlificiels  leur  étaient  inconnus;  néanmoins  ils  avaient  le  sentiment 
inconscient  du  but  élevé  de  l'histoire,  et  comprenaient  toute  la  portée 
de  leur  haute  mission.  «  L'historien,  disent-ils,  doit  être  le  miroir 
des  jugements  de  la  justice  divine;  il  est  chargé  de  louer  et  d'hono- 
rer les  hommes  justes  du  passé,  d'élever  aux  méchants  un  monu- 
ment de  honte,  et  d'indiquer  aux  vivants  ce  qu'ils  ont  à  faire.  "  On 
entend  souvent  retentir  dans  nos  anciennes  chroniques  l'avertisse- 
ment éloquent  donné  aux  grands  par  Ébrard  de  Wildenberg  :  «  O  vous, 
princes  spirituels  et  temporels,  détournez-vous  des  grands  péchés,  de 
peur  que  le  courroux  de  Dieu  ne  tombe  sur  la  chrétienté!  .le  vous 
le  dis  en  vérité,  vous  devrez  en  répondre  au  dernier  jugement!  >' 

Dans  presque  toutes  ces  chroniques,  nous  sommes  touchés  du  sen- 
timent patriotique  de  nos  historiens,  de  leur  fidèle  attachement  pour 
le  peuple,  de  leur  amour  pour  cet  empereur  romain  de  nation  alle- 
mande que  Burkard  Zink  appelle  le  «  Seigneur  de  tous  les  princes 
chrétiens  ».  «  La  Germanie,  amenée  par  la  sainte  foi  à  la  douceur  et 
aux  bonnes  mœurs,  est-il  dit  dans  le  Livre  des  Climniqucs  (1493),  est 
puissante  de  toutes  parts  par  son  commerce  et  son  industrie.  Elle 
accueille  avec  bonté  ses  hôtes,  elle  est  compatissante  pour  ceux  qui 
l'implorent,  et  ne  le  cède  à  aucune  nation  en  belles  manières,  en 
bonnes  mœurs,  en  puissance  et  en  habitants.  Elle  ne  le  cède  non  plus 
à  aucun  autre  royaume  pour  ce  qui  est  de  la  richesse  minérale,  car 
tous.  Italiens,  Gaulois,  Espagnols  et  autres  tirent  des  marchands  alle- 
mands presque  tout  l'argent  qu'ils  possèdent.  iSotre  nation,  sans 
aucune  aide  extérieure,  dispose  de  tant  d'hommes  à  cheval  et  à  pied, 
qu'elle  peut  facilement  tenir  tète  aux  pays  étrangers.  Il  y  aurait 
beaucoup  de  choses  excellentes  à  ^dire  de  sou  esprit  chrétien,  de  sa 
justice,  de  sa  foi,  de  sa  loyauté  '.  '> 

Les  histoires  mêmes  des  peuples  étrangers  étaient  écrites  dans  le 
but  de  glorifier  l'Allemagne,  comme  le  dit  expressément  Bernard 
Schoferlin,  dans  son  Histoire  romaine  (Mayence,  1505). 

Cet  ouvrage  mérite  d'attirer  l'attention  sous  plusieurs  rapports, 
entre  autres  à  cause  de  son  style.  Dans  la  préface,  il  est  fait  une 
allusion  intéressante  aux  romans  de  chevalerie,  alors  si  avidement  lus. 
L'auteur,  d'accord  en  cela  avec  le  Guide  de  l'âme,  assure  <  qu'il  y  a 
plus  de  sens  et  d'art  dans  la  vérité  que  dans  toutes  les  inventions  des 
poètes  ".  H  recommande  l'étude  de  l'histoire  comme  -  un   anti- 

'  Das  Duell  der  Chroniken  du  receveur  de  Nuremberg,  Georges  Alt,  dans  le  Liber 
Cronicarum  d'Hartmann  Schedel,  p.  286.  Nuremberg,  chez  Roburger,  1493. 


252  L'ART    ET    LA    VIK    POPULAIUE. 

dote  puissant  contre  les  fables  ".  »  .le  n'ai  pas  l'intention  d'écrire  un 
livre  tiré  de  mon  propre  Ibnds,  dit-il;  mais  je  veux  recueillir  et 
transcrire  dans  les  livres  latins  et  grecs  venus  jusqu'à  nous  tout 
ce  qui  me  paraîtra  bon  et  utile;  je  lerai  comme  l'abeille  qui,  pour 
composer  son  miel,  met  à  profit  le  suc  de  tant  de  fleurs.  Je  veux 
essayer  si  mon  récit  une  fois  terminé  sera  agréable  à  entendre  en 
langue  allemande,  doux  à  l'oreille,  et  si  j'en  puis  attendre  des  fruits 
utiles.  J'espère  qu  il  apportera  plus  de  profit  à  beaucoup  d'âmes  que 
ces  fables  appelées  livres  de  cbevalerie,  remplies  de  choses  rêvées, 
imaginaires,  invraisemblables,  incapables  de  donner  aux  hommes  les 
idées  justes  et  les  connaissances  utiles  que  nous  puisons  dans  les  his- 
toires vraies.  »  On  peut  rapprocher  de  ces  paroles  celles  du  Guide  du 
l'âme  :  «  De  notre  temps,  tout  le  monde  veut  lire  et  écrire;  cela  est 
bien  lait  et  louable  lorsqu'il  s'agit  de  bons  livres,  mais  nuisible 
lorsqu'il  s'agit  de  mauvais  livres  qui  nous  attirent  â  la  volupté  et  à 
l'impureté,  comme  le  font  tant  de  recueils  de  contes.  Ceux-là,  ne  les 
ouvre  pas.  Lire  des  livres  pieux  et  des  histoires  vraies,  cela  seul  est 
bon  et  profitable  au  salut  de  ton  âme  '.  "  La  Consolation  de  fàme  dit 
aussi,  se  plaçant  à  un  point  de  vue  encore  plus  austère  :  «  Beau- 
coup de  geus  lisent  maintenant  des  livres  mondains  ou  les  écoutent 
lire  volontiers;  mais  ils  perdent  ainsi  tout  leur  travail  parce  ({u'ils 
n'y  trouvent  pas  la  consolation  de  l'âme.  Les  gens  vains  et  légers 
lisent  les  romans  de  Tristan,  de  Dietrich  de  Berne,  et  les  aventures  des 
anciens  héros  qui  servaient  le  monde,  et  non  Dieu.  Dans  ces  contes, 
il  n'y  a  nul  profit  à  tirer,  car  on  n'y  trouve  pas  la  consolation  de 
l'âme.  En  les  lisant,  tu  ne  feras  que  perdre  Ion  temps;  or,  nous 
devrons  rendre  compte  à  Dieu  de  toutes  les  heures  que  nous  employons 
inutilement  ^  « 

Ces  citations  peuvent  servir  à  prouver  la  vaste  diffusion  des  livres 
populaires  dès  cette  époque. 


11 


I 


Parmi  les  livres  dont  le  canevas  romanesque  et  poétique  plaisait 
à  la  vive  imagination  du  peuple,  ceux  qui  étaient  empruntés  aux 
sources  fécondes  des  légendes  héroïques  de  notre  pays  ou  de  l'étran- 
ger étaient  surtout  recherchés.  Ces  romans  n'étaient  souvent  que  la 
simple  mise  en  prose  d'anciens  poèmes.  Citons,  par  exemple,  ÏHis- 

'  Page  II. 

'  Voyez  Geffcken,  p.  45. 


LIVHES    rolMJLAlKES.  263 

toire  du  (Inc.  Krns^,  éditée  à  la  (iu  du  siècle,  et  chère  au  peuple  à 
cause  des  malheurs  et  du  coura{',e  de  son  héros;  VHisloirc  de  Guillaume 
d'Aulric/ie  (1481);  de  Wigalois,  le  chevalier  à  la  roue  (1493),  et  celle  de 
VlCinpereur  Frédéric  à  la  lonç/ue  barbe  rouge,  que  les  Italiens  ont  sur- 
nommé fiarbr/rossa  iiöii)};  les  Merveilleuses  Aventures  de  la  fée  Melu- 
sine (1474),  roman  dont  le  plus  pur  amour  maternel  fait  le  sujet;  la 
très-belle  Histoire  nouvelle  des  amours  du  prince  Ftor  et  de  sa  chère  Blan- 
cheßor  (1499j;  les  Aventures  de  Lothaire  et  de  Maller  (1514),  qui  appar- 
tieuuent  au  cycle  cariovinfjien;  V Histoire  du  sire  Tristan  et  de  la  belle 
Isculi,  publiée  pour  la  première  fois  en  1498.  «  Les  lecteurs  ne  doivent 
y  apprendre  qu'une  chose,  disait  le  rédacteur  dans  sa  préface,  «  c'est 
(jue  l'amour  profane  et  sensuel  conduit  â  la  douleur,  à  l'angoisse  eî 
à  une  lamentable  fin  les  personnages  même  les  plus  dignes  d'admi- 
ration ". 

Citons  encore  parmi  les  livres  populaires  les  plus  lus  :  le  Roman  de 
Griscldis  (1471)  (Griseldis  est  une  simple  paysanne  ennoblie  par  son 
mariage  et  traitée  inhumainement  par  le  margrave  son  mari.  Malgré 
ses  cruautés,  elle  lui  reste  cependant  d'une  obéissance  et  d'une  fidé- 
lité touchantes)  ;  \ Instruction  des  sept  sagcs\  recueil  de  seize  agréables 
nouvelles,  imprimées  en  1476  et  souvent  rééditées  depuis;  et  V His- 
toire merveilleuse  de  Fortunatus,  au  chapeau  enchanté  et  à  la  bourse 
toujours  pleine. 

Les  livres  malicieux,  railleurs,  satiriques,  dans  lesquels  la  gaieté 
populaire  parcourt  tous  les  degrés,  depuis  la  plaisanterie  enjouée 
jusqu'à  la  bouffonnerie  la  plus  grossière,  paraissaient  en  grand 
nombre.  Au  point  de  vue  des  mœurs  de  l'époque,  ils  méritent  l'atten- 
tion spéciale  de  quiconque  veut  connaître  à  fond  le  quinzième  siècle. 
On  peut  leur  appliquer  ce  que  dit  Eulenspiegel  à  l'hôtesse  de  Nugen- 
stadten  :  «  Dire  la  vérité,  c'est  mon  métier  »;  dans  ce  métier,  nos 
auteurs  satiriques  semblent  trouver  la  justification  des  rudes  vérités 
qu'ils  adressent  aux  savants  gonflés  par  une  science  stérile,  et  en  géné- 
ral à  toutes  les  classes  sociales,  dont  ils  raillent  sans  pitié  les  travers. 

L'une  des  œuvres  les  plus  aimées  dans  ce  genre  était  le  livre  intitulé  : 
Questions  et  réponses  du  roi  Salomon  et  de  Marcolphe^  dont  îa  première 
édition  date  de  1487.  La  grosse  gaieté  populaire  qui  y  domine  est  mise 
en  opposition  avec  la  pédanterie  de  l'écule;  le  bon  sens  naturel 
y  triomphe  de  la  science  acquise,  se  rengorgeant  dans  sa  vanité. 
Toutes  les  sages  maximes  que  Salomon  débite  l'une  après  l'autre 
sont  parodiées  aussitôt  par  Marcolphe  :  ^-  Cependant  le  roi  très-sage 
marche  solennellement  au  soleil,  en  long  et  en  large,  sa  couronne 
sur  la  tête,  son  sceptre  à  la  main,  tandis  que  son  ombre,  se  reflétant 

'  GOEDEKE,  Gruiidriss  zur  Geschichte  der  deulschcn  Dichtung,  p.  118. 


254  L'ART    ET    LA   VIE    POPULAIRE. 

dans  le  marais  voisin,  lui  fait  perdre  tout  majestueux  prestige  '.  • 
jMarcolphe  est  encore  bien  dépassé,  en  fait  d'humour  rude  et 
grossier,  par  Till  Eulenspiegel,  le  bouffon  en  titre  des  classes  infé- 
rieures. Tout  ce  que  le  siècle  a  pu  imaginer  de  plaisanteries  et  de 
farces  se  trouve  réuni  dans  ce  livre.  C'est  le  manuel  le  plus  complet 
de  toutes  les  malices  et  espiègleries  imaginables.  Les  puissants,  les 
petits,  les  simples,  les  pédants  gonflés  du  sentiment  de  leur  mérite, 
les  prêtres,  les  laïques,  personne  n'y  est  épargné.  Il  porte  l'empreinte 
des  basses  régions  d'où  il  tire  son  origine.  Sa  franchise  prime- 
sautière  va  quelquefois  jusqu'à  la  raillerie  la  plus  mordante;  une 
veine  d'âpre  satire  court  dans  tout  l'ouvrage.  On  y  retrouve  cette 
rude  ironie  que  l'on  s'accorde  à  reconnaître  pour  un  des  traits  de 
caractère  des  paysans  allemands.  De  là  aussi  l'image  justement 
choisie  qui  lui  sert  d'enseigne  :  un  hibou  se  regarde  au  miroir  et 
semble  être  le  symbole  de  la  malice  féline  qui  domine  dans  le  livre. 
Sa  lourde  plaisanterie,  sa  grossièreté  brutale  choquent  assurément 
notre  goût,  mais  s'expliquent  par  le  milieu  où  il  s'est  produit;  cepen- 
dant l'auteur  ne  s'oublie  jamais  jusqu'à  tomber  absolument  dans 
l'obscène  ^.  Il  est  à  remarquer  que  là  aussi,  comme  dans  les  farces  du 
carnaval  de  Nuremberg,  en  dépit  de  toutes  les  satires  qui  fustigent 
les  vices  du  clergé,  l'Eglise,  en  tant  que  gardienne  et  représentante 
de  la  foi,  n'est  attaquée  nulle  part,  au  lieu  que  l'hérésie  est  fréquem- 
ment prise  à  partie-'. 


111 


L'attrait  pour  les  lointaines  expéditions,  si  vivement  éprouvé  par  nos 
ancêtres  depuis  le  milieu  du  quinzième  siècle,  donna  lieu  à  un  genre 
de  littérature  spécial*  :  les  aventures  de  voyages  forment  une  vaste 
branche  de  la  littérature  instructive  et  amusante  de  cette  époque, 
et  fournissent  au  peuple  un  aliment  toujours  nouveau.  Les  récits 
les  plus  aimés  étaient  ceux  du  -  noble  chevalier  et  voyageur  Marco 

'  GÖRRES,  Volksbücher,  p.  189-190. 

-GÖRRES,  p.   196-198. 

3  '  Lorsque  Eulenspiegel  se  rendit  en  Bohême  ■,  lit-on  dans  la  vingt-huitième 
histoire,  «  il  y  trouva  encore  de  bons  chrétiens;  c'était  avant  que  Wiclef  apportât 
l'hérésie  en  Bohême  >,  etc.  Lappenberg,  p.  38.  Lappenberg  a  réfuté  l'opinion 
de  Görres,  qui  affirme  que  plus  tard  1  Eulenspiegel  s  est  divisé  en  deux  parties, 
l'une  catholique   et  l'autre   protestante.   Voyez  L.*.ppe>berg,  p.  302. 

*  Sur  les  curreiidi  libido  du  temps,  voyez  les  passages  cités  par  Barvck  dans  les 

Archiv,  des  hislor.  Vereins  von  U nlerf ranken ,  c.  14,  12-13.  —  Sur  leS  pèlerinages 
d'enfants,  voy.  Hoffmann,  Kirchenlied,  p.  185-187.  —  Voy.  Germain,  Saint  Michel 
et  le  mont  Saint-Michel,  Paris,  1879. 


VOYAGES.  255 

Polo  »,  c(  les  voyan,e.s  aventureux  de  TAugiais  .Ican  rie  Mandeville, 
premières  nouvelles  de  ce  monde  merveilleux  dont  rOccident  venall 
d'apprendre  l'existence. 

Les  récits  de  Godefroy  de  Bouillon,  les  historiens  des  croi- 
sades, les  descriptions  de  pèlerina^ycs  dans  tons  les  saints  lieux  de 
l'Europe  et  en  Palestine,  avaient  donné  une  direction  religieuse  au 
goût  des  voyages  '  :  "  Beaucoup  de  livres,  dit  ï Exiiorlation  chrétienne, 
décrivent  les  sainis  lieux  on  les  chrétiens  fervents  se  rendent  pour 
la  gloire  de  Dieu  et  l'honneur  de  sa  Mère  bénie  et  des  saints.  Là, 
ils  prient,  ils  chantent  en  commun,  se  rendant  quelquefois  dans 
des  pays  très-éloignés,  et  souvent  traversant  les  mers.  Tu  feras  bien 
de  lire  de  tels  livres,  ils  enflammeront  ton  cœur.  Allons,  courage! 
prends  ton  bâton,  sois  joyeux  et  bien  disposé,  sois  humble  et  pieux, 
prie  Dieu  et  honore  ses  saints  !  Il  y  a  plaisir  à  voir  et  à  entendre  les 
choses  nouvelles,  à  visiter  les  villes  des  étrangers;  il  y  a  aussi  une 
sainte  joie  à  voyager,  à  visiter  de  pieux  sanctuaires  *.  » 

On  retrouve  la  trace  de  ce  "  saint  plaisir  du  voyage  "  dans  beau- 
coup de  récits  contemporains.  Citons  celui  du  barbier  et  joueur  de 
luth  .lost  Artus  qui,  en  148.3,  entreprit  un  voyage  en  Terre  Sainte  : 
«  J'étais  encore  jeune,  raconte-t-il,  j'étais  joyeux  de  parcourir  le 
monde,  d'aller  voir  beaucoup  de  villes  et  de  pays  très-éloignés;  tout 
mou  désir  était  d'aller  loin,  bien  loin,  le  plus  loin  possible!  »  "  Nous 
arrivâmes  jusqu'à  la  mer  Salée.  Nous  étions  tous  gais  et  joyeux,  et 
nous  nous  mimes  à  chanter  : 

I  Mettons-nous  en  route  au  nom  de  Dieu,  et  entrons  dans  ce  vais- 
seau... « 

«  Lorsque  nous  arrivâmes  à  l'ile  de  Chypre,  notre  jeune  compa- 
gnon Frantz  me  dit  :  <  Allons  admirer  la  belle  ville  de  Nicosi  »,  et  j'y 
allai  avec  lui.  Nous  arrivâmes  près  d'une  maison  devant  laquelle  était 
une  belle  cour,  bien  pourvue  de  fleurs  et  de  fontaines  jaillissantes; 
autour  de  cette  maison  il  y  avait  une  grille  en  fer.  Je  m'assis  sur  un 
banc  de  pierre,  je  pris  mon  luth  et  chantai  la  chanson  allemande  : 

«  Si  loin,  si  loin  de  la  patrie,  l'étoile  du  soir  m'a  souri.  Je  te  connais, 
toi  et  ta  route!  Et  toi,  me  reconoais-tu?  ^ 

'-  Nous  poursuivîmes  au  loin  notre  voyage,  le  cœur  heureux  et 
satisfait;  nous  aperçûmes  enfin  la  Terre  Sainte;  alors  nous  chan- 
tâmes, l'âme  pleine  de  bonheur,  d'une  voix  claire  et  forte  : 

«  Nous  te  saluons,  Terre  sacrée,  où  notre  Christ  a  subi  sa  Passion!  » 

'  Voy.  Falk,  Druckkunst,  p.  53-79,  106-107. 

*  Ein  cristlich  ermanung  iumfrummen  leben,   p.  12. 


256  f.'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

■•'  Lorsque  nous  approchâmes  de  l;i  rive  et,  (out  eu  nous  dirigeant 
vers  elle,  nous  chantâmes  joyeusement  : 

ï  Mettons-nous  en  roule  au  nom  de  Dieu  et  rapprochons-nous  du  port,  s 

«  Enfin  nous  vîmes  briller  clairement  devant  nous  la  belle,  sainte, 
vénérable,  noble  ville  de  Jérusalem,  et  la  sainte  montagne  de  Sion! 
Et  lorsque  nous  vîmes  la  cité  tant  désirée,  nous  nous  jetâmes  à  terre 
pour  prier,  et  nous  remerciâmes  Dieu.  Ensuite  nous  nous  mimes  en 
procession  et  chsnïâmes  d'une  voix  joyeuse  et  claire.  ;;  <;  Mainte- 
nant je  veux  vous  parler  du  Frère  Jean,  qui  donne  l'accolade  aux 
chevaliers  du  Saint-Sépulcre.  C'est  un  homme  du  monde,  et  non  un 
moine;  il  n'est  pas  lié  par  des  vœux,  et  pourtant  il  habite  le  cloitre; 
c'est  un  grand  vieillard  maigre,  avec  une  longue  barbe  grise;  il  est 
très-vénéré,  même  des  infidèles '.  » 

Parmi  les  descriptions  de  voyages,  le  pèlerinage  du  chevalier  Arnold 
HarCf  en  Terre  Sainte  mérite  d'être  le  premier  mentionné,  ainsi  que 
le  livre  du  chambellan  Bernard  de  Breidenbaeh  (de  Mayence),  paru 
en  1486  et  intitulé  les  Saints  l'oijages  à  Jérusalem.  Ce  dernier  contient 
une  description  exacte  et  complète  des  lieux  saints  et  donne  une 
idée  fidèle  de  l'état  où  ils  étaient  alors.  "  Je  n'ai  pas  encore  connu 
ni  entendu  d'homme  qui  puisse  se  vanter  d'avoir  vu  une  église  aussi 
pieuse  et  aussi  riche  que  celle  de  Bethlehem,  dit  l'auteur;  on  y  voit 
beaucoup  de  grandes  et  magnifiques  colonnes  de  marbre  rangées  en 
quatre  ordres;  de  plus,  l'église  extérieure  appelée  nef,  depuis  le  bas 
de  ces  colonnes  jusqu'aux  solives,  est  faite  d'un  bel  et  noble  ouvrage 
de  mosaïque  où  est  représentée  toute  l'histoire  du  monde,  depuis  le 
commencement  jusqu'au  jugement  dernier.  L'église  est  pavée  de 
marbres  de  diverses  couleurs,  qui  composent  des  dessins  magnifiques; 
tout  cela  est  si  précieux  que  beaucoup  croient  impossible  de  l'esti- 
mer. ')  Ce  livre  eut  plusieurs  éditions  allemandes  et  latines,  et  fut 
traduit  en  hollandais,  en  français,  en  italien  et  même  en  espagnol 
(1498)  K 

La  dédicace,  adressée  à  l'archevêque  de  Mayence  Berthold  de  Hen- 
neberg, contient,  sur  la  ditlusion  des  livres  et  la  passion  d'écrire, 
devenue  si  commune  à  cette  époque,  un  passage  digne  d'être  cité,  et 
qui  rappelle  les  paroles  du  Gxndc  de  l'âme  :  «  De  notre  temps,  tout 
le  monde  veut  lire  et  écrire.  ;;  ^  11  n'y  a  plus  de  fin,  dit  Breidenbaeh, 
à  la  fabrication  des  livres  nouveaux.  Les  instruits  et  les  ignorants 


'Reproduit  avec  les  diverses  orthographies  dans  Vllpius,  Cw-iosiiiUen,  t.  II, 
p.  407-422.  —  Voy.  Hoffmann,  Kirchenlied,  p.  191-192. 

-  Four  plus  de  détails,  voy.  Falk,  Druckkunst,  p.  47-5.3,  et  la  liste  des  éditions, 
p.  104-106.  —  RÖHRICHT  et  ."Meisner,  Deutsche  Pilgerreisen  nach  dem  heiligen  Lande 
(Berlin,  1880). 


TI\AÜU«;T10NS,    ho  man  s,    nouvelles,    fables.  257 

écrivent  des  poésies  et  font  des  livres.  La  vieille  femme  radoteuse, 
le  vieillard  retombé  en  enfance,  le  sophiste  bavard,  tout  le  monde  a 
l'audace  d'écrire  et  veut  faire  des  griffonnages;  tous  briUcnt  de 
dire  aux  autres  ce  qu'eux-mêmes  ne  savent  ni  ne  comprennent.  On 
en  est  venu  à  ce  point,  d'après  le  commun  dire,  que  plus  d'un,  pour 
avoir  seulement  changé  le  style,  c'est-à-dire  la  manière  et  la  forme 
particulière  d'écrire  d'un  autre,  se  persuade  qu'il  a  composé  un  livre 
neuf.  » 


IV 


Henri  Steinhöwel,  médecin  d'Ulm,  et  Nicolas  de  Wyle,  chancelier 
Avurtembergeois,  firent  grandement  progresser  la  prose  allemande, 
et  leurs  traductions  de  romans  et  de  nouvelles  empruntées  au  latin, 
au  français  et  à  l'italien  ',  méritent  nos  éloges.  D'illustres  dames, 
comme  la  duchesse  Marguerite  de  Lorraine,  la  comtesse  Elisabeth  de 
Nassau-Saarbrücken,  sa  fille,  et  l'archiduchesse  Eleonore  d'Autriche, 
se  firent  aussi  remarquer  par  leurs  traductions.  Eleonore  d'Autriche 
traduisit  du  français  le  romande  Ponlus  et  Sidoine  {Augsbourg,  1483) 
qu'elle  avait  remanié  «  pour  divei  tir  son  époux,  l'archiduc  Sigismond, 
par  affection  pour  lui  et  aussi  dans  le  désir  qu'on  y  puisât  beaucoup 
de  belles  et  bonnes  instructions  ».  11  est  particulièrement  adressé  aux 
jeunes  gens;  Eleonore  espère  «  qu'ils  se  plairont  à  entendre  raconter 
les  bonnes  actions,  les  vertus  et  la  gloire  de  leurs  ancêtres  et  prédé- 
cesseurs, et  tout  l'honneur  qu'ils  se  sont  acquis'  ». 

Les  Hauts  Faits  des  Romains  ^,  premier  livre  de  littérature  légère 
écrit  en  bon  allemand,  mérite  aussi  notre  attention  (1489);  c'est  un 
riche  recueil  de  toutes  les  anecdotes,  nouvelles,  paraboles  dont 
rOccident  avait  été  doté  depuis  les  croisades  et  depuis  que  l'essor 
des  études  classiques  avait  fait  connaitre  les  auteurs  de  l'antiquité. 
Il  eut  beaucoup  d'éditions. 

«  Le  peuple  allemand,  écrit  Wimpheling,  trouve  un  intarissable 
plaisir  à  chanter  et  se  plait  également  à  ouïr  des  contes  de  tous 

■  Parmi  les  canevas  de  ces  nombreux  romans,  il  en  est  beaucoup  d'une  mora- 
lité très-douteuse.  —  Voy.  Gervinus,  t.  II,  p.  222-230.  —  Wacrrknagel,  Literatur, 
p.  359-360.  —  Beaucoup  d'anecdotes  satiriques  contre  le  cleryé  tirées  des  Cent 
Nouvelles  (si  fréquemment  reproduites  au  seizième  sièdf)  passèrent  plus  tard 
dans  les  chroniques  allemandes,  et  furent  racontées  comme  s'éianL  véritable- 
ment passées  en  Allemagiie.  —  Voy.  Liebrcdu.  dans  la  Germania  de  Pfeiffer, 
a,  p.  386  et  4Ü0-401. 

*  Voy.  Wackernagel,  Literatur,  p.  356-357.  —  Holland,  p.  140-142.  —  Lixde- 
MANN,  Geschichte  der  deutschen  Literatur,  p.  266-270. 

'  Gcsta  liomanorum. 

17 


25S  L'ART    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

genres  *.  "  Aussi  les  auteurs  de  livres  graves,  savants,  purement 
didactiques,  y  mélangeaient-ils  souvent,  pour  animer  et  égayer  leurs 
ouvrages,  des  nouvelles  détachées,  sérieuses  ou  plaisantes;  dans 
l'excellent  ouvrage  de  science,  écrit  d'un  si  bon  style,  du  chanoine 
de  Bamberg,  Albert  d'Eyb,  nous  trouvons  une  nouvelle  intitulée  : 
Faut- U  prendre  femme  ou  non?  Le  Miroir  de  la  vertu  et  de  f  honneur,  de 
Marquart  de  Stein  (1493),  et  l'admirable  livre  de  piété  déjà  si  fré- 
quemment cité,  la  Consolation  de.  l'âme  -,  renferment  des  contes,  des 
nouvelles;  dans  ce  dernier,  parmi  beaucoup  d'autres,  nous  lisons 
l'histoire  si  connue  du  bon  Fridolin  et  du  méchant  Thierry.  A  la  fin 
du  siècle  on  possédait  déjà  trois  volumineux  recueils  de  récits  moraux, 
soit  historiques,  soit  romanesques,  et  de  nombreux  .1///-o//"ä  contenant 
de  pieux  exemples  à  l'usage  des  fidèles  '. 

Les  fables  étaient  aussi  mises  à  profit  pour  moraliser  et  instruire''. 
Le  duc  Eberard  im  Bart  de  Wurtemberg  fit  traduire  du  latin  les 
fables  orientales  de  Bidpai,  qu'il  intitula  le  Livre  des  exemples  des  anciens 
sages  (1483).  Les  fables  de  Cyrille,  ou  Livre  de  la  sagesse  naturelle, 
parurent  à  Augsbourg  en  1490.  Steinhöwel,  à  la  prière  du  duc  Sigis- 
mond  d'Autriche,  publia  en  1404  le  Livre  et  la  vie  d'Esope  le  fabuliste, 
déjà  traduit  du  grec  en  latin,  puis  remanié  en  allemand.  Cet  ouvrage 
fut  un  des  plus  appréciés  de  l'époque.  «  Le  lecteur  doit  ici  faire 
comme  l'abeille,  dit  Steinhöwel  :  rechercher  non  la  couleur  des 
fleurs,  mais  leur  miel;  non  le  récit,  mais  la  morale,  afin  de  s'en  servir 
pour  nourrir  son  âme;  car  celui  qui  ne  lirait  ce  livre  que  pour  s'amu- 
ser à  de  jolis  contes  ferait  comme  le  coq  de  la  fable  qui  préférait  un 
grain  de  mil  à  une  pierre  précieuse  \  » 

La  prose,  dans  les  ouvrages  d'histoire  naturelle,  de  médecine,  de 
droit,  faisait  aussi  d'heureux  progrès.  Le  droit  surtout  dut  beaucoup 
aux  écrits  populaires  de  Sébastien  Brant  °. 


Les  écrivains  mystiques  du  moyen  âge  furent  les  premiers  à  nous 
révéler  la  propriété  que  possède  la  langue  allemande  d'exprimer 
heureusement  les  idées  philosophiques.  Ce  sont  eux  qui  découvrirent 

1  Dr  arte  impressoria,  p.  17. 
s  Voyt-z  plus  haut. 
3  Wackeknagel,  p.  358. 
*  Voy.  (iERVivus,  t.  H,  p.  295. 

5  Pour  plus  de  détails,  voy.  \VACKi:t\\AGEL,  p.  341-346. 
•Pour  ce  qui   concerne  le  droit,  consultez  Stintzing,    Geschichte  der  populären 
Literatur  det  römisch-canonischen  Rechtes. 


ALLEMAND    VILOAIUL.   -  259 

l'art  (le  revêtir  les  pensées  les  plus  subliles,  les  plus  abslraites,  d'uu 
l;inj;n{;e  clair  et  plein  de  justesse';  en  outre,  un  merveilleux  charme 
p()éti(jnc  est  répandu  dans  leurs  écrits.  Un  [jrand  nombre  do  leurs 
traités  s|)iriluels,  recueils  de  maximes,  livres  ascétiques  propres  à 
former  à  la  vie  contemplative,  eurent  de  nombreuses  éditions  dès  les 
commencements  de  l'imprimerie.  Citons  particulièrement  les  œuvres 
d'Henri  Suso,  de  .Ican  Tauler,  d'Otto  de  Passau,  et  les  nombreuses 
traductions  de  Vltnifalion  de  Jésus- C/n- ist  -.  Beaucoup  de  livres  de 
méditation  et  de  piété  parus  au  quinzième  siècle  appartiennent  aux 
plus  beaux  monuments  de  la  prose  allemande  ^  Citons  encore  et  sur- 
tout la  Route  du  ciel,  la  Consolation  de  l'âme,  le  Trésor  des  vraies  richesses 
da  salut.  La  prose  de  ces  petits  traités  pieux  est  simple,  énergique; 
les  idées  ont  une  g,rande  profondeur,  la  vérité  s'y  montre  persuasive 
et  aimable.  Plusieurs  sont  inimitables  dans  le  genre  où  ils  se  ren- 
ferment. La  pensée  qui  en  est  l'âme  peut  se  résumer  dans  les  belles 
paroles  de  Thomas  à  Kempis  :  -  Un  cœur  pur  pénètre  le  ciel  et  l'enfer. 
S'il  existe  une  véritable  joie  sur  la  terre,  on  ne  saurait  la  trouver  que 
dans  un  cœur  pur.  « 

Geiler  de  Kaisersberg  fut,  dans  la  prose  oratoire,  un  maître  puis- 
sant, au  langage  énergique,  à  l'imagination  féconde.  Ses  sermons 
témoignent  de  sa  grande  connaissance  du  cœur  humain.  Il  développe 
son  sujet  avec  ordre  et  clarté,  et  s'exprime  avec  une  originalité  et  une 
force  qui  rendent  sou  éloquem  e  vraiment  populaire.  Ses  comparai- 
sons, images  et  allégories,  ses  proverbes,  jeux  de  mots  et  jeux 
d'esprit,  ses  fables,  ses  petits  récits  et  anecdotes  sont  empruntés  à 
la  réalité  la  plus  vivante.  Aussi  ses  sermons  sont-ils  une  mine  féconde 
pour  la  connaissance  de  la  société  de  son  temps  '. 


VI 


Vers  la  fin  du  moyeu  âge,  on  écrivait  encore  en  divers  dialectes. 
Mais  d'un  mélange  de  haut  et  de  bas  allemand,  emprunté  surtout  à 
la  langue  parlée  dans  rAllemagne  centrale,  s'était  formé  peu  à  peu, 

'  Voy.  Wackernagel,  p.  332-336, 

*  Cinq  éditions  allemandes  en  parurent  antérieurement  à  1500.  Hain,  n'"91I5- 
9119.—  Hasak,  p.  179-186. 

'  Les  passafjes  qu'Hasak  a  extraits  des  nombreux  ouvrages  de  philosophie  ascé- 
tique p;iru5  de  1470  à  1520,  sont  d'autant  plus  précieux  qu'on  ne  peut  plus  que 
très-difficilement  se  pro  urer  les  ouvrages  orig;n;iux. 

*  Les  trois  séries  de  sermons  intitulés  :  Paradis  de  l'âme  der  Sclen-Paradiess),  Le 
pèlerinage  du  chrétien  vers  la  pairie  céleste  (die  Chrislenlich  Bilgerschafl  :.nm  ewigev 
l  atterlandj  et  La  nef  de  la  pénitence  et  de   la  mortification  [das  Schiff  dtr  Penitentz  und 

IT. 


260  L'AI,  T    ET    LA    VIE    POPULAIRE. 

daus  le  courant  du  quinzième  siècle,  ce  qu'on  appela  1'  "  allemand 
vulgaire  ».  Grâce  aux  efforts  de  Maximilien,  il  fut  promptement  d'un 
usage  général  et  devint  le  langage  officiel  de  la  chancellerie  impé- 
riale. Toutefois  ce  résultat  ne  fut  atteint,  et  le  «  haut  allemand  »  ne 
devint  littéraire,  qu'après  que  Luther  l'eut  popularisé  en  s'en  servant 
dans  la  composition  de  ses  ouvrages.  Il  s'est  défendu  d'avoir  inventé 
une  langue  nouvelle  :  «  Je  n'écris  pas,  dit-il,  dans  un  langage  singu- 
lier qui  m'appartienne  en  propre;  je  me  suis  servi  de  l'allemand  vul- 
gaire, afin  que  la  haute  et  la  basse  Allemagne  pussent  me  comprendre. 
Je  parle  le  langage  de  la  chancellerie  saxonne  dont  se  servent  en 
Allemagne  tous  les  princes  et  rois,  depuis  que  l'empereur  Maximilien 
et  l'électeur  Frédéric,  duc  de  Saxe,  ont  fondu  dans  une  même  langue 
les  dialectes  allemands  de  l'empire  romain  '.  " 

Si  l'on  excepte  Luther,  dont  l'éloquence  innée  et  puissante  avait 
été  portée  à  une  extraordinaire  perfection,  parla  lecture  assidue  des 
prosateurs  du  quinzième  "iècle  et  par  ses  continuels  rapports  avec  le 
peuple,  on  peut  affirmer  hardiment  que  les  auteurs  du  seizième  siècle 
(pour  ne  pas  parler  du  dix-septième),  lorsqu'on  les  compare  à  ceux  du 
quinzième,  ont,  dans  toutes  les  branches  de  la  prose,  fait  des  pas  en 
arrière.  A  la  place  de  la  langue  d'autrefois,  si  pleine  de  naturel, 
d'aisance,  de  simplicité  et  de  charme,  ils  ont  trop  fréquemment  sub- 
stitué un  lourd  et  informe  jargon  qu'on  ne  peut  lire  sans  une  impres- 
sion pénible  'K 

La  prose  du  quinzième  siècle  est  pure,  correcte,  originale.  Dans 
cette  correction,  dans  cette  pureté,  elle  demeure  l'impérissable 
monument  du  caractère  allemand  avant  que  rien  l'eût  encore  altéré  ni 
faussé. 

Buszwürht/ig) ,  se  distinguent  parliculièrement  par  la  purelé  du  langage  et 
l'exposition  serrée  et  intelligente  des  principales  vérités  de  la  foi.  H.  Bone  a 
réédité  et  remanié  la  Ne/de  la  pénitence  d.ins  une  traduction  libre  (Mijyence,  1864). 
L'édition  si  soignée  des  sermons  choisis  de  Geiler,  de  Phil.  de  Lorenzi,  mérite 
des  éloges  (Trêves,  18811.  L'introduction  traite  d'une  manière  intéressante  de 
la  vie  et  des  écrits  authemiques  de  Geiler,  p.  1-112. 

•  OEum-es  complHes,  édit.  de  Francfort.  L'expression  maintenant  généralement 
usitée  de  Hoeh leuisch  \vA\xi  allemand)  ne  peut  s'appliquer  à  cette  langue,  et  Luther 
ne  l'a  jamais  employée.  Vraisemblablement,  c'est  l'imprimeur  de  Bâle,  Adam 
Pétri,  qui  s'en  est  servi  pour  la  première  fois  en  1523,  en  reimprimant  la  tra- 
duction du  Nouveau  Testament  de  Lui  her.  Mais  par  ce  mot  Hochdeutsch,  il 
li'enten  lait  parier  que  de  la  langue  de  son  pays,  c'est-à-dire  de  la  haute  Alle- 
magne Oberdeu'schi,  et  ce  n'est  aussi  que  dans  <ette  acception  que  les  premiers 
grammairiens  allemands  l'ont  employée.  Pour  plus  de  détails,  voy.  Pfeiffer, 
(dans  sa  réfutation  de  Grimm),  préface  de  la  Chronique  de  Nicolas  de  Jeroschin 
(Stuttgard,  1854J. 

*  C'est  la  conclusion  qu'adopte  le  grand  germaniste  Fr.  Pfeiffer  dans  la  Ger- 
mania, t.  111,  p.  409.  —  Voy.  aussi  Kurz,  p.  742-743. 


ÉTAT   ÉCONOMIQUE 


JURIDIQUE  ET  POLITIQUE  DE  L'ALLEMAGNE 

A    LA     FIN     DU     MOYliN    AOE. 


% 


'l 


LIVRE  III 

ÉCOiNOMIE    SOCIALE, 


Vers  la  fin  du  moyen  A^je,  les  prop,rès  de  l'économie  sociale  cor- 
respondirent exactement  au  rapide  développement  des  sciences  et 
des  arts. 

Cela  est  facile  à  comprendre. 

La  vie  d'un  peuple,  dans  ses  diverses  manifestations,  forme  une 
unilé  naturelle,  un  tout  coordonné;  aussi  une  influence  réciproque  se 
fail-elle  toujours  sentir  entre  l'économie  sociale  et  l'activité  intel- 
lectuelle d'une  nation.  L'économie  exerce  une  puissante  action  sur  la 
vie  de  l'inlelligence,  et  celle-ci,  à  son  tour,  reçoit  d'une  bonne  orga- 
nisation matérielle  ses  conditions  et  sa  mesure.  L'histoire  démontre 
qu'à  une  civilisation  matérielle  peu  avancée  correspond  toujours  un 
faible  degré  de  culture  intellectuelle.  Les  progrès  du  bien-être  déter- 
minent les  progrès  accomplis  en  général  dans  les  autres  formes  de 
la  vie  nationale. 

L'économie  sociale  se  divise  en  trois  branches  de  travaux  et  de 
résultats  :  l'agriculture,  l'industrie,  le  commerce. 

L'agriculture,  qui  embrasse'le  labourage  et  le  pâturage,  obtient 
du  sol  les  produits  bruts  de  la  nature.  L'industrie  se  charge  de  les 
mettre  en  œuvre,  et  comprend  tous  les  métiers  et  travaux  indus- 
triels. Le  commerce,  enfin,  échange  les  produits  soit  naturels,  soit 
industriels,  particuliers  à  chaque  pays,  et  sert  d'intermédiaire  entre 
ceux  qui  sont  dans  l'abondance  et  ceux  qui  sont  privés. 

Les  différentes  branches  de  l'économie  sociale  restent  dans  un 
heureux  et  juste  équilibre  aussi  longtemps  que  leur  développement 
est  normal;  elles  ont  alors  l'une  sur  l'autre  une  influence  féconde  et 
reçoivent  l'une  de  l'autre  le  mouvement  et  la  vie.  L'essor  de  l'agri- 
culture amène  la  prospérité  de  l'industrie;  celle-ci  développe  Texten- 
sion  du  commerce  et,  à  leur  tour,  l'industrie  et  le  commerce  réunis 
produisent  le  perfectionnement  de  l'agronomie. 


261^  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

C'est  dans  cette  influence  réciproque,  c'est  dans  l'équilibre  de.> 
groupes  principaux  du  travail  que  git,  à  proprement  parler,  la  force 
économique  d'un  peuple. 

Mais  si  un  trouble  essentiel  survient,  si  le  commerce  et  l'espriî 
mercantile  étouffent  le  travail  réellement  productif  et  fécond;  s'ik 
développent  un  luxe  exagéré,  l'économie  sociale  en  est  profondé- 
ment atteinte;  les  mœurs  en  souffrent,  et  leur  relâchement  a  pour 
premier  effet  de  miner  et  d'appauvrir  la  vie  religieuse.  Ces  maux 
s'aggravent  dans  la  mesure  où  le  capital,  qui  n'est  que  le  revenu  d'un 
gain  sans  labeur,  réussit  à  influencer  les  relations  et  les  trafics  des 
hommes  entre  eux,  pour  un  profit  usuraire  et  l'exploitation  injuste 
des  travailleurs. 


* 


v"-" 


CHAPITRE    PREMIER 

VIK    ET    TRAVAUX    DES    CULTIVATEURS. 


Lorsqu'on  se  propose  d'étudier  l'a^yronomie  d'un  pays,  il  faut  com- 
mencer par  se  rendre  un  compte  exact  de  la  manière  dont  la  pro- 
priété foncière  y  est  organisée,  connaître  la  division  du  sol  et  le 
mode  de  culture  qui  y  est  pratiqué. 

Vers  la  fin  du  moyen  âge,  nous  voyons  en  Allemagne  comme 
ailleurs  les  princes  souverains  et  les  seigneurs  féodaux  spirituels  et 
temporels,  abbés,  évèqucs,  chevaliers  et  communes,  en  possession  de 
la  plus  grande  partie  du  sol.  En  général,  les  propriétés  des  princes 
souverains,  des  seigneurs  ecclésiastiques  ou  des  nobles  ne  formaient 
pas  encore  de  vastes  agglomérations  de  terrains.  C'étaient,  pour  la 
plupart,  des  terres  disséminées,  situées  dans  des  localités  souvent 
très-distantes  les  unes  des  autres;  il  était  fort  rare  qu'un  seigneur 
possédât  tout  un  village'.  Presque  toujours,  le  village  appartenait  à 
trois  ou  quatre  seigneurs  fonciers  qui  en  faisaient  cultiver  les 
terres  par  leurs  colons  principaux  et  ceux  qui  leur  étaient  subor- 
donnés. 

Dans  presque  toutes  les  contrées  de  l'Allemagne,  mais  surtout  dans 
les  provinces  où  la  noblesse  ne  possédait  pas  une  grande  autorité, 
se  trouvaient  enclavés  dans  les  propriétés  seigneuriales  *  un  nombre 
plus  ou  moins  considérable  de  terrains  appartenant  en  propre  à 
des  paysans  libres.  Au  nord-ouest  et  au  sud-est  de  l'Allemagne,  en 
Frise,  dans  la  basse  Saxe,  en  Souabe,  en  Franconie,  dans  les  pays 
rhénans,  la  vieille  Bavière,  le  Tyrol,  les  archiduchés  et  quelques  par- 

'  Dans  les  comtés  de  Mark,  de  Recklinf^liaiisen  et  de  Dortmuii  J,  ils  étaient  com- 
plètement inconnus.  —  Rive,  ßauentgüierwcsen,  p.  20,  218,  300. 

*  Voy.  Mau[\er,  Fronhtife,  t.  111,  p.  221-223.  —  Zeitsrdrifl  fur  die  Geschichte  des 
Obenheins,  p.  27,  227-326.  385-454,  et  la  remarque  finale  de  l'éditeur. 


266  ECONOMIE    SOCIALE. 

ties  de  la  Carinthie  et  de  la  Sfyrie,  un  assez  grand  nombre  de  com- 
munes s'étaient  maintenues  libres  et  prospères  '. 

Pour  les  propriétés  libres,  appartenant  aux  particuliers  -,  le  droit 
de  succession  n'entraînait  presque  jamais  le  morcellement  des  terres. 
Le  principe  de  1'  "  indivisibilité  de  la  propriété  «  garantissait  au 
paysan  le  maintien  de  son  bien-être.  Le  fils  aine  héritait  ordinaire- 
ment non-seulement  de  la  propriété,  mais  encore  de  tous  les  instru- 
ments de  culture,  des  bestiaux  et  de  tout  le  mobilier  de  la  maison. 
La  propriété  passait  de  père  en  fils;  les  frères  et  sœurs  du  proprié- 
taire étaient  entretenus  de  droit  dans  la  maison  et  faisaient  partie 
intégrale  de  la  famille,  formant  ainsi  une  sorte  de  «  domesticité  incon- 
gédiable  ".  La  maison  ne  pouvait  être  vendue  ou  hypothéquée  sans 
le  consentement  de  l'héritier,  et  la  loi  saxonne  (Saxenspiegel)  n'obli- 
geait celui-ci  à  payer  ses  dettes  qu'autant  qu'elles  ne  dépassaient  pas 
la  valeur  mobilière  ^  Cette  loi  empêchait  le  paysan  de  contracter 
des  obligations  pesantes,  et  avait  aussi  pour  but  de  le  mettre  à  l'abri 
des  emprunts  usuraires;  car,  ainsi  que  le  disait  Geiler  de  Raisersberg, 
-  lorsque  le  .Juif  sait  qu'il  a  peu  ou  rien  à  attendre  d'une  propriété, 
il  n'est  pas  disposé  à  prêter  beaucoup  ''  ». 
On  divisait  ainsi  qu'il  suit  les  fermages  seigneuriaux  ou  libres  : 
Grandes  propriétés,  de  3  à  10  menses  d'étendue,  c'est-à-dire  de  90 
à  330  arpents. 

Propriétés  moyennes,  de  60  arpents  seulement. 
Petits  biens,  de  dimensions  encore  plus  minimes. 
Outre  les  fermiers,  beaucoup  de  cultivateurs,  sous  des  dénomina- 
tions diverses,  ne  possédaient  point  de  terres  et  n'étaient  que 
locataires  d'une  chaumière,  quelquefois  entourée  d'un  petit  jardin 
ou  d'un  petit  champ.  Les  plus  pauvres  bénéficiaient  souvent  des 
donations  faites  à  l'Église  et  des  vastes  acquisitions  territoriales  du 
clergé,  car  il  ne  s'y  trouvait  pas  seulement  de  vastes  territoires 
isolés,  mais  encore  un  grand  nombre  de  petits  terrains,  au  bon 
entretien  desquels  l'Église  avait  charge  de  veiller,  et  dont  elle  con- 
fiait la  culture  aux  paysans  qui  ne  possédaient  rien.  Cette  propriété 
d'emprunt  leur  procurait  travail  et  entretien  ^  A  mesure  que  la 
population    s'accrut,   des  biens   ecclésiastiques  plus   considérables 

'  V(  y.  SUGENIIEIM,  Aufhebung  der  Leiheigenschaft,  p.  359. 

*  Les  possessions  foncières  n'étaient  divisées  que  dans  les  pays  rhénans,  soit 
parce  que  l'heritafje  paternel  était  partaj^é  entre  les  enfants,  soit  à  cause  du 
morcellement  de  la  propriété,  amené  par  la  vente  de  quelques  terrains  séparés. 
On  y  voyait  en  même  temps  un  grand  nombre  de  biens  inaliénal)les.  Lette  et 
VON  RÖNNE,  Laiulesculturgeselzgebung,  1,  LIX. 

'  On  considérait  le  paysan  établi  sur  un  bien  comme  inamovible.  Voy.  C.  vox 
Vogelsang,  Die  Xothicendigkeil  einer-  neuen  Grundenllaslimg,  p.  11.  (Vienne,  1880.) 

*  Voy.  Ju'hmruchcr  and  Schindercy,  p.  41.  (Augsbourg,  1739.) 
'  Arnold,  Gesch.  des  Eigenihiims   p.  57. 


ORGANISATION    DK    I,A    F' 11  o  I' li  IKT  F..  267 

<uren(  confiés  à  un  nombre  toujours  plus  j-rand  de  petits  paysans 
locataires,  parmi  lesquels  on  en  choisissait  (jueWjues-uns  pour  rem- 
plir la  charjfc  de  «  porteurs  du  fiel"  ".  Ils  rcciicillaicni  i'ar{>cnt  des 
ferma^jes  et  les  dons  en  nature,  et  en  étaient  responsables  '.  On 
voyait  aussi  des  fermiers  libres  s'établir  dans  les  possessions  ecclé- 
siastiques ou  sei{',ncuriales,  à  cliar{>c  pour  eux,  la  plupart  du  temps, 
de  payer  la  «  troisième  (jerbe  •'  au  seigneur.  La  première  [^erbe  élail 
destinée  à  couvrir  les  frais  de  culture;  les  deux  autres,  considérées 
comme  bénéfice  net,  étaient  parlap,ées  entre  le  locataire  et  le  sei- 
gneur. D'autres  paysans  cultivaient  aussi  des  terrains  connus  sous  le 
nom  de  ccnsives  qui  leur  étaient  alloués  à  vie.  D'autres  encore 
faisaient  valoir  des  terrains  dont  ils  étaient  considérés  comme 
propriétaires  perpétuels  et  héréditaires,  pourvu  qu'ils  s'acquittassent 
de  quelques  corvées  et  services  personnels.  On  voit  aussi  des  groupes 
de  fermiers  s'associer  pour  cultiver  les  terres  des  seigneurs;  ces 
derniers  pnnaient  alors  les  cultivateurs  sous  leur  protection  spé- 
ciale. Enfin,  un  grand  nombre  de  p;iysans  étaient  simplement  des 
colons  établis  sur  des  terrains  particuliers. 

Les  colons  formaient  la  majorité  de  la  population  agraire,  et  l'on 
peut  hardiment  affirmer  que,  vers  la  fin  du  moyen  âge,  la  plus  grande 
partie  du  sol  a'ppartenait,  dans  presque  toutes  les  provinces,  moins 
aux  seigneurs  fonciers  qu'à  ceux  auxquels  ils  l'avaient  louée,  le  pro- 
priétaire en  titre  n'ayant  plus  droit  qu'à  une  simple  redevance  ou  à 
une  corvée.  Les  biens  dès  colons  devenaient  peu  à  peu,  par  consé- 
quent, des  possessions  presque  aussi  indépendantes  que  ceux  des 
paysans  libres  *. 

On  ne  voit  presque  nulle  part  que  tenanciers  ou  colons  fussent 
serfs.  Le  servage,  devenu  si  fréquent  à  partir  du  commencement 
de  la  révolution  sociale  du  seizième  siècle  ^  était  fort  rare  au  milieu 
du  quinzième  et  n'existait  plus  guère  que  chez  les  paysans  slaves  de 
Tarrière-Poméranie.  Dans  tout  le  reste  de  l'Allemagne,  l'influence  de 
l'Église  avait  fait  prévaloir  la  loi  souabe  qui  dit  expressément  : 
«  Nous  avons  dans  l'Ecriture  :  c  un  bomme  ne  doit  pas  appartenir  à 
«  un  autre  homme.  »  Nous  avons  emore  l'axiome  du  droit  impérial  : 
«  Les  hommes  sont  à  Dieu,  le  cens  à  l'Empereur  ^  "  Ces  principes 


'  Voy.  Mo\E,  Zeitschr.,  t.  V,  p.  ô9. 

'  Sur  les  divers  f^enres  de  proprir-tns  de  paysnns  et  leurs  différents  droits, 
voy.  Maurf«,  Fronhöfe,  t.  Hl.  p.  •J18-229.  Voy.  ausïi  l'article  de  Mittermaier, 
Bauer  und  Banenigut.  dans  \' Encyclopédie  de  Ersch  et  Grlber,  t.  VIII,  p.  159-177. 
Peetz,  Vollswirihschiifiliche  Studien,  p.  259-265.  Sur  la  propriété  en  Prusse,  voy. 
Lette  et  vo\  nöWE,  t.  I,  p  15-70  et  2^  875  876.  —  IMeitzen,  Boden  und  Landwir- 
thschiiftliche  l'crhältn  sse  des  prruss,  Staates,  t.  I,  p.  366-390. 

'  Voy.  notre  second  volume. 

*  Maurer,  Fronhöfe,  t.  II,  p.  80,  88-89. 


268  ECONOMIE    SOCIALE. 

furent  presque  partout  mis  en  pratique  pendant  un  très-grand  nombre 
d'années.  Ceux  qui  devaient  à  leur  seigneur  corvée  et  redevance 
ne  pouvaient,  il  est  vrai,  quitter  sans  sa  permission  et  sans  qu'il  en 
fût  informé  la  terre  qui  leur  avait  été  confiée;  ils  étaient  «  liés 
à  la  glèbe  »,  mais  personnellement  libres,  et  presque  toujours  les 
terres  leur  étaient  assignées  à  titre  de  possessions  irrévocables.  Par 
voie  de  succession,  l'héritage  passait  à  l'un  des  fils,  ordinairement  à 
l'ainé  et,  à  défaut  de  descendance  mâle,  à  la  fille  ainée.  Quand  le 
colon  mourait  sans  enfants,  le  bien  retournait  au  seigneur.  Les 
terres  des  cultivateurs  devaient  payer  impôt,  au  lieu  que  les  pro- 
priétés des  seigneurs  et  des  nobles  en  étaient  exemptes.  Ce  fait 
prouve,  précisément,  que  les  biens  des  colons  n'étaient  pas  considé- 
rés comme  appartenant  aux  seigneurs,  mais  plutôt  comme  consti- 
tuant entre  eux  une  propriété  inaliénable  pour  tous  deux  '. 

Au  point  de  vue  de  l'économie  agronomique,  on  peut  caractériser 
cette  possession  du  sol  par  des  colons  libres  personnellement,  ayant 
leurs  droits  et  leurs  devoirs,  comme  une  assurance  donnée  au  paysan 
sur  la  base  de  la  possession  héréditaire. 

Le  cultivateur  devait  à  ce  système  une  condition  fixe  et  la  sécu- 
rité pour  le  pain  de  chaque  jour.  D'autre  part,  la  location  héréditaire 
du  sol  était  d'une  importance  extrême  pour  la  bonne  exploitation, 
car  un  fermier  héréditaire  ne  porte  pas  en  général  à  l'amélioration 
de  son  bien  un  moindre  intérêt  que  le  propriétaire  en  titre.  Le  colon 
héréditaire  (même  dans  les  pays  oti  plus  tard  la  condition  du 
paysan  devint  si  misérable,  en  Poméranie  par  exemple)  n'était  nulle- 
ment entravé  dans  le  faire  valoir  de  ses  terres.  Les  bâtiments,  les 
semences,  le  bétail,  les  instruments  de  culture  et  de  ménage,  tout  lui 
appartenait;  il  était  même  libre  d'employer  les  coupes  de  bois  de  la 
propriété  pour  les  intérêts  de  l'exploitation  K  "  Les  paysans  de  la 
Poméranie  »,  dit  l'écrivain  contemporain  Kanzow,  «  payent  une 
modeste  redevance  et  ont  aussi  des  corvées  déterminées.  Ils  sont 
riches  et  dans  le  bien-être,  et  quand  il  ne  leur  plait  plus  d'habiter 
dans  la  métairie  ou  d'y  laisser  vivre  leurs  enfants,  ils  peuvent  la 
vendre  avec  la  permission  de  leur  seigneur,  pourvu  qu'ils  lui  aban- 
donnent le  dixième  du  prix  de  vente.  Ensuite,  avec  leurs  enfants  et 
tout  leur  avoir,  ils  sont  libres  d'aller  où  bon  leur  semble.  Ceux  qui 
les  remplacent  doivent  également  une  certaine  somme  au  seigneur.  » 
Kanzow  dit  plus  loin  en  parlant  des  colons  de  l'île  de  Rügen*  : 

'  So:m:meu  Entwicklung  der  bauerlichen  [{echtsrerhciltnisse,  t.  I,  p.  94-1  53.  235.  —  Voy. 
sur  les  Homines  proprii  l'opinion  d'Ulrich  ZASirs,  dans  Stintzing,  fol.  149. 

'Voy.  G.EDE,  GiUsherrlich-bäuerliche.  BesilzverhiUtnisse,  p.  34-36. 

'  Kanzow,  Pommerania,  t.  II,  p.  418. 

*  Kanzow,  t.  II,  p.  433.  —  Voy.  Dahnf.rt,  Samml.  Pommerscher  und  Rügenscher 
Liinde%w hundin,  t.  III,   p.  835-835.  —  Vov.  G.€DE,  p    40.  —  LETTE  und  VON   RÖNNE. 


DROITS    ET    DEVOIRS    DES    SEIGNEURS    ET    DP: S    COLONS.    269 

"  Les  cultivateurs  de  ce  pays  jouissent  du  plus  {jrand  bien-être;  ils 
payent  une  légère  redevance  et  font  corvée,  mais  en  dehors  de 
cela,  ils  n'ont  aucune  obligation  à  remplir;  la  plupart  d'entre  eu\ 
n'ont  inôinc  pas  de  corvée  à  l'aire,  et  la  remplacent  par  une  imposi- 
tion d'argent.  Aussi  les  paysans  se  regardent-ils  comme  absolument 
libres;  ils  ne  veulent  plusse  montrer  soumis  envers  la  petite  noblesse 
du  pays,  d'autant  plus  qu'il  arrive  fréquemment  qu'un  noble  tombé 
dans  la  pauvreté  donne  sa  fille  à  un  riche  paysan  dont  les  enfants, 
plus  tard,  se  considéreront  comme  demi-nobles.  » 

Les  biens  héréditaires,  les  biens  «  purement  temporels  »,  ceux 
qu'on  appelait  «  du  bon  plaisir  »,  «  de  gracieux  don  »,  ou  d'autres 
semblables,  ne  pouvaient  jamais  être  enlevés  au  cultivateur  et  à  ses 
enfants  arbiM*airement  et  par  caprice.  Jamais  non  plus,  pour  obte- 
nir un  plus  haut  fermage,  le  seigneur  ne  pouvait  faire  passer  sa 
propriété  à  un  autre  colon  '. 


II 


Dans  la  plupart  des  pays  allemands,  les  droits  et  les  devoirs  réci- 
proques des  seigneurs  et  des  colons  étaient  exactement  déterminés 
et  fixés  dans  ce  qu'on  appelait  les  «  livres  de  sagesse  »  ou  «  coutu- 
miers  »  (Weissthümer).  Ces  recueils  de  droit,  qui  ont  été  pour  la 
plupart  rédigés  au  quinzième  siècle,  nous  fournissent  des  preuves 
souveni  admirables  de  l'élévation,  de  l'impartialité,  de  l'esprit  d'équité 
du  droit  national  allemand,  et  nous  montrent  constamment  le  bon 
sens  uni  aux  usages  et  aux  coutumes  du  pays*.  Du  coté  des  seigneurs 
comme  de  celui  des  cultivateurs,  les  plaintes  sur  les  atteintes  portées 
aux  droits  existants  par  l'intérêt  personnel  sont  très-fréquentes;  en 
temps  de  troubles  et  de  guerre,  les  empiétements  mutuels,  même 
les  voies  de  fai*^  contre  les  faibles,  ne  sont  pas  rares  ;  mais,  la  plupart 

t.  I,  XVII.  —  Les.  ferinafjes  d'autrefois  y  étaient  tous  héréditaires.  Pour  la  Prusse 
orientale  et  occidentale^  l'ordonnance  provinciale  suivante  avait  force  de  loi 
depuis  14i4  :  -  si  un  cultivateur  donne  la  direction  de  sa  ferme  à  un  répondant, 
à  la  CDunaissance  et  avec  le  consentement  de  son  seigneur,  et  qu'il  ail  payé  sa 
dîme  à  celui-ci,  le  seigneur  ne  peut  pas  l'empêcher  de  s'en  aller  oii  bon  lui 
seml)lera.  •  Voy.  Lette  et  von  Rönne,  t.  I,  xlv.  —  En  Westphalie,  nous 
voyons  le  mot  servage  employé  pour  la  première  fois  dans  un  document  datant 
de  1558  KiNDLiNGER,  Hörigkeit.  Pour  les  propriétés  du  S  hleswig-ilolstein,  il 
n'est  pas  question  de  servage  avant  le  milieu  du  seizième  siècle.  Voy.  Hanssen, 
Die  Aufkebung  der  Leibeigenschaft  in  den  Herzog thümern  Schleswig  und  Holstein,  p.  12 
(Pétersbourg,  1861). 

'  Voy.  Mauuf.r,  Fronhofe,  t.  \\\,  p.  218-220.  —  Sugenheim,  p.  358-360. 

*  Voy.  Jacob  Grimm,   Hechisalierthümer ,  IX.  —   Voytz  uu  intéressant  chapitre 


■270  ECONOMIE    SOCIALE. 

du  temps,  nous  voyons  les  différends  s'arranger  à  Tamiable,  ou  aisé- 
ment tranchés  par  la  décision  du  juge. 

Presque  toujours,  les  colons  et  cultivateurs  fermiers  étaient  mis 
solennellement  en  possession  de  leurs  terres  par  le  seigneur  ou  l'un 
de  ses  délégués.  Avant  cette  installation  régulière,  véritable  investi- 
ture, ils  devaient  prêter  serment  d'hommage,  et  promettre  de  se 
conformer  a  tous  les  droits  existants.  Avec  ce  serment  d'hommage 
commençaient  aussi  les  devoirs  du  seigneur,  qui  s'engageait  de  son 
côté  à  protéger  le  cultivateur  et  sa  propriété,  à  prendre  soin  de 
lui  en  cas  de  maladie  ou  en  temps  de  grande  calamité,  pendant 
la  guerre  ou  la  famine.  Bien  que  -<  lié  à  la  glèbe  >,  le  paysan  avait 
cependant  le  droit  d'envoyer  ses  enfants  ou  les  membres  de  sa 
famille  gagner  leur  pain  loin  de  la  métairie,  s'ils  ne  l'y  trouvaient 
plus  en  suffisance.  Ceux-ci  pouvaient  être  ouvriers,  serviteurs,  dans 
les  villes  ou  villages  éloignés,  et  même  y  obtenir  droit  de  bour- 
geoisie, sans  qu'il  fût  nécessaire  pour  cela  d'obtenir  la  permission 
du  seigneur'.  Quant  au  fermier  lui-même,  lorsqu'il  voulait  quitter 
sa  métairie,  il  lui  fallait  d'abord  payer  les  redevances  arriérées, 
s'acquitter  des  corvées  en  retard,  satisfaire  ses  créanciers,  enfin  faire 
publiquement  connaître  son  dessein,  par  exemple,  «  le  dimanche  à 
l'église  ».  Il  devait  faire  cette  déclaration  «  en  plein  jour  -,  et  «  non 
en  cachette  '.  Ses  préparatifs  de  départ  devaient  également  avoir 
lieu,  comme  le  prescrivaient  les  «  Sagesses  ',  «  pendant  le  jour  ». 
Le  feu  devait  être  éteint  "  au  beau  midi  ».  Le  soir,  le  bagage  était 
chargé  sur  une  charrette  dont  le  timon  devait  être  tourné  du  côté 
où  le  paysan  avait  dessein  d'aller,  et,  pendant  le  trajet,  il  devait  être 
accompagné  de  <  gens  eu  nombre  ^  .  Les  anciens  possesseurs  des 
fermes  pouvaient,  s'ils  en  avaient  le  désir,  revenir  dans  la  propriété 
qu'ils  avaient  quittée,  à  condition  de  s'engager  de  nouveau  à  remplir 
les  obligations  imposées  ^ 

mtitulé  :  Silte  tind  Siniilfjkcit  im  AUdcuischeii  Recht,  dans  la  Kölnichen  l'olhszciiung ,  1882, 
n"  263.  Première  page. 

iMvOBEix,  Fronhöfe,  t.  III,  p.  128-132. 

*  CouiiJiTiier  de  la  métairie  de  Pronzfeld  près  de  Prüm  (1476),  de  Niederbiirer» 
(1469),  de  Tablait  (1471),  dans  Grimm,  W eisihümer ,  t.  II,  p.  558;  t.  I,  p.  219,  225. 
Dans  les  rèjilements  de  l'abbaye  d'Alpirsbach,  on  trouve  la  prescription  sui- 
vante :  «  Lorsque  les  fermiers  se  sont  bien  acquittés  de  leurs  obligations,  ils 
peuvent,  s'ils  le  veulent,  se  rendre  dans  quelque  autre  endroit;  le  bailli  doit 
les  accompagner  et  leur  dire  :  "  Pars  au  nom  de  Dieu,  et  reviens  si  tu  crois  plus 
"  tard  y  trouver  ton  avantage;  tu  nous  trouveras  envers  toi  ce  que  tu  nous  as 
«  déjà  trouvés.  •  Grimm,  t.  I,  p.  376. 

2  Voy.  les  Couiumiers  de  1477,  1518,  dans  Grimm,  t.  I,  p.  243;  t.  II,  p.  292.  — 
Maurer,  Fronhöfe,  t.  III,  p  134-137.  —  Au  commencement  du  seizièm-  siècle, 
beaucoup  de  seigneurs  donnèrent  à  leurs  fermiers  une  complète  indépendance. 
Voy.  les  rescrlLs  du  dnc  de  Saxe  Georges  Le  Barbu  datés  de  1508  et  cites  par 
Maurer,  t.  IV,  p.  496. 


COIIVÉKS.  271 

Les  redevances  des  colous  consistaient  généralement  en  prix  de 
fermage  très-modérés,  quelquefois  même  étonnamment  modiques  ', 
en  prestations  en  nature  ou  en  corvées  et  services  personnels  : 
corvée  de  chevaux,  de  labourage,  de  chasse  ou  de  pèche,  dont  le 
nombre  était  exactement  déterminé.  Dans  les  duchés  autrichiens, 
aucun  cultivateur  n'avait  par  an  plus  de  douze  jours  de  corvée  à 
faire  ^  Lorsque  le  colon  mourait,  sa  famille  devait  une  redevance 
spéciale  au  seigneur,  qui  avait  alors  droit  à  la  «  meilleure  tête  >  ou 
bien  à  la  -<  meilleure  pièce  ",  c'est-à-dire  à  la  plus  belle  bote  du 
bétail  ou  au  plus  bel  habit  de  la  garde-robe.  Cette  redevance  avait 
beaucoup  de  rapport  avec  la  taxe  sur  les  héritages  prélevée,  dans  les 
villes,  sur  les  habitants  qui  n'y  avaient  pas  droit  de  bourgeoisie; 
mais,  en  général,  elle  était  moins  lourde,  car  celle-ci  s'élevait  souvent 
Jusqu'à  20  pour  100  de  l'héritage  \  Dans  les  duchés  autrichiens  où 
le  droit  -■■  de  meilleure  tète  '  avait  été  aboli,  -  comme  étant  une  into- 
lérable vexation  «,  on  prélevait  une  redevance  mortuaire  de  5  pour  100 
sur  la  propriété  mobilière  ou  immobilière  affranchie  de  toute  dette 
laissée  par  le  colon;  mais  les  legs  pieux  du  défunt,  les  instruments 
de  culture,  les  habillements,  etc.,  n'entraient  point  en  ligne  de 
compte*.  En  Tvrol,  le  seigneur  n'avait  droit  qu'à  un  bœuf  dans  tout 
l'héritage  du  tenanciers 

Dans  beaucoup  de  pays,  les  colons  étaient  tenus  à  des  danses  de 
corvée,  alors  regardées  comme  une  reconnaissance  symbolique  de  la 
suzeraineté  du  seigneur.  Ainsi,  dans  les  districts  de  Laugenberg, 
tous  les  ans,  le  troisième  jour  de  la  Pentecôte,  les  paysans  de  plus 
de  huit  villages  devaient  venir  par  couples  et  se  rassembler  d'eux- 
mêmes  sous  un  tilleul,  pour  exécuter  uni'  danse  en  présence  de  leurs 
seigneurs.  Ceux-ci  leur  faisaient  servir  de  la  bière  et  des  gâteaux. 
Les  paysans  absents  ou  refusant  de  d mser  étaient  punis'. 

Pendant  la  corvée,  les  paysans  ét.iient  nourris  par  les  seigneurs. 
Nous  voyons  par  d'anciens  documents  que  les  chevaliers  de  l'ordre 
Teutonique  de  Fischingen  (domaine  de  Röteln)  étaient  tenus  de  don- 
ner à  leurs  corvéables  -■■  du  vin  rouge,  du  bœuf  et  du  pain  de  seigle  ». 
Nous  lisons  dans  le  coutumier  des  métairies  appartenant  à  l'évêché 
de  Strasbourg  (à  Sasbach,  dans  l'Ortenau)  :  «  Il  est  à  savoir  que  tout 
colon  doit  corvée  de  son  corps  trois  jours  par  an,  comme  le  bailli 

'  Voy.  MoNE,  Zeiisc/iri/l,  t.  X,  p.  264.  268.  Fol. 
'  BuCHHOLTZ,  Ferdinand  der  Erste,  t.  ^  III,  p.  50-53. 

'  Comme,  par  exemple,  à  Constauce,  d'après  les  comptes  de  la  ville  en  1512. 
MoNE,  WII,  p.  132. 

*  BUCHHOI.TZ,   t.  VIIî,  p.  53. 

^  ZlMMEKM4N\,  Bauernkrieg,  t.  III,  p.  4-0. 

*  Voy.  Maurer,  Fronhöfe,  t.  III,  p.  306-307. 


272  ECONOMIE    SOCIALE 

doit  le  lui  prescrire.  Quand  le  travail  de  la  journée  sera  fini,  il 
s'assiéra  sur  un  escabeau,  et  le  bailli  lui  donnera  une  miche  assez 
grande  pour  aller  de  son  genou  à  son  menton,  celle  qui  est  appelée 
miche  de  nuit,  ='  Dans  le  coutumier  de  la  ferme  d'Hausberg  (près  de 
Strasbourg),  il  est  dit  que  -  le  corvéable  aura  droit  une  fois  par  an  â 
un  repas  composé  de  deux  piafs;  et  la  viande  doit  déborder  de 
quatre  doigts  des  deux  côtés  du  piaf;  on  servira  le  paysan  dans  des 
gobelets  et  plats  neufs,  et  on  lui  donnera  du  vin  en  quantité  suffi- 
sante '.  A  Alzey,  les  corvéables,  hommes  et  femmes,  étaient  tenus 
d'aider  à  la  moisson  pt-ndant  deux  jours.  «  Mais  si  la  femme  a  un 
petit  enfant,  elle  pourra  retourner  trois  fois  par  jour  à  la  maison 
pour  l'iillaiter  =;,  dit  le  coutumier.  «  Le  soir,  on  donnera  à  chaque 
homme  un  pain,  dont  vingt-quatre  semblables  doivent  être  pétris 
dans  un  muid  de  grain.  »  On  fixait  exactement  d'avance  la  quantité 
de  nourriture  et  de  boisson  à  laquelle  le  corvéable  avait  droit  lors- 
qu'il avait  à  faire  des  transports  de  vin,  et  nous  pouvons  constater 
dans  les  règlements  qui  nous  ont  été  conservés,  qu'on  pourvoyait  avec 
largesse  à  ses  besoins.  Nous  y  lisons  en  effet  :  «  On  lui  servira  deux 
sortes  de  pain,  deux  plats  de  viande  et  deux  sortes  de  vin  :>.  On  doit 
cependant  l'empêcher  de  boire  avec  excès  :  "  Quand  le  charretier 
des  vins  arrivera  le  soir  à  la  Moselle  >',  dit  le  coutumier  de  l'abbaye  de 
Prüm,  «  on  lui  servira  une  soupe,  et  du  vin  en  quantité  suffisante. 
Pendant  sa  route,  il  aura  droit  à  chaque  mille  à  un  quart  de  vin.  Mais 
il  doit  éviter  de  trop  boire,  afin  de  pouvoir  bien  garder  le  vin  de  son 
seigneur.  Quand  il  arrivera  à  destination,  on  lui  donnera  suffisam- 
ment à  boire  et  à  manger;  on  lui  servira  deux  sortes  de  pain,  deux 
sortes  de  viande  et  deux  sortes  de  vin.  Le  charretier  ne  doit  pas 
boire  avec  excès,  afin  de  ne  pas  heurter  la  porte  en  entrant,  car  s'il 
la  heurtait,  il  devrait  payer  une  amende  à  son  seigneur*.  =;  Le  temps 
de  la  corvée  durait  en  général  deux  jours,  mais  plus  souvent  encore 
un  jour  et  une  nuit.  Ordinairement,  les  corvéables  retournaient  chez 
eux  le  même  jour  -. 

Les  redevances  en  nature  et  en  argent  étaient  presque  toujours 
apportées  au  seigneur  ou  à  son  intendant  par  le  tenancier  ou  cor- 
véable en  personne.  11  n'était  pas  rare  que  ces  taxes  fussent  compensées 
par  des  dons  équivalents,  ou  même  dépassant  la  somme  apportée'. 
Le  contribuable  ou  son  messager  devait  être  hébergé  lorsqu'il  arri- 
vait chez  le  seigneur.  Dans  quelques  pays,  on  lui  donnait  un  habille- 
ment complet,  quelquefois  même  on  le  récréait  par  la  musique  ou  la 

'  Voy.  Grimm,   IVeisthûmer,  t.  I,  p.  321,  4l4,  717,  799;  t.  II,  p    525. 
*  Voy.  Malrek,  t.  III,  p.  303,  320.  —  Grimm,  llechlsalieri/iûmer,  p.  354. 
»  Id.,  p.  395. 


UK  DEVANCES.  273 

danse.  Le  foresfier  de  Laiilor),  par  cxcniplc,  recevait  pour  «a  peine, 
lorsqu'il  venaif  amener  au  cliàlcau  de  Coiislance  «  les  porcs  de  la 
dime  »,  le  poids  pesé  en  seifyle  de  son  cochon  le  plus  {jras.  Le  mes- 
sager qui  apportait  au  cliAloau  (rilirsciiolm  les  plus  beaux  morceaux 
de  son  porc  engraissé,  devait  (Mre  placé  à  une  (able  abondamment 
servie,  manger  et  boire  «  dans  de  la  vaisselle  blanche  ».  Son  cheval 
devait  avoir  assez  d'avoine  pour  qu'elle  montât  jusqu'au  poitrail, 
et  passait  la  nuit  à  l'écurie.  l,e  matin,  lorsque  le  paysan  reparlait, 
il  recevait,  suivant  l'ancien  usage,  un  pourboire.  Les  charbonniers 
et  charpentiers  de  la  métairie  de  Sigolsheim,  entre  Colmar  et 
Schicsiadt,  étaient  encore  mieux  partagés  :  quand  ils  apportaient 
leurs  redevances,  on  donnait  à  chacun  une  aune  de  bon  drap 
pour  faire  des  chausses.  «  Plus,  dit  le  terrier,  ceux  qui  viennent 
couper  le  bois  dans  notre  domaine  peuvent  réclamer  dans  chaque 
maison  ime  once  de  pfennigs.  Ils  pourront  aller  ensuite  à  Miiusler- 
thal,  et  là  on  les  hébergera  honnêtement  et  de  bonne  grâce.  » 
«  La  nuit,  on  leur  fera  un  lit  avec  de  la  paille,  et  l'on  engagera  un 
vielleur  qui  leur  viellera  pour  les  endormir,  ainsi  qu'un  valet  pour 
garder  leurs  vêtements,  de  crainîe  que  le  feu  ne  s'y  mette.  Monsei- 
gneur l'abbé  de  Saint-Grégoire  leur  fera  donner  deux  paires  de 
souliers  neufs.  Ensuite  ils  s'en  iront  à  la  ferme  de  Wilre  et  y  pren- 
dront le  matin  un  morceau.  Après  quoi  ils  se  rendront  à  la  ferme 
de  Durinckheim,  où  l'on  devra  les  recevoir  le  mieux  possible  et 
leur  donner  du  vin  rouge  tiré  au  tonneau  '.  '  Dans  le  coutumier 
du  bailli  de  Mcnchin  (1441),  ou  lit  :  «  Le  bailli  a  un  droit  de  fenaison. 
Tous  ceux  qui  ne  pourront  pas  faucher,  peti(s  locataires  de  chau- 
mière ou  veuves,  devront  faner  un  jour  pour  lui.  On  sonnera  la 
grand'cloche  pour  les  avertir.  Tout  de  suite  après  l'avoir  entendue, 
ils  se  rendront  dans  la  cour  du  bailli;  ensuite  un  fifre  les  conduira 
jusqu'au  champ,  et  le  soir  les  ramènera.  "  Le  même  terrier  assure 
aux  corvéables  les  avantages  suivants  :  «  Quand  le  pêcheur  apporte 
le  poisson  à  la  cour  du  bailli,  la  femme  du  bailli  doit  lui  donner 
une  bonne  miche.  Mais  s'il  apporle  plus  ou  mieux  qu'on  ne  lui 
demandait,  elle  doit  être  très-gracieuse  envers  lui  et  lui  donner  un 
bon  rôti  de  bœuf».  " 

'  Grimm,   IVeisthümer,  t.  I,  p.  105,  446,  666. 

*  GniMM,  Rechtsalterihümer,  p.  318,  395.  •  Je  crois,  a  dit  Grimm.qiie  les  fermaf^es 

et  servitudes  du  temps  passé  étaient  en  beaucoup  de  choses  plus  supportables 

et  moins  rebutants  que  les  devoirs  et  le  jjenre  de  vie  auxquels  sont  mainte- 

'•   nant    tristement  assujettis  nos   paysais    et  nos  ouvriers  de  fabrique.    •   «  La 

rèf;le  imposée  par  le  droit  national,  prescrivant  que  le  lever  ou  le  coucher  du. 

I  soleil  serait  comme  le  témoin  de   tous  les  actes  lejjaux,  était  en  beaucoup  de 

I  cas  favorable  au  colon.  Dans  les  anciennes  prestations  de  services,  les  devoirs 

se  rattachaient  souvent  aux  incidents  de   la  vie  de  la  nature.  Il  y  avait  là  un 

élément  indéterminé,  et    quelque  heureux  hasard  pouvait  servir  l'intérêt  du 

18 


274  ECONOMIE    SOCIALE. 

Les  redevances  n'étaient  pas  toutes  apportées  par  les  corvéables. 
Les  «  dîmes  réclamables  "  devaient  être  perçues  par  les  seigneurs. 
Les  nombreux  règlements  qui  précisent  la  manière  dont  ces  taxes 
doivent  être  prélevées  consignent  les  égards  montrés  aux  paysans, 
et  sont  animés  d'un  véritable  esprit  de  bonté  et  de  ménagement. 
Il  y  est  recommandé  de  prendre  garde  de  réveiller  Tenfant  couché 
dans  son  berceau;  le  coq,  perché  sur  le  treillage,  ne  doit  pas  être 
effrayé,  et  si  la  iemme  du  paysan  est  en  couches,  le  collecteur  sei- 
gneurial doit  se  contenter,  comme  d'un  simple  simulacre  de  rede- 
vance, de  la  tète  du  poulet  qui  lui  est  dû.  Le  reste  de  la  bête  est 
laissé  à  l'accouchée,  <  atin  qu'elle  puisse  reprendre  des  forces  «  '. 
Lorsque  le  seigneur  justicier  réclame  Ihospitalité  d'un  de  ses  colons, 
il  est  tenu  de  «  laisser  son  épée  et  ses  éperons  à  la  porte,  afin  de  ne 
pas  effrayer  la  femme  ". 

Le  règlement  de  la  métairie  de  Walmersheim,  appartenant  au  mona- 
stère de  Priim,  nous  fournit  un  exemple  intéressant  de  la  minutieuse 
exactitude  avec  laquelle  les  droits  mutuels  étaient  alors  fixés  :  «  Cha- 
que quart  de  terrain,  y  est-il  dit,  outre  d'autres  redevances,  doit  sept 
œufs  et  demi  au  seigneur;  la  femme  mettra  sur  le  seuil  le  huitième 
œuf,  et  le  bailli  le  coupera  avec  un  couteau.  Ce  qui  tombe  en  deçà 
de  la  porte  est  au  paysan;  ce  qui  tombe  au  delà,  au  seigneur ^  " 

Les  décisions  contenues  dans  les  règlements  et  droits  seigneuriaux 
touchant  les  punitions  que  doivent  subir  ceux  qui  n'apportent  pas  à 
temps  leurs  redevances,  sont  d'un  très-grand  intérêt  et  nous  permet- 
tent de  nous  rendre  un  compte  exact  de  la  position  des  colons.  Ces 
punitions  consistent  la  plupart  du  temps  en  amendes  de  peu  d'impor- 
tance, dans  la  remise  de  quelques  pains  ou  d'une  mesure  de  vin. 
Quelquefois  on  exigeait  que  le  cultivateur  en  retard  de  ses  payements 
fournit  des  gages,  parfois  aussi  on  lui  retirait  tout  à  fait  le  bien  qui 
lui  avait  été  confié;  mais  il  était  interdit  <  d'agir  envers  lui  avec 
légèreté  ou  colère;  on  devait  lui  laisser  du  temps  lorsqu'il  était  en 
retard,  et  ne  pas  le  punir  trop  sévèrement.  S'il  était  pauvre,  on  re- 
commandait à  son  égard  la  miséricorde,  et  l'on  ne  juge  digne  d'être 
sévèrement  puni  que  celui  qui  a  vraiment  négligé  son  devoir  et  s'est 
montré  récalcitrant  et  obstiné.  »  En  général,  on  accorde  de  nou- 
veaux délais  au  colon  qui  ne  peut  s'acquitter  au  temps  voulu  :  «  Celui 
qui  n'a  pas  remis  sa  redevance  au  jour  fixé,  pendant  que  le  soleil  luit 

plus  faible.  Les  difficultés,  les  épreuves  des  paysans  dà  présent  ont  un  caractère 
plus  écra.'^ant.  Les  devoirs  qui  leur  sont  imposés  se  rapportent  à  un  but  plus 
étroit,  plus  uniforme,  et  la  manière  d'ai teindre  ce  but  n'est  pas  toujours  en 
rapport  avec  les  habitudes  et  les  occupations  ordinaires  du  paysan.  •  Hechtsal- 
terihiimer,  l    XVI,  p.  395.  —   Voy.  Peetz,  fol.  290. 

1  Voy.  (iniMM.  ll'eislhiimer,  t.  I,  p.  534,  et  Maurer,  Fronhöfe,  t.  III,  p.  347. 

*  Grimm,  Weisihumer,  t    II,  p.  525,  538,  et  t.  III,  p.  16. 


REDEVANCES.  275 

et  avani  qu'il  se  couche,  dit  un  fonicr  de  Kleinfrankenheim  (basse 
Alsace),  payera  une  amende  de  sept  sliillin[;s  comptant;  et  alors  l'in- 
tendant pourra  lui  retirer  le  bien.  Mais  la  chose  doit  se  passer  en 
présence  de  deux  témoins,  et  le  colon  doi!  être  préalablement  averti 
par  (rois  l'ois  en  l'espace  de  (piinze  jours,  (^elm'  qui  encourt  de  pareils 
avertissements  donnera  chaque  lois  â  ceux  qui  viennent  lui  signifier 
la  disposition  prise  contre  lui  deux  mesures  de  vin.  Si,  au  bout  de 
quinze  jours,  il  n'a  pas  payé,  il  n'aura  pendant  un  an  aucune  pour- 
suite à  redouter.  Mais  si,  après  l'année  écoulée,  sa  redevance  n'est 
pas  encore  soldée,  les  intendants  du  seigneur  prendront  jugement 
contre  lui,  et  la  terre  retournera  au  seigneur,  qui  pourra  alors  en 
faire  ce  qu'il  voudra  comme  de  sa  légitime  propriété.  Mais  si  ce 
tenancier  lent  et  récalcitrant  ne  s'était  pas  trouvé  chez  lui  lors  des 
avertissements  prescrits,  et  que,  revenu  dans  l'intervalle,  il  eût  payé 
tous  ses  impôts  et  redevances  arriérées,  le  bailli  devra  le  laisser  dans 
sa  terre'.  •'  Le  colon  en  retard  de  ses  redevances  pouvait  jusqu'au 
dernier  moment  remettre  sa  dette  au  collecteur  venu  pour  prendre 
des  gages.  .  Tout  colon  -,  dit  le  règlement  de  la  métairie  de  Birgel 
appartenant  à  l'abbaye  de  Saint-Pierre  de  Mayence,  «  doit,  le  jour  de 
saint  Thomas  qui  précède  Noël,  payer  trente  pfennigs  avant  le  cou- 
cher du  soleil,  et  se  présenter  dans  la  résidence  de  son  seigneur.  S'il 
n'a  pas  d'argent,  il  pourra  fournir  des  gages;  si,  dans  le  cours  de  la 
journée,  il  n'a  apporté  ni  gages  ni  argent,  le  bailli  remettra  la  terre 
entre  les  mains  du  seigneur.  Si  l'intendant  du  seigneur,  venant  récla- 
mer les  taxes,  rencontre  le  pauvre  homme  apportant  ses  redevances 
arriérées  avant  qu'il  soit  parvenu  à  la  grand' porte  et  sorti  de  l'en- 
clos, il  devra  lui  faire  grâce  *.  "  Le  règlement  de  la  métairie  de 
Biebern  (dans  le  Huudsriick)  dit,  dans  le  même  esprit  de  conciliation, 
sur  la  question  de  savoir  comment  on  doit  contraindre  à  payer  celui 
qui  n'a  apporté  ni  ses  redevances  en  nature  ni  son  argent  :  «  Voici 
comment  on  agira  :  le  bailli  ne  fera  pas  la  saisie  lui-même;  il  ira 
trouver  le  juge  du  district,  et  celui-ci  viendra  avec  lui  chez  le  paysan, 
et  s'efforcera  de  trouver  dans  la  maison  des  gages  suffisants  pour 
répondre  de  ce  qui  est  dû.  Le  bailli  restera  en  dehors,  sur  le  fumier, 
et  n'entrera  pas.  Et  si  le  juge  trouve  des  gages  suffisants,  il  les  pas- 
sera à  l'intendant  à  travers  les  treillis  de  l'enclos;  que  s'il  n'en  trouve 
pas  assez,  l'intendant  sera  miséricordieux  pour  le  pauvre  homme, 
jusqu'à  ce  que  Dieu  lui  ait  tendu  la  main  '.  » 

'  Grimm,  t.  I,  p.  744. 

*  Par  les  mots  «  pauvre  homme,  pauvres  gens  »,  on  désignait,  dans  les  titres 
de  propriété  seij^neuriaie,  les  colons,  les  paysans  cultivant  des  terres  affer- 
mées, etc.  Voy.  MvURER,  Dorfierfassuiig,  t.  I,  p.  135. 

'  GaiMM   t.  I,  p.  517,  744;  t.  II,  p.  191. 

18. 


276  ECONOMIE    SOCIALE. 

Toutes  ces  ordonnances  prouvent  suffisamment  que  >'  le  pauvre 
homme  »  du  moyen  âge,  libre,  quoique  appartenant  à  la  terre,  n'était 
pas  sans  droit  vis-à-vis  de  son  seigneur,  et  que  ses  rapports  avec  lui 
n'avaient  rien  d'avilissant  ni  d'oppressif.  D'autre  part,  la  dépendance 
du  cultivateur  le  mettait  à  l'abri  des  soucis  de  la  vie  matérielle,  et  la 
plupart  du  temps  lui  garantissait  de  père  en  fils  une  demeure,  et  le 
droit  d'exploiter  la  métairie. 

Lorsque  le  colon  entrait  au  service  personnel  de  son  seigneur,  il 
faisait  partie  de  la  famille. 


II! 


Les  établissements  ruraux  différaient  beaucoup  entre  eux.  Dans  les 
pays  montagneux,  une  graude  partie  du  Tyrol,  la  haute  et  basse 
Autriche,  en  Styrie,  eu  Carinthie,  dans  les  montagnes  de  la  Bavière 
et  les  pays  marécageux  du  nord,  sur  les  rives  de  la  Baltique  et  de  la 
mer  du  Nord,  les  villages  u'éf aient  que  des  métairies  groupées 
non  loin  les  unes  des  autres.  Dans  les  pays  plus  plats,  les  vastes 
plaines  de  l'Allemagne  du  Nord,  les  plateaux  du  sud,  s'étendaient  au 
contraire  de  grands  villages  cohérents  aux  maisons  contiguës.  En 
Westphalie,  les  fermes  séparées,  les  propriétés  seigneuriales,  les  vil- 
lages étaient  confondus.  Les  paysans  de  la  basse  Bavière  et  de  la 
Poméranie  habitaient  des  métairies  entourées  de  vastes  terrains.  Les 
cultivateurs  rhénans  avaient  de  petites  propriétés  formant  de  grands 
villages.  Enfin  ceux  des  forêts  de  l'Ouest  habitaient  de  petites  bour- 
gades o.u  hameaux  groupés  les  uns  auprès  des  autres. 

Dans  tous  ces  villages,  on  retrouve  l'institution  du  communal,  telle 
que  les  anciennes  lois  agraires  germaniques  l'avaient  établie.  Le 
communal  consistait  en  bois,  prairies,  pâtis,  haies;  ces  terrains 
indivis,  appelés  aussi  connimne,  donnèrent  leur  nom  ä  l'association 
villageoise.  Tous  y  avaient  un  égal  droit,  même  dans  les  villages 
composés  de  biens  seigneuriaux,  non-seulement  le  paysan  libre, 
mais  aussi  le  colon  attaché  à  la  glèbe,  pourvu  qu'il  appartint  réel- 
lement à  la  commune,  qu'il  y  eût  «  son  propre  feu  ",  "  son  foyer  ", 
«  son  pain  et  sa  nourriture  bien  à  lui  »  ;  en  un  mot,  son  chez-lui  et  son 
mémige;  mais  quelquefois  c'était  sous  la  condition  d'une  modique 
redevance.  Ainsi  à  Ilornau  et  à  Kelchheim,  dans  le  Taunus,  nous 
voyons,  d'après  un  règlement  de  1482,  que  les  membres  de  la  commune 
devaient  fournir  le  mardi  gras   '  un  poulet,  et  de  plus  payer  trois 


CO  M  M  [I  NA  I,.  57  7 

iiards  ..  Daas  im  villajje  ai)|)arieiianl  à  l'abbaye  de  Lindau,  le  paysan 
dcvail  aussi,  selon  le  rè[;lcjiicnl,  '  une  poule  le  mardi  gras  ».  A  Winni- 
{>cn-sur-Moselle,  il  lui  fallait  l'aire  "  une  oUrande  gracieuse  en  vin  •, 
odraude  dont  la  mesure  variail  selon  (pje  Tannée  avait  été  bonne  ou 
mauvaise.  Mais  la  plupart  du  temps,  les  paysans  exempts  de  toute 
rétribution  étaient  libres  d'employer  comme  ils  l'eniendaient,  et 
le  plus  utilement  possible  pour  leurs  intérêts,  leur  part  de  commu- 
nal'.Ils  avaient  donc  -  l'eau,  le  pAtis.le  terrain  inculte  (vaine  pâture), 
le  poisson  sur  le  sable,  le  gibier  dans  la  campagne,  pour  les  besoins 
et  nécessités  de  leur  subsistance*".  Aucune  parcelle  de  communal  ne 
pouvait  jamais  être  vendue.  Les  seigneurs  fonciers,  sans  l'assenti- 
ment du  village,  ne  pouvaient  non  plus  rien  en  distraire,  et  n'a- 
vaient pas  même  le  droit,  sans  la  permission  des  paysans,  de  faire 
couper  du  bois  et  de  le  faire  transporter  en  dehors  des  limites  du 
village  ^ 

On  voit  que  le  colon  d'une  métairie,  ou  de  tout  autre  bien  appar- 
tenant à  un  propriétaire  ecclésiasiique  ou  séculier,  avait,  outre  la 
propriété  héréditaire  et  soumise  à  des  redevances  qui  lui  était  confiée, 
une  copropriélé  réelle  dans  les  terrains  de  la  commune  *. 

Au  quinzième  siècle,  les  droits  au  communal,  dans  la  plupart  des  vil- 
lages, consistaient  encore  en  droit  de  pâtis  pour  les  bestiaux,  droit  de 
glandée  cl  droit  de  libre  coupe  dans  les  bois.  Les  coupes,  les  «  jours 
de  bois  ^ ,  étaient  fixées  à  des  époques  déterminées,  et  les  villageois 
venaient  abattre  ce  qui  leur  était  di\;  puis,  sous  la  surveillance  des 
représentants  de  la  commune,  qui  précisaient  exactement  les  parts  de 
chacun  selon  ses  charges  et  nécessités,  le  bois  de  bâtisse  et  de  chauf- 
fage, de  charme,  de  haie,  d'échalas  ou  autres,  était  distribué.  Comme 
la  richesse  des  paysans  consistait  presque  toujours  en  bétail,  on  se 
préoccupait  surtout  du  bon  entretien  des  pâturages  mêlés  aux  champs 
et  aux  bois.  Ordinairement,  ou  fixait  le  nombre  de  bêtes  que  chaque 
fermier  avait  droit  de  posséder. 

A  ceux  des  habitants  du  village  qui  ne  jouissaient  pas  de  leurs 
pleins  droits,  et  qu'on  appelait  les  <  manants  ",  classe  composée  pouj' 
la  plupart  d'ouvriers,  de  journaliers,  gens  absolument  destitués  de 
toute  propriété,  on  constituait  aussi  certains  droits  au  communal. 
Ils  pouvaient  y  mener  paître  une  chèvre,  un  porc,  en  un  mot  le  bétail 

'  Pour  plus  de  détails,  voy.  Maurer,  Dorfverfasiung,  t.  I,  p.  54-161.  —  Sur  les 
propriétés  de  bois  et  les  démarcations  des  foréls  dans  le  Rheingau,  voyez  Ziux, 
p.  5J. 

'  (;iUMM,   Weiithumcr,  t.  II,  p.  321. 

'  Voy.  par  exemple,  le  coulumier  de  Sclnvanlieim  il453).  Grimm,  t.  1,  p.  522. 

♦  C'est  pourquoi  le  pilla^je  des  propriétés  ecclésiastiques  au  seizième  siècle  fut 
fréquemment  au  détriment  du  «  pauvre  homme  ,  auquel  il  faisait  perdre  sa 
part  de  communal. 


278  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

nécessaireàrenlretien  de  leurvie.On  attribuait  auxplus  pauvres  soit  un 
jardiu,  soit  les  fruits  de  quelques  arbres,  soit  même  des  pièces  de  terre 
qu'ils  pouvaient  défricher,  puis  culîiver  pendant  un  espace  de  temps 
plus  ou  moins  long.  Outre  cela,  on  leur  abandonnait  quelquefois  du 
terrain  pour  y  bâtir  une  cabane,  et,  dans  beaucoup  de  communes, 
du  bois  de  construction  et  de  chauffage  '.  Les  femmes  en  couches, 
qu'elles  appartinssent  ou  non  à  la  commune,  avaient  droit  dans  beau- 
coup de  villages  à  une  provision  de  bois;  à  la  naissance  d'un  garçon, 
elles  recevaient  le  double  de  la  somme  accordée  à  la  naissance  d'une 
filles 

On  appelait  les  livraisons  de  ce  genre  "  offrandes  gracieuses  envers 
ceux  qui  ont  besoin  de  notre  assistance  •^.  Ces  offrandes  gracieuses 
s'étendaient  aussi,  dans  une  certaine  mesure,  aux  voyageurs  qui  tra- 
versaient le  pays.  On  trouve  en  abondance  dans  les  «  Sagesses  »  du 
temps  des  prescriptions  analogues  à  celle-ci  :  «  S'il  survient  un  étran- 
ger, et  qu'il  veuille  pécher  une  fois  dans  les  limites  de  notre  commune, 
il  pourra  jeter  ses  lignes  dans  le  ruisseau.  "  "  Tout  étranger,  de 
quelque  lieu  qu'il  vienne,  pourra  pécher  un  plat  d'écrevisses  ou  de 
poisson,  mais  il  devra  le  manger  dans  l'enceinte  du  village,  chez  un 
aubergiste  ou  un  habitant  du  pays.  »  "  Un  passant  étranger  pourra 
manger  du  raisin  autant  qu'il  en  voudra.  Mais  il  ne  pourra  pas  en 
emporter  dans  son  sac;  le  garde  ne  lui  demandera  rien  pour  ce  qu'il 
aura  mangé,  mais  l'engagera  seulement  à  continuer  son  chemin,  et  le 
remettra  en  bonne  voie,  s'il  s'est  égaré.  »  »  Un  voyageur,  passant 
à  cheval  à  travers  champs,  a  le  droit  d'emporter  aulant  d'épis  qu'il 
en  pourra  tenir  dans  ses  deux  mains  pendant  une  course  rapide.  « 
«  Un  charretier  traversant  la  route  pendant  la  moisson  peut  réclamer 
trois  gerbes.  "  On  devai'  aussi  prendre  soin  des  bétes  fatiguées  du 
voyageur  :  «  S'il  advenait  qu'un  homme  passât  en  voiture  avec  son 
attirail  et  ses  bêtes,  et  que  la  nuit  le  surprit  dans  le  territoire  du  vil- 
lage, il  pourra  y  prendre  son  repos  et  mener  ses  bêtes  passer  la 
nuit  dans  le  communal.  "  Le  voyageur  avait  aussi  le  droit  de  prendre 
dans  les  forêts  communales  le  bois  qui  lui  était  nécessaire,  au  cas  ou 
sa  charrette  ou  voiture  aurait  eu  besoin  de  réparations  \ 

Les  bois  et  les  champs  composant  la  propriété  commune  étaient 
considérés  comme  «  biens  sacrés  et  inviolables  ».  A  des  époques 
déterminées,  on  en  faisait  l'inspection  solennelle  en  processions 
qui  se  faisaient  tantôt  à  pied,  tantôt  à  cheval,  et  pendant  lesquelles  on 
en  Consta  ait  exactement  les  limites.  Ces  inspections  étaient  regardées 

'  Maurer,  Dorfverfassung ,  t.  I,  p.  228-244. 
*  Maurer,  t.  I,  p.  23U-231. 

'  (iRiMM,  t.  m,  p.  456,  462.  —  Maurer,  Dorfrcrfassung,  t  I,  p.  331-332,  Introduc- 
tion, p.  165-167,  193-194.  —  GriMM,  liecshlaUerthumer,  p.  400-402. 


HABITATIONS    DES    CU  LT  I  VA  T  E  Ü  li  S.  279 

comme  fort  importantes;  elles  avaient  souvent  lieu  bannières  dé- 
ployées, tambours  et  fifres  en  tète,  et  constituaient  en  même  temps 
des  actes  religieux.  Un  autel  était  construit  sur  la  limite  du  commu- 
nal, rÉvangile  y  était  lu,  puis  le  curé  du  villaj;e  bénissait  les  champs  '. 
Üans  les  communes  seigneuriales  ou  mixtes  oii  des  biens  seigneu- 
riaux étaient  mêlés  à  ceux  des  paysans,  des  délégués  du  seigneur 
devaient  prendre  part  à  la  procession.  Les  champs  appartenant  aux 
particuliers,  prairies,  jardins,  vignes  ou  bois,  é'aient  aussi  surveillés 
et  protégés,  et  la  plupart  du  temps  entourés  de  haies.  Toute  rupture 
de  haie  était  sévèrement  punie.  La  partie  habitée  du  village  était 
en  général  entourée  d'une  haie,  d'un  fossé  ou  d'une  simple  mu- 
raille '. 

Le  mode  de  construction  des  maisons  de  paysans  variait,  comme 
les  costumes,  suivant  les  diverses  races  et  les  différentes  contrées.  En 
Franconie,  l'habitation,  les  éfables,  le  hangar,  la  grange,  tout  était 
contenu  dans  une  sorte  de  quadrilatère  dont  les  divt-rses  parties 
n'étaient  point  séparées  par  une  cour,  de  sorte  que  le  paysan,  sans 
mettre  le  pied  hors  de  chez  lui,  pouvait  aisément  avoir  l'œil  à  tout. 
En  Souabe,  le  villageois  n'habitait  pas  à  côté,  mais  au-dessus  de  ses 
étables;  sa  maison  avait  deux  étages,  et  tout  auprès,  sous  le  même 
toit,  se  trouvait  la  grange.  Dans  les  habitations  des  paysans  de  Saxe, 
le  foyer  était  établi  juste  au  milieu  de  la  maison,  et  la  ménagère, 
assise  auprès,  pouvait  diriger  toutes  choses  et  surveiller  aisément 
enfants,  serviteurs,  chevaux,  vaches,  cave,  grenier  et  pièce  d'habita- 
tion. La  place  auprès  du  foyer  était  la  plus  belle  ^;  le  feu  était  allumé 
tout  le  jour  et  la  nuit  même  brillait  d'une  faible  lueur.  On  ne  Tétei 
gnait  jamais,  si  ce  n'est  le  jour  de  la  mort  du  maitre,  selon  l'antique 
usage  '. 

L'indissoluble  union  du  paysan  et  de  sa  demeure  était  symbolisée 
par  l'enseigne  qu'il  y  attachait,  et  qui  était  une  sorte  de  témoignage 
parlant.  La  charrue,  la  faucille,  la  gerbe ,  le  hoyau  peint  ou  sculpté 
sur  la  porte  du  cultivateur  semblaient  dire  à  tous  les  passants  que  le 
maitre  de  la  maison  était  fier  de  son  travail,  qu'il  y  mettait  sa  gloire. 


'  Maurer,  Introduction,  p.  73,  .325.  —  Dorfverfasning,  t.  II.  p.  6-10.  —  Voyez 
aussi  l'ordonnance  villageoise  d'Ingersheim  {iiii),  dans  Mo.ne,  Zeitschrift,  t.  I, 
p.  12. 

*  Mairer,  Introduction,  p.  37-39,  220-223.  —  Dorf  Verfassung,  t.  I,  p.  32-33,  357. 
—  NordhipFF,  HoL  und  Steinbau  Westfalens,  fol     125. 

'  Voyez  MoNE.  Zeitschrift,  t.  V,  p.  130-131.  —  Sur  les  maisons  de  paysans  en 
Saxe,  voyez  Nordhoff,  Hola  und  Steinbau  Westfalens,  p.  12-2d.  —  Sur  les  maisons 
des  paysans  d'Osnabriick,  voy.  J.  Moser,  Patriotische  Phantasien,  t.  III.  p.  143-145. 

*  Tout  ceci  est  en  ore  en  usage  aujourd'hui  dans  le^  riches  familles  de  paysans 
d'Oldenbourg  et  dans  le  Schleswig.  Voyez  Riehl,  Familie,  p.  213. 


280  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

"  Le  vrai  cultivateur,  dit  le  lAore  des  grains,  plantes  et  arbres,  ne 
met  rien  au-dessus  de  sa  maison,  rien  ne  lui  est  plus  cher  que  sa 
femme,  son  enfant,  et  tout  son  petit  peuple,  il  tient  le  travail  en 
grand  honneur,  et  se  regarde  comme  en  possession  de  la  plus  belle 
profession  de  ce  monde,  car  Dieu  lui-même  Ta  instituée  dans  le  pa- 
radis '.  » 

Aussi  la  chanson  populaire  disait-elle  : 

Le  chevalier  a  dit  au  laboureur  :  »  Je  suis  sorti  d'une  race  illustre!  ' 
Le  laboureur  lui  a  répondu  :  «  Je  cultive  le  blé,  j'ai,  selou  moi,  un  sort 
bien  plus  agréable  que  le  tien!  Si  je  n'étais  cultivateur,  lu  ne  jouirais  pas 
longtemps  de  la  noblesse!  C'est  moi  qui  te  nourris  avec  le  fer  de  ma  char- 
rue! Je  n'attache  aucune  imporiance  A  ion  faste;  j'ai  mon  droit  de  paysan, 
il  me  semble  bien  supérieur.  A  quoi  le  servent  les  tournois  et  tes  danses? 
Je  n'y  vois  rien  qui  puisse  le  rendre  plus  fier,  au  lieu  que  mon  rude  labeur 
supporte  le  monde  ''^!  » 


IV 


Les  travaux  des  cultivateurs  élaieul  étroitement  associés  à  l'admi- 
nistration communale,  qui  réunissait  toutes  les  familles  d'un  village 
dans  une  association  bien  organisée,  où  les  devoirs  et  droits  de  cha- 
cun étaient  clairement  délerminés.  Tout  membre  de  la  commune 
était  appelé  à  participer  au  maintien  de  la  paix  et  de  la  justice,  ei 
à  donner  son  avis  dans  les  jugements  et  sentences  judiciaires.  Eu 
toutes  circonstances  concernant  les  intérêts  du  village,  il  exerçait 
un  droit  de  vote.  Quand  il  survenait  des  querelles,  des  débats,  le 
principe  :  ^  Tous  pour  un,  un  pour  tous  »,  faisait  loi  *,  et  cette  fra- 
ternité bien  cimentée,  fondée  sur  les  simulitudes  du  travail  et  de 
l'établissement  agraire,  constituait  cette  association  rurale  que  le 
paysan  estimait  être  la  meilleure,  et  qu'il  préférait  ä  tout. 

Les  villageois  bien  constitués  en  droit,  colons  et  hommes  libres, 
choisissaient  des  maires,  des  présidents,  des  conseillers  communaux. 
Ceux-ci  avaient  le  droit  de  décider  non-seulement  sur  l'emploi  du 

'  Dans  l'opuscule  intitulé  :  De  regimine  rusticorum ,  Rolewinclc  dit,  pa.i^e  8  : 
«  Dignittis  ruslica?ia  esl  defendtnda  et  hoc  Iriplicitcr  :  Primo  quia  a  Dec  esl  iiistUuCa,  secundo 
quin  a  natura  est  princîpaliter  intenta,  tertio  quia  a  celeberrimis  riris  est  plurimum  appro- 
bata  et  viuitipl citer  prioilegiala.  .  SclOQ  lui,  leS  paysans  SOnt  appelés  ad  dignissi- 
mum  inlcr  omnia  niechanica  officium. 

'  UhlaND,  t.  I,  p.  337. 

'  Voy.  GiEUKE,  Gcnossenscliafisrecht,  t.  II,  p.  210-300. 


DIVKliS    MODES    DK    CUl.TUliE.  28f 

communal,  mais  encore  sur  l'exploifaiion  des  terrains  apparlenant 
aux  pai-licnlicrs.  Dans  les  questions  interessant  (oute  la  commune, 
l'axiome  de  la  loi  saxonne  :  «  La  minorité  ne  pourra  s'opposer  à  ce 
(jue  le  maire  aura  décidé  avec  l'assenlimenl  de  tous  »,  était  encore 
mis  en  prafiipie  à  la  fin  du  mojen  à{]C,  pour  tout  ce  qui  rcjyardait 
les  intérêts  communs. 

Quant  à  l'aménagement  du  terrain,  on  avait  naturellement  égard 
aux  qualités  particulières  du  sol.  Le  système  des  trois  nssolements, 
généralement  employé  pour  le  connnunal,  était  presque  partout  mis 
en  usage,  un  ensemençait  un  champ  de  trois  manières  allernées  : 
d'abord  de  grains  d'hiver,  puis  de  blé  d'été;  enfin  le  champ,  labouré 
seulement  à  la  surface,  restait  en  jachère,  afin  que  les  sucs  nourris- 
sants, dépensés  par  les  récolles  précédentes,  pussent  se  reconstituer 
de  nouveau  dans  les  molécules,  par  la  pulvérisation  des  parcelles  de 
pierre  et  de  roche,  et  par  la  décomposition  des  résidus  organiques. 
Dans  beaucoup  de  localités,  on  commença  dès  le  quinzième  siècle  à 
tirer  parti  des  champs  restés  en  jachère  '  en  y  ensemençant  ce  qu'on 
appelait  "  grains  de  jachères  »,  consistant  surtout  en  vesces  et  en 
pois.  Dans  toute  la  haute  Allemagne  et  jusqu'au  bas  Rhin,  on  voit,  à 
côté  des  champs  de  culture  proprement  dits,  des  champs  particuliers 
spéciaux,  composés  des  meilleures  terres,  champs  qui  jamais  n'étaient 
mis  en  jachère,  et  servaient  à  la  culture  des  légumes,  des  plantes 
utiles,  du  chanvre  et  du  lin.  Dans  les  pays  montagneux  de  l'Allemagne 
du  Sud  et  sur  les  rivages  de  la  mer  du  Nord,  la  culture  des  prairies 
prédominait*.  On  alternait  dans  les  mêmes  terrains  la  culture  du  blé 
et  du  foin  dans  un  ordre  déterminé  d'avance.  Dans  quelques  contrées 
du  bas  lihin  tous  les  champs  étaient  ensemencés  cliaque  année  \ 

Presque  toujours  l'administration  communale  décidait  sur  les 
modes  de  culture,  fixait  le  temps  des  semailles,  prescrivait  pour  les 
terres  les  années  de  production  ou  de  repos,  établissait  des  règle- 
ments précis  sur  l'élevage  des  bestiaux,  l'irrigation  des  prairies  et 
l'aménagement  des  Corèts.  Aucun  produit  du  communal,  bois,  paille, 
foin,  iourrage  quelconque,  nulle  matière  première  et  nul  objet 
fabriqué  ne  pouvaient,  sans  l'autorisation  de  la  commune,  être  trans- 
portés hors  du  village. 

L'agronomie  et  l'économie  forestière,  qui  la  touche  de  si  près, 
firent,  vers  la  fin  du  moyen  âge,  des  progrès  incontestables.  En 

'  LOBE,  Gesch.  der  Alteiihurgischen  Landwirlhschaß,  p.  27. 

*  Voy.  MONE,  Zeitschrifl,  t.  V,  p.  259-2()0. 

'  Cette  niiinière  d'alterner  les  semailles  des  réréales  venait  Araiseinl)la1)le- 
ment  de  Flandre,  où,  dès  le  coininencenient  du  seizième  siècle,  les  champi 
furent  cultivés  à  peu  près  comme  aujourd'hui.  Voy.  Uoscuer,  Ackerbau,  p.  94, 
note  7.  —  Voy.  aussi  PeeTz,  iom  Ackerbau,  fol.  206. 


282  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

général,  le  système  d'élaguer  les  forêts  en  faisant  dans  tout  le  bois 
des  coupes  irrégulières,  opérées  d'après  l'âge,  l'espèce  ou  le  groupe- 
ment des  arbres,  dominait  encore;  cependant  on  trouve  déjà 
des  règlements  forestiers  oîi  les  coupes  de  bois  sont  organisées 
d'après  une  méthode  fixe  divisant  les  arbres  dans  tout  l'espace  de 
la  forêt  en  catégories  d'âge.  Ainsi  une  ordonnance  d'Oberwitten- 
thïir  (1472)  prescrit  «  de  déterminer  les  coupes  de  chaque  année  de 
manière  à  faire  le  moins  de  tort  possible  à  la  forêt  ■  ".  Les  arrêtés 
réglant  l'exploitation  des  forêts,  dans  les  pays  frontières  du  Rhin, 
remontent  à  une  époque  plus  ancienne  encore^.  On  apportait  beau- 
coup de  soin  au  renouvellement  des  arbres  abattus  ou  trop  vieux.  Ils 
étaient  promptement  remplacés  par  de  nouvelles  plantations  corres- 
pondant le  mieux  possible  aux  intérêts  de  l'économie  forestière  de 
ce  temps.  La  culture  des  plants  de  chênes  et  de  hêtres  qui  servaient  à 
l'engraissement  des  porcs  avait  une  importance  capitale,  à  cause  de  la 
si  grande  place  qu'avait  à  cette  époque  la  chair  de  ces  animaux  dans 
l'alimentalion  ;  aussi  lui  donnait-on  des  soins  tout  particuliers.  L'art 
de  cultiver  les  pépinières  de  chênes,  même  avant  le  seizième  siècle, 
avait  subi  des  réformes  auxquelles  les  temps  modernes  ont  eu  peu  de 
chose  à  ajouter.  On  ensemençait  d'abord  les  champs  avec  des  glands; 
plus  tard  on  transplantait  les  jeunes  plan'ations  dans  des  pépi- 
nières entourées  de  haies ^  Pour  donner  une  idée  de  l'importance 
qu'avait  alors  l'élevage  des  porcs,  citons  un  seul  exemple.  Dans  la 
forêt  de  Lusshart,  entre  Bruchsal  et  Philippsbourg,  trente-cinq  mille 
porcs,  appartenant  aux  sujets  de  l'archevêque  de  Spire,  et  huit  mille 
autres,  appartenant  à  l'électeur  palatin,  venaient  à  la  glandée.  En 
outre,  de  grands  troupeaux  de  porcs  étaient  amenés  par  ceux  qui 
possédaient  quelque  droit  sur  la  forêt  *. 

De  nombreuses  ordonnances  forestières  règlent,  à  partir  de  la 
seconde  moitié  du  quinzième  siècle,  l'aménagement  des  forêts*;  mais, 
lorsqu'elles  émanent  des  seigneurs  fonciers  ou  des  princes  souve- 
rains, elles  sont  souvent  associées  à  des  lois  de  chasse  barbares. 
Ces  lois  devinrent  plus  tard  un  des  principaux  mobiles  de  la  guerre 
qui  éclata  entre  seigneurs  et  paysans,  à  propos  des  droits  forestiers. 

'  Grimaj,  Wcisthiïmer,  t.  I,  p.  127. 

*  Voyez  Bernhardt,  Gesch.  des  lUaldeigeutlmms,  t.  I,  p.  166-167. 
'  Beknhardt,  t.  I,  p.  160. 

*  MONE,  Zeitschrift,  t.  VUl,  p.  133. 

*  Voy.  ROSCHER,  Ackerbau,  p.  632.  —  Fraass,  Landbau  und  Foritwisscnschafl, 
p.  496-501. 


LK    »LlVllE    iJ'ENGli  r.MANN  ».  283 


Le  niiénan  Nicolas  Engelmann,  premier  intendant  du  domaine 
archiépiscopal  d'Erfurt  appartenant  à  l'archcveque  de  Mayence 
(1  i9ß-l510),  a  laissé  un  tableau  plein  de  vie  de  l'économie  agraire 
de  sou  temps,  dans  le  Règlement  qu'il  dressa  pour  la  bonne  admi- 
nistration du  domaine. 

Ce  domaine,  situé  à  Erfurt  et  aux  environs,  se  composait  de  nom- 
breux terrains  sépares  les  uns  des  autres,  formant  en  tout  une  étendue 
de  660  acres  d'Erfurt,  et  consistant  en  champs,  prairies,  jardins,  hou- 
blonnières,  vignes,  moulins,  en  bois  plantés  de  saules  et  d'aunes  et  en 
futaies.  —  Un  grand  nombre  de  colons  et  de  corvéables  relevaient 
de  cette  vaste  propriété  dans  les  cinq  villages  environnants  et  dans  la 
ville,  et  beaucoup  de  maisons  lui  devaient  la  dime  ou  la  corvée.  Engel- 
mann, pendant  son  administration,  renouvela  tous  les  cadastres, 
et  composa  un  terrier  très-minutieux  aussi  bien  pour  les  censives 
péagères  que  pour  les  censives  héréditaires.  Il  y  ajouta  des 
ordonnances  très-complètes  pour  le  bon  aménagement  des  eaux  et 
moulius,  et  composa  enfin  le  Règlement  dont  nous  parlons,  grâce 
auquel  nous  pouvons  nous  rendre  un  compte  exact  des  détails  de 
l'économie  intérieure,  aussi  bien  que  de  l'excellente  administration 
générale  du  domaine.  Les  prescriptions  concernant  les  champs, 
foré! s,  prairies  et  vignes  démontrent  avec  évidence  les  progrès  de 
l'agriculture.  Le  règlement  d'Engelmann  est  vraiment  un  monument 
historique.  On  peut  dire  qu'il  est  eu  quelque  sorte,  pour  l'économie 
agraire  de  la  fin  du  moyen  âge,  ce  qu'est  au  commencement  de  cette 
période  le  capitulaire  de  Charlemagne,  au  point  de  vue  de  l'histoire 
de  la  civilisation  '. 

A  la  tête  de  l'administration  du  domaine  était  placé  celui  qu'on 
appelait  le  maître  de  cuisine.  Il  avait  la  direction  de  la  maison, 
était  chargé  de  la  comptabilité  et  de  la  surveillance  générale  des  tra- 
vaux des  champs.  Sous  ses  ordres,  en  qualité  de  sous-intendant,  venait 

'  Dit  l'éditeur  Michelsen,  page  17.  Il  suffirait  du  livre  d'Engelmann  pour 
détruite  la  singulière  opinion  de  Roschei"  [Ackerbau,  p.  537i  «  sur  l'animosité  pro- 
fonde du  clergé  contre  toutes  les  choses  rationnelles  de  l'économie  rurale  du 
moyen  âge  à  son  déclin  ».  Langethal,  dont  l'excelleiil  commentaire  sur  le  livre 
d'Engelmann  a  été  souvent  mis  à  profit  par  nous  (quelquefois  mot  pour  motj, 
dit  fort  bien  que  tous  les  règlements  de  la  métairie  de  Mayence  «  lui  rap- 
pellent le  proverbe  si  connu  :  "  Il  fait  bon  vivre  sous  la  croiSe.  •  (Voy.  Gesch. 
an-  deutschen  Landich  ihscknft,  t.  III,  p.  147,  187-189.  —  Voy.  les  ordonnances  de 
Pancrace  dr  Freyberg,  dans  Peetz,  fol.  289.) 


Î84  ÉCONOMIE    SOCIAI-K, 

leporlicr,  homme  experl,  qui,  eatoutcconnais.sancedecaii.se,  donnait 
son  avis  sur  les  travaux  agricoles;  puis  le  secrétaire  du  maître  des  cui- 
sines qui  administrait  les  récolles;  l'intendant  des  cuisines  qui  avait  la 
direction  de  la  ferme,  et  le  premier  forestier  qui,  outre  l'aménage- 
ment des  bois,  devait  encore  surveiller  dans  les  champs  les  travaux 
des  journaliers  et  des  corvéables.  L'administration  employait  de  plus 
un  messager,  uu  intendant  des  salines,  un  péager  de  pont  et  ses 
trois  aides  et  deux  huissiers  de  justice,  A  l'exploitation,  prenaient 
encore  part  un  forestier  et  son  aide,  un  maître  laboureur  et  son 
second,  deux  valets  de  charrue,  deux  valets  de  prairies,  trois  chefs 
vignerons,  un  cuisinier,  un  cellerier,  un  boulanger,  un  meunier  avec 
ses  aides,  un  valet  pour  la  maison,  la  laitière,  la  fille  de  basse-cour  el 
un  vacher;  outre  cela,  tonneliers,  pêcheurs,  brasseurs  et  pâtres. 
Le  règlement  indique  avec  précision  les  occupations  et  les  devoirs 
de  chacun.  Parmi  tant  de  serviteurs,  deux  femmes  seulement  sont 
engagées,  et  les  hommes  sont  chargés  des  différents  travaux  géné- 
ralement confiés  aux  femmes.  Tous  ceux  (jui  appartenaient  à  l'exploi- 
tation, depuis  le  plus  grand  jusqu'au  plus  petit,  devaient  savoir  lire 
€t  écrire. 

Le  domaine  de  ville  comprenait  la  maison  principale  et  la  chapelle; . 
et  la  seconde  maison,   où  se  trouvaient  la  roberie,  les  greniers, 
les  écuries,  deux  élables,  une  grange,  un  hangar,  les  chambres  des 
serviteurs,  une  prison,  une  brasserie,  une  boulangerie  et  une  maison 
de  bains. 

Dans  la  maison  principale  habitait  le  premier  intendant.  Confor- 
mément à  la  simplicité  des  nnrursde  l'époque,  il  n'occupait  que  deux 
pièces,  un  parloir  et  une  chambre;  ou  ne  voyait  d'autre  luxe,  dansée 
modeste  logemeut,  que  de  bonnes  fenêtres,  des  portes  solides  et  de 
beaux  planchers.  Le  secrétaire  et  le  scclleur  habitaient  avec  le  pre- 
mier intendant.  Dans  la  seconde  maison  se  trouvaient  les  chambres 
pour  les  hôtes  et  les  salles  à  manger  des  comptables. 

Le  corps  de  bâtiment  le  plus  important  était  le  grenier  général, 
où  étaient  apportés  tous  les  grains  battus  :  froment,  méteil,  seigle, 
avoine,  orge,  pois,  lentilles,  navette  et  houblon.  Le  boulanger  en 
chef  en  avait  la  charge;  trois  fois  par  an,  il  devait  remuer  les  grains, 
et  les  vanner  une  fois  chaque  année,  comme  cela  était  d'usage  dans 
les  bonnes  exploitations  pour  éviter  les  charançons.  11  séparait,  avec 
l'aide  du  portier,  du  forestier,  du  premier  cultivateur  et  de  bat- 
teurs en  grange  expérimentés,  les  grains  de  semence  de  ceux  qu'on 
destinait  à  la  brasserie  et  au  moulin.  H  surveillait  dans  le  temps  des 
semences  l'emploi  quotidien  et  minutieusement  réglé  des  semailles. 
Pour  se  rendre  compte  de  l'exacte  quantité  de  g:rains  livrée  tous  les 
jours,  on  faisait  des  crans  dans  des  tailles  de  bois.  Le  laboureur  en 


IE    '^MVRK    D'ENGELMANN  ».  28r. 

rccev.'iil  une,  et  le  b()ulaii{;cr  laissait  raiifrc  dans  les  (as  de  forains. 
On  ajyissait  de  même  pour  la  livi'aison  du  iilé  destiné  au  moulin,  à  la 
brasserie  et  aux  bestiaux.  Là  aussi,  on  employait  la  double  (aille 
comme  mesure  d'ordre  et  d'exactitude.  Le  meunier  était  surveillé  de 
(rès-près. 

Les  tâclies  des  {jranjjers,  valets  d'écurie,  valets  de  cuisine,  étaient 
réglées  d'avance  avec  précision.  Les  inventaires  des  instrumen(s  de 
culture,  des  objets  de  ménage,  des  chambres  à  provisions,  étaient 
exactement  dressés.  Xous  les  possédons  encore  et  connaissons  ainsi 
parle  menu  tous  les  ustensiles  et  objets  de  ménage  de  ce  temps. 

L'été,  on  menait  le  bétail  paître  dans  les  prairies,  et  le  vacher  était 
tenu  de  veiller  -  très-diligemment  '>  à  ce  qu'il  ne  nuisit  en  rien  ta  la 
culture  des  champs,  à  la  sève  d'été.  A  midi,  les  vaches  laitières 
étaient  conduites  à  la  ferme  pour  être  traiies.  La  laitière  surveillait 
la  fille  de  basse-cour  chargée  de  traire,  afin  qu'elle  s'acquittât  bien 
de  son  devoir,  et  que  les  vaches  eussent  une  bonne  pâture.  La  fille 
de  basse-cour  portait  le  lait  à  la  cave  et  le  versait  dans  des  baquets. 
Pendant  l'hiver,  les  vaches  étaient  nourries  dans  l'étable.  Les  pâtres 
apportaient  la  paille  et  les  fourrages,  et  aidaient  la  servante  à  enlever 
les  lumiers.  On  veillait  à  ce  que  les  vaches  ne  pussent  se  blesser  dans 
les  loges  d'étable  où  elles  passaient  l'hiver.  En  dehors  du  beurre 
distribué  dans  les  cuisines,  on  conservait  du  beurre  salé  dans  des 
tonneaux. 

Les  champs  étaient  cultivés  d'après  le  système  de  trois  assolements. 
Tour  à  tour  le  terrain  était  mis  en  jachère,  ensemencé,  passé  à  la 
herse  ou  égalisé  avec  le  rouleau.  Grâce  aux  vastes  étables,  on  ne 
manquait  point  de  fumier.  Pendant  la  moisson  et  la  récolte  des 
foins,  les  colons  devaient  prêter  assistance.  Les  corvées  de  chevaux 
étaient  assez  rarement  réclamées.  Les  journaliers  travaillaient  à 
forfait'.  On  se  servait  de  la  faucille  pour  récolter  le  seigle  et  les 
froments;  l'orge,  l'avoine  et  les  lentilles  étaient  fauchées.  On  laissait 
les  blés  dans  les  champs  jusqu'à  ce  que  l'ivraie  qui  s'y  mêle  fût  flétrie. 
Alors  les  blés  étaient  liés  en  bottes  réunies  ensemble  par  tas  de 
quinze  gerbes,  puis  chargées  sur  les  grands  chars  de  moissons. 

On  apportait  un  soin  extrême  au  bon  aménagement  des  prairies, 
d'autant  plus  important  à  cette  époque  que  le  trèfle  n'était  pas  cul- 
tivé. Le  maître  des  prairies  se  rendait  au  printemps  dans  les  prés 
avec  son  hoyau  et  son  râteau,  et  veillait  à  la  destruction  des  taupi- 
nières. On  exigeait  de  lui,  à  l'époque  de  la  croissance  de  l'herbe,  une 
surveillance  continuelle,  afin  que  tout  dégât  piU  être  évité.  Les  haies 
qui  entouraient  les  prés  devaient  être  tous  les  ans  remises  en  bon 

'  MlCHELSEN,  p.  22. 


286  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

état.  Les  fenaisons  se  faisaient  à  forfait.  Lorsque  le  foin  était  rangé 
en  tas,  les  gens  de  corvée  devaient  le  disperser,  le  ratisser,  le 
rassembler  de  nouveau  soigneusement,  puis  le  mettre  en  meules.  Le 
maître  des  prairies  avait  charge  de  veiller  à  ce  qu'il  ne  fût  pas  entassé 
avant  d'être  entièrement  sec,  et  à  ce  que  les  prairies  fauchées  nou- 
vellement fussent  passées  au  râteau. 

Ouanf  à  l'aménagement  des  forets,  d'une  importance  si  considérable 
pour  le  domaine,  on  était  déjà  arrivé  à  faire  les  coupes  d'après  un 
système  mixte.  Toute  l'exploitation  était  divisée  en  trois  coupes.  Les 
saules,  coupés  tous  les  trois  ans,  n'étaient  qu'à  moitié  abattus,  eu 
sorte  que  la  pousse  de  six  ans  était  exploitée.  Dans  le  bois  destiné  au 
chauffage,  on  metlai!  à  part  ce  qui  devait  servir  aux  perches  du  hou- 
blon, aux  échalas,  aux  pépinières;  on  taillait,  on  préparait,  on  ran- 
geait en  tas  séparés  toutes  ces  catégories  diverses.  Les  branches 
destinées  aux  pépinières  étaient  mises  dans  l'eau  jusqu'au  moment  du 
replantage.  Les  taillis  étaient  régulièrement  coupés  après  des  espaces 
de  temps  fixés  d'avance.  On  assignait  une  tâche  spéciale  à  chaque 
bûcheron  dans  un  espace  déterminé  de  la  forêt.  Le  forestier  veillait 
à  ce  que  ce  travail  fiU  "  proprement  exécuté  >-,  c'est-à-dire  à  ce  que 
les  arbres  fussent  coupés  avec  une  hache  bien  aiguisée,  et  qu'ils  ne 
fussent  pas  ébranchés  maladroitement.  11  avait  soin  que  les  fagots 
fussent  bien  faits  et  rangés  en  tas  de  soixante  bien  comptés.  Pour 
compléter  et  renouveler  la  haute  futaie,  chaque  bûcheron  devait 
laisser  un  certain  nombre  de  «  pieds  de  réserve  '  dans  l'espace  de 
forêt  dont  il  avait  la  charge.  Tous  les  soirs,  sa  besogne  une  fois 
terminée,  il  pouvait  emporter  chez  lui  une  charge  de  fagots  et 
l'hiver  aller  chercher  du  bois  tous  les  jours.  Les  fossés  bordant  la 
forêt,  ceux  des  chemins  de  prairies  et  de  champs,  devaient,  si  cela 
était  nécessaire,  être  relevés  tous  les  ans,  et  entretenus  de  façon 
à  recueillir  les  eaux  sans  causer  aucun  dommage  au  voisin. 

Le  vignoble  du  domaine  s'étendait  sur  soixante-dix  acres  de  ter- 
rain. D'après  ce  que  dit  Engelmann  des  travaux  qui  y  étaient  exécutés 
et  de  la  manière  dont  se  faisait  la  vendange,  nous  pouvons  juger 
du  grand  soin  avec  lequel  les  vignes  étaient  entretenues.  De  même 
que  les  faneurs  et  les  moissonneurs,  les  vignerons  travaillaient  à 
forfait.  Avant  la  vendange,  le  cellerier  faisait  réparer,  recercler  et 
échauder  les  futailles,  tonneaux,  auges,  cuves,  hottes,  barils,  et  les 
longs  et  étroits  tonneaux  alors  en  usage.  Les  ponts  et  bascules  de  la 
cave  étaient  huilés.  Vendangeurs,  porteurs  et  fouleurs  étaient  sur- 
veillés par  le  forestier  et  l'écrivain  de  cuisine.  On  devait  faire  la 
vendange  "  promptement  et  proprement  ",  porter  avec  diligence  le 
raisin  dans  les  hottes  et  le  fouler  «  comme  il  faut  > .  Après  la  ven- 
dange, le  cellerier   remettait   au  maitre   de   cuisine   les  produits 


I,E    «  LIVRE    D' F  N(;E  I.MANN  '  287 

obtenus,  vend.'iit  les  marcs  mis  en  tonneaux,  surveillait  avec  soin 
la  f'ermentaliün,  séparait  la  lie  du  vin,  et  la  vendait  aux  distillateurs; 
il  mettait  aussi  à  part  le  vin  trouble  dont  on  se  servait  pour  remplir 
les  tonneaux  de  vinaigre  et  laire  bouillir  les  poissons. 

Dans  les  bonnes  années,  on  vendait  en  détail  le  vin  dont  on  ne  pré- 
vovait  pas  l'emploi  dans  l'exploitaiion.  Cette  venie  était  animée,  et 
parfois  orageuse.  Les  aciieieurs  accouraient  en  loule,  tous  voulaient 
être  servis  à  la  fois.  Il  en  résultait  souvent  tumulte  et  désordre.  (Quelque- 
fois même  les  disputes  e(  les  coups  étaient  de  la  partie.  11  élail  recom- 
mandé aux  péa{jers  présents  à  ces  ventes  d'empêcher  touie  fraude, 
et  de  s'efforcer  de  faire  la  paix,  autant  que  cela  leur  était  possible  '. 

Le  vin  réservé  pour  les  besoins  domestiques  était  l'objet  des 
soins  les  plus  attentifs  du  cellerier.  11  le  tirait  au  temps  voulu,  et 
remplissait  les  tonneaux  en  vidange.  Toutes  les  fois  qu'il  mettait  sur 
la  table  une  mesure  de  quatre  pots,  il  faisait  un  cran  à  sa  taille,  et 
aussitôt  qu'un  tonneau  était  vide,  il  en  faisait  un  nouveau.  On 
n'oubliait  pas  non  plus  de  iioler  le  chiffre  des  tonneaux  pleins.  A  la 
fin  de  l'année,  on  comparait  la  quantité  de  vin  employé  avec  le 
nombre  des  entailles,  on  se  rendait  compte  de  la  quantité  de  vin 
resté  dans  les  tonneaux,  et  tout  devait  exactement  concorder. 

Le  cellerier  avait  aussi  la  charge  de  la  brasserie.  11  veillait  aux 
arrosages  de  l'orge,  à  sa  croissance,  au  dessèchement  et  à  la  torré- 
faction du  malt.  Puis  il  le  faisait  conduire  au  moulin,  prenait  dans 
le  grenier  la  quantité  de  houblon  nécessaire,  louait  des  ouvriers 
brasseurs,  et  les  surveillait  pendant  leur  besogne.  Le  soin  de  la  bière 
lui  était  également  confié,  et  c'était  lui  qui  mettait  sur  la  table  les 
cruches  pleines. 

Les  cuisines  et  les  caves  étaient  tenues  en  bon  état.  Tous  les  tra- 
vailleurs, journaliers  et  corvéables,  étaient  nourris  dans  la  maison. 
Les  mets  devaient  toujours  être  copieux,  et  les  serviteurs  de  la  mai- 
son avaient  l'œil  sur  les  ouvriers  du  dehors,  afin  qu'ils  n'empor- 
tassent pas  les  restes  des  repas  et  ne  les  fissent  point  passer  à 
d'autres.  Un  des  buts  particuliers  de  l'exploitation,  c'était  qu'une 
nombreuse  classe  de  travailleurs  pauvres  y  trouvât  une  nourriture 
abondante  et  saine,  et  ce  n'était  pas  en  vain  que  le  nom  de  maître 
de  cuisine  avait  été  donné  à  l'intendant  général.  Les  bœufs,  veaux, 
moutons  et  porcs  étaient  abattus  dans  la  métairie;  jambons  et 
saucissons  y  étaient  préparés,  ainsi  que  les  viandes  salées  et  fumées. 
L'intendant  supérieur  devait  exactement  veiller  à  ce  que  l'écrivain  de 
cuisine  et  le  cuisinier  s'acquittassent  consciencieusement  de  leurs 
emplois.  Il  devait  de  temps  en  temps  s'assurer  par  lui-même  que  les 

'  MiCHELSEN,  p.   29,  35.  —   Voy.   LiNGETHAL,   t.  III,  p.   176-177. 


288  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

bœufs  et  les  porcs  destinés  à  être  salés  fussent  tués  au  temps 
voulu,  que  la  viande  fût  «  bien  salée,  pendue,  fumée  et  séchée  ",  et 
qu  elle  fiU  préparée  proprement  et  sainement,  ainsi  que  la  viande 
fraîche  employée  toute  Tannée.  Chacun  devait  en  recevoir  une  por- 
tion suffisante.  L'intendant  devait  encore  avoir  soin  de  la  desserte,  la 
mettre  de  côté,  en  tirer  parti  le  mieux  possible,  et  veiller  à  ce  que 
le  cuisinier  "  préparât  les  repas  des  maîtres  et  des  serviteurs  d'une 
façon  propre,  convenable,  et  dans  des  proportions  suffisantes'  ». 

Les  bains  faisaient  alors  partie  des  nécessités  premières  de  la  vie. 
Aussi  le  règlement  d'Engelmann  prescrit-il  au  valet  de  maison  et 
autres  serviteurs  les  devoirs  suivants  :  «  Toutes  les  fois  qu'on  dési- 
rera se  baigner,  le  valet  portera  le  bois,  versera  l'eau  dans  les  bai- 
gnoires et  dans  la  chaudière.  La  laitière  et  la  fille  de  basse-cour 
devront  ensuite  faire  un  bon  lessivage  des  chambres,  les  chauffer, 
laver  soigneusement  bancs,  planches,  tabourets  et  petits  escabeaux.  ;> 
Le  valet  de  maison,  outre  toutes  ses  attributions,  devait  encore 
chauffer  les  chambres  de  bains,  les  balayer  tous  les  jours,  mettre  de 
l'eau  fraîche  dans  la  fontaine  où  l'on  se  lave  les  mains,  et  la  tenir 
très-propre,  ainsi  que  "  le  bassin  de  dessous  ". 

Le  livre  d'Engelmann  ne  nous  offre  pas  seulement  le  tableau  com- 
plet de  la  vie  rurale  à  cette  époque,  il  nous  fournit  encore  des  détails 
intéressants  sur  la  discipline  chrétienne  qui  réglait  autrefois  les 
mœurs  et  les  habitudes.  A  Erfurt,  une  règle  exacte  était  maintenue. 
L'autorité  agissait  avec  fermeté,  mais  eu  même  temps  l'équité  avait  sa 
place.  La  bonté  et  l'amour  de  la  paix  caractérisaient  le  gouvernement 
intérieur.  L'intendant  général  avait  ordre  d'éviter  tout  ce  qui  pou- 
vait amener  des  querelles  avec  les  propriétaires  voisins  et  devait 
s'efforcer  d'entretenir  la  meilleure  intelligence  possible  avec  la  muni- 
cipalité. On  lui  recommandait  d'être  d'un  accès  facile,  de  recevoir 
avec  bonté  les  bourgeois  de  la  ville,  de  leur  répondre  toujours 
avec  cordialité  lorsqu'ils  venaient  pour  le  consulter,  et  de  les  aider 
de  ses  avis  dans  quelque  difficulté  qu'ils  se  trouvassent.  Les  bons 
usages  anciens  relatifs  au  soutien  des  pauvres  étaient  encore  obser- 
vés à  Erfurt.  Les  vendangeurs  corvéables,  quoiqu'ils  fussent  tenus 
d'encaver  gratuitement  le  vin  et  la  bière,  recevaient  néanmoins,  selon 
l'ancienne  coutume,  de  soixante  à  cent  vingt  gros  de  salaire,  bien 
qu'on  ne  leur  dût  rien.  Si  quelqu'un,  par  simple  ignorance,  avait 
frustré  le  péage,  la  moitié  ou  plus  de  l'amende  encourue  lui  était 
remise.  Les  colons  des  villages  dépendants  de  la  propriété  pouvaient 
vendre  des  champs  à  des  étrangers,  pourvu  qu'ils  exigeassent  que 
l'acheteur  ajoutât  cinq  shillings  au  prix  de  vente,  somme  qui  «  re- 

'  MiCHELSEN,  p.  22-35. 


PRlÈn  E    ET    Ti'.AVAir..  2b9 

prér^cntaif  le  ciroif  souverain  du  seijjaeui'  ».  Si  l'acliclcur  se  refusait 
à  remplir  celte  obligation,  les  produits  de  son  champ  éiaient  frap- 
pés d'arrôt;  s'il  méprisait  cet  arrêt,  il  s'exposait  à  les  voir  saisis. 
Riais  avant  d'en  venir  là,  on  essayait  de  la  douceur,  «  car  l'arrôt  et  la 
saisie  sont  vexatoires,  et  en{iendrent  beaucoup  de  divisions  et  de 
discorde  >■.  Le  colon  refusant  de  suivre  dans  son  village  la  procession 
annuelle  des  Piogalions  était  menacé  de  cinq  schillings  d'amende; 
ses  fils  devaient  aussi  y  assister,  «  afin  de  pouvoir  bien  se  rendre 
compte  de  la  dimension  des  champs  et  de  leur  exacte  situation'  '. 

Une  discipline  rigoureuse  réglait  tout  â  l'intérieur  de  la  maison. 
Ceux  qui  eu  faisaient  partie  devaient  obéissance  à  l'intendant  en 
chef,  et  promettaient,  en  s'engageant,  «  de  se  montrer  serviablcs  et 
complaisants  envers  lui  dans  toutes  les  choses  justes  et  louables  -  ; 
d'éviter  soigneusement  tout  ce  qui  pourrait  faire  quelque  tort  à 
i(  leur  très-gracieux  seigneur  Sa  Grâce  le  prince  électeur  »  ;  d'agir 
de  leur  mieux  dans  son  intérêt,  de  faire,  en  un  mot,  fout  ce  qui  est 
du  devoir  d'un  fidèle  serviteur  ou  d'une  fidèle  servante.  11  était 
défendu  de  dire  des  injures  à  ses  camarades  ou  de  se  livrer  envers 
eux  à  des  voies  de  fait.  Si  quelqu'un  avait  à  se  plaindre  de  l'un  de 
ses  compagnons,  il  devait  s'en  ouvrir  à  l'intendant  et  s'en  remettre 
ensuite  à  sou  jugement.  L'infraction  au  règlement  enîrainait  la 
peine  de  la  prison  pendant  un  temps  proportionne  à  la  grandeur 
de  l'offense.  Le  maître  des  cuisines  ne  devait  jamais  tolérer  que 
quelqu'un  passât  la  nuit  dehors  sans  sa  permission.  Mais  il  ne  faisait 
emprisonner  le  coupable,  il  ne  le  congédiait,  qu'après  l'avoir  préala- 
blement averti  une  ou  deux  fois.  Ce  n'était  que  pour  de  graves  con- 
traventions à  l'honneur  que  l'on  exerçait  une  rigueur  inexorable. 
Celui  qui  avait  volé,  porté  quelque  sérieuse  atteinte  au  droit  d'autrui 
dans  la  maison  ou  monté  quelque  mauvais  coup  impossible  à  excuser, 
recevait  immédiatement  le  montant  de  ses  gages,  et  devait  s'éloi- 
gner de  la  métairie  après  avoir  juré  de  ne  pas  se  venger. 

Le  maître  des  cuisines  devait  avoir  à  cœur  de  donner  le  bon  exemple 
à  ceux  qu'il  était  chargé  de  diriger.  Tous  les  jours,  avant  de  com- 
mencer sa  tâche,  il  devait  se  rendre  à  la  chapelle  :  «  Le  maître  des  cui- 
sines ira  tous  les  jours  de  bonne  heure  à  l'église  ",  dit  le  Règlement. 
«  Il  y  entendra  une  messe  et  ne  manquera  pas  d'ajouter  à  ses  prières 
cinq  Pater  et  cinq  Ave  en  l'honneur  des  cinq  plaies  et  de  la  sainte 
Passion  du  Sauveur.  Il  remerciera  Notre-Seigneur  de  l'amer  tour- 
ment qu'il  a  souffert  pour  nous  sur  la  croix,  le  priera  de  lui  par- 
donner, dans  sa  bonté,  ses  offenses  et  négligences,  lui  demandera  sa 
grâce  et  bénédiction  afin  qu'à  l'avenir  il  se  garde  de  tout  péché  et 

'MicncLSEN,  p.  26-43. 

19 


290  ErOîVOMIE    SOCIALE. 

réussisse  à  diriger  et  conduire  tout  ce  qui  lui  a  été  confié  selon  sa 
divine  volonté,  en  servant  fidèlement  son  Dieu  et  son  p;racieux  sei- 
gneur. Il  invoquera  aussi  la  Mère  de  Dieu,  récitera  une  prière  en 
l'honneur  de  sa  sainte  nativité,  et  la  suppliera  d'intercéder  pour  lui 
auprès  de  son  cher  Enfant',  n 

Au  reste,  l'observance  exacte  des  devoirs  religieux  était  de  stricte 
obligation  dans  toutes  les  exploitations  du  même  genre.  Nous  lisons 
dans  le  Règlement  domestique  dressé  pour  les  s^erviteurs  et  ouvriers 
de  Königsbrück,  près  de  Selz  :  "  Item,  tous  les  dimanches  et  fêtes 
d'obligation,  les  serviteurs  entendront  la  messe  tout  entière  ainsi  que 
le  sermon;  personne  ne  pourra  s'en  aller  avant  d'avoir  entendu  la 
messe;  celui  donc  qui,  sans  permission,  se  retirerait  sans  l'avoir  ouïe, 
ou  bien  avant  le  sermon,  n'aura  pas  de  viande  à  son  dîner,  ou  bien, 
s'il  le  préfère,  on  lui  retirera  cinq  schillings  sur  ses  gages.  Les  ser- 
vantes qui  se  rendraient  coupables  des  même  fautes  subiraient  la  même 
punition.  Item,  le  majordome,  toutes  les  fois  qu'il  se  mettra  à  table 
pour  partager  le  repas  des  serviteurs,  se  souviendra  de  commencer 
par  frapper  la  table  avec  son  bâton  pour  avertir  de  la  prière.  Celui 
qui,  après  cet  avertissement,  se  permettrait  de  rire  ou  de  plaisanter  et 
refuserait  de  prier,  encourrait  l'amende  d'un  batz  ^.  Item,  quand  VAvc 
Maria  sonne,  le  majordome  engagera  les  serviteurs  à  prier;  celui  qui 
ne  voudra  pas  obéir  sera  puni  de  la  même  manière.  "  L'échanson 
Érasme  d'Erbach  donne  un  ordre  analogue  dans  le  Règlement  dressé 
pour  ses  biens  dans  l'Odenwald  (1483)  :  "  Les  serviteurs  se  souvien- 
dront que  travail  et  prière  doivent  marcher  de  concert;  ils  prieront 
donc  en  commun  avant  et  après  les  repas,  et  diront  VAve  Maria 
toutes  les  fois  qu'il  sonne;  pour  cela  ils  interrompront  leur  travail, 
et  ne  s'excuseront  pas  en  disant  qu'ils  ont  trop  à  faire.  Tous  les 
dimanches  et  fêtes  d'obligation,  ils  entendront  la  messe  et  le  sermon, 
et  auront  soin  de  ne  pas  troubler  les  autres  par  leur  bavardage 
et  leurs  rires.  Celui  qui  enfreindrait  cet  ordre  serait  puni,  et  si  le 
cas  se  représentait  souvent,  à  la  fin  de  l'année  il  ou  elle  sortirait 
du  service.  Le  maître  intendant,  l'économe,  tous  ceux  enfin  qui  sont 
chargés  de  surveiller  les  autres  auront  un  soin  particulier  de  donner 
fidèlement  le  bon  exemple;  le  maître  intendant  surtout  ne  man- 
quera pas  de  commencer  tous  les  jours  sa  journée  de  travail  par 
entendre  une  messe  2.  » 

'  MlCHELSEN,  p.  19. 

^  MoNE,  Zeitschrift,  t.  I,  p.  183.  —  Le  monastère  de  Lichtentlial  possède  un 
rèfïlenieut  analogue.  Le  règlement  domestique  du  monastère  de  Königsbrüek 
offre  un  parfait  modèle  de  la  bonne  ordonnance  d'une  ferme.  Il  était  lu  un« 
fois  par  an  à  tous  les  serviteurs  réunis. 

*  Voy.  Bernhardt,  t.  I,  p.  107,  159,  170. 


BOUnOEOIS    CULTIVAT  KL' US.  29  J 


VI 


Les  possessions  foncières  des  villes  élaient  Irès-imporlantes.  Afin 
de  subvenir  le  mieux  possible  aux  besoins  des  habitants  et  d'arriver 
à  une  pleine  indépendance  financière,  les  villes  s'empressaient 
d'acquérir  de  Ions  cùlés  de  vastes  terrains,  surtout  des  lorèls.  Nous 
voyons  en  1453  la  municipalité  de  Görlitz  acheter  les  propriétés 
d'une  famille  noble  tombée  dans  la  misère.  La  ville  de  Grossglogau 
lait,  vers  la  même  époque,  l'acquisiliou  de  plusieurs  domaines  de  che- 
valiers avec  les  bois  y  aliénant.  Par  des  achats,  des  hypothèques,  en 
partie  aussi  par  la  conquête,  beaucoup  de  villes  finirent  par  pos- 
séder ainsi  des  territoires  considérables.  Le  territoire  de  Hothen- 
bourjy,  petite  ville  de  Franconie  qui  comptait  à  peine  G, 000  habi- 
tants, était  de  six  milles  et  demi  carrés;  celui  d'Ulm,  de  quinze; 
celui  de  Nuremberg,  de  vingt. 

Les  possessions  urbaines  élaient  presque  toutes  cultivées  par  des  fer- 
miers libres;  le  nombre  des  colons  y  était  relativement  fort  restreint  '. 

Il  ne  faut  pas  s'imaginer  que  les  villes  fussent  alors  exclusivement 
des  centres  commerciaux  ou  industriels;  l'agriculture  y  tenait  une 
place  considérable.  Comme  les  villages,  les  cités  avaient  générale- 
ment leur  communal,  consistant  en  prairies,  pâturages  et  bois,  dont 
les  limites  étaient  marquées  par  des  croix,  des  images  saintes  ou 
des  rangées  d'arbres;  on  en  faisait  chaque  année  la  vérification 
solennelle  *.  Tout  bourgeois  demeurant  dans  la  ville  et  y  possédant 
droit  de  bourgeoisie  avait  part  à  la  propriété  commune,  et  pouvait 
en  faire  l'usage  qui  se  rapportait  le  mieux  à  ses  besoins.  Il  avait 
droit  de  pacage,  droit  forestier,  droit  de  prairie.  A  Francforl- 
sur-le-iMein,  les  bourgeois  pouvaient  faire  paître  leur  bétail  non- 
seulement  dans  les  prés  et  bois   du  communal,  mais   encore  dans 

'  SuGENHEiM,  p.  352.  Au  Commencement  du  quinzième  siècle  à  peine  se  trou- 
vait-il encore  deux  cents  colons  parmi  les  habitants  de  Rothenbourg.  Bensen, 
Vnlersuchungen  über  Itolhenburg,  CtBEiNSEN,  Gesch.  des  Bauernkriegs  in  Ostfranken,  p.  19, 

note  11. 

*  Voyez  Maurer,  Siüdlcverfassung,  t.  II,  p.  1C2-17I,  802-803,  et  t.  III,  181.  —  «  En 
Westpbalie,  beaucoup  d'élégantes  maisons  de  ville  (comme  à  Beckum),  ou  cer- 
taines parties  d'une  ville  (comme  à  Paderborn),  ont  gardé  des  traces  de  la  vi« 
rurale  d'autrefois.  Même  dans  une  ville  comme  Munster  devenue  de  plus  en 
plus  commerçante,  on  voit  encore,  dans  les  rues  les  plus  fréquentées,  des  maisons 
aux  grandes  portes  cochères,  et  de  vastes  aires  s'ouvrant  des  deux  côtés.  C'est 
là  qu'étaient  autrefois  les  étahles,  transformées  aujourd'hui  en  chambres  d'ha- 
bitation, j  NORDHOFF,  Hoh-und  Steinbau  Westfalens,  p.  46-47. 

19. 


292  ECONOMIE    SOCIALE. 

les  champs  appartenant  aux  particuliers;  ces  champs,  d'après  une 
ordonnance  remontant  à  1504,  devaient  être  laissés  tous  les  trois  ans 
en  jachère';  le  conseil  de  la  ville  en  réglait  raménagement,  indi- 
quait la  manière  dont  ils  devaient  être  labourés,  entre! enus,  mis  en 
jachère;  décidait  sur  les  plantations  des  arbres  et  les  diverses  façons 
de  la  vigne  ^  absolument  comme  il  faisait  pour  le  communal. 

Il  était  assez  fréquent  que  les  grandes  abbayes,  les  seigneurs  ou 
princes  voisins,  possédassent  des  métairies  importantes  dans  l'inté- 
rieur des  villes;  ces  fermes  urbaines  devaient  à  leur  situation  l'écou- 
lement facile  de  leurs  produits.  Les  bourgeois  non  cultivateurs 
entretenaient  tous  des  vaches  et  des  porcs,  destinés  à  leurs  besoins 
domestiques,  car  on  regardait  alors  comme  humiliant  de  n'avoir 
point  de  bétail  à  soi,  et  d'être  obligé  de  se  procurer  au  dehors 
la  viande  et  le  lait^  Dans  les  villes  où  le  commerce  était  le  plus 
florissant,  on  voyait  circuler  dans  les  rues  de  grands  troupeaux 
de  vaches,  de  porcs  et  de  moutons.  A  Fraucfort-sur-le-Mein,  une 
ordonnance  du  conseil  de  la  ville  défend  en  1481  de  construire  des 
étables  à  porcs  dans  le  bas  côté  des  rues.  A  Sachsenhausen,  les  trou- 
peaux de  moutons  appartenant  aux  chevaliers  de  Tordre  Teutonique 
sont  si  nombreux  que  le  commandeur  se  voit  forcé  de  s'engager,  par 
contrat,  à  n'avoir  pas  plus  de  mille  moutons  dans  une  propriété  située 
tout  proche  de  la  ville,  le  conseil  craignant  que  le  trop  grand  nombre 
de  ces  animaux  ne  nuisît  aux  forêts.  Oies,  poulets  et  canards  sont 
élevés  en  grand  nombre;  l'élevage  des  pigeons  joue  un  rôle  si  con- 
sidérable à  Francfort,  que  le  conseil  institue  une  commission  spéciale 
composée  de  trois  ou  quatre  conseillers  qu'on  intitule  les  "  seigneurs 
pigeonniers^  ".  A  Ulm,  on  est  obligé  d'établir  un  règlement  sévère, 
regardant  surtout  les  boulangers,  défendant  d'élever  chez  soi  plus 
de  vingt-quatre  porcs.  Les  bourgeois  envoient  au  labour  leurs 
bœufs,  préalablement  bien  nourris,  que  le  soir  on  ramène  aux  éta- 
bles. Les  pauvres  gens  peuvent  faire  paitre  leur  bétail  pendant  le 
jour,  mais  de  manière  à  ne  faire  tort  à  personne.  Ce  n'est  qu'en  1475 
qu'il  est  interdit  à  Nuremberg  de  laisser  aller  librement  les  porcs 
dans  les  rues  \  A  Lübeck,  Brème,  Magdebourg,  Spire  et  Worms,  la 


'  KuiEGK,  Zustände  Praiic/urts,  p.  239-240. 

-  Voy.  Maurer,  Sludievcr/aisunt;,  t.  III,  p.  6-7.  —  Kriegk,  Dürgerthum,  p.  284-285. 

'  Buch  von  den  Früchten,  p.  13. 

■'Kriegk,  Zustände  Franc/uris,  p.  242-243.  —  L'élevage  des  moutons  devint  plus 
important  à  mesure  que  l'exportation  des  laines  non  travaillées  et  du  drap 
grossier  prit  du  développement.  Le  grand  commerce  de  laine  qu'entretenait 
Strasbourg  avec  le  Milanais  était  alimenté  par  l'élevage  de  moutons  du  haut 
Rhin.  —  Voy.  Mone,  Zeitschrift,  t.  IV,  p.  14. 

5  SCHMOLLER,  Fleischconsum,  p.  296-298.  —  Jager,  Ulm,  p.  610-611. 


BOURGEOIS    CULTIVATEUiiS.  293 

culture  des  champs,  l'élevage  des  bestiaux,  jouaient  un  rôle  impor- 
tant, et  cela  bien  au  delà  du  moyen  â{je.  Les  bourgeois  de  Munich 
y  trouvaient  leur  priiHi|)al  moyen  de  subsistance'.  A  Kàle,  Bibrach, 
Francfort,  Landau,  Heutlin(',en,  Spire,  Ulm,  Worms,  etc.,  les  culti- 
vateurs, comme  les  jardiniers  et  les  vignerons,  formaient  une  cor- 
poration particulière  *. 

On  se  livrait  avec  zèle  â  ragriculture  jusque  dans  les  villes;  en 
tenant  compte  de  la  différence  de  population,  on  a  constaté  que 
les  travaux  des  champs  occupaient  alors  un  bien  plus  grand  nombre 
d'hommes  que  de  nos  jours.  Aussi  avait-on  bien  plus  abondam- 
ment le  blé  et  la  viande  de  boucherie;  en  moyenne,  ou  se  les  pro- 
curait à  des  prix  très-modérés.  Dans  la  classe  pauvre,  on  faisait  une 
consommation  de  viande  beaucoup  plus  grande  que  maintenante 
Il  faut,  il  est  vrai,  se  souvenir  que,. toutes  prospères  qu'elles  fussent, 
les  villes  n'avaient  encore  aucunement  souffert  de  l'excès  de  popu- 
lation*. Le  prix  des  choses  indispensables  à  la  vie,  nourriture,  vête- 

'  .M.VUliEU,  Sladlcvcrfassung.  t.  II,  p.  799.  —  SctiMOLLEn,  p.  299.  —  En  1589,  le 
(lue  de  Bavière  déclare  ■  que  la  bourgeoisie  de  Munich  ne  peut  se  passer  de  prai- 
ries communes  ».  M.vlreu,  t.  I,  p.  273.  A  la  ville  et  à  la  campagne,  tout  père  de 
famille  se  faisait  un  point  d'iionnenr  d'avoir  et  d'entretenir  son  propre  bétail. 

—  Voy.  MONE,  Zeilschriß,  t.  III,  p.  398-414,  et  t.  VI,  p.  397. 
-  MACHER,  t.  II,  p.  470-471. 

'  D'après  les  comptes  de  Kloden  dans  le  Jahrbuch  für  nationalöhonomie  d'Ililde- 
br.ind,  t.  I,  p.  218,  nous  voyons  qu'à  Francfort-sur  l'Oder,  au  commencement 
du  quatorzième  siècle,  on  ne  tuait  pas  moins  de  trente  mille  huit  cent  cin- 
quante-quatre bœufs  pour  une  population  de  6  à  12,000  hal)itants,  de  sorte 
que  la  ville  consommait  douze  fois  plus  de  bœufs  qu'en  1802.  A  Nurem- 
ber{ï,  d'après  ce  que  rapporte  Conrad  Celtes,  outre  une  grande  quantité 
de  porcs  et  de  moutons,  on  tuait  au  moins  cent  bœufs  par  semaine.  On  faisait 
aussi  une  grande  consommation  de  volailles.  Sciimoller,  Flcischconsum,  p.  291. 

—  Kr.iEC.K,  Bärgerihum,  p.  382.  —  Mascher,  Deutsches  Gewerbewescn,  p.  280. 

■^  D'après  d'exactes  statistiques  modernes,  Strasbourg  avait,  au  quatorzième 
siècle,  50,000  habitants.  En  1415,  Danzig  en  comptait  40,000;  en  1448,  Nurem- 
berg en  a  20,219;  Bâie,  25,000  en  1450;  Erfurt,  pendant  le  moyen  âge,  au 
plus  32,000;  Constance  n'eut  jamais  plus  de  10,000  habitants.  Schmoller,  Fleish- 
consum,  p.  296.  —  ScHWZ,  Gcsellenverbände,  p.  8.  —  La  population  de  Nurem- 
berg augmenta  beaucoup  dans  la  seconde  moitié  du  quinzième  siècle.  Le 
nombre  des  naissances  pour  l'année  1482  est  estimé  à  deux  mille  trois  cents,  "  à 
peu  près  six  enfants  par  jour  ■ .  Ckronilcen  der  dcnischm  Siiidie,  t.  X,  p.  370.  —  Conrad 
Celtes,  en  1502,  évalue  à  quatre  mille  par  an  les  naissances  de  Nuremberg.  — 
Voy.  Chroniken  der  deutschen  Studie.  Froissard  évalue  en  1497  la  population  rurale 
du  Rheingau  («  de  Mayence  jusqu'à  Bingen  sur  les  deux  rives  du  fleuve  »)  à 
environ  trente  mille  âmes.  Lettre  XIL  Certains  passages  relevés  dans  les  livres 
de  dîmes  du  Hanovre  Lichtenberg  (1492;  semblent  prouver  qu'autrefois  les  vil- 
lages étaient  moins  peuplés  que  maintenant;  mais  il  ne  faut  pas  oublier  qu'au 
moyen  âge.  le  nombre  des  villages  était  beaucoup  plus  considérable  que  de  nos 
jours.  Des  centaines  de  villages,  encore  florissants  au  quinzième  siècle,  ont 
été  complètement  détruits  dans  la  guerre  des  paysans  et  les  guerres  suivantes, 
surtout  dans  la  guerre  de  Trente  ans.  Leur  nom  même  a  complètement  disparu. 

—  Voy.  Landau,  lUûste  Ortschaften,  p.  382-386,  390.  —  Sur  les  ravages  causés  par 
la  peste  au  moyen  âge,  voy.  Grantoff,  Lübeckische  Chroniken,  t.  II,  p.  278.  — 
Hamburg.  Chroniken,  p.  257-409.  —  SCHMOLLER,  Fkischconswn,  p.  301-302. 


29Î  ÉCONOMIE    SOCIALli. 

ment,  ameublement,  était  accessible  à  tous;  au  contraire,  on  ne  pou- 
vait se  procurer  les  objets  de  luxe  qu'à  des  prix  élevés  \ 

La  culture  du  lin  et  du  chanvre,  dans  la  banlieue  de  beaucoup  de 
villes,  avait  pris  un  très-grand  développement.  Aux  environs  d'Ulm, 
une  si  grande  quantité  de  lin  élait  cultivée  et  travaillée,  qu'à  la  fin 
du  quinzième  siècle,  les  blanchisseries  de  la  ville  préparaient  souvent 
plus  de  soixante  raille  pièces  de  toile  et  de  futaine  par  an^  On  pré- 
tendait que  tout  le  reste  du  monde  ne  produisait  pas  autant  de  lin 
que  l'Allemagne  en  fournissait  à  elle  seule  ^ 

Aux  environs  des  grandes  cités,  à  mesure  que  le  commerce  et  le 
luxe  avaient  pris  un  plus  grand  essor,  la  culture  des  jardins  était 
devenue  plus  importante.  Aux  environs  d'Altenbourg,  le  lin  était  cul- 
tivé avec  tant  de  succès  qu'en  1500  la  ville  en  retira  un  produit  de  plu- 
sieurs milliers  de  thalers  \  A  Erfurt  et  aux  environs,  la  culture  du 
pastel,  du  eafre,  de  l'anis,  du  coriandre,  du  cardon  et  en  général  de 
tous  les  légumes,  était  florissante.  On  faisait  alors  usage  d'une  si 
grande  quantité  de  pastel*  que,  dans  plusieurs  villages  des  environs 
d'Erfurt,  on  en  vendait  pour  plus  de  cent  mille  thalers  dans  les  bonnes 
années  (somme  calculée  d'après  la  valeur  actuelle  de  l'argent)  *"'. 

Erfurt  était  célèbre  pour  la  beauté  et  la  belle  ornementation  de  ses 
jardins;  Mayence,  Wurzbourg  et  Bamberg,  pour  leurs  parcs  et  leurs 
semis;  Francfort,  Nuremberg  et  Augsbourg  étaient  fières  de  leurs 
superbes  jardins  d'agrément  où  les  mauves,  les  primevères,  les 
jacinthes,  les  oreilles  d'ours  de  toutes  nuances  étaient  cultivées  avec 


'Dans  la  seconde  moitié  du  quinzième  siècle,  une  longue  planche  coiitait  en 
Saxe  un  demi-gros;  un  fer  à  cheval,  le  même  prix;  un  baquet,  un  gros;  une 
paire  de  couteaux,  le  même  prix.  On  payait  une  table  neuf  gros.  A  la  même 
époque,  une  livre  de  sucre  coûtait  de  neuf  à  dix  gros;  une  livre  de  bonbons, 
dix-sept  gros.  Une  livre  de  safran  coûtait  plus  cher  qu'un  cheval  de  labour; 
un  bœuf  engraissé  coûtait  moins  que  deux  aunes  du  velours  le  meilleur 
marché!  Voyez  Falke,  Geschichtliche  Statistik  der  Preise  im  Königreich  Sachse», 
p.  .378-390.  A  Fribourg  en  Brisgau,  entre  1470  et  1480,  une  demi-once  de  noix 
muscade  coûtait  autant  qu'une  aune  de  la  plus  belle  toile  de  Cologne,  une  livre 
(le  :^i]cre  deux  fois  et  demi  autant  qu'un  cochon  de  lait.  —  Mone,  Zeitschrift, 
t.  V,  p.  404-405.  —  Sur  le  prix  des  oiijets  de  luxe,  voy.  aussi  Zimmermann, 
Baueridrieg,  t.  I,  p.  307. 

-  A  peine  un  pays  entrait-il  en  rapport  avec  nos  marchands  que  la  toile 
allemande  y  était  importée.  En  Silésie,  la  plus  grande  partie  des  habi- 
tants étaient  tisserands  ou  filateurs.  —  Voy.  Uildebrand,  Jahrbuch  fur  Xational- 
nconomic,  7«  année,  t.  II,  p.  21â-230.  —  Sur  le  commerce  du  chanvre  aux  environs 
de  Constance,  voy.  Mone,  t.  IV,  p.  14. 

'  Voy.  Fischer,  Gesch.  des  Teulschen  Handels,  t.  II,  p.  510. 

*  LOBE,  p.  26. 

5  Qui  remplaçait  l'indigo. 

fi  Voy.  Langetual,  t.  IH,  p.  110-114. 


LES    VIGNOBLES.  295 

prédiicclion  ^  L'aiilcup  du  Livre  des  grains,  arbres  et  plantes  célJ^bre 
les  J.'irdins  merveilleusement  tracés  de  TAllernngne  et  lait  surfout 
l'élojje  de  ceux  du  pays  rhénan.  Il  vante  «  non-seulement  ceux  des 
seijjiieurs,  mais  encore  ceux  qui  entourent  les  maisons  des  plus 
liumblcs  paysans*  ". 
Le  poète  latin  Eysengrein  décrit  ainsi  les  environs  de  Spire  : 

Le  froment,  sur  sa  tige  vigoureuse,  berce  les  lourds  épis, 

Et  le  blé  d'or  se  balance  dans  les  sillons  pressés. 

Le  cep,  chargé  de  fruits  mûrs,  est  fier  de  son  raisin  luxuriant. 

Dans  des  lignes  élégamment  tracées,  les  lourdes  grappes  mûrissent. 

L'h.ibile  jardinier  cultive  avec  amour  les  fruits  les  plus  succulents. 

Les  herbes  aromatiques  ne  manquent  point  à  nos  cuisines. 

Un  sol  admirablement  ferlilo  produit  des  plantes  de  tout  genre; 

Des  gazons  vigoureux  séduisent  l'œil  par  leur  vert  attrayant. 

Les  hautes  tiges  du  poirier,  du  pécher  et  du  figuier  s'élèvent  et  prospèrent; 

Le  néflier,  le  mûrier,  le  châtaignier  portent  des  fruits  abondants, 

Et  l'amandier  y  épanouit  ses  fleurs  charmantes^. 

«  Entre  Spire  et  les  montagnes  de  l'ouest  »,  rapporte  Sébastien 
Münster  dans  sa  Cosmoyrap/iie,  "  il  y  a  tant  d'amandiers  que,  grâce  à 
eux,  presque  toute  l'Allemagne  est  approvisionnée  d'amandes.  Sur- 
tout près  de  la  petite  ville  de  Deidesheim,  la  campagne  n'est  pour 
ainsi  dire  qu'un  vaste  bois  d'amandiers.  "  «  L'excellent  vin  du  ter- 
ritoire de  Spire  » ,  rapporte  Eysengrein  dans  sa  Chronique,  "  est 
expédié  par  terre  et  par  eau  en  Suisse,  en  Souabe,  en  Bavière,  en 
Lorraine,  dans  la  basse  Allemagne,  et  quelquefois  même  jusqu'en 
Angleterre  *.  » 

Vers  la  fin  du  moyen  âge,  la  vigne  fut,  en  Allemagne,  l'objel 
d'un  soin  tout  spécial^;  elle  prospérait  admirablement  dans  des 
contrées  d'où  elle  a  maintenant  complètement  disparu.  A  Erfurt, 
dans  les  bonnes  années,  on  récoltait  jusqu'à  soixante  mille  seaux 
de  vin. 

En  Hesse,  la  vigne  était  cultivée  avec  un  tel  succès  par  les  abbés, 
les  seigneurs,  les  bourgeois,  les  chevaliers  de  l'ordre  Teutonique  et 


'  Langhthal,  t.  III,  p.  121-122.  Nuremberg  était  également  célèbre  pour  ses 
belles  pépinières,  (ciltes,  De  orig.  .Vorimb.,  cap  ii.)  En  1505,  l'empereur  Maxi- 
milieu envoie  ses  jardiniers  à  l'école  des  jardiniers  de  Nuremberg  pour 
s'instruire  dans  l'art  de  semer  les  pins  et  les  sapins.  C'est  de  Nuremberg 
que  Francfort  apprit  l'art  de  semer  ces  arbres.  Rriegk,  Gesch.  von  Francfuri, 
p.  15G. 

*  Page  14.  —  Voy.  A.  Kalfma.NX,  L'ber  Gartenbau  im  ÂlUlelallcr  und  wahrend  der 
Periode  der  Renaissance.  —  Voy.  Pick,  Monatsschrift  fur  rhcinisch-icestfalische  Ges- 
chichtsforschung, t.  VII,  p.  129-155, 

^  Eysengrein,  Urbis  Spirae  Encomium,  dans  Geissel,  Kaiserdom  zu  Speyer  {CoXOQne , 
1876),  p,  590-596. 

*  Voy.  Mone,  Zeitschrift,  t.  III,  p,  261,  271-272. 

*  Langenthal,  t.  I,  p.  174. 


296  ECONOMIE    SOCIALE. 

même  par  les  simples  paysans  que,  vraisemblablement,  plusieurs  crus 
égalaient  ceux  du  Rhin  ou  de  la  Bourgogne.  Fulda,  Marbourg, 
Eschwege,  Witzenhausen  et  Cassel  formaient  les  points  centraux 
des  vignobles.  Les  villages  environnants  n'étaient  presque  habités 
que  par  des  vignerons.  Dans  le  Brandebourg,  les  coteaux  de  vignes 
et  les  clos  de  vin  entouraient  les  villes  de  Rathenow,  Brande- 
bourg, Cologne  sur  laSprée,  Oderbcrg,  Guben,  Lubben,  etc.;  et  dans 
le  Mecklembourg,  sans  parler  des  importants  vignobles  de  Schwe- 
rin et  de  Planen,  il  y  avait  en  1508  des  vignes  en  plein  rapport  à 
Lubz,  Grevismiihlen  et  Stargard.  Elles  s'étendaient  jusqu'à  Lübeck  '. 
Dans  les  pays  vignobles,  la  vigne  s'étendait,  à  cause  de  lapins 
grande  consommation  de  vin  qui  se  faisait  alors,  sur  un  bien  plus 
grand  espace  de  terrain  que  de  nos  jours.  Aux  environs  de  Frauc- 
fort-sur-lc-.Mein,  elle  occupait  presque  tout  le  territoire  de  la  ville 
et  finit  par  envahir  si  bien  le  pays,  que  le  conseil,  dans  l'intérêt 
des  jardins  et  des  champs,  défendit  de  planler  à  l'avenir  de  nou- 
veaux ceps  (lôOl).  Entre  1472  et  1500,  le  produit  des  vignes  s'éleva, 
bon  an  mal  an,  à  7,000  foudres.  En  1483,  il  monta  même  jus- 
qu'à 32,000  foudres.  Il  n'est  donc  pas  surprenant  qu'aux  noces  des 
patriciens  de  Francfort  on  biU  aisément  un  foudre  entier  de  vin,  et 
qu'à  la  noce  d'Arnold,  seigneur  de  Glaubourg  (1515),  sept  muids 
aient  été  vidés-.  Dans  le  district  de  Ratisbonne,  depuis  Kelheim, 
sur  la  rive  gauche  du  Danube,  les  vignes  attenaient  aux  vignes,  et 
cela  dans  plus  d'un  terrain  aujourd'hui  inculte  et  complètement 
improductif.  A  l'intérieur  et  à  l'extérieur  de  ses  murs  d'enceinte, 
Ratisbonne  comptait,  en  1509,  quarante-deux  clos  de  vignes.  Les 
bourgeois  faisaient  un  grand  commerce  de  vin  rouge  de  Bavière, 
lequel  n'était  pas  seulement  débité  dans  le  pays,  mais  souvent 
expédié  à  l'étranger,  en  France,  par  exemple.  Le  vin,  et  non  la 
bière,  était  autrefois  la  boisson  favorite  des  Bavarois  ^  "  En  Bavière, 
dit  le  Livre  des  grains  et  des  arbres,  le  plus  simple  ouvrier  fait 
usage  de  vin  deux  fois  par  jour,  comme  deux  fois  par  jour  il  mange 
de  la  viande  *.  ;'  Les  vignobles  abondaient  aussi  dans  le  Palatinat 
bavarois  ^  A  Ulm,  les  jours  de  marché  au  vin,  on  voyait  souvent 
arriver  sur  la  place  jusqu'à  300  voitures  chargées  de  tonneaux". 
A  Vienne,  la  vendange  durait  quarante  jours,  et  deux  ou  trois  fois 

'  Voy.  Nordhoff,  Der  vormalige  Weinbau,  p.  19-26. 

-  Krikgk,  Zustände  Frankfurts,  p.  241.  —  Burgerthum,  p.  280-287.  —  .Vcue  Folge, 
p.  244,  406.  —  Arnoldi,  t.  III,  29-55. 

^  Voy.  Scherer,  Über  den  Weinbau  bei  Regensburg  von  der  Römcr^cit  bis  zur  Gencnirart, 
p.  4-7  (Ratisbonne,  1869). 

*  P.  14''.  \\.  Wackernagel,  Kleincrc  Schriften,  t.  I,  p.  89,  92. 

5  Voy.  MONE,  Zeitschrift,  t.  X,  p.  195. 

^  Jager,  Ulm,  p.  715-717. 


I.ITTF.RATIt!  E    A(;[nC()LE.  297 

par  .jour,  environ  900  voitures  chargées  de  vin  doux  entraient  dans 
la  ville'. 

Mais  le  vignoble  par  excellence  de  l'Allemagne,  c'était  le  pays  du 
Haut-Hliin.  Les  crus  du  Pdicingau  étaient  les  pins  célèbres.  Les  Béné- 
dictins du  .loliannisbcrg,  les  Cisterciens  d'Eberbach  étaient  par- 
venus, par  une  culture  attentive  et  des  soins  incessants,  à  produire 
des  vins  exquis*. 

L'élevage  des  abeilles  jouait  aussi  un  grand  rôle  dans  tous  les  pays 
allemands;  mais  vers  le  milieu  du  seizième  siècle  l'apiculture  lut 
presque  entièrement  abandonnée  '. 


VII 


C'est  au  déclin  du  quinzième  siècle  que  la  littérature  agricole 
apparaît,  et  les  nombreuses  éditions  des  ouvrages  qui  la  composent 
nous  prouvent  l'intérêt  dont  l'agriculture  était  l'objet,  surtout  dans 
les  villes.  Onze  éditions,  tant  latines  qu'allemandes,  du  célèbre 
ouvrage  sur  l'agriculture  de  Petrus  de  Crescentiis,  sénateur  bolonais, 
parurent  à  Louvain,  Augsbourg,  Strasbourg,  Mayencc,  entre  1470 
et  1194.  L'édition  de  Strasbourg  et  celle  de  Mayence  sont  ornées 
de  belles  gravures  sur  bois  ^  "  Le  Livre  de  la  Nature,  pour  lequel  un 
homme  extrêmement  savant  a  fait  durant  ([uinze  ans  des  recherches 
et  des  travaux  »,  était  aussi  très-célèbre.  La  première  édition  ne  porte 

'  Voy.  !ir:i\r>icir,  TcuUchc  lUùchf.rjcsch.  t.  IV,  p.  604.  —  l.e  dixième  pfenning  du  vin 
qui  se  vcüdait  en  détail  à  Vienne  devait  être  prélevé  comme  impôt;  ornons 
voyons  cet  impôt  s'élever  par  an  à  donze  mille  florins  d'or.  yE.\.  SYLV.,£'pp.,p.  719. 

-  Pour  plus  de  détails  sur  les  vij;nol)les  du  Hhin,  voyez  Bn.vux,  /ins  der  Mappe 
eines  eleu! SI- hcn  lieichsbürgers,  t.  I!,  p.  106-119.  On  connaît  l'ancien  proverbe  : 

Vinum  Bîosellanîim  est  omni  tempore  sanum, 
Vinum  Rhenense  decus  est  et  gloria  mense. 

Nordhoff,  Weinbau,  p.  :'ô.  —  Sur  les  vignoliles  des  environs  de  Coblenz,  de 
1494  à  1506,  voy.  Mone,  Zeitschrift,  t.  X,  p.  183. 

'  L'élevaye  des  abeilles  avait  alors  une  tout  autre  importance  que  maintenant, 
à  cause  du  ;';r;;nd  usaf^e  de  cire  qu'on  faisait  dans  les  éjyliscs,  et  parce  que  le 

mitl  remplaçait  le  sucre.  —  Ahhandhmg  iibcr  Birncnwirthschaft  und  Uicncnrceht  des 
Miitelaiiers,  p.  47  (Nordlingen,  18o5).  Voy.  aussi  Buscn,  Handbuch  des  heutigen  in 
Deutschland  geltenden  Biincnrcchles,  p.  14  (Arnstadt,  1836).  Schmid  und  Klf.iv,  Leit- 
faden für  den  Unterricht  in  der  Bienenzucht,  p.  3  (Aördlinjjen,   1S6.)). 

*  1Iai\,  n"  5826-5835.  —  Voy.  üelbig,  les  Concurrents  de  P.  Schiffer,  dans  le  Biblio- 
I  phile  belge,  dixième  année  (Bruxelles,  1876),  p.  22-25.  —  La  première  édition 
I  Italienne  date  de  1478,  la  première  française  de  1486.  —  Voy.  sur  cet  ouvrage 
!   Bernhardt,  t.  I,  p.  192. 


298  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

aucune  indication  de  lieu  ni  d'année;  les  suivantes  parurent  eu  1475, 
1478,  1481,  chez  Hans  Bämler,  à  Augsbourg;  eu  1482  et  1499,  che? 
Hans  Schönsperger;  en  1482,  chez  Antoine  Sorg  '.  Le  livre  est  en 
partie  composé  de  notions  bizarres  sur  la  nature  humaine,  les  ani- 
maux, les  arbres,  les  plantes,  les  pierres  et  les  métaux.  L'auteur  com- 
mence par  déclarer  «  qu'il  va  traiter  un  sujet  très-utile  et  très-récréa- 
tif, où  tout  lecteur  pourra  apprendre  des  choses  singulièrement 
curieuses  >.  Mais  ces  choses  «  singulièrement  curieuses  »  se  trouvent 
heureusement  mélangées  à  des  observations  pleines  de  sens  sur  la 
culture  des  arbres  et  l'élevage  des  abeilles.  L'ouvrage  de  Columelle, 
sur  les  jardins,  fut  édité  à  Louvain  par  un  imprimeur  westphalien  ^ 
et  Cuspinian  accompagna  la  seconde  édition  d'une  préface  ^  un 
ouvrage  imprimé  en  148.3  et  intitulé  :  les  Vertus  des  plantes,  traite 
de  la  phytologie.  Mais  l'écrit  le  plus  remarquable  sur  l'agricul- 
ture est  celui  que  nous  avons  déjà  bien  des  fois  cité  :  le  Livre 
des  cjrains,  des  arbres  et  des  plantes  K  II  contient  la  description  des 
diverses  espèces  de  blés,  indique  la  manière  de  les  semer  eu  égard 
aux  différentes  propriétés  du  sol,  dit  dans  quelle  saison  les  semailles 
sont  faites  avec  le  plus  d'avantage,  traile  des  engrais,  de  la  façon 
de  les  employer  selon  les  qualités  du  terrain,  des  meilleures  manières 
d'en  obtenir  d'excellents,  parle  des  pépinières,  et  s'étend  avec  prédi- 
lection sur  la  culture  des  champs  et  celle  de  la  vigne.  "  Les  soins  donnés 
à  la  vigne  >),  assure  l'auteur,  «  plaisent  tout  particulièrement  aux  Alle- 
mands, car  cette  plante  si  précieuse  est  singulièrement  louée  dans  la 
Sainte  Ecriture.  Aussi  »,  ajoute-t-il  non  sans  malice,  «  dans  notre 
pays  tous  les  bons  chrétiens  et  amis  de  la  Sainte  Écriture  font-ils 
usage  de  vin.  ' 


VIII 


Nous  possédons,  sur  l'état  général  de  l'agriculture  à  cette  époque, 
des  renseignements  contemporains  provenant  de  deux  régions  dif- 
férentes :  du  Rheingau  et  de  la  Poméranie. 

"  Le  pays  le  plus  fertile  et  le  plus  beau  de  l'Allemagne  ",  dit  le 
Livre  des  cjrains,  «  c'est  celui  du  Rheingau.  Le  vin  y  est  généralement 
si  abondant  que  le  paysan  même  peut  en  boire  à  sa  soif;  le  fro- 

'  IlAiN,  n"  4040-4046.  —  Voy.  aussi  L\>geth\l,  t.  II,  p.  23. 
-llAiv,  n"  5496. 
3  Ibid.,  n"  5499. 
*  Itiid.,  n"  9797. 


F.TAT    GÉNKliAL    DK    f/A  C  H  l  CULT  U  P.  E.  29» 

mciil,  Ic  scißle,  les  fruils  de  toutes  sortes  y  croissent  et  y  prospè- 
rent. "  «  Le  piiys,  depuis  Mayencc  jiis(iu'ji  Bin{;en,  est  très-peuplé 
fies  deux  côlés  du  Meuve;  la  ferme  touche  à  la  ferme,  le  villa{;e  au 
villajje,  et  si  l'on  veut  savoir  ce  que  peuvent  produire  la  richesse 
du  sol  et  le  labeur  de  l'homme  réunis,  il  faut  visiter  cette  con- 
trée. La  pauvrelé  s'y  renconire  rarement  parmi  les  paysans  (]ui 
aiment  le  travail.  L'élevage  des  abeilles  y  a  pris  un  grand  accrois- 
sement '.  "  Frère  Rarihélemy,  religieux  anglais  de  l'Ordre  de  Saint- 
François,  fait  à  son  tour  la  description  suivante  du  niieingau  :  «  C'est 
un  petit  territoire  qui,  depuis  Mayence  jusqu'à  Bingen,  s'élend  entre 
des  montagnes  riantes  Ce  pays,  tout  petit  qu'il  soit,  est  extrême- 
ment agréable  et  fertile;  non-seulement  ses  habitants  y  sont  heureux, 
mais  le  voyageur  même  qui  ne  fait  que  le  traverser,  est  ravi,  charmé, 
et  croit  être  transporté  au  pays  de  la  félicité.  Le  sol  produit  des 
céréales  et  des  fruits  avec  autant  d'abondance  que  de  rapidité;  le 
môme  champ  donne  les  espèce^  de  fruits  les  plus  diverses;  les  noyers 
y  réussissent,  les  blés  de  toutes  sortes  y  prospèrent,  et  la  culture 
des  arbres  fruitiers  n'empêche  pas  celle  de  la  vigne.  Le  même  petit 
champ  produit  ici  blé,  raisins,  noix,  fruits  à  noyaux,  pommes,  poires 
et  bien  d'autres  fruils  encore.  "  Jean  Butzbach,  dans  son  «  Livret 
de  voyage  "  (1500),  dit  aussi  :  «  Le  Bbeingau  est  une  contrée  aimable 
et  riante,  riche  eu  eaux  vives,  en  vignobles,  champs,  bois,  vergers 
fertiles.  Ses  beaux  villages  ressemblent  à  des  villes.  Le  Rhin  y  coule 
entre  des  rives  charmantes,  aux  belles  lies  verdoyantes,  dont  quel- 
ques-unes ont  une  assez  grande  étendue.  Ici,  le  peuple  jouit  d'un 
grand  bien-être;  il  est  heureux  et  brave.  Le  sol  produit  des  fruits  en 
abondance.  J'y  ai  connu  un  paysan  qui,  dans  une  seule  année,  a  tiré 
de  ses  cerisiers  un  bénéfice  de  30  florins^.  » 

La  culture  des  fruits  dans  le  Rheingau,  et  aussi,  à  ce  qu'il  semble,  en 
Bavière,  rapportait  beaucoup  aux  paysans.  Le  Litre  des  g)yi ins  pav\e  des 
grands  bois  d'arbres  fruitiers  entourant  les  villages  du  Rhin.  «  De  très- 
habiles  jardiniers  les  dirigent  avec  intelligence  ",  dit-il;  "  j'en  dis 
autant  de  la  Bavière,  où  j'ai  vu  des  vergers  très-florissants  et  plaisants 
à  voir  tout  proches  des  métairies.  Pendant  la  saison  d'hiver,  le  paysan 
peut  se  procurer  pour  quelques  liards  pommes,  poires,  noix  en  abon- 
dance pour  lui,  sa  femme  et  ses  enfants.  Ces  vergers  si  bien  soignés 
sont  très-dignes  d'être  loués,  et  devraient  se  trouver  partout  ^  "  Dans 
le  Rheingau,  les  pommiers,  cultivés  avec  soin,  produisaient  des  fruits 
de  tant  d'espèces  différentes,  de  forme,  de  goût,  de  couleurs  si 

'  Page  17. 

*  D'après  la  valeur  actuelle  de  l'aryent,  environ  cinq  cents  marcs   chonika, 
p.  127-129. 
'  Page  19. 


3U0  ECONOMIE    SOCIALE. 

variés,  qu'on  ne  pouvait  presque  plus  eu  cnumérer  les  espèces  '. 
Voyons  maintenant  ce  que  rapporte  Kanzow  de  la  Poméra- 
nie  :  «  Ce  pays,  dit-il,  produit  en  abondance  toutes  espèces  de 
céréales  :  seigle,  froment,  orge,  sarrasin,  pois,  avoine,  si  bien 
qu'on  n'y  fait  usage  que  de  la  vingtième  partie  des  récoltes.  Le 
seigle  et  l'avoine  sont  expédiés  en  grande  quantité  vers  l'Ouest,  en 
Ecosse,  en  Hollande,  en  Zélande  et  en  Brabant.  Le  houblon  et  l'orge 
sont  surtout  exportés  en  Suède  et  en  ÎNorwége.  11  n'est  pas  rare  de 
voir  un  bourgeois  embarquer  par  an  pour  l'étranger  quatre  cents 
charges  de  blé,  c'est-à-dire  environ  dix  mille  boisseaux.  Item,  on 
élève  en  ce  pays  de  bons  chevaux  de  différentes  races,  de  nombreux 
moutons,  bceufs  et  porcs.  Les  abeilles  y  produisent  beaucoup  de  miel 
qu'on  envoie  à  l'étranger;  la  contrée  abonde  en  prairies,  en 
pâturages.  Les  bestiaux  fournissent  encore  d'autres  genres  de  mar- 
chandises réservées  pour  la  plupart  à  l'exportation  :  beurre,  lard, 
laine  et  cuir.  Le  suif  rapporte  aussi  de  bon  argent  comptant  au  pays. 
Coqs  de  bruyère,  perdrix,  lapins,  cygnes,  outardes,  oies  sauvages, 
canards  se  voient  en  profusion  dans  la  campagne;  mais  on  ne  se 
soucie  pas  de  leur  faire  la  chasse.  Si  de  temps  en  temps  les  oies  sau- 
vages, les  canards  ou  les  perdrix  paraissent  sur  la  table,  c'est  qu'un 
prince  a  permis  à  ses  pâtres  de  chasser.  Quant  aux  autres  bêtes,  les 
chasse  qui  veut  et  qui  peut.  Le  pays  est  aussi  très-riche  en  excel- 
lents poissons  -.  " 


IX 


L'élan  donné  à  l'agriculture  en  Allemagne  eut  pour  résultat,  parmi 
les  cultivateurs  de  nos  contrées,  un  bien-être  qui  forme  un  éton- 


'  Langethai.,  t.  III,  p.  247.  —  Les  paysans  et  les  jeunes  mariés  de  la  Hesse 
devaient,  A  leur  installation  dans  la  commune,  planter  un  certain  nombre 
d'arbres  (fruitiers  ou  autres)  dont  ils  étaient  tenus  de  prendre  soin.  Dans  la  com- 
mune de  Baar  (canton  de  Berne),  il  était  d'usage  que  tout  villageois,  chaque 
fois  qu'il  lui  naissait  un  enfant,  plantAt  douze  arbres  fruitiers  dans  le  communal; 
l'enfant  devait  plus  tard  les  cultiver.  —  Voyez  Maurer,  Dorf  Verfassung,  t.  I, 
p.  287-289. 

*  Kanzow,  t.  II,  p.  421,  424,  427.  —  Sur  l'ancienne  fertilité  de  Sangershausen, 
Spangenberg  dit  dans  sa  chronique  (terminée  en  1554)  :  "  Cela  se  passait  il 
y  a  longtemps,  avant  que  les  pauvres  gens  fussent  accablés  de  tant  d'impo- 
sitions et  de  taxes  intolérables.  Il  y  avait  aussi  une  excellente  nourriture,  parce 
que  tout  ce  qui  concernait  l'élevage  des  bestiaux,  les  pâturages,  le  poisson,  le 
gibier,  le  pain,  la  bièreet  le  vin  était  l'objet  déplus  de  soins  que  partout  ailleurs.  • 
D'après  lui,  la  ville  était  le  grenier  de  toute  la  Thuringe  du  Nord.  —  Buder. 
Nütdiche  Sammlung  verschiedener  Schriften,  p.  297  (Francfort,  1735). 


BIEN-ETRE    DES    PAYSANS.  301 

nant  contraste  avec  la  lamentable  situation  où  ils  se  trouvèrent  plus 
lard  réduits, 

«  En  Pornéranic  et  dans  l'île  de  Rujjen  ",  écrit  Kanzovv,  «  les  paysans 
sont  riches;  ils  ne  portent  que  des  vêlements  anfjlais  et  d'autres 
habillements  coiHeux,  semblables  à  ceux  que  portaient  autreiois  la 
noblesse  et  les  bourgeois  aisés  '.  » 

Les  paypans  d'Allenbourp;  portaient  des  bonnets  de  fourrure  en 
peau  d'ours,  des  chaiues  de  corail  où  étaient  suspendues  des  pièces 
d'or  et  des  rubans  de  soie,  objet  de  luxe  alors  très -dispen- 
dieux -. 

Werner  llolewinck  met  cette  parole  dans  la  bouche  des  nobles 
westphaliens  :  «  On  prête  maintenant  plus  facilement  à  un  paysan 
qu'à  dix  d'entre  nous,  et  le  cultivateur  capitalise  comme  il  veut'.  » 

Les  paysans  cjui  se  rendirent  par  milliers,  en  1497,  auprès  du 
nouveau  prophète  populaire  surnommé  par  eux  le  <■  trompette  de 
Niklashausen  »  avaient  de  l'argent  en  quantité,  des  joyaux,  des 
habits  précieux;  ce  fait  prouve  l'heureuse  condition  des  paysans 
de  l'Allemagne  du  JXord  et  de  l'Allemagne  centrale.  En  un  seul  jour, 
s'il  faut  en  croire  le  chroniqueur  Stolle,  il  y  aurait  eu  à  iMklashausen 
soixante-dix  mille  paysans  réunis,  dont  la  plupart  apportaient  des 
cierges  tellement  gros  que  trois  ou  quatre  hommes  pouvaient  à 
peine  en  porter  un.  Le  prédicateur  tonna  contre  les  vaines  parures, 
les  colliers  précieux,  les  vêtements  de  soie  et  les  souliers  poin- 
tus, et  son  zèle  nous  permet  d'apprécier  la  richesse  des  paysans 
d'alors  *. 

Wimpheling  dit  à  propos  des  populations  rurales  de  l'Alsace  : 
«  Le  bien-être  a  rendu  orgueilleux  et  voluptueux  les  paysans  de  notre 
pays  et  de  bien  d'autres  contrées  d'Allemagne;  je  connais  des  villa- 
geois qui  font  tant  de  dépenses  aux  noces  de  leurs  fds  et  de  leurs 
filles,  ou  bien  à  l'occasion  des  baptêmes,  qu'on  pourrait  acheter  avec 
l'argent  qu'ils  prodiguent  une  maison,  un  champ,  et  par-dessus  le 
marché  une  petite  vigne.  Ils  dépensent  des  sommes  ridicules  pour 
la  nourriture  et  le  vêtement,  et  boivent  des  vins  recherchés  ^  » 

Ce  que  nous  savons  des  fêtes  patronales  et  des  noces  en  Franconie 
atteste,  parmi  les  cultivateurs,  le  même  bien-être  matériel  ^ 

Unrest,  dans  sa  Chronique  autrichienne  (1498),  dit  des  paysans 
de  Carinthie  :  «  Personne  ne  gagne  plus  d'argent  qu'eux;  on  les 

'Kansow,  t.  II,  p.  406-407. 
^VOy.   L.VNGETilAL,    t.  III,  p.  201. 
'  De  laude  Saxoniœ,  p.  22-î. 

*  Voy.  Barack,  Hans  Böhm  und  die  Wallfahrt  nach  .Viklashansen,  p.  G  et  25.  — 
MONE,  Zcitschri/l,  t.  XIX,  p.  12-22. 

'  A  la  fin  de  l'écrit  :  De  arte  impressoria. 

•  Bense\,  Bauernkrieg  in  Ost/ranken,  p.  89. 


302  ECONOMIE    SOCIALE. 

reconnait  facilement  à  ce  qu'ils  portent  de  plus  beaux  habits  et 
boivent  de  meilleur  vin  que  leurs  seigneurs  '.  » 

Aussi  la  diète  de  Lindau  (1497),  et  beaucoup  d'autres  qui  lui  sont 
postérieures,  rendent-elles  des  ordonnances  spéciales  défendant  aux 
^t  villajjeois,  aux  ouvriers  des  villes  et  des  campagnes,  de  porter  du 
drap  coûtant  plus  d'un  demi-florin  l'aune  ".  L'or,  les  perles,  le 
velours,  la  soie,. les  robes  tailladées  leur  sont  interdits,  ainsi  qu'à 
leurs  femmes  et  à  leurs  enfants  ^ 

11  n'était  pas  rare  qu'une  "  cuisine  succulente  "  correspondit  à  ces 
riches  vêtements  :  •'  Le  paysan  travaille,  es(-il  dit  dans  le  Livre  des 
grains,  mais  aussi  \l  a  une  nourriture  excellente;  il  manp^e  de  la  viande 
de  toute  sorte,  du  poisson,  du  pain  et  des  fruits  en  ;tbondance;  il  boit 
souvent  du  vin  avec  excès,  ce  dont  je  ne  puis  le  louer;  mais  sauf  cela, 
sa  table  est  réputée  pour  la  plus  saines  » 

c<  Du  temps  démon  père,  simple  villageois  de  Souabe  »,  rapporte  le 
trop  réaliste  écrivain  Henri  Müller,  «  on  se  nourrissait  (out  autrement 
que  maintenant;  on  avaittous  lesjours  de  la  viande;  les  mets  étaient 
abondants.  Lesjours  de  fête  et  de  kermesse,  les  tables  crevaient  lit- 
téralement sous  le  poids  des  mets.  On  engouffrait  alors  le  vin  comme 
si  c'eût  été  de  l'eau;  on  se  gorgeait  de  mangeaille,  et  l'on  empor- 
tait encore  avec  soi  tout  ce  que  l'on  voulait,  tant  la  richesse  et  l'abon- 
dance étaient  générales.  Mais  aujourd'hui  tout  a  bien  changé!  Les 
temps  sont  durs,  tout  est  coûteux.  La  nourriture  des  paysans  les 
plus  à  leur  aise  est  bien  inférieure  à  celle  des  journaliers  et  des  ser- 
viteurs d'autrefois^.  » 

1  Unrest,  p.  631-642.  —  Sur  le  bien-être  des  paysans  dans  les  duchés  autri- 
chiens et  dans  le  Tyrol,  voy.  Bochiioltz,  Ferdinand  der  Erste,  t.  VIII,  p.  50,  53, 
313,316.  —  Le  poëteautricbien  llelbliiiij  parle  avec  une  certaine  amerluinede  la 
richesse  des  paysans  et  dit  que  «  selon  lui,  les  paysans  sont  les  seuls  hommes 
libres  de  l'Autriclie  ».  P.  421. 

-  Neue  Sammlung  der  Reichsabschiede,  t.  II,  p.  31.  —  Voy.  t.  II,  p.  47,  79.  —  Mas- 
cher  (  ile  un  document  du  quinzième  siècle,  dans  lequel  il  est  dit  :  «  On  voit 
rarement  dans  les  champs  un  cultivateur  au  travail  qui  nait  sur  la  tête 
un  bonnet  de  jjrand  prix,  valant  plus  que  tout  le  reste  de  l'habillement  du  sire. 
Les  autres  (c'est-à-dire  les  nobles  et  les  bourgeois)  portent  presque  tous 
de  la  soie,  de  la  toile  fine,  de  l'or,  de  l'argent,  du  drap  fin  et  des  souliers  à  la 
poulaine.  Il  n'y  a  du  reste  aucune  différence  entre  les  bourgeois,  les  ouvriers 
et  les  paysans.  »  La  gloutonnerie  et  les  excès  de  boisson  des  paysans  sont  fré- 
quemment raillés  dans  les  chansons  populaires.  Voyez  Uhland,  t.  I,  p.  646,  651- 
653.  —  Voy.  Thomas  MurNER,  Xarrcnbcschwörung ,  p.  2J4-226.  —  Seeber,  fol.   425. 

^  Page  17.  uolewinck  adresse  cet  avertissement  aux  paysans  dans  son  écrit 
De  regimine  rusticorum,  fol.  39  :  «  Sit  mensa  pro  quotidiano  victu  de  ciliis  substan- 
tiosiset  simpliciter  preparatis,  non  delicatis...  Cibus  simplex  et  substantiosus  ac 
uuiformis  naluram  roborat,  sanitatem  conservât,  et  ad  laborandura  corpus 
aptat  et  bene  in  stomacho  durât.  Delicie  vero  ac  crebre  epularum  variationes 
naturam  inflammant  et  dis>ipant  ac  plures  egritudines  introducunt.  » 

*  Curieuse  Nachrichten,  p.  19.  —  Sur  la  décadence  de  l'agriculture,  voy.  Peetz, 
fol.  346. 


SALAIÜES    DliS   .lOURMAMERS    ET    S  KRVI  T  E  U  R  S  .  303 


X 


Les '-journaliers,  les  serviteurs  jouissaient  à  la  fia  du  moyea  âge 
d'un  aussi  grand  bien-6fre,  relativement  parlant,  que  celui  des 
paysans.  D'après  les  renseignements  recueillis  dans  presque  (ouïes 
les  contrées  de  l'Alleniagne,  ils  recevaient  pour  leur  travail  un 
salaire  étonnamment  élevé.  La  nombreuse  classe  des  journaliers 
ruraux  destituée  de  toute  propriété  et  vivant  du  travail  quotidien 
ne  fui  jamais,  ni  avant  ni  depuis,  dans  des  conditions  matérielles  plus 
heureuses  que  vers  la  fin  du  quinzième  siècle  jusqu'aux  dix  premières 
années  du  seizième. 

Pour  apprécier  justement  les  salaires,  il  (aut  commencer  par  éta- 
blir aussi  exactement  que  possible  les  rapports  alors  existants  entre 
la  valeur  de  l'argent  et  le  prix  des  choses  indispenbles  à  la  vie  (nourri- 
ture, habillement,  etc.).  Cherchons  ä  découvrir  ces  rapports  dans  des 
contrées  diverses  et  des  espaces  de  tenqjs  précis  :  si  tous  nos  ren- 
seignements concordent  dans  les  points  les  plus  importants,  nous 
arriverons  à  un  aperçu  général  assez  exact  sur  la  question  qui  nous 
occu;)e. 

Pour  l'Allemagne  du  Nord,  examinons  d'abord  les  documents  qui 
nous  viennent  de  Saxe. 

En  Saxe,  entre  1455  et  1480,  une  paire  de  souliers  ordinaires  coiUe 
en  général  de  deux  à  trois  gros;  un  mouton  vaut  quatre  gros; 
vingt-cinq  morues,  quatre  gros  ;  une  corde  de  bois  tout  apportée, 
cinq  gros;  une  aune  du  meilleur  drap  du  pays,  cinq  gros;  un  bois- 
seau de  seigle,  six  gros  quatre  pfennigs.  Or,  un  journalier  ordinaire 
gagne  par  semaine,  à  la  même  date,  de  six  à  huit  gros;  il  peut 
par  conséquent  se  procurer,  avec  le  salaire  de  sa  semaine,  un  mouton 
et  une  paire  de  souliers;  avec  le  salaire  de  vingt-quatre  jours,  au 
moins  un  boisseau  de  seigle,  vingt-cinq  morues,  un  stère  de  bois  et 
deux  ou  trois  aunes  du  meilleur  drap  du  pays.  Les  vêtements  sont 
alors  extraordinairement  bon  marché  :  pour  la  façon  d'un  habit, 
d'une  paire  de  chausses,  d'un  chapeau  rond  et  d'une  jaquette,  nous 
voyons  un  chantre  de  Leipzig  payer  en  tout  sept  gros.  Le  duc  de 
Saxe  achetait  les  chapeaux  gris  qu'il  portait  ordinairement  trois  gros 
et  demi  ou  quatre  gros.  On  voit  donc  que  les  journaliers  saxons 
pouvaient  vivre  à  bon  compte  du  prix  d'un  travail  bien  payé,  et 
satisfaire  à  peu  de  frais  aux  premières  nécessités  de  la  vie. 

On  comprend  aussi  que  les  journaliers,  au  commencement  du 
seizième  siècle,  aient  amèrement  regretté  le  bon  temps  disparu, 


304  ECONOMIE    SOCIALE, 

puisque  leur  salaire  n'avait  augmenté  que  de  six  pfennigs,  tandis 
que  le  prix  du  seigle,  de  six  gros  quatre  pfennigs  qu'il  était  aupa- 
ravant, était  monté  à  vingt-quatre  gros  le  boisseau,  et  que  le  mou- 
ton, coûtant  autrefois  quatre  gros,  en  valait  dix-huit;  les  autres 
denrées  avaient  enchéri  dans  les  mêmes  proportions'. 

Ailleurs,  les  salaires  des  journaliers  étaient  encore  plus  élevés. 
A  Clèves  (pays  rhénan),  le  journalier,  nourri  par  celui  qui  rem- 
ployait, pouvait  se  procurer,  en  six  jours  de  travail,  un  quart  de 
boisseau  de  seigle,  dix  livres  de  viande  de  porc  ou  douze  livres  de 
veau;  six  grandes  cruches  de  lait  et  deux  charges  de  fagots.  11  lui 
restait  encore  en  surplus,  au  bout  de  quatre  ou  cinq  semaines, 
une  somme  d'argent  représentant  la  valeur  d'une  blouse  de  travail, 
de  six  aunes  de  toile  et  d'une  paire  de  souliers  -.  A  Aix-la-Chapelle, 
vers  la  fin  du  quatorzième  siècle,  on  a  calculé  qu'en  cinq  jours  un 
journalier  rural  gagnait  la  valeur  d'une  brebis;  en  sept  jours,  celle 
d'un  mouton  ;  en  huit  jours,  celle  d'un  porc  ;  et  qu'en  un  seul  jour  il 
gagnait  presque  la  valeur  de  deux  oies  ^ 

A  Augsbourg,  le  salaire  quotidien,  dans  les  années  ordinaires,  égalait 
le  prix  de  cinq  ou  six  livres  de  la  meilleure  viande  ;  dans  les  années 
d'abondance,  le  journalier  pouvait  se  procurer,  par  son  travail  de 
chaque  jour,  une  livre  de  viande  ou  sept  œufs,  un  quarteron  de 
pois,  une  mesure  de  vin  et  le  pain  qui  lui  était  nécessaire.  Outre  cela, 
il  lui  restait  la  moitié  de  son  salaire  pour  payer  ses  frais  de  loyer, 
d'habillement,  et  couvrir  ses  autres  dépenses  '. 

Dans  la  principauté  de  Bayreuth,  un  journalier  gagnait,  en  1464, 
18  pfennigs  ;  à  la  même  date,  une  livre  de  saucisson  coûtait  1  pfen- 
nig; une  livre  d'excellent  bœuf,  2  pfennigs  ^ 

Les  renseignements  recueillis  en  Autriche  attestent  les  mêmes 
faits.  Nous  voyons  dans  le  livre  de  comptes  du  prévôt  Jacob  Pamperl 
de  Klosterneubourg,  intendant  des  biens  de  l'abbaye  de  1485  à  1509, 


I  Voy.  Falke,  Statislik  der  Preise  in  Sachsen,  dans  le  Jahrbuch  für  .Vationalökonomiel 
d'IliLDEBRAND,  7«  année,  vol.  2,  p.  370-394.  Année  9,  vol.  1,  p.  30-53.  —  GALLETTr,  ' 
Gesch.  Thüringens,  t.  V,  p.  198.  —  Schmoller,  Ficisc'iconsiim ,  p.  356.  —  LOBE, 
p.  40-42.  —  A  Constance,  en  1487,  un  cheval  de  labour  coûtait  cinq  florins. 
MONE,  t.  X,  p.  56.  —  A  Francfort,  eu  1512,  le  jambon  de  Westphalie  coûtait 
huit  liards  la  livre.  Kuiegk,  Bürgcrthum,  p.  382.  —  A  Aschaffenbourg,  la  livre  de 
viande  coûtait  environ  deux  liards.  Kittel,  Spiialer,  p.  15,  21. 

-  D'après  un  calcul  minutieux  de  Pelz,  18.  Sur  les  denrées  alimentaires  et 
les  salaires  à  ^Xanten  en  1426,  voy.  Beissel,  Stimmen  aus  Maria-l.aach,  1882, 
cah.  2,  p.  228-229.  —  Dans  le  durhé  de  Nassau,  les  conditions  de  la  vie  étaient 
aussi  très-douces  pour  les  ouvriers  et  journaliers.  —  Voy.  Arnoldi,  3^,  p.  82. 

^  Voy.  Laurent,  Aachener  Stadirechnungen,  p.  7-8.  — SchMOLLer,  Flcischconsum, 
p.  354. 

*  Voy.  les  divers  prix  des  objets  et  denrées  dans  l'appendice  de  la  chronique 
de  Burkard  Zink,  Chroniken  der  deutschen  Städte,  t.  V,  p.  438. 

5  Lang,  Gesch.  Baireuths,  t.  I,  p.  59-60. 


ALIMENTATIOIV    DES    JOURNALIERS    CULTIVATEURS.         305 

que  le  salaire  d'un  journalier  était  de  quatorze  deniers  par  jour.  En 
outre,  il  élait  nourri;  or,  à  la  môme  épocjue,  d'après  le  taux  légal, 
une  livre  de  viande  ne  valait  que  deux  deniers.  Une  paire  de  souliers 
ordinaires  d'homme  ou  de  femme  coi\tait  environ  seize  deniers;  la 
façon  d'une  paire  de  chausses,  dix  deniers;  un  habit  de  paysan, 
vingt-quatre  deniers  '. 

Pour  les  journaliers  à  la  fois  payés  et  nourris ,  des  ordon- 
nances spéciales  réglaient  minutieusement  en  bien  des  contrées 
la  mesure  et  la  quantité  de  nourriture  et  de  boisson  auxquelles 
ils  avaient  droit.  (^  Tout  journalier,  qu'il  travaille  aux  champs 
ou  ailleurs  ",  est-il  dit  dans  le  règlement  de  maison  établi  pour  les 
biens  de  l'archevêque  de  Mayence  Berthold  de  Henneberg,  «  aura 
le  matin  une  soupe  et  du  pain;  à  son  diner,  l'après-midi,  une  bonne 
soupe,  de  la  bonne  viande,  des  légumes  et  une  demi-cruche  de  vin 
ordinaire;  le  soir,  de  la  viande  et  du  vin,  ou  bien  une  bonne  soupe 
et  du  pain.  " 

L'échanson  Érasme  d'Erbach  établit  dans  ses  biens  le  règlement 
suivant  (1483)  :  «  Les  journaliers  engagés  à  la  tâche,  les  corvéables, 
les  serviteurs  et  servantes  auront  deux  fois  par  jour  de  la  viande  et 
une  demi-cruche  de  vin;  les  jours  de  jeune,  du  poisson  ou  d'au- 
tres mets  capables  de  les  bien  soutenir.  Ceux  qui  ont  travaillé  toute 
la  semaine  doivent  être  bien  traités  le  dimanche  ;  après  la  messe 
et  le  sermon,  ou  leur  donnera  du  pain  et  de  la  viande  en  quantité 
suffisante,  plus  la  moitié  d'une  grande  cruche  de  vin.  Les  jours  de 
fête,  ils  auront  une  bonne  portion  de  rôti;  on  leur  donnera  en 
outre,  pour  emporter  dans  leur  maison,  une  grosse  miche  de  pain, 
et  autant  de  viande  que  deux  personnes  en  peuvent  manger  à  leur 
diner  ^  » 

D'après  le  règlement  domestique  du  comte  bavarois  Joachim 
d'OEttingen  (1520),  les  journaliers,  corvéables  et  serviteurs  de  l'exploi- 
tation avaient  tous  les  jours  à  leur  repas,  «  le  matin,  une  soupe 
ou  des  légumes  (les  journaliers  du  lait,  les  autres  de  la  soupe).  A 
midi,  soupe  et  viande,  une  cruche  de  vin ,  une  bouillie  aux  épiées 
ou  de  la  viande  marinée;  des  légumes  ou  du  lait,  en  tout  quatre 
plats.  Le  soir,  de  la  soupe  et  de  la  viande,  des  raves  ou  de  la  viande 
marinée,  des  légumes  ou  du  lait,  en  tout  trois  plats.  »  Les  femmes 
qui  apportaient  dans  la  maison  les  coqs,  les  poulets  et  les  œufs, 
avaient  droit  à  une  portion  de  soupe  et  à  deux  pains;  mais 
lorsqu'elles  avaient   fait  pour   venir   plus    d'une    demi-lieue,    ou 


'  Voy.  M.  Fischer,  Archiv.  Jür  Kunde  öslerr.   Gcsclùclusqucllen,  t.  I,  p.  181-102. 
*  Règlement  d'Ehrbach  :  OEuorcs  posihumes  de  Bodmann.  communiqué  par  Bohmer. 

20 


306  ECONOMIE    SOCIALE. 

devait  leur  servir«  la  soupe,  un  plat  et  une  cruche  de  vin'  d. 
En  Saxe,  la  nourriture  des  ouvriers  et  des  serviteurs  semble  avoir 
été  plus  abondante  encore,  car  une  ordonnance  publiée  par  les  ducs 
Ernest  et  Albert  (1482)  porte  expressément  :  "  Les  journaliers  et 
faucheurs  doivent  se  tenir  pour  satisfaits  lorsqu'en  dehors  de  leur 
salaire  ils  ont  deux  fois  par  jour,  à  diner  et  à  souper,  quatre  plats  :  la 
soupe,  deux  plats  de  viande  et  un  plat  de  légumes,  et  les  jours 
maigres,  cinq  plats  :  la  soupe  et  deux  sortes  de  poissons  accompagnés 
de  deux  légumes  différents  ^  >; 

La  viande  était  si  généralement  la  nourriture  quotidienne  de 
Touvrier  que  le  Guide  de  l'âme  dit,  voulant  citer  une  preuve  de  parti- 
culière misère  :  «  Il  y  a  des  pauvres  qui  passent  quelquefois  une 
semaine  et  même  davantage  sans  manger  de  viande;  d'autres  ne 
peuvent  s'en  procurer  que  de  mauvaise  ^  »  Les  conditions  de  la  vie 
ont  déjà  notablement  empiré  lorsqu'on  1533,  les  États  bavarois 
ordonnent  aux  échevins  "  d'avoir  soin  que  les  gens  du  peuple 
mangent  tous  les  jours  de  la  viande,  fassent  plus  de  deux  repas  par 
jour,  et  que,  dans  les  auberges,  on  leur  serve  du  rôti  ou  du  bouilli  >'. 
A  cause  de  la  dureté  des  temps  et  de  la  pénurie  générale,  ils  pres- 
crivent à  l'ouvrier  de  s'abstenir  de  viande  au  moins  deux  ou  trois 
fois  par  semaine.  En  dehors  des  heures  ordinaires  de  repas,  "  les 
aubergistes  ne  lui  serviront  pas  de  viande  ni  de  mets  cuits,  mais  seu- 
lement du  fromage,  du  pain  ou  des  fruits*  ".  La  restriction  apportée 
à  la  consommation  de  la  viande  vers  le  milieu  du  seizième  siècle  fut 
l'un  des  signes  les  plus  évidents  de  la  triste  transformation  qui  s'opé- 
rait dans  l'économie  générale  du  pays.  Les  salaires  des  journaliers 
baissèrent  de  moilié  relativement  à  ce  qu'ils  étaient  entre  1450  et 
1500  ^  La  viande,  autrefois  nourriture  ordinaire  des  pauvres  gens, 
devint  de  plus  en  plus  l'aliment  de  luxe  des  riches". 

Au  quinzième  siècle,  la  condition  des  serviteurs  était  en  général 

'  Communiqué  par  V.  LÖffelholz,  Anzeiger  für  Kundi;  deutscher  Vorzeit,  t.  IV, 
p.  44,  115-116. 

ä  Galletti,  Gesch.  Thüringens,  t.  V,  p.  201-202.  —  Quel  que  fût  le  rang  des  per- 
sonnes invitées,  on  ne  devait  pas  servir  plus  de  six  plats;  le  soir,  cinq  plats  et 
pas  plus  de  deux  sortes  de  vin  et  de  bière  :  "  De  nos  jours  »,  rera.irque  Galletti 
avec  raison,  «  la  table  d'une  famille  noble  est  à  peine  aussi  bien  servie  que  celle 
des  ouvriers  d'autrefois.  »  Voy.  aussi  Sohmoller,  Fleischconsum,  p.  356. 

3  Page  21. 

•*  BüCHHOLTZ,  Ferdinand  der  Erste,   Urkundenband,  p.  41-42. 

*  ScHMOLLEu,  Fleischconsum.,  p.  355-361,  et  sur  les  conditions  de  vie  des  tra- 
vailleurs, Hildebrand,  Zeitschrift,  année  10,  vol.  2,  p.  300. 

*  On  peut  faire  des  observation,  analogues  eu  Italie  et  en  Angleterre.  Eu 
Italie,  au  quinzième  siècle,  la  situation  de  toutes  les  classes  ouvrières  était 
infiniment  meilleure  qu'elle  ne  l'est  maintenant  dans  les  pays  les  plus  floris- 
sants de  l'Europe.  Voy.  SiSMODI,  Hist.  des  républiques  italiennes,  ch.  xci.  Le  lord  ■ 


SALAIRES    ET    NOURRITURE    DES    DOMESTIQUES.  307 

tout  aussi  satisfaisante  que  celle  des  journaliers  et  travailleurs  ruraux. 
Au  château  de  Dolina  (Saxe),  tous  étaient  lo(}és  et  nourris;  le  valet 
d'écurie  recevait  par  an  neuf  florins;  Tànier,  sept  florins  quatre  gros; 
les  filles  de  basse-cour,  trois  florins  dix-huit  gros,  et  cela  à  une  époque 
où  un  bœuf  engraissé  coiffait  de  trois  à  quatre  florins.  A  Dresde, 
les  gages  d'une  cuisinière  logée  et  nourrie  étaient  de  sept  florins 
quatre  gros;  ceux  d'un  marmiton,  de  deux  florins  dix  gros;  ceux 
d'un  porcher,  de  quatre  florins.  Ce  dernier  gagnait  donc  le  prix  du 
plus  beau  bd'uf  ou  de  vingt  moutons'. 

A  Mosbach  (1483),  une  fille  de  basse-cour  gagnait  treize  florins 
trente-six  kreutzers  paran  ;  un  premier  valet,  vingt-trois  florins  trente- 
six  kreutzers,  et  de  plus  cinquante-quatre  kreutzers  pour  son  habil- 
lement, üans  les  environs  du  lac  de  Constance,  un  valet  de  charrue 
nourri  et  logé  recevait  par  an  dix-neuf  florins  trente  et  un  kreutzers, 
plus  "  la  chaussure,  quatre  aunes  de  drap  et  six  aunes  de  coutil  -  ». 

En  général,  la  nourriture  des  domestiques  était  la  même  que  celle 
des  journaliers,  avec  lesquels  ils  prenaient  ordinairement  leurs  repas. 
Des  notes  relevées  dans  les  livres  de  ménage  du  temps  prouvent  que 
partout  le  vin  était  abondamment  servi  sur  leurs  tables.  Dans  le  contrat 
de  location  d'un  valet  de  charrue  (1506)  il  est  expressément  notifié 
qu'on  lui  donnera  du  vin  «  de  bon  cœur  ",  mais  non  parce  qu'on  s'y 
regarde  comme  obligé.  Une  autre  fois,  il  est  dit  dans  le  contrat 
d'une  servante  "  qu'on  ne  s'eng;age  point  à  lui  donner  de  vin  ^  ".  Un 
règlement  dressé  pour  les  domestiques  de  Konigsbruck  porte  «  qu'on 
ne  donnera  ni  viande  ni  pain  au  serviteur  qui  ne  sera  pas  exact  à 
l'heure  du  souper*  )>.  D'après  une  ordonnance  concernant  les  jour- 
chancelier  Fortescue  dit  en  parlant  des  ouvriers  anglais  du  commencement  du 
quinzième  siècle  :  «  Ils  ont  une  nourriture  abondante,  mangent  de  la  viande, 
du  poisson,  et  sont  généralement  habillés  de  bons  vêtements  de  laine.  Leur  lit 
et  le  reste  des  étoffes  de  leur  ameublement  sont  en  laine,  ils  ont  un  nombreux 
mobilier.  En  Ustensiles  de  ménage  et  autres  instruments  nécessaires  à  leur 
travail,  ils  sont  très-bien  fournis.  Chacun  possède,  selon  la  mesure  de  son  état, 
toutes  les  choses  qui  rendent  la  vie  commode  et  agréable.  •  Sous  Henri  VIII, 
un  acte  du  P.uiemen'  désigne  comme  constituant  la  nourriture  des  classes 
pauvres  quatre  sortes  de  viande  :  bœuf,  porc,  mouton  et  veau.  Mais,  à  partir 
de  ce  moment,  les  travailleurs  anglais  sortent  de  l'âge  d'or  pour  entrer  dans 
l'âge  de  fer.  Les  lois  sur  les  pauvres,  sous  Elisabeth,  ne  sont  qu'un  trop  évi- 
dent témoignage  de  leur  triste  situation.  Enfin,  par  l'introduction  de  1  impôt  des 
pauvres,  le  paupérisme  est  officiellement  reconnu.  —  Voy.  IIallam,  Europe 
during  l/te  pcriod  of  the  Middlc  âges,  part.  2,  ch.  IX.  —  COBBETT,  Hislorij  of  ihe  Protes- 
tant Reform,  p.  471.  —  Makx,  Das  Capital  (2'  éd.),  p.  745,  751.  —  SchMOLLER, 
Fleischcoitsum. 

'  Falke,  Gcschichliche  Statistik,  p.  392.  —  A  Altenbourg,  en  1492,  un  bœuf 
engraissé  coulait  trois  florins.  Lobe,  p.  41.  —  Galletti,  t.  V,  p.  198.  —  Grimm, 
Rechtsalterthümer ,  p.  357. 

ä  MONE,  Zeitschr.,  t.  XIX,  p.  278,  393,  et  t.  VI,  p.  400. 

'  Mo\E,  Zeitschr.,  t.  I,  p.  192-193. 

*  MONE,  t.  I,  p.  186,  \V>  30. 

20. 


308  ECONOMIE    SOCIALE. 

naliers  d'Oppenheim  et  de  quatre  villages  environnants,  Touvrier 
n'a  droit  pendant  Tété  qu'à  une  mesure  de  vin;  en  hiver  et  au  prin- 
temps, «  il  doit  se  contenter  de  la  moitié  ou  des  deux  tiers  d'une 
mesure'  >.  A  Siegbourg,  le  vin  comptait  pour  l'homme  du  peuple 
parmi  les  premières  nécessités  de  la  vie^.  A  Ulm,  en  1425,  le  conseil 
de  la  ville  interdit  de  donner  du  vin  aux  journaliers  ^ 

Les  abaissements  de  salaire  imposés  aux  serviteurs  et  aux  pâtres 
par  les  ordonnances  légales  et  forçant  les  serviteurs  à  accepter  des 
conditions  d'existence  toujours  plus  désavantageuses,  datent  tous 
du  milieu  du  seizième  siècle,  ainsi  que  l'introduction  du  service 
domestique  forcé,  par  lequel  les  colons  se  virent  contraints  de  laisser 
leurs  enfants  servir  chez  les  seigneurs,  soit  gratuitement,  soit  en 
échange  d'un  gage  très-modique  \ 

En  résumé,  les  renseignements  recueillis  dans  les  diverses  contrées 
de  l'Allemagne  prouvent  que  le  salaire  du  travailleur  ou  du  serviteur 
rural  pouvait  suffire  non-seulement  à  son  propre  entretien,  mais 
encore,  s'il  était  marié,  aux  besoins  de  sa  famille,  c'est-ii-dire  de  la 
génération  grandissante  des  travailleurs  de  l'avenir.  Le  cultivateur 
ou  serviteur  laborieux  gagnait  au  delà  du  nécessaire,  et  jouissait  en 
outre  de  ce  superflu  qui  procure  l'indépendance  et  le  bien-être  \ 

»  MONE,  t.  I,  p.  194-197. 

-  "  Les  journaliers  ordinaires  avaient  tous  les  jours  cliez  le  maître  qui  les  em- 
ployait du  vinsur  leur  table.  La  quantité  devin  qu'un  homme  pouvait  alors  absor- 
ber est  extraordinaire.  »  Voy.  les  Annales  de  la  Société  historique  du  Bas-lihin  (Co- 
lof^ne,  1876),cah.30,p.  140.  A  propos  de  la  grande  consommation  de  viande  et  de  vin 
d'autrefois,  Henri  Müller  dit,  dans  les  Curieuse  A'achrkhten  (1550),  «  que  les  Allemands 
du  quinzième  siècle  ont  dû  à  cette  alimentation  leur  forte  structure  et  l'âge 
avancé  auquel  ils  parvenaient  ».  Les  renseisiiements  sur  le  même  sujet  fournis 
par  la  Chronique  de  Zimmer,  t.  I,  p.  448,  sont  aussi  dignes  de  remarque,  «  En  1483, 
et  même  auparavant,  la  nation  allemande  avait  des  hommes  si  vigoureux,  que 
les  gens  peu  instruits  de  maintenant  croiraient  fabuleux  les  renseignements 
que  nous  pourrions  donner  sur  ce  point.  »  Dans  un  acte  notarié  énuraérant  les 
localités  soumises  au  tribunal  de  Nassau  (I43I),  le  secrétaire  rapporte  que  les 
employés  ont  fait  comparaître  devant  eux  les  hommes  de  la  commune,  dont, 
plusieurs  avaient  cent  ans  et  au  delà.  Dans  une  déposition  de  témoins, l'un  d'euî 
accuse  cent  cinq  ans.  Arnoldi,  3^,  9. 

3  Jager,  Ulm,  p.  614. 

*  Voy.  COLLMANN,  Gesch.  Und  Statistik  des  Gesindewesens  in  Deutschland.  —  HiLDE- 
BKAND,  Jahrbuch,  t.  X,  p.  244.  —  Schmoller,  Fleischconsum. 

s  Par  conséquent  on  ne  connaissait  pas  encore  la  triste  nécessité  de  suppléer! 
au  trop  modique  salaire  de  la  classe  ouvrière  par  des  taxes  d'état  appliquées 
aux  pauvres. 


CHAPITRE  II 

VIE   ET   TRAVAUX   DES   ARTISANS. 

Vers  la  fin  du  quiiizième  siècle,  les  progrès  de  réconomie  furent 
encore  plus  sensibles  pour  l'industrie  que  pour  Tagriculture.  Le  tra- 
vail des  artisans,  dans  ses  diverses  branches  et  ses  différents  pro- 
duits, atteignit  alors  un  degré  de  perfection  que  le  seizième  siècle 
ne  connut  plus.  A  partir  du  seizième  siècle  en  effet,  l'industrie 
tomba  dans  un  dépérissement  qui  alla  toujours  en  s'aggravant. 

C'est  à  ce  même  génie  qui  sut  donner  la  vie  à  toute  l'organisation 
du  moyen  âge,  c'est  à  Charlemagne  qu'on  doit  l'impulsion  féconde 
imprimée  à  l'industrie  et  au  commerce,  impulsion  qui  se  fit  sentir 
durant  des  siècles.  Ses  soins  minutieux  et  attentifs  s'attachèrent  au 
développement  de  tous  les  métiers.  Il  releva  les  utiles  fabriques  que 
les  Romains  nous  avaient  léguées,  et  accrut  encore  cet  héritage  par 
des  établissements  nouveaux.  Dans  tout  domaine  impérial  un  peu  con- 
sidérable, ferrons,  orfèvres,  cordonniers,  tourneurs,  charrons,  char- 
pentiers, armuriers,  savonniers,  brasseurs,  boulangers,  aléniers  furent 
établis.  C'est  aux  ordonnances  administratives  du  grand  empereur 
qu'on  doit  l'introduction  des  mineurs  qui  exploitèrent  les  premiers 
les  mines  de  fer  et  de  plomb  de  la  Franconie  rhénane,  de  la  Souabe 
et  de  la  Thuringe.  Grâce  à  Charlemagne,  les  tanneurs,  les  fabricants 
de  drap  et  de  toile  se  multiplièrent;  les  teinturiers  et  les  foulons  com- 
mencèrent à  embellir  les  étoffes  tissées.  Comme  les  domaines  impé- 
riaux étaient  nombreux  dans  les  pays  allemands,  les  règlements  admi- 
nistratifs, à  l'exécution  desquels  l'Empereur  veillait  avec  une  grande 
sévérité,  couvrirent  en  peu  de  temps  ses  Étals  d'un  vaste  réseau  indus- 
triel. Pour  élever  ses  palais,  pour  construire  les  édifices  publics,  il  fit 
venir  de  tous  côtés  des  tailleurs  de  pierre  et  des  maçons,  donnant  ainsi 
naissance  sur  le  sol  allemand  à  l'art  de  la  construction  en  pierre.  Les 
architectes  étrangers  stimulèrent  le  zèle  de  ceux  du  pays  :  à  partir 
de  cette  époque,  on  rencontre  dans  les  cloitres  et  les  abbayes  un  grand 
nombre  de  fondeurs,  de  sculpteurs  et  de  peintres. 

De  même  que,  durant  de  longs  siècles,  les  moines  avaient  été  les 
premiers  maîtres  des  agriculteurs,  des  jardiniers,  des  vignerons,  on 
les  vit  aussi  favoriser  les  progrès    de  l'industrie.  Ils  élevèrent   le 


310  ECONOMli;    SOCIALf. 

métier  du  tailleur  de  pierre  à  la  hauteur  d'un  art.  Les  plus  grands 
"  entrepreneurs  de  maçonnerie  "  du  moyen  âge  sont,  à  proprement 
parler,  les  évoques,  et  «  Ton  pourrait  faire  de  la  truelle  l'un  de  leurs 
plus  glorieux  symboles  héraldiques  ". 

Dans  les  premiers  siècles  de  la  fondation  de  l'empire  allemand, 
un  grand  nombre  de  villes  romaines  furent  relevées  et  rebâties  sur 
les  deux  rives  du  Rhin,  en  Souabe  et  en  Bavière,  par  les  soins  des 
évêques.  C'est  ainsi  que,  plus  tard,  tous  les  sièges  épiscopaux  sans 
exception  devinrent  des  cités  et  que,  pendant  longtemps,  l'idée 
d'une  ville  resta  inséparable  de  celle  d'un  évêché.  Dès  qu'un  évêque 
prenait  possession  d'une  cité,  l'industrie  y  était  en  même  temps 
introduite ,  et  les  foires ,  les  marchés  qui  venaient  se  rattacher  aux 
fêtes  religieuses,  assuraient  aux  échanges  du  commerce  une  activité, 
une  extension  toujours  croissantes  '.  Les  résidences  royales  des 
temps  carolingiens  devinrent  aussi  le  point  de  départ  des  villes  que, 
plus  tard,  les  princes  élevèrent  dans  leur  voisinage.  Les  progrès 
les  plus  rapides,  le  plus  riche  épanouissement  du  commerce  et  de 
l'industrie  se  manifestèrent  dans  les  pays  du  Rhin  et  du  Danube, 
dans  les  villes  datant  de  l'époque  romaine,  qui  renfermaient  à  la 
fois  un  siège  épiscopal  et  un  palais;  Mayence,  Cologne  et  Ratisbonne 
brillèrent  au  premier  rang  dès  les  commencements  du  moyen  âge; 
vinrent  ensuite,  dans  l'Allemngne  du  Sud  :  Augsbourg,  Nuremberg 
et  Ulm,  et  dans  l'Allemagne  du  Nord  :  Brème,  Hambourg,  Lübeck 
et  Danzig.  L'activité  industrielle  était,  depuis  le  quatorzième  siècle, 
presque  exclusivement  concentrée  dans  les  villes,  et  restait  insépa- 
rablement associée  à  la  vie  communale. 

Toute  ville,  au  point  de  vue  des  relations  sociales,  formait  alors  une 
association  indépendante,  exclusive;  ses  membres,  reliés  entre  eux 
par  des  devoirs  et  des  services  réciproques,  constituaient  une  sorte  de 
grande  famille,  à  la  prospérité  de  laquelle  son  administration  ne 
devait  pas  veiller  avec  un  moindre  soin  que  le  père  de  famille  ne  veille 
à  tout  ce  qui  regarde  les  intérêts  de  ses  enfants.  Cette  sollicitude 
était  regardée  comme  le  devoir  le  plus  essentiel  de  l'autorité,  et 
n'avait  pas  seulement  trait  à  la  vie  morale,  mais  encore  à  la  vie 
matérielle.  "  En  vue  des  besoins  et  des  intérêts  de  tous  »,  eu  égard 
aux  conditions  d'existence  particulières  à  chaque  ville,  le  conseil 
surveillait  les  produits  du  travail,  le  partage  et  l'écoulement  des 
denrées,  réglait  le  prix  de  vente  et  inspectait  le  débit.  Pour  assurer 
à  chaque  habitant  dans  le  territoire  de  la  cité  les  choses  néces- 
saires à  la  nourriture,  à  l'habillement,  au  loyer,  on  s'arrangeait  de 

'  Voy.  Arnold,  Becht  und  ll'irthschafl  nach  geschichtl.  Ansicht,  p.  82-83. 


DROIT    AU    THAVAIL,    CORPORATIONS.  3lf 

manière  que  chaque  melier  y  fiU  exercé,  c(,  laat  qu'on  n'avail  pas 
obtenu  ce  résultaf,  on  alîirait  des  villes  étranjjères,  en  leur  {jaran- 
fissant  des  avantages  particuliers,  les  ouvriers  qui  faisaient  défaut. 
En  même  temps,  afin  que  les  artisans  fussent  assurés  de  pouvoir 
ga(;ner  leur  vie,  on  oblij^cait  les  citoyens  à  ne  faire  leurs  commandes 
et  leurs  achats  que  dans  la  ville.  Les  artisans  jouissaient  donc  du 
monopole  comme  d'un  droit  acquis,  el  la  vente  de  leurs  produits  leur 
était  garantie.  Ils  avaient  droit  au  travail;  le  travail  était  pour  eux 
une  propriété  stable  et,  comme  des  biens-fonds,  leur  assurait  des 
bénéfices  certains.  Aussi  leurs  privilèges  devaient-ils  être  respectés 
de  tous. 

Le  droit  au  travail  était  concédé  aux  artisans  «  de  par  Dieu  et  de 
par  Tauforité  ",  et  le  travail  était  considéré  comme  une  fonction 
que  Dieu  et  l'autorité  confiaient  à  l'artisan  dans  l'intérêt  général,  et 
pour  le  bien  de  tous. 

Les  magistrats  civils,  responsables  de  la  juste  distribution  du  tra- 
vail, donnaient,  pour  ainsi  dire,  l'investiture  aux  différents  groupes 
d'artisans,  et  ceux-ci  formaient  à  l'intérieur  de  la  commune  urbaine 
des  sociétés  particulières,  reliées  les  unes  aux  autres  et  pourtant 
indépendantes  '. 

Les  premières  en  date  comme  les  plus  considérées  de  ces  corpora- 

'  La  question  si  souvent  soulevée  de  l'origine  des  corporations  a  été  traitée 
à  fond  par  \V.  Stieda,  dans  le  Jahrh.  fur  Nationalökonomie  d'IllLDEBRAND, 
14«  année,  vol.  II.  p.  1-I63  léna,  1876).  Voy.  aussi  sur  le  même  sujet  ScrnioLî-rR, 
Strassburg  zui  Zeit  der  Zuii/tkiimp/e,  p.  4-12.  «  Dans  l'iiistoire  du  système  corporatif 
en  Allemagne,  nous  pouvons  suivre  jusqu'au  seizième  siècle  un  mouvement 
progressif  non  interrompu.  »  (P.  66.)  «  L'esprit  de  corporation  et  d'association, 
dit  V0\  Lancizolle  [Grwuhiige  der  Geschichte  des  deutschen  Städleieesen ,  p.  73), 
s'était  presque  universellement  répandu  et,  revêtant  mille  formes  et  expres- 
sions diverses,  était  parvenu,  comme  on  le  voit  encore  de  nos  jours  en 
Angleterre,  à  répondre  par  son  organisation  bien  entendue  à  toutes  les  exi- 
gences de  la  vie  sociale.  Il  se  fait  jour  dans  toutes  les  conditions,  pénètre 
dans  le  domaine  religieux  et  dans  les  intérêts  temporels,  et  partout  nous  le 
reirouvons  senibhible  à  lui-même,  bien  qu'appliqué  ù  des  objets  différents.  Le 
système  corporatif  ne  reposait  pas  sur  des  chiffres  sans  vie  ni  sur  des  con- 
venances de  lieux.  Son  point  de  départ  comme  son  aliment,  c'étaient  des 
relations  réelles,  vivantes,  des  vues  et  des  besoins  communs.  Le  système  féodal 
et  l'esprit  d'association  en  formaient  les  deux  principales  assises.  Sous  ces  deux 
aspects,  il  fonda,  au  moyen  Age,  une  vie  publique  pleine  d'activité  et  d'animation. 
Il  est  vrai  que  cette  vie  publique  n'était  pas  celle  que  rêvent  souvent  et  vou- 
draient voir  réalisée  nos  politiques  modernes,  vie  où  l'individu  ne  doit  pas 
être  considéré  comme  un  membre  vivant,  organique  et  indépendant  d  un  grand 
ensemble,  mais  comme  un  simple  chiffre,  un  pur  atome;  vie  où  ce  qu'on  a 
appelé  les  états  dans  l'État,  c'est-à-dire  de  vivants  organes  formant  en  se 
groupant  une  société  bien  régie,  sont  réputés  comme  incompatibles  avec 
l'idée  de  l'unité  nationale.  Non,  rien  de  tout  cela  au  moyen  âge,  et  pour- 
tant, l'unité  n'y  fait  point  défaut.  »  Lancizolle  constate  que  ce  fut  dans  les 
derniers  siècles  du  moyen  âge  que  le  système  d'association  produisit  ses  plus 
heureux  fruits.  »  L'histoire  des  quatorzième  et  quinzième  siècles,  écrit  Schön- 
berg  {Zur   tcirthscliafllichen  Bedeutung    des   Zunftwesen  im  Mittelalter,)    p.  51-52,    77, 


3)2  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

tions  paraissent  avoir  été  formées  presque  partout  par  les  tisserands 
de  toile  et  de  laine.  A  Ulm,  vers  la  fin  du  quinzième  siècle,  on 
comptait  tant  de  tisserands  de  toile  qu'en  une  seule  année,  deux 
cent  mille  pièces,  tant  de  toile  que  de  demi-toile,  furent  confec- 
tionnées '. 

A  Augsbourg,  en  1466,  dix-sept  cent  trente-quatre  tisserands 
étaient  employés,  et  le  nombre  en  augmentait  d'année  en  année  -.  Dans 
les  grandes  villes,  les  tisserands  de  toile  et  de  laine  formaient  ordinai- 
rement deux  corporations  distinctes.  Les  tisserands  de  laine  se  divi- 
saient encore  en  deux  catégories  :  les  uns  préparaient  la  fine  laine 
flamande  et  italienne,  les  autres  la  grosse  laine  du  pays.  Les  fabri- 
cants de  drap  se  divisaient  aussi  fréquemment,  vers  le  milieu  du 
seizième  siècle,  en  tondeurs  et  fabricants  proprement  dits.  A  Nurem- 
berg, les  tisserands  habitaient  un  quartier  spécial;  Va.  se  trouvaient 
les  logements  et  les  ateliers  servant  aux  différents  ouvriers  de  la 
profession  (tondeurs  de  laine,  peigneurs,  foulons,  rattacheurs,  éten- 
deurs,  etc.),  les  métiers,  les  magasins,  la  maison  de  corporation 
et  la  buvette.  "  Dans  beaucoup  de  villes  de  la  Westphalie  ",  écrivait 
Wimplieling,  "  le  métier  touche  au  métier;  il  est  difficile  d'évaluer 
les  centaines  de  mille  pièces  que  les  corporations  préparent  chaque 
mois.  Les  tisserands  sont  partout  aussi  laborieux  qu'habiles,  et  très- 
considérés  de  leurs  concitoyens  K  " 

témoigne  d'un  élan  industriel  et  d'un  état  de  bien-être  parmi  les  ouvriers 
que  nous  ne  trouvons  à  ce  degré  dans  aucune  autre  période  de  notre  histoire. 
Il  est  temps  que  le  voile  qui  recouvre  encore  le  véritable  état  de  l'éco- 
nomie à  cette  époque  soit  déchiré,  et  que  les  jugements  aussi  indignes 
qu'inexacts  qui  ont  été  portés  sur  les  ouvriers  allemands  du  moyen  âge  cessent 
de  se  produire.  En  vérité,  quant  à  ce  qui  concerne  la  dignité  du  travail  et 
ses  résultats,  quant  aux  devoirs  moraux  qui,  dans  l'économie  d'une  nation, 
incombent  à  ceux  qui  possèdent  davantage  et  qui  sont  mieux  partagés  sous  le 
rapport  des  dons  intellectuels,  les  prôneurs  du  temps  actuel  ont  beaucoup  à 
apprendre,  dans  leur  propre  intérêt  et  dans  celui  de  tous.  Ceux  qui  considè- 
rent l'égoïsme  de  l'individu  comme  le  puissant  levier  de  la  prospérité  d'un 
État,  ceux  qui  parlent  sans  cesse  de  la  vraie  naiurc  de  l'homme  historique  et  des 
expériences  de  la  vie,  pourront  précisément  apprendre  en  étudiant  l'organisa- 
tion corporative  du  moyen  âge  combien  peu  Vhomme  historique  justifie  de  si 
fausses  conclusions.  ->  »  si  aujourd'hui,  en  Allemagne  et  en  France, et  cela  presque 
simultanément,  l'idée  de  rétablir  les  associations  ouvrières  tend  à  se  produire 
sous  de  nouvelles  formes  (en  deux  pays  où  leur  développement  fut  si  peu 
semblable),  ce  fait  prouve  certainement  en  faveur  du  système  dont  nous  par- 
lons; et  si  dans  les  diverses  classes  de  la  société  les  intolérables  abus  du  libre 
échange  continuent  à  grandir,  on  ne  voit  pas  qu'il  puisse  être  apporté  d'autre 
remède  au  régime  oppressif  qui  nous  menace  que  le  retour  au  système  d'as- 
sociation. »  (Stieda,  p.  128.) 

'  Voy.  Hildebrand,  Jahrb.  für  Natiovalölonomie,  7«  année,  vol.  II,  p.  228-229.  — 
Sch:\IOLLER,  Slrasshurger  Tücher  und  ll'eberzun/t,  p.  519. 

-  Uerberger,  Augsburg  und  seine  friihere  Industrie.  A  Augsbourg,  on  comptait 
quatorze  teintureries  aux  abords  de  la  ville  et  davantage  encore  à  l'intérieur. 

SCHMOLLER,   p.    519. 

^  A  la  fin  du  manuscrit  :  De  arte  impressoria. 


EPANOUIS  SEMENT    DU    SYSTEME    CORPORATIT.  813 

En  même  temps  que  les  tisserands,  nousvoyons  paraître  les  teintu- 
riers :  (einluricrs  fie  noir,  flecoulcnr,  leinliiriers  (lep,uède.  La  grande 
culture  de  chardons  et  de  jjuède  d'Erriirl  alinienlail  les  fabriques  de 
drap  et  les  teintureries  de  la  ville.  Comme  le  cuir  et  la  fourrure  étaient 
beaucoup  plus  employés  qu'aujourd'liui  dans  les  babils,  les  corpo- 
rations des  tanneurs  et  des  pelletiers  étaient  florissantes.  Les  cor- 
donniers et  tailleurs  s'y  rattachaient,  et,  pour  la  confection  de  gants 
et  de  chausses  en  laine  et  en  cuir,  les  [gantiers  et  les  chaussetiers.  Les 
cordonniers  se  divisaient  en  dilférenles  catégories  :  maîtres  du  neuf, 
savetiers  et  pantoufliers.  Les  tailleurs  se  séparaient  aussi  quelquefois 
eu  tailleurs  de  vieux,  tailleurs  de  neuf. 

Les  bouchers,  pécheurs,  jardiniers,  tonneliers,  brasseurs,  encaveurs 
satisfaisaient  aux  besoins  de  ralimentation  publique.  Les  hôteliers 
formaient  quelquefois  une  association  spéciale  et,  dans  les  grandes 
villes,  se  divisaient  même  en  aubergistes  des  nobles,  aubergistes  des 
bourgeois  et  gargotiers  '. 

Le  travail  était  surtout  divisé  parmi  les  ouvriers  en  métaux. 
Les  maréchaux,  couteliers,  serruriers,  chaîniers,  cloutiers  for- 
maient des  corporations  séparées.  Les  armuriers  se  partageaient  en 
heaumiers,  écussonniers,  cuirassiers,  polisseurs  et  lormiers.  Quelque- 
fois une  catégorie  spéciale  d'ouvriers  s'attachait  à  la  fabrication  de 
chaque  pièce  séparée  d'une  armure,  ce  qui  explique  le  fini,  la  per- 
fecliou  que  nous  admirons  souvent  dans  le  plus  simple  équipement. 
Beaucoup  d'armures  conservées  jusqu'ici  sont  de  véritables  œuvres 
d'art. 

L'art  et  le  métier  étaient  si  étroitement  unis  dans  les  industries  si 
variées  des  orfèvres  d'or  et  d'argent,  des  chaudronniers,  des  ouvriers 
travaillant  la  pierre  et  le  bois,  que  leurs  produits  divers  intéressent 
autant  l'histoire  de  l'art  que  celle  de  l'industrie. 

Les  corporations  des  maçons  et  des  architectes  avaient  plus 
d'importance  que  toutes  les  autres,  et,  dans  l'Europe  entière,  les  Alle- 
mands passaient  pour  les  «  premiers  constructeurs  du  monde  ". 

«  Si  quelqu'un  veut  faire  exécuter  une  œuvre  d'art  en  airain, 
en  pierre  ou  en  bois  ',  écrivait  en  1484  Félix  Fabri  (d'Ulm),  «  il  la 
confie  aussitôt  à  un  Allemand.  J'ai  vu  faire  chez  les  Sarrasins,  par  les 
orfèvres,  joailUers,  tailleurs  de  pierre  et  carrossiers  allemands,  des 
choses  merveilleuses.  Ils  surpassent  les  Grecs  et  les  Italiens.  L'année 
passée,  le  sultan  d'Egypte  a  mis  à  profit  le  conseil,  l'habileté  artis- 
tique et  le  travail  intelligent  d'un  Allemand,  et  le  port  d'Alexandrie 
a  été  entouré  d'une  muraille  qui  fait  l'étonnement  de  tout  l'Orient.  " 
Fabri  vante  encore  une  autre  industrie  allemande.  "  L'Italie,  dit-il, 

'  Il  en  était  ainsi  à  Bâle,  Nuremberg  et  Ulm.  Voy.  M.vürer,  Stäihever/assuny, 
t.  II,  p.  469-470. 


31  i  ECONOMIE    SOCIALE. 

le  plus  célèbre  pays  de  la  terre,  n'a  de  pain  qui  ait  du  goût  et  qui 
soit  sain  et  agréable,  que  celui  qui  est  préparé  par  les  boulangers 
allemands.  Aussi  le  Pape  et  les  prélats,  les  rois,  les  princes,  les  grands 
seigneurs  mangent-ils  rarement  de  pain  qui  ne  soit  cuit  à  la  manière 
allemande.  Pour  la  préparation  des  biscuits,  aliment  de  première 
nécessité  dans  les  guerres  de  terre  et  de  mer,  les  Vénitiens  n'emploient 
dans  les  paneteries  de  l'État  que  des  boulangers  allemands,  dont  ils 
vendent  les  produits  en  Illj  rie,  en  Macédoine,  sur  les  bords  de  l'Hel- 
lespont,  en  Grèce,  en  Syrie,  en  Egypte,  en  Libye,  en  i\ïauri(anie,  en 
Espagne,  en  France,  jusque  dans  les  Orcades,  ainsi  que  dans  les  ports 
de  mer  anglais  et  allemands*.  " 

Les  corporations  devaient  obéissance  aux  autorités  communales. 
Elles  é(aient  obligées  de  leur  soumettre  leurs  statuts  et  ordon- 
nances. Lorsqu'il  survenait  quelque  querelle  entre  les  membres  d'une 
même  corporation,  ou  avec  ceux  de  corporations  différentes,  le  con- 
seil des  villes  remplissait  les  fonctions  d'un  tribunal  de  commerce; 
il  édictait  les  lois  commerciales  après  s'être  entendu  avec  les  syndics 
des  corps  de  métiers,  faisait  des  règlements  pour  les  marchés,  se 
chargeait  de  la  police  commerciale,  fixait  le  prix  des  diverses  mar- 
chandises, surveillait  les  produits  et  avait  soin  qu'il  ne  s'y  glissât  ni 
falsification  ni  fraude.  Jusqu'au  seizième  siècle,  on  peut  constater  le 
loyal  et  mutuel  effort  qui  sans  cesse  se  renouvelle  pour  maintenir 
l'équilibre  entre  le  pouvoir  des  autorités  et  celui  des  corporations, 
la  libre  administration  et  le  droit  de  contrôle,  la  liberté  corpora- 
tive et  l'unité  de  la  commune.  Dans  les  choses  qui  regardaient 
exclusivement  les  intérêts  du  corps  de  métier,  le  libre  gouverne- 
ment des  syndics  ne  connaissait,  pour  ainsi  dire,  nulle  entrave  ^  Les 
œuvres  d'art  les  plus  parfaites  de  l'architecture  et  de  la  sculpture  de 
cette  époque,  où  nous  admirons  un  principe  d'unité  maintenant  avec 
harmonie  et  puissance  l'idée  principale,  tout  en  permettant  l'indé- 
pendance et  la  variété  des  détails,  nous  semblent  le  vivant  symbole 
de  la  vie  industrielle  à  cette  époque  '. 

'  Voyez  Mascher,  p.  •263-26i.  —  Herbi-rger,  Augsburgs  Industrie,  p.  44.  L'Italien 
Paul  Jove  assure  que  ses  compatriotes  faisaient  venir  d'Allemagne  leurs  archi- 
tectes, peintres,  sculpteurs,  tailleurs  de  pierre,  graveurs  sur  cuivre,  mécani- 
ciens, géomètres  et  architectes  hydrauliques.  Voy  Fischer,  Gesch.  des  deutschen 
Handels,  t.  II,  p.  506.  "  Le  quinzième  siècle,  dit  Schmoller,  p.  497,  fut  une  période 
brillante  pour  l'art  allemand;  il  excitait  l'admiration  des  nations  voisines,  et 
sous  le  rapport  artistique,  nous  en  sommes  réduits  à  considérer  aujourd'hui 
cette  période  comme  un  paradis  perdu.  » 

-  Voy  Schönberg,  p.  13-23.  —  Maurer,  Stadieverfassung,  t.  Il,  p.  428-435.  — 
GiERKE,  t.  I,  p.  371-378.  —  Schmoller,  Strassburg  zur  Zeit  der  Zunßkämpfe,  p.  65-67. 
—  Meyer,  Slrassburger  Goldschmiedezunft,  p.  160. 

^  Voy.  Lancizolle,  p.  74. 


ORGANISATION    DES    CORE'S    DE    METIERS.  3J5 

Mais  le  grand  but  poursuivi  par  les  unions  corporatives,  ce 
n'était  point  d'obtenir  et  de  protéger  des  bénéfices.  Les  corpo- 
rations étaient  des  »  Iraternilés  »,  embrassant  tous  les  besoins, 
tous  les  rapports  sociaux.  Ceux  qui  en  faisaient  partie  devaient, 
comme  tant  d'ordonnances  corporatives  le  leur  prescrivent,  "  |)ra- 
tiqucr  les  uns  envers  les  autres  l'amour  et  la  fidélité  fraternelle  >•, 
et,  «  comme  membres  d'une  même  famille  »,  se  témoigner  réci- 
proquement affection  et  dévouement,  selon  les  capacités  de  cha- 
cun; ils  devaient  "  vivre  ensemble  paisiblement  et  amicalement, 
d'après  la  loi  chrétienne  de  la  charité  fraternelle  »,  et  cela  «  non- 
seulement  dans  le  cercle  de  leurs  rapports  mutuels  »,  mais  encore 
partout  et  toutes  les  fois  que  l'occasion  s'en  présentait*. 

«  Ce  que  se  proposent  surtout  les  unions  et  corporations  »,  lisons- 
nous  dans  le  pieux  traité  intitulé  :  Exhortation  chrétienne,  «  c'est 
d'organiser  toute  la  vie  laborieuse  d'après  la  discipline  et  la  charité 
chrétiennes,  et  de  sanctifier  le  travail.  Travaillons  pour  obéir  au 
commandement  de  Dieu,  et  non  uniquement  pour  le  gain;  sans  cela, 
notre  labeur  ne  serait  pas  béni  et  ferait  du  tort  à  notre  âme.  L'homme 
doit  travailler  pour  glorifier  Dieu  qui  a  ordonné  le  travail,  et  afin 
de  mériter  par  son  labeur  la  bénédiction  divine.  Or  cette  bénédic- 
tion git  dans  l'âme.  L'homme  travaille  encore  pour  se  procurer 
ce  qui  est  nécessaire  à  sa  vie,  à  celle  des  siens,  et  ce  qui  peut 
contribuer  à  le  réjouir  chrétiennement,  mais  il  doit  aussi  tra- 
vailler afin  de  pouvoir  partager  les  fruits  de  son  labeur  avec  les 
pauvres  et  les  malades.  Les  unions  et  associations  de  métiers  sont 
bonnes  lorsqu'elles  envisagent  ainsi  les  choses,  et  celui  qui  ne  les 
considère  pas  de  cette  manière,  ne  cherchant  qu'à  se  procurer  le 
gain  et  la  richesse,  agit  mal,  et  son  travail  est  de  l'usure.  Or  saint 
Augustin  a  dit  :  N'exerce  pas  l'usure  avec  le  travail  de  tes  mains,  car 
tu  perdrais  ton  âme,  et  ailleurs  :  On  ne  doit  pas  tolérer  les  usuriers; 
la  société  doit  les  rejeter  de  son  sein  comme  des  membres  inutiles  et 
dangereux  ^.  » 

Cette  manière  de  concevoir  le  travail,  de  l'envisager  comme  une 
sainte  action,  comme  le  compagnon  nécessaire  de  la  prière  et  le 
principe  de  toute  vie  chrétienne  bien  ordonnée,  cimenta  cette  union 
entre  la  religion  et  l'atelier  que  les  simples  et  pieux  artistes  de 
l'époque  cherchaient  à  symboliser,  lorsqu'ils  représentaient  les  saints 
portant  quelque  instrument  de  leur  métier  ou  bien  occupés  à  leur 
travail.  La  Mère  de  Dieu,  près  du  berceau  de  l'Enfant  Jésus,  tisse  ou 

'  Voy.  ces  passages  dans  Kriegk,  Zustände  Francfurts,  p.  360.  —  Maurer,  Städte- 
ver/assung,  t.  II,  p  412.  — VViLDA,  Gildwesen  im  Mitlelaller,  p.  335.  —  HiRSCH,  Das 
Handwerk  und  die  Zünfte  in  der  christlichen  Gesellschaft.  Berlin,  1854. 

*  P.  23». 


316  ECONOMIE    SOCIALE. 

file;  saint  Joseph  manie  la  scie  ou  la  liache.  "  Or,  puisque  les  saints 
ont  ainsi  travaillé  -,  à\\Y Exhortation  chrétienne,  -■  le  chrétien,  prenant 
exemple  sur  eux,  doit  comprendre  combien  le  travail  est  honorable, 
et  comment,  grâce  à  lui,  on  procure  la  gloire  de  Dieu,  on  accomplit 
sa  volonté  sainte  et  Ton  parvient  au  Paradis,  aidé  de  la  miséricorde 
divine  '.  " 

L'union  du  travail  et  de  la  religion  donnait  à  toutes  les  cor- 
porations un  caractère  pieux.  Toutes  avaient  leur  patron  spécial 
qui,  d'après  Thisloire  ou  la  légende,  avait  autrefois  exercé  la  même 
profession.  Elles  célébraient  la  fête  de  ce  saint  protecteur  par 
l'assistance  aux  offices  et  de  solennelles  processions,  et  levaient 
parmi  leurs  membres  des  contributions  destinées  à  soutenir  les 
œuvres  charitables  et  les  institutions  ecclésiastiques.  Beaucoup  étaient 
spécialement  attachées  à  une  église  particulière,  y  avaient  leurs 
ex-voto,  leur  autel,  assez  souvent  même  leur  chapelle.  Elles  étaient, 
en  quelque  sorte,  copropriétaires  clans  la  maison  de  Dieu,  s'y 
sentaient  chez  elles  et  y  occupaient  une  place  réservée.  A  des  épo- 
ques fixes,  elles  faisaient  dire  des  messes  pour  les  associés  vivants 
et  morts.  "  D'après  la  loi  chrétienne  ",  dit  un  règlement  de  la 
corporation  des  tailleurs  de  pierre  (1459),  "  tout  chrétien  est 
tenu  d'avoir  soin  de  son  âme;  mais  que  ne  doivent  pas  faire  les 
maîtres  et  compagnons  à  qui  le  Seigneur,  dans  sa  miséricorde,  a 
donné  le  talent  de  lui  bâtir  des  demeures  et  d'exécuter  tant  d'autres 
louables  ouvrages,  grâce  auxquels  ils  ont  pu  gagner  honorablement 
leur  vie?  S'ils  ont  un  cœur  vraiment  chrétien,  ne  doivent-ils  pas  être 
remplis  de  reconnaissance  et,  par  leur  zèle,  s'efforcer  de  mériter  le 
salut  de  leur  âme  en  accroissant  le  service  de  Dieu  -?  =;  La  fraternité 
des  confrères  devait  durer  jusqu'au  delà  de  la  mort  :  "  Celui  qui 
ne  veut  pas  donner  son  offrande,  lorsqu'il  s'agit  de  pourvoir  à 
l'enterrement  convenable  de  son  frère,  celui  qui  ne  songe  pas  dans 
la  prière  au  salut  de  son  compagnon,  est  infidèle  à  la  parole  qu'il  a 
donnée  en  entrant  dans  l'association  ^  » 

L'union  de  la  vie  laborieuse  avec  la  religion  reliait  entre  eux  les 
corps  de  métiers  par  un  lien  d'honneur,  donnait  au  travail  une  sorte 
de  consécration,  un  motif  de  consolation  profonde,  et  toute  cette 
gravité,  toute  cette  ferveur  avec  lesquelles  le  chrétien  convaincu 
s'efforce  de  traiter  ce  qui  lui  vient  directement  de  Dieu.  La  sanctifi- 
cation des  dimanches  et  fêtes  était  rigoureusement  imposée  dans 
presque  toutes  les  corporations.  L'ouvrier  qui,  ces  jours-là,  chaque 
samedi  après  les  sonneries  des  vêpres,  ou  la  veille  des  saints  jours 

I  ll'ijliegertlehi,  p.  9. 

*  .Iannep.,  Baulditten  des  deutsclien  Mitlelaltcrs,  p.  165-166. 

^  Ëijn  ciistlich  ermanung,  p.  23''. 


ORCANISATION    DES    CORPS    DE    MÉTIERS.  317 

que  rK[;Iise  ordonne  de  sanctifier  par  le  jeûne,  travaillait  ou  faisait 
travailler,  était  passible  d'une  amende'. 

L'union  des  corporations  avec  la  religion  avait  encore  un  autre 
but  :  le  soutien  mutuel  des  associés.  «  Comme  frères,  à  cause  de 
Jésus-Christ  et  de  ses  saints  -,  les  compagnons  d'une  même  corpo- 
ration devaient  s'entr'aider  dans  toutes  leurs  peines,  faire  de  chari- 
tables dons  à  leurs  frères  malades  ou  tombés  dans  la  misère,  pour- 
voir à  l'honorable  sépulture  de  ceux  qui  mouraient  dans  la  misère, 
et  s'intéresser  aux  veuves  et  aux  orphelins.  La  corporation  devait, 
outre  cela,  "  penser  fraternellement  "  aux  besoins  des  malheureux  eu. 
général.  Dans  les  statuts  d'une  confrérie  de  Kiel,  il  est  stipulé  que, 
(c  pendant  la  grand'messe  célébrée  en  l'honneur  du  patron  de  la  cor- 
poration, douze  indigents  seront  nourris,  et  douze  écoliers  indi- 
gents auront  droit  à  un  bon  morceau  de  bœuf  et  à  un  pain  de  seigle  " . 
Souvent  aussi  des  établissements  charitables  étaient  créés  par  les  cor- 
porations. L'hôpital  de  Saint-Job,  ou  hôpital  de  la  petite  vérole,  à 
Hambourg,  fut  fondé  par  l'association  des  pécheurs,  colporteurs  et 
crocheteurs  (150ô)-.  Dans  les  villes,  le  nombre  des  confréries  de  cha- 
rité établies  parles  ouvriers  était  souvent  très-considérable.  A  Lübeck, 
vers  la  fin  du  moyen  âge,  on  en  comptait  soixante-dix;  à  Cologne, 
quatre-vingt-dix  environ;  à  Hambourg,  plus  de  cent". 

En  dehors  de  cette  charité  effective,  les  obligations  religieuses  et 
morales  des  membres  des  corporations  avaient  encore  un  autre 
objet  :  les  associations  devaient  avoir  à  cœur  la  réputation  sans 
tache  de  leurs  membres;  tout  artisan  voulant  en  faire  partie  devait 
être  honorable,  issu  de  père  et  mère  légitimes,  car  tous  les  bien- 
faits et  honneurs  de  la  cité  étaient  réservés  au  mariage  '.  Sa  conduite 
devait  avoir  été  sans  forfaiture;  il  fallait  qu'il  fût  -  prud'homme, 
sans  nul  reproche  -,  que  sa  bonne  réputation  fiU  garantie  par  des 
attestations  dignes  de  foi,  ou  ;  par  un  certificat  scellé,  attestant 
qu'il  était  né  en  légitime  mariage  de  parents  chrétiens,  et  était  lui- 
même  chrétien  fidèle  ^  ».  La  paresse,  l'absence  de  la  maison  du 
maitre  pendant  la  nuit,  la  boisson,  le  jeu  et  la  débauche  étaient 
interdits  aux  compagnons  comme  aux  apprentis  et  sévèrement  punis  °. 

1  Kriegk,  Francfurter  Ziislibide,  p.  368-368.  —  Mauuer,  SUidlcrerfassung,  t.  II, 
p.  401-408.  —  MONE,  Zeitsclirifl,  p.  2-3.  —  BRENTANO,  .-Irheitergilden,  p.  Ô3.  — 
GlERKE,  t.  I,  p.  384-386. 

*  WiLDA,  p.  366-368. 

*  WiLDA,  p.  47  et  346.  —  GiERKE,  t.  I,  p.  238. 

*  Voy.  ce  qu'en  dit  Moser  dans  ses  Patriot.  Phantasien,  t.  II,  p.  165. 

5  Tiré  des  statuts  de  la  confrérie  des  orfèvres  de  Francfort.  Kriegk,  Francfurter 
Zustände,  p.  362. 

"  ScHÖXBERG,  p.  1 18-1 19.  Note  264.  —  Schanz,  Gesellenverhände  im  Mittelalter,  p.  3-6. 
—  IIiRSCU,  Dantziger  Handel,  p.  296.  —  Stockbacer,  Nürnbergs  Handwerhsrccht, 
p.  17-36. 


3!8  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

Ceux  qui  avaient  été  sous  le  coup  d'un  châtiment  déshonorant  étaient 
exclus  du  corps  de  métier. 

La  façon  dont  les  corporations,  en  tant  qu'associations  industrielles, 
concevaient  l'ensemble  de  la  vie  ouvrière,  se  reflète  dans  la  manière 
dont  elles  envisageaient  le  travail.  Elles  voyaient  en  lui  une  manifes- 
tation de  la  personnalité  et  voulaient  qu'il  fiU  irréprochable  comme 
l'ouvrier  lui-même,  témoignant  aux  yeux  de  tous  du  dévouement  de 
l'artisan  à  un  devoir  librement  choisi.  Les  ouvriers  se  préoccupaient 
surtout  de  mettre  en  relief,  par  leur  système  de  vie,  le  principe  de 
l'égalité  et  de  la  fraternité;  d'opposer  au  droit  de  posséder  le  droit 
de  l'individu,  ou,  en  d'autres  termes,  le  droit  du  travail  à  celui  du 
capital.  Pour  les  acheteurs  et  les  pratiques,  on  avait  grand  soin 
d'assurer  le  bon  marché  et  la  bonne  qualité  des  produits. 

Quant  à  ce  qui  concernait  exclusivement  les  associés,  la  corpora- 
tion partait  du  principe  que  le  droit  au  travail  était  la  propriété  du 
corps  de  métier,  et  appartenait  à  chacun  de  ses  membres  par  le  fait 
même  cju'il  en  faisait  partie,  et  non  en  vertu  d'un  droit  personnel. 
Tout  associé,  en  même  temps  qu'il  se  voyait  obligé  au  travail,  avait 
la  certitude  de  participer  au  bénéfice  de  ce  travail;  mais  chacun 
devait  payer  de  sa  personne.  Il  n'était  donc  jamais  question  dans  les 
corps  de  métiers  de  ces  entrepreneurs  uniquement  occupés  de 
spéculations  qui,  "  restant  eux-mêmes  oisifs,  vivent  des  sueurs  des 
autres  et  sont  pleins  d'orgueil  au  milieu  d'une  vie  de  plaisir'  >.  La 
corporation  n'était  composée  que  de  vrais  travailleurs.  Dès  qu'un  de 
ses  membres  tombait  malade,  elle  lui  donnait  un  suppléant  ;  les  veuves 
seules  avaient  le  droit  de  faire  continuer  le  métier  par  des  gérants. 

Mais  si  chacun  était  tenu  de  travailler,  tous,  en  revanche,  étaient 
en  possession  de  droits  certains;  le  plus  fort  ne  devait  pas  opprimer 
le  plus  faible,  et  des  prescriptions  minutieuses  veillaient  aux  intérêts 
de  chacun. 

Ce  n'était  pas  l'individu,  mais  l'association  qui  se  chargeait  de 
l'achat  de  la  matière  première.  Ou  bien  elle  était  achetée  par  des 
délégués  de  la  corporation,  qui  la  divisait  en  parts  égales  entre  les 
individus,  eu  égard  à  leurs  besoins  respectifs,  ou  bien  les  syndics 
précisaient  le  temps  et  le  lieu  d'achat,  et  tous  les  associés  étaient  libres 
d'acheter  la  même  marchandise  au  même  moment.  Si  l'un  des  associés 
trouvait  quelque  bonne  occasion  d'acheter,  il  était  tenu  de  la  faire 
connaître,  afin  que  chacun  pût  en  profiter.  S'il  achetait  en  gros, 
il  devait  céder  une  partie  de  son  lot  au  prix  coûtant  à  ses  frères,  car 
tous  devaient  avoir  "  les  mêmes  moyens  de  subsistance,  et  l'avantage 

'  Voy.  Eyn  crislliche  ermanung.  P.  24*. 


/ 

LES    C0,4îP0RATI0NS  :    ASSOCIATIONS    INDUSTRIELLES.      319 

du  pins  pauvre  devait  toujours éfre  sauvegarde  ».  Chaque  corporation 
foriiiov*  donc  une  sorte  de  sociéfé  pour  l'achat  des  matières  premières. 
Pour  égaliser  le  prix  de  revient  entre  tous  les  confrères,  l'asso- 
ciation fixait  les  salaires  des  compa^jnons,  et  surtout  ré(jlait  les  rap- 
ports entre  les  maîtres  et  leurs  aides.  Aucun  maifre  n'avait  le  droit 
d'embaucher  ou  de  détourner  les  ouvriers  d'un  de  ses  confrères;  il 
ne  pouvait  non  plus  prendre  chez  lui  le  compagnon  ou  l'apprenti 
renvoyé  par  sa  faute,  ou  ayant  failli  soit  à  l'honneur  de  la  profes- 
sion, soit  aux  bonnes  mœurs. 

Quant  à  la  somme  de  travail  que  chacun  devait  fournir,  fout  était 
réglé  d'après  le  principe  de  l'égalité  et  de  la  fraternité.  Le  maître 
ne  pouvait  avoir  qu'un  nombre  limité  d'apprentis  et  d'ouvriers;  il  ne 
devait  pas  exploiter  injustement  leurs  forces;  il  lui  était  interdit  de 
les  faire  travailler  la  nuit,  les  dimanches  et  jours  de  fête. 

Les  maîtres  avaient  tous  également  droit  aux  établissements  com- 
muns de  la  corporation;  par  exemple,  pour  les  tisserands,  au  four  à 
laine,  au  moulin  des  foulons,  à  la  maison  de  polissure,  à  la  teintu- 
rerie, aux  prairies  de  blanchissage  et  aux  magasins. 

Par  rapport  à  la  vente  des  produits,  tous  les  membres  de  la  corpo- 
ration étaient  égaux.  Le  prix  des  diverses  marchandises,  le  lieu,  le 
mode  et  le  moment  de  la  vente  étaient  fixés.  11  était  défendu  à 
l'individu  d'avoir  plus  d'une  boutique  ou  d'un  endroit  de  vente  à  la 
fois;  le  colportage  était  interdit.  Le  vendeur  devait  »  rester  assis 
dans  sa  boutique,  attendre  le  chaland,  mais  n'appeler  personne  ». 
Quelques  corporations  allaient  jusqu'à  défendre  à  un  compagnon 
d'accepter  la  commande  du  débiteur  d'un  confrère  ou  de  lui  accorder 
un  crédit  quelconque.  Les  meubles  et  immeubles  du  corps  de  métier 
appartenaient  à  tous  ses  membres  et  servaient  aux  besoins  et  usages 
de  tous.  Ce  capital  commun  permettait  non-seulement  de  soutenir 
les  malades,  les  pauvres  et  les  veuves,  mais  encore  de  faire  des 
avances  ou  des  prêts  à  ceux  qui  en  avaient  besoin.  Toute  corporation 
était  donc  une  société  de  prêts  et  de  crédit'. 

Les  intérêts  des  acheteurs  et  consommateurs  étaient  sauvegardés 
avec  le  même  soin  que  ceux  des  ouvriers  eux-mêmes,  et  les  efforts 
des  autorités  de  la  ville  et  des  corporations  s'unissaient  pour  servir  les 
intérêts  de  tous.  La  fonction  industrielle,  que  les  corporations  avaient 
prise  à  leur  charge,  devait,  d'après  leur  propre  manière  de  l'envi- 
sager, avoir  égard  le  plus  fidèlement  et  le  plus  consciencieusement 
possible  à  l'avantage  de  tous  et  à  l'honneur  du  corps  de  métier.  Aussi 
les  corporations  étaient-elles  attentives  â  ne  livrer  que  des  produits 
qui  se  recommandaient  à  tous  comme  ■  bous,  irréprochables,  non  défec- 

'  SCHÖNCERG,  p.  72-115,  122-124,  —  Gierke,  t.  I,  p.  390-396.  —  Stahl,  Das 
deutsche  Handwerk,  p.  355.  —  Schmoller,  Slrassburgcr  Tucher  und  llebersun/t,  p.  453. 


320  ECONOMIE    SOCIALE. 

tueux  ",ergarantissaientleurboimeqiialitéetsoiidi(e.  Afin  de  pouvoir 
les  établir  dans  les  meilleures  conditions  possibles,  elles  ne  se  lornaient 
pas  à  exifjer  en  général  de  leurs  compagnon^  un  travail  conscien- 
cieux :  elles  entraient  dans  des  détails  précis  sur  la  matière  à  emplover, 
la  façon,  la  forme  et  les  dimensions  de  tout  article  destiné  à  la  ve."  ■  '. 
Afin  d'éviter  que  rien  de  falsifié  ou  de  défectueux  ne  fût  livré,  -  pour 
que  le  riche  et  le  pauvre  soient  traités  également  ",  ^-  que  personne  ne 
fût  trompé  et  que  l'honneur  de  la  profession  ne  reçût  nulle  atteinte  ", 
les  chefs  de  corporation,  unis  le  plus  souvent  aux  délégués  de  l'auto- 
rité de  la  ville,  faisaient  des  "  tournées  régulières  »  dans  les  ateliers 
privés,  et  «  tout  ouvrage  mal  fait  ",  falsifié,  mal  conditionné,  était 
frappé  de  saisie  ou  même  détruit.  Dans  quelques  corporations,  toute 
marchandise  devait  être  inspectée  et  approuvée  avant  d'être  livrée  à 
la  pratique  ou  mise  en  vente.  Des  punitions  pécuniaires  ou  corpo- 
relles châtiaient  la  confection  et  la  vente  de  mauvais  produits,  la 
falsification,  la  fraude.  A  Danzig,  les  joailliers  devaient  payer  une 
amende  de  quatre  livres  de  cire  lorsqu'ils  avaient  livré  au  chaland 
quelque  faux  bijou;  chez  ceux  de  Lübeck,  on  brisait  dans  les  bou- 
tiques les  objets  "  n'offrant  pas  des  garanties  de  solidité  suffisantes  •>. 
A  Berlin,  les  tisserands  de  laine  et  les  drapiers  qui  avaient  mis  de 
fausses  marques  à  leurs  draps,  ou  en  avaient  vendu  de  mal  teints  en 
les  faisant  passer  pour  bonne  marchandise,  en  un  mot  ceux  qui 
s'étaient  rendus  coupables  d'une  falsification  quelconque,  perdaient 
le  droit  de  faire  partie  du  corps  de  métier,  et  leurs  effets  de  vente 
étaient  brûlés,  rais  en  pièces  ou  coupés  '. 

Les  denrées  alimentaires  étaient  particuhèrement  l'objet  d'une 
inspection  sévère,  ayant  également  pour  objet  la  qualité  et  le  prix. 
Pour  garantir  aux  gens  de  petites  ressources  des  prix  modérés,  les 
autorités  civiles  faisaient  assez  fréquemment  le  commerce  de  bestiaux; 
elles  se  chargeaient  aussi  de  la  vente  du  blé  dans  le  but  d'empêcher 
l'accaparement-.  Pour  la  surveillance  des  matières  premières  et  des 
produits  alimentaires,  des  inspections  de  farine,  pain,  viande,  pois- 
son, vin  et  bière  avaient  lieu  fréquemment  de  tous  cotés.  Le  froment, 
le  seigle,  l'avoine  et  l'orge  devaient  être  cuits  au  four  séparément  et 
former  diverses  sortes  de  pain.  A  Augsbourg,  les  autorités  prescri- 
vaient la  mise  en  vente  de  six  espèces  de  pain.  Le  prix  des  denrées 
alimentaires  était  établi  d'après  le  calcul  du  prix  de  revient  mis  en 
balance  avec  le  juste  salaire  dû  au  travaiP.  Les  prix  de  vente  fixés 


1  Voy.  Schönberg,  p.  43-63.  —  Meyeu,  p.  ICO.  —  Schmoller,  p.  455.  —  Mascher, 
p.  259.  —  Stieda,  p.  33-95.  Pour  plus  de  Jétails,  voy.  Wassermaxx.  Voy.  encore 
Stockbaler,  Ochexkowsky,  p.  77. 

-  Voy.  Maurer,  SliUltcver/assung,  t.  III,  p.  144-145, 

^  Pour  plus  de  détails,  voy.  Maurer,  t.  III,  p.  22-26- 


LES    COIU'ORATIONS    :    ASSOCIATIONS    INDUSTRIELLES.     321 

par  la  ville  et  les  corporalions  ne  pouvaient  être  dépassés  par 
les  vendeurs  isolés.  11  ne  leur  était  pas  non  plus  permis  de  faire 
baisser  les  prix  '.  Les  boulan^jers  peu  scrupuleux  qui  avaient  vendu 
de  mauvais  pain,  les  bouchers  qui  avaient  livré  de  mauvaise  viande 
ou  l'avaient  mise  en  vente  à  des  prix  plus  élevés  que  le  (aux  légal, 
subissaient  une  peine  sévère.  A  Vienne,  Ratisbonne  et  Zurich,  les 
boulangers  fraudeurs  subissaient  le  supplice  de  "  la  corbeille  ". 
Placés  dans  des  paniers,  ils  étaient  violemment  lancés  à  droite  et  à 
gauche  (in  die  Schnelle),  ou  mis  «  à  la  corde  >',  c'est-à-dire  placés  dans 
une  corbeille  attachée  à  une  longue  perche  et  plongés  ensuite  dans 
une  mare*.  A  propos  de  Tinspeclion  des  viandes,  nous  lisons  dans 
une  pièce  de  vers  composée  en  l'honneur  de  Nuremberg  : 

«  Voici  comment  se  passe  la  vente  de  la  boucherie  :  lorsqu'on  tue  une 
vache  ou  un  bœuf,  il  se  trouve  là  trois  ou  quatre  employés  chargés 
d'estimer  la  viande  très-exactement,  et  d'indiquer  à  quel  prix  il  faut  dé- 
biter chacfue  morceau  aux  chalands,  si  c'est  pour  deux,  trois  ou  quatre 
pfennigs.  Le  prix  fixé  et  la  qualité  de  la  viande  sont  ensuite  inscrits  sur 
une  planchette.  De  cette  manière  chacun  peut  se  rendre  compte  des  choses, 
et  les  gens  ne  passent  point  pour  imbéciles  en  achetant  de  la  viande  de 
vache  au  lieu  de  viande  de  bœuf  2.  > 

Les  veaux  trop  jeunes  étaient  refusés.  On  interdisait  aux  bouchers 
de  torturer  les  animaux.  A  Danzig  il  était  défendu  de  les  égorger; 
on  commençait  par  les  saigner,  puis  on  les  achevait,  selon  l'ancien 
usage*.  Le  vin  et  la  bière  étaient  soumis  dans  les  villes  à  une  inspec- 
tion sévère.  Le  vin  ordinaire,  les  vins  de  pharmacie  mélangés  de 
vaidasse,  de  soufre,  d'ormin,  d'œufs,  de  lait,  de  sel,  de  plâtre  ou 
d'autres  ingrédients  étrangers  étaient  saisis,  et  celui  qui  les  avait 
mis  en  vente  était  puni,  car  ainsi  que  le  dit  une  ordonnance  de 
Bâle  :  "  tout  vin  doit  rester  tel  que  Dieu  l'a  fait  croître  ».  La  vente 
du  vin  sous  une  fausse  étiquette  n'était  pas  moins  sévèrement  défen- 
due. C'est  à  la  stricte  surveillance  exercée  par  la  police  que  la  bière 
de  Bavière  doit  sa  réputation  européenne  ^ 

'  Voy.  GiEUKE,  t.  I,  p.  381. 

*  Mascht:i\,  p.  259.  —  Maurer,  t.  III,  p.  23.  — Hullmann,  Städiaceten,  t.  I,  p.  78; 
t.  TV,  p.  80. 

'  Falke,  Deutscher  Handel,  t.  I,  p.  270. 

*  IJiRSCH,  Dantziger  Handel,  p.  310-311. 

*  Maurer,  t.  III,  p.  24-25.  —  Rein  lard  von  Geilenkirchen,  membre  du  conseil, 
fut  mis  en  prison  pour  avoir  soufré  son  vin,  puis  exclu  du  conseil  et  déclaré 
indigne  de  faire  désormais  le  commerce  de  vin.  V'oy.  Ennen,  dans  le  Zciischriß 
für  deutsche  Kulturgeschichte  (,1874i,  p.  61,  et  Gesch.  Cölns,  t.  III,  p.  744-745.  —  KUNST- 
MANN,  p.  293-294.  Sur  la   falsification   des   denrées  alimentaires,  voy.   Brant, 

I  Narrenschiff,  §  102,  et  Geiler,  A'arrenschiff,  p.  198.  —  A  Nuremberg,  en  1456,  deux 
colporteurs  furent  brûlés  vifs  pour  avoir  vendu  du  vin  falsifié.  Voy.  Wasser- 
mann, p.  12-20,  qui  cite  encore  d'autres  exemples. 

21 


322  ECONOMIE    SOCIALE. 

Mais  rexposition  et  rexamen  des  produits  d'une  branche  quelcon- 
que d'industrie  n'eût  pas  été  possible  si  tous  ceux  qui  dans  la  ville 
exerçaient  la  même  profession  n'étaient  pas  entrés  dans  la  cor- 
poration de  leur  métier  et  ne  s'étaient  soumis  à  ses  règlements. 
Aussi  la  nécessité  de  1'  «  entrée  par  contrainte  "  s'était-elle  l'ait  sen- 
tir de  tous  côtés.  Les  corporations  étaient  donc  des  sociétés  obliga- 
toires jouissant  du  droit  et  de  la  protection  du  travail  de  par  l'assen- 
timent des  autorités.  Au  reste,  c'est  principalement  à  1'  «  entrée 
forcée  »  qu'on  est  redevable  de  l'épanouissement  de  l'industrie.  Cette 
mesure  ne  devint  préjudiciable  et  funeste  que  lorsqu'elle  dégénéra 
vers  le  milieu  du  seizième  siècle,  à  propos  de  l'adoption  de  nouveaux 
membres,  en  un  égoisme  étroit,  en  un  monopole  exclusif,  réservé  à 
un  certain  nombre  de  familles  de  maîtres  et  blessant  par  conséquent 
d'une  manière  révoltante  le  droit  naturel  au  travail  '. 


II 


A  l'époque  du  plus  riche  épanouissement  du  système  d'association, 
toute  corporation  formait  une  société  judiciaire  maintenant  elle- 
même,  au  dedans  et  au  dehors,  sa  propre  sécurité,  et  assurant  à 
tous  ses  membres  les  bénéfices  de  la  paix  et  de  la  justice.  Le  véritable 
organe  des  droits  de  l'association,  la  source  de  tout  pouvoir  résidait 
dans  l'assemblée  des  maîtres  autorisés  par  la  loi  à  entreprendre  une 
industrie  indépendante.  De  ces  maîtres  émanait  l'élection  du  conseil, 
du  syndic  et  de  ses  adjoints.  Le  conseil  était  l'autorité  responsable 
et  assermentée  de  la  société;  il  convoquait  les  assemblées  et  y  avait 
la  préséance.  Il  avait  aussi  le  droit  d'exercer  la  justice  de  paix^ 
gérait  les  revenus  et  faisait  rentrer  les  impôts  et  les  amendes.  De 
plus,  il  était  chargé  de  la  police  industrielle  et  du  maintien  des  cou- 
tumes et  usages,  soit  de  son  plein  chef,  soit  avec  la  participation  des 
membres  de  l'association  ou  de  leurs  délégués;  il  décidait  dans  les 
cas  douteux  et  lorsqu'il  s'agissait  de  punir,  car  toute  corporation 
avait  un  appareil  complet  de  justice  établi  de  l'assentiment  de  tous  ses 
membres;  et  ce  tribunal,  publiquement,  de  vive  voix  et  toujours 
gratuitement,  exerçait  son  autorité  soit  à  la  maison  commune,  soit 
dans  les  églises  et  cimetières,  souvent  aussi  à  ciel  libre.  Il  décidait 
sur  les  altercations  survenues  entre  les  confrères,  tant  maîtres  que 
compagnons,  et  punissait  les  délits  commis  contre  les  lois  et  règle- 

'  Voy.  FlLKE,  Geschichte  des  Deutschen  Handels,  t.  II,  p.  349-351.  —  ScHMOLLER, 
Slrasburger  Tucher-und  ll'eberzun/t,  p.  535.  —  Voy.  EndeMANN,  Nationalöhonomische 
Grundsätze  der  canonistischen  Lehre,  p.  170. 


UNION    DES    CORI'OHATIONS    D'UN    MÊME    PAYS.  323 

ments.  Les  punilions  imposées  consistaient  en  amendes  pécuniaires; 
(|uel(iucrois  on  expulsait  temporairement  ou  définitivement  le  cou- 
pable, qui  perdait  alors  le  droit  d'exercer  le  métier.  Les  délinquants 
pouvaient  presque  toujours  en  appeler  à  l'autorité  du  conseil  de  la 
ville;  mais  jamais  un  différend  professionnel  n'y  était  apporlé 
avant  d'avoir  été  préalablement  jugé  devant  le  tribunal  de  la  cor- 
poration. Les  syndics  présidaient  les  réunions  de  la  maison  commune. 
Lorsque  les  corporations  eurent  conquis  leur  place  dans  le  gouver- 
nement de  la  cité,  ils  représentèrent  les  corps  de  métiers  au  milieu  des 
magistrats  civils,  et  choisirent  parmi  leurs  associés  les  membres 
devant  faire  partie  du  conseil.  En  temps  de  guerre  ils  se  mettaient 
a  la  tète  de  la  corporation. 

Pour  favoriser  les  intérêts  généraux  des  ouvriers,  les  divers  corps 
de  métiers  d'une  même  ville  se  réunissaient  parfois,  et  formaient 
un  seul  corps,  plus  ou  moins  organisé.  Dans  le  même  but  des 
assemblées  réglementaires  unissaient  assez  fréquemment  toutes  les 
corporations  d'un  district  ou  d'un  pays.  Ces  réunions  et  d'autres 
analogues  avaient  surtout  lieu  entre  villes  ayant  l'une  avec  lautre 
des  rapports  de  voisinage  ou  de  fréquentes  relations  commerciales. 
Elles  variaient  beaucoup  de  forme  et  d'importance;  tantôt  on  y 
discutait  des  points  spéciaux,  tantôt  on  y  adoptait  une  méthode 
commune  de  traiter  et  de  discipliner  les  ouvriers.  C'est  ainsi  que 
'  les  frères  du  métier  de  tailleur  d'Héchingen  et  de  tout  le  comté 
de  HohenzoUern  >,  avec  le  consentement  du  comte  et  de  la  ville 
d'Héchingen,  «  pour  la  gloire  de  Dieu  et  l'intérêt  commun  »,  convo- 
quèrent tous  les  maîtres  tailleurs  du  pays  en  assemblée  générale.  Cette 
assemblée  décida  l'établissement  d'une  confrérie,  désigna  un  jour 
de  réunion  annuelle,  et  vota  une  certaine  somme  destinée  à  l'entretien 
d'un  cierge  dans  l'église  abbatiale  d'Héchingen  et  aussi  à  l'enterre- 
ment des  associés.  Elle  fit  aussi  des  règlements  précis  sur  les  œuvres 
de  maître,  le  salaire  des  apprentis,  la  durée  de  l'apprentissage,  le 
temps  du  voyage  obligatoire  des  compagnons,  les  diverses  façons 
du  travail,  les  heures  de  travail,  les  salaires,  les  cas  de  renvoi  et  la 
mise  en  pratique  de  l'entrée  par  contrainte.  Cette  assemblée  était 
donc  la  réunion  générale  d'un  corps  de  métier  pour  un  pays  tout 
entier'.  Ce  fait  est  intéressant,  parce  que  nous  y  apercevons  le  pre- 
mier germe  des  ordonnances  générales  de  commerce  établis  plus 
tard  dans  tout  l'Empire. 

De  même  que  le  clergé  formait  un  corps  séparé,  de  même  que 
toute  la  chevalerie  composait  une  caste  particulière  et  que  les  mar- 

^  GiERKE,  t.  I,  p.  406.  —  MONE,  Zeitschrift,  t.  XIII,  p.  313-317. 

21. 


324  ECONOMIE    SOCIALK. 

chands  «  du  Saint-Empire  romain  d'Allemagne  «  formaient  une 
société  distincte,  les  artisans,  eux  aussi,  étaient  fiers  de  leur 
association  puissante  qui  reliait  entre  elles  toutes  les  corporations 
industrielles.  Bien  que  leurs  staluts  ne  fussent  point  écrits,  une 
grande  similitude  de  vues  et  de  principes  finit  par  composer  une 
sorte  de  code,  un  ensemble  d'usages,  de  prescriptions,  presque  un 
droit  industriel  pour  tous  les  pays  de  l'Empire.  Grâce  aux  traditions 
solides  et  aux  règles  de  ce  droit,  tout  ouvrier,  lorsqu'il  arrivait  dans 
une  ville,  y  trouvait  protection  et  abri,  pourvu  qu'il  s'adressât  à  la 
corporation  de  son  métier.  S'il  s'acquittait  envers  elle  de  ses  obliga- 
tions, il  s'y  trouvait  de  prime  abord  chez  lui,  au  milieu  des  usages,  de 
la  discipline  et  des  règlements  qu'il  avait  toujours  été  habitué  à 
respecter.  Les  années  de  voyage  imposées  aux  ouvriers  au  début  de 
leur  carrière,  avaient  beaucoup  contribué  à  faire  peu  à  peu  adopter 
dans  toutes  les  cités  allemandes  les  mêmes  usages,  les  mêmes  règle- 
ments corporatifs,  la  même  organisation  intérieure'. 

Outre  les  membres  en  possession  de  tous  leurs  droits,  les  corpora- 
tions avaient  au  dehors  des  associés  placés  sous  sa  protection,  qui, 
sans  avoir  de  droits  positifs,  bénéficiaient  de  la  sécurité  et  de 
la  justice  assurées  à  tous  ceux  qui  en  faisaient  partie.  L'appui  de 
la  corporation  s'étendait  aussi  aux  femmes  et  aux  enfants  des  com- 
pagnons et  maîtres.  Les  enfants  prenaient  part  aux  services  reli- 
gieux, aux  plaisirs  pris  en  commun.  Devenus  grands,  ils  étaient 
appelés  de  préférence  à  d'autres  à  faire  partie  de  la  société.  La 
continuation  du  métier  par  les  veuves,  les  fils  et  beaux-fils  des 
défunts,  n'était  que  la  conséquence  toute  naturelle  de  l'intime  union 
qui  régnait  entre  tous  les  membres  de  la  compagnie.  La  femme  du 
maître  tenait  une  place  si  importante,  qu'à  elle  aussi  on  demandait 
d'être  digne  de  la  profession.  ^  Celui  d'entre  nous  qui  veut  prendre 
femme  ■■,  dit  un  règlement  corporatif  de  Lübeck  daté  de  1414, 
ic  doit  choisir  une  jeune  fille  de  bonne  réputation,  sans  reproche  et 
digne  de  notre  état.  »  «  La  femme  du  maître  ' ,  dit  un  autre  règle- 
ment (1459),  «  doit  être  de  naissance  légilime  et  d'origine  allemande. 
Si  elle  n'a  pas  ces  qualités,  le  maître  perdra  le  droit  de  faire  partie 
de  l'association.  "  On  constate  aussi  à  cette  époque  l'existence  de 
quelques  corporations  de  femmes,  dirigées  par  des  maîtresses  élues 
parmi  elles  '. 

A  l'origine,  apprentis  et  compagnons  étaient  vis-à-vis  du  maître 
dans  les  mêmes  rapports  que  les  membres  mêmes  de  la  ftimille. 
L'admission  d'un  apprenti  était,  vu  les  grandes  conséquences  qu'elle 

'  Voy.  GiERKE,  t.  I,  p.  407, 
*  GiERtE,  t.  I,  p.  401-402, 


LES    APPRENTIS.  325 

avait  pour  toute  la  vie,  un  acte  particulièrement  solennel.  Elle  avait 
souvent  lieu  à  l'hôtel  de  ville,  devant  les  autorités  municipales'. 
On  exposait  «  à  l'ouvrier  de  naissance  lé{jitime  >'  ses  devoirs  moraux 
et  profcssionnels.  On  lui  remettait  ensuite  une  lettre  d'apprentis- 
sage lui  donnant  droit  d'entrer  dans  la  famille  d'un  maître.  Le 
maître  avait  sur  l'apprenti,  pendant  tout  ce  temps  d'apprentissage, 
les  mêmes  titres  à  sou  obéissance  que  s'il  eiU  été  son  père;  il 
lui  ensei[;nait  son  état  d'après  les  règles  et  sous  la  surveillance  du 
corps  de  métier.  ^  Le  maître  qui  se  charge  d'un  apprenti  ■-,  disent 
les  règlements  du  temps,  -  doit  le  garder  jour  et  nuit  dans  sa 
maison,  lui  donner  son  pain,  sa  sollicitude,  et  le  tenir  enfermé 
avec  la  porte  et  le  gond  ^  »  Le  maître  veillait  à  ce  que  le  jeune 
ouvrier  fréquentât  l'église;  il  devait  le  maintenir  dans  la  crainte 
de  Dieu  et  l'amour  de  tout  ce  qui  est  bien,  le  traiter,  en  un  mot, 
comme  son  propre  fils.  Xous  lisons  dans  V Exhortation  chrétienne  : 
"  Nulle  profession  ne  peut  être  exercée  honorablement  que  si 
l'apprenti  est  instruit  de  bonne  heure  dans  la  crainte  de  Dieu.  Il  doit 
à  son  maître  la  même  soumission  qu'à  son  père;  matin  et  soir,  et 
aussi  pendant  le  travail,  il  doit  demander  à  Dieu  sa  protection  et 
son  secours,  car  il  ne  peut  rien  sans  Dieu  :  l'assistance  de  tous  les 
hommes  mis  ensemble  reste  stérile  sans  le  secours  de  Dieu  et  fait 
même  souvent  tort  à  l'âme,  parce  qu'elle  est  cause  qu'on  s'appuie 
sur  les  hommes;  et  les  hommes  sont  misérables,  et  la  mort  les 
emporte.  L'apprenti  doit  entendre  la  messe  et  le  sermon  les  dimanches 
et  jours  de  fête,  et  apprendre  à  aimer  la  lecture  de  bons  livres.  Pen- 
dant le  travail,  il  doit  être  diligent  et  ne  chercher  son  honneur  que 
dans  la  gloire  de  Dieu.  Il  faut  aussi  qu'il  ait  à  cœur  l'honneur  de  son 
maître  et  celui  de  sa  profession,  car  elle  est  sainte,  et  lui-même  sera 
peut-être  un  jour  maître  des  autres,  si  Dieu  le  veut  et  qu'il  soit  digne 
de  le  devenir.  »  <■•  O  les  gens  au  cœur  étroit  et  avare  que  ceux  qui 
n'apprennent  et  ne  veulent  travailler  que  pour  gagner  de  l'argent 
et  pour  obtenir  les  récompenses  et  les  honneurs  de  la  terre!  C'est 
fort  mal  fait.  Si  l'apprenti  pèche  contre  la  crainte  de  Dieu  et  l'obéis- 
.sance,  on  doit  le  punir  sévèrement;  cela  fera  du  bien  à  son  âme,  et 
le  corps  doit  souffrir  afin  que  l'âme  se  porte  mieux.  Le  maître  ne 
doit  pas  être  trop  faible  ni  trop  facile  envers  son  apprenti,  mais  il 
ne  faut  pas  non  plus  qu'il  soit  tyrannique  et  exigeant,  comme  cela 
arrive  souvent;  il  doit  le  protéger  contre  les  railleries,  les  tirements 
d'oreille,  les  tapes,  les  bourrades;  j'ai  vu  mon  propre  père  défendre 
ainsi  ses  apprentis  lorsqu'il  était  maître  de  l'honorable  profession  des 
cordonniers,  à  Colmar.  Que  Dieu  l'ait  en  sa  grâce!  ;>  "  Maître,  songe 

1  Brentano,  Arhcitergilden,  p.  51  et  271,  n"  190. 
*  Stahl,  Das  deutsche  Handwerk,  p.  206. 


326  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

à  tes  devoirs.  L'apprenti  t'est  confié  par  la  corporation  afin  que  tu 
veilles  aux  besoins  de  son  corps  aussi  bien  qu'à  ceux  de  son  âme, 
comme  les  règlements  le  prescrivent  et  comme  l'ordre  de  Dieu  le 
demande.  Tu  dois  être  équitable  envers  lui  et  le  traiter  comme  ton 
propre  enfant;  tu  n'es  pas  maitre  seulement  pour  gouverner  les 
autres  et  faire  des  œuvres  de  maitre,  mais  encore  pour  te  maîtriser 
toi-même  comme  tout  chrétien  le  doit,  et  comme  l'honneur  de  ta 
profession  l'exige.  Sache  que  pour  ta  femme,  tes  enfants,  tes  frères, 
tes  apprentis  et  tous  tes  domestiques,  tu  dois  être  maitre  en  bon 
exemple  '.  " 

Le  maitre  devait  entretenir  son  apprenti  «  convenablement,  suffi- 
samment ",  selon  les  nécessités  de  la  vie  matérielle.  Les  règlements  de 
beaucoup  de  corporations  lui  font  même  un  devoir  de  l'habiller. 
On  faisait  grande  attention  aux  vêtements  de  l'ouvrier  «  à  cause  de 
l'honneur  de  la  profession  ».  On  li(  dans  une  ordonnance  de  la  cor- 
poration des  charpentiers  (Strasbourg,  1478)  :  «  Outre  quatre  livres 
de  liards,  salaire  de  l'apprenti,  le  maitre  doit  encore  à  l'ouvrier  qu'il 
instruit  des  chausses  blanches  autant  qu'il  en  aura  besoin;  plus,  tous 
les  ans,  quatre  aunes  de  drap  gris  pour  se  faire  un  habit  et  quatre 
aunes  de  coutil  pour  sa  blouse.  Il  lui  donnera  encore  une  hache,  une 
cognée,  une  scie,  un  coin,  une  tenaille,  un  vilebrequin;  enfin,  toutes 
les  semaines,  il  lui  remettra  deux  liards  de  pourboire  ^  » 

Si  l'apprenti,  par  négligence,  exécutait  mal  quelque  travail,  le  maitre 
était  toujours  responsable.  On  répète,  dans  d'innombrables  règle- 
ments corporatifs,  les  avertissements  suivants  :  <  Le  maître  doit 
remplir  si  loyalement  ses  obligations  de  toutes  sortes  envers  l'ap- 
prenti, il  doit  être  si  fidèle  et  si  zélé  à  lui  montrer  son  état,  qu'il  puisse 
un  jour  répondre  de  sa  conduite  devant  Dieu.  11  doit  employer  le 
mieux  possible  l'argent  que  le  jeune  homme  lui  confie,  et  ne  rien  lui 
cacher  de  ce  qui  concerne  sa  profession,  afin  qu'après  avoir  terminé  son 
temps  d'apprentissage,  il  soit  en  état  de  gagner  toutes  les  semaines 
un  bon  salaire  chez  un  maître.  S'il  arrivait  qu'à  la  fin  de  l'appren- 
tissage *,  l'ouvrier  ne  sût  pas  bien  son  état,  et  cela  par  la  faute  du 
maître,  il  serait  confié  à  un  autre;  l'ancien  devrait  payer  tous  les 
frais;  de  plus,  une  amende  à  la  corporation.  >;  Pour  offrir  sous  ce 
rapport  des  garanties  au  jeune  artisan,  le  jour  de  son  admissian 
solennelle,  le  syndic  faisait  circuler  à  la  ronde  la  question  sui- 
vante :  «  A-t-on  quelque  chose  à  reprocher  au  maître  chez  lequel  cet 
apprenti  doit  entrer?  A-t-on  quelque  chose  à  reprendre  à  sa  manière 
d'enseigner  le  métier?  -i  S'il  arrivait  que  le  maitre  maltraitât  son 

'p.  21. 

^MONE,  Zeitschrift,  t.  XVI,  p.    159. 

*  Le  temps  d'apprentissage  durait  ordinairement  de  trois  à  cinq  ans. 


LES    APPRENTIS.  327 

appretili,  il  lui  devait  réparation;  il  ne  pouvait  le  renvoyer  que  pour 
cause  de  vol  ou  d'immoralité.  Pour  tout  autre  manquement,  il  devait 
d'abord  porter  plainte  devant  la  corporation.  Le  syndic  faisait  alors 
une  enquête,  puis  rendait  la  sentence.  Dans  une  ordonnance  corpo- 
rative de  Lübeck,  il  est  dit  qu'un  apprenti  ayant  volé  plus  de  six  pfen- 
ni{js  doit  être  renvoyé,  et  déclaré  pour  toujours  «  indigne  de  la 
profession  ».  Le  même  jugement  était  rendu  contre  lui  lorsque, 
sans  motif  réel,  il  avait  pris  la  fuite  à  plusieurs  reprises.  D'après  un 
règlement  fait  à  Lübeck  en  1508,  l'apprenti,  après  s'être  sauvé  une 
fois,  ne  pouvait  être  repris  par  le  maître  sans  l'assentiment  du 
conseil  de  la  corporation.  La  seconde  fois,  tout  le  corps  de  métier 
devait  décider  de  son  sort,  et  la  troisième,  il  fallait,  pour  le  gracier, 
obtenir  l'agrément  du  conseil  de  la  ville.  La  corporation  dédomma- 
geait le  maitre  du  tort  que  lui  avait  causé  la  fuite  d'un  apprenti  K 

Lorsque  le  temps  fixé  pour  la  durée  de  l'apprentissage  était  expiré, 
l'ouvrier  était  relevé  de  ses  engagements  et  admis  au  nombre  des 
compagnons;  on  rendait  cette  déclaration  aussi  solennelle  que  l'avait 
été  sa  première  admission  dans  la  société.  Elle  avait  lieu  en  pré- 
sence de  tout  le  corps  de  métier.  On  interrogeait  tour  à  tour  chaque 
maitre,  et  à  trois  reprises  différentes,  pour  s'assurer  qu'il  n'avait  rien 
à  reprocher  à  l'apprenti,  nulle  remarque  à  faire  sur  la  manière  dont 
il  avait  été  instruit;  d'autre  part,  on  demandait  au  jeune  ouvrier  si, 
pendant  l'apprentissage,  il  avait  vu  chez  son  maitre  quelque  chose 
de  contraire  aux  intérêts  du  métier.  S'il  en  était  ainsi,  il  devait 
immédiatement  le  déclarer  et  ensuite  promettre  de  se  taire  pour 
toujours.  Si  tous  les  suffrages  étaient  en  sa  faveur,  et  que  l'on  ne 
sût  rien  sur  lui  que  d'honorable,  le  syndic,  après  avoir  constaté  qu'il 
avait  bien  soutenu  son  épreuve,  en  vertu  du  pouvoir  placé  dans  la 
corporation,  en  son  propre  nom,  au  nom  de  la  Sainte  Trinité,  le  décla- 
rait reçu,  et  dès  cet  instant  il  prenait  rang  parmi  les  compagnons. 

Dans  les  premiers  temps  de  leur  admission,  les  compagnons  se  trou- 
vaient vis-à-vis  de  leurs  maîtres  et  de  la  corporation  dans  les  mêmes 
rapports  que  les  simples  apprentis;  ils  avaient  généralement  *  dans  la 
maison  du  maitre  non-seulement  la  nourriture  et  le  logement,  mais 
encore  le  feu,  la  lumière  et  le  blanchissage,  et  faisaient  bien  plus 
étroitement  partie  de  la  famille  que  s'ils  n'eussent  reçu  qu'un  simple 
salaire.  La  justice  de  paix  établie  dans  la  corporation  protégeait 
tous  leurs  droits  et  tranchait  les  différends  qui  s'élevaient  soit 
entre  eux,  soit  avec  le  maitre.  Leur  travail,  comme  leurs  mœurs, 
étaient  soumis,  '  de  par  la  volonté  de  l'association  »,  à  la  surveil- 

'  Stahl,  p.  208-220.  —  Wehrmann,  Die  ait.  Lübeckischen  ZunflroUen,  p.  248.  — 
GlERKE,  t.  I,  p.  403. 

*  Sur  les  exceptions  à  cette  règle,  voy.  Stahl,  p.  277. 


328  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

lance  du  maître,  qui  ne  pouvait  se  soustraire  à  ce  devoir  sous  peine 
d'amende.  Le  soir,  tout  compagnon  devait  être  rentré  à  la  maison  à 
une  heure  déterminée,  ordinairement  neuf  ou  dix  heures.  Aucun  ne 
pouvait  passer  la  nuit  dehors,  aucun  n'était  autorisé  à  ramener  à  la 
maison  le  compagnon  ou  l'apprenti  d'un  autre  maître,  et  encore 
moins  à  le  garder  la  nuit.  Le  jeu,  surtout  le  jeu  de  dés,  était  sévère- 
ment défendu;  bien  souvent  même,  celui  qui  avait  été  plus  d'une  fois 
à  l'auberge  dans  la  semaine,  était  puni.  Si  un  ouvrier  avait  été  ren- 
voyé par  son  maître  pour  cause  de  mauvaise  conduite  ou  ne  l'avait 
pas  quitté  de  "  bonne  amitié  »,  il  n'était  plus  reçu  chez  un  autre 
maître.  Son  habillement  devait  toujours  être  propre  et  convenable, 
<i  ainsi  que  le  demande  l'honneur  du  métier  ».  Comme  «  gens  libres  », 
les  compagnons  aussi  bien  que  leurs  maîtres  avaient  droit  de  porter 
des  épées  et  d'autres  armes,  et  les  danses  à  l'épée  que  les  compagnons 
cordonniers  de  Francfort-sur-le-Mein  et  les  compagnons  couteliers 
de  Nuremberg-  avaient  coutume  d'exécuter  pendant  le  carnaval 
prouvent  assez  que  les  ouvriers  étaient  habiles  à  manier  les  armes. 
A  Francfort-sur-le-Mein,  à  la  suite  de  rixes  qui  s'étaient  produites, 
le  conseil  de  la  ville  se  vit  obligé  de  rendre  une  ordonnance  portant 
que  dorénavant  aucun  maître  ni  serviteur  de  la  profession  de  cordon- 
nier ne  porterait  ni  épée,  ni  longs  couteaux,  ni  dagues  plus  longues 
que  celles  dont  la  mesure  était  indiquée  sur  le  Römer'  (1511).  Les 
compagnons  cordonniers  de  Leipzig,  offensés  par  quelques  membres 
de  l'Université,  appelèrent  au  combat  les  docteurs,  licenciés,  maîtres 
et  étudiants  de  la  Haute-École,  pour  soutenir  le  droit  qu'ils  avaient  de 
porter  des  armes  et  défendre  «  l'honneur  professionnel  ^  ». 

Cet  honneur  professionnel  trouvait  un  appui  spécial  dans  les  compa- 
gnonnages, qui,  malgré  les  obstacles  que  les  maîtres  s'efforcèrent  de 
leur  opposer,  prirent  un  grand  développement  pendant  le  quinzième 
siècle,  et  atteignirent  leur  apogée  vers  la  fin  de  ce  même  siècle. 
Ils  étaient  formés  sur  le  modèle  des  grandes  corporations  et  leur 
restaient  associés;  mais  ils  avaient  cependant  leurs  propres  «  rôles 
et  statuts  »,  choisissaient  leurs  syndics  et  leurs  employés,  et  se 
rendaient  à  eux-mêmes  justice  lorsqu'il  s'agissait  de  régler  leurs 
différents  particuliers.  Dans  certains  cas,  ils  tranchaient  même  les 
contestations  survenues  avec  les  maîtres.  Ils  prélevaient  des  contri- 
butions, imposaient  des  amendes  ^  administraient  les  revenus  com- 

'  Lersner,  Frnnlfurtar  Chronik,  t.  I,  p.  483. 

-  Voy.  Zarncke,  Deutsche  Universilälen  des  Millelallcrs,  t.  I,  p.  209-220.  —  On  a 
même  retrouvé  un  cartel  adressé  par  un  cuisinier,  son  marmiton  et  ses  filles 
de  cuisine  au  comte  Ott  de  Solms  (1477).  Loch.ner,  Das  deutsche  Miitclalier,  t.  II, 
p.  426. 

'  Voy.  ScHANz,  p.  73-74. 


POSITION    CONSIDÉRÉE    DES    OUVRIERS.  329 

muns  servant  à  soulenir  les  ouvriers  malades  ou  tombés  clans  la 
misère,  et  faisaient  des  avances  d'ar{çent  à  ceux  qui  en  avaient  besoin. 
Lorsque  la  justice  était  rendue  dans  les  compap,nonnafi[-es,  le  doyen 
avait  la  présidence  el,  en  sif>ue  de  sa  di(jnité  de  jiifye,  tenait  en  main 
leb;Uonde  compaji^non.  Mais,  selon  l'usajje  germanique,  il  devait  se 
borner  â  poser  la  (jucslion  juridique.  Les  compag^nons  rangés  en 
cercle  autour  de  lui  examinaient  tous  les  griefs  apportés,  puis  ren- 
daient la  sentence  et  la  faisaient  exécuter  par  les  plus  jeunes'. 
Comme  les  corporations  de  maîtres,  ces  associations  étaient  obliga- 
toires et  forcées.  Dans  tous  les  documents  qui  les  concernent,  il  est 
fait  mention  de  Tenlrée  par  contrainte.  Les  ouvriers  qui  ne  veulent 
pas  s'y  soumettre  sont  menacés  d'être  exclus  de  toute  union  de 
travail,  de  toute  vie  commune  *.  Les  assemblées  avaient  ordi- 
nairement lieu  tous  les  quinze  jours,  quelquefois  toutes  les  quatre 
semaines.  Elles  avaient  pour  objet  «  le  maintien  de  la  concorde  et  de 
la  paix,  et  les  collectes  nécessaires  à  l'entretien  de  la  maison  com- 
mune ". 

L'ouvrier  allemand  exerçant  sa  profession  dans  une  ville,  apparte- 
nait donc  à  une  société  libre  jouissant  d'une  constitution  organisée, 
lui  tenant  lieu  de  famille  et  de  patrie.  S'il  tombait  malade,  il  ne 
se  sentait  pas  délaissé  et  n'était  pas  abandonné  à  la  compassion 
publique;  il  était  soigné  dans  la  famille  du  maître  ou  aux  frais  de 
ses  confrères.  "  Si  notre  Seigneur  Dieu  permet  qu'un  bon  et  hono- 
rable compagnon  soit  visité  par  la  maladie  ',  dit  un  règlement  du 
temps,  «  on  devra  lui  prêter  sur  la  caisse  générale  de  quoi  payer 
les  soins  qui  lui  sont  nécessaires;  on  lui  demandera  seulement  de 
fournir  deux  cautions,  et  lorsqu'il  reviendra  à  la  santé,  il  remboursera 
la  caisse.  S'il  vient  à  mourir,  ou  se  dédommagera  par  la  vente  de 
ses  habits;  s'il  ne  laisse  pas  d'habits,  ses  amis  devront  payer  pour 
lui.  Si  ses  amis  ne  peuvent  payer  pour  lui,  le  bon  Dieu  acquittera  sa 
dette,  lui  qui  est  un  riche  Rémunérateur,  lui  qui  a  déjà  payé  pour 
tant  de  pauvres  gens  !  " 

Le  compagnon,  à  l'aide  de  signes  et  de  saints  convenus  dans  sa 
profession,  pouvait  voyager  librement  dans  tout  l'Empire;  franchis- 
sant les  frontières,  il  passait  en  France,  en  Italie,  en  Languedoc,  à 
Florence,  Lucques,  Pise,  partout,  en  un  mot,  où  des  corporations  alle- 
mandes étaient  établies  ^  Mais  s'il  voulait  être  •  loyal  •',  il  ne  devait 
accepter  de  l'ouvrage  que  chez  un  maître  de  sa  corporation.  Dès 
qu'il  arrivait,  il  était  sous  la  protection  du  corps  de  métier  dont  il 

I       '  Maurer,  Städtcver/assung,  t.  II,  p.  438. 

'  SCH.VNZ,  p.   73 
1       '  Voy.  Maurer,  t.  II,  p,  495-496. 


330  ECONOMIE    SOCIALE. 

faisait  partie,  et  pouvait  exercer  son  droit  professionnel.  Toute 
hôtellerie  de  corporation  devait  le  recevoir.  Dans  la  salle  de  cette 
liotelierie  étaient  inscrits  sur  une  planchette  les  noms  des  maîtres 
ayant  besoin  de  compagnons.  Lorsque  l'ouvrier  en  voyage  entre- 
prenait quelque  travail,  c'était  aux  mêmes  conditions  que  celles 
en  usage  pour  les  ouvriers  du  lieu;  s'il  ne  pouvait  trouver  de 
besogne,  il  s'en  allait  plus  loin,  muni  par  ses  confrères  d'un  peu 
d'argent  pour  ses  frais  de  coucher  et  de  nourriture,  et  d'un  <  pfennig 
de  voyage  »  destiné  à  subvenir  à  son  entretien  jusqu'à  la  prochaine 
ville  de  corporation. 

Le  compagnon  était  donc,  en  premier  lieu,  associé  à  la  famille  de 
son  maître,  avec  laquelle  il  partageait  ordinairement  la  table  et  le 
logement;  en  second  lieu,  étroitement  uni  à  ses  camarades  d'âge  et 
de  métier  dans  le  compagnonnage  dont  il  faisait  partie  et  qui  le 
défendait  et  l'appuyait  en  cas  de  besoin;  enfin  il  était  tout  particu- 
lièrement attaché  à  l'Église,  et  faisait  partie  d'une  confrérie  se 
rattachant  d'ordinaire  au  conpagnonnage,  mais  pouvant  aussi  rester 
indépendante.  L'origine  de  ces  pieuses  sociétés  ne  remonte  guère, 
en  général,  au  delà  de  1435.  La  confrérie  des  porteurs  de  drapeaux 
à  Francfort-sur-le-Mein  date  de  1440;  celle  des  cordonniers  et  des 
tailleurs,  de  1453;  celle  des  garçons  bouchers,  de  1455;  des  tisse- 
rands de  futaine,  de  1460;  des  arquebusiers  et  barbiers,  de  1471; 
des  jardiniers  et  faiseurs  de  palissades,  de  1482;  des  boursiers  et 
mégissiers,  de  1495;  des  boulangers,  de  1497;  des  maréchaux,  de 
1512;  des  maçons,  de  1518  ',  etc.,  etc.  Ces  confréries  formaient  pour 
la  plupart  des  associations  de  bienfaisance  venant  en  aide  à  tous  les 
genres  de  misères. 

La  considération  générale  dont  jouissaient  les  compagnons  s'affir- 
mait tout  particulièrement  dans  les  fêtes  établies  par  eux  et  qui  appar- 
tenaient aux  divertissements  favoris  du  peuple.  Les  compagnons  cor- 
donniers de  Nuremberg  organisaient  tous  les  ans  ce  qu'ils  appelaient 
la  procession  des  bains.  Un  jour,  pendant  le  carnaval,  ils  se  rassem- 
blaient dans  leur  hôtellerie,  et,  partant  de  là,  faisaient  une  procession 
solennelle  dans  la  ville,  revêtus  de  robes  de  bain  blanches,  et  portant 
le  chapeau  de  bain  sur  la  tête.  Précédés  de  trompettes  et  de  fifres, 
ils  se  rendaient  à  la  maison  de  bains  et  revenaient  ensuite  dans  leur  j 
hôtellerie,  où  ils  se  faisaient  servir  un  bon  régal.  Les  boulangers,  char-  ' 
pentiers,  pain  d'épiciers,  bouchers,  serruriers,  couteHers,  etc.,  exécu- 
taient à  certains  jours,  dans  le  costume  particulier  à  leur  corporation, 
des  processions  et  des  danses  solennelles.  Les  tonneliers  dansaient  la  , 
«  danse  du  cerceau  »  en  chausses  de  drap  rouge  avec  de  belles  che- 1 

'  Voy.  Kriegk,  Bürgerthiim,  p.  I8i-185.  Il  arrivait  souvent  que  le  conseil  défen- 1 
dît  la  fondation  d'une  nouvelle  confrérie. 


GREVES    DES    AüTISANS.  331 

mises  blanches  et  des  chapeaux  hongrois  verts,  garnis  de  rubans  sur 
\e  C(Ué.  A  Hambourg,  les  brasseurs  célébraient  tous  les  deux  ans  ce 
qu'ils  appelaient  la  «  Ilogue  »,  divertissement  qui  durait  huit  jours 
coiisécuMts  et  consistait  en  processions  publiques,  danses,  jeux  et 
repas  pris  en  commun.  Mais  la  i'èle  qui  nous  parait  avoir  offert  le  plus 
d'iniérèt,  c'est  la  procession  des  compagnons  boulangers  de  Fribourg 
en  lirisgau.  La  chapelle  de  leur  corporation  était  celle  de  l'hôpital  du 
Saint-Esprit;  ils  se  rassemblaient  le  premier  jour  de  l'an  dans  la  salle 
du  Conseil  de  l'hôpital,  puis  parcouraient  la  ville,  musique  et  ban- 
nières en  tête,  portant  solennellement  un  énorme  craquelin;  un  sapin, 
magnifiquement  orné  à  Noël,  était  secoué  pendant  la  procession  par 
le  doyen  des  compagnons,  au  bénéfice  des  pauvres  qui  avaient  droit 
d'en  ramasser  les  gâteaux  et  les  fruits.  On  faisait  ensuite  une  distri- 
bution de  vin,  et  la  journée  se  terminait  par  la  danse'.  Les  fêtes 
de  ce  genre,  alors  si  nombreuses,  donnaient  à  la  vie  du  moyen 
âge  un  caractère  particulièrement  joyeux  et  cordial,  et  fortifiaient 
dans  le  peuple  l'esprit  d'association.  Elles  donnaient  aux  classes 
ouvrières  l'occasion  de  se  produire  en  public,  éveillant  ainsi  dans 
les  individus  le  sentiment  de  la  dignité  personnelle.  Comme  toute 
la  population  y  prenait  part,  elles  rapprochaient  les  divers  états. 
Lorsque  les  confréries  et  les  fêtes  de  compagnons  furent  supprimées, 
ou  vit  péricliter  peu  à  peu  parmi  les  ouvriers  l'émulation  d'honneur, 
la  solidarité  d'autrefois  ^ 

La  lutte  de  dix  ans  que  les  compagnons  boulangers  de  Colmar 
soutinrent  contre  les  échevins  de  la  ville,  nous  fournira  la  preuve 
évidente  de  la  force  avec  laquelle  cet  esprit  de  solidarité  s'était  déve- 
loppé parmi  les  artisans  durant  le  quinzième  siècle.  Nous  y  étudierons 
aussi  les  liens  étroits  qui  rattachaient  l'une  à  l'autre  les  confréries 
d'un  même  métier  dans  des  pays  différents,  et  nous  verrons  comment 
ces  alliances  étaient  arrivées  à  constituer  de  vraies  ligues  offensives 
et  défensives. 

En  1495,  les  compagnons  boulangers  de  Colmar  abandonnent  leur 
travail  et  quittent  la  ville,  sous  prétexte  que  leur  corporation  «  dont  ils 
se  sentent  obligés  dedéfendre  les  droits,  les  traditions  et  privilèges  », 
a  été  offensée  par  les  membres  d'autres  corporations,  et  cela  par  la 
faute  de  l'autorité.  Entre  autres  griefs,  ils  se  plaignent  qu'on  les  a 
privés  de  leur  rang  accoutumé  dans  la  procession  du  Saint  Sacre- 


'  Voy.  Maurer,  t.  II,  p.  440-413.  —  Schreiber,  Geschichte  Freibwgs,  t.  IV, 
p.  271-278. 

*  Schanz  remarque  avec  justesse  qu'après  que  «  l'introduction  du  droit 
romain  eut  ôté  aux  villes  et  aux  corporations  le  droit  de  juridiction  et  les  eut 
ainsi  rendues  impuissantes,  elles  furent  entièrement  livrées  au  pouvoir  ambi- 
tieux des  princes  souverains  ». 


332  ECONOMIE    SOCIALE. 

meut;  ils  quittent  donc  Colmar,  et  le  conseil  de  la  ville  les  met  au 
ban,  pour  avoir  déserté  malgré  leur  serment  et  leur  devoir,  et  sans 
cause  légitime.  "  De  peur  qu'une  disette  ne  s'ensuive,  il  autorise 
tous  les  boulangers,  et  même  tous  ceux  qui  le  désirent,  à  apporter 
tous  les  jours  sur  le  marché  le  pain  blanc,  le  pain  bis,  le  pain  de 
gruau,  enfin  le  pain  de  toute  farine,  jusqu'à  ce  que  le  conseil  ait 
réussi  à  rétablir  les  choses  dans  leur  premier  état.  ■.^  Les  compa- 
gnons et  l'autorité  amènent  alors  leur  différend  devant  le  tribunal 
d'Oberbergheim,  qui  condamne  les  compagnons  à  payer  une  am.ende 
pour  avoir  quitté  Colmar  malgré  leur  serment  et  les  lois  de  la  cilé, 
non  par  la  porte  de  la  ville,  mais  en  secret.  La  ville,  de  son  côté, 
est  condamnée  aux  dépens  pour  avoir,  sans  enquête  préalable,  mis 
les  compagnons  au  ban.  Mais  ceux-ci  ne  se  tiennent  pas  pour  battus; 
ils  refusent  de  se  soumettre,  déclarent  que  la  sentence  ne  donne 
pas  réparation  suffisante  à  leur  honneur  et  en  appellent  à  la  cour 
souveraine  d'Ensisheim.  Lorsque,  en  1496,  le  premier  jugement  porté 
contre  eux  est  confirmé,  ils  se  tournent  vers  la  Haute  Cour  de  Jus- 
tice du  Saint-Empire  à  Francfort-sur-le-Mein.  Écrits,  contre-écrits 
sont  échangés;  et  l'abandon  du  travail  ne  dure  pas  moins  de  dix 
années,  pendant  lesquelles  les  irréconciliables  compagnons  sont  sou- 
tenus dans  leur  résistance  par  l'assentiment  et  les  secours  d'argent 
de  leurs  confrères  du  haut  Rhin.  Les  corporations  de  boulangers 
décident  à  l'unanimité  que  tout  compagnon  qui  entrera  chez  un 
maître  de  Colmar  sera  mis  au  ban.  En  vain  plusieurs  autres  villes 
veulent  intervenir,  tout  est  inutile,  et  la  situation  de  Colmar 
devient  intolérable.  Ce  ne  fut  qu'en  1505  qu'un  accommodement  put 
avoir  lieu.  Plusieurs  membres  du  conseil  de  Colmar,  et  plusieurs 
représentants  de  la  corporation  des  boulangers  appartenant  aux 
corps  de  métier  de  huit  villes  du  haut  Rhin,  comparurent  devant 
le  seigneur  de  Rappoltstein,  choisi  pour  arbitre  et  juge  en  dernier 
ressort.  La  sentence  décisive  fut  enfin  prononcée;  elle  portait  dans 
ses  points  essentiels  que  les  compagnons  boulangers  payeraient  à 
la  ville  une  amende  de  166  florins,  mais  qu'ensuite,  tout  ce  qui  avait 
eu  lieu  contre  eux  à  Colmar  serait  considéré  comme  nul,  anéanti  et 
non  avenu.  Il  fut  en  outre  décidé  que  la  corporation  conserverait  ses 
statuts,  constitutions  et  privilèges,  et  surtout  serait  rétablie  dans  le 
rang  qu'elle  avait  préalablementj  occupé  à  la  procession  du  Saint 
Sacrement.  La  victoire,  incontestablement,  resta  donc  aux  compa- 
gnons •. 

'  Voy.  les  Boulangers  de  Colmar  (1495-1513),  épisode  inédit  de  l'Histoire  des  coali- 
tions ouvrières  en  Alsace  au  moyen  âge  de  P.  Merklen,  par  X.  jMossmwn.  Colinai", 
1871,  n"  18-23.  Schanz,  dans  son  ouvrage  fait  avec  tant  de  soin,  p.  78-92,  cor- 
rige et  complète  l'histoire  de  cet  intéressant  incident. 


EXIGENCES    DES    AUTISANS.  333 

Un  autre  fait  intéressant  se  produisit  à  Nuremberg  en  1465. 
Les  maîtres  laillandiers ,  profilant  d'un  renchérissement  sur- 
venu dans  les  denrées  alimentaires,  voulurent  réduire  la  nourri- 
ture de  leurs  compagnons.  Ceux-ci  se  déclarèrent  mal  satisfaits, 
abandonnèrent  le  travail  et  quittèrent  la  ville.  Ils  se  rendirent  à 
VVunsiedel  et  à  Dinkelsbühl,  et  mirent  lous  les  maures  de  Nurem- 
berg au  ban.  Grâce  à  l'union  des  compagnonnages,  tout  ouvrier 
taillandier  en  faisant  partie  refusa  de  travailler  chez  un  maître  de 
Nuremberg.  A  la  suite  de  cet  incident,  la  profession  de  taillandier, 
l'une  des  plus  anciennes  et  des  plus  considérées  de  Nuremberg, 
périclita  de  telle  sorte  que  nous  ne  voyons  plus  aucun  de  ses 
membres  faire  partie  dans  la  suite  du  conseil  de  la  ville.  Un  cer- 
tain nombre  de  maîtres  allèrent  se  fixer  à  Amberg  et  à  Donauwerth; 
ceux  qui  restèrent  s'appauvrirent  de  plus  en  plus,  et  peu  à  peu  le 
métier  fut  totalement  abandonné  K 

De  tels  faits  n'étaient  pas  rares  et  avaient  généralement  pour  pré- 
texte un  mécontentement  à  propos  de  la  nourriture,  le  désir  d'obtenir 
un  salaire  plus  élevé  ou  de  voir  abrégées  les  heures  de  travail. 

Les  compagnons  tailleurs  se  montraient  fréquemment  les  plus 
remuants  et  les  plus  exigeants.  A  Wesel,  sur  le  Rhin  (1503),  ils  se 
révoltèrent  contre  leurs  maîtres  pendant  les  fêtes  de  la  Pentecôte 
sous  prétexte  de  nourriture  et  de  salaire  insuffisants,  et  soutinrent 
avec  eux  une  lutte  qui  alla  même  jusqu'aux  voies  de  fait.  Les  auto- 
rités de  la  ville  tentèrent  en  vain  d'amener  un  accommodement;  les 
compagnons  s'obstinaient,  soutenant  que  «  ceux  qui  travaillaient 
le  plus  devaient  aussi  gagner  le  plus  »;  ils  s'unirent  les  uns  aux 
autres  «  par  la  parole  et  le  serrement  de  mains  >',  et  tournèrent  le  dos 
à  la  ville;  '^  si  bien  que  les  habits  qui  avait  été  commandés  pour  la 
fête  restèrent  inachevés  ".  C'est  à  la  suite  de  cet  incident  que  le 
bourgmestre  déclara  devant  tout  le  corps  de  métier  rassemblé  que 
cette  expérience,  ajoutée  à  bien  d'autres,  le  fortifiait  dans  l'opinion 
«  que  les  compagnons  tailleurs  avaient  un  caractère  singulière- 
ment inquiet  et  étaient  enclins  plus  que  d'autres  aux  révoltes  et  au 
désordre  '.  «  Mais  les  maîtres  ont  aussi  grand  tort  ",  continue-t-il, 
"  car  ils  ue  donnent  pas  à  leurs  ouvriers  trois  bons  repas  par  jour, 
comme  les  compagnons  ont  le  droit  de  l'exiger;  de  plus,  ils  les 
accablent  d'ouvrage.  "  Le  bourgmestre  les  menace  d'une  puni- 
tion sévère,  s'ils  contraignent  encore  les  ouvriers  à  travailler  les 
dimanches  et  jours  de  fête,  ou  jusqu'à  l'heure  de  la  grand'messe, 
et  s'il  advient  qu'on  donne  des  coups  de  poing  ou  qu'on  tire  les 
cheveux   aux  apprentis  refusant  de  profaner  le  dimanche  ou  de 

'  Staul,  p.  281,  427. 


334  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

se  prêter  ce  jour- là  à  toutes  les  corvées  qu'on  leur  impose  '. 
A  Mayence,  les  compagnons  tailleurs  révoltés  abandonnent  le  tra- 
vail et  se  retirent  sur  la  montagne  de  Saint-rsicolas.  Leurs  maîtres 
les  excluent  de  la  corporation,  dressent  la  liste  des  déserteurs  et 
décident  que  ceux  qui  y  sont  inscrits  ne  seront  ni  reçus,  ni  logés, 
ni  admis  chez  aucun  d'entre  eux,  et  ne  pourront  rentrer  dans 
la  corporation  qu'après  s'être  excusés  devant  elle  "  et  avoir  promis 
de  s'amender  ».  Cette  décision  était  hardie,  car  les  tailleurs  de 
Mayence  étaient  en  alliance  réglée  avec  les  corporations  de  dix- 
neuf  villes  pour  la  défense  réciproque  de  leurs  droits  ^  En  1505, 
les  maîtres  tailleurs  de  vingt  et  une  villes  du  Rhin,  du  Mein  et  de  la 
Wetter  tiennent  à  Oppenheim  une  assemblée  générale  où  sont  dis- 
cutées des  questions  d'administration  et  la  conduite  à  tenir  envers 
les  ouvriers.  L'esprit  séditieux  de  ceux-ci  et  leurs  exigences  exagé- 
rées, quant  au  salaire,  deviennent,  disent-ils,  intolérables  :  -  Avant 
tout,  ce  grand  perturbateur,  Henri  Ruffs,  de  Worms,  qui  parcourt 
les  villes  et  excite  les  compagnons  contre  leurs  maîtres  ',  doit  être 
autant  que  possible  mis  hors  d'état  de  nuire;  il  est  important  de 
veiller  à  ce  que  les  corporations  n'abandonnent  plus  aux  compagnons 
la  libre  et  pleine  administration  de  leurs  caisses  communes,  car 
c'est  par  leur  secours  qu'ils  se  soutiennent  les  uns  les  autres  et 
s'encouragent  à  la  révolte.  Les  compagnons  n'ont  pas  le  droit 
d'exiger  le  soir  "  plus  d'un  plat  de  viande  ^,  et  l'on  n'est  pas  forcé 
de  leur  donner  du  rôti  plus  de  deux  fois  par  semaine.  Ils  ne  doivent 
pas  exiger  de  vin  le  soir,  et  en  tout  cas,  jamais  plus  <-  d'une  petite 
demi-cruche  .  On  peut  apprécier  quelles  étaient  en  effet  les  exi- 
gences des  compagnons  quant  au  salaire  et  à  la  nourriture,  en 
parcourant  les  documents  qui  nous  ont  été  conservés  sur  un  soulè- 
vement des  bateliers  du  Rhin  et  de  l'Amurg.  Outre  ';  un  florin  par 
jour  de  salaire,  les  compagnons  ",  comme  les  maîtres  s'en  plaignent  au 
margrave  de  Bade,  ^  ne  veulent  pas  se  contenter  à  leurs  repas  d'une 
soupe,  d'un  bon  légume,  d'une  portion  convenable  de  viande,  de  pain 
et  de  fromage;  ils  réclament  encore  un  premier  plat  et  du  rôti  ». 
'  Cela  nous  semble  vraiment  déraisonnable  -,  disent  les  maîtres;  -  nous 
ne  pouvons  suffire  à  nourrir  nos  ouvriers  d'une  façon  si  coûteuse  ^  >• 
Du  reste,  la  plupart  des  différends  entre  compagnons  et  maîtres 

'Butzbach,  IVatiderbüehlein^Tp.  120-123. 

-  Brentano,  Arbeitergilden,  p.  56.  —  Janner,  Bauhütten,  p.  43-53. 

s  Voy.  MONE,  Zeitschrift,  t.  XIII,  p.  155,  306,  et  t.  IX,  p.  159;  t.  XVIII,  p.  12.  — 
GiERKE,  t.  I,  p.  40G.  —  Stahl,  p.  413-416.  <■  Trois  ou  quatre  plats  composaient,  au 
dire  des  artisans,  des  <  repas  ordinaires  - .  Le  commun  du  peuple,  dit  Jean  Butz- 
bach dans  son  Petit  Livret  de  voyage,  a  rarement  à  ses  repas,  dîner  ou  souper, 
moins  de  quatre  plats.  Outre  cela,  l'été,  des  pâtes  frites  avec  des  œufs  au  beurre 
et  du  fromage.  Entre  le  diner  et  le  souper,  ils  goûtent  arec  du  fromage,  du  pain 
et  du  lait.  » 


BIEN-ÊTRE    DES    ARTISAN».  335 

étaient  promptemcat  accommodés,  grâce  à  la  bonne  organisa- 
tion des  uns  et  des  autres,  et  grâce  aux  arbitres  dignes  de  toute 
confiance  choisis  pour  les  trancher.  Souvent  aussi  les  autorités 
intervenaient  avec  succès;  ainsi,  par  exemple,  lorsqu'en  1469  les 
compagnons  cordonniers  d' Emmerich  abandonnèrent  le  travail,  le 
conseil  de  la  ville  s'efforça  de  mettre  d'accord  les  ouvriers  et  les 
maîtres.  Après  «  de  longs  pourparlers,  la  paix  fut  rétablie  par  contrat 
réciproque,  et  les  deux  parties,  pour  sceller  la  réconciliation,  burent 
et  se  réjouirent  ensemble;  depuis  elles  vécurent  dans  la  même  union 
qu'auparavant  ".  A  Geroldshoffen,  en  1479,  des  querelles  et  des 
séditions  éclatèrent  dans  la  corporation  des  cordonniers,  et  les  com- 
pagnons résolurent  de  ne  plus  travailler  pour  leurs  maîtres.  Les 
baillis  princiers  et  le  conseil  de  la  ville  parvinrent  à  apaiser  leur 
querelle;  après  quoi,  il  fut  décidé  pour  l'avenir,  comme  le  porte  le 
jugement,  que  quand  un  compagnon  cordonnier  ne  s'entendrait 
pas  avec  son  maître,  il  porterait  plainte  devant  le  bourgmestre  et 
arrangerait  avec  lui  le  différend.  Désormais,  il  lui  était  interdit  d'avoir 
jamais  l'audace  d'exciter  ses  camarades  à  abandonner  la  besogne  et 
à  quitter  l'atelier  au  mépris  de  son  maître  '. 

Sur  le  salaire  des  ouvriers,  prétexte  ordinaire  des  querelles 
et  des  révoltes,  nous  n'avons  de  renseignements  exacts  que  pour 
quelques  professions;  mais  rapprochés  les  uns  des  autres,  ces  ren- 
seignements conduisent  à  la  certitude  que  la  situation  matérielle  des 
artisans  était  encore  meilleure  que  celle  des  cultivateurs.  A  Kloster- 
ncubourg,  entre  1485  et  1509,  à  une  époque  où  la  livre  de  bœuf 
coiUait  généralement  deux  deniers,  le  salaire  quotidien  d'un  maçon 
ou  d'un  charpentier  était  de  vingt  deniers  l'été  et  de  seize  l'hiver, 
de  sorte  qu'il  gagnait  journellement  la  valeur  de  huit  ou  dix  livres 
de  bœuf.  En  Saxe,  à  la  même  date,  un  maçon  ou  un  charpentier 
recevait  par  jour  environ  deux  gros  quatre  pfennigs,  c'est-à-dire 
plus  du  tiers  de  ce  que  valait  alors  le  boisseau  de  blé.  A  Meissen 
(Saxe),  l'ouvrier  maçon,  outre  ce  salaire,  avait  encore  droit,  chaque 
jour,  à  deux  cruches  de  cornet  -  et  à  trois  gros  pour  son  argent  de 
bain.  En  six  jours,  en  ne  comptant  que  son  salaire  quotidien,  il 
pouvait  acheter  trois  moutons  et  une  paire  de  souliers  ^ 

'  Archiv,  des  Hislor.  Vereins  fur  den  Untermainlcreiss  (Wurzburg,  1835,  tonie  III, 
P-  162).  Aebi,  Buchdrûkerein  in  Beromiinster,  p.  13. 

-  Sorte  de  boisson  fermentée. 

'  Voy.  Falke,  Geschichil.  Statistik,  t.  I,  p.  373-393,  et  t.  II,  p.  66-67.  —  Mon'e, 
Zciischrifi,  t.  VI,  p.  400.  —  J.  I).  Blavignac  dit  dans  son  travail  intitulé  :  Comptes 
et  dépenses  de  la  construction  du  clocher  de  Saint- Xicolas  à  Fribourg  en  Suisse  (Paris,  1858)  : 
•  H  résulte  des  documents  dont  nous  présentons  l'analyse  que  le  travail  des 
ouvriers  était  bien  plus  avantageusement  rétribué  au  moyen  âge  que  de  nos 
jours,  comme  on  peut  s'en  convaincre  par  nos  indications.  »  Sur  les  salaires 
d'ouvriers  à  Bâle,  Cologne  et  Ratisbonne,  voy.  JA^^ER,  Bauhütten,  p.  172-174. 


336  ECONOMIE    SOCIALE. 

Les  offrandes  généreuses  faites  par  les  ouvriers  aux  œuvres  de 
bienfaisance  ou  aux  églises  ne  peuvent  d'ailleurs  s'expliquer  que  par 
le  grand  bien-être  dont  ils  jouissaient.  Les  compagnons  boulangers 
de  Colmar  donnent  en  1495,  pour  la  procession  du  Saint  Sacrement, 
quatre  cierges  valant  chacun  vingt  florins  (d'après  la  valeur  actuelle 
de  l'argent,  environ  deux  cents  florins  ').  A  Xanten,  sur  le  Rhin,  les 
seize  compagnons  cordonniers  de  la  ville  offrent  pour  l'achat  d'un 
tableau  et  la  décoration  d'un  autel  cinquante-sept  florins;  de  plus, 
douze  florins  tirés  de  leur  caisse  particulière*.  A  Danzig,  en  1408, 
les  porteurs  de  charbon,  de  blé  et  de  bière  offrent  deux  cents  marcs 
pour  la  construction  de  l'église  Sainte-Marie,  et  font  en  outre  ter- 
miner une  verrière  à  leurs  fraisa 

L'aisance  dont  jouissaient  les  ouvriers  exphque  seule  les  ordon- 
nances si  souvent  réitérées  qui  restreignent  le  luxe  d'habillement 
par  lequel  ils  cherchaient  à  s'égaler  à  la  plus  haute  bourgeoisie.  Aux 
diètes  de  Fribourg  et  d'Augsbourg  (1498  et  1500),  il  leur  est  interdit, 
pour  leurs  chausses  et  capuches,  d'employer  du  drap  coûtant  plus 
de  trois  quarts  de  florin  l'aune;  il  leur  est  aussi  enjoint  de  se  servir, 
pour  leurs  habits  et  manteaux,  de  drap  du  pays,  «  dont  l'aune  ne  doit 
pas  coûter  plus  d'un  demi-florin  ■ .  L'or,  l'argent,  le  velours,  la  soie, 
les  perles,  le  camelot,  les  robes  déchiquetées  leur  sont  défendus*. 

«  Sache,  compagnon  ouvrier  ;,  àitV  Exhortation  chrétienne,  «  qu'une 
dépense  exagérée  pour  tes  habits,  l'or,  l'argent  et  tous  ces  autres 
objets  de  luxe  ne  te  conviennent  nullement.  Ne  dis  pas  :  Je  gagne  un 
bon  salaire,  je  peux  bien  me  permettre  cette  dépense;  car  ton  âme 
ne  peut  pas  se  la  permettre,  et  cette  prodigalité  est  contraire  à  la 
modération  chrétienne  qui  convient  à  ta  profession.  Il  est  juste  que 
tu  reçoives  un  bon  salaire;  tu  dois  être  bien  nourri;  tu  peux,  si  tu 
le  veux,  avoir  trois,  quatre  habillements,  plus  encore  si  ton  gain 
se  rapporte  à  cette  dépense,  et  alors  il  te  sera  honorable  de  les  por- 
ter; mais  souviens-toi  que  la  prodigalité  te  dérobe  ton  âme;  elle 
est  très-nuisible  aussi  à  ton  corps,  car  elle  engendre  des  vices  de 
toutes  sortes.  Que  ton  cœur  reste  courageux  et  pur,  ton  corps 
vigoureux  et  sain!  Pour  cela,  use,  dans  tes  moments  de  loisir,  des 
récréations  qui  te  sont  permises,  comme  les  exercices  du  corps,  le 
jeu  de  flèches,  d'arbalètes,  le  bain,  ou  tout  autre  délassement  ^  » 

1    SCHANZ,   p.  80. 

-  Pelz,  p.  27. 

'  Voy.  Hirsch,  Danlziger  Handel,  p,  219,  note  905. 
*  A'eue  Sammlung  der  Reisshsabschiedc,  t.  II,  p.  47,  79. 
'  Page  19». 


POSITION    CONSIDÉRÉE    DES    OUVRIERS.  337 


m 


«  Une  sollicitude  particulièrement  attentive  aux  besoins  des  classes 
laborieuses,  pour  la  propreté  et  la  bonne  tenue  des  artisans,  des 
serviteurs,  des  pauvres,  a  établi  des  bains  dans  les  villes  et  les  vil- 
lag^es  ',  poursuit  le  livre  déjà  cité,  «  et  c'est  une  habitude  très-louable, 
très-profitable  à  la  santé,  que  de  se  baigner  au  moins  tous  les  quinze 
jours  '.  » 

Les  établissements  destinés  aux  ouvriers,  où,  soit  g^ratuitement, 
soit  pour  quelques  liards,  ils  pouvaient  se  baigner,  étaient  très-nom- 
breux dans  les  villes.  A  Lübeck,  dès  la  tin  du  treizème  siècle,  chaque 
rue  avait  le  sien  *.  Au  quinzième  siècle  on  en  comptait  onze  à  Ulm, 
douze  à  Nuremberg,  au  moins  quinze  à  Francfort,  vingt-neuf  à 
Vienne'.  Toute  bourgade  ayant  un  marché  et  presque  chaque  village 
avait  ses  bains  *.  Les  ouvriers  s'y  rendaient  ordinairement  tous  les 
samedis  '.  Aussi  commençaient-ils  dès  le  samedi  le  repos  du  dimanche; 
dans  beaucoup  de  corporations,  ils  recevaient  un  salaire  supplémen- 
taire «  pour  le  bain  ».  Les  ouvriers  qui  avaient  terminé  une  tâche  y 
avaient  droit.  A  Ratisbonne,  comme  nous  l'apprend  le  registre  de 
la  commune,  on  donnait  aux  journaliers,  au  lieu  de  pourboire,  "  des 
liards  de  bain^  ".  On  gratifiait  souvent  les  apprentis  d'une  petite 
somme  pour  le  même  usage.  "  Ils  doivent  avoir  grand  soin  de  bien 
l'employer  »,  dit  V Exhortation  chrétienne,  ^-  car  tout  travailleur,  petit 
ou  grand,  doit  tenir  son  corps  proprement;  cela  profite  aussi  à 
l'âme  ^  » 

Les  pauvres  n'étaient  pas  oubliés.  A  Francfort,  les  bourgmestres 
recevaient  tous  les  samedis  un  certain  nombre  de  liards  et  de  bons 
qu'ils  distribuaient  aux  pauvres  rassemblés  autour  des  établisse- 
ments de  bains  ^  Dans  les  villes,  de  bonnes  gens  déposaient  sou- 
vent entre  les  mains  des  magistrats  une  somme   fixe,    un  petit 

'  Patîe  \9^. 

-  Pauli,  Lübecler  Zustände,  p.  42. 

'  Kriegk,  Bürgerlhum,  Xeuc  Folge,  p.  15-21. 

*  Kriegk,  p.  II.  —  Mo.ne,  Zeitschrl/i,  t.  XII,  p.  19-20,  et  t.  XVII,  p.  254.  —  Jager, 
Ulm,  p.  497-499. 

'  Voy.  Zappert,  Ucber  das  Badewesen  miltelallerlicher  und  späterer  zeit,  t.  I,  p.  58. 

•  On  disait  alors  Dadegdd,  comme  on  dit  aujourd'iiui  Trinkgeld,  et  de  même 
qu'aujourd'hui  les  artisans  font  d'un  verre  de  bière  lenjeu  d'une  partie,  on 
jouait  autrefois  le  prix  d'un  bain.  Kriegk,  p.  12. 

'  Eym  crisiUch  ermanung,  p.  i^^. 
'  Kriegk,  p.  12. 


338  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

capital,  afin  que  tous  les  ans,  au  jour  anniversaire  de  leur  mort,  un 
bain  fiU  préparé  aux  indigents.  Ces  sortes  de  fondations  portaient 
le  nom  de  «  bains  des  âmes  n,  et  les  pauvres,  récréés  par  le  bain  et 
par  le  repas  qui  le  suivait,  étaient  tenus  de  prier,  ce  jour-là,  pour  le 
repos  de  Tàme  de  leur  bienfaiteur.  Beaucoup  de  ces  pieuses  donations 
permettaient  aux  pauvres  de  se  baigner  gratuitement  quatre  fois  par 
an,  quelquefois  même  tous  les  huit  ou  quinze  jours.  A  Nuremberg, 
au  commencement  du  seizième  siècle,  les  «  bains  des  âmes  »  s'étaient 
tellement  multipliés,  que  le  conseil  de  la  ville  résolut  d'employer  une 
partie  de  l'argent  qui  leur  était  destiné  à  d'autres  bonnes  œuvres'. 
Une  ordonnance  scolaire  de  Nabburg  (1480)  prescrit  aux  maîtres  de 
conduire  leurs  élèves  au  bain  le  mercredi,  parce  que  «  le  samedi,  les 
bains  sont  trop  encombrés  par  les  grandes  personnes  ".  Dans  les  villes 
de  sources  minérales,  on  pensait  aussi  aux  pauvres  :  «  Depuis  les 
temps  les  plus  anciens  s  dit  un  document  de  1480,  «  l'entrée  des 
bains  de  Baden-Baden  a  été  laissée  libre  aux  indigents  pour  l'amour 
de  Dieu  ^  " 

Outre  les  bains  publics,  les  maisons  de  simples  ouvriers  avaient 
fréquemment  leurs  bains  domestiques,  servant  à  toute  la  famille. 
A  Ulm,  eu  1489,  on  en  comptait  cent  quatre-vingt-seize.  Le  linge  de 
bain  faisait  alors  partie  de  la  garde-robe  de  toute  respectable  femme 
d'ouvrier,  et  comptait  parmi  les  choses  de  première  nécessité.  «  Les 
bains  pris  à  la  maison  »,  dit  V Exhortation  chrétienne,  "  sont  bien  pré- 
férables à  ceux  du  dehors  pour  l'artisan,  car  bien  des  scandales  ont 
souvent  lieu  dans  ces  derniers,  ainsi  que  dans  les  établissements 
publics  où  l'on  se  rend  pour  sa  santé  ou  son  plaisir.  De  tels  bains 
sont  inutiles  à  ceux  qui  se  portent  bien;  au  lieu  que  ceux  que 
l'ouvrier  prend  à  la  maison  aident  à  la  conservation  de  sa  santé  et  le 
réjouissent  après  son  travail.  Aussi  sont-ils  agréables  à  Dieu  et  très- 
utiles  à  la  classe  laborieuse  ^  " 

1  Zappert,  p.  58.  —  Maurer,  Städlever/assung,  t.  III,  p.  120-123.  —  Kriegk,  p.  22- 
23.  Les  autorités  de  la  ville  fixaient  le  prix  des  bains  et  affermaient  les  établis- 
sements de  bains,  très-souvent  avec  la  condition  qu'à  certains  jours  les  pau- 
vres y  auraient  libre  entrée. 

ä/Z»'iVZ.,p.  149. 

'  Page  \2^.  Le  bain  était  alors  considéré  comme  très-important  pour  l'hygiène 
et  faisait  en  même  temps  partie  des  plaisirs  favoris  du  peuple.  On  prenait 
presque  toujours  un  bain  à  l'occasion  des  grandes  fêtes.  On  s'explique  facilement 
que  les  scandales  fussent  fréquents  dans  les  bains  publics.  Il  en  est  encore  ainsi 
aujourd'hui  dans  les  villes  d'eaux,  l^en  souvent  fréquentées  pour  de  tout 
autres  motifs  que  le  rétablissement  de  la  santé. 


INDÉPENDANCi:    KCONOMIQUE    DES    CORPS    DE    MKTIEP..     339 


IV 


Les  corporations,  les  compagnonnages  reliaient  ensemble  toute  la 
population  industrielle  des  villes.  Ces  sociétés  qui  se  rattachaient  les 
unes  aux  autres  formaient  un  grand  ensemble,  un  corps  hiérarchique 
organisé,  régi  par  ses  propres  règlements  et  par  ses  constitutions. 
L'ouvrier  se  regardait  comme  membre  actif  d'un  petit  monde  qu'il 
aimait,  et  dont  l'honneur  et  le  bon  renom  ne  lui  tenaient  pas  moins 
an  cœur  que  la  gloire  et  la  prospérité  de  la  cité  n'étaient  chères  au 
cœur  du  bourp,eois.  Se  sentant  à  l'aise  dans  les  limites  de  sa  position 
sociale,  se  respectant,  lui  et  sa  profession,  l'artisan  était  à  l'abri  de 
ce  funeste  sentiment  d'envie  qui  voit  avec  mécontentement  et  jalousie 
ceux  qui  occupent  un  rang  élevé.  Il  ne  pensait  pas  que  son  état  le 
mit  au-dessous  de  n'importe  quel  puissant  personnage.  Il  avait  une 
haute  idée  de  sa  profession,  et  la  regardait  comme  instituée  par  Dieu 
même  et  nécessaire  au  bien  de  tous.  Il  croyait  tenir  tout  aussi  bien 
son  rang  dans  l'ordre  social  que  le  Pape,  l'Empereur,  le  seigneur 
ecclésiastique  ou  temporel.  «  Celui  qui  est  arrivé  à  la  maîtrise  en  sa 
profession  »,  dit  V Exhortation  chrétienne,  «  n'a  pas  une  charge  moins 
honorable  que  n'importe  quel  dignitaire  du  pays.  "  Ce  que  l'ordina- 
tion est  au  prêtre,  l'accolade  au  chevalier  et  le  grade  de  docteur  au 
savant,  la  transmission  de  la  maîtrise  l'était  pour  l'ouvrier.  A  ses 
yeux,  l'ensemble  des  devoirs  du  maître  constituait  une  mission  élevée, 
dont,  par  un  labeur  infatigable  et  une  irréprochable  conduite,  il 
s'efforçait  de  se  rendre  digne.  Les  insignes  de  sa  profession  lui 
tenaient  lieu  d'armes  bourgeoises.  Sa  demeure,  rien  qu'en  son  appa- 
rence extérieure,  avait  un  caractère  à  part,  et  toutes  les  personnes 
qui  composaient  sa  domesticité  et  partageaient  son  labeur  faisaient 
partie  de  sa  famille  et  de  «  sa  maison  ». 

Le  travail  mis  en  commun  et  la  propriété  inaliénable  protégeaient 
l'indépendance  économique  des  diverses  industries  comme  de  ceux 
qui  s'y  adonnaient  et  garantissaient  l'équitable  répartition  des  béné- 
fices. Ils  assuraient  à  la  classe  ouvrière,  dans  toutes  ses  catégories,  le 
bien-être  et  l'aisance,  et  par  conséquent  l'éducation,  la  situation 
sociale.  D'autre  part,  le  système  corporatif  empêchait  l'individu  de 
s'élever  trop  au-dessus  des  autres.  La  liberté  absolue  crée  incontesta- 
blement des  fortunes  colossales,  mais  conduit  trop  souvent  à  l'exploi- 
tation des  forces  du  travail,  et  par  conséquent  à  l'oppression  de 
centaines  et  de  milliers  d'êtres. 

22. 


340  ÉCONOMIE    SOCIALE. 


Les  corporations  minières  avaient  de  bonne  heure  mis  à  profit  le 
droit  d'association,  et  formaient  une  catégorie  toute  spéciale 
d'  «  unions  fraternelles  '  ". 

Le  droit  allemand  avait  aussi  pris  la  défense  du  travail  des  mineurs 
contre  l'exploitation.  L'ensemble  de  toutes  les  constitutions  qui  les 
concernent  peut  se  résumer  dans   ces  paroles   empruntées  à  une 
ordonnance  minière  de  Kuttenberg  :  «  Chacun  doit  se  montrer  satis- 
fait de  son  travail,  et  nul  n'aura  l'audace  de  s'approprier  dans  l'oisi- 
veté ce  qu'un  autre  a  créé  au  prix  de  ses  efforts  et  de  son  labeur,  car 
le  travail  et  la  peine  sont  sous  la  protection  de  la  loi.  "  Aussi  s'effor- 
çait-on d'empêcher  que  les  propriétaires  de  mines  ne  devinssent  les 
"  seigneurs  fonciers  du  travail  »  et  ne  fussent  libres  d'exploiter  à 
leur  guise  les  ouvriers  et  les  terrains.  La  prospérité  de  la  mine  devait 
être  dans  un  rapport  exact  avec  le  bien-être  des  mineurs.  La  police 
minière  veillait  à  la  sécurité  et  à  l'hygiène  des  ouvriers,  avait  soin 
qu'un  air  salubre  circulât  dans  les  souterrains,  prenait  toutes  les  dis- 
positions nécessaires  pour  préserver  les  mineurs  des  divers  accidents 
auxquels  ils  sont  exposés,  et  veillait  à  ce  que  des  établissements  de 
bains  leur  fussent  ouverts.  Chaque  maître  était  chargé  de  procurer 
dans  le  quartier  où  il  dirigeait  les  travaux  tout  ce  qui  est  nécessaire 
à  l'entretien  de  la  vie,  et  cela  dans  une  mesure  suffisante;  il  surveil- 
lait la  juste  répartition  des  denrées  et  les  établissait  à  des  prix 
modérés.  Le  temps  du  travail,  la  tâche,  étaient  exactement  fixés; 
ordinairement  les  mineurs  travaillaient  huit  heures  par  jour  ^  Les 
journées  étaient  plus  courtes  dans  beaucoup  d'exploitations,  rare- 
ment plus  longues.  La  paye  était  réglée  sous  la  surveillance  et  avec 
le  concours  des  syndics  miniers.  Elle  était  établie  sur  une  "  base 
fixe  »,  et  ne  pouvait  subir  aucune  modification  arbitraire,  aucune 
augmentation  ou  diminution  subite.  Elle  était  la  même  pour  tout  le 
district;  aucun  propriétaire  minier  ne  pouvait  payer  ses  ouvriers 
plus  ou  moins  qu'un  autre.  «  Les  maîtres  ",  dit  un  ancien  règle- 
ment, «  doivent  apporter  une  grande  loyauté,  un  soin  charitable 
et  chrétien  à  accorder  aux  mineurs  un  salaire  convenable,    afin 
qu'ils  puissent  subvenir  à  leur  entretien,  et  que  l'insuffisance  de  leur 
paye  ne  les  expose  pas  à  dérober.  Car  lorsqu'on  retranche  injuste- 


'  Voy.  II.  ACHENBACH,   Gemeines  deutsches  Bergrecht,  t.  I,   p.  69.  —  J.  VON  RÔNNE- 
RITZ. 

'BUCHHOLTZ, 


.  II.  ACHENBACH,   Gemeines  deutsches  Bergrecht,  t.  I,   p.  69. 
Voy.  Weber,  Archiv,  fur  Sächsiche  Geschichte,  t.  V,  p.  15. 

ÎHOLTZ,  t.  VIII,  p.  244.  — ACHENBACH,  p.  110. 


CO  n  PO  RAT  IONS    MIMKH  ES.  341 

ment  aux  ouvriers  et  aux  serviteurs  une  partie  de  leur  salaire  ou  de 
leur  nourriture,  on  en  l'ait  des  voleurs  domestiques  ou  des  brigands 
de  {yrands  chemins'.  ^  Les  mineurs  qui  tombaient  malades  ou  deve- 
naient incapables  de  travailler  étaient  soutenus  par  la  caisse  de 
secours  de  la  corporation  minière  administrée  par  les  doyens  de  la 
compafjnie  ou  par  des  employés  de  la  mine.  Les  veuves  et  les  orphe- 
lins recevaient  sur  cette  caisse  de  quoi  subvenir  à  leurs  besoins,  et 
cela,  non  à  litre  de  secours  charitable,  mais  comme  une  pension  jus- 
tement due  '. 

L'exploitation  des  mines  est  une  industrie  tout  allemande.  Elle 
se  perieclionna  en  se  développant,  et  devint  le  modèle  de  toutes  les 
entreprises  analogues  des  autres  pays.  En  Bohème,  les  mineurs 
allemands  étaient  en  majorité  \  C'est  un  Allemand  qui  découvrit  les 
filons  de  cuivre  écossais  et  introduisit  en  Ecosse  l'art  de  l'exploi- 
tation minière  ^  En  1452,  le  roi  d'Angleterre  fit  venir  nos  mineurs 
de  Misnie,  d'Autriche  et  de  Bohème  pour  exploiter  les  mines  royales ^ 
Il  est  probable  qu'en  France  aussi  les  xVllemauds  furent  initiateurs, 
car  la  plupart  des  termes  qui  se  rapportent  en  français  à  l'exploi- 
tation des  mines  sont  d'origine  allemande. 

En  Allemagne,  les  travaux  des  mines  créèrent  peu  à  peu  des 
vallées  animées,  des  villes  florissantes  là  où  n'était  jadis  que  la  soli- 
tude des  montagnes  et  des  bois  ^  et  enrichirent  à  la  fois  princes 
et  ouvriers.  Au  moyen  âge,  l'exploitation  minière  était  considérée 
comme  une  «  occupation  divine,  honorable  et  juste  »,  les  mines  pas- 

'  Voy.  WeiSKE,  Aufsatz  icber  den  Bergbau  die  Christl-socialen  Blätter  itS7 5),  n°'  49  ei 
50.  Du  même  auteur.  Der  Bergbau  und  das  Bergregal.  (Eisleben,  1845.) 

*  Voy.  ACHENBACH,  Lie  deutschen  Bergleute  der  Vergangenheit,  p.  89-92. 
^  Fischer,  Gesch.  des  Handels,  t.  II,  p.  319-320. 

*Lesle,  De  BebnsScot.,  p.  430. 
5  Rymer,  Fœdera,  t.  XI,  p.  317. 

*  Sur  les  villes  minières,  voy.  ;\[0SCH,  Zur  Geschichte  des  Bergbaues  in  Deutsch- 
land,  t.  Il,  p.  223.  «  Après  qu'en  1471  on  eut.  découvert  la  riclie  mine  de 
Schneebergen  Saxe,  la  ville  du  même  nom  s'éleva  tout  à  côté  comme  par  enchan- 
tement. Le  pays  environnant  fut  exploité  et  fouillé  par  suite  de  i'afttuence  des 
mineurs.  C'est  avec  la  même  rapidité  que  Joachimsthal,  en  Bohême,  devint  une 
ville  prospère  après  que  la  mine  actuelle  y  eut  été  pour  la  première  fois  mise 
en  exploitation  (J516).  On  assure  que  huit  mule  mineurs  s'y  rassemblèrent.  Ces 
précédents  et  d'autres  semblables  n'ont  d'autre  équivalent  dans  les  temps  mo- 
dernes que  la  prompte  création  de  villes  nouvelles  dans  les  terres  aux  riches 
minerais  de  la  Californie  et  de  la  Nevada.  Mais  en  AIIema;;ne  des  lois  pratiques  et 
libérales  furentpromptement  appliquées  aux  villes  ainsispontanémentcréées,  et 
dans  un  temps  relativement  court  ces  lois  furent  adaptées  aux  nouveaux  centres 
industriels.  "  Achenb.\.CH,  Die  deutschen  Bergleuten  der  Vergangenheit,  p.  83.  Le  prin- 
cipe de  la  liberté  de  la  mine  régna  d'abord  en  Allemajjne,  permettant  à  chacun 
la  fouille  des  rainerais  précieux  et  garantissant  à  celui  qui  découvrait  un  bon 
filon  une  propriété  certaine  en  des  limites  précises.  Cette  liberté  des  mines, 
qui  fut  incontestablement  un  levier  puissant  pour  leur  prospérité,  remonte  en 
Allemagne  à  la  fin  du  douzième  siècle. 


342  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

saient  pour  l'un  des  plus  grands  et  utiles  présents  fait  par  le  Tout- 
Puissant  aux  pays  allemands,  non-seulement  à  cause  des  trésors 
d'argent,  d'or,  de  cuivre,  d'étain,  de  fer,  de  plomb,  de  vif-argent 
qu'elles  contenaient,  mais  surtout  parce  que,  grâce  à  elles,  plus  de 
cent  mille  Allemands  '  trouvaient  leurs  moyens  d'existence.  "  Les 
travaux  des  champs  et  des  mines  -,  dit  Georges  Agricola,  "  sont  éga- 
lement dignes  de  respect,  parce  qu'ils  enrichissent  sans  faire  tort  à 
personne.  Souvent  la  guerre,  même  lorsqu'elle  est  juste,  enrichit  aux 
dépens  des  innocents.  Les  receveurs  d'impôts  et  les  marchands 
s'attirent  la  haine  populaire  s'ils  font  des  profits  considérables,  et 
ne  font  point  fortune  s'ils  sont  modérés.  Au  lieu  que,  sans  léser  per- 
sonne, nous  tirons  du  sol  bien  travaillé  des  bénéfices  abondants.  Les 
mines  rapportent  encore  davantage  ^  " 

«  Parmi  les  richesses  actuelles  de  l'Allemagne  ",  écrivait  Éncas 
Sylvius  en  1458,  «  les  filons  d'or  et  d'argent  découverts  récemment 
tiennent  une  fort  grande  place.  Les  mines  des  monts  Kutten  en 
Bohême;  en  Saxe,  celles  du  mont  Rammel;  en  Misnie,  celles  des 
Freiberger,  Geisberg  et  Sclineeberg  ont  montré  d'inépuisables 
veines  d'argent.  Dans  les  vallées  de  l'Inn  et  de  l'Eus,  près  de  Saint- 
Léonard  et  dans  le  comté  de  Styrie,  les  ducs  d'Autriche  ont  aussi 
découvert  des  mines  fécondes.  Le  Rhin  roule  delà  poussière  d'or,  et 
la  Bohême  possède  des  fleuves  où  les  Taborites  trouvent  des  grains 
d'or  de  la  grosseur  d'un  pois.  L'Allemagne  possède  en  abondance  le 
fer,  le  laiton,  le  cuivre,  et  reçoit  l'or  de  la  Hongrie  ^  » 

La  mine  d'argent  découverte  dans  l'Erzgebirge  (1471)  était  l'une 
des  plus  productives  de  l'Allemagne.  Dans  les  premières  années, 
elle  rapporta  environ  352,000  quintaux  d'argent.  Le  syndic  minier 
faisait  faire  des  tables  et  des  chaises  avec  la  matière  brute.  Le  duc 
Albert  de  Misnie  se  fit  un  jour  servir  son  repas  dans  un  minerai 
d'argent  pesant  400  quintaux.  Souvent,  au  lieu  de  payer  les  mineurs  en 
argent  monnayé,  on  leur  donnait  leur  salaire  sous  forme  de  gâteaux 
d'argent  *.  Entre  1490  et  1500,  on  tira  des  mines  de  Glashütte  et  de 
Schreckenberg,  dans  la  région  méridionale  de  l'Erzgebirge,  un  pro- 
duit net  de  24,838  florins  du  Rhin.  Les  mines  d'étain  d'Altenberg 
rapportaient  annuellement  (entre  1490  et  1500)  cinq  à  six  mille  quin- 
taux d'étain.  On  tira,  entre  1476  et  1499,  au  moins  125,000  thalers 
des  mines  d'argent  de  1' Annaberg;  en  1505,  le  produit  s'éleva  à 


'  Voy.  Bl'CHHOLTZ,  t.  VIII,  p.  245. 

*  Voy.  ROSCHER,  Gesch.  der  Xationalnhonomik,  p.  49-.'0. 

3  De  ritu,  silu,  moribus  et  comUlione  Germaniœ   descriptio,    dans   l'édit.  des   OEuvres 
d'/EncasSyhius,  Bâle,  1053-1086. 

*  FiSCriER,  t.  II,  p.   481.  —  Gmelin,  Beyträgc  zur  Geschichte  des  deutschen  Bergbaut, 
p.  306.  Ln  1478,  une  fouille  de  trois  mois  rapporta  deux  tonnes  d'or. 


RICHESSES    MINIÈRES.  343 

400,000  florins;  en  1504  on  partagea  entre  tous  les  ouvriers  plus 
de  10,000  thalers'. 

Les  mines  du  territoire  de  Mansfeld  rapportaient  des  sommes 
presque  égjales.  «  Les  comtes  de  Mansfeld  » ,  dit  une  chronique 
minière,  "  ont  dans  leurs  domaines  une  mine  de  schiste  incompa- 
rable; ce  schiste  produit  du  cuivre  dont  le  quintal  se  vend  de  vinjjt 
à  vingt-quatre  onces  d'argent,  résultat  si  considérable  qu'on  y  peut 
à  peine  croire.  11  semble  que  le  sol  soit  inépuisable;  de  quelque 
côté  qu'on  l'entr'ouvre,  on  y  découvre  des  trésors.  Dans  les  années 
médiocres,  on  en  tire  de  8,000  à  15,000  quintaux  de  schiste;  dans 
les  bonnes,  de  13,000  à  30,000«.  .) 

Les  montagnes  de  Bohème  étaient  d'une  telle  richesse  minérale 
que,  dans  les  environs  de  Bergreichenstein,  trois  cent  cinquante 
moulins  à  or  fonctionnaient  journellement  '  ;  et  cependant  elles 
étaient  encore  bien  moins  productives  que  les  riches  mines  d'or  du 
Riesengebirge  *. 

On  a  calculé  que  les  mines  de  Salzbourg  rapportèrent  plus  de 
40  millions  de  monnaie  d'or  et  d'argent  en  l'espace  de  deux  cents 
ans.  Le  Tyrol  aussi  renfermait  d'inépuisables  richesses.  Les  bords 
de  l'Adige  passaient  dans  l'Allemagne  du  Sud  pour  une  source  d'or 
intarissable.  A  elle  seule  la  mine  de  Schwaz  rapportait  annuelle- 
ment 300,000  florins  à  la  cour  de  Vienne.  En  1483  on  y  frappa 
48,000  marcs  d'argent  pur  \ 

«  Pour  apprécier  les  sommes  considérables  que  les  Allemands 
tirent  de  leurs  mines  et  de  leur  commerce  »,  dit  Enéas  Sylvius,  ^  il 
ne  faut  qu'examiner  leurs  mobiliers,  le  luxe  de  leurs  habillements, 
leurs  tables  chargées  de  vaisselles  d'argent.  »  «  Quelle  est  celle  de 
vos  auberges  »,  demande-t-il  au  chanceHer  de  Mayence  Martin  Mayer, 
>'  où  l'on  ne  serve  à  boire  dans  de  l'argent?  Quelle  est  la  femme  (je 
ne  parle  pas  ici  de  la  noblesse,  mais  de  la  bourgeoisie)  qui  n'ait  des 
parures  d'or  étincelantes?  Que  dirais-je  des  chaînes  de  col  des  che- 
valiers, des  mors  de  leurs  chevaux  travaillés  avec  l'or  le  plus  pur,  de 
leurs  éperons  et  gardes  d'épée  ornés  de  pierres  précieuses,  de  leurs 
bagues,  ceinturons,  casques,  harnais  qui  tous  resplendissent  d'or? 
Que  vos  meubles  d'église  sont  riches  !  que  de  reliques  sont  enchâs- 
sées dans  l'or  et  les  perles!  que  vos  autels  sont  splendidement  ornés! 
que  vos  prêtres  sont  magnifiquement  vêtus  !  Quelles  richesses  con- 

^  Gmelix,  p.  302-304,  351-352.  A  la  même  époque  la  Saxe  trait  d'immenses 
revenus  de  ses  inestimables  mines  de  sel  à  Halle  et  Goslar.  Fischer,  t.  II,  p.  484. 
-  FiscHEU,  t.  II,  p.  482-4.S3. 
'  Peithnet.,  Gesch.  der  böhmischen  und  mährischen  Bergwerke,  p.  II, 

*  Fischer,  t.  II,  p.  484. 

*  Ibid.,  p.  485-486.  —  SpergeS,  Tyrolische  Bcrgwerksgetchichte,  p.  88. 


zu  ECONOMIE    SOCIALE. 

tient  rintérieur  de  vos  sacristies  *  !  «  «  Il  n'est  pas  rare,  dit  Wim- 
pheling,  qu'à  la  table  des  marchands  on  soit  servi  dans  de  la 
vaisselle  d'or  et  d'argent.  Moi-même,  un  jour,  à  Cologne,  j'ai  été 
traité  de  cette  manière  avec  onze  autres  invités.  Les  marchands  alle- 
mands établis  à  l'étranger  font  souvent  venir  de  leur  pays,  pour  leur 
ameublement,  des  objets  d'or  et  d'argent  pesant  30,  40  et  souvent 
jusqu'à  150  livres.  Ils  mènent  grand  train,  et  tirent  vanité  de  leurs 
plats  et  gobelets,  surtout  en  présence  des  étrangers.  »  Ce  témoi- 
gnage rappelle  ce  que  raconte  Jérôme  lilïinzer,  médecin  de  Nurem- 
berg, de  l'accueil  qu'il  reçut  des  marchands  allemands  de  Barcelone  ^ 
(1494),  «  Nos  riches  négociants  ",  dit  encore  Wimpheling,  «  font 
circuler  l'or  et  surtout  l'argent  de  notre  pays  dans  presque  toutes 
les  contrées  de  l'Europe  ^  «  «  La  Germanie  est  riche  et  puissante  par 
son  industrie  et  son  commerce  >',  dit  le  Livre  des  Chroniques  (1493). 
«  En  fait  de  richesses  minérales,  elle  ne  le  cède  à  aucun  autre  pays  de 
la  terre,  et  tous  les  peuples.  Italiens,  Français,  Espagnols,  etc.,  tirent 
des  marchands  allemands  presque  tout  l'argent  dont  ils  font  usage*.  - 

'  De  rillt,  etc.,  1055.  —  SPITTLER,  Gesch.  U'irtemhergs,  p.  69. 

-  Miinzer  rencontra  dans  son  voyage  des  marchands  allemands  d'Augsbourfj, 
d'Ulni,  de  Ravensbourg,  etc.,  à  Barcelone,  Valence,  Lisbonne  et  d'autres 
villes  de  la  péninsule  des  Pyrénées.  Lui  et  ses  compagnons  furent  traités  avec 
un  grand  faste  par  les  marchands  de  Barcelone.  «  Invitati  ad  eorum  domos  ex 
solo  auro  et  argento  bibimus  et  comedimus  more  Cathelauorum  et  steterunt 
continue  musici  cum  diversis  generibus  instrumentorum.  ut  recrearemur,  fece- 
runt  coreas,  saltationes  more  .Maurorum.  »  Ku\stma>\,  p.  296-298.  D'après  ce  que 
rapporte  Conrad  Celtes,  presque  toute  la  vaisselle  des  marchands  de  Nuremberg 
était  en  argent. 

^  A  la  fin  de  son  livre  :  De  arte  imprcssorta. 

*  L'Angleterre  tirait  l'argent  monnayé  de  la  haute  Allemagne;  le  Danemark 
et  la  Norwége,  des  villes  hanséatiques  les  plus  proches.  •  Si  l'on  réfléchit,  dit 
Fischer  (II,  489),  que  sur  beaucoup  de  mines  dont  l'existence  est  hors  de  doute, 
nous  manquons  absolument  de  renseignements,  et  que  sur  d'autres  mines 
très-fécondes  comme  celles  de  Freyberg,  Annaberg,  Marienberg,  nous  n'avons 
que  des  documents  incomplets  offrant  de  grandes  lacunes,  on  ne  pourra  hésiter 
à  reconnaître  que  l'Allemagne  était  le  Mexique  et  le  Pérou  des  Européens 
d'alors.  •  Voy.  aussi  p.  511. 


CHAPITRE   m 

LE   COMMERCE   ET    LE   CAPITAL 


En  même  temps  que  les  corporations  ouvrières,  les  villes  avaient 
vu  se  fonder  de  toutes  parts  des  compagnies  commerciales,  embras- 
sant, elles  aussi,  tous  les  intérêts  sociaux  de  leurs  membres,  et  for- 
mant des  sociétés  solidement  établies.  Leurs  vues  morales  et  reli- 
gieuses, les  devoirs  de  mutuel  appui  obligeant  tous  leurs  associés 
étaient  les  mêmes  que  dans  les  corporations;  comme  les  corpora- 
tions, elles  avaient  des  privilèges  particuliers;  un  appareil  spécial  de 
justice,  un  tribunal  exerçant  le  droit  de  punir;  des  revenus  mobiles 
et  un  capital  inamovible  consistant  principalement  en  maisons  de 
réunion,  entrepôts  et  magasins;  la  famille  des  compagnons  mar- 
chands était  de  droit  sous  la  protection  de  la  compagoie,  ainsi  que  les 
apprentis  et  les  aides.  Mais  tandis  que  les  corporations  se  rappor- 
taient àTéconomie  industrielle  en  généralet  se  proposaient  principale- 
ment la  protection  des  métiers  et  l'extension  générale  de  l'industrie, 
les  compagnies  marchandes  avaient  pour  premier  but  de  procurer  à 
leurs  membres  le  plus  d'avantages  commerciaux  possible,  et  d'obtenir, 
soit  le  droit  exclusif  d'exercer  le  commerce  dans  tel  ou  tel  pays,  soit 
le  monopole  de  la  vente  d'un  produit. 

Non-seulement  dans  les  villes  allemandes,  mais  aussi  dans  les  pays 
étrangers  oii  florissait  notre  commerce,  ces  compagnies  (appelées 
aussi  hanses  ')  s'étaient  depuis  longtemps  établies  et  avaient  obtenu 
des  souverains  et  des  gouvernements  de  nombreux  privilèges  com- 
merciaux, ainsi  que  la  liberté  d'association. 


'  Le  mot  Hansa,h\en  que  synonyme  Aegüda,  fut  surtout  et  d'abord  employé  en 
Anfïleterre  pour  signifier  une  association  marcliande.  —  Sartorius,  Gesch.  der 
deuisckcn  Hansa,  t.  I,  p.  73-75.  On  trouve  déjù  le  mot  de  hansa  dans  ülfilas,  pour 
signifier  eoÄor*  ou  multitude.  —  Voy.  aussi  Maurer,  Stadieverfassung,  t.  II,  p.  254, 
note  1. 


346  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

Peu  à  peu,  les  hanses  particulières  des  villes  de  l'étranger  se  fon- 
dirent en  une  seule  et  même  société,  et  formèrent  un  corps  puissant, 
fermé  aux  étrangers  et  leur  faisant  concurrence. 

C'est  ce  qui  eut  lieu  à  Londres  :  les  diverses  compagnies  mar- 
chandes de  Cologne,  Hambourg,  Lübeck,  etc.,  s'unirent  et  formèrent 
la  "  Compagnie  générale  des  marchands  allemands  ».  Chaque  asso- 
ciation prise  à  part  garda  son  indépendance,  mais  l'Union  générale 
devint  l'organe  autorisé  de  tous  les  droits  et  devoirs  communs.  En 
sa  qualité  de  corps  hbrement  constitué,  elle  concluait  des  contrats 
avec  la  ville  et  se  portait  garante  des  privilèges  commerciaux  des 
hanses  particulières.  A  la  maison  centrale,  un  "  alderman  »,  aidé 
des  membres  du  conseil,  rédigeait  les  lois,  les  règlements,  et  les 
soumettait  à  l'approbation  des  associés  le  jour  de  l'assemblée  géné- 
rale. La  maison  centrale  était  située  dans  un  vaste  enclos  "  bien 
protégé  »  où  se  trouvaient  les  logements,  les  entrepôts,  les  bou- 
tiques. Elle  prit  le  nom  de  Stahlhof  et  fut  donné  en  toute  propriété 
à  la  compagnie  par  le  roi  d'Angleterre  en  1474.  La  Hanse  générale 
avait  droit  de  juridiction  et  droit  de  punition  dans  une  mesure 
très-étendue;  elle  exerçait  une  police  sévère.  Sur  la  caisse  commune 
formée  par  les  contributions,  les  amendes  et  les  taxes,  elle  payait 
les  gages  des  employés  et  des  serviteurs,  faisait  les  présents  et  les 
dons  honorifiques,  et  subvenait  aux  frais  généraux  d'entretien.  Les 
associés  vivaient  entre  eux  dans  une  communauté  presque  monastique, 
et  sous  le  rapport  religieux  étaient  dans  une  étroite  union  *. 
•  Les  documents  relatifs  à  la  Hanse  générale  de  Bergen,  en  Nor- 
vège, nous  retracent  le  fidèle  tableau  de  cette  vie  commune.  La 
Hanse  y  possédait  vingt  et  un  établissements  indépendants  formant 
ensemble  deux  paroisses  et  séparés  les  uns  des  autres  par  des  palis- 
sades ou  de  solides  murailles.  Ils  étaient  entourés  de  longs  bâtiments 
de  bois  s'éteudant  au  loin.  Chaque  établissement  avait  son  nom,  son 
enseigne  particulière,  et  sur  la  rive,  son  débarcadère,  où  les  bate- 
liers déchargeaient  les  marchandises.  L'établissement  recevait  géné- 
ralement quinze  «  familles  »  ou  «  compagnies  de  table  »  composées 
de  maîtres,  de  compagnons  et  d'apprentis.  La  "  famille  »  était  gou- 
vernée par  celui  qu'on  appelait  le  «  maître  de  maison  "  (Usbonde), 
chargé  d'exercer  une  surveillance  générale  sur  les  employés  de  com- 
merce, les  ouvriers,  les  domestiques,  de  pourvoi'*  à  leur  entretien  et 
de  maintenir  la  discipline.  Les  intérêts  communs  étaient  confiés  à  un 

'  Lappenberg,  llrhundl.  Gesch.  des  hansischen  Stahlhofes  tu  London  [YidJOboMTQ,  1851). 
Dans  la  «  taverne  du  Rhin  ^  associée  à  la  hanse  allemande,  les  compagnons  de 
William  Shakespeare,  les  plus  joyeux  gourmets  de  Londres,  se  régalent  du  vin 
du  Rhin,  de  langue  de  bœuf  fumée  et  d'autres  mets  allemands.  —  Bai\thold, 
Gesch.  der  deutschen  Hansa,  t.  II,  p.  131.  —  Voy.  0.  Schwebel,  Der  Hansische 
Stahlhof  zu  London  (18S1) 


ASSOCIATIONS  DES  MARCHANDS  ALLEMANDS  A  L'ÉTRANGER.  347 

«  alderman  «  nommé  par  élecfion.  Dans  les  bâtiments  qui  s'éten- 
daient autour  de  l'enclos  se  trouvaient,  à  l'étage  inférieur,  les 
boutiques  d'élalage  et  les  hangars  de  marchandises.  Au-dessus 
étaient  les  parloirs,  les  chambres  à  coucher  des  facteurs  et  autres 
habitants  de  la  maison,  la  cuisine  et  le  <  petit  schutting  "  qui  ser- 
vait aux  "  familles  '>  de  salle  à  manger  et  de  parloir.  Au  fond  de 
l'enclos,  un  solide  bâtiment  de  pierre  renfermait,  dans  ses  sous-sols, 
des  caves  silres,  des  celliers  pour  les  marchandises  précieuses.  En 
haut  était  le  '  grand  schulting  =>,  salle  commune  où  les  «  familles  » 
se  tenaient  pendant  l'hiver  et  prenaient  leurs  repas.  Contre  les 
murailles  de  cette  salle,  de  nombreux  foyers  étaient  éîablis,  servant 
de  fourneaux  de  cuisine  et  chauffant  tout  l'emplacement.  Le  soir, 
chaque  "  famille  "  rentrait  dans  sa  chambre  à  coucher.  Des  veilleurs 
armés  et  des  chiens  féroces,  déchaînés  la  nuit,  défendaient  contre 
les  voleurs.  Tout,  dans  l'enclos,  était  soumis  à  une  discipline  exacte 
et  sévère.  Les  heures  de  travail,  les  récréations,  les  repas,  les  assem- 
blées réglementaires  et  les  plaisirs  pris  en  commun  étaient  fixés  par 
une  loi  stricte,  et  toute  tentative  pour  se  soustraire  à  la  discipline 
était  rigoureusement  punie.  Le  nombre  des  associés  des  établis- 
sements réunis  variait,  à  partir  de  la  seconde  moitié  du  quinzième 
siècle,  entre  deux  et  trois  mille  ;  les  femmes  en  étaient  exclues  et  ne 
pouvaient  pénétrer  dans  l'enclos.  Un  des  associés  s'étant  marié, 
perdit  pour  toujours  le  droit  de  faire  partie  de  la  compagnie.  Les 
autorités  élues  se  chargeaient  de  toutes  les  parties  de  l'administration 
et  rendaient  la  justice  de  leur  autorité  privée.  Celui  qui  voulait  entrer 
dans  l'association  devait  s'engager  à  y  rester  dix  ans.  Les  jeunes 
gens  parcouraient  successivement  tous  les  degrés  de  la  science  com- 
merciale depuis  l'apprentissage;  et  c'est  ainsi  qu'au  milieu  d'une 
lutte  continuelle  avec  une  mer  redoutable,  dans  un  pays  rude  et 
montagneux,  entravée  par  un  climat  sévère,  sous  des  lois  rigou- 
reuses, soumise  à  un  âpre  labeur,  se  forma  l'une  des  plus  excellentes 
écoles  de  commerce  de  l'Allemagne  du  Nord. 

Les  jeux  proposés  aux  apprentis  de  Bergen  suffiraient  seuls  à 
nous  faire  comprendre  comment  était  formée  la  génération  d'acier, 
endurcie  à  toute  souffrance,  qui  y  était  élevée.  Les  principaux  étaient 
ceux  du  ;<  fouet  ^  et  de  1'  «  eau  »;  ils  avaient  lieu  pendant  les  fêtes 
de  la  Pentecôte.  Pour  le  jeu  de  l'eau,  les  apprentis,  après  un  repas 
plantureux,  étaient  plongés  sans  vêtements  dans  la  mer;  on  les 
jetait  çà  et  là  parmi  les  vagues  encore  glacées  par  l'hiver,  puis  on 
les  en  retirait  à  moitié  transis,  et  ils  étaient  fouettés  de  verges  par 
quiconque  pouvait  les  atteindre  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  pu  reprendre 
leurs  vêtements.  Le  «  jeu  du  fouet  «  était  encore  plus  terrible. 
Eu  grande  pompe,  après  toutes  sortes  de  cérémonies,  les  apprentis 


348  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

recevaient  de  dix  "  husbondes  »  et  de  compagnons  désignés  d'avance, 
de  rudes  coups  de  fouet;  puis  venait  un  repas  de  fête  où  ils  étaient 
obligés  de  servir  toute  la  compagnie  et  par  conséquent  leurs  bour- 
reaux. Avant  la  flagellation,  le  doyen  des  "  maîtres  de  maison  )  les 
exhortait,  dans  un  discours  solennel,  à  la  bonne  tenue,  à  la  probité,  au 
travail,  à  l'obéissance;  il  les  mettait  en  garde  contre  l'ivrognerie, 
l'esprit  querelleur,  etc.  Le  jeu  qui  allait  avoir  lieu,  leur  disait-il,  était 
destiné  à  servir  d'épreuve,  et  celui  qui  ne  croyait  pas  pouvoir  s'y 
soumettre  jusqu'au  bout  avait  encore  toute  liberté  de  se  retirer. 
Chacun  alors  acceptait  1'  <  épreuve  ».  Pendant  sa  durée,  si  quelque 
apprenti,  vaincu  par  la  souffrance  ou  la  fatigue,  s'asseyait,  il  était  le 
lendemain  matin  plongé  dans  la  mer  '  pour  être  fortifié  '  ". 

La  réunion  de  toutes  les  compagnies  des  villes  d'un  même  pays  en 
unseul  et  même  corps  nous  offrira  dansunplus  vasterayon  un  exemple 
du  système  d'association  commerciale  à  cette  époque.  En  Angleterre, 
les  hanses  de  Lynn,  Boston,  York,  Bristol,  Ipswich,  Norwich, 
Yarmouth,  Hull  et  autres  s'unirent  à  la  grande  hanse  de  Londres,  et 
se  firent  représenter  par  elle  en  dehors  du  pays.  L'aldérman  placé  à 
la  tête  de  cette  union  générale  avait  par  conséquent  sous  sa  direc- 
tion le  commerce  allemand  de  toute  l'Angleterre.  La  puissante  com- 
pagnie commerciale  de  Novogorod  s'organisa  de  la  même  manière. 
Elle  réunit  tous  les  marchands  allemands  en  un  seul  corps,  et  fit  con- 
currence au  commerce  russe.  Dans  les  pays  Scandinaves,  la  grande 
compagnie  de  Wisby,  dans  l'ile  de  Gottland,  joua  le  même  rôle, 
ainsi  qu'à  Bruges  le  célèbre  «  Komtoor  ",  centre  de  toutes  les  com- 
pagnies marchandes  des  Pays-Bas.  Dans  l'intérêt  de  la  bonne  admi- 
nistration, pour  le  maintien  et  la  défense  des  droits  commerciaux,  le 
Komtoor  était  divisé  en  trois  branches  :  les  villes  du  pays  de 
Lübeck,  les  cités  weudes  et  saxonnes  formaient  la  première;  la 
seconde  reliait  les  villes  de  \Vestphalie  et  de  Prusse;  enfin  la  troi- 
sième comprenait  les  villes  de  Gottland,  de  Livonie  et  de  Suède. 
Chaque  division  constituait  un  corps  séparé  et  exerçait,  par  l'entre- 
mise de  chefs  élus,  l'autorité  judiciaire  et  la  justice  de  paix.  Dans 
les  délibérations  générales,  la  majorité  faisait  loi*. 

Cette  sorte  de  confédération  partagée  en  trois  cercles  et  s'inli- 
tulant  :  «  Compagnie  des  marchands  réunis  du  Saint-Empire  d'Alle- 
magne ",  devint  le  point  de  départ  de  la  "  Hanse  générale  allemande  ' . 

Tandis  que  le  système  d'association  se  développait  à  l'étranger 


'  Voy.  Falke,  Gesch.  des  deutschen  Handels,  t.  I,  p.  221-230.  Dans  le  SudiUwf  de 
Londres,  on  ne  trouve  aucune  trace  de  ces  jeux  dans  lesquels  la  force  de  résis- 
tance physique  et  la  fermeté  d'âme  du  pauvre  novice  étaient  éprouvées  d'une 
manière  presque  inhumaine.  —  Barthold,  t.  II,  p.  134. 

*  GiERKE,  t.  I,  p.  352-357.  —  Falke,  Gesch.  des  Handels,  t.  I,  p.  230-23i. 


LA    HANSE    ALLEMANDE.  349 

(l'une  manière  si  grandiose,  à  l'intérieur  de  noire  pays,  au  nord  et 
à  l'ouest,  beaucoup  de  villes  commerçanlcs  entraient  aussi  dans 
une  étroite  ligue  défensive  et  offensive  pour  le  maintien  de  la 
paix,  la  sécurité  des  échanges,  la  régularisation  des  questions  judi- 
ciaires, les  douanes  et  le  change.  C'est  ainsi  que  se  forma  peu  à  peu 
l'Union  générale  des  villes,  société  fondée  sur  la  libre  alliance  de 
toutes  les  compagnies  commerciales  appartenant  d'origine  et  de 
droit  à  la  basse  Allemagne.  De  l'union  de  cette  confédération  avec 
la  Hanse  générale  existant  déjà  à  l'étranger,  naquit  la  célèbre  Ligue 
Hanséatique,  où  entrèrent  peu  à  peu  toutes  les  villes  de  l'Allemagne 
du  Nord,  depuis  Riga  jusqu'aux  frontières  de  Flandre,  et,  au  sud, 
jusqu'au  pied  des  montagnes  de  la  Thuringe. 

La  Hanse  était  divisée,  comme  le  «  Komloor  ;>  de  Bruges,  en 
sections,  ou  «  quartiers  »  dont  les  limites  et  l'étendue  variaient 
fréquemment.  Elle  fut  enfin  définitivement  partagée  en  quatre 
quartiers.  Lübeck  était  le  centre  du  quartier  wende;  Cologne,  du 
quartier  rhénan  ;  Brunswick,  de  la  Saxe,  et  Danzig,  de  la  Prusse  et 
de  laLivonie.  En  dehors  de  la  Hanse,  les  villes  du  duché  de  Clèves, 
de  Westphalie,  de  Gueidre,  de  Frise,  de  Poméranie,  etc.,  formèrent 
des  associations  particulières. 

La  Hanse  représentait  les  marchands  allemands  à  l'étranger, 
■défendait  les  droits  des  compagnies  commerciales,  assurait  et 
multipliait  leurs  libertés,  veillait  à  la  sécurité  marchande  sur  les 
mers  eu  appareillant  des  vaisseaux  destinés  à  combattre  les  pirates, 
réglait  tous  les  intérêts  commerciaux,  posait,  en  un  mot,  par  l'exer- 
cice de  sa  vaste  autorité  les  premières  assises  d'un  droit  commer- 
cial universel.  Jouissant  d'un  pouvoir  législatif  sans  restriction  dans 
les  questions  de  commerce  et  de  marine  marchande,  jugeant  et  punis- 
sant à  l'intérieur  de  son  administration,  y  maintenant  la  paix  et  la 
justice,  elle  formait  un  vaste  État  dans  l'État.  Cependant  elle  nuisait 
aussi  peu  au  pouvoir  et  à  l'unité  de  l'Empire  que,  dans  un  cercle  plus 
restreint,  les  corporations  et  unions  marchandes  nuisaient  au  pou- 
voir et  à  l'unité  des  villes.  Bien  que  la  Hanse  ne  s'appuyât  point  sur 
l'Etat,  ses  sentiments  envers  l'Empire  étaient  pleins  de  dévouement. 
Les  armes  qu'elle  s'était  choisies  suffiraient  presque  à  nous  le 
prouver.  A  côté  de  la  clef  des  armoiries  de  Novogorod;  à  coté  de  la 
morue  de  celles  de  Bergen,  apparait  dès  le  quinzième  siècle  le  demi- 
aigle  double;  les  armes  du  Stahlhof  de  Londres  et  du  Komtoor  de 
Bruges  portent  l'aigle  tout  entier  '. 

'  Voy.   les  armoiries   dans  le  second   vol.  de  Sartorius,  Gesch.  der  Hansa.  — 
SCHLÖZER,  Verfall  und  Unler gang  der  Hansa,  ^.  80-82, 


350  ECONOMIE    SOCIAL  t. 


II 


C'est  au  quinzième  siècle  que  la  Hanse  atteignit  son  plus  haut  degré 
de  puissance.  Son  autorité  commerciale  s'étendait  en  Russie,  en  Suède, 
en  Danemark,  en  Norvège,  en  Angleterre  et  en  Ecosse ,  en  France, 
en  Espagne  et  en  Portugal,  dans  tout  l'intérieur  de  l'Allemagne,  en 
Litlmanie  et  en  Pologne.  La  Russie  et  les  pays  Scandinaves  lui 
étaient,  commercialement  parlant,  entièrement  assujettis.  Quant  à 
l'Angleterre,  au  même  point  de  vue,  elle  se  trouvait  vis-à-vis  de 
l'Allemagne  dans  la  situation  où  l'Allemagne  est  actuellement  vis- 
à-vis  d'elle  '. 

Entre  les  villes  hanséatiques  Danzig  tenait  le  premier  rang  et 
avait  su  conquérir  une  importance  universelle.  Dès  le  commencement 
du  quinzième  siècle,  cette  ville  élait  en  rapport  direct  avec  tous  les 
pays  entrés  par  leur  marine  marchande  dans  le  réseau  hanscatique, 
et  s'était  frayé  des  voies  particulières  en  Lithuanie,  en  Pologne  et  en 
Hongrie.  Ses  marchands  tiraient  des  pays  Scandinaves  le  fer,  le  cuivre, 
la  pelleterie,  les  poissons,  la  résine,  la  poix,  le  goudron,  plusieurs 
sortes  de  bois,  et  y  importaient  surtout  le  drap  fin,  les  soieries,  le 
velours,  les  métaux,  le  froment,  le  seigle,  le  lin,  le  chanvre,  le  hou- 
blon, l'huile,  les  vins  d'Espagne  et  du  Rhin,  les  épices  et  la  toile  *.  De 
Lisbonne,  ses  vaisseaux  exportaient  du  bois,  de  la  farine,  de  la  bière, 
des  poissons  séchés,  et  y  apportaient  du  sel,  du  liège,  de  l'huile,  des 
figues,  des  oranges,  des  vins  fins  et  des  fourrures  précieuses.  Pro- 
tégés par  le  gouvernement  portugais,  les  marchands  de  Danzig 
exportaient  aussi  du  bois  de  construction  pour  les  navires  '.  Leur 
commerce  était  très-actif  sur  les  rives  de  la  Galicie  et  les  bords  occi- 
dentaux de  la  France,  surtout  à  Raie  ^,  port  situé  au  sud  de  Nantes, 
d'où  ils  tiraient,  entre  autres  marchandises,  le  fameux  sel  du  pays. 
En  1474,  soixante-douze  vaisseaux   de  Danzig  abordèrent  en  Rre- 


1  Voy.  KiSSELBACH,  Der  Gang  des  irellhandcls,  p.  235.  —  Les  marchands  des 
hanses  anglaises  étaient  appelés  Easterlings  ou  marchands  de  l'Est,  par  oppo- 
sition aux  marchands  de  l'Ouest,  c'est-à-dire  aux  Belges  et  aux  Hollandais.  Le 
mot  sterling  ou  livre  sterling  est  une  abréviation  à'easterling,  parce  que  pendant 
longtemps  tout  l'argent  qui  circulait  en  Angleterre  provenait  de  la  Hanse.  — 
LiST,  Gesammelle  Schriften,  t.  HI,  p.  37. 

*  Sur  le  commerce  hanséatique  avec  la  Russie  et  les  pays  Scandinaves,  voy. 
aussi  Beer,  Allgcm.  Gesch.  des  Welthandels,  t.  I,  p.  253-261. 

^  Voy.  Hirsch,  Danlzigs  Handelsgeschichte,  p.  271-272. 

*  Voy.  Hirsch,  p.  90-92,  et  ses  observations  sur  ce  sujet  dans  laCkroniquc  de 

Wcinreich,  t.  VIII,  note  3. 


LA    IIANSF    ALLEMANDE.  35t 

tagne,  et  cinquante  et  un  de  ses  navires  mouillèrent  à  la  fois  à 
rcmbouchuredc  la  Vistule'.  Le  commerce  avec  i'Anglelerre  formait 
pour  Danzig  la  plus  importante  branche  d'échan^yes^  Elle  y  impor- 
tait ses  céréales,  ainsi  que  les  bois  de  consiruclion  des  rives  de  la 
Vistule,  et  exporlait  les  laines  anglaises.  Danzi{j  envoyait  souvent 
en  Angleterre  de  six  à  sept  mille  vaisseaux  chargés  de  blé,  et  expor- 
tait la  laine  et  les  fourrures.  Ses  marchands  apportaient  à  la 
Flandre  différentes  espèces  de  bois  et  de  céréales,  et  en  rapportaient, 
surtout  de  Bruges,  centre  commercial  de  tous  les  peuples,  les  pro- 
duitsvariés  de  l'industrie  universelle.  Le  commerce  de  Danzig  avec  la 
Hollande  était  si  considérable  que  rien  qu'en  une  seule  année  (1481), 
onze  mille  de  ses  navires,  grands  et  petits,  y  apportèrent  du  blé. 
Les  Hollandais,  de  septembre  1441  à  mai  1447,  par  conséquent  en 
l'espace  de  cinq  ans  et  demi,  payèrent  à  la  ville  de  Danzig  plus 
de  douze  millions,  c'est-à-dire,  d'après  la  valeur  actuelle  de  l'argent, 
environ  cent  vingt  millions  de  thalers  \  Danzig  formait  de  véri- 
tables flottes,  composées  de  trente  à  quarante  navires,  et  chacune 
d'elles,  de  par  l'autorité  de  la  ville,  était  suivie  de  vaisseaux  de 
guerre  destinés  à  la  protéger. 

Une  discipline  sévère  régnait  sur  les  navires  hanséatiques.  Lorsqu'un 
bâtiment  avait  atteint  la  pleine  mer  après  une  demi-journée  de 
traversée,  le  capitaine  rassemblait  tous  les  marins  et  voyageurs,  et 
leur  tenait  le  discours  suivant  :  «  Nous  voici  entre  les  mains  de 
Dieu.  Nous  sommes  livrés  aux  vents  et  aux  vagues,  nous  aurons  à 
partager  les  mêmes  périls;  c'est  pourquoi,  ici,  tous  doivent  être 
égaux  :  nous  aurons  peut-être  à  affronter  des  ouragans  soudains, 
la  rencontre  de  pirates;  des  dangers  sans  nombre  nous  menacent 
au  milieu  des  flots  redoutables.  Aussi  notre  voyage  ne  pourrait-il 
bien  s'effectuer  si  nous  ne  commencions  par  établir  une  ferme  disci- 
pline. Avant  tout,  prions.  Chantons  à  Dieu  de  pieux  cantiques;  obte- 
nons du  Seigneur  un  bon  vent  et  une  heureuse  traversée;  ensuite, 
selon  le  droit  marin,  nous  nommerons  des  éclievins  pour  le  main- 
tien de  la  justice.  "  Alors,  avec  l'assentiment  des  assistants,  on 
procédait  à  l'élection  d'un  bailli,  de  quatre  échevins,  d'un  justicier 
chargé  de  punir  ceux  qui  seraient  en  faute,  et  d'autres  fonction- 
naires encore.  Puis  la  loi  marine  était  proclamée  :  «  Il  est  interdit 
de  jurer  par  le  nom  de  Dieu,  de  prononcer  le  nom  du  démon,  de 


'  IIIUSCH,  dans  la  Chronique  de  IVeinreich,   t.  VIIL 

*  Sur  le  commerce  anglais  à  Danzig,  voy.  :  Hirsch,  Dantzigs  Handelsgcschichte, 
p.  98-116. 

^  Hirsch,  Dantzigs  Handelsgcschichte,  p.  98-116.  En  1428,  cent  seize  vaisseaux 
hollandais  et  anglais  entrèrent  à  Danzig.  —  Voy.  Ropp,  Hanserecesse  (Leipzig, 
1876),  vol.  I,  IX,  note  1. 


352  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

s'endormir  pendant  la  prière,  d'aller  et  venir  avec  des  lumières;  de 
gaspiller  les  denrées  alimentaires;  d'empiéter  sur  les  droits  du  caba- 
retier;  de  jouer  aux  dés  ou  aux  cartes  après  le  coucher  du  soleil; 
d'empêcher  le  cuisinier  de  bien  rempHr  ses  fonctions;  d'entraver  les 
manœuvres  des  matelots,  le  tout,  sous  peine  d'amende.  »  On  menaçait 
de  sévères  punitions  corporelles  ceux  qui  dormiraient  au  lieu  de  faire 
le  quart,  feraient  du  tapage  à  bord,  sortiraient  leurs  armes  de  leurs 
fourreaux,  causeraient,  en  un  mot,  quelque  désordre.  Lorsque  la 
traversée  approchait  de  sa  fin,  le  bailli  et  les  échevins  réunissaient 
de  nouveau  l'équipage;  le  premier  se  démettait  de  sa  charge  en 
disant  :  "  Pardonnons-nous  mutuellement  tout  ce  qui  s'est  passé  pen- 
dant la  traversée;  regardons-le  comme  mort  et  non  avenu;  nous 
avons  rendu  les  sentences  nécessaires  dans  un  esprit  de  justice  et 
d'équité;  aussi,  je  demande  à  chacun,  en  toute  loyauté,  d'oublier 
l'inimitié  qu'il  pourrait  avoir  conçue  pour  un  autre,  et  de  jurer,  sur 
le  sel  et  le  pain,  de  n'y  plus  jamais  songer  avec  amertume.  Cepen- 
dant celui  qui  se  croirait  lésé  dans  ses  droits  peut,  d'après  l'ancien 
usage,  porter  plainte  devant  le  bailli  du  bord  et  réclamer  justice 
avant  le  coucher  du  soleil.  "  Chacun  mangeait  ensuite  le  pain  et  le 
sel;  on  renonçait  mutuellement  à  toute  rancune;  une  fois  le  vaisseau 
entré  dans  le  port,  le  tronc  contenant  les  amendes  était  confié  au 
bailli,  afin  qu'il  en  distribuât  le  contenu  entre  les  pauvres. 

L'importance  des  navires  de  Danzig,  calculée  d'après  les  charges 
de  céréales  ou  d'après  les  tonneaux,  peut  s'apprécier  par  les  chiffres 
suivants  :  ils  étaient  de  quarante  à  douze  cents  tonneaux  et  recevaient 
de  soixante  à  trois  cents  charges  de  blé.  Le  fameux  Pierre  de 
Z)an2/(/ porta  même  jusqu'à  deux  mille  deux  cent  cinquante  charges  de 
sel  (1474);  il  avait  souvent  à  bord  quatre  cents  hommes  d'équipage. 
Pourvus  de  gaillards  d'avant  solides,  quelquefois  même  doubles,  les 
plus  importants  navires  de  Danzig  faisaient  en  même  temps  le  service 
de  marine  de  guerre  et  de  marine  marchande '.  Danzig,  utilisant 
avec  intelligence  ses  richesses  forestières,  déploya  pour  la  construc- 
tion des  vaisseaux  une  activité  remarquable.  Aussi  les  bâtiments  sortis 
de  ses  chantiers  étaient-ils  très-recherchés,  ainsi  que  toute  matière 
brute  ou  fabriquée  destinée  à  la  marine  et  provenant  de  ses  ateliers. 
Danzig,  dans  la  plupart  de  ses  opérations  commerciales  avec 
l'étranger,  était  associé  à  Lübeck  *,  ou  du  moins  aidé  de  sa  coopé- 
ration. Lübeck  devait  toute  sa  richesse  commerciale  à  ses  vastes 
échanges  avec  Kiga,  Revel,  Dorpat,  INovogorod  et  les  villes  russes, 
échanges   dont   le   monopole    lui    ùit  longtemps  conservé.   C'est 

'  Voy.  J.  D.,  ll'undercr's  Reisebericht,  dans  les  Arch,  de  Francfort  de  FiCH.vnD,  t.  Il, 
p.  245. 

*  Hirsch,  Dantzig's  Hand.Ujcschicktc,  p.  133. 


ESSOR    DU    COMMERCE.  353 

par  le  canal  de  Lübeck  que  les  malièi-es  premières  russes,  ainsi 
(pie  les  prodiiils  <lcs  plaines  de  la  Polo{jne  et  de  la  Lidiuanic  (bois, 
goudron,  loiirrures  communes  et  fines,  cuirs  et  cuivre,  cire,  miel, 
graisse,  viande,  céréales  et  lins),  étaient  importés  en  Occident,  et 
que  les  produits  naturels  et  les  œuvres  d'art  d'Allemagne,  de  Filandre 
et  d'Angleterre  étaient  exportés  dans  le  rsord.  La  célèbre  bière  de 
Lübeck  s'expédiait  dans  tous  les  pays  du  rs'ord,  et  la  prospérité  com- 
merciale de  cette  ville  allait  toujours  en  croissant.  Les  étrangers  y 
affluaient.  C'était,  parmi  les  ports  de  la  Baltique,  le  centre  principal 
de  ces  grandes  caravanes  de  marchands,  d'artisans,  de  chevaliers,  de 
voyageurs  de  toute  condition,  qui,  jusqu'au  seizième  siècle,  se  ren- 
daient tous  les  ans  en  Livonie  '.  "  Lübeck  possède  de  telles  richesses, 
un  si  grand  pouvoir  ; ,  écrivait  yËneas  Sylvius  en  1458,  <  que  le  Dane- 
mark, la  Suède  et  la  Norwége  sont  accoutumés  à  élire  et  à  déposer 
les  rois  sur  un  signe  d'elle  ^  ". 

Le  commerce  de  Breslau  avait  aussi  une  grande  importance.  Par 
ses  relations  avec  Vienne  et  Presbourg,  il  mettait  la  Belgique  en 
com.munication  avec  le  Danube,  atteignait  l'Elbe  supérieur  en  passant 
par  Prague,  Brème  et  Leipzig,  descendait  les  pentes  de  l'Allemagne 
du  Sud  jusqu'à  l'Oder,  et  là,  partageait  avec  Stettin  l'empire  com- 
mercial du  pays  ^ 

Les  villes  rhénanes  saxonnes,  celles  de  la  haute  Allemagne  et  de 
l'Allemagne  du  Sud,  avaient  aussi  un  commerce  florissant  :  "  Cologne, 
par  ses  vastes  affaires  et  ses  inestimables  richesses  ",  dit  Wim- 
pheling,  "  est  la  reine  du  Bhin.  Que  dirais-je  de  Nuremberg  qui 
entretient  des  relations  avec  presque  tous  les  pays  de  l'Europe  et 
débite  au  loin  son  orfèvrerie  d'or  et  d'argent,  ses  ouvrages  artis- 
tiques de  cuivre,  de  bronze,  de  pierre  et  de  bois?  On  peut  à  peine  se 
faire  une  juste  idée  de  sa  richesse,  et  j'en  dis  autant  d'Augsbourg.  La 
ville  d'Ulm,  bien  moins  importante,  tire,  dit-on,  de  son  commerce 
plus  d'un  demi-million  de  florins  par  an  *.  Les  villes  alsaciennes 
font  de  magnifiques  affaires,  et  Strasbourg  surtout  est  extraordinai- 
rement  riche  \  =! 


'  Falke,  Gesch.  des  deutschen  Handels,  t.  I,  p.  176-178.  —  ScHLÖZER,  Verfall  der 
Hansa,  p.  75,  100. 

-  Voy.  SCHLÖZER,  p.  74. 

^  Klöde>",  Gesch.  des  Oderhandels  (1852).  —  Falke,  Gesch.  des  deutschen  Handels,  t.  I, 
p.  181. 

*  Ce  cliiffre  n'est  pas  exagéré.  —  Jäger,  Ulm,  p.  376-377-387.  Ulm  avait  le 
plus  célèbre  commerce  de  vins  de  l'Allemagne  da  Sud,  et  vendait  surtout  les 
vins  rouges  et  blancs  du  Rhin  que  ses  marchands  achetaient  surplace.  —  Jager, 
p.  715-717. 

*A  la  fin  de  son  traité  :  De  arte  impressoria.  En  1507,  l'Italien  Vettori  disait 
à  propos  de  Strasbourg  :  Argentina  ha  tanto  d'entrata,  que  dicono  aver  con- 
Gregato  in  communita  moite  centinaja  di  migliaja  di  fiorini.  »  Il  n'y  a  point  de 

23 


354  ECONOMIE    SOCIALE. 

Par  Strasbourg,  Colmar  et  les  petites  villes  de  l'Alsace,  par  Bâle, 
Constance  et  Genève,  le  commerce  allemand  s'étendait  jusque  dans 
l'intérieur  de  la  France,  et  par  Marseille  jusqu'aux  rives  de  la  Méditer- 
ranée. Du  Pdiin,  au  nord,  ildescendait  jusqu'à  l'embouchure  du  fleuve; 
du  nord-est  de  l'Allemagne,  en  passant  par  l'Allemagne  centrale,  il 
pénétrait  dans  les  contrées  de  l'Elbe  et  de  la  Baltique;  à  l'ouest,  par 
les  villes  de  Franconie  et  de  Saxe,  il  prenait  possession  des  pays  danu- 
biens; au  sud,  par  les  Alpes  suisses,  il  gagnait  Gênes,  Venise,  Milan, 
Lucques,  et  Florence.  Enfin,  par  les  passages  des  Alpes  suisses  et 
tyroliennes,  les  marchands  de  l'Allemagne  du  Sud  formaient  le 
point  de  jonction  entre  l'Europe  du  Sud,  le  nord-est  de  l'Empire  el 
les  populations  slaves  qui  en  marquent  la  limite. 

Pour  faciliter  les  communications,  un  service  de  messagerie  reliait 
entreelles  un  grand  nombre  de  villes  de  commerce.  On  avait  établi  à 
Danzig  des  courriers  réguliers  pour  les  correspondances  commer- 
ciales. Dès  le  quatorzième  siècle  un  service  semblable  rattachait 
Augsbourgà  Venise.  Il  était  confié  aux  "  officiers  messagers  ",  fonc- 
tionnaires nommés  par  le  conseil,  et  formant  une  corporation  parti- 
culière K 

Le  commerce  de  l'Allemagne  avec  Venise  avait  une  importance 

ville  en  Allemagne  -,  dit  Machiavel,  -  qui  n'ait  un  trésor  public,  et  tout  le- 
monde  sait  que  Strasbourg  possède  à  elle  seule  plusieurs  millions  de  florins.  » 
Opère,  IV,  p.  153.  Érasme  disait  que  Strasbourg  était  si  riche,  qu'au  lieu  de 
l'appeler  Argentoratus,  la  ville  d'argent,  on  devait  la  nommer  Auiata,  la  ville  d'op. 

—  Voy.  ScHiiOLLER,  Strassburg,  zur  Zeit  der  Zunftlampfc,  p.  68.  —  Voy.  Falke,  II, 
363,  364. 

'  Greiff,  Tagebuch  ron  Lucas  Rem,  p.  77  —  En  1444,  trois  "  coureurs  »  furent 
pillés  et  assassinés  sur  la  grand'route  entre  Cöslin  et  Colberg.  —  Hirsch, 
Daniùgs  Handelscjeschichte,  p.  221.  Un  messager,  envoyé  à  Bâle  par  les  marchands 
de  Nuremberg,  fut  pillé  et  maltraité  près  de  Ehingen  (1436).  —  Roth,  Gesch.  des 
Nürnberger  Handels,  t.  I,  p.  176,  et  t.  IV,  p.  273.  Dans  beaucoup  de  villes  de  lAlle- 
magne  du  Sud,  le  service  des  postes  était  confié  à  la  corporation  des  bouchers, 
qui,  ayant  souvent  des  livraisons  à  faire  aux  environs,  se  chargeaient  d'y 
porter  les  lettres.  Leurs  messagers  voyageaient  à  cheval  ou  en  voiture,  et 
annonçaient  leur  arrivée  ou  leur  départ  en  sonnant  du  cor,  origine  du  cor  que 
les  bouchers  avaient  quelquefois  dans  leurs  armes  de  corporation.  De  là,  pro- 
bablement aussi,  l'origine  du  cor  des  postillons.  —  Voy.  Flegler,  Geschichte  der 
Posten  (Nuremberg,  1858),  p.  :8-29.  Les  postes  bouchères  continuèrent  dans 
une  partie  de  l'Allemagne  jusqu'au  dix-septième  sièele.  —Voy.  Haberli.x,  Hand- 
buch des  deutschen  Staatsrechtes,  t.  III,  p.  80,  et  Stangel,  Das  deutsche  Postwesen 
(Stuttgard,  1844  ,  p.  15-17.  Dès  la  fin  du  quatorzième  siècle,  l'ordre  Teutonique 
de  Prusse  avait  organisé  un  service  de  poste  complet.  Le  premier  maréchal  de 
cavalerie,  qui  habitait  à  Marienbourg,  résidence  du  grand  rnaitre,  remplissait  en 
même  temps  les  fonctions  de  premier  maître  de  poste  et  inspectait  les  postillons 
qui  parcouraient  à  cheval  les  routes  postales.  Dans  chaque  maison  de  l'ordre, 
le  commandeur,  en  sa  qualité  de  maître  de  poste,  devait  surveiller  l'échange 
régulier  des  correspondances,  ainsi  que  les  messagers  qui  en  étaient  chargés. 

—  J.  Voigt,  Das  Stilleben  des  Hochmeisters  des  deutschen  Ordens,  und  sein  Fürstenhof, 
dans  le  Histor.  Taschenbuch  de  Räumer,  t  I,  p.  218-221.  —  Flegler,  p.  30.  L'orga- 
nisation  des  postes  ne  vient  nullement  du  Tyrol.  Sa  formation  sous  Maximi- 


ESSOR    DU    COMMERCE.  355 

tout  à  pari.  L'élablisscment  que  les  Allemands  y  avaient  fondé,  le 
Fondaco  ou  Foïilajo,  comparable  en  imporlance  depuis  sa  reconslruc- 
tion  (1505)  à  la  maison  et  aux  magasins  de  la  hanse  d'Anvers,  com- 
prenait, outre  les  boutiques  et  les  entrepôts  de  marchandises,  les 
logements  de  nos  marchands,  et  servait  aussi  d'auberge  aux  voya- 
geurs et  aux  pèlerins  '.  Au  quinzième  siècle,  à  l'époque  où  le  com- 
merce était  le  plus  florissant  à  Venise,  il  arrivait  souvent  qu'une  cen- 
taine de  marchands  allemands  s'y  trouvassent  réunis.  «  J'y  ai  séjourné 
quelque  temps  »,  raconte  dans  ses  souvenirs  de  pèlerinage  le  cheva- 
lier Arnold  de  Harlf  (1497),  <  et  j'y  voyais  tous  les  jours  expédier 
de  tous  côtés  quantité  de  marchandises  (épices,  soieries,  etc.). 
A  Venise,  chaque  ville  a  son  propre  comptoir.  J'y  vis  ceux  de  Colo- 
gne, de  Strasbourg,  de  Nuremberg,  d'Augsbourg,  de  Lübeck  et 
d'autres  cités  impériales.  Nos  marchands  m'ont  assuré  que  leur 
établissement  rapportait  parfois  à  la  seigneurie  100  ducats  de  béné- 
fice net  par  jour  -,  abstraction  faite  des  marchandises  achetées  et 
bien  payées  dans  la  ville.  «  Félix  Fabri  évalue  à  20,000  ducats  les 
droits  de  douanes  prélevés  annuellement  par  Venise  sur  les  marchan- 
dises exportées  en  Allemagne  (1484).  «  Outre  cela  ",  dit-il,  «  plus  d'un 
ballot  échappe  aux  douaniers  et  s'expédie  derrière  leur  dos  ^  »  «  La 
maison  de  commerce  des  Allemands  ",  rapporte  le  voyageur  italien 
Pietro  Casola,  «  était  si  bien  fournie,  qu  elle  eiit  été  en  élat  de 
satisfaire  à  elle  seule  aux  besoins  de  toute  l'Italie.  "  Sanuto  assure 
que  pendant  le  seul  mois  de  janvier  1511,  les  marchands  allemands 
établis  à  Venise  achetèrent  pour  140,000  ducats  d'épices,  de  sucre 
et  d'autres  denrées  *.  Les  principaux  articles  exportés  en  Allema- 
gne étaient  :  les  épices,  les  figues  et  autres  fruits  du  Midi;  le 
poivre,  le  drap,  les  couvertures  de  soie,  les  étoffes  précieuses 
tissées  de  fil  de  soie  et  d'or,  le  sucre  et  les  verreries.  Les  Allemands, 
de  leur  côté,  importaient  à  Venise  et  dans  toute  l'Italie  leurs  miné- 
raux, fer,  cuivre,  plomb,  étain,  or  et  argent,  et,  en  fait  de  produits 

lien  I"  se  relia,  par  l'intermédiaire  des  Pays-Bas,  à  l'organisation  française.  — 
Voy.  Flegler,  p.  33-35. 

'  Il  existe  encore,  dans  la  partie  la  plus  animée  et  la  plus  commerçante  de  la 
Tille,  au  Canal  Grande,  près  du  pont  de  Rialto. 

^  De  péaîjes  et  diverses  taxes.  —  Arnold  von  Harff,  Pilgerfahrt,  p.  41. 

'  Ex  hoc  fontico  tantae  merces  emittuntur  in  Alemaniam,  quod  nemo  credit. 
Nam  de  publiais  mercibus  egredientibus  recipiunt  Veneti  per  annum  ultra 
XX  millia  ducatorum  pro  telonio,  demtis  privatis  minutis  et  furtivis  mercibus, 
quae  noctibus  educuntur  vel  aliis  rebus  ignobilioribus  commiscentur.  •  Evaga- 
torium,  t.  III,  p.  432. 

■*  Voy.  W.  IIeyd,  Das  Haus  der  deutschen  Kaufleute  in  Venedig,  dans  le  Zeitschrift  de 
Sybel,  t.  XXXII,  p.  193-220.  —  EnneN,  Die  Stadt  Köln  und  das  Kaufhaus  der  Deutschen  in 
Venedig,  dans  le  Monaslehrft  de  Pick,  für  rheinisch-tceslfüUsche  Gcchicktsforschung,  t.  I, 
p.  105-138.  —  Voy.  la  description  du  Fontego  dans  Tentori,  Saggio  suHa  storia  di 
Venetia,  par  Mone,  Zeitschrift,  t.  V,  p.  5. 

23. 


356  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

fabriqués,  du  cuir,  de  la  corne,  des  lainages,  des  toiles  et  des  four- 
rures de  toutes  sortes. 

Parmi  les  villes  rattachant  à  rAllemagne  le  commerce  de  Venise, 
Ratisbonne,  Augsbourg,  Ulm,  Auremberg  et  Lübeck  étaient  au  pre- 
mier rang.  Juscju'au  seizième  siècle,  et  même  après  que  le  commerce 
eut  perdu  beaucoup  de  son  ancienne  splendeur,  les  Augsbourgeois 
envoyaient  encore  les  jeunes  gens  à  Venise  comme  à  une  haute  école 
de  science  commerciale.  Les  Fugger,  Weiser,  Baumgartner,  Herwart, 
Rem  et  autres  y  avaient  des  comptoirs  '. 

Ce  n'était  pas  seulement  quelques  villes  isolées  qui  s'efforçaient 
d'étendre  ^-  le  commerce  du  Saint-Empire  -  jusqu'à  la  Méditerranée 
et  cherchaient  à  en  faire  le  point  central  des  échanges  entre  le  nord 
et  l'est  de  l'Europe  :  toute  la  bourgeoisie  de  la  haute  Allemagne, 
les  villes  des  frontières  de  France  au  delà  du  haut  Rhin,  depuis 
les  Vosges,  le  long  du  Mein  et  du  Danube  jusqu'à  la  frontière  hon- 
groise, prenaient  part  avec  le  même  zèle  et  la  même  persévérance 
à  cette  vaste  ramification. 

Les  habitants  de  la  haute  Allemagne,  les  Alsaciens,  les  populations 
du  haut  Rhin  et  des  rives  du  lac  de  Constance  -;  les  Allemands  de 
Franconie,  de  Bavière,  des  possessions  héréditaires  d'Autriche,  entre- 
tenaient les  relations  commerciales  les  plus  animées  avec  l'Italie  et 
le  Levant,  source  principale  de  leur  richesse  et  des  progrès  de  leur 
industrie  ^ 

Jusqu'à  la  fin  du  quinzième  siècle,  l'Allemagne  fut  le  foyer  du 
commerce  universel,  l'entrepôt  et  le  marché  du  monde  entier  pour 
les  matières  premières  aussi  bien  que  pour  les  produits  fabriqués. 
Par  la  Ligue  hanséatique,  non-seulement  elle  dominait  le  com- 
merce de  la  Baltique  et  de  la  mer  du  Nord,  mais  encore,  possé 
dant  la  clef  de  tous  les  défilés  et  passages  des  Alpes,  elle  ratta- 
chait à  son  courant  d'affaires  les  réseaux  commerciaux  aboutissant  à 
la  Méditerranée.  Francfort-sur-le-Mein  était  le  centre  des  échanges 
de  la  haute  et  basse  Allemagne.  <=  A  la  foire  de  Francfort  -,  écrit 
Jérôme  Miinzer  (1495),  »  les  marchands  flamands,  hollandais,  anglais, 
polonais,  bohémiens,  itahens,  français  affluent  de  tous  côtés.  De 
presque  toutes  les  contrées  de  l'Europe  on  les  voit  apporter  leurs 

'  Le  Journal  de  Lucas  Rem,  pultlié  par  Greiff,  et  qui  s'ouvre  en  1494,  ne  nous 
offre  pas  seulement  un  brillant  témoignage  de  l'ancienne  splendeur  et  impor- 
tance du  commerce  d'Augsbourg,  il  nous  présente  aussi  le  tableau  attachant 
de  la  vie  et  des  habitudes  dun  marchand  allemand  à  cette  époque.  Sur  le 
commerce  de  Nuremberg  avec  l'Italie,  voy.  Roth,  t.  I,  p.  111-114,  271.  —  Voy. 
Kleinsch:\IIDT,  Augsbowg,  Xuremberg  und  ihre  Handelsfürslcn  im  fünf:.ehnten  und  scchzenlen 
Jahrhundert  ICassel,  1881). 

-  Sur  le  commerce  des  villes  du  lac  de  Constance,  voy.  .aione,  Zciischrifi,  t.  IV, 
p.  6-67. 

3  Voy.  Falk,  t.  II,  p.  35-37. 


ESSOll    DU    (KJMMEIICE.  357 

marchandises,  et  ils  font  les  plus  brillantes  affaires  '.  "  François  I" 
refjardait  Francfort  comme  la  plus  [jrande  ville  de  commerce  non- 
seulement  de  l'Allema^iue,  mais  presque  du  monde  entier-.  La 
célèbre  foire  de  Francfort  était  la  source  la  plus  abondante  des 
revenus  de  la  ville.  Afin  de  proté{>;cr  l'aller  et  le  retour  des  mar- 
chands étrangers,  la  municipalité  avait  or[;anisé  une  ;■•  escorte  "  com- 
posée de  seize,  vingt-quatre,  trente  et  souvent  même  quatre-vingt-dix 
ou  cent  arbalétriers,  suivant  le  plus  ou  le  moins  de  danger  de  la  route 
à  parcourir.  En  1404,  pour  aller  à  la  rencontre  des  marchands  de 
Limbourg  et  de  Montabaur,  l'escorte  mit  cent  onze  hommes  sur  pied. 
Tous  étaient  habillés  de  blouses  de  coutil  blanches  et  noires,  ornées  sur 
le  côlé  gauche  de  glands  noirs,  rouges  et  blancs'.  Les  sommes  que  les 
marchands  en  voyage  étaient  obligés  de  payer  aux  seigneurs  fonciers 
dont  ils  traversaient  les  domaines  pour  en  obtenir  de  sûres  escorles 
formaient,  avec  les  taxes  si  nombreuses  dont  les  marchandises  étaient 
alors  grevées,  les  lourdes  et  onéreuses  plaies  du  commerce  au  moyen 
âge;  mais  si  l'on  tient  compte  de  ces  difficultés,  jointes  à  taut  d'autres, 
on  n'en  admirera  que  plus  l'essor  grandiose  de  l'industrie  à  l'époque 
dont  nous  nous  occupons*. 


III 


Par  la  découverte  du  passage  maritime  conduisant  aux  Indes  orien- 
tales, le  principal  courant  du  commerce  universel  reliant  l'Europe 
à  l'Asie  avait  été  transporté  du  centre  de  l'Europe  à  l'ouest,  vers 
la  mer,  et  la  position  commerciale  de  l'Allemagne  s'en  était  trouvée 
profondément  modifiée.  Toutefois  ce  changement  ne  fut  pas  la 
première  ni  la  seule  cause  de  la  décadence  du  commerce  survenue 
plus  tard  dans  nos  villes  du  Sud.  Tant  que  le  Portugal  conserva  la  pré- 
pondérance dans  les  échanges  avec  le  Nouveau  Monde,  il  fut  plutôt 
une  cause  de  progrès  et  de  vie.  Les  marchands  du  Sud,  et  surtout  ceux 
de  Nuremberg  et  d'Augsbourg,  s'aperçurent  bien  vite  que  leur  situa 
tiou  centrale  eu  Europe  ouvrait  désormais  trois  roules  à  leur  com- 
merce avec  l'Asie  :  la  voie  ancienne,  passant  par  Venise  et  Gênes, 

'  Kunstmann,  p.  308. 

-  Voy.  Lers.ner,  Frankfurter  Chronik,  t.  I,  p.  129. 

'Sur  la  foire  et  l'escorte  de  Francfort,  voy.  surtout  Kriegk,  Franl/urier 
Zustände,  p.  294-329. 

*  Pour  plus  de  détails,  voy.  Falke,  Gesch.  des  deutschen  Handels,  t.  I,  p.  237-247. 
—  Un  exemple  suffira  pour  nous  donner  une  idée  des  innombrables  péages  alors 
réclamés  :  Des  marchands  se  rendant  de  la  fronrière  de  la  Bavière  à  Vienne 
sont  obligés  de  payer  onze  fois  les  douanes  dans  leur  voyage.  Falke,  p.  237. 


358  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

celle  si  longtemps  parcourue  conduisant  d'Anvers  aux  rives  occiden- 
tales de  l'Europe;  enfin  la  route  nouvelle  de  Lisbonne.  Ils  se  ser- 
virent de  cette  dernière  presque  aussitôt  qu'elle  fut  ouverte.  Les 
Allemands  de  la  haute  Allemagne  avaient  pris  le  plus  vif  intérêt  aux 
découvertes  portugaises,  et  l'un  de  nos  compatriotes  rendit  d'impor- 
tants services  à  Yasco  de  Gama  lors  de  sa  première  expédition  aux 
Indes'.  En  150.3,  Wilser,  négociant  d'Augsbourg,  et  plusieurs  mar- 
chands d'autres  villes  fondèrent  à  Lisbonne  un  vaste  établissement, 
et  obtinrent  du  roi  don  Emmanuel  le  droit  d'établir  aux  abords  et 
à  l'intérieur  de  la  ville  des  maisons  de  commerce  pourvues  d'entre- 
pôts. Parmi  les  privilèges  donnés  parle  Roi  à  la  compagnie  des  mar- 
chands allemands,  privilèges  dépassant  les  faveurs  accordées  à  ses 
propres  sujets,  il  faut  surtout  citer  ceux  qui  se  rapportent  au  com- 
merce des  Indes.  Les  épices,  les  bois  du  Brésil  et  autres  marchan- 
dises, provenant  soit  des  Indes,  soit  des  iles  nouvellement  décou- 
vertes, purent  désormais  être  achetés  et  transportés  affranchis  de  tous 
droits  de  douanes.  La  compagnie  fut  en  outre  autorisée  à  se  servir 
des  vaisseaux  de  toute  grandeur  construits  dans  le  pays,  avec  la 
jouissance  des  franchises  concédées  aux  bâtiments  portugais,  et  obtint 
aussi  le  droit  d'employer  ses  propres  navires,  pourvu  toutefois  que  les 
hommes  d'équipe  fussent  Portugais.  Par  des  lettres  de  franchise 
datées  du  3  octobre  1604,  le  roi  de  Portugal  accorde  aux  marchands 
allemands  établis  dans  ses  États  le  droit  d'avoir  un  tribunal  particu- 
lier. Les  célèbres  commerçants  Wilser,  ainsi  que  leurs  secrétaires, 
sont  invités  à  prendre  part  à  1  expédition  indienne,  et  à  mettre  à  la 
suite  de  la  flotte  royale  quelques-uns  de  leurs  bâtiments.  "  Les  pre- 
miers d'entre  nos  compatriotes  ",  écrit  avec  fierté  Conrad  Peutinger 
au  secrétaire  impérial  Biaise  Hiilztl  (.3  janvier  1505),  '•  nous  avons  visité 
les  Indes,  et  c'est  un  grand  honneur  pour  nous  ^.  "  Des  trois  vaisseaux 
allemands  qui  prirent  part  à  ce  voyage  sous  la  conduite  du  vice-roi  don 
Francisco  de  Almeida  (1505),  deux  comptaient  parmi  les  plus  grands 
de  cette  admirable  flotte.  Le  15  novembre  1606,  ils  rentraient  dans 
le  port  de  Lisbonne.  «  Nous  avons  entrepris  et  achevé  ce  voyage  au 
nom  de  Dieu  »,  écrit  l'un  des  passagers,  Bernard  Sprenger.  A  lui 
seul  soient  honneur  et  gloire,  maintenant  et  dans  l'éternité!  Amen  K  » 


'  Voy.  dans  le  présent  volume  ce  que  nous  avons  déjà  dit  sur  la  part  prise 
par  les  Allemands  à  la  découverte  du  Nouveau  Monde. 

^  Greiff,  p.  171.  —  Les  lettres  et  renseifjnements  de  Conrad  Peutinger  écrits 
entre  1497  et  1506  se  rapportent  tous  au  commerce  des  Indes  et  à  la  découverte 
d'une  nouvelle  voie  maritime,  et  prouvent  suffisamment  avec  quelle  attention 
les  grands  négociants  d'Augsbourg  (les  Fugger,  Weiser,  etc.)  suivaient  les 
découvertes  de  leur  temps  et  savaient  les  mettre  à  profit. 

^  Voy.  F.  Klwstman.N,  Fahrt  der  ersten  Deutschen  nach  dem  portugiesischen  Indien, 
dans  les  Bislor.  pol.  ßl.,  p.  48,  277-309. 


LES    VILLES    ALLEMANDES.  359 

L'équipement  des  vaisseaux  avait  coûté  66,000  ducats,  et  pourtant  les 
grands  nejjociants  qui  avaient  entrepris  l'expédition  retirèrent  des 
marchandises  exportées  un  i)énéfice  net  de  175  pour  100  '. 

«  C'est  vraiment  ciiose  merveilleuse  ",  dit  le  voyageur  fran- 
çais Pierre  de  Froissart  (1497),  "  que  la  hardiesse  et  l'esprit  d'entre- 
prise des  marchands  allemands.  Ils  ont  un  véritable  j;énie  pour  mul- 
tiplier leurs  richesses.  La  prospérité  de  leurs  villes ,  la  magnificence 
de  leurs  édifices  publics  et  de  leurs  maisons  privées,  les  précieux  tré- 
sors qui  ornent  l'intérieur  de  leurs  demeures  le  prouvent  éloquem- 
ment.  C'est  plaisir  de  séjourner  parmi  eux  et  de  prendre  part  aux 
divertissements  publics  des  bourgeois  *.  » 

Environ  soixante  ans  auparavant,  le  métropolitain  russe  Isidore,  se 
rendant  au  concile  de  Florence  avec  une  suite  de  plus  de  cent  per- 
sonnes, tant  ecclésiastiques  que  laïques,  visita  Lübeck,  Lunebourg, 
Brunswick,  Erfurt,  Nuremberg,  etc.,  «  et  grand  fut  son  étonnement  », 
a  rapporté  l'un  de  ceux  qui  l'accompagnaient.  Toutes  ces  villes  floris- 
santes, avec  leurs  maisons  belles  et  spacieuses,  leurs  magnifiques 
jardins,  leurs  canaux  savamment  construits;  la  richesse  et  la  splen- 
deur des  églises  et  des  cloîtres,  l'animation  du  commerce,  l'activité 
des  habitants,  les  nombreux  chefs-d'œuvre  d'un  art  élevé,  la  dignité 
des  magistrats,  le  juste  orgueil  de  la  bourgeoisie,  la  noble  attitude 
des  chevaliers,  toutes  ces  choses  éveillèrent  chez  les  Russes  des  impres- 
sions inattendues,  et  les  jetèrent  dans  un  enthousiasme  aveugle. 
Erfurt  était,  à  leur  avis,  la  ville  la  plus  riche  de  l'Allemagne;  aucune 
n'avait  un  commerce  aussi  prospère  et  ne  possédait  plus  de  chefs- 
d'œuvre  artistiques  \ 

L'Italien  ^Eneas  Sylvius  exprime  la  même  admiration  (1468).  «  Nous 
l'avouons  en  toute  franchise  • ,  dit-il,  «  jamais  l'Allemagne  n'a  été 
plus  riche,  plus  brillante  que  de  nos  jours;  cette  nation  est  au-dessus 
de  toutes  les  autres  par  sa  magnificence  et  ses  grandeurs,  et  l'on  peut 
affirmer  qu'il  n'en  est  pas  à  qui  Dieu  ait  fait  plus  de  dons.  Nous 
y  voyons  de  toutes  parts  des  villes  animées,  des  prairies  cultivées,  des 
champs  de  blé,  des  vignes,  des  jardins  d'agrément  et  des  vergers, 
égayant  la  campagne  comme  les  abords  des  villes;  partout  de  beaux 
édifices,  de  gracieuses  maisons  des  champs;  partout  des  montagnes 

'  Roth,  l.  I,  p.  271. 

-  Lettre  17.  L'Italien  Augustinus  Patritius,  cardinalis,  Senensis  Legati  in  Ger- 
mania secretarius,  écrivait  en  1471  :  «  Est  Germania,  ultra  quam  nostri  homines 
credant,  magnifica  et  pulchra...  ita,  ut  multœ  suit  inter  eas  urbes,  qua'  multi- 
tudine  populi,  pulciiritudine  aedificiorum,  templorum  magnificentia  et  civitatis 
splendore  nostris  Italicis  liaud  multum  cédant,  iuterdum  etiam  superent.  » 
Fr.EHER,  Scripti.,  t.  II,  p.   288. 

^  Voy.  Strahl,  Ituashutfls  älteste  Gesandlschaftcn  in  Deutschland,  dans  les  archives  de 
la  Société  des  antiquités  nationales  allemandes,  t.  VI,  p.  526-527.  —  Karamsix, 
Gesch.  des  Russischen  Reiches,  traduction  allemande  (Riga,  1 825, 5=  partie,  p.  228-229}. 


360  ECONOMIE    SOCIALE. 

couronnées  de  châteaux,  des  villes  ceintes  de  murailles,  villes  dont  les 
plus  remarquables  nous  montrent  dans  tout  leur  jour  la  puissance  de  ce 
peuple,  la  splendeur  de  ce  pays.  Où  trouver  dans  toute  l'Europe  une 
cité  plus  magnifique  que  Cologne  ',  avec  ses  admirables  églises,  ses 
hôlels  de  ville,  ses  tours  et  ses  bâtiments  aux  toits  de  plomb,  ses 
riches  bourgeois,  son  beau  fleuve  et  les  campagnes  fertiles  qui 
l'entourent?  Allons  plus  loin,  visitons  les  villes  populeuses  de  Gand 
et  de  Bruges,  entrepôts  de  tout  le  commerce  de  l'Orient;  il  est 
vrai  que  le  droit  français  paraît  y  régner,  mais  elles  sont  allemandes 
de  langue  et  de  mœurs.  Passons  aux  gracieuses  villes  du  Brabant, 
parcourons  Bruxelles,  Malines,  Anvers  et  Louvain.  Retournons  par 
le  Rhin,  admirons  Mayence;  c'est  une  ville  ancienne,  richement 
ornée  de  splendides  édifices  publics,  de  belles  demeures  bourgeoises, 
célèbre  par  sa  cathédrale  et  ses  églises.  Il  n'y  a  vraiment  d'autre 
reproche  à  lui  adresser  que  l'étroitesse  de  ses  rues.  Pias  loin,  voici 
Berne;  ce  n'est  pas  une  grande  cité,  mais  c'est  du  moins  une  très- 
jolie  ville.  Spire  aussi,  très-peuplée,  très-bien  bâtie,  plait  à  tout  le 
monde.  Strasbourg,  avec  ses  nombreux  canaux,  aux  eaux  douces  et 
limpides,  est  comme  une  seconde  Venise,  mais  une  Venise  saine  et 
gracieuse,  au  lieu  que  la  vraie  Venise  est  traversée  de  canaux  boueux, 
à  l'odeur  nauséabonde.  Outre  la  cathédrale,  chef-d'œuvre  d'architec- 
ture digne  de  toute  notre  admiration,  on  y  voit  un  nombre  considé- 
rable d'églises  et  de  couvents  remarquables.  A  Strasbourg,  beaucoup 
de  maisons  ecclésiastiques  et  bourgeoises  sont  si  belles  qu'aucun  roi 
ne  s'y  trouverait  déplacé.  Bâle  se  fait  remarquer  par  les  toitures  de 
ses  églises  et  de  ses  maisons  privées;  ces  toitures  en  tuiles  brillantes, 
bariolées,  sont  d'un  admirable  effet  lorsque  les  rayons  du  soleil  cou- 
chant les  font  briller  au  loin.  Ses  maisons  bourgeoises,  proprement 
tenues,  ornées  de  jardins,  de  fontaines,  de  cours,  sont  peintes  à  l'exté- 
rieur, et  d'un  blanc  étincelant.  Berne  est  si  puissante  qu'elle  pourrait 
facilement  mettre  sur  pied  2,000  hommes  armés.  Augsbourg  surpasse 
en  richesse  toutes  les  villes  du  monde.  Munich  est  très-florissante.  Mais 
Vienne  est  la  ville  la  plus  remarquable  de  toute  l'Autriche.  Ses  palais 
sont  vraiment  royaux,  et  ses  églises  feraient  l'admiration  de  l'Itahe. 
Nous  renonçons  à  décrire  Saint-Étienne,  nous  manquons  de  termes 
et  de  talent  pour  rendre  l'impression  que  cette  église  fait  éprouver.  » 
Des  ambassadeurs  de  Bosnie,  après  eu  avoir  longtemps  contemplé  le 
clocher,  s'écrièrent  enfin,  pleins  d'admiration,  -  qu'il  avait  dû  coûter 
plus  d'argent  que  le  prix  de  tout  le  royaume  de  Bosnie  ne  saurait 
en  fournir  ».  «  A  Vienne  »,  dit-il  à  un  autre  endroit,  '^  les  maisons 
bourgeoises  sont  spacieuses  et  richement  décorées.  Elles  sont  bâties 

'  Nihil  masuificentius,  nihil  ornatius  tota  Europa  reperias. 


FUNESTES    CONSÉQUENCES    DU    LUXE.  361 

en  pierre  do  (aille;  elles  ont  de  hautes  et  imposantes  façades  et  sont 
peintes  intérieurement  et  extérieurement;  les  portes  ont  des  ferme- 
tures de  fer  et  les  fenêtres  des  vitres.  On  croit  entrer  dans  des 
demeures  princiéres.  "  ;'  Il  est  impossible  de  passer  Nuremberp;  sous 
silence.  Quand  on  vient  de  la  basse  Franconie  et  qu'on  aperçoit  de 
loin  cette  ville  magnifique,  elle  apparaît  dans  une  splendeur  vraiment 
grandiose;  lorsqu'on  y  péuètre,  l'idée  qu'on  s'en  était  faite  est 
confirmée  par  la  beauté  de  ses  rues,  la  propreté  de  ses  maisons.  Les 
églises  de  Saint-Sébald  et  de  Saint-Laurent  sont  dignes  d'être 
vénérées  aussi  bien  qu'admirées.  Le  château  impérial  domine  fière- 
ment la  ville,  et  les  demeures  bourgeoises  semblent  avoir  été  bâties 
pour  des  princes.  En  vérité,  les  rois  d'Ecosse  souhaiteraient  d'être 
aussi  bien  logés  que  le  moins  favorisé  des  bourgeois  de  Nurem- 
berg... '.  "  «  A  parler  franchement,  aucun  pays  d'Europe  n'a  de 
villes  plus  belles,  plus  plaisantes  que  l'Allemagne.  Elles  sont  riantes, 
fraîches  d'aspect;  il  semble  qu'elles  aient  été  achevées  d'hier.  " 
«  Nulle  part,  chez  les  autres  peuples,  on  ne  trouve  autant  de 
liberté  que  dans  les  villes  d'Allemagne.  Les  habitants  des  soi-disant 
États  libres  d'Italie  sont  de  véritables  serfs,  comparés  aux  bourgeois 
allemands.  A  Venise,  à  Florence,  à  part  le  petit  nombre  de  ceux  qui 
ont  en  main  le  gouvernement,  les  bourgeois  sont  traités  en  esclaves. 
Ils  n'osent  ni  employer  leurs  revenus  comme  il  leur  convient,  ni  dire 
hbrement  ce  qu'ils  pensent,  et  sont  soumis  aux  plus  rudes  exigences 
fiscales.  En  Allemagne,  au  contraire,  tout  est  gai,  tout  est  facile; 
personne  ne  se  voit  frustré  de  son  avoir,  chacun  garde  son  héritage, 
et  l'autorité  ne  gène  que  ceux  qui  nuisent  aux  autres  -.  » 

«  L'Allemagne  ",  écrivait  Wimpheling  environ  cinquante  ans  plus 
tard,  "  n'a  jamais  été  plus  riche  ni  plus  florissante  que  de  nos  jours, 
et  cette  prospérité,  elle  la  doit  surtout  au  labeur  infatigable  et  aux 
industrieux  efforts  de  ses  bourgeois,  artisans  et  négociants.  Les 
paysans  mêmes  s'enrichissent.  De  tous  côtés,  depuis  un  siècle  et  plus, 
s'élèvent  les  plus  magnifiques  églises,  les  plus  splendides  monuments 
pubhcs,  et,  chose  encore  plus  digne  d'être  louée,  les  établissements 
charitables  destinés  aux  pauvres  et  aux  malades  se  multiplient  et 
sont  libéralement  dotés.  " 

«  Mais  la  richesse  »,  poursuit  Wimpheling  montrant  le  revers  de 
la  médaille,  «  a  aussi  de  grands  périls,  comme  nous  en  avons  tous 
les  jours  la  preuve;  elle  engendre  un  luxe  exagéré,  la  sensualité, 
la  débauche,  et,  ce  qui  est  tout  aussi  désastreux,  elle  fait  naître  la 
cupidité  et  la  soif  de  posséder  des  richesses  toujours  plus  grandes. 
Cette   cupidité   rend   l'esprit   des  hommes  frivole  et  conduit  au 

'  Médiocres  Norimbergae  cives. 

-  Voy.  l'ouvrage  cité  ci-dessus.  De  rliii,  ciiu,  etc.  Op.,  718. 


362  ECONOMIE    SOCIALE. 

mépris  de  Dieu,  de  l'Église  et  de  ses  lois.  Le  mal  se  montre  dans 
toutes  les  classes.  Même  parmi  les  prêtres,  Famour  du  bien-être  se 
rencontre  très-fréquemment,  surtout  chez  ceux  qui  appartiennent  à 
la  noblesse;  ils  n'ont  aucun  souci  des  âmes  et  veulent  égaler  les  riches 
marchands  par  leur  faste.  Les  moins  entachés  des  vices  du  temps, 
ce  sont  les  paysans  et  les  ouvriers  ;  ceux-là  vivent  encore  d'après  les 
simples  mœurs  d'autrefois,  .l'en  dis  autant  de  ces  curés  de  paroisse 
qui  dans  les  villes  et  les  campagnes  se  montrent  pleins  de  zèle  pour 
le  salut  de  leurs  ouailles.  Dieu  merci  !  le  nombre  de  ces  bons 
pasteurs  est  grand!  Les  monastères  oi^i  l'esprit  de  la  règle  vit  encore 
et  qui  ne  possèdent  pas  de  grandes  richesses  sont  aussi  à  l'abri 
des  erreurs  du  siècle.  Le  mal  se  produit  surtout  dans  les  cités  où  le 
commerce  a  pris  une  grande  extension  et  permet  d'acquérir  en  peu 
de  temps  des  bénéfices  considérables,  parce  qu'il  excite  et  satisfait 
dans  le  peuple  des  besoins  de  luxe  toujours  nouveaux.  Un  commerce 
si  prospère  n'est  pas  toujours  un  bien,  surtout  lorsqu'il  a  pour 
objet  de  coûteuses  bagatelles,  de  riches  habillements,  des  mets 
délicats  '.  « 

V Exhortation  chrétienne  dit  aussi  :  "  Tout  est  loin  d'être  louable  dans 
l'état  du  marchand.  Le  commerce  est  honorable  et  nécessaire  quand 
il  se  rapporte  à  des  choses  indispensables  à  l'homme,  comme  la  nour- 
riture, l'habillement,  l'habitation,  car  on  ne  peut  se  procurer  par- 
tout les  choses  nécessaires  à  la  vie.  Mais  il  en  est  tout  autrement  de 
ces  bagatelles  superflues  qui  ne  servent  qu'à  amollir  les  hommes,  à 
flatter  la  sensualité,  à  engendrer  les  mauvaises  mœurs  et  les  mauvaises 
modes,  comme  nous  en  avons  trop  souvent  la  preuve  dans  les  villes  et 
même  dans  les  campagnes.  La  chose  en  est  venue  à  un  tel  point  que 
je  crains  les  sévères  jugements  de  Dieu  sur  nous.  Les  modes  varient 
si  souvent  que  cela  est  à  peine  croyable.  Elles  sont  d'une  extrava- 
gance inouïe;  hommes  et  femmes  affublent  leurs  corps  périssables  de 
vêtements  dont  on  ne  saurait  imaginer  la  magnificence  -.  " 


IV 


Le  luxe  des  habits,  en  effet,  était  arrivé  à  un  degré  d'extravagance 
étrange.  Les  simples  bourgeois,  tout  comme  les  nobles  et  les  hauts 
dignitaires  civils,  portaient  des  perles  à  leurs  chapeaux,  à  leurs 
chausses,  pourpoints  et  manteaux;  des  bagues  d'or  à  leurs  doigts, 

^  A  la  fin  de  son  ouvrage  De  arte  impressoria. 
*  Page  8. 


LUXE    DES    COSTUMES.  363 

des  ceintures  en  arguent  ciselé,  des  couteaux,  des  épées,  même  des 
ceintures  d'or  et  d'argent  massits.  Leurs  habits  étaient  brodés  d'or  et 
d'argent;  ils  portaient  du  velours,  du  damas  et  du  satin  et  d'élégantes 
chemises  de  soie,  plissées  et  toutes  galonnées  d'or.  Leurs  manteaux 
et  leurs  pourpoints  étaient  doublés  et  garnis  de  zibeline,  d'hermine 
de  martre.  Les  femmes  et  filles  de  bourgeois  mêlaient  des  fils  d'or 
j  à  leurs  nattes  et  à  leurs  boucles,  se  couvraient  de  bijoux  et  se  paraient 
I  de  perles,  de  couronnes  d'or,  de  coiffes  brodées  d'or  et  de  perles. 
I  Les  étoffes  de  soie,  de  velours,  de  damas  ou  de  satin  dont  se  servaient 
les  femmes,  étaient  encore  plus  riches  que  celles  employées  par  les 
I  hommes.  Les  chemises  tissées  d'or  étaient  regardées  comme  «  parure 
I  indispensable  pour  toute  dame  honorable  ".  Le  conseil  de  Ratisbonne, 
voulant  diminuer  par  une  loi  somptuaire  la  magnificence  outrée  des 
;  habillements,  la  profusion  des  bijoux  précieux,  ordonne  aux  femmes 
j  et  aux  filles  de  la  haute  bourgeoisie  d'observer  à  l'avenir  le  règle- 
ment suivant  :   •■  Il  leur  est  interdit  d'avoir  plus  de  huit  habille- 
ments, six  manteaux  longs,  trois  robes  de  danse,  un  manteau  à  gros 
plis.  Les  robes  ne  doivent  pas  avoir  plus  de  trois  paires  de  manches 
en  velours,  damas,  ou  autre  étoffe  de  soie;  deux  chaperons  garnis  de 
perles  sont  permis,  pourvu  qu'ils  ne  dépassent  pas  le  prix  de  douze 
florins  chacun*;  un  diadème  d'argent  et  de  perles,  d'une  valeur  de 
cinq  florins,  est  autorisé;  trois  voiles  seulement  sont  accordés,  parmi 
lesquels  un  seul  pourra  valoir  huit  florins,  et  la  frange  ne  devra  pas 
peser  plus  d'une  once  d'or.  On  permet  de  garnir  les  robes  de  franges 
de  soie;  celles  de  perles  et  d'or  sont  interdites.  Il  est  permis  d'avoir 
une  collerette  garnie  de  perles,  de  la  valeur  de  cinq  florins,  un  plas- 
tron de  perles  de  douze  florins,  autour  des  manches  deux  rangs  de 
perles  de  cinq  florins  l'once  ;  une  petite  chaîne  d'or  avec  médaillon  de 
quinze  florins;  un  collier  de  vingt  florins.  Excepté  la  bague  de  fian- 
çailles et  de  mariage,  point  d'anneaux  dépassant  vingt-quatre  florins. 
Trois  ou  quatre  Pater  noster,  chacun  de  la  valeur  de  dix  florins.  Galons 
ou  ceintures,  de  soie  ou  d'or,  sont  tolérés,  mais  pas  plus  de  trois  *.  » 
«  Si  j'examine  la  parure  de  plus  d'une  bourgeoise  ",  dit  Geiler  de 
Kaisersberg,  •.  je  constate  qu'elle  porte  sur  elle,  en  sa  magnifique  robe 
et  ses  joyaux  précieux,  la  valeur  de  plus  de  trois  à  quatre  cents 
florins;  dans  ses  armoires,  pour  la  vaine  parure  de  son  corps,  elle 
possède  pour  plus  de  trois  mille  florins  d'habillements  et  d'objets 
précieux.  »  Cette  somme  est  colossale  pour  l'époque. 

'  Pour  douze  florins,  on  pouvait  alors  acheter  trois  bœufs  engraissés.  Voy. 
plus  haut. 

*  Gemeiner,  Chronik  von  Rcgenslmrg,  t.  III,  p.  679-684.  —  Sur  les  lois  somptuaires, 
voy.  Malreu,  Stikltever/assung,  t.  III,  p.  81-86.  —  Lois  somptuaires  des  diètes  de 
Lindau  (1497),  de  Fribourg  (1498),  dAugsbourg  (ISOO},  dans  la  nouvelle  collec- 
tion des  arrêts  des  États,  t.  II,  p.  31,  47-48,  78-79. 


364  ECONOMIE    SOCIALE. 

K  On  voit  parmi  nous  ",  dit  encore  Geiler,  -  des  femmes  qui  laissent, 
comme  les  hommes,  leurs  cheveux  pendre  sur  le  dos;  elles  ont  des 
bérets  garnis  de  plumes  de  coq  sur  la  tète.  Quelle  honte  el  quel 
péché!  ^'e  vois-tu  pas  qu'il  n'est  maintenant  personne  qui  n'ait  des 
oreilles  d'âne?  ^'e  vois-tu  pas  les  joyaux  d'argent  que  les  femmes 
attachent  à  leurs  bérets,  et  n'est-ce  pas  une  honte  qu'elles  portent 
maintenant  des  coiffures  d'homme"?  Les  hommes,  à  leur  tour,  ont 
des  bonnets  brodés  de  soie  et  d'or  comme  les  femmes;  les  femmes  se 
font  des  diadèmes  comme  les  saintes  d'église.  Tout  leur  corps  est 
plein  de  folie,  au  dedans,  au  dehors,  sous  la  ceinture,  dans  la  cein- 
ture, hors  de  la  ceinture.  Leurs  chemises  sont  plissées;  elles  ne  savent 
qu'imaginer  pour  s'affubler  ;  tantôt  leurs  manches  sont  démesurément 
larges  et  ressemblent  à  celles  des  frocs  de  moines;  tantôt  elles 
sont  si  étroites  qu'elles  peuvent  à  peine  y  pénétrer.  Les  autorités 
des  villes  et  celles  des  campagnes  devraient  leur  interdire  les  robes 
abominablement  courtes  qu'elles  adoptent  maintenant'.  Vois  donc 
les  ceintures  qui  entourent  leurs  tailles!  Tantôt  elles  sont  de  soie, 
tantôt  d'or;  tantôt  d'un  travail  si  précieux  que  l'orfèvre,  pour  les 
ciseler,  ne  prend  pas  moins  de  quarante  ou  cinquante  florins.  Elles 
traînent  dans  la  poussière  les  longues  queues  de  leurs  robes,  et  ne  son- 
gent guère,  eu  se  parant,  à  la  nudité  du  Christ  dans  ses  pauvres,  n 
"  Ouelque«:-unes  ont  tant  de  robes  que  durant  toute  la  semaine  elles 
ont  de  quoi  en  changer  deux  fois  par  jour,  le  matin  et  l'après-midi. 
Si  elles  vont  le  soir  à  la  danse  ou  à  quelque  divertissement,  elles  en 
'ont  encore  en  réserve,  et  aimeraient  mieux  les  voir  dévorées  par  les 
mites  que  d'en  donner  le  prix  aux  malheureux.  ^  -■  Les  femmes  ne 
sont  pas  seules  à  laisser  traîner  leurs  robes  dans  la  boue  :  les  prêtres 
et  les  prélats  en  font  tout  autant.  • 

"  Autrefois  ■-,  poursuit  Geiler,  ^-  l'hermine,  la  zibeline,  les  four- 
rures précieuses  n'étaient  que  pour  les  princesses  et  les  grandes 
dames;  aujourd'hui,  les  bourgeoises  ne  peuvent  plus  s'en  passer.  » 

Une  chanson  populaire  le  leur  reproche  : 


'  Sur  les  modes  immodestes  de  l'époque,  voy.  Sermones  et  varii  tractatus  de    i 
Geiler  lArgeut.,   1518),  fol.  26^.  —   Voy.  de  Lorenzi.  t.  II,  p.  17-23.  —  Keller,    j 
Nachlese,  p.  328.  —  HcLLMiNN,  Sladlcircsen,  t.  IV,  p.  135-152.  —   SibeXkees,   Mate-    \ 
rialien,  t.  IV,  p.  603.  Beaucoup  d'ordonnances  contre  des  modes  semblables  sont    j 
venues  jusqu'à  nous,  par  exemple  celles  de  Berne  (en  1481,  1486, 1495.)  — Axshelm,    j 
t.  I,  p.  255,  408.  et  t.  II,  p.  19G.   «  Mais  les  seigneurs  du  conseil  ',  dit  VExhorta-    I 
lion  chrèiienne,  ^  ne  prennent  pas  de  mesures  sérieuses   contre  le  luxe,  car  il 
rapporte  aux  marchands  beaucoup  d'argent,  et  celui  qui  le  blâme,  et  censure 
les  habillements   immodestes,   n'est    pas  vu  d'un   bon  œil.    »    Lorsque  .Jean 
Capistrano   prêcha  à   Ulm  contre  les  modes  du  jour  et  les  mauvaises  mœurs 
(1461),  le  conseil  de  la  ville  le  fit  jeter  eu  prison  et  le  chassa  peu  après  de  la 
cité.  JÀGER,  Ulm,  p.  509. 


LUXE    DES    COSTUMES.  365 

t  Les  femmes  se  couvrent  de  pelleteries  rares;  elles  sont  parées  comme 
des  princesses.  Qui  peut  maintenant  distinguer  leur  rang?  C'était  bien 
mieux  dans  l'ancien  temps!  Le  renard  était  alors  leur  plus  belle  fourrure. 

»  Flics  se  fardent  plusieurs  fois  le  jour,  se  mettent  de  fausses  dents', 
et  portent  des  cheveux  qui  ne  leur  appartiennent  pas.  » 

«  ()  femme  = ,  dit  Geiler,  n'as-tu  pas  peur,  le  soir,  lorsque  tu 
songes  qu'au  grand  péril  de  ton  âme  tu  portes  des  cheveux  étran- 
gers qui  ont  peut-être  appartenu  à  une  femme  morte?  » 

Le  zèle  du  prédicateur  de  Strasbourg'  prend  encore  à  partie  ces 
hommes  efféminés  qui  s'oignent  de  baume  et  s'inondent  d'eau  de 
roses.  «  Bien  souvent  »,  dit-il,  «  ces  jeunes  fats,  ces  fils  de  mar- 
chands qui  se  croient  quelque  chose  parce  que  leurs  pères  ont  de 
l'argent  et  la  moitié  du  jour  sont  assis  dans  les  auberges  ou  se 
pavanent  dans  nos  rues,  sont  encore  plus  insensés  dans  leurs  modes 
que  les  femmes.  Ne  vois-tu  pas  comme  ils  crêpent  leurs  cheveux,  se 
teignent,  se  graissent  le  museau?  »  "  Ils  se  barbouillent  avec  de  la 
graisse  de  singe  »,  dit  Sébastien  Brant  dans  la  Nef  des  fous;  «  ils 
font  bouffer  leurs  cheveux  avec  du  soufre,  de  la  résine  et  des  blancs 
d'œufs  battus  jusqu'à  ce  qu'ils  se  tiennent  tout  roides  sur  leur 
tête.  »  «  Voyez  leurs  chausses  »,  dit  Geiler  à  un  autre  endroit,  ;:  elles 
sont  bigarrées  comme  la  tablette  d'un  échiquier;  elles  sont  découpées 
en  tout  petits  morceaux,  et  la  façon  en  est  plus  coûteuse  que  l'étoffe. 
Toutes  ces  modes  nous  viennent  d'Italie  et  de  France.  »  Il  fait  honte 
aux  Allemands,  "  le  premier,  le  plus  admirable  peuple  de  la  terre  »,  et 
leur  reproche  de  se  laisser  affoler  par  les  modes  des  pays  voisins  et . 
de  singer  les  plus  extravagantes  fantaisies  des  tailleurs  étrangers.  Les 
marchands,  selon  lui,  sont  surtout  responsables  de  ce  luxe  honteux 
dans  les  costumes.  «  Grâce  à  leur  cupidité,  grâce  aux  navigateurs 
revenus  des  pays  lointains,  nous  voyons  arriver  parmi  nous  »,  dit-il, 
«  tant  de  modes  étranges,  tant  d'habits  saugrenus  et  d'inventions 
bizarres,  que  l'on  nous  prendrait  pour  des  fous!  Nos  marchands  se 
sont  embarqués  fous  et  reviennent  plus  fous  que  jamais,  dans  leurs 
costumes  absurdes;  et  malheureusement  ils  trouvent  un  grand  trou- 
peau d'insensés  pour  les  imiter.  »  "  Celui  qui  veut  maintenant  se 
faire  tailleur  de  fous  doit  être  vraiment  un  habile  homme  M  » 

Jean  Butzbach,  racontant  ses  années  d'apprentissage  chez  un 
tailleur  d'Aschaffenbourg,  nous  dit  dans  son  Livret  de  voyage  : 
«  Nous  étions  obligés  de  confectionner  les  pièces   d'habillement 

'  Anshelm  fait  mention  de  fausses  dents  en  ivoire  dès  1509,  t.  IV,  p.  30. 

-  Xarrenschiff,  p.  27-28,  185.  Judciiicucher  und  Schiiulerey,  p.  18.  —  Gr.VNATAPFEL, 
p.  102.  —  Voy.  Dacheux,  Jean  Geiler,  p.  213-215.  —  Voy.  sur  les  modes  extrava- 
gantes portées  par  les  paysans  du  temps  une  chanson  populaire  publiée  dans  le 
livre  d'Uhland,  t.  I,  p.  525-531. 


366  ECONOMIE    SOCIALE. 

les  moins  importantes  non  pas  en  drap  uni,  mais  en  drap  de  toutes 
couleurs.  Il  nous  fallait,  comme  si  nous  eussions  été  peintres, 
broder  artistement  sur  ce  drap  des  nuages,  des  étoiles,  le  ciel  bleu, 
des  éclairs,  la  grêle,  des  mains  croisées;  ou  bien  encore  des  clés,  des 
lys,  des  roses,  des  arbres,  des  branches,  des  croix,  des  lunettes  et 
d'autres  innombrables  folies  que  la  vie  brillante  de  la  cour,  la 
légèreté  et  Faraour  du  plaisir  variaient  et  renouvelaient  sans  cesse. 
Les  costumes  étaient  confectionnés  avec  les  étoffes  les  plus  riches, 
l'écarlate,  le  ^ane^  anglais,  les  draps  de  Liège,  de  Rouen,  de  Grenoble, 
de  Bruges,  de  Gand,  d'Aix-la-Chapelle,  et  d'autres  plus  précieuses 
encore.  En  fait  d'étoffes  de  soie,  on  employait  le  velours,  le  damas, 
le  camelot,  brodés  de  semis  de  roses  ou  garnis  de  zibeline  K  » 

Les  modes  variaient  perpétuellement,  et  les  costumes  de  toutes  les 
nations  étaient  imités.  «  Il  ne  faut  que  venir  à  Strasbourg,  »  dit 
Geiler,  "  pour  savoir  comment  «'habillent  les  Hongrois,  les  Bohé- 
miens, les  Français,  les  Italiens  etc.  ^.  »  <  Les  formes  des  habits 
changent  constamment  »,  dit  Conrad  Celtes,  décrivant  la  vie  des 
bourgeois  de  IS'uremberg.  ^  La  mode  subit  Finfluence  de  toutes  les 
nations  avec  lesquelles  Nuremberg  fait  le  commerce.  »  «  Tantôt  on 
porte  le  costume  sarmate,  large  vêtement  à  plis  garnis  de  fourrure, 
et  turban  autour  de  la  tête;  tantôt  c'est  la  veste  hongroise  cpii 
domine,  et  Fon  porte  par-dessus  un  manteau  italien;  ou  bien  la 
mode  est  à  la  française,  et  alors  les  habits  ont  des  parements  et 
des  manchettes  ^  »  «  A  certaines  fêtes  ",  dit  un  auteur  contem- 
porain, '!  les  nobles  s'habillent  trois  fois  le  jour,  et  chaque  fois 
revêtent  le  costume  d'un  pays  différent;  tantôt  ils  paraissent  en 
Allemands,  tantôt  en  Italiens,  tantôt  en  Espagnols;  aujourd'hui  en 
Français,  demain  en  Hongrois  *.  » 

Car  la  noblesse,  elle  aussi,  donnait  depuis  longtemps  dans  la 
coûteuse  extravagance  du  luxe  des  habits,  et  «  partageait  toutes  les 
folies  des  petits-maîtres  citadins  ".  Ce  travers  devint  même  une  des 
causes  principales  de  son  appauvrissement.  «  Si  la  noblesse  est  main- 
tenant abaissée  dans  notre  pays  >,  dit  un  contemporain,  «  c'est 
aux  modes  coûteuses  qu'elle  doit  s'en  prendre.  Les  nobles  veulent 
mener  aussi  grand  train  que  les  riches  marchands  des  villes;  ils  les 
devançaient  autrefois  sous  ce  rapport,  et  maintenant  ne  veulent 
pas  souffrir  que  les  filles  et  femmes  de  simples  négociants  soient 

^Chronica,  p.  121-123.  —  Voy.  Falke,  Trachten  und  Modewelt,  t.  I,  p,  290-293.  — 
Weiss,  Kosiümkunde,  3«  et  4^  livraison,  Stuttgard,  1868. 
-  Voy.  Dachel'x,  p.  215, 
3  Norimberga,  cap.  vi, 
*  Voy.  G.  A.  I\lE.\ZEL,  Gcsch.  der  Deutschen,  t.  VIII,  p.  218. 


LUXE    DES    COSTUMES.  367 

mieux  c(  plus  riclicmcnt  habillées  que  les  leurs.  Mais  ils  n'ont  point 
rar{',enl  (jnc  possèdenl  les  marchands  et  ne  sauraient  amasser  la 
viUj'jtiùme  partie  de  la  fortune  que  ceux-ci  ont  acquise  par  leur  sor- 
dide métier  et  leur  affreuse  usure.  Alors  ils  s'endedent  et  deviennent 
la  proie  des  usuriers  juifs  et  chrétiens;  ils  se  voient  forcés  de  vendre 
leurs  biens  '  tolalement  ou  en  partie,  et  c'est  ainsi  que  la  noblesse 
tombe  dans  la  misère  pour  avoir  voulu  mener  une  vie  fastueuse  et 
dépenser  au  delà  de  ses  moyens,  méprisant  les  simples  coutumes  de 
ses  ancêtres  ^  Je  crains  fort  que  tout  ceci  n'amène  de  grandes  cala- 
mités dans  les  pays  allemands  ^  " 

Pendant  les  Diètes,  les  plaintes  "  sur  le  luxe  de  la  noblesse  j,  sur 
l'argent  que  dépensent  les  femmes  pour  leurs  toilettes  et  celles  de 
de  leurs  filles  et  de  leurs  gens,  se  renouvellent  continuellement. 
Pour  satisfaire  leur  vanité,  les  nobles  retranchent  même  sur  leur 
nourritin-e;  ils  vont  s'endettant  de  plus  en  plus,  car  en  Allemagne 
«  les  modes  changent  presque  tous  les  ans.  Les  étrangers  por- 
tent bien  plus  longtemps  que  nous  leurs  costumes  d'apparat.  "  "  Les 
dépenses  déraisonnables  et  la  ruine  en  sont  les  conséquences  néces- 
saires, et  les  chevaliers  brigands  sont  bien  proches  parents  des  nobles 
endettés.  A  cause  d'un  luxe  si  extravagant,  beaucoup  de  dignes  filles 
nobles  ne  se  marient  point;  elles  sont  contraintes  d'entrer  dans 
les  abbayes  contre  leur  gré,  parce  que  leurs  parents  n'ont  plus  le 
moyen  de  les  entretenir  dans  l'éclat  qu'ils  jugent  convenable  à  leur 
rang*.  " 

«  Mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  déplorable  ",  dit  Y  Exhortation  chrétienne 
parlant  des  tristes  conséquences  du  luxe,  ^  c'est  que  dans  les  villages, 
les  rustres  et  leurs  femmes  commencent  à  porter  les  draps  étrangers 
les  plus  coûteux,  et  se  font  même  des  habits  de  velours  et  de  soie;  ils 
adoptent  les  modes  les  plus  folles  et  se  vêtent  comme  les  nobles.  " 
Sur  ce  point  les  plaintes  sont  universelles. 

Il  II  y  a  quelques  années  " ,  dit  Brant,  «les  gens  de  nos  campagnes  étaient 
encore  simples;  le  bon  sens,  qui  s'était  enfui  des  villes,  semblait  s'être 

'  Une  veuve  de  Heudorf  vendit  pour  une  modique  somme  tout  un  village 
afin  de  pouvoir  porter  à  un  tournoi  un  manteau  de  velours  bleu.  —  Zimmerische 
Chronic,  t.  I,  p.  396-397.  —  Mauuer,  Fronhöfe,  t.  W ,  p.  470.  Sur  l'appauvrisse- 
ment de  la  noblesse  de  Westphalie,  voy.  Rolewinck,  De  laude  Saxoniœ,  p.  224. 
•  Notre  noblesse  autrefois  si  considérée  tombe  de  jour  en  jour;  les  étrangers 
possèdent  notre  héritage,  de  nouveaux  propriétaires  s'élèvent,  et  nous,  avec 
nos  armoiries,  nous  descendons  toujours  plus  bas.  =  —  Voy.  Keller,  t.  II, 
p.  647. 

^  Voy.  RuxN'ER,  Turnierhuch,  p.  219.  • — ■  Voy.  Zimmerischc  Chronilc,  t.  I,  p.  460, 
463  ;  t.  II,  p.  520.  —  Strauss,  Ulrich  von  Hulten,  t.  I,  p.  9. 

^  Eyn  christlich  ermanung,  Bl.  11. 

i  Actes  des  diètes,  t.  XXXIV,  p.  252-270,  et  t.  XXXIX,  p.  7-18,  dans  les  Archives  de 
Francfort, 


368  ECONOMIE    SOCIALE. 

réfugié  parmi  eux;  mais  tout  est  bien  changé  maintenant  !  Nos  villageois  ne 
veulent  plus  porter  de  coutil  ni  de  blouse:  il  leur  faut  des  habits  en  drap 
de  Londres  ou  de  iMalines,  tout  tailladés,  tout  déchiquetés;  iln'yaplus 
de  simplicité  dans  le  monde.  Les  villageois,  gorgés  d'argent,  portent  des 
vêtements  de  soie  et  des  chaînes  d'or  '.  ' 

On  lit  dans  une  comédie  de  carnaval  : 

.'  La  mode  que  le  noble  imagine,  le  paysan  veut  immédiatement 
l'imiter  -,  ' 

Materne  Berler,  de  Ruf  fach,  dit  dans  sa  chronique  : 

«  Personne  ne  veut  plus  rester  dans  sa  condition,  et  le  rustre  singe  le 
gentilhomme.  >• 

"  C'est  un  bien  mauvais  signe  ),  dit  Geiler,  "  que  l'impossibilité  où 
l'on  est  maintenant  de  reconnaître  la  condition  à  l'habit.  Quand 
l'ouvrier  veut  s'habiller  comme  sou  maître,  la  servante  comme  sa 
maîtresse,  le  paysan  comme  le  noble,  le  mal  grandit  de  tous  côtés.  » 
«  Voyez  où  nous  en  sommes  venus!  Personne  maintenant  n'a  sur 
l'autre  aucun  avantage.  Aujourd'hui,  en  s'adressant  à  un  paysan,  on 
l'appelle  :  Très-honoré  monsieur!  JXe  souffre  pas  qu'on  te  nomme 
ainsi;  ce  nom  ne  te  convient  nullement;  il  sied  aux  princes  et  aux 
seigneurs,  non  à  toi;  au  lieu  de  t'honorer,  il  te  rabaisse.  —  Pourquoi 
cela?  dit  le  paysan;  j'ai  de  l'argent  bien  à  moi,  j'ai  acheté  les  mêmes 
habits  que  les  Irès-honorés  seigneurs,  »  Geiler  dit  encore  à  un  autre 
endroit  :  "  Il  y  a  trente  ans,  avant  que  je  vinsse  habiter  ici  ^  lorsque 
j'étais  encore  à  Ammerschweyer,  là-bas,  dans  la  campagne  où  j'ai 
appris  VA  b  c  et  où  j'ai  été  confirmé,  il  n'y  avait  pas  dans  toute  notre 
petite  ville  un  seul  homme  portant  un  manteau  court,  si  ce  n'est 
un  sergent  ou  valet  civil.  Tous  avaient  de  longs  vêtements  tombant 
jusqu'aux  genoux,  suivant  la  coutume  des  paysans  d'autrefois;  mais 
à  présent  nos  cultivateurs  portent  des  vêtements  déchiquetés,  et  si 
courts,  et  si  galonnés  que  Ton  n'en  voit  point  de  semblables  dans  les 
grandes  villes.  La  gourmandise  et  la  malice  grandissent  chez  les  villa- 
geois en  proportion  du  luxe,  au  lieu  qu'il  y  a  trente  ans,  je  le  répète, 
ils  menaient  une  vie  sage  et  retirée*.  »  Anshelm,  dans  sa  Chronique 
suisse,  se  plaint  aussi  de  ce  que  l'ancienne  loyauté,  simplicité  et  modé- 
ration ont  grandement  à  souffrir  des  nouvelles  modes  introduites 
dans  le  pays;  il  dit  que  les  paysans  commencent  à  porter  des  habits 

'  GoEDEKE,  162,  note.  — Zarncke,  Scb,  Brani.,  p.  427.  —  Sur  la  démorausation 
des  riches  paysans  dès  le  treizième  siècle,  voy.  Seebe.x,  p.  426. 

2  Keller,  t.'lll,  1158  et  1124-1134. 

3  A  Strasbourg,  en  1478. 

*  Postille,  t.  III,  p.  104.  —  EmeiS.,  p.  21.  —Judenwucher,  p.  19. 


AMOUR    DU    BIEN-I-ITRE    ET    DU    PLAISIR.  369 

tic  soie,  et  qu'avec  le  luxe  des  costumes  bien  des  maux  viennent  de 
compagnie  :  «  alors  se  mulliplicnt  les  vins  élranjjers,  les  mets 
reclicrchés,  les  maisons  élevées,  les  verrières  armoriées,  les  jeux  de 
dés  et  de  cartes  '.  » 

«  Chez  les  marchands,  dans  les  maisons  bourgeoises,  dans  les  châ- 
teaux, très-souvent  môme  chez  les  paysans  on  lait  usage  de  ces  den- 
rées inutiles  et  nuisibles  à  la  santé,  que  les  marchauds  cupides  ont 
importées  parmi  nous  :  clous  de  girofle,  cannelle,  noix  de  muscade, 
gingembre,  etc.  Et  l'on  n'en  use  point  avec  modération,  on  les  pro- 
digue, on  n'en  a  jamais  assez;  aussi  les  poches  se  vident-elles,  tout 
devient  plus  cher  d'année  en  année,  et  les  commerçants  vendent 
leurs  marchandises  ce  qu'il  leur  plait.  Le  luxe  de  la  table  n'est  pas 
moins  exagéré  que  celui  des  habits.  Les  noces,  les  baptêmes  et 
autres  fêtes  sont  devenus  l'occasion  de  bien  plus  grandes  dépenses 
qu'autrefois,  et  toutes  les  ordonnances  des  princes  et  des  munici- 
palités n'y  font  absolument  rien,  car  les  princes  et  les  seigneurs  du 
conseil  sont  ceux-là  mêmes  qui  se  montrent  les  plus  gourmands  et 
aiment  le  plus  les  grandes  tables  et  les  bons  festins.  Ce  qui  se  boit  et 
se  consomme  en  ces  réjouissances  (qui  durent  parfois  plusieurs  jours 
de  suite,  souvent  même  une  semaine  entière)  est  chose  surpre- 
nante ^  »  «  On  redoute  peu  les  châtiments  du  ciel  parmi  toutes  ces 

'  Ansehoi,  t.  III,  p.  2Î7-251.  Voy.  t.  III,  p.  17,  et  t.  II,  p.  123.  —  En  Suisse  ce 
fut  surtout  après  la  guerre  de  Bourfjogne  que  le  luxe  grandit.  On  portait  avec 
profusion  des  chaînes  d'or  et  des  bagues,  et  ces  dernières,  non-seulement  aux 
doigts  de  la  main,  mais  à  ceux  du  pied.  On  coupait  le  cuir  des  souliers  afin 
de  les  laisser  voir.  —  Voy,  K.  Pfyffer,  Gesch.  der  Stadt  und  des  Cantons  Luzern, 
t.  I,  p.  230  (Lucerne,  1861). 

^  Eyn  christlich  ermanung  Dl.,  p.  12.  —  Voy.  sur  les  ordonnances  contre  le  luxe 
de  la  table,  sur  les  noces,  baptêmes  et  repas  funèbres,  Hullman.v,  t.  IV, 
p.  150-»16C).  — Kriegk,  Bürgerthum,  p.  378-407,  et  Diirgerlhum,  Meue  Folge,  p.  175-193, 
222-258.  Au  festin  des  noces  d'Arnold  von  Glaulmrg  à  Francfort,  on  consomma 
239  livres  de  bœuf,  315  poulets  et  poules,  3,100  écrevisses,  30  oies,  etc.  La  fête 
coûta  116  florins  2/3,  somme  dont  la  véritable  importance  peut  être  appréciée 
par  ce  fait  qu'alors  le  muid  de  blé  coûtait  1  florin  et  le  foudre  devin  9  florins. 
Lucas  Rem,  marchand  d'Augsbourg,  dépensa  au  festin  de  ses  noces  222  florins 
(1518).  [Journal  de  Greif/,  p.  47-48.)  A  la  noce  du  comte  Ebrard  de  Wurtemberg, 
4  sceaux  de  Malvoisie,  12  sceaux  de  vin  du  Rhin,  500  sceaux  de  vin  de  Necker 
furent  absorbés  (1474).  V.  Stalin,  t.  IIl,  p.  587.  —  Voy.  Vettori,  l'iaggio,  p.  161- 
162.  La  description  d'un  festin  à  la  cour  épiscopale  de  Strasbourg  nous  offre  un 
exemple  du  luxe  alors  déployé  dans  les  festins  (1449i.  »  Après  la  messe,  l'évêque 
et  ses  invités  se  rendirent  au  château;  on  se  mit  à  table,  et  l'on  servit  quan- 
tité de  plats  étrangers.  On  plaça  devant  l'évêque  un  gâteau  représentant 
un  donjon;  l'évêque  y  pratiqua  une  fenêtre  d'où  s'envolèrent  des  oiseaux; 
ensuite  il  ouvrit  une  petite  porte,  et  l'on  vit  alors  que  le  château  renfer- 
mait un  étang  plein  de  petits  poissons  vivants,  etc.  "  Schilter  Gloss,  69.  — 
Voy.  Maurer,  Fronhnfc,  t.  II,  p.  306.  Les  abbayes  et  monastères  donnaient  de 
magnifiques  festins  aux  jours  de  grandes  fêtes,  maison  ne  doit  pas  juger  de 
l'ordinaire  des  religieux  d'après  les  comptes  rendus  qui  nous  ont  été  laissés;  leur 
table  quotidienne  était  presque  toujours  simple.  Dans  le  livre  de  comptes  du 
monastère  de  Gunsterthal,  près  de  Fribourg,  vers  le  milieu  du  quinzième  siècle, 

24 


370  ECONOMIE    SOCIALE. 

bombances;  mais  quant  à  moi,  je  crains  fort  que  Dieu  ne  nous  punisse 
et  que  sa  justice  ne  s'appesanlisse  sur  nous.  Les  hôtelleries,  les  mai- 
sons de  bains,  le  jeu,  la  danse  sont  trop  en  vogue.  Dans  les  cités,  les 
jeunes  gens  riches,  surtout  les  fils  de  nos  grands  marchands,  vont  au 
bain,  boivent  des  vins  étrangers  ou  des  eaux-de-vie  ',  se  baignent 
de  nouveau  ^  puis  se  font  oindre  de  parfums.  Honte  à  leur  mollesse 
efféminée!  Dans  les  bains,  dans  les  hôtelleries,  ces  jeunes  coqs 
font  scandale  ^  »  «  Ils  se  tiennent  assis  dans  une  petite  salle  de 
bain  ",  dit  un  prédicateur  du  temps,  «  et  parlent  comme  des  héré- 
tiques contre  Dieu  et  l'Empereur.  »  Geiler  fait  aussi  allusion  dans 
ses  sermons  aux  propos  impies  tenus  dans  les  maisons  de  bains 
sur  les  sacrements  ''.  Wimpheling  exhortant  les  échevins  de 
Strasbourg  à  interdire  les  festins  trop  fréquents  donnés  dans  les 
hôtelleries,  leur  donne  les  conseils  suivants  :  "  Ne  souffrez  pas  que 
vos  fils  s'abandonnent  à  l'oisiveté,  qu'ils  aient  une  mauvaise  tenue, 
affectent  de  parler  en  libertins,  et  que  leurs  coiffures,  leurs  habits, 
leur  attitude  révèlent  leur  conduite  frivole.  Qu'ils  ne  restent  pas  toute 
la  journée  dans  la  boutique  des  baigneurs  ou  dans  les  hôtelleries,  car 
ils  j  font  tort  à  leur  corps,  à  leur  âme,  à  leur  bourse  et  à  leur  honneur 
au  milieu  de  la  débauche  et  du  jeu.  Craignez  qu'ils  ne  deviennent  les 
esclaves  de  leur  ventre  et  de  leur  chair,  et  qu'au  jour  de  leur  mort  on 
n'ait  d'autre  éloge  à  faire  d'eux  que  celui-ci  :  C'étaient  de  bons  com- 
pagnons de  bouteille,  ils  burent,  jouèrent  et  aimèrent  les  femmes  \  » 

il  est  dit  qu'ils  avaient  pour  dîner  le  lundi  deux  plats  de  farine  d  orge,  le  mardi 
et  le  samedi  deux  plats  de  pois  blancs,  le  mercredi  et  le  vendredi  trois  plats 
de  pois  gris.  Mo.ne,  Zeiischri/t,  t.  II,  p.  185.  Le  livre  de  Jéiôme  Bock  «  sur 
la  cuisine  allemande  »  et  «  sur  ce  qui  est  nécessaire  aux  {jens  sains  et 
malades  pour  la  nourriture  de  leur  corps  »,  est  très-intéressant.  Strasbourg, 
chez  RICHEL,  1555. 

1  Sur  l'abus  de  l'eau-de-vie  à  cette  époque,  voy.  Beckman\,  Miuheilungen,  t.  II, 
p.  279.  —  Voy.  Wachsmuth,  F-uropaische  Sitlengeschicle,  t.  IV,  p.  281-282.  — 
MURNER,  Narrenbeschirörung,  p.  196. 

*  on  se  baignait  souvent  trois  fois  par  jour;  dans  les  bains  d'eau  minérale, 
on  restait  jusqu'à  dix  heures  par  jour  dans  l'eau.  Zappert,  Badewesen,  p.  125, 
127.  Lucas  Rem,  du  20  mai  au  9  juin  1511,  ne  se  baigna  pas  moins  de  cent  vingt- 
sept  heures.  Journal,  t.  XVI,  p.  23,  24,  26,  28.  On  mangeait  et  buvait  dans  le 
bain  ;  on  y  choquait  les  verres,  et  souvent  on  y  chantait  des  chansons  graves  ou 
joyeuses.  °  De  l'eau  au  dehors,  du  vin  au  dedans,  voilà  ce  qui  nous  rend  tous 
joyeux!  »  Kriegk,  Bürgerlhum,  Neue  Folge,  p.  9. 

3  Page  19. 

*  Voy.  Zappert,  Badewesen,  p.  136,  —  Sur  les  bains  de  Cologne,  voy.  Ennen, 
t.  III,  p.  917-918. 

*  Tiré  de  la  Germania  ad  Rempuhlicam  Argentinensem,  dans  ScHWARZ,  p.  187.  AveC 
la  sensualité,  la  débauche  et  la  fréquentation  trop  prolongée  des  hôtelleries,  les 
jurements,  les  blasphèmes  et  beaucoup  d'autres  vires  allaient  de  compagnie.  La 
«  peccata  luxuria,  praesertim  fornicatio  et  concubinatus  »,  dont  se  plaint  amè- 
rement Geiler  de  Kaisersberg,  étaient  très-fréquentes  dans  les  grands  centres; 
il  suffit,  pour  s'en  assurer,  de  parcourir  le  livre  de  Kriegk,  Bürgenthum  Xcue 
Folge,  p.  259-334  —  Voy.  aussi  Keller,  t.  III,  p.  1273-1278.  Mais  il  faut  se  garder 


LE    CHANGE    ET    L'USURE,  371 

«  Trop  de  personnes  »,  disent  les  conseillers  d'UIni  dans  une  ordon- 
nance contre  le  jeu  édictée  vers  la  fin  du  quinzième  siècle,  «  prèlent 
aux  jeunes  gens  qui  n'ont  pas  encore  de  fortune  à  eux,  les  excitent  à 
jouer,  et  clierclicnt  l'occasion  de  leur  regagner  leur  argent  *.  «  Cet 
argent  élait  ensuite  remboursé  à  gros  intérêts. 

«  L'usure  »,  dit  Wimpheling,  «  va  toujours  en  croissant.  Depuis 
que  les  marchands  ont  importé  parmi  nous  tant  de  produits  étrangers, 
la  classe  moyenne  a  des  besoins,  des  exigences  toujours  nou- 
velles; elle  aime  les  habillements  luxueux,  les  mets  délicats. 
L'usure  pratiquée  par  les  Juifs  est  épouvantable,  mais  sous  ce  rap- 
port, bien  des  chrétiens  sont  encore  plus  coupables  que  les  Juifs.  On 
ne  saurait  se  passer  de  changeurs,  et  ceux-ci  pour  leur  peine  et  leurs 
débours  ne  trouvent  pas  répréhensible  de  faire  un  petit  bénéfice. 
Or  l'usure  et  les  prêts  à  inlérêts  ruinent  le  peuple.  Temps  lamen- 
table où  l'argent  a  commencé  à  régner,  produisant  l'argent  dans 
une  proportion  toujours  plus  grande  *!  » 


Le  commerce  des  changeurs  dut  toute  son  importance  à  la  confu- 
sion presque  incroyable  survenue  au  moyen  âge  dans  le  système 
monétaire. 

A  l'origine,  le  droit  de  battre  monnaie  était  un  privilège  exclu- 
sivement réservé  à  l'Empereur.  Mais  peu  à  peu  ce  droit  fut  reven- 
diqué et  exercé  par  les  chefs  des  petites  principautés  et  par  les 


en  lisant  ces  renseignements  sur  les  mœurs  des  grandes  villes,  d'en  tirer  des 
conséquences  sur  la  moralité  du  peuple  en  général;  les  grands  centres  de 
commerce  étaient  encore,  comme  aujourd'hui,  les  sentines  de  l'Allemagne  ;  mais 
dans  les  villages  et  les  petites  villes  régnaient  la  retenue  et  la  décence,  et  les 
fautes  contre  les  mœurs  étaient  rigoureusement  punies.  Kriegk  dans  son  intéres- 
sant ouvrage  rend  un  honorable  témoignage  aux  femmes  de  Francfort  :  «  Dans 
l'histoire  du  nombreux  et  riche  patriarcat  de  Francfort  au  moyen  âge  »,  dit-il, 
•  je  n'ai  trouvé  qu'un  seul  exemple  d'infidélité  parmi  les  épouses.  »  Page  286.  Pen- 
dant tout  le  quinzième  siècle,  nous  ne  trouvons  à  Francfort  que  six  cas  de  bigamie, 
et  les  coupables  furent  chassés  delà  ville  à  coups  de  fouet.  P.  290.  A  Nuremberg, 
dans  le  même  siècle,  on  ne  trouve  qu'un  seul  exemple  d'inceste,  deux  sodo- 
mites  et  pas  un  seul  infanticide.  Au  contraire,  dans  le  seizième  siècle,  depuis 
les  troubles  religieux,  on  constate  six  infanticides,  douze  incestes,  sept  sodo- 
niites.  Hisior.  diplom.  Magazin,  t.  III,  p.  223.  —  Ce  que  rapporte  Vettori  dans  ses 
voyages  est  digne  d'attention  (1507)  :  •  E  noto  a  ciascuno,  in  Alamania  de'  Sodo- 
miti  si  fà  asperriraa  giustizia  in  modo  che  si  puo  credere  che  questo  vizio  da 
quella  provincia  sia  quasi  tutto  estirpato.  •  Viaggio,  p.  125. 

•  Jageu,  Ulm,  p.  539-544. 

'  A  la  fin  de  l'ouvrage  :  De  arte  impressoria. 

24. 


372  ÉCONOMIE    SOCIALE, 

villes  indépendantes  qui  s'attribuèrent  aussi  le  droit  de  toucher  les 
revenus,  des  douanes.  Dès  lors  d'innombrables  monnaies  de  princi- 
pautés, de  comtés,  de  villes  impériales,  furent  mises  en  circulation', 
et  tous  les  efforts  des  empereurs  pour  établir  une  loi  générale  et  mettre 
plus  d'ordre  et  d'unité  dans  le  système  monétaire,  restèrent  sans 
succès.  Les  assemblées,  si  souvent  renouvelées,  dont  la  question  moné- 
taire était  l'unique  but,  et  on  les  petits  souverains  et  les  municipalités 
la  discutaient  entre  eux,  ne  parvinrent  pas  davantage  à  établir 
l'ordre  tant  désiré.  On  changeait  perpétuellement  les  monnaies. 
On  retirait  et  l'on  décriait  de  vieilles  pièces,  ou  en  frappait  de  nou- 
velles et  l'on  en  introduisait  beaucoup  d'étrangères.  Enfin  la  confu- 
sion devint  telle,  que  l'argent,  au  lieu  d'être  la  mesure  fixe, 
immuable,  de  la  valeur  des  marchandises,  devint  lui-même  une  mar- 
chandise. Sous  la  même  désignation,  la  même  valeur  nominale,  une 
pièce  avait  à  Amberg,  par  exemple,  une  tout  autre  valeur  qu'à  Ratis- 
bonne;  à  Ratisbonne  une  autre  que  dans  les  duchés  de  Bavière,  qu'à 
Augsbourg,  Nuremberg,  Francfort  ou  tout  autre  district  impérial. 
Cet  état  de  choses  suffit  pour  expliquer  comment  le  commerce  ne 
pouvait  absolument  se  passer  de  changeurs.  Ceux-ci  faisaient  office 
de  véritables  marchands  :  ils  échangeaient  marchandise  contre  mar- 
chandise, les  gros  de  Prague  contre  les  pfennigs  de  fiatisbonne,  les 
gülden  allemands  contre  les  florins  d'Italie;  les  monnaies  d'un  pays 
contre  celles  d'un  autre,  en  un  mot,  l'argent  que  désirait  le  chaland 
contre  celui  qu'il  ne  pouvait  employer,  et  prenaient  pour  cette  trans- 
action une  taxe  supplémentaire,  ou  argent  de  change.  Le  marchand 
avait  absolument  besoin  de  l'office  du  changeur  dans  les  différentes 
places  de  marché  où  il  se  rendait,  non-seulement  à  l'étranger,  mais 
à  l'intérieur  même  de  son  pays,  car  il  lui  était  impossible  d'avoir  tou- 
jours à  sa  disposition  toutes  les  monnaies  qui  y  avaient  cours.  A  son 
retour,  il  lui  fallait  de  nouveau  échanger  les  monnaies  rapportées  de 
telle  ou  telle  ville  contre  celles  de  la  cité  qu'il  habitait  ou  qu'il  tra- 
versait. Aussi  le  change  était-il  une  industrie  fort  étendue  et  très- 
lucrative.  Elle  fut  longtemps  et  presque  exclusivement  entre  les  mains 
de  ces  marchands  d'argent  de  la  haute  Italie  connus  sous  le  nom  de 
Lombards,  dont  le  nombre  devint  si  considérable  au  quatorzième 
siècle,  lorsque  le  commerce  entre  l'Italie  et  l'Allemagne  eut  pris  un 
large  développement.  Dans  les  grandes  villes  du  Danube,  du  Rhin, 
de  la  mer  Baltique,  surtout  à  Lübeck  et  à  Danzig,  les  changeurs  lom- 
bards fondèrent  des  établissements  permanents.  Mais  vers  la  fin  du 
moyen  âge  ils  se  virent  de  beaucoup  dépassés  par  les  Juifs,  qui 

'  Rien  qu'à  Danzig,  on  trouve  à  la  fin  du  quatorzième  siècle  quatorze  sortes 
différentes  de  monnaies  étrangères  et  du  pays,  et  dix-sept  sortes  de  monnaies 
d'argent  et  de  cuivre.  —  Voy.  NeumaNN,  Gesch.  de»  Wuchers,  p.  315-352. 


JUIFS    USURIERS.  373 

firent  du  commerce  d'argent  leur  presque  unique  affaire,  et  surent  lui 
donner  une  extension  toujours  plus  vaste'. 

Les  Juifs  n'accaparèrent  pas  seulement  le  commerce  du  change 
proprement  dit  :  la  véritable  source  de  leur  fortune,  c'était  l'usure  et 
le  prêt  d'argent  à  intérêts  ou  sur  gages,  qui  leur  rapportaient  bien 
davantage.  Ils  devinrent  peu  à  peu  les  véritables  banquiers  du  temps, 
les  bailleurs  de  fonds  de  toutes  les  classes  sociales.  Prêtant  à  l'Empe- 
reur comme  au  simple  artisan  et  au  cultivateur,  ils  exploitèrent 
grands  et  petits  sans  le  moindre  scrupule,  et  leurs  procédés  illégaux 
leur  attirèrent  bientôt  d'universels  reproches.  On  peut  se  faire  une 
idée  approximative  des  proportions  qu'atteignait  leur  trafic,  en  exa- 
minant les  taux  des  intérêts  autorisés  par  la  loi  pendant  les  quator- 
zième et  quinzième  siècles.  En  1338,  l'empereur  Louis  de  Bavière 
accorde  aux  bourgeois  de  Francfort,  «  afin  qu'ils  protègent  les  Juifs  de 
la  ville  et  veillent  à  leur  sûreté  plus  volontiers  et  de  meilleur  cœur  », 
un  privilège  spécial,  grâce  auquel  les  emprunts  qu'ils  feront  aux 
Juifs  pourront  ne  plus  être  annuellement  qu'à  32  ~  pour  100;  mais  en 
traitant  avec  les  étrangers,  les  Juifs  sont  autorisés  à  mettre  l'intérêt 
sur  le  pied  de  43  ~  pour  100,  et  -  personne  ne  pourra  les  contraindre 
à  faire  un  marché  moins  avantageux  ^  •■-■,  dit  l'ordonnance  royale.  Le 
conseil  de  Mayence  ayant  fait  à  quatre  Juifs  de  la  ville  un  emprunt  de 
1,000  florins,  leur  permet  de  réclamer  52  pour  100^  d'intérêt.  A  Ra- 
tisbonne,  Augsbourg,  Vienne  et  ailleurs,  l'intérêt  légal  monta  même 
assez  fréquemment  jusqu'à  86  |  pour  100*. 

Mais  les  intérêts  les  plus  vexatoires  étaient  ceux  que  les  Juifs  exi- 
geaient pour  des  prêts  minimes,  contractés  à  de  plus  courtes 
échéances,  prêts  auxquels  le  petit  bourgeois  et  le  paysan  étaient  si 
souvent  forcés  de  recourir  au  jour  de  la  détresse.  «  Les  Juifs  pillent  et 

'  Falke,  Gesch.  des  Deutschen  Handels,  t.  I,  p.  276-283.  —  ENDEMANN',  Studien, 
p.  102-104.  —  HcLLMANN,  Stadtewesen,  t.  I,  p.  437-440.  Les  différences  de  valeur 
dans  réchange  des  diverses  sortes  de  monnaie  passaient  pour  ■  ex  eo  quod  non 
est  ejusdein  inetalli,  ex  ina^quaii  bouitate,  ex  inaequali  figura,  ex  pondère  ex 
diversitate  loci  ubi  est,  ex  majori  abundautia  =.  —  Voy.  Endemann,  Xatioimlöco- 
nomische  Grundsätze,  84,  et  p.  72-92. 

'BÖHMER,  Codex  Mœnofrancofurtanus,  p.  553-554.  —  Voy.  KrieGK,  Francfurter 
Zustände,  p.  418. 

'  Kriegk,  p.  536,  note  20S.  —  Keller,  t.  I,  p.  110.  —  Voy.  aussi  Keller, 
Nachlese,  p.  305-307. 

*  Voy.  Stobbe,  Die  Juden  in  Deutschland,  p.  110  et  235.  En  1224,  le  taux  à  intérêt 
monta  même  en  Autriche  jusqu'à  174  pour  100.  Rizy,  i'ber  Zinstaxen  und  Uu- 
chcrgestze.  En  France,  le  roi  Jean  permet  en  1360  que  le  maximum  d'intérêt 
demandé  par  les  Juifs  atteigne  86  2/3  pour  100.  Voy.  Roscher,  Grundlagen  der 
A'ationalöconomie,  t.  V,  p.  191,  note  12.  En  1491,  les  Juifs  de  Francfort  sont  auto- 
risés à  réclamer  21  2  3  pour  lOO.  Kirchener,  Gesch.  Francfuris,  t.  I,  p.  457.  Dans 
le  Brandebourg,  jusqu'au  dix-huitième  siècle,  on  leur  accorde  24  pour  100.  — 
Neumann,  Gesch.  des  ll'uchers,  p.  322. 


374  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

écorchent  le  pauvre  homme  »,  dit  en  gémissant  réclianson  Érasme 
d'Erbach  (1487).  «  La  chose  devient  vraiment  intolérable;  que  Dieu 
ait  pitié  de  nous!  Les  Juifs  usuriers  s'installent  maintenant  à  poste  fixe 
dans  les  plus  petits  villages  ;  quand  ils  avancent  cinq  florins,  ils  prennent 
des  gages  qui  représentent  six  fois  la  valeur  de  l'argent  prêté;  puis  ils 
réclament  les  intérêts  des  intérêts  et  de  ceux-ci  encore  des  intérêts 
nouveaux,  de  sorte  que  le  pauvre  homme  se  voit,  à  la  fin,  dépouillé 
de  tout  ce  qu'il  possédait'.  "  L'iutroducîion  du  prêt  à  la  semaine,  <;  le 
plus  en  usage  de  tous  «,  et  auquel  on  pouvait  avoir  recours  pour  la 
plus  modique  somme,  même  pour  un  emprunt  de  trente  pfennigs*, 
prouve  assez  que  c'étaient  les  petites  gens  surtout  qui  avaient  recours 
aux  prêteurs. 

Les  grands  seigneurs,  les  princes,  les  nobles,  se  laissaient  aussi 
entraîner  par  les  Juifs  dans  d'inextricables  dettes  =>.  Après  leur  avoir 
abandonné  leurs  effets  précieux,  leurs  valeurs  mobilières,  ils  se 
voyaient  forcés,  pour  payer  les  intérêts  des  grosses  sommes  emprun- 
tées, d'hypothéquer  leurs  revenus,  les  redevances  de  leurs  subor- 
donnés. Alors  les  trafiquants  juifs  venaient  faire  avec  l'agent  des 
taxes  seigneuriales  le  recouvrement  de  ces  redevances,  et  voilà  com- 
ment, de  tous  côtés,  les  Juifs  s'attiraient  la  haine,  et  passaient  pour 
«  les  extorqueurs  et  les  infâmes  ennemis  du  peuple  ».  11  n'était  pas 
rare  que  la  répulsion  qu'ils  inspiraient,  la  fureur  du  créancier  qu'ils 
avaient  sucé  jusqu'au  sang,  ne  leur  attirassent  les  représailles  les 
plus  violentes*.  "  Les  Juifs  »,  dit  Pierre  Schvarz  (1477),  "  reçoivent 
de  temps  en  temps  de  fort  rudes  leçons;  mais  ils  les  ont  vraiment 
bien  méritées  par  leur  astuce  méchante!  Ils  trompent  les  gens,  ils 
perdent  les  propriétés  en  les  grevant  d'impôts  usuraires;  ils  com- 
mettent des  meurtres  secrets,  comme  chacun  le  sait.  Voilà  ce  qui 
leur  attire  de  telles  persécutions,  et  ce  ne  sont  point  d'innocentes  vic- 
times. Il  n'existe  pas  de  peuple  plus  méchant,  plus  rusé,  plus  avare 
plus  impur,  plus  vagabond,  plus  venimeux,  plus  colère,  plus  inso 
lent,  plus  imposteur,  plus  éhonté.  Ils  ne  savent  ce  que  c'est  que  de 


'  Tiré  des  ouvrages  posthumes  de  Bodmann,  communiqué  par  Böhmer. 

'  Par  exemple  à  Ratisbonne.  Falke,  Gesch.  des  deulschen  Handels,  t.  I,  p.  300 

'  Ainsi  par  exemple  un  Juif  eut  entre  les  mains  une  reconnaissance  du  duc 
Boleslas  de  Liegnitz  et  Brieg  de  huit  mille  marcs,  c'est-à-dire  environ  sept  cent 
cinquante  mille  marcs  de  notre  monnaie.  OElsner,  p.  70. 

*  •  Credo  fuisse  exordium  Judaorum  magnam  et  infinitam  pecuniam,  quam 
barones  cum  militibus,  cives  cum  rusticis  iis  schere  tenebantur « ,  dit  un  chro- 
niqueur. Voy.  Nelmann,  p.  330.  Au  déclin  du  moyen  âge,  bien  des  persécutions 
contre  les  Juifs,  l'anéantissement  de  leurs  lettres  de  créance,  etc.,  doivent  être 
considérées  comme  des  crises  de  crédit  de  l'espèce  la  plus  barbare,  et  comme 
une  forme  de  ce  que  nous  appellerions  aujourd'hui  la  révolution  sociale.  Roscher, 
Stellung  der  Juden,  p.  515. 


PERSKCdTIONS    CO  MUE    F.  ES    JUIFS.  375 

tenir  parole,  si  ce  n'est  dans  la  limite  où  leur  crédit  est  en  ques- 
tion'.  »  «  Aucun  peuple  ",  dit  l'iiumanisle  licatus  Rhenanus,  «  n'a 
jamais  exécré,  comme  le  peuple  juif,  les  hommes  d'une  croyance 
opposée  à  la  sienne;  aucun,  en  revanche,  n'a  été  l'objet  d'une 
pareille  répulsion;  aucun,  pour  prix  de  sa  haine,  n'a  recueilli,  comme 
juste  salaire,  une  haine  plus  implacable  ^  »  La  voix  publique  semblait 
être  l'écho  des  vers  du  poëte  autrichien  Heibling  : 

I  II  y  a  bien  trop  de  Juifs  dans  notre  pays!  C'est  une  honte  et  un  péché 
de  les  tolérer!  Si  j'étais  prince,  si  je  pouvais  mettre  la  main  sur  vous, 
Juifs,  je  vous  le  dis  en  vérité,  je  vous  ferais  tous  brûler  M  i 

On  accusait  les  Juifs  de  porter  une  haine  mortelle  à  la  chrétienté 
tout  entière;  d'insulter  et  de  blasphémer  le  Sauveur  du  monde 
dans  les  synagogues.  On  prétendait  qu'ils  empoisonnaient  les  fon- 
taiues,  propageaient  à  dessein  la  peste,  volaient  ou  achetaient  les 
enfants  chrétiens  et  leur  tiraient  le  sang  des  veines  dans  le  désir 
superstitieux  de  se  procurer  par  là  des  moyens  soi-disant  infaillibles 
de  réussir  dans  leurs  desseins,  dont  la  plupart  restaient  secrets  \ 

«  Il  n'est  que  trop  facile  à  comprendre  »,  ditTrithème,  «  que  chez 
les  petits  comme  chez  les  puissants,  chez  les  hommes  instruits  et  chez 
les  ignorants,  chez  les  princes  comme  chez  les  paysans,  se  soit  enra- 
cinée contre  les  Juifs  usuriers  une  aversion  profonde,  et  j'approuve 
toutes  les  mesures  légales  fournissant  au  peuple  les  moyens  de 
se  mettre  à  l'abri  de  leur  exploitation  usuraire.  Quoi  donc!  une 
race  étrangère  doit-elle  régner  sur  nous^?  Est-elle  plus  puissante  que 
la  nôtre,  plus  courageuse?  Sa  vertu  est-elle  plus  digne  d'admiration? 
Non,  sa  force  ne  git  que  dans  le  misérable  argent  qu'elle  gratte 
de  tous  côtés  et  se  procure  par  tous  les  moyens  possibles,  argent 

'  Voy.  Pawlikowski,  p.  63!. 

'  Voy.  UoRAWiTz,  p.  71,  668.  —  L'humaniste  Conrad  Celtes  dit  en  parlant  des 
Juifs  dans  son  Eloge  de  Xuremberg  :  =  Exscindenda  profecto  gens  aut  ad  Cauca- 
suin  et  ultra  Sauroraatas  perpétue  exilio  releganda,  qua?,  per  Universum  orbem 
in  se  totiens  iram  numiuum  coiicitat,  immani  generis  societatem  violans  et 
COnturlians.  »  Voy.  Roscbek,  Stellung  der  Juden,  p.  511-512,  et  Gesch.  der  Xationalö- 
conomik,  p.  36-37. 

^  Voy.  Stobbe,  Juden  im  Mille'alter,  p,  163-164  et  267,  n°  152. 

*  Pawlikowski  a  dressé  la  liste  des  crimes  réels,  ou  supposés,  des  Juifs, 
p.  678-690.  Le  juriste  Nicolas  Marschalk,  professeur  à  Rostock,  écrivit  en  1512 
l'histoire  des  profanations  d'hosties  qui  eurent  lieu  à  Sternberg  en  1492,  et  du 
supplice  des  Juifs  qui  y  avaient  pris  part  (1493).  Il  nomme  les  Juifs  «  genus  raor- 
talium  impium  et  perfidissimum  ".  Lisch,  p.  86-88.  —  Friedunder,  Beitrage  iur 
Buchdrucker  g  csch.,  Berlin,  4.  Le  margrave  Joachim  de  Brandebourg  fit  brûler  en 
1510  trente-huit  Juifs  accusés  d  avoir  profané  des  hosties.  Trith.,  Chron.  Sponh., 
p.  433. 

'  Dans  un  manuscrit  de  Saint-Blasier  (1440),  on  lit  :  •  Dominantur  in  nobis, 
scilicet  rebus  temporalii)us  perfidissimi  et  iniquissimi  luda'i,  pessimain  usuram 
sibi  a  nobis  Christianis  usurpant  miserrime...  »  Voy.  Mo.ne,  Schauspiele  des  Mit- 
telalters, t.  II,  p.  109-110. 


376  ECONOMIE    SOCIALE. 

dont  la  recherche  et  hi  possession  semblent  constituer  la  félicité 
suprême  de  ce  peuple!  Les  Juifs  doivent- ils  être  autorisés  à 
s'engraisser  impunément  des  sueurs  de  Touvrier  et  du  cultivateur? 
A  Dieu  ne  plaise!  Mais  que  la  persécution  des  innocents  mêlés  aux 
coupables  reste  également  loin  de  notre  pensée!  Une  chasse  à 
courre  injustement  dirigée  contre  les  Juifs;  l'emprisonnement  de 
tous  ceux  qui  n'ont  commis  d'autre  crime  que  d'appartenir  à  leur 
nation;  la  saisie  arbitraire  de  leurs  revenus,  que  souvent  la  seule 
cupidité  des  princes  et  seigneurs  a  mis  entre  leurs  mains,  tout  cela  est 
contre  le  devoir  et  contre  le  droit.  Les  Juifs  commettent  des  crimes, 
il  est  vrai;  ils  profanent  le  très-saint  Sacrement;  on  va  môme  jusqu'à 
leur  reprocher  de  mettre  à  mort  des  enfants  chrétiens  et  de  s'abreuver 
de  leur  sang.  .Mais  ces  accusations  sont -elles  toutes  fondées?  Et 
quand  bien  même  les  forfaits  de  quelques  misérables  seraient  avérés, 
est-il  équitable  d'en  rendre  responsable  toute  une  race  '?  »  Trilhème 
en  appelle  sur  ce  point  à  la  bulle  d'Innocent  IV,  où  le  Pape,  prenant 
la  défense  des  Juifs,  adressait  aux  chrétiens  de  justes  reproches  :  «  Sans 
accusation  > ,  avait  dit  le  Souverain  Pontife,  "  sans  aveux  préalables, 
sans  preuves,  malgré  les  ordonnances  du  siège  apostolique,  d'une 
manière  impie  et  contraire  à  tout  droit,  on  dépouille  les  Juifs  de  leurs 
biens,  ou  les  réduit  à  mourir  de  faim,  on  les  jette  en  prison;  on  les 
soumet  à  tous  les  tourments  imaginables;  on  en  met  à  mort  un  grand 
nombre  delà  façon  la  plus  barbare,  de  sorte  que,  sous  la  domination 
des  princes,  des  puissants  et  des  nobles,  ils  sont  réduits  à  un  sort  plus 
affreux  que  celui  de  leurs  pèresautemps  de  Pharaon*.  »  La  répulsion 
universelle  que  les  Juifs  inspiraient  obligea  le  pape  Paul  II  à  déclarer 
ouvertement  :  »  que  leur  refuser  les  bénéfices  de  la  justice,  qui  doit 
être  la  même  pour  tous,  est  coupable,  et  grandement  préjudiciable  au 
salut'  (14G9)  ».  En  1446,  lorsque  les  Juifs  de  la  marche  de  Brande- 
bourg sont  surpris,  jetés  dans  les  cachots,  dépouillés  de  leurs  biens, 

■  Chmel,  Materialien  zur  österr.  Gesch.,  t.  II,  p.  306.  Les  enfants  juifs  étaient  sou- 
Tent  baptisés  sans  la  connaissance  et  la  volonté  de  leurs  parents;  aussi  le  pape 
Martin  V  interdit-il  aux  clercs  d'introduire  les  Juifs  dans  l'Église  avant  l'âge 
de  douze  ans  1421).  Voy.  Stoece,  p.  16G.  «  Il  est  certain,  dit  Kos,GnuK[SieUuug 
der  Juden  im  Mittelalter,  p.  503i,  que  les  papes,  dans  la  persécution  contre  les 
Juifs,  ont  bien  plus  contenu  qu'excité  la  haine  populaire.  -  Le  célèbre  historien 
Israélite  Gratz  eu  convient  lui-même  (vol.  V,  p.  41,  et  VI,  p.  81,  lui  qui  ne 
se  montre  rien  moins  que  doux  envers  tous  ceux  qu'il  regarde  comme  les 
ennemis  de  sa  nation.  Le  grand  empereur  Frédéric  II,  adversaire  à  tant  d'égards 
de  la  papauté,  déclare  ouvertement  que  1'  «  imperialis  auctorit;iS  »  a  imposé 
aux  Juifs  une  "  perpetuam  serviiutem  ad  perpetuara  judaici  sceleris  ultionem«. 
Document  de  1237,  publié  par  Hlillard-ErÉholles,  t.  I,  p.  57. 

-De  Judœis,  dans  le  Codex  Camp.,  fol.  19.  Voy.  Ascheacu,  Gesch.  der  Wiener  Uni" 
versilä;,  p.  398,  note  1. 

*  Voy.  la  bulle  de  Grégoire  X  publiée  à  Francfort  et  citée  par  Böhmeh, 
Codex,  M.  F.,  p.  232. 


LES    PA  l'ES    ET    LES   JUIFS.  377 

l'évoque  Etienne  de  Brandebourg  s'élève  avec  la  plus  vive  indigna- 
tion contre  un  pareil  procédé  :  «  Les  princes  blessent  la  justice  », 
dit-il,  «  lorsque,  mus  par  une  avarice  inouïe,  sans  cause  légitime, 
ils  dépouillent  les  Juifs  de  tout  ce  qu'ils  possèdent,  les  jettent  en 
prison,  les  mettent  à  mort,  ou  refusent,  par  cupidité,  de  leur  resti- 
tuer les  biens  qu'ils  leur  ont  ravis'.  » 

«  Ce  ne  sont  ni  des  persécutions  violentes  ni  des  représailles 
opposées  à  l'esprit  chrétien  qui  nous  débarrasseront  de  la  plaie  des 
Juifs  ",  dit  Trilhème.  "  11  faut  avant  tout  leur  retirer  les  moyens  de 
se  livrer  à  l'usure,  de  pratiquer  leurs  honteuses  tromperies,  et 
les  occuper  à  des  travaux  utiles  aux  champs  ou  dans  les  ateliers. 
Voilà  quel  est  le  devoir  de  l'autorité;  elle  est  également  tenue  de 
veiller,  après  avoir  équitablemeut  fixé  les  droits  de  chacun,  à  ce  que 
les  Juifs  restituent  aux  chrétiens*  l'argent  et  les  biens  dont  ils  les 
ont  injustement  dépouillés  ^  "  «  Les  Juifs  ",  demande  Geiler  de  Kai- 
sersberg, «  sont-ils  au-dessus  des  chrétiens?  Pourquoi  donc  ne 
veulent-ils  pas  travailler  de  leurs  mains?  Ne  sont-ils  pas  soumis 
comme  nous  au  commandement  de  Dieu,  qui  a  dit  expressément  : 
Tu  gagneras  ton  pain  ä  la  sueur  de  ton  front?  Or  pratiquer  l'usure 
n'est  pas  travailler;  c'est  exploiter  les  autres  en  restant  oisifs*.  » 
Jean  Busch  était  aussi  d'avis  que  les  Juifs  renonçassent  à  l'usure  et 
s'adonnassent  aussi  bien  que  les  chrétiens  aux  travaux  de  l'agricul- 
ture, à  l'industrie,  au  soin  des  jardins,  ou  bien  à  des  services  publics 
moindres  encore,  comme  par  exemple  au  nettoyage  des  rues  ^ 
Gabriel  Biel  pensait  que  les  Juifs  devaient  être  entièrement  exclus 
du  commerce  des  hommes,  parce  que  leurs  richesses  ne  provenaient 
ni  du  travail  ni  de  l'industrie,  mais  de  l'usure''. 

Les  Dominicains,  plus  que  tout  autre  Ordre  religieux,  avaient  pris 
à  tâche  d'inculquer  au  peuple  l'obligation  morale  du  travail.  Aussi 
condamnaient-ils  sévèrement  l'usure,  pratiquée  soitpar  les  Juifs,  soit 
parles  chrétiens,  et  la  taxaient-ils  de  grave  péché.  «  Leur  zèle  les 
faisait  détester  »,  rapporte  Trithème,  "  non-seulement  des  Juifs,  mais 
de  tant  d'habitants  de  nos  villes,  chrétiens  de  nom  seulement,  et  qui 
sont  de  tout  aussi  grands  usuriers  que  les  Juifs''.  " 

'  Klodex,  Zur  Geschichte  der  Marienverchrung  in  der  Mark  Brandenburg,  p.  122. 

*En  1512,  le  synode  de  Ratisbonne  ordonne  ce  qui  suit  :  «  Judœos  ad  remit- 
tendas  Cliristianis  usuras  per  principes  et  potestates  compelli  pra'cipimus 
saeculares.  »  Hautzheim,  t.  VI,  p.  lüß.  Sur  les  dispositions  prises  par  d'autres 
synodes,  voy.  Neu:mann,  p.  328-329. 

'  De  Judœis,  p.    19. 

*  Voy.  Cher  Judenwucher  und  Schinderey  (Augsbourg,   1739),  p.  41. 

^Ruscnius,  p.  818. 

"  Voy.  J,  Falke,  dans  Mvll^v^,  Zeitschrift  für  Deutsche  Cultur  Geschichte  (1874), 
p.  167-206.  —  COL'TZEN,  Gesch.  der  volkswirlhschaftUchcn  Literatur,  p.  164. 

'  De  Judœis,  p.  20. 


378  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

«  La  haine  contre  les  Juifs  est  si  générale  en  Allemagne  »,  écrit 
Pierre  de  Froissart  en  1497,  '•  que  les  gens  les  plus  calmes  sont 
hors  cVeux-memes  dès  que  la  conversation  se  met  sur  leur  usure.  Je 
ne  serais  pas  étonné  si  tout  à  coup  une  persécution  sanglante  écla- 
tait contre  eux  dans  tous  les  pays  à  la  fois.  Ils  ont  déjà  été  expulsés 
violemment  de  bien  des  villes'.  " 

Les  Juifs,  pour  cause  d'usure,  sont  chassés  de  Saxe  en  1432;  de 
Spire  et  de  Zurich  en  1435;  de  Mayence  en  1438^;  d'Augsbourg  en 
1439.  A  Constance  et  plusieurs  villes  du  voisinage  ils  sont  jetés  en 
prison  (1446j.  En  1450,  le  duc  Louis  le  Riche  les  expulse  de  la 
Bavière.  Ils  sont  chassés  delà  ville  épiscopale  de  Wurzbourg  en  1453; 
de  Brïmn  et  d'Olmiitz  en  1454;  de  Schneidnitz  en  1757;  d'Erfurt 
en  1458;  de  Neisse  en  1468;  de  l'archevêché  de  Mayence  en  1470. 
En  1476  le  conseil  d'Helbronn  prend  contre  eux  l'arrêté  suivant  : 
«  A  cause  du  grand  tort  que  l'usure  fait  à  notre  ville,  il  ne  sera 
plus  permis  à  aucun  Juif  d'y  entrer;  le  petit  nombre  de  ceux  qui 
y  seront  tolérés  devra  renoncer  à  toute  usure.  "  «  Aucun  bour- 
geois, aucun  paysan  «,  dit  une  ordonnance  postérieure,  «  ne  pourra 
contracter  une  obligation  quelconque  envers  un  Juif.  Si  un  Juif  veut 
passer  par  Heilbronn,  il  faut  qu'il  soit  accompagné  d'un  sergents  » 
A  Wurzbourg,  oti  les  Juifs  avaient  reparu  malgré  les  ordonnances, 
on  les  expulse  une  seconde  fois  (1498).  Ils  sont  chassés  de  Genève 
en  1490;  de  Glatz  en  Thurgovie  en  1491  ;  du  Mecklembourg  et  de  la 
Poméranie  (où  ils  étaient  en  très-grand  nombre  et  avaient  su  pénétrer 
dans  tous  les  recoins  et  jusque  dans  les  petits  villages)  en  1492;  du 
diocèse  de  Magdebourg  en  1493  ;  de  Styrie,  de  Carinlhie  et  de  la  Car- 
niole  en  1496;  du  diocèse  de  Salzbourg  et  du  Wurtemberg  en  1498*. 
La  même  année,  Maximilieu  les  fait  expulser  complètement  de 
Nuremberg  à  la  requête  du  conseil  de  la  ville.  «  Leur  nombre  ",  au  dire 
des  échevins,  -  s'était  beaucoup  trop  accru;  sous  prétexte  de  prêts, 
ils  se  livraient  à  un  trafic  usuraire  dangereux  et  détestable.  Beaucoup 
d'honorables  bourgeois,  trompés  par  leurs  ruses,  s'étaient  tellement 
endettés,  qu'ils  se  voyaient  menacés  dans  leur  honneur  privé  et  dans 
leurs  moyens  d'existence.  Pour  ces  causes,  les  Juifs  sontinvités  à  quitter 

'  Lettre  21.  Sur  les  persécutions  contre  les  Juifs,  inspirées  non  par  des 
motifs  religieux,  mais  par  des  raisons  sociales  et  politiques,  voy.  OElsner,  p.  64. 

*  Voy.  Stobbe,  p.  192-193.  En  1431,  trois  mille  paysans  se  rendirent  à  Worms, 
demandant  que  les  Juifs  leur  fussent  livrés.  Bezold,  Bauernstand,  p.  131.  En  1448, 
Hans  von  Glogau  chasse  les  Juifs  de  sa  ville  '-  parce  qu  il  les  regarde  comme  les 
ennemis  du  bien  public,  et  la  cause  de  la  ruine  des  pauvres  gens  ».  GEls.ner, 
p.  95.  Jean  Capistrano  prêchait  avec  zèle  contre  l'usure  juive.  Son  compagnon 
raconte  que  les  Juifs  tremblaient  au  seul  énoncé  de  son  nom.  OElsner,  p.  91. 

3  Jager,  Heilbronn,  t.  I,  p.  260,  302. 

*  Voy.  Stobbe,  p.  292.  —  Voy.  Kamzoav,  t.  II,  p.  221. 


ÉTABr.IS  SEMEXT    DE    BANQUES.  379 

la  ville  tousensemble  dans  un  délai  fixé  par  le  conseil.  Il  leur  est  permis 

d'cmpoiier  leurs  valeurs  mobilières;  mais  désormais  aucun  d'eux 

n'aura  le  droit  de  résider  à  Nurember^j  '.  »  Le  conseil  d'IJlm  décide  leur 

j  expulsion  à  peu  près  de  la  môme  manière  (1499)  et  lait  publier  l'arrêté 

!  suivant  :  "  Toute  personne  rencontrant  dans  la  ville  un  .luiCqui  oserait 

encore  s'y  montrer,  pourra  impunément  agir  envers  lui  selon  son  bon 

1  plaisir^.  »Les  Juifs  sont  chassés  de  Ilitrdlingcnen  1500.  En  1515  et  dans 

I  les  années  suivantes  l'électeur  de  Mayence,  Albert  de  Brandebourg, 

I  cherche  à  former  une  ligue  parmi  les  princes  et  les  autorités  des 

villes  pour  leur  expulsion  perpétuelle ^  Mais  ce  qui  inspirait  un  tel 

,  dessein  à  l'avare  et  voluptueux  prince,  comme  le  pensait  non  sans 

I  raison  le  Francfortois  Biaise  de  Holzhauseu,  «  ce  n'était  pas  le  souci  de 

l'intérêt  commun,  mais  bien  son  avantage  personnel,  car  il  se  ven- 

I  drait  lui-même  aux  Juifs  ",  ajoute-t-il  avec  amertume,  <=  pourvu  que 

I  l'enchère  en  valiUla  peine  *  ". 

Pour  remplacer  les  boutiques  des  Juifs  (les  échanges  d'argent 
j  et  les  emprunts  étant  indispensables  au  commerce),  des  banques 
'  furent  établies  dans  les  principales  villes  de  l'empire.  Maximi- 
lien  décréta  qu'à  Nuremberg,  à  certains  endroits  désignés  dans 
l'intérieur  de  la  ville,  des  banques  d'emprunt  seraient  ouvertes,  ne 
prenant  qu'un  intérêt  modique.  Ces  établissements  étaient  entrete- 
nus avec  les  sommes  formées  par  les  intérêts,  sommes  sur  lesquelles 
les  employés  recevaient  aussi  leurs  salaires;  le  surplus,  s'il  y  en 
avait,  revenait  à  la  caisse  municipale  '.  A  Francfort-sur-le-Mein, 
dès  le  commencement  du  quinzième  siècle,  le  conseil  avait  fondé 
quatre  banques  entièrement  indépendantes  des  Juifs,  qui,  en  dehors 
du  change  proprement  dit,  faisaient  des  affaires  d'argent  dans  le 
sens  moderne  du  mot,  se  chargeaient  de  faire  les  rentrées  pour  la 
municipalité,  et  en  cas  de  besoin  lui  faisaient  aussi  des  avances  d'ar- 
gent. Des  autorisations  de  ces  banques  comme  de  l'apparition  simul- 
tanée de  changeuses  et  de  douanières  péagères,  ressort  un  fait  inté- 
ressant :  c'est  qu'à  cette  époque  les  femmes  de  marchands  prenaient 
non-seulement  une  part  active  au  commerce,  mais  encore  faisaient 
des  affaires  commerciales  à  leurs  propres  risques  et  périls*^. 

'  Würfel,  Hislor.  Xachrichlen  von  der  Judengemeinde  der  Reichsladl  Xiirnhcrg,  p.  153- 
154.  —  OElsner,  p.  65-66.  —  Stobbe,  p.  62. 

Mager,  Ulm,  p.  407-410. 

'  SCHAAB,  Diplomal.  Gesch.  der  Juden  zu  Meinz  und  dessen  Umgebung  (Mayence,  1855), 
p.  148-160. 

*  Sencke.NBErg,  Acta,  p.  501. 

*  Würfel,  Hislor.  Xachrichten,  p.  153.  —  Curieuse  Xachrilen,  p.  114.  —  Stobbe, 
p.  66.  —  Neumann,  p.  400-404. 

*  Kriegk,  Franc/urter  Zustande,  p.  330-343.  Sur  le  commerce  de  change  à  Ulm, 
TOy.  Jager,  Ulm,  p.  391-393.  —  Hirsch,  Dantziger  Handel,  p.  232-239. 


380  ÉCONOMIE    SOCIALE. 


VI 


Mais  rexpulsion  des  Juifs  ne  parvint  pas  à  extirper  «  l'esprit  juif 
pratique  ».  Les  usuriers  chrétiens  semblèrent  en  avoir  hérité,  et  le 
propagèrent  si  bien,  qu'il  finit  par  envahir  la  société  tout  entière, 
grandissant  toujours  à  mesure  que  le  commerce  prenait  une  extension 
plus  vaste  et  que  le  luxe  devenait  plus  général.  Alors  on  vit  s'affir- 
mer des  principes  qui  contredisaient  absolument  les  sévères  prescrip- 
tions établies  par  le  christianisme,  et  créèrent  bientôt  un  état  d'hos- 
tilité déclaré  entre  les  partisans  de  l'usure  et  l'Eglise.  Dans  son  His- 
toire de  l'Empire  romain,  Hans  Folz  dit  à  ce  propos  (1480)  : 

"  Que  dirais-je  de  la  conduite  de  ces  grands  personnages  qui  font  de 
la  musique  avec  les  Juifs  sur  le  même  violon?  Mais  les  pièces  de  môme 
monnaie  vont  de  compagnie,  et  comme  dit  le  proverbe,  «  qui  se  res- 
semble s'assemble  ».  Depuis  que  Juifs  et  chrétiens  sont  devenus  bons 
amis,  comme  je  l'ai  entendu  dire,  notre  Seigneur  Dieu  est  gravement 
offensé,  et  le  mal  croît  tous  les  jours  '.  » 

Brant  dit  aussi  : 

"  Je  ne  parlerai  pas  de  la  manière  inique  dont  les  Juifs  trafiquent  des 
intérêts  et  des  crédits.  Plus  d'un  gagne  plus  d'argent  en  une  seule  matinée 
qu'une  année  de  travail  ne  pourrait  lui  rapporter.  De  nos  jours  on 
donne  de  la  monnaie,  et  l'on  s'attend  à  recevoir  de  l'or  en  échange.  Au 
lieu  de  dix,  on  écrit  onze  dans  son  livre.  Certes,  la  plaie  des  Juifs  était 
affreuse,  mais  maintenant  ils  ne  pourraient  revenir  parmi  nous,  car  les 
Juifs  chrétiens  ont  pris  leur  place.  Je  connais  plus  d'un  de  ces  chrétiens, 
mais  je  ne  veux  nommer  personne  !  Plusieurs  que  je  pourrais  citer  se 
livrent  à  un  commerce  déloyal,  et  cependant  la  loi  et  la  justice  se  taisent 
et  laissent  faire  -.  « 

On  accusait  surtout  les  directeurs  des  compagnies  commerciales  du 
sud  de  l'Allemagne,  les  Weiser  et  Hochstetter  à  Augsbourg,  les  Imhof, 
Ebner,  VoUcamer  à  Nuremberg',  Ruland  à  Ulm,  d'autres  encore,  de 
grande  usure  et  d'extorsions  iniques,  et  comme  les  Juifs,  les  grands 
commerçants  encoururent  la  haine  populaire.  Si  beaucoup  d'accusa- 
tions dirigées  contre  eux  peuvent  sembler  exagérées  ou  sans  fon- 
dement, on  ne  saurait  nier  que  leurs  énormes  capitaux,  leur  habile 

'  KrLLER,  t.  III,  p.  1320.  On  lit  dans  une  autre  comédie  de  carnaval  :  «  Les 
usuriers  qu'on  chassait  autrefois  et  qu'on  n'aurait  pas  voulu  enterrer  en  terre 
sainte,  sont  assis  maintenant  au  conseil;  ils  ont  le  haut  bout  de  la  table.  • 
Relleu,  t.  m,  p.  1132. 

^  Narreyischiff,  parag.  93.  —  Voy.  GœDECKE,  p.  188. 


JUIFS    CHRÉTIENS.  381 

manière  de  faire  hausser  les  prix,  n'aient  exercé  dans  l'Empire  ua 
pouvoir  oppressif,  et  qu'ils  n'aient  une  lourde  responsabilité  dans  les 
troubles  funestes  qui  se  produisirent  plus  tard  dans  l'ordre  social. 

Ces  «  compagnies  commerciales  »  s'entendaient  entre  elles  à  de 
certains  moments  pour  exploiler  une  branche  spéciale  de  commerce. 
Les  bénéfices  obtenus  étaient  ensuite  divisés  entre  tous  les  associés, 
dans  la  mesure  plus  ou  moins  grande  des  sommes  exposées  pour 
l'entreprise.  Les  efforts  tentés  par  ces  sociétés  pour  accaparer  sur  le 
marché  allemand  le  commerce  de  toutes  les  marchandises  importées  de 
l'étranger  avaient  été  singulièrement  secondés  par  les  relations  mari- 
times, devenues  bien  plus  directes,  entre  les  Indes  et  l'Europe,  et  parla 
translation  à  Lisbonne  de  la  principale  voie  du  commerce  des  épiées. 
Autrefois,  les  marchands,  disposant  de  capitaux  bien  moins  considé- 
rables, faisaient  leurs  acquisitions  à  Venise,  à  Gènes,  villes  relati- 
vement voisines;  au  lieu  que  pour  arriver  à  Lisbonne,  la  route  à 
travers  la  France  et  l'Espagne  était  beaucoup  plus  longue;  le 
retour  dispendieux  rendait  les  achats  plus  difficiles  et  nécessitait 
à  Anvers  et  à  Lisbonne  la  présence  de  facteurs  spéciaux;  aussi 
peu  à  peu  le  commerce  des  épices  tomba-t-il  entièrement  entre  les 
mains  des  grandes  sociétés  particulières,  qui  fixèrent  et  haussèrent 
les  prix  selon  leur  bon  plaisir. 

Mais  ces  sociétés  ne  restreignaient  pas  leurs  vastes  entreprises 
au  commerce  des  épices ,  elles  s'entendaient  aussi  pour  accaparer  et 
faire  hausser  les  prix  de  toutes  espèces  de  produits.  On  pour- 
rait presque  dire  qu'elles  devinrent  les  compagnies  générales  de 
l'exploitation  du  peuple.  Elles  accaparaient  les  récoltes  encore  sur 
pied.  Aussi  Geiler  de  Kaisersberg  leur  reproche-t-il  de  duper  le 
peuple,  et  de  le  gruger  plus  encore  que  ne  l'avaient  jamais  fait  les 
Juifs.  «  Non-seulement  »,  dit-il,  i-  les  gros  marchands  tirent  profit 
des  marchandises  venues  de  l'étranger  et  dont  on  pourrait  aisément 
se  passer,  mais  ils  s'emparent  de  la  vente  des  denrées  de  première 
nécessité,  comme  le  blé,  la  viande,  le  vin,  etc.  Ils  pressurent  le 
peuple,  exigent  des  prix  que  fixe  leur  cupidité  rapace,  et  se  nour- 
rissent de  l'amer  travail  des  pauvres.  »  «  Ceux  qui  sucent  notre 
sang  '•■,  dit-il  en  un  autre  endroit,  ••  les  accapareurs  de  blé  et  de  vin, 
sont  les  ennemis  du  bien  public;  nous  devrions  nous  lever  en  masse 
pour  les  chasser  de  nos  communes  comme  on  chasse  les  loups.  Ils 
sont  haïs  de  Dieu  et  des  hommes,  parce  qu'ils  ne  craignent  ni  les 
hommes  ni  Dieu.  Ils  affament  le  peuple  par  renchérissement  des 
denrées  et  causent  la  ruine  des  pauvres  gens  K  » 

Christophe  Kuppener,  professeur  de  droit  à  l'Université  de  Leipzig, 

'  Sehinderey  und  Judenwuchcr,  p.  42.  —  Xarrenschiff,  p.  195. 


382  ECONOMIE    SOCIALE. 

animé  du  même  zèle  (1508),  reproche  aux  autorités  de  manquer  à 
leur  devoir  en  ne  s'opposant  pas  aux  riches  négociants,  aux  grandes 
compagnies  commerciales  :  "  Les  accapareurs  qui  ont  en  main  de  gros 
capitaux  -,  dit-il,  ^  postent  leurs  agents  à  Venise,  en  Russie,  en  Prusse, 
et  lorsqu'ils  apprennent  qu'une  marchandise  est  chère,  qu'elle  monte, 
ils  l'achètent  en  masse,  afin  de  pouvoir  la  revendre  ensuite  au  prix 
qui  leur  convient.  Une  telle  manière  d'agir  ne  devrait  pas  être  tolérée 
dans  nos  pays  et  nos  villes.  Elle  est  coupable,  elle  nuit  gravement  à 
l'intérêt  commun,  elle  est  en  contradiction  avec  la  loi  naturelle.  Les 
princes  et  gouvernants  ne  devraient  pas  souffrir  de  pareils  agisse- 
ments. Ils  sont  tenus  d'avoir  égard  à  l'intérêt  général  et  ne  doivent 
pas  accorder  de  privilèges  aux  particuliers  '.  » 

«  Tout  le  monde  sait,  et  la  chose  est  passée  en  proverbe  ",  dit 
Kilian  Leib,  «  que  certains  marchands  font  impunément  dans  l'inté- 
rieur de  nos  villes  et  dans  leurs  maisons  privées  ce  que  faisaient  autre- 
fois les  chevaliers  pillards  '^  au  péril  de  leur  vie  :  ils  dépouilleut  les 
gens  de  leurs  biens,  et  cela  sans  courir  aucun  risque  \  " 

Ce  n'est  qu'en  1512,  à  la  diète  de  Cologne,  que  l'autorité  impériale 
se  décide  enfin  à  sévir  contre  les  sociétés  commerciales.  Nous  lisons 
dans  un  arrêt  rendu  à  cette  date  par  les  États  :  <=  Depuis  quelques 
années  il  s'est  établi  dans  l'Empire  de  grandes  compagnies  mar- 

*  Voy.  NeüMANN',  Gesch.  des  Wuchers^  p.  591-592.  —  Mutiier,  Aus  dem  Uiiiversilälsh- 
ben,  p.  156-166.  "  Trop  souvent  les  princes  et  ceux  qui  -fjouvernent  sont  secrè- 
tement associés  aux  grands  financiers;  ils  tirent  un  f^rand  profit  personnel  en 
argent  et  en  joyaux  des  riches  accapareurs  et  hommes  d'argent.  Vciilà  pourquoi 
ils  font  comme  s'ils  ne  voyaient  rien  de  ce  qu'ils  devraient  voir  dans  1  intérêt 
du  peuple  »,  dit  l'Exhortation  chrétienne,  p.  17.  Voyez  aussi  Ansehlm,  t.  II,  p.  113. 
En  France,  on  trouve  sous  le  roi  Charles  Vii  le  premier  exemple  d'un  grand 
financier  et  accapareur  devenu  ministre  des  finances  ;  il  s'appelait  Jacques 
Cœur  et  était  marchand  à  Bourges.  Matthieu  de  Coucy,  historien  contempo- 
rain, dit  de  lui  :  «  Le  Roi  avait  dans  son  royaume  un  homme  de  basse  naissance 
qui,  par  son  habileté,  son  expérience  et  ses  soins,  parvint  à  être  à  la  tête 
d'un  commerce  considérable  de  marchandises  précieuses;  en  même  temps  il 
était  argentier  du  Uoi.  Il  avait  sous  lui  beaucoup  de  caissiers  et  de  facteurs  qui 
trafiquaient  ses  marchandises  dans  tous  les  pays  et  royaumes  de  la  chrétienté. 
Sur  la  mer,  il  entretenait  à  ses  frais  plusieurs  grands  navires  qui,  grâce  aux 
autorisations  du  sultan  et  des  Turcs,  étaient  libres  de  tout  impôt  maritime  et 
allaient  débarquer  dans  le  Levant,  l'Egypte,  la  Barbarie,  les  plus  belles  et  les  plus 
riches  marchandises;  Jacques  Cœur  se  faisait  rapporter  d'Orient  des  étoffes  d'or 
et  d'argent,  des  toiles  de  soie  de  toutes  sortes  et  de  toutes  couleurs,  des  fourrures 
de  martre  et  de  putois,  outre  bien  d'autres  marchandises  de  prix  telles  qu'on 
peut  s'en  procurer  dans  ces  pays.  Il  les  faisait  ensuite  vendre  à  la  cour,  dans 
îes  principales  villes  du  royaume  et  dans  tous  les  ports  étrangers.  Il  avait 
au  moins  trois  ou  quatre  cents  facteurs  à  ses  gages,  et,  à  lui  tout  seul,  gagnait 
annuellement  plus  que  totts  les  autres  marcliands  et  commerçants  réunis  du  royaume.  Au 
moment  de  la  conquête  de  la  Normandie  tl449!,  il  prêta  au  Roi  plusieurs  rail- 
lions. »  Il  mourut  persécuté  et  proscrit  à  Famagousta.  Voy.  Risselbach,  Gang 
des  Welthandels,  p.  231-232. 

*  Quod  pridem  Franconura  aequites  latrunculi  capitis  faciebant  periculo. 

•  Voy.  ArÉtin,  Beiträgen  zur  Geschichte  und  Literatur,  t.  VII,  p.  650-651. 


JUIFS    CHRÉTIENS.  383 

chandes  qui  ont  la  hardiesse  de  prendre  en  main,  d'accaparer  et  de 
monopoliser  toutes  sortes  de  denrées  et  de  marchandises  :  épices, 
mélaux,  lainages,  etc.,  afin  d'eu  trafiquer  avant  tous  les  autres  et  de 
pouvoir  en  fixer  les  prix  selon  leur  volonté  et  pour  leur  profit 
exclusif.  Puisque  par  une  telle  conduite  ils  causent  au  Saint- 
Empire  et  à  toutes  les  classes  de  la  société  un  tort  considérable,  il 
est  arrêté,  à  cause  de  la  pressante  nécessité  de  la  chose  publique, 
que  désormais  des  abaissements  si  pernicieux  seront  interdits,  entiè- 
rement abolis,  et  qu'à  l'avenir  personne  ne  pourra  s'y  livrer  ni  les 
mettre  eu  pratique.  Si  néanmoins  quelqu'un  osait  encore  s'en 
rendre  coupable,  ses  biens  seraient  confisqués  au  profit  des  autorités 
locales.  Ces  mêmes  sociétés  et  marchands  ne  pourront  plus  désor- 
mais se  l'aire  donner  de  saul^couduits  par  n'importe  quelle  auto- 
rité de  l'empire,  quels  que  soient  les  clauses,  interprétations  ou 
termes  de  ces  sauf- conduits.  Mais  pour  bien  prouver  que  ces 
mesures  ne  sont  pas  uniquement  diri(jées  contre  les  compagnies 
commerciales,  l'association  ne  sera  défendue  à  personne;  la  loi  déclare 
que  chacun  pourra  acheter  des  marchandises  et  les  revendre  où  il  lui 
plaira,  pourvu  qu'il  ne  tente  pas  d'accaparer  une  marchandise,  de  lui 
donner  un  prix  arbitraire,  et  n'exige  pas  du  vendeur  qu'il  ne  la 
livre  qu'à  lui  seul  et  la  détienne  uniquement  pour  lui.  Malgré  ces 
prescriptions,  si  les  marchands  avaient  encore  l'audace  de  taxera  de 
trop  hauts  prix  leurs  marchandises,  il  serait  du  devoir  des  autorités 
de  veiller  diligemment  et  efficacement  à  ce  que  de  tels  enchérisse- 
ments  soient  rendus  impossibles  et  à  ce  que  des  prix  honnêtes  et 
modérés  soient  fixés.  Dans  le  cas  où  elles  manqueraient  à  ce  devoir, 
le  fiscal  impérial  agirait  et  procéderait  contre  elles  comme  il  con- 
vient K  » 

Mais  la  puissance  de  l'argent  fut  plus  forte  que  le  pouvoir  exécutif 
dont  pouvait  disposer  l'empire.  D'ailleurs,  beaucoup  de  membres  des 
conseils  urbains  étaient  secrètement  associés  aux  «  compagnies^  »,  et 
parmi  les  conseillers  impériaux  eux-mêmes  plus  d'un  ne  dédaignait 
pas  les  gros  pots-de-vin  offerts  par  les  marchands,  et  participait  à 
l'exploitation  capitaliste  du  peuple.  «  Les  conseillers  de  l'Empereur 
étaient  à  l'affût  »,  dit  un  chroniqueur  contemporain.  "  Presque  tous 

'  Nouvelle  Collection  des  arrêts  et  sentences  des  Etals,  t.  II,  p.  144,  §  16-18.  —  EnneN, 
Gesch.  Kölns.,  t.  II,  p.  724-725. 

'  Voy.  les  actes  des  corporations  d'Ulm  en  1513.  Voy.  Pressel,  Die  Unruhen  in 
Ulm,  p.  214.  Maximilien,  dès  1507,  avait  mis  en  garde  les  hal)itants  d'Ulm  contre 
le  tort  que  faisaient  les  grandes  compagnies  commerciales  au  commerce  de  la 
Tille;  mais  le  conseil  nia  qu'elles  eussent  une  action  nuisible,  se  fondant  sur 
les  moyens  de  subsistance  qu'un  grand  nombre  d'iiabitants  trouvaient  dans 
leurs  maisons.  On  fut  cependant  contraint  d'avouer  au  conseil  que  les  grandes 
compagnies  étaient  causes  «  de  la  ruine  des  marchands  isolés  •.  Scbmoller, 
Nationalökonomische  Ansichten,  p.  500. 


384  ECONOMIE    SOCIALE. 

étaient  riches,  et  l'Empereur  restait  pauvre,  »  «  Quelques-uns  faisaient 
cause  commune  avec  les  marchands,  et  plaçaient  en  secret  des  fonds 
dans  leurs  entreprises'.  " 

Aussi  les  abus  du  monopole  allèrent-ils  toujours  en  croissant,  et 
des  plaintes  sur  renchérissement  général  se  firent-elles  toujours  plus 
entendre.  Dans  le  Wurtemberg,  à  partir  de  1510,  le  vin  monta  peu 
à  peu  de  49  pour  100;  le  blé,  de  32.  Ces  hausses  énormes  concor- 
daient avec  la  dépréciation  de  Targent,  due,  non  aux  importations 
des  mines  d'Amérique,  mais  aux  compagnies  commerciales,  qui 
avaient  réussi  à  monopoliser  l'exploitation  des  mines  allemandes  ^ 
Les  Fugger,  d'Augsbourg,  tiraient  annuellement  des  seules  mines 
de  Schwatz  (Tyrol),  dont  l'exploitation  leur  avait  été  concédée, 
200,000  florins.  La  compagnie  des  Hochstetter,  à  Hambourg,  ne  lira 
pas  moins  de  149,770  marcs  d'argent,  et  de  52,915  quintaux  de 
cuivre  de  ces  mêmes  mines,  entre  1511  et  1517  ^ 

Dans  les  pays  héréditaires  d'Autriche,  les  compagnies  d'Augsbourg 
et  de  Isuremberg  achetaient  en  masse  les  denrées  de  première  néces- 
sité devant  les  portes  mêmes  des  villes,  ou  sur  les  marchés.  De  cette 
manière  elles  arrivaient  bien  vite  à  dominer  tout  le  petit  commerce, 
et  fixaient  alors  tous  les  prix  selon  leur  gré.  Aussi  les  députés  envoyés 
par  ces  pays  et  réunis  à  Innsprïick  en  diète  provinciale  (1518),  obtin- 
rent-ils contre  elles  l'arrêt  suivant  :  "  Les  grandes  sociétés  de  com- 
merce ont  leurs  centres  hors  de  notre  pays.  Elles  ont  entre  leurs 
mains  ou  celles  de  leurs  facteurs  toutes  les  marchandises  indispen- 
sables à  la  subsistance  :  argent,  cuivre,  acier,  fer,  toile,  sucre,  épices, 
céréales,  bestiaux,  vins,  viandes,  saindoux,  suifs  et  cuirs.  Leurs  for- 
tunes les  ont  rendues  si  puissantes,  que  pour  le  marchand  et  l'indus- 
triel ordinaire,  ne  possédant  que  de  1  à  10,000  florins,  elles  détruisent 
toute  possibilité  de  faire  le  commerce.  Lorsqu'elles  sont  en  force, 
elles  font  les  prix  selon  leurs  volontés  et  amènent  la  hausse  quand  il 
leur  plaît.  Beaucoup  de  ces  compagnies  possèdent  des  revenus 
princiers,  au  grand  détriment  du  pays.  Il  est  donc  décidé  qu'à 
l'exception  des  jours  de  marché,  on  ne  leur  permettra  plus  de 
prendre  leurs  quartiers  dans  la  ville  et  de  s'y  installer  avec  leurs 
marchandises  pour  la  vente  quotidienne.  Afin  d'éviter  la  fraude  et  la 
contrebande,  personne  n'entretiendra  de  relations  soit  publiques, 

'Greiff,  p.  100-101. 

^  Voy.  Helferich,  Gcldentwcrthung,  p.  475-492.  Ce  ne  fut  qu'en  1560  que  l'argent 
américain  amena  l'abaissement  de  la  valeur  monétaire,  p.  491.  Sur  la  déprécia- 
tion des  monnaies  d'argent,  entre  1399  et  1511,  voy.  Ennen,  Gesch.  Kolas.,  t.  III, 
p.  907-908. 

'  Voy.  Greiff,  p.  94.  Le  monopole  des  Fugger  sur  les  mines  eut  une  grande 
part  aux  troubles  des  paysans  du  Tyrol.  En  Hongrie,  les  meneurs  de  la  révolte 
contre  la  noblesse  étaient  facteurs  des  Fugger.  Höfler,  dans  les  Archiv,  fur 
kunde  Osterreich.  Geschichtsq.,  t.  XI,  p.  204. 


EXPLOITATION    CAP  IT  A  I,  I  S  T  i;    DC    PKIPI,F..  385 

soit  .secr(>tes,  avec  elles.  Pendant  les  foires  el  les  marchés  publics  de 
Vienne,  Baulzen,  du  Vorarlberg},  etc.,  il  csl  délendu  aux  compnfjnies 
d'accaparer  avant  la  fin  du  marché  les  denrées  ou  marchandises  quel- 
conques par  des  olïres  renchérissant  sur  celles  des  autres  acheteurs.  » 
«  Il  leur  est  inicrdil  d'acheler  en  masse  les  bcsiiaiix  honjjrois  ou  ceux 
du  pays,  sous  peine  de  saisie.  Tout  achat  lait  d'avance  dans  le  but 
d'en  trafiquer  à  l'étranger  est  défendu,  La  compagnie  qui  vient  de 
se  former  pour  le  commerce  du  savon  est  dissoute,  connue  faisant 
tort  au  pays.  >  "  Le  prix  des  épices  et  autres  substances  alimentaires 
avait  en  effet  subi  une  hausse  énorme.  De  plus,  les  marchandises 
achetées  dans  de  bonnes  conditions  à  Venise,  Calcutta,  Lisbonne, 
Anvers,  Lyon  el  Francfort  étaient  falsifiées  avant  d'être  mises  en 
vente;  le  gingembre,  le  poivre,  étaient  coloriés  avec  de  la  poudre  de 
brique  ou  mêlés  à  des  ingrédients  malsains'.  "  Il  en  était  de  même 
de  beaucoup  d'autres  produits.    . 

Les  bénéfices  des  spéculateurs  étaient  souvent  monstrueux.  Bar- 
thélémy Rem,  d'Augsbourg,  avec  une  somme  de  500  florins  seule- 
ment, prêtée  à  Ambroise  Flochstetter  pour  courir  les  chances  de  son 
commerce,  réalisa  un  bénéfice  de  24,500  florins  d'or  entre  1511 
et  1517.  De  tels  résultats  justifient  évidemment  le  reproche  si  fré- 
quemment adressé  aux  compagnies,  -  de  dépasser  sept  fois  l'usure  des 
Juifs-  '.  Une  note  laissée  par  Conrad  Mayer,  secrétaire  des  Fugger, 
donne  l'idée  des  énormes  revenus  que  réalisaient  souvent  les  gros 
capitalistes  de  l'époque.  Cette  note  constate  qu'en  l'espace  de  sept 
ans,  la  fortune  des  Fugger  avait  augmenté  de  13  inilUons  dcßorins  ^ 

Des  discussions  s'élevaient  fréquemment  à  l'intérieur  des  grandes 
compagnies  à  propos  du  partage  des  bénéfices,  et  les  directeurs 
étaient  souvent  accusés  de  malversations.  On  lit  dans  la  Chronique 
d'histoire  actuelle  commencée  à  Augsbourg  en  1512  :  "  Les  marchands 

'  Voy.  Falke,  Gesch.  des  danschen  Handels,  t.  II,  p.  338-339.  —  Voy.  Kellep.,  t.  I, 
p.  478.  —  De  LORENZ!,  L  II,  p.  274-275.  —  Voy.  aussi  notre  second  volume.  Voy. 
SCHMOLLER,  X'ationainhonomische  Äinichtcii,  p.  497.  -  Les  compagnies  ",  dit  Sébastien 
Franck  dans  son  IVcltbuch,  p.  153%  -  achètent  tout  ce  qui  se  présente,  même  les 
aiguilles,  les  miroirs,  les  couvertures,  les  céréales,  le  vin,  la  toile,  et  en 
revanche  nous  rapportent  des  pays  étrangers  des  bagatelles  inutiles  qu'elles 
enchérissent  à  l'envi  parmi  nous,  telles  que  soie,  velours,  muscade,  clous  de  giro- 
fle, poivre,  cannelle,  etc.  Ce  que  l'artisan  leur  donne,  il  ne  peut  plus  le  racheter 
qu'en  le  payant  le  double.  Et  ces  marchands  ont  grand  soin  de  n'exposer  ni  leur 
corps  ni  leur  âme;  ils  dirigent  toutes  choses  à  l'aide  de  commis  à  leurs  gages 
qui  traversent  les  mers  et  leur  rapportent  les  bénéfices  et  les  comptes.  » 
En  1523,  rien  que  par  les  compagnies  commerciales  de  Lisbonne,  Irente-six 
mille  quintaux  de  poivre,  vingt-quatre  mille  quintaux  de  cannelle  furent  intro- 
duits en  Allemagne.  Ces  marchandises  étaient  très-fréquemment  falsifiées,  .irrê/s 
et  sentences  des  États,  t.  XXX VIII,  p.  241-271,  dans  les  archives  de  Francfort. 

-  Greiff,  p.  92-93. 

*  Greiff,  p.  94.  La  fortune  des  Fugger  s'éleva  jusqu';'»  soixante-trois  millions 
de  florins. 


386  ECONOMIE    SOCIALE. 

avaient  formé  de  grandes  compagnies  et  avaient  amassé  des  fortunes 
colossales,  mais  plusieurs  étaient  peu  honnêtes,  et  dupaient  les 
autres,  leur  faisant  quelquefois  tort  de  plusieurs  milliers  de  florins. 
Ceux  d'entre  eux  qui  étaient  chargés  d'établir  les  comptes  étaient  de 
beaucoup  les  plus  riches.  On  les  appelait  des  gens  habiles,  des  gens 
intelligents,  car  on  n'osait  les  nommer  larrons,  comme  ils  l'eussent 
bien  mérite.  Dans  le  contrat  d'association,  ils  prenaient  des  enga- 
gements envers  tous;  mais  lorsqu'il  en  fallait  venir  aux  comptes, 
les  commis,  lès  intéressés  dans  l'affaire,  ayant  aussi  bien  qu'eux 
exposé  leur  argent  et  couru  les  chances,  étaient  obligés  de  se 
déclarer  satisfaits  de  la  part  qui  leur  était  faite,  et  feignaient  de 
croire  à  leurs  assurances  déloyales.  Ces  sortes  d'engagements  secrets 
ont  fait  de  grands  coupables,  et  il  est  fort  probable  qu'il  n'y  a  pas 
de  voleurs  plus  rusés  que  les  administrateurs  de  quelques-unes  de 
ces  grandes  compagnies'.  " 

«  Mais  on  a  beau  prendre  des  mesures  sévères  pour  empêcher 
l'usure  »,  dit  un  prédicateur  du  temps  (1515),  '  rien  n'y  fait.  Tout  le 
monde  voit  la  rapidité  avec  laquelle  les  grands  marchands  accapa- 
reurs deviennent  riches;  chacun  veut  arriver  comme  eux  à  la  for- 
tune et  rêve  de  tirer  de  gros  intérêts  de  son  argent.  L'ouvrier  et 
le  villageois  placent  leur  petit  avoir  dans  une  compagnie  ou  chez  un 
grand  spéculateur,  danger  qui  n'existait  pas  clans  l'ancien  temps; 
en  dix  ans,  le  mal  a  pris  un  accroissement  énorme.  On  se  pro- 
pose de  beaucoup  gagner,  mais  souvent  on  perd  tout  ce  qu'on  avait 
confié-.  » 

Bien  des  gens  connurent  de  semblables  déceptions.  Le  grand  capi- 
taliste d'Augsbourg,  Höchsteifer,  fit  un  grand  nombre  de  dupes.  Les 
princes,  les  comtes,  les  gentilshommes  n'avaient  pas  été  seuls  à  lui 
confier  leur  argent;  les  paysans,  les  valets,  les  servantes  lui  avaient 
livré  leurs  modestes  économies.  "  De  pauvres  villageois  ne  possédant 
pas  plus  de  dix  florins  '>,  rapporte  Clément  Sander,  d'Augsbourg, 
c.  ont  cru  bien  faire  en  les  plaçant  chez  Ilochstetter,  persuadés  qu'ils 
en  retireraient  un  bon  intérêt.  Tant  de  personnes  ont  partagé  cette 
confiance,  qu'Höchstetter  et  ses  associés  ont  eu  pendant  plusieurs 
années  de  suite  un  million  de  florins  d'intérêts  à  payer.  »  «  Il  faisait 
semblant  d'être  bon  chrétien,  mais  il  a  trop  souvent  lésé  l'intérêt 
public  et  le  pauvre  homme.  Non- seulement  il  était  sans  probité 
dans  les  grandes  et  importantes  spéculations,  mais  encore  il  s'enri-' 
clîissait  d'une  manière  inique  en  vendant  à  des  prix  modérés  des 
denrées  felsifiées.  Ainsi,  par  exemple,  il  accapai'ait  les  bois  de  frêne 
lorsque  les  chemins  étaient  bons  et  les  amenait  sur  le  marché  lorsqu'ils 

»  Greiff,  p.  100. 

2  Dans  le  Cod.  Camp,,  p.  29. 


FUNESTIiS    Ti;  NI)  AN  CK. S    K  C  0  N  ()  M  I  O  U  K  S  .  387 

(Uaieul  devenus  mauvais;  il  afjissalt  de  môme  pour  le  vin  et  le  bl(\  et 
c'est  ainsi  qu'il  a  fini  par  trop  tendre  les  cordes  du  ludi.  Souvent 
il  achetait  en  masse  un  produit  (ju'il  payait  plus  cher  qu'il  ne  valait, 
a/in  de  pouvoir  ensuite  oppriuior  â  sa  {juise  les  comnierçants  moins 
riches  qui  n'avaient  pu  acheter  à  un  taux  aussi  élevé,  il  amenait 
dans  le  pays  renchérissement  d'une  denrée,  puis  il  la  revendait  au 
prix  qui  lui  convenait.  Aucun  marchand  du  pays  n'ayant  en  sa  pos- 
session plus  de  50  ou  de  100, 000  florins,  personne  n'était  en  nie- 
surc  de  lutter  avec  lui,  de  sorte  qu'il  (jagnait  tout  ce  qu'il  voulait.  » 
ic  Ambroisc  Ilochstettcr  a  accaparé  le  mercure  dans  tous  les  royaumes 
et  territoires.  11  l'a  acheté  plus  cher  qu'on  ne  le  vend  ordinairement, 
j)ayant  le  quintal  jusqu'à  8  Morins,  faisant  tort  par  cette  manœuvre 
aux  autres  trafiquants,  puis  le  revendant  à  14  florins  une  fois  qu'il 
était  tout  entier  entre  ses  mains.  Il  en  avait  acheté  pour  200,000  flo- 
rins, mais  à  dire  le  vrai  il  eu  avait  perdu  le  tiers,  parce  qu'entre 
temps,  on  découvrit  une  grande  quantité  de  mercure  en  Hongrie 
et  en  Kspagne;  il  a  essuyé  d'autres  désastres  encore  :  un  de  ses 
navires  chargé  d'épiccs  a  sombré;  des  cargaisons  de  marchandises, 
venant  des  Pays-Bas  et  se  dirigeant  vers  Augsbourg,  ont  été  pillées 
par  des  voleurs  de  grande  route,  etc.,  etc.  Mais  tout  cela  eût  été 
très-réparable  si  ses  fils  et  ses  neveux  se  fussent  honorablement 
conduits,  s'ils  avaient  eu  un  soin  convenable  de  leurs  affaires,  et 
si  tous  les  ans  le  vieil  Ambroise  lui-môme  avait  fait  ou  fait  faire  des 
comptes  exacts;  alors  tout  ce  qui  est  arrivé  aurait  pu  être  évité. 
Mais  son  fils  Joachim  et  son  gendre  Baumgartner  faisaient  des 
dépenses  extravagantes  :  en  une  seule  nuit  ils  gaspillaient  dans  un 
repas  de  fête  de  5,000  à  10,000  florins,  et  perdaient  au  jeu,  en  une 
seule  fois,  20,000  ou  30,000  florins.  Le  jeune  Ambroise  Hochstetter,  fils 
du  vieil  Ambroise,  et  Joseph  Hochstetter,  son  neveu,  ont  mal  conduit 
la  maison,  mais  cependant  moins  mal  encore  que  les  deux  autres.  » 
A  la  suite  d'une  administration  si  déplorable  ,  Hochstetter,  quelques 
années  après,  fit  une  faillite  de  800,000  florins.  Condamné  à  la  prison, 
il  y  mourut  misérablement  '.  Ses  fils  eurent  aussi  de  longues  années 
d'emprisonnement  à  subir.  "  Ils  ont  fait  grand  tort  à  de  braves  gens, 
riches  ou  pauvres,  et  le  luxe  et  la  magnificence  qu'ils  ont  étalés  ont 
fait  dire  de  tous  cotés  cju'ils  avaient  bien  mérité  d'aller  mourir  au 
cachot.  Qu'ils  servent  d'exemple  à  ces  fripons  qui  dépensent  plus 
qu'ils  savent  ne  pouvoir  payer!  »  C'est  à  propos  de  la  banqueroute  de 
Hochstetter  que  le  conseil  d'Augsbourg  fit  construire  la  prison  pour 
dettes,  et  On  fut  d'abord  extrêmement  irrité  contre  les  Hochstetter  », 
remarque  un  chroniqueur,  "  mais  peu  à  peu  la  rancune  alla  en  s'adou- 

'  Greiif,  p.  95-96. 

25- 


388  ECONOMIE    SOCIALE. 

cissant.  En  vérité,  ce  serait  grand  dommage  de  plaindre  de  tels 
scélérats!  îls  ont  pris  d'une  manière  honteuse  Targent  des  hon- 
nêtes gens!  D'ailleurs,  après  avoir  fait  faillite  ils  sont  souvent 
plus  riches  qu'auparavant,  car  les  loups  se  mangent  rarement  entre 
eux*,  » 

Il  est  incontestable  que,  sous  le  rapport  économique,  de  fâcheuses 
tendances  commençaient  à  se  faire  jour.  Les  gens  prévoyants  et 
attentifs  regardaient  l'avenir  avec  effroi.  Un  commerce  trop  puissant 
avait  engendré  une  passion  immodérée  pour  les  richesses.  L'amour 
du  luxe,  des  habillements  somptueux,  des  mets  recherchés,  avait  pris 
des  proportions  effrayantes.  Les  gros  capitaux  mis  en  œuvre  faisaient 
une  situa iion  de  moins  en  moins  tolérable  aux  classes  laborieuses. 
«  Quel  bon  temps  pour  les  pays  allemands  »,  dit  le  sermon  que  nous 
avons  déjà  cité  (1515),  ■•■■  que  celui  où  toutes  les  marchandises  étaient 
évaluées  à  des  prix  fixes,  où  l'autorité  ne  souffrait  ni  les  accapa- 
rements ni  l'usure!  Mais  depuis  que  le  commerce  a  pris  un  accroisse- 
ment si  vaste,  depuis  que  les  grandes  compagnies  produisent  un 
enchérissement  général,  tout  ce  dont  le  pauvre  homme  a  besoin  pour 
se  nourrir  et  se  vèlir  devient  d'un  prix  si  élevé,  qu'il  ne  pourra  bientôt 
plus,  ou  que  très-difficilement,  se  procurer  les  moyens  de  vivre.  Si 
les  temps  ne  changent,  de  grands  troubles  et  de  déplorables  révoltes 
sont  à  redouter?  «  De  l'argent!  de  l'argent!  -  crient  les  seigneurs,  et 
plus  le  commerce  et  l'usure  leur  eu  apportent,  plus  ils  crient  :  -  De 
l'argent!  de  l'argent!  car  l'argent  fait  l'homme-.  >'  Et  si  quelqu'un 
les  reprend  et  leur  dit  :  -  Tu  es  un  usurier,  tu  extorques  le  bien  du 
peuple;  la  colère  de  Dieu  et  des  hommes  s'appesantira  sur  ta  tète,  et 
tu  perdras  ton  âme  =>,  ils  regardent  un  tel  donneur  d'avis  comme  un 
niais,  vu  de  mauvais  œil  et  détesté.  Ils  méprisent  l'Église,  et  ses 
commandements  leur  sont  devenus  à  charge  parce  qu'ils  s'opposent 
à  leurs  désirs.  ^  "  Sache  que  le  Dieu  tout-puissant  est  le  seul  maître 
des  biens  d'ici -bas.  Tu  n'es  que  l'administrateur  et  le  représen- 
tant de  Dieu  pour  toutes  les  choses  que  tu  possèdes.  Ne  t'imagine  fi 
donc  pas  qu'ua  jour  tu  n'aies  pas  à  en  rendre  compte;  ne  pense 
pas  que  tu  sois  libre  d'en  faire  ce  que  bon  te  semble,  et  qu'il  te  soit 
loisible  de  tondre  et  de  dépouiller  le  pauvre  homme  comme  si  tu 
n'étaispasson  frère  et  son  égal.  Il  t'a  été  ordonné  de  travailler,  et  non 
pas  de  viyre  dans  la  paresse;  si  tu  es  marchand,  tu  es  tenu  de  vendre 
à  un  prix  équitable,  de  quelque  marchandise  qu'il  s'agisse.  Surtout 
l'usure  pratiquée  par  l'argent  et  les  intérêts  t'est  défendue!  Mais 
un  tel  langage  sonne  désagréablement  à  l'oreille  des  usuriers,  des 
accapareurs,  des  fabricants  d'argent!  Ils  sont  maintenant  devenus 

'  r.r.KiFF,  p.  95-98. 

-  Keller,  t.  II,  p.  652. 


M-    TRAVAIL    D'AI'KÈS    M!    DROIT    «JERMAMQUE    CIIUÉTUTN.    389 

de  (■rancis  seigneurs,  ils  on!  obtenu  des  lettres  de  noblesse  *,  et 
depuis  ce  temps  se  pavanent  orj^ueilleusement  parmi  nous;  mais 
il  n'en  est  pas  moins  vrai  ,  poursuit  le  prédicateur,  «  que  leur 
conduite  outra^je  la  sainte  F{jiise;  quafjir  comme  ils  le  font,  c'est 
la  iiH'priser,  et  qu'ils  vont  contre  tout  ce  qu'elle  enseigne  sur  la  pro- 
priété, le  travail  inqiosé  aux  hommes,  les  intérêts,  l'usure  et  le  prix 
lép.al  des  marchandises.  •- 


VU 


D'après  l'enseignement  de  l'Église,  toute  propriété  terrestre  appar- 
tient à  Dieu  seul.  Dieu,  créateur  de  toutes  choses,  en  est  aussi  le  pro- 
priétaire unique,  exclusif.  Il  veut  que  les  hommes  soient  pourvus  de 
tout  ce  qui  est  nécessaire  à  leur  subsistance,  mais  sa  volonté  s'oppose 
à  ce  que  les  biens  de  la  terre  se  trouvent  dans  la  propriété  commune, 
car,  s'il  en  était  ainsi,  la  nature  pervertie  de  l'homme  ferait  régner 
partout  la  discorde  et  la  ruine.  Ce  n'est  qu'eu  reconnaissant  à  l'individu 
le  droit  de  posséder  que  l'ordre  indispensable  à  la  bonne  administra- 
tion et  à  l'amélioration  des  biens  peut  être  maintenu,  et  la  paix 
assurée  aux  hommes;  mais  personne  n'a  sur  ce  qu'il  possède,  même 
légitimement,  un  droit  de  propriété  sans  restriction.  Il  ne  lui  est 
jamais  permis  d'en  disposer  selon  sou  caprice.  Il  ne  peut,  en  en  fai- 
sant usage,  agir  et  procéder  arbitrairement,  comme  ^i  ces  biens 
n'étaient  pour  lui  que  les  moyens  de  satisfaire  sa  soif  de  jouir  et  de 
dominer,  car  d'après  l'ordre  établi  par  Dieu,  l'homme  n'est  que  l'usu- 
fruitier de  la  richesse  qu'il  possède.  La  volonté  divine  exige  de  lui  qu'il 
se  conduise  en  fidèle  intendant,  et  qu'autant  que  possible  il  dépense 
ses  revenus  de  façon  à  servir  l'intérêt  général  ^  C'est  par  l'exercice 
de  ce  dernier  devoir,  ^-  donner  d'après  son  revenu  ",  qne  se  produit 
l'équilibre  entre  la  richesse  et  la  pauvreté,  et  que  l'inégalité  du  partage 

'  Les  marchands  enrichis  achetaient  des  lettres  de  noblesse,  se  plaisaient  à 
étaler  leur  faste  dans  les  tournois  et  à  singer  les  gentilshommes;  ils  sont  raillés 
sans  pitié  dans  un  pamphlet  du  quinzième  siècle  :  Contra  cives  nobiUtatos,  qui  a  été 
publié  par  Wattknbach,  AdimlQ  Anzeiger  für  die  Kuiidedmtscher  Vorzeit,  t.  XXIII,  p.  273- 
274.  Guillaume  Werner,  juge  à  la  chambre  de  justice  de  Spire,  dit  très-bien  dans  sa 
chronique  :  »Ils  détestent  par  nature  et  par  longue  tradition  tout  ce  qui  tient  à 
la  noblesse,  et  cependant,  dès  qu'ils  en  ont  le  moyen,  ils  ne  songent  qu'à  la 
contrefaire.  » 

*  Le  célèl)re  axiome  de  saint  Thomas  d'Aquin  est  fréquemment  répété  dans 
les  écrits  canonistes  du  quinzième  siècle  :  «  Bona  temporalia,  qua^  homini  divi- 
nitus  conferuntur,  ejus  quidem  sunt  quantum  ad  proprietatem,  sed  quantum  ad 
usum  non  solum  debent  esse  ejus,  sed  etiam  aliorum,  qui  ex  eis  sustentari  possunt 
ex  60  quod  ei  superfluit.  »  Voy.  Contzex,  Gesch.  der  rolhsicirschaftl.  Literatur,  p.  84. 


390  ECONOMIE    SOCIALE. 

des  biens  trouve  une  intime  compensation.  Le  soutien  de  ceux  qui 
sont  dans  le  besoin,  sous  quelque  forme  cjne  ce  besoin  se  produise, 
ne  doit  donc  pas  être  considéré  comme  un  pur  acte  de  charité  chré- 
tienne :  il  est  de  stricte  oblij^ation  '.  "  Que  les  riches  se  sou- 
viennent ",  dit  Trithème,  s'appuyant  en  cela  sur  l'opinion  de 
saint  Augustin  et  du  pape  Gréjyoire  le  Grand,  "  que  leurs  biens  ne 
leur  ont  pas  été  confiés  pour  qu'ils  en  jouissent  à  eux  tout  seuls,  mais 
afin  qu'ils  en  fassent  un  bon  emploi;  ils  doivent  les  considérer  comme 
appartenant  à  l'humanité  tout  entière.  En  procurant  à  ceux  qui  sont 
dans  l'indigence  ce  qui  leur  est  nécessaire,  ils  ne  font  que  leur  donner 
ce  qui  leur  appartient.  Mais  lorsque  le  devoir  de  la  bonne  admi- 
nistration des  biens  est  négligé  dans  une  large  proportion,  soit  par 
le  clergé,  soit  par  les  laïques;  lorsque  les  riches  s'imaginent  être  les 
seuls  maîtres  et  seigneurs  de  ce  qu'ils  possèdent,  et  ne  regardent  pas 
les  indigents  comme  leurs  frères,  il  en  résulte  nécessairement  un 
trouble  social  profond.  De  faux  docteurs,  comme  nous  l'avons  vu  en 
Bohême,  séduisent  le  peuple,  lui  persuadent  que  les  biens  doivent  être 
également  répartis  entre  tous,  et  que,  par  la  violence,  il  faut  con- 
traindre les  riches  à  les  partager.  Alors  des  faits  déplorables  se  pro- 
duisent; la  guerre  civile  s'allume,  nulle  propriété  n'est  épargnée, 
nul  droit  de  légitime  possession  reconnu,  et  les  riches  peuvent  se 
plaindre  à  bon  droit  de  la  perte  des  biens  cpii  leur  ont  été  ravis.  Mais 
qu'ils  s'interrogent  de  bonne  foi  :  dans  les  jours  de  calme,  en  gérant, 
en  dépensant  leurs  revenus,  ont-ils  eux-mêmes  reconnu  les  droits  du 
souverain  propriétaire,  c'est-à-dire  de  Dieu'?  ; 

La  doctrine  du  droit  canon  sur  la  propriété  était,  en  ses  points 
essentiels,  en  complète  harmonie  avec  les  principes  de  notre  droit 
national,  tout  imprégné  de  l'esprit  de  l'Église'. 

Ainsi  que  le  droit  canon,  le  droit  allemand  considère  la  propriété 
comme  un  fief  prêté  par  Dieu,  comme  un  droit  protégé  par  son  com- 
mandement. En  conséquence,  tout  propriétaire  est  responsable  devant 
Dieu  de  l'administration  du  bien  qui  lui  a  été  confié,  et  l'étendue, 
la  mesure  de  son  droit  de  possession,  a  pour  limite  et  pour  frein 
le  droit  moral,  l'unique  titre  de  sa  propriété.  Le  propriétaire 
est  autorisé,  mais  en  même  temps  il  est  tenu  d'user  de  ses  biens 
eu  égard  à  la  fin  morale  qu'ils  sont  chargés  de  servir.  Il  ne  peut, 
par  conséquent,  en  disposer  selon  son  caprice.  Son  droit  do 
les  garder  ou  de  s'en  défaire  est  subordonné  à  la  question  de  l'avan- 
tage général,  à  la  considération  des  égards  légitimes    et    équita- 

'  Dchiliim  legale. 
-  De  Jnilœis,  p.  5. 

^  Voy.  Schmidt,  Der  principielle  Unterschied  zin'scheti  dem  römischen  und  germanischen 
Becht,  p.  217-247. 


LE    TRAVAIL    D'APRÈS    LE    DROIT    OERMAMQUE    CHUKTIEN.    391 

bles  dus  à  (ous,  mais  particulièrement  à  ceux  de  sa  famille,  à  ses 
voi.-ins  et  aux  uiallicureiix.  Noire  ancienne  l(''{|isia(ion  élève  partout 
les  oljli^ations  morales  à  la  hauteur  de  devoirs  lc(jaux.  Elle  men- 
tionne diverses  strictes  oblign lions  de  donner;  riiospitalilé  en  était 
une,  et  |)arlu)!ii  y  domine  ce  principe,  que  celui  qui  a  faim,  qui  est  dans 
le  besoin,  est  autorisé  à  prendre  pour  ses  nécessilés  immédiates  une 
certaine  part  des  produits  des  champs  et  des  bois. 

Kn  toute  rencontre,  l'équité  est  la  base  morale  de  Texercicc  du 
droit  de  propriélé. 

Le  droit  allemand  est  aussi  entièrement  d'accord  avec  le  droit 
ecclésiasiique  en  ce  qui  concerne  l'acquisition  de  la  propriété  par  le 
travail  de  valeur. 

Toute  propriété  tire  son  orip,ine  du  travail;  le  travail  est  à  pro- 
prement parler  l'unique  trésor  de  l'homme  qui  craint  Dieu.  Seuls, 
le  travail,  manuel  ou  intellectuel,  et  la  pauvreté  innnéritée  sont  auto- 
risés, d'après  les  docteurs  ecclésiastiques,  à  parliciper  aux  biens  de 
la  terre. 

a  Travailler,  c'est  servir  Dieu  en  obéissant  à  sou  commandement  », 
dit  VExJiörtalion  chrétienne  ',  «  et  tous  les  hommes  sont  obligés  de  se 
soumettre  au  travail.  Les  uns  se  chargent  des  travaux  manuels,  soit 
aux  champs,  soit  à  la  maison,  soit  à  l'atelier;  les  autres  s'adonnent 
aux  sciences  ou  aux  arts;  ceux-ci  sont  gouverneurs  du  peuple  ou 
magistrats,  ceux-Uà  font  la  guerre  et  défendent  leur  pays.  D'autres 
encore  se  font  les  serviteurs  spirituels  de  Jésus-Christ  dans  les  églises 
et  les  monastères;  d'autres  font  leur  unique  occupation  de  la  prière, 
ils  louent,  glorifient  Dieu  et  lui  demandent  grâce  pour  les  péchés 
des  hommes.  Ces  derniers  sont  très-nécessaires,  et  tu  ne  dois  pas 
t'imaginer  qu'ils  restent  oisifs,  car  le  travail  de  la  prière  est  fécond, 
et  tous  en  ont  besoin,  mais  particulièrement  toi,  si  tu  pries  peu. 
Seul,  celui  qui  ne  fait  rien  méprise  le  commandement  de  Dieu.  >; 
Sébastien  Brant  appelle  le  paresseux  «  le  plus  fou  d'entre  les  fous  ». 
«  H  est  aux  hommes  -,  dit-il,  «  ce  que  la  fumée  est  aux  yeux,  ce  que 
le  vinaigre  est  aux  deuls.  Dieu  n'accorde  la  récompense  et  l'honneur 
qu'au  travail'.  ■■> 

"  Instruits  parle  témoignage  de  la  sainte  Écriture  »,  écrivait  Wer- 
ner Ilolewinck,  prieur  des  Chartreux,  ^  nous  savons  que  Dieu  et  les 
hommes  laborieux  sont  seuls  véritables  seigneurs  de  tout  ce  dont  il 
nous  est  permis  de  faire  usage  ici-bas.  «  Celui  qui  ne  travaille  pas, 
dit  l'Apôtre,  ne  doit  pas  non  plus  manger.  »  Tous  ceux  qui  ne  font 
rien,  ou  ne  sont  pas  occupés  à  répartir  les  fruits  du  travail,  sont 
des  mendiants.  One  personne  donc  ne  s'imagine  pouvoir  vivre  en 

'  Page  23». 

^  Narrenschiff,  %  97. 


392  ECONOMIE    SOCIALE. 

une  lâche  fainéantise,  de  peur  qu'il  ne  fasse  l'expérience  du  châti- 
ment dont  le  Seigneur  menace  ses  pareils  au  livre  de  la  Sagesse.  «  Au 
dernier  jour  •^,  y  est-il  dit,  "  les  justes,  pleins  de  joie,  s'élèveront 
avec  une  grande  assurance  contre  ceux  qui  les  ont  opprimés  et  leur 
ont  ravi  le  fruit  de  leur  travail  '! 

u  L'homme  est  né  pour  travailler  comme  l'oiseau  pour  voler  ;>, 
dit  Trithème.  «  Il  agit  contre  sa  nature  lorsqu'il  vit  dans  l'oisiveté 
comme  le  fait  l'usurier.  Adam  lui-même,  lorsqu'il  était  encore  inno- 
cent, devait  garder  et  cultiver  le  paradis,  par  conséquent  travailler. 
Mais  après  son  péché  le  travail  lui  fut  imposé  comme  un  joug  pesant 
auquel  ni  lui  ni  aucun  de  ses  descendants  ne  pourraient  jamais  se 
soustraire,  et  la  parole  de  Dieu  :  <  Tu  gagneras  ton  pain  à  la  sueur 
de  ton  front  ■•,  a  été  prononcée  pour  tous-.  :^ 

«  Un  travail  ardu  et  pénible  '■,  enseigne  Henri  de  Langenstein  dans 
un  traité  d'ailleurs  fort  remarquable  sur  l'économie,  «  est  un  joug 
imprescriptible  de  pénitence  mis  sur  les  épaules  des  fils  d'Adam  par 
la  juste  sentence  de  Dieu;  mais,  parmi  les  descendants  du  premier 
homme,  beaucoup,  par  toutes  espèces  de  faux-fuyants,  cherchent  à 
se  soustraire  à  ce  joug  et  s'efforcent  de  se  procurer  surabondamment 
les  choses  utiles  et  indispensables  à  la  vie  tout  eu  demeurant  dans  une 
inaction  stérile.  Les  uns  y  réussissent  par  le  vol,  le  pillage;  d'autres 
par  l'usure  et  les  transactions  usuraires;  d'autres  encore  par  le  men- 
songe, les  tromperies,  et  toutes  ces  innombrables  façons  d'obtenir 
par  la  ruse  et  l'injustice  un  salaire  immérité,  que  les  hommes  ont 
inventées  et  inventent  encore  tous  les  jours  pour  réussir  à  se  procurer 
sans  labeur  de  grandes  richesses.  Mais  tandis  que  ces  imprudents 
secouent  l'obligation  du  travail  justement  imposée  par  Dieu  même, 
ils  accumulent  en  leur  conscience  un  pesant  fardeau  d'iniquités,  de 
sorte  qu'après  une  vie  passée  dans  le  bien-être,  ils  se  voient  tout  à 
coup  précipités  dans  l'enfer.  Les  fils  intelligents  d'Adam  agissent  bien 
différemment.  Réfléchissant  que  les  choses  nécessaires  à  la  vie  ne  se 
peuvent  obtenir  qu'en  acceptant  le  châtiment  imposé  à  nos  premiers 
parents  après  leur  péché,  ils  l'acceptent  patiemment  dans  l'espérance 

'  De  laude  Saxoniœ,  p.  42.  ^  Sacro  iiamque  eloquio  testante  scimus,  quod  Deus  et 
laboralor  sunt  rcri  domini  omnium,  qnœ  in  usum  veniunl  humamim.  Et  apostolus  dicit  : 
Oui  non  lal)orat,nec  manducet.Cetei'i  omnes  auteui  sunt  dispensatores  aut  men- 
dici.  "  Dans  son  ouvrage:  De  regiminc  rusticorum,  cap.  vi,  Rolewinck  dit:  ■  Clerici 
autera  et  milites  utriusque  (seil,  rusticorum  et  mecanicorum)  dehiiores  sunt; 
quilibet  secundum  siatum  suum.  Et  quia  istis,  quando  recte  faciunt,  major 
labor  et  majus  periculum  iraniinet,  ideo  etiara  major  lionor  ipsis  debetur, 
dicuutur  enim  status  regitivi,  quia  aiios  regere  habent.  Nam  pra'lati  spirituales 
cum  suis  clericis  regunt  populum  christianum  quoad  spiritualia;  principes 
vero  sa?calares  cum  suis  officiariis  quoad  lemporalia. 

■^  De  Judœis,  p.  17.  Voyez  aussi  Jean  Gep.sox,  Op.,  t.  IV,  p.  2ô7'>.  Édition  de 
Cologne,  1484. 


LE    TliAVAIL    D'AI'ISKS    LK    DU  OIT    GERMANIQUE    CHRETIEN.   393 

d'obicilir  ainsi  le  pardon  de  leurs  offenses,  et  de  se  rendre  difjnes 
par  une  occupai  ion  honorable  d'acquérir  les  i)icns  de  la  vie  pré- 
sente el  ceux  de  la  vie  fudire.  Les  uns,  par  le  travail  manuel,  se 
procurent  ù  eux  et  aux  aulres,  à  la  sueur  de  leur  visage,  ce  qui  est 
nécessaire  à  la  vie  :  tels  sont  les  cultivateurs,  les  ouvriers,  les  mar- 
ciiands;  les  autres,  assujettis  à  des  devoirs  entourés  déconsidération, 
méritent  vraiment  d'être  nourris  par  leurs  frères  :  tels  sont  ceux  qui 
dirigent  la  comnnnie  et  par  leurs  efforts  laborieux  assurent  à  leur 
concitoyens  le  calme  et  la  sécurité  sans  lesquels  ils  ne  sauraient 
vivre,  .l'en  dis  autant  de  ceux  qui  administrent  les  biens  spirituels, 
et  parleurs  soins  zélés  et  actifs  procurent  à  eux-mêmes  et  aux  autres 
ces  biens  de  l'âme  auxquels  doivent  tendre  et  se  rapporter  tous  les 
efforts  de  l'homme  ici-bas.  Ceux  qui  se  livrent  alternativement  au 
travail  manuel  et  spirituel  sont  dignes  d'un  très-particulier  éloge. 
Saint  Paul  était  de  ceux-là  :  il  se  nourrissait  du  travail  de  ses  mains 
et  annonçait  en  môme  temps  TEvangile  aux  païens  '.  » 

C'est  ainsi  que  Langenstein  prône  partout,  en  son  ouvrage,  l'obli- 
gation, la  di{}uité,  le  mérite  du  travail.  «  Celui  qui  ne  gagne  point 
sa  subsistance  par  un  travail  utile  ,  dit-il,  •;  consomme  aux  dépens 
des  autres  un  bien  injustement  acquis.  "  Il  va  jusqu'à  ajouter  qu'on 
devrait,  ou  chasser  un  tel  homme  de  la  société,  ou  le  contraindre  au 
travail.  Tous  les  écrivains  canonistes  s'accordent  avec  lui  pour  regar- 
der le  travail  comme  la  source  du  gain  et  comme  y  donnant  seul 
droit.  Lui  seul,  non  la  propriété,  confère  un  titre  valable  de  posses- 
sion, et  voilà  pourquoi  le  travailleur  ne  doit  jamais  être  frustré  du 
fruit  de  son  labeur.  Le  travail  est  encore  plus  inhérent  à  la  nature  de 
l'homme  que  la  propriété.  Le  travail,  c'est  l'homme  même.  En  toute 
occasion  le  droit  canon  le  protège,  et  proclame  sa  sainteté,  sa  dignité, 
sa  force  civilisatrice  -. 

Le  droit  allemand,  de  son  côté,  lui  assurait  honneur  et  pro- 
tection, et  le  considérait  comme  un  mode  d'acquisition  complète- 
ment indépendant  de  la  propriété.  Il  posait  par  exemple  en  principe 
que  celui  dont  les  soins  ont  obtenu  une  bonne  récolte  a  droit  aux 
fruits  de  cette  récolte,  et  que  partout  où  l'on  peut  améliorer  le  sol, 
toute  valeur  que  le  travail  y  a  ajoutée  doit  accroître  les  revenus  de 


'  Traclalus  de  coiitractihiis  cmpltoms  cl  vendilionis  dans  V Appendice  ailX  OPliVreS  de 
Gekson,  t.  IV,  p.  J 85-224.  Voy.  sur  cet  ouvrage  d'économie  un  article  de  Iloboff 
dans  les  Christi. ■socialen  Bl.,  1875,  n<"  42  et  52. 

*  Dans  son  discours  sur  l'usure  (Berlin,  1866),  Endemann  dit  :  '  La  doctrine 
du  droit  canon  a  élevé  le  travail  au  suprême  honneur  social.  Les  écrivains 
canonistes,  fidèles  au  principe  de  la  morale  chrétienne,  glorifient  le  travail 
comme  action  libre  et  devoir  moral,  et  le  regardent  comme  l'unique  facteur  de 
la  production.  Le  travail  seul  a  droit  au  bénéfice.  Le  capital  doit  rester  impro- 
ductif. •  Voy.  E>DEMA.\\,    Vortray  über  die  Bedetilemg  der  ll'uehcrlclirc,  p.  37. 


394  ÉCONOMIE    SOCIALE. 

celui  qui  a  contribué  à  ramélioration.  Cette  doctrine  sur  Tacquisition 
par  l'amélioration  du  sol  conduisait  à  reconnaître  que  les  biens 
affermés  au  colon  devenaient  peu  à  peu  sa  légitime  propriété,  tandis 
que  le  droit  du  propriétaire  foncier  allait  s'amoindrissant  toujours 
davantage,  jusqu'à  ce  qu  il  se  réduisît  à  une  simple  charge  imposée 
à  sa  terre,  et  consistant  en  taxes  et  prestations'. 

Le  droit  canon  honorait  particulièrement  les  cultivateurs.  Il  voyait 
dans  l'agriculture  la  mère,  la  condition  essentielle  et  fondamentale 
de  tout  ordre  social  et  de  toute  civilisation;  la  plus  importante 
source  de  profits  de  la  plus  grande  partie  des  hommes;  la  nourrice 
de  toutes  les  industries,  et  par  conséquent  la  base  de  la  prospérité 
publique-.  Aussi  réclame-t-il  pour  elle  une  protection  toute  spé- 
ciale, se  fondant  sur  ce  que,  plus  que  toute  autre  source  de  bénéfices, 
elle  enseigne  la  crainte  de  Dieu  et  la  justice,  et  ennoblit  le  caractère 
de  celui  qui  s'y  livre.  -  Le  cultivateur  doit  être  protégé  et  encouragé 
dans  tous  ses  travaux  >;,  dit  V Exhortation  chrétienne,  ;<  parce  que  son 
labeur  est  indispensable  à  tous  les  hommes,  aussi  bien  à  l'Empereur 
qu'au  moindre  de  ses  sujets,  et  que  le  travail  de  ses  mains  est  par- 
ticulièrement agréable  k  Dieu.  La  loi  divine  et  humaine  lui  doit 
aide  et  protection.  :'  Nous  lisons  dans  un  acte  de  pacification 
locale  (1438)  ^  :  «  Avant  tout,  le  laboureur  ou  vigneron  doit  être  en 
sûreté  de  sa  maison  et  des  instruments  de  travail  qu'on  porte  aux 
champs  et  qu'on  en  rapporte.  Il  doit  pouvoir  en  toute  sécurité  couper 
les  récoltes,  cueillir  les  raisins,  et  ramener  !e  tout  chez  lui  *.  Tout  aussi 
bien  que  les  églises,  abbayes  et  cimetières,  les  charrues  attelées,  les 
instruments  nécessaires  à  la  culture  des  vignes  et  des  champs  doi- 
vent être  l'objet  du  respect  de  tous.  Celui  qui  fait  quelque  tort  à  un 
laboureur  ou  à  un  vigneron  doit  être  puni  aussi  sévèrement  qu'un 
voleur  de  grande  route  •'.  - 

Immédiatement  après  l'agriculture  vient  l'industrie.  Elle  aussi  est 
agréable  à  Dieu,  surtout  lorsqu'elle  se  rapporte  à  des  objets  néces- 
saires et  utiles.  '  Quand  le  travail  de  l'artisan  est  exécuté  avec  dili- 
gence et  adresse,  Dieu  et  les  hommes  s'y  complaisent  ■,  dit  un  livre 
de  piété  du  temps.  -  Il  faut  aussi  grandement  louer  l'habileté  de 
ces  artistes  qui  élèvent  de  beaux  édifices  et  composent  des  tableaux 

'  Arnold,  Vergleiclmng  des  römischen  und  des  deulscfieii  Einentlnims  in  dessen  Cullur  und 
Recht  der  Römer,  p.  171-205. 

-  Voy.  EXDE]\IANN,  Nationalöhonomische  Grundsätze,  p.  175.  —  (JOLDSCHMIDT,  l'erhdl. 
des  sechs'en  deutschen  Jurisienlcincs,  t.  I,  p.  230.  I.cs  écrivains  Canonistcs  peniaient 
qu'un  développement  social  qui  amènerait  le  peuple  à  abandonner  en  masse 
les  simples  occupations  de  Tagriculture  pour  l'activité  industrielle,  ne  pourrait 
être  que  déplorable. 

3  Page  20. 

*  Nouvelle  collection  des  Sentences  et  arrêts  des  Etats,  t.  I,  p.  153-154. 

*  Landfrieden  zu  Eger,  1389.  Actes  des  Etats  allemands,  t.  II,  p.  160. 


I.E  l'IîKT  A  INTÉRÊT  D'APRÈS  LE  DROIT  GFRMANIOUE  CHRÉTIEN.     395 

si  vai-iés.  Leur  talent  glorifie  Dieu;  l'Ame  dc.i  hommes  devient 
plus  douce  lorsqu'ils  contemplent  de  belles  clioscs,  et  que,  pleins  de 
respect  et  de  Joie,  ils  considèrent  comment  tout  niélier,  tout  art,  est 
un  don  <pie  Dieu  a  lait  aux  hommes  pour  servir  à  leurs  besoins,  à 
leur  hien-(Mre,  à  leur  édificntion  '.  » 

Le  commerce  était  tenu  en  moindre  estime  :  «  un  marchand 
honorable  -,  dit  Trithème,  <=  que  l'amour  du  gain  ne  dirige  pas 
nnicpiement,  qui  se  guide  en  son  négoce  d'après  les  lois  divines  et 
humaines,  et  donne  volontiers  aux  nécessileux  en  prenant  sur  ses 
revenus  cl  ses  bénéfices,  mérite  le  même  respect  que  les  autres  tra- 
vailleurs. Mais  ce  n'est  pas  chose  facile  de  garder  toujours  une 
stricte  probité  lorsqu'on  est  engagé  dans  le  commerce;  il  est  très- 
aisé  de  devenir  l'esclave  de  la  cupidité  en  cherchant  à  grossir 
ses  profits.  Sans  le  commerce,  il  est  vrai,  la  société  ne  pour- 
rait sidîsister;  mais  lorsqu'il  devient  trop  puissant,  il  lui  est  plus  nui- 
sible qu'utile,  parce  qu'en  engendrant  la  soif  du  gain  il  énerve  et 
amollit  le  peuple,  et  développe  le  désir  de  jouir.  Aussi  les  Pères  de 
l'Église  et  le  droit  ecclésiastique  nous  mettent-ils  en  garde  contre 
ses  al) us  -.  ;) 

Les  docteurs  ecclésiastiques  ne  croyaient  pas  <  que  lorsque  les  mar- 
chands, semblables  à  des  araignées,  viennent  se  nicher  partout  afin 
d'attirer  les  chalands  et  sucer  tous  ceux  qui  s'approchent  d'eux  ",  la 
société  eût  quelque  avantage  à  tirer  de  leur  réussite.  Témoins  de  la 
prédominance  funeste  que  prenait  l'esprit  mercantile  à  leur  époque, 
ils  n'étaient  que  trop  autorisés  à  condamner  la  marche  envahissante 
du  commerce  et  à  répéter  avec  saint  Thomas  d'Aquin  qu'il  altère  la 
loyauté  et  la  bonne  foi,  ouvre  la  porte  à  la  fraude  et  met  un 
luxe  facile  à  la  portée  de  la  bourgeoisie.  -  Dès  lors,  disaient-ils,  cha- 
cun, sans  considérer  l'intérêt  général,  n'est  plus  occupé  que  du  sien 
propre  ^  » 

La  façon  dont  le  droit  canon  envisageait  le  commerce  domi- 
nait encore  les  esprits  au  quinzième  siècle  et  était  adoptée  par  les 
grands  comme  par  les  petits.  L'aversion  ressentie  pour  l'exploitation 
du  peuple  érigée  en  système  par  les  compagnies  commerciales,  la 
haine  pour  les  grands  monopoHstes  qui  avaient  amené  renchérisse- 
ment dans  le  pays,  donnaient  souvent  lieu  à  des  jugements  pleins  de 
partialité.  On  ne  voyait  dans  le  commerce  qu'une  industrie  coupable; 
tous  les  marchands  passaient  pour  trompeurs,  gens  sans  conscience, 

'  ll'yliegerdiii,  p.  13. 
*  De  Judœis,  G. 

'Trithème  attache  une  particulière  importance  à  l'opinion  de  saint  Thomas 
d'Aquin  :  »  Unde  oportet,  quod  perfecta  civitas  moderato  mercatoribus  utatur.  • 
■  Dignior  est  civitas,  si  aljundaiitiam  rerum  habeat  ex  territorio  proprio,  quam 
si  per  mercatores  abundct.  • 


396  ECONOMIE    SOCIALE. 

usuriers,  ennemis  de  la  société.  On  pensait  généralement  que  le 
commerce  ne  peut  augmenter  la  richesse  publique,  parce  qu'il  se  borne 
à  faire  passer  les  valeurs  dune  main  dans  une  autre,  et  que  le  béné- 
fice qui  revient  au  marchand  de  cette  transaction  est  pris  aux  dépens  de 
tous.  «  Les  marchands  ••,  dit  Érasme,  >-  sont  les  plus  fous  et  les  plus 
sordides  d'entre  les  hommes.  Ils  pratiquent  la  plus  méprisable  des 
industries,  et  cela  de  la  manière  du  monde  la  plus  basse.  Bien  qu'ils 
soient  menteurs,  parjures,  voleurs,  trompeurs,  et  ne  soient  occupés 
qu'à  duper  les  autres,  ils  veulent  être  partout  les  premiers,  et 
grâce  à  leur  argent,  ils  y  réussissent.  >'  «  Un  marchand  désireux 
de  faire  fortune  n'amasserait  guère  s'il  pensait  sur  l'escroquerie  et 
l'usure  ce  qu'en  pense  le  sage.  •  •  Les  marchands  -,  selon  l'huma- 
niste Henri  Bebcl,  ;.  acquièrent  leur  richesse  moins  par  d'honnêtes 
moyens  que  par  l'usure.  ■  ■  Leur  trafic  ",  dit  avec  douleur  Sébas- 
tien Franck,  "  est  devenu  un  véritable  brigandage,  une  usure  publi- 
quement pratiquée,  dont  l'enfant  encore  au  berceau  doit  déjà  porter 
la  peine.  Qui  a  jamais  entendu  parler  de  fortune  et  d'aubaines  comme 
on  en  voit  maintenant  de  par  le  monde?  Oui  sait,  comme  le  mar- 
chand, accaparer  tout  pour  lui,  comme  le  vent  de  Cffcias  attire  les 
nuages?  ■  Dans  l'opinion  d'Hans  Sachs,  -•  les  marchands  ne  cher- 
chent qu'à  éviter  un  travail  réel,  et  prétendent  s'enrichir  dans 
l'oisiveté  au  moyen  de  l'usure  et  des  accaparements  -. 

.  Tout  est  troublé  dans  le  pays;  les  biens  de  la  terre  passent  à  des 
tiers  avant  que  le  travailleur  en  puisse  rien  avoir.  Aussi  se  nourrit-il 
toujours  avec  plus  de  difficulté;  si  cet  état  de  choses  dure,  le  pauvre 
homme  ne  pourra  bientôt  plus  subsister  '  !  ■; 

Dans  sa  sollicitude  pour  la  classe  laborieuse,  le  droit  ecclésiastique 
voulait  que  l'action  économique  eût  pour  objectif,  non  l'intérêt 
personnel,  non  la  cupidité  insatiable,  avide  de  posséder  et  de  jouir, 
mais  l'amour  fraternel,  unissant  tous  les  hommes,  et  s'offrant  à 
tous  les  esprits  comme  la  vraie  solution  sociale.  Il  tendait  par  tous 
ses  efforts  à  faire  des  lois  éternelles  de  droit  et  de  justice  si  haute- 
ment proclamées  ^  par  l'Église,  la  base  de  l'économie  sociale. 

'  Voy.  SCHMOLLKR,  Xationalolonomische  Ansichun,  p.  626-627.  —  IF.vGEN,  Deutschlands 
Literarische  und  religiöse  Verhältnisse,  t.  III,  p.  .387. 

-  •  L'Église  espérait -,  dit  Endemann,  •  façonner  le  commerce  et  le  droit  com- 
mercial d'après  son  idéal  de  vérité  et  de  justice.  Il  ne  faut  pas  nous  faire  une 
idée  exafjérée  de  l'efficacité  pratique  de  sa  doctrine  et  de  sa  législation;  mais  les 
questions  vitales  auxquelles  elle  se  heurtait  étaient  de  telle  nature  qu'on  ne 
peut  qu'admirer  le  courage  qu'elle  a  montré  en  les  combattant.  »  (Studien  in  der 
romanisch  canonisiische;i,  Wirthschafts  Rechtslehre.  p.  22-23.)  l.e  même  auteur  dit 
en  terminant  son  ouvrage  sur  VEconomie  nationale  :  .  La  doctrine  du  droit  canon 
est  une  œuvre  grandiose,  dans  sa  méthode  comme  dans  ses  résultats.  Elle 
embrasse  toute  l'existence  matérielle  et  intellectuelle  de  la  société  humaine 
avec  une  telle  puissance,  d'une  façon  si  complète,  qu'elle  ne  semble  laisser 
place  à  aucun  autre  genre  de  théorie  en  dehors  du  dogme  social  qu'elle  pro- 


L'USIIRK    f»'AI'RK.S    l,i;    ilIidlT    CKUMAMOUK    CHR¥:TIEN.       :i97 

Aussi  l'Église  condamnait-elle  le  prêt  usuraire  et  le  regardait-elle 
comme  une  l'orme  part iculièn;  du  vol,  eslimant  que  le  travail  est  seul 
producliC  de  valeur  et  (pie  rarjjciil  est  de  lui-même  improduclif '. 
Par  Tinterdiclion  du  prêt  à  iutérét,  elle  voulait  assigner  au  capital, 
ou  tout  au  moins  an  capital  susceptible  d'être  prêté,  une  place  parti- 
culière sous  la  protection  du  droit. 

Mais  chacun,  bien  entendu,  était  autorisé  à  défendre  sa  propriété, 
le  produit  de  son  travail,  lorsqu'un  véritable  tort  lui  avait  été  fait 
par  un  emprunt.  [I  pouvait  alors  réclamer  une  indemnité  correspon- 
dante; il  avait  aussi  le  droit  d'exiger  une  compensation  pour  le  profit 
que,  dans  sa  vie  de  travail,  il  eiU  pu  retirer  de  son  argent  au  cas  où 
il  ne  l'eiU  pas  prêté;  quand  il  s'était  exposé  au  danger  de  ne  recou- 
vrer son  argent  qu'en  partie,  à  grand'peine,  à  grands  frais  ou  point  du 
tout-,  il  pouvait  réclamer  l'équivalent  de  la  somme  prêtée;  mais  dans 
toutes  ces  circonstances  le  principe  général  "  que  l'argent  ne  peut  pro- 
duire l'argent  »  n'était  pas  lésé,  et  il  ne  pouvait  être  question  d'usure. 

nuilp,ue.  C'était  bien  là  son  but,  et  en  présence  de  l'artion  colossale,  de  la 
domination  puissante  qu'elle  a  véritablement  exercée,  l'impression  de  grandeur 
que  nous  ressentons  ne  saurait  nous  empêcher  de  nous  féliciter  qu'elle  n'ait 
jamais  pu  réussir  à  régner  avec  l'absolutisme  qu'elle  rêvait.  »  {.Vationa/okdnomische 
Gntudsiiize  der  canonistischen  Lehre,  p.  192-193.)  La  question  de  savoir  si  c'est  réel- 
lement un  bonheur  que  les  doctrines  du  droit  ecclésiastique  et  celles  du  droit 
germanique  (qui  lui  était  si  étroitement  uni)  n'aient  pu  prévaloir  parmi  nous, 
est  suffisamment  résolue  par  la  triste  situation  économique  des  siècles  sui- 
vants, et  particulièrement  du  nôtre. 

'  L'antiquité  païenne  déclarait  déloyal  et  indigne  d'un  homme  libre  de  ré- 
clamer l'intérêt  du  capital;  et  Platon  surtout  avait  fait  ressortir  les  funestes  effets 
politiques,  moraux  et  sociaux  du  système  de  prêt  à  intérêt.  -  Par  lui  » ,  dit-il,  •  on 
multiplie  les  riches  fainéants  et  les  pauvres  mécontents,  et  l'on  bouleverse  la 
société.  La  conscience  du  peuple  romain  n'admit  jamais  le  prêt  à  intérêt. 
Intérêt  et  usure  restèrent  pour  lui  des  termes  synonymes.  La  répulsion  uni- 
verselle s'afürina  surtout  contre  le  prêt  usurier.  »  Voy.  Arnold.  Cultur  und  Recht, 
p.  264.  Chez  les  Germains,  l'intérêt  était  complètement  inconnu.  Voy.  Neu- 
M.vNx,  Gesch.  des  Wuchers,  p.  28-29.  La  langue  allemande  n'avait  pas  même  de 
terme  pour  exprimer  une  idée  qui  lui  était  originairement  étrangère.  Voy. 
Arnold,  p.  300.  Zins  n'est  que  le  census  latin,  et  signifie  dans  tout  le  moyen  âge 
un  impôt  tiré  sur  les  produits  naturels  du  sol;  le  mot  zins  semblait  donc  signi- 
fier que  le  sol  seulement  était  productif,  et  non  le  capital  d'argent.  Un  passage 
des  Citron.  Gaufredi  (Bibliothèque  manuscrite  de  Labbé,  t.  II,  p.  73-74)  montre 
combien  ici  Arnold  a  vu  juste.  »  Les  usuriers  »,  y  est-il  dit,  '^  étaient  autrefois 
tenus  pour  des  ennemis;  maintenant  ils  sont  devenus  si  nombreux  qu'ils 
appellent  le  cens  usure,  comme  si  l'usure  était  un  produit  du  sol.  {Censvs  quasi 
reddUus  agrorum.)  Voy.  aussi  WeiSKE,  Neue  Jahrbücher  für  Politik  und  Gesch.,  1849, 
1. 1,  p.  1 19-120.  "  Il  est  impossible  de  nier  » ,  dit  P.  Laband,  «  que  nous  devons  aux 
corporations  du  moyen  âge,  aux  difenses  du  droit  canon  interdisant  le  prêt  à 
intérêt,  à  tout  ce  que,  dans  le  domaine  économique,  nous  sommes  habitués  à 
considérer  comme  le  résultat  de  la  pitoyable  étroitesse  de  vues  du  moyen  Age, 
l'affranchissement  du  travail  libre  et  l'abandon  définitif  de  l'esclavage.  »  Deutsche 
Vierteljahrschrift,  1860,  cah.  2,  p.  258. 

■-  Les  axiomes  Lien  connus  sur  :  damnum  emergens,  lucrum  cessans,  pericu- 
lum  sortis.  Vov.  Tengler,  Layenspicgel,  dans  Neumann,  Gesch.  des  Wuchers,  p.  111- 
112. 


398  ECONOMIE    SOCIALE. 

Au  contraire,  tout  intérêt,  tout  bénéfice  que  le  prêteur  se  fait 
payer  par  Tempriniteur  uniquement  comme  prix  de  l'emprunt,  était 
considéré  comme  usuraire,  "  car  en  vertu  de  la  loi  nul  emprunteur 
ne  peut  être  contraint  de  donner  plus  qu'il  n'a  reçu  ".  La  doctrine 
du  droit  ecclésiastique  voulait  surtout  que  l'on  ne  réclamât  jamais  un 
intérêt  quelconque  de  riiomme  en  détresse,  qui  s'est  vu  forcer  d'em- 
prunter dans  une  pénurie  momentanée,  immédiate.  Une  telle  exi- 
gence était,  selon  lui,  l'infâme  exploitation  du  malheur  d'autrui 
et  l'appropriation  cupide  d'un  bien  qui  n'est  pas  à  nous.  L'état  du 
moyen  âge,  qui  incarne  en  lui,  pour  ainsi  dire,  la  théorie  chrélicnne 
de  l'ordre  social,  avait  donné  force  de  loi  à  cette  conception  reli- 
gieuse et  morale,  et  la  défense  ecclésiastique  du  prêt  à  intérêt  régnait 
pratiquement  dans  les  tribunaux  civils  aussi  bien  qu'ecclésiastiques'. 
On  lit  dans  le  Miroir  souabe  (Schwaben  Spiegel)  :  '•  Dieu,  le  Pape, 
l'Empereur,  l'autorité  ecclésiastique  et  le  droit  défendent  à  tout 
chrétien  de  réclamer  des  intérêts  de  quelqu'un.  Cette  défense  a  été 
faite  expressément  au  concile  présidé  à  Rome-  par  le  pape  Léon  et 
par  le  feu  roi  Charles  ^  ^ 

La  seule  forme  permise  du  prêt  à  intérêt,  c'était  ce  qu'on  appelait 
l'achat  de  rente,  c'est-à-dire  l'obligation  contractée  par  le  débiteur 
de  payer  une  rente  au  créancier  en  échange  de  la  possession  d'un 
fonds  de  terre.  En  règle  générale,  le  débiteur  seulement,  non  le 
créancier,  avait  le  droit  de  dénoncer  le  contrat;  mais  le  créancier 
ou  sou  héritier  pouvait,  en  remboursant  le  prix  d'achat,  racheter  en 
même  temps  l'intérêt  resté  à  sa  charge*. 

'  Voy.  Endemann,  Studien,  p.  24-37.  —  Neumann,  p.  37-46,  67-70. 

-  Voy.  Neumann,  p.  lOft-ui  et  77.  A  Nureml^erg,  ce  ne  fut  qu'en  lôGî  que  le 
prêt  à  inlérêt  fut  léf^alement  autorisé.  SroGiin,  Reclusquclk,  t.  H,  p.  305. 

5  Un  arrêté  de  la  diète  d'Aujjsbourg  (de  1600;  déclare  l'achat  de  rentes  auto- 
risé; au  contraire,  tous  les  contrats  •  usuraires  et  pernicieux  »  sont  sévère- 
ment défendus.  (Nouvelle  collection  des  Anäset  sentences  des  Étais,  t.  II,  p.  81.) 
Voy.  Neumann,  p.  539. 

*  "Nous  avons  yrand'peine  à  comprendre  de  nos  jours  ■>  ,  dit  Juste  Moser  (/'a- 
triotische  Phaniasien,  t.  U,  p.  Qd-iOi),  "  pourquoi  la  religion  a  été  si  longtemps  opposée 
à  tout  prêt  à  intérêt,  et  pourquoi  le  droit  canon  l'interdisait  si  sévèrement.  Mais 
si  l'on  réiléchit  à  l'intention  de  l'Église  en  faisant  cette  defense,  si  l'on  songe 
qu'elle  ne  voulait,  comme  la  .suite  l'a  prouvé,  que  favoriser  par  ià  l'achat  des 
renies, on  admirera  certainement  sa  haute  sagesse,car  l'intérêt  (ou  le  droit  qu'aie 
créancier  de  retirer  le  prêt,  droit  qui  lui  est  étroitement  associé)  est  complètement 
opposé  à  la  doctrine  de  la  propriété  comme  à  celui  de  la  liberté.  Une  guerre,  une 
disette  ou  toute  autre  calamité  peuvent  contraindre  mille  propriétaires  à 
s'endetter  du  moment  qu'il  est  au  pouvoir  du  créancier  de  saisir  le  moment  le 
pi  us  défavorable  pour  se  faire  rembourser;  le  créancier  redevient  alors  proprié  taire 
au  détriment  de  l'État  et  peut  faire  de  ses  concitoyens  des  esclaves,  etc.  En  un  mot, 
le  prêt  à  intérêt  est  un  grand  obstacle  à  la  prospérité  de  la  propriété  foncière.  • 
(Voy.  sur  l'achat  des  rentes  l'opinion  de  Gérard  Groote  et  d'autres  théologiens, 
dans  l'édition  de  Cologne  des  OEui-res  de  Gerson,  t.  IV,  p.  229.)  Langenstein, 
Tract,:  pars  2,   c.   i-ui.  Les   réflexions  du  célèbre  juriste  Pierre   de  Ravcnne 


L'USUHL    DAl'UKS    l.K    1)  Il  0 IT    GERMANlOUt    C  II  li  KTl  i;  N.      :iü!) 

Pour  empocher  le  pauvre,  en  cas  de  pressante  nécessité,  d'avoir 
recours  à  rusuricr,  l'Église  avait  partout  encouragé  les  monls-de- 
piété.  Ces  banques  de  prêts  avançaient  de  peliles  sommes  aux  indi- 
fjeuts,  contre  des  gages  ou  de  modiques  redevances  destinés  à  entre- 
tenir les  établissements  et  à  payer  les  employés.  L'argent  ou  les  gages 

sont  aussi  très-dignes  d'être  étudiées.  Il  dit  dans  un  de  ses  sermons  :  «  Quem 
habiluriis  erat  de  maiidalo  dorn.  Martini  episc.  Lamincnsis.  (.lurea  opusc.,  p.  14.) 
Prohibita  est  nsura ,  quia  aliis  ncf^otiis  licilis  et  mercimoniis  ornissis  divitis 
intenderint  usuri ,  si  essent  permissaf.  Ut  sit  aliquod  lucrum  pecuniaiiurn  sine 
usuraria  pravitate,  volo  tradcre  duo  optima  consiiia.  Et  primo  consulo,  quod 
emantur  aimui  reditus,  quod  est  licitum  de  jure,  qui  sint  constituti,  de  antiquo 
super  aliqua  domo  vel  possessione.  (Le  droit  canon  voulait  que  les  rentes 
fussent  prises  sur  un  fondus  précis.)  Vel  ex  laboribus  libéra'  person;«  vel  servi, 
quia  Loc  non  est  inutuum,  sed  vera  venditio.  Secundo  consulo,  quod  pecunia 
tradatur  alicui  niercatori  ad  lioneslum  lucrum  cum  hoc  quod  si  perunia  pcreat 
casu  forluito,  sit  commune  periculum  et  lucrum  dividatur  per  medium...  Baldus 
dicit,  '  quod  ista  non  est  usura,  sed  divisio  lucri  induslrialis.  «  C'est  la  societas, 
idée  inconnue  et  désapprouvée  de  nos  pères,  et  qui  ne  fut  introduite  parmi  nous 
que  lorsque  le  droit  romain  y  fut  adopté.  Les  canonistes  plus  modernes  l'accep- 
tèrent. Les  thèses  de  lick  sur  ces  sujets  ont  donné  lieu  chez  plusieurs  historiens 
modernes  à  de  fausses  interprétations.  Tandis  qu'on  reproche  perpétuellement 
à  l'F.i'jlise  d'avoir  ref;ardé  le  prêt  à  intérêt  comme  illcfjitime,  Schi\ioller  dii  avec 
assurance  dans  son  livre  sur  l'économie  nationale  ;  -  Lts  faits  attestent  que  l'Église 
catholique  a  soutenu  la  légitimité  du  prêt  à  intérêt.  .Jean  Eck  même  écrivit  sur 
ce  sujet,  et  soutint  une  dispuie  à  Bologne  pour  réhabiliter  Vusure.  «  Comme 
preuve  à  l'appui  d'une  si  étrange  affirmation,  Schmollerse  borne  à  citer  le  pas- 
sage suivant,  tiré  du  pamphlet  intitulé  Lettres  des  hommes  inconnus:  ^  De 
usura,  quam  admittit  Ihcologia,  sicut  Bononia;  est  disputatum  et  per  ma- 
giitros  nosiros  prohatum.  »  R.vnke,  dans  son  Histoire  d'Allemagne,  t.  I,  p.  436, 
(lit  aussi  que  Eck  a  défendu  la  cause  de  l'usure  à  Bologne.  (Voy.  aussi  Strvüss, 
Ulrich  von  Hütten,  t.  I,  p.  2.33.)  Or,  voici  la  vérité  sur  ce  point  ;  Eck  publia  à  Ingol- 
stadt, dans  l'automne  de  1514,  diverses  thèses  dont  on  pouvait  conclure  en  effet 
qu'un  contiat  par  lequel  les  marchands  s'engageraient  ù  donner  5  0,0  d'inlérét 
pouvait  être  considéré  comme  légal.  Ces  thèses  firent  scandale,  et  l'évêque 
d'Kichstadt  défendit  la  dispute  en  sa  qualité  de  chancelier  de  l'dniversité  ;  l'uni- 
versité de  Mayence.  consultée  h  ce  sujet,  déclara  qu'il  n'était  pus  prudent  de 
livrer  de  tels  sujets  à  la  discussion,  parce  que,  dans  l'opinion  publique,  ils 
pourraient  sembler  entachés  d'une  tendance  cupide.  Eck  ne  se  laissa  pas  intimider 
et  soutint  une  dispute  à  propos  de  ses  thèses  à  l'Université  de  Bologne  (1 J15).  Il 
était  appuyé  par  les  juristes  les  plus  en  renom  du  temps,  et  les  marchands  se 
réjouissaient  d'avoir  trouvé  pour  leur  système  un  terrain  légal  apparent; 
c'étaient  eux,  surtout  les  Fugger,  qui  avaient  excité  Eck  à  développer  cette  doc- 
trine et  l'avaient  pourvu  d'argent  et  de  lettres  de  recommandation  pour  son 
voyage  à  Bologne.  '•  J'aurais  souhaité  ■  ,  lui  écrivait  Willibald  Pirkheimer, 
•  que  lu  ne  te  sois  pas  mêlé  d'un  sujet  qui  ne  peut  que  souiller  ta  conscience  et 
l'apporter  de  la  honte,  parce  qu'il  touche  au  salut  des  unies;  j'ai  \u  dernière- 
ment, de  mes  propres  yeux,  des  lettres  de  nos  grands  marchands  dans  lesquelles 
ils  se  vantent  que  le  contrat  qu'ils  désirent  tant  voir  légalisé,  est  désormais 
permis.  Ils  s'appuient  sur  ce  que  cette  assertion  a  été  l'objet  d'une  dispute  publi- 
que. Ils  ne  parlent  pas  des  conclusions  de  cette  dispute,  ils  se  gardent  bien  de 
parler  des  restrictions  qui  y  ont  été  apportées.  »  Eck  cependant  n'avait  pas 
positivement  défendu  la  cause  du  prêt  à  intérêt,  il  l'avait  seulement  tenu 
comme  admissible  pour  les  riches  qui  font  des  prêts  aux  marchands  dans  des 
buts  commerciaux;  il  n'avait  fait  que  défendre  la  légitimité  de  ce  qu'on  appelait 
alors  le  «  contractus  trinus  » .  Mais  les  théologiens  les  plus  rigoureux  de  l'époque  se 
déclarèrent  contre  lui  :  à  Bologne,  Cochlaeus  fut  son  adversaire  décl2''é.  A  l'uni- 


400  ECONOMIE    SOCIALE. 

réclamés  à  remprimteur  étaient  proportionnés  aux  dépenses". 
Mais  en  Allemagne,  les  efforts  de  rÉjjlise  pour  multiplier  ces  sortes 
de  maisons  n'eurent  que  de  faibles  résultats.  -  Chez  nous  •; ,  dit 
y  Exhortation  chrétienne,  a  les  monts-de-piété  font  défaut  au  pauvre 
et  à  l'ouvrier,  et  pourtant  ils  leur  seraient  bien  utiles.  Les  autorités 
sont  trop  négligentes  sur  ce  point;  aussi  l'usure  prend-elle  un 
grand  accroissement  ä.  "  Kuppener,  dans  son  Traité  sur  l'usure,  laisse 
échapper  la  même  plainte  (1518).  «  Plût  à  Dieu  ••,  dit-il,  ■■  que  les 
dignes  princes,  les  États,  les  communes  qui  en  auraient  le  pouvoir 
établissent  et  soutinssent  parmi  nous  ces  monts-de-piété,  qui  seraient 
d'un  si  grand  secours  aux  pauvres  gens,  qui  leur  permettraient 
d'améliorer  leur  nourriture,  les  consoleraient,  et  surtout  détrui- 
raient parmi  nous  la  diabolique  usure,  devenue  malheureusement  si 
commune  parmi  les  chrétiens  comme  chez  les  Juifs,  parmi  les  Alle- 
mands comme  chez  les  Polonais,  et  livre  tous  les  jours  tant  d'âmes  au 
diable^!'-  ■'  Si  l'usure  prend  de  telles  proportions  parmi  nous  ",  dit  aussi 
{"Exhortation  chrétienne,  ••  c'est  que  les  commandements  de  l'Église 
sont  méprisés,  surtout  par  les  marchands  et  ceux  qui,  ayant  beau- 
coup d'argent,  veulent  dejoureu  jour  en  posséder  davantage.  Il 
semble  que  l'argent  soit  pour  eux  et  leurs  enfants  la  félicité  suprême 
de  l'Ame!  Mais  sache  bien  que  l'on  n'est  pas  seulement  usurier  avec 
de  l'argent  et  pour  de  l'arg^ent;  on  pèche  tout  aussi  gravement  en 
n'attribuant  pas  un  prix  équitable  à  n'importe  quel  objet  de  vente, 
ainsi  que  le  prescrit  le  droit  ecclésiastique  et  séculier.  •' 

Le  droit  ecclésiastique,  en  effet,  réclamait  le  contrôle  de  tous 
les  produits  et  la  juste  estimation  des  denrées,  l'Église  visait  à 
la  répartition  aussi  égale  que  possible  des  biens  de  la  terre,  et  selon 
sa  manière  d'envisager  le  commerce,  le  service  rendu  devait  toujours 
être  exactement  compensé  par  un  service  réciproque.  Elle  voulait 
donc  que  les  échanges  fussent  surveillés,  soit  par  les  autorités,  soit 
par  les  corporations  ouvrières,  et  qu'on  s'entendit  pour  fixer  équi- 
tablement  le  prix  des  marchandises  en  l'établissant  d'après  leur 
valeur  réelle  et  le  juste   calcul   des   peines   et  dépenses   qu'elles 


versité  de  Vienne,  où  Eck  voulut  aussi  défendre  sa  thèse  (1516),  la  faculté  de 
théologie  interdit  la  discussion.  A  Nuremberg,  le  pieux  et  savant  prévôt  Antoine 
Kress,  dans  un  écrit  sur  le  droit,  se  déclare  contre  Topinion  qui  permet  de 
prendre  5  0  0  d'intérêt.  Eck  ne  trouva  pas  de  partisans  parmi  les  théolo^iiens 
allemands;  de  sorte  que  sa  dispute  peut  bien  plutôt  servir  à  prouver  combien  le 
clergé  se  montrait  opposé  à  tout  prêt  à  intérêt.  Voy.  Otto,  Jean  Cochl.îus, 
p.  52,  60,  60-67.  Albekt,  dans  le  Zeit  se/,  riß  fur  Histor.  theoL,  1873,  p.  382,  390.  On 
voit  qu'il  est  impossible  d'affirmer  que  Eck  ait  défendu  Vusure. 

'  Sur  la  fondation  et  le  développement  des  monts-de-piété,  voy.  E\dema\\, 
Studien,  p.  460-471. 

-  Page  21. 

^  Nelmann,  Gesch.  da  ll'uchers,  p.  415. 


ESTIMATION    HKS    MA  KU  IIA  M)  I  ,S  E  S  .  401 

représentaient  '.  Les  exemples  donnés  sous  ce  rapport  par  les  cités 
ou  les  corporalions  -  à  l'époque  de  ror{;auisation  ré[^ulièrc  du 
travail  correspondaient  donc  de  tous  points  aux  principes  et  aux 
prescriptions  du  droit  canon.  La  surveillance  lé^jale  des  échanges 
était  destinée,  dans  la  pensée  de  l'Église,  à  servir  d'entrave  salu- 
taire aux  eliorts  tentés  parla  cupidité  individuelle  au  détriment  des 
chalands. 

«  On  se  tromperait  fort  »,  dit  Trithènic  \  ■■  en  s'im.sginant  que 
l'établissement  de  prix  fixes  oppose  au  commerce  des  barrières 
capables  de  nuire  à  son  extension.  Nous  sommes  témoins  au  con- 
traire (ju'il  se  développe  heureusement  partout  où  l'on  s'efforce  de 
maintenir  les  justes  prix,  partout  où  les  hommes  sont  garantis  par  les 
lois  contre  une  avide  exploitation.  Lorsqu'on  supprime  ces  lois  ou 
que  l'on  cesse  de  veillera  leur  exécution,  on  voit  aussitôt  la  confiance 
publique  diminuer,  et  les  produits  perdre  en  bonne  qualité.  Commer- 
çants et  ouvriers  font  à  l'envi  enchérir  les  denrées,  et  l'acheteur, 
qui,  de  son  côté,  presse  sur  les  prix,  n'oblieut  pour  son  argent  que 
de  mauvaise  marchandise  ''.  » 

Pour  être  taxés  équitablement,  les  produits,  selon  le  droit  canon, 
ne  doivent  pas  être  cotés  d'après  leur  valeur  nominale,  sui- 
vant le  taux  du  jour  ou  dans  l'idée  préconçue  d'en  retirer  le  plus  de 
bénéfice  possible  :  leur  prix  ne  doit  se  rapporter  qu'à  leur  valeur 
réelle  et  au  prix  de  revient.  Le  marchand  ne  doit  pas  étabHr  ses  prix 
d'après  la  position  qu'il  suppose  être  celle  de  l'acheteur;  l'acheteur, 
de  son  côté,  ne  doit  pas  être  infîucncé  par  ia  silnalion  du  vendeur; 
car  profiter  de  la  {',ène  du  prochain  pour  eu  tirer  un  avantage 
personnel  est  contraire  à  la  justice  et  défendu  sous  peine  de  grave 
péché. 

C'était  surtout  dans  le  commerce  des  denrées  nécessaires  à  la  vie 
que  le  juste  prix  devait  être  rigoureusement  maintenu.  Si  quelqu'un 
les  achetait  en  gros,  non  pour  son  usage  personnel,  mais  dans  le 
dessein  de  les  conserver  et  de  les  revendre  plus  tard  au  taux  le 
plus  élevé  possible,  son  action  était  considérée  comme  usuraire  ^ 
"  Celui  qui  accapare  le  blé,  la  viande  ou  le  vin  dans  le  but  d'amener 
ime  hausse  de  prix  et  de  réaliser  des  bénéfices  personnels  aux  dépoAs 

'  L'axiome  de  saint  Thomas  d'Aqulo  est  fréquemment  cité  à  ce  sujet  :  <■  Si 
prelium  excédât  quantiîatein  valoris  rei,  vel  e  converso  res  excédai  pretium, 
tollitur  Justitiar  »qualitas.  Et  ideo  carius  vendere  vel  vilius  eraere  rem  quam 
valeat,  est  secundum  se  injustum  et  illicitum.  ■>  Tour  plus  de  détails,  voy.  Endk- 

J!AN\,  Matioiialökunoinische  Grundsülze,  p.  87-100. 

*  Voy.  plus  haut. 
^DeJudwis,  p.  19. 

*  Naircnsciiijf,  parasv-  48.  —  (Jokuek.!;,  p.  87-88.  Voy.  notre  second  volume. 
■"  Voy.  LVbE.u.iNN,   Xaliünaliikoiioiiiische  GrundsäUe,  p.  104-10o. 

26 


402  ECONOMIE    SOCIALE. 

des  autres  > ,  ilil  Trithèrae,  "  doit,  d'après  les  principes  du  droit 
ecclésiastique,  être  mis  au  rang  des  malfaiteurs.  Dans  une  société 
bien  organisée,  il  faut  s'opposer  avec  décision  à  reuchérissenicnl 
arbitraire  des  choses  de  première  nécessité,  indispensables  pour  se 
vêtir  et  se  nourrir.  En  temps  de  disette,  il  est  permis  de  contraindre 
les  marchands  cjui  possèdent  de  telles  marchandises  à  les  vendre  à 
un  prix  équitable,  car,  ainsi  que  les  Pères  de  l'Église  l'ont  toujours 
enseigné  et  comme  la  nature  des  choses  suffirait  seule  à  le  faire  com- 
prendre, l'intérêt  de  la  majorité  doit  primer  celui  de  l'individu,  et 
Ton  ne  saurait  tolérer  qu'un  petit  nombre  d'hommes,  pour  le  désa- 
vantage et  la  ruine  de  la  masse,  s'enrichissent  d'une  manière  inique, 
pour  mener  ensuite  une  vie  de  luxe  et  de  plaisir  avec  un  argent 
injustement  acquis  '.  L'autorité  doit  prendre  un  soin  particulier  des 
pauvres  et  des  moins  favorisés  de  ce  monde.  Les  lois  sont  établies 
pour  sauvegarder  leurs  intérêts,  et  c'est  ce  que  réclame  d'elles  le  droit 
ecclésiastique.  Aussi,  dans  les  sociétés  bien  réglées,  les  marchan- 
dises sont-elles  taxées  à  de  justes  prix,  ainsi  que  les  salaires  dus 
au  travail-;  de  cette  manière,  personne  n'est  lésé,  et  chacun  peut 
se  vêtir  et  se  nourrir  conformément  à  sa  condition.  '> 


'  Langenstein  dit  qu'un  État  où  »  aliqui  putici  totum  liaberent  et  ceteri  nihil 
seu  non  secundum  statum  eorum  '  ne  se  trouve  pas  dans  une  situation  heu- 
reuse. •  Talis  eniin  ina^qualilas  facit  seditioncm  in  civitate  et  nonnunquam  fecit 
inferiores  insurgere  contra  superiores.  Putu  etiam,  quod  princeps  plus  halieret 
a  suhdilis,  c[i!ando  quilil)et  secundum  ejus  statum  couipetentcr  haberet;  essct 
cniui  civitas  tnnc  forlior  et  poi)ul()sior  proptcr  copiaui  communis  viclus.  »  Il 
laucc  l'auathöme  aux  gouvernements  qui  ■  permitluul  unumquemque  vendcre 
quam  care  vult  -.  Relativement  au  prix  des  marchandises,  il  est  bien  facile  au 
gouvernenient  »  invenirc  a'Stimatione  sufficJenler  propinqua  quanlitatem  justi 
valoris  vel  prêta  rerum  venalium  sive  naturales  sint  vive  artificiales  '  ou  seule- 
ment ceux  »  quipra'sunt  civitati  velreyioni,  viri  prudentes  suut  et  industriosi, 
quales  esse  del)ent...  lige  iniquitates  (usuraria-,  carius  quam  res  valet  veu- 
dendo  comm\iS>&')  pœnis  acerrimis  exterminandœ  sunl.  .  Tract.,  cap.  x-xi.  Les  passages 
les  plus  remarquables  sur  le  '^  justiun  pretium  »  se  trouvent  dans  Anionini  Summa 
(Argent.,  1490),  t.  II,  tit.  I,  cap.  xiv,  §  3.  L'auteur  condamne  le  «  Proverbium 
legale  :  Res  tantum  valet,  quantum  vendi  potest.  -  Gerson  dit  aussi  :  '^  Justa 
lege  potest  institui  pretium  rerum  venalium.  •  Oiip.,  IV,  295,  a. 

-  Brentano  dit  très-justement  dans  son  ouvrage  sur  les  corporations  ouvrières  : 
«  Il  est  devenu  de  mode  de  représenter  la  régularisation  des  salaires  comme 
un  instrument  politique  destiné  à  favoriser  l'oppression  du  travailleur.  Cette 
opinion  est  soutenue  avec  une  hypocrisie  toute  pharisaïque  par  des  hommes 
désireux  de  mettre  dans  une  lumière  favorable  la  politique  moderne,  lorsque, 
comme  cela  est  arrivé  souvent  dans  le  siècle  précédent  et  dans  la  première 
moitié  du  nôtre,  les  ouvriers  réclament  cette  régularisation.  Mais  une  pareille 
assertion  déligure  absolument  le  véritable  état  delà  question.  La  régularisation 
des  salaires  n'était  autrefois  qu'une  forme  de  la  théorie  générale  du  moyen  à';e, 
regardant  comme  le  premier  devoir  de  l'État  le  soutien  des  faibles  contre  la 
toute-puissance  des  forts,  et  proclamant  non-seulement  le  droit  de  l'individu, 
mais  aussi  son  devoir  vis-à-vis  de  la  couimuuauté,  condauinant  comme  usu- 
raire  toute  Leiitaiive  ayant  pour  but  de  tirer  de  la  détresse  mouieutauéu  du 
prochaiu  le  prétexte  d'un  injuste  prolit  personnel...   •   Le  but  de  la  loi,  qui 


L'KCONOMIR    n'APRKS    LE    DP.OFT    HO  M  A  IN.  403 

Pour  CCS  niofils,  le  droil  canon  voyait  dans  tout  accaparenienl  de 
marchandises  amenant  des  liausscs  arbitraires,  dans  tout  agissement 
monopoliste'  se  rapportant  non-seulement  aux  matières  premières, 
mais  à  tout  ce  dont  les  hommes  peuvent  avoir  besoin,  des  actes 
réprcheusibles,  défendus,  nuls  et  dij^nes  de  châtiment. 

Aussi  lonjylenips  que  ces  prescriptions  et  celles  du  droit  allemand 
(qui  en  était  issu)  furent  respectées,  l'économie  se  développa  dans 
d'heureuses  conditions.  C'est  l'abandon  des  principes  de  l'Église  (fui 
amena  la  ruine  de  la  classe  ouvrière  et  créa  j)eu  à  peu  le  prolétariat 
moderne. 


VIII 


La  guerre  entreprise  contre  la  doctrine  d'économie  germanique 
chrétienne  fut  conduite  avec  ardeur  par  (ous  ceux  qu'elle  gênait  dans 
leur  désir  démesuré  de  posséder  et  de  jouir,  et  dans  leur  métier 
d'exploiteurs  populaires. 

L'engin  le  plus  redoutable  de  cette  guerre  fut  fourni  par  le  droit 
romain  uouvellenicut  introduit,  dont  les  principes  étaient  en  oppo- 
sition tranchée  avec  les  idées  adoptées  jusque-là  ®. 

D'après  la  conception  romaine,  tout  individu  a  la  liberté  et  le  droit 
de  chercher  exclusivement  son  propre  intérêt  ;  il  n'est  nullement  obligé 
d'avoir  égard  au  bien  général  et  à  l'intérêt  des  autres,  et  n'a  pas  à  se 
préoccuper  de  la  ruine  à  laquelle  il  peut  les  exposer.  Pour  lui,  la 
base,  les  titres  de  la  propriété  ne  sont  plus,  comme  l'enseigne  le  droit 
germanique  chrétien,  un  pouvoir  moral  exercé  sur  les  biens  de  la 
terre  dans  le  dessein  de  servir  des  intérêts  élevés  :  la  propriété  n'est 
qu'une  domination  physique  dont. l'étendue  est  uniquement  déter- 
minée par  la  volonté  du  propriétaire  '. 

était  de  prologer  les  âiililes,  se  monlrc  clairement  dans  les  chAtiments  imposés 
aux  riches  lorsqu'ils  avaient  paye  aux  ouvriers  de  plus  hauts  salaires  que  les 
autres,  élevé  ainsi  le  niveau  des  salaires,  et  rendu  difficile  aux  moins  riches 
d'engager  des  ouvriers.  Si  la  politique  du  moyen  âge,  considérée  au  point  de 
vue  économique  moderne,  peut  être  condamnée  comme  insensée  (?;,  le  mépris 
pharisaiquc  qu'on  lui  témoigne  de  nos  jours  n'en  est  pas  moins  pitoyable,  car, 
à  tous  égards,  elle  était  plus  morale  que  celle  qui  nous  guide  aujourd'hui, 
lorsque,  livrant  sans  défense  nos  travailleurs  à  ceux  qui  les  exploitent,  nous 
les  mettons  dans  l'alternative  de  se  soumettre  aux  conditions  qui  leur  sont 
faites,  ou  d'entrer  dans  la  worllrmsc,  ou  de  tomber  dans  la  dernière  misère. 

'  Omne,  quodmonopoliumsapit.  Voy.  ENDF.M.vn.V,  Nalionalokonoviiscke  Grumhäizc, 
p.  107. 

-  "  Le  droit  romain  a  pour  base  la  légalisation  de  l'égoïsme  le  plus  absolu  , 
dit  Em>e:\i.v>n,  Xalioiwlnhonomiscke  Grundsätze,  p.  196. 

•*  Voy.  Arnold,    CuUur  und  Recht  der  Römer,  p.   171-205.  —  Brüder,  Zur  öcono- 

26. 


■JOi  ECONOMIE    SOCIALE. 

Cette  doctrine  immorale  troubla  profondément  le  sentiment  de 
solidarité  mutuelle  qui  avait  dominé  jusqu'alors  dans  la  nation. 
Elle  eut  pour  résultat  le  développem.ent  démesuré  de  l'amour  des 
richesses. 

Le  droit  romain  n'admet  pas  que  le  labeur  de  l'homme  soit  la 
source  de  l'acquisition  de  la  propriété.  La  valeur  du  travail  libre, 
la  subordination  de  l'individu  à  la  loi  du  travail,  tout  cet  ordre  de 
choses  lui  est  absolument  inconnu.  Aussi  ne  s'occupe-t-il  pas  plus 
d'organiser  le  travail  d'une  manière  quelconque  que  d'en  partager 
cquitablement  les  produits.  Le  labeur  rude  et  pénible  est  le  lot  des 
esclaves  opprimés;  au  contraire,  les  classes  qui  ont  en  main  la  puis- 
sance possèdent  et  jouissent.  On  vit  bientôt,  grâce  à  cette  doctrine, 
le  droit  illimité  de  propriété,  la  liberté  sans  restriction  du  commerce 
et  le  pouvoir  toujours  croissant  de  l'argent,  conduire  à  l'asservisse- 
ment de  ceux  qui  ne  possèdent  pas  au  profit  de  ceux  qui  possèdent. 

Plus,  dans  le  cours  du  seizième  siècle,  cette  doctrine  s'enracina  dans 
le  sol  allemand  ;  plus  ces  principes,  légués  par  un  Etat  païen  fondé  sur 
l'esclavage,  prirent  pied  dans  notre  pays,  plus  aussi  les  abus  de  la 
propriété  devinrent  fréquents,  plus  les  classes  laborieuses  se  virent 
opprimées,  plus,  en  un  mot,  l'économie  rétrograda.  Non -seule- 
ment l'industrie  en  souffrit ,  mais  la  vie  agricole  en  fut  grandement 
troublée'. 

fiiischen  Charnklcrislik  des  römischen  Rechtes,  t.  XXXIII,  p.  694,  et  t.  XXXV,  p.  313.  — 
Schmidt,  Principiellc  Unierschicd,  p.  217-247.  En  vertu  de  son  pouvoir  exclusif  et  [ 
illimité,  le  propriétaire  peut  faire  l'usage  qu'il  lui  plait  de  sa  propriété;  il  peut  i 
la  laisser  improductive,  la  détruire;   même  vis-à-vis  des  nécessiteux,  il  n'a  j 
aucune  obligation  légale. 

'  Pour  faire  encore  plus  de  lumière  sur  cotte  question,  nous  ajouterons  ici  ! 
quelques  appréciations  des  juristes  modernes  :  «  Le  droit  romain  n'admet  nulle 
part  le  dévouement  de  l'individu  l\  un  !)ut  économique  quelconque;  les  biens 
matériels,  avant  tout  l'argent  (qui   contient  en  lui  seul  tous  les  biens),  ne  sont  \ 
que  des  objets  de  possession  et  de  jouissance.  Une  soif  ardente  pour  l'argent  i 
et  les  biens  de  la  terre  se  révèle  dans  tous  les  axiomes  du  droit  romain;  il  n'y 
est  question  que  de  la  façon  d'arriver  à  posséder  et  à  jouir.  Il  ne  manque  qu'une 
chose  à  l'estime  exagérée  qu'on  fait  des  biens  matériels  :  c'est  de  reconnaître 
la  fin  pour  laquelle  ils  nous   ont  été  donnés.  Le  droit  romain  n'a  aucune  vue 
morale  et  équitable  sur  l'économie.  ■   Endemann,  p.  196.  Tel  peuple,  tel  droit  : 
«  L'esprit  du  peuple  et  l'esprit  du  temps  sont  aussi  l'esprit  du  droit.  »  Ihring, 
Geist  des  remischen  Hechtes,  t.  I,  p.  45.   ^  Sous  le  rapport  moral,  le  droit  romain 
n'est  que  l'expression  exacte  de  la  civilisation  romaine  :  il  n'est  ni  meilleur  ni 
pire  que  celle-ci.  •  .\rnold,  Cidtur  und  Recht  der  Römer,  p.  464.     Le  peuple  romain, 
depuis  les  guerres  puniques,  était  devenu  une  nation  mercantile  ;  sa  vie  se  passait  ] 
dans  les  spéculations,  les  affaires  d'argent  et  de  banque.  Tout  se  rapportait  à  la  ! 
question  d'acquéiir  et  de  gagner.  L'intérêt  propre  étouffait  le  sentiment  de  la 
solidarité;  la  liberté  individuelle  dénouait  les  liens  de  la  famille  (p.  258).  La 
nation  était  exclusirement  marchande,  cl  voilà  pourquoi  sa   législation  devait  naturellement  ■ 
servir  les  intérêts  du  commerce.  »  «  Le  Commerce   enlaça  dans  son  réseau  tout  le  • 
droit  prive  et  lui  imposa  une  empreinte  mercantile  (p.  287).  Le  développement 
du  commerce  u'a  servi  qu'à  agrandir  la  mésintelligence  entre  le  riche  et   le 
pauvre.  »  l'âge  i.6i  :  >  La  richesse  avait  beau  s'élever  démesurément,  elle  ue  laisUit 


FUNESTK    INFLUENCr.    \)V    DKOIT    I50MAFN.  405 

Les  funestes  conséquences  du  droit  nouvellement  introduit  s'étcn- 
dir(Mir  hion  .'lu  dcl;'i  des  (jueslions  (réc()norni(i.  Les  principes  f'ondn- 
meiilaux  qui  ;iv;iicnl  présidé  jus([ue-ià  au  maniement  des  alTaires 
religieuses  et  politiques  s'ébranlèrent,  et  subirent  son  action  îrou- 
hlante  et  desiruclive.  Prêtant  une  continuelle  assislance  au  pouvoir 
arbitraire,  (ravaillant  à  l'asservissement  du  peuple  en  l'avorisant 
l'absolutisme  des  princes,  le  droit  romain  mina  dans  l'empire  les 
assises  du  droit  allemand  et  de  la  constitution  allemande. 

qu'accélérer  la  ruine  {generale.  Quelques  individus  nageaient  dans  l'abondance, 
les  autres  étaient  condamnés  à  mourir  de  faim.  ■  Page  36  :  •  L'histoire  romaine 
commence  par  une  question  d'argent  et  finit  comme  elle  a  commencé  :  De 
l'argent!  et  rien  que  de  l'argent!  C'est  le  commencement  et  la  fin  de  la  civili- 
sation romaine.  »  P.  38  :  •  Le  capital  faisait  au  travail  une  guerre  semblable  à 
celle  dont  nous  sommes  aujourd'hui  témoins.  •  Page  34  :  -  Le  petit  paysan  était 
débordé,  les  anciens  fiefs  avaient  disparu,  les  propriétaires  d'autrefois  étaient 
devenus  les  fermiers  endettés  ou  les  journaliers  des  capitalistes.  "  P.  34  :  «  Plus, 
dans  les  villes  allemandes,  le  commerce  et  le  capital  créèrent  une  situation 
analogue,  plus,  tout  naturellement,  le  besoin  de  l'admission  Ju  droit  romain  se 
fit  sentir.  »  Voy.  Bkli>ei\,  t.  XXXIII,  p.  702-724.  Le  droit  romain  eut  d  autant  plus 
d'adhérents  qu'il  était  plus  obscur,  plus  contourné,  moins  connu  des  Allemands, 
de  sorte  qu'à  l'aide  d'un  avocat  vénal  et  retors,  on  avait  toute  liberté  de  faire 
parler  à  la  justice  un  langage  déloyal  en  invoquant  le  droit  romain.  Dans  les 

villes,  dil  H.ir.EN  [Deutschlands  literarische  und  rcligii'se  l'crhidlnissc,  t.  I,  p.  17),  le  Com- 
merce avait  créé  le  besoin  croissant  de  satisfaire  toutes  les  jouissances;  il  avait 
fait  naître  une  tout  autre  manière  d'envisager  la  vie  que  celle  qu'avait  préco- 
nisée jusque-là  l'austère  morale  du  moyen  âge. 


.^'^ 


LIVRE   IV 

I/EMPIRE  ROMAIN  GERMANIOUE  ET  SA  SITUATION  EXTÉRIEURE. 


CHAPITRE  PREiMlP:n 

CONSTITUTION    ET    DROIT. 


II  faut  cherclier  l'oriçine  de  notre  coustiliiiion  dans  riilstoire  même 
de  la  ioudation  de  l'Empire. 

Dès  la  première  apparition  des  Allemands  dans  Thisloire,  nous 
voyons  en  eux  une  race  (|ui  se  distingue  nettement  des  autres  par  sa 
constitution  physique,  sa  langue  et  ses  mœurs,  mais  qui  ne  forme 
pas  un  corps  de  nation  compacte.  Ses  tribus  indépendantes,  qu'aucun 
lien  politique  ne  rattache,  sont  entre  elles  dans  les  rapports  les  plus 
divers.  Quelques-unes  sont  alliées,  d'autres  vivent  en  hostilité,  d'autres 
enfin  demeurent  dans  un  isolement  complet. 

Beaucoup  de  ces  tribus  se  mêlèrent  avec  le  temps  avec  d'autres 
populations,  en  grande  partie  romanes,  et  virent  ainsi  périr  leur 
caractère  national.  Tels  furent  les  Vandales  d'Afrique,  les  Visigoths 
d'Espagne,  les  Ostrogoths  d'Italie.  D'autres  restèrent  pures  de  tout 
alliage,  mais  ne  sorlirent  pas  de  leur  isolement  et  conservèrent  une 
indépendance  complète;  tels  sont  encore  aujourd'hui  les  Danois 
et  les  Suédois,  et  tels  furent  les  Anglo-Saxons,  jusqu'au  moment 
où  s'unissant  aux  Normands  romauisés,  ils  devinrent  les  Anglais 
modernes. 

Sur  le  bas  Rhin  les  anciens  Francs  formèrent  comme  un  noyau 
central,  et  se  réunirent  en  un  tout.  Ils  soumirent  peu  à  peu  à  leur 
domination  des  peuplades  d'origines  très-différentes,  allemandes, 
romanes  et  slaves.  De  tant  d'éléments  divers  sortit  un  peuple  qui 
s'établit  entre  le  Rhin  et  le  Weser.  Les  Saxons  lui  opposèrent  une 


408     EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

résistance  plus  longue  que  les  Souabes  et  les  Bavarois,  et  ne  se  sou- 
mirent qu'après  de  longues  années  de  guerre.  Sous  Charlemagne, 
le  royaume  des  Francs  était  devenu  le  centre  politique  et  intellec- 
tuel de  l'Occident.  C'est  dans  le  juste  sentiment  de  leur  puissance  que 
les  Francs  mençaient  ainsi  leur  code  de  lois  : 

«  La  nation  des  Francs ,  illustre,  ayant  Dieu  pour  fondateur,  forte 
sous  les  armes,  ferme  dans  les  traites  de  paix,  profonde  en  conseil, 
noble  et  saine  de  corps,  d'une  beauté  singulière,  est  hardie,  agile  et 
rude  au  combat.  Elle  désire  la  justice,  elle  garde  la  foi.  " 

Après  la  dissolution  de  la  grande  monarchie  franquc,  les  éléments 
purement  germaniques  qui  en  avaient  fait  partie  s'organisèrent 
séparément.  Une  nouvelle  maison  royale  fut  fondée  par  Tavénement 
de  Henri  I".  L'empire,  établi  sur  la  libre  association  de  tribus  ayant 
les  mêmes  droits,  Francs,  Saxons,  Bavarois  et  Lorrains,  eut  pour 
lien  solide  et  puissant  la  constitution  ecclésiastique  allemande.  La 
législation  resta  franque,  et  tout  ce  qui  avait  trait  à  l'unité  de  l'empire 
se  rattacha  aux  Francs.  Le  Roi  devait  être  élu  et  couronné  en  terre 
franque,  et  s'il  n'était  franc  lui-même,  devait  du  moins,  après  son 
élection,  adopter  le  droit  Franc  et  par  conséquent  la  nationalité 
franque.  Le  premier  prince  ecclésiastique  de  la  Franconie  était 
l'archevêque  de  Mayeucc;  le  premier  prince  temporel,  l'électeur 
palatin  du  Rhin.  Tous  deux,  placés  à  la  tête  des  princes  allemands, 
étaient  chargés  de  les  convoquer  lorsqu'il  s'agissait  d'élire  un  roi. 

Le  pouvoir  électif  appartenait  à  toutes  les  tribus  et  constituait  un 
droit  national.  Dans  les  jours  de  décision  suprême,  comme  par 
exemple  en  1024  pour  l'élection  de  Conrad  II,  ou  en  1125  pour  celle 
de  Lothaîi-e  III,  les  tribus  en  armes,  c'est-à-dire  l'ensemble  de  leuvs 
hommes  Iflîres,  parurent  au  cœur  du  pays,  entre  Oppenheim  et 
Mayence,  et  donnèrent  leurs  suffrages  pour  l'élection  préalable  par 
l'organe  de  leurs  évêques,  de  leurs  ducs  et  de  leurs  comtes.  Le  résultat 
de  l'élection  l'ut  ensuite  communiqué  à  l'assemblée  et  confirmé  par 
l'acclamation,  le  cliquetis  des  armes  et  les  mains  levées.  Aussi  long- 
temps qu'une  maison  royale  possédait  de  légitimes  héritiers,  les 
tribus  choisissaient  leur  roi  dans  son  sein ,  ayant  soin,  autant  que 
possible,  que  la  dynastie  fût  continuée  de  père  en  tils.  L'Allemagne 
était  donc  un  royaume  électif  héréditaire,  et  connut  ses  plus  belles 
époques  de  gloire  aussi  longtemps  que  dura  cette  organisation. 

Sa  constitution  n'avait  point  de  plus  belle  expression  que  le  ser- 
ment du  couronnement  prêté  par  tous  les  empereurs  jusqu'à  Fran- 
çois II.  Avant  de  poser  la  couronne  sur  la  tête  du  Roi,  l'archevêque 
de  Mayence  lui  adressait  les  six  questions  suivantes  : 

"  Votre  Majesté  veut-elle  maintenir  la  sainte  foi  catholique  et 
apostolique,  et  la  fortifier  par  des  œuvres  justes? 


CONSTITI'TION    ET    DliOIT.  ^09 

.  Vofre  i\Jajesf('  veut-elle  proléryer  rK{;li<e  e(  ses  serviteurs'.'' 
Voire  Majesté  vent-elle  [juiiverner  l'empire  que  Dieu  lui  ronfle 
selon  la  justice  de  nos  ancêtres,  et  promet-elle  de  le  défendre  éner- 
p,iqiicment? 

.  Votre  Majesté  veut-elle  maiulenir  les  droits  de  l'Empire,  recon- 
quérir les  Ktats  qui  en  ont  été  séparés  injustement  et  les  rép.ir 
ensuite  de  manière  à  servir  les  intérêts  de  rEmpirc? 

«  Votre  Majesté  veut-elle  se  montrer  jufje  équitable  et  loyal  défen- 
seur des  pauvres  aussi  bien  que  des  riches,  des  veuves  et  des 
orphelins? 

■■■  Votre  Majesté  veut- elle  prêter  au  Pape  e1  à  la  sainte  Eglise 
romaine  l'obéissance,  la  fidélité  et  le  respect  qui  lui  sont  dus?  " 

Lors({ue  le  Koi  avait  répondu  à  chacune  de  ses  questions  par  un  : 
«  Je  le  veux  «  distinctement  prononcé,  il  montait  jusqu'à  l'avant- 
dernière  marche  de  l'autel,  posait  les  deux  premiers  doigts  de  la 
main   droite  sur  TEvaugile    et    prononçait   le   serment  suivant   : 

Avec  l'aide  de  Dieu,  je  jure  de  me  coniormer  fidèlement  à  tout 
ce  qui  vient  de  m'étre  dit,  aussi  vrai  que  Dieu  m'aide  et  son  saint 
Évangile.  » 

Après  la  prestation  du  serment,  l'archevêque  officiant  se  tournait 
vers  les  corps  de  l'État  réunis  ainsi  que  vers  le  reste  4e  l'assemblée 
(qui  dans  l'esprit  du  cérémonial  représentait  le  peuple  tout  entier), 
et,  les  interrogeant,  disait  :  «  Voulez-vous  promettre  obéissance  à  ce 
prince  et  seigneur?  Vous  engagez-vous  à  fortifier  son  empire?  Con- 
sentez-vous à  lui  prêter  foi  et  hommage?  Vous  engagez-vous  à  vous 
soumettre;!  tous  ses  commandements,  selon  cette  parole  de  l'Apôtre: 
Que  chacun  soit  soumis  à  l'autorité  qui  a  puissance  sur  lui,  et  au 
roi  qui  est  le  chef  suprême?  Toute  l'assemblée  répondait  alors  : 
"  Ou'il  en  soit  ainsi!  Amen!  •'  Cette  cérémonie  auguste  consacrait, 
par  l'intermédiaire  du  représentant  de  l'Église,  les  devoirs  réci- 
proques du  souverain  et  du  peuple;  un  contrat  était  passé  entre  la 
nation  et  le  souverain.  Ensuite  avaient  lieu  le  couronnement  et  le 
sacre.  L'Église  sanctifiait  l'ordre  temporel  dans  la  personne  du  Roi; 
elle  le  pénétrait  de  l'esprit  du  christianisme.  Pendant  la  cérémonie 
solennelle,  l'archevêque  adressait  à  Dieu  cette  prière  :  «  Seigneur, 
toi  qui  règnes  depuis  le  commencement  au-dessus  de  tous  les 
empires,  bénis  notre  roi  que  voici,  et  confère-lui  la  sagesse  qui 
lui  est  nécessaire  pour  régir  son  peuple  avec  douceur  et  dans  la 
paix;  qu'il  te  soit  soumis,  maintenant  et  toujours;  donne-lui  le 
triomphe  et  la  gloire  dans  les  guerres  inévitables  qu'il  aura  à  sou- 
tenir. Fais  qu'il  excelle  à  rendre  la  justice;  accorde-lui  que  son 
peuple  soit  fidèle;  rends-le  affable  et  agréable  à  tous;  éloigne  de 
lui  les  mauvais  désirs;  fais  qu'il  soit  équitable  et  serve  la  vérité,  afin 


410     EMPIRE    ROMAIN    CERMAMOTE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

que  pendant  son  rèfijne  le  peuple  croisse  eu  force,  et  trouve  sou 
bonheur  dans  la  paix.  - 

Toute  autorité  publique  était  considérée  comme  un  pouvoir  d'em- 
prunt conféré  par  Dieu  sous  la  forme  d'une  charge.  Lelîoi  la  recevait 
de  Dieu;  il  la  transmettait  aux  vassaux  de  l'empire;  de  ceux-ci  elle 
passait  à  leurs  hommes  et  à  leurs  vassaux,  et  descendait  ainsi  jusqu'aux 
plus  humbles  de  ceux  qui  avaient  une  part  quelconque  de  la  force 
publique.  Tout  seigneur  devait  service  à  un  autre  seigneur  plus  grand 
que  lui;  tout  subordonné,  à  son  tour,  pouvait  être  seigneur  d'un  sei- 
gneur moindre  que  lui.  L'ensemble  de  la  vie  sociale  reposait  sur  ces 
deux  principes  dominants  :  commander  et  servir'.  L'organisation 
intérieure  de  la  société,  le  pouvoir  souverain  ou  secondaire 
avaient  pour  base  un  droit  inféodé,  entraînant  avec  lui  un  service 
correspondant.  Un  lien  de  fidélité  reliait  ensemble  toutes  les  par- 
ties de  la  nation. 

Il  était  dans  l'essence  du  droit  germanique  d'accorder  le  plus 
d'indépendance  possible  aux  diverses  classes  sociales.  Elles  étaient 
libres  de  diriger  et  d'administrer  librement  leurs  intérêts  privés. 
Une  hiérarchie  organique  s'élevait  de  bas  en  haut.  Le  père  de 
famille  gouvernait  sa  maison  en  toute  liberté;  la  réunion  des  familles 
formait  les  communes;  les  communes  s'organisaient  en  districts,  en 
cantons,  en  pays,  et  dans  cette  échelle  d'associations,  remontant 
jusqu'à  la  royauté  elle-même,  chaque  degré  ne  fournissait  au  degré 
suivant  que  la  part  de  service  réclamé  par  l'intérêt  généraP.  La 
royauté  était  la  clef  de  voûte  de  l'édifice  social. 

Le  Roi  était  moins  le  maitre  que  le  premier  tuteur  du  royaume.  Il 
n'était  pas  propriétaire,  mais  administrateur  en  chef  de  ses  domaines 
comme  de  la  toute-puissance;  généralissime,  gardien  et  protecteur 
souverain  de  la  justice  et  de  la  paix.  C'est  de  lui  qu'émanait  (oulc 
justice.  Avec  le  concours  des  corps  ecclésiastiques  et  laïques,  il 
veillait,  pendant  les  diètes  et  cours  royales  de  justice,  à  ce  que  les 
lois  et  institutions  du  pays  fussent  maintenues.  Les  diverses  classes 
sociales  étaient  auprès  de  lui  les  interprètes  naturels  des  traditions 
et  des  droits  nationaux,  et  son  devoir  principal  était  de  garantir 
aux  diverses  races  allemandes  et  à  chaque  classe  sociale  ses  droits 
et  privilèges  particuliers.  Les  lois  recevaient  de  sa  sanction  une 
force  plus  élevée;  tous  les  droits  souverains,  droits  de  taxes,  do 
monnaies,  de  marché,  lui  appartenaient.  Cependant  il  n'était 
pas  au-dessus  du  droit.  S'il  violait  le  serment  prêté  à  son  cou- 
ronnement, il  avait  à  comparaître  devant  un  tribunal  de  prince, 

'  GlERKE,  t.    î,  p.    153. 

-  Voy.  FiCivER,  Üus  deutsche  Kaisericcht  in  seinen  universalen  und  nationalen  Be:iehun- 
gen,  p.  5Î. 


pui:v()ii;s  .sPiürriiM,  KT  Tr.Mi'OREi,.  iii 

et,  dcdarr  coupable,  poiivail   èlrc  condamné,  et  même  déposé  '. 

I/andqne  royanfé  allemande  avait  ses  profondj'S  racines  dans  le 
cd'Mi"  même  de  la  nalion.  Pendanl  de  lonj^s  siècles  le  peuple  se  repré- 
senla  son  roi  Ici  qu'il  se  montre  à  nous  dans  le  pins  ancien  poëmc 
héroïque  de  la  Germanie  chrétienne,  Héliand.  Le  Hoi  résumait  en  lui 
la  jyraudeiir  et  la  gloire  de  sa  nalion  et  de  sa  race. 

Le  peuple  se  l'imaginait  hardi,  vaillant,  généreux,  puissant  et 
doux.  Dans  sa  personne  .s'unissait,  pour  ainsi  dire,  toute  la  fidélité 
de  l'homme  privé  envers  ceux  de  sa  nation,  et  toutes  les  joies,  les 
peines,  les  luttes  et  les  triomphes  du  peuple.  11  rayonnait  au  dehors; 
il  était  le  symbole  magnifique  dfi  la  puissance  nationale. 


II 


f  Depuis  Othon  I"  jusqu'à  la  chute  de  l'Empire,  la  royauté  germa- 
nique demeura  dans  une  alliance  étroite  et  non  interrompue  avec 
l'empire  romain  -.  La  pleine  intelligence  de  ce  fait  ne  peut  s'acquérir 
que  par  une  juste  appréciation  des  rapports  qui,  au  moyen  âge, 
rattachaient  le  pouvoir  temporel  au  pouvoir  spirituel. 

L'Église  et  l'État  sont  les  deux  formes  différentes  et  toutes  deux 
nécessaires  de  la  société  humaine.  L'État  gouverne  l'ordre  temporel 
et  naturel;  l'Église  se  rapporte  à  une  sphère  plus  élevée,  à  des 
conceptions  surnaturelles.  —  Or  les  pouvoirs  dirigeants  de  l'Église 
et  de  l'État  seraient  dans  une  lutte  continuelle  si,  par  un  équilibre 
voulu  de  Dieu,  lesdeux  puissances,  sansque  la  prééminence  soit  pour- 
tant retirée  à  la  plus  élevée,  ne  restaient  dans  leurs  limites  respec- 
tives. L'État  doit  donc  borner  strictement  son  action  à  ce  qui  est 

'  Voy.  I.ÖHFR ,  Dus  Bi'chverfahren  bel  König  Wenzel's  Absetzung,  dans  le  Münchener, 
Hist.  Jahrbuch  von  1865,  p.  1-27.  —  Voy.  l'art.  :  Einige  Streil/ragen  aus  der  Gesch. 
der  .Uselzting  König  Wenzel,  dans  ]es  ffisl.  polit.  Bl.,  t.  XC,  p.  185  (Munich,  188-2). 

-  •  La  nalion  allemande  ^ ,  dit  la  loi  saxonne,  «  a  le  droit  d  élire  son  souverain. 
Quand  le  roi  est  sacré  parles  évèques  qui  en  ont  le  pouvoir  et  qu'il  s'assoit  sur 
le  irone  d'Aix-la-Chapelle,  il  est  investi  de  la  puissance  royale  et  se  nomme  le 
roi;  quand  il  est  sacré  par  le  pape,  il  est  investi  de  la  puissance  impériale  et  se 
nomme  l'Empereur.  »  Voici  comment  s'exprime  Innocent  III  d;ins  sa  célèbre 
bulle  Vencrabilium  :  -  Verum  illis  principibus  jus  et  polestatem  eligendi  regem, 
in  imperatorem  postmndum  promovendum  recofynoscimus,  ut  debemus,  ad 
quos  de  jure  ac  antiqua  consuetudine  noscitur  pertinere  ;  prescrtim,  cum  ad 
eos  jus  et  potestas  hujusmodi  ab  anostolica  sede  pervenerit,  qua- Romanum 
Imperium  in  persona  masjuifici  Caroli  a  Graecis  transtulit  in  Germanos.  Sed 
et  principes  recofjnos  cere  debent,  et  utique  recognoscunt,  sicut  iidera  in 
nostra  recojjnovere  pr?psentia,  quod  jus  et  auctoritas  examinandi  personam 
eleclam  in  rej^em  et  promovendam  ad  Imperium  ad  nos  spectat,  qui  eum  inun- 
gimus,  consecranuis  et  coronamus,  etc.  - 


412     EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

humain,  terrestre  et  temporel,  et  l'Église  ne  doit  gouverner  que 
dans  le  domaine  de  ce  qui  est  spirituel,  surnaturel  et  divin. 

Tel  est  le  sens  de  cette  célèbre  définition  du  pape  Gélase,  qui, 
durant  tout  le  moyen  âge,  fit  le  fonds  de  la  doctrine  sur  les  rap- 
ports de  l'Église  et  de  l'État. 

"  L'origine  de  la  séparation  des  pouvoirs  spirituel  et  temporel  -, 
avait  enseigné  le  pape  Gélase  à  la  fin  du  cinquième  siècle,  ^  doit  être 
cherchée  dans  l'ordre  même  établi  par  le  divin  Fondateur  de  l'Église. 
Songeant  à  la  faiblesse  humaine,  il  a  pris  soin  que  les  deux  puis- 
sances demeurassent  séparées  et  que  chacune  restât  dans  le  domaine 
particulier  qui  lui  a  été  attribué.  Les  princes  chrétiens  doivent  se 
servir  du  sacerdoce  dans  les  choses  qui  se  rapportent  au  salut.  Les 
prêtres,  de  leur  côté,  doivent  s'en  rapportera  ce  que  les  princes  ont 
établi,  danstout  ce  qui  a  trait  aux  événements  temporels;  ensorteque 
le  soldat  de  Dieu  ne  s'immisce  pas  dans  les  choses  de  ce  monde,  et 
que  le  souverain  temporel  ne  porte  jamais  la  parole  dans  les  ques- 
tions religieuses.  Lorsque  les  deux  pouvoirs  sont  ainsi  partagés,  il 
doit  être  pourvu  à  ce  que  ni  l'un  ni  l'autre  ne  puisse  s'attribuer  une 
puissance  prépondérante,  et  à  ce  que  chacun  reste  fidèle  à  la  mission 
qui  lui  a  été  confiée  '.  "  Le  pouvoir  spirituel  subsiste  par  lui-même,  il 
est  entièrement  indépendant  de  l'État,  car  l'Église  est  un  organisme 
parfaitement  développé,  renfermant  en  lui-même  tous  les  moyens 
d'atteindre  son  but;  cependant  elle  est  nécessairement  dans  un  co- 
ntinuel échange  de  rapports  avec  le  pouvoir  temporel,  qui  possède 
également,  dans  les  choses  de  son  ressort,  une  autorité  souveraine, 
autonome,  que  l'Église  doit  reconnaître  et  respecter  *. 

Lorsque  les  pouvoirs  sont  ainsi  séparés,  tous  deux  gouvernant 
avec  indépendance  et  gardant  cependant  entre  eux  la  concorde  et 
l'unité,  la  pensée  d'élever  et  de  perfectionner  l'ordre  temporel,  de 
lui-même  terrestre,  secondaire  et  imparfait,  et  de  le  modeler  sur 
l'ordre  spirituel,  s'offre  naturellement  aux  esprits,  car  l'ordre  que  la 
société  civile  voit  établi  dans  l'Église,  surtout  l'unité  de  sa  hiérarchie, 
doit  être  son  idéal,  et  l'État  devrait  s'efforcer  de  le  reproduire  quand 
bien  même  il  ne  viserait  par  là  qu'à  rendre  plus  parfaite  son  union 
avec  l'Église. 

Placé  vis-à-vis  de  l'unique  et  universelle  Église  ^  le  pouvoir  tem- 
porel peut,  il  est  vrai,  subsister  dans  des  pays  différents,  parmi  des 
peuples  indépendants  les  uns  des  autres,  sans  que  rien  d'essentiel  lui 

'  Voy.  ces  passages  dans  Molitor,  Die  dccrctah  Per  ï'enerabilem,  p.  211-212. 
(Munster,  1876.) 

-  C'est  là  le  véritable  sens  de  la  bulle  si  discutée  du  pape  Boniface  VIII  ; 
L'nam  sanctam.  —  Voy.  MOLITOR,  p.  84-110. 

^  Hanc  aulem  veneramur  et  unicam,  etc.,  dans  la  bulle  l'nam  sanctam. 


LE    .SAINT-KMl'fUE    ET    LA    l'AI'AlITK,  413 

mauqiie;  mais  sou  orf^anisation  est  plus  parfailc,  le  lien  qui  le  ral- 
tache  à  l'ordre  spirituel  est  plus  étroit,  lorsque,  pour  lui  aussi,  il 
n'existe  plus  cutre  les  peuples  de  mur  de  séparation,  et  que  Tunion 
de  la  race  liuuiaiue  s'exprime  et  se  reflète  daus  un  unique  maître  et 
un  souverain  juge. 

Les  papes  réalisèrent  ces  pensées  avec  grandeur  et  clarté  eu 
instituant  le  Saint-Empire  romain,  au  sceptre  tout-puissant  duquel 
tous  les  peuples  de  la  terre  devaient  rendre  hommage.  L'Empereur, 
de  son  côté,  considérait  comme  la  plus  sublime  de  ses  attributions  la 
tutelle  et  la  protection  de  l'Église.  Aussi  Charlemagne,  qui  porta  le 
premierla  couronne  impériale,  s'intitulait-il  «  le  défenseur  et  l'humble 
auxiliaire  de  l'Église  et  du  Saint-Siège  ■ ,  regardant  comme  sa  mis- 
sion la  plus  haute  le  devoir  de  garantir  la  paix,  l'union  et  l'harmonie 
à  tout  le  peuple  chrétien.  L'Évangile  devait  devenir  le  code  des 
nations,  taudis  que  l'État  chrétien  consoliderait  le  sol  sur  lequel,  de 
siècle  en  siècle,  TÉglise  répand  la  semence  des  vérités  révélées. 

Dans  l'union  de  la  papauté  avec  l'Empire  au  profit  du  développe- 
ment d'une  monarchie  universelle,  chrétienne,  catholique  et  romaine, 
résidait  le  principe  même  de  la  théorie  du  moyeu  âge  sur  l'État  : 
"  Dieu  »,  dit  le  Miroir  saxon,  «  a  laissé  deux  épées  sur  la  terre  pour 
défendre  la  chrétienté.  Il  a  remis  l'épée  spirituelle  au  Pape,  et  l'épée 
temporelle  à  l'Empereur.  » 

L'Empire,  issu  d'une  concession  papale,  devait  être  obtenu  du 
Pape  par  le  souverain  nouvellement  élu  au  moment  de  son  couronne- 
ment et  de  son  sacre.  Cette  investiture  auguste  conférait  cà  l'Empe- 
reur la  fonction  sacrée  de  protéger  l'Église.  Mais  cette  tutelle  n'était 
pas  encore  le  dernier  mot  de  sa  haute  mission  :  ce  qui  en  faisait  le 
fond,  c'était  une  pensée  de  politique  universelle. 

La  dignité  impériale  était  laissée  à  la  libre  disposition  du  Souve- 
rain Pontife.  Elle  n'était  pas  nécessairement  attachée  à  telle  ou  telle 
nation  ;  mais  depuis  qu'en  962  le  Pape  eut  posé  la  couronne  sur  la  tète 
d'Olhon  l",  elle  fut,  par  une  prérogative  universellement  consentie, 
remise  pour  toujours  à  la  nation  allemande. 

Toutes  les  fois  qu'un  empereur  était  couronné,  l'alliance  entre  les 
deux  pouvoirs  était  renouvelée.  Dans  leur  mutuel  serment  de  fidé- 
lité, tous  deux  manifestaient  au  dehors  leur  intime  union.  Le  Pape 
n'exerçait  aucun  droit  sur  l'élection  du  Hoi  en  Allemagne.  L'Empire 
allemand  n'était  en  aucune  manière  un  fief  de  la  papauté,  et  par  le 
serment  de  son  sacre  l'Empereur  ne  devenait  point  le  vassal  du  Saint- 
Siège.  11  s'engageait  seulement,  par  un  serment  solennel,  à  bien  s'ac- 
quitter de  la  plus  haute  prérogative  de  cette  charge  auguste  :  la  dé- 
feuse  de  l'Eglise  et  de  son  chef. 

(jiardit'u,  prolecteur  de  l'Ëglise,  l'Empereur  avait  en  outre  plus  que 


m    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

tous  les  princes  chrétiens  le  devoir  de  défendre  et  de  protéger  la  loi 
contre  les  infidèles,  les  hérétiques  et  les  schismatiques.  «  Gomme 
Técorce  recouvre  et  protège  l'arbre  et  ne  fait  qu'un  avec  lui  " ,  écri- 
vait au  roi  d'Angleterre  l'empereur  Venceslas,  tout  indigne  souve- 
rain qu'il  fut,  «  l'Empereur  doit  se  tenir  au  côté  de  l'Église  armé  de 
l'épée  temporelle,  prêt  à  la  défendre  au  prix  de  sou  propre  sang  si 
cela  était  nécessaire.  » 

L'Empereur,  chef  souverain  de  l'ordre  temporel,  ne  devait  pas  viser 
à  l'établissement  d'une  monarchie  universelle,  chercher  à  assujettir 
les  autres  peuples,  ni  détruire  les  différences  de  leur  nationalité.  La 
société  bien  plus  élevée  de  l'Église,  dans  laquelle  toutes  les  nations 
prennent  fraternellement  place,  suffit  à  remplir  cet  idéal  d'union 
qui  est  le  but  le  plus  élevé  de  l'humanilé.  L'Empereur  n'était  chargé 
que  de  fonder  parmi  les  peuples  de  la  chrétienté  une  sorte  de  droit 
des  gens,  universel,  applicable  à  toutes  les  nations.  11  était  le  pre- 
mier et  le  souverain  monarque ,  la  pierre  angulaire  et  fondamen- 
tale de  l'édifice  social;  il  incarnait  eu  sa  personne  l'idée  de  toute 
possession  légitime,  de  tout  droit,  de  toute  justice,  u  Otez  le  droit 
de  l'Empereur,  disait  Pierre  d'Audlau  eu  1451,  et  qui  pourrait  encore 
dire  :  Cette  maison,  cette  terre,  est  à  moi  '?  « 

A  l'Empereur,  gardien  suprême  et  protecteur  du  droit,  incombait 
encore  le  devoir  de  s'eut  rcnîcttrc  et  de  décider  dans  les  querelles  qui 
survenaient  entre  les  divers  royaumes^;  seul,  durant  bien  des  siècles, 
il  porta  le  titre  de  Majesté.  Lui  seul  avait  le  droit  de  conférer  le 
tihe  de  roi;  même  dans  les  temps  d'extrême  impuissance  politique 
de  l'Empire,  les  princes  et  les  peuples  reconnurent  à  1'  «  Empereur 
romain  de  nation  germanique  «  une  prérogative  unique,  un  pri- 
vilège d'houneur  le  plaçant  au-dessus  de  tous  les  souverains  de  la 
chrétienté. 

Comme  la  royauté,  l'Empire,  bien  qu'indépcadaut  de  celle-ci,  était 
cher  à  la  nation,  et  cet  attachement  avait  poussé  des  racines  profondes 
dans  toutes  les  classes  sociales.  Le  peuple,  dans  les  grands  siècles  de 
son  histoire,  était  fier  devoir  son  empereur,  revêtu  de  lapins  haute 
dignité  de  la  chrétienté,  devenu  le  rocher  sur  lequel  s'appuyait 
tout  l'ordre  spirituel;  aussi  était-ce  avec  joie  qu'il  faisait  les  sacrifices 
exigés  par  l'exercice  de  ces  suprêmes  fonctions.  Sous  le  nom  (Vcxpé- 
dition  romaine,  le  royaume  fournissait  sa  seule  levée  d'armes  générales, 
sa  seule  prestation  de  service  obligatoire  pour  tous.  Tandis  que  le 


'  Cette  parole  se  trouve  déjà  dans  le  Coip.  jur.  can.,  Dca:  pars  prima,  Uist., 

t.  vni,  ch.  I. 

-  C'est  ainsi  que  le  roi  Edouard  III  d'Angleterre  comparut  en  1338  à  l'audience 
impériale  de  Louis  de  Bavière  pour  y  apporter  ses  griefs  et  demander  justice 
du  roi  Philippe  de  France.  —  Voy.  Bohmeu,  Foiues,  i,  p.  190-1S>2. 


LE    SAI  NT-EM  l'I  II  E.  415 

Jlui,  pour  loulcs  scsaulrcs  caru|)a{;nc.s,  avait  besoin  de  rasseiiliiiient 
des  Kla(s,  cet  asseutiineiit  lu;  lui  était  pas  nécessaire  lorsqu'il  s'ajjis- 
sait  de  former  l'armée  destinée  à  protéger  son  voyage  à  Home.  Les 
vassaux  et  arrière-vassaux  de  l'empire  étaient  obligés  sous  peine  de 
perdre  leur  fiel"  de  prendre  j)art  à  l'expédition,  dont  le  but  était  con- 
sidéré connue  une  question  d'honneur  intéressant  la  nation  tout 
entière.  Les  classes  même  dépendantes  qui  n'y  prenaient  point  part, 
les  colons,  les  paysans,  devaient  y  contribuer  d'une  certaine  manière 
déterminée  d'avance.  Les  uns  apportaient  des  dons  en  argent  ou  en 
nature;  d'autres  fournissaient  des  pièces  d'équipe;  d'autres  offraient 
leurs  services  ou  lai.'^aicut  corvée.  Tous,  de  quelque  manière  que  ce 
fût,  participaient  à  la  campagne.  Mais  alin  que  l'Empereur  ne  fut  pas 
tenté  de  faire  servir  à  des  fins  ambitieuses  et  personnelles  le  résultat 
des  sacrifices  de  toute  la  nation,  une  loi  sage  avait  établi  que  l'obli- 
gation de  suivre  l'armée  prenait  fin  le  jour  même  du  courou- 
ueincu!  '. 


III 


Jusqu'au  treizième  siècle,  époque  de  sa  décadence,  l'Empire 
romain  germanique  fut  le  centre  des  peuples  européens,  Son  étendue 
territoriale  ciU  suffi  à  elle  .«eulc  pour  mettre  les  nations  chré- 
tiennes à  l'abri  des  grands  bouleversements  et  des  guerres  euro- 
péennes générales.  Composé  de  trois  royaumes  unis  sous  nu  même 
sceptre,  l'Allemagne,  l'Italie  et  la  lîour/jognc,  l'Empire  s'étendait 
des  rives  de  la  mer  du  Nord  et  de  la  Baltique  jusqu'à  l'Adriatique  et 
la  Méditerranée,  et  des  embouchures  du  Rhône,  de  1' Arno  et  du  Tibre 
jusqu'aux  imposantes  forteresses  des  Alpes,  dont  les  passages  étaient 
gardés  par  ses  vassaux.  Il  occupait  donc  tout  le  centre  du  monde 
chrétien.  Depuis  la  chute  de  l'empire  romain,  aucun  royaume  européen 
n'a  conservé  aussi  longtemps  une  puissance  et  une  autorité  semblables 
à  la  sienne.  Toutefois  il  ne  se  servit  jam.ais  de  son  immense  pouvoir 
pour  étouffer  le  génie  national  des  Romans  soumis  à  sa  domination,  ni 
pour  mettre  obstacle  aux  formes  particulières  de  leurs  constitutions  ^ 

'  Voy.  FiCKER,  Das  deulschù  Kaiserreich,  p.  87-91. 

^  Voy.  FlCKEi\,  Das  deutsche  Kaiserreich,  p.  76-81  j  et  Deutsches  Konigthum  und  Kai- 
seirihum,  p.  50-52.  "  F.e  droit  romain  fut  vaincu  par  le  principe  f,ermanique, 
nni  n'imposait  pas  au  vaincu  le  droit  du  vainqueur,  mais  laissait  vivre  chacun 
d'après  le  droit  de  sa  nation.  Le  droit  germanique  a  sauvé  la  vie  à  ses  futurs 
oppresseurs.  -  Modderiianx,  Die  licccption  des  römischen  Hechte,  p.  15.  —  Voyi 
vo\  S.vvit'.NY,  Gesch.  des  romischen  Rechics,  t.  F,  cap.  III.  —  Stobbe,  Bechisquellcn,  t.  I, 
p.  26,  260. 


416  EMi'iRE  Domain  (;ermanioue,  situation  extérieure. 

Devenu  roi  d'Italie  et  roi  de  Bourgogne,  le  souverain  allemand  s'était 
borné  à  remplacer  le  prince  national  dépossédé.  La  féodalité  elle- 
même,  si  imporlante  alors  et  qui  influençait  tous  les  ressorts  de  la 
vie  politique,  se  développa  dans  ces  pays  conformément  aux  lois  et 
usages  que  les  Allemands  y  avaient  trouvés  en  vigueur  au  commen- 
cement de  leur  domination. 

Mais  l'unité  et  la  puissance  de  l'Empire  ne  subsistèrent  qu'aussi 
longtemps  que  les  souverains  surent  maintenir  les  fermes  assises  sur 
lesquelles  il  reposait.  Son  -  principe  vital  -  perdit  peu  à  peu  de  sa 
force  à  partir  du  moment  où  la  maison  régnante  des  Hohenstaufen 
abandonna  l'ancienne  tradition,  s'efforça  de  briser  les  entraves  que 
l'Église,  jalouse  de  son  indépendance,  les  États  et  les  diverses  races 
allemandes  avaient  opposées  à  son  ambition,  et  voulut  exercer  un 
pouvoir  sans  limites.  Frédéric  I"  n'envisageait  déjà  plus  la  puis- 
sance impériale  d'après  l'idée  que  s'en  faisait  depuis  des  siècles  la 
chrétienté  occidentale;  il  entendait  l'exercer  selon  la  théorie  de 
l'antique  droit  romain  '.  On  vit  alors  reparaître  les  doctrines  des 
légistes  de  Rome  païenne^  affirmant  que  l'Empereur  doit  s'affranchir 
de  toute  loi,  parce  qu'il  est  lui-même  la  source  du  droit.  Frédéric 
prétendit  disposer  à  son  gré  du  siège  apostolique,  et  se  sépara  ains 
pour  longtemps  de  l'unité  de  l'Église.  Frédéric  II  débuta  d'une 
manière  plus  funeste  encore.  Ses  prétentions  à  jouer  le  rôle  de  Pape- 
César,  son  despotisme  oriental,  suscitèrent  entre  lui  et  l'Église  une 
lutte  à  mort  qui  compromit  bientôt  de  la  manière  la  plus  grave 
l'aiitorilé  des  deux  puissances-. 

Le  pouvoir  temporel  de  l'Empire  et  de  la  royauté  allemande 
s'affaiblit  encore  davantage  lorsque  la  maison  des  Hohenstaufen  eut 
conquis  le  royaume  de  Sicile,  complètement  étranger  à  l'Empire. 
Le  centre  du  pouvoir  fut  alors  transféré  au  loin,  et  l'Allemagne  se 
trouva  ainsi  séparée  de  l'ensemble  de  la  nation.  Sous  Frédéric  11, 
l'Empire  tomba  sous  la  domination  illusoire  de  princes  mineurs. 

1  «  c'est  de  la  théorie  romaine  du  pouvoir  impérial  que  sortit  l'effrayant 
appareil  de  doctrines  despotiques  mis  en  œuvre  plus  tard  par  les  juristes  ita- 
liens. »  Nitzsch.  Slaufische  Studien,  dans  le  Hislor.  Zcitschrifl  de  Syeel,  t.  III,  p.  oô2. 
Pour  plus  de  détails,  voyez  Ficker,  liainald  von  Dassel,  p.  14. 

-  Frédéric  V  déclare  en  1165  "  Vestigia  pradecessorum  suorum,  divo- 
rum  imperatorum,  magni  Constantini  videlicet  et  Justiniani  et  Valentiniani  ■ 
et  les  «  Sacras  eorum  leges,  »  et  qu'il  les  vénère  comme  divina  oramla.  Sous  son 
règne  on  trouve  déjà  employé  l'axiome  césarien  :  «  Quotlprincipi  placuit,  legii 
habet  vigorem,  cu)n  j)opulus  ei  et  in  cum  omne  suuin  imperium  et  polestalem  concesseril.  ' 
■  Ouodcumque  imperator  constituerit  vel  coguosceus  decreverit  vel  edicto 
pr;pceperit,  legem  esse  constat.  »  Frédéric  II,  dans  sa  lutte  avec  le  Pape, 
allégua  le  principe  .suivant  ;  "  Princeps  legibus  solutus  est.  "  Louis  de  lîavièrc 
dit  plu.s  lard  :  •  Nos  qui  sumus  supra  jus.  »  Voy.  Otto  Fiu.sing.  Gcsia.  I''rid.. 
I,  lib.  Il,  cap.  xxu.  Uaiko.  (iesta  Frid.,  lib.  If,  cap.  iv,  et  d'auires  passages 
eucore  dans  Siobbe,  Rcclitsqueilm,  t.  I,  p.  4G5,  note  10,  et  61Ü,  note  29. 


AFFAIBLISSEMENT    DE    LA    HOYAUTK.  417 

Dès  lors,  ou  cessa  de  s'intéresser  aux  afftiires  générales  du  pays; 
les  liens  qui  avaicut  uni  jusque-là  les  différenles  races  allemaudes  se 
relàclièreu! ,  et  TKuipIre  cessa  de  former  un  puissant  ensemble.  Les 
revenus  des  domaines  impériaux,  sur  lesquels  la  puissance  royale 
avait  été  orij^inairemcnt  élablie,  furent  dilapidés;  les  préro{ïativcs 
royales  furent  par(agées  entre  les  é(ats  ;  la  royauté  cessa  de  former  un 
centre  d'action,  et  d'année  en  année  grandit  la  puissance  territo- 
riale des  princes.  Frédéric  I"  y  avait  travaillé  lui-même  lorsque, 
par  la  suppression  des  duchés  de  Saxe  et  de  Bavière,  il  avait  anéanti 
l'existence  réelle  des  tribus  allemandes.  A  partir  de  ce  moment  les 
princes  ne  visèrent  plus  qu'à  ac(|uérir  des  États  dont  ils  fussent  les  seuls 
maures,  et  Frédéric  11  donna  imprudennnent  une  base  légale  à  cette 
tendance  en  leur  accordant  des  lettres  de  faveur.  Dès  lors  les  terri- 
toires se  formèrent  au  hasard  des  conquêtes  des  princes  souverains, 
qui  ne  montrèrent  nul  souci  du  maintien  des  anciennes  frontières. 

L'élecUou  royale,  à  laquelle  les  tribus  avaient  pris  autrefois  une 
part  égale,  devint,  après  la  destruction  de  leur  libre  nationalité,  le 
monopole  exclusif  de  quelques  princes  qui  se  l'attribuèrent  contre 
toul  droit. 

Mais  les  traditions  nationales  des  divers  pays  furent  néanmoins 
conservées  dans  une  certaine  mesure.  Même  après  la  chute  de  la 
plupart  des  malsons  ducales  et  lorsque  le  droit  d'élection  eut  été 
transporté  aux  sept  électeurs,  les  princes  souverains  et  les  anciennes 
villes  des  duchés  restèrent  si  étroitement  unis  par  des  traditions  et 
des  conventions  mutuelles,  que  cette  union  fournit  plus  tard  le  plan 
tout  préparé  de  la  division  du  pays  en  disiricts,  division  qui  subsista 
jusqu'à  la  chute  de  l'Empire. 

LA    ROYAUTÉ    ET    LES    PRINCES    DEPUIS    l'INTERRÈGNE. 

Pendant  l'interrègne,  les  affaires  intérieures  de  l'empire  tom- 
bèrent dans  une  telle  confusion  que  le  Français  Charles  de  Luçon, 
après  avoir  séjourné  quelque  temps  dans  les  pays  rhénans,  croyait 
pouvoir  parler  "  de  la  fin  de  F  Allemagne  '  ;).  Mais  les  réclamations 
populaires,  et  surtout  Fattitude  menaçante  de  la  grande  ligue  rhé- 
nane formée  pour  combattre  les  fauteurs  fie  troubles,  obligèrent 
les  princes  électeurs  de  faire  choix  d'un  prince  vraiment  digne  du 
trône. 

AvecPtodolphe  de  Habsbourg  commence,  dans  FEmpire,  un  travail 
de  restauration  (1273).  Le  nouveau  souverain  parvient  à  affermir 
la  paix  et  la  justice^;  il  anéantit  la  puissance  du  roi  de  Bohême 

'  cité  dans  les  Lettres  de  Pierre  de  Froissard,  p.  7. 

-  Sub  cuius  doraini  11...  regiminc  tanta  fuit   pax  in  omnibus    partil)U6  Ale- 

27 


418     EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

Ottocar,  et,  avec  le  consentement  des  États,  reprend  l'Autriche  qui 
avait  été  enlevée  à  sa  maison  par  les  Tchèques.  Si  alors,  comme 
jadis,  la  succession  au  troue  eut  été  héréditaire,  l'Autriche,  pour  le 
salut  de  l'Empire,  eût  fourni  à  la  nouvelle  maison  régnante  une 
large  compensation  aux  domaines  jadis  ravis  à  la  couronne,  et  ses 
forces,  unies  à  celles  de  la  nation,  eussent  permis  à  l'Allemagne  de 
redevenir  un  État  indépendant,  une  monarchie  unie,  étendant  son 
autorité  sur  toutes  les  tribus  qui  la  composaient  ^ 

Mais  les  princes  électeurs,  dans  leur  égoïsme  étroit,  ne  souhaitaient 
nullement  voir  s'effectuer  «  l'unité  ■^,  et  redoutaient  l'établissement 
d'un  pouvoir  central  vraiment  fort.  Après  la  mort  de  Rodolphe,  ils 
se  livrèrent  à  un  honteux  trafic  de  suffrages,  et  finirent  par  élever 
sur  le  trône  l'impuissant  Adolphe  de  Nassau.  Adolphe  fut  l'homme 
de  leur  choix  aussi  longtemps  qu'il  consentit  à  n'être  entre  leurs 
mains  qu'un  instrument  docile;  mais  dès  qu'il  voulut  prendre  une 
attitude  indépendante,  et  que,  soulenu  par  une  armée  de  mercenaires, 
il  eut  déclaré  aux  princes  «  qu'il  entendait  être  roi,  et  agirait  eu  con- 
séquence )',  il  leur  parut  "  tout  à  fait  mal  inspiré,  et  ils  le  mépri- 
sèrent ') .  Ils  eurent  peur  «  qu'il  ne  devint  un  nouveau  César  rêvant 
d'assujettir  toute  l'Allemagne  à  sa  domination  ',  et  depuis  cette  époque 
ne  songèrent  qu'à  le  déposer. 

"  Ils  essayèrent  ensuite  ce  qu'on  pourrait  faire  du  fils  du  roi 
Rodolphe,  Albert;  mais  ils  furent  étrangement  déçus  en  lui  -  > ,  dit 
une  ancienne  chronique.  Secondé  par  la  bourgeoisie,  si  désireuse 
de  voir  s'établir  l'unité  de  l'Empire,  et  à  laquelle  il  avait  adressé  un 
appel  plein  d'énergie,  l'invitant  à  former  une  ligue  contre  le  despo- 
tisme des  princes,  Albert  défit  les  électeurs  du  Rhin,  démantela  leurs 
forteresses,  les  contraignit  à  restituer  les  possessions  impériales 
qu'ils  retenaient  injustement,  et  affranchit  le  commerce  du  Rhin  de 
toute  taxe  ^  Pour  achever  de  gagner  définitivement  la  bourgeoisie 
aux  intérêts  de  la  couronne,  il  favorisa  de  toutes  manières  le  libre 

manie,  eliam  usque  quo  dominus  R...  spirituin  contineret  vile,  quod  tanta  et 
talis  pax  in  ipsa  terra  nuiiquam  fuit  habita  val  visa.  Adhuc  quievit  omnis  Aie- 
mania  in  conspectu  eius  et  a  facie  suc  timuit  omnis  home.  Chron.  Ellenhardi 
momim.  script.,  XVII,  p.  134.  —  Voy-  Franklin',  Reishof gericht,  p.  136-139. 

'  Voy.  BÖH3IER,  Kaiserregeslcn  von  1246  à  1313,  p.  54. 

-  Fragments  d'une  chronique  allemande  datant  de  la  première  moitié  du 
quinzième  siècle. 

^  Voy.  GRirSHABER,  Oberrheinischen  Chronik  (Rastadt,  1850).  —  Hagex,  Deutsche 
Gesch.  seil  Rudolf  von  Habsbourg,  t.  I.  p.  64.  Sur  la  politique  ambitieuse  des  princes 
électeurs  considérée  comme  le  vice  radical  de  la  politique  alleniande  et  comme 
la  cause  des  dissensions  intérieures,  des  révoltes  et  des  guerres,  voy.  les  impor- 
tants mémoires  adressés  par  Albert  au  pape  Roniface  VIII.  Archiv,  für  Oesierr. 
Geschichlsq.,  t.  II,  p.  290.  —  BÖHMER,  liaiserregcsten,  von  124G-13I3.  page  42i.  — 
L'évècjue  Bruno  d'Oimntz  avait  déjà  formulé  le  même  reproche  contre  It  .^ 
priiKto  éicctcur.s      qui  u>urp.iv(  lüiit   tiiiiLi.  quod  reges  ilomaiioiiim  |)riqitei 


LA    HOYAUTi';    ET    LES    l' lil  N  C  E  S    I)  E  l' l' I  S    L'I  N  T  ERR  KGN  E.    H9 

développement  des  villes,  protégea  leur  commerce  avec  Tétranger, 
revisa  leurs  rèf/lemcnts  corporatiis,  et  réforma  les  impôts.  Il  insista, 
ce  qui  était  surtout  nécessaire,  pour  "  que  les  villes  puissent  apporter 
leurs  suffrages  et  avoir  leurs  députés  dans  les  diètes  où  se  réglaient 
les  intérêts  du  pays  «.  L'action  de  députés  provinciaux  dans  les 
assemblées  des  États  eiU  eu  sans  nul  doute  les  plus  importants 
résultats  pour  la  constitution  et  la  formation  politique  de  l'Empire; 
malheureusement  une  indigne  trahison  vint  anéanlir  tous  les  grands 
projets  du  Hoi.  11  fut  victime  d'une  conspiration  princière  à  laquelle 
l'infortuné  Jean  Parricida  eut  le  malheur  de  servir  d'instrument  '. 
Albert  est  le  martyr  d'une  grande  idée,  celle  du  rétablissement 
de  l'unité  de  l'Empire.  Eu  vain,  après  le  mcurlre  «  du  puissant 
seigneur  et  roi  "  (1308),  soupira-t-on  après  l'avènement  d'un  souve- 
rain énergique,  «  pouvant  tenir  entre  ses  mains  l'épée  de  Charles 
le  Grand  »  et  «  rogner  les  griffes  des  oiseaux  de  proie  ",  le  système 
politique  d'Albert  périt  avec  lui,  et  tous  les  avantages  qu'il  avait 
essayé  d'assurer  à  l'Empire  pendant  les  dix  années  de  son  règne 
furent  perdus  pour  la  nation.  Henri  de  Luxembourg,  qui  lui  succéda, 
raviva,  il  est  vrai,  par  l'expédition  romaine  les  souvenirs  presque 
éteints  de  l'antique  splendeur  impériale;  mais  tandis  qu'il  s'efforçait 
d'obi enir  la  couronne  à  Rome,  le  sol  de  sa  puissance  s'ébranlait  en 
Allemagne. 

Après  sa  mort,  la  double  élection  de  Frédéric  d'Autriche  et  de 
Louis  de  Bavière,  fruit  des  discordes  des  princes  électeurs,  nécessita 
une  réorganisation  politique.  C'en  était  fait  désormais  de  la  restau- 
ralioii  de  la  monarchie  dans  le  sens  qu'avait  eu  autrefois  ce  mot. 

impotent iani  et  necessariorum  defecîiim  non  possunt,  pro  dolor,  juxta  majes- 
tatis  sue  debitum  et  decentiani  reguare  utiliter  et  preesse  "  (1273).  —  Voy. 
R.vYN.vLDi  Annales,  ad  ann.  1-273. 

'  Les  contemporains  n'iynoraient  pas  que  Jean  n'avait  été  que  l'instrument 
d'une  conspiration  de  princes  (■  fraudulento  concilio  primipuui  iniquorum 
circumventus  et  traditus  -].  Voy.  les  documents  cités  par  BoiiMEr,,  Fontes,  I, 
p.  486,  et  dans  les  Kaiserregcsicn,  von  1246 /"'s  1313.  Dans  un  poème  contemporain 
sur  la  mort  d'Albert,  on  lit  : 

«  Qui  nuliuin  timuit,  quem  nulla  poteiitia  fregit, 
Qui  iiiie  fraude  fuil,  fraus  hune  iiiopina  subegit.  » 

Kopp,  Urkunden  fur  die  Gesch.  der  Eidijenössischen  Blinde,  p.  80.  ToUS  nos  li\res 
d'histoire,  comme  chacun  lésait,  représentaient  jadis  Albert  comme  un  tyran  et 
l'accaljlaient  de  calomnies.  Ce  fait  ne  s'explique,  comme  le  suppose  judicieu- 
sement Böhmer,  que  par  le  besoin  qu'on  avait  d'inventer  un  tyran  pour  la 
léjîende  de  Guillaume  Tell,  découverte  au  duinzième  siècle  et  embellie  depuis 
de  nombreux  détails.  De  nos  jours,  une  critique  impartiale  a  rendu  justice  au 
roi  .Vlbert.  Lichnowsky,  dans  son  Histoire  de  la  maison  it Habsbourg ,  le  juge  d'une 
manière  équitable,  et  Kopp,  effaçant  l'auréole  de  gloire  qui  avait  jusque-là 
rayonné  sur  la  soi-disant  délivrance  de  la  Suisse,  attribue  tout  simplement 
l'orijjine  de  la  confédération  helvétique  à  la  chute  du  pouvoir  central  eu  Alle- 
magne. 

27. 


420     EMPIRE    ROMAIN    (iERMANIOüE,    SITUATION   EXTERIEURE. 

Le  règne  de  Louis  et  de  Frédéric  marque  cette  phase  de  transi- 
tion. Le  royaume,  jadis  uni,  devint  un  État  confédéré,  et  la 
bulle  d'or  de  Charles  IV  reconnut  légalement  ce  nouvel  ordre  de 
choses, 

La  loi  constitutionnelle  de  TEmpire  appelée  la  Bulle  d'or  trans- 
portait pour  toujours  le  droit  d'élire  le  souverain  entre  les  mains  de 
sept  électeurs  :  trois  ecclésiastiques  et  quatre  laïques.  Les  trois  ecclé- 
siastiques étaient  :  les  archevêques  de  Mayence,  de  Trêves  et  de 
Cologne;  les  quatre  princes  temporels  :  le  comte  palatin  du  Rhin,  le 
duc  de  Saxe-Wittenberg,  le  margrave  de  Brandebourg  et  le  roi  de 
Bohême.  Cette  loi  établissait  solidement  l'indivisibilité  des  j)rinci- 
pautés  électives;  elle  y  maintenait  le  droit  de  primogéuilure.  Elle 
confirmait  les  princes  électeurs  dans  les  droits  régaliens  déjà  en  leur 
pouvoir  :  droit  d'exploiter  les  mines  enclavées  dans  leurs  domaines; 
droit  de  battre  monnaie,  de  lever  des  taxes,  etc.;  elle  leur  conférait 
aussi  la  liberté  juridique,  décidant  qu'aucun  de  leurs  subordonnés 
ne  pourrait  avoir  recours  à  un  autre  tribunal  qu'au  leur.  L'appel 
au  tribunal  suprême  de  l'Empereur  n'était  autorisé  qu'en  cas  de  déni 
de  justice.  La  Bulle  d'or  déclarait  de  plus  que  tout  attentat  à  la  vie 
d'un  prince  électeur  serait  considéré  comme  aussi  criminel  que  s'il  eût 
été  commis  sur  la  personne  même  de  l'Empereur. 

La  puissance  passa  dès  lors  aux  mains  des  sept  électeurs.  L'Empire 
fut  établi  sur  la  souveraineté  des  princes,  et,  dès  le  règne  de  Charles  IV, 
plusieurs  prérogatives  d'abord  réservées  aux  seuls  électeurs  s'éten- 
dirent à  d'autres  princes. 

Mais  les  villes,  la  noblesse,  particulièrement  menacées  par  la 
nouvelle  puissance  des  princes  souverains,  pouvaient  être  tentées  de 
résister,  au  cas  où  leurs  libertés  et  leur  indépendance  seraient  en 
jeu;  aussi,  pour  leur  enlever  leurs  meilleurs  moyens  de  défense,  la 
Bulle  d'or  interdisait  toute  union  confédérative  formée  sans  Tassen- 
timent  des  princes.  Cette  défense  resta  néanmoins  sans  résultat; 
Charles  ayant  extorque  des  villes  de  grosses  sommes  d'argent,  par 
un  procédé  sans  précédent  jusque-là,  et  livré  aux  princes  en  caution 
plusieurs  cités  impériales  \  la  grande  ligue  souabe  s'organisa,  el  finil 
par  unir  toutes  les  villes  libres  de  l'Allemagne  du  Sud  en  une  confé- 
dération presque  indépendante.  Le  but  principal  de  cette  ligue  était 
de  faire  à  l'élément  bourgeois  une  plus  large  part  dans  le  gouverne- 
ment de  l'Empire.  Les  villes  rhénanes,  bavaroises  et  franconienne 
ne  tardèrent  pas  à  y  entrer,  et  ce  mouvement  de  concentration 
marque  le  dernier  grand  effort  tenté  par  la  nation  pour  asseoir 
l'Empire   sur  l'association  de  communes  libres,   ayant  des  droils 

'  Aussi,  dans  les  villes  libres,  Charles  était-il  représenté  comme  1"  •  iiisulteur 
de  la  chrétienté  >.  Voy.  Chroniken  der  deuUchcn  Slädcc,  t.  IV,  p.  42. 


LA    HOYAUTK    ET    LES    l' III  N  C  E  S    I)  E  I' (' I  S    LI  NT  E  H  RKfiNE.    421 

égaux  à  ceux  des  princes  souverains,  et  faisant  reconnaître  la  liberté 
des  ÉJa(s  à  côté  de  l'autorité  des  princes  '.  ^-  Les  villes  ",  dit  la 
chronique  de  Liinbourg,  "  lornicrent  celte  alliance  avec  une  grande 
sagesse  et  libéralité,  travaillant  en  cela  au  maintien  de  leur  honneur 
comme  à  la  commune  prospérité  du  pays.  "  '  Mais  -,  continue 
l'auteur,  ^  rcnfreprise  ne  réussit  guère  ^  »  En  effet  dès  le  commen- 
cement de  la  guerre,  la  bourgeoisie  dilt  céder  à  la  force  bien  supé- 
rieure des  princes,  et  h  partir  de  ce  moment,  elle  ne  joua  plus  qu'un 
rôle  secondaire  dans  la  conslituliou  de  l'Empire. 

Sous  Venceslas,  «  qui  affaiblit  et  déshonora  le  Saint-Empire,  le 
droit  et  la  justice  ne  trouvèrent  plus  place  dans  la  nation,  et  les  puis- 
sants purent  impunément  opprimer  les  faibles  ".  Rupert,  qui  lui 
succéda,  était  un  prince  d'une  stricte  probité.  "  Il  abondait  en 
bonnes  intentions,  mais  n'avait  pas  en  main  un  pouvoir  suffisant 
pour  fortifier  le  droit  et  combattre  l'injustice  ^  -^  «  Le  roi  Rupert  est 
généreux  et  bon  ',  écrivait  en  1407  un  digne  bourgeois  de  Cologne, 
«  il  voudrait  bien  venir  â  bout  des  princes,  mais  j'ai  grand'peur  qu'il 
n'y  parvienne  point,  car  il  est  pauvre  \  »  Une  disposition  testamen- 
taire de  Piupert  nous  révèle  en  effet  la  situation  piteuse  où  la  royauté 
était  alors  réduite.  Le  Roi  ordonne  que  tout  de  suite  après  sa  mort 
«  sa  couronneet  divers  précieux  joyaux  soient  vendus,  afin  d'acquitter 
ses  dettes  chez  l'apothicaire,  le  forgeron,  le  cordonnier,  le  peintre 
d'Heidelberg,  et  pour  que  quelques  pauvres  ouvriers  d'Amberg 
pussent  toucher  ce  qui  leur  était  dii  ^  > . 

Nous  lisons  dans  une  chronique  du  temps  :  -^  Après  Rupert,  le  roi 
Sigismond  monta  sur  le  trône;  il  avait,  â  lui  appartenant,  plusieurs 
pays  sur  lesquels  il  avait  pleine  autorité  et  disait  souvent  qu'il  voulait 
réformer  le  royaume;  mais  au  fond,  son  propre  pays  lui  tenait  bien 
plus  à  cœur  que  l'Empire.  De  plus,  il  était  d'une  volonté  indécise;  car 
aujourd'hui  il  voulait  ceci,  et  demain  cela.  Cependant  les  princes  sont 
encore  bien  plus  à  blâmer  que  lui  :  tout  occupés  de  leurs  jalousies  et 
rivalités  personnelles,  ils  ne  voulurent  jamais  rien  faire  pour  aider  à 
établir  ce  qui  eilt  été  utile  au  bien  public  "^  .»  Aussi  Sigismond 
disait-il  amèrement  :  ^  La  couronne  ne  peut  plus  apporter  au  souve- 
rain ni  joie  ni  gloire;  elle  n'est  plus  pour  lui  qu'un  lourd  fardeau, 
presque  au  dessus  de  ses  forces.  '> 

La  révolution  que  la  Rulle  d'or  avait  opérée  dans  les  principautés 

'  GirnKF.,  Das  Wesen  des  Bundes  gut  zusammenge/asst ,  t.  I,  p.  483-486. 
-  Limbiirgische  Chronik,  p.  98. 
'  Pa{je  435. 

*  Voy.  Francfurts  Reickscorrespondenz,   t.  ï,  p.  247,  note. 

*  Testament  daté  du  16  mai  HIO.  —  Francfurts  Reichscnr respondcnz,  t.  L  P-  802- 
804. 

"  Pa.fre  435. 


'r2-2     EMPIRE    ROMAIN    (;ERMAMQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

électives  se  reproduisit  peu  à  peu  dans  les  autres  domaines  prin- 
ciers. Les  prélats,  les  chevaliers,  les  villes,  qui  auparavant  n'avaient 
reconnu  aux  princes  qu'un  droit  de  protection  et  ne  leur  étaient 
attachés  que  par  un  lien  féodal  ou  juridique,  durent  bientôt  subir 
une  sorte  de  vasselage;  il  devint  de  plus  en  plus  facile  aux  princes 
d'agrandir  leurs  États  en  arrachant  aux  uns  ou  aux  autres  des  lam- 
beaux de  territoire. 

Le  royaume,  autrefois  uni,  n'était  plus  qu'un  assemblage  de 
parties  disparates,  reliées  entre  elles  par  des  liens  fragiles.  Le  Roi 
pouvait  à  peine  s'intituler  encore  '=  président  de  la  communauté 
impériale  ».  Les  revenus  du  royaume  étaient  tellement  fondus  que, 
dès  le  règne  de  Sigismond,  ils  ne  s'élevaient  plus  qu'à  treize  raille 
florins  *. 

te  Et  taudis  que  les  revenus  fondaient  :; ,  l'ancienne  organisation 
militaire  de  l'état  féodal  croulait  misérablement  par  suite  de  l'inven- 
tion de  la  poudre  à  canon.  Les  guerres  contre  les  hussites  firent  â 
l'honneur  de  l'Allemagne  une  tache  indélébile, 

A  l'intérieur,  le  -  droit  du  poing  ",  les  funestes  guerres  privées 
désolaient  les  citoyens;  à  l'extérieur,  l'Empire  n'inspirait  plus  ni 
crainte  ni  respect.  "  Les  princes  et  seigneurs  font  de  nous  la  risée 
des  nations  étrangères  par  leurs  guerres  privées  et  leurs  démêlés 
incessants  -,  dit  un  chroniqueur  du  temps;  •  l'incendie  et  le  pillage 
dévastent  continuellement  le  pays  -.  Si  la  royauté,  autrefois  si  grande 
et  si  noble,  est  tombée  dans  une  telle  impuissance;  si  en  Italie  et  en 
Bourgogne  personne  ne  redoute  plus  ni  le  roi  des  Romains,  ni  le 
Saint-Empire  de  nation  germanique,  la  faute  en  est  aux  princes  ^  ' 
Un  poëte  franconien  fait  entendre  â  ce  sujet  des  plaintes  éloquentes: 

c  0  noble  royauté,  élue  entre  toutes!  0  toi  qui  étais  autrefois  si  fière 
et  donnais  l'honneur  et  la  gloire  à  notre  nation!  Maintenant  te  voilà 
déchue,  tu  gis  impuissante  dans  la  poussière,  et  ceux  qui  devaient  tepro- 

'  -  Les  taxes  et  impôts  des  pays  alleniauds  réunis  sont  tellement  diminués  et 
fondus  que  l'empire  n'en  retire  pas  plus  de  treize  raille  florins  par  an  -,  dit  le 
roi  Sigismond  dans  sa  lettre  circulaire  aux  états  (30janv.  14i2).  Fiancfurts  Reichscor- 
respondenz,  t.  I,  p.  242.  Yoy.  les  passages  cités  par  IIöfler,  König  fluprechr.  ^Repe- 
ritur  (in  Alemania)  aliquis  archiepiscopus  vel  epi.scopus,  qui  forte  in  duplo 
plus  habet  in  reditii)us,  quam  percipit  rex  Romanorura  in  omnibus  terris  sibi 
subjectis.  - 

-  Les  déprédations  et  pillages  exercés  par  les  princes  les  uns  contre  les  i 
autres  étaient  devenus  proverbiaux  même  à  l'étranger.  Charles  VI,  roi  de  France,  j 
commence  une  de  ses  ordonnances  par  ces  paroles  :  ■-  Les  nobles  de  l'empire 
ont  coutume  de  guerroyer  les  uns  contre  les  autres.  •  Voy.  Lindner,  Gcsch.  des 
deutschen  Reichs  vom  Ende  des  vierzehnten  Jahrhunderts,  t.  II,  p.  107.  —  Voy.  aussi 
Francfuri's  lieichscnrrcspondcnz,  note  I.  Le  roi  Sigismond  lui-même  fut  un  jour 
dépouillé  par  un  chevalier  brigand  entre  Ulmet  Ratisbonne  (1434;.  — Aschrach. 
Sigmund,  t.  IV,  p.  231. 

^Page  435. 


LÜTTE    J)i;S    l' Il  IN  CE  S    AVEC    LES    ÉTATS.  423 

l('{ï('r  s'adonnent  à  un  brigandnjje  honteux!  Les  princes  sont  les  voleurs, 
les  voleurs  de  ta  fjloire  !  Oh!  i)uisse  venir  hifmlrtt  nn  venpfeur  pour  le 
peuple  (ît  pour  la  royauté  '!  » 

Lorsque  Albert  II  de  Habsbonr^jmonlasin'  le  (rônc,  on  espéra, pen- 
dant un  court  espace  de  lemps,  qu'un  souverain  énerp^iquc  avait  enfin 
pris  en  main  le  pouvoir,  qu'il  rétablirait  la  paix  et  la  justice  à  l'inté- 
rieur, et  rappellerait  les  princes  et  les  autres  ambitieuses  petites  puis- 
sances au  sentiment  de  leurs  devoirs  envers  l'Empire  et  envers  le  bien 
public.  ••  .ie  ne  suis  pas  sans  quelque  espoir  »^  écrivait  Guillaume 
Becker  en  parlant  de  la  nouvelle  cour  (1439).  «  Albert  est  un  puissant 
seigneur,  expérimenlé  dans  les  choses  de  la  guerre,  d'une  activité 
infatigable  et  bien  pourvu  d'hommes  et  d'argent  -.  « 

On  disait  d'Albert  qu'aucun  souverain  d'Allemagne  n'avait  encore 
fait  concevoir  autant  d'espérances  au  début  de  son  règne  ^;  les  villes 
se  flattaient  qu'il  opposerait  une  résistance  efficace  "  aux  procédés 
indignes  et  déloyaux  des  princes  et  des  seigneurs  ".  «  Les  cités  se 
réjouissent  >>,  disent  les  échevins  de  Spire,  -^  d'avoir  un  souverain  de 
la  maison  d'Autriche*  ".  Les  députés  des  villes,  après  avoir  visité  la 
cour,  rapportaient  qu'Albert  avait  vraiment  le  caractère  allemand 
dans  le  plus  noble  sens  du  mot.  «  Et  il  est  très-bien  disposé  en  faveur 
des  villes  ",  ajouîaicnt-ils  ^  Tous  les  contemporains,  même  les  adver- 
saires de  l'Autriche,  s'accordaient  à  vanter  la  justice  et  la  mâle 
énergie  du  nouveau  souverain  ". 

Dans  les  plans  de  réforme  qu'Albert  présenta  aux  États  à  la  diète 
de  Nuremberg  touchant  la  restauration  de  la  paix  publique  et  la 
meilleure  administration  de  la  justice  (1438),  il  résume  les  points  sur 

'  CfiACELii  Carmen,  t.  III.  Pierre  d'Ailly  pouvait  dire  avec  raison  :  •  llodie  adeo 
depressa  est  imperialis  potestas,  ut  magis  honoretur  ac  vereatur  etiain  a 
maximo  usque  ad  minimum  aliquis  capitaneus  gentium  armigerorum  initalia, 
quam  imperator  vel  rex  Romanorum.  "  V.  d.  Hardt,  Magnum  consilium  Consiant., 
t.  I,  p.  322. 

-  Mémoire  du  2  février  1439.  —  OEuvres  posthumes  de  Bodm.vxx. 

'  Nemo  unquam  maiore  spe  ad  imperium  venit.  —  Ebendorffer  de  Haselb.vch, 
Pez,  Script,  rer.  /iuslr.,  t.  II,  p.  854. 

*  Voy.  Francfurts  Reichscorrespondenz,  t.  I,  p.  440,  n"  805. 

^  Voy.  Francfurts  Rcichscorrespondem^  t.  II,  p.  104,  n»  151. 

"  Albert  I"  et  Albert  II  appartiennent  tous  deux  au  petit  nombre  des  souve- 
rains expérimentés  dans  l'art  de  la  guerre  de  la  maison  de  Habsbourg.  «  In 
armis  promptus,  facere  quam  dicere  raalebat  •,  écrivait  à  propos  d'Albert 
.Lineas  Sylvius.  Voy.  Abhandlungen  der  hönigl.  böhmischen  Gesellschaft  der  Wissens- 
chaften, partie  5,  t.  I,  p.  116.  «  Cujus  anima  requiescat  in  sancta  pace,  quia  fuit 
bonus,  licet  teutonicus  audax  et  misericors  »,  lit-on  dans  la  Chronique  de  Bar- 
tossii,  publiée  par  Docnef..  Monuni.  Hist.  Boem.,  t.  I,  p.  204.  Le  conseil  d'Aix-la- 
Chapelle  déplore  la  mort  d'Albert  comme  étant  ■  chose  lamentable  et  cruelle  ^ 
pour  les  villes  impériales.  Ebrard  Windeck  nous  dit  :  -^  Et  ce  roi  fut  très- 
pleuré  des  noldes  et  des  bourgeois,  des  riches  et  des  pauvres;  nul  souve- 
rain depuis  la  naissance  du  Christ  n'a  été  aussi  regretté.  ••  Voy.  Francfurts 
Reichscorrespondenz,  t-  I,  p.  486. 


424     EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

lesquels  doit  porter  d'abord  la  réforme  politique.  Sans  se  préoccuper 
de  retendue  et  des  différences  intimes  des  domaines  particuliers,  il 
propose  que,  «  pour  le  maintien  de  la  paix  ",  tout  le  royaume  soit 
divisé  en  quatre  cercles,  et  que  chacun  de  ces  cercles  soit  administré 
par  des  gouverneurs  nommés  par  le  Roi.  «  Si  ces  plans  sont  exé- 
cutés '■,  disait  avec  raison  un  contemporain  sagace,  '=  la  puissance 
du  souverain  sera  extrêmement  fortifiée  par  ces  quatre  chefs  n'ayant 
h  obéir  qu'à  lui.  La  royauté,  appuyée  sur  de  nouvelles  bases,  ayant 
en  main  un  pouvoir  exécutif  assez  fort  pour  s'opposer  aux  rebelles 
et  appliquer  rigoureusement  les  châtiments,  pourra  enfin  remettre 
l'ordre  partout  où  règne  maintenant  la  confusion  ;  le  royaume  et  le 
peuple  retrouveront  la  considération  et  l'honneur  dont  ils  jouissaient 
autrefois,  et  l'Empereur  pourra  songera  rapportera  la  couronne  les 
domaines  qui  en  ont  été  séparés.  Or  ce  que  le  Roi  a  déclaré  être  sa 
volonté,  il  veut  très-fermement  le  mettre  à  exécution.  Je  lui  ai 
entendu  dire  que  s'il  pouvait  être  sûr  de  l'appui  des  villes  et  de  la 
noblesse,  il  saurait  bien  prouver  aux  princes,  et  au  besoin  par  les 
armes,  qu'il  doit  y  avoir  en  Allemagne  un  maître  souverain',  ü  Mais 
malheureusement  pour  l'Empire,  une  mort  prématurée  vint  ravir 
Albert  à  son  peuple  dès  la  seconde  année  de  son  règne. 

Frédéric  III  lui  succéda.  Son  règne  ne  dura  pas  moins  de  cin- 
quante ans  et  fut  également  fatal  à  la  puissance  impériale  et  à  la 
politique  extérieure  de  l'Empire.  "  Il  réfléchissait  toujours,  et  restait 
toujours  indécis.  »  Sous  son  gouvernement,  les  princes,  surtout 
après  la  victoire  remportée  par  eux  dans  leur  seconde  campagne 
contre  les  villes  (1450),  étendirent  toujours  davantage  leur  domi- 
nation, au  grand  détriment  du  pays.  Frédéric  ne  tenta  même  pas 
une  seule  fois  de  saisir  énergiquement  le  pouvoir  et  de  châtier 
«  les  contempteurs  de  son  honneur  et  de  son  nom  ",  "  la  race  des 
puissants,  indifférents  à  la  gloire  et  à  l'honneur  de  l'Empire,  et  ne 
songeant  qu'à  leur  propre  intérêt  ^  )'.  u  Ce  fut  un  empereur  inutile  ';, 
dit  tristement  l'auteur  de  la  chronique  de  Spire;  «  il  ne  sut  jamais 
réprimer  les  guerres  et  les  dissensions.  Il  resta  dans  son  pays,  et 
l'on  n'eut  d'autre  secours  de  lui  que  des  lettres  ^  »  Pendant  l'espace 
de  vingt-cinq  ans,  Frédéric  ne  parut  même  pas  une  fois  dans  son 
royaume'';  la  nation  avait  presque  oublié  qu'elle  avait  un  roi,  un 
défenseur,  un  juge  suprême.  Les  ennemis  déclarés  de  Frédéric  ne 
furent  pas  seuls  à  porter  atteinte  à  la  dignité  royale  ;  les  princes  qui  se 


1  p.  440,  note  3. 

*  Lettre  de  Guillaume  Becicer  de  Mayence,  9  avril   1458.  OEuvret  postkumei  de 

BODMANN. 

•^  MONE,  Quellensammliing  der  badischen  Landesgesch.,  t.  I,  p.  410-450. 

*  Fn.VNKLlX,  Rciehshofgericht,  t.  I,  p.  347. 


IMPORTANCK    DES    VILLES.  425 

tenaient  à  ses  où  lés  et  faisaient  semblant  d'rlre  lout  dévoués  à  ses 
in(éréls,  Uii  firent  souvent  tout  aulant  de  loiM  par  leurs  aelcs  de  vio- 
lence :  témoin  ce  margrave  Alberl-Acliille  de  llolienzollcrn,  aussi 
puissant  que  rusé,  loup  et  renard  à  la  lois,  qui  avait  coutume  de 
dire  «  que  Tincendle  est  rornement  de  la  fjuerre  comme  le  MdijnifiCMt 
est  le  couronnement  des  vêpres  »,  et  qu'en  lait  de  polllupie  II  lallail 
se  souvenir  «  quecelui  qui  est  sans  ver{jop, ne  ne  sera  jamais  humilié  '  «. 
Ces  deux  axiomes  résument  au  reste  admirablement  les  théories  poli- 
tiques et  militaires  des  princes  de  son  temps. 

IMPORTANCE    DES    VILLES. 

Si  les  villes  n'avaient  pu  réussir  à  entraver  le  développement  de  la 
puissance  des  princes;  si,  dans  la  constitution  de  l'Empire,  elles 
n'avaient  pu  faire  reconnaître  le  principe  de  l'indépendance  de  l'Etat 
comme  étant  au-dessus  de  l'ambition  des  princes,  elles  avaient  du  moins 
réussi  à  empêcher  que  le  morcellement  de  l'Empire  en  principautés 
et  domaines  particuliers  n'amenât  sa  dissolution  complète.  Elles  con- 
servèrent religieusement  le  sentiment  de  l'unité,  et  le  désir  de  voir 
les  divers  pays  allemands  former  un  tout  homogène  sous  un  souve- 
rain unique. 

Dans  l'état  féodal,  le  droit  public  est  entièrement  fondé  sur  un 
système  de  devoirs  et  de  charges  réciproques;  au  lieu  que  dans  les 
constitutions  des  villes,  le  principe  de  l'unité  se  trouve  sur  le  premier 
plan.  D'après  ce  principe,  le  droit  n'est  que  l'expression  de  la  libre 
conviction  des  membres  de  la  communauté,  et  tous  les  ressorts  de 
l'administration,  depuis  le  plus  grand  jusqu'au  plus  infime,  reposent 
sur  un  droit  librement  adopté  et  sur  la  libre  obéissance  des  citoyens 
à  des  chefs  élus  par  eux  ^ 

En  vertu  de  ce  principe,  les  grandes  villes  placèrent  peu  à  peu  toute 
leur  administration  entre  les  mains  d'assemblées  bourgeoises,  de 
bourgmestres  et  d'échevins  nommés  par  elles.  Aussi  longtemps  que  le 
sentiment  de  l'honneur  et  de  l'indépendance  demeura  vivant  et  actif 
en  elles,  le  but  le  plus  élevé  de  leurs  efforts  fut  le  maintien  et  la  défense 
de  leur  gouvernement  personnel  et  de  leurs  libres  délibérât  ions.  Durant 
cette  période  glorieuse,  les  villes  libres  furent  en  Allemagne  le  centre 
de  la  civilisation  et  du  commerce,  et  offrirent  au  pays,  dans  toutes 
les  branches  de  l'organisation  sociale,  l'idéal  d'un  bon  gouvernement. 
Leur  administration  bien  réglée,  leur  prospérité  solide  faisaient  dire 
avec  raison  à  Machiavel  ^  qu'elles  étaient  -  le  nerf  de  l'Allemagne  ». 

'  Voy.  IIOFLER,  Ludwig  von  Eyb.,  p.  74-77. 
*  Pour  plus  de  détails,  voy.  Bitzer,  p.  543. 
'  Operf,  IV.  p.  157. 


i-26     EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

Restées  ou  devenues  indépendantes  de  toute  puissance  princière  et 

nyant  acquis  p;ir  ellos-ménies  v.nc  part  de  souverainefé,  les  villes  impé- 
riales attciîjnirent  le  plus  haut  degré  de  riudépcndaucc  poliliquc. 

Leur  développement  fut  surtout  remarquable  dans  les  pays  où, 
depuis  la  dissolution  des  anciens  duchés,  nulle  famille  princière 
n'avait  pu  obtenir  la  primauté;  en  Souabe  et  dans  les  pays  rhénans, 
leur  nombre  s'élevait  à  plus  de  cent,  parmi  lesquelles  nous  citerons  : 
dans  le  Bas-Rhin,  Aix-la-Chapelle  et  Cologne;  dans  le  Rhin  central, 
Mayence,  Spire,  Worms  et  Francfort;  dans  le  Haut-Rhin,  Strasbourg, 
Colmar  et  Bâle;  dans  l  intérieur  delà  Suisse,  Berne  et  Zurich;  sur 
les  bords  du  lac  de  Constance,  Schaffhouse,  Constance,  Saint-Gall, 
Überlingen  et  Ravensbourg;  dans  la  haute  Souabe,  Kempten,  Kauf- 
beuren,  Memmingen,  Augsbourg,  Ulm  et  Rottweil;  dans  la  basse 
Souabe,  Reutlingen,  Weil,  Eisling,  Heilbronn,  Wimpfen,  Hall,  Nord- 
lingen,  Donauwörth  et  Bopfingen.  Bien  que  le  duché  de  Fraaconie 
eiît  été  dissous,  les  nombreuses  et  puissantes  principautés  ecclé- 
siastiques qui  s'y  étaient  établies  entravèrent  le  développement  de 
la  bourgeoisie  indépendante,  et  nous  n'y  trouvons,  en  dehors  de 
Nuremberg,  que  cinq  petites  cités  libres.  Le  même  fait  se  reproduit 
en  Westphalie,  où  nous  n'en  comptons  que  deux  :  Dortmund  et 
Herford.  En  Bavière,  où  l'ancienne  famille  ducale  était  restée  en 
possession  d'un  territoire  assez  important,  Ratisboune  était  la  seule 
ville  impériale.  Dans  les  trois  États  sépares  du  Brandebourg,  de 
l'Autriche  et  de  la  Bohême,  il  n'en  existait  point.  Nommons  encore 
quelques  villes  situées  dans  d'autres  régions  :  en  basse  Saxe,  Lübeck, 
Brème,  Hambourg  et  Goslar.  Eu  Thuringe,  Erfurt,  Mulhouse  et 
Nordhausen;  dans  les  Pays-Bas,  Cambrai,  Deventer,  Nimègue  et 
Groningen;  en  Lorraine,  Metz,  Toul  et  Verdun. 

Les  villes  avaient  fourni  elles-mêmes  tous  les  cléments  de  leur 
constitution;  il  en  résultait  que  chacune  avait  ses  institutions  propres 
et  ses  formes  particulières  de  jurisprudence.  Les  organes  de  leurs 
libertés,  quoique  partout  les  mêmes  dans  les  points  essentiels, 
variaient  beaucoup  dans  les  détails,  et  nous  offrent  une  riche  variété 
de  formes.  Les  constitutions  de  nos  cités  libres  sont  souvent  de  véri- 
tables chefs-d'œuvre,  aussi  dignes  d'admiration  que  les  dômes  élevés 
à  l'intérieur  de  leurs  murailles. 

Aux  douzième  et  treizième  siècles,  le  gouvernement  municipal  était 
exclusivement  réservé  aux  patriciens;  mais  dès  le  commencement  du 
quatorzième  siècle,  nous  voyons  les  corporations  prendre  part  au 
conseil,  aux  charges  de  la  cité.  Dans  quelques  villes,  ce  résultat  fut 
obtenu  par  le  tranquille  développement  des  choses;  mais  d'autres 
n'y  arrivèrent  qu'après  de  rudes  et  sanglantes  luttes  intérieures. 
Enfin  patriciens  et  artisans  s'unirent  pour  former  une  seule  et  même 


IMl'üUTANCh    DES    VI  1,1, 11  S.  427 

l»()iir(;eoi.sic,  et  In  constitution  rivilo  reçut  ainsi  son  couronnement 
ii.ilnrrl.  lui  i)('auc()U|>  de  villes,  comme  â  Ulm,  Frandorl  et  .Xurem- 
Ikm-j';,  les  nobles  conservèrent  sur  les  corporations  une  certaine 
jirééminencc,  mais  clans  la  plupart  on  vit  s'orjjaniser  ce  qu'on  appela 
le  ffouvernemeut  corporatif,  sur  lequel  toute  la  Constitution  civile 
vint  s'appuyer.  Les  bourjyeois,  ceux  mêmes  qui  ne  s'occupaient  pas 
d'industrie,  durent  entrer  dans  les  cadres  des  corporations  existantes, 
et  les  patriciens  se  virent  forcés  de  faire  de  même,  ou  de  former 
(litre  eux  des  associations  analo^jues. 

Avant  comme  après  la  victoire  des  corporations,  le  conseil,  même 
dans  les  villes  où  la  bour(jeoisie  prenait  part  à  l'élection  des  éclievins, 
resta  au-dessus  de  la  commune,  et  ne  fut  jamais  assujetti  à  ses 
volontés.  Ordinairement  le  conseil  exerçait  le  droit  de  se  recruter  en 
élisant  les  bourgeois  qu'il  jugeait  capables  de  remplir  les  fonctions 
d'éclievin;  souvent  aussi  il  choisissait  ses  élus  parmi  ceux  qui  lui 
étaient  présentés. 

Ce  n'étaient  que  dans  des  cas  exceptionnels,  comme  par  exemple 
lorsqu'il  s'agissait  de  faire  une  loi  ou  de  prélever  un  impôt,  que, 
dans  quelques  villes,  les  bourgeois  réunis  prenaient  directement 
part  aux  délibérations.  En  dehors  de  ces  circonstances  graves,  l'acti- 
vité du  conseil  suffisait  à  tout,  embrassant  tout  ce  qui  avait  rapport 
à  la  sécurité,  à  l'ordre,  à  la  discipline,  ä  l'honneur,  à  la  prospérité, 
à  l'épanouissemeul  et  à  l'accroissement  de  la  cité.  Les  affaires  étaient 
expédiées  tantôt  dans  des  assemblées  générales,  tantôt  par  des  com- 
missions particulières,  chargées  des  diverses  branches  de  l'adminis- 
tration. Pour  t<  l'honneur,  l'utilité  et  ie  profit  de  la  ville  >',une  stricte 
surveillance  était  exercée  sur  le  commerce  et  les  échanges,  ainsi  que 
sur  la  vente  des  denrées  alimentaires.  Le  conseil  était  chargé  de 
l'inspection  des  bâtiments,  de  la  police  des  étrangers,  et  souvent 
édictait  des  lois  somptuaires.  Les  questions  économiques  constituaient 
une  partie  importante  de  sa  tâche.  Il  déterminait  le  taux  des  contri- 
butions indirectes  imposées  sur  les  céréales,  la  viande,  la  bière,  ie 
vin,  etc.,  et,  à  partir  du  quinzième  siècle,  les  impôts  sur  le  capital 
et  le  revenu.  Il  appliquait  le  produit  des  taxes  aux  besoins  immédiats 
de  la  ville,  les  faisant  servir  soit  à  l'entretien  des  forteresses,  des 
édifices  publics,  des  ponts,  passerelles  et  chemins,  soit  à  couvrir  les 
impôts  d'empire,  à  payer  les  troupes  enrôlées  ou  les  frais  occasionnés 
par  les  guerres  privées  et  les  expéditions  à  main  armée.  Il  donnait 
une  attention  spéciale  au  système  militaire  ',  et,  après  la  découverte 
de  la  poudre  à  canon,  sut  tirer  parti,  dans  l'intérêt  des  villes,  de 
tout  l'ancien  appareil  de  guerre.  Les  arsenaux  furent  abondamment 

'  Voy.  MOJEAN,  Städtische  Kriegseinrichltingen  im  14  et  15  Jahrh.  im  Programm  des 
Gymnasiums  zu  Stralsund,  1876. 


4-2S     EMPIRE    ROMAIN    (iERMANIOTE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

])ourvii^  d'eiigiiis  de  tous  genres;  les  forteresses,  préparées  à  sou- 
tenir le  feu  de  l'artillerie;  les  moulins  à  poudre,  multipliés;  les  fon- 
deries de  canon,  établies.  Daus  les  guerres  de  l'Empire,  la  disposition 
de  l'artillerie  fut  pendant  fort  longtemps  confiée  exclusivement 
aux  conseils  urliains  '-.  Aux  jours  libres  et  fériés,  et  les  autres  jours 
après  le  travail  ",  les  exercices  militaires  faisnient  partie  des  occupa- 
tions favorites  des  bourgeois.  Même  après  que  la  levée  de  troupes 
soldées  fut  passée  en  usage,  les  bourgeois,  en  cas  de  nécessité, 
entraient  d'eux-mêmes  en  campagne  et  venaient  se  ranger  sous  la 
bannière  de  la  ville,  portée  en  grande  pompe  et  considérée  comme 
un  svmbole  sacré.  ■■  Celui  qui  l'abandonnait  pendant  le  combat  était 
regardé  comme  un  lâche  '.  •■ 

■Mais  l'esprit  de  la  bourgeoisie  n'exerçait  pas  seulement  son 
influence  dans  les  cités  impériales;  il  avait  aussi  une  grande  action 
dans  les  villes,  souvent  tout  aussi  fortes  et  importantes,  placées  sous 
la  juridiction  de  princes  laïques  et  ecclésiastiques.  Citons  particuliè- 
rement les  villes  épiscopales  de  Magdebourg,  Halberstadt,  Hildesheim, 
Osnabrück,  Minden,  Paderborn,  Munster,  Soest,  Trêves,  Coblentz, 
Passau,  Freising,  Wurtzbourg  et  Bamberg.  Dans  les  domaines 
de  l'ordre  Teutonique,  Danzig,  Königsberg,  Elbing  et  Thorn. 
Viennent  ensuite,  en  Poméranie  :  Greifswalde  et  Stralsund;  dans  le 
Mecklembourg,  Rostock  et  Wismar.  En  Brandebourg,  Berlin,  Bran- 
debourg et  Francfort-sur-l'Oder.  Dans  le  Brunswick  lunébourgeois, 
Lunébonrg,  Brunswick,  Göttingue  et  Hanovre.  En  Saxe,  Dresde  et 
Meissen,'lhürgau  et  Wittembcrg.  Dans  !a  Hesse,  Marbourg  et  Cassel. 
En  Bavière,  Munich,  Ingolstadt,  Landshut  et  Xeubourg.  En  Autriche, 
Vienne,  Gratz,  Klagenfurt,  Brixen  et  Insprïick.  Ces  villes  possédaient, 
comme  les  villes  impériales,  un  grand  nombre  d'associations  et  d'insti- 
tutions répondant  admirablemmeut  aux  buts  et  aux  besoins  les  plus 
variés  de  la  vie  sociale.  Elles  jouèrent  un  rôle  politique  important, 
surtout  dans  la  question  de  la  constitution  des  états  provinciaux. 

CONSTITUTIONS    DES    ÉTATS    PROVINCIAUX. 

Les  constitutions  des  états  provinciaux,  basées  comme  celles  des 
villes  sur  le  principe  de  l'unité,  eurent  presque  toujours  pour  origine 
les  associations  formées  par  les  villes,  la  noblesse  et  les  prélats  pour  la 
défense  de  leurs  droits  communs  contre  les  princes  souverains.  Jusqu'à 

'  Lettres  de  Pierre  de  Froissard,  19.  Le  Français  voit  dans  ce  fait  -  le  témoi- 
gnage suprême  de  l'honneur  allemand  •.  Vettori  dit  dans  son  l'iaggio,  p.  110  : 
«  É  coia  da  considerare  in  Alamagia.  che  in  ogni  minima  villa  v'c  l'ordine  ed  il 
luogo,  dove  gli  uomini  si  ridicuno  le  feste,  chi  a  tirare  colla  balestra,  chi  collo 
schiopetto,  e  cosi  si  assuefanno;  e  quesf  ordine  non  si  preterisa,  ed  in  ogni 
terra  e  villa,  dove  io  fui,  lo  trovai.  • 


CONSTITUTIONS    DES    KT  AT  S    P  I!  O  VI  N  C  I A  U  X.  i29 

la  fin  du  moyen  âge,  ces  conslitutions  surent  garantir  au  peuple  et 
à  la  bourgeoisie  une  liberlé  si  (Mcnfluc  qu'on  peut  à  peine  en  trouver 
l'équivalent  soit  clans  les  r(''publi(iues  de  Taiiliquité,  soit  dans  les 
temps  modernes.  Grâce  à  elles,  les  i)rinces  souverains  de  cetle 
époque  ne  possédaient  aucun  de  ces  droits  plus  tard  désignés  sous  le 
nom  de  droits  régaliens,  aucun  de  ces  codes  qui  parvinrent  dans  la 
suite  à  se  substituer  arbitrairement  aux  droits  anciens  légitimement 
acquis.  Les  princes  n'avaient  nulle  influence  dans  les  choses  de  la 
justice,  point  de  droit  d'impôt,  point  d'arbitraire  domination  déguisée 
sous  le  nom  de  haute  j)olice;  nul  })ouvoir  de  contraindre  l'individu 
à  s'enrôler,  et  la  décision  de  la  guerre  ou  de  la  paix  n'avait  pas  encore 
été  remise  entre  les  mains  d'un  seul. 

Ceux  (jui  possédaient  de  grandes  propriétés  dans  le  pays  furent 
tous  peu  à  peu  autorisés  à  prendre  rang  dans  les  assemblées  des 
états  provinciaux.  Le  corps  des  prélats,  le  corps  des  chevaliers 
et  des  seigneurs,  les  députés  des  villes  en  firent  tout  naturellement 
partie.  Dans  quelques  contrées,  dans  la  Frise  occidentale  et  le 
Tyrol,  par  exemple,  les  paysans  indépendants  avaient  aussi  droit 
d'y  siéger  et  d'y  voter.  Le  premier  corps  était  partout  formé  par 
les  prélats,  l'évèque,  les  chefs  de  communauté  et  les  abbés.  Dans 
les  possessions  ecclésiastiques,  les  chanoines  avaient  droit  de  pré- 
séance. Si  les  états,  tels  qu'ils  étaient  alors  organisés,  ne  formaient 
pas  encore  une  représentation  nationale  complète,  ils  avaient  cepen- 
dant à  statuer  sur  tous  les  intérêts  de  la  province,  et  s'intitu- 
laient quelquefois  eux-mêmes  la  «  Corporation  représentative  du 
pays».. 

Ordinairement,  le  prince,  à  son  avènement,  confirmait  par  un  acte 
authentique  le  droit  traditionnel  et  le  droit  écrit;  il  jurait  ensuite  de 
s'y  conformer,  et  c'était  généralement  après  la  communication  de  la 
lettre  de  franchise  qu'avait  lieu  la  prestation  de  fidélité.  Ainsi,  eu 
15ÜG,  nous  voyons  le  duc  de  Bavière,  Albert  IV,  ordonner  que  tout 
fils  de  prince  ou  héritier  d'un  domaine,  avant  même  de  recevoir  le 
serment  d'hommage,  commence  par  confirmer  «  de  bonne  grâce, 
aux  fidèles  députés  des  États,  aux  prélats,  aux  nobles,  aux  délégués 
des  villes,  leurs  libertés,  anciens  usages  et  louables  coutumes,  et 
cela  sans  nul  délai  *  '.  L'assurance  formelle  que  -  le  pays  et  cliacun 
de  ses  habitants  seraient  laissés  en  possession  de  ses  droits  et  cou- 
tumes ",  était  une  garantie  préventive  laissée  au  pays,  dans  le  cas  on 
sans  .=  l'avis,  la  connaissance  et  la  volonté  des  états  ••,  les  princes 
eussent  voulu  exercer  un  pouvoir  législatif  arbitraire. 

Il  n'était  pas  rare  qu'avant  la  prestation  de  fidélité,  les  états  for- 

'  Voy.  ces  passages  dans  IJngkr,  t.  îl,  p.  432-443. 

-  KRK\.NEr,,  Baicrischc  LandUifishandlungen,   t.  XV,  p.  373. 


430    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

massent  une  sorte  de  ligue,  afin  d'être  en  mesure  de  résister  au  prince 
au  cas  où  il  eût  refusé  de  reconnaître  leurs  libertés,  ou  de  tenir 
ses  promesses.  Assez  souveul  ils  prenaient  rengagement  de  s'aider 
mutuellement  <;  pour  le  maintien  et  la  défense  de  leurs  libertés  » 
contre  quiconque  voudrait  y  attenter,  sans  en  excepter  les  princes 
souverains.  Au  reste,  les  princes,  comme  nous  le  voyons  dans  beau- 
coup de  documents  de  cette  époque,  reconnaissaient  expressément 
aux  états  le  droit  de  leur  refuser  obéissance  et  de  se  servir  de  la 
résistance  à  main  armée.  '■  Si,  ce  qu'à  Dieu  ne  plaise  ",  déclare  le 
duc  Frédéric  de  Brunswick-Lunebourg  en  1471,  "  nos  prélats,  nos 
sujets  ctbourgeois, étaient,  soiten  général,  soiten  particulier,  atteints 
dans  leurs  droits  ou  déçus  dans  la  parole  qu'on  leur  a  loyalement 
donnée,  nous  les  autorisons  à  maintenir  leurs  privilèges,  et  à  se 
défendre,  ou  réunis  ou  individuellement,  contre  nous,  nos  héritiers 
et  descendants,  jusqu'à  ce  qu'on  leur  ait  fait  justice  sans  délai  ni 
restriction  '.  • 

En  beaucoup  de  domaines,  les  états  avaient  institué  des  tribunaux 
chargés  d'accommoder  les  différends  qui  pouvaient  survenir  entre 
les  princes  souverains  et  eux;  ces  tribunaux  s'efforçaient  d'apaiser 
les  querelles  «  à  l'amiable  ■■  ;  lorsqu'ils  n'y  pouvaient  réussir,  ils 
«  tranchaient  juridiquement  la  question  '.  Les  états  étaient  con- 
stitués au-dessus  du  prince  et  pouvaient  le  juger,  de  même  que, 
selon  l'ancien  droit  allemand,  un  tribunal  de  princes  était  étabU 
au-dessus  du  Roi  et  pouvait  le  faire  comparaître  devant  lui  s'il  venait 
à  violer  son  serment  et  à  compromettre  les  hberiés  du  royaume.  Si  le 
prince  ne  se  soumettait  pas  au  jugement  prononcé  contre  lui,  ses 
sujets  avaient  droit  d'en  venir  à  une  résistance  armée;  mais  géné- 
ralement il  codait,  car  il  n'avait  pas  en  main  un  pouvoir  suffisant, 
point  d'armée  permanente,  pour  venir  à  bout  de  ceux  qui  s'oppo- 
saient à  lui;  la  noblesse  avai?  les  armes,  les  prélats  et  les  villes, 
l'argent. 

Des  tribunaux  établis  par  les  états  veillaient  à  éloigner  du  prince 
les  conseillers  capables  de  lui  nuire  et  de  mal  l'influencer.  Dans  la 
plupart  des  domaines  princiers,  les  états  avaient  obtenu  que  les  con- 
seillers du  prince  ne  dépendissent  pas  de  lui,  mais  formassent  une 
sorte  de  comité  relevant  d'eux  et  servant  d'intermédiaire  entre  les 
bourgeois  et  le  gouvernement.  Tantôt  ce  comité  agissait  au  nom  des 
états,  tantôt  il  en  réclamait  la  convocation,  tantôt  il  les  convoquait 
de  sa  propre  autorité. 

Généralement,  la  convocation  des  états  émanait  du  prince  souvc- 


'  .Iacodi,  F,iineburg,   Landlagsahschiede,   t.    I,   p.   73.  —  Vov.   ÜNGEn,  t.   II.  p.  251- 
•254. 


CONSTITUTIONS    DES    KTATS    P  H  O  VINCIAUX.  i.U 

rain,  qui  assistait  personnellement  aux  assemblées  et  très-frcquem- 
ment  traitait  les  affaires  clc  concert  avec  eux. 

Les  états  lormaient  dans  tous  les  pays  un  corps  homogène,  bien  que 
leur  mode  de  délibération  ne  fïit  pas  le  même  partout.  Dans  quelques 
principaulés,  le  clerfyé,  la  noblesse  et  les  députés  des  villes  consti- 
tuaient une  seule  assemblée;  dans  d'autres,  chaque  corps  formait 
une  curie  à  pari,  ayant  sa  voix  particulière.  Les  décisions  étaient 
généralement  adoptées  dès  qu'elles  avaient  obtenu  la  majorité  des 
voix,  mais  souvent  aussi  elles  ne  passaient  que  lorsque  les  trois  corps 
en  étaient  arrivés  à  une  parfaite  entente.  Assez  fréquemment  on 
instituait  des  commissions  chargées  de  veiller  à  l'exécution  des  réso- 
lutions adoptées,  et  surtout  à  surveiller  le  bon  emploi  des  impôts 
consentis  par  les  députés  et  accordés  au  souverain. 

Le  droit  d'accorder  ou  de  refuser  les  impôts  irisait  partie  des 
plus  hautes  prérogatives  des  états;  nul  prince  ne  pouvait  lever  un 
impôt  de  sa  propre  autorité.  Le  consentement  des  états  au  prélè- 
vement d'une  nouvelle  taxe,  de  quelque  genre  qu'elle  fût,  n'était 
nullement  «  chose  obligatoire  ",  mais  devait  être  accordé  de  ^  bonne 
volonté  ",  et  seulement  pour  un  temps  et  un  but  déterminés.  S'il 
arrivait  que  le  souverain  réclamât  un  impôt  extraordinairement  oné- 
reux, les  états  étaient  légalement  autorisés  à  résistera  main  armée'. 
Plus  la  maison  des  princes  devint  considérable,  plus  les  petits  sou- 
verains accrurent  leurs  dépenses  et  leur  luxe,  plus  aussi  les  récla- 
mations devinrent  fréquentes,  plus  grandirent  les  exigences;  mais 
les  droits  des  états,  quant  à  l'administration  et  à  l'application  des 
revenus,  avaient  grandi  en  proportion.  En  Bavière,  en  1463,  on  voit 
qu'ils  sont  chargés  de  veiller  à  la  juste  répartition  des  impôts  :  «  Le 
recouvrement  des  subsides  consentis  »,  porte  la  lettre  de  franchise 
des  ducs  Jean  et  Sigismond,  ■  sera  confié  à  ceux  qui  auront  été 
choisis  à  cet  effet  par  les  étals.  Ensuüe,  nos  conseillers  entendus, 
avis  pris  desdépulés  des  élats,  ils  seront  distribués  et  employés  pour 
les  besoins,  profits  et  utilité  des  princes,  du  pays  et  de  ses  habi- 
tants-. »  Pour  empêcher  que  les  petits  souverains  n'amenassent  dans 
le  pays  la  dépréciation  des  monnaies,  les  élats  prenaient  fréquem- 
ment en  main  toute  l'administration  monétaire. 

Pluslesprinces  souverains,  de  plus  en  plus  avides  d'argent,  eurent 
besoin  «du  bon  vouloir  des  états  »,  plus  ceux-ci,  fortifiant  leur  pouvoir, 
se  mirent  en  mesure  de  leur  résister.  A  propos  du  vote  des  impôts, 
ils  conquirent  même  des  droits  de  la  plus  grande  importance  :  il  fut 
interdit  au  prince  de  bâtir  sans  leur  autorisa  lion  des  donjons  ou  des 

'  Voy.  Falke,  SlcucrbeicilUgungen,  in  der  Zeilschrijl fur  die  gcsammte  Slaalswisscns- 
chii/i,  l.  XXX,  p.  402.  —  Falke,  p.  410 
-  Voy.  Ungek,  t.  îï,  p.  425-426. 


432    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

forteresses;  de  contracter  des  alliances,  d'cntre}3rendre  une  guerre, 
de  signer  des  traités  ou  de  conclure  la  paix  de  leur  autorité  privée. 
Si  dans  de  telles  circonstances  les  états  n'avaient  pas  été  consultés,  ils 
refusaient  les  impôts.  Dans  beaucoup  de  cas  ils  servaient  d'arbitres, 
et  jugeaient  en  dernier  ressort  les  différends  survenus  entre  leur 
prince  et  les  souverains  voisins.  Ils  exerçaient  le  même  office  dans 
les  affaires  intérieures  du  pays,  lorsque  surgissaient  quelques  doutes 
sur  la  succession  au  trône,  la  tutelle  de  princes  mineurs,  ou  l'héritage 
de  maisons  alliées.  Sans  leur  consentement,  aucun  morcellement  de 
pays  n'était  toléré,  et  nulle  portion  de  territoire  ne  pouvait  être 
aliénée  ni  hypolliéquée'. 

En  un  mot,  les  droits  des  états  vis-à-vis  desprinces  souverains  étaient 
d'une  telle  étendue  que  le  Français  Pierre  de  Froissard  pouvait  dire  à 
bon  droit  à  ce  sujet  :  «  Les  princes  qui  ont  amené  l'Empereur  sous 
leur  dépendance  et  n'ont  voulu  lui  reconnaître  que  certaines  préroga- 
tives, dépendent  maintenant  à  leur  tour  du  bon  plaisir  des  états-  ". 

LE   DROIT    GERMANIQUE   ET    SES    RAPPORTS    AVEC    l'ÉTAT. 

Les  restrictions  constitutionnelles  apportées  par  les  états  à  l'exer- 
cice du  pouvoir  souverain  faisaient  partie  des  garanties  offertes 
aux  citoyens  par  la  loi  germanique  pour  la  défense  légitime  de  leurs 
droits  contre  toute  entreprise  arbitraire.  Ces  restrictions  se  ratta- 
chent étroitement  aux  théories  de  notre  ancienne  législation  tou- 
chant l'essence  du  droit,  la  liberté,  Thouneur,  et  l'attitude  que  la 
justice  doit  garder  vis-à-vis  du  pouvoir. 

Supposant  avant  tout  un  ordre  de  choses  supérieur  et  surnaturel, 
la  loi  germanique  envisage  le  droit  comme  découlant  de  Dieu  même, 
et  veut  que  tout  acte  public  ou  juridique  ait  en  vue  la  dépendance 
où  les  hommes  doivent  être  de  Dieu. 

A  son  point  de  vue,  le  droit  n'est  pas  seulement  une  règle  établie 
par  les  hommes  pour  leur  propre  avantage;  c'est  une  manifestation 
de  la  volonté  de  Dieu,  c'est  une  disposition  divine,  ayant  sa  source 
en  Dieu  même,  comme  la  loi  morale. 

Aussi  le  Miroir  saxon  commence-t-il  l'exposition  de  la  théorie  du 
droit  par  rappeler  l'ordre  divin  établi  dès  le  commencement  dans 
le  monde  :  «  Dieu  lui-même  est  le  droit  -,  dit-il  expressément,  «  et 
voilà  pourquoi  le  droit  lui  est  cher.  >!  Et  la  glose  ajoute  :  »  Le  droit 
est  un  éternel  mandat  de  Dieu.  »  «  Le  droit  »,  dit-elle  encore  eu  un 
autre  endroit,  «  tire  son  origine  de  la  nature  ou  de  la  coutume.  » 
"  Le  droit  naturel  peut  s'appeler  aussi  droit  divin,  puisque  c'est 

'  Pour  plus  de  détails,  voy.  Ungeu,  t.  II,  p.  331-360. 
2  Lettre  XVII. 


DROIT    (;ERMAM0UE.  433 

celui  que  Dieu  a  donné  à  toute  créature.  >  Tous  les  droits  <=  découlent 
du  droit  naturel,  lequel  doit  être  mis  au-dessus  de  toute  loi,  de 
toute  coulume  > .  ;  L'nc  loi  élablie  par  les  hommes  peut  bien  en 
annuler  une  autre,  mais  jamais  détruire  un  droit  naturel.  =) 

L'ordre  légal,  fondé  sur  la  révélation  divine  et  sur  la  loi  morale, 
cnpjCndre  les  droits  privés,  qui  servent  à  l'appliquer  dans  la  pratique, 
et  lui  empruntent  leur  forme  et  leur  substance;  non-seulement  les 
droits  privés  sont  sanctionnés  par  Dieu,  mais  ils  constituent  en  quelque 
sorte  un  dépôt  confié  par  sa  providence,  et  les  hommes  sont  respon- 
sables devant  lui  de  l'usa^je  qu'ils  en  font  pour  son  service.  Ces  droits, 
par  conséciuent,  ne  peuvent  être  lésés  arbitrairement  par  personne 
sans  qu'il  en  résulte  une  offense  faite  à  Dieu  même.  Tout  droit  légi- 
time, c'est-à-dire  acquis  par  des  moyens  moraux,  est  donc  considéré 
comme  inviolable,  soit  qu'il  regarde  l'individu,  soit  qu'il  se  rapporte 
au  pouvoir  public,  parce  que  l'État  doit  être  assujetti  au  droit  aussi 
bien  que  l'homme  privé,  et  ne  doit  jamais  se  croire  au-dessus  de 
lui.  L'ordre  moral,  d'où  naissent  les  droits  légitimes  des  individus 
et  qui  leur  prête  leur  caractère  d'inviolabilité,  n'a  pas  été  créé  par 
l'État,  il  est  plus  ancien  que  lui,  puisqu'il  remonte  à  l'origine  des 
choses.  L'État  n'a  d'autre  mission  que  de  l'appliquer;  il  n'est  que 
l'organe  de  la  justice;  sa  charge  la  plus  haute,  pour  ne  pas  dire 
unique,  consiste  -  à  fortifier  le  droit,  à  affaiblir  le  tort  ■'.  —  Aussi 
l'Empereur,  représentant  suprême  du  pouvoir,  était-il  appelé  •■  le  pro- 
tecteur souverain  du  droit,  le  juge  suprême  de  l'empire  -.  Pendant  la 
cérémonie  de  sou  couronnement,  le  peuple  suppliait  Dieu  de  lui  com- 
muniquer sa  sagesse,  afin  qu'il  dirigeât  le  peuple  dans  les  sentiers  de 
l'équité.  "  L'Empereur  ne  s'appelle  empereur  -,  dit  Mathieu  de  Vienne, 
«  que  parce  qu'il  doit  trouver  {kiesen}  le  droit  et  châtier  énergique- 
ment  ce  qui  est  inique.  Son  cœur  doit  être  enflammé  de  zèle  pour  le 
droit.  "  Lorsque  après  la  mort  d'un  empereur  ou  disait  de  lui  qu'il 
avait  été  ••  un  sévère  ami  du  droit,  un  juge  intègre  •^,  on  lui  avait 
décerné  le  plus  bel  éloge  qu'il  pût  ambitionner. 

Le  pouvoir  public  en  protégeant  les  droits  légitimes  assurait  la 
liberté  des  citoyens,  car  cette  protection,  selon  la  loi  germanique, 
c'était  la  liberté  elle-même. 

La  liberté,  disait-elle,  n'est  autre  chose  que  la  faculté  laissée  à 
l'homme  de  diriger  sa  vie  d'après  les  préceptes  de  la  révélation 
divine  et  selon  les  lois  de  la  morale.  L'État  n'a  d'autre  mission 
que  d'aider  l'individu  à  atteindre  la  fin  particulière  de  son  être.  Le 
droit  protégé  par  l'État  n'est  destiné  qu'à  garantir  à  chacun  la  possi- 
bilité de  remplir  ici-bas  le  but  moral  pour  lequel  il  a  été  créé. 

Mais  comme  ce  but  moral  varie  selon  les  diverses  vocations  des 
hommes,   la  liberté  veut  que  chaque  état  ait  un  droit  correspon- 

28 


434      EMPIRE    ROMAIN    GERMANIOUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

dant  à  sa  mission  spéciale  îci-bas.  Selon  la  loi  germanique,  l'égalité 
des  di'oits  ne  consiste  nullement  à  ce  que  les  mêmes  avantages 
soient  assurés  à  chacun,  mais  à  ce  que  chacun  soi(  protégé  confor- 
mément à  sa  situation,  à  son  état;  non  à  ce  que  tous  soient  auto- 
risés à  faire  ce  c{ui  est  permis  à  quelques-  uns,  mais  à  ce  que  personne 
ne  soit  empêché  de  iaire  ce  que  la  loi  morale  lui  indique  comme 
faisant  partie  de  ses  devoirs  particuliers.  11  en  résulte  que  les  principes 
moraux  doivent  restreindre  et  modifier  les  droits  privés,  et  que  la 
liberté  ne  reçoit  aucune  atteinte  lorsque  des  actes  d'une  évidente 
immoralité  sont  entravés  ou  interdits  par  la  loi  K 

Dans  le  dévouement  désintéressé  apporté  par  l'individu  à  l'accom- 
plissement de  son  devoir  particulier,  réside  son  honneur.  Hon- 
neur et  fidélité  étaient  autrefois  des  termes  qui,  en  dehors  de  leur 
sens  moral,  avaient  une  haute  signification  juridique.  "  Presque 
tout  honneur  ^  dit  la  glose  du  Miroir  saxon,  .;  dérive  de  la  fidélité 
et  de  la  foi.  Or,  on  peut  être  fidèle  pour  trois  causes  différentes  : 
premièrement,  lorsqu'il  s'agit  de  tenir  un  serment  ou  de  reconnaître 
un  bienfait  reçu,  et  c'est  la  fidélité  que  tout  homme  lige  doit  à  son 
seigneur  et  tout  seigneur  à  son  subordonné  -.  La  seconde  fidélité  se 
doit  aux  liens  naturels  ou  de  parenté,  et  s'appelle  aussi  fidélité  natu- 
relle, parce  qu'elle  dérive  du  droit  naturel.  La  troisième  fidélité, 
enfin,  doit  se  témoigner  à  ce  qui  est  en  soi-même  juste  et  nécessaire; 
c'est  celle  que  nous  pratiquons  lorsque  nous  défendons  avec  énergie 
tout  ce  qui  est  conforme  au  droit  et  à  la  justice,  et  il  ne  saurait  y 
avoir  rien  de  plus  louable  que  de  garder  inviolablement  les  droits  les 
plus  sacrés  de  l'homme,  en  s'efforçant  de  les  mettre  à  l'abri  de  toute 
attaque  perverse.  L'honneur,  qui  a  pour  origine  la  fidélité  au  devoir 
et  à  la  justice,  est  un  bien  beaucoup  plus  précieux  que  la  liberté. 
C'est  le  plus  riche  trésor  de  l'homme,  le  seul  qu'on  ne  puisse  lui  ravir; 
aussi,  pour  le  conserver,  doit-il  être  prêt  à  sacrifier  à  chaque  instant 
non-seulement  sa  fortune  et  ses  biens,  mais  encore  son  sang  et  sa  ^ 
vie;  car,  ajoute  la  glose,  un  bien  sans  honneur  ne  peut  plus  être 
regardé  comme  un  bien,  et  c'est  avec  justice  que  le  droit  considère 
comme  sans  vie  un  corps  qui  est  privé  d'honneur.  » 

Celui  qui  perd  son  honneur  perd  en  même  temps  son  droit,  car 
le  droit  a  été  confié  à  l'homme  comme  un  fief  ou  comme  une  charge, 
destinée  à  lui  faire  atteindre  une  fin  élevée  ;  or  il  est  impossible  de 
supposer  que  l'homme  sans  honneur  fasse  usage  de  ses  droits  dans 
le  dessein  de  parvenir  à  sa  fin  divine.  Il  ne  possède  donc  plus  de 
droits  dès  l'instant  qu'il  n'a  plus  d'honneur,  et  lorsqu'il  fait  partie 
d'une  société  quelconque,  communale,  féodale  ou  industrielle,  il  lui 

'  Voy.  Schmidt,  p.  124,  f.  170. 

^  Glose  du  Sachsenspiegel,  t.  III,  p.   78.  —  Voy.  SCUMIDT,  p.  170-180. 


ÜUülT    f:i;U.MA.\IOUE.  435 

faut  renoncei'  à  tous  ceux  qui  lui  avaient  été  concédés  lors  de  son 
admission.  -  Les  gens  d'iioniieui'  ;,  les  véritables  ^i  honnêtes  gens  » 
sont  seuls  établis  d'après  la  lui  germanique  '^  dans  la  plénitude  de 
leurs  droits  ». 

Comme  riiouueur  et  les  droils  du  citoyen  sont  au-dessus  de  tous 
les  biens,  celui  qui  a  été  ofleasé  dans  son  honneur  ou  lésé  dans  ses 
droits  estnon-seuleracnt  autorisé,  mais  moralement  tenu  à  demander 
réparation  de  l'injure  qui  lui  a  été  faite;  sa  réputation  serait  souillée 
s'il  acceptait  tranquillement  un  pareil  outrage,  ou  négligeait  de  se 
disculper  d'un  reproche  injuste.  L'honneur  veut  qu'il  ne  tolère  aucune 
hijustice,  et  qu'au  besoin  il  expose  ses  biens  et  sa  vie  pour  défendre 
et  maintenir  son  droit;  et  comme,  d'après  le  principe  germanique, 
les  individus  sont  obligés  «  de  se  prêter  mutuellement  secours  dans 
toutes  les  choses  utiles  et  louables  >',  ou  doit  prêter  assistance 
à  celui  qui  se  voit  forcé  de  se  défendre.  Tout  Fédifice  de  la  liberté 
germanique  reposait  sur  «  la  noble  passion  du  droit  '  ». 

Pour  mettre  à  l'abri  de  toute  attaque  arbitraire  du  pouvoir  public 
la  justice,  l'honneur  et  la  liberté,  la  loi  germanique  veut  que  tout 
détenteur  de  ce  pouvoir  (en  remontant  jusqu'à  l'Empereur  lui- 
même)  soumette  la  légalité  de  ses  actes  à  l'appréciation  d'un  juge. 
Dans  les  attaques  à  main  armée  elle  permet  à  celui  qui  est  attaqué 
de  se  défendre  ^;  elle  restreint  le  pouvoir  public  par  l'autorité  des 
états,  dont  le  premier  devoir  est  de  maintenir  les  citoyens  dans  leurs 
droits  légitimes;  elle  autorise  chaque  profession,  chaque  classe 
sociale  prise  à  part  à  développer  les  droits  particuliers  qui  corres- 
pondent à  ses  besoins,  et  leur  permet  de  s'organiser  autonomique- 
ment.  Enfin,  elle  rend  la  justice  absolument  indépendante  du  pou- 
voir public;  l'Etat  n'est  pas  chargé  de  définir  le  droit;  il  doit  se 
borner  à  l'appliquer  ^ 

Le  droit  allemand,  "  vraie  propriété  nationale  »,  sorti  de  la 
vivante  conscience  populaire,  s'était  développé  librement,  avec  indé- 
pendance et  originalité.  11  avait  ses  plus  vigoureuses  racines  dans  la 
tradition  et  dans  la  coutume,  où  s'incarnait  avec  énergie  l'idéal  de 
justice  de  la  nation.  «  Les  bonnes  coutumes  »,  dit  le  Miroir  souahe, 
'.  ont  autant  de  valeur  que  le  droit  écrit;  une  bonne  coutume  est 
celle  qui  n'est  pas  contraire  au  droit  divin,  ni  à  l'ordre  humain,  ni 
opposée  au  salut  et  à  l'honneur  *.  » 

Ces  bonnes  coutumes,  issues  du  sentiment  populaire,  s'exprimaient 
en  premier  lieu  dans  les  traditions  juridiques,  c'est-à-dire  dans  la 

'  Expression  de  Juste  Moser.  —  Schmidt,  Becepiîon,  p.  252. 

-Sachsenspiegel,  t.  III,  p.  78,  §  2,  5.  Voyez  plus  haut. 

•^  Voy.  Schmidt,  Prinapielhr  Unterschied,  p.  155-160. 

*  Dans  l'ancien  droit,  on  distinguait  déjà  la  bonne  tradition  de  la  mauvaise 

28. 


436     EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE.    SITUATION    EXTERIEURE. 

concordance  de  jugements  rendus  par  les  tribunaux  populaires  à 
propos  d'incidents  analogues.  Les  arrêtés,  les  décisions  émanant  de 
sociétés  particulières  et  indépendantes,  de  corporations  autorisées 
par  rÉfat,  de  conseils  urbains  ou  d'états  provinciaux,  étaient  aussi 
rangés  parmi  les  sources  juridiques  les  plus  importantes. 

Les  empereurs  ne  discutaient  avec  les  états  que  très-peu  de  lois 
générales  et  n'édictaient  qu'un  très-petit  nombre  d'ordonnances 
légales';  les  seigneurs,  dans  leurs  domaines,  n'exerçaient  point  de 
pouvoir  juridique;  aussi  les  diverses  classes  sociales,  à  la  ville  comme 
h  la  campagne,  étaient-elles  convenues  d'un  certain  nombre  de  déci- 
sions toutes  préparées,  répondant  à  leurs  besoins  p.irticuliers.  Les 
princes  souverains  conféraient  des  questions  juridiques  avec  les  états 
provinciaux;  les  échevins,  avec  les  membres  delà  commune;  les  sei- 
gneurs féodaux  ou  ceux  qui  avaient  des  colons  sous  leurs  ordres,  avec 
leurs  vassaux  et  administrés;  les  propriétaires  ou  baillis,  avec  leurs 
subordonnés.  Quant  aux  corps  de  métiers,  aux  associations,  leurs 
lois  particulières  étaient  discutées  dans  des  assemblées  privées.  Les 
recueils  de  droit  qu'on  commence  à  voir  se  former  à  partir  du 
douzième  siècle,  codes,  droits  provinciaux,  droits  des  cités,  droits 
féodaux,  droits  seigneuriaux,  sagesses  ou  coutumiers,  ne  créent  en 
aucune  façon  un  droit  nouveau;  ils  ne  font  que  sanctionner  un  usage 
établi  depuis  longtemps,  ou  que  définir  celui  que  de  nouveaux  besoins 
ont  fait  adopter,  afin  d'en  rendre  le  sens  plus  sûr  et  plus  clair.  Les 
plus  importants  de  ces  codes  sont  le  Miroir  saxon  (Sachsenspiegel), 
le  Miroir  souabe  (Schwabenspiegel)  et  le  Miroir  allemand  (Deut- 
schenspiegel), qui  tient  de  l'un  et  de  l'autre  ^ 

Comme  chaque  pays,  chaque  ville,  chaque  village,  chaque  métier, 
chaque  condition  avait  un  droit  qui  lui  était  propre,  on  était  prodi- 
gieusement riche  en  recueils  de  lois,  en  sources  juridiques.  Variant 

(voy.  les  passages  cités  par  Zöpfl,  p.  96).  Après  l'introduction  du  droit  romain, 
on  commença  à  désigner  tout  l'ensemble  du  droit  germanique  sous  le  nom  de 
■  mauvaise  coutume  » . 

•  Les  lois  d'empire  ont  trait  aux  droits  de  l'Empereur  et  des  états,  ."^  ceux  de 
l'Église  et  à  l'adminislration  ecclésiastique,  à  la  justice,  aux  lois  pénales,  parmi 
lesquelles  les  ordonnances  se  rapportant  à  la  paix  publique  tiennent  le  premier 
rang. 

-  Le  Miroir  saxon  tient  les  bonnes  coutumes  pour  aussi  valables  que  le  droit 
écrit;  il  exprime  cependant  le  désir  de  voir  tous  les  droits  consignés  par  écrit. 
Voy.  Franklin',  Réception,  p.  165.  D'après  \  Infurmaiio  ex  spécula  Saxonico,  cinq  mille 
copies  du  Miroir  saxon  avaient  été  répandues  en  Saxe  et  en  Westphalie  au 
quinzième  siècle.  Le  Miroir  saxon  était  la  base  de  tous  les  droits  au  sud  de  l'Alle- 
magae,  et  aussi  la  source  directe  et  principale  de  tous  les  recueils  de  droit 
à  la  ville  comme  à  la  campagne.  C'était  d'après  ses  prescriptions  qu'une  grande 
partie  du  peuple  allemand  vivait  et  se  gouvernait.  On  a  conservé  un  nombre 
encore  plus  considérable  de  manuscrits  du  Miroir  suuabe,  qui,  en  sa  qualité  de 
droit  impérial,  était  d'une  application  très-étendue.  Stobbe,  Rcchtsqucllen,  t.  I, 
p.  360-317,  412.  —  Frankmx,  p.  167, 


DROIT    OF.RMANIOUi:.  437 

beaucoup  dans  les  détails,  ils  sont  tous  inspirés  par  de  communs 
principes  et  des  tendances  analofjues.  Bien  qu'applicables  à  des 
genres  de  vie  fort  didérenls,  ils  attestent,  en  leur  ensemble,  l'unité 
de  notre  droit  national.  Ce  droit,  presque  exclusivement  populaire, 
se  rapporlait  à  loutes  les  conditions  sociales,  et  tout  homme  d'ex|)é- 
rience  le  possédait  à  fond  en  tant  qu'il  avait  trait  à  sa  situation  et  à 
son  état. 


PROCEDURE. 

La  procédure  s'adaptait  parfaitement  au  droit  que  nous  venons 
de  définir,  et  dont  l'influence  sur  le  cours  de  la  justice  était  d'autant 
plus  directe  que  les  juges  et  assesseurs  n'avaient  pas  à  appliquer 
une  loi  écrite,  n'étaient  que  les  organes  de  la  conscience  populaire,  et 
les  fidèles  interprètes  des  notions  nationales  sur  le  droit. 

Chaque  condition,  chaque  état  avait  ses  institutions,  ses  lois  par- 
ticulières; les  paysans,  les  bourgeois  et  les  nobles  vivaient  d'après 
«  leurs  propres  droits  •>;  aussi  le  principe  que  nul  homme  ne  peut 
être  jugé  que  par  ses  pairs  avait-il  universellement  prévalu.  Le  prince 
comme  le  simple  villageois  devait  comparaître  en  personne  ou  repré- 
senté par  un  fondé  de  pouvoirs  devant  le  tribunal  compétent;  c'est 
ainsi  que,  malgré  la  différence  des  classes,  la  plus  parfaite  égalité 
régnait  du  haut  en  bas. 

Ce  mode  de  justice  se  maintint  jusque  vers  la  fin  du  quinzième 
siècle  dans  son  antique  simplicité,  et  retint  jusqu'à  cette  époque  les 
anciennes  traditions  de  la  loi  germanique.  Toute  procédure  civile 
nécessitait  la  discussion;  toute  procédure  criminelle,  l'accusation. 
Sans  accusation,  il  n'y  avait  ni  juge  ni  sentence. 

L'organisme  judiciaire  était  extrêmement  simple  et  ne  réclamait 
pas  une  coûteuse  armée  d'employés. 

Un  juge,  un  comte,  un  bailli,  un  juge  de  district,  un  juge  impérial 
ou  provincial,  interprétait  le  droit  et  prenait  en  main  les  débats; 
il  dirigeait  la  discussion,  mais  seulement  comme  «  questionneur  sur 
le  droit  >;.  Il  n'avait  pas  à  émettre  son  avis;  son  emploi  se  bornait 
à  interroger  les  assesseurs  et  les  pairs  des  parties,  puis  à  prononcer 
la  sentence  rendue  par  eux  '.  Ces  "  assesseurs  '  étaient  de  simples 
hommes  du  peuple,  pauvres  de  la  sagesse  puisée  dans  les  livres,  mais 
riches  d'expérience  et  de  bon  sens,  et  possédant  à  fond  les  anciens 

'  Voy.  Maurer,  Gcrichtsi^erfalven,  p.  107.  On  exigeait  que  le  juge  ait  une  atti- 
tude grave.  D'après  une  ordonnance  judiciaire  rendue  à  Soest,  il  devait  se  tenir 
sur  son  siège  ■  comme  un  vieux  lion  en  colère  -.  Emminghaus,  Memorab.  Susat., 
p.  396.  Sur  r  "  humour  dans  le  droit  allemand  •,  voyez  les  charmants  articles  de 
la  Kolmachai  Volkszcitung ,  1878,  n"'  12  et  18,  f.  3. 


438     EMPIRE    ROMAIN    GERMA?aOUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

usages  nationaux  et  les  coutumes  légales  du  pays.  Ils  prêtaient  ser- 
ment avant  de  donner  leur  avis. 

Tous  les  débats  étaient  publics.  Les  parties  non-seulement  pou- 
vaient, mais  devaient  comparaître  devant  le  tribunal,  et  cela  dans  les 
cas  criminels  comme  dans  les  cas  civils.  Le  juge  pouvait  les  voir,  les 
entendre,  les  interroger,  et  approfondissait  ainsi  plus  facilement  et 
plus  sûrement  la  vérité,  que  si,  en  l'absence  des  parties,  il  ent  eu 
affaire  à  de  subtils  avocals,  intéressés  à  voir  le  procès  tirer  en  lon- 
gueur. Les  débats  étaient  aussi  ouverts  à  ce  que  Ton  appelait 
r  «  assemblée  judiciaire  .  Cette  assemblée  était  composée  de  membres 
libres  de  la  commune,  qui  servaient  de  témoins,  apportaient  des 
preuves,  et,  là  où  n'existaient  point  de  jurés  proprement  dits,  déci- 
daient de  concert  sur  les  questions  de  droit.  L'assemblée  judiciaire 
avait  pour  mission  de  veiller  à  ce  qu'aucun  usage  contraire  aux 
anciennes  coutumes  ne  s'introduisit  dans  la  procédure;  elle  ne  déci- 
dait point  sur  les  points  controversés,  mais  était  souvent  consultée 
par  le  juge,  les  assesseurs  ou  les  parties. 

Les  tribunaux  admettaient  des  «  médiateurs  ».  Plaignants  et 
accusés,  dénonçants  et  dénoncés  étaient  autorisés  à  en  faire  usage. 
Tout  homme  «  jouissant  de  la  plénitude  de  ses  droits  "  pouvait  en 
tenir  lieu  et  venir  exposer  devant  le  tribunal  la  cause  de  son  client, 
mais  jaroLS  seul,  toujours  en  présence  de  ce  client  ou  bien  de  son 
chargé  de  ;  ouvoirs.  On  ne  connaissait  point  encore  ces  personnages 
intermédiaires  qui,  en  l'absence  des  parties,  apportent  des  preuves 
et  fournissent  par  écrit  les  accusations  et  les  réponses.  Il  n'y  avait 
pas  non  plus  d'avocats  de  profession,  vivant  de  procès,  et  par  consé- 
quent prompts  à  en  faire  naitre;  aussi  le  poëme  intitulé  :  la  Race 
welche  dit-il  à  la  louange  du  droit  germanique  : 

K  Chez  nous  on  ne  sait  ce  que  c'est  que  de  gloser  sur  le  droit;  on  ne 
farde  point  la  justice;  le  pauvre  peut  h  loisir  mettre  à  profit  le  droit 
que  Dieu  lui  a  donné.  Chez  nous,  on  ne  souffre  point  d'avocat.  r>ous  ne 
délivrons  point  de  sentence  pour  gagner  de  l'argent  ou  obtenir  la  faveur. 
Chez  nous,  la  justice  ne  se  vend  point  '.  i 

Les  preuves  devaient  être  apportées  publiquement,  en  présence 
des  parties,  du  juge  et  de  F  -  assemblée  ».  Le  vote  aussi  était  public. 
Cette  publicité  étabUssait  des  liens  étroits  entre  le  peuple  et  le  juge. 
Il  était  rare  que  le  soupçon  et  la  méfiance  vinssent  troubler  leurs 
rapports;  un  lien  de  concorde  rattachait  entre  eux  juge,  asses- 
seurs et  peuple.  Le  juge  trouvait  sa  meilleure  récompense  dans 
l'estime  du  peuple  en  présence  duquel  il  s'acquittait  de  ses  fonc- 

'   Wehchgatlting,  p.  2  et  4. 


DHOIT    CERMANIQUE.  439 

lions,  et  les  Iribunnux  eux-mêmes,  de  quelque  ressort  qu'ils  fussent, 
('laiciil  leiiusen  liaulc  considération,  et  passaient  pour  le  «  premier 
honneur  »  de  la  commune  ou  du  pays. 

La  publicité  de  la  procédure  avait  d'incontestables  avantages.  On 
rcdonlait  une  scnlence  prononcée  en  public;  on  craijynait  de  perdre 
l'eslimc  de  ses  conciloyens,  de  sorte  que  les  parues  hésifaieut  à 
faire  des  poursuites,  et  que  les  «  médiateurs  ",  de  leur  côlé,  recu- 
laient devant  la  défense  d'une  mauvaise  cause;  tous  avaient  intérêt  à 
n'user  (pic  de  procédés  loyaux.  Plus  d'une  affaire  litigieuse,  entamée 
sur  de  frivoles  prétextes,  était  abandonnée  presque  à  son  début.  Enfin 
la  publicité  des  débats  ravivait  constamment  dans  les  esprits  le  senti- 
ment de  la  justice,  répandait  la  connaissance  du  droit,  le  faisait  passer 
dans  les  mœurs  populaires,  et  le  rendait  familier  à  tous  et  véritable- 
ment national.  Le  peuple  était  à  lui-même  son  code  vivant.  La  publi- 
cité conservait  et  alimentait  sans  cesse  dans  la  nation  rintelligence 
des  affaires  pubii<pies,  l'intérêt  pour  la  prospérité  ouïe  malheur  des 
individus,  des  autorités,  de  la  nation  tout  entière.  Moins,  dans  la 
suite,  le  peuple  fut  admis  à  prendre  part  aux  débats  juridiques, 
moins  i!  lui  fut  facile  de  conuaiire  exactement  de  ses  droits,  plus  il 
se  désintéressa  des  affaires  publiques,  et  perdit  ce  sentiment  de 
solidarité,  d'honneur,  de  liberté,  qui  ne  peut  être  nourri  et  entre- 
tenu que  par  une  participation  personnelle  et  vivante  à  la  vie  poli- 
tique. 

Tant  qu'elle  fut  ouverte  à  tous,  la  procédure  resta  orale.  Dans 
tous  les  tribunaux,  les  débats  étaient  conduits  uniquement  par  la 
parole.  Les  parties  ou  leurs  "  médiateurs  »  exposaient  oralement 
la  cause.  Les  dépositions  des  témoins  étaient  orales;  les  pièces 
nécessaires  apportées  devant  le  tribunal,  lues  et  discutées  à  haute 
voix;  la  sentence  prononcée  devant  tous,  et  ce  n'était  que  sur  la 
demande  des  parties  qu'on  rédigeait  un  compte  rendu,  un  procès- 
verbal  ou  un  jugement  '. 

Une  fois  la  décision  prise,  la  sentence  était  prononcée  par  le  juge, 
et  si  elle  n'était  pas  immédiatement  contredite  -,  si  personne  n'en 
mettait  en  doute  l'ecjuite,  elle  était  déclarée  irrévocable.  Ni  juge,  ni 

'  Dkyer,  .\W;c?w;!(;î.'/ch,  p.  174-17G.  On  peut  voir  dans  i)eaii'onp  de  documents 
datant  delà  fin  du  moyen  ûge  avec  quelle  promptitude  les  jugements  étaient 
alors  exécutés  :  «  Le  premier  lundi  de  carême.  Claude  Antoine,  bourgeois  de 
Budstatt,  a  égorgé  un  autre  bourgeois  de  la  même  ville  nommé  Heinz  Kirch- 
nern, comme  celui-ci  était  dans  la  cave  du  conseil,  où  tous  les  deuxavaient  bu 
de  compagnie.  Il  l'a  égorgé,  dis-je,  avec  un  couteau  à  pain.  Heinz  est  mort  sans 
pouvoir  dire  ah!  ni  hélas!  On  s'est  aussitôt  emparé  du  meurtrier,  et  le  même 
soir,  après  que  le  conseil  eut  tenu  sur  ce  fait  trois  séances,  il  eut  la  tête  tran- 
chée. «  Müller,  Annal.  Saxon,  ad  ann.  1470,  p.  40.  —  Voy.  Maurer,  Gcrichlst>erfn  - 
siing,   p.  283-299. 

-  Pour  plus  de  détails,  voy.  Zöpfel,  p.  897-900. 


4fO     EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

censeur,  ni  prince,  ni  même  empereur  n'avaient  le  droit  d'y  rien 
changer  sans  l'assentiment  de  ceux  en  faveur  desquels  elle  avait  élc 
prononcée,  et  cela  dans  les  causes  criminelles  comme  dans  les  causes 
civiles.  Totalement  indépendants  du  pouvoir  public  comme  de  toute 
influence  étrangère,  les  tribunaux  n'avaient  jamais  besoin  de  faire 
sanctionner  leurs  jugements  par  le  gouvernement,  ou  par  une  chan- 
cellerie quelconque  '. 

Si  la  sentence  était  attaquée,  la  cause  venait  généralement  devant 
d'autres  assesseurs;  ceux-ci  ne  constituaient  pas  un  tribunal  supé- 
rieur, mais  seulement  un  tribunal  différent,  composé  des  mêmes  élé- 
ments et  organisé  de  la  même  manière  que  le  premier  -.  Dans  les 
cas  douteux,  les  assesseurs,  à  la  ville  comme  à  la  campagne,  pouvaient 
réclamer  l'assistance  d'un  tribunal  voisin.  En  ce  cas,  la  sentence  ainsi 
obtenue  éiait  indéniable  et  gratuite,  et  s'appelait,  à  cause  de  cela, 
r  "  aumône  du  pays  ". 

En  outre,  dans  un  grand  nombre  de  ci(és  allemandes,  des  tribu- 
naux supérieurs,  appelés  Cours  souveraines,  avaient  été  établis. 
Elles  n'étaient  pas  non  plus  composées  de  juristes  savants,  mais 
d'hommes  du  peuple,  expérimentés  dans  les  questions  de  droit  et 
chargés  d'éclaircir  des  points  controversés,  d'appliquer  le  droit, 
ou,  lorsqu'un  jugement  avait  été  contesté,  de  juger  en  dernier  res- 
sort. Les  villes  de  fondation  relativement  récente  devaient  en  référer 
aux  tribunaux  des  villes  plus  anciennes  dont  elles  avaient  adopté 
le  droit.  Aussi  un  continuel  mouvement  juridique  se  produisait-il 
entre  les  localités  d'un  môme  pays,  d'une  même  principauté,  et 
même  entre  des  communes  appartenant  à  des  centres  politiques  très- 
différents.  Trente-deux  villes  ou  bourgs  se  rattachaient  à  la  juri- 
diction de  Fribourg  en  Brisgau,  soixante  ä  celle  de  Francfort-sur-le 
Mein,  soixante-dix  à  celle  de  Cologne.  Les  prescriptions  légales 
émises  par  ces  tribunaux  touchaient  à  toutes  les  questions  juri- 
diques, et  c'est  ainsi  que  les  Cours  souveraines',  dont  la  réputation 
s'étendait  au  loin,  eurent  une  part  considérable  à  la  formation 
de  la  jurisprudence  en  Allemagne,  et  parfois  même  jusque  dans  les 
pays  voisins.  Francfort  exerçait  une  grande  autorité  juridique  sur 
les  pays  du  Rhin  central;  Cologne,  sur  le  bas  Rhin  et  le  sud-ouest  de 
l'Allemagne;  Lübeck  et  Magdebourg,  dans  l'Allemagne  du  Nord  et 
les  contrées  limitrophes.  Les  nombreux  arrêts  de  justice  datés  de  ces 
dernières  villes  et  venus  jusqu'à  nous  prouvent  avec  évidence  que 


'  Maurer,  p.  124-287.  —  Voy.  aussi  Besfleu,  p.  287-295.  —  7>îaurer,  p.  177,  et 
.Waciitf.r,  Beitrüge,  p.  11-.38  et  150-187.  —  Voy.  aussi  Achengach,  Der  Freistuhl  an 
der  breiten  Eiche  und  der  Frcigraf  Jacoh  mit  der  liondcn,  Siegen,  1881. 

'  Dans  les  protocoles  des  assesseurs  de  Francfort  (1332-1464),  on  ne  trouve  pas 
trace  d'instances  ni  d'appel.  Voy.  Thomas,  p.  10. 


GUERRES    PRIVÉES.  441 

les  Cours  souveraines  étaient  encore  en  plein  exercice  au  quinzième 
siècle  '. 

Kn  {',énéral,  le  droit,  à  celle  époque,  trouvait  son  organe  naturel 
dans  les  tribunaux  populaires,  6t  la  manière  dont  il  était  appliqué 
correspondait  exactement  aux  besoins  du  temps.  Les  arrêts,  les 
^!  sagesses  »  du  quinzième  siècle  nous  fournissent  d'abondantes 
preuves  de  la  sûreté,  de  la  souplesse  avec  lesquelles  les  assesseurs 
savaient  appliquer  le  droit  national.  Les  nombreux  statuts  provenant 
de  la  môme  époque  montrent  qu'on  savait  dès  lors  exposer  avec 
clarté  et  précision  les  données  fondamentales  du  droit  en  vigueur  ^ 

A  cette  date,  la  loi  germanique  vit  encore  dans  la  conscience 
populaire;  elle  s'exprime  dans  ses  traditions,  ses  usages,  son  esprit; 
elle  inspire  toute  la  jurisprudence.  Nul  code  étranger  au  pays  n'a 
rompu  l'harmonie  de  ses  principes;  nul  abime  n'a  été  creusé  entre 
la  nation  et  sou  droit. 

DÉCADENCE   DE   LA    JUSTICE. 

«  Le  peuple  allemand  maintient  son  droit  avec  énergie  ■-,  écrit 
Pierre  de  Froissard  en  1493.  '^  Il  regarde  les  antiques  traditions, 
le  système  judiciaire  d'autrefois  comme  un  bien  sacré  légué  par  ses 
ancêtres.  Cependant  de  toutes  parts  on  n'entend  que  des  plaintes, 
et  l'état  des  choses  ne  le  fait  que  trop  comprendre.  La  jurispru- 
dence, dans  les  tribunaux  impériaux  comme  dans  tous  les  autres,  est 
complètement  déchue;  lorsqu'à  force  d'efforts  on  obtient  une  sen- 
tence, on  manque,  pour  l'appliquer,  d'un  pouvoir  exécutif  prompt 
et  énergique.  En  même  temps,  les  guerres  privées  sont  depuis 
longtemps  devenues  la  plaie  du  pays;  les  chevaliers  brigands  rendent 
les  routes  peu  sûres  et  ne  se  mettent  en  peine  ni  du  droit  ni  de  la 
justice  ^  ') 

Dans  ces  paroles,  Froissard  découvrait  le  mal  le  plus  profond  de 
l'état  juridique  de  l'Allemagne. 

Le  droit  de  guerre  privée  était  légalement  reconnu  par  les 
Landfrieden,  c'est-à-dire  par  les  ordonnances  impériales  ou  terri- 
toriales établies  pour  le  maintien  de  la  sécurité  publique.  Tout 
homme  libre,  sous  le  plus  léger  prétexte,  pouvait  entreprendre  une 
attaque  à  main  armée  contre  celui  dont  il  se  croyait  l'offensé. 

Quelques  restrictions  étaient  cependant  apportées  à  ce  droit.  On 
n'était  autorisé  à  exercer  des  représailles,  fût-ce  envers  le  plus 
criminel  malfaiteur,  qu'après  avoir  tenté  de  se  faire  rendre  justice, 

'  Stobbe,  Uechisquellcn.  t.  II.  p.  64 
-  Voy.  Beseleu,  p.  26. 
'  Lettres  5,  6.  ' 


442     EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

Ce  n'était  que  quand  le  juge  légal  avait  refusé  d'intervenir  ou  n'avait 
pas  été  en  état  de  le  faire,  qu'en  dernier  ressort,  il  était  permis 
d'avoir  recours  à  la  guerre  privée.  «  Si  quelqu'un  a  été  lésé  dans  ses 
droits  »,  dit  le  Landfriede  de  1235,  '=  qu'il  ne  se  venge  pas;  qu'il  se 
plaigne  à  son  juge.  ■>  «  Que  s'il  ne  reçoit  pas  satisfaction  de  la  .justice, 
il  pourra  alors,  eu  cas  de  nécessité,  attaquer  son  ennemi.  -^  Le 
Landfriede  publié  à  Francfort  en  1438  dit  de  même  :  <;  Que  personne 
ne  fasse  subir  quelque  dommage  à  un  autre  avant  d'avoir  eu  préala- 
blement recours  à  la  justice.  • 

«  Et  si  ;,  continue  la  prescription  déjà  citée,  «  justice  ne  lui  est 
pas  rendue,  qu'il  n'attaque  ni  ne  nuise  avant  d'avoir  annoncé  son 
intention  et  mis  son  ennemi  sur  ses  gardes  trois  jours  et  trois  nuits 
d'avance  •.  •■ 

Celui  qui  en  cas  de  nécessité  avait  recours  à  la  guerre  privée  était 
tenu  aux  formalités  suivantes  :  il  devait  faire  à  son  adversaire  un 
avertissement  public  et  formel  trois  ou  quatre  jours  avant  de  com- 
mencer la  guerre;  interrompre  toute  hostilité  pendant  les  jours  de 
la  semaine  consacrés  à  la  Trêve  de  Dieu  ;  mettre  à  l'abri  de  son  droit 
de  représailles  certaines  personnes  et  certaines  choses;  n'attaquer  ni 
prêtres,  ni  pèlerins,  ni  laboureurs,  ni  vignerons  ni  autres  cultiva- 
teurs; respecter  les  églises  et  les  cimetières.  S'il  contrevenait  à  ces 
règlements,  s'il  entreprenait  une  guerre  privée  -  sans  avoir  au  préa- 
lable cherché  l'appui  de  la  justice  -,  il  était  considéré  comme  viola- 
teur de  la  paix  publique,  et  ordinairement  conduit  à  la  potence. 

Plus,  au  déclin  du  moyen  Age,  par  suite  de  l'impéritie  du  gouver- 
nement et  de  l'ébranlement  de  l'ordre  public,  l'adminis! ration  de  la 
justice  tomba  en  désuétude,  plus  -  les  tribunaux  énergiques  et  l'exé- 
cution rigoureuse  des  sentences  rendues  :■  devinrent  rares,  plus  aussi 
s'accrut  le  nombre  des  guerres  privées  autorisées  par  la  loi;  et  les 
escarmouches  illégales  des  princes  et  des  nobles,  entreprises  pour 
le  simple  plaisir  de  piller  et  de  voler,  devinrent  de  plus  en  plus 
fréquentes,  causant  les  dévastations  les  plus  effroyables  dans  les 
champs,  les  villages  et  les  petites  villes.  ÀN'entendit-on  pas  le  mar- 
grave de  Brandebourg  se  vanter  un  jour  d'avoir  brûlé  dans  sa  vie 
cent  soixante-dix  villages-?  La  plupart  des  différends  qui  survenaient 
entre  les  grands  du  royaume  ne  se  terminaient  pas  au  moyen  d'une 
procédure  régulière,  mais  à  main  armée.  Les  cas  où  l'inlervcntion 
d'un  arbitre  et  son  arrêt  décisifparvenaient  à  terminer  le  débat,  étaient 
rares. 

Cet  état  de  choses  doit  sur'out  être  attribué  à  la  manière  défec- 


'  Voy.  Franc/arts  Reichscorrespondenz.  t.  I,  p.  434,  n"  5. 
-  Wächter,  Beiträgen,  p.  42-58. 


TRIBlIiWL    SUPRKMi;.  443 

tueuse  dont  clail  organisé  le  Souverain  Tribun;il  de  rempire,  et  au 
peu  de  respect  et  de  confiance  que,  par  conséquent,  il  inspirait  à  la 
nalion. 

Le  droit  allemand  voulait  que  l'Empereur  en  personne  s'acquittât 
de  SCS  fonctions  de  jujye;  elle  le  rendait  responsable  de  la  fidf'lc  et 
consciencieuse  administration  de  la  justice.  L'ne  telle  disposition  était 
sans  doute  de  la  plus  haute  importance  quant  à  la  situation  du  chef 
suprême  de  l'état  vis-à-vis  de  son  peuple,  mais  elle  était  inséparable 
de  graves  inconvénients.  En  effet,  ce  Tribunal  Souverain  que  nous 
voyons  si  souvent  appelé  dans  les  documents  historiques  (à  cause  de  la 
vaste  action  qu'il  était  destiné  à  exercer)  "  l'empire  proprement  dit'  », 
était  ainsi  rendu  dépendant  des  destinées  particulières  de  l'Empereur. 

Il  n'avait  point  de  lieu  de  résidence  fixe,  et  devait  suivre  la  cour  dans 
tous  ses  voyages.  Cet  inconvénient,  à  hn  seul,  était  déjcà  fort  grand, 
car  il  enlevait  ä  la  plus  grande  partie  du  peuple  la  possibilité  de 
chercher  appui  et  protection  auprès  de  l'Empereur  contre  la  vio- 
lence et  l'injustice. 

Après  que  les  souverains  de  la  maison  de  Luxembourg  eurent 
transporté  le  siège  du  gouvernement  et  l'administration  du  royaume 
aux  frontières  occidentales  de  l'Allemagne,  il  devint  presque  impos- 
sible qu'un  tribunal  si  éloigné  du  centre  piU  prêter  au  droit  un 
appui  vigoureux.  Il  en  fut  de  même,  et  à  bien  plus  forte  raison,  sous 
Frédéric  III,  qu'on  ne  vit  pas  dans  l'empire  pendant  des  dizaines 
d'années. 

Lorsque,  après  un  voyage  long,  pénible  et  dangereux,  les  plaignants, 
venant  réclamer  l'appui  du  souverain,  arrivaient  enfin  au  lieu  de 
résidence  de  la  cour,  il  n'était  pas  rare  qu'ils  apprissent  que  le  tribunal 
ne  tenait  point  en  ce  moment  ses  séances,  «  parce  qu'il  n'avait  pas 
été  possible  de  trouver  d'assesseurs  ».  C'est  que  le  Tribunal  Suprême 
n'était  pas  un  corps  organisé,  permanent,  solide;  il  n'avait  point 
déjuges  attitrés;  pour  chaque  cas  différent,  il  devait  se  réorga- 
niser à  nouveau,  selon  que  le  temps  et  les  circonstances  le  per- 
mettaient, et  d'après  ce  que  réclamaient  l'état  et  la  position  des 
parties  *. 

Le  souverain  le  mieux  intentionné  et  le  plus  compétent  ne  pouvait 
d'ailleurs  se  consacrer  à  l'administration  de  la  justice  qu'autant  que 
les  affaires  publiques  lui  en  laissaient  le  loisir.  Les  guerres  exté- 
rieures, les  troubles,  les  révoltes  intérieures  amenaient  une  interrup- 
tion forcée  dans  les  séances  du  Tribunal  Suprême.  Enfin  la  sentence 
une  fois  prononcée  ne  pouvait  être  exécutée,  le  rebelle  puni,  les 


'  Voy.  Franklin-,  Reichshnfgerkht,  1. 1,  p.  328-343, 

-  Harppuecht,  Staatsarehiv  des  Reichslcammergericht ,  t.   II, 


444     EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,   SITUATION    EXTÉRIEURE. 

actes  de  violence  réprimés,  la  justice,  en  un  mot,  exercer  une  auto- 
rité réelle  et  efficace,  que  dans  les  limites  où  la  puissance  du  souve- 
rain pouvait  atteindre  et  la  mesure  où  il  lui  était  possible  d'exiger 
l'obéissance. 

Pendant  les  règnes  de  Sigismond  et  de  Frédéric  III,  la  manière 
arbitraire  et  onéreuse  dont  la  justice  était  rendue  provoquait  d'uni- 
verselles plaintes.  Sigismond  accueillait  ou  cougédait  les  plaignants 
selon  les  intérêts  de  sa  caisse  toujours  vide'.  «  A  la  cour  -,  écrit  à 
Francfort  un  député  de  la  ville,  "  on  achète  tout  ce  qu'on  veut  à  prix 
d'argent.  »  Sous  Frédéric  III,  des  délégués  de  la  même  cité  résument 
les  "  usages  habituels  •■'  du  Tribunal  Souverain  par  ces  courtes 
paroles  :  «  Délais,  iniquités;  plaintes  venues  de  toutes  parts  attirant 
fort  peu  l'attention;  la  justice  toujours  ajournée.  -^  «  Les  gens  parlent 
fort  mal  du  Roi  notre  sire  >,  ajoutent-ils,  «  prétendant  qu'il  rend  la 
justice  avec  une  extrême  lenteur,  et  ne  termine  rien.  »  «  Les  bonnes 
villes  ne  font  que  se  lamenter.  Elles  se  plaignent  de  ne  pouvoir 
obtenir  justice  ni  du  Tribunal  Souverain  ni  de  la  chancellerie.  '  On 
disait  proverbialement  en  parlant  de  la  manière  dont  les  affaires 
étaient  expédiés  à  la  cour  :  «  Beaucoup  d'argent,  court  délai;  peu 
d'argent,  longue  attente  *.  » 

Il  en  était  de  même  dans  les  tribunaux  impériaux  dont  l'action 
n'avait  à  s'exercer  que  dans  certaines  parties  de  l'empire.  Les 
choses  n'étaient  pas  plus  satisfaisantes  dans  les  cours  de  justice  des 
princes,  ni  dans  les  tribunaux  de  moindre  importance  encore; 
partout  l'administration  du  droit  était  remplie  d'imperfections. 
Les  princes,  les  seigneurs,  absorbés  par  leurs  perpétuelles  guerres 
privées,  se  souciaient  fort  peu  de  la  justice,  et  trop  souvent  ne  fai- 
saient servir  leur  autorité  judiciaire  qu'à  l'augmentation  de  leurs 
revenus. 

<'  La  difficulté  d'obtenir  justice  contre  les  puissants  »,  dit  Grégoire 
de  Heimbourg,  «  est  devenue  la  plaie  de  la  nation.  Les  princes  sont 
les  tyrans  de  leurs  peuples.  L'Allemagne  n'a  pas  su  s'accommoder 
d'un  seul  souverain,  et  maintenant  il  lui  en  faut  supporter  un  grand 
nombre.  Comme  on  ne  peut  avoir  nul  recours  contre  les  grands,  la 
force  règne  seule,  et  les  crimes  les  plus  audacieux  restent  impunis 
dès  que  ce  sont  eux  qui  les  commettent.  La  loi  n'est  aucunement 
respectée;  il  n'y  a  point  d'ordre  et  point  de  paix.  "   "  L'Allemagne 

'  Voy.  par  exemple  le  procès  entre  l'ancien  et  le  nouveau  conseil  de  LuJjeck. 
—  Franklin,  Reichshofgericht,  t.  î,  p.  266-270. 

*  Voy.  ces  passages  et  d'autres  analogues  dans  la  Correspondance  d'Eiat  de 
Francfort,  t.  I,  p.  3l9,  330,  370,  390,  412,  et  t.  II,  p.  54,  65,  69,  88,  101,  113,  122, 
253.  —  Voy.  aussi  les  plaintes  de  \' Informatio  ex  spécula  Saxonico,  dans  HOMEYER, 
Abliandl.  der  königl.  Académie  der  Wissenschaften  zu  Berlin,  1856,  p.  674.  —  Voy. 
Franklin,  Rcichshnfgericht,  l.  I,  p.  350,  354. 


PLAN    DK    HKKORMK.  445 

est  riche,  elle  a  des  biens  en  abondance  «,  dit  Jean  de  Lysura  dans 
un  discours  prononce  en  llôî  à  la  diète  de  Hatisbonne;  -:  mais, 
malheureusement,  la  paix  lui  fait  défaut.  La  justice  est  dans  un  état 
piloyable,  de  sorlc  que  l'empire  est  sans  cesse  troublé  et  ébranlé.  » 

Le  clerfjé  n'a  uuilc  sécurité;  la  noblesse,  aucun  souci  de  son  hon- 
neur; le  pays  est  ouvert  au  brigandage.  Nous  haïssons  tous,  il  est 
vrai,  la  guerre;  nous  soupirons  après  la  paix;  nous  nous  plaignons 
(lo  l'iusécurilé  générale,  mais  nous  ne  découvrons  pas  le  remède  qui 
pourrait  nous  j^uérir  :  sans  équité,  point  de  repos;  sans  justice  exe- 
cutive, point  de  paix.  A  la  vérité,  on  pourrait  dire  que  l'Empereur 
est  là  pour  administrer  la  justice,  et  que  s'il  ne  s'acquitte  point  de 
sou  devoir,  il  est  responsable  de  tout  ce  qui  arrive.  Mais  où  l'Empe- 
reur prendrait-il  les  ressources  nécessaires  à  l'entretien  des  tribu- 
naux? Et  lorsqu'une  sentence  est  prononcée,  qui  peut  contraindre  les 
rebelles  à  s'y  soumettre?  »  ^  C'est  en  vain  qu'on  proclame  la  loi, 
qu'on  préside  les  tribunaux,  qu'on  définit  le  droit,  si  la  force  répres- 
sive manque  pour  mettre  les  récalcitrants  à  la  raison  '.  » 

L'urgent  besoin  d'une  réforme  se  faisait  donc  sentir  à  tous. 

PLAN    DE    RÉFORME. 

Le  même  génie  qui  dans  le  domaine  de  la  religion  et  de  la  science 
avait  tracé  le  plan  d'une  transformation  grandiose,  Nicolas  de 
Cusa,  élabora,  vers  le  milieu  du  quinzième  siècle,  un  vaste  projet  de 
réforme,  destiné  à  relever  l'administration  de  la  justice  et  surtout 
à  consolider  et  réorganiser  les  ressorts  ébranlés  de  l'empire.  11  a 
développé  toutes  ses  idées  dans  son  célèbre  ouvrage  intitulé  :  De  l'unité 
catholique. 

«  L'empire  est  atteint  d'une  maladie  mortelle  ■^,  dit-il  au  début  de 
son  travail,  '<  et  la  mort  s'ensuivra  indubitablement  si  l'on  n'y  apporte 
promptement  un  remède  énergique.  » 

Nicolas  attribue  surtout  l'état  malheureux  de  l'Allemagne  à  la 


•  «Frustra  leges  condimus ,  judicia  tenemus,  sententias  praeferinius,  nisi 
rnanus  adsit  armata,  qua'  contumaciam,  coerceat  subditorum.  »  Dans  Manci, 
Appendix  ad  orntiom's  PU  II  (Lucap,  1759),  p.  48,  50.  —  Voy.  Franklin,  t.  I,  p.  362. 
Cependant  l'état  de  la  justice  n'était  pas  {généralement  aussi  mauvais  que  cette 
appréciation  pourrait  le  faire  croire.  A  l'époque  où  l'on  s'en  plaignait  si  amè- 
rement en  Allemagne,  les  Italiens,  les  Grecs,  les  Espagnols  enviaient  sous  ce 
rapport  notre  situation.  Voy.  ce  que  dit  à  ce  propos  Enéas  Sylvius  ;  voy.  aussi 
sur  ce  sujet  l'opinion  de  Machiavel,  Opère,  t.  IV,  p.  133-154.  Le  Grec  Chalco- 
condylasdans  son  histoire  de  l'empire  byzantin  cite  le  peuple  allemand  comme 
étiint  celui  qui  est  régi  par  les  meilleures  lois,  et  le  légat  du  Pape  Rodriguez 
de  Zamorrlia  qualifie  d'excellent  l'état  de  la  justice  dans  les  villes  allemandes 
vers  le  milieu  du  quinzième  siècle.  Voy.  ces  passages  dans  Schmidt,  Réception, 
p.  182. 


446     EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

uégligence  des  empereurs,  qui,  s'imaginant  ne  pouvoir  remédier  au 
mal  que  par  la  douceur,  out  laissé  le  champ  libre  à  l'ambition  et  à 
l'étroit  égoisme  des  princes;  ceux-ci  ont  accaparé  la  toute-puissance, 
affaibli  le  pouvoir  impérial  et  perdu  entièrement  de  vue  les  intérêts 
de  l'empire.  ^  Or  »,  dit  A'icolas,  «  si  chacun  n'a  souci  que  de  lui-même 
tandis  que  sombre  l'empire,  que  peut-on  attendre  d'un  pareil  état  de 
choses,  si  ce  n'est  la  ruine  générale?  S'il  n'y  a  plus  d'autorité  souve- 
raine pour  tenir  la  bride  aux  discordes  intérieures,  l'ambition,  la 
rapacité  progresseront  toujours;  la  guerre,  la  division,  la  jalousie, 
éclateront  de  toutes  parts;  l'empire,  divisé  contre  lui-même,  sera 
entièrement  détruit,  et  ce  qui  a  été  injustement  acquis  sera  gas- 
pillé. »  «  Que  les  princes  ne  s'imaginent  donc  pas  qu'il  leur  sera 
permis  de  s'eurichir  aux  dépens  de  l'empire  et  de  jouir  en  paix 
du  fruit  de  leur  injustice;  lorsqu'ils  auront  lacéré  et  rompu  le 
lien  d'union  qui  rattachait  tous  les  ressorts  de  l'État,  lorsqu'ils 
auront  détruit  la  puissance  souveraine,  et  que  l'ordre  hiérarchique 
sera  désorganisé,  il  n'existera  plus  d'autorité  première  vers  laquelle 
ou  puisse  se  tourner  pour  obtenir  du  secours,  et  dès  que  l'auto- 
rité n'existe  plus,  arrive  nécessairement  le  désordre;  personne 
alors  n'est  plus  en  sécurité.  Tandis  que  les  nobles  se  querellent 
entre  eux,  ceux  qui  ne  connaissent  d'autre  droit  que  celui  des  armes 
s'élèveront  pour  les  combattre,  et  de  môme  que  les  princes  ont 
déchiré  le  royaume,  les  gens  du  peuple  renverseront  les  princes.  » 
'c  Alors,  en  Allemagne,  on  cherchera  l'empire  et  on  ne  le  trouvera 
point.  Des  étrangers  prendront  notre  place,  ils  se  partageront  ce 
qui  nous  appartient,  et  nous  devrons  porter  le  joug  d'un  peuple 
étranger,  'j 

<:  Combien,  au  contraire  »,  poursuit  JNicolas,  ^  la  situation  de 
l'empire  était  heureuse  lorsque  les  empereurs  veillaient  encore  à  tout 
et  se  faisaient  obéir;  lorsqu'ils  étaient  les  gardiens  de  la  paix  publique, 
et,  comme  tels,  possédaient  une  puissante  armée  pour  la  défense  des 
faibles  et  la  terreur  des  oppresseurs!  En  ce  temps  là,  les  princes  et  les 
ducs  n'étaient  que  des  fonctionnaires  du  royaume;  leurs  charges  leur 
étaient  confiées  par  le  souverain  à  titre  de  fiefs;  toute  injure  contre 
la  fidélité  due  au  Roi  était  châtiée;  les  empereurs,  soit  en  personne, 
soit  par  l'organe  de  juges  assermentés,  présidaient  les  tribunaux  et 
rendaient  la  justice  à  leurs  vassaux.  Le  plus  puissant  d'entre  les 
princes  ne  pouvait  impunément  transgresser  une  loi;  les  diètes  veil- 
laient au  ferme  maintien  du  droit,  et  la  loi  recevait  de  l'unanimité 
absolue  des  suffrages  la  force  de  répression  sans  laquelle  elle  est 
morte.  »  "  La  paix  et  le  bonheur  régnaient  en  Allemagne.  »  «  L'Em- 
pereur était  redouté  des  princes  et  des  grands;  et  le  peuple,  qui 
voyait  en  lui  le  défenseur  de  la  liberté,  le  libérateur  des  opprimés,  le 


l'LAN    DE    RÉKOliMi:.  117 

vcnfjeur  et  le  juge  sévère  des  perturbateurs  de  la  paix,  l'entourait 
d'alTcclioji  et  de  respect.  » 

«  Cet  heureux  temps  u'est  plus  »,  couliuue  JNicolas,  «  la  justice 
et  la  paix  sont  proibiidénieut  ébraulées  par  les  malheureuses  {jueri-es 
privées,  qui  donnent  au  puissant  audacieux  la  jiossibilité  de  j)iller  et 
de  dépouiller  le  foible.  L'honneur  est  séparé  du  droit  par  un  soi- 
disant  iionneur,  et  les  nobles  s'imaginent  qu'ayant  envoyé  une  nnsé- 
rable  let(re  de  défi,  ils  sont  autorisés  à  conserver  ce  qu'ils  ont  ravi 
sous  UQ  prétexte  rêvé  à  plaisir,  même  quand  il  s'agit  des  biens  de 
l'Église  ou  du  clergé.  En  vérité,  cette  audace  inouïe  blesse  tout  droit, 
toute  justice!  N'est-il  pas  inique  de  faire  une  question  d'honneur  de 
cequi  est  visiblement  contraire  à  l'équité?  Peut-on  supposer  qu'il  soit 
permis  de  garder  honorablement  un  bien  injustement  acquis?  rs'a-t-il 
pas  été  établi  que  toute  lettre  de  défi,  envoyée  sans  l'assentiment  du 
juge  suprême,  est  déloyale  et  injuste?  Ne  savons-nous  pas  tons  que 
ceux  qui  s'emparent  de  cette  façon  des  biens  de  leurs  adversaires  ne 
sont  autre  chose  que  des  brigands?  Les  biens  de  l'Église  sont-ils  la 
propriété  privée  d'un  prince  de  l'Église  ou  d'un  clerc,  et  la  faute 
d'un  prélat  doit-elle  tourner  au  détriment  de  l'Église  tout  entière? 
Comment  donc  le  gentilhomme  peut-il  se  croire  autorisé  à  envoyer 
une  lettre  de  défi  à  un  clerc,  à  une  abbaye,  à  un  prélat;  et  comment 
quelqu'un  peut-il  être  assez  insensé  pour  soutenir  qu'un  acte  qu'on 
ne  peut  commettre  sans  tomber  dans  le  crime  de  sacrilège  et  sans 
encourir  la  grande  excommunication,  puisse  être  honorable?  » 

Si  l'on  veut  réiablir  la  sécurité  publique,  il  faut  commencer 
tout  d'abord  par  abolir  le  droit  de  guerre  privée,  proclamer 
la  paix  pubhque  perpétuelle  et  réorganiser  la  justice  et  les  tri- 
bunaux. 

Pour  parvenir  à  ce  but,  Nicolas  propose  de  diviser  l'empire  en 
douze  cercles,  ou  davantage.  Chaque  cercle  aurait  un  tribunal 
impérial  composé  de  trois  juges  assermentés,  dont  l'un  appartiendrait 
au  clergé,  l'autre  à  la  noblesse,  et  le  troisième  à  la  bourgeoisie.  Ces 
juges  décideraient  sur  toutes  les  questions  de  droit  se  présentant 
dans  leur  district,  même  sur  les  querelles  survenues  entre  les  membres 
du  clergé,  pourvu  qu'elles  aient  trait  aux  affaires  temporelles.  L'un 
des  juges  conduirait  et  dirigerait  la  procédure,  selon  la  qualité  des 
parties  :  le  juge  ecclésiastique  pour  les  clercs;  le  noble  pour  les 
gentilshommes;  le  bourgeois  pour  les  membres  de  la  commune.  Mais 
la  sentence  n'aurait  force  de  loi  qu'après  avoir  obtenu  l'assentiment 
des  trois  juges.  S'ils  n'étaient  pas  d'accord,  la  majorité  ferait  loi. 
Dans  les  cas  douteux,  on  aurait  recours  à  l'expertise  d'arbitres  com- 
pétents. Les  juges  seraient  autorisés  à  faire  exécuter  leurs  sentences 
par  le  ban  et  par  le  bras  séculier.  Les  punitions  et  amendes  imposées 


Î48     EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

retourneraieut  à  la  caisse  de  l'État,  sur  laquelle  on  prélèverait  les 
émoluments  des  juges. 

L'établissement  de  semblables  tribunaux  mettrait  immédiatement 
fin  à  toute  guerre  privée,  car  les  griefs  des  citoyens  les  uns  contre  les 
autres  pourraient  tous  être  amenés  devant  la  cour  judiciaire  de  chaque 
cercle.  On  se  saisirait  de  celui  qui  se  permettrait  de  se  faire  lui-même 
justice  par  la  force;  il  serait  traité  comme  un  malfaiteur  et  un  voleur 
de  grande  route.  Si  le  tribunal,  soit  d'une  ville,  soit  d'un  village,  dif- 
férait de  le  punir,  les  biens  du  juge  coupable  retourneraient  au  fiscal 
sans  autre  contestation.  Tout  prince  ayant  porté  atteinte  à  la  paix 
publique  serait  déclaré  déloyal;  on  laisserait  à  l'appréciation  de 
l'Empereur  la  question  de  savoir  si  ses  propriétés  devraient  être  ou 
non  confisquées.  Si  l'inculpation  était  dirigée  contre  un  prince  ecclé- 
siastique, il  serait  déposé  par  un  synode  ;  on  lui  retirerait  l'administra- 
tion du  temporel,  et  désormais  il  serait  obligé  de  se  soumettre  à  la 
tutelle  d'un  laïque.  Un  exemplaire  de  cette  loi,  signé  par  tous  les 
princes,  et  scellé,  serait  déposé  dans  la  chancellerie  de  l'empire;  le 
tribunal  de  chaque  cercle  en  garderait  copie  '. 

Au-dessus  des  tribunaux  impériaux,  il  n'y  aurait  que  la  diète,  qui, 
tous  les  ans,  tiendrait  ses  séances  à  Francfort-sur-le-Mein  au  moins 
pendant  un  mois  consécutif,  et  à  une  époque  fixe  -.  La  diète  devien- 
drait le  centre  de  toute  la  jurisprudence.  L'Empereur,  autant  que 
possible,  la  présiderait  en  personne;  s'il  en  était  absolument  empê- 
ché, le  premier  prince  électeur  aurait  la  préséance  en  son  nom.  Là 
seraient  apportées  toutes  les  questions  relatives  à  la  prospérité  du 
royaume;  on  s'efforcerait  d'y  remédier  à  tout  ce  qui  aurait  besoin  de 
réforme.  Les  questions  en  litige  entre  les  princes  seraient  réglées 
d'après  l'avis  général.  Tous  les  juges  impériaux  se  réuniraient  à 
l'époque  de  la  diète  à  Francfort,  et  porteraient  à  l'attention  de 
l'assemblée  les  choses  pouvant  intéresser  le  royaume  et  les  diffé- 
rents pays,  s'ils  jugeaient  important  de  les  faire  discuter  et  décider 
par  les  états.  Nicolas,  voulant  assurer  à  l'élément  bourgeois  la 
représentation  à  laquelle  il  avait  droit,  proposait  aussi  qu'outre  les 
princes  électeurs  et  les  juges  impériaux,  un  député  de  chaque  capi- 
tale, évêché,  ville  libre  importante,  eût  son  siège  à  la  diète  '.  Tous 
les  membres  de  l'assemblée  devaient,  avant  l'ouverture  des  séances, 
jurer  de  n'avoir  en  vue  que  le  bien  public  dans  leurs  délibérations  et 
décisions,  une  disposition   très-importante  voulait   que  les  juges 


'  De  concordatilia  cutholica,  t.  III,  C.  xxix-xxxi,  p.  33-34.  —  Voy.  STUMPF,  p.  59-68. 

-  •  Francofordiae,  quae  videtur  locus  ex  situ  et  aliis  circumstantiis  aptis- 
simus.  •' 

3  «  De  qualil)et  civitate  et  metropo'.i  a«  oppidis  niafjnis  imperialibus.  «  De 
concord.  cath.,  t.  III,  p.  35. 


PLAN    DE    REFORME.  449 

prissent  noie  des  coutumes  de  droit  en  usap;e  dans  leurs  districts 
respectifs,  afin  de  les  soiimcllro  à  l'examen  de  la  dicte,  de  les  rame- 
ner, aulant  que  possible,  à  ruuilc  de  principes  généraux,  et  d'en 
retrancher  tous  les  abus  et  inconvénients,  ceux  surtout  qui  pouvaient 
léser  les  intérêts  des  pelits  et  des  faibles  '. 

La  mise  en  praliqne  de  cetle  cxcclienic  idée  aurait  compensé  le 
maïupic  d'une  direction  {générale  donnée  au  développement  populaire 
(lu  droit  par  l'aclion  législalivc  de  l'Empire.  Le  fonctionnement  de 
la  justice  eût  été  ré{;ulier,  et  n'eût  pas  entravé  le  pro(;rès  particulier 
de  charpie  race  et  des  diverses  classes  sociales.  Les  coutumiers  des 
territoires  allemands  eussent  été  fondus  dans  un  code  national  unique. 
Une  dip,ue  salutaire  et  puissante  eût  été  opposée  à  l'envahissement  de 
la  lé{}isla(ion  romaine,  et  l'on  eût  réservé  au  peuple  pour  l'avenir  le 
droit  de  prendre  une  part  personnelle  à  l'administration  de  la  justice  *. 

«  Mais  le  droit  le  mieux  élaboré,  les  lois  les  plus  excellentes  >, 
Nicolas  le  reconnaissait,  "  ne  pouvaient  être  de  quelque  utilité  que 
si  l'Kmpercur  était  mis  en  possession  d'un  pouvoir  exécutif  vrai- 
ment fort,  lui  permettant  de  punir  les  rebelles,  de  les  ramènera 
l'obéissance,  de  faire  respecter  la  loi  et  de  veiller  à  la  prompte  exé- 
cution des  jujfjements  rendus.  " 

Pour  atteindre  ce  but,  Nicolas  proposait  de  créer  une  armée  per- 
manente, destinée  au  maintien  de  Ja  paix  et  à  la  défense  du  droit. 
Grâce  à  cette  armée,  disait-il,  les  énormes  sommes  que  les  princi- 
pautés, les  comtés,  les  corporations  sont  obligés  de  sacrifier  sans 
cesse  pour  pouvoir  résister  aux  fauteurs  de  trouble  seraient  dimi- 
nuées, la  violence  exercée  à  l'intérieur  rendue  impossible,  et  l'auto- 
rité de  l'Empire  consolidée. 

Les  dépenses  nécessaires  à  l'organisation  de  l'armée  d'État  seraient 
couvertes  par  les  revenus  provenant  des  douanes  et  par  un  impôt 

'  Voici  les  passages  les  plus  importants  de  ce  projet  :  «  Examinentiir  ibi  pro- 
vincialiuin  consuetudines  et  redigantw,  quantum  fieri  potest,  ad  commîmes  obscr- 
v-miias,  et  maximœ  captiosce  fnrmœ  omnino  undique  tollantw,  quoniam  sanpe  sim- 
plices  pauperes  injustissime  per  cavillationes  causidicoruin  extra  formam 
ducunlur  et  a  tota  causa  caduut,  quoniam  qui  cadit  a  syiiaba  radit  a  causa,  ut 
ssepe  vidi  per  Treverensim  diocesira  accidere.  Deinde  tollantur  pessimœ  consuetu- 
dines, quae  admittunt  juramentum  contra  quoscunque  et  cujuscunque  numeri 
testes.  Et  sunt  taies  pessimse  observantia;  multae  per  Germaniam  contra  justi- 
ciam  veram  ac  eciara  peccata  nutrientes,  quœ  particulariter  enumerare  nemo 
sciret.  Unde  propter  hoc  cor.currere  debeant  provinciarum  judices  et  in  scripiis 
consuetudines  suaium provinciarum  redigere  et  porrigere  in  concilio,  Ut  examinentur.  » 
llajouteens'adressant  à  l'Empereur  :  "  Oportet  eciamomnemparticularera  legem 
—  reformare.utcommunilegi,  qua;bonopublicoprovidet,aceciamfontali  legum 
principio,  scilicet  rational!  et  natural!  juri  non  obviet.  »  Cap.  xxxv,  p.  41, 

'Bien  que  Nicolas  eût  fait  des  études  approfondies  sur  le  droit  romain,  il 
resta  toujours  ami  du  droit  national  et  de  l'organisation  des  tribunaux  telle 
qu'elle  était  encore  en  vigueur  de  son  temps.  Voy.  sur  ce  sujet  l'excellente 
appréciation  de  Stumpf,  p.  20-24,  67-58,  69-70. 

29 


4j0    empire    ROMAîN    r.ERMAMQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

général  sur  lequel  la  diète  de  Francfort  aurait  à  statuer,  üue  partie 
devait  eu  être  abandonnée  à  l'Empereur  pour  rcutreticn  de  sa 
maison. 

L'armée  d'État,  garantissant  la  sécurité  publique,  mettant  les 
citoyens  à  l'abri  de  tout  acte  arbitraire  du  côté  des  princes  laïques, 
aurait  encore  un  autre  avantage  :  désormais  les  cvèques  pourraient 
s'adonner  en  paix  aux  devoirs  de  leur  charge,  laissant  leurs  propriétés 
et  affaires  temporelles  entre  les  mains  de  curateurs  fidèles  '. 

Ainsi  l'autorité  de  l'Empereur,  sans  laquelle  il  était  impossible  de 
compter  sur  rien  de  stable  dans  les  réformes  souhaitées,  serait  cou- 
solidée;  le  pouvoir  juridique,  législatif  et  exécutif,  centralisé;  et  la 
paix  intérieure  du  royaume  étant  rétablie,  toutes  les  réformes  utiles 
pourraient  enfin  être  mises  à  exécution.  «  0  Dieu!  '•  s'écrie  Mcolas, 
•  si  les  cœurs  de  tous  ceux  qui  approuvent  ces  pensées  s'enflammaient 
d'un  vrai  zèle  pour  leur  mise  en  pratique,  (lue  nous  verrions 
bientôt  l'Empire  refleurir!  Mais  si  nous  continuons  à  nous  mou- 
trcr  lâches  et  indifférents,  si  nous  nous  laissons  entramer  par  nos 
penchants  aveugles,  si  nous  restons  attachés  à  notre  ancienne  rou- 
tine, sans  nul  doute,  avant  peu,  le  Saint-Empire  périra!  ^ 

La  pensée  qui  domine  tout  le  plan  de  Cusa,  c'est  que  l'affermisse- 
ment du  pouvoir  central  j)eut  seul  opposer  une  digue  efficace  aux 
envahissements  des  petits  souverains,  et  que  la  monarchie  impériale, 
dans  l'ancienne  signification  du  mot,  est  seule  capable  de  rétablir  la 
justice  et  la  paix,  et  de  mettre  l'Empire  à  couvert  des  bouleversements 
qui  le  menacent.  Cette  manière  de  voir  se  trouve  souvent  reproduite 
dans  maint  plan  de  réforme  ultérieur. 

«  Ce  n'est  point  une  bonne  législation  qui  nous  manque  ",  dit 
Guillaume  Becker  (1439);  "  nous  avons  de  bonnes  lois,  d'excellents 
coutumicrs;  le  mal,  c'est  que  dans  les  tribunaux  de  l'Empereur 
comme  dans  ceux  des  princes,  des  seigneurs,  et  dans  tous  les  terri- 
toires de  l'Empire,  le  droit  n'est  point  appliqué  avec  vigueur.  Ce  qui 
nous  manque  encore,  c'est  une  armée  permanente,  stable,  bien  orga- 
nisée, qui,  sous  la  conduite  de  chefs  prévoyants  et  braves,  pénétrés  de 
respect  pour  la  justice  et  pour  la  loi,  soit  en  état  de  faire  exécuter  les 
arrêts  prononcés  avec  une  rigueur  inexorable,  et  d'extirper  jusqu'en 
ses  racines  le  brigandage  de  la  noblesse.  L'Allemagne,  devant  laquelle 
les  peuples  étrangers  tremblaient  autrefois;  l'Allemagne,  qui  possède 
plus  de  richesses  que  tous  les  autres  pays  de  la  terre  el  qui,  plus  que 
toute  autre  nation,  a  des  hommes  d'armes  expérimentés  et  vaillants, 
sera-t-elle  donc  toujours  déchirée  au  dedans  par  une  oppression  bru- 
tale et  désolée  par  les  dissensions  de  ses  enfants?  L'Empire,  déjà  si 

'  Pour  plus  de  déUiils,,  voyez  Stumpf,  p.  70-82. 


UÉFOllMES    OBTENUES    SOLS    1  Kl':;  IJ  ÉRI C    III.  î.jl 

alliiibli,  scra-t-il  condamné,  par  suite  des  discordes  des  princes 
cl  (le  riiiipuissancc  du  souverain,  à  ne  jamais  reconquérir  la  position 
(Iiril  a  occupée  durant  tant  de  siècles,  cl  qui  lui  appartient  entre 
tous  les  peuples?  Ce  ne  sera  que  lorsque  le  pouvoir  du  chef  sera 
alïermi  et  que  l'Empereur  portera  avec  honneur  la  suprême  couronne 
teiiiporeile,  que  les  membres  seront  à  leur  tour  lortifiés,  et  (pie  les 
diliérentes  races  qui  composent  la  nation,  unies  sous  le  sceptre  d'un 
jii{;e  tout-puissant,  pourront  entin  jouir  de  la  sécurité  et  de  la  paix. 
Au  contraire,  tant  que  l'Empereur  restera  dans  une  dépendance  con- 
tinuelle du  bon  plaisir  des  princes;  tant  que,  privé  d'armée  et  de 
revenus,  il  ne  pourra  ni  l'aire  respecter  ses  ordres,  ni  pourvoir  h 
rexéculion  des  ju^icments  rendus,  la  loi  et  l'équité  ne  pourront  fleurir 
parmi  nous,  et  n'auront  aucune  durée.  Aussi  je  le  déclare  :  tout  ce 
qui  l'ortifie  lé[}itimemeut  la  puissance  impériale  fortifie  l'ensemble 
de  la  nation  et  contribue  à  sa  prospérité;  au  contraire,  tout  ce  qui 
affaiblit  le  pouvoir  souverain  fortifie  l'iniquité.  '> 

La  paix  permanente,  la  réorjjanisation  radicale  des  tribunaux  impé- 
riaux, l'armée  d'Empire  et  les  impôts  d'État,  tels  étaient  les  mots  qui 
étaient  alors  sur  toutes  les  lèvres  et  renfermaient  les  constantes  aspi- 
rations de  ceux  qui  avaient  à  cœur  "  l'honneur  et  la  dignité  de 
l'Empereur,  la  paix  du  peuple,  et  le  rétablissement  du  prestige  de 
l'Empire  en  face  des  nations  étrangères  '  :j. 

Déjà,  durant  les  diètes  qui  avaient  eu  lieu  sous  Frédéric  III,  la 
nécessité  d'une  réforme  générale,  et  surtout  d'une  réorganisation  de 
la  justice  -,  avait  été  démontrée  et  discutée  avec  ardeur.  Les  délibéra- 
tions de  l'Empereur  et  des  états  à  ce  sujet  n'étaient  pas  restées  sans 
résultat.  Les  villes  libres  avaient  obtenu  pour  leurs  dépuiés  le  droit 
de  siéger  et  de  voter  dans  les  assemblées,  bien  que  dans  une  mesure 
correspondant  peu  à  leur  importance;  les  délibérations  générales 
avaient  pris  une  forme  plus  régulière,  et  les  états  avaient  été  divisés 
en  trois  collèges,  composés  des  sept  princes  électeurs,  des  princes 
souverains  et  des  députés  des  villes.  Les  efforts  du  jeune  Maximilien 
avaient  réussi  à  faire  proclamer  la  paix  publique  de  dix  ans  (1486), 
et,  de  par  son  autorité,  l'Union  souabe  avait  été  créée,  frayant  la 
voie  à  une  ligue  générale  pour  le  maintien  de  cette  paix.  Aux  cheva- 
liers, prélats  et  villes  libres  souabcs,  premiers  alliés  de  la  ligue, 
plusieurs  princes  s'étaient  empressés  de  se  joindre,  entre  autres 
Sigismond,  archiduc  du  Tyrol  et  de  la  Haute-Autriche,  le  comte 
Ebrard  de  Wurtemberg  et  l'archevêque  de  Mayence,  Berthold  de 

'  '^  Ralschlag  u-ai  dem  Reich,:  not  lue  -,  1  î93.  Voy.  11ÖFLER,  Politische  Re/ormhcice- 
guiig  in  Deutschland  im  15  Jahrhundert,  p.  37-i3.  et  PaLACKY,  L'rlundl.  Beitrüge  zur 
Gesch.  Buhmciii  in  Fontes  rcr.  Ausir.,  t.  11,  p.  20,  313-322. 

-  Voy.  MuLf-ER,  Reickitagilhcatrum  unter  Friedrich  dem  Dritten^  t.  Î,  p.  511-5H. 

29. 


452    EMPIRE    ROMAIN    GERMAMOÜE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

Henneberg.  Redoutant  ia  puissance  toujours  croissante  de  ralliancc 
souabe,  le  duc  Albert  de  Bavière  n'avait  pas  tardé  à  en  faire  partie, 
de  sorte  qu'en  peu  d'années  les  alliés  avaient  vu  se  réaliser  l'espé- 
rance qu'ils  avaient  exprimée  dans  leur  adresse  au  Saint-Père  : 
«  La  lif;ue  avait  eu  une  action  bénie,  non-seulement  eu  Souabe,  mais 
dans  l'Allemagne  entière,  et  les  voyageurs  et  marchands  de  tous  les 
pays  avaient  bénéficié  de  sa  protection'.  » 

Malgré  ces  améliorations  intérieures,  il  fallut  bien  reconnaître,  à 
la  fin  du  règne  de  Frédéric  III,  que,  dans  les  tribunaux  impériaux  et 
autres,  régnait  une  confusion  déplorable,  et  que,  pendant  la  longue 
vie  de  l'Empereur,  le  pouvoir  public,  bien  loin  de  s'être  affermi, 
avait,  au  contraire,  beaucoup  diminué,  aussi  bien  eu  Allemagne  que 
dans  l'opinion  des  nations  étrangères.  Ce  qui  avait  pris  un  accrois- 
sement énorme,  tandis  que  l'autorité  souveraine  allait  s'affaiblissant 
toujours,  c'était  le  pouvoir  des  princes  et  des  grands,  opprimant  de 
plus  en  plus  les  faibles. 

POUVOIR    CROISSANT    DES    PRINCES. 

Toutes  les  maisons  princières  destinées  à  jouer  un  rôle  plus  ou 
moins  important  dans  les  destinées  du  peuple  allemand  virent  leur 
puissance  s'affirmer  sous  Frédéric  III,  au  commencement  du  seizième 
siècle.  Les  Hohenzollern  dans  le  Brandebourg;  la  maison  de  Wettin 
en  Saxe,  en  Thuringe  et  en  Misnie;  les  landgraves  de  Hesse  dans 
l'Allemagne  centrale;  les  Zähriugen  à  Bade;  les  Wittelsbach  dans  le 
Palatinat  et  la  Bavière;  les  comtes,  plus  tard  ducs  de  Wurtemberg 
en  Souabe,  tous  ces  petits  souverains  n'acquirent  une  véritable  impor- 
tance qu'à  partir  de  cette  époque. 

Quelques  maisons  princières,  par  exemple  celle  du  Brunswick- 
Lunébourg,  d' Anhalt  et  du  Palatinat  de  Wittelsbach,  restent  divisées 
en  plusieurs  branches.  Mais  dans  la  plupart  des  autres  maisons,  à 
dater  de  la  seconde  moitié  du  quinzième  siècle,  on  voit  les  princes 
tendre  de  toutes  leurs  forces  à  l'affermissement  de  leur  pouvoir  par 
la  réunion  des  diverses  possessions  de  famille.  C'est  ainsi  que,  sous 
le  duc  Henri  de  Schwerin,  les  pays  du  Mecklembourg  s'unissent  (  1471) . 
En  1479,  sous  le  duc  Bogislas  X,  ceux  de  la  Poméranie,  et,  en  1488, 
ceux  de  Bade,  forment  un  seul  État,  dont  le  margrave  Christophe  H 
devient  le  souverain;  bientôt  après,  sous  le  landgrave  Guillaume  II, 
père  de  Philippe  le  Magnanime,  les  territoires  hessois  s'organisent  eu 
une  unique  principauté.  Dans  le  Bas- Rhin,  sous  le  duc  Jean  III,  un 
État  considérable  est  formé,  composé  des  comtés  de  J uliers -Clèves-ct- 

•  Autojjraphe  daté  du  23  avril  1488. 


I' ou  VOIP,    TMiOlSSANT    I)  K  S    l' I!  1  N  C  E  S  .  453 

Berg-,  de  Mark  et  de  Ravensboiirg.  En  Bavière,  sous  le  duc  Albert  IV, 
les  territoires  de  Wittelsbacli  s'unifient,  et  Neubourg  seul  reste 
indépendant.  En  H8i,  les  ducs  Ernest  et  Albert,  de  la  maison  de 
Wettin,  partagent  leurs  États;  le  premier  garde  la  Courlandc  saxonne 
et  la  Thuringe,  et  devient  la  souche  de  la  ligne  Ernesline,  tandis  que 
le  second,  premier  prince  de  la  ligne  Alberfinc,  règne  sur  la  Misnie 
etsur  tout  le  reste  du  pays.  Mais,  plus  in'elligents  que  tous  les  autres 
princes,  les  Holienzollern,  par  la  conquête,  les  échanges,  les  achats, 
parviennent  à  étendre  toujours  leurs  possessions,  à  fortifier  leur 
pouvoir,  et  gr;\ce  à  leurs  alliances,  aux  annexions  venues  par  héritage, 
ils  régnent,  vers  la  fin  du  moyen  Age,  sur  la  moitié  de  l'Allemagne. 

A  la  même  époque,  un  nombre  considérable  de  principautés  ecclé- 
siastiques deviennent  la  propriété  de  princes  laïques,  et  ce  fait  con- 
tribue encore  à  augmenter  considérablement  le  pouvoir  des  princes. 

Plus  s'accroît  leur  importance  politique,  plus  diminue  l'action  civi- 
lisatrice de  l'Empire  sur  la  constitution  intérieure;  et  l'on  voit  les 
différents  territoires  se  développer  presque  exclusivement  sous  des 
influences  particulières. 

La  puissance  des  princes  souverains  va  toujours  en  croissant;  elle 
se  fait  sentir  aussi  bien  aux  diverses  conditions  sociales  (jusque-là 
regardées  comme  les  assises  mêmes  de  la  société)  qu'à  la  petite 
noblesse,  aux  conseils  urbains  et  aux  assemblées  des  états. 

Dans  quelques  territoires,  l'autonomie  des  villes  libres  est  déjà 
complètement  détruite,  surtout  dans  la  marche  du  Brandebourg,  où 
leséchevins,  an  lieu  d'être  comme  autrefois  librement  élus  par  les 
bourgeois,  se  voient  contraints  de  descendre  au  rang  de  conseillers 
du  prince  électeur  '. 

A  leur  tour,  les  comtes  et  seigneurs  ne  maintiennent  plus  qu'à 
grand'peine  le  principe,  autrefois  si  puissant,  du  gouvernement  per- 
sonnel. Les  chevaliers  voient  aussi  leur  situation  menacée.  L'axiome 
du  temps  passé  :  «  Le  chevalier  conquiert  son  bien  à  la  pointe  de 
l'épée  ",  n'a  plus  de  sens,  depuis  qu'à  la  guerre  l'introduction  des 
armes  à  feu  a  donné  la  prépondérance  à  l'infanterie  sur  la  cavalerie. 
Les  donjons  fortifiés,  où  les  nobles  pouvaient  autrefois  se  croire 
indépendants  de  toute  autorité,  perdent  leur  importance.  Pour 
munir  leurs  châteaux  forts  des  pièces  d'artillerie  devenues  néces- 
saires, pour  entretenir  des  canonniers  (qui  faisaient  alors  payer  fort 
cher  leurs  services),  pour  se  procurer  les  coûteuses  armes  à  feu  désor- 
mais indispensables,  il  fallait  pouvoir  disposer  de  sommes  impor- 
tantes, et  la  plus  grande  partie  des  chevaliers  pouvaient  d'autant 
plus  difficilement  se  les  procurer  que  leurs  revenus  étaient  considé- 

'  Voy.  l'explication  donnée  par  le  margrave  Jean  (1490;  dans  Bitzer,  p,  583- 
593. 


454     EMPIRE    ROMAIN    GERMA.MQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

rablement  diminués  par  la  division  trop  fréquente  des  héritages, 
rabaissement  de  la  valeur  foncière  provenant  du  développement  du 
capital,  et  l'habitude  d'un  luxe  excessif.  «  Il  résulte  de  tout  cela  ",  dit 
le  judicieux  et  pénétrant  Pierre  de  Froissard,  «  que  la  chevalerie  a 
beaucoup  perdu  en  honneur  et  en  considération.  Elle  est  menacée 
dans  SCS  droits  et  dans  sa  liberté,  et  risque  fort  de  tomber  sous  la 
complète  domination  des  princes,  '> 

'  De  tous  côtés  »,  ajoute-t-il,  «  le  pouvoir  des  maisons  princières 
prend  de  l'extension.  L'indépendance  des  villes  est  menacée.  Du 
reste,  les  cités  semblent  tourner  toutes  leurs  aspirations  et  tout  leur 
effort  vers  l'accroissement  de  leur  commerce,  et  n'ont  d'ardeur  que 
pour  les  gros  bénéfices  et  la  richesse;  le  maintien  de  leur  rang  dans 
l'Empire  parait  leur  devenir  indifférent.  » 

Quant  aux  relations  des  princes  avec  les  élats,  Froissard,  au  même 
endroit  où  il  constate  que  les  princes  ont  mis  l'Empereur  sous  leur 
dépendance  et  ne  veulent  plus  lui  reconnaître  que  quelques  préroga- 
tives, après  avoir  dit  qu'ils  sont  à  leur  tour  tombés  sous  la  domina- 
tion des  états ',  ajoute  cette  réflexion:  «  II  n'en  est  plus  ainsi  dans 
bien  des  principautés.  Les  princes  ne  cherchent  qu'à  mettre  obstacle 
à  l'indépendance  de  la  noblesse  et  des  villes,  et  rêvent  leur  entière 
destruction;  ils  mettent  à  profit  les  discussions  partout  où  elles  se 
produisent,  et  jusque  dans  les  assemblées  générales  nourrissent  avec 
soin  les  dissentiments,  afin  d'en  profiter  pour  leur  avantage  personnel 
et  l'accroissement  de  leur  pouvoir.  Les  docteurs  en  droit  et  les 
légistes  romains  qu'ils  installent  dans  les  universités  et  fixent  à  leurs 
cours,  les  secondent  merveilleusement  dans  ce  dessein,  et  n'épargnent 
rien  pour  établir  le  pouvoir  absolu  de  leurs  bienfaiteurs  ;  ils  affirment 
que  l'autorité  des  princes  a  seule  force  de  loi,  et  qu'elle  doit  tout 
primer.  » 

«  Ces  docteurs  et  d'autres  savants  interprètes  du  droit  sont 
extrêmement  en  faveur  auprès  des  princes,  qui  les  comblent  d'hon- 
neurs et  reconnaissent  magnifiquement  leurs  services.  Mais  ils  n'en 
sont  pas  moins  hais  et  méprisés  des  petits  et  des  grands.  Le  peuple 
les  accuse  hautement  de  vouloir  diminuer  ou  détruire  leurs  anciens 
droits  et  coutumes.  On  les  regarde  comme  une  plaie  encore  plus 
funeste  que  celle  de?,  chevaliers-brigands,  qui  du  moins  ne  dépouil- 
lent les  gens  que  de  leur  bourse.  On  les  tient  pour  une  peste, 
gagnant  peu  à  peu  tout  le  pays,  et  menaçant  de  détruire  le  droit 
national  '.  » 

'  Lettres  14  et  15. 


en  APITUE   II 

INTROniiCTION    n'UN    DROIT   ÉTRANGER. 
I 

La  fuucstc  influence  exercée  sur  les  peuples  romans  et  germa- 
niques parle  droit  romain-byzantin  nous  est  venue  en  premier  lieu  de 
i'école  de  Bologne.  A  partir  du  douzième  siècle,  cette  école  remplit 
les  innombrables  étudiants  qui  y  affluaient  de  tous  les  pays  de 
l'Europe,  d'un  respect  exclusil',  d'une  sorte  d'idolâtrie  pour  le  droit 
•■1  ranger. 

Le  droit  romain  exerça  sur  les  jurisconsultes  de  Bologne  sur- 
nommés les  glossateurs  ',  et  plus  tard  sur  leurs  disciples,  précisément 
la  même  action  que  devait  avoir  peu  après  la  littérature  classique  sur 
les  hum.anistes  italiens  et  allemands  de  la  jeune  école. 

De  même  que  ceux-ci,  pleins  d'une  admiration  exclusive  pour  le 
passé,  séduits  par  le  génie  païen,  soutenaient  que  la  civilisation 
antique,  la  forme  de  vie  et  de  pensée  des  anciens  était  la  seule 
vraie,  la  seule  vraiment  humaine  et  par  conséquent  la  seule  légi- 
time, de  même  les  glossateurs,  fascinés  par  la  beauté  du  droit 
romain,  enthousiasmés  par  sa  pénétrante  méthode  d'analyse,  ses 
déductions  d'une  logique  serrée,  ses  démonstrations  lumineuses  et 
l'énergique  concision  de  sa  forme,  se  crurent  de  bonne  foi  revenus  à 
l'époque  romaine,  et  se  prirent  à  revivre  de  telle  sorte  dans  le  génie 
antique  qu'ils  ne  reconnurent  bientôt  plus  pour  bon  et  raisonnable 
que  ce  qui  leur  paraissait  tel  au  point  de  vue  romain. 

Le  droit  romain,  enseignaient-ils,  renferme  l'exposition  logique 
des  vérités  démontrées  par  la  raison  naturelle;  il  est  applicable, 
par  conséquent,  à  tous  les  temps,  à  tous  les  peuples;  il  est  doué  de  la 
même  universalité  que  celle  qu'on  attribue  aux  lois  de  la  logique 
et  des  mathématiques.  Il  est  la  raison  écrite  [ratio  .scripta)  ^  Sa  doc- 


'  Irnériiis,  fondateur  de  l'école  de  Bologne,  et  après  lui  ses  disciples,  donnaient 
sur  les  passages  obscurs  du  code  .Juslinien  de  courtes  explications  juridiques  ou 
grammaticales  :  GLossœ  ml  ipsam  legum  liUeram.  De  là  leur  nom  de  glossateurs. 

-  "  I<e  refus  de  reconnaître  d;ins  le  droit  romain  le  droit  modèle,  le  seul  droit 
véritable,  en  un  mot  le  droit  même,  n'empêche  nullement  de  reconnaître  la  per- 
fection achevt  e  de  sa  forme.  Elle  n'en  ressort  au  contraire  que  dans  un  relief 
plus  saisissant.  Le  droit  romain  nous  présente  une  méthode  de  jurisprudence 


456    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

trine  fait  loi,  non-seulement  dans  les  questions  privées,  mais  encore 
dans  toutes  les  questions  juridiques  ayant  trait  à  la  vie  publique. 
Les  nouveaux  docteurs  allèrent  si  loin  dans  la  dépréciation  du  droit 
national,  qu'ils  en  vinrent  jusqu'à  dire  que  la  loi  germanique  ne  valait 
pas  même  la  peine  d'être  étudiée,  et  qu'il  était  inutile  d'approfondir 
les  relations  qu'elle  pouvait  avoir  avec  l'état  actuel  de  la  société  '. 

Or  le  droit  romain,  en  ses  points  essentiels,  est  en  totale  opposi- 
tion avec  les  principes  du  droit  chrétien  germanique. 

En  effet,  tandis  que  ce  dernier  *  regarde  le  droit  comme  une 
manifestation  de  la  volonté  divine  et  fonde  tout  le  système  juri- 
dique sur  la  dépendance  où  l'homme  doit  être  de  Dieu,  la  théorie 
païenne  ne  donne  d'autre  origine  au  droit  que  la  volonté  du  peuple. 

Selon  elle,  le  droit  n'est  pas  une  règle  supérieure  donnée  par 
Dieu  aux  hommes  et  suggérée  d'avance  par  la  loi  morale;  c'est  une 
prescription  totalement  indépendante  de  la  morale,  établie  par  les 
hommes  pour  leur  avantage  personnel. 

Avant  la  fondation  de  l'État,  les  hommes,  en  possession  de  la  liberté 
naturelle  et  d'une  souveraineté  sans  limites,  étaient  juridiquement 
étrangers  les  uns  aux  autres,  et  n'avaient  nuls  devoirs  les  uns  envers 
les  autres.  La  loi  du  plus  fort  régnait  seule.  Mais  comme  une  telle 
indépendance,  à  cause  des  vices  inhérents  à  l'hamanité,  n'aurait  pu 
durer  sans  porter  atteinte  à  la  liberté  individuelle,  sans  produire  des 
troubles  continuels  et  sans  provoquer  la  guerre  de  tous  contre  tous, 
les  hommes,  pour  leur  propre  sécurité,  s'organisèrent  en  société  et 
fondèrett  l'État. 

L'institution  de  l'État  transporta  la  souveraineté  primitive  des 
individus  à  la  généralité  de  la  nation.  Le  peuple  eut  désormais  le 
droit  de  fixer  des  lois  obligeant  tous  les  citoyens;  il  exerça  ce  pouvoir, 
soit  directement,  dans  les  délibérations  prises  en  commun,  soit  indi- 
rectement, par  l'organe  de  ses  élus. 
•  Ces  prescriptions  s'appellent  les  lois,  et  les  lois  fondent  le  droit. 

Le  droit  n'est  donc  pas,  comme  l'avait  enseigné  la  doctrine  germa- 
nique chrétienne,  avant  et  au-dessus  de  la  loi;  il  n'existe  que  par 
la  loi;  il  naitdans  l'État.  C'est  dans  l'État  qu'il  trouve  sa  base  et  sou 
but,  et  il  reste  sous  la  domination  de  l'État.  Tandis  que  l'enseigne- 

complète,  une  technique  unique  et  admir;ible  dans  sa  logique  et  sa  pénétration; 
tous  les  germanistes  en  tombent  d'accord.  •  Voyez  Brcder,  p.  35  et  313. 

'  Voyez  Schmidt,  Bcception.  p.  i6-40.  Sur  l'influence  funeste  du  droit  romain  en 
Italie.  Muratori  a  dit  :  •■  Appena  la  roniana  giurisprudenza  mise  il  piede  nelle 
scuole,  e  s'impadroni  di  tutti  tribunali  d'Italia,  si  spalancarano  le  porte  a  mille 
soristiclierie  ed  arti  per  tirare  in  lunfjo  la  giuslizia  e  per  difficultare  talvolta 
la  cofjnizione    del   giusto  più  tosto  che   per  ajutarla.    »    Dissvria-Jom  sopra   le 

antichilà  italianc,  t.  I,  p.  349.  —  Voyez  SCHMIDT,  p.  125. 

^  Voyez  plus  haut. 


I.E   DllOir  ROMAI\  OPl'OSK.  AU   DROIT  CIIRKTIEN  GERMANIQUE.        457 

ment  chrétien  ne  voil  dans  le  souverain  que  l'exécuteur,  l'auxiliaire 
muni  de  pleins  pouvoirs  dn  droit,  d'après  la  tliéorie  romaine,  au  con- 
traire, le  souverain,  suprême  dépositaire  de  la  puissance,  est  investi 
d'un  pouvoir  politique  sans  restriction.  11  est  la  source  première  du 
droit;  il  est  autorisé  par  cela  même  à  le  chan^yer  selon  son  bon  plaisir 
dans  les  questions  {jénérales  aussi  bien  que  dans  les  cas  parliculiers. 
Tous  ces  «  droits  légitimes  »,  que,  d'après  la  loi  germanique,  ni 
l'Ktatni  l'individu  n'étaient  libres  de  violer,  la  législation  romaine  ne 
les  reconnaît  pas,  et  ne  l'ait  jamais  mention  des  garanties  que  notre 
droit  national  avait  établies  pour  leur  défense  '. 

Les  glossateurs  et  leurs  disciples  mettaient  au-dessus  de  toute 
discussion  le  principe  de  l'application  obligatoire,  permanente, 
légitime  du  code  de  Justinicn.  L'empire  romain  est  encore  debout, 
disaient-ils,  et  les  empereurs  romains  de  nation  germanique  sont  les 
successeurs  directs  des  anciens  césars.  Le  pouvoir  absolu,  autrefois 
exercé  par  eux,  a  passé  aux  empereurs  romains  allemands  :  la  volonté 
de  l'Empereur,  c'est  la  loi. 

C'est  par  cette  doctrine  que  les  glossateurs  surent  gagner  la 
faveur  des  souverains  de  la  maison  des  Hohenstaufen;  ravis  d'y 
trouver  la  base  légale  de  l'absolutisme  qu'ils  rêvaient,  ils  la  propa- 
gèrent avec  ardeur,  et  mirent  son  application  permanente,  comme 
droit  impérial,  tellement  au-dessus  de  toute  contestation,  que  pour 
bien  montrer  que  la  législation  romaine  était  toujours  en  vigueur, 
ils  envoyèrent  aux  glossateurs  plusieurs  de  leurs  propres  lois,  et  les 
firent  incorporer  dans  le  code  de  Justinien  '.  Frédéric  Barberousse 

'  Pour  plus  de  détails,  voyez  Schmidt,  Pn'ncipieller  Utitemchicd,  p.  29-80.  "  D'après 
la  théorie  romaine  »,  dit  Schmidt,  ^  le  pouvoir  de  l'État  est  la  plus  haute 
puissante  dans  l'État;  elle  est,  comme  telle,  inattaqual-'le.  Nul  pouvoir  ne 
peut  contre-balancer  le  sien,  il  est  omnipotent.  »  On  peut  apprécier  les  consé- 
quences de  ce  fait  dans  l'axiome  suivant  :  «  Ouod  principi  placuit,  legis  habet 
vigorem.  •  «Le  droit  romain,  dit  Jacob  GrwMM,  (/^t'cA<4n//er//Hi?He;-,  t.  XVI),  n'est 
pas  celui  de  notre  patrie;  il  n'est  pas  né,  il  ne  s'est  pas  développé  sur  notre 
sol;  il  contredit  dans  les  points  les  plus  essentiels  notre  manière  de  penser,  et 
par  conséquent  il  est  incapable  de  nous  satisfaire.  La  mise  en  pratique  du  droit 
romain  n'a  certainement  été  avantageuse  ni  à  notre  constitution  ni  à  notre  liberté.  L'Angle- 
terre, la  Suède,  la  Norwége  et  les  autres  pays  qui  ne  l'ont  pas  adopté  directe- 
ment, ont,  sans  rester  en  arrière  dans  leur  développement  intellectuel, 
conservé  beaucoup  de  traits  précieux  de  leui  caractère  national  et  gardé  leurs 
lois  et  coutumes  particulières.  •  Dans  les  pays  où  le  droit  romain  a  été  intro- 
duit, au  contraire,  la  vie  publique  a  dépéri,  et  les  constitutions  nationales  ont 
fait  place  à  un  absolutisme  tout  ü  fait  contraire  à  l'esprit  germanique.  Le  peuple 
anglais,  gouverné  par  son  droit  national,  a  conservé  sa  liberté  et  sa  constitution. 
Voyez  Schmidt,  p.  141-li9,  161-192.  —  F.  V.  Hahx,  Die  Uebereimtimmung  der 
riimischen  und  germanischen  Rechtsprincipien,  p.  29-50.  —  M.  VoiGT,  Das  Jus  naturale 
der  Borner,  t.  I,  p  327-331.  —  Ihf:i\1>G,  Geist  des  römischen  Rechtes  (3^  édition),  t.  I, 
p.  216,  et  t.  II,  p.  59.  Voyez  Aurens,  Juristische  Enciclopüdie,  p.  332-374  et  517-545. 

-  '  Ut  aptarint  eas  singulis  legibu.s  sub  congruentibus  titulis.  -  Voyez  Franklin, 
lieceplion,  p.  124. 


i58    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

s'attribuait  déjà  tous  les  droits  exercés  par  les  césars,  et  se  consi- 
dérait comme  leur  successeur  légitime  et  direct.  xVussi  appliquait-il 
la  loi  romaine  dans  les  questions  privées  et  publiques,  au  mépris  des 
anciennes  traditions  allemandes  '. 

Toulefois,  les  empereurs  ne  réussirent  pas  de  sitôt  à  naturaliser  ces 
théories  dans  notre  pays;  ils  ne  purent  de  prime  abord  fonder  sur  le 
sol  allemand  un  empire  formé  sur  le  modèle  païen,  et  ce  ne  fot  que 
dans  les  questions  de  politique  ecclésiastique  que,  de  temps  en  temps, 
ils  s'en  firent  une  arme  pour  combattre  le  droit  canon.  C'est  ainsi  que 
Louis  de  Bavière,  pendant  la  lutte  qu'il  soutint  contre  l'Église,  se 
déclare  au-dessus  de  tout  droit,  et  soutenu  par  ses  légistes  complai- 
sants, essaye  d'extraire  de  la  loi  romaine  le  principe  que  l'Empereur 
n'est  nullement  tenu  de  se  foire  confirmer  par  le  Pape^ 

Le  véritable  moment  de  transition  dans  l'histoire  du  droit  alle- 
mand ne  commence  qu'cà  Charles  IV.  Ce  prince  donne  place  dans 
la  chancellerie  impériale  aux  juristes  formés  selon  les  idées  de  l'an- 
cienne Rome  ;  il  s'aide  de  leurs  conseils  durant  son  long  règne  dans  les 
questions  administratives,  et  leur  laisse  prendre  une  notable  part  aux 
affaires.  Il  les  assimile,  comme  rang  social,  à  la  petite  noblesse',  et 
c'est  à  partir  de  ce  moment  que  les  docteurs  en  droit  romain  font  tous 
leurs  efforts  pour  introniser  partout  une  doctrine  à  laquelle  ils  doivent 
leur  situation;  désireux  de  voir  grandir  encore  leur  influence,  ils 
cherchent  par  tous  les  m^oyens  possibles  à  la  faire  reconnaître  pour 
seule  valable  \  Sous  Sigismond,  on  trouve  déjà  un  bon  nombre  de  sen- 
tences et  de  jugements  rendus  d'après  les  avis  des  nouveaux  légistes  '. 

Sous  Frédéric  III  et  Maximilien  I",  leur  crédit  ne  fait  que  croître. 
Ni  l'un  ni  l'autre,  cependant,  n'aimaient  le  droit  romain  ni  les 


'  Voyez  Stobbe,  Rcchtsqudlcn,  t.  I.  p.  GlG-617.  Voyez  aussi  vo\  SAVifiNv,  t.  IV, 
p.  65,  et  ZÖPFL,  p.  107. 

-  Voy.  StOIîBE,  t.  I,  p.  619.  —  Fb.vnklix,  Réception,  p.  127-133.  —  MODDERMVNN- 
SciioLz,  p.  32-33.  —  Le  plus  ancien  exemple  de  l'opposition  du  droit  païen  auxprin- 
cipes  du  droit  chrétien  germanique  se  trouve  dans  un  libelle  lancé  contre  Gré- 
goire VII  et  composé  par  le  juriste  italien  Petrus  Crassus  (1080).  Le  pamphlétaire 
va  jusqu'à  faire  servir  les  axiomes  de  la  loi  romaine  sur  la  propriété,  la  pres- 
cription, etc.,  à  établir  que  Henri  IV  possédant  le  royaume  par  héritage,  toute 
opposition  à  son  pouvoir  doit  être  punie  comme  attentatoire  à  la  propriété 
légitime.  Crassus  Hafte  l'Empereur  de  la  manière  la  plus  basse,  et  dans  ses  vers 
serviles  demande  un  riche  salaire  en  récompense  de  ses  efforts.  Il  est  le  digne 
prototype  des  innombrables  juristes  courtisans  qui,  dans  les  siècles  suivants, 
surent  puiser  dans  le  droit  romain  des  prétextes  pour  pallier  et  colorer  les 
actes  de  violence  et  d'injustice  des  maîtres  qui  les  payaient.  (Voy.  sur  Ckassus 
l'article  de  IIohoff,  dans  les  Christi,  socialen  I>1.,  {i87G,  n"  18.) 

^  Pour  plus  de  détails  voy.  Stobbe,  t.  I,  p.  633,  et  t.  II,  p.  44.  —  On  appelait 
les  docteurs  «  milites  legum  "  ou  ••  milites  togati  ».  JEneas  Sylvius  s'amuse  aux 
dépens  de  cette  noblesse  pédante  dans  VHist.  Freder.,  p.  29i. 

*  Stobbe,  t.  II,  p.  44-4G. 

^  Voy.  Franklin,  Rcccjuion,  p.  180-185.  —  Stobbe,  t.  I,  p.  623. 


LE    »no  IT    lî  OMAIN    FAVOItlSK    l'Ait    LES    EMPEREURS.        i5i) 

«  romanistes  '  »;  mais  tous  deux  étaient  absolument  obligés  de 
recourir  à  leur  assistance,  car  les  princes,  ainsi  que  les  villes  libres 
les  plus  importantes,  avaient  pris  à  leur  service  d'habiles  juristes 
romains,  et  s'en  servaient  dans  leurs  rapports  avec  la  cour  et  pour  la 
conduite  des  débats  judiciaires. 

Mais  en  dépit  des  efl'orts  tentés  par  les  "  romanistes  »  au  qua- 
torzième siècle,  ce  ne  fut  qu'à  la  fin  du  quinzième  qu'ils  parvinrent 
à  faire  passer  le  droit  romain  dans  la  pratique  usuelle  et  réussirent 
à  annuler  les  vieilles  traditions  germaniques  et  le  droit  national. 

Jusque-là,  il  n'avait  été  question  presque  nulle  part  d'introduire 
les  nouveaux  docteurs  dans  les  tribunaux.  Partout,  les  traditions 
et  usages  du  droit  germanique  avaient  encore  force  de  loi,  et  les 
coutumiers  et  livres  de  droit  allemand  étaient  seuls  en  possession  du 
respect  général  ^  Il  est  vrai  qu'on  trouve  fréquemment  dans  les  écrits 
du  temps  l'expression  de  <<  droit  impérial  écrit  -,  mais  ce  terme  ne 
fut  ni  originairement  ni  exclusivement  appliqué  aux  prescriptions 
du  code  de  Justinien,  et  ne  désignait  ni  un  recueil  de  lois  particu- 
lier, ni  un  droit  généralement  mis  en  pratique.  îl  n'avait  trait  qu'aux 
principes  juridiques  qu'on  attribuait,  ou  croyait  pouvoir  attribuer,  à 
la  volonté  indirecte  ou  directe  de  l'Empereur  \ 

Le  droit  canon  qui  emprunte  évidemment  sa  méthode  au  droit 
romain,  mais  puise  presque  toujours  la  matière  de  ses  décisions 
dans  le  droit  germanique,  fil  une  ferme  résistance  à  l'intro- 
duction du  code  étranger  et  à  ses  théories  serviles  ^  Depuis  les 
temps  les  plus  reculés,  les  décrétâtes  des  papes  avaient  été  la  source 
du  droit  chrétien  germanique  %  et  celles  de  Grégoire  IX  peuvent 

'  Cuspinian  a  dit  à  propos  de  Frédéric  III  :  Juris  peritos  mediocriter  dilexit, 
qiiod  a-quilatein  diceret  ab  eis  interverti  fœdarique  justitiam.  Fugger,  dans  son 
Miroir  de  l' honneur ,  dit  en  parlant  de  Maxiinilien  :  »  Bien  qu'il  eût  tous  les  savants 
en  grande  estime  et  qu'il  les  aimât  fort,  il  détestait  ces  juristes  qui  regardent 
les  écrits  et  opinions  de  Barthole  et  de  Baldus  comme  autant  d'oracles  et  de 
sentences  divines.  Et  il  n  a  jamais  pu  les  souffrir  auprès  de  lui.  •  Voy.  Schmidt, 
Réception,  p.  193-194. 

-Résumant  toutes  ses  investigations  sur  le  droit  romain,  Stoehe  affirme  (t.  I, 
p.  654)  qu'en  dépit  de  l'opinion  si  répandue  que  le  droit  romain  a  dû  être 
universellement  en  usage  comme  droit  impérial,  il  ne  s'est  réellement 
implanté  que  dans  des  cerdes  très-restreints  avant  la  fin  du  quinzième  siècle. 
Nulle  part,  jusque-là,  il  n'avait,  au  détriment  du  droit  national,  remplacé  les 
principes  existants  de  la  jurisprudence.  Par  conséquent ,  on  doit  regarder 
comme  erronées  les  assertions  de  Duncker  [Zeitschrift  für  deutsches  Recht,  2^,  181). 
Franklin  se  range  à  l'avis  de  Stobbe. 

'  Sencke\berg  dit  avec  raison  dans  le  Corp.  iuris  germ.  praef.,  §  3  :  <^  Keyser- 
recht  ergo  accipitur  pro  quocunque  iure  Caesareo,  aut  antiquitus  aut  recens  ab 
imperatoribus  nostris  coudato,  aut  vero  adscito,  modo  imperiali  auctoritate 
valeret.  •  Voy.  Franklin-,  p.  140-154. 

*  Voy.  Bruder,  t.  XXXIII,  p.  701. 

'  ROSSHIRT,  Vorrede  zur  Gesch.  des  Rechtes  im  Mittelaller,  et  I'articie  du  même 
auteur  dans  le  Frcihurger  Kirchenlcxicon,  t.  Il,  p.  933.  «  C'est  le  droit  canon  qui  a 


460    EMPIRE    ROMAIN    GERMAXIOUE,    SIirATION    EXTÉRIEURE. 

être  considérées  comme  notre  premier  code  officiel.  C'est  à  elles 
qu'en  dépit  du  crédit  croissant  des  légistes,  nous  devons  la  conser- 
vation dun  grand  nombre  d'institutions  et  de  préceptes  issus  de 
notre  législation  nationale  :  insérées  dans  le  code  papal,  elles  prirent 
une  forme  légale,  fixe  et  indiscutable  '. 

L'Église,  aussi  bien  que  les  glossateurs,  proclamait,  il  est  vrai, 
l'existence  d'un  droit  universel,  immuable,  approprié  à  tous  les 
hommes.  ]\Iais  ce  droit  n'est  pas  le  droit  romain;  il  a  Dieu  même 
pour  origine;  Dieu  l'a  révélé  à  l'homme  dans  la  sainte  Écriture;  il 
est  au-dessus  de  toutes  les  lois  établies  à  différentes  époques  par  les 
peuples  divers,  et,  par  conséquent,  prime  le  droit  romain  aussi  bien 
que  tous  les  autres  *. 

Partant  de  ce  principe,  l'Église  rejetait  les  axiomes  de  la  loi  romaiue 
partout  où  ils  étaient  en  contradiction  avec  le  droit  divin;  et  depuis 
que  les  souverains  de  la  maison  de  Hohenstaufen  prétendirent  s'en 
servir  pour  anéantir  Tordre  légal  établi  par  le  droit  chrétien  germa- 
nique et  rétablir  l'absolutisme  païen,  elle  s'opposa  avec  énergie  à  sa 
diffusion  ^  En  1180,  le  pape  Alexandre  ill  en  défendit  l'étude  aux 
moines.  Houorius  III  étendit  en  1210  cette  défense  à  tous  les  prêtres, 


formé  notre  esprit  uational.  •  Dien  que  le  droit  canon,  dit  très-justement 
Stobbe  (t.  I,  p.  641,  et  t.  II,  p.  134),  soit  italien  d'origine,  il  se  rapproche  beau- 
coup plus  de  l'esprit  allemand  que  le  droit  romain,  parce  qu'il  repose  sur  des  bases 
chrétiennes  et  germaniques,  et  tient  à  un  ordre  de  choses  qui  se  rapporte  à  la  vie  chrétienne 

germanique.  Les  décisions  du  droit  canon  étaient  bien  plus  appropriées  au  peuple 
allemand  que  le  Corpus  juris  civilis,  parce  qu'elles  avaient  été  prises  à  propos  de 
relations  sociales  modernes,  vivantes,  et  n'avaient  pas  besoin  d'être  accom- 
modées à  la  vie  actuelle  de  l'Allemagne.  Yoy.  Blcntschli,  Die  neueren  Rechts- 
schulen der  deutschen  Juristen  (Zurich,  1862,  2«  éd.,  p.  41). 

'  Pour  plus  de  détails,  voy.  Zopfl.  p.  116-119. 

-  Aussi  le  droit  canon  demande-t-il  à  la  loi  d'être  :  Secundum  naturam, 
secundum  patriae  consuetudinem,  loco  temporique  conveniens.  Voy.  Schmidt, 
Beeeption,  p  110.  Les  papes  s'opposaient  énergiqueinent  à  l'introduction  du 
droit  romain  dans  les  pays  qui  n'avaient  point  de  population  romane,  esti- 
mant à  bon  droit  qu'il  n'était  pas  nécessaire  au  gouvernement  des  peuples 
germaniques  et  ne  s'ajustait  point  à  la  simplicité  de  leurs  mœurs.  Zopfl, 
p.  113-116. 

^  Sur  l'attitude  de  l'Église  vis-à-vis  du  droit  romain.  Schmidt  dit  entre  autres 
choses  fp.  107-121)  :  '  L'Église  pouvait  et  devait  considérer  et  employer  le  droit 
romain  comme  un  élément  de  civilisation.  De  même  qu'elle  s'était  appliquée  à 
conserver  la  littérature  latine,  elle  s'efforça  de  préserver  dans  le  droit  romain 
tout  ce  qui  pouvait  répondre  à  ses  vues  civilisatrices;  el  si  dans  le  vieux  droit 
germanique  nous  retrouvons  des  axiomes  empruntés  au  droit  romain,  ce  fait 
doit  être  attribué  principalement  à  l'influence  de  l'Église  et  du  clergé.  L'Église 
n'avait  nul  motif  de  s'opposer  à  ce  que  les  peuples  chrétiens  s'appropriassent 
les  conquêtes  intellectuelles  des  Grecs  et  des  Romains  en  ce  qu'elles  conte- 
naient de  favorable  au  développement  de  leur  vie  nationale.  Mais  il  lui  fut 
impossible  d'approuver  les  glossateurs  et  plus  tard  les  humanistes  lorsqu'ils 
voulurent  faire  dominer  partout  la  littérature  grecque  et  latine,  et  au  lieu 
d'enrichir  la  vie  des  peuples  modernes  des  conquêtes  du  génie  païen  .s'effor- 
cèrent d'étouffer  le  génie  national  en  le  ramenant  aui  théories  païennes.  • 


AHANDON  DE   L'KTUDE  DU  DltOIT  ROMAIN  DANS  LES  UNIVERSITES.     461 

Cl  ranncc  suivanic  ilinterdil  nicmc  aux  laïques,  sous  peine  d'excommu- 
nication, de  faire  ou  de  suivre  à  runiversitc  de  Paris  des  cours  sur  le 
droit  romain.  En  1254,  Innocent  IV  s'efforce  d'étendre  cette  interdic- 
tion à  la  France,  à  l'Angleterre,  à  l'Ecosse,  à  l'Espagne  et  à  la  Hongrie. 
Dans  les  universités  allemandes,  l'étude  du  droit  canon  est  longtemps 
seule  autorisée.  Puis,  en  vertu  de  privilèges  spéciaux,  le  droit  romain 
finit  par  y  être  enseigné,  mais  seulement  pour  servir  à  l'cxplica- 
lion  et  à  la  dcmonsiration  du  droit  canon';  les  facultés  de  juris- 
prudence, composées  en  grande  partie  de  docteurs  canonistes, 
n'élaieiit  que  le  complément  des  facultés  de  théologie.  Ce  n'est  qu'en 
1490  que  le  droit  romain  est  définitivement  admis  à  Fribourg;  à 
Ikile  il  est  adopté  en  lî94;  à  Vienne  en  1495;  à  Heidelberg  en  1498^; 
il  avait  été  introduit  beaucoup  plus  tôt  dans  quelques  universités  de 
i  Allemagne  du  Nord.  —  A  Rostock,  vers  le  milieu  du  quinzième  siècle, 
il  prend  un  remarquable  développement;  à  Greifswalde,  dès  1456, 
quatre  '^  légistes  »  professent;  à  Luuébourg,  une  faculté  spéciale 
enseignant  exlusivement  le  droit  romaiii  est  établie  en  1471^;  à 
Erfurt,  entre  1450  et  1500,  le  nombre  des  gradués  en  droit  civil, 
comparé  à  celui  de  la  première  moitié  du  siècle,  augmente  du  triple  *; 
mais  les  hautes  écoles  d'Italie,  <=  vraies  sources  de  la  sagesse  juridique 
romaine  ",  continuent  à  être  célèbres  entre  toutes  pour  l'étude  du 
droit  romain,  et  les  étudiants  allemands  s'y  rendent  en  foule  ^ 

Plus  les  «  romanistes  >>  voient  l'horizon  s'élargir  et  s'embellir 
devant  eux,  plus  grandit  leur  crédit  à  la  cour  des  princes  et  dans 
les  villes  libres,  et  plus  aussi  l'étude  de  la  jurisprudence  est  remise 
en  honneur. 

LE   DROIT   ROMAIN   DANS    LES    UNIVERSITÉS    ET   DANS    LES    TRIBUNAUX. 

Précisément  au  moment  où  le  droit  romain  était  admis  par  les 
universités,  la  science  juridique  était  presque  abandonnée  dans  nos 
hautes  écoles. 

Des  professeurs,  des  écrivains  comme  Ulrich  Krafft  et  Ulrich 
Zasius,  n'étaient  que  de' glorieuses  exceptions.  On  ne  se  donnait  plus 

'  Voy.  l'article  intitulé  :  Die  Siellung  der  Kirche  zum  römischen  Hecht,  daus  les 
Hislor.  polit,  m.,  t.  LXXIX,  p.  924-941. 

*  BiANCO,  Gesch.  der  Cölner  Universität,  t.  I,  p.  112,  16G.  Ce  ne  fut  qu'en  1595  que 
l'université  de  Vienne  obtint  une  «  signatura  apostolica,  qua  legendi  andien- 
diqiie  jus  civile  quibuscunque  alumnis,  eliam  clericis,  studii  Viennenus 
indultum  est  •.  Voy.  Stintzing,  Ulrich  Zasius,  p.  326-329. 

^  Voy.  Stobbe,  t.  II,  p.  20-21.  —  Stintzi.ng,  Ulrich  /usiu.i,  p.  86,  336-337.  — 
Stuobel,  Neue  Beiträge  zur  Literatur,  p.  36'',  63. 

*  Voy.  Huther,  Zur  gcsch.  der  Rechtstcissenschaft,  p.  201-241. 

*  Voy.  la  liste  des  étudiants  allemands  en  droit  dans  les  écoles  de  l'étranger, 
jusqu'à  l'année  1500,  dans  fiICiHEr.,  p.  399-411. 


462    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

la  pcitie,  à  l'exemple  des  glossateurs,  de  recourir  directemeat  aux 
sources;  on  se  contentait  de  s'en  rapporter  aux  nombreuses  inter- 
prétations des  savants.  La  jurisprudence  s'appuyait  presque  exclusive- 
ment sur  le  savoir  de  deux  légistes  italiens,  Bartliole  et  Baldus, 
dont  les  décisions  avaient  fini  par  avoir  légalement  la  même  auto- 
rité que  les  sources  mêmes.  «  .l'avoue  franchement  '•,  écrit  Zasius  à 
Bonil'ace  Amerbach,  «  que  je  fais  i)eu  d'état  de  notre  droit  civil  tel 
que  Barthole  et  les  docteurs  italiens  l'enseignent;  si  tu  en  ôtes  les 
erreurs,  il  en  restera  fort  peu  de  chose  '.  >  En  effet,  à  la  place  de 
la  loi  romaine  simplement  exposée  dans  les  sources,  avait  été 
substitué  un  droit  embrouillé,  susceptible  d'interprétations  multiples, 
où  les  législes  eux-mêmes  -<  ne  se  reconnaissaient  qu'à  grand'peine  ». 
Il  n'était  plus  question  de  pénétrer  profondément  dans  l'esprit  du 
droit,  de  résumer  avec  intelligence  et  sagacité  ses  principes  élevés  : 
pendant  des  semaines  et  des  mois,  l'enseignement  des  professeurs 
restait  enfermé  dans  l'explication  d'un  seul  passage  et  de  fous  les 
commentaires  qui  s'y  rapportaient.  Souvent,  durant  toute  une  année, 
les  élèves  n'avaient  pas  achevé  l'étude  de  cinq  articles  du  code  de 
.luslinieu. 

«  Quel  charme,  quel  intérêt  peut-on  trouver  dans  une  science  qui 
s'attache  à  l'explication  de  quelques  points  ou  de  quelques  lettres?  » 
dit  à  ce  propos  Jean  Ileuchlin.  ><  Ouelle  estime  peut-on  faire  d'une 
étude  où  chacun  croit  pouvoir  trouver  la  confirmation  de  ses 
droits  et  de  ses  prétentions,  et  dont  le  principal  objet  est  d'obtenir 
une  récompense  vénale?  »  «  Pour  les  âmes  qui  ont  un  idéal  plus  élevé 
et  plus  noble  que  la  richesse  et  la  réputation,  la  science  juridique 
semble  vraiment  au-dessous  de  n'importe  quel  métier  M  » 

Au  lieu  de  faire  la  lumière  sur  des  questions  pratiques,  d'un  usage 
journalier,  on  plongeait  les  jeunes  intelligences  dans  des  contro- 
verses subtiles;  on  remplissait  ia  littérature  juridique  de  commen- 
taires interminables  sur  les  questions  les  plus  futiles.  «  Ces  commen- 
taires ::,  dit  Zasius,  «  comme  tout  homme  intelligent  peut  facilement 
s'en  convaincre,  renferment  plus  d'obscurités  que  de  lumières;  ils 

'  Voy.  StiNTZING,  Ulrich  Zasius,  p.  1G6,  249. 

^  Geige[\,  Betichlin.  p.  63.  -  La  jurisprudence  était  tombée  dans  un  abaissement 
sans  espoir,  et  c'est  en  cet  étal  qu'elle  fut  implantée  en  Allemaj'jnc.  Une 
méthode  n'ayant  aucun  rapport  avec  la  vie  et  les  besoins  pratiques  du  peuple, 
et  restée  dans  l'clal  défectueux  où  elle  avait  été  transmise  de  génération  en 
génération,  fut  appliquée  avant  que  ia  science  du  droit  romain  ait  été 
relevée.  Les  avantages  qu'une  étude  intelligente  du  droit  étranger  eût  pu 
avoir  pour  la  théorie  et  pour  la  pratique,  furent  annulés  par  le  triste  al^an- 
don  de  l'étude  de  la  jurisprudence,  abandon  auquel  seuls  quelques  hommes 
célèbres  firent  exception.  »  Stouce,  RcclUsquelUn,  t.  II,  p.  2i-26  — Sur  le  forma- 
lisme sans  vie  et  la  science  abâtardie  des  juristes  du  quinzième  siècle,  voy. 
surtout  V.  Savigny,  t.  VI,  p.  1-24. 


LE    nnniT    lUtMAIN    SUnSTITnÉ   au    droit    germanique.     463 

sont  siircharpj't'S  de  confrovorses  puériles,  et  nous  n'y  trouvons 
qu'une  enflure  |)(''(lan(c  à  la  place  d'un  savoir  solide.  Leur  l'alrasnc 
sert  qu'à  nourrir  les  arguments  rusés  des  avocats.  Après  qu'un 
auteur  a  fabriqué  dans  sa  cervelle  les  plus  extravagantes  fantai- 
sies, il  en  offre  le  résullat  aux  avocats  pour  les  aider  à  contourner 
la  loi  '.  « 

Tandis  que  •■  le  droit  étranger  envahissait  l'Allemagne  >,  l'étude  du 
droit  national  était  violemment  troublée  dans  son  développement;  il 
n'était  plus  enseigné  dans  aucune  université,  et  nulle  part  n'était 
l'objet  d'une  sérieuse  investigation.  Les  juristes,  uniquement  formés 
à  l'étude  du  droit  romain,  ne  lardèrent  pas  à  déchirer  que  le  droit 
germanique  était  grossier,  puéril,  bâtard.  «  Ses  coutumiers  de  nulle 
valeur  ",  disaient-ils,  «  devaient  autant  que  possible  être  mis  de 
côté  !.  "  Les.savants  légistes  de  nos  universités  ',  écrit  Wimphelinp; 
en  1507,  "  ne  sont  que  trop  disposés  à  ne  reconnaître  pour  droit  que 
ce  qui  se  trouve  dans  leurs  livres.  Le  droit  populaire  et  coutumiei-, 
en  usage  parmi  nous  depuis  des  siècles,  n'a  nulle  importance  à  leurs 
yeux;  il  leur  semble  intolérable  qu'à  la  ville,  à  la  campagne,  des 
hommes  sans  instruction  siègent  dans  les  tribunaux  et  prononcent 
la  sentence  en  ne  s'appuyant  que  sur  les  vieilles  coutumes,  l'équité 
naturelle  et  leur  sentiment  personnel  de  justice  ^  >  Le  juriste  Pierre 
d'Andlau,  plein  d'un  profond  dédain  pour  la  procédure  du  pays, 
écrivait  dès  1400  :  «  N'est-ce  point  un  abus  criant  que  parmi  nous, 
des  laboureurs,  des  rustres,  soient  appelés  à  prononcer  dans  les  ques- 
tions de  droit ,  eux  que  la  loi  romaine,  précisément  à  cause  de  leur 
ignorance,  déclare  absolument  incompétents'?  » 


II 


Les  princes  se  montrèrent  partout  les  plus  zélés  promoteurs  du 
droit  romain,  et  s'appuyèrent  sur  lui  j)our  affermir  leur  puissance 
ctleur  autorité.  Ils  commencèrent  par  lui  fournir  une  application  pra- 
tique en  donnant  aux  légistes,  dans  les  cours  souveraines  et  dans  les 
tribunaux  de  leurs  possessions,  droit  de  siéger  et  devoter  en  qualité 
d'assesseurs  \  Dès  1472,  à  la  cour  souveraine  du  Palatinat,  la  moitié 
des  sièges  d'assesseurs  était  occupée  par  les  t;  romanistes  ».  La 
même  transformation  s'opéra  à  Heidelberg  en  1472,  à  Leipzig  en  1483. 

'  Stintzing,  p.  101-102. 

-  De  ai  te  imprcssotia,  p.  27  a. 

"  De  impe'rio  Romano,  t.  II,  ch.  XVI,  p.  106. 

*  Franklin,  Réception,  p.  127. 


46Î    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

L'ancienne  procédure,  conduite  non  par  de  savants  docteurs,  mais 
par  des  gens  d'expérience,  jugeant  exclusivement  d'après  le  droit 
allemand,  devint  bientôt  fort  difficile  à  appliquer,  et  ne  tarda  pas  à 
être  interdite  '.  De  tous  côtes,  on  entendait  affirmer  que  les  questions 
de  droit  ne  pouvaient  être  tranchées  d'une  manière  sensée  et  pratique 
sans  le  secours  de  gens  habiles,  exercés,  en  un  mot,  sans  le  concours 
des  docteurs  et  de  leurs  livres. 

La  Chambre  impériale,  sur  les  instances  répétées  des  princes, 
fut  composée  en  partie  de  docteurs  *;  une  ordonnance  judiciaire 
émanée  de  la  chancellerie  de  l'Empereur  décida  que  des  seize  juges 
appelés  à  y  siéger,  huit  seraient  choisis  parmi  les  juristes  (1495). 
Néanmoins,  tout  le  mécanisme  juridique  resta  longtemps  encore  basé 
sur  l'ancien  système,  et  demeura  public  et  oral.  Bien  qu'il  ne  fût  pas 
interdit  de  présenter  des  mémoires  écrits,  les  affaires  étaient  géné- 
ralement traitées  oralement  et  discutées  publiquement  en  présence 
des  parties,  qui  pouvaient,  lorsqu'elles  le  souhaitaient,  prendre  elles- 
mêmes  la  parole.  Mais  au  bout  de  peu  d'années,  les  savants  docteurs 
parvinrent  à  enlever  aux  nobles  ignorants  leur  influence  prépondé- 
rante dans  les  cours  de  justice.  Sous  prétexte  que  la  première  ordon- 
nance de  la  chancellerie  n'avait  pas  prévu  certaines  prescriptions  de 
procédure,  les  juristes,  nommés  par  les  princes,  obtinrent,  eu  1500, 
un  arrêt  supplémentaire,  par  lequel  l'ancien  système  juridique  oral 
et  public  et  le  droit  également  ancien  de  n'être  jugé  que  par 
ses  pairs,  étaient  définitivement  abrogés  K  Les  cours  souveraines 
des  princes  s'organisèrent  sur  le  modèle  de  la  Chambre  impé- 
riale, dans  le  dessein  bien  arrêté  de  substituer  au  droit  allemand 
jusque-là  en  usage  le  droit  romain,  désormais  considéré  comme  seul 
normal.  Ce  droit  eut  pour  organe  une  magistrature  toute-puis- 
sante, exerçant  au  nom  des  princes  un  pouvoir  absolu  sur  chacun  et 
sur  tous. 

Dans  les  cours  souveraines  où  primait  encore  l'ancien  droit,  la 
position  des  anciens  magistrats  ne  tarda  pas  à  devenir  intolérable.  Il 
leur  fut  impossible  de  soutenir  longtemps  la  lutte  avec  les  docteurs,  et 
ceux-ci  prirent  partout  la  haute  main  '.  Bientôt  on  en  vint  à  exiger 
des  assesseurs  qu'ils  eussent  étudié  le  droit  romain  dans  une  uni- 
versité \ 

C'est  ainsi  que  l'administration  de  la  justice  tomba  tout  entière 

'  Voy.  MUTHER,  /«r  gcichiclUc  der  Rcchlswisscnschnfl,  p.  1.33. 
'  Voy.  IIarpprecht,  Iteichsstaalsarchiv. ,  p.  80. 
'  Voy.  Maureu,  Gerichtsverfahren,  p.  320-359. 

*  Par  exemple  dans  le  Brandebourg.  Voy.  Droysex,  p.  2'',  37-39. 

*  Pour  plus  de  détails,  voy.  Stobbe,  t.  li,  p.  63-9^.  —  Arnold,  Réception,  p.  320- 
327. 


NOUVELLE   .lUMISlMî  i:i)i;\(JE    ET    NOCVLAU    DROIT.  460 

enti'c  les  mains  de  fjcns  qui,  n'ayant  aucune  connaissance  du  droit 
national  et  le  Iraitanl  avec  un  iiirpris  toujours  croissant,  ne  croyaient 
pas  même  nécessaire  de  Tétudier  '. 

La  nouvelle  magistrature  forma  peu  à  peu  une  sorte  de  caste  juri- 
dique, séparée  de  la  nation  par  l'esprit,  par  le  langage,  et  se  mit 
orgueilleusement  au-dessus  "  d'un  peuple  ignorant  et  mineur  ". 
Étrangère  à  la  conscience  nationale,  sans  aucun  lien  avec  les  antiques 
traditions  de  la  législation  allemande,  elle  cessa  de  puiser  la  science 
dans  les  faüs,  dans  la  réalité  vivante,pour  la  chercher  en  des  sources 
taries.  Son  savoir  stérile  n'avait  pas  le  moindre  rapport  avec  l'état 
actuel  des  choses,  et  cependant  cette  nouvelle  magistrature  prit  vis- 
à-vis  de  l'ancien  droil  une  attitude  de  plus  en  plus  arrogante.  Non-seu- 
lement elle  empruntait  le  fond  de  sou  enseignement  à  des  documents 
étrangers,  mais  elle  mettait  tout  en  œuvre  pour  ressusciter  l'esprit 
du  droit  païen.  Ses  points  de  vue,  ses  méthodes  devinrent  romaines, 
et  la  justice  cessant  d'être  la  propriété  commune  de  la  nation,  un 
abime  profond  se  creusa  entre  le  peuple  et  son  droit.  Exclu  de 
toute  participation  aux  débats  judiciaires,  étranger  à  ses  propres 
intérêts,  il  n'eut  bientôt  que  trop  de  motifs  de  perdre  sa  foi  dans  la 
sainteté  et  l'impartialité  de  la  justice,  et  ne  vit  plus  en  elle  qu'une 
puissance  étrangère,  hostile,  opposée  à  tous  ses  intérêts  ^ 


RESISTANCE  DU   PEUPLE  A   L  INTRODUCTION   DU   DROIT  ETRANGER. 

L'introduction  d'un  droit  étranger,  rempli  de  controverses  inter- 
minables, révolta  d'autant  plus  un  peuple  habitué  à  une  procédure 
courte  et  orale,  qu'il  lui  devenait  désormais  impossible  de  suivre  lui- 


'  Sur  le  mépris  des  juristes  pour  le  droit  national,  voy.  Stcbee,  t.  II,  p.  37,  et 
1. 1,  p.  651.  •  L'introduction  du  droit  romain  fut  une  sorte  de  Héau  « ,  dit-il,  t.  II, 
p.  138. 

'  BeSELEU,  Volksrechl  und  Juristnirecht,  p.  246-298.  —  Schmidt,  Reaplion,  p.  239. 
«Le  droit  romain  est  devenu  un  élément  de  civilisation  dans  le  monde  moderne, 
et  son  influence  ne  s'est  pas  seulement  fait  sentir  dans  les  institutions  que 
nous  lui  avons  empruntées  :  notre  méthode,  notre  manière  de  voir,  en  un 
mot  toute  notre  culture  juridique  est  devenue  romaine.  »  Iheri.ng,  Geist  des 
römischen  Rechtes,  3«  éd.,  1873,  p.  1-3,  12-14.  —  GiEi\KE,  p.  2-21.  —  Juste  Moser, 
t.  V,  p.  36.  «  On  pourrait  croire  »,  écrit  Senckenberg  dans  son  traité  sur  les 
tribunaux  impériaux,  '^  que  l'ancienne  constitution  juridique  du  moyen  âge, 
vu  l'ignorance  des  temps,  était  remplie  de  confusion.  Ainsi  pensent  ceux  qui 
trouvent  indispensables  à  la  connaissance  du  droit  une  quantité  de  latia  et  de 
grec,  une  masse  de  livres  de  droit  plus  ou  moins  fleuris,  un  long  séjour  dans 
les  universités,  un  chapeau  rouge  de  docteur  et  je  ne  sais  quelle  variété  de  choses 
et  de  connaissances.  Nos  pères  y  mettaient  moins  de  façons  :  ils  n'avaient  besoin, 
comme  les  soldats,  que  d'un  très-petit  nombre  de  principes  et  d'un  jugement 
sain.  Ils  ajoutaient  l'expérience  à  ces  simples  éléments,  et  la  procédure  était 
ainsi  fort  sagement  établie.  •  Juste  Moser  dit  de  même  (t.  V,  p.  36j  :  "  Nos  procès 

30 


466    EMPIRE    ROMAIN    GERMAMOl  E,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

môme  sa  cause,  et  se  voyait  livré  sans  défense  aux  mains  d'avocats 
et  de  chicaneurs,  intéressés  à  voir  les  procès  traîner  en  une  longueur 
interminable.  La  jurisprudence  devint  un  vulgaire  métier  exercé 
pour  de  l'argent.  -  Dans  les  villes,  dans  les  campagnes,  le  nombre 
des  avocats,  des  scribes,  des  procureurs,  grossissait  d'année  en  année, 
comme  une  invasion  de  sauterelles.  »  Tous  les  contemporains  de  bon 
sens  fout  entendre  à  ce  sujet  leurs  avertissements  et  leurs  plaintes. 
Mais  ceux  qui  gémissent  le  plus  de  l'état  des  choses,  ce  sont  les 
jurisconsultes  à  l'esprit  élevé  dont  nous  avons  déjà  raconté  les  tra- 
vaux, et  qui,  plus  compétents  que  personne  en  cette  matière,  ne  pré- 
voyaient que  trop  «  où  mènerait  la  haine  du  peuple  contre  ses  exploi- 
teurs ». 

«  Ceux  qui  portent  au  droit  un  intérêt  sincère  :>,  écrit  Jacques 
Wimpheliug  en  1507,  -'  se  trouvent  en  ce  moment  en  bien  mauvaise 
compagnie.  Ils  sontperdus  dans  la  foule  innombrable  de  gens  vraiment 
peu  dignes  d'estime,  pour  lesquels  les  questions  de  droit  et  les  procès 
ne  sont  que  des  moyens  de  remplir  leur  bourse;  aussi  fomentent-ils 
sans  cesse  des  querelles  et  sucent-ilsjusqu'au  sang  les  gens  de  petites 
ressources.  »  «  Certains  professeurs  en  droit  ne  rougissent  pas  d'attirer 
l'attention  de  leurs  auditeurs  sur  d'habiles  manières  de  se  procurer 
de  l'argent  et  des  biens  au  moyen  de  la  procédure  '.  •  ■'■  Grâce  à  nos 
avocats  •,  dit-il  ailleurs,  "  les  procès  deviennent  innombrables,  dis- 
pendieux, interminables.  ^  Gerson  raconte  qu'une  dame  française 
voyant  affluer  à  Orléans  une  foule  d'étudiants  qui  tous  aspiraient  à 
devenir  avocats  et  juristes,  ne  put  s'empêcher  de  s'écrier  :  'v  Kélas! 
dans  mon  pays,  il  n'y  a  qu'un  seul  procureur,  et  cependant  presque 
toute  la  contrée  est  bouleversée  par  ses  chicanes!  Que  de  calamités 
n'amènera  doue  pas  cette  nuée  de  légistes^!  '>  -  Les  avocats '',  dit 
L:irich  Zasius,  ^  empoisonnent  nos  tribunaux,  se  raillent  des  juges, 
troublent  la  paix,  bouleversent  la  société, et  sont  haïs  de  Dieu  et  des 
hommes  '.  " 

Sébastien  Brant  n'hésite  pas  à  mettre  sur  le  même  rang  les  avocats 
qui  dépouillent  le  peuple  et  les  chevaliers-brigands  : 

n'ont  pas  été  raccourcis  par  les  innovations  des  savants  juristes.  A  l'époque  où 
le  simple  bon  sens  faisait  loi,  les  choses  se  passaient  plus  loyalement  et  plus 
courtenient.  = 

'  Le  juriste  bolonais  Baldus  avait  coutume  de  raconter  à  ses  auditeurs  dans 
ses  cours  sur  le  droit  d'liéritar;e.  que  cette  doctrine,  à  elle  seule,  lui  avait  rap- 
porté quinze  mille  ducats,  et  il  ajoutait  :  '  Ideo  adverlatis.  >  Voy.  Schmidt, 
Reccpiion,  p.  91.  «  Solus  .lustinianus  et  lîippocrates  marsupium  implent.  »  Énéas 
Sylvias  iôpp.,]).  610,  cp.  p.  lîi)  nomme  les  juristes  :  »  paais  quaestores  et 
auri  corrasores.  ^  Gengleu,  p.  34-35.  —  Voy.  Stintzing,  Juristen  böse  Christen, 
p.  29-30,  note  10. 

^  Apologia  pro  rcpuhlica  christiana  (Phorce,  1Ô06),  cap.  II.  —  VOV.  GeiGEP.,  Reuchlin, 
p.  87-88.  —  "Voy.  Bn.\.NT,  .Varrcnschri//,  par.  71. 

^  Voy.  SxiNTZiNG,  i'irich  Zasius,  p.  102. 


LKS    AVOCATS,    EXI'LOITEUH.S    DU    PEUPLE.  iG7 

«  L'un  piilc  en  secret,  et  l'autre  ouvertement;  l'un  s'expose  au  péril 
quelque  temps  qu'il  fasse,  l'autre  met  toute  son  Aine  dans  son  encrier. 
Le  voleur  de  grand  chemin  incendie  les  granges,  au  lieu  que  l'écri- 
vassier,  après  avoir  cherché  un  paysan  bien  nourri,  ä  la  graisse  succu- 
lente, le  place  sur  des  charbons  ardents.  Les  avocats  ne  blesscnt-ils  [)as 
la  justice  ;\  clini|uc  iiistunt?  Ils  n'ont  d'autre  moyen  d'existence  que 
leur  chicane  embrouillée.  Les  scribes  cl  les  hypocrites  qui  nous  dévorent 
font  un  vrai  métier  de  brigand;  ils  vivent  de  pillage,  tout  comme  les  rel- 
tres.  Ils  tendent  leurs  filets  |)Our  attraper  le  gibier:  la  plus  petite  querelle 
se  change  en  procès,  et  la  rigole  devient  ruisseau.  Encore  faut-il  chère- 
ment payer  ces  beaux  parleurs,  il  faut  les  faire  venir  des  pays  lointains, 
afin  qu'ils  soient  assez  rotors  i)0ur  tromper  les  juges  par  leur  babil.  Alors 
ils  s'arrangent  [>our  ([ue  l'affaire  traîne  en  longueur  et  que  les  débours 
et  les  épiccs  se  multiplient.  A  la  fin,  on  se  trouve  avoir  beaucoup  plus 
dépensé  en  frais  de  justice  que  la  cause  n'en  valait  la  peine  .  ■• 

«  Les  avocats,  médiateurs,  notaires  et  leurs  pareils  »,  dit  Geiler 
de  Kai.sersbcrjî  dans  l'un  de  ses  sermons,  «  troublent  la  paix  publi- 
que; ils  devraient  étouffer  les  guerres  et  les  querelles;  mais  au  lieu 
de  cela  ils  ne  songent  qu'à  se  procurer  de  l'argent  en  grossissant  les 
frais  de  justice  pour  le  client.  =>  -  Leur  langue  ressemble  à  l'aiguille 
d'une  balance  :  elle  se  penche  du  côté  où  tu  mets  le  plus  gros  poids, 
elle  est  comme  un  rasoir  aiguisé.  Le  riche  est  irréprochable  à  leurs 
yeux,  et  celui  qui  donne  beaucoup  a  toujours  raison.  Ils  se  vantent 
eux-mêmes  de  pouvoir  faire  un  trou  dans  la  charte  la  meilleure. 
Aussi  longtemps  qu'ils  espèrent  tondre  quelque  chose  sur  un  procès, 
ils  le  prolongent;  mais  dès  qu'ils  pensent  n'avoir  plus  rien  à  en  tirer, 
ils  le  terminent.  Ils  sont  encore  plus  haïssables  que  les  cheva- 
liers-brigands, et  trouvent  leur  joie  dans  l'oppression  de  tous  les 
hommes  *.  » 

L'auteur  de  la  Race  icclche  dit  avec  douleur  : 

II  Depuis  que  le  droit  romain  a  pénétré  chez  nous,  on  a  si  bien  glosé 
sur  toutes  choses  que  les  honnêtes  gens  sont  comme  passés  au  crible  jus- 
qu'au moment  où  ils  n'ont  plus  rien  à  donner;  alors  on  les  laisse  aller.  A 
propos  de  subtiles  chicanes,  on  tourmente  parfois  un  pauvre  homme  d'une 
façon  si  atroce  que  cela  crie  miséricorde  à  Dieu  sur  sou  trône  éternel.  i 

La  confusion  dans  les  choses  de  la  justice  devient  tous  les  jours 
plus  grande  : 

»  Voyez  le  désordre  qu'amène  votre  manière  d'agir.  Le  mal  augmente 
tellement  que  personne  ne  sait  plus  maintenant  quelle  opinion  se  faire 
sur  le  droit.  Vos  chicanes  sont  si  compliquées  qu'avec  elles  on  peut 
tourmenter  un  malheureux  pendant  des  jours,  des  mois,   des  années. 

'  Xan-enschi/f,  p.  79  Ct  "1.  —  Voy.  Gœdeke,  p.  15G-I57,  13C. 

-  Xancr.scliiff,  p.  191-193.  —  'Voy.  Mlrneu,  Xarrenbeschtcöninj,  p    7G-78. 

30. 


468     EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

Les  clients  sont  entraînés  ;\  des  frais  sans  nombre  qu'un  peu  de  bonne 
volonté  pourrait  parfaitement  diminuer;  mais  cela  ne  cadrerait  pas  avec 
vos  vues.  Entre  vos  mains,  l'honnête  iiomme  est  si  longtemps  harcelé,  que 
de  guerre  lasse  il  abandonne  la  partie.  Avant  qu'il  ait  fourni  de  chapons, 
de  perdrix,  de  pigeons,  de  beaux  habits  et  de  houppelandes,  l'avocat,  le 
notaire, le  procureur,  etc., la  moitié  de  sa  fortune  est  partie  par  la  fenêtre. 
C'est  une  pitié  de  voir  de  quelle  manière  vous  contournez  le  droit;  on 
est  berné  avant  d'avoir  pu  s'en  rendre  compte.  En  vérité,  il  se  passe 
maintenant  de  merveilleuses  choses  dans  la  justice!  " 

La  conséquence  de  toutes  ces  subtilités  et  avocasseries,  c'est  que 
le  monde  "  devient  de  plus  en  plus  faux  ».  Les  juristes  songent  bien 
plus  à  leur  sacoche  qu'à  la  justice,  et  le  droit  naturel  est  opprimé 
par  le  droit  écrit. 

Il  Le  droit  écrit  ne  veut  rien  dire  s'il  ne  sort  du  droit  naturel;  s'il  ne 
l'a  pas  à  sa  droite,  il  s'égare  étrangement.  Le  bon  sens  s'évanouit  dans 
toutes  vos  gloses;  l'avarice  conseille  mal,  et  fait  abandonner  aux  avo- 
cats toute  droiture.  Ils  jouent  sur  un  point  controversé  où  nul  ne  voit 
goutte,  et  grâce  ;\leur  astuce,  le  pauvre  homme  est  dépouillé  de  tout  son 
avoir  '.  » 

On  lit  dans  un  sermon  du  temps  (1515)  : 

«  Gardez-vous  des  marchands  usuriers!  Gardez-vous  des  âmes 
rapacesqui  vous  écorchent,  vous  tondent,  vous  raclent,  vous  rasent! 
Mais  je  vous  le  dis  avec  plus  d'insistance  encore  :  gardez-vous  des 
avocats!  Ils  ont  maintenant  le  haut  du  pavé;  depuis  vingt  ou  trente 
ans,  leur  méchanceté  et  leur  nombi^e  croissent  sans  cesse;  comme  des 
plantes  vénéneuses,  ils  envahissent  tout.  Ils  exploitent  encore  plus 
le  pauvre  monde  que  ne  le  font  les  usuriers,  car  ils  ne  prennent  pas 
seulement  l'argent,  ils  dépouillent  les  gens  de  leur  bon  droit,  de 
leur  honneur!  Au  droit  simple  et  naturel,  ils  ont  substitué  un  droit 
étranger;  et  ce  qui,  dans  l'ancienne  procédure,  se  terminait  en  un 
jour  ou  deux,  se  prolonge  maintenant  des  mois  et  des  années. 
Quelle  pitié  que  le  pauvre  peuple  ne  puisse  plus  se  faire  rendre 
justice  comme  autrefois,  avant  que  l'on  connût  ces  menteurs  et 
ces  imposteurs  dont  on  n'eut  jamais  besoin!  » 

"  Pourquoi  tant  de  procédure  à  propos  d'une  cause  qui  n'est  point 
embrouillée  -,  écrit  Jean  Cochlîeus  à  Willibald  Pirkheimer,  -  pour- 
quoi ,  sinon  pour  remplir  la  bourse  des  procureurs  et  des  avocats?  Que 
toutes  les  affaires  seraient  promptement  expédiées  sans  leurs  tours 
de  passe-passe  et  leurs  finasseries!  Je  n'accuse  personne  particu- 
lièrement, je  ne  me  plains  qu'en  général,  parce  qu'un  mal  si  funeste 
vient  surtout  de  ce  ïhrace  (je  veux  dire  de  ce  Justinien),  dont  le 

>  U'dschjallung,  p.  15''  et  27. 


LK    I' ET  IM,  F.    SK    RK  VOLTE    COM  P.  F,    LES    .1  T  P.  I  S  T  E  S  .  469 

code  a  donné  lieu  à  la  confusion  juridique  qui  règne  maintenant.  '> 
Cochiaeus  tient  le  droit  romain  pour  si  nuisible  qu'il  ne  craint 
pas  de  dire  :  <=  Il  n'a  peut-être  pas  existé  dans  l'antiquité  un  prince 
et  même  un  tyran  ayant  fait  autant  de  mal  que  .luslinien.  »  Aussi 
prévoyaif-il  que  la  répulsion  universelle  dont  les  juristes  étaient 
l'objet  causerait  dans  un  avenir  prochain  des  révoltes  et  des  émeutes 
populaires    : 

Dès  1493,  un  pamphlet  traite  les  juristes  de  -  plieurs  de  (h'oit  ', 
de  «  coupeurs  de  bourses  •■ ,  de  -  sangsues*  »,  et  les  menace  d'une 
expulsion  violente. 

c  Ils  nous  ont  apporté  le  droit  étranger. 
C'est  une  pilié,  c'est  une  misère! 
Ces  sages  messieurs  n'ont  point  leur  bon  sens! 
Nous  les  chasserons  tous  ^l  » 

L'aufeur  conseille  à  l'homme  du  peuple,  dès  qu'il  aperçoit  dans 
les  tribunaux  un  docteur  ou  un  avocat,  de  se  retirer,  ou  bien 
de  mettre  dehors  d'une  main  vigoureuse  «  l'exploiteur  et  le  vam- 
pire ". 

Ce  conseil  fut  unjoiir  suivi  à  la  lettre  à  Frauenfeld,  en  Thurgovie. 
Les  assesseurs  mirent  à  la  porte  un  docteur  de  Constance  qui 
s'appuyait  sur  l'autorité  de  Bartholc  et  de  Baldus  poiu-  trancher  une 
querelle  d'héritage.  "  Écoutez,  docteur  ■■■,  lui  dirent-ils,  "  nous  autres 
confédérés,  nous  ne  nous  soucions  pas  du  tout  du  Bartele  et  du 
Baldele  !  Nous  avons  nos  coutumes,  notre  droit  particulier  !  A  la  porte, 
docteur,  à  la  porte!  »  -  Et  le  bon  docteur  -,  continue  la  chronique, 
«  s'est  vu  contraint  de  se  retirer;  et  les  assesseurs  ont  rendu  eux- 
mêmes  la  sentence.  Puis  ils  ont  forcé  le  docteur  à  revenir,  et  ils 
ont  prononcé  un  arrêt  contre  le  Bartele,  le  Baldele  et  le  docteur  de 
Constance  *.  n 

Dans  les  tribunaux  urbains  où  les  juristes  avaient  réussi  à  péné- 
trer, le  peuple  exprimait  souvent  son  antipathie  d'une  manière  plus 
rude  encore.  A  Clèves,  un  docteur  qui  ^-  avait  commis  toutes  sortes 
d'exactions  dans  l'administration  de  la  justice  •  et  traité  les  pauvres 

'  «  m  génère  queror,  quoiiiam  oiiinis  origo  tanli  in  republica  mali  a  Thra- 
culo  illo  venit.  »  «  Non  putu,  pestilentiorera  unquam  in  mundo  fuisse  princi- 
pein  ne  tyrannum  quidem.  >  Helmanà,  t.  XIV,  p.  9.  — Voy.  Otto,  p.  84-90. 

-  En  France,  le  peuple  désignait  aussi  les  juristes  sous  le  nom  de  '•  grippe- 
deniers,  escumeurs  de  bourses,  harpies.  »  Schmidt,  Réception,  p.  141.  Le  pro- 
verbe bien  connu  :  Jurist,  böser  Christ,  était  populaire  dès  le  commencement  du 
seizième  siècle.  D'autres  proverbes  encore  sur  les  savants  docteurs  sont  venus 
jusqu'à  nous  :  «  Jurist  ai  sunt  jurgistae;  jurisconsultus,  ruris  turaultus;  juris 
periti  sunt  juris  perditi;  legum  doctores  sunt  legum  dolores.  •  Voy.  Stintzing, 
Das  Spruch tcort  :  Juristen  böse  Christen,  p.  20. 

'  Voy.  Franklin,  Réception,  p.  178. 

■*  Voy.  MiüRER,  Gerichtsverfahren,  p.  35,3. 


470    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

plaignants  "  non  comme  doit  faire  un  juge  chrétien,  mais  comme 
agirait  un  valet  de  bourreau  païen  ",  encourut  le  "  très-amer  ressen- 
timent du  peuple.  On  le  cribla  de  coups  sur  la  place  du  marché; 
le  malheureux  criait  comme  une  bêle;  enfin  on  le  chassa  de  la 
ville  K  " 

A  Worms,  des  paysans  révoltés  demandèrent  à  grands  cris  que 
dorénavant  nul  docteur  n'ait  à  décider  en  matière  de  droit,  soit 
au  conseil,  soit  dans  les  tribunaux,  et  qu'il  ne  soit  plus  permis  d'y 
apporter  de  pièces  manuscrites,  ni  de  régler  les  différends  d'après 
des  mémoires  écrits  (1518)-. 

Les  états  des  divers  territoires  allemands,  défenseurs  naturels 
et  constitués  des  vieilles  libertés  et  des  droits  que  le  peuple  avait 
hérités  de  ses  pères,  se  montrèrent  partout  les  adversaires  éner- 
giques de  la  magistrature  savante. 

La  résistance  fut  surtout  violente  et  tenace  en  Bavière.  Dès  1460, 
1461,  1471,  les  états  bavarois  se  plaignent  hautement  de  l'envahis- 
sement des  docteurs;  ils  demandent  "  qu'il  ne  soit  plus  mis  obstacle 
au  droit  et  aux  anciens  usages  du  pays,  et  cjue  les  tribunaux  soient 
composés  de  juges  honnêtes,  capables,  pris  soit  parmi  la  noblesse, 
soit  parmi  les  paysans  du  pays  ^  ». 

Les  états  du  Wurtemberg  demandent  avec  la  même  instance 
à  leur  duc  »  que  les  tribunaux  soient  occupés  désormais  par 
des  personnes  honorables,  honnêtes,  intelligentes,  prises  parmi 
la  noblesse  ou  les  échevins,  et  que  les  docteurs  soient  écartés, 
afin  que  les  jugements  continuent  à  être  rendus  selon  les  anciens 
usages  et  coutumes,  et  qu'on  ne  mette  point  la  confusion  dans 
l'esprit  du  peuple  -.  Les  états  attirent  l'attention  du  duc  sur  les 
plaintes  portées  contre  les  docteurs  :  «  Ils  envahissent  peu  à  peu 
tous  les  tribunaux  du  pays  ",  disent-ils,  "  et  les  remplissent  de 
leurs  chicanes,  de  sorte  que,  maintenant,  celui  qui  a  besoin  du 
secours  de  la  justice  ne  parvient  pas  avec  dix  florins  à  terminer  une 
affaire  dont,  il  y  a  douze  ans,  il  aurait  peut-être  vu  la  fin  avec  dix 

'  Tiré  des  notes  de  B.  Cramer,  bourgeois  de  Clèves  (1518),  Pelz,  p.  77. 

*  Zorn,   lîormser  Chronik,  p.  253. 

2  Franklin,  Réception  p.  22,  30.  —  Schmidt,  p.  209.  Dans  les  f^riefs  de  -la  cheva- 
lerie bavaroise  portés  devant  l'asseml)lée  de  la  noblesse,  à  F.andshut  (1497),  on 
lit  :  «  Injudicibus  intolerabilis  error.  Non  enim  eli{ïuntur  jiidices  more  anti- 
que, sed  multi  juris  Romani  professores,  pauci  magistratus  nobiles  et  provin- 
ciales. Cum  jus  municipale  servandum  sit  et  antiqua-  consuetudines  pro  legibus 
habendae  sint,  fit,  ut  multa  his  contraria  fiant,  unde  decéptiones,  errores  et 

turba?  oriuntur.  ////  enim  juris  professores  noslrum  morem.  ignorant,  nec  etiam,  si 
sciant,  illis  nostris  consuetudinibus  quicquan  tribuere  volunt.  »  ROCKLNGER.  Einlei- 
tung zu  den  altbayerischen  landstandischcn  Freibriefen ,  publié  par  Lerchenfeld,  §62 
(Munich,  13J3). 


lil^:.SI.STAN'CE   DES  KTATS  TERniTOUIArX  AU  DROIT  ROMAIN.  471 

scliillinjjs.  En  même  temps,  beaucoup  de  nouveautés  sont  iiilro- 
diiites,  et  si  Ton  n'y  porte  rcmc'de,  il  faudra  bientôt  que  cb.nque  vil- 
l.i[',c  soit  pourvu  d'un  ou  deux  docleurs  pour  dôcidcr  en  malièrc  de 
droit.  Comme  par  la  l'aule  des  docteurs  beaucoup  d'abus  se  sont 
vlissés  dans  la  procédure  et  en  {général  dans  les  anciennes  cou- 
lâmes cl  anciens  usages,  et  que  les  pauvres  gens  en  pâlissent,  il  est 
nécessaire  de  faire  et  de  publier  une  ordonnance  générale  établis- 
sant qu'à  l'avenir  les  villes  et  villages  ne  seront  plus  privés  de  leurs 
anciens  droits,  coutumes,  tribunaux,  ni  de  leur  mode  de  procédure, 
cl  que  les  docteurs  ne  pe  mêleront  en  rien  des  affaires,  les  choses 
éîant  remises  dans  leur  premier  état  '.  » 

Dans  plus  d'une  localité,  on  n'admettait  pas  même  qu'on  alhU  con- 
sulter les  juristes,  car,  ainsi  que  le  déclarent  les  nobles  de  Franconie, 
«  les  savants  docteurs  ne  travaillent  qu'à  détruire  les  droits,  usages 
et  coutumes  nationaux-  ".  Dans  beaucoup  de  conventions  et  d'arbi- 
trages datés  de  1457,  1495,  1498,  on  trouve  stipulée  la  promesse  for- 
melle qu'à  l'avenir,  pour  le  redressement  des  torts,  nul  docteur  ni 
licencié  ne  sera  appelé,  car  "  les  docteurs  »,  y  est-il  dit,  >c  ont  l'art 
de  découvrir  des  griefs  là  où  il  n'en  existe  point  ". 

«  Oui  ne  se  réjouirait  '?,  dit  Wimpheling,  «  eu  voyant  que  les  che- 
valiers, les  bouqjcois,  les  paysans,  fidèlement  attachés  à  leur  ancien 
droit,  à  leurs  anciennes  coutumes,  s'opposent  avec  tant  d'énergie  à 
ceux  qui  veulent  les  en  dépouiller  par  le  mensonge,  la  tromperie, 
les  raisonnements  captieux,  et  ne  cherchent  qu'à  les  opprimer  et  à 
les  exploiter?  Cette  lutte  touche  à  ce  qu'il  y  a  de  plus  intime,  de 
plus  vivant  dans  la  vie  du  peuple!  Mais,  hélas!  au  milieu  de  toutes 
nos  dissensions  l'aulorilé  souveraine  de  l'Empereur  reste  impuis- 
sante et  n'est  plus  en  état  de  tenir  fermement  les  rênes  du  pouvoir; 
aussi  est-il  bien  à  craindre  que  la  guerre  ne  se  termine  à  l'avantage 
des  princes  souverains  et  des  légistes,  leurs  trop  complaisants 
instruments^  ". 

«  Les  docteurs  romains  nous  envahissent;  ils  s'ingèrent  partout, 
ils  se  mêlent  des  affaires  ecclésiastiques  comme  des  intérêts  tem- 
porels, et  gagnent  tous  les  jours  du  crédit.  Leur  influence  est  d'autant 
plus  désastreuse,  qu'avides  eux-mêmes  de  richesses,  ils  encouragent 
et  excusent  l'amour  du  gain  chez  les  grands  marchands  et  autres 
exploiteurs  du  peuple,  llss'cfforcent  aussi  de  faire  servira  leurs  intérêts 
le  pouvoir  tyrannique  des  petits  souverains,  les  excitant  à  se  mettre 


'  Sattler,  Gesch.  des  Herzoglhums  U'nrUmhcrg  unter  der  Regierung  der  Hcnoge,  t.  I, 
p.  160.  —  Stobre,  t.  TI,  p.  51. 

*  Voy.  Stobde,  t.  II,  p.  81,  note  6!. 

^  Voy.  ni\EYER,  Nebenstunden,  p,  155.  —  EiCHUORN,  t,  111,  p.  344,  note  6.  — 
MaüUEII,  Gerichtsverfahren,  p.  311-312. 


472    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION     EXTÉRIEURE. 

au-dessus  des  droits  et  des  libertés  de  leurs  sujets,  et  à  s'enrichir  au 
moyen  d'impôts  toujours  nouveaux,  car  ils  sont  encore  plus  écoutés 
aux  conseils  des  princes  que  dans  les  tribunaux.  Là,  depuis  bien  plus 
longtemps,  ils  travaillent  sourdement,  changeant,  bouleversant  tout 
ce  que  la  sagesse  des  ancêtres  avait  établi,  et  tout  ce  qui  jusqu'ici 
avait  passé  pour  équitable  parmi  nous.  » 

LES    REPRÉSENTANTS    DU    DROIT   ÉTRANGER 
A   LA   COUR   DES    PRINCES   SOUVERAINS. 

Bien  avant  que  le  droit  romain  et  les  légistes  formés  à  son  école 
eussent  opéré  dans  les  tribunaux  allemands  de  si  funestes  change- 
ments, ces  mêmes  légistes  avaient  réussi  à  changer  complètement 
le  système  gouvernemental  dans  presque  toutes  les  principautés  de 
l'Allemagne. 

Dès  le  commencement  du  quinzième  siècle,  les  princes,  et  à  dire  le 
vrai  les  princes  ecclésiastiques  en  premier  lieu,  avaient  mis  les  juristes 
eu  possession  des  dignités,  des  charges,  dont  jusque-là  les  membres 
du  clergé  avaient  seuls  été  revêtus.  Peu  à  peu  les  -■  docteurs  romains  " 
étaient  devenus  notaires,  conseillers,  secrétaires,  ambassadeurs  auprès 
des  princes.  Les  emplois  de  chancellerie  qui  leur  étaient  confiés  les 
mettaient  en  possession  des  plus  hautes  charges  administratives,  de 
sorte  qu'ils  ne  tardèrent  pas  à  exercer  une  influence  prépondé- 
rante dans  les  affaires  publiques.  On  voit  apparaître  à  ce  moment 
dans  les  petits  gouvernements  une  bureaucratie  nouvelle,  emprun- 
tant au  droit  romain  qui  l'avait  fait  naître  sou  esprit,  ses  principes 
et  ses  tendances. 

Jusque-là,  conformément  aux  axiomes  du  droit  allemand,  les  fa- 
milles, les  corporations,  les  domaines  seigneuriaux,  les  communes, 
avaient  été  autant  que  possible  gouvernés  parleurs  propres  représen- 
tants; ce  n'était  que  dans  des  circonstances  exceptionnelles,  à  pro- 
pos de  procès  graves  ou  d'événements  politiques  de  la  plus  haute 
importance,  qu'où  avait  recours  à  l'autorité  des  princes  souverains.  A 
la  place  de  ce  libre  gouvernement,  s'introduisit  peu  à  peu  un  régime 
bureaucratique  s'ingéraut  dans  toutes  les  questions  de  famille,  de 
commune  et  de  district,  et  s'efforçant,  partout  où  cela  était  possible, 
d'anéantir  les  droits  des  corporations  et  des  divers  étals. 

"  D'après  les  détestables  maximes  des  nouveaux  docteurs  =',  dit 
Wimpheliug,  «  le  prince  est  tout,  le  peuple  n'est  rien.  Le  peuple 
doit  se  borner  à  obéir,  à  payer  les  impôts  et  à  faire  corvée;  non- 
seulement  il  est  tenu  à  l'obéissance  envers  le  prince,  mais  encore 
envers  ses  agents;  ceux-ci  commencent  à  se  poser  partout  en  véri- 
tables maîtres  du  pays,  et  savent  si  bien  arranger  les  choses  que  les 


PRKLKVEMENÏS    D'IMPOTS    FAVORISÉS    PAH    LES    JURISTES.    î73 

princes  conservent  dans  leurs  propres  États  aussi  peu  d'autorité 
que  possible.  "  Les  juristes,  en  effet,  grâce  à  leur  habile  manière 
de  tourner  les  choses,  à  leurs  scribes,  à  leurs  paperasses,  à  leurs 
formules  diffuses  et  iuleriiiinables,  avaient  Tari  de  rendre  la  parti- 
cipation aux  affaires  difficile  et  rebutante  à  leurs  maitres";  aussi 
l'extension  de  la  puissance  souveraine  tourna-t-elle,  peu  à  peu,  moins 
au  profit  des  princes  qu'à  celui  de  leurs  chargés  d'affaires.  La  hié- 
rarchie des  agents  princiers,  exploitant  le  peuple  et  mettant  les 
citoyens  en  tutelle,  prit  dès  le  seizième  siècle  un  développement 
considérable. 

L'oppression  que  les  nouveaux  impôts  faisaient  peser  sur  le  pays 
se  rattachait  tellement  dans  la  pensée  populaire  à  l'influence  des 
juristes  que  Trithème  cite  le  dicton  suivant  comme  déjà  fort  en  usage 
de  son  temps  :  «  Tel  docteur  n'a  pas  achevé  ses  études  de  droit,  car  il 
n'a  pas  encore  inventé  un  nouvel  impôt  ^  »  "  Les  juristes  des  cours 
princières  »,  dit  Wimphelingdans  son  Apologie  delà  société  chrétienne, 
«  sucent  le  sang  du  peuple,  imaginent  sans  cesse  de  nouvelles  taxes  et 
s'imaginent  dissimuler  l'odieux  de  leurs  procédés  en  disant  :  "  Il 
faut  dompter  l'orgueil  des  paysans!  il  faut  émonder  la  fortune  des 
moines  et  des  prêtres!  Elle  ne  doit  pas  croître  démesurément,  comme 
ces  plantes  qui  envahissent  tout  et  deviennent  monstrueuses!  >;  — 
«  Au  conseil,  ils  approuvent  tout  ce  qui  flatte  les  fantaisies  de  ceux 
auxquels  ils  doivent  leur  pain.  Si  les  aumônes  en  faveur  des  malheureux 
diminuent,  si  les  petits  sont  réduits  à  la  misère,  il  ne  faut  s'en  prendre 
qu'  à  l'avidité  des  légistes  pour  les  honneurs  et  les  richesses;  et  si  le 
despotisme  et  le  farouche  orgueil  de  tant  de  princes,  ou  plutôt  de 
tant  de  tyrans,  va  toujours  en  croissant,  ce  sont  leurs  conseillers 
qui  en  sont  responsables  ^  ■'  —  "  Les  renards  et  les  loups  >',  dit  Jean 
Butzbach,  «  gouvernent  le  conseil  des  princes.  On  n'y  voit  que  par- 
venus ambitieux,  sans  équité,  sans  religion.  Ils  n'ont  ni  foi  ni  loi, 
ils  épuisent  la  richesse  publique  et  mènent  avec  leurs  favoris  une 
vie  de  plaisirs  et  de  prodigalité.  Les  grands  et  petits  seigneurs  font 
peser  sur  le  peuple  des  taxes  lourdes  et  injustes;  ils  exercent  sur  lui 
une  pression  inique.  Tout  ce  qui  tend  à  augmenter  leur  pouvoir  leur 
parait  légitime,  et  les  flatteurs  dont  ils  s'entourent  les  encouragent 
dans  leurs  actes  coupables  *.  » 

Ce  n'était  donc  pas  sans  fondement  que  les  états  du  Wurtemberg 


'  Ce  point  a  été  très-bien  mis  en  relief  par  Lancizolli-,  p.  85-86. 
-  De  Judieis,  p.  18. 
'  Apolojia,  cap.  V. 

*  Tiré  d'une  élégie  manuscrite  de  Butzbach,  dans  la  bibliothèque  de  Wallraf 
à  Cologne. 


474    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

suppliaient  leur  duc  de  vouloir  bien  avoir  l'œil  «  à  toutes  ces  presta- 
tions de  banlieue,  dons  de  paille,  de  logement,  de  vêtement,  de 
salaires  pour  les  serviteurs  ducaux,  dont  on  n  avait  jamais  ouï  parier 
du  temps  des  anciens  seigneurs  du  Wurtemberg,  et  qui  avaient  été 
introduits  parles  légistes  ».  Les  états  regardaient  les  changements 
opérés  par  les  docteurs  comme  Tune  des  causes  de  ces  soulèvements 
de  paysans  connus  alors  sous  le  nom.  d'  '•■  émeutes  du  pauvre  Conrad  '  » . 
En  effet,  c'est  sur  la  vie  et  sur  la  situation  des  paysans  que  l'appli- 
cation du  droit  romain  et  l'influence  des  légistes  avaient  eu  l'action 
la  plus  funeste. 

Tant  qu'ils  avaient  été  régis  par  le  droit  germanique  chrétien, 
les  paysans,  bien  qu'ils  eussent  été  trop  souvent  victimes  des  désas- 
tres causés  par  les  guerres  privées,  avaient  joui  jusque-là  d'une 
garantie  juridique  réelle.  Leurs  charges  n'étaient  point  lourdes,  leur 
vie  était  très-supportable.  Ils  géraient  eux-mêmes  leurs  biens  et  leurs 
intérêts,  réglaient,  selon  l'ancienne  coutume,  les  prestations  et  les 
impôts  qu'ils  devaient  aux  seigneurs  fonciers,  et  accommodaient 
leurs  différends  dans  leurs  propres  tribunaux.  Comme  les  états  de 
l'Empire  participaient  au  gouvernement  du  pays  et  les  états  de 
chaque  territoire  au  gouvernement  de  ce  territoire,  de  même  les 
colons  d'un  domaine  prenaient  par  leurs  assemblées  régulières  comme 
par  leurs  délibérations  juridiques  une  partdélerminée  à  l'administra- 
tion de  ce  domaine.  C'était  une  association,  dont  les  états  étaient 
pour  ainsi  dire  formés  par  tous  les  membres  en  pleine  possession  de 
leurs  droits.  Les  corvées  et  les  taxes  n'avaient  rien  d'écrasant  et 
n'étaient,  la  plupart  du  temps,  que  l'indemnité  duc  pour  la  posses- 
sion foncière  conquise  ou  pour  la  protection  accordée  ^ 

L'introduction  du  droit  romain  bouleversa  complètement  cet 
ordre  de  choses.  Les  paysans,  désormais  exclus  des  tribunaux  popu- 
laires, virent  peu  à  peu  tomber  en  désuétude  les  anciens  axiomes  de 
droit  et  les  vieilles  coutumes  d'après  lesquelles  ils  s'étaient  autrefois 
gouvernés.  Les  traditions  anciennes,  sous  toutes  leurs  formes,  le  droit 
non  écrit,  cessèrent  d'obliger  les  individus,  et  l'on  ne  regarda  plus 
comme  légitimement  établi  que  ce  qui  pouvait  être  prouvé  pièces  en 
main  \  Les  paysans  se  virent  ainsi  privés  du  droit  qui  avait  jadis 
prêté  un  si  utile  appui  aux  colons  comme  aux  hommes  libres,  et 
cessèrent  d'être  jugés  par  leurs  pairs  dans  les  tribunaux  de  village. 

'  Voy,  Stattler,  Gesch.  des  Herzngthums  Wurtemberg  urler  den  Herzogen,  t.  I, 
p.  160.  —  Voy.  aussi  noire  second  yolume. 

-Voy.  Mauref.,  Froiihö/e,  t.  III,  p.  349-3.^3,  et  t.  IV,  p.  484,522. 

'  Voy.  Eichhorn,  t.  IV,  p.  377,  note  2.  —  Voy.  Stintzi.\g,  Clrich  Zasius, 
p.  148. 


Li:  s    l'A  Y.SANS    f)  P  r  11  lAI  !•;  S    l'Ail    LK    I)  It  O  I  T    ROMAIN.  i7.> 

Ils  |)orrlircnl  aussi  leur  ancien  droit  coutumier,  et  tous  ces  clian- 
;;<'nieii(s  curent  sur  l'ensemble  de  leur  vie  nne  influence  désas- 
(reuse. 

(le  qui  fut  encore  plus  regrettable,  c'est  que  le  code  étrangcrn'avait 
.iiicun  rapport  avec  les  conditions  sociales  que  le  cours  des  choses 
(M  des  événements  avait  faites  aux  paysans  de  nos  contrées  '.  L'em- 
pire des  Césars  n'avait  connu  ni  paysans  libres,  ni  fermiers  héré- 
(lilaires,  ni  colom  dans  le  sens  germanique  du  mot;  par  conséquent 
k'  code  .lustinien  ne  pouvait  renfermer  aucune  prescripiion  se  rap- 
portant aux  mœurs  de  nos  villageois.  L'empire  romain  n'avait 
connu  que  la  grande  propriété  aristocratique  et  resclavage,  et 
( oinine  les  juristes  formés  à  l'école  du  droit  romain  regardaient 
!os  prescriptions  romaines  comme  seules  légales,  ils  avaient  retran- 
ché, d'une  main  prompte  et  impitoyable,  tout  ce  qui,  dans  la  loi 
{jcrraanique,  avait  trait  aux  convenances  de  la  vie  sociale  en  Alle- 
magne, se  hâtant  de  bâtir  sur  le  terrain  antique  toute  la  législation 
nouvelle.  C'est  ainsi  qu'ils  ne  virent  dans  le  mode  de  fermage 
sauclionné  par  le  droit  allemand  qu'un  simple  bail  temporaire,  et 
n'envisagèrent  la  position  des  colons  vis-à-vis  de  leurs  seigneurs  que 
d'après  les  lois  romaines  sur  l'esclavage.  Ils  fournirent  avec  empres- 
sement aux  princes  souverains,  aux  seigneurs  fonciers  ambitieux  et 
violents,  «  des  prétextes  légaux  »,  non-seulement  pour  débouter  les 
paysans  de  leurs  droits  au  communal,  mais  encore  pour  les  chasser 
de  leurs  fermages  héréditaires  et  pour  augmenter  les  corvées  et 
les  (axes  des  paysans  libres  et  des  colons.  C'est  sur  leur  conseil  que 
l'électeur  Frédéric  (celui-là  môme  qui  avait  introduit  le  premier  les 
docteurs  dans  les  tribunaux)  s'attribua  sur  les  communaux  de  son 
territoire,  et  principalement  sur  les  forêts,  un  droit  de  souveraine 
propriété  *.  Les  princes  souverains  ne  traitèrent  bientôt  plus  les  viila- 

'  «  Les  docteurs  ",  dit  Harcke  dans  ses  Etudes  pour  senir  à  l'histoire  de  la  Reforme 
(Scbaffhouse,  1S4G),  p.  235,  >.  ne  comprenaient  dans  leurs  nuances  multiples  et 
délicates  ni  les  liens  personnels,  ni  le  système  de  propriété  des  paysans  alle- 
mands; les  droits  privés  étaient  traités  selon  les  idées  romaines  sur  la  liberté  et 
l'esclavage;  les  autres  étaient  étendus  dans  le  lit  de  Procuste  de  quelques 
termes  de  jurisprudence  romaine  (emphytéose,  servitude,  baux).  En  toute  cir- 
constance, le  code  de, lustinien  était  pris  pour  règle,  et  l'antique  droit  allemand 
dans  la  simplicité  de  ses  parties,  était  considéré  comme  ne  renfermant  que 
des  lois  pleines  d'abus,  vestiges  d'un  passé  disparu.  C'est  tout  au  plus  si  l'on  s'en 
servait  dans  quelques  cas  exceptionnels.  D'inr.ombra'ules  atteintes  portées 
à  la  sainteté  du  vieux  droit,  aux  mœurs,  au  sentiment  national,  furent  les 
inévitables  conséquences  de  ce  système.  »  Voy.  encore  MAunEr«,  Fvonhofe,  t.  III, 
p.  323,  et  t.  IV,  p.  485.  —  Roscher,  dans  son  Histoire  de  V économie  nationale,  montre 
aussi  combien  les  juristes  formés  au  droit  romain  avaient  peu  à  peu  mis  de  côté 
les  principes  du  droit  allemand  qui  avait  jusque-là  régi  les  paysans.  Voy. 
Br.LDEU,  t.  XXXV,  p.  287-289. 

-  Voy.  MoNE,  Zeitschrift,  t.  I,  p.  393,  et  les  documents  de  1468  à  1483  cités 
par  lui,  page  425-430. 


47G    EMPIPiE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

geois  que  comme  des  gens  autorisés  de  par  eux  à  jouir  des  produits 
du  communal,  mais  non  plus  comme  en  étant  les  réels  propriétaires. 
Ils  s'attachèrent  surtout  à  supprimer  les  droits  forestiers  commu- 
naux pour  se  les  approprier  dans  l'intérêt  de  leurs  chasses.  La  con- 
quête de  ces  nouveaux  droits  marcha  de  pair  avec  les  châtiments 
les  plus  barbares  infligés  à  ceux  qui  se  refusaient  à  les  reconnaître. 
Le  duc  Ulrich  de  Wurtemberg,  "  qui  n'agissait  que  d'après  les  avis 
des  détestables  juristes  «,  foit  paraître,  en  1517,  l'ordonnance  sui- 
vante :  «  Celui  qui  dans  les  chasses  réservées,  bois  ou  champs,  serait 
rencontré  en  dehors  d'une  route  tracée,  portant  une  arquebuse,  une 
arbalète  ou  arme  quelconque,  et  marchant  d'une  façon  pouvant 
paraître  suspecte,  sera,  même  s'il  n'est  pas  surpris  tirant  sur  le 
gibier,  privé  des  deux  yeux.  "  Non-seulement  le  droit  de  chasse  est 
considéré  comme  inhérent  à  la  puissance  souveraine,  et  déclaré 
droit  régalien,  imprescriptible,  mais  à  ce  propos  on  impose 
aux  paysans  des  corvées  de  tout  genre,  qu'ils  doivent  fournir,  soit 
en  payant  de  leurs  personnes,  soit  en  prêtant  leurs  charrettes  et 
leurs  bestiaux.  L'arrogance  brutale  des  chasseurs  seigneuriaux  nou- 
vellement institués  envers  les  cultivateurs  sans  défense  pesa  très- 
rudement  sur  eux  K  «  Les  nouvelles  lois  de  chasse  »,  dit  Geiler 
de  Kaisersberg,  "  sont  dures  et  accablantes;  elles  favorisent  les 
tyrans,  les  oppresseurs  des  pauvres,  qui  osent  s'attribuer  sur  les 
choses  qui  ne  leur  appartiennent  pas  un  pouvoir  inique  et  arbi- 
traire. C'est  ainsi  qu'ils  empêchent  le  fermier  établi  dans  un  domaine 
de  garder  pour  lui  le  gibier  capturé  sur  son  propre  terrain.  » 
"  Cependant  la  loi  de  Dieu  dit  expressément  que  le  seigneur  qui 
interdit  à  son  subordonné  de  chasser  les  bêtes  fauves  de  la  terre 
qu'il  habite  et  de  les  détruire  en  cas  de  légitime  défense,  doit  répa- 
ration au  paysan.  Le  gibier  appartient  à  celui  qui  l'a  tué  dans  l'enclos 
de  sa  métairie.  INulle  loi  positive,  nulle  prescription  humaine  n'a  de 
force  contre  la  loi  naturelle,  et  les  seigneurs  qui  imposent  au  peuple 
des  obligations  injustes  et  oppressives  commettent  un  très-grave 
péché  ^.  "  C'est  en  termes  tout  aussi  hardis  que  les  théologiens 
Gabriel  Biel  et  Jean  Trithème  flétrissent  la  conduite  des  princes  et 
seigneurs  qui,  empiétant  sur  les  droits  traditionnels  de  leurs  sujets, 
leur  ôtent  la  jouissance  des  bois,  eaux  et  prairies  du  communal', 
et  accablent  les  pauvres  paysans  de  tailles  et  de  corvées,  «  les  traitant 
comme  s'ils  n'étaient  que  des  serviteurs-nés,  privés  de  tout  droit,  uni- 
quement créés  pour  le  profit  et  l'avantage  des  puissants  •'. 


'  Pour  plus  de  détails,  voy.  Waoeu,  23  ff.,  463  ff. 

^  Narrenschiff,  §  73. 

^  Jacob  Grimm  [Rechlsallerlhihncr,  p.   248). 


I!l':VOL(rTION'    SOCIALE    OI'KI'.KK    l' Ml    ].V.    Il  lî  0  IT    ROMAIN.    477 

«  Il  n'est  que  frop  vrai  ",  dit  Trithèmc,  «  que  chez  les  auciens 
l'csclavafje  assujcftissait  la  plus  [jrandc  pard'c  de  riiuniaiiilé  à  une 
sei'silude  presque  bestiale.  La  lumière  du  christianisme  a  brillé 
Iou(;temps  avant  de  pouvoir  dissiper  les  ténèbres  païennes,  l'impiété, 
la  tyrannie.  Mais  que  dirons-nous  de  ces  chrétiens,  qui  ressusci- 
tant les  maximes  d'un  droit  païen,  prétendent  introduire  parmi 
nous  un  nouvel  esclavajje  et,  flattant  les  puissants  de  la  terre,  leur 
font  accroire  que  parce  qu'ils  sont  en  possession  de  la  force,  ils  ont 
tous  les  droits  en  main,  et  peuvent,  selon  leur  bon  plaisir,  mesurer 
à  leurs  sujets  la  justice  et  la  liberté?  En  vérité,  c'est  là  une  doctrine 
effroyable!  Sa  mise  en  pratique  a  déjà  fomenté  en  plus  d'un  lieu 
des  révoltes,  des  soulèvements,  et  si  l'on  n'y  prend  garde,  si  Ton  ne 
rend  au  peuple  chrétien  son  ancien  droit,  aux  classes  laborieuses  la 
liberté  et  la  sécurité,  il  est  fort  à  craindre  que  des  guerres  désastreuses 
n'éclatent  parmi  nous  dans  un  avenir  très-prochain  '.  » 


Ili 


L'introduction  du  droit  romain  ébranla  profondément  tous  les 
ressorts  de  la  vie  sociale.  A  mesure  que  son  application  s'étendait, 
on  voyait  dépérir  l'antique  droit  germanique  et  la  liberté  populaire. 
Comme  dans  l'ancienne  Rome,  le  droit  finit  par  ne  plus  être  qu'un 
instrument  à  l'aide  duquel  l'État  s'efforça  d'imposer  en  tous  lieux 
son  uniforme  tyrannie,  effaçant  toutes  les  différences  qui  lui  fai- 
saient obstacle  dans  les  lieux,  les  personnes  et  les  choses- . 

Les  juristes,  interprètes  du  droit  romain,  se  posèrent  partout  en 
adversaires  systématiques  des  institutions  du  droit  allemand  en  géné- 
ral et  des  droits  reconnus  des  diverses  classes  sociales  et  corpora- 
tives en  particulier  \  L'organisation  du  moyen  âge,  si  variée  dans  son 
unité  grandiose,  fut  sacrifiée  sans  miséricorde  au  principe  de  nivel- 
lement universel  de  la  Rome  antique. 

Comme  le  droit  romain  ne  fait  aucune  mention  des  droits  des 
divers  ordres  sociaux,  les  juristes  ne  tardèrent  pas  à  déclarer  que 
la  participation  des  diètes  territoriales  au  gouvernement  du  pays 
était  absolument  superflue,  et  traitèrent  les  constitutions  existantes 

'  DeJudœis.  La  confusion  judiciaire  qui  suivit  l'établissement  du  droit  romain, 
et  que  Wimpheling  appelle  dans  son  apologie  le  «  chaos  sanctionum  huma- 
narum  »,  le  «  perplexitas  veterum  et  novorum  jurium  »,  fut  bien  souvent  con- 
sidérée par  les  contemporains  sagaces  comme  la  source  probable  et  féconde  de 
révolutions  futures. 

*  Voy.  Arnold,  Cullur  und  Rcchlslchcn,  p.  176. 

*Voy.  Beseler,  p.  157-19 î. 


478    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

aussi  cavalièrement  que  les  droits  privés.  Vis-à-vis  des  princes,  les 
membres  des  étals  ne  devaient  être  que  des  sujets.  Quant  aux  privi- 
lèges qui,  depuis  des  siècles,  avaient  donné  aux  diverses  conditions 
sociales  une  existence  légale,  indépendante  de  la  volonté  ou  de 
l'autorisation  des  princes,  ils  lurent  considérés  comme  douteux  et 
révocables,  et  les  sociétés  corporatives  se  virent  obligées  de  sou- 
mettre leurs  statuts  à  l'agrément  des  princes  souverains. 

En  un  mot,  le  prince  allemand  devint  le  princcps  romain  '.  La  pro- 
mulgation des  lois,  l'administration,  le  pouvoir  militaire,  juridique, 
financier;  la  police,  le  commerce,  l'exploitation  des  mines  et  des 
forêts,  et  jusqu'aux  questions  regardant  la  propriété  foncière  privée, 
tout  fut  peu  à  peu  considéré  par  les  juristes  comme  relevant  de 
l'autorité  souveraine. 

Mais  si  le  prince  devait  exercer  le  pouvoir  dans  le  sens  où  la 
Rome  antique  l'avait  entendu,  il  s'ensuivait  que  le  domaine  ecclé- 
siastique devait  également  lui  être  assujetti.  Et  effeclivcment, 
longtemps  même  avant  la  Réforme,  un  grand  nombre  de  juristes 
soutinrent  que  la  suprématie  religieuse  et  la  juridiction  ecclésiastique 
appartiennent  de  droit  au  prince,  et  ^  qu'à  l'exemple  des  empereurs 
romains  il  peut  et  doit  donner  aux  choses  religieuses  leur  forme 
et  leur  mesure,  établir  et  déposer  les  évéques,  et  disposer  des  biens 
de  l'Église  pour  son  propre  avantage  et  les  intérêts  du  pays  -k  Cette 
doctrine,  au  dire  de  Pierre  de  Froissard,  avait  été  dès  longtemps 
enseignée  par  "  les  savants  légistes  au  duc  de  Bourgogne  Charles 
le  Téméraire  ».Et  Charles,  ajoute  Froissard,  «  désirait  ardemment 
devenir  dans  son  pays  pape  unique  et  tout-puissant  empereur. 
On  m'a  dit  qu'il  répétait  souvent  cette  parole,  traitant  dès  lors 
fort  arbitrairement  les  évêques  et  les  abbés,  usant  des  biens  ecclé- 
siastiques comme  s'ils  eussent  été  temporels  et  à  lui  seul  appar- 
tenant ^  »  Les  juristes  nourrissaient  une  haine  profonde  pour  la 
propriété  ecclésiastique,  parce  qu'ils  la  considéraient  avec  raison 
comme  le  boulevard  le  plus  redoutable  des  anciens  principes  ger- 
mains sur  la  propriété;  aussi  disaient-ils  hautement  que  l'autorité 
du  siège  apostolique  était  pour  les  princes  un  joug  dur  et  accablant  • 


'  Voy.  BiTZER,  p.  579.  —  Arnold,  Cultur  wul  Rechtsîchcn,  p.  88.  —  HageN,  Deutschen 
Gesch.,  t.  II,  p.  17. 

2  Lettre  19. 

^  Voy.  Maurenbrecher,  Studien  und  Skizzen,  p.  331-334.  Les  princes  ont  tenu 
souvent  de  semblables  propos.  Sous  ce  rapport,  les  documents  publiés  sur  le 
duc  Rodolphe  IV  d'Autriche  dans  la  Chron.  Salisb.,  et  publiés  par  Pez,  Seripit.  ver. 
Ausir.,  t.  I,  p.  417,  sont  très-caractéristiques.  On  y  lit,  à  la  date  de  1364  :  '^  Ipse 
(Rudolfus)  etiam  contempsit  niandatuni  domini  apostol.  Urbani  V,  dicens  : 
Egomet  volo  esse  papa,  archiepiscopus,  episcopus,  archidiaconus,  decanus  in  terra 
mea.  Ipse  etiam  episcopatum  l'aiaviensem  voluit  transtulisse  in  Wiennam.  Idem 


ABSOLUTISMI-   DES  PRINCES  ENCOUllAGK   l'AU   LES  JURISTES.  479 

On  attribue  le  mot  de  Charles  le  Téméraire  :  "  Je  veux  élrc  pape 
en  mon  pays  '•,  à  divers  anîrcs  princes  souverains,  à  un  duc  de  Saxe 
el  à  lin  duc  de  Clèvcs,  rêvant  comme  lui  d'exercer  la  puissance 
!i,ii»,il('  ;"i  l'iiilcricur  de  leurs  l'^Jals. 


IV 


Les  juristes  s'elTorcèrent  d'affranchir  du  pouvoir  de  TKnipereur 
comme  de  celui  du  Pape  les  princes  auxquels  ils  devaient  leur  éléva- 
tion. "  Les  savants  docteurs,  pleins  d'habileté,  d'inlelli(;ence  et 
d'astuce  >',  écrit  en  1471  l'Italien  Augustin  Patricius,  «  tournent  et 
bouleversent  tout  à  leur  fantaisie.  Ils  font  grande  figure  dans  les 
assemblées  du  royaume,  se  plaisent  à  voir  les  princes  les  consuller, 
et  tenir  leurs  dires  et  leurs  réponses  pour  des  oracles;  ils  suivent 
avec  joie  les  changements  qui  se  produisent  dans  le  pays.  Leur  crédit 
grandit  au  milieu  des  dissensions  et  des  querelles.  Par  des  artifices 
toujours  nouveaux,  ils  persuadent  aux  princes  que,  grâce  à  eux,  ils 
jouissent  d'une  liberté  absolue  '.  » 

Or  la  liberté,  au  point  de  vue  des  docteurs,  consistait  surtout  à 
fournir  le  moins  de  subsides  et  de  troupes  possible  à  l'Empereur  et 
au  Saint-Empire.  «  Dès  qu'il  s'agit  de  débourser  «,  écrit  Wimphe- 
ling,  "  l'Empire  et  son  honneur  sont  pour  les  juristes  comme  s'ils 
n'existaient  pas.  '^  Ils  traitaient  les  affaires  politiques  que  leur  con- 
fiaient les  princes  selon  les  principes  astucieux  de  leur  génie,  et 
croyaient  s'être  montrés  souverainement  sages  et  habiles  lorsque, 
durant  les  diètes,  ils  avaient  réduit  au  plus  mince  minimum  possible 
les  secours  réclamés  par  le  souverain  pour  les  guerres  étrangères. 

voluit  in  dominio  suo  cœnobiis  prœlatos  instituere  et  destituere  et  opinabafur 
seipsum  sapientem  veliit  Imperator  Fridericiis,  qui  dominicam  oratiomm  voluit 
emendasse.  »  Mais  dès  que  les  princes  commencèrent  •■  à  vouloir  donner  aux 
choses  religieuses  leur  mesure  et  leur  forme  »,  il  se  trouva  assez  de  gens  pou- 
vant dire  d'eux-mêmes  ce  qu  Enéas  Sylvius  rapporte  :  «  Omnes  hanc  fidem 
habemus  quam  nostri  principes,  qui,  si  colerent  idola,  et  nos  etiaiii  coleremus. 
Et  non  solum  papam ,  sed  Christum  etiam  negaremu  >  saeculari  potestate 
urgente.  ■  0pp.,  p.  539,  epist.,  54. 

'  '■  Les  princes  ■>,  écrit  Patricius,  «  omnia  consiliariis  credunt,  eorum  judicio, 
cuncta  geruntur.  Ilorum  nonnulli,  oui  doctiores  sunt  et  ingénie  et  astutia 
pollent,  pro  arbitrio  omnia  versant;  iis  gloriosissimum  est  vocari  adconventus, 
rogari  sententias,  consuli  a  principil)ns,  et  eorum  sermones  atque  responsa 
tanquam  Delphica  oracula  haberi.  Gaudent  rerum  mutatione,  et  contentionibus 
atque  discordiis  principum  crescunt,  procurant  assidue  no  vis  artibi's,  ut  prin- 
cipibus  suis  libertatem  parare  videantur,  et  a  reverentia  apostolica)  sedis, 
quam  durum  atque  asperum  jugum  appellant,  sed  etiam  Romani  Iraperii  eos 
nituntur  avertere.  «  Voy.  FiiEUEr.,  t.  II,  p.  290. 


480    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

Marchandant  chaque  florin  par  mille  arguties  captieuses,  ils  n'étaient 
satisfaits  que  lorsqu'ils  avaient  réussi  à  empêcher  l'Empereur 
d'obtenir  ce  qu'il  réclamait,  ne  se  demandant  jamais  si,  par  une 
telle  conduite,  ils  ne  mettaient  pas  en  péril  l'exisleuee  d'une  partie 
ou  même  de  la  totalité  de  l'Empire  '.  Tandis  qu'ils  revêtaient  les 
princes  de  l'autorité  d'un  César,  ils  ne  voulaient  reconnaitre  aux 
empereurs  que  ce  qu'ils  appelaient  des  «  droits  réservés  ».  En  un 
mot,  leur  effort  incessant  tendait  à  faire  de  l'olij^archie  déjà  presque 
accomplie  la  loi  fondamentale  de  la  constitution  du  pays. 

'  Schmidt,  dans  son  Histoire  des  Allemands,  t.  IX,  p.  457,  Manheim,  1784,  avait 
déjà  remarqué  que  par  les  juristes  romains  «  les  questions  politiques  étaient 
devenues  processives,  qu'on  les  traitait  dans  un  esprit  de  mesquine  chicane,  et 
que  c'était  pour  cela  qu'elles  n'en  venaient  jamais  à  une  concluiuon  pratique  ». 
C.  A.  Menzel,  Gesch.  der  Deutschen,  t.  VI!,  p.  129,  attribue  principalement  le  misé- 
rable état  des  affaires  publiques  à  l'influence  des  juiisles.  «  Leur  dor.iina- 
tion  »,  dit-il,  »  est  encouragée  par  les  universités.  «  Stintzing  aussi  [Juristen, 
böse  Christen,.^.  19)  est  d'avis  que  le  vice  fondamental  de  notre  développement 
politique  est  venu  de  l'application  de  la  méthode  et  des  principes  du  droit 
civil.  «  L'ingérence  des  juristes  dans  les  affaires  d'État  fut  cause  qu'imbus  dans 
toutes  les  fibres  de  leur  être  de  la  mélhode  et  des  axiomes  du  droit  civil,  ils 
mirent  à  peine  les  affaires  publiques  au-dessus  des  questions  de  droit  privé,  et 
transportèrent  dans  le  domaine  de  la  vie  politique  les  formes  cauteleuses  de  la 
chicane,  d'ordinaire  réservées  exclusivement  aux  salies  des  tribunaux.  • 


CHAPITRE   III 

roLITIOUE  EXTÉRIEURE   ET   ESSAIS    d'lMITC  \TIOX    SOUS    MAXI.MII.IEN    1". 

L'Empire  romain-germanique,  (el  qu'il  était  autrofx)is  constitué, 
(lait,  au  milieu  de  la  société  du  moyen  âge,  la  première,  ou  pour 
mieux  dire  l'unique  puissance  législatrice  de  l'Europe.  L'Allemagne 
i'iait  à  la  lètc  de  la  chrétienté. 

Représentant  au  milieu  des  peuples  européens  la  suprême  puis- 
sance impériale,  la  mission  qu'elle  avait  à  remplir  à  l'extérieur  con- 
solidait et  fortifiait  au  dedans  l'union  des  différentes  races  dont  elle 
était  composée.  L'expédition  romaine  imprimait  au  sentiment  national 
un  élan  généreux;  elle  donna  l'élan  à  ces  essais  hardis  de  colonisa- 
tion, qui,  même  après  la  décadence  de  l'Empire,  se  perpétuèrent 
plus  d'un  siècle.  A  côté  de  l'Allemagne  d'Occident  et  des  anciennes 
tribus  dont  elle  était  formée,  on  vit  se  développer  peu  à  peu  une 
Allemagne  orientale,  et  les  habitants  de  la  Silésie,  de  la  Misnie, 
du  Rrandebourg,  du  }.iec!vlembourg  et  de  la  Pomérauie  ajou- 
tèrent avec  le  temps  des  branches  nouvelles  à  l'antique  famille  ger- 
manique. 

L'Empire,  dès  son  origine,  contenait  des  cléments  romans;  il  était 
aussi  en  contact ,  par  ses  marches  orientales,  avec  des  populations 
slaves,  et  des  territoires  considérables  se  réunirent  peu  à  peu  à  ses 
premières  possessions.  La  nation  allemande,  composée  de  tant  de 
tribus  différentes,  -■  vrai  peuple  de  peuples  -,  était  particulièrement 
propre  à  devenir  le  centre  de  races  diverses.  Elle  se  servit  toujours  de 
son  hégémonie  avec  modération,  et  n'entrava  nulle  part  lé  libre  déve- 
loppement des  Romans  ou  des  Slaves  devenus  ses  sujets;  une  aveugle 
soif  de  conquête  n'était  point  dans  son  génie,  et  malgré  son  grand 
pouvoir,  elle  laissa  toujours  inattaquées  les  vastes  frontières  qui  la 
séparaient  delà  France  (depuis  l'embouchure  de  l'Escaut  jusqu'à  celles 
du  Rhône).  L'Empire  romain  germanique,  formé  par  l'Allemagne,  la 
Bourgogne  et  l'Italie,  maintenait  au  milieu  des  peuples  l'équilibre 
et  la  paix;  et  tant  que  ses  ennemis  extérieurs  purent  croire  ses  fron- 
tières inviolables.  Tordre  public  eut  un  si  ferme  soutien  en  Europe, 

31 


iS-2    EMI'IRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

qu'une  guerre  générale  s'allumant  entre  les  nations  chrétiennes  était 
regardée  comme  impossible  '. 

Mais  la  décadence  de  T Empire  amena  un  grand  changement. 
Plus  TAllemagne  abandonna  sa  mission  à  l'extérieur,  et  plus  ses  res- 
sorts politiques  se  relâchèrent  au  dedans;  les  Kens  sociaux  qui  avaient 
autrefois  uni  ses  populations  se  rompirent.  Dans  les  villes  libres 
comme  dans  les  petits  États  des  princes  souverains,  la  bourgeoisie 
conquit  une  très-grande  indépendance.  Par  ses  villes  de  commerce  et 
les  voies  ouvertes  à  ses  vastes  échanp,'es,  le  peuple  allemand  avait 
rendu  tributaires  la  plupart  des  pays  européens;  dans  l'espace  de 
temps  qui  sépare  le  règne  de  Rodolphe  de  Habsbourg  de  celui  de 
Maximilieu,  la  prospérité  publique  n'avait  cessé  de  croître,  et  la 
culture  iutellecluelle  avait  fait  d'admirables  progrès;  mais  durant 
toute  cette  période  la  vie  politique  était  restée  renfermée  en  d'étroites 
limites,  et  la  nation  n'avait  point  tourné  son  ardeur  vers  un  noble 
idéal,  capable  de  j-éunir  et  d'employer  toutes  ses  énergies. 

L'Allemagne  ne  perdit  pas  seulement  l'hégémonie  européenne;, 
elle  devint  presque  étrangère  aux  grands  intérêts  politiques  des 
autres  peuples. 

C'est  sous  Frédéric  IIî  que  l'Empire  fit  les  pertes  les  plus  graves. 

Au  nord,  le  Schleswig-Holstein,  bien  que  placé  sous  la  tutelle  de 
l'Empire,  tombe  au  pouvoir  du  roi  de  Danemark  (1400).  En  Prusse, 
«  à  la  grande  humiliation  et  au  grand  préjudice  de  la  nation  -  -, 
l'ordre  Teutonique  se  voit  contraint  de  céder  la  plus  grande  partie 
de  ses  possessions  au  roi  de  Pologne  (paix  de  Thorn,  i4('jG),  et  reçoit  de 
lui,  à  titre  de  fief,  les  pays  demeurés  sous  sa  dépendance;  l'Empire 
et  l'Empereur  voient  sans  s'émouvoir  les  «  chevaliers  Teutoniques  » 
devenir  les  vassaux  d'un  souverain  étranger. 

La  séparation  de  la  Boliëme  des  intérêts  et  des  destinées  de 
TEmpire  eut  des  conséquences  encore  plus  funestes;  la  maison  sou- 
veraine des  Habsbourg'  perdit  avec  la  couronne  de  Bohême  sa  posi- 
tion ferme  et  stable  en  Orient  et  en  Occident,  et  sa  puissance  en  fut 
d'autant  plus  restreinte  que  la  Hongrie  ne  pouvait  être  conservée  sans 
la  Bohême.  Mais  ce  qui  contribua  le  plus  à  l'affaiblissement  de 
l'Empire,  ce  furent  les  progrès  de  la  monarchie  française  et  les 
envahissements  des  Turcs. 

La  politique  belliqueuse  et  conquérante  des  rois  français  avait  pu 
être  entravée  dans  toutes  ses  entreprises  en  Allemagne  et  en  Italie 
tant  que  les  frontières  de  l'Empire  lui  avaient  opposé  une  digue 

'  Ces  sujets  sont  reniarfjualjlement  traités  dans  l'ouvrage  de  Iicker,  intitulé  : 
Aaiscrreicli  in  seinen  universalen  und  ntilionalen  Beziehungen. 

-  Voy.  la  lettre  de  Grégoire  de  lleimburj];  du  21  décembre  1468.  IIoflkfx, 
Kaiserl.  Buch,  p.  197.  " 


POMTIQl'E    AMBITIFISE    DES    UOIS    DE    FRANCE.  ^iH?, 

rcdoutnble,  et  surtout  tant  que  la  Lorraine  et  la  Bourgogne  étaient 
restées  allemandes;  mais  lorsque  s'ébranla  l'ancien  ordre  de  choses, 
et  que  l'organisaliou  de  l'Empire  vint  à  se  dissoudre,  ces  pays  atti- 
rèrent particulièrement  l'atlention  de  la  France,  qui  ne  songea 
plus  qu'a  meflre  ses  projets  à  exéculion.  En  1312,  l'occupation  de 
Lyon  contre  toute  justice  fut  aussi  désastreuse  pour  l'Empire  que 
plus  tard  la  capture  de  Strasbourg  le  devait  être  pour  la  monarchie  '. 
Les  ardentes  et  continuelles  aspirations  de  la  France  s'expriment  fort 
clairement  dans  un  document  daté  de  1333  :  par  une  convention  passée 
entre  Philippe  de  Valois  et  le  duc  Henri  de  basse  Bavière,  ce  dernier, 
traître  à  l'Empire  et  dans  l'espérance  d'obtenir  le  trône  d'Allemagne 
par  le  secours  de  la  France,  ouvre  an  roi  Philippe  de  brillantes  per- 
spectives, et  lui  propose  de  l'aider  à  conquérir  l'évéché  de  Cambray 
et  toute  la  partie  romane  de  l'Empire,  depuis  la  Saône  et  le  Uhoue, 
jusqu'aux  frontières  de  la  Lombardie  et  de  la  Suisse  allemande-. 

Sous  Louis  de  Bavière  la  politique  française,  dans  le  but  d'affaiblir 
l'Empire,  entretient  pendant  de  longues  années  les  dissentiments  de 
l'Empereur  et  du  Pape,  met  sans  cesse  obstacle  à  leur  réconciliation, 
tire  parti,  au  quinzième  siècle,  du  schisme  religieux^,  et  cherche,  par 
de  continuelles  menées  et  par  des  conventions  secrètement  conclues 
avec  les  princes*,  à  s'approprier  des  territoires  allemands.  En  1444, 
le  roi  Charles  VII  et  ie  dauphin  Louis  ne  font  point  mystère  de  leurs 
plans,  et  déclarent  iiautcment  que  leur  intention  est  de  ^  conquérir 

'  Voy.  FicKrn,  Kaiserreich,  p.  127.  Sur  les  entreprises  françaises  sous  le  rcfïnc 
de  Rodolphe,  voy.  Kopp,  lîcicksgeschichtc,  i.  i.  p.  870-878.  Sur  la  perte  du  royaume 
d'Arles  et  les  vues  ainijitieuscs  de  la  France  sur  la  Lorraine,  voy.  GEDHAr%Di, 
Gesch.  der  erblichen  Rrichstiindc,  t.  I,  p.  219-221,  225,  226,  231-23-î,  lio,  257. 

*  RÖHMrn,  Kaisfrregesten  von  1314-1347,  p.  301,  et  Fontes,  t.  I,  p.  215.  Dans  Ce 
traité,  Henri  tenait  déji^  le  lan,i;a{;e  dont  se  servirent  en  15521e  duc  Maurice  de 
Saxe  et  ses  affilies  dans  leur  conspiration  d'État.  «  Il  s'était,  disait-il,  résiyné  à 
l'abandon  des  pays  en  question,  en  considération  de  tout  ce  que  le  roi  de 
France  avait  dépensé  dans  l'intérêt  de  l'Empire.  > 

*  Voy.  la  lettre  du  roi  Robert  datée  du  21  août  1409  dans  les  Fnm'kfuris 
Reichscorrespondcn:,  t.  I,  p.  144,  1  iS. 

*  Le  duc  Louis  de  Bavière  avait,  dès  HOC,  engagé  à  la  couronne  française  ses 
possessions  allemandes  sur  le  Danube  pour  une  somme  de  75^000  florins. 
Droysen,  Gesch.  der  j^reussiachen  Poliiik.,  t.  I,  p.  251,  note.  L'archcvêquc  Fré- 
déric III  de  Colo.T,ne  était  vassal  de  la  France  dès  1378.  — Lacomblet,  Urhundcn- 
Jmchfiir  den  Miederrhein,  t.  III,  p.  382,  note.  L'archevéque  Jean  II  de  Mayence  en 
sa  qualité  de  vassal  de  la  France  fut  défendu  contre  le  roi  Robert  par  le  roi  de 
France  Charles  VI  il4I0i.  {Fnvihfurts  licichscorrespondenz,  t.  I,  p.  151-152.i  J.  Dubois, 
conseiller  de  rhilippe  le  Bel,  expose  au  Roi  en  deux  mémoires  les  moyens  par 
lesquels  la  France  pourrait  parvenir  à  la  monarchie  universelle.  Pour  sou- 
mettre l'Allemagne,  il  lui  faut,  selon  lui,  conclure  des  traités  avec  les  princes 
allemands,  qui  trouveront  dans  les  souverains  français  un  appui  contre  la 
tyrannie  impériale;  il  faudra  seulement  spécifier  exactement  les  conditions 
du  protectorat.  «  Il  posait  en  principe  que  la  domination  française  devait  être 
universelle  et  s'étendre  à  tous  les  pays  civilisés.  »  Boutauic,  la  France  sous 
Philippe  le  Bel,  p.  411.  —  Voy.  VoN  Sybel,  HiSt.  Zeitschrift,  t.  VIII,  p.  465-46G. 


484    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

les  frontières  naturelles  de  la  France  »,  c'est-à-dire  les  pays  qui  lui 
appartiennent,  d'après  eux,  de  droit  :  l'Alsace,  Metz,  Toul,  Verdun, 
Fribourg  et  Brisaclu  Charles  Vil  se  montre  décidé  à  «  combattre 
pour  la  liberté  et  la  noblesse  allemande  contre  la  maison  d'Au- 
triche, qu'il  faut  à  tout  prix  humilier.  La  France  doit  s'étendre 
jusqu'au  Uhin.  Le  Roi  ne  craint  point  les  princes  allemands,  il  saura 
bien  les  vaincre  les  uns  après  les  autres;  ce  qu'il  redoute,  ce  sont  les 
villes  libres  et  les  paysans.  "  Ce  furent  en  effet  les  bourgeois  et  les 
gens  des  campagnes  qui  déjouèrent  ses  projets  ambitieux'.  Bientôt 
le  roi  Louis  XI,  successeur  de  Charles,  expose  aux  bourgeois  de  Metz 
ses  droits  à  leur  serment  d'hommage,  affirme  que  cette  ville  lui 
doit  obéissance,  qu'elle  lui  appartient  par  héritage,  et  dit  tout  haut 
qu'il  se  rend  à  Rome  pour  y  recevoir  le  titre  de  roi  des  Romains  -. 
Par  la  possession  de  Metz  et  de  Strasbourg,  la  France  rêvait  d'avoir 
un  «  libre  accès  dans  le  Saint-Empire  %  et  ces  deux  puissants  bou- 
levards de  notre  pays  du  côté  de  l'occident  furent  dès  lors  dans  un 
continuel  péril  K 

Tandis  que  sous  Frédéric  III  l'Empire  semble  se  rapprocher  tou- 
jours davantage  d'une  inévitable  dissolution,  la  royauté  française, 
au  contraire,  se  fortifie  sous  Louis  XI,  véritable  fondateur  de  la 
poUtique  ambitieuse  et  conquérante  de  la  France.  Déjà  commence 
Tordre  de  choses  qu'un  ambassadeur  vénitien  devait  caractériser  plus 
tard  par  ces  paroles  :  <=  Tout  en  France  est  fondé  sur  la  volonté  du 
Roi;  même  dans  les  questions  judiciaires,  personne,  quelles  que  soient 
les  réclamations  de  sa  conscience,  n'aurait  le  courage  d'exprimer  une 
volonté  contraire  à  la  sienne.  Les  Français  respectent  tellement  leur 
souverain,  qu'ils  sacrifieraient  pour  lui  non-seulement  leurs  biens,  mais 
encore  leur  honneur  et  leur  âme.  "  "  Nul  pays  n'est  plus  obéissant; 
l'unité  et  la  soumission  sont  les  causes  de  sa  force  à  l'extérieur.  » 
Lorsque  le  souverain  levait  arbitrairement  un  impôt,  le  peuple  ne  se 
révoltait  point,  persuadé  que  la  violation  d'un  édit  royal  constituait 
un  sacrilège.  On  désignait  le  souverain  français  sous  le  nom  de  «  re 
délie  hcstie  >;,  parce  qu'il  avait  obtenu  de  ses  sujets  une  complète 
abdication  de  leur  volonté.  Sous  Louis  XI,  les  impôts  annuels,  de 
2  millions  qu'ils  étaient  auparavant,  montèrent  presque  à  5  millions; 
mais  grâce  à  ce  sacrifice  la  France  vit  s'organiser  une  armée  perma- 
nente, toujours  prête  au  condiat.  Un  contrat  passé  en  1474  avec  les 
Suisses  permit  à  Louis,  en  échange  d'une  somme  considérable,  de 

'  Voy.  Janssen,  Frankreichs  Rheingelüsle,  p.  4-8. 

-Lettre  du  clievalier  Jobst  von  Eynsidi  au  niaryrave  Albert  Acliille,  4  juil- 
let 1464.  Voy.  HÖFLER,  Fränkische  Studien,  t.  VII.  p.  37. 

3  Voy.  ces  lettres  dans  IJöfler,  Fränkische  Studien,  t.  VII,  p.  38,  H<"  9  et  122. 

M  m. 


l'Ol.ITIOUK    AMBITIKIISK    DES    l<  0  I  S    1»  K    FliANCi;.  485 

compter  désormais  en  tout  temps  sur  le  concours  de  leurs  troupes 
jiiixiliaircs  :  avantage  inappréciable,  caries  Suisses  formaient  alors 
la  seule  infanterie  disciplinée  de  l'Europe,  et  combattaient  indif- 
féremment toutes  les  puissances.  «  Il  est  triste  de  l'avouer  »,  dit 
Tri  thème,  «  de  nos  jours  les  Suisses  allemands  ont  complètement 
p<'rdu  l'amour  de  leur  nationalité,  et  pour  de  l'argent  français  con- 
s(;nlciit  à  combattre  leurs  compatriotes.  »  Wimplielijig  dit  de  môme  : 
Il  est  douloureux  d'adresser  un  reproche  pénible,  mais  trop  juste, 
aux  habitants  des  Alpes.  La  plupart  d'entre  eux,  poussés  par  l'amour 
du  gain,  se  mettent  à  la  solde  des  étrangers  pour  combattre  leurs 
frères,  et  tirent  l'épée  contre  l'Empire  romain  et  l'Empereur  '.  ■' 

Après  la  mort  de  Charles  le  Téméraire  (1477),  Louis  XI  prit  posses- 
sion de  la  Bourgogne  et  de  la  Picardie,  et  la  France  se  serait  rendue 
maîtresse  de  tout  l'héritage  bourguignon,  si  Maximilien  d'Autriche, 
en  sa  qualité  d'époux  de  la  jeune  Marie,  n'eiU  conservé  à  l'Empire 
les  Pays-Bas  allemands,  opposant  ainsi  une  forte  digue  à  l'ambition 
Irançaise,  puisqu'une  fois  en  possession  des  Pays-Bas,  la  France  eut  à 
chaque  instant  menacé  l'indépendance  de  l'Allemagne  du  Nord.  Louis 
fat  plus  heureux  au  sud;  il  réunit  le  duché  de  Provence  à  sa  cou- 
ronne sans  que  l'Empire  songeât  même  à  faire  valoir  sur  lui  ses  anciens 
droits  de  suzeraineté,  et  depuis  ce  moment  vit  son  pouvoir  s'étendre 
sur  toutes  les  côtes  méridionales  de  la  France.  Peu  de  temps  après, 
eiliarles  VIII,  fils  de  Louis  XI,  fut  mis  en  possession  du  dernier  grand 
lief  de  la  couronne  par  son  mariage  avec  Aune  de  Bretagne. 

"  Chez  nous  >,  dit  Pierre  de  Froissart,  «  le  Roi,  en  recevant  l'héri- 
tage de  ses  aïeux,  s'engage  non-seulement  à  défendre  au  dedans 
l'autorité  royale,  mais  encore  à  accroître  autant  que  possible  cette 
autorité  au  dehors.  Et  quels  admirables  pays  s'offrent  encore  à  ses 
désirs,  aussi  bien  en  Allemagne  qu'en  Italie  ^l  »  Pour  maintenir  le 
calme  à  l'intérieur,  les  souverains  français  estimaient  que  le  meil- 
leur moyen  d'occuper  leur  nation  remuante  et  belliqueuse,  c'était  de 
lui  proposer  des  agrandissements  à  l'étranger;  aussi  s'ingéraient-ils 
sans  cesse  dans  les  affaires  et  les  querelles  de  leurs  voisins.  "  Pour 
être  dans  les  bonnes  grâces  des  rois  de  France,  il  faut  »,  dit  encore 
Froissart,  "  être  bien  persuadé  qu'aucun  peuple  de  la  terre  ne  peut  se 
mesurer  aux  Français,  et  que  l'Orient  et  l'Occident  ne  seraient  pas 
trop  vastes  pour  contenir  une  telle  nation  "\  " 

Des  astrologues  complaisants  avaient  prédit  autrefois  à  Charles  VIII 
qu'il  régnerait  un  jour  sur  l'Orient  et  l'Occident;  la  croyance  à  cette 

'  V.  VON  WiSKOWATOFF,  ]).  89-90  et  110-1  îl. 
-  Lettre  II. 

^  Voy.  iVluLLER,  Reichsldglhealer  unter  Aïaximilian,  t.  I,  p.  354.  —  JaGEI\  ,  Kaiser 
Maximilian,  p.  211-212. 


48ß    F-MPIUE    ROMAIN    OERM  ANI Q  ü  E,    SITUATION    EXTERIEURE. 

prophétie  s'était  répandue  dans  tout  îe  peuple,  et  le  Roi  lui-même  y 
ajoutait  foi.  Peu  de  temps  avant  départir  pourFItalic  afin  d'}  tenter 
la  conquête  du  royaume  de  Naples,  Charles  se  montra  au  milieu 
d'une  fête  revêtu  des  ornements  impériaux,  et  portant  les  insignes  de 
la  souveraineté  universelle  :  le  globe  impérial  et  le  sceptre.  Le  peuple 
et  la  noblesse  l'acclamèrent,  le  saluant  du  titre  d'Empereur.  On  voit 
que  ce  n'était  pas  sans  motif  que  dès  le  quatorzième  siècle  un  pape 
avait  recommandé  au  roi  des  Romains  de  surveiller  les  démarches  des 
Français  en  Italie.  "  La  France  »,  avait-il  dit,  «  ne  rêve  que  l'anéan- 
tissement de  la  puissance  impériale  et  la  ruine  du  pouvoir  temporel 
du  Saint-Siège.  Elle  soumettrait  â  ses  lois  toute  la  terre,  si  ses  forces 
pouvaient  suffire  à  la  satisfaction  d'une  ambition  si  démesurée  K  » 

L'antique  alliance  de  l'Empire  et  de  l'Italie  avait  eu  dans  le  passé 
les  plus  grands  avantages  pour  les  deux  nations,  bien  qu'elle  eut 
imposé  de  lourds  sacrifices  â  l'une  et  à  l'autre.  L'expédition  romaine, 
à  laquelle  prenaient  part  toutes  les  tribus  germaniques,  entretrenait 
parmi  elles  le  sentiment  de  la  cohésion  nationale,  et  d'autre  part  les 
relations  de  l'Allemagne  avec  le  pays  alors  le  plus  cultivé  de  l'Europe 
faisaient  naître  une  émulation  féconde,  un  élan  vif  et  heureux  vers 
les  choses  intellectuelles.  Les  Italiens,  il  est  vrai,  n'avaient  que  trop 
souvent  senti  la  rudesse  du  joug  tudesque;  ils  avaient  été  fréquem- 
ment accablés  d'impôts;  mais,  d'un  autre  colé,  la  puissance  de  l'Empire 
les  avait  mis  à  l'abri  des  actes  de  violence  et  de  despotisme  de  leurs 
propres  princes  et  seigneurs  temporels,  dont  la  tyrannie,  si  elle 
n'eût  été  entravée,  eût  rendu  impossible  l'épanouissement  de  la 
liberté  des  républiques,  cette  noble  fleur  du  sol  itaUen. 

L'union,  la  grandeur  de  l'Europe  centrale  reposaient  sur  l'alliance 
de  l'Allemagne  et  de  ritalic.  Lorsque  cette  alliance  eut  été  brisée, 
l'Empire  vit  fin^ir  la  période  de  son  unité  et  de  sa  force,  l'Italie  celle 
de  sa  liberté  intérieure  et  de  la  prospérité  de  sa  bourgeoisie.  Quand 
la  direction  puissante  de  l'Empire  lui  fit  défaut,  l'Italie  tomba  dans 
une  lamentable  période  de  désorganisation  et  de  désastres,  et  l'on 
put  même  craindre  un  moment  que  le  Pape  ne  pût  demeurer  à 
Rome.  Cette  rupture  fut  en  grande  partie  cause  de  la  longue  dépen- 
dance où  resta  la  cour  papale  vis-à-vis  de  la  politique  française. 

«  L'Italie  a  expérimenté  depuis  des  siècles  =>,  disait  à  bon  droit 


1  "  Gallica  natio  semper  ad  imperium  suspiravit.  De  papatu  quid  loquamur? 
Notuni  adeo  est  quod  nulla  potest  tcrgiversatione  celari,  iieduiii  papatiim, 
îiediiin  imperium,  sed  uiiiversi  orbis  monarchiam  vellent  Gallici  usurpare,  si 
facultas  eorum  desideriis  responderet.  '  Le  pape  Urbain  VI  au  roi  Venceslas, 
16  sept.  1382.  Velzel,  Lcbciisgcschichlc  Königs  lUcnccslaus ,  t.  I  (l'rague,  1788).  Dom- 
vicnts,  p    53.  n"  33 


I/LMIMII  i;    ET    LO(iIi:NT.  487 

M;iximilicn,  «  ce  que  devient  nii  peuple  qui  n'a  pas  d'empereur  pour 
imposer  un  frein  à  ses  passions.  Aussi  ses  vrais  amis  ont-ils  lou- 
.i!)iii-H  rcj',ardé  la  puissance  impt'riale  comme  favorable  à  ses  inlérèls, 
!•  soupiré  ardemment  après  le  retour  de  l'Empereur  '.  »  Dante, 
ciîdiousiaste  panéjyyrislede  l'Empire,  place,  dans  son  sublime  poëme, 
le  roi  nodolj)lie  de  Ilabsbour^^'  dans  le  purgatoire,  pour  n'avoir  pas 
.1!  rompli  sou  devoir  en  ilalie.  Le  poète  menace  le  roi  Albert  du 
rourroux  du  ciel  parce  qu'il  ne  cherche  pas  à  dompter  d'une  main 
(Dermique  '  le  coursier  italien,  devenu  trop  farouche  >- .  11  salue, 
plein  d'alléjjresse,  l'arrivée  de  Henri  VII,  «  lil)ératcur  longtemps 
al  tendu  ».  Ces  aspirations  se  retrouvent  dans  les  lettres  adressées 
|)ar  Pétrarque  à  Charles  IV.  ;<  Hâte-toi  »,  lui  dit-il,  -<  comme  cela 
it'd  à  un  empereur!  L'Italie  est  le  plus  ancien  et  le  plus  vaste  de  tes 
royaumes!  Sa  pacification  est  remise  en  tes  mains;  c'est  ta  mission 
Il  i)lus  belle  et  la  plus  sainte.  Montre  à  l'Italie  son  libérateur-!  » 
Mais  la  délivrance  ne  vint  pas.  L'Italie  devenait  de  plus  en  plus 
•angèreaux  destinées  de  l'Empire.  Les  républiques  itaUennes,  dans 
irs  rivalités  continuelles,  n'étaient  plus  guidées  que  par  l'intérêt 
j.crsonnel  et  la  ruse.  Dans  les  classes  élevées  la  dépravation  morale 
I  lisait  chaque  jour  des  progrès.  Le  long  schisme  religieux  qui  suivit, 
ébranla,  en  Italie  plus  qu'en  tout  autre  pays  de  l'Europe,  le  prin- 
cipe de  l'autorité,  et  le  chef  de  la  chrétienté  vit  diminuer  le  respect 
universel  dont  il  s'était  vu  jusqu'alors  entouré. 

Le  bouleversement  complet  survenu  dans  les  affaires  d'Italie 
et  l'impuissance  de  l'Empire  favorisèrent  singulièrement  l'ambition 
des  rois  de  France.  A  peine  Charles  VIII  s'était-il  établi  dans 
le  royaume  de  Kaples  (1495),  qu'il  fit  connaitre  son  dessein  de 
s'emparer  de  la  couronne  impériale.  Or  la  prépondérance  de  la 
France  en  Italie  eût  ä  la  fois  menacé  l'équilibre  de  l'  "  empire  romain 
de  nation  germanique  -  et  l'indépendance  de  l'Allemagne.  La  guerre 
avec  la  France  s'imposait  donc  aux  Allemands  :  elle  était  pour  eux 
une  question  vitale. 

Mais  ûu.  côté  de  l'Orient  un  bien  autre  péril  menaçait  tous  les 
jours  davantage  l'Empire. 

Tant  que  l'Allemagne  avait  conservé  au  centre  de  l'Europe  sonéqui- 
libre  puissant,  tant  que  ses  frontières  étaient  restées  inviolables  pour 
tout  ennemi  du  dehors,  les  peuples  chrétiens  avaient  pu  poursuivre 
eu  paix  le  grand  but  qui  leur  était  commun.  Au  siècle  des  croisades, 
refoulant  l'islamisme  qui  menaçait  d'engloutir  l'Europe,  ils  avaient 


'  Lettre  du  conseiller  royal  Henri  Grunebeck,  cet.  1500. 

-  Voy.  FiCKER,  Kaiserreich,  p.  80-85.  —Geiger,  Petrarca,  p.  193-199.  (Leipzig,  1874. 


488    EMPIRE    ROMAIN    OERMANIOÜE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

planté  rétendard  de  la  croix  au  milieu  des  possessions  mahomé- 
tanes  ;  ils  y  avaient  fondé  leur  pouvoir,  et  la  civilisation  européenne 
y  avait  été  apportée.  Assurément,  le  succès  des  croisades  ne  doit  pas 
être  principalement  attribué  à  l'intervention  de  l'Empire;  mais  il 
faut  reconnaître  que  les  croisades  eussent  été  impossibles  si,  pen- 
dant les  guerres  d'Orieut,  l'Allemagne  n'eût  offert  une  garantie 
solide  au  maintien  de  Tordre  politique.  L'idée  qui  avait  présidé  à 
toute  l'organisation  des  guerres  saintes,  "  la  paix  et  la  coucorde 
des  princes  chrétiens  favorisant  l'union  de  toutes  leurs  forces  dans 
une  lutte  commune  contre  l'ennemi  de  la  foi  ",  n'eût  pas  été  réali- 
sable si  la  force  et  la  puissance  de  l'Empire  n'eussent  empêché  tout 
souverain  ambitieux  de  l'Occident  demeuré  dans  son  pays  d'envahir 
les  États  des  princes  engagés  au  loin  dans  les  croisades.  La  France 
ne  fut  à  la  tête  des  ennemis  de  l'islamisme  en  Orient  qu'aussi  long- 
temps que  l'Empire  fut  en  état  d'opposer  une  digue  redoutable  à 
son  ardeur  conquérante  en  Europe;  mais  plus  tard,  lorsque  l'affai- 
blissement du  pouvoir  impérial  lui  permit  de  réaliser  ses  continuels 
projets  de  conquête,  la  France  n'exploita  que  trop  souvent  dans  sou 
propre  intérêt  les  malheurs  que  le  Croissant  faisait  subir  à  la  chré- 
tienté. L'Empire  une  fois  déchu  de  son  ancienne  splendeur,  les  peuples 
chrétiens  virent  se  paralyser  peu  à  peu  les  efforts  qu'ils  avaient  tentée 
pour  maintenir  leur  position  en  Orient  ', 

Ce  ne  fut  qu'après  la  prise  de  Constantinople  par  les  Turcs  (1453) 
et  lorsque  avec  l'empire  byzantin  eut  été  renversé  le  plus  redoutable 
boulevard  de  la  chrétienté,  que  les  nations  européennes  comprirent 
le  rôle  qu'avait  joué  la  puissance  impériale  dans  la  politique  générale 
de  l'Europe.  Tandis  que  le  sultan  Mahomet,  «  dominateur  des  deux 
mers,  maître  de  deux  parties  du  monde  ',  mettait  en  question  l'exis- 
tence même  de  la  civilisation  européenne,  l'Empereur,  '  protec- 
teur-né 'î  de  la  chrétienté  contre  l'ennemi  commun  de  la  foi,  voyait 
son  pouvoir  tellement  affaibli,  qu'eùt-il  eu  plus  de  courage  et  d'énergie 
que  Frédéric  III,  il  lui  eût  été  impossible  d'opposer  une  longue 
résistance  aux  assauts  furieux  des  Turcs.  Avec  l'Empire,  la  pierre 
angulaire  sur  laquelle  reposait  la  société  était  brisée;  les  souverains 
européens,  divisés  d'intérêts,  ne  songeaient  plus  qu'à  se  combattre  les 
uns  les  autres,  et  les  efforts  héroïques  tentés  par  Nicolas  V,  Calixte  III 
et  Pie  II  pour  délivrer  l'Europe  du  joug  humiliant  des  Turcs,  restèrent 
sans  aucun  effet.  «  Nous  avons  laissé  prendre  Constantinople  -,  disait 
douloureusement  Pie  II,  "  et  les  armes  des  Barbares  pénètrent 
jusqu'au  Danube  et  à  la  Save.  Pour  un  léger  prétexte  nous  guer- 

•  Yoy.  FiCKEU,  A'aiserthiim,  p.  77-79. 


flONOlTÊTKS    1M:S    TUIUIS    I)  i:  P  U  I  S    1183.  'iSO 

royons  les  uns  conln;  les  autres;  mais  nous  laissons  les  Turcs  dominer 
«'(  j<;oiiverncr  en  mail  res  absolus.  Les  chréfieiis  prennent  les  armes 
contre  cux-mcMiics  et  livrent  de  sanglantes  batailles;  mais  eonlre  les 
Turcs,  qui  blasphèment  notre  Dieu,  détruisent  nos  églises  et  veulent 
;im''ari(ir  jusqu'au  nom  cliréfiiMi,  personne  ne  songe  à  lever  la  main. 
On  (li!  <iue  les  l'ails  sont  accomplis,  qu'il  n'y  a  plus  à  les  changer,  que 
désormais  nous  ain-ons  le  repos;  comme  si  l'on  en  pouvait  attendre 
d'un  peuple  (lui  a  soi!  de  noire  sang,  et  qui,  après  avoir  asservi  la 
(;rcce,  a  déjà  mis  l'épéc  au  cœur  de  la  Hon{;ric!  Comme  si  l'on  pouvait 
se  flatter  d'obtenir  quelque  répit  d'un  adversaire  tel  que  Mahomet! 
[»énoncez  enfin  à  cette  espérance  !  Mahomet  ne  déposera  les  armes  que 
lorsqu'il  verra  son  complet  triomphe  assuré.  Chacune  de  ses  victoires 
lui  sert  de  degré  pour  parvenir  à  une  autre  conquête;  il  ne  sera 
salisfait  ([u'après  avoir  vaincu  tous  les  rois  de  l'Occident,  renversé 
l'Évangile,  et  imposé  au  monde  entier  la  loi  de  son  faux  prophète.  » 

En  11.")<S,  la  Serbie  devient  province  tunjue;  en  1460,  lePéloponèse 
est  soumis;  en  1461,  l'empire  de  Trébizonde  prend  fîn;  eu  1463,  la 
Bosnie  et  l'Esclavonie  tombent  au  pouvoir  des  musulmans,  qui  rem- 
portent une  vicloire  importante  sur  les  Vénitiens.  A  ce  moment. 
Pie  II,  animé  d'un  saint  zèle,  recommence  à  prêcher  la  croisade; 
malade,  affaibli  par  l'âge,  il  déclare  néanmoins  que  son  intention  est 
de  se  mettre  en  personne  à  la  tête  des  croisés.  «  Tous  les  ans,  dit-il, 
les  Turcs  dévastent  quelque  pays  chrétien.  Est-ce  donc  à  nous 
de  supplier  les  souverains  de  venir  en  aide  à  nos  enfants  opprimés 
et  de  chasser  l'ennemi  de  nos  frontières?  Cependant  nous  l'avons  fait 
bien  souvent,  mais  toujours  inutilement.  En  vain  nous  leur  avons 
crié  :  Allez!  peut-être  <[ue  le  cri  de  :  Venez!  aura  plus  de  pouvoir  sur 
leurs  esprits.. le  vous  déclare  donc  que  je  suis  résolu  à  marcher  contre 
les  Turcs;  je  prétends  encourager  les  princes  chrétiens  par  mes 
paroles  et  mes  actes  à  suivre  mon  exemple.  Quand  ils  verront  leur 
maître  et  leur  père,  le  pape  de  Rome  et  le  représentant  du  Christ, 
vieillard  malade  et  chancelant,  entreprendre  la  campagne,  peut-être 
rougiront-ils  de  rester  à  la  maison!  "  «  Armez-vous  donc  enfin  -, 
répétait-il  aux  souverains,  «  et  puisque  vous  n'avez  pas  voulu  partir 
sans  nous,  venez  du  moins  avec  nous  !  Saisissez  l'épée  et  le  bouclier, 
aidez-nous,  ou  plutôt  aidez- vous  vous-mêmes,  et  toute  la  chrétienté 
avec  vous!  >  «  Il  s'adresse  à  tous,  il  demande  à  chacun  de  se  joindre 
à  l'expédition.  "  "  Pense  à  tes  proches,  à  tes  frères  dans  le  Christ! 
Ils  languissent  dans  les  prisons  turques  ou  sont  en  continuel  danger 
d'y  être  traînés.  Si  tu  es  homme,  laisse-toi  toucher  par  un  sentiment 
d'humanité!  Viens  eu  aide  à  ceux  qui  sont  menacés  des  traitements 
les  plus  indignes!  Si  tu  es  chrétien,  obéis  à  la  loi  évangélique  qui 


i90    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

t'ordonne  d'aimer  ton  frère  comme  toi-même!  Considère  la  détresse 
des  fidèles,  exposés  à  la  barbare  fureur  des  Turcs;  les  fils  sont  arrachés 
des  bras  de  leurs  pères,  les  enfants  du  giron  de  leurs  mères;  les 
épouses  sont  déshonorées  sous  les  yeux  de  leurs  époux;  les  jeunes 
gens  sont  attelés  aux  charrues  comme  des  bètes  de  somme.  Aie  pitié 
de  tes  frères,  ou  si  tu  n'as  pitié  d'eux,  aie  du  moins  compassion  de 
toi-même!  Souges-y  bien,  si  tu  ne  défends  la  cause  des  peuples 
qui  sont  plus  proches  que  toi  de  l'ennemi,  un  sort  semblable  au  leur 
te  menace,  et  ceux  qui  sont  derrière  toi  t'abandonneront  à  leur  tour. 
Vous,  Allemands,  (jui  n'assistez  pas  la  Hongrie,  n'espérez  pas  que  les 
Français  vous  viennent  en  aide!  et  vous,  Français,  ne  comptez  pas  sur 
le  secours  des  Espagnols  si  vous  ne  portez  d'abord  secours  aux  Alle- 
mands. On  se  servira  envers  vous  de  la  même  mesure  dont  vous  vous 
serez  servis  pour  les  antres.  Les  empereurs  de  Constantinople  et  de 
Trébizonde,  le  roi  de  Bosnie,  tant  d'autres  princes,  surpris,  vaincus 
les  uns  après  les  autres,  sont  là  pour  nous  convaincre  qu'attendre, 
regarder  à  l'horizon,  sert  de  peu.  Après  avoir  conquis  l'Orient,  il 
est  clair  que  Mahomet  n'a  qu'un  désir  :  s'emparer  de  l'Occident  '.  " 
L'Europe  entière  fut  remuée  par  ce  cri  d'appel.  D'Allemagne,  des 
Pays-Bas,  de  France,  les  troupes  affluaient;  ce  n'étaient,  il  est  vrai, 
que  des  bandes  désordonnées,  dont  la  plupart  étaient  sans  armes  et 
ne  disposaient  d'aucune  ressource;  néanmoins  toutes  se  hâtaient  de 
rejoindre  l'expédition-.  Mais  l'entreprise  fut  dissoute  par  la  mort  du 
pontife  qui  en  avait  été  l'àme,  et  la  force  offensive  resta  à  TOsma- 
nisme.  En  1469,  les  Turcs  envahirent  la  Croatie  et  les  pays  autri- 
chiens de  la  Carniole.  Bientôt,  ce  fut  le  tour  de  la  Carinthie  (1473); 
le  pays  fut  ravagé,  les  villages  pillés,  incendiés,  les  champs 
dévastés,  les  hommes  égorgés.  «  On  voyait  de  tous  côtés  des  corps 
en  lambeaux;  les  haies  étaient  pleines  d'enfants  empalés;  la  terre 
ruisselait  de  sang  chrétien.  ■>  Les  armées  turques,  envoyées  par  le 
pacha  de  Bosnie,  traversaient  tous  les  ans  les  pays  frontières  de 
l'Allemagne  jusqu'à  Salzbourg,  pillant,  massacrant  tout  sur  leur 
passage.  En  1477,  les  musulmans  firent  irruption  en  Italie,  et  dévas- 
tèrent les  plaines  situées  entre  Flsonzo,  le  Tagliamento  et  la  Piave. 
Déjà  les  puissances  chrétiennes  commençaient  à  former  des  alliances 
avec  eux,  et  réclamaient  leur  assistance  contre  leurs  ennemis  par- 
ticuliers. C'est  ainsi  qu'en  1478,  à  la  sollicitation  du  roi  Ferdinand 
de  Naples,  les  troupes  turques  envahirent  le  territoire  vénitien, 
et  que,  deux  ans  après,  les  Vénitiens,  brûlant  de  se  venger  de  Ferdi- 
nand, mirent  entre  les  mains  des  mahométans  tout  un  plan  de  cam- 

'  R.VYNALDi  Annales  ad  ann.  \i(i?,,  p.  29-40. 

-  Deux  mille  hommes  se  rendent  de  Uubeck  à  Venise  pour  se  joindre  aux 
croisés  (1464).  Lübechiscke  Chroniken,  t.  II,  p.  273-274 


I 


INVASIONS    DKS    T  T  li  C  S    i:  N    A  1. 1.  K  M  A  (.  N  I.    KT    KN    ITAI.IK.     491 

pallie  |)oiip  la  ronqiK'-lc  du  royaume  de  Naplcs.  La  flotte  vénilicnne 
suivi!  les  [yalères  qui  (raiisporlèrent  une  armée  turque  en  Poiiille 
(MSO).  Des  2L',(M)()  iiabilaiits  qu'avait  alors  Olrante,  12,(M)(»  furent 
massacrés,  les  autres  trainés  en  esciavag^e.  L'archevêque,  qui,  la 
croix  à  la  main,  exhortait  la  population  à  demeurer  fidèle  à  la  foi, 
fut  mis  à  mort.  ~-  .Nous  ferons  des  esclaves  de  tous  les  chrétiens 
pour  la  plus  grande  {jloire  du  Prophète!  »  disait  Mahomet,  il  avait 
solennellement  juré  de  fouler  aux  pieds  lîome,  la  capitale  de  l'Occi- 
dent; mais  sa  mort  (1181)  et  les  discordes  qui  éclatèrent  ensuite  dans 
sa  famille  mirent  ohstade  pour  (juclque  temp:^.  à  de  nouveaux  projets 
de  conquête.  '  Toute  la  chrétienté  serait  tombée  entre  les  mains  des 
Turcs,  si  Dieu  ne  l'eût  secourue  »,  dit  un  historien  contemporain. 
Pendant  que  l'Europe  se  trouvait  dans  un  si  pressant  péril  et  qu'une 
effroyable  invasion  tur<iuc  était  imminente,  le  pape  Sixte  IV  exhor- 
tait tous  les  princes  chrétiens  à  la  paix;  il  s'adressait  tout  particu- 
lièrcmeut  aux  Kîals  italiens,  les  suppliant  de  faire  ces.-er  leurs  divi- 
sions. Afin  de  donner  lui-même  l'exemple,  il  se  réconcilia  avec  les 
Florentins,  et  les  vaisseaux  du  Saint-Siège  aidèrent  à  la  reprise 
d'Otrante.  Mais  sous  ses  successeurs.  Innocent  YIII  et  Alexandre  VI, 
la  chrétienté,  dans  sa  résistance  aux  ennemis  de  la  foi,  reçut  peu  de 
secours  du  Siéfje  apostolique,  car  la  politique  étroite  et  égoïste  qui 
régnait  en  Italie,  la  soif  de  plaisir,  la  corruption  des  mœurs,  avaient 
malheureusement  pénétré  jusque  dans  la  cour  de  Rome*. 

Pendant  les  dix  dei'nières  années  du  règne  de  Frédéric  III,  l'Alle- 
magne ne  cessa  d'être  exposée  à  des  périls  toujours  croi-ssants  du 
côté  des  Turcs.  Cinq  fois  les  musulmans  pénétrèrent  en  Styrie,  six 
fois  en  Cariuthie,  sept  fois  dans  la  Carniole;  l'année  même  où  Fré- 
déric mourut,  ils  envahirent  de  nouveau  la  Styrie  et  la  Carniole,  et 
emmenèrent  dix  mille  chrétiens  en  esclavage. 

Telle  est  la  situation  déplorable  où  se  trouvait  TAllemagne  à  l'avé- 
nement  de  Maximilien  ^^ 

L'Orient  et  l'Occident  ne  lui  donnaient  que  trop  lieu  de  craindre 
que  si  le  royaume  ne  se  décidait  enfin  à  une  mâle  résistance,  la 
maison  d'Autriche,  et  plus  tard  la  Bavière  et  les  principautés  qui  y 
touchent,  ne  fussent  à  jamais  perdues  pour  l'Empire  et  ne  devinssent 
françaises  ou  turques  -. 

'  Après  avoir  rapporté  les  malheurs  que  les  Turcs  ont  fait  subir  à  la  chrétienté, 
le  chroniqueur  Paul  I.ang  ajoute  :  -^  Tot  ergo  tantaque.  immo  multo  plura.  quam 
quisquam  calamo  exprimere  possit,  christiauae  reipublicae  detrinienta  et  incom- 
moda solum  patimur  puntificura,  regum  principumque  nostrorum  negligentia 
et  discordia.  ^  Voy.  encore  d'autres  passages  des  chroniques,  dans  Mlllfr,  Heich- 
tlagthealcr  unter  Maximilian,  t.  I.  p.  206-208.  — Br.WT,  Xarrenschijf\  §  99. 

-  Adresse  de  Maximilien  aux  étals,  23  mai  H96,  dans  Mlller,  Reichsiagiheater, 
t.  n,  p.  17. 


492     EMPIRE    ROMAIN    OE  RM  ANI O IIE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 


MAMMILIEN    1°'. 

Maximilien  est  i'iui  des  souverains  les  plus  populaires  de  l'his- 
toire d'Allemagne.  Les  hauts  faits  du  ^  dernier  des  chevaliers  »,  ses 
merveilleuses  aventures,  soit  au  milieu  du  tumulte  des  batailles,  soit 
dans  les  tournois  ou  bien  dans  ces  chasses  périlleuses  où  il  pour- 
suivait Tours  et  le  sanglier,  vivent  encore  dans  la  mémoire  popu- 
laire. "  Partout  où  il  paraissait  en  personne,  il  se  faisait  aimer  et 
respecter.  •  Tantôt  à  Worms,  revêtu  d'une  simple  armure  et  sans 
s'être  fait  reconnaître,  il  terrasse  dans  un  combat  singulier  le  che- 
valier français  redouté  de  tous,  puis,  levant  la  visière  de  son  casque, 
découvre  son  visage  de  héros  au  milieu  des  acclamations  enthou- 
siastes du  peuple;  tantôt  à  Guinegate,  après  avoir  conquis  ses  pre- 
miers lauriers,  généreux  à  la  fois  envers  amis  et  ennemis,  il  pro- 
digue lui-même  ses  soins  aux  blessés;  ou  bien  à  Augsbourg,  pen- 
dant une  promeuade  solitaire,  rencontrant  dans  un  chemin  creux 
un  mendiant  subitement  atteint  d'un  mal  mortel,  il  descend  de  cheval, 
tend  un  cordial  au  malade,  dépouille  son  manteau  royal  pour  en 
couvrir  le  malheureux  que  la  fièvre  fait  trembler;  puis  se  hâtant  vers 
la  ville,  s'empresse  d'y  chercher  un  prêtre,  qui  puisse  donner  au 
mourant  les  consolations  de  la  religion. 

Dans  la  chambre  de  l'Empereur,  au  château  royal  d'Inspruck,  on 
a  trouvé  ces  lignes  tracées  sur  la  muraille  : 

Moi,  roi  par  la  grâce  de  Dieu,  si  je  porte  la  noble  couronne, 

C'est  pour  épargner  le  pauvre, 

C'est  pour  être  équitable  envers  lui 

Aussi  bien  qu'envers  le  riche, 

Afin  que  nous  puissions  tous  vivre  éternellement  ensemble 

Dans  la  joie  du  paradis  '  ! 

.Maximilien  n'avait  qu'à  se  montrer  pour  plaire,  pour  attirer.  Sa 
fière  attitude,  sa  démarche  ferme  et  assurée,  la  noblesse  et  la  dignité 
de  tous  ses  mouvements,  l'expression  de  sereine  bienveillance  de  son 
visage,  la  gaieté  inaltérable  de  son  âme  pure,  ses  paroles  qui 
gagnaient  les  cœurs,  et  dès  la  première  entrevue  réconciliaient  sou- 
vent les  esprits  les  plus  prévenus,  tout  charmait,  tout  séduisait  en 
lui.  Le  Jour  oîi  il  alla  recevoir  à  Gand  Marie  de  Bourgogne,  son 
épouse,  il  fit  son  entrée  dans  la  ville  monté  sur  un  grand  cheval  bai 
dominant  tous  les  autres;  il  était  revêtu  d'une  étincelante  armure 

'  Gespräch  der  Vögel,  communiqué  par  Chmei.,  .-In-hir.  für  (lie  Kunde  Österreich. 
Geschischlsquellen,  t.  I,  p.  153-15G. 


MAXIMIMEN    I".  493 

rrarj;on(;  sa  t(^(c  clail  niie;  sos  riches  boucles  blondes  claienl:  rele- 
iiiies  par  une  couronne  de  perles  et  de  pierres  pré<"ieuses.  Lu  lémoiu 
de  cette  scène  ne  peut  s'empt^chci*  de  s'écrier  a|)r{'s  l'avoir  décrite: 

Ouelle  apparition  merveilleuse!  Maximilieu  est  si  brillant  de  jeu- 
nesse, si  beau  dans  sa  virililé,  si  rayonnant  de  ])onlieur,  (jue  je  ne 
sais  ce  que  je  dois  admirer  davantajye,  ou  sa  jeunesse  en  fleur,  ou  sa 
vaillance,  ou  son  heureux  destin!  11  est  impossible  de  ne  pas  aimer 
ce  brillanl  clievalier  '  !  »  un  l'aimait  en  elTet,  soit  qu'on  le  rencontnU 
en  simple  habit  de  chasse,  le  chapeau  aux  bords  retroussés  sur  la  tétc, 
portant  les  éperons  de  fer,  l'arbalète  et  le  cor  de  chasse  d'un  simple 
écuyer,  chevauchant  parmi  les  hautes  montagnes  et  les  ravins  rocail- 
leux du  Tyrol,  et  conversant  familièrement  avec  le  paysan  abordé  sur 
la  route;  soit  que  dans  les  plaisirs  de  la  cour,  à  Ulm  ou  à  Francfort, 
on  l'entendit  causer  gaiement  avec  les  bourgeois  ou  les  jeunes  filles, 
ne  trouvant  pas  mauvais  que  les  nobles  dames,  averties  de  son  pro- 
chain départ,  cachassent  ses  bottes  et  ses  éperons,  pour  le  voir  demeu- 
rer encore,  et,  le  lendemain,  ouvrir  la  danse  avec  la  reine  delà  fête. 

Maximilieu  sentait  en  lui  l'ardent  désir  de  mettre  sa  force  et  sa  vie 
au  service  d'une  ère  jeune  et  nouvelle.  Son  rêve  était  d'encourager  et 
de  faire  progresser  les  plus  nobles  efforts  de  rintelligence,  en  respec- 
lant  tout  ce  que  le  passé  avait  eu  de  bon,  en  l'affermissant  encore, 
mais  en  écartant  ce  qui  était  devenu  suranné.  Sa  curiosité  pour  les 
connaissances  humaines  se  portait  sur  tous  les  points;  il  s'appliquait 
aussi  volontiers  à  fondre  et  à  aléser  des  canons  ou  à  fabriquer  des 
harnais,  qu'à  l'histoire,  aux  mathématiques,  ou  à  l'étude  des  langues  -. 
H  passait  à  la  fois  pour  le  prince  de  la  chrétienté  le  plus  habile  au 
métier  des  armes  et  pour  le  polyglotte  le  plus  remarquable.  Outre 
l'allemand  et  le  flamand,  il  parlait  avec  aisance  le  latin,  le  français, 
le  wallon,  l'italien,  l'anglais  et  l'espagnol.  Son  esprit  plein  de  feu, 
d'élan  et  d'entreprise,  héritage  de  sa  mère  qui  était  une  princesse 
portugaise,  était  dans  une  continuelle  activité,  et  de  bonne  heure  il 
avait  appris  à  l'école  de  l'expérience  à  observer  les  hommes  et  à 
connaître  les  revirements  de  la  vie.  «  Celui-là  seul  compatit  à  la 
misère  du  peuple  qui  l'a  lui-même  expérimentée  »,  disait-il  un  jour 
au  duc  de  Saxe.  Il  pouvait  en  effet  se  souvenir  qu'étant  encore  ado- 
lescent, lors  du  siège  et  du  bombardement  du  château  impérial  par 
les  Viennois,  il  avait  tristement  erré  dans  les  communs  du  château, 
implorant  un  petit  morceau  de  pain  de  la  compassion  des  serviteurs. 
Aucune  contrariété  ne  pouvait  lui  faire  perdre  sa  fermeté,  son  empire 
sur  lui-même,  et  lorsque  ses  projets  étaient  anéantis,  il  avait  coutume 


'  Lettre  du  chambellan  Guillaame  de  Ilovei-de,  23  août  1477. 

^  TkithÈme,  De  vcra  sludiorumj-alioiie,  p.  7. 


494    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

de  s'en  consoler  eu  disant  :  <-  Dieu  nous  aidera  !  Les  choses  pouvaient 
encore  plus  mal  tourner!  »  On  rangeait  dès  lors  parmi  les  qualités 
particulières  aux  souverains  de  la  maison  de  Habsbourg,  la  sérénité, 
la  confiance  en  Dieu  dans  les  revers  :  «  Grand  péril,  grand  honneur  -, 
semblait  être  leur  devise  '. 

«  Maximilien  ",  dit  un  adversaire  de  la  maison  de  Habsbourg,  "  est 
un  prince  craignant  Dieu,  sage,  prudent,  et  pour  ce  qui  le  louche 
personnellement,  pacifique,  débonnaire  et  indulgent*.  •^  «  Le  prince 
est  excellent  capitaine  ",  rapporte  Machiavel;  «  il  supporte  les  plus 
rudes  fatigues  comme  le  soldat  le  plus  endurci;  il  est  intrépide  dans 
le  danger,  et  maintient  en  sou  royaume  une  stricte  justice.  Ouand 
il  donne  audience,  il  est  complaisant,  affable,  et  possède  beaucoup 
d'autres  qualités  d'un  excellent  prince.  >;  Ses  plus  grands  défauts,  selon 
Machiavel,  étaient  une  prodigalité  excessive,  l'irrésolution  dans  les  des- 
seins, et  trop  de  confiance  dans  les  hommes.  "  Ceux  qui  l'entourent  le 
trompent  aisément,  à  cause  de  son  naturel  trop  débonnaire.  Ouelqu'un 
de  ses  intimes  m'a  assuré  que  tout  homme  pourrait  jouer  l'Empereur 
avant  qu'il  y  eût  pris  garde  ^  '  L'ambassadeur  florentin  François 
Vettori  reproche  aussi  à  Maximilien  sa  «  libéralité  excessive  -.  "  Au 

'  TrithÈME,  De  vcra  studiorum  ralioni\  p.  7. 

*  Anshelm,  t.  V,  p.  37t. 

^  Opcre,  IV,  p.  106-1C8,  174.  Le  piipc  Jules  II  reproche  aussi  à  l'Empereur 
son  manque  de  persévérance  et  sa  prodigalité.  Voy.  Höfli:«,  Carl's  l'  Wahl  zum. 
römischen  Könige,  p.  8,  note  2.  —  Les  amis  personnels  de  Maximilien  constatent 
eux-mêmes  qu'il  était  '  mauvais  trésorier  et  mauvais  maitre  de  maison  ". 
Lorsqu'il  avait  de  l'argent,  il  le  dépensait  à  pleines  mains,  à  temps  et  à  contre- 
temps, et  pensait  que  c'était  là  se  montrer  royal  et  magnifique;  mais  pour  ses 
besoins  personnels  il  n'était  rien  moins  que  dépensier  et  prodigue.  Dan;  les 
appartements  disposés  pour  son  usage,  soit  dans  les  châteaux,  soit  dans  les 
palais  justiciers,  il  ne  voulait  pour  lui  qu'une  chambre  et  un  cabinet.  Il  se 
tenait  dans  la  chambre,  y  recevait,  y  travaillait,  et  son  lit  était  placé  dans  le 
cabinet.  Au  château  de  Runkelstein,  près  de  Botzen,  on  a  retrouvé  un  inven- 
taire datant  de  1493  et  consignant  les  «  escabeaux  du  très-gracieux  seigneur, 
sa  table  à  écrire  à  serrure;  dans  la  chambre  â  coucher,  un  lit  avec  un  dais,  un 
autre  sans  dais,  tous  deux  pourvus  de  marchepieds;  un  grand  coffre  en  bois; 
un  bahut  à  serrure  et  un  petit  or,'juc  ».  Voilà  en  quoi  consistait  tout  le 
luxe  de  la  chambre  impériale.  Le  château  de  Méran  n'était  pas  plus  splendi- 
dement meublé.  D'après  un  inventaire  fait  en  1ÖI8,  il  ne  se  trouvait  dans  la 
chambre  impériale,  outre  un  poêle  et  deux  panneaux  armoriés,  qu'une  table  et 
une  peliic  crédence  placée  contre  la  muraille,  près  du  poêle,  deux  tables 
de  bois  ornées  d'incrustations,  un  coffre  de  marqueterie,  un  lit  surmonlé  d'un 
dais,  un  coffre  à  vêtements  en  bois  travaille.  Quant  au  lit  impérial,  il 
était  garni  de  deux  sacs  de  paille,  de  deux  lits  de  plume  recouverts  de  futaine 
blanche,  d'une  belle  couverture  de  soie  brodée  doublée  de  futaine,  et  d'une 
couverture  en  soie  piquée;  de  plus,  un  matelas  de  futaine,  un  second  matelas 
et  quatre  coussins.  Une  des  murailles  de  la  chambre  était  tendue  de  drap  de 
couleur,«  peint  à  la  façon  indienne  »,oii  était  représentée  l'histoire  de  Pharaon. 
Les  demoiselles  de  la  cour  devaient  aussi  se  contenter  d'un  ameublement  très- 
simple.  Dans  leurs  chambres  à  coucher  il  n'y  avait  point  d'autres  meubles 
que  des  lits,  des  taijourcts  et  des  coffres.  Mais  le  château  renfermait  des  œuvres 
d'art  dignes  du  goitt  d'artiste  de  l'Empereur.  Les  quaire  panneaux  armoriés 


MAX'IMILII-N    1".  Î95 

rcsh;  r,  ;iiontc-t-i!,  «  on  ne  saurait  nier  (in'il  ne  soit  circonspect  et 
prudent.  Il  ])ossù(le  à  loiul  l'arl  fie  la  (jnerre,  il  est  très-liabile,  plein 
d'expérience  el  infatigable.  Ancnn  de  ses  prédécesseurs,  depuis 
cent  ans,  n'a  inspiré  à  la  nation  nnc  pareille  confiance.  Mais  sa 
;',rande  bonté,  ses  sentiments  d'iuunanilé,  le  rendent  parfois  trop 
crédule  et  trop  accommodant  *.  » 

C'est  surtout  dans  ses  rapports  avec  les  princes  allemands  que 
Maximilien  mérite  ce  reproche.  Il  ajoutait  trop  aisément  foi  à  leur 
parole,  'c  L'Emj)ercur  avait  le  grand  fort  »,  dit  Jean  Cochl.TUS,  «  de 
se  rcjjoser  toujours,  malgré  d'innombrables  déceptions,  sur  les  pro- 
messes de  subsides  et  de  renforts  que  lui  faisaient  les  princes  et 
les  États  pendant  les  diètes  qu'il  convoquait  si  fréquemment.  Comme 
^  il  eiU  déjà  tenu  ces  secours  entre  ses  mains,  il  prenait  des  mesures 
juématurées.  Or  les  princes,  uniquement  dominés  par  l'intérêt  per- 
^(Minel,  étaient  généreux  en  protestations,  en  promesses;  mais  une 
lois  revenus  des  assemblées,  ou  bien  ils  ne  tenaient  point  parole, 
ou  bien  ne  fournissaient  qu'un  secours  dérisoire,  et  cela  jamais  au 
l)i)n  moment.  Delà,  pour  l'Empereur,  des  mortifications  et  des  diffî- 
(  iiltés  sans  nombre.  An  milieu  d'une  entreprise  trop  tôt  commencée, 
il  lui  fallait  s'arrêter,  parce  que  les  moyens  lui  faisaient  défaut  pour 
la  continuer.  Alors  amis  et  adversaires,  ignorants  du  véritable  état 
lies  choses,  avaient  beau  jeu  pour  dire  et  répéter  :  Voyez  comme 
i  Kmpereur  a  peu  de  suite  dans  ses  desseins!    Le  lamentable  état 
lia  royaume  ne  lui  a  que  trop  souvent  coûté  des  larmes,  car  il  voulait 
(le  toute  son  àme  le  bien  de  son  peuple  et  la  gloire  de  l'Empire.  -^ 
Sur  ce  point,  les  écrivains  contemporains  lui  rendent  unanimement 
justice.   Tous  s'accordent   à  dire  que  Maximilien  av.iit  vraiment 
';  l'ûme  allemande  y;  tous  vantent  son  zèle  généreux,  toujours  prêt 
à  se  sacrifier  pour  le  bien  public;  tous  célèbrent  les  services  qu'il  a 
rendus  à  l'Empire  et  à  la  patrie  -.  Fidèle  à  sa  devise  :  «  Mon  honneur 
est  l'honneur  de  l'Allemagne,  et  l  honneur  de  l'Allemagne  est  mon 
honneur  -,  il  se  dévouait  avec  la  plus  entière  abnégation  ans  intérêts 
de  tous. 
L'Empire  était  déchiré  à  l'intérieur,  impuissant  au  dehors.  Les 

dans  le  parloir  et  dans  la  cliainbre  appartieuncnt  incontestabienienl  par  leur 
composition  ariislique,  la  ricbcsse  cl  léléganco  de  leur  forme,  aussi  bien  que 
par  l'exécution  et  le  fini  des  délaiis,  aux  plus  parfaits  chefs-d'œuvre  de  l'époque. 
Dans  la  fenêtre  en  saillie,  se  trouvaient  des  tableaux  atmosphériques  recou- 
verisde  î^resques,  qui  peuvent  être  rangés  parmi  les  plus  remarquai  les  œuvres 
d'art  de  ce  iemps.  —  Voyez  les  intéressants  travaux  de  Schönherr  ,  Das 
Schloss  lîunhrifsiein  bei  Bollen  mil  einem  Inventar  des  Schlosses  von  149.3  (Innspriick, 
1874',  p.  22-24,  52,  et  Die  iille  Landesfiiisllichc  Hurg  von  Mcrtni,  p.  9-23,  26-44 
(Méran,  187j1. 

'  Mémoire  de  V'etlori,  dans  les  Lcfjaiions  de  Macuiwel,  t.  VI,  p.  137. 

*  Lettre  du  9  février  1519  adressée  à  Pierre  dAiifsess. 


496    EMPIRE   ROMAIN    GERMANIQUE,   SITUATION    EXTERIEURE. 

efforts  constants  de  Maximilien  tendirent  à  diriger  les  forces  vives 
de  la  nation,  plus  que  jamais  en  ébuUition  et  menaçant  de  s'user  sté- 
rilement dans  de  mesquines  guerres  privées  ou  de  brutales  émeutes, 
vers  les  plus  nobles  buts  patriotiques.  Il  rêvait  de  ressusciter,  puis 
d'affermir  dans  la  nation  le  sentiment  de  la  cohésion  des  peuples, 
Tunion  féconde  de  tous.  Sentant  combien  peu  l'état  des  af foires 
publiques  satisfaisait  les  exigences  croissantes  du  pays,  il  se  propo- 
sait de  créer  pour  l'administration  de  la  justice  et  pour  le  gouver- 
nement intérieur  des  organes  plus  parfaits.  Mais,  dans  la  pensée 
du  Roi,  les  réformes  intérieures  devaient  céder  le  pas  aux  ques- 
tions extérieures.  Il  fallait  avant  tout  rétablir  au  dehors  l'autorité 
et  la  grandeur  du  Saint-Empire.  Les  possessions  allemandes  devaient 
être  protégées;  il  fallait  reconquérir  en  Italie  la  prépondérance 
autrefois  possédée,  et  qui  seule  était  capable  de  rendre  à  la  patrie 
l'influence  qu'elle  avait  perdue  dans  la  politique  générale  de 
l'Europe.  Victorieux,  plus  puissant  désormais  qu'aucun  de  ses  prédé- 
cesseurs, Maximilien,  d'une  main  énergique  et  sûre,  rétablirait 
alors  la  justice  et  la  paix,  et,  après  avoir  reçu  du  Pape  la  couronne 
impériale,  tournerait  contre  les  Turcs  la  valeur  éprouvée  de  son 
peuple.  Car  Maximilien  se  représentait  encore  la  dignité  suprême 
d'empereur  selon  l'idéal  du  passé;  comme  ses  prédécesseurs,  il 
entendait  être  le  gardien,  le  tuteur  de  l'Église,  la  pierre  angulaire 
et  le  principe  de  tout  droit  sur  la  terre,  et  diriger  les  armes  de 
l'Occident  contre  l'ennemi  de  la  foi  lui  paraissait  le  premier,  le  plus 
élevé  de  ses  devoirs. 

Les  esprit-s  les  plus  pénétrants,  les  plus  nobles,  partageaient  les 
généreux  désirs  du  Uoi.  Tous  les  vrais  amis  de  la  patrie  étaient  per- 
suadés que  la  force  de  la  nation  était  u  inséparable  de  la  puissance 
de  la  royauté  "  ;  que  seul  le  pouvoir  monarchique,  réta])li  dans  sou 
premier  état,  assurerait  dans  le  royaume  la  paix  et  la  justice;  mais 
que  desactions  d'éclat,  relevant  la  gloire  impériale  à  rextérieur,étaient 
seules  capables  de  mettre  obstacle  à  l'oligarchie  des  princes.  Les 
grands  esprits  alors  à  la  tête  du  mouvement  de  la  pensée  disaient, 
dans  la  chaleur  de  leur  orgueil  patriotique,  que  la  nation  ^  la  plus 
riche,  la  plus  exercée  au  métier  des  armes  de  toute  la  chrétienté  ■>, 
que  l'Allemagne,  qui  avait  fait  tant  de  découvertes,  gagné  tant  de 
batailles  intellectuelles,  produit  dans  toutes  les  branches  de  la 
science  et  de  l'art  des  œuvres  si  magnifiques,  ne  devait  céder  le  pas 
à  aucun  autre  pays,  parce  qu'elle  était  appelée  à  rester  à  la  tête  de 
tous.  Des  hommes  comme  Wimplicling,  Sébastien  Brant,  Nauclerus 
et  Pirkheimer  célébraient  en  mâles  et  patriotiques  accents  l'antique 
grandeur  de  l'Empire,  et  saluaient  dans  Maximilien  le  gardien  de 
l'unité  allemande,  le  restaurateur  de  l'Empire  chrétien  germanique, 


MAXIMILIKN    r'.  497 

le  souverain  qui  assurerait  enfin  le  triomphe  du  christianisme  en 
Orient  et  en  Occident.  «  Vois,  disait  Sébastien  Brant, 

"  Vois!  les  rênes  du  monde  sont  remises  à  tes  mains,  ô  roi!  Tous  les 
habitants  de  la  terre  te  doivent  obéissance!  La  chrétienté  va  grandir  sous 
ton  règne,  seigneur!  Maintenant  donc,  Songe  à  agrandir  l'Empire,  comme 
ton  titre  même  t'y  oblige.  Oui,  je  le  sais,  tu  le  feras!  Le  courage  vail- 
lant qui  est  né  avec  toi  empêchera  que  jamais  la  force  de  la  volonté 
s'assoupisse  en  ton  Ame.  On  lit  dans  les  traits  une  résolution  mAle;  ils- 
révèlent  une  Ame  haute,  un  esprit  noble  et  chrétien  !  L'espérance  que  nous 
avons  conçue  lorsque  autrefois  je  saluais  en  toi  le  restaurateur  de  l'Em- 
pire, ne  nous  trompera  point!  Tu  prends  en  ce  moment  possession  des 
armes  impériales,  revêts  en  même  temps  le  courage  d'un  empereur! 
Puisse  notre  ennemi  s'apercevoir  bientôt  que  le  Dominateur  céleste  t'a 
lui-même  contié  son  redoutable  glaive  '  !  > 

Le  rôle  effacé  que  jouait  T Allemagne  dans  la  politique  européenne 
attristait  d'autant  plus  les  bons  citoyens  que  les  lansquenets  et  les 
Suisses,  qui  auraient  dû  soutenir  l'Empire,  donnaient  leur  sang  à  la 
plupart  des  guerres  entreprises  par  l'étranger  ^  ;'  Que  ne  pourrait 
l'Allemagne  -,  .s'écriaient-ils,  c  si  elle  voulait  mettre  à  profit  ses 
propres  forces!  Aucun  peuple  du  monde  ne  pourrait  lui  résister!  » 
Beaucoup,  entraînés  par  leur  enthousiasme,  supposaient  aux  princes 
un  désintéressement  patriotique  bien  au-dessus  de  leurs  vues  particu- 
lières, et  se  proposaient  sérieusement  de  faire  à  Maximilien  la  remise 
de  leur  pouvoir  :  -  Puisqu'ils  ne  veulent  rien  entreprendre  pour  le 
bien  de  l'Empire  »,  disait  Coccinius,  «  puisqu'ils  ne  sont  d'aucun 
secours  à  l'Empereur,  ils  devraient  abdiquer  leur  autorité  en  sa 
faveur.  ''  ^^  Autrefois  -,  ajoutaient-ils,  u  lorsque  les  péages,  les  droits 
régaliens  appartenaient  encore  exclusivement  aux  empereurs,  ils 
étaient  en  état  de  mettre  sur  pied  de  puissantes  armées.  Si  plus  tard 
rinsouciance  ou  la  trop  facile  bonté  des  souverains  allemands  (de 
Charles  IV  en  particulier)  leur  a  fait  abandonner  beaucoup  de  leurs 
droits,  il  ne  s'ensuit  pas  que  les  princes  soient  autorisés  à  s'en  servir 
selun  leur  bon  plaisir.  Donc,  si,  comme  nous  le  voyons  en  ce  moment, 

'  Gœdecke,  p.  17. 

*A  cette  époque,  on  voit  les  troupes  auxiliaires  allemandes  exercer  une 
action  décisive  dans  toutes  les  guerres  européennes;  les  soldats  auxquels  se 
confie  VVassilievvitch  lorsqu  il  conduit  ses  Moscovites  combattre  les  Polonais, 
ceux  qui  soumettent  la  Suéde  à  l'inion,  étaient  Allemands,  aussi  bien  que  les 
soldats  qui,  dans  la  cause  des  York,  périssent  à  l'endroit  même  où  ils  avaient 
attendu  la  bataille,  et  ceux  qui,  lors  de  la  conquête  de  la  Bretagne  par  les 
Français,  rendent  quelque  temps  le  succès  incertain.  Les  défenseurs  et  les 
vainqueurs  de  Naples,  les  dominateurs  des  Hongrois,  aussi  longtemps  qu'ils  le 
Toulurent,  ceux  qui  les  sauvèrent  tandis  qu'ils  s'en  retournaient  chez  eux 
chargés  de  butin,  étaient  tous  Allemands.  IIaNKE,  Gesch.  der  romanischen  und 
germanischen  Völker,  2'  éd.  (Leipzig,  1874),  p.  74. 

32 


498    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

ils  en  usent  de  façon  à  faire  un  sensible  tort  à  l'Empire,  ces  droits 
peuvent  légalement  leur  être  retirés.  Qu'ils  les  rendent  à  Maximilicn, 
ou  plutôt  qu'ils  lui  disent  :  Tout  ce  que  nous  possédons  t'appartient! 
Fais-en  tel  usa!}e  qu'il  te  plaira!  Nous  te  reconnaissons  pour  notre 
empereur,  notre  maitre  légitime  et  héréditaire,  et  nous  étendons 
notre  serment  d'hommage  à  ta  postérité  mâle  M  =  "  Si  les  chefs  de 
l'Empire  refusent  à  l'Empereur  leur  fidèle  obéissance  »,  dit  l'auteur 
de  la  Race  ivelche,  "  le  schisme  et  l'hérésie  lèveront  la  tète,  et 
l'Allemagne  périra.  On  ne  peut  espérer  la  cessation  des  désordres  et 
des  discordes  intérieures  que  si  toute  l'autorité  se  concentre  en  un 
seul  pouvoir,  et  si  les  droits  et  l'honneur  du  Saint-Empire  sont  sau- 
vegardés à  l'extérieur'.  » 

DIÈTE   DE   W0R3IS. 

1495. 

Dans  le  dessein  de  revendiquer  les  droits  de  l'Empire  sur  les  pays 
italiens  et  d'y  détruire  l'influence  française  devenue  toujours  plus 
puissante  depuis  la  conquête  du  royaume  de  Naples,  Maximilien  con- 
voqua les  états  à  Worms  (1495).  "  Il  représenta  à  l'assemblée  que 
si  l'on  continuait  à  tolérer  en  Italie  les  entreprises  de  la  France,  si  l'on 
n'opposait  aucune  résistance  à  son  ambition,  la  liberté  de  l'Église 
romaine  serait  menacée,  la  nation  allemande  dépossédée  de  la  dignité 
impériale,  et  la  puissance  germanique  anéantie.  '  ■  Le  roi  de  France  '-, 
dit-il,  '  est  sur  le  point  de  s'emparer  du  duché  de  Milan,  fief  impérial, 
et  chacun  peut  mesurer  la  grandeur  du  péril  que  courrait  l'Alle- 
magne, si  la  France,  renversant  les  remparts  avancés  du  Saint- 
Empire,  venait  à  s'avancer  jusqu'à  nos  frontières.  Il  vaut  bien  mieux 
combattre  ce  dangereux  voisin  ä  l'étranger  que  de  l'atlendrc  à  nos 
portes.  L'honneur  du  Saint-Empire  ne  nous  permet  pas  de  livrer  à 
l'ennemi,  sans  même  avoir  tenté  de  le  secourir,  le  duc  de  Milan, 
prince  d'Empire ^  >  Pour  conjurer  un  pareil  danger,  l'Empereur 
réclamait  des  secours  d'argent  dans  un  délai  assez  rapproché,  et  ces 
secours,  il  les  demandait  pendant  une  douzaine  d'années  consécutives. 
A  ses  yeux,  cette  mesure  élait  indispensable  à  la  sécurité  de  l'avenir. 

Mais  les  étals,  influencés  par  les  juristes  romains,  ne  se  souciaient 
guère  de  l'honneur  de  Saint-Empire.  De  même  qu'ils  avaient  considéré 
sans  s'émouvoir  les  assauts  meurtriers  des  Turcs,  ils  ne  voulaient 

1  De  bcilo  Maximiliani  cum  Vendis,  Freuer,  Scriptl.,  t.  Il,  p.  564-565. 
^  Voy.   ll'ehchgatlung,  p.  33  a,  34  b,  et  la  Préface,  p.  6  et  7. 
^  Voy.  les  propositioas  royales  dans  Muller,  t.  I,  p.  204-205,  314-315.  —  Voy. 
dans  les  archives  de  Lucerne,  aux  articles  Deutsches  Reich,  Kirchensachen. 


J'UOJET    DE    CONSTITUTION    PUOI'OSf-:    PAR    LES    ÉTATS.     499 

a|)ercevoir  aucun  péril  poiir  rAlicma^ne  dans  les  envaliissements 
îranrais,  et  ne  se  moniraieii!  s(;nsil)les  (|ii';i  la  crainte  de  devoir  obéir 
a  l'Knipereur  dans  le  cas  oii  celui-ci  serait  mis  eu  possession  d'une 
puissance  plus  {jrande  '.  D'ailleurs,  leur  dessein  bien  arrêté  était  de 
profiter  de  la  détresse  de  Maximilien  pour  le  dépouiller  de  toute 
autorité,  et  fonder  consfilutionnellcnicnt  roIi{;archie  princière.  Aussi 
répondirent-ils  qu'on  ne  pouvait  sou^^er  â  voter  des  secours  pour  une 
;;uerre  étrangère  tant  qu'il  n'aurait  pas  été  pourvu  à  la  rélorme  de 
la  constitution;  que,  dans  ce  but,  l'Empereur  devait  non-seulement 
confier  la  suprême  autorité  de  la  justice  â  une  cour  souveraine,  élue 
par  les  états,  mais  encore  abandonner  la  direction  générale  de 
l'Empire  à  un  conseil  d'État.  Ce  conseil  serait  composé  de  dix-sept 
membres;  le  président  seul  serait  nommé  par  le  Hoi;  quatorze 
conseillers  devaient  être  choisis  par  les  électeurs  et  les  princes, 
deux  par  les  délégués  des  villes.  Le  conseil  aurait  mission  d'exa- 
miner attentivement  toutes  les  questions  intéressant  l'Empire, 
d'étudier  les  pressantes  nécessités  du  moment,  d'édicterdes  ordon- 
nances, de  maintenir  la  paix  publique,  de  veiller  à  la  restitu- 
tion des  pays  enlevés  à  l'Empire,  enfin  de  diriger  les  forces  de  la 
nation  contre  les  ennemis  du  dehors.  Tous  les  revenus  du  royaume, 
laxes,  bénéfices,  secours  votés  par  le  pays  et  destinés  à  couvrir 
les  frais  nécessités  par  les  besoins  publics,  lui  seraient  remis.  Le 
ionseil  serait  tenu  de  demander  l'assentiment  du  Hoi  et  des  élec- 
teurs dans  les  cas  extraordinaires  et  graves,  mais  dans  toutes  les 
autres  questions  il  était  affranchi  du  serment  d'obéissance  envers 
l'Empereur  et  les  princes,  et  n'avait  à  se  préoccuper  que  de  ses 
devoirs  immédiats.  Seuls,  les  princes  électeurs  pourraient  exercer 
:^ur  lui  une  sorte  de  droit  de  surveillance.  L'un  d'eux  assisterait  tou- 
jours aux  séances,  et  chaque  année  les  électeurs  se  réuniraient  au 
conseil  d'État  pour  expédier  conjointement  avec  lui  les  plus  impor- 
tantes affaires. 

Maximilien  sentait  bien  qu'accepter  ce  projet,  proposé  par  le>  états 
à  l'instigation  de  l'archevêque  de  Mayence,  Berthold  de  Henne- 
berg,  c'était  se  démettre  de  toute  autorité,  et  consentir  à  avoir 
désormais  moins  d'influence  et  de  considération  que  le  président 
d'un  conseil  de  ville.  L'arrogance  des  princes  alla  si  loin  que 
pendant  la  diète  de  Worms  ils  refusèrent  d'admettre  le  Roi  à 
leurs  délibérations;  procédé  dont  Maximilien  se  plaignit  plus  tard 

'  GuiccARDiM  [htoria  d'Italit,  t.  VII,  p.  385,  caractérise  très-bien  cet  etat  de 
choses  dans  les  lignes  suivantes  :  «  Non  essende  in  tanta  considerazione  {jli 
interessi  publici,  ciie,  corne  il  più  délie  volte  accade,  non  fussero  superati  da 
gl' interessi  privati,  perchè-era  desiderio  inveterato  in  lutta  Germania,  che  la 
grandezza  de;;li  imperatori  non  fusse  taie,  che  gfaltri  fussero  costretti  ad 
obedirlo.  •  Voy.  Jager,  p.  211. 

32. 


500    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

amèrement,  disant  que  pendant  les  discussions  de  la  diète  il  avait  dû 
rester  ^  derrière  la  porte,  bien  qu'on  n'eut  jamais  entendu  dire  que 
le  bourgmestre  d'une  simple  commune  ait  jamais  été  exposé  à  un 
traitement  semblable  M  » 

Le  Roi  refusa  d'établir  le  conseil  d'État;  mais  il  se  montra  facile 
et  bienveillant  pour  toutes  les  réformes  intérieures  qui  lui  furent 
soumises.  Toujours  il  les  avait  eues  à  cœur;  dès  1491,  alors  que  son 
père  vivait  encore,  il  avait  exprimé  le  désir  de  voir  s'ouvrir  à  Franc- 
fort des  délibérations  pour  l'établissement  perpétuel  de  la  paix 
publique,  alors  limitée  à  dix  ans  seulement;  il  avait  également  insisté 
sur  l'extension  à  tout  l'Empire  de  l'union  souabe,  seule  capable,  à 
son  avis,  d'opérer  la  fusion  entre  toutes  les  parties  de  la  nation,  et 
qu'il  désirait  voir  se  transformer  en  Union  générale-.  Dans  les  lettres 
circulaires  appelant  les  états  à  la  diète  de  Worms,  il  avait  promis  de 
«  reorganiser  le  droit  :>;  et  la  loi  proposée  "  touchant  la  justice  et 
la  paix  "  lui  parut  d'une  importance  si  capitale  qu'au  rapport  de 
ses  conseillers,  il  l'étudia  un  jour  depuis  huit  heures  du  matin  jusqu'à 
huit  heures  du  soir,  ne  se  donnant  d'autre  répit  que  le  temps  néces- 
saire à  ses  repas  '.  La  paix  perpétuelle  qu'il  proclama  à  Worms 
ôta  pour  jamais  aux  guerres  privées  le  caractère  d'institution  légale 
qui  leur  avait  été  concédé  jusque-là,  et  Maxirailien  voulut  qu'elle  fiU 
promulguée  dans  tout  l'Empire. 

Toute  distinction  entre  la  guerre  privée  permise  ou  défendue 
était  abolie  par  cette  ordonnance.  Tout  emploi  ultérieur  du  "  droit 
du  poing  "  ou  de  guerre  privée  allait  être  désormais  considéré 
comme  une  rupture  de  la  paix  perpétuelle.  Défense  était  faite  à 
tout  individu,  quel  que  fût  son  rang,  sa  dignité,  et  fût-il  prince 
souverain,  de  combattre,  de  dépouiller  ou  d'assiéger  un  adversaire. 
Défense  était  également  faite  à  tous  de  s'emparer  désormais  par  la 
force  d'un  château,  d'un  bourg,  d'une  métairie  ou  d'un  hameau;  d'y 
causer  quelque  dommage,  soit  par  l'inceudie,  soit  autrement,  et  de 
fournir  à  ceux  qui  contreviendraient  à  la  loi  des  secours  ou  des  con- 
seils. —  Le  sujet  devait  même  refuser  d'aider  son  suzerain,  si  celui-ci 
lui  demandait  son  assistance  pour  quelque  entreprise  pouvant 
menacer  la  paix  publique 

Cette  trêve  définitive  par  laquelle  le  "  dernier  des  chevaliers  » 
donnait  lui-même  congé  à  la  chevalerie  du  moyen  âge,  fut  un  grand 
et  heureux  événement  pour  l'Allemagne.  Les  ligues  formées  pour  la 


'  Instructions  de  Maximilien  à  son  conseiller  Ernest  de  Weiden,  1497.  höfler, 

Reformhcwegung ,  p.  45. 

-  Voy.  la  lettre  du  marj^rave  Frédéric  de  Rrandebourg  au  margrave  Jean, 
20  juillet  1491.  IIöfleu,  Fninkische  Studien,  t.  Vil,  p.  118-120. 
^  Voy.  Müller,  Reichstajsthenter,  t-  I,  p.  393. 


REFORMES    DE    WORMS.  501 

:>(;curilé  particulière  de  quelques  pays,  l'ancienne  forme  confédéra- 
liscdc  l'union  souahc,  d'aulrcs  associations  analogues  et  d'anciennes 
iiicsures  dcsécuriu';  publi(iuc,  se  trouvèrent  ainsi  Iranslorniécs  en  loi 
(i  Ktat'.  Exactement  obéie,  cette  ordonnance  eût  rétabli  l'ordre  et 
la  tranquillité  dans  la  nation. 

Mais  le  maintien  de  la  p<Tix  publique  ne  pouvait  être  espéré  qu'à 
la  condition  qu'une  cour  suprême,  solidement  instituée,  serait  mise 
Cl)  état  de  redresser  les  violations  faites  au  droit,  soit  lorsque  les 
princes  souverains  auraient  des  diliérends  les  uns  avec  les  autres, 
soit  lorsque  les  particuliers  se  verraient  contraints  de  recourir  à  la 
justice  ou  seraient  lésés  dans  leurs  droits,  parles  volontés  arbitraires 
des  princes.  Maximilien  s'occupa  activement  de  l'érection  de  celte 
(  {)ur  suprême,  connue  sous  le  nom  de  Chambre  impériale,  renon- 
çant au  suprême  pouvoir  juridique  que  ses  prédécesseurs  avaient 
exercé  jusque-là,  et  qui  avait  toujours  été  considéré  comme  un  des 
attributs  essentiels  de  leur  puissance.  11  consentit  à  ce  que  le  tri- 
bunal souverain  ne  suivit  plus  la  cour  royale,  mais  eut  son  siège  per- 
manent à  Francfort-sur-le-Meiu.  11  abandonna  aux  états  le  choix  des 
magistrats  appelés  à  le  composer,  ne  se  réservant  que  l'élection  du 
■;raud  justicier,  ou  président,  qui  devait  en  être  ie  chef.  Il  autorisa  ce 
dernier  à  prononcer  en  son  nom  la  sentence  du  ban,  et  renonça 
même  au  droit  de  prononcer  l'arrière-ban.  11  fut  décidé  que  la  pro- 
clamalion  de  cette  sentence  ne  pourrait  être  faite  que  pendant 
l'assemblée  des  états,  rendue  désormais  annuelle. 

Maximilien  faisait  toutes  ces  concessions  dans  l'espérance  qu'elles 
iiii  seraient  comptées,  et  que  les  princes  lui  accorderaient  les  secours 
d'argent  dont  il  ne  pouvait  se  passer  pour  soutenir  vis-à-vis  de  la 
Trance  la  puissance  impériale  et  l'honneur  de  l'Empire,  et  mettre  la 
iialion  à  l'abri  des  envahissements  des  Turcs.  Cependant  les  secours 
\;>lés  ne  s'élevèrent  pas  au  delà  de  250,000  florins! 

11  fut  décidé  que  ces  secours  seraient  obtenus  au  moyeu  d'un 
impôt  général,  désigné  sous  le  nom  de  "  denier  commun  =),  impôt 
qui  devait  être  réclamé  pendant  quatre  ans.  Tous  les  sujets  de  l'Em- 
pire, sans  nulle  distinction  de  rang,  devaient  y  être  soumis.  Sur 

'  Voy.  MOSER,  Patr'toiischc  Phaïuaskn,  t.  IV,  p.  150-1Ô2.  On  se  flattait  de  l'espoir 
de  voir  la  paix  perpétuelle  ouvrir  une  nouvelle  phase  dans  l'histoire  de 
l'ijnpire.  Les  vers  de  Sctjastien  Brant,  cités  par  Zarntke,  montrent  bien  les  vives 
espérances  que  les  décisions  de  la  diète  de  Worms  avaient  lait  concevoir  aux 
Ijoiis  citoyens. 

-  En  cette  année  quatre-vingt-quinze,  à  Worms,  sur  le  Rhin,  j'entends  dire 
qu'une  assemblée  si  impurtante  a  eu  lieu  qu'on  n'en  a  jamais  vu  une  semblable 
dans  lEmpire.  C'est  celui  qui  porte  la  couronne  romaine,  c'est  Maximilien  à 
qui  nous  devons  rendre  grâce!  Dieu  l'a  tellement  béni,  qu'il  a  pu  faire  la  paix, 
et,  s'il  plait  à  Dieu,  elle  durera  longtemps.  • 

Voyez  aussi  les  vers  latins  cités  par  Zak.noke,  p.  126-127. 


502    EMPIRE    ROMAIN-  GERMANIQUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

mille  florins  de  capital  en  propriélé  mobilière  ou  immobilière,  un 
florin  devait  être  prélevé.  Cinq  cents  florins  devaient  représenter  un 
demi-florin  d'impôt.  Ceux  qui  possédaient  moins  encore  devaient 
donner  la  vingl-quatrième  partie  d'un  florin,  et  tous  les  citoyens  de 
l'Empire,  parvenus  â  l'âge  de  quinze  ans,  étaient  contribuables.  Les 
riches  devaient  s'imposer  eux-mêmes,  et  dans  les  cliaires,  les  curés 
de  paroisses  étaient  chargés  de  les  exhorter  à  donner,  s'il  se  pouvait, 
plus  qu'il  ne  leur  était  demandé.  Le  denier  connnun  devait  être  con- 
sidéré comme  une  aumône  faite  par  tous,  pour  l'amour  de  Dieu,  au 
malheur  public  ;  aussi  les  agents  impériaux  ou  fonciers  u'étaient-ils 
pas  chargés  de  le  récolter;  cet  emploi  était  confié  aux  curés  de  paroisse, 
et  sept  trésoriers  d'empire,  nommés  par  les  états,  devaient,  parles 
mains  de  leurs  commissaires,  recueillir  l'argent  de  tous  côtés. 

Sur  cet  impôt  général  destiné  à  procurer  l'argent  nécessaire  à 
l'organisaliou  d'une  armée  d'État,  ne  reposait  pas  seulement  l'espoir 
de  sauvegarder  les  droits  de  l'Euipire  en  face  des  nations  étrangères; 
on  en  attendait  encore  la  possiljiiiîé  de  pourvoir  aux  réformes  inté- 
rieures. Aussi  Maximilieu  disait-il  souvent  que  le  denier  commun 
était  la  racine,  l'essence  même  de  la  paix,  et  que  sans  lui  les  réformes 
projetées  à  Vv^orms  resteraient  toujours  irréalisables  '. 

Mais,  à  vrai  dire,  il  ne  fut  jamais  pleinement  rais  en  vigueur. 

Les  chevaliers  de  Franconie  déclarèrent  au  Roi  que  cet  impôt  était 
une  nouveauté  inouïe,  attentatoire  à  leur  liberté.  Les  Franconiens 
libres  et  les  gentilshommes  se  reconnaissaient  obligés,  à  la  vérité, 
d'envoyer  leurs  fils  à  la  guerre  lorsqu'il  s'agissait  de  défendre  la  cou- 
ronne impériale,  mais  ils  ne  souffriraient  jamais  qu'on  leur  imposât 
des  taxes.  A  leur  tour,  les  chevaliers  souabes  se  déclarèrent  libres 
serviteurs  de  l'Empire,  et  ne  voulurent  pas  entendre  parler  d'être 
rendus  ^-  tributaires  ",  et  de  se  soumettre  au  «  cens  '^.  Quelques 
princes  qui  avaient  assisté  aux  délibérations  de  Worms  avouèrent 
alors  «  qu'ils  avaient  bien  prévu  que  la  noblesse  refuserait  l'impôt, 
car  s'ils  avaient  su  qu'elle  y  devait  consentir,  ils  ne  l'auraient  certai- 
nement pas  votée  à  la  diète-  ;;.  ><  Les  chevaliers  s'appuient  sur  l'Empe- 
reur et  sur  l'Empire  quand  il  s'agit  de  résister  aux  princes  >',  disait 
amèrement  Maximiiien;  -  mais  dès  qu'il  est  question  d'obéir  à  l'Empe- 
reur, ils  se  retranchent  derrière  les  princes,  comme  s'ils  n'avaient 
point  d'autres  maîtres  '.  » 

La  chevalerie  pouvait  dire,  pour  pallier  sa  résistance,  qu'elle  n'avait 


'  Voy.  les  explications  des  conseillers  royaux,  Mulleu,  t.  I,  p.  151. 

*  Mémoire  adressé  par  un  agent  du  Brandebourg  au  margrave  Frédéric,  en 
1496.  HÖFLER,  Kaiscrsliches  Buch.  t.  XVI-XVIII. 

"  Sur  la  résistance  de  la  noblesse  à  l'impôt  d'Empire,  voyez  pour  plus  de 
détails  VON  Schukc.kenstein,  t.  Il,  p.  143-157. 


DÉCEPTIONS    DE    MAXIMirJEN.  503 

j);i.s  c(é  représentée  dans  les  diètes  où  l'impôt  avait  été  consenti. 
Sons  l(î  iiK'mc  prc(cxle,  beaucoup  de  villes  rclusèrcnt  de  le  fournip, 
(li>anl  (]u'à  Worms  on  ne  leur  avait  pas  accordé  une  rcpréseulalion 
«  en  rapport  avec  leur  dif,nité  ».  Même  dans  les  possessions  princières, 
le  denier  commun  fut  payé  avec  beaucoup  de  "  né{;iip,encc  et  de  len- 
teur )  ',  et  cependant  le  soin  de  l'appliquer  aux  besoins  actuels 
avait  été  entièrement  remis  aux  princes. 

Un  arrêt  ultérieur  des  étals  de  Worms  avait  en  effet  statué  que 
les  impôts  recueillis  seraient  apportés  tous  les  ans  à  la  diète  par  les 
trésoriers  et  collecteurs  impériaux,  et  que  cette  assemblée,  non  le 
Roi,  déciderait  de  leur  emploi.  Le  droit  de  guerre  ou  de  paix  avait 
aussi  été  donné  aux  étals,  disposition  qui  portait  une  nouvelle  et 
grave  atteinte  aux  prérof;alives  royales.  Sur  ce  point,  comme  pour  la 
question  de  la  Chambre  impériale,  Maximilien  cédait  aux  exijjenccs 
des  princes  dans  l'espoir  que  sa  condescendance  aurait  pour  résultat 
le  loyal  accomplissement  des  promesses  données. 

Il  fut  cruellement  déçu.  Le  1"  février  1496,  lorsqu'il  envoya  ses 
conseillers  à  Francfort,  où,  d'après  ce  qui  avait  été  convenu  à  Worms, 
une  nouvelle  diète  devait  s'ouvrir,  ayant  surtout  pour  but  l'applica- 
tion des  impôts  prélevés,  ceux-ci  n'y  rencontrèrent  qu'un  très-petit 
nombre  de  députés  -  ou  charj^és  de  pouvoirs,  et  durent  s'en  retourner 
sans  avoir  ricu  conclu.  «  Quand  il  s'agit  de  fournir  des  subsides  à 
l'Empire  '»dit  Pierrede  Froissard,  «  les  princes  allemands  sont  toujours 
malades  ou  absolument  hors  d'état  de  venir  en  aide  à  l'Empereur'.  » 

DIÈTE  Î)E  LINDAU,   DE   WORMS   ET   DE  FRIBOURG,  1196,  1197,   1498. 
REVERS   DE   l'EMPIRE.  1499. 

Dans  nue  lettre  circulaire  datée  d'Augsbourg  et  convoquant  une 
nouvelle  diète  à  Lindau  (24  mai  1496),  Maximilien  insistait  encore  sur 

'  Voici  ce  que  rapporte  Trithème  au  sujet  du  prélèvement  de  l'impôt  :  «  On 
me  taxa  A  trois  florins  par  an;  un  pour  moi,  un  pour  mes  religieux,  un  pour  mes 
serviteurs  et  servantes.  La  première  année,  les  monastères  du  voisinage,  les 
clercs  de  Sponheim  et  des  environs  payèrent  l'impôt;  mais  les  laïques  ne 
donnèrent  pas  un  seul  liard.  Quand  les  clercs  le  surent,  les  plus  avisés  ne 
■  voulurent  pas  pas  non  plus  payer  l'année  suivante.  Ceux  donc  qui  avaient  donné 
durent  subir  la  perte,  et  ceux  qui  n'avaient  rien  donné  du  tout  ne  furent  pas 
inquiétés  pour  cela,  car,  l'année  suivante,  on  ne  réclama  pas  l'arriéré,  et  ce  qui 
avait  été  recueilli  la  première  année  ne  fut  nullement  employé  au  but  qu'on 
s'était  proposé.  •  Chron.  Hirsaug.  ad.  annum  1495. 

■  Circulaire  de  Maximilien  convoquant  les  états  5  la  diète  de  Lindau, 
23  mai  ti96.  Müller,  t.  II,  p.  17.  —  Voy.  les  manuscrits  relatifs  à  cette  ques- 
tion dans  la  Frankfurts  Reic/iscorrespondenz,  t.  II,  p.  589-590,  n"''  784-754. 

'  Lettre  7. 


504    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

la  nécessité  d'agir  avec  énergie.  "  Charles  VIII  ",  disait-il,  «  est  déjà 
entré  en  campagne,  et  se  propose  non-seulement  de  conquérir  Gênes 
et  le  Milanais,  mais  de  recevoir  des  mains  du  Pape  cette  couronne 
impériale  que  tant  d'efforts ,  tant  de  sang  répandu  ont  acquise  à  la 
nation  allemande  depuis  des  siècles.  Charles  VIII  prétend  soumettre 
l'Italie  tout  entière  à  son  obéissance.  ^  Maximilien,  en  termes  sup- 
pliants, implore  le  secours  des  princes  du  Saint-Empire.  '=  Il  aurait 
parié  un  pays  ",  écrit-il  à  l'électeur  Frédéric  de  Saxe,  <  que  les  Alle- 
mands ne  l'auraient  pas  ainsi  abandonné  dans  le  danger!  »  Privé  des 
secours  de  l'Empire,  il  s'était  vu  forcé  d'équiper  et  de  solder  à  ses  frais 
les  troupes  destinées  à  combattre  la  France  :  «  Notre  serment,  notre 
devoir,  ce  que  nous  avons  tous  promis  à  l'Empire  nous  presse  de 
nous  imposer  quelques  sacrifices  »,  disait-il.  Que  le  prince  électeur 
considère  son  rang,  qu'il  songe  moins  à  son  intérêt  qu'à  son  hon- 
neur, et  vienne  au  secours  de  l'Empire,  soucieux  enfin  de  sa  gloire 
et  de  sa  prospérité!  -  Qu'il  pense  à  l'Italie,  car  il  faut  bien  le  dire, 
notre  cause  marche  mal.  »  «  A  notre  grande  consolation,  l'Italie  a  pu 
être  conservée  jusqu'à  ce  jour;  mais  dans  un  avenir  prochain,  la 
partie  nous  sera  rendue  plus  difficile.  »  "  Allemands,  tout  est  entre 
vos  mains  «,  poursuivait  Maximilien;  «  si  vous  réunissez  vos  efforts, 
vous  pourrez,  commandés  par  votre  roi,  acquérir  une  telle  gloire, 
que  l'occasion  d'en  obtenir  une  semblable  peut  ne  pas  se  présenter 
avant  un  siècle  '.  " 

Maximilien  représente  ensuite  aux  états  réunis  à  Lindau  que,  pour 
la  gloire  et  l'utilité  de  l'Empire,  il  n'a  ménagé  ni  sa  vie  ni  ses  biens; 
qu'en  retour,  il  se  voit  l'objet  des  reproches  et  de  la  malveillance 
de  ses  sujets,  et  qu'il  n'est  pas  un  cabaret  de  son  royaume  où  il  ne 
soit  tourné  en  dérision.  Mais  si  les  adversaires  du  denier  commun 
ont  trop  d'orgueil  pour  consentir  à  fournir  quelques  secours  à  l'Em- 
pire, le  Roi,  de  son  côté,  restera  fidèle  au  serment  qu'il  a  prêté; 
si  Dieu  et  la  chrétienté  sont  trahis,  du  moins  il  n'en  sera  pas  respon- 
sable. En  présence  d'une  telle  catastrophe,  Sa  Majesté  Royale  se 
recommande  à  Dieu.  Le  Seigneur  fait  part  aux  siens  daus  tous  les 
temps  de  sa 'grâce,  de  sa  consolation  et  de  sa  lumière;  Dieu  et  le 
monde  sont  témoins  que  Sa  Majesté  était  prête  à  offrir  ses  biens  et 
sa  vie  pour  conjurer  le  malheur  qui  s'approche.  Dans  ce  péril,  le 
Roi  ne  craint  ni  le  diable,  ni  l'enfer;  aucun  revers,  aucun  accident 
pouvant  menacer  Sa  Majesté  soit  en  Allemagne,  soit  en  Italie,  n'est 
capable  de  l'intimider,  «  car  tous  les  revers  et  les  affronts  qui  pour- 
raient l'accabler  reviendraient  au  grand  honneur  du  roi  des  Romains, 
dût-il  même  être  réduit  à  une  telle  pauvreté  qu'il  lui  fallût  aller  à 

'  Müller,  t.  II,  p.  174-175. 


Li: s  i:tats  i;i: fusent  L' im  pot.  505 

pied  à  Rome!  »  Au  reste,  ce  qu'il  avait  promis  à  Worm«,  il  «'lail 
décidé  à  l'accomplir  ponctuellement,  et  tout  serait  traité  selon  la 
volonté  des  éla(s,  pourvu  que  le  denier  commun  fût  voté  '. 

il  revenait  sans  cesse  à  ce  qu'il  avait  dit  précédemment  :  Sans  le 
secours  du  denier  commun,  l'honneur,  la  di{;nité,  la  prospérité  de 
l'Empire  étaient  perdus,  et  la  guerre  contre  les  infidèles  devenait 
impossible.  Si,  par  la  faute  des  états,  la  France  réalisait  le  projet 
qu'elle  poursuivait  en  Italie,  son  pouvoir  serait  tellement  fortifié 
qu'elle  envahirait  les  possessions  héréditaires  de  l'Empereur,  y  porte- 
rait la  {juerre  et  s'en  emparerait  bientôt  ;  mais  les  progrès  de  l'ennemi 
s'étendraient  très-rapidement  à  plusieurs  autres  pays  allemands,  qui 
mainîeuant  se  croient  en  pleiue  sécurité.  «  Et  alors  -,  continuait-il 
avec  douleur  et  menace,  "  il  nous  faudra  chercher  à  nous  entendre 
avec  le  roi  de  France,  pour  conserver  du  moins  nos  pays  héréditaires 
et  les  pays  qui  en  dépendent  -!  n 

Tous  ces  avertissements  restèrent  inutiles.  Cependant,  à  la  diète  de 
Lindau,  l'archevêque  de  Mayeuce,  Berthold  de  Henneberg-,  le  seul 
presque  d'entre  les  princes  qui  eut  tenu  selon  ses  moyens  ce  qu'il  avait 
promis,  reprocha  aux  états  leur  manque  de  générosité  et  de  patrio- 
tisme. Il  leur  fit  comprendre  que  s'ils  ne  s'amendaient,  les  troubles 
intérieurs  iraient  toujours  en  croissant,  et  qu'il  leur  faudrait  enfin  se 
courber  sous  la  rude  discipline  d'un  maître  étranger:  "  Du  temps  de 
Charles  IV  et  de  Sigismond  ■',  leur  dit-il  -  la  souveraineté  de  l'Empe- 
reur était  encore  reconnue  en  Italie;  aujourd'hui  il  n'en  est  plus  ainsi. 
Le  roi  de  Bohème  est  prince  électeur  du  Saint-Empire  :  cependant 
qu'a-t-il  fait  pour  lui?  Il  en  a  détaché  récemment  la  Silésie  et  la 
Moravie  !  La  Prusse  et  la  Livonie  sont  dans  une  inexprimable  détresse  : 
mais  qui  donc  s'en  soucie?  Le  peu  qui  reste  à  l'Empire  lui  est  tous 
les  jours  arraché,  et  les  morceaux  en  sont  donnés  à  celui-ci  ou  à 
celui-là.  Pourquoi  les  Suisses  jouissent-ils  de  l'estime  générale?  pour- 
quoi sont-ils  respectés  des  Italiens,  des  Français,  du  Saint-Père? 
pourquoi  sont-ils  redoutés  de  chacun?  C'est  qu'ils  ont  su  rester  unis. 
L'Allemagne  devrait  suivre  un  tel  exemple.  Les  ordonnances  de 
Worms,  destinées  à  conjurer  la  ruine  de  l'Empire,  devraient  être 
prises  en  considération.  N'en  faisons  point  le  sujet  de  vains  bavar- 
dages, mais  avisons  à  leur  prompte  exécution,  à  l'établissement  solide 
de  la  Chambre  impériale  et  au  prélèvement  du  denier  commun.  » 

Mais  les  représentations  et  les  reproches  de  l'archevêque  eurent 
aussi  peu  de  succès  que  les  paroles  royales.  On  était  volontiers  de 


'  Voyez  la  réponse  royale  dans  Höfler,  Re/ormhcwegung,  p.  50-51. 
-  Cité  par  Mulleu,  t.  II,  p.  31 . 


SOG    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

son  avis  lorsqu'il  s'agissait  "  de  former  de  bonnes  résolutions  ou 
de  désigner  des  diètes  futures  pour  en  prendre  d'analogues;  mais  dès 
qu'il  fallait  en  venir  à  l'action,  aux  secours  à  fournir,  les  princes 
n'avaient  plus  d'oreilles  >;.  Les  diètes  n'ont  été  et  ne  sont  fécondes 
qu'en  un  sens,  avait  dit  longtemps  auparavant  Énéas  Sylvius.  <  Cha- 
cune d'elles  en  porte  toujours  une  autre  dans  ses  entrailles  '•  » 

Les  peines  de  Berthold  furent  perdues,  et  ses  efforts  furent  même 
plus  nuisibles  qu'utiles  à  l'Empire,  parce  qu'au  lieu  de  s'unir  étroi- 
tement à  Maximilieu  et  de  mettre  à  sa  disposition,  et  les  ressources 
matérielles  dont  il  pouvait  disposer,  et  son  influence  morale,  il 
travaillait  à  l'affaiblissement  du  pouvoir  royal,  et  souhaitait  de 
voir  la  puissance  intérieure  et  extérieure  remise  entre  les  mains  de 
l'oligarchie. 

Or  il  n'y  avait  rien  à  attendre  de  cette  oligarchie,  soit  pour  le  relè- 
vement de  l'honneur  de  l'Empire,  soit  pour  le  bien  public.  Non-seule- 
ment, à  Lindau,  les  princes  refusèrent  de  s'armer  contre  la  France 
(qui  pendant  tout  ce  temps  travaillait  avec  succès  à  établir  son  hégé- 
monie en  Italie),  mais  encore  ils  demeurèrent  absolument  indifférents 
aux  instantes  supplications  que  leur  adressait  de  Livonie  l'ordre 
Teutonique  aux  abois.  Walter  de  Plettenberg,  grand  maître  de 
l'ordre,  animé  du  plus  vaillant  courage  et  de  la  persévérance  la  plus 
admirable,  défendait  depuis  vingt-cinq  ans  contre  le  czar  ivan  cette 
colonie  importante,  celte  frontière  extrême  de  la  Germanie;  il  avait 
remporté  dans  ces  lointaines  régions  les  dernières  victoires  de  la  civi- 
lisation européenne  sur  la  barbarie  de  l'Orient.  Mais  les  forces  russes, 
trop  au-dessus  de  celles  dont  il  pouvait  disposer,  lui  faisaient  pres- 
sentir une  défaite  dans  un  avenir  très-  proche.  Son  péril  était  immi- 
nent. Néanmoins  les  états  ne  se  montraient  nullenîent  touchés  de  la 
détresse  de  cette  «  Livonie  si  reculée  >,  bien  que  longtemps  aupara- 
vant Berîhoîd,  avec  le  pénétrant  coup  d'oeil  de  son  génie  politique, 
eût  attiré  leur  attention  sur  les  dangers  que  dès  lors  la  Russie  faisait 
courir  à  l'Aliemague.  Les  états  apprirent  sans  s'émouvoir  que  le  Czar 
avait  fait  jeter  dans  des  cachots  infects  quarante-neuf  marchands 
hanséatiques,  après  leur  avoir  pris  leur  argent  et  leurs  effets.  Peu 
leur  importait  que  la  Hanse,  privée  de  tout  secours,  dût  renoncera 
maintenir  sa  position  dans  ces  contrées  lointaines.  Ils  l'abandon- 
naient à  son  triste  sort,  laissant  la  Livonie  sans  secours,  et  pensant 
avoir  suffisamment  pourvu  à  la  dignité  et  à  la  grandeur  de  la  patrie, 

'  •  Fœcunda'    sunt    omnes  disettr,    qiia'libet  in    ventre    alteram  habet.  •  | 
0pp.,  p.  533,  ep.  72.    On  pouvait    presque   dire  de  chaque  diète  ce  que  Tri-  » 
thème  rapporte  de  la  diète  de  Nuremberg  en  1487  :  «  Ubi  niultis  convenientibus 
multa  fuerunt  proposita,  dicta  et  agilata,  sed  praeter  verba  nihil  seqiiebatur. 
omnibus  quae  sua  sunt  quaerentibus.  •  Chron.  Hirsaug.  ad  annum  1487. 


LES    ÉTATS    REFUSENT    L'IMPOT.  507 

en  remcllant  à  la  prochaine  diète  les  délibérations  sur  les  meilleurs 
moycus  de  s'opposer  aux  entreprises  formidables  du  Moscovite.  La 
Livoiiie  (ut  perdue  pour  l'Empire. 

A  Lindau  et  pendant  les  dièfes  des  années  suivantes,  les  états 
traitèrent  d'intérêts  autrement  importants.  On  s'y  occiii)a  de  la 
([ueslion  des  vins  soufrés;  onédicta  de  nouvelles  lois  contre  le  luxe, 
les  festins  de  noces  trop  dispendieux  furent  interdits.  Défense  fut 
faite  aux  bouffons  et  bateleurs  de  porter  désormais  des  chaînes  d'or 
et  d'autres  insignes  honorifiques,  la  noblesse  et  les  princes  se  trou- 
vant blessés  dans  leur  dignité  par  ces  parodies  irrespectueuses. 

On  discuta  beaucoup  les  ordonnances  de  Worms.  La  Chambre 
impériale,  que  les  états  regardaient  comme  leur  création,  n'avait  pu 
continuer  à  fonctionner,  parce  que  les  assesseurs  qui  la  compo- 
saient n'avaient  pas  reçu  leurs  émoluments  au  temps  voulu.  Il  fut 
décidé  qu'ils  les  toucheraient  dorénavant,  et  que  l'argent  nécessaire 
serait  fourni  non  par  les  états,  mais  par  les  Juifs  de  Ratisbonne, 
de  Nuremberg,  de  Worms  et  de  Francfort.  Le  siège  de  la  Chambre 
impériale  fut  transféré  à  Worms,  et  le  payement  du  denier  com- 
mun, instamment  recommandé  à  la  chevalerie  et  aux  états.  Il  fut 
décidé  qu'un  rapport  exact  sur  ses  résultats  et  son  emploi  serait  pré- 
senté à  la  diète  prochaine,  fixée  au  mois  d'avril  de  l'année  suivante, 
à  Worms. 

Lorsque  s'ouvrit  cette  nouvelle  diète,  le  grand  justicier  de  ia 
Chambre  impériale  se  présenta  devant  l'assemblée  accompagné  de 
deux  assesseurs.  lis  venaient  exposer  leurs  griefs  devant  les  états. 
Les  assesseurs,  en  dépit  de  toutes  les  promesses  qui  leur  avaient 
été  faites,  n'avaient  pas  même  reçu  le  traitement  de  leur  première 
année  d'exercice.  S'il  n'était  pourvu  convenablement  à  leur  situation, 
ils  ne  pourraient,  disaient-ils,  ni  rester  à  Francfort,  où  ils  devaient 
à  leurs  hôteliers,  ni  se  rendre  à  Worms  '.  De  leur  côté,  les  chargés 
de  pouvoir  de  Maximilien  se  plaignirent  que  des  250,000  florins  con- 
sentis parles  états,  l'Empereur  n'en  eût  guère  touché  plus  de  50,000-. 
Maximilien  écrivait  qu'il  avait  sacrifié  ses  rentes  et  revenus  person- 
nels pour  le  service  de  l'Empire,  et  que  faute  d'argent,  il  ne  lui  était 
pas  même  possible  de  venir  en  personne  à  la  diète  '!  Berthold,  le 
seul  grand  fcudataire  du  royaume  qui  fût  venu  au  Reichstag,  fit 
alors  entendre  des  reproches  amers.  •<  0  chers  seigneurs  ■,  s'écria-t-il, 
«  que  les  choses  marchent  lentement!  Ou'il  y  a  peu  de  sérieux  bon 

'  Rapport  du  docteur  Pleniger,  2  mai  1497,  dans  la  Frankfurts  Beichscorrespon- 
dem,  t.  II,  p.  595-5Ö6. 

'  Rapport  des  ronseillers  royaux,  7  aoiït  1497,  dans  la  Frankfurts  Rcichscorrcs- 
fomUnz,  t.  II,  p.  62S,  n"  5. 

'  Mémoire  de  Maximilien,  du  27  juin  1497,  dans  la  Frankfurts  Reichscorrespondenz, 
t.  II,  p.  620. 


508    EMPIRE    ROMAIN    CERMANIOUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

vouloir,  qu'il  y  a  peu  de  zèle  parmi  vous!  En  vérité,  grands  et  petits 
se  comportent  d'une  façon  lamentable!  Il  serait  cependant  urgent  de 
mettre  un  peu  plus  d'empressement  à  conjurer  les  maux  qui  nous 
menacent,  même  si  nous  ne  voulons  que  conserver  l'existence  à 
l'Empire  et  nous  maintenir  dans  la  situation  où  nous  sommes! 
Les  choses  prennent  une  tournure  si  menaçante  qu'il  serait  grand 
temps  de  prendre  plus  à  cœur  l'intérêt  général  et  d'oublier  nos 
propres  discordes!  Si  l'on  ne  se  met  à  l'œuvre  avec  plus  d'énergie 
qu'on  ne  l'a  fait  jusqu'ici;  si,  tous  ensemble,  nous  ne  montrons  plus 
de  fidélité  et  de  zèle,  craignons  que  bientôt  quelqu'un  ne  s'élève,  et 
saisissant  l'autorité  d'une  façon  peu  courtoise,  ne  nous  fasse  rude- 
ment expier  notre  indifférence  actuelle  !  Oui,  un  étranger  viendra,  et 
nous  fera  sentir  à  tous  la  dureté  de  sa  verge  de  fer!  Je  n'aime  point 
nos  graves  délibérations,  nos  ordonnances  scellées,  nos  dispositions 
solennelles,  dont  les  résultats  se  font  si  longtemps  attendre,  ou  ne 
produisent  absolument  rien  '  !  » 

Mais  les  '■  résultats  continuèrent  à  se  faire  attendre  =).  Cependant 
les  états  résolurent  de  faire  quelque  chose  pour  l'honneur  de  l'Empire. 
Ils  donnèrent  au  Roi,  sur  les  sommes  déjà  recueillies,  mais  non  payées, 
qui  avaient  été  votées  en  1495  pour  couvrir  les  frais  de  la  guerre 
contre  la  France  et  contre  les  Turcs,  4,000  florins  comptant.  Outre 
cela,  ils  autorisèrent  Maximilieu  à  faire  lever  lui-même  et  à  s'attribuer 
les  sommes  provenant  du  denier  commun  et  recueillies  dans  ses  pos- 
sessions héréditaires,  les  états  de  son  fils,  l'archiduc  Philippe,  et  ceux 
du  duc  de  .luliers-Clèves-Berg^. 

L'année  suivante,  à  l'ouverture  de  la  diète  de  Fribourg,  Maximilien 
presse  encore  les  états  d'  «  agir  j)lus  énergiquement  ■^.  Il  se  plaint 
amèrement  que  les  secours  d'argent  promis  à  Worms  en  1495  ne  lui 
aient  pas  encore  été  Uvrés.  Il  se  voit,  dit-il,  délaissé  de  son  peuple. 
Si  les  Allemands  continuent  à  l'abandonner,  ils  donneront  ainsi  à 
tous  les  ennemis  de  l'Empire  un  encouragement  qui  les  rendra  plus 
avides  et  plus  acharnés  dans  leur  lutte  contre  l'Empire.  Il  prévoit 
trop  que  le  denier  commun  ne  sera  pas  fourni  selon  les  promesses 
qui  ont  été  faites;  pour  ce  qui  le  concerne,  il  est  prêt  à  faire  tout 
ce  qu'exige  le  péril  du  Saint-Empire,  de  la  chrétienté  et  de  la 
nation  allemande  :  "  Mais  =;,  ajoute-t-il,  «  je  ne  veux  plus,  comme  à 
Worms,  me  lier  les  mains  et  les  pieds,  et  me  laisser  accrocher  à  un 
clou!  Quelque  chose  qu'on  puisse  me  dire,  je  dois  et  je  veux  diriger 
la  guerre  d'Italie!  Je  renoncerais  au  serment  que  j'ai  prêté  à  l'autel 

'  Discours  de  Berthold,  dans  Wencker,  Appar.  Archiv.,  p.  70-72.  —  Frankfurts 
Reichscorrespondenz,  t.  il,  p.  602-605. 

-  Abschied  des  [l'ormser  Tages  von  1497,  in  lier  Neuen  Sammlung  der  Beichsahschiede, 
t.  II,  p.  36,  §  5. 


U  F.  V  E  H  S    I)  K    L'  K  M  I'  I  R  E .  509 

le  jour  de  mon  couronnement,  phifôl  que  rr.'ibandonner  ce  dessein. 
.Je  m'y  sens  obii{}é,  non-seulement  vis-à-vis  de  l'Kmpire,  mais  encore 
â  cause  de  la  maison  d'Autriche.  Je  vous  déclare  donc  ici  ma  volonté 
comme  cela  est  de  mon  devoir!  Plutôt  que  de  renoncer  à  cette  cam- 
pagne, je  jetterai  cette  couronne  à  terre  et  je  la  foulerai  sous  mes 
pieds  '!  » 

Après  la  mort  de  Charles  VIII  et  Tavénement  de  Louis  XII 
(avril  1498),  les  choses  prirent,  en  Italie,  un  aspect  toujours  plus 
menaçant  pour  l'Empire.  Louis  XII  joip,nit  bientôt  à  son  titre  de  roi 
de  France  le  titre  de  roi  des  Deux-Siciles  et  de  duc  de  Milan,  don- 
nant ainsi  clairement  à  entendre  qu'il  se  proposait  non-seulement  de 
faire  valoir  les  prétentions  des  comtes  d'Anjou  sur  Naples,  mais 
encore  de  revendiquer  ceux  qu'il  tenait  de  sa  grand'mère,  Valentine 
Visconti,  sur  la  Lombardie.  Il  voulait  ouvrir  son  règne  par  la  con- 
quête du  .Milanais,  et  ses  agents  avaient  ordre  de  dire  hautement  en 
Italie  que  ce  duché  serait  bientôt  en  sa  puissance.  Pour  occuper 
Maximilien  d'autres  intérêts,  il  lui  avait  mis  sur  les  bras  le  comte 
Charles  Egmont  de  Gueldre  et  les  confédérés  suisses,  les  encou- 
rageant par  de  fortes  sommes  d'argent  à  résister  à  l'Empereur,  leur 
répétant  que  non-seulement  ses  arquebusiers  étaient  à  leur  disposi- 
tion, mais  encore  ses  biens  et  sa  vie,  et  qu'en  retour  ils  devaient 
venir  avec  un  joyeux  dévouement  au  secours  du  roi  de  France*. 

Contre  tant  d'ennemis,  de  quelle  utilité  pouvait  être  à  l'Empereur 
les  50,000  florins  votés  par  les  états? 

Les  Sui.sses,  malgré  leur  serment  d'obéissance  à  l'Empire,  fournis- 
saient aux  Français  des  troupes  de  mercenaires  en  échange  de  secours 
d'argent.  Les  délégués  de  Lucerne,  de  Schwitz  et  de  Saint-Gall  avaient 
assisté  à  la  diète  de  Worms  (1495);  mais,  depuis  lors,  les  confé- 
dérés avaient  refusé  de  se  soumettre  aux  décisions  de  la  Chambre 
impériale  et  rejeté  l'impôt  du  denier  commun.  Dans  la  lutte  qui 
s'engagea  pour  les  ramener  à  leur  devoir,  il  s'agissait,  par  consé- 
quent, de  maintenir  la  Suisse  dans  la  confédération  de  l'Empire  et 
de  faire  respecter  les  réformes  nouvelles.  Les  états  «  en  convenaient 
parfaitement  ;>,  et  lors  de  la  diète  de  Fribourg,  ils  avaient  décidé 
«  qu'il  était  urgent  de  faire  rentrer  dans  l'obéissance  les  puissantes 
villes  de  la  confédération,  qui  portaient  l'aigle  impériale  dans  leurs 
écussons  '•  ;  mais  au  moment  décisif,  -  les  princes  agirent  dans  un 

'  Relation  des  ambassadeurs  de  la  lifjue  souabe.  dans  Miller,  t.  II,  p.  1G5. 
Protocole  du  BrandeboiirjJ,  dans  R.vxke,  Deutsche  Gesch.  im  Zedalter  der  lie/orma- 
tion,  t.  I,  p.  128. 

'  ÄNSHELM,  t.  II,  p.  452.  Année  1499. 


510    EMPIRE    ROMAIN    T.ERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

sens  tout  opposé  ".  "  Les  armées  étaient  déjà  en  présence,  non  ioin 
de  Constance,  et  l'action  allait  s'engaf^cr,  lorsque  les  princes,  qui 
commandaient  en  personne  leurs  hommes  d'armes,  déclarèrent  tout 
à  coup  qu'ils  ne  se  souciaient  point  d'exposer  l'honneur  de  leurs 
soldats  dans  une  lutte  contre  des  paysans  et  des  bergers.  Maximi- 
lien  et  sou  armée  se  virent  contraints  d'opérer  leur  retraite,  bien 
que  les  Suisses  qu'il  s'agissait  d'attaquer  fussent  fort  mal  disciplinés 
et  peu  redoutables.  Bouillant  de  colère,  l'Empereur  jeta  le  gantelet 
de  fer  de  son  armure  à  l'un  de  ces  seigneurs,  et  ne  put  s'empêcher 
de  s'écrier  :  "  II  est  dur  de  mener  des  Suisses  combattre  contre  des 
Suisses!  " 

La  guerre  eut  une  issue  malheureuse.  ■  Ceux  qui  auraient  dû  être 
les  premiers  à  défendre  l'Empire  «,  dit  Wimpheling,  perdirent  leur 
temps  en  de  mesquines  querelles;  ils  n'avaient  été  d'aucun  secours 
à  l'Empereur,  et  ne  lui  avaient  fourni  que  des  secours  dérisoires.  Les 
confédérés  eurent  partout  l'avantage  '.  " 

La  guerre  entreprise  pour  recouver  la  Suisse  se  termina  misérable- 
ment. Ce  pays  demeura  perdu  pour  l'Allemagne. 

La  même  année,  le  Milanais,  qu'au  prix  de  tant  de  sang  et  de 
dépenses  Maximilien  s'était  efforcé  de  maintenir  sous  la  domination 
impériale,  tomba  entre  les  mains  des  Français,  et  Louis  XII  s'y  élablit 
en  maître. 

C'est  au  milieu  de  ces  tristes  événements  qu'au  printemps  de 
1500  Maximilien  ouvrit  une  nouvelle  diète  à  Augsbourg. 

DIÈTE  d'AUGSBOURG 

(1500). 

RÉGENCE   d'empire. 

Le  Hoi,  dans  la  circulaire  qu'il  adresse  aux  états  pour  les  con- 
voquer à  la  diète,  trace  en  ardentes  paroles  le  tableau  des  malheurs 
delà  pairie  :  «  Une  dissolution  complète  menace  l'Empire  «,  dit-il. 
•  L'étranger,  qui  nous  redoutait  tant  autrefois,  a  maintenant  la 
partie  belle;  il  nous  ravit  tout  ce  que  nos  ancêtres  ont  acquis  au  prix 
de  tant  de  hauts  faits  et  de  luttes  sanglantes.  Le  roi  de  France,  non 
content  de  ses  conquêtes  d'Italie,  soulève  contre  nous  la  Hongrie  et 
la  Pologne,  et  fait  tous  ses  efforts  pour  obtenir  la  couronne  impé- 
riale. En  même  temps  nous  sommes  menacés,  l'été  prochain,  d'une 
nouvelle  invasion  des  Turcs.  '^  L'Empereur,  de  la  manière  ia  plus 
pressante,  représente  aux  états  la  nécessité  de  reprendre  le  Milanais, 
jusque-là  fief  impérial. 

•  De  arte  impressoria,  fol.  27. 


l'LK(iK><:K    DEMPIKE.  511 

Mais  cette  fois  encore,  les  étals,  {juidés  par  Berfhold  de  Hen- 
ncber{i^,  prufilèrctit  des  embarras  de  Maximilicn  pour  délruire  le 
peu  d'autorité  (jui  lui  restait.  Ce  qu'ils  n'avaient  pu  exécuter  à 
Worms  „ils  réussirent  alors  â  le  faire  prévaloir.  Maximilien  dut 
accepter  l'érection  d'un  conseil  d'État,  ou  régence  d'Empire.  Ce 
conseil,  composé  de  vingt  princes  et  conseillers,  fut  investi  du  pou- 
voir de  traiter  tous  les  intérêts  du  Roi  et  de  l'Empire  ;  d'exercer 
son  autorité  au  dedans  et  au  dehors;  de  délibérer  sur  la  paix  et  la 
justice,  et  sur  la  résistance  â  opposer  aux  ennemis  extérieurs;  les  déci- 
sions suprêmes  furent  remises  entre  ses  mains.  Un  gouverneur  général 
d'Empire  devait  en  avoir  la  présidence;  dans  les  cas  extraordinaires, 
la  régence,  dont  le  siège  devait  être  à  Nuremberg,  avait  le  droit 
de  convoquer  l'Empereur,  les  électeurs,  les  princes  laïques  et  ecclé- 
siastiques les  plus  considérables,  et  d'ouvrir  «  une  diète  de  régence  ». 

Par  cette  institution,  le  royaume  était  définitivement  constitué  en 
oligarchie  princière,  n'ayant  à  sa  tête  qu'un  président  impuissant, 
décoré  du  vain  titre  de  roi  ou  d'empereur  '. 

En  reconnaissant  la  régence  d'Empire,  Maximilien  fit  le  plus  grand 
sacrifice  de  sa  vie.  Il  ne  s'y  résigna  que  dans  la  ferme  persuasion 
que  les  états  fourniraient  enfin  avec  exactitude  les  secours  de 
guerre  qu'ils  promettaient  en  échange.  D'après  les  assurances  qui 
lui  furent  données  une  levée  générale  de  troupes  allait  être  faite, 
ce  qui  permettait  d'espérer  qu'en  cinq  ou  six  mois  une  armée  de 
trente  mille  hommes  pourrait  être  mise  sur  pied.  Toute  paroisse 
comptant  quatre  cents  hommes  devait  équiper  un  homme  de  pied. 
Les  cavaliers  devaient  êire  fournis  par  les  princes,  comtes  et  sei- 
gneurs d'après  la  juste  estimation  de  leurs  revenus.  Une  nouvelle 
caisse  de  guerre  devait  être  formée,  et  pour  l'alimenter,  les  clercs 
devaient  donner  deux  pour  cent  de  leurs  revenus;  les  serviteurs, 
la  soixantième  partie  de  leur  salaire,  et  tous  les  Juifs  du  royaume, 
sans  exception,  un  florin.  Pour  le  rétablissement  de  la  Chambre  impé- 
riale, les  membres  de  l'assemblée  votèrent  dix  mille  florins;  mais  ils 
se  réservèrent  le  droit  d'eu  déduire  la  somme  déjà  votée  par  eux  pour 
les  besoins  de  l'Empire.  •■■  Grâce  à  ces  dix  mille  florins  '•,  écrivait  à 
Francfort  le  député  de  la  ville,  Jean  Reysse,  -  la  Chambre  impériale 
pourra  enfin  fonctionner,  et  la  dette  contractée  envers  ses  membres 
pourra  être  acquittée.  •  Cette  dernière  mesure  était  urgente,  car 
les  assesseurs  refusaient  de  siéger  c^  avant  de  bien  savoir  d'où  leur 
viendrait  l'argent,  et  si  l'arriéré  leur  serait  remboursé  ■■•. 

Vers  la  fin  de  la  diète  (13  août),  Maximilien,  au  rapport  de  Jean 

'  Droysen,  t.  II^  p.  12-13.  —  Si  la  réforme  politique  de  1500  avait  été  effec- 
tuée, la  victoire  des  princes  sur  la  monarchie  eût  été  complète;  elle  eût  fondé 
la  pleine  souveraineté  des  puissances  territoriales. 


, 


512    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

Reysse,  fit  représenter  à  l'assemblée  «  que  Sa  Majesté  avait  sacrifié  pour 
l'Empire  une  parue  considérable  de  ses  revenus,  mais  que  jusqu'ici 
elle  avait  trouvé  peu  de  soumission  dans  les  états;  que  les  députés 
devraient  enfin  s'inspirer  de  son  exemple,  et  comme  lui,  faire  à  l'Em- 
pire de  généreux  sacrifices  ».  «  Ensuite  »,  poursuit  le  rapporteur,  «  Sa 
Majesté  Royale  a  prononcé  elle-même  un  grave  discours,  exhortant 
chacun  à  se  souvenir  du  serment  qu'il  a  fait  de  servir  le  Saint-Empire, 
et  il  a  dit,  en  concluant,  que  si  l'on  n'agissait  autrement  qu'on  ne 
l'avait  fait  jusqu'ici,  il  ne  tarderait  plus,  il  n'attendrait  pas  qu'on  lui 
ôtàt  la  couronne  de  la  tête,  et  la  jetterait  lui-même  à  ses  pieds,  pour 
chercher  ensuite  à  en  ressaisir  les  débris  '.  » 

Il  avait  fait  entendre  à  plusieurs  reprises  ces  graves  avertissements, 
mais  ils  n'eurent  pas  plus  d'effet  que  les  précédents.  Le  jour  où  il 
quitta  Augsbourg,  un  de  ses  conseillers  bourguignons  lui  dit  : 
"  Votre  Majesté  est  destinée  à  faire  encore  d'amères  expériences! 
Attendre  quelque  chose  des  princes  allemands  pour  le  bien  de  l'Em- 
pire, c'est  vouloir  cueillir  des  raisins  .sur  des  chardons  *!  » 

Cette  appréciation  ne  fut  que  trop  justifiée.  Au  bout  de  neuf  mois, 
les  listes  dans  lesquelles  chaque  territoire  devait  indiquer  le  nombre 
d'hommes  qu'il  pouvait  fournir  n'étaient  pas  même  parvenues  à  la 
régence  d'Empire.  La  régence  elle-même,  au  lieu  de  tout  mettre  en 
œuvre  pour  reconquérir  le  Milanais,  "  ce  bouclier  de  l'Allemagne  », 
entrait  eu  négociations  amicales  avec  le  roi  de  France,  se  montrant 
disposée  à  lui  livrer  Milan,  sous  la  dénomination  de  «  fief  impérial  », 
pour  la  somme  de  quatre-vingt  mille  ducats,  et  donnait  une  distinc- 
tion honorifique  à  un  ambassadeur  français  qui  s'était  exprimé  en 
termes  grossiers  sur  Maximilien  ^ 

"  Quelques  princes  de  la  égence  sont  vraiment  possédés  d'un 
méchant  esprit  »,  écrivait  à  cette  date  un  conseiller  de  l'Empereur*, 
«  et  dans  plus  d'un  lieu  les  choses  paraissent  mûres  pour  la  trahi- 
son. C'est  du  comte  palatin  dont  on  est  le  moins  siir.  Il  faudra 
surveiller  les  choses  de  bien  près,  en  Alsace,  si  l'on  n'y  veut  voir 
paraître  à  l'improviste  des  hôtes  français,  »  Le  prince  Philippe,  élec- 
teur palatin,  était  entré  en  effet  depuis  plusieurs  années  dans  une 
ligue  offensive  et  défensive  avec  la  France.  Il  avait  longtemps  aupa- 
ravant reçu  de  Charles  VIII  un  présent  de  mille  marcs  d'argent, 
«   à  condition  de   ne    fournir  au    roi  des  Romains  ni  argent,  ni 

'  Lettre  du  délégué  de  Francfort,  Jean  Reysse,  17  août  1500,  dans  la  Frankfurt 
Reichscorrespondenz,  t.  II,  p.  661. 
^  Henri  Gulnebeck. 

'  Voy.  MULLER,  Rcichstagssiaat.  p.  106-111. 
*  Henri  Gi\u.nebeck. 


CÜ.NVENTIÜNS    SKClîKTKS    I)  li  S    PRINCES    AVEC    LA    FRANCE.     513 

secours  d'aucun  genre  ".  IMiilippc  pronieüait  à  Charles  qu'en  cas  de 
besoin  il  lui  fournirait  un  bon  nombre  de  soldats,  et  le  roi  de 
France  s'enj',aj;eail  de  son  côlé  à  envoyer  au  prince  électeur,  si  la 
nécessité  le  réclamait,  mille  ou  deux  mille  chevaux'.  Des  chargés 
d'affaires  palatins  et  français  avaient  ensemble  des  conciliabules 
secrets^.  Les  craintes  qu'on  nourrissait  au  sujet  du  prince  palatin 
à  la  cour  de  Maximilien  n'élaient  donc  que  trop  fondées.  Un 
parti  puissant,  favorisant  les  prétendons  de  la  France,  s'était  formé 
en  Alsace,  et  Wimpheling  ,juj',ea  nécessaire  d'établir  par  l'un  de 
ses  écrits  que  les  pays  du  lîliin  occidental  avaient  de  tout  temps 
fait  partie  des  provinces  allemandes,  et  n'avaient  jamais  appartenu 
aux  Français.  «  La  France  »,  disait-il,  ^c  a  néanmoins  le  dessein  de 
conquérir  ces  contrées,  comme  le  Dauphin  l'a  bien  fait  voir  au 
moment  de  la  guerre  des  Armagnacs;  et  malheureusement  il  trouve 
un  notable  encouragement  à  ses  vues  ambitieuses  dans  un  nombreux 
parti  alsacien,  plus  porté  vers  les  Welches  que  vers  le  Saint- Empire. 
Des  messagers  à  demi  français  sont  envoyés  d'Allemagne  au  roi  de 
France  et  reçus  par  lui  avec  amitié;  ils  flattent  ses  vues,  dans 
l'espérance  que  si  les  souverains  français  sont  un  jour  maîtres  de  nos 
provinces,  ils  leur  accorderont  un  crédit,  une  considération,  qu'ils 
désespèrent  d'obtenir  jamais  à  la  cour  de  l'Empereur  ^  " 

Les  véritables  amis  de  la  patrie  étaient  révoltés  des  manœuvres  des 
princes  et  de  leurs  ligues  particulières.  ■■  Notre  mère  la  Germanie 
m'est  apparue  en  songe  > ,  dit  Henri  Bebel  dans  un  discours  pro- 
noncé devant  Maximilien  en  une  solennelle  assemblée  tenue  au 
château  royal  d'lnsprück  (1501).  «  Hàte-toi,  m'a-t-elle  dit,  va  trouver 
!  Maximilien,  mon  fils  bien-aimé;  il  donne  volontiers  audience  aux 
simples  particuliers.  Parle-lui  de  ma  détresse;  dépeins-lui  ma  lamen- 
table situation;  dis-lui  mes  larmes  et  la  continuelle  douleur  qui  me 
consume!  Répète-lui  qu'il  est  la  seule  consolation,  l'unique  refuge 
de  sa  mère!  Depuis  sa  naissance,  j'ai  mis  en  lui  tout  mon  espoir.  Il 
est  la  tète  encore  pleine  de  santé,  quand  tous  les  membres  sont 
malades!  »  <  Mais  qu'il  ne  perde  pas  courage!  Sa  mâle  résolution, 
son  énergie,  peuvent  guérir  plus  d'un  membre  atteint.  Là  où  la  cor- 
ruption a  pénétré  trop  avant,  qu'il  n'hésite  pas  à  mettre  le  fer 
dans  la  plaie!  Dis-lui  surtout  que  les  alliances  particulières  qu'ont 

'  Voy.  le  rapport  du  31  mars  1489  dans  Mone,  Zeiischrifi,  t.  XVI,  p.  79-80.— 
Le  5  septemljre  1492,  Charles  VIII  s'allia  au  comte  palatin  Philippe,  qui  avait 
recherché  son  amitié,  et  lui  promit  assistance  contre  toute  attaque.  Voy.  les 
documents  des  archives  de  Carlsruhe.  Pfalz,  Copialbucker,  43/12,  6=. 

*  Voy.  la  correspondance  de  Philippe  avec  Charles  VIII  et  Louis  XII  dans 
Lüdewig,  RcUqniœ  manuscriptorum,  t.  VI,  p.  96-120. 

'  Dans  la  dédicace  de  sou  ouvrage  Germania  ad  rempublicam,  Argenlinensem  (1501). 
Virimpheling  le  traduisit  plus  tard  en  allemand. 

33 


514    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

entre  eux  quelques  princes,  alliances  qui  dénouent  leurs  liens  de 
soumission  envers  l'Empire,  me  déplaisent  extrêmement.  Fais-lui 
entendre  que  !a  chute  des  plus  puissants  royaumes,  ceux  des  Perses, 
des  Macédoniens,  des  Grecs  et  des  Romains,  n'a  été  causée  que 
par  l'égoisrae  des  individus  et  les  dissensions  qui  en  ont  été  la 
suite'.  " 

L'irritation  que  causait  à  Maximilien  -  le  piteux  état  des  affaires 
d'Allemagne  »  se  fait  jour  dans  les  lettres  qu'il  adresse  à  la  régence 
d'Empire.  Il  s'y  plaint  amèrement  des  affronts  qu'on  lui  fait  subir; 
mais  son  mécontentement  éclate  surtout  dans  sa  correspondance 
avec  Bertliold  de  Henneberg.  --  .Nous  te  gardons  quelque  rancune  ■■, 
lui  écrit-il.  "  Depuis  bien  des  années,  nous  n'avons  rien  vu  sortir  de 
fécond  ni  d'utile  des  diètes  où  nous  avons  assisté  en  personne,  à  nos 
propres  dommages  et  dépens.  Maiuleuaut  encore,  l'expédition  contre 
les  Turcs,  le  Saint-Empire,  la  couronne  royale  sont  en  grand  péril, 
comme  tu  le  sais  et  le  vois  toi-même,  et  nous  avons  à  te  faire  de 
grands  reproches  de  ce  que  toi,  le  premier  prince  du  royaume,  tu 
traiîes  continuellement  avec  les  États  des  affaires  du  pays,  sans 
nous  en  informer,  et  ne  voulant  pas  entrer  dans  nos  vues  en  ce  qui 
concerne  les  vrais  intérêts  de  la  nation.  Tu  n'as  pas  assez  réfléchi  jus- 
qu'ici au  but  général,  au  bien  de  tous;  tu  as  ton  propre  intérêt  trop 
à  cœur,  et  tu  nous  repousses.  "  Berthold  aurait  pu  aisément  se  dis- 
culper quant  à  ce  qui  concernait  son  zèle,  son  désintéressement 
personnel;  mais  quant  au  résultat  de  sa  politique,  les  plaintes  du  Roi 
n'étaient  que  trop  légitimes-. 

Indigné  des  sympathies  françaises  que  montrait  la  régence 
d'Empire  et  du  peu  de  zèle  qu'elle  mettait  à  remplir  les  promesses 
laites  â  la  diète  d'Augsbourg,  rendant  ainsi  la  résistance  impossible 
en  Italie,  Maximilien  conclut  à  Trêves  un  traité  de  paix  avec  Louis  XII 
(13  octobre  lôOl)  et  consentit  à  lui  donner  l'investiture  du  duché  de 
Milan.  L'inviolabilité  des  droits  de  l'Empire  en  Italie,  la  promesse 
de  l'appui  delà  France  au  cas  de  l'élection  d'un  nouvel  empereur,  tels 
étaient  les  avantages  que  Maximilieu  croyait  pouvoir  atteudrede  cet 
accord.  Mais  dès  l'année  suivante  il  sut  à  quoi  s'en  tenir  sur  la 
loyauté  de  Louis  XIP.  Il  apprit  à  n'en  pouvoir  douter,  ainsi  qu'il 

^  Voy.  sur  ce  point  Mlther,  Aus  dem  L'nirersiCäis  und  Gclihrtenlchcn^  p.  78-79.  — 
Sébastien  Braut  craiynait  aussi,  comme  il  l'écrivait  en  1504  à  Conrad  Peutinger, 
que  la  coupa'ule  désunion  des  princes  n'eût  pour  conséquence  la  ruine  de 
l'Empire.  Ch.  Schmidt,  Xoiice,  p.  210.  —  Voy.  l'élégie  de  Brant  dans  Gcsdeke, 
eh.  xiii-xix. 

*  La  correspondance  du  Roi  avec  l'archevêque  se  trouve  dans  Gcde.vls,  Codex 
Uog.  dipL,  t.  IV,  p.  443-451.  —  Voy.  11.  Ulmann,  Die  ll'alU  Maximilians,  dans  les 
Forschungen  zur  deutschen  Gesch.,  t.  XXII,  p.  137  (Göttingen,  1882). 

'  Voy.  pour  plus  de  détails  J.4.GER,  Maximilians  Verkahniss  zum  Papslhum, 
p.  219-221. 


CONVENTIONS    SKCÜKTKS    DES    l' K 1 N  CE  S    AVEC    LA    FRANCE.      Ü15 

le  déclara  aux  députés  des  villes  dans  uuc  assemblée  tenue  à  Ulm 
(juillet  l.'A)2),  <\[\c  le  roi  (U;  France  travaillait  en  secret  contre  tous 
les  intérêts  jdlemands,  et  n'était  occupé  ([u"à  semer  dans  l'Empire  le 
trouble,  la  révolte  et  la  désunion.  Louis,  affirmait-il,  avait  la  main 
dans  les  complots  révolutionnaires  des  Pays-Bas  et  du  Rhin,  et  soute- 
nait les  conCédérés  dans  leur  résistance  contre  TKnipire.  Enfin,  parmi 
les  membres  des  États,  son  influence  avait  si  bien  prévalu  que  Maxi- 
milien  se  voyait  menacé  de  n'y  avoir  bientôt  plus  aucune  autorité  et  de 
voir  son  pouvoir  diminué  et  méprisé,  aussi  peu  obéi  des  Allemands 
que  des  Welches.  Louis,  au  dire  de  l'Empereur,  avait  olTert  à  l'arche- 
vêque de  ALiyeuce  deux  cent  mille  couronnes,  à  la  condition  qu'il 
aurait  la  haute  main  sur  les  décisions  delà  régence  d'Empire.  Son 
but  était  de  mettre  la  discorde  entre  les  princes  électeurs  et  autres 
petits  souverains,  et  de  se  servir  de  la  (^iscorde  générale  pour  par- 
venir à  l'Empire.  11  rêvait  de  soumettre  à  son  autorité  rAllemagne 
et  l'Italie,  et  pour  y  réussir,  recherchait  activement  l'alliance  du 
i*ape,  des  Vénitiens,  des  Suisses  et  du  roi  de  Hongrie. 

Maximilien  assurait  avoir  dépensé  pour  l'Empire  un  million  et  demi 
de  florins  tiré  de  ses  propres  fonds,  et  devait,  disait-il,  se  féliciter 
que  les  mines  d'argent  des  montagnes  de  l'Adige  ne  fussent  pas 
encore  épuisées.  Aprèsavoir  exposé  tous  ces  faits  à  l'assemblée,  levant 
par  deux  fois  les  mains  vers  le  ciel,  il  jura  devant  Dieu  et  les  saints 
que  si  l'on  ne  se  décidait  enfin  à  le  suivre,  il  répudierait  à  jamais 
l'Empire  et  ne  s'en  soucierait  plus.  Il  allait  faire,  au  reste,  un  acte 
auquel  personne  ne  s'attendait;  mais  il  n'agirait  ainsi  qu'en  imitant 
le  dévouement  d'un  bon  pasteur,  qui  veut  préserver  ses  brebis  d'un 
grand  danger,  et  doit  s'attendre  à  les  trouver  fidèles  et  soumises  '. 

A  quel  plan  hardi  ou  désespéré  Maximilien  faisait-il  allusion? 
On  l'ignore  ^  Ouant  aux  agissements  qu'il  dénonçait,  il  n'était  que 
trop  bien  informé.  Il  est  certain  qu'à  Paris,  en  1503,  on  se  flattait 
de  voir  le  «  Roi  Très-Chrétien  >',  aidé  de  ia  plus  grande  partie  des 
princes  électeurs,  ceindre  bientôt  la  couronne  romaine  prête  à 
s'échapper  des  mains  des  souverains  de  Habsbourg,  En  même  temps 
ia  mésintelligence  qui  s'était  mise  entre  Maximilien  et  les  électeurs 


'  Klcpfil,  Urk.  zur  Gesch.  des  Schwäbischen  Bundes,  t.  I,  p.  469-471,  avec  sa  recti- 
fication dans  V.  Stalin,  t.  IV,  p.  45,  note  2. 

*  Quelques  indices  pourraient  faire  croire  que  Maximilien  conçut  alors  la 
pensée  de  conibaltre  les  princes  à  l'aide  des  comtes  et  des  chevaliers,  et 
d'opérer  ainsi  une  révolution  radicale  dans  le  royaume.  Voy.  Prumemoria  David 
BaiinKjiirtiicr's  dans  StdMpf.  —  irhunil.  Darslellung  der  Gesch.  lUilhelm's  von  Grumbach, 
dans  les  DenkwiirdigkciUn  der  deutschen  Gesch.,  t.  I,  p.  18.  —  Trithf.MH,  Ghron. 
Hirsaug.  ad  annuni  1502.  —  Mo^E,  Badisches  Arclin-.,  t.  II,  p.  168-169.  Sur  les  soulè- 
vements de  paysans  sons  Frédéric  III  et  Maximilien,  voy.  le  vol.  II  de  cet 
ouvrage. 

33. 


516    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

prenait  un  caractère  si  menaçant  qu'on  pouvait  craindre  de  voir 
se  renouveler  les  faits  cpii  s'étaient  produits  sous  le  roi  Yenceslas, 
jadis  déposé  du  trône.  Mais  les  bons  citoyens  conjuraient  le  ciel  de 
ne  pas  permettre  que  "  les  loups  dévorants  ", c'est-à-dire  les  princes, 
continuassent  à  déchirer  l'P^mpire  '. 

L'Allemagne  fut  préservée  d'un  si  grand  malheur. 

Mais  l'œuvre  de  réforme  que  les  partisans  de  l'oligarchie  avaient 
rêvée  échoua  par  leur  faute  même.  Les  États,  avec  leur  habituelle 
incurie,  n'avaient  pas  même  pris  la  peine  d'organiser  la  régence 
d'une  manière  stable.  Les  sommes  votées  pour  l'érection  de  la 
Chambre  Impériale  n'avaient  pas  été  recueillies,  et  les  assesseurs, 
faute  d'émoluments,  s'étaient  dispersés.  "  Tous  savez  tous  »,  écrivait 
Maximilien  au  conseil  de  Francfort,  «  que  depuis  le  commencement 
de  notre  règne  nous  avons  convoqué  plusieurs  diètes  à  nos  frais  et 
dépens,  entamé  beaucoup  de  négociations  et  travaillé  par  tous  les 
moyens  possible  au  salut  de  l'Empire,  et  de  la  chrétienté  eu  général. 
iSous  avons  mis  sous  vos  yeux  l'état  inquiétant  des  affaires,  et  réclamé 
du  secours  de  la  manière  la  plus  pressante.  Cependant  nous  n'avons 
jamais  pu  obtenir  aucun  résultat.  A  Augsbourg,  nous  avions  pris 
les  mesures  les  plus  efficaces  pour  rétablir  l'ordre,  la  paix,  la  justice. 
En  ce  cjui  nous  concerne,  nous  nous  sommes  conformés,  en  toute 
occasion  et  selon  notre  pouvoir,  à  tout  ce  qui  alors  avait  été  décidé. 
Mais  la  régence  d'Empire  et  la  Chambre  Impériale,  sur  lesquelles 
reposaient  l'espoir  de  voir  l'ordre  et  la  sécurité  rétablis,  n'ont  pas 
été  organisées.  Après  mille  promesses  mensongères ,  les  asses- 
seurs et  les  membres  de  la  régence  n'ont  pas  reçu  leurs  appointe- 
ments, de  sorte  que  tous  nos  plans  ont  été  ruinés.  Mais  nous  le 
déclarons,  personne  dans  le  Saint-Empire,  nul  chrétien  équitable 
ne  peut  nous  rendre  responsable  des  angoisses  et  des  difficultés 
présentes  *.  » 

AFFERMISSEMENT    DE    LA    MONARCHIE.     DIÈTES    DE    COLOGNE 
ET    DE    CONSTANCE.     1505-1507. 

Mais  ni  revers,  ni  contradictions  n'étaient  capables  d'ébranler 
le  courage  de  ALiximilien;  rien  ne  pouvait  lui  ravir  l'espérance  de 
voir  se  relever  un  jour  la  gloire  de  l'Empire,  et  de  rendre  à  l'Alle- 
magne la  concorde  et  le  bonheur.  Les  événements  qui  se  produi- 
sirent peu  après  semblèrent  ouvrir  enfin  à  ses  regards  des  perspec- 
tives plus  consolantes.  Le  parti  des  princes  et  de  l'opposition  perdit 


'  Lettre  de  Henri  Grünebeck,  9  mars  1503. 
^  Frankfurts  Reichscorrespondenz,  t.  il,  p.  670. 


AFFKIlMISSEMIi  NT    DU    I' O  U  V  O  IK    110  Y  A  t,.  r,n 

son  chef  par  la  nioiM  de  Bertliold  de  Heaaeberg  (21  décembre  1504), 
et  riiciireuse  issue  do  la  cam|)a{;ne  bavaroise  rendit  quelque  prcstifje 
à  Tauturité  impériale. 

Cette  guerre  mit  dans  une  pleine  lumière  la  conduite  des  électeurs 
et  des  princes,  et  montra  combien  Maximilieii  avait  raison  de  dire 
qu'ils  ne  se  souciaient  nullement  des  insliJulions  du  pays  ni  du  droit 
national,  el  n'étaient  pas  môme  capables  de  rcspecler  ce  qu'eux- 
mêmes  avaient  décidé'.  Au  conseil  des  princes,  réuni  à  Augsbourg, 
l'Empereur,  avec  rassenliment  de  la  Chambre  Impériale,  avait  promis 
les  fiefs  impériaux  du  défunt  duc  Georges  de  Baviére-Landshnt  aux 
cousins  directs  de  la  ligne  de  Munich,  qui  en  étaient  les  héritiers  les 
plus  proches.  Mais  sans  tenir  aucun  compte  de  cette  décision,  l'élec- 
teur palatin  Hobert  et  son  père  Philippe  avaient  recherché  et  obtenu 
l'appui  de  la  France,  de  la  Hongrie  et  de  la  Bohême  pour  s'emparer 
de  ces  mêmes  territoires,  une  guerre  dévastatrice  s'engagea  en  Bavière 
«'t  sur  le  Rhin.  Maximilien  écrasa  les  rebelles,  et  la  victoire  qu'il  rem- 
porta aux  environs  de  Batisbonne  ^  sur  les  troupes  du  roi  de  Bohême, 
accouru  pour  défendre  le  prince  électeur,  fut  célébrée  par  les  poètes, 
en  lalin  et  en  allemand,  comme  un  grand  et  joyeux  événement. 
*<  L'alliance  impériale  ",  disait-on,  «  est  devenue  si  puissante,  qu'à 
l'avenir  les  Bohémiens  et  les  Suisses,  qui  nous  ont  fait  tant  de  mal,  ne 
seront  plus  en  état  de  nous  nuire;  Maximilien  anéantira  bientôt  les 
armées  turques,  il  reprendra  Constantinople  ^  =>  '<  Le  Roi  a  enfin  soumis 
les  princes  à  son  autorité  > ,  écrit  Vincent  Ouirini  au  Conseil  de  Venise  ; 
('  il  n'en  est  plus  un  seul  qui  ose  lui  résister  sur  n'importe  quel  sujet  \  » 

Tel  était  l'état  des  choses  au  moment  où  s'ouvrit  la  diète  de 
Cologne.  Maximilien  était  fermement  résolu  à  employer  le  crédit 
qu'il  venait  de  recouvrer  au  rétablissement  de  l'autorité  royale.  Il 
commença  par  terminer  la  querelle  bavaroise  de  son  autorité  de 


'  Lettre  de  Henri  Granebeck,  du  17  juillet  150î. 

-  •  Le  Roi,  combattant  toujours  au  fort  de  la  mêlée,  fut  blessé,  tomba  de 
cheval,  et  c'en  eût  été  fdit  de  lui  si  le  duc  Erich  de  Brunswifk  ne  l'eût  sauvé, 
recevant  lui-môme  force  I)alles,  flèches,  coups  et  blessures.  Le  duc,  dont  c'était 
la  première  bataille,  dit  avec  orgueil  dans  une  lettre  dictée  sur  son  lit  de 
douleur  et  adressée  à  sa  jeune  femme  .  »  Je  ne  suis  pas  tout  à  fait  mort.  • 

V.  LiLlENCRON,  t.  II,   p.  537. 

'  Die liehemsch  Schlacht,  publié  par  LiLiENCRO.\,  t.  II,  p.  540-542.  Outre  ce  chant, 
Liliencron  eu  cite  encore  seize  autres  sur  la  guerre  de  succession  bavaroise, 
chansons  satiriques  dirigées  contre  le  déloyal  électeur  palatin. 

*  «  Poro  a  poco  questo  r.e  de  Uomani  haveudo  destrutto  il  Palatino,  et 
essendo  laorti  li  polenti  principi  suoi  conlrarii  et  relrovandosi  multiplicati  li 
amici  suoi,  posti  per  lui  in  dignité,  è  andato  tanto  crescendo,  che  si  ha  fatto 
quasi  omnipotente  ira  tutti  li  principi  et  tanto,  che  non  se  ne  ritrova  pur 
Uno  che  ardisca  conlrariarlo  iu  cosa  alcuna.  »  OriniM,  Rilaiione,  année  1506, 
publiée  par  Chmel,  dans  le  Zcitschrifi  fur  Gcschichtsuis ;cnschnft  de  Schmidt,  t.  II, 
p.  338. 


518    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE.    SITUATION    EXTERIEURE, 

vainqueur  et  d'arbitre  suprême,  proclama  de  nouveau  la  paix  publique 
perpétuelle,  rétablit  la  Chambre  Impériale,  et  se  chargea  de  pourvoir 
lui-même  à  son  entretien. 

Il  présenta  ensuite  à  la  diète  le  projet  d'un  nouveau  conseil 
d'État.  Celui-ci,  loin  de  légaliser,  comme  le  précédent,  l'asservisse- 
ment du  Roi,  devait,  au  contraire,  affermir  sa  dignité  et  son  auto- 
rité, et  rendre  à  la  nation  la  paix  générale  et  la  prospérité.  Ce 
conseil  devait  se  composer  d'un  président  nommé  par  le  Roi, 
d'un  chanceliier  et  de  douze  conseillers  élus  par  les  États.  Il  devait 
siéger  à  Nuremberg,  «  mais  cependant,  lorsque  l'intérêt  du  Roi 
ou  de  l'Empire  l'exigerait,  pourrait  être  transféré  au  lieu  même  où  se 
trouverait  Sa  Majesté  ;>.  Il  devait  agir  avec  autorité  dans  toutes  les 
questions  concernant  la  justice,  la  paix,  le  maintien  de  l'une  et  de 
l'autre,  la  guerre  contre  les  infidèles,  et  la  résistance  aux  ennemis  de 
la  chrétienté  et  de  l'Empire;  mais  il  ne  pouvait  décider  en  dernier 
ressort  dans  les  questions  graves  qu'après  avoir  pris  l'avis  du  Roi. 
Celui-ci  s'efforcerait  toujours  de  mettre  son  sentiment  en  harmonie 
avec  l'opinion  des  douze  conseillers;  mais  dans  le  cas  où  il  n'y  par- 
viendrait pas,  il  en  appellerait  aux  électeurs,  aux  princes  et  à  leurs 
conseillers,  et  ce  que  ceux-ci  décideraient,  unis  à  Sa  Majesté  Royale  et 
au  conseil  d'État,  aurait  force  de  loi.  Le  conseil,  au  nom  et  avec 
le  sceau  du  Roi,  aurait  le  droit  d'envoyer  des  lettres  circulaires,  et 
contrairement  à  la  teneur  de  cesdites  lettres,  «  rien  ne  pourrait  être 
conclu  et  traité  au  nom  du  Roi  >:.  Si,  néanmoins,  on  osait  outrc-passer 
les  ordres  du  souverain,  les  mesures  prises  de  cette  façon  abitraire 
devraient  être  regardées  comme  nulles,  n'obligeant  personne,  et 
sans  valeur. 

Pour  appuyer  le  conseil  et  lui  donner  un  pouvoir  exécutif,  quatre 
maréchaux  devaient  être  élus.  Chacun  d'eux  devait  avoir  vingt-cinq 
chevaliers  e(  deux  conseillers  sous  ses  ordres.  Ces  maréchaux  devaient 
être  établis  dans  quatre  régions  différentes  de  l'Empire  :  le  haut  Rhin, 
le  bas  Rhin,  le  Danube  et  l'Elbe.  Ils  veilleraient  à  l'exécution  des 
ordres  du  conseil  et  seraient  chargés  de  maintenir  la"  paix  à  l'inté- 
rieur. Le  Roi  se  réservait  le  choix  du  lieutenant  général  de  l'Empire, 
mais  s'engageait  à  ne  lui  rien  commander  d'important  sans  avoir 
préalablement  consulté  le  conseil  d'Etat  '. 

Ouant  à  la  réorganisation  des  finances,  il  fallait  nécessairement  en 
revenir  au  denier  commun,  autrefois  consenti  par  les  États. 

Ces  plans  étaient  modérés,  pratiques;  si  les  membres  de  la  diète 
eussent  donné  les  mains  à  leur  exécution  avec  une  sincère  bonne 

^  Ordonnance  gouvernementale.  Voy.  Mulleu,  Reichsiajsiaat,  p.  444-448. 


Li:  s    KTATS    r.  Ell;  TT  i;  NT    Li:  s    1' HO  POSITION  s    HO  Y  ALES,     519 

voloiilr,  Oll  CÙI  VII  sc  réaliser  dans  la  polidque  intérieure  du  pays 
l(!s  j)liis  heureux  projjrès. 

Mais  les  Klals  voyaient  avec  déplaisir  une  réforme  tendant  à  res- 
treindre leur  autorité;  aussi  repoussèrent- ils  le  plan  royal  avec  les 
formules  les  plus  respectueuses  :  «  Sa  IMajesté  ",  dirent-ils,  «  avait 
Jusque-là,  par  sa  liaule  intelli[;cncc  et  son  habileté,  [jouvcrné  d'une 
manière  dijjnc  d'éloges,  avec  loyauté,  bonté,  justice.  Elle  pour- 
rait, elle  saurait  af,ir  de  même  à  l'avenir.  Donner  une  forme,  une 
mesure  précise  à  Taiilorité  de  Sa  Majesté  n'entrait  point  dans  les 
senliiiienis  ni  dans  les  iultMilions  des  Étais.  »  Ils  refusèrent  égale- 
mont  de  voter  l'impôt  du  denier  commun,  bien  qu'ils  se  fussent  pro- 
noncés en  sa  faveur  à  la  diète  de  Fribourg,  où  ils  avaient  déclaré 
«  que  le  maintien  de  la  paix  publique  et  surtout  le  fonctionnement 
de  la  Chambre  Impériale  reposaient  uniquement  sur  lui,  et  qu'il  en 
était  la  racine  et  le  fondement  '  ".  Les  membres  de  la  diète  tenaient 
à  présent  un  (out  autre  langage  :  "  Les  sujets  de  l'Empereur  », 
disaienl-ils,  "  sont  épuisés  par  la  guerre,  renchérissement  des  den- 
rées, les  pertes  des  leurs  et  les  maladies;  aussi  sont-ils  complètement 
hors  d'élat  de  payer  le  denier  en  question  ^  "  Ils  repoussèrent  éga- 
lemeu!  la  proposition  royale  louchant  l'établissement  de  troupes  per- 
manentes dans  les  paroisses  de  l'Empire,  et  n'accordèrent  qu'à  grand'- 
peine  à  Maximilien  les  quatre  mille  hommes  qui  lui  étaient  absolument 
nécessaires  pour  protéger  la  Hongrie.  Les  registres  de  la  matricule 
prirent  de  nouveau  la  place  du  denier  commun.  Chaque  corps  de 
l'État,  selon  l'importance  de  ses  domaines  et  de  ses  revenus,  fut  requis 
de  fournir  un  certain  nombre  de  cavaliers  et  d'hommes  de  pied. 

Maximilien  n'avait  pas  atteint  son  but;  pourtant  le  souverain  et 
les  États  avaient  négocié  ensemble  -  de  bonne  amitié  »,  et  c'était  là, 
déjà,  un  résuKat  considérable.  Accompagné  de  tous  les  princes  pré- 
sents à  la  diète  de  Cologne,  l'Empereur  se  hâta  de  marcher  contre 
Charles  d'Egmont,  qui,  soulenu  par  la  France,  prétendait  retenir  en 
sa  possession  le  duché  de  Gueldre,  et  le  contraignit  à  l'obéissance. 
A  l'aide  des  troupes  accordées,  il  garantit  aussi  les  droits  présomptifs 
de  sa  maison  sur  le  royaume  de  Hongrie,  et  l'on  put  enfin  espérer 
"  que  la  couronne  de  Bohême  serait  rapportée  au  Saint-Empire,  que 
celle  de  Hongrie  viendrait  s'y  réunir,  et  qu'un  solide  rempart  serait 
élevé  contre  les  envahissements  des  infidèles^  «. 

Car  la  guerre  contre  les  «  ennemis  du  nom  chrétien  »  continuait 


'  Voy.  nÖFLi:i\,  Rcfonnhcwi'giing,  p.  G3. 

*  Dans  Müller,  Heic/islar/staai,  p.  488-489. 

2  Sur  les  néjïociations  de  Cologne,  voyez  les  pièces  manuscrites  dans  la  Frank- 
furts Reichscorrcspoudmz,  t.  11,  p.  681-696.  Arrêt  de  la  diète  du  31  juillet  1505, 
dans  la  A'eue  Sammlung  der  Reichsabschiede,  t.  II,  p.  102-104. 


520    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

à  occuper  jour  et  nuit  la  pensée  de  Maximilien,  et  il  ne  doutait  pas 
que  les  autres  nations  ne  se  missent  en  mouvement  aussitôt  qu'elles 
verraient  la  plus  forte  des  puissances  européennes,  c'est-à-dire  le 
Saint-Empire  romain,  prendre  l'initiative'. 

Mais  il  ne  voulait  entreprendre  la  croisade  qu'après  avoir  été  couronné 
empereur  et  reconnu  pour  chef  de  toute  la  chrétienté.  Aussi  reprit-il 
avec  une  nouvelle  ardeur  les  préparatifs  de  l'expédition  romaine. 

Dans  ce  dessein,  et  afin  d'aviser  aux  moyens  de  reconquérir  les 
pays  tombés  au  pouvoir  de  la  France,  il  convoqua  les  États,  et  ouvrit 
une  nouvelle  diète  à  Constance.  Quelques  jours  après,  on  apprit  que 
Louis  XII  venait  d'entrer  en  Italie  avec  une  puissante  armée,  qu'il 
s'était  emparé  de  Gênes  (29  avril  1507),  avait  fait  brûler  les  privi- 
lèges impériaux  que  la  ville  invoquait  pour  sa  défense,  soutenant 
qu'elle  faisait  partie  intégrante  de  l'Empire.  Louis  ne  se  proposait 
rien  moins  que  la  conquête  des  États  de  l'Église  :  après  avoir  mis 
le  Pape  sous  sa  dépendance,  il  se  flattait  d'obtenir  de  lui  la  cou- 
ronne impériale  -. 

Dans  un  discours  chaleureux,  Maximilien  expose  aux  membres  de 
la  diète,  réunis  en  grand  nombre,  les  pertes  essuyées  par  l'Empire  et 
les  grands  périls  qui  le  menacent.  "  Le  roi  de  France  -,  leur  dit-il, 
«  veut  ravir  la  couronne  impériale  à  la  nation  allemande.  S'il  ose  nourrir 
un  tel  espoir,  ce  n'est  pas  qu'il  soit  devenu  plus  puissant  et  nous  plus 
faibles  qu'auparavant  ;  ce  n'est  pas  non  plus  qu'il  ne  comprenne  com- 
bien l'Allemagne  surpasse  la  France  en  force  et  en  richesse;  c'est  qu'il 
espère  que  nous  agirons  dans  le  présent  comme  dans  le  passé,  et  que 
nos  querelles,  notre  apathie,  nous  seront  plus  chères  que  le  souci  de 
notre  honneur  et  de  notre  sécurité.  Il  s'imagine  qu'après  l'avoir  laissé 
arracher  à  l'Empire  le  duché  de  Milan  et  mettre  à  l'abri  de  notre 
vengeance  les  ennemis  de  l'Allemagne,  nous  lui  permettrons  de 
s'emparer  de  ce  qui  a  toujours  fait  la  gloire  et  la  suprême  parure  de 
notre  nation  :  la  plus  haute  souveraineté  du  monde,  la  couronne  impé- 
riale! L'humiliation  qui  nous  en  reviendrait  pourrait  encore  se  sup- 
porter si  nous  étions  inférieurs  en  nombre  à  nos  ennemis;  en  ce  cas 
notre  malheur  serait  plus  grand  que  notre  honte,  et  l'on  ne  pour- 
rait imputer  à  notre  imprévoyance  et  à  notre  lâcheté  ce  qui  ne 
dépendrait  que  de  notre  mauvaise  étoile  et  du  malheur  des  temps. 
Mais  comme  il  eu  est  tout  autrement,  et  que  notre  puissance  dépasse 

'  Voy.  la  circulaire  de  Maximilien  à  propos  de  la  société  de  Saint-Georges. 

MULLER,  p.  345. 

*  Sur  la  rupture  des  traités   et  de  la  paix  par  Louis  XII,  voy.  Jager,  p.  223- 
225.  Voy.  aussi  la  justification  de  Maximilien  dans  Goldast,  Reichshandlung,  p.  63. 


DIKTE    I)E    CONSTANCE.  521 

de  beaucoup  celle  des  Français,  notre  plus  jurande  honte,  dans  notre 
défaite,  serait  d'avoir  (oléré  avec  indiHérencc  ce  que  nous  pouvions 
éviter  par  notre  énerfjie.  Aussi,  même  si  nous  ne  disposions  que  de 
faibles  ressources,  mieux  vaudrait  tout  risquer,  mieux  vaudrait  souffrir 
les  plus  fjrands  maux  que  do  faire  peser  sur  la  nation  allemande  un 
éternel  opprobre.  '^  «  J'ai  l'intention  de  conduire  une  armée  en  Italie 
et  d'y  ceindre  la  couronne  impériale.  Ensuite,  je  ferai  tous  mes  efforts 
pour  anéantir  les  espérances  de?,  Français  et  pour  les  chasser  de 
Milan,  ce  qui  en  est  Tunique  moyen.  Pour  cela,  de  toute  nécessité,  il 
me  faut  de  l'argent  et  des  hommes.  J'ai  la  confiance  que  si  vos  forces 
s'unissent  aux  miennes,  nous  traverserons  l'Italie  en  vainqueurs. 
Lorsque  les  Italiens  verront  l'empereur  d'Allemagne  s'avancer  vers 
eux,  ils  viendront  d'eux-mêmes  à  sa  rencontre  avec  de  l'argent 
et  des  armes,  soit  pour  conserver  leurs  libertés,  soit  pour  être 
affranchis  de  leurs  tyrans,  soit  pour  se  réconcilier  avec  les  vain- 
queurs. Le  roi  de  France  changera  de  langage  dès  qu'il  verra  les 
effets  de  notre  puissance  guerrière.  Il  se  souviendra  que  l'un  de 
ses  prédécesseurs,  portant  le  même  nom  que  lui,  fut  battu  par  moi 
à  Guinegafe  lorsque  j'étais  encore  presque  enfant,  et  que  depuis  ce 
jour  nul  roi  de  France  ne  nous  a  vaincus  par  des  armes  loyales, 
mais  uniquement  parla  ruse.  J'en  appelle  à  votre  grandeur  d'âme,  à 
votre  courage,  vertus  qui  ont  toujours  été  les  qualités  essentielles  des 
Allemands,  et  je  vous  demande  si  votre  réputation,  si  votre  gloire 
ne  seraient  pas  atteintes,  si,  dans  ce  péril  universel,  vous  ne 
vous  souleviez  de  vous-mêmes  et  ne  couriez  aux  armes!  Maintenant 
la  chose  vous  regarde!  Pour  moi,  j'ai  la  conscience  d'avoir  fait  tout  ce 
qui  dépendait  de  moi.  Je  vous  ai  avertis  du  danger,  je  vous  ai  excités 
par  mon  exemple  à  faire  votre  devoir.  Je  ne  manque  pas  de  courage, 
j'affronterai  tous  les  dangers.  Mon  corps  est  habitué  aux  plus  rudes 
fatigues.  Plus  vous  entourerez  votre  roi  de  considération  et  de  respect, 
plus  vous  mettrez  entre  ses  mains  une  force  militaire  redoutable, 
plus  il  vous  sera  facile,  à  votre  plus  grand  honneur,  de  protéger  la 
liberté  de  l'Église  romaine,  et  d'affermir  en  Allemagne  cette  souve- 
raineté impériale  dont  l'éclat  rejaillit  sur  vous  tous  '.  » 

Celte  fois,  l'éloquence  de  Maximilien  '  coula  dans  tous  les  cœurs 
comme  de  l'or  fondu  •-■. 

«  Sa  Majesté  royale  »,  écrivait  à  son  maître  Eisehvolf  von  Stein, 
délégué  du  Brandebourg,  <  a  fait  un  long  discours  à  l'assemblée,  lui 
expliquant  ses  devoirs  et  les  siens.  Je  voudrais  que  Votre  Grâce  l'eût 

'  YvoGJL?,,  Ehrenspiegel,  1233-1235  —  Mullkr,  p.  549-553. — Voyez  la  proposition 
royale  à  la  diète  de  Constance  en  1507,  dans  lei  œuvres  posthumes  de  Spalatix, 
p.  204-223. 


522     EMPIRE    ROMAIN    (GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

entendue.  Les  États  ont  été  tellement  remués  par  sa  parole,  que  d'une 
seule  voix  ils  ont  accordé  à  Sa  Majesté  des  secours  de  tout  genre.  Or, 
jamais  le  Saint-Empire  n'en  eut  plus  besoin;  sur  ce  point,  tout  le 
monde  est  d'accord'.  »  Les  princes  témoignèrent  au  Roi  leur  respect 
et  leur  soumission  :  «  Plus  ils  occupent  un  rang  élevé  »,  écrivait  l'am- 
bassadeur vénitien  Vincent  Ouirini,  présent  à  la  diète  de  Constance, 
'  plus  ils  s'empressent  de  donner  des  marques  de  leur  générosité  et 
de  leur  obéissance.  Chacun  affirme,  et  on  le  voit  assez,  que  jamais 
roi  des  Homains  ne  fut  plus  respecté  ni  plus  obéi  que  Maximilien*.  » 

Pour  former  l'armée  d'Italie,  les  princes  s'engagèrent  à  fournir 
trois  mille  cavaliers  et  neuf  mille  hommes  de  pied.  Le  Roi  promit  en 
retour  de  régir  d'après  leur  conseil,  et  dans  l'intérêt  du  bien  public, 
les  pays  qu'il  pourrait  conquérir.  Il  s'engagea  également  h  admi- 
nistrer de  telle  sorte  les  terres,  domaines  et  seigneuries  qui  tom- 
beraient entre  ses  mains,  que  les  charges,  selon  toute  équité,  en 
seraient  à  jamais  ôtées  aux  Allemands  et  imposées  aux  autres  pays. 
De  cette  manière  l'Empereur  et  Roi  serait  désormais  magnifiquement 
entretenu,  sans  qu'il  en  coûtât  rien  à  la  nation. 

Les  Suisses  eux-mêmes  manifestèrent  tout  à  coup  l'intention  de 
redevenir  Allemands.  Le  Roi  les  ayant  assurés  qu'ils  ne  seraient 
soumis  ni  à  la  juridiction  de  la  Chambre  Impériale  ni  à  aucun  autre 
tribunal  souverain,  ils  promirent  de  ne  plus  causer  d'embarras  au 
Saint-Empire,  et  de  se  comporter  désormais  en  alliés  fidèles  et  obéis- 
sants. Ils  mirent  six  mille  hommes  à  la  disposition  de  Maximilien,  qui 
se  chargea  de  leur  solde.  Cette  armée,  selon  l'antique  usage,  devait 
escorter  l'Empereur  à  Rome,  sous  la  croix  blanche  de  ses  étendards. 

Ce  fut  un  «  heureux  temps  ".  ^Laximilien  se  laissait  aller  aux 
espérances  les  plus  brillantes.  Il  annonça  sa  prochaine  arrivée  au 
Pape  et  au  Sacré  Collège,  et  rappela  à  la  diète  «  que  le  jour  où  il 
avait  été  couronné  empereur,  il  avait  promis  à  Dieu,  par  un  vœu 
solennel,  de  diriger  en  personne  une  expédition  contre  les  Turcs ^  ». 

Mais  r«  heureux  temps  »  fut  de  courte  durée. 

A  la  nouvelle  des  préparatifs  de  guerre  qui  s'opéraient  en  Alle- 
magne, Louis  XII,  qui,  après  avoir  conquis  Gènes,  s'était  lentement 
replié  vers  les  Alpes,  laissa  sou  armée  se  disperser,  et  fit  assurer 
aux  États  par  ses  agents  secrets  qu'il  n'avait  nulle  intention 
d'inquiéter  l'Empire,  au  lieu  que  l'Empire  avait  au  contraire  tout  à 
redouter  de  Maximilien,  qui  ne  voulait   que  déposséder  les  élec- 

1  Voy.  DuoYSEN,  2'',  48,  456. 

-  Relation  de  Ouirini  du  28  avril  et  du  15  juin  1507,  publiée  par  Erdmanns- 
DÖRFFEii,  dans  les  Berichten  über  die  Verhandl.  dir  hönirjl.  sächsischen  Gesellschaft  der 
ll'issenschdften  zu  Leipsig,  t.  IX,  p.  61,  68. 

ä  Voy.  sur  les  néfîociations  de  la  diète  de  Constance  les  pièces  manuscrites 
de  la  Prank/iirls  Reichscorrespondenz^l.  II,  p.  702-741 


GrEniiE    VKMTIKNNi:.  523 

tcurs  pour  ajyrandirses  possessions.  «  II  ne  manqua  pas  non  plus  de 
faire  passer  aux  princes  de  fori  es  sommes  d'argent  '.  >' 

Au'îsi  leur  ardeur  belliqueuse  ne  tarda-t-elle  pas  à  se  refroidir. 
Sur  les  douze  mille  soldais  qui  devaient  composer  l'armée  impériale 
et  entrer  en  campa^yne  d(^s  le  milieu  d'octobre  1507,  à  peine  si 
quelques  centaines  d'hommes  s'étaient  présentés  au  mois  de  fé- 
vrier 1508.  Des  six  mille  Suisses  attendus,  le  Roi,  à  sa  grande  dou- 
leur, ne  vit  pas  arriver  un  seul  *!  Il  en  fut  donc  réduit  à  ne  compter 
en  fait  de  secours  que  sur  ses  Etats  héréditaires.  A  eux  seuls,  ses 
fidèles  Tyroliens  fournirent  cinq  mille  hommes  ^ 

GUERRES    d'iTALIE. 

En  février  1508,  l'Empereur,  avec  le  peu  de  troupes  dont  il  pou 
vait  disposer,  se  mit  en  marche  pour  l'Italie,  et  ayant  obtenu  l'assen- 
timent du  léjifat,  prit  à  Trieste,  au  milieu  de  cérémonies  solen- 
nelles, le  titre  d'  «  Empereur  romain  élu  ».  Il  n'entendait  par  là 
porter  aucune  atteinte  au  droit  exclusif  que  le  Souverain  Pontife 
avait  de  le  sacrer;  au  contraire,  il  était  résolu  à  continuer  son  voyage 
vers  l)0me,  et  à  s'y  faire  couronner  par  le  Pape  aussitôt  qu'il  aurait 
mis  les  Vénitiens  à  la  raison. 

Ceux-ci,  encouragés  et  soutenus  par  les  Français,  occupaient  les 
passages  d'Italie,  et  Maximilien,  malgré  l'inégalité  de  ses  forces,  se 
décida  à  entreprendre  la  campagne,  comptant  fermement  sur  les 
secours  promis  par  les  États.  «  Les  murailles  qui  s'opposent  à  nos 
desseins  sont  beaucoup  plus  dures  que  la  tête  du  Roi  >;,  écrit  l'un  de 
ses  conseillers  *;  «  cependant  il  se  jette  sur  elles  sans  prendre 
même  de  casque,  croyant  les  renverser  aussitôt.  Mais  il  ne  fait  que 
s'y  heurter,  et  les  revers  pleuvent  alors  sur  nous,  comme  nous  ne 
l'avons  que  trop  vu  dans  la  guerre  vénitienne.  "  Maximilien,  en  effet, 
en  son  ardeur  bouillante  et  chevaleresque,  manquait  souvent  de  ce 
sang-froid,  de  ce  coup  d'œil  impartial  qui  sait  établir  de  justes  rap- 
ports entre  le  but  à  atteindre  et  les  moyens  d'y  parvenir;  ses  parti- 
sans les  plus  enthousiastes  s'accordent  à  lui  reconnaître  ce  défaut. 

'  Voy.  le  mémoire  de  Jean  von  Lünen  dn  23  mai  1507,  dans  la  Franc/uris 
Rcichscorrcspondcuz.  t.  II,  p.  711,  el  les  Sources  citées  dans  la  note.  Louis  XII 
cherchait  "  con  la  mano  molto  liberale  a  temperare  la  ferocit  à  dell'  arma 
Tedescbe  con  la  potenlia  dell'  oro  -.  Gliccardim,  t.  VII,  p.  201. 

*  Voy.  le  mémoire  adressé  par  IMaximilien  au  duc  Erich  de  Brunswick,  dans 
la  Chronica  der  Kriegsliändel  Maximilians  gegen  l'enedigcr  und  Franzosen  de  GÖbler 
(Francfort,  1Ö66\  p.  12. 

^  Dès  le  18  août  1507,  Maximilien  juge  très-sévèrement  les  Suisses  dans  une 
lettre  adressée  à  sa  fille  Marguerite:  .  En  sumarum  ils  sonnt  méchans,  villains, 
prest  pour  traire  France  ou  Almaingnes.  •  Le  Glay,  Corresp.  de  Maximilien  I"  ci 
de  Marguerite  d'Autriche,  t.  I,  p.  7. 

*  Lettre  de  Pierre  vou  Aufsess  à  Jean  Cochlaeus,  24  fév.  1519. 


524    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIOUK,    SlTTATIOX    EXTÉRIEIRE. 

La  campagne  coütre  Venise  échoua;  les  Véniliens  s'emparèrent 
des  pays  de  Frioul  et  d'islrie,  ef  prirent  Trieste,  ainsi  que  plusieurs 
places  maritimes.  Le  comté  du  Tyrol  «  fut  sur  le  point  de  tomber  au 
pouvoir  de  l'ennemi  ".  En  même  temps,  la  France  excitait  le  duc 
Charles  Egmont  de  Gueldre  à  de  nouvelles  conquêtes,  et  menaçait  en 
basse  Bourgogne  les  États  héréditaires  de  Maximilien.  "  Dans  cette 
double  angoisse  »,  tolalement  abandonné  des  États  malgré  ses 
demandes  réitérées  de  secours,  l'Empereur  se  vit  forcé  de  réaliser  la 
menace  qu'il  avait  faite  en  1490.  Pour  sauvegarder  ses  intérêts  et 
ceux  du  Saint-Empire,  il  entra  en  accommodement  avec  le  roi  de 
France,  et  conclut  avec  lui,  le  pape  Jules  II  et  le  roi  Ferdinand 
d'Aragon,  la  ligue  de  Cambrai,  dirigée  surtout  contre  Venise,  la 
république  avide  de  conquêles,  d'honneurs  et  d'influence.  D'après 
les  conventions  des  alliés,  l'Empire  et  la  maison  d'Autriche  s'unis- 
saient pour  recouvrer,  en  réunissant  leurs  efforts,  toutes  les  posses- 
sions que  les  Vénitiens  leur  avaient  enlevées. 

La  ligue  de  Cambrai  eût  ouvert  d'heureuses  perspectives  à  l'Empe- 
reur pour  le  recouvrement  de  ses  provinces  si  les  États  eussent  voulu 
consentir  à  agir  contre  Venise. 

Mais  cà  la  diète  de  Worms,  qui  s'ouvrit  au  printemps  de  1509,  ils 
refusèrent  nettement  à  Maximilien  tout  ce  qu'il  demandait.  Les  caisses 
étaient  vides,  les  fortunes  épuisées,  disaient-ils;  ils  s'étaient  si  bien 
dépouillés  de  tout,  qu'à  l'heure  actuelle,  il  ne  leur  était  plus  possible 
d'aider  le  Roi  d'aucune  manière  ^  Puis,  à  les  entendre,  ils  n'étaient 
nullement  obligés  de  fournir  des  subsides;  le  Roi  avait  signé  des 
conventions  et  passé  des  traités  sans  leur  assentiment;  qui  sait  s'il 
ne  se  servirait  point  des  sommes  et  des  troupes  qu'il  réclamait  pour 
conduire  le  Saint-Empire  à  l'abime,  au  lieu  de  l'aider  â  reconquérir 
sou  ancien  prestige?  Quoiqu'ils  n'eussent  tenu  que  la  plus  petite 
partie  des  promesses  faites  à  Cologne  et  à  Constance,  ils  eurent 
l'audace  d'y  faire  allusion,  ajoutant  des  reproches  blessants  à 
l'adresse  de  l'Empereur,  reproches  qui  furent  d'autant  plus  amers 
à  celui-ci,  qu'il  venait  d'essuyer  une  plus  cruelle  défaite.  Ils  ne 
voyaient  pas,  dirent-ils,  les  avantages  que  cette  guerre  avait  procurés 
à  l'Empire;  la  nation  n'en  avait  recueilli  que  désastres,  dépenses  et 
affronts. 

Les  villes  surtout  ne  voulurent  fournir  aucun  secours. 

Depuis  l'avéuement  de  l'aristocratie  d'argent,  depuis  les  progrès 

'  Coccinius  érrivait  avec  raison  :  •  Parum  de  publico  solliciti  divitias  nostras 
profundiinus  ad  ina;;nificos  suniptus  et  ampla  a'dificia;  et  ubi  pro  honore  et 
imperio  publico  quid  esset  contribuendum,  penuriani  alleganius.  •  Fueher, 
t.  II,  p.  564. 


(;i: j:i!ni-:  vkmtie\\e.  525 

(oiijoiir.s  {jrandissüiils  du  c.'ipil.il,  les  cilés  avaient  de  plus  en  plus 
rcnonei'  à  leur  [)riinilive  et  ;<;(''uéreuse  j)()lilique,  â  ce  palriolisme  qui 
avail  éfé  jadis  la  vraie  source  de  leur  (jrandeur  et  de  leur  influence. 
Elles  claient  presque  exclusivement  dominées  par  des  vues  mercan- 
tiles, re{',ardaicn(  la  {juerre  vénitienne  comme  opposée  à  tous  leurs 
intérêts  commerciaux,  cl  par  conséquent  ne  voyaient  en  elle  qu'  «  une 
affreuse  calamité  ».  I)'ailleur.%  elles  en  voulaient  à  l'Empereur,  qui, 
trouvant  avec  trop  de  raison  (jue  leurs  compaj^uies  commerciales 
n'étaient  que  des  ligues  d;iii{jerouses  jtroduisaut  un  renchérissement 
général  dans  le  pays  et  exploitant  les  classes  laborieuses,  leur  avait 
toujours  opposé  une  énerjjique  résistance.  En  Souabe,  des  chefs 
militaires  faisaient  ouvertement  des  enrôlements  pour  le  compte  des 
Vénitiens,  et  conduisaient  en  Italie,  par  le  Tyrol,  les  troupes  qu'ils 
réussissaient  à  embaucher'. 

Aussi  était-ce  à  bon  droit  que  Maximilien  se  plaij^nait  des  ennemis 
que  l'Kmpire  nourrissait«  dans  son  propre  sein  ",  jjens  insouciants, 
disait-il,  '-  attachés  seulement  à  leurs  propres  intérêts,  ne  se  préoc- 
cupant pas  plus  de  l'honneur  de  l'Empire  que  de  celui  de  l'Empe- 
reur ".  «  Aucun  des  secours  qui  avaient  été  votés  à  Constance  et  à 
d'autres  diètes  »,  écrit-il  dans  une  lettre  justificative  adressée  aux 
États,  «  n'avait  été  fourni.  -^  Il  n'avait  éprouvé  qu'humiliations  et 
revers;  mais  les  États  devaient  seuls  porter  la  responsabilité  des 
malheurs  publics.  Avec  une  lenteur  dérisoire,  ils  avaient  fourni  des 
secours  tardil^  et  insuffisants;  l'Empereur  avait  exposé  sou  corps  et 
sa  vie,  ses  trésors,  ses  terres  et  ses  hommes,  pendant  que  la  plus 
grande  partie  des  députés  étaient  restés  tranquillement  chez  eux.  Ils 
avaient  par  leurs  promesses  engagé  le  Hoi  dans  son  entreprise;  mais 
bien  que  les  secours  votés  fussent  maigres  et  mesquins,  ils  les  avaient 
llvrésavec  tant  de  retard,  de  négligence,  et  si  imparfaitement,  qu'ils 
n'avaient  été  d'aucune  utilité,  ce  qui  avait  été  la  cause  de  l'épuisement 
des  trésors  du  Roi  et  de  la  perte  de  ses  terres  et  de  ses  hommes^. 

Craignant  que  les  Vénitiens  n'envahissent  les  pays  autrichiens 
comme  ils  avaient  menacé  de  le  faire,  Maximilien  quitta  Worms 
précipitamment,  afin  de  presser  les  armements  dans  ses  possessions  ^ 
Il  engagea  le  produit  des  douanes,  des  mines  et  d'autres  sources  de 
ses  revenus  héréditaires,  el  les  États  territoriaux  lui  fournirent, 
outre  cela,  certains  secours.  La  ligue  de  Cambrai  lui  vint  aussi  en 
aide  et  lui  fournit  d'importantes  sommes,  de  sorte  qu'il  parvint  à 

'  ScnÖN'HERR,  Der  Krieg  Kaiser  Mazimllian's  I  mit  Venedig.  1509,  p.  4.  (Vienne,  1876.) 
*  GOLDAST,  Politische  ReichsliUndel,  p.  400-i07.  —  Lu.\lG,  Heichsarchio,  î .  II,  p.  292- 
299. 

'  Voy.   SCHONHERR,    t.    U. 


526    EMPIRE    ROIMAIX    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

mettre  sur  pied  une  armée  de  15,000  hommes.  Il  eu  prit  le  comman- 
dement au  mois  de  juin  1509,  au  moment  même  où  les  Français 
venaient  de  remporter  la  brillante  victoire  d'Agnadel.  La  campagne 
s'annonça  d'abord  heureusement.  Piovercdo  et  les  pays  avoisinants 
se  soumirent.  Padoue  et  Vérone  s'empressèrent  d'ouvrir  leurs  portes. 
La  puissance  de  Venise  sur  le  continent  semblait  brisée.  Le  Frioul  et 
ristrie  étaient  occupés  par  les  troupes  allemandes.  Mais  les  Véni- 
tiens s'aperçurent  bientôt  que  l'Empereur  ne  recevait  aucun  secours 
des  États,  qu'il  était  isolé,  abandonné  à  lui-même;  dès  lors,  ils 
reprirent  courage.  Grâce  à  leurs  manœuvres,  à  l'argent  qu'ils  surent 
répandre  à  propos  de  tous  côtés,  ils  parvinrent  à  enlever  à  l'Empe- 
reur la  plus  grande  partie  des  territoires  et  des  villes  qu'il  venait  de 
recouvrer.  Padoue  retomba  en  leur  puissance. 

Cependant  Maximilien  restait  plein  de  confiance  dans  le  succès.  11 
résolut  de  mettre  le  siège  devant  Padoue;  mais  auparavant,  il  voulut 
passer  à  Bovolenta  la  revue  de  ses  troupes  (septembre  1509).  «  L'Empe- 
reur »,  écrit  un  témoin  oculaire,  «  portait  ce  jour-là  toute  son  armure 
et  s'était  paré  de  la  manière  la  plus  magnifique.  Il  montait  un  superbe 
étalon,  dont  la  houssine  était  de  velours  noir  brodé  d'or;  la  tète  et  le 
poitrail  du  noble  animal  étaient  ornés  de  riches  harnais  d'or  ciselé. 
La  cotte  d'armes  de  Maximilien  était  en  brocart  d'or  rayée  de  vert.  Il 
portait  un  chapeau  trauçais,  orné  de  précieux  joyaux  et  surmonté  d'un 
panache  blanc.  Derrière  lui  marchait  un  jeune  page  tenant  un  éten- 
dard blanc  déployé'.  Les  comtes,  seigneurs,  chevaliers,  accompagnés 
de  leurs  écuyers,  les  lansquenets,  les  Bourguignons,  les  Albanais,  les 
Français,  les  Italiens,  les  varlets  allemands,  tous  s'étaient  richement  et 
splendidement  parés  pour  cette  circonstance,  et  semblaient  fiers  de 
leurs  armures,  de  leurs  casques  ornés  de  panaches,  de  leurs  joyaux, 
de  leurs  chaînes  d'or,  des  houssines  de  leurs  chevaux.  Les  escadrons 
laissaient  flotter  au  vent  leurs  étendards,  et  défilaient  un  à  un  devant 
l'Empereur.  Il  y  avait  un  tel  plaisir  à  le  regarder  que  je  ne  saurais 
l'exprimer.  En  somme,  il  faut  bien  l'avouer,  ni  les  Welches,  ni  aucune 
autre  nation,  ne  peuvent,  sous  le  rapport  militaire,  se  comparer  aux 
Allemands.  »  Les  étrangers  présents  à  cette  revue,  le  cardinal  de 
Ferrare,  le  comte  Constantin,  de  Mantoue,  d'autres  encore,  jouirent 
vraiment  d'un  grand  spectacle,  et  semblaient  regarder  avea  une  par- 
ticulière complaisance  Sa  Majesté  Impériale.  Le  ciel  lui-même,  d'un 
azur  clair  et  radieux,  paraissait  être  «  bon  impérial  ». 

•'  L'Empereur  notre  sire  »,  continue  le  chroniqueur,  <  paraissait 
tout  joyeux.  Sa  Majesté  était  d'avis  que  si  tous  les  Vénitiens  et  les 

1  Relation  de  la  revue,  écrite  par  un  bourgeois  d'Inspruck  présent  à  la  revue. 
(Cette  revue  est  l'une  des  plus  anciennes,  peut-être  la  première  qui  soit  men- 
tionnée dans  l'histoire  d'Allemagne.)  Voy.  Schönueru,  p.  52-5i. 


GUEliKE    D'ITALIE.  527 

Turcs,  et  si  les  ennemis  du  monde  entier  se  fussent  présentés  en  ec 
mument,  il  les  eiU  taillés  eu  pièces  tort  aisément.  » 

Ce  pressenlimcnt  de  vicloire  ne  se  réalisa  malheureusement  pas. 
Maximilien,  avec  une  jjraiide  eiierjyie,  dirigeait  lui-même  le  bombar- 
dement de  Padoue;  il  aliVonlait  à  toute  heure  le  feu  ennemi,  et 
pressait  les  travaux  dans  les  tranchées,  mais  le  succès  ne  répondit 
pas  â  ses  efforts.  En  octobre,  il  se  vit  contraint  de  lever  le  siège  et 
de  licencier  la  plus  grande  partie  de  ses  troupes.  En  décembre,  il 
fut  forcé  de  reprendre  la  route  du  Tyrol. 

Malgré  les  pénibles  et  amères  expériences  du  passé,  il  se  résigna  à 
se  tourner  encore  une  fois  vers  les  États  dans  l'espoir  d'en  obtenir  des 
secours  pour  la  guerre  vénitienne  (diète  d'Augsbourg,  1510).  Il  retraça 
devant  l'assemblée  ses  sacrifices  personnels.  Il  dit  comment,  grâce  au 
bon  succès  de  ses  armes,  il  avait  heureusement  conquis  la  Bourgogne  e  t 
les  Pays-Bas;  comment  il  avait  étendu,  agrandi,  rétabli  ces  contrées 
dans  la  paix  et  la  sécurité;  comment,  d'autre  part,  pour  repousser 
les  infidèles,  il  avait,  par  ses  succès  militaires  et  en  exposant  sa  vie 
et  ses  biens,  obtenu  des  droits  héréditaires  sur  le  royaume  de  Hon- 
grie, cette  Hongrie  pour  laquelle  son  seigneur  et  père  défunt,  et 
tant  d'autres  souverains,  avaient  tant  souffert.  Et  afin,  ajouîa-t-il, 
que  les  Élats  ne  s'imaginassent  qu'il  ne  recommençait  l'entreprise 
que  dans  des  vues  personnelles  et  intéressées,  il  déclarait  être  tout 
disposé  à  conférer  avec  eux  et  les  princes,  afin  d'aviser,  après  miire 
délibération,  aux  meilleurs  moyens  d'utiliser  les  conquêtes  projetées, 
les  villes  et  territoires  qu'il  se  proposait  de  conquérir,  dans  l'intérêt 
du  Saint-Empire  et  de  la  maison  d'Autriche.  Tous  ensemble,  ils  déci- 
deraient sur  les  mesures  à  prendre  pour  les  conserver  toujours  à  la 
nation,  selon  le  droit  et  l'équité.  Il  s'entendrait  aussi  bénévolement  et 
amiablcment  avec  eux  sur  les  expéditions  futures,  afin  qu'elles  puissent 
tourner  au  profit,  à  la  gloire,  à  l'utilité,  au  progrès,  à  la  paix,  à  la 
sécurité  de  la  chrétienté,  du  Saint-Empire  et  de  la  nation  allemande.  Il 
engageait  les  États  à  examiner  avec  attention  l'étendue  de  leurs  devoirs 
envers  la  chrétienté  et  le  Saint-Empire,  car  la  cause  de  l'Empereur 
et  celle  de  l'Empire  étaient  celle  des  États,  comme  la  cause  des  États 
était  celle  de  l'Empire.  "  Tous,  selon  lui,  ne  devaient  être  qu'un  seul 
corps  et  qu'un  seul  vouloir  '.  » 

Cette  fois  les  États  promirent  six  mille  hommes  de  pied  et  dix- 
huit  cents  cavaliers;  mais  le  résultat  de  la  campagne  n'en  fut  pas 
meilleur;  l'expédition  de  1510  échoua  misérablement  par  la  faute 

•  FiaiicfwCs  lieichscorrespondem^  t.  II,  p.  787-79i. 


528    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

des  États.  Ainsi  que  Maximilien  s'en  plaignait  dans  la  circulaire  du 
20  mai  1511,  il  ne  reçut  que  la  plus  petite  partie  des  secours  promis 
à  Augsbourg,  et  encore  beaucoup  trop  tard.  -■  11  aurait  bien  sujet, 
disait-il,  d'user  enfin  de  rigueur;  comme  toujours,  la  bonté  de  son 
cœur  l'en  empêchait;  mais  il  avait  perdu  beaucoup  de  son  prestige 
aux  yeux  de  ses  amis  et  de  ses  ennemis  comme  chef  de  l'Empire  et 
de  la  nation  allemande.  Les  Vénitiens  avaient  repris  la  plus  grande 
partie  de  ce  qui  leur  avait  été  enlevé,  et  le  reste  était  lort  difficile 
à  conserver  avec  le  seul  secours  de  son  trésor  privé  et  de  ses  sujets 
autrichiens.  Maximilien  avouait  avoir  au  fond  de  Tàme  une  anxiété 
douloureuse;  il  tremblait  que  la  nation  allemande  n'abandonnât  cette 
gloire,  ce  grand  renom  que  par  tant  de  sanglants  combats  et  d'actions  M 
héroïques  les  ancêtres  avaient  acquis,  méprisant  ainsi  le  dévouement  ■ 
fidèle  de  l'Empereur,  ses  efforts,  ses  travaux,  le  sacrifice  de  sa  vie  et 
de  ses  biens.  "  -  En  Allemagne  ,  ajouta  l'Empereur,  .-  les  princes 
et  les  sujets  n'ont  pas  la  même  manière  de  voir  que  dans  les  autres 
nations,  ou  l'on  est  persuadé  que  l'honneur  et  la  gloire  du  souverain 
rejaillissent  sur  tous  les  citoyens,  et  accroissent  leur  propre  gloire 
et  leur  propre  bonheur  '.  » 

Malgré  ses  efforts  et  ses  reproches,  Maximilien  fut  abandonné  par 
les  États;  il  le  fut  aussi  de  ses  alliés.  Au  milieu  de  complications  poli- 
tiques inattendues,  d'alliances  changeantes,  la  guerre  d'Italie  conti- 
nua pendant  de  longues  années.  En  1513,  elle  était  devenue  si  géné- 
rale, que  le  Pape,  l'Empereur,  l'Espagne,  l'Angleterre  et  la  Suisse 
d'un  côté,  la  France,  Venise  et  l'Ecosse  de  l'autre,  étaient  aux  prises. 
"  Pendant  huit  ans  >',  écrivait  vers  la  fin  de  1515  le  cardinal  de  Sion 
à  Wolsey,  -  Maximilien  a  seul  persévéré  dans  cette  guerre;  il  y  a 
perdu  près  de  trois  cent  mille  ducats,  tant  contre  les  Français  que 
contre  les  Vénitiens.  Abandonné  du  Pape,  de  l'Empire,  de  l'Italie, 
il  a  mis  en  gage  tout  ce  qu'il  possédait,  ses  revenus,  ses  châteaux, 
ses  domaines,  toutes  ses  propriétés.  Son  courage  est  au-dessus  de 
tout  éloge.  Sa  persévérance  est  invincible,  sa  loyauté  inattaquable*.  " 

Le  Milanais,  que  les  Suisses  avaient  reconquis  depuis  peu, 
retourna  aux  Français  par  le  fait  de  leur  victoire  à  Marignan,  et 

'  Voy.  Ll.MG,  Itcichsarchiv,  t.  Xill,  p.  811-813.  —  \'oy.  Wiener  Jahrbücher  der  Lite- 
ratur, p.  99.  —  Anzei'jebL,  13,  U"  32.    —  Frankfurts  lieickscorrcspondenz,  t.  il,   p.  837. 

^Leiters  and  papers  forcign  and  domestic  of  the  reign  of  Henry  l'IIl,  vol.  II,  part.  I, 
n"  2661.  —  Voy.  liÖFLER,  Carl's  V,  H'ahl  zum  römischen  König.,  p.  2-3.  Lei  élO^es 
prodJ;<;ués  à  la  •  persévérance  et  à  la  loyauté  "  de  l'Linpereur  sont  d'ailleurs 
très-exagérés.  Auandonné  par  les  Étatj  au  moment  du  péril,  irrité  de  la  ruine 
de  ses  projets,  Ma.ximilien  ne  cliercha  que  trop  souvent  pendant  cette  longue  et 
désastreuse  campagne  à  conjurer  son  mauvais  sort  en  ayant  retours  aux  •  rusées 
pratiques  des  Welches  = ,  cependant  si  détestées  de  lui.  .Mais  il  fut  joué  par  ses 
ennemis  ou  ses  alliés,  beaucoup  plus  versés  dans  cet  art;  Haberlin  s'exprime  à 
ce  sujet  en  toute  franchise  (t.  X,  p.  159-161). 


DI  s  coin;  s    de    MAXIMII.IEN'    aux    lansquenets.  52D 

Fraoçois  ï",  vainqueur  et  dominateur  des  confédérés,  se  rendit  bien- 
tôt in;iitre  de  presque  toute  la  Lombardie. 

-Maxiinilien,  décidé  â  recouvrer  les  pays  italiens  perdus,  fit  un  der- 
nier appel  aux  ressources  de  l'Empire  '.  Mais  la  campagne  de  1516  lut 
encore  plus  désastreuse  que  les  précédentes.  Les  troupes  suisses  enrô- 
lées trahirent  l'Empereur,  et  les  lansquenets  allemands,  mécontents 
de  ne  pas  recevoir  leur  paye,  se  débandèrent.  «  Malgré  de  grandes 
dépenses,  des  frais  considérables  »,  dit  Georges  Kirchmair  dans  ses 
Mémoires,  «  Maximilien  échoua  dans  son  entreprise,  et  c'est  à  grand'- 
peine  qu'il  regagna  l'Allemagne.  Comme  tout  le  monde  le  sait,  il 
fut  contraint  de  passer  par  d'âpres  défilés  de  montagnes  au  gros 
de  l'hiver,  par  une  neige  abondante  et  profonde,  torturé,  mal- 
heureux jusqu'au  fond  de  l'ûme,  et  forcé  de  laisser  derrière  lui  les 
restes  de  sou  armée.  Si  la  grâce  de  Dieu  ne  reiit  visiblement  sou- 
tenu, jamais  Sa  Majesté  ne  serait  sortie  d'un  pareil  péril.  Avant 
de  se  séparer  des  Allemands  qu'il  laissait  en  Italie,  il  leur  parla 
comme  il  suit,  et  j'ai  vu  moi-même  les  preuves  authentiques  de 
ce  discours  :  —  Allemands  courageux,  dignes  de  louanges,  forts  et 
pleins  d'énergie,  comment  pourrais-je  attirer  votre  attention?  com- 
ment trouverais-je  le  chemin  de  votre  cœur?  Si  je  m'adresse  à  vous 
eu  ma  qualité  de  légitime  souverain,  peut-être  mon  discours  sera-t-il 
mal  accueilli;  et  pourtant,  si  maintenant  encore  je  suis  votre  maître, 
mon  autorité  est-elle  la  mienne?  JN'est-clle  pas  celle  de  Dieu?  Si 
vous  êtes  impitoyables  pour  moi,  pensez  du  moins  à  l'honneur  de 
la  nation,  car  vous  êtes  des  lansquenets,  non  des  Suisses!  Donc, 
craignez  Dieu,  craignez  la  réprobation  du  monde  entier!  Avez-vous 
déjà  oublié  ce  que  je  vous  ai  tant  répété?  M'en  voulez-vous  si  fort 
parce  que,  pendant  un  petit  espace  de  temps,  je  n'ai  pu  m'acquitter 
envers  vous?  Dieu  le  sait,  je  n'en  suis  pas  responsable!  C'est  la  faute 
d'autres  personnes  que  je  neveux  pas  nommer  ici,  et  vous  eu  savez 
la  raison.  Puis-je  être  partout  à  la  fois?  Vous  voyez  les  dépenses 
([lie  j'ai  faites  pour  soutenir  l'honneur  de  l'Allemagne.  Certes,  je 
n'ai  pas  épargné  ma  propre  vie,  je  l'ai  exposée  sans  cesse.  Vous 
savez  aussi  que  j'ai  été  indignement  trahi  par  les  Suisses,  et,  quant 
au  secours  que  vous  m'avez  apporté,  vous  êtes  témoins  qu'il  n'a 
occasionné  que  d'énormes  dépenses.  O  chers  Allemands,  loyaux 
lansquenets,  souvenez-vous  de  votre  vaillance!  Vous  n'êtes  pas  de 
ceux  qui  ne  combattent  que  par  intérêt;  vous  avez  souci  de  l'hon- 
neur! Rendez-moi  justice,  souvenez-vous  que  je  suis  toujours  votre 

'  François  I"  avait  conquis  le  Milanais  à  l'aide  de  cavaliers  et  de  lansquenets 
allemands,  et  continua  avec  eux  sa  guerre  contre  l'Empire.  —  Voy.  le  mandat 
de  Maximilien  du  16  janvier  1516  dans  la  Franlfuris  heichscorrespondenz,  t.  II, 
p.  902,  n°  1142. 

34 


530    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

fidèle  guide  et  capitaine,  et  que  j'aime  votre  honneur  plus  encore 
que  le  mien  propre!  Je  vous  en  conjure,  montrez-vous  fermes, 
soyez  hommes!  Bien  que  je  n'aie  pas  ici  d'argent  monnayé,  je  suis 
tout  prêt,  afin  que  vous  ne  doutiez  pas  de  ma  bonne  volonté,  à 
vous  abandonner  ma  vaisselle  d'argent,  mes  joyaux,  mes  meubles, 
et  je  vous  prie  de  les  accepter  de  bon  cœur!  —  Sa  Majesté,  poursuit 
Kirchmair,  a  dit  encore  aux  lansquencis  beaucoup  d'autres  belles 
choses,  et  cependant  ils  ne  se  sont  pas  montrés  plus  accommo- 
dants. N'est-il  pas  lamentable  de  voir  que  les  Allemands  aient  ainsi 
outrageusement  traité  leur  maître,  chose  inouïe  jusque-là  parmi 
nous?  1' 

L'Empereur,  abandonné  par  ses  sujets,  ayant  complètement  épuisé 
les  ressources  d'hommes  et  d'argent  de  ses  domaines  relira  cepen 
dant  quelques  faibles  avantages  des  longues  campagnes  d'Italie. 
Hoveredo  fut  reprise,  et  quelques  terriloires  du  Frioul  reconquis;  de 
plus,  il  toucha  400,000  ducats  d'indemnités  de  guerre.  Mais  Brescia 
et  Vérone,  ces  portes  de  l'Italie,  tombèrent  au  pouvoir  des  Véni- 
tiens. "  Cette  guerre  »,  dit  Kirchmair  en  terminant,  «  a  si  mal 
(ourné  et  s'est  achevée  avec  si  peu  de  profit  pour  Sa  Majesté  Impé- 
riale, que  l'expédition  de  Uome  et  le  couronnement  sont  mainte- 
nant devenus  impossibles.  Aussi  depuis  ce  temps  l'Empereur  est-il  de 
plus  en  plus  découragé  *.  » 

CROISADE   PROJETÉE. 

Mais  il  n'en  était  pas  ainsi.  Malgré  les  amertumes  dont  il  était 
abreuvé,  malgré  les  fatigues,  les  pertes  subies ^  l'Empereur  conser- 
vait un  courage  invincible.  Tout  vieux  qu'il  était,  il  gardait  encore    j 
au  cœur  l'ambition  de  sa  première  jeunesse,  rêvant  toujours  d'unir   | 
tous  les  peuples  chrétiens  sous  la  conduite  de  "  l'Empereur  romain 
de  nation  germanique  «,  et  de  chasser  les  Turcs  de  l'Europe. 

Depuis  que  le  sultan  Sélim  I",  chef  habile  et  puissant,  était  monté  j 
sur  le  trône  ottoman,  les  plans  de  Mahomet  avaient  été  repris,  et  les  ! 
armées  turques  menaçaient  de  ruine  et  d'extermination  la  chrétienté  ] 
tout  entière.  Pour  acquérir  l'empire  de  la  mer,  Sélim  avait  fait  |; 
construire  une  flotte  de  cinq  cents  vaisseaux;  le  Kurdistan  avait  été  j 
conquis,  la  Mésopotamie  soumise,  le  puissant  empire  des  mameluks  ; 
comprenant  l'Egypte,  la  Syrie  et  la  Palestine,  venait  d'être  détruit.  | 
Sélim  était  entré  au  Caire  en  triomphateur  (31  janvier  1517);  Alger  j 
était  au  pouvoir  des  infidèles;  les  ports  italiens  avaient  été  pillés  et  i 

j 

1  Dans  les  Fouies  rerum  Ausl.  acn'pit.,  t.  I,  p.  436-439.  , 

s  Voyez  la  relation  de  Maximilicn  du  17  août  1517  dans  la  Franh/urts  ReUhscor- 
respondenz,  t.  II,  p.  9i4. 


CltOISADK    l'UO.IKTKE.  531 

rava^yés.  En  Hongrie,  le  péril  croissait  toujours;  la  Carniole,  la 
S(yrie,  la  Carindiie,  l'Autriche  étaient  livrées  sans  défense  aux 
bandes  féroces  des  infidèles.  <  La  croisade  ",  disait  avec  raison  Maxi- 
niilien,  «  est  plus  que  jamais  un  devoir  imprescriptible,  qui  s'impose 
à  (ous  les  États  chrétiens.  » 

L'expulsion  des  Turcs,  l'espérance  de  partager  leur  empire  devait 
aussi,  dans  la  pensée  de  Maximilien,  servir  à  équilibrer  les  divers 
intérêts  des  puissances  chrétiennes.  Au  congrès  de  Cambray  fl517), 
rEmpcreur  et  les  rois  de  France  et  d'Espagne  eurent  ensemble  de 
longs  pourpalers;  un  plan  de  partage  de  tout  l'Empire  ottoman  entre 
les  peuples  chrétiens  fut  présente  à  rassemblée.  Maximilien,  en 
paroles  ardentes,  conjura  Léon  X,  qui  déjà  avait  soutenu  la  Hongrie 
dans  sa  résistance  contre  les  Turcs,  de  prendre  l'initiative  d'une  croi- 
sade nouvelle  '.  Ouant  à  lui,  si,  à  l'âge  où  l'on  sait  à  peine  ce  que 
c'est  que  la  guerre,  il  avait  ardemment  souhaité  de  chasser  d'Europe 
tous  les  ennemis  de  la  foi,  maintenant,  vieux,  mûri  par  l'expérience, 
tout  sou  désir  était  de  mettre  son  expérience  et  son  savoir  au  service 
des  chrétiens  opprimés. 

Au  mois  de  mars  1617,  le  concile  de  Latran,  réuni  à  Rome,  se  décida 
à  proclamer  une  croisade  générale.  Elle  devait  durer  cinq  ans,  et, 
pendant  ce  temps,  trêve  devait  être  faite  à  toute  querelle  entre  les 
princes  chrétiens.  Le  Souverain  Pontife  proposa  tout  un  plan  de 
campagne.  Pour  couvrir  les  8,000  ducats  indispensables  aux  frais 
généraux  de  la  guerre,  il  demandait  à  tous  les  membres  du  clergé 
de  donner  soit  le  dixième,  soit  le  tiers,  soit'le  quart  de  leurs  revenus; 
les  nobles  en  donneraient  le  quart,  les  bourgeois  le  vingtième;  le 
Pape  laissait  aux  princes  la  hberté  de  fixer  eux-mêmes  la  part  qu'ils 
devaient  fournir,  s'en  rapportant  à  leur  sagesse  et  à  leur  libéralité^. 
L'Empereur,  le  roi  de  France,  la  plupart  des  souverains  européens 
donnèrent  leur  assentiment  aux  propositions  papales.  Mais  Maximi- 
lien fut  d'avis  de  ne  s'engager  qu'à  une  campagne  de  trois  ans  : 
"  Pendant  la  première  année  ",  dit-il,  t  nous  nous  emparerons  des 
possessions  africaines;  dans  la  seconde,  les  provinces  européennes 
que  le  sultan  nous  a  ravies  seront  reconquises;  dans  la  troisième, 
nous  reprendrons  Constantinople.  Quant  aux  petits  États  asiatiques, 
ils  tomberont  d'eux-mêmes  entre  les  mains  des  vainqueurs. 

Satisfait  des  dispositions  et  de  la  «  merveilleuse  entente  >  des  puis- 
sances chrétiennes,  Léon  X  proclama,  le  13  mars  1518,  la  croisade 
générale  et  la  trêve  de  cinq  ans,  et  fit  remettre  à  l'Empereur,  pro- 
tecteur-né de  la  chrétienté  et  généralissime  de  l'expédition  contre 

1  Raynaldi  Annales  ad  a.  1517,  n"  2-5. 
2iti</.,n°  16-55. 

34. 


532    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

les  infidèles,  une  armure,  un  casque  et  un  glaive  bénits,  que  le 
cardinal  légat,  Caietan,  fut  chargé  de  lui  remettre  en  grande  pompe 
à  l'ouverture  de  la  diète  d'Augsbourg. 

ce  La  plus  grande  espérance  de  la  chrétienté  »,   dit  Maximilien 
dans  la  lettre  circulaire  qui  appelait  les  États  à  cette  diète,  «  repose 
maintenant  sur  la  nation  allemande.  IMontrez  donc  l'obéissance  que 
vous  nous  devez,  et  ne  donnez  sujet  ni  au  Saint-Empire,  ni  à  l'Alle- 
magne, ni  surtout  à  la  sainte  chrélienté,  de  vous  accuser  d'avoir 
mis  obstacle  à  la  grande  expédition  qui  se  prépare  '.  »  Il  espérait 
fermement  que  les  États  lui  fourniraient  le  moyen  de  la  mettre  à 
exécution.  Le  1"'  aoi\t  1518  eut  lieu  la  remise  de  l'armure  bénite. 
«  Toi  seul  »,  dit  le  cardinal  légat  dans  son  allocution  à  l'Empe- 
reur, «  toi  seul  portes  le  nom  de  protecteur  et  de  gardien  de  l'Église. 
L'état  des  choses  réclame  impérieusement  que  tes  actes  répondent  à 
de  si  augustes  titres.  Les  yeux  de  tous  les  chrétiens  sont  fixés  sur 
toi;  tous  espèrent  que  tu  porteras  la  main  à  ton  glaive,  tous  savent 
que  tu  le  lèveras  contre  les  ennemis  du  Seigneur.  Puisse  ton  bras, 
fortifié  par  le  Tout-Puissant,  châtier  la  fureur  et  la  cruauté  des  infi- 
dèles! »  L'Empereur  répondit  qu'il  prenait  la  sainte  armure  des  mains 
du  prélat  avec  un  cœur  rempli  de  reconnaissance.  Sacrifier  ses  biens, 
exposer  sa  vie  pour  le  Saint-Siège  et  le  saint  de  la  chrétienté,  avait 
été,  dès  ses  premières  années,  son  vœu  le  plus  ardent.  S'il  n  avait 
plus  maintenant  cette  brillante  jeunesse,  ce  corps  vigoureux  que 
semblait  réclamer  une  entreprise  si  grande  et  si  sainte,  protégé  par 
le  casque  du  Saint-Esprit-  et  l'épée  de  la  foi,  il  prendrait  du  moins 
part  à  la  campagne.  La  croisade  était  devenue  inévitable,  et  il  la  com- 
mençait avec  un  ferme  et  indomptable  courage.  En  effet,  il  avait  écrit 
au  Pape  peu  de  temps  auparavant  :  «  J'obéirai;  je  fais  avec  joie  le 
sacrifice  de  mes  biens  et  de  mon  sang.  Déjà,  d'un  pas  rapide,  je 
m'approche  de  la  vieillesse,  mais  je  ne  souffrirai  pas  qu'elle  ralentisse 
ma  course!  Et  si,  pour  le  Christ,  j'étais  appelé  à  souffrir  une  mort 
digne  d'envie,  j'espère  aller  revivre  au  ciel  dans  la  gloire  éternelle 
du  paradis.  » 

Le  cardinal  légat,  dans  un  brillant  discours,  énuméra  les  raisons 
qui  rendaient  la  croisade  impérieusement  nécessaire.  «  La  religion  et 
l'humanité  »,  dit-il,  «  se  jettent  en  suppliantes  aux  pieds  de  l'Alle- 
magne. Tous  les  yeux  sont  fixés  sur  l'aigle  de  Maximilien;  le  salut 
du  monde  ne  peut  venir  que  de  l'Empereur  romain.  Si  vous  l'aban- 
donnez, vous  vous  abandonnez  vous-mêmes,  car  l'Allemagne,  plus 
que  tout  autre  pays,  représente  pour  les  Turcs  les  frontières  avancées 
de  l'Europe.  Leurs  galères,  il  est  vrai,  atteignent  plus  promptement 

'  circulaire   du  9   février   1518    dans   la  Frankfurts  Ilcichscorrespondenz,   t.   II, 
p.  956-959. 


LES    |';TATS    KEKISENT    des    SECOi;i!S    F'OLU    LA    CROISADE.    Ö33 

ril.ilie,  mais  en  revanclic  leurs  armées  de  terre  sont  bien  autre- 
mont  à  redouter,  car  c'est  en  elles,  comme  chacun  sait,  que  réside 
leur  force  principale.  L'Allemajjne  sera  ouverte  aux  libres  incur- 
sions des  infidöles,  si  nous  ne  protégeons  et  ne  sauvons  ses  boule- 
vards, c'est-à-dire  la  Carniole,  la  Carinthie,  la  Slyrie,  la  Croatie  et  la 
Uongvie.  Si  dès  maintenant  vous  ne  vous  décidez  à  entreprendre  la 
croisade,  si  vous  la  remettez  à  plus  tard,  la  chrétienté  perdra  cou- 
rage! Oue  ferons-nous  donc,  nous  autres,  diraient  les  princes  chré- 
tiens, si  l'Allemagne,  qui  est  en  possession  de  la  dignité  impériale 
et  doit  par  conséquent  protéger  l'Église,  hésite,  et  remet  sa  décision 
d'une  dièfe  à  l'autre?  Ainsi,  ce  qu'à  Dieu  ne  plaise,  vos  retards  pré- 
pareraient la  ruine  générale.  " 

Pour  réunir  les  troupes  nécessaires  et  couvrir  les  frais  de  la  cam- 
pagne, le  cardinal  légat  proposait  que  les  prêtres  donnassent  le 
dixième  de  leur  revenu  annuel;  les  riches,  le  vingtième;  les  gens  de 
petites  ressources,  le  cinquantième.  Ouant  à  la  manière  de  lever  et 
de  conserver  les  impôts  sans  que  les  agents  préposés  à  cette  besogne 
pussent  réclamer  quelque  chose  pour  eux;  quant  à  la  surveillance  à 
exercer  pour  que  l'argent  recueilli  soit  uniquement  employé  à  couvrir 
les  frais  de  guerre,  et  que  cet  argent  soit  loyalement  remboursé  à 
chacun  au  cas  où  la  croisade  ne  pourrait  s'effectuer,  le  légat  s'en 
rapportait  entièrement  aux  Allemands  :  =•  Le  siège  apostolique  ', 
dit-il,  «  entend  ne  se  mêler  aucunement  des  fonds  militaires;  de 
tout  l'argent  voté,  il  ne  réclame  absolument  rien  pour  lui-même, 
quoi  qu'en  puissent  dire  les  faux  rapports  qu'on  s'efforce  de  répandre 
à  ce  sujet  '.  » 

L'Empereur  et  les  ambassadeurs  polonais  soutinrent  avec  chaleur 
les  propositions  du  légat,  mais  les  États  les  repoussèrent.  Au  milieu 
de  tous  leurs  prétextes,  ils  adoptèrent  une  méthode  nouvelle,  bien 
souvent  reprise  depuis,  et  qui  servit  toujours  à  colorer  leurs  refus.  Ils 
revinrent  sur  tous  les  griefs  de  l'Empire  contre  le  Saint-Siège,  et 
recommencèrent  à  ce  sujet  de  stériles  récriminations.  Les  bruits  alar- 
mants qui  se  répSndirent  pendant  la  diète  sur  le  retour  de  Selim  à 
Constantinople,  sur  ses  effrayants  préparatifs,  sur  le  débarquement 

'  Le  discours  du  légat  -â  aoiU)  se  trouve  dans  Böcking,  l'ir,  Huiie/i  Opp,  t.  V, 
p.  162-167.  "  La  nécessité  de  se  défendre  contre  les  Turcs,  dit  He^ewisch 
(t.  II,  p.  159),  était  devenue  tellement  évidente  par  l'accroissement  constant 
de  la  puissance  de  cet  ennemi  et  le  péril  imminent  de  la  Hongrie  comme  de 
l'Italie,  qu'il  était  puéril  de  revenir  sur  les  griefs  qu'on  croyait  avoir  contre 
la  cour  romaine.  Les  ambassadeurs  du  Saint-Siége  ayant  si  solennellement 
déclaré  que  pour  éloigner  tout  soupçon,  ils  ne  voulaient  rien  avoir  à  faire 
avec  la  caisse  qu'ils  se  proposaient  d'établir  pour  couvrir  les  frais  de  la  cam- 
pagne, rien  ne  donnait  le  droit  de  mettre  en  doute  la  loyauté  de  leurs  assu- 
rances. • 


534    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

des  corsaires  turcs  à  Gaëte,  sur  l'attaque  de  Belgrade,  ne  troublaient 
aucunement  les  princes.  Ce  n'était  là,  disaient-ils,  que  des  contes 
inventés  à  plaisir  pour  extorquer  de  l'argent  allemand.  Un  suppliant 
appel  de  secours  que  leur  firent  parvenir  les  habitants  des  pays 
héréditaires  d'Autriche,  les  toucha  tout  aussi  peu.  «  La  Carniole, 
la  Styrie,  la  Carinthie,  l'Autriche  «,  écrivaient  le  4  septembre  à 
Francfort  les  délégués  de  cette  ville,  «  ont  envoyé  aux  États  une 
lettre  émouvante,  implorant  d'eux  des  moyens  de  salut  en  termes 
pleins  de  sincérité  et  de  douleur.  Ils  racontent  les  désastres  que 
depuis  si  longtemps  les  Turcs  font  subir  à  leur  malheureux  pays;  ils 
disent  comment  les  infidèles  ont  incendié  la  Croatie,  ravageant 
tout  sur  leur  passage,  si  bien  que  presque  tous  les  comtes  du  pays 
sont  devenus  leurs  tributaires.  Les  Turcs  relèvent  les  châteaux  el  les 
forteresses  qu'eux-mêmes  viennent  de  détruire  et  de  raser,  et  les 
mettent  en  état  de  défense,  de  sorte  qu'il  est  à  craindre  que  si  l'on 
ne  s'oppose  à  temps  à  leurs  desseins,- jls  ne  paraissent  bientôt  en 
Bavière  et  en  Souabe.  Les  princes  et  les  électeurs  ont  donné  à  ces 
populations  malheureuses  d'unanimes  marques  d'intérêt;  mais  dès 
qu'il  s'est  agit  de  débourser,  chacun  s'est  excusé  '.  '> 

Tout  ce  qu'on  put  obtenir  des  États  relativement  à  la  croisade, 
ce  fut  une  promesse  véritablement  dérisoire,  eu  égard  aux  néces- 
sités urgentes  du  moment.  Ils  consentaient  à  ce  que,  pendant  trois 
années  consécutives,  toutes  les  personnes  qui  s'approcheraient  de  la 
communion  s'engageassent  à  donner  annuellement  au  moins  un  floriu 
et  demi.  Les  sommes  ainsi  obtenues  devaient  être  confiées  au  gou- 
vernement jusqu'au  moment  de  l'expédition. 

Même  pour  de  si  insignifiantes  offres,  les  princes  déclaraient 
ne  pouvoir  rien  décider  avant  d'avoir  consulté  leurs  sujets  ^  Quant 
à  l'argent  déjà  versé,  à  la  nomination  des  commandants  militaires, 
ils  ajournèrent  les  discussions  et  autres  questions  importantes  rela- 
tives à  l'expédition  turque  jusqu'à  la  prochaine  dièle^  "  Autrement 
dit,  aux  calendes  grecques  »,  écrivaient  les  délégués  de  Francfort, 
u  Dieuveuille  »i,  ajoutaient-ils,  «  que  tout  ceci  produise  quelque  bien!  » 
Peu  d'années  après,  Belgrade  et  l'île  de  Rhodes,*  ces  deux  princi- 
paux boulevards  de  l'Europe  chrétienne,  tombaient  entre  les  mains 
des  Turcs,  et  les  événements  ne  justifiaient  que  trop  les  anxiétés  et 
les  pressentiments  du  Pape  et  de  l'Empereur.  On  ne  se  trompait  pas 
en  affirmant  «  qu'avant  dix  ans  la  puissance  ottomane  aurait  posé  le 
siège  devant  Vienne  ». 

'  Frankfurts  lieichscorrespondcnz,  t.  Il,  p.  982. 

*  Voyez  ces  négociations  dans  la  FrmJ.furts  Reichscorrespondcuz,  t.  II,  p.  OSij-O'JS. 

^  Arrêt  impérial  de  la  diète  d'Augsboiirg  dans  la  Xeue  Sammlung  der  Hciclisabs- 

ckiede,  t.  II,  p.  168-169. 


DKIîNIEnS    PLANS    I)  i:    1!  K  F  0  I!  M  I'    DE    M  WIM  I  LI  F.  N.  535 

Tous  les  esprits  clairvoyants  s'apercevaient  de  Timminence  du 
péril.  .Mais  les  membres  des  Élats  ne  voyaient  jamais  plus  loin  que 
les  bornes  de  leurs  domaines.  -  Chacun  d'eux  ,  dit  un  observateur 
conicmporain,  «  oiU  volontiers  consenti  à  perdre  un  œil  s'il  eiU  pu 
espérer  que  son  voisin  en  perdit  deux'.  » 

DERNIERS    PLANS    DE   RÉFORME   DE    l'eMPEREUR. 

Les  Ktats  se  montrèrent  tout  aussi  égoïstes  et  négligents  dans 
les  questions  intérieures  qui  touchaient  à  la  sécurité  générale  de 
l'Empire.  En  dépit  des  efforts  de  Maximilien,  et  malgré  le  zèle  inlVi- 
îigable  qu'il  apportait  à  élaborer  sans  cesse  de  nouveaux  plans  de 
réforme,  les  diètes  se  passaient  à  former  des  résolutions  qui  n'abou- 
tissaient à  rien,  ou  à  de  très-insignifiants  résultats. 

Pendant  la  diète  d'Augsbourg  (1510),  l'Empereur  représenta 
encore  une  fois  aux  États  que  le  maintien  de  la  paix  et  de  la  justice 
lui  était  impossible  sans  "  leur  secours  et  leur  appui  ".  "  Car  la 
paix  et  la  justice  veulent  un  pouvoir  exécutif,  et.ce  pouvoir  ne  peut 
être  exercé  sans  nécessiter  de  grandes  dépenses.  Or  Sa  Majesté 
déclare  ne  plus  être  en  état  de  les  supporter  seule  après  tout  ce  qu'elle 
a  fait  pour  l'Empire  dans  les  campagnes  passées  et  présentes. 
Maximilien  demandait  donc  que  les  ordonnances  votées  à  Worms 
et  à  Augsbourg  en  li95  et  1500  touchant  le  denier  commun  et 
les  taxes  imposées  à  tous  d'après  les  cadres  paroissiaux,  fussent 
reprises,  et  enfin  obéies.  Mais,  sur  ce  point,  les  États  se  montrèrent 
intraitables.  "  Les  ordonnances  de  Worms  ',  dirent-ils,  -  avaient 
été  regardées  comme  non  avenues  pour  beaucoup  de  motifs;  et 
comme  ces  motifs,  loin  d'avoir  disparu,  s'étaient  multipliés,  il  était 
absolument  «  superflu  »  de  revenir  sur  cette  question.  «  L'Empereur 
leur  soumit  alors  un  plan  d'organisation  militaire  ayant  pour  base 
la  contribution  matriculaire  de  l'État,  et  calculé  pour  préparer  les 
cadres  d'un  contingent  perpétuel,  pouvant,  suivant  les  besoins  des 
temps,  s'élever  de  raille  à  cinquante  mille  hommes.  Chaque  territoire 
chaque  sujet  devait  être  équitablement  taxé  d'après  son  revenu.  La 
maison  d'Autriche  supporterait  les  mêmes  charges  que  le  Saint- 
Empire,  mais  les  pays  allemands  de  leur  côté  seraient  tenus  à  ne 
pas  faire  moins  qu'elle.  On  n'aurait  à  fournir  ce  contingent  mili- 
taire que  lorsque  les  besoins  de  l'Empire  réclameraient  les  sacri- 
fices de  tous,  et  aussi  longtemps  que  la  nécessité  le  demanderait 
et  s'imposerait  à  tous  les  territoires.  Les  princes,  les  prélats,  les 
comtes,  les  cités,   répartiraient   le   chiffre   de    soldats  qui  serait 

'  Voyez  cette  citation  dans  Droysen,  2,  B.  76. 


536    EMPIRE    ROMAIN    CERMANIOUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

indiqué,  entre  tous  leurs  subordonnés,  afin  que  la  charge  soit  équi- 
tabiement  partagée.  <=  Un  tel  arrangement  n'a  rien  d'impossible  et 
peut  s'effectuer  sans  grands  frais  =;,  disaitl'Empereur;  -^  et  lorsque  les 
ennemis  de  l'Empire  entendront  parler  de  la  concorde  qui  règne 
entre  le  souverain  et  l'Empire  germanique,  lorsqu'ils  sauront  le 
mutuel  appui  qu'ils  se  prêtent,  ils  cesseront  certainement  de  nous 
menacer.  Ces  (roupes  permanentes  ne  serviront  d'ailleurs  qu'au  main- 
tien et  à  la  défense  du  pays,  et  ne  seront  jamais  employées  à  com- 
battre les  ennemis  personnels  du  souverain;  elles  se  borneront  à 
maintenir  la  paix  du  dedans,  à  châtier  les  perturbateurs  de-l'ordre 
et  à  faire  exécuter  les  arrêts  de  la  Chambre  Impériale.  ;  Un  comité 
particulier,  organisé  par  l'Empereur  et  les  États,  devait,  à  cet  effet, 
siéger  au  tribunal  et  prendre  toutes  les  mesures  nécessaires. 

Maximilien  était  persuadé  qu'une  organisation  militaire  perma- 
nente, mettant  un  pouvoir  exécutif  entre  les  mains  du  gouvernement, 
pourrait  seule  sauvegarder  la  dignité  du  souverain,  qu'elle  serait 
avantageuse  au  Saint- Empire,  redoutable  aux  rebelles  et  funeste 
aux  ennemis  du  dehors.  :\]ais  les  États  ne  consentirent  à  entrer  sur 
ce  point  dans  aucune  discussion;  ils  promirent  seulement  de  prendre 
en  considération  «  ce  dessein  quelque  peu  hardi  ;;,  afin  d'en  donner 
leur  avis  à  la  diète  prochaine  '. 

Cette  diète  s'ouvrit  à  Trêves  en  1512,  et  fut  ensuite  transférée  à 
Cologne.  Les  États  commencèrent  par  écarter  le  plan  militaire  de 
Maximilien.  En  revanche,  la  réorganisation  de  l'Empire  fondée  sur 
la  division  des  divers  territoires  en  dix  cercles  se  consolida.  Déjà,  à  la 
diète  d'Augsbourg  (1500),  ce  partage  avait  été  fait,  et  les  six  cercles 
suivants  organisés  :  Franconie,  Bavière,  Souabe,  Haut-Rhin,  West- 
phalie  et  Basse-Saxe-.  Les  domaines  impériaux  et  les  terres  électorales 
allaient  maintenant  en  former  quatre  autres  :  la  Saxe  et  le  Brande- 
bourg avec  leurs  maisons  princières;  les  quatre  États  électifs  du  Uhin, 
les  pays  autrichiens,  et  enfin  ceux  de  la  succession  bourguignonne. 
Ces  divisions  tracées  par  ISÎaximilien  correspondaient  parfaitement 
à  la  nature  des  choses,  et  il  eût  été  presque  impossible  de  les  mieux 
définir. 

Chaque  cercle  devait  être  mis  en  possession  d'un  pouvoir  exé- 
cutif composé  d'un  gouverneur,  ayant  sous  sa  direction  des  con- 
seillers, chargés  de  veiller  au  maintien  de  la  paix,  à  la  soumission 
des  fauteurs  de  troubles  et  à  l'exécution  des  arrêts  portés  par  la 
Chambre  Impériale.  Mais  dans  les  cas  graves,  là  où  l'assistance  des 

'  Voyez  les  délibérations  de  la  dièle  d'Augsbourg  dans  la  F ranlcfuris  Reichscor- 
respondcnz,  t.  II,  p.  807-823. 

*  Ces  cercles  furent  ensuite  désignés  sous  le  nom  de  «  six  anciens  cercles  » 
(sex  pristini  circuli). 


DERNIERS    PLANS    DE    RÉFORME    DE    MAXIMILIEN.  537 

pouvoirs  locaux  serait  insuffisaii(e,  lc{]Ouvcrncur  du  cercle  devait  en 
appeler  ä  l'Empereur,  qui  alors  réunirait  les  Klals  du  royaume,  et 
prendrait  avec  eux  les  mesures  nécessaires.  l'our  la  nomination  du 
(jouverneur  et  des  conseillers  de  cercles,  l'Empereur  eiU  voulu  se 
réserver  un  droit  de  vote  ou  de  sanction;  mais  les  États  se  hâtèrent 
de  repousser  une  pareille  prétention.  Ils  rejclèrent  également  la 
proposition  de  Maximilien,  qui  pour  compléter  Torj-T^anisation  mili- 
taire, voulait  établir  au-dessus  de  tous  les  gouverneurs  de  cercles 
un  connétable  qui  se  (ÏU  mis  sous  ses  ordres,  en  cas  de  guerre  avec 
l'étranger. 

Maximilien  revint  encore  sur  le  conseil  aulique  qu'il  désirait  tant 
former.  Ce  conseil  composé  de  huit  membres,  dont  quatre  nommés 
par  les  électeurs,  deux  par  les  autres  princes  et  comtes,  un  par  les 
prélats  et  un  par  les  villes,  devait  assister  l'Empereur  dans  le  gou- 
vernement, convoquer  les  diètes  conjointement  avec  lui,  maintenir 
les  divers  États  dans  le  devoir,  conseiller  et  assister  les  princes  sou- 
verains au  cas  où  leurs  sujets  se  montreraient  rebelles,  enfin  accom- 
moder et  aplanir  tous  les  différents  qui  pourraient  survenir  à  l'in- 
térieur. 

Ce  conseil  était  d'une  importance  énorme  pour  l'Empereur  au 
point  de  vue  du  prélèvement  de  l'impôt  d'Empire,  sur  l'organisation 
duquel  il  insistait  de  nouveau. 

Après  de  longues  délibérations,  les  États  consentirent  à  l'érec- 
tion du  conseil.  Le  denier  commun  fut  aussi  concédé,  mais  clans 
une  mesure  si  restreinte  que,  même  loyalement  payé,  il  eût  exercé 
une  bien  faible  action  sur  les  finances  de  TEmpire.  Tandis  qu'on 
avait  auparavant  compté  sur  un  florin  par  mille  florins  de  capital, 
maintenant  on  se  bornait  à  promettre  un  florin  sur  des  revenus  variant 
de  quatre  à  dix  mille  florins;  et  tandis  que  précédemment  les  princes, 
comtes  et  seigneurs,  avaient  consenti  à  contribuer  au  denier  com- 
mun dans  la  mesure  de  leurs  revenus,  ils  déclaraient  maintenant  qu'ils 
se  voyaient  forcés  de  diminuer  encore  l'impôt  cependant  si  minime  qui 
leur  était  demandé.  Pour  couvrir  les  frais  de  leur  séjour  à  la  diète  et 
organiser  chez  eux  la  levée  de  l'impôt,  ils  avaient  été  contraints, 
disaient-ils,  à  trop  de  dépenses.  Or,  les  revenus  annuels  des  électo- 
rats  de  Brandebourg  et  de  Wiirtzbourg  montaient  alors  à  40,000  flo- 
rins; ceux  de  Magdebourg,  à  50,000;  ceux  des  électorats  de  Saxe  et 
de  Trêves,  à  60,000;  ceux  de  Mayence  et  de  Wurtemberg,  à  80,000; 
ceux  de  Bavière,  à  100,000;  de  Cologne,  à  110,000'.  Malgré  de  si 

'  Voy.  la  relation  de  Ocirini,    dans    le    Zeitschrift  für    Geschichtswissenschaft  de 
Schmidt,  t.  II,  p.  278. 


538    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

énormes  sommes,  les  princes  ecclésiastiques  et  temporels  assuraient 
que  leurs  finances  étaient  tellement  épuisées  qu'ils  ne  pouvaient 
songer  à  fournir  le  moindre  argent  pour  les  besoins  de  l'Empire  et 
le  maintien  de  la  paix. 

«  Anatlième  aux  princes!  «  dit  un  pamphlet  contemporain,  «  leur 
avarice  les  perd!  Ils  ne  veulent  faire  aucun  sacrifice  à  l'Empire,  à  la 
sécurité  du  pays,  à  l'établissement  de  la  justice!  Le  désordre  renaîtra, 
la  révolte  relèvera  la  tête,  ils  ne  pourront  plus  se  maintenir,  ils  seront 
engloutis  par  le  torrent!  Leurs  domaines  seront  démembrés,  et  en 
premier  lieu  ceux  du  clergé.  Écoutez,  princes,  ce  que  je  vous  prédis! 
Mais  vous  faites  la  sourde  oreille!  Allez,  votre  ruine  et  votre  perte 
sont  inévitables'!  »  Pour  les  chevaliers,  ils  demandèrent  à  être 
exemptés  de  l'impôt.  Ils  se  proposaient  d'y  contraindre  leurs  sujets 
ou  petits  vassaux;  mais  quant  à  eux,  ils  attendraient  pour  s'exé- 
cuter que  la  nécessité  fût  plus  pressante.  En  vain  Maximilien  leur 
représenta  qu'avec  les  faibles  ressources  mises  à  sa  disposition, 
il  lui  serait  impossible  de  subvenir  même  aux  besoins  les  plus 
urgents;  en  vain  demanda-t-il  qu'on  consentit  du  moins  à  pro- 
clamer l'obligation  de  l'impôt  jusqu'à  ce  qu'il  eût  produit  un  million 
de  florins  :  les  États  ne  se  laissèrent  pas  entraîner  d'un  pas  au  delà 
de  ce  qu'ils  avaient  résolu  de  faire,  et  la  somme  consentie  ne  fut  plus 
tard  qu'imparfaitement  perçue,  encore  moins  versée-.  "  Les  États  •', 
écrivait  Trithème  en  1513,  ■=  ont  la  vieille  habitude  de  ne  donner 
à  l'Empereur  que  peu  ou  rien  de  ce  qu'ils  lui  promettent.  Aussi  le 
souverain  n'a-t-il  en  main  aucune  force;  il  lui  est  complètement 
impossible  de  protéger  le  droit  et  la  justice,  et  de  châtier  les  fauteurs 
de  troubles  comme  ils  le  méritent,  de  sorte  que  notre  situation 
intérieure  est  sans  aucune  sécurité  ^  » 

TROUBLES  DANS  LE  ROYAUME. 

Les  *<  horribles  attentats  »  commis  par  Götz  de  ßerlichingen  et 
ses  compagnons  de  brigandage,  juste  au  moment  où  l'Empereur 
réunissait  les  États  à  Trêves  pour  délibérer  avec  eux  sur  la  paix 
publique  et  le  maintien  de  la  justice,  prouvent  trop  évidemment  à 
quel  point  la  situation  intérieure  offrait,  en  effet,  «  peu  de  sécurité  ». 
«  Götz  avait  des  amis  jusque  parmi  les  princes,  et  ceux-ci  le  voyaient 

'  Curieuse  A'achrichten.  p.  79.  —  ^'oy.  JÖRG,  Deutschland  in  der  dévolutions  période, 
p.  92. 

*  Les  délibérations  de  Trêves  et  de  Cologne  dans  la  Frankfurts  Beichscorrespon- 
denz,  t.  II,  p.  844-889.  Arrêts  et  contre-arrêts  de  la  diète  dans  la  iVeuc  Sammlung 
der  lieichsabschicde,  t.  II,  p.  136-151. 

^  De  Judaeis,  p.  21. 


T  KO  ÜB  m;  s    DANS    LE    liOVAUME.  539 

avec  complaisance  piller  les  marchands,  incendier  les  villages.  Franz 
de  Sickingeu  se  livraK  aux  mêmes  actes.  11  élait  bien  plus  puissant 
que  CA'itz  et  plus  passiouruî  encore  que  lui  pour  le  pillai^e.  Les  ordres  de 
rEmpercur,  les  menaces  de  la  Chambre  Impériale,  étaient  sans  force 
aucune  contre  ces  hardis  violateurs  de  la  paix  publique.  Tous  les 
bons  chrétiens  se  plaignaient,  disant  que  le  droit  n'existait  plus,  que 
la  violence  régnait  seule  à  sa  place,  et  que,  dans  l'avenir,  des  choses 
plus  déplorables  encore  étaient  à  redouter  '.  » 

Götz  de  lîerlichingen  et  Franz  de  Sickingen  peuvent  être  consi- 
dérés comme  les  chefs  les  plus  importants  de  ce  parti  de  la  force,  qui, 
mettant  à  profit  l'impuissance  du  souverain,  déclarèrent  alors  la 
guerre  à  toute  autorité,  d'abord  aux  temporelles,  ensuite  aux  ecclé- 
siastiques, et  firent  d'une  lutte  sans  trêve  contre  l'ordre  établi  la 
grande  affaire,  le  but  principal  de  leur  vie.  Ces  deux  hommes  avalent 
réellement  l'inslinct  de  la  dcstrucliou;  leur  caractère  était  farouche, 
ils  n'aimaient  que  le  désordre  et  la  rapine.  Toutes  leurs  entreprises 
étaient  appuyées  sur  des  droits  prétendus,  mais  ces  droits,  qu'ils 
faisaient  valoir  tantôt  pour  eux,  tantôt  pour  leurs  amis,  n'étaient  eu 
réalité  que  des  prétextes  aux  actes  de  violence  les  plus  audacieux.  Le 
brigandage  était  pour  eux  une  industrie  réglée,  et  ils  s'y  livraient 
comme  s'il  eût  été  une  vocation  légitime,  avec  hardiesse,  ruse,  système 
et  méthode"". 

Götz  avait  établi  sa  «  juste  réputation  »  par  la  célèbre  guerre 
privée  de  Nuremberg,  commencée  sous  les  plus  futiles  prétextes,  et 

1  cité  par  SENCKE\EErio,  Acla  et  Pacta,  p.  501. 

ä  David  Strauss  (t.  II,  p.  73)  dit  qu'il  serait  absurde  de  supposer  que  «  ces 
chevaliers  (Franz  de  Sickingen,  Götz  de  Berlichin;;en  et  leurs  pareils)  aient 
souvent  tiré  leurs  épées  pour  la  cause  des  opprimés,  et  mus  par  un  amour 
désintéressé  de  la  justice  ou  de  la  liberté  >.  Ils  nous  semblent  avoir  été  non- 
seulement  cruels,  mais  encore  intéiessés,  et  ne  s'êlre  jamais  mis  en  campagne 
qu';iprès  avoir  calculé  les  profils  à  f.iire.  Dans  leurs  guerres  privées  nous 
sommes  révoltés  non-seulement  de  l'impitoyable  dureté  avec  laquelle  ils 
dépouillent  les  pauvres  gens,  incendient  et  dév.istent  leurs  villages,  mais  encore 
du  sang-fioid  de  leur  attitude.  Ils  semblent  se  livrer  à  un  melier  dont  les  ran- 
çons et  ie  buiiu  sont  le  très-légitime  résultat.  Lajusiice,  l'offense  supposée, 
reçue  soit  par  eux,  soit  par  quelque  gentilhi  mme  ou  ville,  etc.,  ne  sont  les  trois 
quarts  du  temps  qu'un  prétexte  pour  incendier  les  paysans  de  l'un,  attaquer 
et  dépouiller  les  marchands  de  l'autre.  C'est  ce  qui  ressort  clairement  des  aveux 
n;!ïfs  de  (iötz  à  Greifen,  et  Franz  de  sickingen,  appelé  non  sans  raison  un 
•  Götz  plus  relevé  ",  n'était  pas  fait  d'un  autre  bois.  Sur  Götz  et  ses  Mémoires, 
voy.  Wegele,  p.  130-1^6,  et  postérieurement  les  articles  de  Baumgarten,  dans 
les  Stimmen  ans  Maria-Laach.  1879,  cah.  1-8.  Une  liste  des  endroits  de  halte 
et  des  voies  siires  des  environs  de  Bamberg  et  de  Nuremberg,  faite  avec  un 
soin  et  un  savoir  dignes  d'un  meilleur  but  et  parvenue  jusqu'ù  nous,  nous 
révèle  dans  les  chefs  de  bande  dont  nous  parlons  des  connaissances  et  une  exac- 
titude qui  feraient  honneur  à  un  général  moderne  d'état-niajor.  (Daus  Berli- 

CHINGEN-ROSSACU,  Gcscli.  des  Rillcis  Gcilz  roii  Berlicfiinijen  und  seiner  Fa7nille.)  W'EGELt., 

p.  136.  Les  chevaliers  pillarJs  étaient  dans  l'opinion  populaire  une  sorte  de 
confrérie  d'un  nouveau  genre,  organisée  pour  le  mal. 


540    EMPIRE    F.OMAIN    GERMAMOUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

simplement,  comme  il  le  disait,  "  parce  qu'il  avait  eu  euvie  de  se 
mesurer  un  peu  avec  ceux  de  Nuremberg  ».  Violant  brusquement  la 
paix  publique,  il  avait,  ea  mai  1512,  surprit  près  de  Forchheim  un 
nombre  assez  considérable  de  marchands  de  Nuremberg,  qui,  sous 
l'escorte  de  l'évèque  de  Bamberg,  revenaient  de  la  foire  de  Leipzig. 
Aprèsles  avoir  dévalisés,  il  lesavait  fait  enfermer  sousbonne  garde  dans 
un  lieu  écarté,  et  ne  leur  avait  rendu  la  liberté  que  sur  une  promesse 
de  rançon.  Götz  et  son  rude  et  farouche  compagnon  de  brigandage, 
Hans  dé  Selbitz,  avaient  fait  d'énormes  préparatifs  pour  cette  expédi- 
tion. Une  grande  partie  de  la  chevalerie  deFranconie,  lesGrumbach, 
Hutteu,  Fuchs,  Geyer,  Habsberg,  d'autres  encore,  y  avaient  pris 
part,  soit  en  personne,  soit  par  leurs  hommes  d'armes,  ou  bien  en 
recelant  et  faisant  disparaître  les  victimes.  Trois  marchands  de 
Sainl-Gall,  et  un  Florentin  qui  pendant  le  voyage  s'était  joint  à  eux  ', 
furent  dévalisés.  Hans  von  Selbitz  pilla  et  incendia  le  château  et  la  ville 
de  Vilseck,  appartenant  à  l'évèque  et  à  l'évêché  de  Bamberg.  L'Empe- 
reur et  la  Chambre  Impériale  lancèrent  un  arrêt  contre  le  violateur 
de  la  paix;  mais  en  dépit  du  ban  prononcé  contre  lui  plusieurs  fois, 
Götz  surprit  encore,  à  deux  reprises  différentes,  à  Ochsenfurt  et  à 
Mergentheim,  des  marchands  de  Nuremberg,  et  deux  ans  s'écou- 
lèrent avant  que  lui  et  ses  protecteurs,  parmi  lesquels  se  trou- 
vaient le  duc  de  Wurtemberg  et  l'électeur  palatin,  eussent  subi 
sous  forme  d'amende  le  châtiment  mérité.  A  la  guerre  privée  de 
Nuremberg,  s'en  joignit  bientôt  une  autre,  celle  de  «  Mayence- 
Waldeck  ».  Les  bourgs  et  communes  des  environs  de  Mayence 
situés  non  loin  de  Jaxthausen,  château  de  Berlichiugen,  éprouvèrent 
la  brutale  férocité  du  chevalier  à  la  main  de  fer.  ><  Je  voulus  tenter 
ma  chance  et  voir  si  je  ne  pourrais  pas  me  venger  un  peu  »,  raconte 
Götz  dans  ses  Mémoires.  "  En  une  seule  nuit,  j'incendiai  trois 
bourgades  :  Ballenberg,  Oberndorf  et  la  métairie  de  Krautheim,  au 
pied  de  la  montagne  sur  laquelle  s'élève  le  château.  •  Il  fit  prisonnier  le 
comte  Philippe  de  Waldeck,  vassal  de  l'archevêque,  qui  avait  pris  parti 
pour  son  seigneur,  l'emmena  fort  loin  de  là,  et  le  retint  prisonnier 
jusqu'à  ce  qu'il  lui  eut  compté  dix-huit  mille  florins.  Götz  racontait 
encore  dans  sa  vieillesse  avec  la  plus  vive  satisfaction  plusieurs  parti- 
cularités de  cette  belle  aventure.  -  Un  jour  »,  disait-il,  «  comme  j'étais 
sur  le  point  d'attaquer,  j'aperçus  une  troupe  de  loups  fondant  sur  un 
troupeau  de  moulons;  cet  incident  me  parut  d'un  heureux  augure. 
Nous  allions  commencer  le  combat;  un  berger  se  trouvait  tout  près  de 
nous,  gardant  ses  moutons,  lorsque,  comme  pour  nous  donner  le  signal, 
cinq  loups  se  jettent  en  même  temps  sur  le  troupeau;  je  le  vis  et  le 

'  Wegele,  Die  Nürnberger  Fehde,  nach  archivalischen  Quellen  dargestellt,  p.   143-152. 


TliüUBI.KS    DANS    LE    ItüYAUME.  541 

remarquai  volontiers;  je  leur  souhaitai  bonne  réussite  et  à  nous  aussi, 
leur  disant  :  «  Bonne  chance,  cliers  coinp.ijynons!  IJon  succès  à  vous, 
«  en  tous  hcux!  »  .le  regardais  comme  un  Tort  bon  signe  que  nous 
eussions  commencé  l'attaque  ensemble!  »  «  Pendant  environ  soixante 
ans  ■,  dit-il  avec  orgueil  dans  ses  Mémoires,  «  j'ai  soutenu  à  la 
pointe  de  mon  épée  des  guerres  privées,  des  rixes,  des  querelles; 
j'ai  été  compagnon  du  bonheur  et  de  la  victoire.  Malheureusement, 
il  est  arrivé  aussi  bien  des  lois  que  d'excellents  coups  ont  été  manques 
par  suite  de  la  paresse  et  de  la  négligence  de  mes  hommes,  et  surtout 
parce  que  mes  camarades  pillaient  et  rançonnaient  en  temps  inop- 
portun, gâtant  ainsi  toute  l'aiTaireM  » 

Franz  de  Sickingen,  surnommé  dans  les  dernières  années  de  sa  vie 
le  Ziska  allemand,  était  l'ami,  l'associé  de  Götz.  11  était  encore  plus 
redoutable  que  lui.  11  professait  un  mépris  déclaré  pour  toutes  les 
lois  de  l'Empire.  Son  père,  Schwicker  de  Sickingen,  maréchal  de 
l'électeur  palatin  du  Rhin,  avait  acquis,  au  service  de  son  maitre, 
ou  par  des  {guerres  privées  et  des  héritages,  des  domaines  con- 
sidérables, dont  les  deux  châteaux  d'Ebernbourg,  près  de  Kreutznach, 
et  de  Landstuhl,  près  de  Kaiserslautern,  étaient  les  centres  les  plus 
importants.  Un  jour,  à  Cologne,  le  poignard  qu'il  portait  à  sa  cein- 
ture, au  mépris  des  ordonnances  qui  défendaient  de  porter  des  armes 
dans  l'enceinte  de  la  ville,  lui  fut  enlevé.  Il  entra  à  ce  sujet  dans  une 
si  violente  fureur  qu'il  résolut,  aidé  de  ses  compagnons,  de  mettre 
le  feu  aux  quatre  coins  de  la  ville.  Heureusement,  ce  crime  vint  à  la 
connaissance  du  conseil  avant  d'avoir  pu  être  exécuté  -.  Franz  était 
le  digne  fils  d'un  tel  père.  Sa  réputation  d'audacieux  chef  de  brigands 
s'était  faite  en  1515,  durant  la  guerre  privée  qu'il  avait  entreprise 
contre  Worms.  Un  notaire  chassé  de  la  ville  et  dont  les  biens  avaient 
été  confisqués,  était  entré  à  son  service,  et  lui  avait  cédé  quelques 
quittances  sur  des  bourgeois  de  Worms.  Sickingen  en  exigea  le  rem- 
boursement devant  le  conseil  de  la  cité,  qui  refusa  de  faire  droit  à  ses 
injustes  réclamations,  mais  s'offrit  à  discuter  l'affaire  en  justice.  La 
question  fut  apportée  devant  la  Chambre  Impériale,  dont  le  siège  était 
alors  à  Worms.  La  Chambre  traita  l'affaire  comme  une  question  de 
droit,  et  défendit  au  chevalier,  sous  peine  de  bannissement,  de  rien 
entreprendre  contre  Worms.  «  Mais,  sans  se  soucier  en  rien  de  la  paix 
publique  ou  de  la  justice  ",  Sickingen  courut  aux  armes,  et  avant 
même  d'avoir  lancé  un  défi  à  la  ville,  attaqua  audacieusement,  dans 
les  environs  d'Oppenheim,  trente  voyageurs  de  Worms  qui  se  ren- 
daient à  la  foire  de  Francfort,  et  parmi  lesquels  se  trouvait  un  ancien 
bourgmestre  et  plusieurs  conseillers.  Il  les  dépouilla  de  tout  ce  qu'ils 

'  Lebensbeschreibung,  p.  81,  119,  169,  172,  181. 
*  Voy.  UlMA.NN,  Sickingen,  p.  6-7. 


5i2    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

possédaient,  fit  subir  lui-même  la  torture  au  bourgmestre,  et  à  force 
de  mauvais  traitemeuts  et  de  menaces,  contraignit  les  prisonniers  à 
lui  livrer  de  fortes  rançons.  Alors  seulement,  il  envoya  à  la  ville  sa 
lettre  de  défi.  L'Empereur  et  la  Chambre  Impériale  le  condamnèrent 
au  ban  et  le  mirent  hors  la  loi.  Mais  il  trouva  un  refuge  chez  ses 
compagnons  de  rapine,  Götz  de  Berlichingen,  Hartmut  de  Cronberg 
et  autres,  enrôla,  avec  l'argent  du  butin,  une  troupe  de  malfaiteurs 
avides  de  pillage,  dévasta  les  environs  de  \Vorms,  fit  couper  toutes 
les  issues  de  la  ville,  détourna  les  eaux,  détruisit  les  chemins,  abattit 
les  ponts,  et  eut  même  l'audace  de  signifier  à  la  Chambre  Impériale 
l'ordre  d'avoir  à  transférer  son  siège  ailleurs.  "  Autrement  ;,  disait-il, 
"  il  ne  pouvait  plus  répondre  de  sa  sécurité!  »  Son  ami  et  associé, 
Philippe  Schluchterervon  Erffeustein,  commettait  au  même  moment 
les  plus  effroyables  forfaits  à  Metz,  pillant  les  convois  de  marchan- 
dises, enlevant  les  bestiaux  du  territoire  de  la  ville,  mettant  à  feu  et 
à  sang  tous  les  villages  d'alentour.  Schluchterer  et  ses  compagnons 
furent  condamnés  au  ban  et  mis  hors  la  loi;  mais  cette  mesure  resta 
absolument  impuissante. 

C'est  à  un  pareil  état  de  choses  que  la  nouvelle  division  géogra- 
phique de  l'Empire  était  chargée  de  remédier.  L'Empereur,  à  Landau, 
appela  les  États  du  Haut-Rhin  à  une  délibération  sérieuse  sur  les 
moyens  de  venir  à  bout  de  Sickingen,  et  de  délivrer  Worms.  Mais 
ceux-ci  déclarèrent  que  l'entreprise  était  au-dessus  de  leurs  forces,  et 
que,  contre  Sickingen,  il  faudrait  en  appeler  à  l'Empire  tout  entier. 
Alors  Maximilicn  convoqua  les  États  de  tous  les  cercles  impériaux, 
espérant  trouver,  grâce  à  leur  assistance,  le  moyen  de  soumettre  le 
pertubaleur  de  la  paix  publique;  mais  cette  assemblée  refusa  tout 
secours,  et  pendant  tout  ce  temps  Sickingen  continuait  à  faire  pleu- 
voir sans  relâche  sur  les  habitants  de  Worms  toutes  les  calamités  pos- 
sibles, dépouillant,  massacrant  les  bourgeois  qui  tombaient  entre  ses 
mains(1515-1517).  Les  États  ne  voulurent  rien  faire  pour  la  ville  libre; 
l'Empereur  seul  envoya  à  son  secours  quelques  centaines  de  cavaliers 
allemands  et  bourguignons,  ordonnant  en  même  temps  au  maréchal 
de  la  basse  Alsace  de  faire  des  armements  considérables. 

Pendant  que  Worms  était  ainsi  la  proie  de  ces  hardis  brigands,  Sic- 
kingen, de  sou  côté,  se  faisait  redouter  comme  chef  de  bande.  Devenu 
l'auxiliaire  du  comte  de  Gerolsdseck,  il  dévastait  et  incendiait  les  pos- 
sessions du  duc  de  Lorraine,  avec  mille  chevaux  et  quelques  bandes 
de  lansquenets.  Mais,  peu  de  temps  après,  le  duc  lui  ayant  fait  offrir 
une  pension,  il  entra  à  son  service.  Cette  campagne  contre  un  prince 
d'empire  fonda  son  renom  militaire  en  Allemagne'. 

'  UlmaNN,  Sickingeti,  24,  5Î,  9i. 


TU01:RLE.S    dans    le    royaume.  5i.5 

Par  l'intermédiaire  du  comlc  Uobcrt  de  la  Marciv,  surnotnnié  le 
«  Sanjjlier  des  Ardenues  ",  Sickiiigen  entra  en  né^^ocialions  avec  la 
France,  et  François  I",  qui  dès  lors  nourrissait  l'espoir  de  devenir  un 
Jour  empereur,  prit  à  sa  solde  le  chevalier  banni.  F'onr  un  revenu 
annuel  de  j)lusieurs  milliers  de  francs,  Sickingen  j)romil  de  délondre 
le  roi  de  France  contre  «  tous  ses  ennemis  »  '  (par  conséquent,  contre 
Maximilien).  Aidé  de  la  chevalerie  allemande,  il  se  faisait  fort, 
disait-il,  de  placer  la  couronne  impériale  sur  la  tète  du  souverain 
français.  «  Mon  dessein  »,  disait-il  à  un  confident  du  lioi,  <'  est  de 
fortifier  le  parti  de  votre  mailre  parmi  la  noblesse  allemande.  Il  ne 
peut  attendre  de  secours  vraiment  utiles  que  de  simples  ciievaliers 
comme  moi;  s'il  s'adresse  aux  princes  souverains,  et  surtout  aux  élec- 
teurs, il  sera  infailliblement  déçu;  ils  prendront  volontiers  son 
ar(5,cnt,  mais  ne  feront  que  ce  que  bon  leur  semblera;  au  lieu  qu'il 
apprendra  avant  peu  de  quelle  utilité  je  lui  puis  être*!  "  11  ne  roussis- 
sait point  de  soutenir  en  face  à  François  I"  qu'il  n'était  persécuté  par 
l'Empereur  qu'à  cause  de  son  dévouement  pour  la  France. 

Les  intrigues  formées  contre  l'Empire  gagnaient  tous  les  jours  du 
terrain.  Ulrich,  «  duc  et  bourreau  du  Wurtemberg  »,  était  l'allié  de 
Sickingen,  et  secondait  les  vues  du  roi  de  France  avec  une  extraor- 
dinaire activité.  François  I"  disait  au  délégué  du  Wurtemberg, 
Ebrard  de  ileiscliach  :  «  Je  n'abandonnerai  ni  le  duc  Ulrich  ni 
Sickingen  dans  leur  lutte  contre  l'Empereur.  J'engagerai  le  duc  de 
Gucldre,  le  comte  de  la  Marck,  d'autres  de  mes  alliés,  à  fournir  un 
secours  important  à  Sickingen  et  à  ses  amis,  et  de  cette  manière 
l'Empereur  aura  pour  quelque  temps  de  l'occupation  ^!  » 

L'insolence  et  l'amour  de  la  rapine  prirent  bientôt  chez  Sickin- 
gen des  proportions  inouïes.  En  mars  1517,  il  surprit,  dans  les  envi- 
rons de  Mayence,  sept  voitures  chargées  de  marchandises  apparte- 
nant à  des  marchands  d'Augsbourg,  de  Nuremberg,  de  Ravensbourg, 
de  Kempten,  d'Isny  et  de  Leutkirch;  elles  faisaient  route  pour 
la  foire  de  Francfort.  Il  se  saisit  de  tous  les  ballots,  et  les  transporta 
sans  obstacle  à  travers  le  Palatinat,  jusqu'au  château  d'Ebernbourg. 
Au  mois  de  mai  de  la  même  année,  il  marcha  contre  Lindau  avec 
quatre  cents  cavaliers  et  quelques  hommes  d'armes,  fit  emmener  par 
ses  hommes  les  troupeaux  du  territoire  de  la  ville  et  de  quelques  vil- 
lages environnants,  et  pilla  plusieurs  églises.  Lindau  l'avait  ofl^nsé, 
disait-il;  là  avait  été  convoquée  l'assemblée  des  États  du  cercle  rhé- 
nan, qui  avait  prononcé  contre  lui  la  peine  du  ban. 

En  présence  du  péril  toujours  croissant  de  l'Empire  et  de  l'insé- 

'  La  maison  de  la  Marck  exceptée. 

'  Mémoires  de  F/euranges,  Collect,  univers.,  t.  XVI,  p.  317-320. 

^  Voy.  ce  document  dans  Ulman.n,  p.  66,  72-73. 


544    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

curité  toujours  plus  grande  du  pays,  Maximilien  convoqua  les  États 
à  Mayeace  dans  le  but  spécial  de  pourvoir  au  châtiment  dCvSickingen 
et  d'Ulrich  de  Wurtemberg  (30  juin  1517).  Pour  étouffer  la  révolte, 
il  réclamait  un  secours  important  destiné  à  protéger  efficacement  les 
citoyens;  il  était  urgent  d'agir  avec  vigueur  :  un  homme  sur  cin- 
quante devait  s'enrôler  pour  la  défense  générale.  Mais  la  diète  se  récria 
vivement  sur  cette  proposition,  et  la  déclara  impraticable  et  dange- 
reuse. «  Hélas  !  "  écrivait  le  délégué  de  Francfort,  Philippe  Furstem- 
berg  (11  juillet  1517),  "  personne  ne  songe  aux  malheurs,  aux  vio- 
lences et  aux  injustices  qui  vont  fondre  sur  nous  d'un  jour  à  l'autre, 
si  Dieu  ne  nous  protège  !  «  «  En  somme  »,  disait-il  une  autre  fois  après 
avoir  énuméré  les  innombrables  griefs  des  représentants  des  villes  et 
autres  victimes  des  chevaliers  brigands,  «  on  n'entend  ici  que  plaintes 
et  lamentations;  on  ne  voit  que  des  calamités,  et  pour  les  éviter  ouïes 
prévoir,  personne  ne  s'avise  d'un  expédient.  Daigne  le  Tout-Puissant 
nous  faire  promptement  sentir  les  effets  de  sa  miséricorde!  "  Les 
princes  assurèrent  les  envoyés  des  villes  qu'ils  avaient  une  sincère 
compassion  de  leurs  peines  et  prenaient  vivement  à  cœur  leurs  intérêts. 
«  Mais  »,  ajoutaient-ils,  "  en  présence  des  événements  prompts  et  inat- 
tendus qui  viennent  de  se  produire,  il  nous  est  impossible  de  songer  à 
aviser  ou  à  agir.  »  A  la  demande  pressante  des  conseillers  de  l'Empereur, 
réclamant  le  prompt  recrutement  d'une  année,  ils  répondirent  quils 
espéraient  en  Dieu;  qu'ils  avaient  pleine  confiance  dans  la  pénétration, 
l'intelligence  et  la  générosité  de  MaximiUen,  grâce  auxquelles  un  tel 
vote  et  un  tel  secours  ne  seraientjamais  nécessaires.  L'appauvrissement 
de  la  nation,  causé  par  la  disette,  la  grêle,  renchérissement  des  den- 
rées, la  rigueur  de  l'hiver  et  autres  circonstances  désastreuses,  ne  per- 
mettait pas  de  réclamer,  encore  moins  d'obtenir,  les  secours  demandés. 
Cependant,  «  pour  faire  quelque  chose  »,ils  instituèrent  un  comité 
chargé  d'examiner  «  les  angoisses,  maux,  nécessités,  révoltes,  troubles 
et  pertes  du  Saint-Empire  germanique  ».  Ce  comité  s'acquitta  de  sa 
mission,  et  présenta  un  rapport  énuraérant  beaucoup  de  plaintes, 
contenant  «  beaucoup  de  belles  paroles  sur  la  nation  allemande  -, 
mais  extrêmement  peu  de  vues  pratiques  sur  la  manière  de  rendre  la 
paix  au  pays  et  d'y  faire  refleurir  la  justice  et  la  sécurité.  L'archevêque 
de  Mayence,  Albert  de  Brandebourg,  donna  aux  auteurs  des  «  belles 
paroles  sur  la  nation  allemande  »  une  petite  cassette  avec  son  por- 
trait. Mais  on  n'alla  pas  au  delà  '. 

A  la  diète  d'Augsbourg  (1518),  l'Empereur  rappela  ce   rapport 
aux  États,  revint  sur  les  délibérations  de  Mayence  et  sur  les  discus- 

'  Sur  la  diète  de  Mayence,  voy.  les  manuscrits  de  la  Frankfurts  lieichscorrcspon- 
denz,  t.  II,  p.  905-953,  et  la  note  I,  p.  955. 


DKUNFKHS    IM,  AN  S    DK    lî  1^:  K  O  U  M  E    DE    M  A  X  1  M  1 1, 1  K  N  .  545 

sions  qu'il  avait  eues  avec  ses  conseillers  et  avec  le  comité  nommé 
par  la  dièle.  Là-dessus  le  conseil  de  l'assemblée  se  répandit  en 
vaines  lamenfalions,  en  souhaits,  en  j)hrases.  Les  conseillers  de  l'Em- 
perenr,  au  contraire,  analysèrent  les  {jrieft  exposés  à  un  point  de  vue 
pratique,  proposèrent  d'y  remédier  en  leur  appliquant  les  lois  exis- 
tantes, rappelèrent  les  promesses  de  réforme  antérieures,  et  sou- 
mirent ù  l'examen  de  la  dièle  cinquante-trois  articles  nettement  for- 
mulés, assurant  que  sans  rencontrer  de  difficultés  insurmontables, 
on  pouvait  améliorer  l'état  des  choses.  Ils  réclamaient  une  réforme 
radicale  dans  la  justice  executive  et  surtout  la  proclamation  immé- 
diate d'une   loi  d'Kmpire  louchant  la  réorganisation  de  la  justice 
criminelle,  loi  déjà  projetée  en  1498  par  les  Etats  de  Fribourg.  Mais 
la  diète  d'Augsbourjj  fut  tout  aussi  stérile  que  les  autres.  Fidèles  à 
leurs  anciens   usajj^es,   les  princes  tirent   valoir   avec   un  é[joïsme 
mesquin  leurs  intérêts  particuliers,  se  perdirent  en  débats  inutiles  sur 
l'eulrelien  de  la  Chambre  Impériale,  soucieux  avant  tout  de  ne  point 
participer  aux  dépenses  qu'elle  nécessitait  ',  et  ne  firent,  en  un  mot, 
qu'entraver  tout  résultat  pratique.  Aussi  les  délégués  de  Francfort 
donnent-ils  à  ce  sujet  libre  cours  à  leur  mécontentement,  «  Plaise 
à  Dieu  »,  écrivent-ils,  le  lOjuillet  1518,  au  conseil  de  Francfort,  '^  que 
la  volonté  de  Sa  Majesté  fût  exécutée!  Nous  sommes  persuadés  que 
cela  remédierait  à  nos  affaires.  »   «  Mais  »,  ajoutent-ils  tristement 
quinze  jours  après,  «  tout  marche  avec  une  lenteur  désespérante. 
Tout  semble  fait  pour  irriter  à  plaisir;  nous  sommes"  ici  pour  n'y 
rien  faire.  »  «  Le  comité  nommé  par  les  États  pour  délibérer  sur  la 
paix  et  le  droit  n'aboutit  à  rien;  aucune  idée  pratique  n'est  encore 
sortie  de  tant  de  délibérations.  On  n'a  rien  décidé,  on  a  encore  moins 
agi.  L'erreur  abonde.  »  «  Aucune  mesure  sérieuse  n'a  été  prise  au 
sujet  de  la  Chambre  Impériale;  d'ailleurs,  on  ne  trouve  nulle  part 
les  ressources  nécessaires  à  son  entretien;  personne  ne  veut  être 
imposé  davantage,  de  sorte  qu'on  ne  peut  compter,  pour  y  siéger, 
sur  des  gens  instruits,  loyaux  et  intelligents.  »  Trois  jours  plus  tard 
ils  écrivent*:  «  Nous  craignons  fort  que  la  diète  ne  se  termine 
promptement  sans  avoir  rien  fait  de  bon,  car  les  princes  électeurs, 
malgré  tous  les  efforts  de  Sa  Majesté,  montrent  le  plus  grand  désir 
de  se  disperser,  » 

11  ne  fut  remédié  à  aucun  des  nombreux  abus  dont  on  avait,  de 
tous  les  points  de  l'Allemagne,  porté  la  connaissance  à  la  diète  K  Et 
pourtant,  pendant  que  l'on  perdait  ainsi  le  temps  en  paroles  oiseuses, 

'  Voyez  GUTEREOCK,  p.   16-30. 
-  20  aoùl. 

ä  Voyez  les  lettres  et  les  délibérations  de  la  diète  d'Aussbourj;  dans  la 
Frankfurts  lieichscorrespondeiiz,  t.  II,  p.  963-998. 

35 


546    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

de  nouveaux  attentats  de  Sickingeu,  de  nouvelles  ruptures  impunies 
de  la  paix  publique  et  de  tout  droit,  jetaient  l'Empire  dans  l'angoisse 
et  dans  l'épouvante. 

L'Empereur  avait  été  contraint  de  conclure  une  sorte  de  paix  avec 
Sickingen  (1517);  un  revenu  annuel  lui  avait  été  garanti.  Désireux 
avant  tout  d'ôter  à  la  France  l'appui  de  l'audacieux  chef  de  bandes  ', 
Maximilien  avait  obtenu  de  lui  la  promesse  que  désormais  il  servi- 
rait fidèlement  l'Empereur  et  l'aiderait  à  mettre  à  la  raison  Ulrich  de 
Wurtemberg,  traître  à  la  nation  et  oppresseur  du  peuple.  Mais  une 
vie  sans  brigandages  et  sans  guerres  privées  était  absolument  intolé- 
rable pour  Sickingen.  Aussi,  au  mois  d'août  1518,  saisit-il  avec 
bonheur  l'occasion  d'entrer  au  service  du  prince  banni  Philippe 
Schluchterer  d'Erffenstein,  qui  se  proposait  d'attaquer  la  ville  libre  de 
Metz.  Avec  une  armée  de  deux  mille  cavaliers  et  de  sept  à  huit  mille 
hommes  de  pied,  il  se  jeta  dans  le  territoire  de  la  ville.  Les  nuages  de 
fumée  desbourgades  incendiées  indiquaient  la  marche  desbandits,  dont 
le  nombre  augmentait  tous  les  jours.  Ils  arrivèrent  bientôt  devant 
les  murs  de  Metz,  et  déjà  se  disposaient  à  assiéger  la  ville,  lorsque 
les  bourgeois,  dans  leur  extrême  détresse,  se  résignèrent  à  acheter 
leur  délivrance  pour  une  somme  de  plus  de  vingt -cinq  mille 
florins. 

Devenu  plus  puissant  encore  et  plus  audacieux,  constamment  heu- 
reux dans  ses  entreprises,  Sickingen  résolut  de  faire  sentir  à  la  caste 
détestée  des  p'rinces  d'Empire  une  puissance  à  laquelle  rien  n'avait 
résisté  jusque-là.  «  Il  montrerait  aux  princes  »,  disait-il,  <  dans  quelle 
mesure  il  pouvait  être  utile  à  ses  amis  et  redoutable  à  ses  ennemis!  » 
Tandis  qu'il  était  encore  devant  Metz,  il  profita  de  la  mauvaise 
situation  où  se  trouvaient  les  possessions  du  landgrave  de  Hesse,  et 
résolut  de  se  livrer  dans  ce  malheureux  pays  à  un  brigandage  gran- 
diose, liest  probable  que  c'est  en  préméditant  ce  hardi  coup  de  main 
qu'il  avait  enrôlé  sa  nombreuse  bande.  Le  8  septembre,  il  jeta  son  défi 
au  landgrave  Philippe,  prince  rebelle  à  l'Empire,  et  pénétra  dans  ses 
États  en  y  portant  l'incendie  et  le  pillage.  Dès  le  16  septembre,  à  l'aide 
de  sa  forte  artillerie  et  de  trois  canons  de  siège,  il  commença  le  bom- 
bardement de  Darmstadt.  Götz  de  Berlichingen  était  au  nombre  de 
ses  alliés.  Philippe,  qui  n'était  nullement  préparé  à  une  attaque  aussi 
imprévue,  et  dont  les  gentilshommes  étaient  pour  la  plupart  de  conni- 
vence avec  l'ennemi,  se  vit  contraint,  pour  prévenir  la  ruine  complète 

'  Voyez  Le  Glay,  Négociations,  t.  IF,  p.  207.  «  Messire  Francisrjue  avait  renoncé 
à  sa  pension  de  France  au  désir  de  l'Empereur.  •  <  I,a  preuve  la  plus  claire  de  la 
faiblesse  du  pouvoir  exécutif  ■,  dit  avec  raison  Cochla>us,  »c'est  que  Maxi- 
milien ait  été  contraint  de  pactiser  avec  d'aussi  violents  fauteurs  de  troubles 
que  Sickingen  et  ses  amis,  fermant  les  yeux  sur  les  crimes  commis,  afin  d'éviter 
autant  que  possible  des  forfaits  encore  plus  épouvantables.  ^ 


A   OUI   [)KVAIT  KTHE  I.Ml'irrFI.   I.A   TRISTE  SITl  ATION   Di;   l/EMl'IlîK.    Ôi7 

<]cs  habitants,  d'acheter  la  paix.  Le  traité  fut  signé  le  23  septembre, 
le  même  jour,  précisément,  où  les  wdonnances  impériales  avaient 
cru  remédier  par  la  voie  de  la  justice  au  fléau  des  {guerres  privées, 
en  menaçant  les  rebelles  de  la  peine  du  ban.  La  Hesse,  outre 
d'autres  contributions  onéreuses,  dut  en  passer  par  tout  ce  que 
Sickingen  voulut,  et  lui  compta  d'abord  trente-cinq  mille  florins. 
Le  pays  perdit  à  cette  odieuse  spoliation  environ  (}uatre-viiii;t-dix 
mille  florins.  On  évalue  à  trois  cent  mille  florins  d'or  au  moins 
(presque  un  million  et  demi  ')  les  pertes  totales  de  la  popu- 
lation. 

Ce  vol  à  main  armée  qu'il  avait  fallu  plusieurs  semaines  pour 
accomplir,  dépassa,  par  conséquent,  d'un  demi-million  la  somme 
que  ÎMaximilieu  demandait  inutilement  à  tout  l'Empire  comme  impôt 
général  pour  le  maintien  de  la  paix  et  de  la  justice;  encore  ne 
réclamait-il  pas  cette  somme  en  une  fois,  mais  en  plusieurs  années 
consécutives. 


Les  espérances  conçues  par  le  peuple  et  par  Maximilien  au  com- 
mencement de  son  rèp^ne,  ne  s'étaient  pas  réalisées.  La  situation 
de  l'Empire  restait  la  même.  Vers  la  fin  de  sa  vie,  l'Empereur  répé- 
tait souvent  avec  douleur  :  «  11  n'y  a  plus  de  joie  pour  moi  sur  la 
terre!  Pauvre  Allemagne  M  - 

Les  historiens  contemporains,  à  même  d'observer  de  près  les  per- 
sonnes et  les  choses,  et  qui  avaient  assisté  au  développement  des 
fails,  n'hésitent  point  à  rejeter  sur  les  princes  la  responsabilité 
d'une  déception  si  cruelle.  Aucun  d'eux  n'accuse  l'Empereur;  aucun 
d'eux  ne  cherche  à  défendre  la  politique  personnelle  et  étroite  des 
princes  et  des  cités.  Beaucoup,  au  contraire,  regrettent  que  Maximi- 
lien n'ait  pas  assez  énergiquement  sévi  contre  l'hydre  princière,  si 
fatale  à  l'Empire,  et  que,  s'appuyant  sur  les  classes  inférieures,  il  n'ait 
pas  tenté  avec  plus  de  hardiesse  une  réforme  radicale.  Trithème  nous 
semble  avoir  porté  sur  cette  question  un  jugement  très-juste  (1513). 
«L'Empereur»,  disait-il,  «est  devenu  impuissant.  Or  les  princes  veulent 
qu'il  consente  à  cette  impuissance,  qu'il  leur  laisse  la  liberté  de  tout 
diriger,  et  ne  règne  que  selon  leur  bon  plaisir.  Ce  qu'ils  lui  accordent 
par  leurs  votes,  ils  le  lui  refusent  par  leurs  actes.  Ils  ont  accaparé 
presque  tous  les  revenus  impériaux  que  Maximilien  possédait  autre- 
fois. Les  douanes,  jadis  source  féconde  et  certaine  de  revenus  pour 

*  Somme  énorme;  d'après  la  valeur  actuelle  de  l'argent,  elle  peut  être  évaluée 
à  vingt  millions  de  marks  au  moins.  Sur  l'expédition  de  Sickingen  contre  Metz 
et  la  liesse,  voyez  Ulmann,  p.  91-119. 

*  Rapporte  Cochla'us. 


548    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

le  souverain,  sont  maintenant  presque  entièrement  entre  leurs  mains 
où  à  la  libre  disposition  des  conseils  urbains.  Les  efforts  de  Maximi- 
lien  pour  restaurer  l'ancien  ordre  de  choses  ont  constamment  échoué 
contre  l'avidité,  l'étroite  personnalité  des  princes  souverains  et  des 
villes  '.  On  exige  tout  de  l'Empereur  :  la  paix,  la  justice,  la  sécurité; 
on  l'accuse,  on  le  décrie  aux  yeux  du  peuple,  parce  que  les  troubles 
vont  sans  cesse  en  croissant  et  que  les  attaques  à  main  armée  se 
multiplient  tous  les  jours  d'une  manière  effrayante.  Mais  on  ne  se 
demande  jamais  avec  quelles  ressources,  par  quels  moyens  l'Empe- 
reur pourrait  remédier  à  ces  désordres.  Beaucoup  se  plaignent  avec 
raison  de  la  trop  grande  indulgence  de  Maximilien,  défaut  particu- 
lier à  la  race  autrichienne  ^  mais  personne  ne  peut  l'accuser  équi- 
tablement  de  négligence.  Quel  souverain,  depuis  des  siècles,  s'était 
plus  dévoué  à  l'Empire?  Qui  a  cherché  avec  autant  d'intelligence 
à  lui  rendre  la  force  et  l'unité?  Oui  a  puisé  dans  ses  propres 
trésors  avec  plus  de  générosité?  Il  est  triste  d'avoir  à  constater 
l'inutilité  de  tant  d'efforts!  Un  jugement  sévère  atteindra  un  jour 
ceux  à  qui  doit  être  imputé  l'ébranlement  profond  de  l'Empire,  et 
l'audace  des  fauteurs  de  trouble.  Les  princes,  uniquement  occupés 
de  leurs  querelles  personnelles,  laissent  les  exploiteurs  du  peuple 
(voleurs  de  grand  chemin  et  voleurs  secrets,  usuriers,  accapareurs 
encore  plus  haïssables)  se  conduire  comme  si,  dans  l'Empire,  nul 
n'avait  souci  du  bien  public,  et  comme  si  leur  manière  d'agir  pouvait 
jamais  être  justifiée  M  » 

Le  triste  spectacle  que  vient  de  nous  offrir  la  conduite  des  princes 
et  des  électeurs  pendant  le  règne  de  Maximilien,  se  complète,  et, 
d'une  certaine  manière,  s'explique  par  la  conduite  que  nous  allons 
leur  voir  tenir  au  moment  de  l'élection  d'un  nouvel  empereur.  Leur 
égoisme,  leur  manque  total  de  patriotisme,  le  trafic  de  suffrages  et 
de  promesses  auxquels  ils  se  livrèrent  vont  nous  être  révélés  sous  un 


'  L'Aventin  déplore  de  même  la  trisle  situation  de  l'Empereur,  qui  se  voit 
dépouillé  des  taxes  et  des  revenus  jadis  attribués  au  souverain.  <  Tous  les 
revenus  impériaux»,  dit-il,  «  ont  été  accaparés  par  les  évêques,  les  princes,  les 
comtes  et  seigneurs.  Lorsque  ceux-ci  sont  offensés  par  quelqu'un,  ils  appellent 
immédiatement  l'Empereur  à  leur  secours;  Maximilien  doit  les  défendre  à  ses 
risques  et  périls.  Mais  à  moins  qu'ils  ne  soient  payés  fort  cher,  et  quel  que  soit 
le  danger  commun,  eux-mêmes  ne  font  jamais  rien  ni  pour  l'Empereur,  ni  pour 
le  pays.  »  Annal.  Boiorum,  lib.  IV,  p.  366.  —  Voyez  Falke,  Gesch.  des  deutschen 
Zolliresens,  p.  54-58  (Leipzig,  1869),  Itb. 

^  Henri  Bebel,  dans  le  discours  qu'il  prononça  en  1501  au  château  d'înnspruck 
en  présence  de  l'Empereur,  blâme  habilement  la  trop  grande  indulgence  de 

Maximilien.  Voyez  ^\VTHE[\,/ius  dem  L'nivcrsilülsund  Gclchrtenleben.  p.  78-79.  Reuch- 

lin,  dans  une  lettre  adressée  à  Questenberg,  dépeint  .Maximilien  comme  étant 
«rebus  in  omniiius   lentus  et  cunctabundus  ».  Il  souhaitait  que  l'Allemagne 
eût  un  souverain  «  acrior  et  agilior  •.  Bqecking,  L'I.  Hutuni  0pp.  l,  p.  459. 
3  De  Jiidœis,  p.  21  ^ 


A  QUI  DEVAIT  ÊTRE  IMI'lJlKi:   LA  TlilSTE  SITIATION'  l)V.  I/LMI'IIU:.     Ô49 

tel  jour,  et  présentent  de  si  honteuses  preuves  de  leur  vénalité,  qu'en 
résumant  l'histoire  de  celle  période  malheureuse,  nous  pourrons 
nous  convaincre  aisément  que  d'une  caste  aussi  avilie  il  était  impos- 
sible d'attendre  aucun  résultat  heureux  pour  les  intérêts  de  l'Empe- 
reur, pour  la  patrie  et  pour  le  bien  public. 


CHAPITRE   IV 

ATTITUDE   DES    PRINCES   DANS    LA   QUESTION   ÉLECTIVE. 


Dès  le  commencement  de  son  règne,  l'effroi  le  plus  grand  de 
Maximilien,  l'idée  qui  lui  avait  été  le  plus  antipathique,  c'était  de  voir 
la  royauté  française  s'emparer  du  trône  impérial,  et  ravir  à  la  nation 
allemande  "  l'honneur  et  la  gloire  de  porter  la  suprême  couronne  de 
la  chrétienté,  honneur  qui  lui  appartenait  depuis  tant  de  siècles.  »  La 
crainte  de  voir  François  I"  lui  succéder  avait  même  été  jusqu'à  lui 
suggérer  l'idée  d'abdiquer,  d'adopter  le  roi  d'Angleterre,  Henri  VIIÏ, 
de  lui  donner  l'investiture  du  duché  de  Milan,  et  de  lui  assurer  la 
succession  de  l'Empire  ^  Pendant  les  dernières  années  de  sa  vie,  il  eut 
l'amère  douleur  de  voir  les  princes  d'Allemagne  aller  au-devant  des 
désirs  du  roi  de  France;  mais  ce  qui  lui  fut  le  plus  sensible,  c'est  que 
nulle  famille  princière  ne  se  montra  aussi  zélée  pour  l'élection  de 
François  I"  que  cette  même  maison  des  Hohenzollern,  qu'entre 
toutes  les  autres  l'Empereur  avait  comblée  de  bienfaits.  En  effet, 
Maximilien  avait  confirmé  au  prince  électeur  de  Brandebourg,^ 
Joachim  I",  la  tutelle  expectative  de  la  Poméranie  et  du  Schleswig- 
Holstein;  il  avait  accorde  au  prince  de  Hohenzollern,  Albert  (de  la 
ligne  franconienne),  la  dignité  de  grand  maître  de  l'ordre  Teuto- 
nique;  il  s'était  employé  avec  succès  pour  ü])tcnir  l'électorat  de 
Mayence  au  prince  Albert,  frère  de  Joachim,  et  déjà  évêque  d'Hal- 
berstadt  et  archevêque  de  Magdebourg;  grâce  à  lui,  ce  même  Albert 
avait  été  promu  au  rang  de  primat  d'Allemagne.  C'était  encore  à 
Maximilien  qu'il  avait  dû  son  élévation  au  cardinalat  *.  Par  tant  de 
faveurs  et  de  services,  l'Empereur  avait  espéré  attacher  étroitement 
les  Hohenzollern  à  la  maison  souveraine  d'Habsbourg. 

Cependant,  le  26  juin  1517,  le  prince  Joachim^  par  l'entremise  de  ses 
ambassadeurs,  conclut  avec  François  I",  auquel  il  donne  le  titre  de  duc 
de  Milan,  une  convention  par  laquelle  une  princesse  française,  sœur 
àe  la  reine  de  France,  est  promise  eu  mariage  à  l'électeur  de  Bran- 

'  Pour  plus  de  détails,  voyez  Höfler,  Carls  V  ll'ahl,  p.  1-28. 

-  Voy.  Waltz,  dans   les  Forschungen  zur  deutschen  Geschichie,  t.  X,  p.  215,  note  4. 


INTKHiUKS    ANTII'ATI'.IOTIOIJKS    I)  F.  S    IT.  IN  CK. S.  5.01 

deboiiij;^,  avec  im  douaire  de  150,000  Ihaler.s  cl  nii  revenu  annuel 
de  4,000  livres.  Pour  une  annuité  de  8,000  livres,  l'électeur  s'engage, 
en  cas  de  {yuerre,  à  fournir  au  roi  de  France  des  cavaliers  et  des 
hommes  d'armes.  Dans  un  nouvel  acte,  confirmant  le  premier 
(17  août),  .loacliim  promet  à  François  1",  «  dont  la  jjloire  et  l'huma- 
nité sont  célèbres  en  tout  l'Empire  ',  de  l'aider  de  tout  sou  pouvoir 
dans  l'élcclion  impériale  qui  doit  suivre  la  mort  de  Maximilien. 
«  Pour  la  jiloirc  de  Dieu  et  le  bien  de  l'Kmpire  ",  il  s'enfjage  à  lui 
donner  sou  suflrage'.  Peu  de  semaines  après,  le  frère  de  Joachim, 
Albert,  envoie  un  agent  secret  à  la  cour  de  France,  lui  donne  plein 
pouvoir  de  conclure  une  alliance  solide  avec  François  I",  "  et  de  ter- 
miner avec  lui  certaines  autres  affaires'  ".  Cet  agent  n'était  autre 
qu'Ulrich  de  Hütten,  que  ses  contemporains  ont  cependant  appelé 
le  '<  véritable  chevalier  allemand  ';.  Muni  des  instructions  d'Albert, 
Hütten  ourdit  en  secret  une  trame  perfide  contre  l'Allemagne;  mais  en 
public,  il  a  l'hypocrisie  de  s'indigner  à  l'idée  seule  d'une  alliance  avec 
la  France,  et  fait  parade  de  son  attachement  pour  l'Empereur.  «  Depuis 
plus  de  trente  ans  ",  dit-il  dans  la  lettre  circulaire  sur  Maximilieu 
qu'il  adresse  aux  princes  allemands  (1518),  "  l'Empereur  supporte  les 
charges  du  royaume  avec  les  seuls  revenus  de  ses  possessions  hérédi- 
taires; il  n'a  de  repos  ni  jour  ni  nuit;  et  lorsque,  comme  cela  est  de 
son  devoir,  il  châtie  quelque  coupable,  nous  crions  à  l'oppression,  et 
nous  nous  plaignons  de  notre  servitude!  Avouons-le,  ce  que  nous  appe- 
lons liberté  n'est  que  le  droit  de  rester  totalement  indifférents  aux 
intérêts  de  l'Empire,  de  ne  fournir  à  l'Empereur  aucune  assistance 
et  de  commettre  impunément  les  actes  les  plus  répréhensibles!  Plu- 
sieurs, non  les  princes,  il  est  vrai,  mais  seulement  leurs  conseillers, 
caressent  le  projet,  au  cas  où  Maximilien  viendrait  à  mourir,  de  faire 
passer  la  couronne  à  un  étranger.  C'est  un  dessein  honteux,  antipa- 
triotique, un  acte  de  haute  trahison!  Comme  si  le  sang  princier 
était  épuisé  en  Allemagne^!  »  Celui  qui  parlait  ainsi  venait  de  faire 
remettre  au  roi  de  France  une  promesse  écrite,  par  laquelle  il  s'enga- 
geait à  voter  pour  lui.  Au  même  moment,  il  était  récompensé  par 
un  présent  «  des  belles  paroles  qu'il  avait  prononcées  sur  le  peuple 
allemand  et  la  patrie  « . 


'  MiGNET,  p.  215-216.  —  RÖSLER,  p.  27.  —  HÖFLEU,  Carl't  V  ll'aht,  p.  83-84. 

-  Le  20  stptembre  1517,  Albert  donne  ses  pleins  pouvoirs  à  Ilutten  auprès  de 
François  I*""  :  «  Nostro  nomine  pau'jendi  foederis  causa,  et  quorumdamalioruni 
negotiorum,  que  illi  preterea  ibidem  peragenda,  finienda,  concludenda,  ac  in 
conventionem  et  concordiani  perducenda  commisimus.  »  Tiré  des  archives  de 
Paris,  BoECKiNG,  Ulr.  Huticni  0pp.  V,  p.  507-508.  —  Mignet,  p.  216.  Il  est  à 
remarquer  que  le  biographe  et  panégyriste  de  Hiitten,  David  Strauss,  parle  d» 
voyage  de  son  héros  à  Paris,  sans  en  dire  les  motifs. 

*  Srauss,  t.  I,  p.  300-301. 


552    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITTATION    EXTÉRIEl  RE. 

Mais  les  Hohenzollern  n'étaient  pas  les  seuls  alliés  secrets  de  la 
France.  François  I"  négociait  en  secret  avec  l'électeur  Richard  de 
Trêves.  L'électeur  palatin,  Louis,  lui  avait  aussi  promis  de  travailler 
activement  pour  ses  intérêts,  et  en  échange  de  cette  promesse,  avait 
reçu  une  pension  de  1,200  livres,  avec  l'assurance  de  rentrer  en  pos- 
session de  certains  domaines  que  la  guerre  de  succession  bavaroise 
avait  fait  perdre  au  Palatinat*. 

En  dehors  des  princes  que  nous  venons  de  nommer,  François  I", 
dès  le  printemps  de  1518,  avait  su  attirer  à  son  parti  les  ducs  de 
Lorraine,  de  Julich-Clêves-Berg,  de  Holstein  et  de  Brunswick.  Beau- 
coup de  comtes  et  de  seigneurs  étaient  secrètement  entrés  dans  ses 
vues  en  échange  de  pensions  annuelles'.  Plein  d'une  joyeuse  espé- 
rance, il  envoya  son  ambassadeur  à  la  diète  d'Augsbourg;  mais  là,  il 
dut  probablement  se  souvenir  de  l'avertissement  autrefois  donné  par 
Sickingeo,  et  put  se  convaincre  par  lui-même  qu'attendre  des  princes 
quelque  loyauté,  c'était  chimère.  En  juillet  1518,  Joachim  de  Brande- 
bourg lui  avait  cependant  renouvelé  ses  protestations  de  dévouement; 
mais  à  Augsbourg,  les  choses  changèrent  de  face^ 

Depuis  longtemps  attentif  aux  menées  secrètes  des  Français  en  Alle- 
magne, Maximilien,  ayant  renoncé  à  abdiquer  en  faveur  de  Henri  VIII, 
ne  songeait  plus  qu'à  assurer  la  couronne  impériale  à  son  petit-fils 
Charles  ^  Celui-ci,  qui  n'avait  que  six  ans  à  la  mort  de  son  père,  Phi- 
lippe, fils  unique  de  Maximilien  (1506),  avait  hérité  des  Pays-Bas 
en  1414,  et  en  avait  dès  lors  pris  le  gouvernement.  Deux  ans  après,  la 
mort  de  son  grand-père  maternel,  Ferdinand,  l'avait  mis  en  posses- 
sion de  la  couronne  d'Espagne,  et  des  pays  italiens  qui  en  dépen- 
daient alors.  Les  domaines  héréditaires  autrichiens  devaient  lui  revenir 
après  la  mort  de  î\laximilien.  La  couronne  impériale,  s'il  réussissait 
à  l'obtenir,  devait  donc  mettre  le  comble  à  la  fortune  de  la  mai- 
son de  Habsbourg,  et  détruire  la  prépondérance  de  la  France  en 
Europe. 

Les  choses,  par  rapport  à  ce  grand  projet,  semblaient  prendre 
un  heureux  aspect.  «  L'argent,  l'argent  en  proportion  toujours  plus 
grande  envoyé  par  Charles,  faisait  le  mieux  du  monde  l'affaire  de 
l'élection^  "  Le  16  aoiU  1518,  Joachim  de  Brandebourg  explique 

»MiGNET,  p.  216. 

'Mignet  en  donne  la  liste,  p.  217. 

'  Droysen,  2'',  71.  j 

*  Réilération  des  grandes  pratiques  de  France  pour  l'Empire.  Vov.  la  lettre  de  Maxi- 
milien à  Charles  datée  du  24  mai  1518,  dans  .AIone,  Anzeiger  für  Kunde  der  deutsehen 
l'oneil,  p.  14    1836;. 

*  Le  24  mai  1518,  Maximilien  recommande  à  son  petit-fils,  au  sujet  de  l'élec- 
tion. !a  tactique  qui  lui  avait  autrefois  été  utile  à  hii-méme  :  ■  Pour  gaigner  les 
gens  il  fault  mettre  beaucoup  en  avanture  et  dél)0urser  argent  avant  le  cop.  • 
Anzeiger  für  Kunde  der  deutschen  lorzeit,  p.  14,  5'  année  ^1836). 


MANOEUVRES    K  r,  i:  CT  O  «  A  r,  i:  S    A    AU(;.SBOUiU;.  553 

à  l'ambassadeur  français  que  la  cause  de  son  maitre  est  sans  espoir, 
«  Charles  ayant  déjà  cinq  voix  (parmi  lesquelles  était  la  sienne 
propre!)  contre  deux  ".  «  Cependant  »,  ajoute-t-il,  «  avec  de  l'argent 
on  pourrait  peut-être  encore  re{j;a{;ner  l'archeveque  de  Majence  et 
les  autres  princes  électeurs'.  »  Mais  i'ar{'ent  n'arriva  pas  à  temps, 
et  Maximilien  acheva  de  traiter  avec  Joachim.  L'Empereur  olTrait  en 
niaria{;^e  à  l'électeur  de  Brandebourg  sa  petite-fille  Catherine,  avec 
un  apport  de  500,000  florins  «  en  douaire  et  joyaux  ».  Joachim  en 
reçut  la  quatrième  partie  en  argent  comptant;  de  plus,  pour  les  Irais 
de  son  séjour  à  la  diète,  il  toucha  6,700  florins.  «  Le  margrave  Joa- 
chim »,  écrit  Maximilien  dans  une  dépêche  adressée  le  27  octobre 
en  Espagne,  «  couste  beaucoup  à  gagner;  toutefois  son  avarice  est 
avantageuse  au  seigneur  roi  (Charles),  car  par  elle  il  parvient  à  son 
désir*.  » 

Maximilien  offrit  ensuiteà  l'électeur  Albert  de  Mayence  comme  riche 
«  pot-de-vin  »  une  somme  de  52,000  florins  et,  de  plus,  la  promesse 
d'une  pension  de  8,000  florins  d'or.  On  promettait  de  plus  à  Albert  un 
bon  évéclié  en  Castille.  Le  prince  électeur  de  Cologne,  Hermann  de 
Wied,  vendit  sa  voix  à  meilleur  marché  :  20,000  florins  et  une  pen- 
sion de  6,000  florins  suffirent  à  le  contenter;  seulement,  il  réclama 
des  présents  et  des  pensions  pour  ses  chanceliers  et  conseillers.  On 
s'assura  la  voix  du  comte  palatin,  Louis,  par  des  moyens  semblables. 
Quant  à  la  Bohême,  le  roi  de  Pologne,  Sigismond,  en  sa  qualité  de 
cotuteur  du  roi  mineur  Louis  de  Bohême,  fit  dire  à  l'Empereur  par 
ses  délégués  que  son  choix  se  porterait  sur  Charles ^ 

Seuls,  les  princes  électeurs  Bichard  de  Trêves  et  Frédéric  de  Saxe 
ne  voulurent  entrer  dans  aucune  négociation  et  ne  se  laissèrent  tenter 
par  aucune  promesse  *.  Le  premier  était  secrètement  engagé  envers  la 
France;  le  second,  fidèle  à  la  prescription  de  la  Bulle  d'or,  entendait 
réserver  la  liberté  de  son  choix  jusqu'au  jour  de  l'élection.  L'Empe- 
reur ressentit  douloureusement  la  réserve  de  Frédéric  ;  mais,  en  même 
temps,  il  sut  en  honorer  les  motifs,  et  l'en  fit  complimenter  et  féli- 
citer. «  Car»,  disait-il,  "  c'était  là  se  conduire  en  loyal  électeur'!  »  Il 
se  flattait  néanmoins  qu'au  moment  de  l'élection,  Frédéric  donnerait 
des  preuves  de  son  ancien  attachement  pour  la  maison  de  Habsbourg. 
Le  27  aoiU,  les  électeurs  de  Mayence,  de  Cologne,  du  Palatinat  et 
du  Brandebourg',  ainsi  que  les  ambassadeurs  de  Bohême,  signèrent 

'  Voy.  MiG.NET,  p.  228.  •  On  pourrait  regagner  l'archevêque  de  Mayence  et  les 
autres  électeurs  à  force  d'argent.  » 

*  Le  Gl\y,  A'égociat.ons,  t.  II,  p.  172. 

*  UÖFLER,  p.  26-42.  —  KœsLEK,  p.  43-46. 

*  La  Saxe  devait  recevoir  seize  mille  florins  d'or,  Trêves  vingt  mille.  LeGl^y, 
t.  n,  p.  173. 

'^  Spàlatin,  Nachlass  von  Meudecker  und  Prellcr,  p.  50-51. 


554     EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION   EXTERIEURE. 

leurs  engagements;  Maximilien  de  son  côté,  au  nom  de  son  petit-fils, 
confirma  toutes  leurs  libertés  et  privilèges,  et  leur  prodigua  ses 
promesses  et  ses  offres  de  service  ',  s'engageant  à  les  prendre  sous 
sa  protection  dans  le  cas  où  ils  seraient  inquiétés  à  cause  de  leur 
détermination  soit  par  le  Pape,  soit  par  la  France.  On  crut  tout  ter- 
miné à  la  satisfaction  générale.  En  janvier  1519,  à  la  diète  de  Franc- 
fort, l'affaire  de  l'élection  semblait  devoir  être  entièrement  assurée. 

Mais  François  I",  renseigné  par  le  Brandebourg  et  Trêves  sur  les 
agissements  d'Augsbourg,  n'était  nullement  d'humeur  à  renoncer  à 
ses  prétenlions.  Il  était  bien  résolu,  comme  il  l'écrivait  au  nonce 
du  Pape  le  20  octobre  1518,  à  mettre  tout  en  œuvre  pour  entraver 
l'élection  de  Charles;  "  il  corromprait  les  électeurs,  et  viendrait  à 
bout,  à  force  d'argent  et  de  promesses,  de  les  rendre  infidèles 
aux  engameuts  d'Augsbourg  ».  La  mère  du  Pioi  se  plaignait  amère- 
ment du  peu  de  loyauté  des  princes  allemands  ^ 

Comme  le  royaume  de  Naples  appartenait  à  la  couronne  d'Espagne, 
et,  selon  l'ancien  droit,  étant  fief  papal,  ne  pouvait  être  réuni  à 
l'Empire,  Léon  X  n'était  pas  favorable  à  l'élection  de  Charles,  et  en 
novembre  1518,  il  proposa  au  roi  de  France  d'agir  de  concert  avec 
lui  pour  l'élection  du  prince  Frédéric  de  Saxe.  François  fit  semblant 
d'entrer  dans  ce  projet;  il  assura  au  Pape  que,  de  son  côté,  il  avait 
renoncé  à  la  couronne  impériale;  mais  en  même  temps  il  appelait  en 
secret  les  Vénitiens  à  un  armement  général,  dans  le  cas  où,  pour 
soutenir  son  élection,  il  serait  nécessaire  d'avoir  recours  aux  armes \ 
En  décembre,  Albert  de  Mayence  se  vendit  de  nouveau  à  la  France. 
Il  se  recommandait  pour  l'avenir,  lui  et  son  frère  Joachim,  à 
la  protection  et  faveur  du  roi  François,  "  auquel  tous  deux  étaient 
dévoués  cordialement  ".  A  un  ambassadeur  français  qui  lui  appor- 
tait à  Noël  de  magnifiques  présents  d'or  et  d'argent  ciselés,  le 
sachant,  disait-il,  grand  amateur  des  arts,  il  protesta  qu'il  espérait 
bien  voir  les  choses  s'arranger  si  heureusement  qu'il  pourrait  un 
jour  saluer  du  titre  d'empereur  le  généreux  roi  François  I"'. 

La  mort  prompte  et  imprévue  de  Maximilien  (12  janvier  1519)  sembla 
tout  à  coup  servir  les  v<eux  de  la  France.  «  Le  voilà  donc  mort  ", 

'  Voy.  les  lettres  de  faveur  de  Maximilien  dans  Buchholtz,  t.  III,  p.  665- 
670. 

'Le  nonce  français  rapporte  comme  il  suit  (30  octobre  1518)  son  entrevue 
avec  la  Reine  mère  :  ■  Dolendosi  fin  al  cielo  d'alcuni  principi  d'Alemagna,  quali 
in  questo  modo  ed  in  molti  aliri  casi  hanno  offerio  e  promesso  al  rè  ed  a  lei  che 
poi  non  hanno  osservato.  Estremamente  si  dolse  del  marchese  di  Brandenburgo,^ 
che  fuor  d'ogni  sua  promessa  e  gioa  mandata  qua  havesse  lasciata  Madame 
Renea  e  prese  la  sorellu  del  Catolico  per  suo  figlio,  chiaraandolo  raancatore 
(se.  di  fede).  •  Voy.  IIofler,  p.  82. 

*  Voy.  Rœslkr,  p.  48-49. 

*  D'après  une  annotation  de  Senckenberg,  Acta  ei  Pacta,  p.  504. 


MANOEUVRES    E  LE  C  T  0  i;  AI,  KS  .  555 

(écrivait  im  fidèle  ami  de  la  maison  de  Habsbourg,  .■  le  voilà  donc 
disparu,  celui  qui  pouvait  seul  amener  le  (jrand  projet  à  bonne  fin, 
celui  (fue  tous  aimaient  et  redoutaient!  Les  choses  vont  maintenant 
prendre  un  autre  cours  '!  » 

Deux  jours  après  la  mort  de  l'Empereur,  le  comte  palatin  se 
tourna  de  nouveau  vers  le  roi  de  France,  lui  offrant  son  suffrage 
pour  la  somme  autrefois  promise,  à  la  condition  que  leur  accord 
demeurerait  secret*.  François  envoya  aussitôt  une  nouvelle  et  bril- 
lante ambassade  en  Allemagne,  avec  l'ordre  d'accorder  aux  élec- 
teurs "  tout  ce  qu'ils  demanderaient  ».  Comme  l'un  des  confidents  du 
Hoi,  le  président  Guillard,  lui  représentait  qu'il  serait  plus  digne  de 
lui  de  ne  faire  valoir  ses  droits  à  la  couronne,  ni  en  répandant 
l'argent,  ni  en  employant  la  violence,  mais  en  se  servant  de  moyens 
honorables,  et  par  la  seule  influence  de  son  mérite  personnel,  Fran- 
çois lui  répondit  (7  lévrier)  :  "  Vos  paroles  seraient  fort  sages  si  nous 
avions  affaire  à  des  gens  d'honneur,  ou  possédant  du  moins  une 
ombre  d'honneur  M  >> 

Les  plus  empressés  à  accepter  ses  offres,  les  plus  cupides  d'entre 
tous  les  princes,  ce  furent  les  frères  de  Hohenzollern*. 

Joachim  avait  pris  l'argent  de  Charles  à  Augsbourg,  et  s'en  étai» 
■fait  donner  plus  que  pendant  tout  son  gouvernement  il  n'en  dépensa 
jamais  pour  le  bien  de  l'Empire';  maintenant,  il  se  montrait  de  nouveau 
alléché  par  l'or  français,  et  en  réclamait  dans  une  telle  proportion 
que  les  délégués  de  François  se  plaignirent  «  qu'il  leur  en  extorquait 
comme  s'ils  eussent  été  des  barbares  y-  !  A  cela  le  roi  de  France  leur 
répondit  avec  décision  :  "  Je  veux  que  l'on  consente  à  tout  ce  qu'il 
demande;  il  faut  à  tout  prix  le  rassassier"!  »  Aussi,  dès  le  9  mars, 
Joachim  écrivait  à  son  parent  le  grand  maître  Albert,  -  qu'il  était 
eu  meilleure  intelligence  que  jamais  avec  les  lys,  et  faisait  des  vœux 
pour  la  réussite  des  projets  de  la  France  ».  Voici  à  quelles  conditions 
il  avait  promis  son  suffrage  :  pendant  toute  sa  vie,  on  devait  lui 
«■ervir  une  pension  de  4,000  thalers;  son  fils  devait  en  toucher 
une  autre  de  2,000  thalers.  De  plus,  on  promettait  en  mariage  au 

'  Voy.  Droysen,  p.  2'',  77. 
-  MiGNET,  p.  232. 
'  MiGNET,  p.  232. 

*  L'agent  français,  Joachim  von  Maîtzan,  gentilhomme  mecklembourgeois, 
écrivait  à  François  I"  le  28  février  1519  :  »  Tout  ira  Inen  si  nous  pouvons  ras- 
sasier le  margrave.  Lui  et  son  frère  l'électeur  de  Mayence  tombent  chaque  jour 
dans  de  plus  grandes  avarices.  «  Mignet,  p.  251.  —  Zevenberghen  appelle 
Joachim  le  père  de  la  cupidité  et  •  ung  homme  diabolique  pour  besogner  avec 
lui  en  matière  d'argent  > .  Le  Glat,  t.  II,  p.  239. 

*  Sur  les  opinions  et  l'attitude  de  Joachim  par  rapport  à  l'Empire,  voy. 
Droysen,  p.  2'',  48  f. 

"  Voy.  les  passages  cités  dans  Roesler,  p.  71,  note  3. 


556    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

jeune  prince  héritier  Renée^  fille  du  roi  Louis  XII,  avec  un  douaire 
de  200,000  fhalers  d'or.  Si  François  était  élu,  Joachim  devait  être 
nommé  son  lieutenant  général  en  Allemagne.  S'il  échouait,  François 
promettait  de  s'employer  avec  zèle  pour  l'élection  du  prince  de 
Brandebourg  '.  Lorsque  Maximilien  vivait  encore,  Joachim  avait  été 
assez  bas  pour  se  faire  recruteur  de  suffrages  et  agent  français; 
maintenant,  devenu  plus  exigeant,  il  luisait  promettre  à  François  de 
lever  une  puissante  armée  dans  le  cas  où  il  serait  nécessaire  de  sou- 
tenir sa  propre  élection  par  les  armes*. 

Tandis  que  Joachim  poursuivait  ainsi  ses  intrigues  secrètes,  le 
délégué  de  Charles,  Paul  Armerstorff,  travaillait  activement  pour  les 
intérêts  de  son  maître  auprès  d'Albert  de  Mayence.  Outre  ce  qui  lui 
avait  été  promis  à  Augsbourg,  l'électeur  réclama  100,000  florins  d'or 
avant  de  promettre  sa  voix.  Après  un  long  marchandage,  il  réduisit 
ses  prétentions,  d'abord  à  60,  ensuite  à  50,  enfin  à  20,000  florins 
d'or.  «  J'ai  honte  de  sa  honte!  «  écrivait  Armerstorff  au  roi  Charles 
à  propos  d'Albert,  qui,  tandis  que  se  concluait  ce  honteux  marché, 
lui  révélait  toutes  les  démarches  du  roi  de  France  ^  «  Les 20,000  flo- 
rins ont  opéré  des  merveilles  »,  écrit  Armerstorff  à  Marguerite, 
tante  de  Charles,  ^-  comme  vous  le  verrez  par  la  copie  de  la  lettre 
que  l'archevêque  de  Mayence  écrit  à  son  frère,  et  que  je  vous 
envoie*.  "  Grâce  à  l'argent  promis,  Albert  s'y  montre  en  effet 
l'ennemi  déclaré  de  la  France,  et  cherche  à  attirer  Joachim  au  parti 
de  Charles.  «  Je  vous  prie  ",  lui  dit-il,  ^  de  songer  à  l'honneur  et  à 
l'avantage  de  l'Empire,  à  votre  gloire,  à  celle  de  toute  la  nation 
allemande!  Si  la  couronne  impériale  est  donnée  aux  Français,  qui, 
séparés  depuis  longtemps  de  la  race  germanique,  n'ont  ni  fidélité  ni 
conscience  et  n'ont  jamais  voulu  de  bien  à  notre  pays,  l'Empire  est 
perdu!  Ils  le  fouleront  aux  pieds,  et  chercheront  à  s'en  reudre  les 
maîtres  héréditaires*.  » 

Mais  Joachim  savait  depuis  longtemps  la  valeur  qu'il  fallait  atta- 
cher aux  paroles  de  son  frère.  «  H  avait  =,  iui  répondit-il.  «  en  son 
nom  et  au  sien,  et  dans  leurs  communs  intérêts,  conclu  un  traité  avec 
François  1".  Le  devoir  voulait  que  la  parole  donnée  fiU  exactement 
tenue  envers  un  souverain  qui  avait  été  si  libéral  à  leur  égard*.  Tous 
deux  étaient,  de  plus,  obligés  en  conscience  de  soutenir  les  intérêts 

'  Le  Glay,  t.  II,  p.  387,  390.  —  Mignet,  p.  236. 

*  «  Sibi  Brandenuurgensi,  etiara  mihi  • ,  écrivait  l'agent  fraiiç.ùs  Joachim  von 
Maltzan  au  roi  François,  le  12  mars,  •  opiimum  videtur  M.  V.  in  principio  junii 
habeat  validissimum  exercilum  paratum.  •  Le  Gliy,  t.  II,  p.  332. 

*  MlG.NET,  p.    244. 

*  Le  Glay,  t.  I.  cxliii. 
^  Mig.net,  p.  243. 

''  Avant  les  engagements  pris  à  Augsbourg. 


F  li  A  Nr;  Ol. s    1"    S'KFFOHCK    DE    l'AlîVENIIi    A    I/FMI'IKE.         557 

de  1.1  France  auprès  des  aufres  princes  électeurs  '.  »  C'est  en  effet  ce 
que  fireiil  les  deux  frères.  Albert,  qui  accusait  les  Français  de  man- 
quer de  loyaiilé  ei  de  conscience,  protestant  à  Arnierslorff  qu'il 
était  «  trop  honnête  homme  pour  qu'on  piit  espérer  le  gagner  par 
des  présents  »,  se  donna  de  nouveau  à  la  France  aussitôt  le  départ 
du  délégué  de  Charles,  et  dès  que  les  acheteurs  de  voix  envoyés 
par  François  lui  eurent  fait  des  offres  plus  avantageuses  encore. 
Alors,  «  pour  la  louange  de  Dien,  i)Our  la  gloire  et  la  restauration 
de  l'Empire  romain  >•,  cet  honnête  homme  promit  sa  voix  pour  une 
annuité  de  10,000  florins,  plus  le  don  de  120,000  florins,  destinés 
à  la  construction  d'une  é,",lise  A  Hall.  En  outre,  il  sollicitait  la  dignité 
de  légat  perpétuel  du  Pape  en  Allemagne.  A  ces  conditions,  il  don- 
nait sa  parole  de  prince  de  tenir  loyalement  sa  promesse  envers  la 
France,  et,  de  son  côté,  François  s'engageait  à  oublier  tout  ce  qui 
s'était  passé  à  Augsbourg*. 

Louis,  électeur  du  Palalinat,  montra  la  même  rapacité.  Il  avait, 
dès  le  début,  promis  sa  voix  au  roi  de  France,  puis  était  retourné 
à  Maximilien.  Il  avait  ensuite  offert  de  nouveau  ses  services  à  Fran- 
çois; el  maintenant  (mars  1519),  il  faisait  remarquera  ses  collègues 
les  électeurs  «  que  si  la  France  l'emportait,  il  était  à  craindre  qu'elle 
n'exploitât  l'Empire  à  son  profit;  que  François  n'avait  d'autre  but 
que  l'accroissement  de  son  pouvoir;  qu'il  serait  ignominieux  de 
donner  la  couronne  à  un  étranger,  et  que  ce  cas  échéant,  il  se  pour- 
rait faire  que  les  populations  tinssent  de  fâcheux  discours  sur  leurs 
princes,  et  peut-être  même  ne  se  soulevassent  ouvertement  contre 
eux  ^  car  le  roi  de  France  avait  un  grand  nombre  d'opposants  eu 
Allemagne  ».  Aussi,  en  avril,  Louis,  ayant  obtenu  des  agents  de 
Charles  des  sommes  plus  considérables  que  celles  qui  lui  avaient 
été  promises  à  Augsbourg*,  signa,  par  leur  intermédiaire,  sa  pro- 
messe de  vote.  Mais,  dès  le  mois  de  mai,  à  la  suite  d'offres  plus 
magniîiques  encore,  de  promesses  encore  plus  séduisantes,  il  se 
vendit  de  nouveau  à  la  France.  «  Afin  que  nos  pieux  desseins 
puissent  se  réaliser  »,  dit-il  dans  la  convention  qui  le  lie  envers 
François  (28  mai),  -  nous  supplions  le  Roi  Très-Chréiien,  en  considé- 
ration des  nombreux  avantages  que  doit  retirer  la  chrétienté  de  son 
élévation,  de  ne  pas  renoncer  à  ses  prétentions  à  l'Empire;  nous 
nous  engageons,  sur  notre  parole  et  notre  honneur  de  prince,  à  lui 

'  MiGNET,  p.  243.  «  Fara  quel  vorra  suo  fratello  rnarchese  •,  éciùvait  un  Véni- 
tien à  propos  d'Albert,  le  12  avril  1519.  •  Il  dit  oui  à  tout  ce  qu'on  lui  propose  » , 
disait  Joachim  de  son  frère.  Voy.  Droysen,  2'',  p.  81  et  la  note  correspondante, 
p.  459. 

'Le  GLiY,  Négociations,  t.  II,  p.  379-387. 

'  Voy.  Fine,  Geöffnete  Archive,  II,  p.  139-202.  —  Roesler,  p,  98. 

*  Le  Glay,  t.  II,  p.  410. 


558    EMPIRE    ROMAIN    (,ERMAMOUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

■donner  notre  suffrage,  et  à  le  servir  de  toutes  nos  forces  auprès 
des  autres  électeurs.  Nous  sommes  convaincus  que  nous  ne  saurions 
rien  faire  de  meilleur,  de  plus  digne,  de  plus  ygréable  à  Dieu,  de 
plus  favorable  à  Tintérêt  de  fous  les  chrétiens  ^  »  En  récompense 
de  cette  œuvre  pie,  François  s'engageait  à  donner  au  prince  élec- 
teur 100,000  florins,  et  une  annuité  de  5,000  couronnes.  Le  souve- 
rain français  promettait  en  outre  de  traiter  Louis,  non  comme  un 
simple  pensionné,  mais  comme  l'un  des  princes  les  plus  considérables 
de  l'Allemagne  et  les  plus  amis  de  la  France.  On  assurait  à  son  frère, 
le  comte  palatin  Frédéric,  une  somme  annuelle  de  6,000  florins,  s'il 
voulait  embrasser  la  cause  française.  Deux  autres  de  ses  frères 
devaient  être  promus  à  divers  évêchés  de  France  et  d'Allemagne.  Leurs 
conseillers  et  serviteurs  devaient  toucher  annuellement  2,000  florins. 
François  s'engageait  au.ssi  à  aider  le  comte  palatin  à  rentrer  en  pos- 
session des  villes  et  châteaux  retournes  à  la  Hesse  et  à  Nuremberg  à 
la  suite  delà  guerre  de  succession  bavaroise,  ce  qui  revenait  naturel- 
lement à  dire  que  son  intention  était  de  rallumer  la  guerre  en  Alle- 
magne*. Tel  fut  le  noble  marché  conclu  par  le  "  Pilate  palatin  >, 
comme  Armersforff  appelait  Louis. 

"  La  prodigalité  des  Français  est  vraiment  merveilleuse  »,  écrivait 
à  la  tante  du  jeune  Charles  Maximilien  Zevenberghen,  diplomate 
habsbourgeois.  «  Ils  multiplient  les  promesses,  les  présents,  l'argent 
comptant,  les  pensions.  Ils  donnent  carte  blanche  aux  élecleurs,  et 
ceux-ci  obtiennent  tout  ce  qu'ils  veulent.  C'est  là  un  effroyable  dan- 
ger pour  notre  Allemagne.  Je  n'ai  jamais  vu  de  gens  plus  cupides  que 
nos  princes!  Je  veux  espérer  que,  vendant  leur  honneur  pour  de 
l'argent,  ils  n'achètent  pas  en  même  temps  la  verge  avec  laquelle 
eux  et  leurs  biens  seront  un  jour  flagellés  M  » 

Bien  avant  la  conclusion  du  contrat  avec  le  prince  palatin,  l'élec- 
teur de  Trêves,  en  échange  de  promesses  magnifiques,  avait  aussi 
promis  son  suffrage  à  la  France.  Au  dire  des  agents  françai-s,  le 
traité  ne  pouvait  être  meilleur  *.  Quant  à  la  Saxe  et  à  Cologne,  on 
espérait  que  les  électeurs  de  Brandebourg  et  de  Mayence  réussiraient 

'  MiGNET,  p.  254. 

^  Stumpf,  Baiems  politische  Geschichte,  p.  24-25.  —  Buchholtz,  t.  I,  p.  34-95. 

3  Voy.  HÖFLEU,  p.  65-66.  «  Il  y  a  quelque  chose  de  profondément  humiliant  •, 
dit  Ulniann  (p.  134i,  •  à  constater  la  réprobaiion  générale  qui  entoure  en 
France  la  trahison  d'un  Charles  de  Bouibon,  tandis  que  chez  nous  on  se 
contente  de  hausser  les  épaules  et  l'on  regarde  comme  une  chose  après  tout 
excusable  la  conduite  des  descendants  des  plus  illustres  familles  allemandes, 
et  la  vénalité  des  princes  électeurs  au  moment  de  l'élection  de  Charles-Quint.  • 

*  Rœsler,  p.  147-148.  Bien  que  le  prince  électeur  Richard  Greiffenklau  passât 
pour  absolument  dévoué  à  la  France,  il  fit  cependant  à  l'ambassadeur  anglais 
Pace  l'effet  d'un  seigneur  noble  et  sage,  ayant  à  cœur  de  contribuer  de  tout 
son    oouvoir  à  la  gloire   de  sa  nation.    Voy.    Höfler,  p.   50.  —  Armerstorff 


VÉNAIJTK    DK. S    1*  H  I  N  C  E  S  .  559 

à  les  [j;i}}Qcr.  Mais  l'archevêque  de  Cologne,  Hermaun,  se  refusa  à 
douner  aucuoe  assurance  positive;  Frédéric  de  Saxe  agit  de  même, 
et,  pour  les  gagner,  tous  les  efforts  des  frères  de  IJohenzollern  res- 
tèrent inutiles.  Frédéric  rejeta  avec  la  même  fermeté  les  offres  du 
duc  Henri  de  Luncbourg,  qui,  lui-même  à  la  solde  de  la  France, 
obéissait  à  François  I",  qui  lui  avait  enjoint  d'agir  de  telle  sorte  sur 
l'esprit  de  Frédéric  qu'un  prince  de  la  maison  de  Habsbourg  ne  piH 
être  élu.  "  La  maison  d'Autriche  »,  disait  ce  prince  vénal,  -  a  exercé 
sous  Maximilien  un  pouvoir  excessif.  Elle  a  étouffé  le  développement 
légitime  des  États  allemands'.  »  La  longue  expérience  de  Frédéric 
lui  démontra  sans  doute  aisément  la  fausseté  de  cette  assertion.  De 
plus,  le  parti  de  Habsbourg  espérait,  non  sans  raison,  qu'il  lui  suffi- 
rail  |)Our  repousser  les  offres  françaises,  d'apprendre  que  Fran- 
çois i"  avait  promis  de  faire  de  l'électeur  de  Brandebourg  son  lieu- 
tenant général  en  Allemagne^  au  cas  où  il  serait  élu.  Frédéric,  parlant 
du  honteux  marché  de  suffrages  qui  se  pratiquait  dans  l'Empire,  dit 
un  jour  avec  irritation  :  "  PliU  à  Dieu  qu'une  corne  poussât  sur  le 
front  des  princes  qui  se  livrent  à  un  pareil  trafic!  On  pourrait  alors 
les  reconnaître!  La  rumeur  publique  assure  que  Télection  du  Roi  des 
romains  se  trame  à  prix  d'argent.  Si  cela  était,  j'en  aurais.  Dieu  le 
sait,  une  peine  extrême  M  '■ 

Bien  qu'il  ne  lui  eiU  pas  été  possible  de  gagner  tous  les  électeurs, 
François  croyait  du  moins  pouvoir  compter  sur  une  majorité  cer- 
taine. Cependant,  au  cas  où  les  suffrages  se  partageraient,  son  plan 
était  ftiit  d'avance.  Par  la  force  des  armes,  il  contraindrait  ses 
adversaires  à  le  reconnaître  pour  empereur.  «  Je  serais  heureux  », 
écrivait-il  à  l'un  de  ses  agents,  «  que  l'entreprise  pût  être  menée  à 
bonne  fin  sans  effusion  de  sang,  et  sans  qu'une  guerre  devienne 
nécessaire.  Mais  l'affaire  ayant  été  si  loin,  me  retirer  serait  contraire 
à  l'honneur.  »  Parmi  les  princes  et  seigneurs  séduits  par  ses  riches 
promesses,  les  ducs  Henri  et  Albert  de  Mecklembourg  lui  avaient 
promis  leur  appui  en  échange  d'une  pension  de  3,000  thalers  d'or; 
Joachim  de  Brandebourg  lui  offrait  15,000  hommes  de  pied  et 
4,000  cavaliers,  si  la  lutte  à  main  armée  devenait  nécessaire  pour 
.soutenir  ses  prétentions.  «  Le  roi  de  France  »,  écrivait-il  plein  de 

s'exprime  aussi  très-favorableaient  sur  son  compte  dans  une  lettre  adressée  à 
Charles  le  20  mars  1519  :  .  Nous  l'avons  trouvé  en  plusieurs  devises  qu'avons 
eues  avec  luy,  si  très  saige,  et  devisant  de  cest  affaire  si  très-vertueusement, 
que  espérons  que  la  raison  le  conduira  aussy  prez  de  votre  désir.  «  Le  Glav, 
t,  II,  p.  356. 

*  Voy.  la  lettre  de  Henri,  23  février  1519,  dans  IIavemann,  Gesch.  der  Lande 
Braunschweig  und  Lüneburg,  t.  II,  p.  18.  —  RqeSLER,  p.  74. 

*Le  Glay,  t.  II,  p.  235. 

'  Droysen,  p.  2^,  67.  Voy.  l'arlicle  de  Droysen  dans  les  Berichten  über  die  Verhandl. 
er  hönigl.  sächs.  getellscha/t  der  lUissenschaßen,  t.  V,  p.  161. 


560    EMPIRE    nOMAlN    (lERMANIQUE,    SITUATION    EX^TÉRIEURE. 

joie  au  landgrave  Philippe  de  Hesse,  <  aurait  sur  le  champ  de  bataille 
de  Francfort,  grâce  aux  princes  allemands,  30,000  hommes  de  pied  et 
3,000  cuirassiers.  »  Cette  armée,  dans  l'opinion  du  prince  d'Empire, 
devait  servir  à  assurer  la  liberté  des  électeurs'.  Quant  à  Philippe 
de  Hesse,  malgré  les  bons  conseils  du  duc  de  Saxe,  Georges  le  Barbu, 
qui  l'exhortait  à  ne  pas  se  laisser  entraîner  par  la  France,  à  être  et  à 
demeurer  bon  Allemand,  il  armait  en  secret  pour  François  I"*. 

Ce  dernier  ne  doutait  plus  de  l'heureux  succès  de  sa  grande  entre- 
prise; déjà  l'on  parlait  à  Paris  de  la  parure  que  la  Reine  mère  avait 
commandée  pour  le  jour  du  couronnement.  Louise  de  Savoie  mena- 
çait les  princes  allemands  de  faire  à  Charles  «  plusieurs  révéla- 
tions désagréables  ^  s'ils  se  montraient  infidèles  à  leurs  engage 
ments.  » 

c  0  princes  électeurs  •,  dit  Sébastien  Brant  dans  l'une  de  ses  épi- 
grammes,  "  ne  voulez-vous  donc  pas  vous  tourner  du  côté  du  droit?  Vous 
êtes  d'accord  avec  les  Français?  En  vérité,  je  vous  le  dis,  vous  vous  en 
repentirez  un  jour!  Et  toi,  pauvre  Allemagne,  ta  ruine  se  prépare!  ' 

Et  à  un  autre  endroit  : 

t  Sois  sur  tes  gardes,  ô  Saint-Empire  !  Ne  laisse  pas  l'aigle  t'échapper! 
rs"e  souffre  pas  que  le  sceptre  et  la  couronne  te  soient  ravis  et  passent  à 
une  nation  étrangère!  Il  nous  arriverait  alors  malheur  à  tous,  et  l'Alle- 
magne sombrerait  *!  » 

Aussitôt  après  la  mort  de  Maximilien,  Charles  avait  mis  tout  en 
usage  pour  déjouer  les  intrigues  françaises  et  parvenir  à  l'Empire. 

"  Nous  ne  savons  personne  ",  écrivait-il  le  6  lévrier  1519  à  Frédé- 
ric de  Saxe,  «  qui  ait  plus  que  nous  des  titres  légitimes  à  la  cou- 
ronne impériale.  Non-seulement  nous  sommes  Allemand,  de  sang  et 
de  race,  mais  encore  nos  ancêtres,  les  empereurs  romains,  ont  bien  et 
heureusement  gouverné  le  Saint-Empire.  "  Dans  une  lettre  circu- 
laire adressée  aux  électeurs,  il  fait  officiellement  valoir  ses  pré- 
tentions, et  insiste  particulièrement  sur  ses  origines  allemandes  : 
«  S'iln'eùi:  été  d'extraction  germanique  ;),  assure-t-il,  -■  s'il  n'eût  été 
le  légitime  souverain  de  plusieurs  États  allemands,  jamais  il  n'aurait 

*  Voy.  Hœsler,  p.  104,  144-146.  —  Ulmann,  p.  148.  L'électeur  de  Trêves  décon- 
seillait au  Roi  «  de  lever  des  troupes,  de  peur  qu'on  ne  l'accusât  de  vouloir  se 
faire  élire  par  force  «.  Mais  François  suivit,  après  de  longues  hésitations,  le 
conseil  de  Joarhim  de  Brandebourg,  «  qui  le  pressait  d'en  mettre  sur  pied  ». 
—  MiGNET,  p.  249-250.  Dans  les  villes  allemandes,  on  donna  l'ordre  de  laisser 
pénétrer  les  troupes  françaises.  Voy.  Rceslep»,  p.  144,  noie  4. 

*  Llmann,  p.  148,  note  4. 
'  Voy.  Pauli,  p.  431. 

*  Zarncke,  A'arrenschiJ',  ch.  xxxvii. 


LE    ROI    CHAULES    FAIT    VALOIli    SES    DROITS    A    L'EMPIRE.      OCl 

aspiré  à  rKmpirc;  mais  étant  riiérilicr  légitime  de  la  maison  d'Au- 
triche, il  se  croyait  obiifjé  de  faire  valoir  ses  droits.  Du  reste,  selon 
la  constante  politique  de  ses  ancêtres,  il  chercherait  à  au^ijmenter 
plutrtt  qu'à  diminuer  les  libertés  ecclésiastiques  et  temporelles,  évi- 
tant tout  ce  qui'pourrait  les  compromettre*.  ')  S'adressantaux  Suisses, 
il  leur  rappelle  aussi  «  qu'il  est  duc  d'Autriche  et  de  Brabant,  pays 
allemands  et  fiels  impériaux;  qu'il  parle  et  écrit  le  flamand  et  le  haut 
allemand,  et  s'est  adressé  dans  cette  langue  aux  électeurs  *  ;  qu'issu  du 
plus  noble  sang? germanique,  il  est  né  et  a  été  élevé  en  Allemagne'  ». 

Après  avoir  parlé  de  ses  origines,  Charles  insiste  sur  un  autre  point 
important  :  ses  nombreux  et  vastes  États  réunis  à  l'Empire  lui  don- 
neraient un  pouvoir  qui  le  mettrait  à  môme,  plus  que  tout  autre 
prince  de  l'Europe,  de  porter  aide  et  secours  à  la  chrétienté,  si  grave- 
ment menacée  par  les  Turcs.  Son  dessein  très-arrété  était  de  rétablir 
la  paix  et  la  concorde  entre  les  peuples  chrétiens,  et  de  mettre  sa  vaste 
puissance  au  service  de  la  foi.  «  S'il  tenait  tant  à  obtenir  la  couronne 
romaine,  ce  n'était  »,  comme  il  l'écrivait  à  sa  tante  Marguerite,  «  que 
dans  l'espoir  d'exalter  la  sainte  foi  et  de  ruiner  les  projets  des  infi- 
dèles*. '1  »  Le  jeune  roi  demande  tous  les  jours  à  Dieu  de  mettre  la 
concorde  entre  les  peuples  chrétiens;  il  le  supplie  de  faire  de  lui  son 
instrument  pour  l'anéantissement  des  Turcs  »,  écrivait  Paul  Armers- 
lorff  à  l'archevêque  Albert  de  Mayence.  «  Bien  qu'il  n'ait  que  dix- 
neuf  ans,  il  est  d'une  persévérance  extraordinaire  dans  ses  résolutions, 
équitable  et  doux,  vraiment  digne  de  porter  la  suprême  couronne  et 
d'être  le  protecteur  en  titre  de  la  chrétienté  '.  « 

Dès  le  commencement  de  février,  les  agents  électoraux  de  Charles 
redoublèrent  leurs  efforts  auprès  des  électeurs.  Les  Suisses  se  décla- 


'  Voy.  la  lettre  à  Frédéric  de  Saxe,  dans  les  ORuvres potihumet  de  fiv\Ls.Tis, p.  92- 
94.  Voy.  la  lettre  aux  princes  électeurs  dans  Weiss,  Papiers  d'État  de  Gianvelle, 
t.  I,  p.  111  (Paris,  1841). 

'  On  possède  diverses  lettres  autographes  écrites  en  allemand  par  Charles 
aux  électeurs  du  Palatinat  et  de  la  Saxe  à  l'époque  'de  l'élection.  Voy.  Waltz. 
Forschungen  lur  deutschen  Geschichte,  t.  X,  p.  216,  note  4. 

'  Voy.  Anshelm,  t.  V,  p.  389. 

♦Lettre  du  5  mars  1519.  —  Mignet,  p.  239.  Marguerite  lui  avait  proposé  de 
présenter  comme  prétendant  au  trône  d'Allemagne  son  jeune  frère  Ferdinand. 
Dans  la  lettre  de  Charles,  comme  le  remarque  judicieusement  Rœsler,  se  montre 
déj;i  toute  la  maturité  de  jugement  du  grand  empereur  futur.  Voy.  aussi  la 
lettre  confidentielle  de  Charles  à  son  beau-frère  le  roi  Christian  de  Danemark 
(8  avril  1519),  où  se  trouvent  les  paroles  souvent  citées  sur  la  mise  aux  enchères 
de  la  couronne...  <■  Electionem  quodammodo  in  auctione  ponunt.  .  Il  ne  cache 
pasque  si  sou  grand  dessein  réussissait,  sa  situation  politique  serait  transformée: 
•  Pro  stabilimento  nostrarum  rerum  omnium  huic  electioni  lotis  viribus  inten- 
dere.  »  Archiv,  fur  Staats  und  Kirchengetch.  des  Herzogthumt  Schleswig-Holstein  und 
Lauenburg.  t.  V,  p.  502. 

*  Se.nckenberg,  Acta  et  Pacta,  p.  505.  —  Voy.  ces  passages  dans  les  lettres  de 
Pierre  Martyr,  Mig.net,  p.  210. 

36 


56^    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

rèrent  ouvertement  pour  lui,  et  les  membres  de  la  diète  fédérale  se 
montrèrent  franchement  opposés  à  la  candidature  de  François  I'\ 
Dans  une  lettre  adressée  aux  électeurs,  ils  déclarent  que  «  les 
confédérés  voient  avec  grand  déplaisir  le  roi  de  France  travailler  en 
sous-main  les  populations,  et  chercher  à  obtenir  la  plus  haute  dignité 
du  monde  chrétien,  dans  le  dessein  de  mettre  le  Saint-Empire  sous 
sa  domination  et  puissance.  Son  élection  ne  pourrait  attirer  qu'humi- 
liations, troubles,  guerres  et  révoltes  à  l'Empire  et  à  toute  la  chré- 
tienté. »  "  Les  Allemands  »,  ajoutent-ils,  ont  conquis  la  suprême 
couronne  par  leur  valeur,  au  prix  de  sanglants  combats.  Ils  ont 
mérité  qu'elle  soit  conservée  à  leur  nation,  qui  la  possède  depuis  six 
cents  ans.  Bien  que  le  roi  de  France  proteste  de  ses  bonnes  inten- 
tions envers  les  divers  peuples  qui  composent  l'Empire,  et  particuliè- 
rement envers  nous,  disant  que  depuis  longtemps  les  confédérés  sont 
alliés  de  la  France  et  en  très-bonne  intelligence  avec  elle,  nous  fai- 
sons savoir  aux  électeurs  que  nous  n'avons  jamais  eu  l'intention  de 
nous  séparer  de  nos  deux  chefs  suprêmes  :  le  Pape  et  l'Empereur; 
que  nous  portons  l'aigle  impériale  dans  nos  armes,  et  nous  considét 
rons  comme  faisant  partie  de  l'Empire,  faisant  les  vœux  les  plus  sin- 
cères pour  sa  prospérité  et  sa  gloire.  Fils  dévoués  du  Saint-Empire, 
il  nous  serait  très-douloureux  de  voir,  contrairement  aux  usages  et 
libertés  anciennes,  la  couronne  impériale  ravie  à  la  noble  nation  alle- 
mande et  transférée  aux  Français,  qui  parlent  une  langue  étrangère, 
et  depuis  si  longtemps  convoitent  l'Empire.  Les  princes  doivent 
faire  tous  leurs  efforts  pour  les  empêcher  de  parvenir  à  leur  but,  et 
s'employer  énergiquemeut  à  assurer  l'élection  d'un  souverain  de  race 
germanique,  afin  qu'un  prince  welche  ne  soit  pas  mis  à  la  tête  de  la 
chrétienté  '.  " 

Les  négociations  des  agents  électoraux  de  Charles  avec  les  électeurs 
furent  d'abord  peu  satisfaisantes.  Ils  se  plaignaient  de  manquer 
d'argent,  tandis  que  les  Français  le  répandaient  à  profusion.  Les  voix 
sur  lesquelles  ils  avaient  cru  pouvoir  compter,  notamment  celles  de 
Mayence  et  du  Palatinat,  étaient  de  nouveau  perdues,  parce  qu'us 
n'avaient  pas  été  en  état  d'offrir  et  de  donner  avec  autant  de  libéra- 
lité que  les  Français.  Les  légats  du  Saint-Siège,  alors  en  Allemagne, 
et  contraires  à  l'élection  de  Charles,  leur  créaient  de  grands 
embarras  '.  Henri  VIII  intriguait  de  son  côté;  lui  aussi  prétendait 
au  trône  impérial  et  briguait  les  suffrages  des  électeurs.  Le  Pape 

'  Zurich,  1519  tlundi  après  Laetare\  i  avril.  —  Buchholtz,  t.  I,  p.  97-98.  Les 
confédérés  déclarent  ouvertement  à  l'ambassadeur  français  Savonier  que  la 
couronne  romaine  appartient  aux  Allemands  par  droit  et  par  Léritage,  et  quils^ 
n'épar^jnerout  ni  leur  sang  ni  leurs  biens  pour  qu'elle  leur  soit  conservée. 
Voy.  RcESLEU,  p.  117. 

^  Voy.  HÖFLEi\,  p.  46,  92,  111. 


LK    KOI    CIIAIU.KS    FAIT    V  Al,  Olli    S  i;  S    D  KOI  TS    A    L'EMl'IKK.      563 

favorisait  ses  prétentions,  car  on  espérait  (juc,  s'il  leur  était  fait 
droit,  les  maisons  d'Habsbourg  et  de  Valois  seraient  maintenues 
dans  un  équilibre  durable,  et  que  le  Sainl-Père,  de  concert  avec 
Henri  VIII,  pourrait  assurer  la  paix  de  l'Europe  '.  L'habile  chargé 
d'affaires  de  Henri,  Robert  Pace,  avait  ordre  de  se  comporter  vis-à-vis 
des  Français  comme  si  le  roi  d'Angleterre  eilt  encouragé  l'élection 
du  roi  de  France;  de  se  conduire  avec  les  partisans  de  la  maison  de 
Habsbourg  comme  s'il  eût  élé  tout  dévoué  à  Charles,  mais  eu  réalité 
de  ne  travailler  que  pour  Henri,  prince  d'origine  allemande*.  A  tout 
événement,  il  lui  était  surtout  recommandé  de  faire  en  sorte  que  la 
couronne  impériale  ne  fût  donnée  qu'à  un  Allemand.  L'amiral  fran- 
çais Bonnivet,  étant  un  jour  caché  à  Mayence  derrière  une  tapisserie, 
dans  l'hôtellerie  où  logeait  Joachim  de  Brandebourg,  entendit  Pace 
essayer  de  persuader  à  l'électeur  de  ne  donner  son  suffrage  qu'à  un 
prince  allemand'.  Mais  Joachim  resta  inébranlable.  «  Votre  Majesté 
royale  >,  écrivait-il  à  François  I"  (1*^  juin  1519),  <  peut  concevoir 
l'heureuse,  certaine,  indubitable  espérance  que  les  négociations 
entamées  pour  Elle  auront  un  bon  résultat.  "  «  Il  avait  »,  assurait-il, 
«  toute  influence,  tout  pouvoir  sur  la  Bohême  et  sur  Cologne.  "  Ouant 
à  Mayence,  il  déploierait  le  zèle  le  plus  actif.  Au  reste,  il  était  résolu, 
dans  l'avenir  comme  dans  le  passé,  à  prouver  à  François  son  fidèle 
dévouement.  Il  se  recommandait  au  Roi  «  très-humblement,  comme 
à  sou  cher  maître  et  seigneur*  ». 

Cependant  Albert  de  Mayence  avait  encore  changé  d'avis.  Il  disait 
maintenant  avoir  d'excellents  motifs  pour  montrer  un  ardent  patrio- 
tisme, et  déclarait  hautement  que  faire  choix  d'un  étranger  serait 
contraire  au  devoir.  Parmi  les  princes  allemands,  Une  fallait  songer 
qu'à  celui  qui  avait  dans  les  veines  «  le  noble  sang  de  la  maison 
d'Autriche*  ». 

La  vérité,  c'est  que  Charles  avait  fait  offrir  au  prélat  de  Mayence 
plus  que  François  ne  voulait  et  ne  pouvait  accorder.  Il  lui  avait 
promis  de  s'aider  en  tout  de  ses  conseils  dans  la  direction  des  affaires 
de  l'Empire",  lui  cédant  toute  autoritésur  la  Chambre  Impériale,  avec 
le  droit  d'en  nommer  lui-même  le  vice-président.  Dans  ses  démêlés 
avec  la  Saxe  à  propos  d' Erfurt,  avec  la  Hesse  au  sujet  de  nouvelles 

*  Pour  plus  de  détails,  voy.  Pauli,  p.  421-436.  —  Höfler,  p.  42-57.  —  Roesleh, 
p.  176-182. 

-  «  To  elect  the  kynges  bygnesse,  which  is  of  the  gerraan  longue.  »  Pauli, 
p.  430,  note  5. 
^  Pauli,  p.  431,  note  4, 

*  OEuvres  posthumes  de  Spalatin,  p.  113. 
'  Senckenberg,  Acta  et  Pacta,  p.  507. 

*  Voy.  IIÖFLER,  p.  75-76.  —  RcESLER,  p.  130.  Le  chargé  d'affaires  de  Charles 
avoue  que  les  engagements  du  Roi  •  ne  sont  de  grant  importance,  car  ils  ne 
consistent  fors  en  promesse  de  tenir  la  main  es  dis  VU  points  à  son  désir  ». 

36. 


561    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTERIEURE. 

taxes  de  douanes,  Charles  lui  garantissait  son  appui.  Il  confirmait 
en  outre  les  promesses  de  présents  et  de  pensions  faites  antérieure- 
ment par  Maximilien  à  Augsbourg.  Anvers  et  Malines  devaient  en 
payer  le  montant  sur  leurs  revenus,  et  comme  c'était  surtout  dans  le 
domaine  ecclésiastique  qu'Albert  se  montrait  avide,  Charles  lui  pro- 
mettait de  solliciter  pour  lui  auprès  du  Pape  le  quatrième  évêché  que 
convoitait  son  insatiable  ambition,  bien  qu'il  fiU  déjà  évéque  d'Haï- 
berstadt,  de  Magdebourg  et  de  Mayence.  Il  devait  aussi  être  promu  à 
la  dignité  de  légat  inamovible  d'Allemagne.  L'Eglise  d'Allemagne,  à  la 
veille  d'une  crise  si  grave  et  si  décisive,  allait  donc  se  trouver  dans  la 
main  d'un  prélat  dont  la  conduite  n'était  rien  moins  qu'apostolique,  et 
qui  ne  pouvait  avoir  la  plus  légère  prétention  à  la  dignité  de  caractère. 

Mais  tous  ces  engagements  n'empêchaient  point  Albert  d'entrete- 
nir des  négociations  actives  avec  l'ambassadeur  d'Angleterre.  «  Il 
n'était  pas  impossible  »,  assurait-il  à  Robert  Pace  quelques  jours 
avant  l'élection,  «  que  les  votes  tournassent  à  l'avantage  du  roi 
Henri.  Il  fallait  seulement  que  celui-ci  eût  à  sa  disposition  l'équiva- 
lent des  sommes  offertes  par  Charles  V,  c'est-à-dire  environ  42,000cou- 
ronnes  (kronenthalers).  Pace  entreprit  dès  lors  de  corrompre  le  col- 
lège électoral  dans  les  proportions  indiquées  '.  " 

Mais  au  moment  décisif,  la  voix  de  la  nation  fut  plus  forte  que 
l'or,  l'argent,  les  manœuvres  secrètes  et  les  intrigues  des  diplo- 
mates. On  vit  tout  à  coup  s'affirmer  l'universel  et  profond  attache- 
ment du  peuple  pour  la  maison  souveraine  d'Habsbourg.  Robert 
Pace  put  juger  par  lui-même  de  la  force  de  cet  attachement,  à  sou 
arrivée  dans  la  Franconie  rhénane.  A  Cologne,  il  fut  reçu  avec  de 
grands  honneurs,  car  tout  le  monde  supposait  qu'il  n'était  venu  que 
pour  soutenir  la  cause  de  Charles.  "  Bourgeois  et  chevaliers  ",  rap- 
porte-t-il,  «  se  rangent  au  parti  du  jeune  souverain,  et  sont  una- 
nimes dans  leurs  vœux.  Ils  exposeraient  leurs  biens  et  leurs  vies  pour 
empêcher  l'élection  du  roi  de  France.  »  Le  légat  du  Pape,  au  dire 
de  Pace,  lui  avait  raconté  à  lui-même  qu'il  avait  failli  être  vio- 
lemment expulsé  du  pays  à  cause  de  ses  préférences  pour  l'Angle- 
terre. Le  peuple  se  proposait  de  faire  subir  aux  électeurs  un  châti- 
ment sévère  dans  le  cas  où  ils  ne  rempliraient  pas  les  engagements 
pris  autrefois  envers  Maximilien;  et  dès  le  mois  de  mars,  les  comtes 
et  seigneurs  rhénans  déclaraient  sans  détour  au  collège  élec- 
toral réuni  à  Wesel,  qu'aidés  de  beaucoup  de  gentilshommes  qui 

'  Voy.  Pauli,  p.  429-430.  —  Höfler,  p.  53.  —  Sur  le?  immenses  dépenses 
faites  pour  l'élection  de  Charles,  voy.  le  travail  de  Greiff,  dans  la  34.  Jahret- 
hericht  des  historischen  Vereins  zu  Augsburg,  1869.  Le  prince  électeur  Frédéric  de 
Saxe  ne  demandait,  il  est  vrai,  pour  lui-même  •  ni  présents  ni  honneurs», 
mais  il  ne  dédaignait  pas  de  laisser  Charles  payer  la  moitié  de  ses  dettes,  qui  se 
montaient  à  32,500  florins- 


L'KNECTION.  565 

répugnaient  à  devenir  Français  pour  une  question  d'intérêt  person- 
nel, ils  comptaient  s'opposer  de  tout  leur  pouvoir  à  l'élévation  de 
François  I"  '. 

Dans  la  haute  Allemagne,  le  mouvement  populaire  en  faveur  de 
Charles  s'accentuait  tous  les  jours.  Augsbourg,  Ulm  et  Nuremberg 
défendaient  à  leurs  marchands  d'accepter  les  valeurs  des  banques 
françaises '^  Les  Fugger,  malgré  la  perspective  d'un  gain  considéra- 
ble, refusaient  de  servir  de  banquiers  à  François  I""  et  ouvraient 
un  large  crédit  aux  agents  électoraux  de  Charles.  François  avait  pro- 
fondément blessé  les  habitants  de  cette  partie  de  l'Allemagne  en 
prenant  sous  sa  protection  le  f  yrannique  duc  de  Wurtemberg,  Ulrich, 
dont  il  encourageait  les  hardis  coups  de  main  \  Violant  audacieu- 
sement  la  paix  publique,  Ulrich  s'était  emparé  de  la  cité  libre  de 
Heutlingeu,  avait  brisé  ses  écussons,  et  l'avait  rabaissée  au  simple 
rang-  de  ville  du  Wurtemberg.  Grâce  à  l'or  français,  Ulrich  rassem- 
blait à  ce  moment  même  une  puissante  armée,  avec  laquelle  il  se 
proposait  d'envahir  le  duché  de  Bavière,  se  réservant,  disait-il,  «  de 
prononcer  en  temps  opportun  une  parole  décisive  en  faveur  du  roi 
de  France*  '>.  Mais  ses  bravades  insolentes  ne  furent  pas  de  longue 
durée.  Une  armée,  levée  par  la  ligue  souabe  et  commandée  par  le 
duc  Guillaume  de  Bavière,  le  contraignit  bientôt  à  prendre  la  fuite, 
et  se  rendit  en  peu  de  semaines  maîtresse  de  tout  le  pays. 

Franz  de  Sickingen,  à  la  tête  d'environ  sept  cents  cavaliers,  avait 
pris  part  à  la  campagne  contre  Ulrich.  Tous  les  efforts  de  Fran- 
çois 1"  pour  attirer  de  nouveau  à  son  parti  le  puissant  <  prince 
des  chevaliers  »  et  se  servir  de  lui  dans  l'affaire  de  l'élection,  étaient 
restés  inutiles;  Sickingen  était  depuis  quelque  temps  «  redevenu 
complètement  Autrichien,  et  ne  voulait  entendre  parler  d'aucun 
autre  prince  que  du  très-illustre  roi  Charles  ».  Ce  qui  Tavait  affermi 
dans  cette  manière  de  voir,  ce  n'était  pas  tant  la  forte  pension  qui 
lui  avait  été  allouée  %  que  l'espérance  de  pouvoir,  avec  l'aide  du  jeune 
roi  qu'on  croyait  faible  et  inexpérimenté  ^  réaliser  les  plans  ambi- 
tieux qu'il  avait  fondés  sur  le  renversement  de  la  constitution  du 
royaume^.  Il  consentit  de  bon  cœur,  dès  que  la  campagne  du  Wur- 

'  Voy.  Pauli,  p.  428-430.  —  Ulma.nn,  p.  154-156. 

'  HÖFLER,  p.  64. 

^  RCESLER,  p.  110.  HÖFLER,  p.  95. 

*  Senckenberg,  /icta  et  Pacta,  p.  506.  ^  le  duc  ' ,  écrivait  Max  de  Berghen 
(4  fév.  1519) .  «  a  bien  reçu  30,000  tiialers  de  la  France  -. .  Le  Glay,  t.  Il,  p.  219. 

*  Voy.  ces  lettres  dans  Le  Glay,  t.  II,  p.  220,  294  ..  La  peste  d'avarice  •,  écri- 
vait iMax  de  Berghen,  «  est  ossy  bien  en  ce  quartier  que  aux  autres.  " 

®  L'opinion  que  Charles  était  un  prince  de  peu  de  moyens,  faible  et  incapable 
de  se  gouverner  lui-même,   était  fort  répandue.   Voy.  les  passages  cités  par 

ROESLER,  p.  67, 

^  Voyez  notre  second  volume. 


566    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE.    SITUATION    EXTERIEURE. 

temberg  fut  terminée,  à  se  mettre,  avec  son  ami  Georges  de  Frunds- 
hevQ,  au  service  de  la  maison  de  Habsbourg,  et  promit  12,000  hommes 
de  pied  et  2,000  cavaliers.  Cette  armée  était  destinée  à  repousser 
François  I",  qui  dirigeait  vers  les  frontières  allemandes  des  forces 
considérables,  et  ne  faisait  point  mystère  de  l'intention  où  il  était 
de  s'emparer  du  trône  par  la  violence,  si  les  suffrages  des  électeurs 
ne  lui  étaient  pas  favorables. 

Vers  le  milieu  de  juin,  l'armée  destinée  à  mettre  la  ville  de  l'élec- 
tion à  l'abri  de  tout  coup  de  main  se  rapprocha  de  Francfort,  et 
les  princes  électeurs,  qui  déjà  s'y  étaient  réunis,  commencè- 
rent à  éprouver  de  l'angoisse  et  de  la  crainte  "  L'armée  prend  une 
attitude  menaçante  »,  écrit  Robert  Pace,  le  24  juin.  "  Elle  n'est  plus 
qu'à  un  mille  de  Francfort.  Les  comtes  et  seigneurs  déclarent  haute- 
ment qu'ils  ne  veulent  d'autre  empereur  que  Charles.  Tout  le  peuple 
est  pour  lui.  "  Pace,  comme  il  l'écrivait  de  Mayence  le  même  jour  à 
son  souverain,  craignait  fort  d'être  victime,  lui  et  sa  suite,  de  la 
fureur  populaire  sans  qu'aucun  des  électeurs  pi\t  le  défendre,  si 
Henri  VIII  l'emportait.  Le  margrave  Joachim,  le  plus  obstiné  des 
partisans  de  la  France,  courut  risque  de  la  vie  à  Francfort'.  «  On 
aurait  haché  les  électeurs  en  morceaux  »,  racontait  plus  tard  Pace 
aux  ambassadeurs  vénitiens,  «  si  le  roi  de  France  eût  été  élu  *.  » 

Lorsque  ce  dernier  vit  toute  espérance  lui  échapper,  il  ne  songea 
plus  qu'aux  intérêts  du  margrave  Joachim.  «  S'il  n'est  point  élu  de 
lui-même  «,  écrit  Robert  Pace,  "  il  veut  du  moins  pouvoir  dire  qu'il 
a  fait  un  empereur.  «  Joachim,  de  son  côté,  mettait  tout  en  œuvre 
pour  assurer  sa  propre  élection  ^  Il  croyait  avoir  lu  dans  les  astres  que 
la  couronne  royale  et  la  plus  haute  dignité  de  la  chrétienté  étaient 
réservées  au  chef  de  la  maison  de  Brandebourg  *.  Mais  tous  ses 
efforts  furent  impuissants.  Tandis  qu'il  posait  sa  candidature  à  Franc- 

'  •  Il  populo  di  Frankforda,  l'hanno  voluto  tagliar  a  pezi.  •  Rapport  de  Sanuto, 
29  juillet,  Droysen,  2Ij,  p.  461. 

»  RoESLER,  p.  124.  —  Ulmann.  p.  156.  Les  vastes  plans  se  rattachant  à 
l'élévation  de  François  I*'  furent  révélés  par  une  lettre  saisie  sur  un  comte  du 
Rhin,  et  adressée  par  le  Roi  à  ses  agents  français  d'Allemagne.  Voici  en  quoi 
ils  consistaient  :  d'abord,  obtenir  le  plus  d'argent  possible  du  prince  élec- 
teur de  Brandebourg  et  du  duc  de  Wurtemberg,  qu'il  pensait  à  rétablir  dans 
son  pays;  puis  s'assujettir  toute  l'Italie  et  agir  ensuite  comme  bon  lui  sem- 
blerait avec  le  reste  de  la  chrétienté.  Voy.  Pauli,  p.  434,  note  3.  Le  courrier 
sur  qui  cette  lettre  fut  saisie  n'était  autre,  comme  le  pense  avec  raison  Pauli, 
que  le  seigneur  de  Maltzan,  chargé  des  lettres  adressées  au  prince  électeur 
Joachim  de  Brandebourg. 

'  «  The  marquis  of  Brandenburge  doith  continually  labore  for  to  obteigne  the 
imperial  dignitie,  and  the  Frenche  king  wull  promote  hym  Iherunlo  as  niuche 
as  schallye  inhys  power  to  thintent,  that  he  maye  saye,  that  he  hath  made  an 
emperor,  thoghe  he  couith  not  obteigne  hymselfe.  •  Pauli,  p.  430,  note  3.  — 
Voy.  1IÖFLER,  p.  53.  —  Rœsleu,  p.  133. 

*  Voy.  Droysen,  2  b.  48. 


1/ÉLECÏION.  ''Cf 

fort,  l'électeur  de  Trêves,  llichard,  se  mil  avec  une  (jrande  fermeté 
au  travers  de  ses  desseins.  (Juani  à  Albert  de  IMayence,  il  exprima 
l'opinion  «  qu'à  son  avis,  son  frère  le  margrave  devenait  fou'!  > 
Plusieurs  voix  semblèrent  se  porter  sur  Frédéric  de  Saxe;  le  Pape 
encourageait  ce  choix»,  et  l'électeur  de  Trêves,  comprenant  que  le 
sentiment  général  de  la  nalioii  répugnait  à  voir  un  roi  de  France 
révolu  de  la  dignité  impériale,  le  suppliait  d'accepter  la  couronne. 
Mais  Frédéric  resta  sourd  à  ses  invitations.  A  la  vérité,  s'il  eût  con- 
senti à  faire  valoir  ses  litres,  il  lui  ei\t  été  bien  difficile  de  réussir, 
car,  à  la  dernière  heure,  la  majorité  des  électeurs  fut  bien  forcée  de 
compter  avec  la  volonté  populaire. 

Un  document  contemporain,  émané  de  la  chancellerie  de  Mayence, 
va  nous  faire  comprendre  ce  que  réclamait  cette  volonté.  «  Aucun 
prince  allemand  »,  y  est-il  dit,  «  n'est  assez  puissant  pour  porter  en  ce 
moment  la  couronne  impériale;  aucun  n'est  assez  riche  pour  suffire 
aux  dépenses  nécessitées  par  l'état  actuel  des  choses.  L'Empire  esl 
impuissant  et  épuisé.  Prélever  un  nouvel  impôt  sur  le  pauvre  homme 
semble  impossible.  Dans  les  villages,  les  paysans  menacent  de  se 
soulever.  Si  nous  n'avons  un  empereur  pouvant  disposer  de  vraies 
ressources,  les  villes  et  les  États  s'uniront  aux  Suisses,  et  chacun 
ne  songera  plus  qu'à  prendre  le  parti  qui  lui  semblera  offrir  le  plus 
de  sécurité.  Dès  lors,  les  Turcs,  et  autres  ennemis  de  notre  nation 
et  de  la  chrétienté,  nous  envahiront  sans  que  nous  puissions  faire 
la  moindre  résistance,  pour  disposer  ensuite  de  nous  selon  leur 
caprice  et  leur  tyrannie.  On  ne  peut  songer  qu'à  un  prince  possédant 
assez  de  revenus  pour  ne  pas  se  voir  contraint  d'écraser  le  pauvre 
homme  par  de  nouvelles  taxes.  11  nous  faut  un  souverain  en  état  de 
rétablir  la  paix  et  la  justice,  et  de  rendre  au  royaume  son  antique 
splendeur.  Mais  ce  puissant  chef  doit  être  Allemand;  la  dignité 
impériale,  ce  plus  riche  joyau  de  la  Germanie,  ne  doit  pas  nous  être 
enlevée.  Le  peuple  doit  être  tranquillisé  à  cet  égard,  car  il  est  dans 
une  telle  anxiété  sur  ce  point,  que  si  Charles  n'était  pas  élu,  il  est  fort 
à  craindre  qu'il  ne  se  soulève  et  ne  se  laisse  entraîner  à  une  rébel- 
lion coupable.  Ce  qui  rend  impossible  l'élection  du  roi  François,  c'est 
que  le  peuple  voit  toujours  en  lui  un  étranger.  Outre  cela,  il  gou- 
verne rudement  son  peuple;  son  sceptre  pèse  lourdement  sur  ses 
sujets.  Il  est  toujours  en  guerre  avec  ses  voisins;  il  ne  rêve  que 
batailles,  et  sou  élection  coûterait  bien  des  vies  et  bien  des  pertes  à 
l'Empire.  S'il  réussit,  l'Autriche  et  les  pays  qui  l'environnent  seront 

'  DuoYSEN,  2  b.  84.  On  disait  à  Rome  qu'Albert  avait  écrit  au  Pape  :  •  Come 
le  suo  bon  servitor,  ma  non  vol  sia  Franzo,  e  che  suo  fradello  et  raarchese  di 
Brandenb.  è  pazo.  •  r.  459,  note  de  la  page  81. 

*  Voy.  Droysen,  2  b.  85. 


568    EMPIRE    ROMAIN    GERMANIQUE,    SITUATION    EXTÉRIEURE. 

de  nouveau  séparés  de  la  nation,  et  l'Allemagne,  sans  défense  du 
côté  des  Turcs,  sera  exposée  à  des  troubles  perpétuels  et  ne  con- 
naîtra plus  de  paix'.  « 

Tout  militait  donc  en  faveur  de  Charles,  et  le  peuple,  profondé- 
ment attaché  à  la  maison  de  Habsbourg,  se  déclarait  hautement  pour 
lui.  Son  élection  ne  fut  plus  douteuse  lorsque  le  Pape,  pour  ne  pas 
être  une  occasion  de  scandale  et  de  guerre*,  fit  connaître  son  inten- 
tion aux  princes  électeurs  par  l'entremise  de  ses  légats  :  son  désir 
était  que,  sans  avoir  égard  à  la  question  du  royaume  de  Naples,  ils 
portassent  leurs  suffrages  sur  Charles'. 

L'élection  eut  lieu  le  28  juin.  La  foule  éclata  en  cris  d'allégresse 
lorsque  le  nom  de  Charles-Quint  fut  proclamé, 

'  OEuvrcs  posthumes  de  Spalatin,  p.  114-115. 
«  Nolle  occasionem  praebere  scandalis  aiit  bellis,  sed  quietem  pacemque 
omnium  cupere  et  procurare.  • 
*  Mémoire  du  24  juin  1519  dans  Buchholtz,  t.  III,  p.  672. 


RESUME,   TRANSITION. 

La  période  de  renaissance  intellectuelle  qui  s'ouvre  en  Allemagne 
vers  le  milieu  du  quinzième  siècle  avait,  nous  l'avons  vu,  produit  de 
merveilleux  résultats.  A  cette  époque,  la  civilisation,  la  culture  de 
l'esprit  pénètrent  dans  toutes  les  classes  de  la  société,  se  propagent 
et  progressent,  et  la  science  et  les  arts  se  développent  à  leur  tour  dans 
un  élan  puissant  et  fécond.  La  prédication,  le  catéchisme  enseigné,  la 
traduction  de  la  Sainte  Écriture,  de  nombreux  ouvrages  de  doctrine 
et  d'édification,  exercent  la  plus  heureuse  influence  sur  l'enseigne- 
ment religieux  et  sur  l'ensemble  de  la  vie  chrétienne.  Dans  les  écoles 
élémentaires  et  secondaires,  de  solides  bases  d'instruction  sont  posées. 
Les  universités  prennent  une  importance  que  rien  jusque-là  n'avait 
pu  faire  pressentir,  et  deviennent  les  centres  actifs  du- mouvement 
de  la  pensée.  L'art,  plus  encore  que  la  science,  s'épanouit,  fécondé 
par  la  religion  et  par  la  sympathie  populaire.  Il  orne  les  églises,  la 
cité,  le  foyer  domestique,  des  œuvres  les  plus  nobles,  et  révèle,  dans 
les  chefs-d'œuvre  grandioses  et  saisissants  enfantés  par  le  système 
d'association  qui  en  est  l'âme,  ce  qu'il  y  a  de  plus  intime  et  de  plus 
profond  dans  le  génie  et  dans  le  caractère  allemands. 

Sur  le  terrain  politique,  au  contraire,  les  choses  ont  un  aspect  moins 
satisfaisant.  Les  grands  esprits  qui  dirigent  le  mouvement  intellectuel 
de  leur  époque,  Nicolas  de  Gusa  à  leur  tête,  apportent  cependant  la 
plus  sérieuse  attention  à  l'étude  des  questions  publiques.  Pleins  d'un 
amour  enthousiaste  pour  1'  "  Empire  romain  de  nation  germanique  ," 
pour  la  restauration  et  l'affermissement  de  l'ancienne  unité,  dési- 
reux de  voir  la  paix  intérieure  assurée,  le  droit  chrétien  germa- 
nique restauré,  l'influence  de  lAllemagne  reconquise  à  l'extérieur, 
ils  n'épargnent  ni  leurs  efforts,  ni  leurs  exhortations.  Mais  ils 
ne  sont  pas  écoutés.  Plusieurs  des  réformes  que  Nicolas  de 
Cusa  juge  indispensables  à  la  réorganisation  de  l'état  politique, 
deviennent,  il  est  vrai,  lois  du  pays  sous  une  forme  plus  ou  moins 
modifiée  :  le  droit  de  guerre  privée  est  aboli;  la  paix  publique  pro- 
clamée; un  tribunal  suprême  érigé;  l'Empire,  au  grand  bénéfice  de 
la  concorde  et  de  la  justice,  partagé  en  dix  cercles  dont  l'admi- 
nistration se  perfectionne  et  s'organise;  les  documents  conterapo- 


570  RÉSUMÉ,    TRANSITION. 

rains  nous  renseignent  sur  les  interminables  essais  de  réforme  qui 
remplissent  tant  d'années  de  notre  histoire;  ils  sont,  en  dépit  de  leur 
aridité,  traversés  d'un  souffle  bienfaisant,  témoignent  d'un  amour 
persévérant  pour  l'unité  de  la  patrie  et  celle  de  l'Église,  et,  jusqu'au 
milieu  du  seizième  siècle,  font  espérer  une  heureuse  issue.  Mais,  à 
partir  de  ce  moment,  un  profond  changement  se  fait  pressentir  dans 
les  idées;  l'horizon  s'assombrit,  et  ce  que  Nicolas  de  Cusa  avait  pré- 
dit se  vérifie  exactement  :  «  Si  l'autorité  de  l'Empereur  n'est  rétablie 
dans  la  mesure  où  elle  existait  autrefois  ",  avait-il  dit,  »  il  ne  faut 
attendre  aucun  résultat  durable  de  tous  nos  plans  de  réforme.  " 
L'impôt  général  et  l'armée  permanente,  qui  auraient  dû  former  les 
deux  fermes  appuis  du  souverain,  ne  s'organisent  point,  malgré 
les  promesses  si  souvent  réitérées  des  États,  et  le  pouvoir  exécutif 
va  si  bien  en  s'affaiblissant ,  que  les  violations  impunies  de  la  paix 
publique  et  du  droit  finissent  par  causer  dans  la  nation  une  sourde 
inquiétude,  un  trouble  croissant. 

La  fatale  révolution  qui  s'opère  dans  l'ordre  juridique  accroît  ce 
trouble  dès  la  fin  du  quinzième  siècle.  A*  lieu  (comme  l'avait  tant 
souhaité  Nicolas  de  Cusa)  de  remettre  en  honneur  le  droit  germa- 
nique tombé  en  désuétude;  au  lieu  de  réformer  la  justice  en  se  ser- 
vant du  droit  coutumier,  propre  àchaque  condition,  pouren  composer 
un  code  national  applicable  à  tous,  une  législation  étrangère,  brus- 
quement introduite,  bouleverse  tous  les  ressorts  existants  de  la  justice, 
jette  une  confusion  déplorable  dans  les  notions  de  droit  jusqu'alors 
adoptées,  et,  dans  un  certain  sens,  anéantit,  avec  le  droit  national,  les 
anciennes  libertés  populaires.  Le  peuple  allemand,  jusque-là  le  plus 
libre  de  la  chrétienté  dans  ses  institutions  civiles,  est  désormais  admi- 
nistré «  à  la  mode  welche'  -.  Le  droit  romain  engendre  le  pouvoir 
arbitraire  des  princes,  pouvoir  absolument  antipathique  à  l'esprit 
allemand.  Il  fait  dépendre  le  droit  du  pouvoir  souverain,  et  ne  mani- 
feste que  trop,  dès  le  quinzième  siècle,  ses  tendances  vers  le  despo- 
tisme le  plus  absolu,  aussi  bien  dans  les  questions  politiques  que  dans 
le  domaine  religieux.  Les  axiomes  de  ce  droit  étranger  exercent 
leur  influence  destructive  jusque  dans  les  rapports  sociaux,  et  cau- 
sent une  agitation  profonde,  qui  se  révèle  dès  lors  parmi  les 
paysans  par  des  révoltes  fréquentes,  et  fait  redouter  dans  un  avenir 
prochain  un  bouleversement  général.  Les  villageois  se  soulèvent 
pour  la  défense  de  leurs  vieilles  coutumes  et  libertés;  un  commun 
besoin  de  résistance  les  ligues  contre  la  rapacité  cupide  que  le 
droit  romain  a  développée  chez  les  princes  et  seigneurs.  Mais  sur- 
tout ils  se  révoltent  contre  l'avilissant  servage,  qui  vers  le  milieu  du 

'  ZarNCKE,  Xarrenschiff,  161. 


RI^SUMÉ.  571 

quinzième  siècle,  souslinfliieoce  du  droit  (jermanique  chrétien,  avait 
presque  entièrement  disparu,  cl  menace  maintenant  d'être  remis 
en  honneur  par  une  loi  païenne,  empruntée  à  un  État  fondé  sur  l'escla- 
va^^e.  Mais  aux  justes  résistances  du  peuple  viennent  aussi  se  mêler 
des  tendances  socialistes,  et  même  communistes.  On  voit  paraître  sur 
le  sol  allemand  de  nouveaux  et  d'ardents  apôtres  qui  prêchent  le 
retour  à  l'élat  naturel  dans  les  rapports  sociaux  et  privés.  Les  culti- 
vateurs ruraux  font  cause  commune  avec  les  artisans  des  villes,  et 
trouvent  des  auxiliaires  et  des  protecteurs  parmi  les  membres, 
devenus  si  nombreux,  du  prolélarial  delà  noblesse'. 

La  confusion  malheureuse  survenue  dans  les  questions  juridiques; 
les  nouvelles  théories  de  droit  que  propagent  les  légistes  romains; 
le  mécontentement  profond  que  cause  à  la  nation  l'état  des  affaires 
publiques;  les  changements  opérés  dans  l'économie,  fatalement  modi- 
fiée par  la  nouvelle  législation,  telles  sont  les  principales  causes  du 
mouvement  socialiste  qui  se  produit. 

L'état  florissant  de  la  culture  des  champs,  des  bois,  des  vignes; 
l'essor  extraordinaire  de  l'industrie;  les  grandes  richesses  minières  du 
sol;  un  commerce  prospère,  dominant  celui  de  presque  toutes  les 
nations  chrétiennes,  tout  avait  contribué  à  faire  de  l'Allemagne  le 
pays  le  plus  riche  de  l'Europe.  Les  journaliers  cultivateurs  et  indus- 
triels des  villes  et  des  campagnes  sont  pour  la  plupart,  au  commen- 
cement du  seizième  siècle,  dans  une  excellente  situation  matérielle. 
Mais,  peu  à  peu,    l'équilibre   et  l'action  mutuelle   des  principaux 
Ijroupes  de  travail  s'ébranlent.  Le  commerce  étouffe  le  travail  pro- 
ductif de  valeur.  Les  enchérissements,  les  accaparements,  se  pro- 
duisent de  toutes  parts  malgré  les  mesures  prises  par  le  gouverne- 
ment, et  donnent  lieu,  sur  une  large  échelle,  à  l'exploitation  de  la 
classe  laborieuse  par  le  capital.  Des  plaintes  sur  les  monopolistes, 
sur  les  accapareurs,  sur  les  grands  entrepreneurs  et  capitalistes,  sur 
«  renchérissement  de  l'argent  »,  la  hausse  de  prix  des  denrées  de 
nécessité  première,  la  falsification  des  produits  alimentaires,  en  un 
mot  sur  la  tyrannie  exercée  par  ceux  qui  possèdent  sur  ceux  qui  ne 
possèdent  pas,  se  font  entendre  de  tous  côtés.  Ces  abus  produisent  un 
effet  d'autant  plus  désastreux,  que  les  riches  étalent  sous  les  yeux  des 
malheureux  un  luxe  effréné  «  dépassant  toute  retenue  »,  et  que  les 
nombreux  raffinements  de  leur  vie  voluptueuse  et  molle  font  amère- 
ment mesurer  aux  misérables  l'abime  qui  sépare  la  classe  déshéritée 
de  ceux  qui  surabondent.  D'autre  part,  les  ouvriers,  les  cultivateurs, 
subissent  l'influence  mauvaise  du  luxe  qui  régne  autour  d'eux*. 


'  Voy.  notre  second  volume. 
==  Voy.  notre  second  volume. 


572  RESL'MÉ,    TRANS  ITION 

La  prospérité  matérielle  avait  engendré  le  luxe  et  la  volupté  :  le 
luxe  et  la  volupté,  à  leur  tour,  développent  une  soif  toujours  plus 
ardente  d'acquérir  des  bénéfices  toujours  plus  beaux,  et  alimentent 
dans  toutes  les  conditions  la  passion  de  posséder,  de  jouir.   Aussi 
voit-on  s'affirmer  de  tous  côtés,  plus  qu'à  aucune  autre  époque  précé- 
dente, ce  que  Geiler  de  Kaisersberg  appelle  "  un  contraste  saisissant 
entre  le  dévouement  volontaire  et  l'âpre  cupidité  ;  entre  le  détachement 
pour  l'amour  de  Dieu  et  la  passion  effrénée  du  luxe  et  du  plaisir  ». 
D'autre  part,  l'âme  est  émue  au  spectacle  des  innombrables  œuvres 
de  miséricorde  que  fait  éclore  de  toute  part  la  doctrine  de  l'Église 
sur  le  mérite  des  bonnes  œuvres.  Des  institutions  charitables  s'appli- 
quent au  soulagement  de  toutes  les  misères  humaines  imaginables. 
Dans  les  hôpitaux,  les  établissements  de  providence,  les'orphelinats, 
les  hôtelleries  pour  les  vojageurs  et  les  pèlerins  pauvres,  aussi  bien 
que  dans  les  généreux  efforts  tentés  pour  le  progrès  de  l'instruction 
populaire,  des  sciences  et  des  arts,  nous  voyons  à  l'œuvre  la  charité  la 
plus  active,  la  plus  admirable.  «  Au  temps  du  papisme  »,  dit  Luther, 
«  tout  le  monde  était  miséricordieux  et   débonnaire;   on  donnait 
joyeusement,  des  deux  mains,  et  avec  une  grande  dévotion.  Les 
aumônes,  les  fondations,  les  legs,  pleuvaient.  »  "  Nos  parents  et 
ancêtres,  seigneurs  et  rois,  princes  ou  particuliers,  donnaient  lar- 
gement, avec  bonté  et  surabondamment,  aux  églises,  cures,  écoles, 
abbayes,  hôpitaux  '.  ^  Les  donations  pour  les  bonnes  œuvres  étaient 
si  nombreuses  et   si  larges,  qu'on  n'avait  alors  besoin    pour  les 
pauvres,  ni  de  subventions  de  l'État,  ni  de  secours  empruntés  aux 
caisses  communales,  ni  de  taxes  annuelles,  ni  de  collectes  faites  à 
domicile.  Dans  les  villes  et  dans  les  campagnes,  on  n'avait  point  de 
budget  courant  attribué  soit  aux  écoles,  soit  aux  indigents,  et  notre 
temps  bénéficie  encore  d'un  grand  nombre  d'établissements  fondés  à 
cette  époque.  Les  ordres  religieux,  les  associations  pieuses,  comme 
celles  des  Alexieus,  des  religieux  du  Saint-Esprit,  des  Frères  de 
Saint-Antoine,  des  Frères  de  la  pauvreté  volontaire,  des  Sœurs  de 
Sainte-Elisabeth,  des  Béguines,  font  preuve,  sans  ostentation  et  sans 
bruit,  d'une  charité  admirablement  attentive  aux  besoins  des  malheu- 
reux et  des  malades.  Souvent  les  aumônes  distribuées  aux  portes  des 
monastères  sont  d'une  prodigalKé  inouïe ^  La  doctrine  d'économie 

'  Voy.  notre  second  vol. 

*  Sur  l'esprit  de  charité  qui  dominait  à  la  fin  du  moyen  âge  et  sur  le  sens 
profond  des  nombreuses  fondations  pieuses  de  cette  époque,  l'historien  pro- 
testant Krie;jk  s'exprime  avec  savoir  et  intelliijence.  Bürgerihum.  p.  75-196  et 
Geich.  Franlfuits,  p.  161-181.  —  Vov.  aussi  Fechtel,  Basels  Anstalten  zur  Unlersiüizung 
der  Arnitn  und  Krankenpßrge  des  Mittelalters,  dans  les  Beiträgen  zur  vaterländischen 
Geschichte,  p.  381-404,  vol.  IV.  (Bàle,  1850.)  —  Voy.  Hlhlhorn,  Vorstudien  zu  einer 
Geschichte  der  Licbcsthäligkeil  im  Mittelalter,  dans  le  Zeitschrift  für  Kirchengesch.,  t.  IV, 


OKU  VRE  s    CIIAKITAJWJ'S,    SYNODES,    LE    f;LER(;i:.  573 

sociale  préconisée  p.ir  rKglise  esl  sans  cesse  appliquée  au  soii- 
la{',ctiiciil  de  la  pauvreté  et  de  la  détresse  humaine,  à  la  protec- 
tion de  la  classe  laborieuse,  à  la  réparlilion  la  plus  juste  possible 
des  biens  de  la  terre.  Ce  n'est  pas  l'intérêt  personnel,  mais  «  l'union 
de  tous  dans  un  Iraternel  amour  »,  qu'on  espère  voir  devenir  la 
solution  et  le  but  de  toute  action  économique.  Les  synodes  s'unis- 
sant  aux  écrivains  économistes  de  leurs  temps,  s'opposent  avec 
fermeté  aux  usuriers,  aux  accapareurs,  et  font  un  devoir  de  con- 
science à  ceux  qui  ont  cliarjje  d'àmes,  de  soutenir  et  de  défendre 
dans  leurs  prédications  les  droits  des  pauvres,  des  veuves  et  des 
orphelins'. 

L'influence  du  cardinal  Nicolas  de  Cusa,  son  zèle  ardent,  qui  fit 
époque,  avait  fait  circuler  dans  l'Église  d'Allemagne  un  souffle  vivi- 
fiant. Nous  ne  savons  si,  à  aucune  autre  période  de  notre  histoire  ecclé- 
siastique, l'action  des  synodes  fut  à  la  fois  plus  vaste  et  plus  féconde 
qu'entre  1151  et  1515.  Outre  les  conciles  provinciaux  de  IMayence,  de 
Magdebourg,  de  Cologne,  de  Salzbourg,  on  compte,  dans  cet  espace 
de  temps,  plus  de  cent  synodes  diocésains  dans  les  diverses  pro- 
vinces de  l'Empire;  nous  voyons  se  refléter  dans  leurs  décisions 
tous  les  ressorts  intérieurs  delà  discipline  ecclésiastique  à  celte  époque. 
Si  l'on  est  malheureusement  obligé  d'y  toucher  du  doigt  les  nombreux 
et  criants  abus  qui  entravaient  alors  l'action  de  l'Église,  onyconstate 
d'autre  part  les  remèdes  énergiques  quelle  s'efforce  d'y  apporter». 

p.  4i.  —  Sur  le  nombre  toujours  croissant  des  hôpitaux  et  léproseries  jusque 
dans  les  plus  petits  villages,  voy.  Mo>e,  Zeiischri/t,  t.  II,  p.  260,  279-291.  —  Sur  les 
fondations  pieuses  à  Bretten,  Bade,  Bruchsal,  etc.,  Zeitschrift,  t.  l,  p.  147-163.  — 
Sur  les  maisons  de  refuge  et  hôpitaux  à  Oppenheim,  voy.  Fr  vnk,  Gesch.  von 
Oppenheim,  p.  113.  —  Sur  les  nombreuses  confréries  instituées  pour  le  soulage- 
ment des  pauvres,  voy.  Kohl,  dans  la  Zeitschrift  für  deutsche  Kulturgeschichte,  p.  423- 
428, 1874.  —  Sur  l'hôpital  de  Saint-Job,  fondé  à  Hambourg  en  1505,  voy.  Wilda. 
GilJeiceien,  p.  366-368.  —  Sur  les  établissements  charitables  de  Halle,  voy.  Wokeu, 
p.  114-115.  A  Zwickau,  Burkhaudt,  Gesch.  der  sächsischen  Kirchen  und  Schulvisitn- 
tionen,  p.  67,  (Leipzig,  1879.)  Sur  la  multiplicité  des  béguinages  dans  les 
pays  rhénans  vers  la  seconde  moitié  du  quinzième  !-iècle  et  sur  leur  féconde 
activité  pour  le  soin  des  malades,  l'éducation  des  orphelins,  etc.,  voy.  Kittel, 
Die  Beguinen  des  Mittelalters  i/n  südwestlichen  Deutschland,  Programm,  (.\schaffen- 
burg,  1859.)  Voy.  Anzeiger  für  Kunde  deutscher  Vorzeit,  t.  VI,  p.  374-376.  Relative- 
ment aux  aumônes  faites  par  les  monastères,  citons  entre  autres  l'exemple  de 
l'abbaye  d'Hirsau,  qui  distribuait  tous  les  ans  aux  pauvres  environ  quatre  cents 
boisseaux  de  blé  et  nourrissait  tous  les  jours  deux  cents  indigents  à  la  porte 
du  couvent.  Voy.  Cless,  CuUurgeschichte  von.   Württemberg,  t.  II,  p.  443. 

'  Voy.  llAUTZHEiM,  t.  V,  p.  398-675,  923-958,  et  t.  VI,  p.  1,  142.  Analyse  du 
Supplementum  Conciliorum  Germaniœ  de  Binterim  et  de  Floss,  p.  15-17.  (Cologne. 
1851.)  Binterim,  t.  VI!,  p.  237-530.  Dans  le  diocèse  de  Spire  deux  synodes  avaient 
presque  toujours  lieu  tous  les  ans.  Remling,  Geschichte  der  Bischöfe  zu  Speyer,  t.  II, 
p.  145-222. 

»  Les  lettres  synodales  de  l'évêque  de  Spire,  Louis  de  Helmstadt  (Wurdtweis, 
Subs.,  u  XII,  p.  196-326),  sont  des  modèles  en  leur  genre.  Les  synodes  étaient 
«cuvent  très-nombreux.  Au  synode  de  Strasbourg  (1482),  six  cents  prêtres  sont 


574  RESUME,    TRANSITION. 

En  dépit  de  toutes  les  imperfections  qui  s'attachent  aux  œuvres 
humaines,  les  conciles  et  synodes,  dans  leurs  discussions  et  leurs 
décrets,  mettent  dans  un  relief  admirable  l'esprit  qui  l'inspire. 
Les  princes  ecclésiastiques  dont  la  conduite  est  indigne  de  leurs 
liantes  fonctions,  sont  contraints,  lorsqu'ils  exercent  publiquement 
leur  charge,  de  faire  entendre  le  langage  austère  de  la  doctrine 
chrétienne,  et  de  condamner  ainsi  leur  propre  vie.  Beaucoup  d'évêques 
se  font  les  apôtres  zélés  de  la  réforme  tentée;  beaucoup  se  signalent 
par  leur  amour  des  âmes,  et  sont  aussi  distingués  par  leurs  vertus 
que  par  leur  savoir'.  Le  clergé  régulier  et  séculier  est  en  grande 
partie  éclairé,  intelligent  et  pieux.  C'est  parmi  ses  membres 
que  l'imprimerie  nouvellement  inventée  trouve  ses  protecteurs 
les  plus  dévoués,  les  plus  actifs.  L'immense  quantité  d'ouvrages 
sortis  des  premières  presses  allemandes  sert  d'abord  presque  exclu- 
sivement les  besoins  intellectuels  du  clergé.  Aussi  Wimpheling, 
censeur  sévère  des  clercs  paresseux  et  mondains,  peut-il  écrire  : 
"  Je  connais,  Dieu  le  sait,  dans  les  six  diocèses  du  Rhin,  beaucoup, 
et  même  d'innombrables  bons  pasteurs  parmi  les  prêtres  séculiers. 
Ils  sont  riches  eu  savoir,  bien  préparés  à  la  charge  des  âmes,  et  d'une 
grande  pureté  de  mœurs.  Je  connais,  aussi  bien  dans  nos  cathédrales 
que  dans  nos  églises  abbatiales,  des  prélats  accomplis,  des  chanoines, 
des  vicaires  dignes  de  (ont  respect.  Je  connais  non-seulement  quelques 
clercs,  mais  une  foule  de  prêtres  dont  la  réputation  est  sans  tache, 
et  qui  sont  remplis  de  zèle,  de  charité,  d'humilité  dans  le  service  des 
pauvres.  "  A  un  autre  endroit,  Wimpheling  parle  du  grand  nombre 
de  clercs,  fils  des  bourgeois  les  plus  considérés  du  pays,  honorés  du 
litre  de  docteurs  de  la  sainte  théologie,  et  promus  par  la  grâce  de 
Dieu  dans  un  grand  nombre  de  paroisses.  «  Peut-être  qu'autrefois  ", 
ajoute-t-il,  «  de  tels  hommes  faisaient  défaut;  mais  de  nos  jours,  grâce 
à  l'imprimerie,  découverte  dont  Dieu  a  favorisé  notre  pays,  beau- 
coup d'hommes  vraiment  instruits,  vraiment  dignes  de  conduire  les 
àmes^  entrent  tous  les  jours  dans  l'Église,  » 

présents.  Dacheux,  Geiler  de  Kaisersberg,  p.  39.  C'est  à  ce  synode  que  Geiler  pro- 
nonça son  foudroyant  discours  contre  les  conseillers  laïques  des  évéques,  dis- 
COUiS  {jrave  el  enjoué  tour  à  tour.  {Sermones  et  varii  tractatus  Kaysersbergii,  fol.  13.) 
Wimpheling  disait  à  propos  de  ces  conseillers  laïques  :  «  Sciât  sacerdos  se  ab 
indoctis  et  illileratis  plerumque  episcoporum  consulil)us,  scribis,  satellitibus 
iminerito  vexari,  opprinii,  floccipendi.  »  Rieggeu,  Amœnitaies  litt.,  p.  176.  Voy. 
aussi  Zcits.fiir  die  Geschichte  dis  Oberrheims ,  t.  XX  VII,  p.  227-326.  385-45Î. 

'  Voyez-en  la  liste  avec  les  citations  à  l'appui,  dans  le  travaif  intitulé  :  I>a$ 
Luthermonument  zu  Worms,  p.  118-120  (."Mayence,  1868).  ■  On  trouve  beaucoup  de 
bons  supérieurs  «,  disait  Geiler,  qui  a  déploré  plus  que  personne  les  abus 
ecclésiastiques  de  son  temps  {Etnisscn,  Strasbourg,  1517,.  ■■  Si  tu  passes  en  revue 
les  évéques  de  notre  temps,  tu  verras  que  nous  avons  beaucoup  de  pieux  pré- 
lats, par  exemple  les  évéques  de  Bamberg,  de  Worms,  de  Trente,  etc.  »  . 

*  Voy.  RiEGGEH,  âmœnitates  lia.,  t.  II,  p.  280,  369.  Luther  a  dit  avec  exagéra- 


I 


ABUS  ET  SCANDALES  ECC LES  1 AS ï I O C E S .         575 

Mais  les  «  contrastes  frappants  entre  le  dévouement  volontaire  et 
l'âpre  cupidité,  entre  le  renoncement  pour  l'amour  de  Dieu  et  la 
passion  de  jouir  %  se  manifestent  dans  le  clerijfé  ré[julier  et  séculier 
aussi  bien  que  dans  les  autres  classes  de  la  société.  Là  aussi  nous 
constatons,  à  côté  d'une  admirable  ardeur  de  dévouement,  d'un 
noble  désir  de  se  sacrifier  à  de  grandes  causes,  à  côté  d'un  amour  de 
Dieu  et  des  hommes  s'élevant  parfois  jusqu'au  plus  généreux  enthou- 
siasme, les  manifestations  effrayantes  d'un  égoisme  et  d'une  cupidité 
sans  frein.  Beaucoup  de  prêtres  négligent  complètement  la  prédi- 
cation et  le  soin  des  âmes.  La  passion  d'amasser  des  richesses,  vice 
le  plus  saillant,  le  plus  profondément  enraciné  de  cette  époque,  se 
montre  et  se  révèle  dans  l'ardeur  que  met  le  clergé  de  tout  rang, 
de  tout  ordre,  à  accroître  ses  rentes,  ses  revenus,  les  taxes,  les 
casuels.  L'Église  d'Allemagne  était  alors  la  plus  riche  de  la  chré- 
tienté*. On  a  calculé  qu'elle  possédait  presque  le  tiers  de  la  propriété 
foncière;  aussi  les  efforts  des  grands  dignitaires  ecclésiastiques  pour 
accroître  toujours  davantage  leurs  propriétés  ne  sont-ils  que  plus 
condamnables.  La  plus  grande  partie  du  territoire  communal  appar- 
tenait, dans  un  grand  nombre  de  villes,  aux  communautés  religieuses. 


lion  :  -  Personne  ne  peut  se  faire  curé  ou  prédicateur  sans  avoir  été  niaitrt, 
docteur,  ou  au  moins  étudiant  dans  une  université.  •  — Voy.  notre  second  vol. 
Sur  la  réforme  de  l'Ordre  des  Bénédictins,  voy.  Eveld,  Die  Anfänge  der  Burs- 
felder Benediciinercongregation  (Münster,  1865).  Énumérant  les  titres  des  religieux 
à  la  reconnaissance  de  la  postérité,  l'auteur  fait  valoir  l'impulsion  donnée  par 
eux  aux  études  historiques ,  et  principalement  aux  recherches  et  aux  tra- 
vaux d'histoire  locale.  Un  des  réformateurs  les  plus  zélés  des  Ordres  religieux 
à  cette  époque,  c'est  Jean  Busch,  dont  l'autol^iographie  (Leib.mtz,  Scn'ptt.  lier, 
ßrunsw.,  t.  II,  p.  476-50G  et  806-970)  fait  partie  des  plus  importants  documents 
pour  servir  à  l'étude  de  la  vie  ecclésiastique  à  cette  époque  Grube  a  parlé  avec 
détail  de  son  activité  en  Allemagne.  Pendant  cinquante  ans,  il  visita,  pour  les 
réformer,  les  monastères  de  Saxe,  de  Misnie,  de  Thuringe,  de  Weslphalie,  etc., 
et  cela  parmi  des  privations  et  des  difficultés  de  tout  genre,  parfois  même  au 
péril  de  sa  vie.  Il  pouvait  dire  à  bon  droit  à  la  fin  de  son  ouvrage,  en  parlant 
des  nombreux  cloîtres  qu'il  avait  ramenés  à  l'observance  (1475),  -  quae  in 
regiilari  observantia  pêne  omnia  usque  in  praesens  persévérant  ».  (P.  964. i  Le 
tableau  qu'il  trace  des  travaux  des  Frères  de  la  pauvreté  volontaire  (p.  857- 
859)  est  vraiment  émouvant.  Voy.  Grube,  p.  243-247.  Busch  répète  fréquemment, 
comme  un  cri  de  triomphe,  les  paroles  du  Psalmisle  qui  ouvrent  et  terminent 
son  ouvrage  :  ■  Misericordias  Domini  in  aeternum  cantabo.  »  Le  moine  fran- 
ciscain Jean  Brugmann  (de  Kempen,  Bas-Rhin  i  fut  l'un  de  ses  plus  dignes  éiuules. 
li  était  intimement  lié  avec  le  réformateur  et  théologien  alors  célèbre  dans 
toute  l'Europe,  Dyonisius  l'.ickel  (cartésien).  Brugmann  était,  ainsi  que  le  Fran- 
ciscain Dederich  Cœlde,  un  des  plus  énergiques  prédicateurs  populaires  de  son 
temps,  et  prêcha  sans  relâche  durant  vingt  ans,  dans  les  provinces  de  la  basse 
Allemagne  (,f  1473).  Voy.  sur  lui  Theolog.  Studien  und  Kritiken,  p.  165-174.  Année  1860. 
—  Sur  l'infatigable  zèle  apporté  par  Geiler  de  Kaisersberg  à  la  réforme  des  abus 
et  des  scandales  religieux  de  son  temps,  voy.  Dacheux,  p.  58-74,  98-220.  — 

LiNDEM.iNN,  p.  26,  119. 

^  Voy.  DÖLLINGER,  Matcrialen  zur  Geschichte  des  fünfzehnten  und  sechzehnten  Jahrhun- 
derts, t.  II,  IX,  p.  1-296. 


576  RESUME,    TRAXSITIOX. 

Même  parmi  les  membres  du  clerg:é  alors  si  nombreux,  surtout 
dans  les  villes  épiscopales,  les  contrastes  les  plus  heurtés  se  pro- 
duisent. Le  bas  clergé,  chargé  du  ministère  des  âmes,  n'a  aucun 
appointement  fixe  en  dehors  du  casuel  et  de  dîmes  souvent  fort 
incertaines  '.  La  pauvreté,  le  désir  d'acquérir,  le  poussent  fré- 
quemment à  des  expédients  peu  en  rapport  avec  la  sainteté  de  sa 
vocation,  et  l'exposent  au  mépris  populaire.  Le  haut  clergé,  au  con- 
traire, nage  dans  l'abondance  et  le  luxe,  et  trop  souvent  ne  se  fait 
aucun  scrupule  d'étaler  son  faste  au  dehors,  révoltant  ainsi  les 
déshérités,  excitant  dans  les  hautes  classes  la  soif  des  richesses,  bles- 
sant, scandahsant  tous  les  esprits  sérieux.  "  Nous  voyons  s'avancer 
vers  nous  »,  dit  Jean  Butzbach  eu  déplorant  ces  abus,  "  nos  prélats 
bouffis  d'orf;ueil.  Ils  sont  habillés  du  drap  anglais  le  plus  fin.  ils 
portent  une  barrette  sur  la  tête.  Leur  main,  chargée  de  bagues  de 
prix,  est  fièrement  posée  sur  la  hanche.  Ils  se  pavanent  orgueilleu- 
sement sur  des  chevaux  de  prix,  et  sont  suivis  d'une  domesticité 
nombreuse,  portant  des  livrées  éclatantes.  Ils  bâtissent  de  splen- 
dides demeures,  où  l'on  admire  des  salles  hautes,  magnifiquement 
peintes;  là,  parmi  de  fastueux  festins,  ils  se  livrent  à  l'orgie.  Les 
biens  des  pieux  donateurs  sont  dissipés  dans  les  bains,  dans  les  fes- 
tins; on  fait  état  de  chevaux  rares,  de  chiens,  de  faucons  dressés 
pour  la  chasse.  Si  le  soin  des  âmes  est  abandonné  s  dit-il  encore, 
«  le  haut  clergé  en  est  eu  grande  partie  responsable.  Les  prélats 
mettent  à  la  tête  des  paroisses  des  pasteurs  peu  dignes;  quant  à  eux, 
ils  ne  se  soucient  que  de  récolter  les  dîmes.  La  plupart  ne  pensent 
qu'à  accumuler  des  bénéfices,  sans  se  mettre  aucunement  eu  peine  des 
devoirs  que  ces  bénéfices  imposent.  Les  revenus  ecclésiastiques  sont 
employés  à  payer  leurs  nombreux  serviteurs  et  pages,  leurs  chevaux, 
chiens  et  faucons.  Ils  cherchent  à  se  surpasser  les  uns  les  autres  par 
leur  faste*  et  leurs  plaisirs  voluptueux.  "  L'abus  si  contraire  aux 


1  Voy.  Brant,  Marremchi/f,  §  73. 

*  BUZTB.VCH,  Salirae  elegiacae  et  Elegia  kumanas  planjens  miserias.  Manuscrit  de  la 
Bibliothèque  de  Cologne.  Sur  les  habits  mondains  du  clergé,  voy.  la  remar- 
quable décision  du  synode  de  Bamberg,  t491.  Hartzheiim,  t.  V,  p.  604.  Voy. 
aussi  les  prescriptions  des  synodes  de  Schwerin  et  de  Bâte  (t492,  1503).  On  voit 
par  un  passage  de  Nauclerus  Chron.,  p.  959i  que  les  abus,  du  moins  dans  le  bas 
clergé,  étaient  bien  loin  d'être  suivis  par  tous  les  clercs.  «  Clerus  omnis  habitue 
incessu  houestus  et  satis  discipliuatus.  »  Voy.  Joachim,  p.  62.  Les  princes- 
évéques  avaient  généralement  une  tenue  peu  appropriée  à  leur  état.  L'admi- 
rable évéque  d'Augsbourg,  Frédéric  de  Hohenzollern ,  fut  regardé  comme 
une  curiosité  à  la  diète  de  Nuremberg  (1487),  parce  qu'il  portait  des  vête- 
ments d'évêque.  Ou  l'accjsa  d'être  un  Welche,  n'aspirant  qu'au  chapeau  de 
cardinal.  «  Omnes  archiepiscopi  et  episcopi  incedunt,»  écrivait  Frédéric  le 
23  mai  1487  à  son  maître  Geiler  de  Kaisersberg,  «  quod  vix  fistulatores  et  ipsi 
inter  se  discerni  possint  •  Voy.  Dacheux,  Geiler  de  Kaisersherg,  p.  384-387.  — 
Voy.  le  travail  digne  d'attention  de  Steicuele,  sur  le  Tagebuch  über  die  drei  ersten 


ABUS    ET    SCANDALES    ECCLESIASTIQUES.  577 

anciennes  lois  de  l'F[jlisc,  encore  en  pleine  vi(jueur,  et  qui  consistait 
à  conférer  plusieurs  bénéfices  à  une  seule  personne,  souvent  môme 
à  de  tout  jeunes  enfants  n'ayant  point  encore  reçu  les  Ordres,  faisait 
un  tort  profond  aux  mœurs  ecclésiastiques.  Il  allait  de  compagnie 
avec  Tusaße,  alors  introduit  partout,  de  revêtir  des  plus  liautes 
dignités  ecclésiastiques  les  fils  cadcis  des  familles  princières  ou  de  la 
haute  noblesse.  «  C'est  le  signe  d'une  étrange  folie  »,  dit  Geiler 
de  Kaisorsberg,  «  de  préférer  pour  les  hautes  charges  de  l'Église 
ceux  qui  sont  d'une  naissance  illustre  à  ceux  qui  sont  tout  simplement 
honnêtes  et  sages.  Cette  folie  est  surtout  commune  en  Allemagne.  » 
'<  Pour  diriger  l'Kglise  on  fait  choix  d'ignorants,  gens  habitués  au 
luxe,  adonnés  aux  plaisirs,  qui  ne  savent  rien,  et  n'ont  d'autre  qualité 
que  celle  d'élre  d'illustre  origine  '.  «  Autrefois,  il  n'en  était  pas  ainsi  : 
•<  on  recherchait  les  hommes  pieux,  instruits,  sans  prendre  garde  à 
la  médiocrité  de  leur  naissance*  ".  Thomas  Murner  fait  entendre  la 
même  plainte  dans  V Evocation  des  fous  : 

»  De[)uisquc  le  diable  a  conduit  la  noblesse  dans  le  domaine  ecclésias- 
tique, depuis  qu'on  ne  veut  avoir  d'évéquc  qui  ne  soit  de  haute  naissance, 
tout  va  de  travers  !  Le  diable  a  usé  bien  des  souliers  avant  de  faire 
porter  la  mitre  à  tous  les  fils  de  princes^^!  » 

Le  nombre  des  diocèses  oi^i  la  noblesse  possède  un  droit  exclusif 
aux  canonicats  des  églises  épiscopales  va  toujours  en  augmentant  à 

Regienuigsjahre  des  Bischofs  Friedlich  von  Zollcni,  dans  les  Beiträge  zur  Gesch.  des  Bis- 
thums  Augsburgs,  t.  I,  p.  113-143. 

'  Voy.  Bi\ANT,  Narrenschi/,  §  30. 

-  Voy.  Rerkeh,  Geiler  von  Kaisersberg,  p.  48,  9G2. 

'RosenpliU,  dans  son  poëme  de  VErmiie^  {Keller,  t.  III,  p.  129-1131),  déplore 
aussi  que  les  évéchés  et  bénéfices  soient  distribués  entre  •  ces  grands  sei- 
gneurs qui  mènent  une  conduite  peu  ecclésiastique  et  peu  morale  •.  -  Les 
maisons  religieuses  et  les  abbayes  ■,  dit  L'nrest  (p.  672),  «sont  bien  gouvernées 
lorsqu'on  en  donne  la  conduite  à  des  évêques  et  prélats  instruits;  tout  va  mal, 
au  contraire,  lorsqu'on  a  égard  à  la  naissance  ou  à  la  faveur.  On  peut  s'en 
apercevoir  dans  les  grandes  abbayes  actuelles,  qui  toutes  dégénèrent.  -  «  La 
science  progresse  et  fleurit,  et  à  peine  nommerait-on  un  siècle  où  l'un  ait  fait 
autant  pour  elle  que  dans  le  nôtre  -,  écrit  Trithème  {De  vera  siudiorum  raiione, 
fol.  9),  '  et  cependant  on  voit  beaucoup  de  prélats  ignorants,  parce  que  (ce 
qui  est  la  grande  plaie  de  notre  temps)  ils  ne  sont  élus  qu'en  considération 
de  leur  haute  naissance,  sans  que  souvent  ils  aient  fait  même  des  études 
médiocres.  -  Pour  n'en  citer  qu'un  exemple,  l'archevêque  de  Cologne,  Hermann 
de  Wied,  était  tellement  ignorant,  qu'il  fut  obligé  de  faire  traduire  les  lettres 
de  crédit  écrites  en  latin  de  l'ambassadeur  anglais  Robert  Pace.  Höfler, 
Carls  V  Wahl,  p.  49.  Dans  ces  nobles  personnages,  le  prince  éclipsait  si  complè- 
tement l'évéque,  qu'à  Strasbourg  les  prélats  avaient  entièrement  perdu  l'abi- 
tude  de  porter  les  insignes  de  leur  dignité  épiscopale,  la  crosse  et  la  mitre. 
L'évéque  de  Strasbourg,  le  comte  palatin  Robert  (f  1478),  ne  disait  jamais 
la  messe;  il  communiait  le  jeudi  saint  dans  la  chapelle  de  son  château  «  more 
laicorura  »,avec  le  personnel  du  château.  Voy.  pour  plus  de  détails  Kerker, 
Geiler  de  Kaisersberg,  p.  48,  947-953. 

37 


578  RESUME,    TRANSITION. 

partir  des  dernières  années  du  quinzième  siècle'.  En  même  temps 
les  familles  princières  s'efforcent  par  tous  les  moyens  en  leur  pou- 
voir de  placer  les  cvéchés  ou  archevêchés  sous  leur  dépendance  *.  Eu 
1515,  au  moment  où  la  tempête  religieuse  éclate,  les  évêchés  et  arjche- 
vêchés  suivants  appartiennent  déjà  à  des  fils  de  princes  :  Brème, 
Freisingen,  Halberstadt,  Hildesheim,  Magdebourg,  Mayence,  Merse- 
bourg,  Metz,  Minden,  Munster,  ^■aumbourg,  Osnabrück,  Paderborn, 
Passau,  Ratisbonne,  Spire,  Verden  et  Verdun.  L'archevêque  de 
Brème  est  en  même  temps  évêque  de  Verden;  l'évêque  d'Osnabriick 
l'est  aussi  de  Paderborn;  l'archevêque  de  Mayence  siège  à  la  fois  à 
Magdebourget  à  Halberstadt;  on  se  plaint  partout  que,  dans  la  juri- 
diction de  leurs  diocèses,  dont  ils  touchent  cependant  tous  les  reve- 
nus, les  évêques  ne  veulent  ou  ne  peuvent  plus  résider.  On  leur 
reproche  de  porter  bien  plus  volontiers  le  casque  et  l'épée  que  la 
crosse  et  la  mitre.  L'irritation  du  peuple  au  sujet  des  prélats  belli- 
queux augmente  tous  les  jours.  On  chante  : 

Au  guerrier  le  champ  de  bataille,  au  prêtre  le  chœur! 
Lorsque  cet  ordre  est  renversé,  tiens-toi  sur  tes  gardes  ! 

Les  chevaliers  de  l'ordre  Teutonique  tombent  aussi  sous  le  coup 
du  mépris  populaire.  Ils  semblent  n'avoir  plus  d'autre  vocation  que 
l'exercice  de  l'autorité  souveraine  dans  une  province  particulière.  A  la 
faveur  de  leurs  privilèges  ecclésiastiques  ils  répandent  dans  l'Église  un 
esprit  mondain.  "  Au  lieu  de  pourfendre  les  ennemis  ",  dit  le  peuple, 
«  ce  sont  des  chapons  rôtis,  des  perdreaux,  des  oies,  des  canards,  que 
les  nobles  chevaliers  percent  maintenant  de  part  en  part!  » 

S'habiller,  se  déshabiller, 

Manger,  boire,  dormir, 

Voilà  la  règle  des  seigneurs  teutons  ! 

Ainsi  chantent  les  railleurs. 

'  La  loi  ecclésiastique  qui  excluait  des  canonicats  les  prêtres  n'apparte- 
nant pas  à  la  noblesse,  fut  renouvelée  à  Bâle  en  1474,  à  Augsbourg  en  1475 
(Roth  von  Schrekenstein,  Pairiciat,  p.  525),  à  Paderborn  en  1480,  à  Munster  un 
peu  plus  tôt,  à  Osnabrück  en  1517.  Estor,  Ahnenprobe,  t.  III.  Voy.  l'article 
intitulé  :  Der  deutsche  Adel  in  den  hohen  Erz  und  Domcapiteln,  dans  les  Historisch 
politischen  Blättern,  t.  XLIII,  653-676,  745-768,  837-858.  —  L'auteur,  noble  lui-même, 
est  conduit  à  avouer,  en  terminant  son  travail,  que  les  droits  exclusifs  de  la 
petite  et  haute  noblesse  aux  canonicats,  non-seulement  étaient  incompatibles 
avec  le  véritable  but  religieux  des  chapitres,  mais  encore  ne  fut  jamais  un  bien 
pour  la  noblesse  elle-même.  ■  Il  n'est  aucune  condition  -,  dit-il,  -^  qui  n'ait 
pour  base  le  précepte  évangélique  «  Ora  et  labora  ".  Toute  sinécure  est  mau- 
vaise, parce  quelle  affaiblit  ou  tue  dans  l'individu  ou  la  caste  qui  en  reçoit 
le  bénéfice  apparent,  l'activité  et  la  capacité  de  travail.  >.  Voy.  une  Lamentation 
sur  la  mondanité  des  prélats  dans  le  Anzeiger  für  Kunde  der  deutschen  Vorzeit, 
t.  XVII,  p.  368. 

*  Voy.  notre  second  volume. 


l/AUTORITf^:    DK    l.'Kr.LISE    ATTAQUÉE.  579 

Les  fils  de  bourgeois  et  de  paysans,  exclus  des  sièges  épiscopaux 
comme  de  tous  les  hauts  emplois  ecclésiastiques,  voient  peu  à  peu  se 
fermer  devant  eux  un  nombre  toujours  plus  considérable  de  monas- 
tères, et  les  cloîtres  qui  disposent  des  plus  nombreux  moyens  de 
civilisation  et  d'instruction  sont  bientôt  exclusivement  réservés  à 
la  noblesse.  Ces  couvents  de  nobles  sont  précisément  ceux  qui 
s'opposent  le  plus  fréquemment  à  toute  tentative  de  réforme  '. 
Mais  dans  les  Ordres  mendiants,  où  la  plupart  des  religieux  appar- 
tiennent au  peuple  ou  à  la  bourgeoisie,  les  efforts  des  réformateurs 
rencontrent  aussi  trop  souvent  une  vive  résistance.  Les  moines 
mendiants  s'échappent  de  leurs  monastères,  comme  par  exemple 
les  Augustins  (1481).  —  Ceux  que  Geiler  de  Kaisersberg  pour- 
suit des  plus  impitoyables  reproches  sont  les  moines  déchaussés, 
'<  ces  méchants  gamins  irréguliers  »,  "  car  je  ne  puis  -,  dit-il,  «  les 
appeler  autrement  ".  Des  plaintes  fréquentes  se  font  partout  entendre 
sur  le  trafic  des  choses  saintes,  les  punitions  ecclésiastiques  imposées 
trop  légèrement,  les  grands  et  fréquents  envois  d'argent  faits  à 
Rome  par  les  prélats  pour  obtenir  la  pourpre;  les  annates  et  les 
frais  du  pallium  *. 

Ces  abus,  ces  scandales,  venus  de  la  mauvaise  organisation  ecclé- 
siastique, sont  systématiquement  mis  à  profit  par  la  jeune  école 
des  humanistes,  qui  s'est  peu  à  peu  élevée  dans  l'estime  et  la  consi- 
dération publiques  à  côté  de  cette  ancienne  génération  de  savants 
à  qui  TAUemagne  devait  la  restauration  des  études  classiques.  Dès 
le  commencement  du  seizième  siècle,  cette  nouvelle  école  forme  un 
parti  «  compacte  et  exclusif*  ".  Les  chefs  vénérés  de  l'ancien  huma- 
nisme *  s'étaient  tous  montrés  les  adversaires  intrépides  des  abus  qui 
s'étaient  glissés  dans  l'Église,  mais  l'autorité  de  l'Église  elle-même, 
celle  du  Souverain  Pontife,  étaient  demeurées  intactes  dans  leurs  con- 
victions. Ils  étaient  restés  attachés  du  fond  de  leur  âme  aux  dogmes 
chrétiens;  les  prescriptions  de  la  morale  évangélique  étaient  la  règle 

'  Voy.  HÖFLER,  Einleitung  zu  den  Denkwürdigkeiten  der  Äbtissin  Charitas  Pirkheimer, 
t.  XXXV  (Bamberg,  1853).  Buschius  cite  deux  monastères  de  filles  nobles  où 
d'horribles  scandales  s'étaient  produits  dans  le  diocèse  de  Minden,  p.  859-864. 
Voy.  GuuBE,  p.  158.  Sur  un  monastère  de  filles  nobles  à  Reuss,  voy.  Tetzel,  i>e5 
böhmischen  Herrn  Leo's  von  Bozmital  Bitter,  Hof  und  Pilgerreise  durch  die  Abendlande, 
dans  la  Bibl.  des  literar.  Vereins,  t.  VII,  p.  148.  Les  danses  qui  eurent  lieu  à 
Cologne  en  présence  de  Maximilien  pendant  la  diète  de  1505  furent  ouvertes 
par  l'archevêque,  une  abbesse,  et  plusieurs  dames  des  abbayes  de  Saint-Marein 
et  de  Sainte-Ursule.  Voy.  Zeitsch.  des  berg.  Geschitsvereins,  t.  VI,  p.  274. 

*  Pour  plus  de  détails,  voy.  Kerker,  Geiler  von  Kaisersberg,  p.  49,  398-401.  

Dacheux,  p.  158-196.  —  Jager,  Lim,  p.  501-505.  —  Gräfe,  Leipsigs  religiöses  Leben 
bis  1517  dans  le  Zeilschrift  für  die  Hist.  Theologie,  p.  51-92,  vol.  IX  (Leipzig,  1839). 

'  Voy.  t.  IX,  p.  51-72,  les  plaintes  de  Wimpheling  à  ce  sujet  dans  Wiskowa- 
TOFF,  p.  177-195,226.  Voy.  notre  second  volume. 

*  Voy.  notre  second  volume. 

37. 


USD  "  RÉSUMÉ,    TRANSITION. 

de  leur  vie,  et  c'était  précisément  leur  amour  pour  l'Église  univer- 
selle qui  enflammait  leur  zèle  réformateur.  Les  nouveaux  huma- 
nistes, au  contraire,  se  targuent  orgueilleusement  de  leurs  prétendues 
lumières,  se  mettent  au-dessus  du  christianisme,  de  l'Église,  et 
même  des  prescriptions  les  plus  élémentaires  de  la  morale.  Ils 
voient  dans  l'antiquité,  non  un  élément  de  culture  et  de  civilisa- 
tion, mais  un  principe  vital  pour  les  peuples  modernes,  et  préten- 
dent substituer  à  l'inflexible  morale  du  christianisme  la  philosophie 
commode  des  anciens.  Beaucoup  d'entre  eux  travaillent  au  complet 
renversement  de  l'ordre  social.  Ces  hommes  allument  dans  la  nation 
une  guerre  civile  intellectuelle  si  désastreuse,  qu'en  très-peu  de 
temps  elle  détruit  toutes  les  semences,  les  fleurs  et  les  fruits  de  la 
réforme  tentée.  Ils  détestent  la  nouvelle  forme  de  jurisprudence, 
mais,  disciples  et  défenseurs  de  la  théorie  antique  sur  l'État,  ils 
vont  tout  droit,  par  leurs  railleries  frivoles  et  leurs  saillies  mépri- 
santes sur  l'Église  et  ses  ministres,  au  même  but  que  les  juristes.  Ils 
commencent  par  réclamer  hautement  la  sécularisation  des  biens  de 
l'Église.  Or,  comme  l'amour  des  richesses,  vice  principal  de  l'époque, 
pousse  le  clergé  à  accroître  sans  cesse  les  propriétés  ecclésiastiques 
et  crée  à  l'intérieur  de  l'Église  un  état  social  et  religieux  que  déplo- 
rent tous  ceux  qui  ne  sont  pas  directement  intéressés  à  sa  conser- 
vation, «  les  princes,  les  seigneurs,  les  conseils  urbains  sont  exposés 
à  la  tentation  pressante  de  mettre  la  main  sur  les  biens  du  clergé  ». 
«  Celui  qui  les  y  excite  est  leur  homme  »,  dit  Geiler,  «  et  leur  semble 
toujours  un  excellent  conseiller'.  « 

A  ce  désir  de  séculariser  les  biens  ecclésiastiques,  se  joint  bientôt 
celui  de  transporter  la  juridiction  spirituelle  des  évêques  aux  souve- 
rains temporels  et  aux  magistrats  civils.  Un  grand  nombre  de  princes 
s'ingèrent  déjà  sans  aucun  scrupule  dans  des  questions  purement 
ecclésiastiques  -.  Ils  y  sont  quelquefois  poussés  par  les  réformateurs 
eux-mêmes,  qui  les  appellent  à  leur  aide  pour  opérer  les  change- 
ments qu'ils  veulent  introduire.  L'autorité  du  siege  apostolique  est 
regardée  par  les  conseillers  princiers  comme«  un  joug  dur  et  pesant  ". 
Dès  le  milieu  du  quinzième  siècle,  on  voit  en  Allemagne  (se  ratta- 
chant presque  toujours  à  Jean  Huss)  des  novateurs  qui  combattent 
l'infaillibilité  doctrinale  du  Saint-Siège  ^  puis,  allant  toujours  plus 
loin,  l'autorité  des  conciles  généraux,  la  hiérarchie  ecclésiastique,  et 
les  enseignements  fondamentaux  de  l'Église. 

«  Je  méprise  le  Pape,  l'Église  et  le  concile  ",  dit  ouvertement  Jean 

'  Judenvucher  und  Schinderey ,  p.  42. 

«  Voy.  Grube,  p   359. 

*  Aussi  les  théologiens  les  plus  strictement  orthodoxes  défendent-ils  avec 
fermeté  dans  leurs  écrits  et  leurs  prédications  l'autorité  du  Saint-Siége. 
Gabriel   Biel   fit    paraître  en   1462  un  écrit   sur  l'obéissance    due    au    siège 


IIÈRKTIQUES    ALLEMANDS    AU    QUINZIÈME    SIÈCLE.  581 

de  Wesel  (1181),  «  et  je  loue  le  Christ'.  »  "  L'Kglise  -,  dit-il  ailleurs, 
"  subit  une  captivité  de  Babylone.  Le  Pape  u'est  qu'un  singe  vêtu  de 
pourpre.  »  Professeur  autorisé  de  la  Sainte  Écriture,  .Jean  de  Wesel 
combat  la  doctrine  des  indulgences,  rejette  le  culte  des  saints,  le 
purgatoire,  les  sacrements  de  pénitence,  d'Eucharistie  et  d'extréme- 
onction.  «  L'huile  consacrée  ■■,  enseigne-t-il,  c  n'est  pas  meilleure  qi»e 
celle  que  l'on  mange  à  la  cuisine.  Il  dit  hautement  que  le  corps 
de  Jésus-Christ  peut  être  présent  dans  l'hostie  sans  la  transubstantia- 
tion;  que  la  Sainte  Écriture  est  la  source  infaillible  et  unique  de  la 
foi,  et  ne  peut  être  expliquée  que  par  elle-même;  que  la  foi  seule 
justifie,  et  que  seuls  les  prédestinés  auront  part  à  la  félicité  du  ciel. 
Dans  ses  écrits  comme  dans  ses  sermons,  il  se  livre  à  de  rudes  et 
grossières  sorties.  Il  reproche  aux  prêtres  de  ••  servir  leur  ventre  en 
dévorant  le  bien  des  veuves  ",  et  de  n'être  «  que  des  chiens  et  des 
animaux  malfaisants  ■.  Prêchant  un  jour  sur  le  carême,  il  dit  qu'à 
son  avis  >  saint  Pierre  ne  l'a  institué  que  pour  écouler  plus  facilement 
ses  poissons  ".  «  L'homme  -,  ajoute-t-il,  ■  peut  manger  aussi  long- 
temps qu'il  a  faim;  si  cela  te  fait  plaisir,  tu  peux  manger  un  bon 
chapon  le  vendredi  saint.  ' 

Jean  de  Wesel  avait  longtemps  professé  à  l'Université  d'Erfurt,  et 
Luther  dit,  après  s'être  étendu  sur  la  considération  dont  il  jouissait  : 
"  JohannesWesalia  a  gouverné  par  ses  écrits  la  haute  école  d'Erfurt, 
et  c'est  après  avoir  étudié  ses  livres  que  j'ai  moi-même  enseigné  plus 
tard  ».  >' 

Les  "  frères  de  Bohême  -,  dont  les  huit  confessions  de  foi,  toutes 

apostolique,  où  il  demande  pour  les  décisions  et  lois  disciplinaires  du  Pape 
la  même  soumission  que  si  elles  émanaient  de  saint  Pierre  lui-même.  Voy. 
LiNSEMiANN,  Gabriel  Biel.  dans  la  Tübinger  Theol.  Quartalschrift,  p.  203,  1865.  En 
1480,  Pffffers,  professeur  à  Fribourj;,  fit  paraître  un  traite  sur  l'infaillibilité 
de  l'Éfîlise  romaine.  Schreiber,  L'niversiiät  Freiburg,  t.  I,  p.  112.)  En  1495,  Sébas- 
tien Brant  entreprend  une  campagne  théologique  pour  soutenir  l'autorité 
sans  restriction  du  Pape.  (Schmidt,  Xoiices,  p.  198-200.)  Kn  1503,  la  même  thèse 
est  soutenue  par  le  célèbre  Pierre  de  Ravenne,  à  l'Université  de  Wittenberg 
(MüTHER,  Aus  dem  UniversiliUs  und  Gelehrtenleben,  p.  7Ü-76,  etC). 

'  Jean  de  Wesel  enseignait  :  ^  C'est  au  théologien  à  juger  la  mesure  dans 
laquelle  les  décisions  du  Pape  nous  obligent.  »  Voy.  Ulmann,  Reformaioren  vor 
der  Reformation,  t.  H,  p.  556. 

-  Pour  plus  de  détails,  voy.  Ulmann,  t.  I,  p.  240-418  (.surtout  les  pages  326, 
333,  3(j0,  288-307,  390).  Sur  l'enseignement  de  TFan  Wessel  (f  1489),  voy.  la 
monographie  de  Friedrich,  Johann  ll'essel  Ratisbonne,  1862).  Ulmann,  t.  II, 
p.  287-707.  Nicolas  Rus,  de  Rostock,  fut  au  nombre  des  adversaires  de  la  hié- 
rarchie ecclésiastique,  de  la  doctrine  sur  les  indulgences,  du  culte  des  saints,  etc. 
Voy.  Geffken,  Bildcrcatechismus,  p.  159-163.  Le  prêtre  saxon  Jean  Drändorf  nie 
l'infaillibilité  des  conciles  généraux,  l'obligation  de  se  soumettre  à  l'Église,  etc. 
"Voy.  KrumMEL,  Theol.  Studien,  und  Kritiken,  42  a  ,  p.  133-144  (Gotha,  1869).  En  1453, 
dans  les  environs  d'Heilbronn,  on  trouve  la  secte  des  -  pauvres  déchaussés  =, 
qui  n'admettent  point  de  différence  entre  les  prêtres  et  les  laïques,  sou- 
tiennent que  dans  la  communion  on  ne  reçoit  pas  le  corps  et  le  sang  du  Seigneur, 
mais  seulement  du  pain  et  du  vin  bénits,  etc.  Binterim,  t.  VII,  p.  304-305.  Vers 


582  RÉSUMÉ,    TRANSITION. 

différentes  les  unes  des  autres,  avaient  été  plusieurs  fois  imprimées 
à  Nuremberg?  et  à  Leipzig',  s'occupent  activement  en  Allemagne  de 
la  propagation  de  leurs  doctrines;  ils  n'admettent  aucune  différence 
entre  les  prêtres  et  les  laïques,  appellent  le  Pape  l'Antéchrist,  et 
l'Église  romaine  (par  conséquent  l'Église  catholique)  "  une  associa- 
tion de  vauriens  et  de  menteurs  recevant  toutes  leurs  inspirations  du 
diable  ».  A  Prague,  dès  les  premières  années  du  seizième  siècle,  nous 
trouvons  les  esprits  dans  les  dispositions  ou  sera  bientôt  la  plus 
grande  partie  de  l'Allemagne.  «  11  règne  ici  un  effroyable  désordre 
dans  les  idées  religieuses  »,  écrit  de  Prague  le  célèbre  Bohuslas 
Hassentein  (1502).  «  Tout  le  monde  est  libre  d'adopter  les  manières 
de  voir  de  qui  bon  lui  semble.  Sans  parler  des  wicléfites  et  des 
picards,  on  rencontre  des  gens  qui  nient  la  divinité  du  Rédempteur, 
disent  que  l'âme  périt  avec  le  corps,  et  que  toutes  les  religions  sont 
bonnes  pour  parvenir  au  salut  ;  il  en  est  même  qui  pensent  que  l'enfer 
n'est  qu'une  pure  imagination.  » 

Je  passe  sous  silence  d'innombrables  opinions  de  ce  genre.  On  ne 
les  tient  même  pas  secrètes,  on  les  prêche  ouvertement.  Vieillards 
et  adolescents,  hommes  et  femmes,  engagent  des  discussions  sur  des 
questions  de  foi,  commentent  la  Sainte  Écriture  sans  l'avoir  étudiée, 
et  chaque  secte  nouvelle  trouve  des  partisans,  tant  est  grand  l'amour 
des  nouveautés  *. 

Mais  cependant  l'Église  garde  encore  toute  sa  force  vitale  '.  L'esprit 
catholique,   la  pieuse  ferveur,  sont  encore  dans  leur  lustre  parmi 

le  milieu  du  quinzième  siècle,  on  troure  des  adeptes  des  sectes  de  Waldens  et  des 
Tabarites  à  Windsheim,  Neustadt-an-der-Aisch,  Rothenburg,  Ansbach,  Schwein- 
furt, dans  les  environs  de  Baireuth,  dans  le  Fichtelgebirge  et  le  Frankenwald,  à 
Nuremberg,  lleroldsberg  et  Ileilsbronn.  A  Wurzbourg  et  dans  les  villages  envi- 
ronnants, ils  vont  même  jusqu'à  établir  leur  culte.  Voy.  H.  Haupt,  Die  religiösen 
Seelen  in  Franlen  vor  der  Reformation  (VVurzbourg,  1882).  Le  Concile  provincial  de 
Mayence  (1455)  s'élève  contre  les  diverses  doctrines  hérétiques  préchées  à  cette 
époque  dans  le  diocèse.  IIartzheim,  t.  V,  p.  438-440.  Sur  un  autre  concile  réuni 
à  Mayence  dans  le  même  but,  voy.  Binterim,  t.  VII,  p.  297.  A  Mayence,  un 
moine  attaque  en  pleine  chaire  la  doctrine  de  l'Église  sur  la  naissance  du  Sau- 
veur, le  culte  de  la  Sainte  Vierge,  etc.,  et  l'on  redoute  que  les  Ordres  mendiants 
«  ne  soutiennent  des  doctrines  hérétiques  et  ne  causent  de  graves  troubles  reli- 
gieux. .  Unrest,  p.  800-801. 

'  Sur  l'époque  où  les  hussites  commencèrent  à  répandre  dans  le  royaume 
•  leurs  lettres  hérétiques  •  en  langue  allemande,  voy.  Bezold,  Zur  Geschichte  der 
Husiienthums  (.Munich,  1874).  Sur  les  progrès  des  hussites  en  Allemagne,  voy. 
notre  second  volume. 

-  Voy.  GiNDELY,  Geschichte  der  Böhmischen  Brüder,  t.  I,  p.  39-43,  102-103,  161,  496 
(Prague,  1857),  et  Gindely,  Lier  die  dogmatischen  Ansichten  der  böhmisch-märischen 
Brüder,  dans  les  Comptes  rendus  des  séances  de  l'Académie  de  Vienne,  t.  XIII, 
p  349-413.  Sur  VApologia  sancte  Scripture  des  hussites  publiée  à  Nuremberg  en 
1512,  voy.  Anzeiger  für  Kunde  der  deutschen  Vorzeit,  t.  VIII,  p.  50-51. 

*  Le  garant  le  plus  irréfutable  de  l'attachement  profond  et  ardent  que  le 
peuple  avait  encore  pour  l'Église,  c'est  Luther.  Voy.  les  passages  cités  dans 
notre  second  volume.  Voy.  mon  travail  intitulé  :  A  mes  critiques,  p.  120-123. 


LA  FOI  DEMEURÉE  VIVE  DANS  LE  PEUPLE.        583 

toutes  les  classes  de  la  nation,  à  l'intérieur  des  familles  comme  dans  les 
monastt'Tes  '.  Ce  n'est  que  dans  les  dernières  années  du  quinzième  siècle 
que  des  signes  alarmants  commencent  à  faire  redouter  une  diminution 
de  foi;  un  trouble  étrange  ajjile  les  esprits;  les  ensei{jnemen!s  de 
l'Église  et  son  culle  sont  allacjués.  Sébastien  Brant  déplore  le  mépris 
où  sont  tombées  les  indulgences,  et  considère  ce  mépris  comme  le  signe 
évident  de  l'approche  de  l'Antéchrist ^  Geiler  de  Kaisersberg  parle 
des  propos  impies  tenus  sur  les  sacrements  ^  Dans  un  de  ses  sermons 

'  Les  amples  détails  que  nous  avons  fournis  dansée  volume  sur  l'enseigne- 
ment populaire,  la  science  et  l'art  fen  offrent  d'indiscutables  preuves.  Pendant 
la  seconde  moitié  du  quinzième  siècle,  les  conférences  religieuses  augmentent 
d'année  en  année;  les  pèlerinages  sont  plus  fréquents,  peut-être,  qu'à  aucune 
autre  époque  antérieure;  le  culte  des  saints,  surtout  celui  de  sainte  Anne,  de 
sainte  Marie,  de  saint  losepli,  prennent  un  développement  remarquable  et  géné- 
ral dans  le  peuple.  Voyez  Falk,  Druckkunsi,  .33-37,  44-79,  83-107.  A  propos  des 
pèlerinages,  dont  l'accroissement  excitait  quelque  opposition,  Rolewinck  dit  : 
•  Tant  que  le  peuple  les  entreprend  dans  le  pieux  dessein  d'honorer  le  seul  Dieu 
véritable,  son  Fils  Notre-.Seigneur  .lésus-Christ  et  ses  saints,  et  dans  la  ferme 
confiance  que  sa  prière  sera  exaucée,  on  doit  plutôt  les  encourager  qu'y  mettre 
obstacle.  •  (/)e  laude  ixteris  Saxoniœ,  p.  20Ü.)  A  Aix-la-Chapelle,  lieu  de  pèlerinage 
le  plus  fréquenté  de  l'Allemagne,  il  y  eut  en  1453  une  telle  afttuence  de  pèle- 
rins que  le  conseil  de  la  ville  se  vit  contraint  de  fermer  les  portes  de  la  cité 
et  de  ne  laisser  entrer  les  uns  qu'à  mesure  que  d'autres  sortaient.  Dans  le 
voisinage  de  la  cathédrale,  les  toits  des  maisons  étaient  souvent  enlevés  pour 
donner  aux  pèlerins  la  possibilité  d'apercevoir  les  reliques.  En  1493,  les  gardiens 
des  portes  de  la  cité  ne  comptèrent  pas  moins  de  cent  quarante-deux  mille 
pèlerins  en  un  seul  jour,  et  dans  l'église  de  Sainte-Marie,  pendant  les  quinze 
jours  que  duraient  les  fêtes  des  saintes  reliques,  quatre-vingt-cinq  mille  florins 
(somme  énorme  pour  cette  époque)  furent  donnés  en  offrande  par  les  assistants 

réunis.  Voy.  Kessel,  Mittheilungen  über  die.  Hciligthümer  der  Stiftskirche  tu  Aachen, 
p.  164-206.  (Cöln,  1874.)  Voyez  ,J.  Kreb  s,  Zur  Geschichte  der  Heiligthums  fahrten, 
Cologne,  1881.  Sur  les  pèlerinages  d'enfants  à  Saint-Michel,  en  Normandie, 
voyez  la  chroi.ique  de  Cologne  dans  les  Chroniken  der  deutschen  Städte,  t.  XIV, 
p.  799-800.  Sur  les  troupes  de  pèlerins  venus  de  Thuringe,  de  Franconie,  de 
Hesse,  pour  vénérer  le  Précieux  Sang  à  Wilnack,  voyez  Stolle,  p.  308-312.  — 
Lübeckische  Chroniken,  t.  II,  p.  205.  —  Voyez  Hoffmann,  Geschichte  des  deutschen  Kir- 
chenliedes, p.  185-187.  A  Crimen  thaï,  en  1515,  le  nombre  des  pèlerins  s'élève  à  44,000. 
Trithème  écrit  sur  le  jubilé  de  Rome  en  1500  :  •  Currebant  viri  et  raulieres, 
viduae  ac  virgines,  juvenes  ac  senes,  monachi  ac  moniales,  permixti  ac  confusi 
eratque  res  viro  sapienti  admiratione  digna.  "  Chrön.  Sponheim,  p.  412.  La  «cur- 
rendi  libido  •  de  l'époque,  malgré  toute  la  ferveur  de  l'intention,  se  montrait 
fréquemment  dans  les  troupes  de  pèlerins,  et  bien  des  avertissements  s'élevaient 
pour  blâmer  les  vices  qui  s'y  glissaient.  Voy.  kampschulte  Universität  Erfurt,  t.I,  p.  17. 
—  Voyez  Anshelm,  t.  III,  p.  152-154.  —  Voyez  Trithem,  Chron.  Sponheim,  p.  415. 
Dans  la  confrérie  de  Sainte-Marie,  à  Francfort-sur-l'Oder,  on  comptait  en  1501 
soixante  et  onze  hommts  et  quatre-vingt-dix  femmes,  parmi  lesquels  se  trou- 
vaient les  premiers  et  les  plus  considérés  personnages  de  la  ville.  A  Cologne 
sur  la  Sprée,  le  bourgmestre  Michel  Fritze  se  fit  remarquer  par  son  zèle  pour 
l'accroissement  du  culte  de  la  Mère  de  Dieu,  et  fit  construire  une  église  en  son 
honneur.  Partout,  on  comptait  parmi  les  premiers  du  pays  les  plus  zélés  «  frères 
de  Marie  ••  (Zur  Geschickte  der  Marienverchrung  für  der  Reformation,  p.  128-135.)  Sur 
le  culte  de  sainte  Anne  au  quinzième  siècle,  voy.  Falk,  Katholik,  1878,  cah  1. 
-Narrenschiff,  par  '  103.  "  L'indulgence  est  tellement  dépréciée,  que  personne 
ne  la  réclame  et  ne  la  respecte.  • 
Voy.  Zappert,  Badewesen,  p.  136. 


584  RÉSUMÉ,    TRANSITION. 

(1515)  il  fait  intervenir  des  personnages  qui  déclarent  fort  nettement 
"  qu'ils  ont  maintenant  la  Sainte  Ecriture  entre  les  mains,  et  peuvent 
d'eux-mêmes  connaître  et  discerner  ce  qui  est  nécessaire  au  salut, 
sans  avoir  besoin  pour  cela  ni  d'Eglise,  ni  de  pape  *  ». 

Dès  1518,  on  compte  au  moins  quatorze  traductions  complètes  de 
la  Bible  en  haut  allemand,  et  cinq  en  bas  allemand. 

L'Église  n'avait  pas  mis  obstacle  à  la  diffusion  de  la  Bible  tant  que 
les  divisions  de  ses  enfants  ne  lui  en  avaient  pas  révélé  les  dangers. 
Mais  les  esprits  les  plus  éclairés  ne  tardèrent  pas  à  se  demander  s'il 
était  expédient  et  utile  de  mettre  la  Sainte  Écriture  tout  entière 
entre  les  mains  de  tous.  Geiler  et  Braut  craignent  qu'on  n'en  force  le 
sens,  que  des  gens  ignorants  et  frivoles  ne  l'interprètent  dans  un 
esprit  malveillant  ou  grossier,  et  qu'on  ne  la  mette  au  service  de 
toutes  sortes  de  doctrines  touchant  la  foi  et  les  mœurs.  «  Dieu  même  », 
disent-ils,  «  n'a  pas  mis  à  la  portée  de  tous  sans  distinction  sa  divine 
parole,  puisqu'il  n'a  pas  fait  de  la  lecture  une  condition  de  salut. 
Toutes  les  hérésies  sont  nées  d'une  fausse  interprétation  de  la  Sainte 
Écriture.  Elle  offre  déjà  de  grandes  difficultés  à  l'héxégète  savant  : 
combien  plus,  par  conséquent,  à  la  foule  ignorante!  »  «  liest  dange- 
reux »,  dit  Geiler,  <  de  mettre  un  couteau  dans  la  main  des  enfants 
et  de  leur  permettre  de  couper  eux-mêmes  leur  pain,  parce  qu'ils 
peuvent  se  blesser.  De  même  la  sainte  Bible,  qui  est  le  pain  de  Dieu, 
doit  être  lue  et  expliquée  par  ceux  qui  sont  déjà  avancés  en  savoir, 
en  expérience,  et  peuvent  en  tirer  le  sens  indubitable.  Le  peuple, 
peu  versé  dans  ces  questions,  pourrait  aisément  se  icandaliser  à  cette 
lecture;  car,  s'en  tenant  simplement  au  sens  littéral,  il  est  exposé  à 
tirer  le  mal  de  ce  qui  était  destiné  à   alimenter  sa  foi  ^  »  Geiler 
adresse  à  ce  sujet  de  pressantes  exhortations  à  ses  auditeurs.  Il  les 
met  constamment  en  garde  contre  l'abus  de  la  Bible. 

«  Nous  lisons  la  Bible  et  les  vénérables  écrits  des  saints  Pères  », 


'  Dans  le  Cod.  Camp.,  p.  29.  «  Il  y  a  déjà  vingt  ans  »,  dit  l'auteur  des  Com- 
mentaires sur  les  soixante  -  dix  articles  et  hérésies  des  luthériens  (Stras- 
bourg, 1524,  page  D.  3),  "  j'ai  entendu  des  gens  pieux  et  expérimentés  se 
plaindre  de  ce  que  les  bourgeois  et  les  paysans  lisaient  et  commentaient  la 
Sainte  Écriture  et  étaient  avides  d'entendre  ce  que  les  faux  interprètes  leur 
disaient  contre  l'Église  et  sa  doctrine.  • 

^  Tiré  de  l'édition  donnée  par  Wimpheling,  De  Pétri  ScoUii  Lucubmiiones,  p.  152  B. 
—  Voyez  l'important  recueil  de  censures  de  l'archevêque  de  Mayence  Berthold 
de  Henneberg  de  i486,  dans  le  Codex  dipl.  de  Godenus,  t.  IV,  p.  469.  L'archevêque 
dit  comme  Geiler  :  «  Ouis  enim  dabit  rudibus  atque  indoctis  hominibus  et 
emineo  sexui,  in  quorum  manibus  codœces  sacrarum  litterarum  inciderint, 
veros  excerpere  intellectus?  Videxlur  sacri  cvangelii  aut  epistolarum  Pauli 
textus,  nemo  sane  prudens  negabit,  multa  suppletione  et  sub  auditione  aliarum 
scripturarum  opus  esse.  •  Il  nomma  des  commissaires  particuliers  à  Mayence, 
Erfurt  et  Francfort,  chargés  de  surveiller  l'impression  de  la  Bible.  Voyez  d'autres 
décrets  de  censure  dans  F.iULM.vN.N,  p.  231. 


LA    BIBLE    ENTRE    LES    MAINS    DE    TOUS.  585 

dit-il,   «  mais  nous  ne  les  comprenons  point.   C'est  que  nous  ne 
sommes  pas  assez  savants  pour  les  interpréter  dans  le  vrai  sens  ortho- 
doxe. Il  est  presque  à  regretler  que  la  Sainte  Écriture  soit  de  nos 
jours  imprimée  en  allemand,  car  pour  l'entendre  comme  il  laul,  il  est 
parfois  nécessaire  de  ne  pas  s'en  tenirau  sens  littéral.  Je  t'en  permets 
bien  la  lecture;  j'admets  que  tu  aies  chez  toi  les  interprétations  et  les 
gloses,  mais  tu  ne  (e  tireras  de  là  ni  avec  bonheur  ni  avec  avantage,  si  tu 
n'as  premièrement  acquis  la  science  indispensable  à  sou  intelligence; 
sans  étude  préalable,  tu  t'égareras.  Or  la  Sainte  Écriture  ne  te  donnera 
point  cette  science;  il  faut  que  tu  l'aies  d'avance  dans  ta  tête.  Si  tu 
avais  en  ta  possession  un  bon  certificat  te  donnant  droit  d'apprendre 
à  faire  des  armes,  cela  ne  t'aurait  pas  encore  appris  l'art  de  te  bien 
défendre,  il  te  faudrait  pour  cela  avoir  reçu  les  leçons  d'un  bon 
maître.  Si,  voulant  préparer  du  cuir,  tu  avais  déjà  tes  ciseaux;  si 
tu  tenais  en  main  l'aiguille  et  le  ligneul,  tune  saurais  pourtant  pas 
encore  faire  des  souliers;  auparavant  il  te  faut  passer  par  l'appren- 
tissage. Donc,  en  lisant  la  Bible,  prends  bien  garde  de  te  fromper 
de  chemin  '!  "  Dans  ses  sermons  sur  la  Nef  des  fous.  Geiler  blâme 
énergiquement  les   faux  interprètes  de  l'Écriture  qui  rejettent  les 
explications  des  docteurs  de  l'Église,  et  prétendent  faire  briller  leur 
propre  lumière;  il  nomme  les  vaudois  «  et  ces  gens  qu'on  appelle  dis- 
ciples du  libre  esprit  ",  -  de  faux  docteurs,  des  glossateurs  de  l'An- 
téchrist ^  :  «  Ils  frayent  la  voie  à  celui  qui  sera  le  grand  falsificateur 
et  l'imposteur  par  excellence  -,  dit  il,  «  et  quand  celui-là  paraîtra, 
je  crains  qu'une  trouve  beaucoup  d'adeptes  parmi  nous.  Tout  porte  à 
croire  que  le  moment  de  sa  venue  n'est  pas  bien  éloignée  »  ■'  L'Alle- 
magne entière  ",  dit  Sébastien  Brant  (1494),  «  regorge  de  Bibles,  de 
doctrines  sur  le  salut,  d'éditions  des  saints  Pères  et  de  livres  sem- 
blables ^  De  grands  abus  se  sont  introduits  dans  notre  pays.  On 
tourne  et  l'on  retourne  la  Bible,  on  lui  fait  dire  tout  ce  qu'on  veut, 
et  l'on  met  ainsi  en  péril  et  la  foi  et  la  Bible,  qui  est  le  fondement 
de  la  foi.  Ceux  qui  changent  le  sens  de  l'Écriture  et  l'entendent 
autrement  que  le  Saint-Esprit  ont  une  fausse  balance  en  main; 
ils  y  mettent  tout  ce  qu'ils  veulent.  Ils  exagèrent  ceci,  ils  affai- 
blissent cela,   et  voilà  pourquoi,   de  nos  jours,  la  foi   dépérit.  » 
«  Les  vagues  assaillent  en  tous  sens  la  barque  de  Pierre.  Il  faut 
s'attendre  à  beaucoup  d'orages  et  de  catastrophes,  car  maintenant 
on  ne  sait  plus  où  est  la  vérité.  La  Sainte  Écriture  est  pour  ainsi 
dire  mise  à  l'envers,  et  tout  autrement  expliquée  que  ne  l'avait  voulu 

'  Tiré  du  recueil  de  Sermons  de  Geiler,  127"  édition  de  Bâle  (1512).  —  Kerker, 
p.  49,  392-393. 
^  Brant,  Xan-enschiff,  pafje  200  de  l'édition  de  Strasbourg  de  1520. 
^  Narrenschiff,  Introduction. 


586  RESUME,    TRANSITION. 

la  bouche  de  la  divine  Vérité.  L'Antéchrist  est  assis  dans  la  grande 
nef.  Il  a  envoyé  son  messager  qui  répand  le  mensonge  dans  toute  la 
contrée.  Une  foi  tronquée,  une  doctrine  pleine  d'erreurs  pénètre 
tous  les  jours  davantage  dans  les  esprits  *.  « 

Le  trouble  et  la  fermentation  grandissent,  et  gagnent  peu  à  peu 
toutes  les  classes  de  la  société. 

Une  inquiétude  immense  s'empare  de  la  nation  tout  entière. 

Les  esprits  sont  tourmentés  de  ce  sombre  pressentiment  qui  a 
coutume  de  précéder  les  grandes  catastrophes. 

Les  électeurs  de  Mayence  et  de  Saxe  s'adressant  au  jeune  Charles- 
Quint,  nouvellement  élu,  et,  le  suppliant  de  hâter  sa  venue  dans  le 
royaume  depuis  si  longtemps  délaissé,  lui  écrivent  :  «  Un  immense 
incendie,  un  incendie  comme  il  ne  s'en  est  jamais  vu,  menace  de 
dévorer  l'Allemagne  *.  " 

'  Narre.nschiff,  §  103.  Wimpheling  exprime  la  crainte  (1515)  que  le  «  poison 
bohémien  •  ne  se  propage  encore  davantage,  et  Willibald  Pirkheimer  écrit  en 
juin  1717  que  la  doctrine  des  hussites  gagne  tous  les  jours  du  terrain.  Voyez 
Hagen,  Deutschands  literarische  und  religiöse  Verhältnisse,  t.   I,  p.  463-480. 

*  «  Tale  universe  Germanie  incendium  perspicimus,  quale  nullis  ante  tempo- 
ribus  auditum  arbitramur.  •  Lettre  du  8  février  1520.  Lanz,  Correspondent  des 
Kaisers  Cari  V,  1. 1,  p.  57.  Voyez  aussi  la  lettre  d'un  inconnu  dans  Chmel,  Hand- 
schriften der  Hofbibliolhek  zu  Wien,  t.  I,  p.  523,  527. 


FIN. 


TABLE  DES  PERSONNAGES  CITÉS 


Absberg  (Th.  v.),  550. 

Adam  de  Fulda,  209. 

Adolphe  de  Nassau,  archevêque,  8. 

Adolphe  de  Nassau,  roi,  418. 

Agricola  (G.),  342. 

Agricola  (R.),  4,  50,  82,  84,  87,  99,  207. 

AiLLY  (Pierre  v'),  9, 

Alantsee  (les  frères),  16. 

Albert,  duc  de  .Saxe,  306,  453. 

Albert  P"-,  roi,  418,  419,  487. 

Albert  II,  roi,  423,  424. 

Albert  III,  duc  de  Bavière,  208. 

Albert  IV,  duc  de  Bavière,  429,  452, 
453. 

Albert,  archiduc,  68,  70. 

Albert  de  Brandebourg, archevéque'de 
Mayence,  379,  544,  550,  551,  553,  554, 
556,  557,   558.  561,  563,  564,  567,  586. 

Albert  de  Brandebourg,  grand  maître, 
550. 

Albert  Achille  (margrave  de  Brande- 
bourg ,  66,  425. 

Albert,  duc  de  Mecklembourg,  559. 

Aldegrever  (IL),  185. 

Aldus  Manltius,  86. 

Alexandre  III,  pape,  460. 

ALEX.VNDRE  VI,  pape,  491. 

Alfragan,  astronome.  113. 

Altdorfer  (A.),  171,  185. 

Alunno,  183. 

Ambroise  (St),  99. 

Amerbach  (I.),  8,  11,  15,  88,  99. 

Andlau  (P.),  414,  463. 

Anne  de  Bretagne,  485. 

Anshelm,  chroniqueur,  219,  368,  382, 
494. 

Antoine,  duc  de  Lorraine,  542. 

Antonelli,  peintre,  162, 

Appeldorn  (h.),  80. 

Aristote,  4,  64,  99,  111. 

Armerstorff,  556,  557,  558,  559,  561. 

Arnpeck  (V.),  247. 

Arnt,  peintre,  150. 

AuNT,  sculpteur,  150. 

Arriginus,  81. 


Artus  (I.),  255. 
Aufsess  (p.  t.),  533. 
Augustin  (St),  59,  90,  99,  315. 
Augustin  d'Ancone,  59. 
Auslasser  (V.).  174. 

AvENTiN  (J.  Turmair,  surnommé  1'),  110, 
247,  548. 


Baemler  (H.),  298. 

Baldung  (h.),  171. 

Baldus,  juriste,  462,  466,  469. 

Banmsis  (I.),  125. 

Baptiste  Mantuanüs,  58. 

Barthélemi  de  Cologne,  77,  78. 

Barthélemi  l'Anglais,  299. 

Barthole,  juriste,  462,  469. 

Basellius  (N.),  85. 

Basile   St),  59,  94. 

Baumann  (C.;,  207,  209. 

Baumgartner  (les),  356. 

Baumgartner  (F.),  387. 

Baumgartner  (G.),  174. 

Baumhauer  (S.),  176. 

Beauvais  (V.  de),  97. 

Bebel  (H.),  88,  396,  513,  540. 

Becker  (G.),  423,  450. 

Behaim  (M.j,  115. 

Beham  (h.  S.),  185. 

Berghen  (Max  de),  365. 

Bergmann  (I.),  15. 

Berler  (M.),  368. 

Berlichingen  (Götz   de),    538,  539,    540, 

541,  542,  546. 
Bernhard,  facteur  d'orgues,  207. 
Bernts  {II.),  151. 

Berthold,  prédicateur,  220,  221. 
Bessarion,  cardinal,  113. 
BiBRA  ((..  de),  évêque,  159. 
BiEL  (G.),  31,  91,  101,  107,   109,  377,  476. 

BiRCKMANN  (F.),    14. 

Birnbaum  (H.  dei,  80. 
Blarer  (A.),  75. 
Blomevenna  (p.),  80,  81. 
Bocholt  (F.  de),  182. 
BÖHM  (h.),  301. 


588 


TABLE    DES    PERSONNAGES    CITÉS. 


BOÈCE,  59. 

BOESCHENSTEIN  (I.),   HO. 

BoGiSLALS  X,  duc  de  Poméranie,  452. 
BoLESLAs,    duc    de    Lignitz  et    Brieg, 

374. 
Boxer  (U.),  240. 
BoNiFACE  VIII,  pape,  412. 
Bongert  (D.),  150. 
BONMVET  (de),  amiral,  563. 
BouiLi.ox  (G.  de),  255. 
Brant  (0.),  244. 
Brant  (S.),  15,  19,  99,  100,  103,  106,  107, 

110,  118,  191,   243,   244,  245,  258,  365, 

367,  380,  391,  466,   496,  497,  560,  583, 

584,  585. 
Breidenbach  (B.  de),  256. 
Brück  (A.  de),  205. 
Brugmann  (J.),  575. 
Büchel  (Gertrude  de),  66. 

BDNAU  (h.  DE),  85. 
Bullinger  (h.),  58. 

BlRGKMAYR  (H.),  165,   179. 

Busch  (H.  vo.v  der),  79. 
Busch  (.1.).  16,  377. 

Butzbach   (I.),   55,    65,  77,   93,    94,   298, 
365,  576. 


Cabot,  115. 

Cajetan,  cardinal  légat,  532-533. 

Calixte  III,  pape,  488. 

Campano,  biographe  papal,  12. 

Cantor  (A.),  66. 

Cantor  (U.),  72. 

Capistrano  (S.),  364,  378. 

Caraffa,  cardinal,  12. 

Carolus  Aretinus,  58. 

Casola  (p.),  355. 

Castendorfer  (E.),  207. 

Celtes  (C),  48,  86,  87,  119,  123, 126,  127, 

293,  366,  375. 
Centurian  (S.),  93. 
César  (I.),  57,  677. 
Chalcoco.ndylas,  445. 
Charlemagne,  283,  408,  413,  419. 
Charles  IV,  empereur,   420,    458,    487, 

497,  505. 
CriARLEs  VI,  roi  de  France,  422,  483. 
Charles  VII,     —        —      ,  483,  484. 
Charles  VIII,  —         —       ,485,486,487, 

498,504,509.  512,513. 
Charles  V,  empereur,  552-557,  560-568. 
Charles  le  Téméraire,  485. 
Charles  Egmont,  duc  de  Gueldre,   509, 

519,  524,  543. 
Christophe  II,  margrave  de  Bade,  452. 
CicÉRON,  58,  59,  99. 
COCCIMUS,  497. 


Cochlaeus(F.),17, 29,64, 210, 468, 469, 495. 

CocLicus  (A.),  203. 

Coelde  (D.),  19.  34,  677. 

Coeur  (J.),  382. 

COLONNA  (V.),  162. 

Colomb  (Christ.),  115. 

COLUMELLE,  298. 

Conrad  II,  roi,  408. 

Conrad  de  Tegernsee,  abbé,  154. 

COPERNIC  (N.),  4,  675,   112. 

Corner  (H.),  246. 

CoucY  (M.  de),  382. 

Cranach  (L.),  171,  179,  185,  186. 

Crasscs  (p.),  458. 

Cuescentiis  (p.  de),  296. 

Cronberg  (Harmuth  de),  542. 

CuNÉGONDE,  impératrice,  159. 

CUSA  (N.  de),  1-6,21,  33,  5(>,  91,  112,  445- 

450,  569,  570,  573. 
CUSPINIAN,  59,  123,  298. 


D 


Dalberg  (B.  V.),  66. 

Dalberg  (J.  V.),  61,  65,  82,  85-87,  238. 

Dante,  9,  243,  487. 

Degen  (Et.),  174. 

Deichsler  (H.),  249. 

DiONYSius  (Tickel),  religieux  carme,  31, 

91. 
Dissen  (H.),  80. 
Douwermann(II.),  151. 
Dracontius  (s.),  85. 
Drandorf  (S.),  581. 
Dringenberg  (L.),  55,56,  61,  82. 
Dubois  (I.),  413. 
Durer  (A.),  23,  116,  118,   125,  130,  149, 

157,  166,  168,  169.  170,   173,   174,  176, 

179,   181-186,    189,    191,    192,  195,   197, 

198,  205,  233. 

E 

Ebrard,  duc  de  Wurtemberg,  68,  71,  83, 

108,  258,  451. 
Ebner  (les),  380. 

Eck(J.),  48,  58.  84,  110,  111,  399. 
Egbert,  brodeur  en  soie,  151. 
Eggestein,  49. 

ELEONORE,  archiduchesse,  257. 
Elisabeth,    comtesse   de   Nassau-Sarr- 

briicii,  257. 
E:mmanuel,  roi  de  Portugal,  358. 
Engelmann  (H.),  283,  286,  288. 
Érasme   de  Rotterdam,  14,   17,  56,   71, 

88,  97,  118,  396,  413. 
Érasme,  échanson  d'Erbach,  32,  77,  290, 

305,  374. 
Erffenstein  (Philippe  Shiuchterer),  542, 

546. 


TABLE    DES    l'ERSO  IN  NAGES    CITÉS. 


i89 


Erick  de  Brunswick,  517. 

Ernest,  duc  de  Saxe,  30C,  463. 

EscnENi-OER  (P.)»  247. 

Ésope,  2j8. 

Etienne,  évéque  de  Brandebourg,  377, 

ESSWLRM,  174. 
Etteulin  (p.),  247. 
Euclide,  108. 
Eugène  IV,  pape,  50. 

EWERT,  lôO. 
Eyb  (A.j,  3Ô,  258. 
EYCK(les  frères),  161,  162. 
Eysengrein,  poète,  295. 


Faber  (I.),  210. 

Fabri  (F.),  313,  369. 

Farber  (I.).  Voir  le  Tintoret. 

Färber  (Jean),  209. 

Ferdinand  (V.),  10. 

Ferdinand,   roi    de    Naples,    209,   490, 

524. 
Fichard,  juriste,  96. 
FiCHET  (R.),  96. 
FiNK,  204-206. 
Fischer  (P.),  15i-156,  199. 
FOLZ  (H.),  236,  380. 

Fortescue  (lord),  chancelier,  307,  308. 
Francisco  de  Alméida,  358. 
François  l",  roi  de  France,  357,  542, 

543',  550-560,  562-567. 
Franck  (S.),  367,  385. 
Franck  (I),  174. 

Frédéric  I",  empereur,  416,  417,  458. 
Frédéric  II,  empereur. 
Frédéric  d'.\ltriche,  roi,  419,  420. 
Frédéric  III,  empereur,  125,  424,   444, 

451,  4.J2,  458,  482,  484,  488,  494. 
Frédéric   III,  archevêque  de  Cologne, 

483. 
Frédéric  de  Zollerx,  évéque,  29. 
Frédéric,  électeur  palatin,  81,  475,  558. 
Frédéric,  électeur  de  Saxe,  34,  260,  504, 

553,  554,  559,  560,  567,  586. 
Frédéric,    duc    de    Brunswick-Lune- 

bourg,  430. 
Frisneu  (a.),  11. 
Fritze  (M.),  583. 
Froben(G.),  14,  15. 
Froissard  (P.  de),  134,359,378,  432,441, 

454,  478,  485. 
Frundsberg  (g.  V.),  566. 
Fuchs  (les  v),  540; 
Furstexberg  (Ph.),  544. 
Fugger  (les),  357,  358,  384,  385,  565. 
furtmeyr,  174. 
Fust,  15. 
FuTRER  (M.),  247. 


Gafor  (f.),  209. 

Garcica  de  Rese.nde,  10. 

Gasparin,  59. 

Gebvveiler  (.].),  106. 

GÉLASE,  pape,  412. 

Gemmingen  (G.  v.),  62. 

Gengenbach  (.J.  M.  r.),  99. 

George  le  Barbu,  duc  de  Saxe,  560. 

George,  duc  de  Bavière-Landshut,  517. 

Gerbellius  ('S.),  93. 

Gerhoh,  prévôt,  220. 

Geri.ng  (U.),  12. 

Gerla  (C),  208. 

Gerla  (II.;,  209. 

GeRSON  (I.),  33,  59,  103,  402,  466, 

Gertrude  de  Coble.ntz,  66. 

Geyer  (les  de),  540. 

Ghiberti,  156. 

Ghirlandajo,  162. 

Giltlingen  (J.  v.),  119. 

GiovAN  (Andréa  d'Aléria),  évéque,  12. 

Glareanus  (H.  LoRiTz),  78,  128,  203. 

Glaubolrg  (A.  V.),  296. 

Glockendon  (famille),  174. 

Gmunden  (.).),  126. 

Gocle.nius  (C),  55. 

Goodendach  (J.),  209. 

G0SSEMBROT,  119. 

Gottfried,  moine,  220. 

Grefken  (II.),  80. 

Grégoire  le  Grand,  pape,  390. 

Grégoire  VIT,  pape,  458, 

Grégoire  IX,  pape,  459. 

Griesinger  (j.),  172. 

Groote  (G.),  49. 

Gruden  (N.),  156. 

Gruenbeck  (j.),  122,  237, 

Grunbeck  (h.),  487,  512,  516, 

Grunwald,  171. 

Grumbach  (les  V.),  540. 

GUICCIARDINI,   499, 

Guillard,  président,  556. 
Guill.\.ume  de  Reicheneau,  135. 
Guillaume  II,  landgrave  de  Hesse,  452. 
Guillau.me,  duc  de  Bavière,  565. 
Gutenberg  (J.),  7. 


Hahn  (U.),  12. 
Haldern  (J.  VAX),  159. 
Hans  von  Glogau,  378. 
Harff  (A.  von),  256,  369. 
Harris  (\V.),  78. 
Hassenstein  (B.),  582. 
Hegius  (A.),  54,  55,  77,  89. 
Heimburg  (G,  von),  444. 


590 


TABLE    DES    PERSONNAGES    CITÉS. 


Heinvogel  (C),  116. 

Henri  V,  roi. 

Henri  II,  empereur,  152. 

Henri  IV,  empereur,  458. 

Henri  VIT,  empereur,  419,  487. 

Henri,  évêque  de  Bamberg,  156. 

Henri,  duc  de  Basse-Bavière,  483. 

Henri,  duc  de  Lunebourg,  559. 

Henri,  duc  de  Mecklembourg,  452,  559. 

Henri  VIII,  roi  d'Angleterre,  307,  550, 

562-564,  566. 
Helbling,  poëte,  375. 
Helfenstein  (U.  von),  125. 
Heller  (J.),  147,  148. 
Henneberg  (B.   von),   archevêque,    305, 

452,  499,  505-507,  511,  514, 
Herolt  (J.),  31. 
Herp  (H.),  31. 
Herwart  (les),  357. 

HÉSIODE,  84. 

Heuss  (J.),  156. 

Hirschvogel,  173. 

HiTTORP  (G.),  16. 

Höchstetter  (les),  380,  384,  385,  387, 

Hofheimer  (P.),  208. 

Holbein  (les),  67,  165-167,  173,  179. 

Hollen,  31. 

holthof  (m.),  65. 

Holzhausen  (B.  von),  379. 

Homère,  59,  84. 

HoNORius  III,  pape,  460. 

HORACE,  58,  59. 

Horle  (I.),  58. 

HORLENIUS  (J.),   55. 
HORSTMAR  (A.  von),  21. 
HOUDAEN  (J.),  150. 
HOVERDE  (G.),  493. 
HuszTL,  358. 
Huss  (J.),  580. 
Hltten  (U.),  551. 


Iarenus,  165. 
Ieger,  151. 
IMHOF  (les),  380. 

IMHOFF  (H.),  158. 

Innocent  III,  pape,  411. 
Innocent  IV,  pape,  376,  461. 
Innocent  VIII,  pape,  491. 
iRENiCLS  (F.  Friedlieb),  104. 
Irnerius,  glossateur,  455. 
ISAAK  (H.),  204,  206. 
Iv.iN,  czar,  506. 


Jacques  de  Juterbogk,  41. 

Jean  II,  archevêque  de  Mayence,  483. 


Jean  de  Grosswardein,  évêque,  112. 

Jean,  duc  de  Bavière,  431. 

Jean  III,  duc  de  Julich-Clève-Berg,  452. 

Jean  II,  roi  de  Portugal,  10. 

Jean-Frédéric,  prince  de  Saxe,  34. 

Jean  d'Erfurt,  209. 

Jean  de  Gmunden,  126. 

Jean  voun  Hermann  de  Salzbourg,221. 

Jérôme  (Saint),  58,  59,  94,  99. 

Joachim  I",  électeur  de  Brandebourg, 

76,  85,  88,  375,  553,  556,  559,  560,  563, 

567,  586. 
Joest(J.),  151. 
Jordanis,  120. 
JosQuiN  DE  Près,  203,  204. 
JoviüS  (P.),  135,  311. 

JUDENKUMG   (H.),  209. 

Jules  II,  pape,  494,  524,  525. 

Justinger  (C),  247. 

JusTiMEN,  empereur,  416,  455,  466,  468. 


K 


Kaisersberg  (Geiler  von),  29,  31,  33,  36, 
39,  59,  61,  99,  100,  102,  103,  106,  107, 
110,  118,  243,  244,  259,  266,  363-366, 
368,  370,  377,  381,  467,  476,  572,  577, 
579,  580,  583-585. 

Kantzow,  268,  300,  301. 

Keim  (J.),  174. 

Kemner,  55, 

Kempen  (H.  van),  12. 

Kempis  (Thomas),  50,  81,  259. 

Ketzel  (M.),  157. 

KiRCHMAiR  (G.),  529,  530. 

Koburger  (H.),  8,  13,  15,  88,  178. 

Kone  (J.),  73. 

Krafft  (H.),  146,  155,  157-159,  199. 

Krafft  (H.),  théologien,  36,  100. 

Krafft  (U.),  juriste,  100,  461. 

Kranz  (H.),  207. 

Kress  (A.),  400. 

Kress  (J.),  64. 

KüPPENER  (Chr.),  381,  400. 


Lacher  (L.),  135. 

Lachner  (W.),  9. 

Lambert  de  Venray,  57. 

Lang  (Mathieu),  archevêque,  125. 

Lang  (P.),  92,  491. 

Langen  (R.  von),  55-57,  65. 

Langenstein  (H.  von)  392,  393,  402. 

Lanzkrana,  25,  33. 

Lauber  (D.),  12. 

Lauer  (G.),  13. 

Laufenberg  (H.  von),  221. 

leib  (k.),  382. 


TABLE    DES    PERSONNAOES    CITES. 


i91 


LÉON  X,pape,  531,554,  562-564,  567,568. 
LÉONTIUS  (B.),  85. 

Leye>  (Christine),  66. 
Lieb(B,).  142. 
LiESBorxNEU,  maître,  165. 
LiGuniNUS,  120,  127. 
Lindenast  (S.),  155,  156. 
LocHAMF.a  (Wölflein  vo.n),  202. 
Locher  (.1.).  Voy.  Philomusüs. 
Lochner  (Kt.),  162. 
LoDEwicH,  sculpteur,  151. 
Löffelholz  (J.),  117. 
Lombard  (P.),  75,  Iw. 

LOPE  DE  VÉGA,  9. 

LoRiTz  (IL).  Voy.  Glareanus. 
LoTHAiRE  III,  empereur,  408. 

LüCAIN,  59. 

Lucas,  orfèvre,  154. 

Llçon  (Ch.  de),  417, 

Luder  (P.),  81. 

Louis  de  Bavière,  empereur,  373,  419, 

420,  458,  483. 
Louis,  roi  de  Bohême,  553-563. 
Louis,  électeur  du  Palatinat,  552,  553, 

555,  557,   559. 
Louis,  duc  de  Bavière,  74,  378,  483. 
Louis  XI,  roi  de  France,  483-485. 
Louis  XII,  roi  de  France,  509,  514,  515, 

520-522,  553. 
Louise  de  Savoie,  560. 
LusciNius  (0.  Nachtigall),  102,  208. 
Luther  (M.),  222.  260,  572,  574,  581,  583. 
Lyra  (y.  von),  48,  100. 
Lysura  (.J.  von),  445. 


81 


Machiavel  (H.),  425,  494. 
Magellan,  115. 

Mahomet,  sultan,  488-491,  530. 
Mahu  (Et.),  205,  206. 
Maltzan  il.  von),  555,  556,  566. 
Mangold  (H.),  78. 
Manlius  (L),  123,  125. 
Marcae  (L.),  207. 
Marguerite  de  Lorraine,  257. 
Marguerite  d'Autriche,  136,  556,561. 
Marguerite,  religieuse,  174. 
Marie  de  Bourgogne,  124,  485. 
Marschalk  (H.),  375. 
Marsilius  Ficinus,  108. 
Martin  V,  pape,  376. 
Mathesius,  34. 

Mathias  Corvinus,  roi  de  Hongrie,  113. 
Mathias  de  Spire,  évêque,  28. 
Mathieu  de  Vienne,  433. 
Mathilde  du  Palatinat,  68. 
Maximilien  I",  empereur,  60,  78,  83,  86, 
98,  104,111,119-125,127,  128,  134,156, 


174,  179,  182,  189,  191,204,  208.  378, 
379,  451,  458,  485,  487,  492-505,  507- 
538,  542-557,  559,  560,  563,  564. 

Mayer  (H.),  79. 

Mayer  (B.),  385. 

Mayer  (M.),  34.3. 

Meckenen  (I.  von),  182, 

MÉdicis  (L.  DEj,  204. 

.Meisterlin  (S.),  117,  119,  248. 

MÉLANCHTHON  IPhil.),  78,  225. 

Memling  (il),  162-164. 

MÉRIAN  (M.),  144. 

Meygenburg  (C.  von),  97. 

Michel-Ange,  102,  183. 

Mirandole  (Pic  de  la),  102,  119. 

Mithridate  (g.),  77. 

MoiRS  (J.),  40. 

.Molheim  (C),  149. 

Molitor  ;H.),  174. 

MOLITOR  (M.),  174. 

..iULLER  (H.),  302. 

.Müller  (J.).  Voy.  Regiomontan. 

MULLNER  (B.;,  175. 

.Munster  (S.),  295. 

MUNZER  (J.),  9,  54,  57,  335,  344,  357. 

MURATORI,  456. 

.MURRHO  (S.),  58,  105. 

MURMELLIUS  (J.),  54,  57. 

MuRNER  (Th.),  557. 


IV 


NACHTIGALL  (0.  VO.N).  Voy.  LUSCINILS. 

Nauclerus(J.  Bergenhaus),  108,496,576. 

Neudecker,  125. 

Neudörfer  (J.),  13.  156,  159,  175. 

Neusiedler  (H.),  209. 

Neuschel  père  et  fils,  207. 

Nicolas  V,  pape,  488. 

.Nieder  (J.j,  25. 

Nordhofer  (g.),  97. 

Numeister  (j.),  9. 

Nythardt  (H.),  167. 


Obrecht  (J.),  202-204. 
Occo  (A.),  10. 

OCKENHEIM,  203. 

Oeglin  (E.),  9,  222. 
Oettingen  (comte  de),  22,  305. 
Ort  zum  jungen,  22. 
Ortvin  Gratius,  77,  78. 
Othon  I",  413. 
Ott  (j.),  206. 
Otto  von  Freising,  123. 
Otto  von  Passau,  259. 
Ottocar,  roi  de  Bohême,  418. 
OsTHEiM  (C.  von),  66. 


592 


TABLE    DES    PERSONNAGES    CITÉS. 


Page  (N.),  563,  564,  566,  577. 
Pacher(F.),  165. 
Pacher  (M.),  165. 
Palestrina,  205. 
Palladio  (A.),  135. 
Pamperl,301. 
Panormiton,  59. 
Patritius  (a.),  359,  479. 
Paul  H,  pape,  376. 
Paulus  Diaconus,  IIO. 
Perger(B.),  126. 
PÉRUGIN  (P.),  165. 

PÉTRARQUE,  53,   100,   487. 

PÉTRI  (A.),  260. 

Petrugci(0.  dei),  9. 

Peurbach  (G.  VON),  4,  112,  113,  126. 

Peutinger(C.),83,  110,  118-120,  128,358, 

Peuti.nger  (.Juliane),  119. 

Pfeffers,  professeur,  581. 

Pfinzixg  (M.),  124. 

Pfluger  (Th.),  30. 

Philippe,  électeur  palatin,  81,  82,  83 

85,  88,  512,  517. 
Philippe,  landgrave  de  Hesse,  546,  560 
Philippe  de  Waldeck,  540, 
Philippe  le  Bel,  roi  de  France,  483. 
Philomusus  (J.  Locher),  110. 
PiRKEiJiER  (Ch.),  48,  67,  118,  127,  182. 
Pirkeimer(C.),  67,  97. 
Pirkheimer  (VV.  ,6i,  86,87,116,117,121 

397,  496,  585,  586. 
Pje  II,  pape,  Énéas  Sylvius,  4,  50,  62,  71 

81,  342,343,353,359,  423,  466,  488,  48J 
Platina,  biographe  papal,  12. 
Platon,  4. 

PLENiXGEN  (D.  V.),    85. 

Plettenberg  (W.),  506. 
Pleydenwurf  (W.),  178. 
Pline,  58. 
Politien  (A.),  119. 
POMPONIUS  Laetus,  117. 

POMPONIUS    MELA,  64. 

Potken(A.),  48,  58,  77,  60. 
PtolÉmÉe,  97,  108. 

Q 

Oueinfurt(C.),  221. 
QuENTEL  (les  héritiers),  78. 
QUIRINI  (V.),5I7,  522,  526. 

R 

Radevicus,  123. 
Raphaël,  165,166,  170,  181, 
Raiskop  (Aléidis  von),  66. 
Rappolstein  (seigneur  de),  332. 


Ratdolt  (E,),  9,  10. 

Ravenne  (m.  de;,  183. 

Regiomontan  (J.  Müller),  4,  59,  112-117, 

126. 
Reichach  (Érard  de),  543. 
Reinhart  von  Geilenkirchen,  321. 
Reinsbeck  (m.),  210. 
Reisch  (G.),  64,  91,  92,  97,  98,  109. 
Rem  (B),  385. 
Rem  (L.),  356,  369,  37Û. 
Rem  (les),  356,  386. 
RÉMACLus,  de  Florence,  78. 
Beuchlin    (.1.),  15,  59,    62,  83-86,  87,95, 

99,  108,  110,  119,  237,  238,  462,  548. 
Reysse  (1.1,  512. 

RhÉnanus  (B.),  62,  105,  106,  375. 
Richard  de  Trêves,  552,  553,  558,  567. 

RiCHMONDIS  von  DER  HORST,  66. 
RICKEL.   VOy.  DiONYSIUS. 

Riemenschneider  (T.),  159. 

RiNGENBEKGH   (KeRSTKEN  VON),   151. 

Robert,  comte  palatin,  évéque  de  Stras- 
bourg, 517. 

Robert,  comte  de  la  Mark,  542,  543. 

Robert,  électeur  palatin,  517. 

Rodolphe  de  Habsbourg,  roi,  417,  418, 
482,  487, 

Rodolphe  IV,  duc  d'Autriche,  478. 

Rohrbach  (B.),  197. 

ROLEWINCK  (W.),  7,  56,  79,  81,  218,  300, 
302,  367,391. 

RORITZER  (M.),   134. 

Rosenburger  (C),  207. 

ROSENPLUT  (II.!,  154,  207,  240,  577. 

RosENTHALER  (les  frères),  165. 

ROSWITHA,  88,  127. 

ROTHE,  241,  247. 

RUELAND  (W.),  165. 

Ruffs  (H.),  334. 
Rughesee  (N.),  156. 
RULAND  (les),  380. 
Ruprecht,  roi,  421. 
Russ,  248. 
Ruse  (N.),  28, 
RynmaN,  14,  15. 
Rytermann  (p.),  51. 


Sabellicus  (g.),  92. 
Sachs  (H.),  396. 
Salluste,  59. 
Sanuto, 355. 
Sarto(A.  del),  183. 
Siiauffelin(H.),  171,  179,  185. 
Schedel  (H.),  117,  178. 
Scherenberg  (R.  von),  évéque,  159. 
Scherenberg  (Th.),  236. 
Scheurl  (Chr.),  67,  185. 


TABLE    DES    TERSONNAGES    CITÉS. 


593 


Schilling  (D.),  247, 
Schlick  (A.),  208. 
SCHÖFERLIN  (B),  251, 
SCIIÖFFER  (P.),  13,   15,   17. 

Schövspeugeh  (l\.),  15,  298. 

Schoner  (.1.),  116,  117. 

SciioNCAUEu  (les),  168. 

ScHONGAiEn  iM.  Martin-Shön),  162,  163, 

165,  1()6,  168,  182,  183,   192. 
Schott  (P.),  29,  102. 
Schott  (P.)  fils,  102. 
schivader  (v.),  85. 
Schhaders  (A.),  172. 

SCHREYEU   (S  ),    117,  158. 

Schwarz  (P),  83,  374. 
schweynheim,  9. 
SciPioN  (B.  Steher),  127. 
Scriptoris  (P.),  11,  84,  108. 
Selbitz  (II.  von),  540. 
Seli),  (G.),  152. 
Selim  I,  sultan,  530,  533. 
Sender  (Cl.),  386. 

SÉNÈQUE,  58. 

Senfl  (L.),  204,  205. 

SiBERTI  (.1.),  95. 

SiBUTi  s  (C),  78. 

SiCKiNCEN  (F.  voNt,  92,  538,  539,  541,  542, 

546,  547,  552.  565,  566 . 
SiCKiNGEN  (Schw.),  541. 
SiGiSMOND,  roi,  421,  422,  444,  505. 
.SiGiSMOND,  archiduc,  257,  451. 
SiGiSMOND,  duc  de  Bavière,  431. 
SiGiSMOND,  roi  de  Pologne,  5.53. 
SiON  (cardinal  de),  528. 
SipoNTO  (cardinal  \.  von',  126. 
Sixte  IV,  pape,  12,  50,  115,  491. 
Sorg  (Â.\  298. 
Spangenberg  (C),  217. 
Specklin(I).),  183. 
Spiegel  (,!.),  125. 
Spiegelberg  (M.  von),  57,  65. 
SriESSHAiMER  (.1.).  Voy.  Cuspinian. 
Sprenger  (B.).  358. 
Sprenz  (S.),  évéque,  86,  125. 
StabiüS  (,!.),  86,  116,  123,  125,  127. 
Staffel  (M.  von),  66. 
Stein  (C.  von),  521. 
Stein  (J.  II.  von),  11,  17,  91-92,   98-101, 

109,  244. 
Stein  (M.  von),  258. 
Steinhöwel  (H.),  257,  258. 
Stiborius  (A.),  123,  127. 
Stöffleu  (I.I,  108. 
Stolle,  chroniqueur,  301. 
Stoss  (V.).  159-160. 
Sustern  (Th.  von),  79. 
Sümmenhart  (C),  84,  108,  109. 
SlNTHEIM  (L.),   123,  125. 
Slrgant  (,J.),  27,  31,  36. 


Slso  (II.),  259. 
Syrlen  (.1.),  160,  199. 
Sylvils  (Énéas).  Voy.  Pie  11. 


Tauler  (.1.),  2.59. 

Taijsendschöne  (M.),  pâtissière,  142. 

Ter  ENGE,  59,  237. 

Textoris  ^c;.),  99. 

Thomas  (d  .\qninl,  91,  389,  395,  401. 

TiNTORET  (I.  Fdrber),  209. 

Trandorf  (H.),  207. 

Treizsalrwein  (M.),  122-123. 

TrithÈme  Li.),  2.  4,  55,  66.  76,  82,  86-93, 
95.  99,  101,  109,  243,  375,  376,  377,  39Q, 
392,  395,  401,  402,  416,  477,  485,  538, 
547,  583. 

TCHECKENBiiRLIN  (II.),  195. 

Tucher  (tl),  67,  160. 
Tucher  (M.i,  156. 
Tucher  (S.),  67. 
TuNGERN  (II.  von),  79,  84. 
Turm  AIR  (.1.).  Voy.  Aventin. 
Tlrrecremata,  cardinal,  12. 
TwiNGER  (.!.),  247. 


U 


üLRi  11,  due  de  Wurtemberg,  476,  543, 

51-,  548,  565,  566. 
Unrest  (.1.),  251,  301. 
Urbain  VI,  pape,  486. 
Utenheim  (Chr.  von\  99. 


Valentinien,  empereur,  416. 
Vasco  de  Gama,  115,  358. 
Venatorius  iTh.),  117. 
Venceslas,  roi,  404,  421. 
Vergenhans  (I.).  Voy.  Nauclerus. 
Vespüce  (Americ),  97,  115. 
Vettori  (F.i,  353,  371,  428,  494. 
ViGiLiLS  (I.  Wacker),  85. 
Villinger  f.l  ).  125. 
Vintler  ib.),  240. 
Virdung  (L.i,  210. 
ViscoNTuV.),  509. 

VOLKAMER   (les),  381. 

w 

Wagner  (B.),  174. 
Wagner  (L.),  174. 
Waldseemüller  (M.),  98, 
Walther  iB.),  114,  116. 
Weidenbush  (II.),  99. 
Weingarten  (maitre  de),  158, 

38 


594 


TABLE    DES    PERSONNAGES    CITÉS, 


Welser  (M.),  68. 

Welser  {V.\  67. 

Welser  (les;,  114,357,  359,  380. 

Werner  (J.;,  116. 

Wesel  (J.  von),  581. 

Weyden  (R.  tax  der)  (l'aîné),  162,  164. 

Wed  (H.  von),  archevêque,  553. 

Wielser  (les),  358. 

Wild  (11.),  173. 

Wildenberg  (H.  E.  von  ,  247,  251. 

Willem,  poete,  242. 

WiMPHELiNG  (.1.),  5,  8.  15,  17,  52,  53,  56, 
61-63,  75,  85-88,91,92,  95,  99,  103-105, 
HO,  116-118.  122,  123,  164,  243,257, 
301,  312,  344,  353,  361,  370,  371,  463, 
466,  471-473,  479,  485,  496,  510,  513. 
574. 


Windeck  (E.),  423. 

Witte  (B.),  11. 

WOLGEMLT  (.M.),  15,M68,  178. 

Wolf  (Th.),  102. 

WOLFF  (.1.),  19,  20,  28,  41,  43. 

Wyle  (N.  von),  68. 


Z.iBERN  (B.  von),  209. 

Z.4HRINGER  (A.),  158. 

ZaMORRHA  (R.),  445. 

Zasius  (H.  van  de),  86,   95-97,  110,  119, 

244,  462,  466. 
Zeitbloom  (B.  ,  183. 
Zevenberghen,  558,  561. 
Zink  (B.),  247,  251. 


TABLE    GÉOGRAPHIQUE 


Afrique,  407. 

Afjnadel,  r>26. 

Aix-la-Chapelle,  304,  366,  368,  423,  425, 
583. 

Alexandrie,  313. 

AlRer,  530. 

Alkmaar,  49. 

Alierlieiligen,  138. 

Alpirsbach,  138. 

Alsace,  484,  512. 

Altenburg,  137,  194,  294,  301. 

Altheim,  138. 

AltöttiDö,  138. 

Alzey,  139,  272. 

Aiiiberg,  138,  210,  333,  372,  420. 

Amérique,  384. 

Amsterdam,  150. 

Andernach,  139. 

Angleterre,  348,  407,  457,  528. 

Annaberg,  137,  344. 

Ansbach,  582. 

Ansbach  (près  Saint-Pölten),  138. 

Anvers,  164,  355,  358,  360,  381,  385,  564. 

Aschaffenburg,  304,365. 

Ascolie,  9. 

Asie,  3.57. 

Assise,  135. 

Augsbourg,  8,  11,  13,  14,  29,  40,  45,  64, 
67,  86,  118-120,  138,  139,152,  165,172- 
174,  182,  237,  247,  248,  258,  294,  297, 
298,  308,  310,  320,  336,  353-357,  360, 
372,  373,  378,  380,  384-387,  426,  492, 
503,  510,  512,  514,  517,  527,  528,  532, 
535,  536,  543,  544,  552,  554,  557,  564, 
565. 


Baar  (canton  de  Berne),  300. 

Bade,  452. 

Baden-Baden,  139,  338,  573. 

Baie,  350. 

Bâle,  8.  11,  26,  29,  44,  69,  71,  83,  88,  98- 


100,  103,    139,  140,  168,  195,  293,321, 

35i,  360,  426,  461,  572,  576. 
Balingen,  30. 
Ballenberg,  540. 
Bamberg.  11,  26.  159,  216,  237,  294,  428, 

540,  574,  575,  579. 
Barbarie,  382. 
Barcelone,  9,  135,  344. 
Bärneck,  138. 
Batalha,  135. 
Bautzen,  137,  385, 
Bavière,  138,  161,  182,  191,  248,  265,  275, 

295,  296,  298,   310,  321,  356,  357,  372, 

378,  417,  426,   431,  452,  453,  470,  483, 

491,  517,  533,  536,  565. 
Bayreuth,  22,  582. 
Bebenhausen,  138. 
Beckum,  291. 
Beinstein,  138. 
Belem,  135. 
Beigrade,  534. 
Berchtesgaden,  138. 
Berg,  347.  453. 
Bergen,  346,  349. 
Bergreichenstein,  343. 
Berlin,  76,  137,317,  320,  428. 
Berne,  98,  99,  134,139,  153,208,247,360, 

364,  426. 
Beromünster,  11. 
Bethlehem.  256. 
Beverley,  135. 
Biebern,  275. 
Bingen,  139,  299. 
Biberach,  293. 
Binteringen,  573. 
Bischofsheim,  147. 
Blaubeuren,  11,  30,  138,  160. 
Blomberg,  139. 
Blutenbourg,  138,  172. 
Bocholt,  139. 
Bohême,  136,  156,254,341,  342,426,482, 

505,  517,  553,  582. 
Bogenberg,  138. 
Bois-le-Duc,  49. 
Bologne,  75,  83,  119,  172,  399,  455. 

38. 


i96 


TABLE    GEOGRAPHIQUE. 


Bonn,  139. 

Bopfingen,  426. 

Borken,  139. 

Bosnie,  360,  489. 

Boston,  348. 

Bottivar,  30. 

Botzen,  231. 

Bourgogne,  369,  415,  481,  482,  485. 

Bovolenta,  526. 

Brabant,  300. 

Brackenheim,  30. 

Brandebourg.  64,  76,  137,  296,  373,  428, 

452,  481,   502,  521,  536,537,   553,554. 
Braunau,  138. 

Brème,  292,  310,  353,  426,  578. 
Brescia,  530. 
Brésil,  357. 

Breslau,  157,  194,  207,  353. 
Bretagne,  497. 
Bretten,  573. 
Bristol,  135,  348. 
Britzen,  86. 
Brixen,  428. 
Brou,  136. 

Bruchsal,  139,  182,  573. 
Bruges,  161-163,  348,  349.  351,  .360,  366. 
Brunn,  65,  123,  138,  378. 
Brunswick,  137,  156,  207,  349,  359,  428, 

452. 
Bruxelles,  360. 
Bude,  10,  113. 
Budstadt,  439. 
Burghausen,  145. 
Burgo.s,  9,  135. 


Caire  (le),  530. 

Calbe,  137. 

Calcar,  139,  149-152,  164. 

Calcutta,  385. 

Californie,  341. 

Cambray,  49,  426,  483,  524,  531. 

Camp  (monastère  de),  5,  85. 

Cantorbéry,  14. 

Capellen  (village),  22. 

Carinthie,  266,  275,   300,  378,  490,  491 

531,  533. 
Carlsruhe,  514. 

Carniole,  378,  490,  491,  530,  533. 
Cassel,  48,  296,  428. 
Chammiinster,  138. 
Chemnitz,  137. 
Clausen, 139,  160. 
Clèves,  21,  30,  139,  304,  349,  469. 
Coblenlz,  139,  428. 
Cobourg, 137. 
Coire,  154. 
Colberg,  354. 


Cologne,  2,  8,  10,  14,  16,  40,  50,  58,  69, 
72,  74,  76,  77,  78,  80,  84,  100.  134,  135, 
139,  152,  157,  162,  163,  165,  173,  175, 
223,  246,  250,  308,  310,  317,  344,  346, 
349,  353,  355,  360,  382,  420,  421,  426, 
440,  517,  519,  524,  536,  537,  538,  541, 
553,  558,  563,  564,  573,  576,  583. 

Cologne  sur  la  Sprée,  296,  583. 

Coesfeld,  139. 

Colmar,  58,  84,  104,  163,  165,  168,  182, 
325,  331,  332,336,354,  426. 

Constance,  29,  95,  139,  162,  208,  220, 
271,273,  293,  294,  307,  354,  356,  378, 
426,  469,510,  520-.'"j25. 

Constantinople,  4,  10,  12,  48,  51,  105, 
488,  531,  533. 

Copenhague.  57,  74. 

Corbach,  139. 

Cöslin,  354. 

Cracovie,  75,  136,  159,  204. 

Creuznach, 87, 92. 

eues,  2,  139. 

Culmbach,  22,  49,  81. 


Danemark,  10,  13,  74,  76,  344,  350,  482. 
Danzig,    137,    157,  293,   310,  317,    320, 

321,336,  349,  350-354,  372,  428. 
Dargun,  137. 
Darmstadt,  546. 
Deidesheim,  295. 
Delft,  45. 

Deventer,  4,  16,  49,  50,  54,  57,  77,  426. 
Dingolfing,  138. 
Dinkelsbühl,  138,  333. 
Dohna  (château  de),  307. 
Donauwörth,  138,  154,  426. 
Dornstetten,  30. 
Dorpat,  352. 

Dortmund,  139,  156,  265,  426. 
Dresde,  428. 
Duderstadt,  137. 
Duisbourg,  139. 
Uiirksheim,  67,  273. 


E 


Eberbach,  120,  297. 

Ebernbourg,  541,  543. 

Ebersberg  (monastère  d),  120,  174. 

Ebrach  (monastère  d'),  120. 

Ecosse,   74,   76,   300,  341,  350,  361,  461, 

628. 
Efferding,  138. 
Eger,  394. 
Eggenfelden,  138. 
Egypte,  314,  382,  530. 
Eichstädt,  172,  216. 


TABLE    GK0(;RAI'HIQUE. 


597 


Eisenach,  2fl,  247. 

Kisenherz,  138. 

Eisfeld,  137. 

Eisleben,  137,  175. 

Elbinj;,  137,  428. 

Ellwanßen,  138. 

Elten,  139. 

Kltville,  22. 

Ely,  135. 

Emmerich  sur  le  Rhin,  21,  5i,  57,  58, 

139,  335. 
Knsisheim,  332. 
Entringen,  138. 
Erbach,  290,  305. 
Erfurt,  11, --»2,  65,69,72,82,  113,  137,156, 

157,  207,   282-288,    293-295,   313,  359, 

378,  426,  461,  463,  581. 
Eschach,  160. 
Eschwege,  296. 
Esclavonie,  489. 
Espagne,  8,  9,  74.  79,  HO,  135,  136,  314, 

350,  381,  387,  407,  461,  528,  531,  552- 

554. 
Essen,  139. 

Esslingen,  138,  354,  426. 
Everswinkel,  139. 
Exeler,  135. 


Falkenhagen,  172. 

Feldkirch,  138. 

Ferrare,  207. 

Fischingen,  271. 

Flandre,  202,  349,  351,  353. 

Florence,  14,  78,  135,  155,  162,204,329, 
354,  359,  361. 

Foligno,  9. 

Forstheim,  540. 

Franconie,  113,  162,  190,  248,  265,  354, 
356,360,471,  502,  536. 

Frankenberg,  22,  58. 

Francfort-sur-le-Mein,  13,22,  23,  25,  30, 
41,  65,  140,141,  143,147,  149,229,291- 
296,  304,  317,  326,  330,  332,  333,  337, 
356,  357,  369,  372,  373,  379,  385,  426, 
427,  440.  442,  448,  493,  501,  503,  507, 
512,  516,  534,  541,  543,  545,  554,566, 
567. 

Francfort-sur-l'Oder,  13,  69,  76,  137, 
293,  428,  583. 

France,  8,  9,  14,  74,  110,  118,  219,  314, 
329,  341,  350,  365,  373,  381,  422,  461, 
481,  483,  484,  485,  487,  489,  504,  513, 
517,  520,  523,  528,  531,  552,  554,  555, 
557,  558,  560,  565. 

Frauenfeld,  469. 

Freden,  139. 

Freiberg,  137,  232,  342,  344. 


Fribourg  en  Brisgau,  22,  68,  69,  71,  84, 
95,  97,  110,  137,  139,  140,  172,331,  336, 
363,  369,  440,  461,  481,  509,  519,  548, 
581. 

Fribourg-sur-lUnstrutt,  138. 

Freising,  1.38,  153,  428,  578. 

Frioul,  524,  526,  530. 

Frise,  265,  349,  429. 

Fürstenwalde,  137. 

Fulda,  296. 


Gaete,  533. 

Gaimersheim,  138. 

Gand,  360,  366,  492. 

Galicie,  350. 

Gardelegen,  137. 

Geirsberg,  342. 

Geisenhausen,  138. 

Genève,  354,  378. 

Gênes,  354,  357,  381,  520,  522. 

Geroldshofen,  335. 

Glatz,  .378. 

Glashütte,  342. 

Glaubourg,296. 

Gleiwitz,  137. 

Glucester,  135. 

Gnadenberg,  67,  138. 

Goch,  22. 

Göppingen,  30. 

Görlitz,  138,  291. 

Göltingue,  428. 

Goslar,  57,  138,  343,  426. 

Graz,  138,  428. 

Grèce,  115,  314. 

Greifswalde,  57,  69,  428,  461. 

Grenade,  9. 

Grenoble,  366. 

Gresten,  138. 

Grevismühlen,  306. 

Grimmenthal,  583. 

Groningen,  52,  77,  207,  426. 

Grosglogau,  291. 

Gross-Pechlarn,  138. 

Guben,  296. 

Gueldre,  22,  349,  509,  519. 

Guinegate,  492. 

Günsterthal  (monastère  de), 370. 

Gurk,  125. 

Güstrow,  137. 


Haguenau, 13. 

Ilalberstadt,  138,  156,  157,  175,  428,578. 

Hall  en  Souabe,  138,  156,  343,j426,  557, 

573. 
Halle,  138. 


598 


TABLE    GÉOGRAPHIQUE. 


Hambourg.  194.  307,  310,  317,  331,  346, 

384,  4-26.  573. 
Hamm,  139. 
Hanovre.  296,  428. 
Harlem,  40. 
Harmuthsachsen,  48. 
Hausbergen.  272. 
Havelberg,  137. 
Hechingen,  323. 
Heeck,  54. 
Heerberge,  160. 
Heidelberg,  54,  59.  69.  75,  81-83,  85-87, 

139,  175.  208,  238,  420,  461,  463. 
Heilbronn.  138,  378,  426,  581,  582. 
Heiligenblut,  161. 
Heiligen-Grabe,  137. 
Herdt,  21. 
Herford,  426. 
Hernsheini.  139. 
Heroldvberg,  582. 
HersaU;  85. 

Hesse,  295.  300,  452.  558,  563. 
Heudorf,  367. 
Hildesheim,  138,  428,  578. 
Ilirsau  (abbaye  d'j,  92,  573. 
Hirschau,  138,  172. 
Hirschholm,  273. 
Hollande,  76,  300,  351. 
Holstein,  552. 
Hongrie,  13,  74,  110,  113,  136,  156,  159, 

160,  167.  342,  350. 
Hornau.  276. 
Höxter,  60. 
Hüll.  348. 


léna, 138. 

Illyrie.  314. 

Indes  115,  .357,  381. 

Ingolstadt,  12,  67,  69,  70,  72,  74.  76, 110. 
138,237.  428. 

Insprück.  128, 156,  384,428,  492,  513,526. 

Ipsvvich,  348. 

Isny,  543. 

Istrie,  524,  526. 

Italie,  8.  9,  12,  13,  52,  53,  55.  56,  74,  78, 
88,  96,110,  113,  117,118,  135,  157,  162, 
182,  208,  306,  3I3.  329,  356,  360,  361, 
365,  372,  407,  415,  455,  481,  482,  485, 
486,  487,  504,  509,  510,  515,  521,  530, 
531. 


Jérusalem,  157,  256. 

Jaxthausen, 540. 

Johannisberg,  296. 

Jüterbogk,  137. 

Jiilich-Clèves-Berg  (comté  de),  453,  508. 


K 

Käfermarkt,  160. 
Kaisersberg  en  Alsace,  140. 
kaufbeuren,  426. 
Kelchheim.  276. 
Kelheim,  138,  296. 
Kempten,  426,  543,575. 
Kiderich.  22.  139,  140. 
Kiel,  317. 
Klagenfurt.  428. 
Kleinfrankenheim.  275. 
Klosterneiibourg.  304,  335. 
Klus  (abbaye  .  172. 
Knitterfeld,  138. 
Königsberg,  59,  112,  428. 
KGnigsbrück,  290,  307. 
Königshofen,  247. 
Kourdistan,  530. 
Krautheim,  540. 
Krems,  138. 
Künzelsau,  232. 
Kultenberg,  138,  340. 


Laach   abbaye\  95. 

Laflü.  52. 

Laibach,  205. 

Lana.  138. 

Landau,  139.  293,  542. 

Landshut.  138,  152,  428.- 

Landstuhl  (château),  441. 

I.angenberg,  271. 

Langenstein,  271, 

Languedoc,  329, 

I.atran,  531. 

Laufen,  273. 

Leibach.  205. 

Leidingen,  30. 

Leipzig.  12.  59.69,73.  100,  112,  138,156, 

328,  353,  361,  463,  540,  582. 
Leoben,  138. 
Léon,  i  ö. 
Leutkirch,  138,  543. 
Libye.  314. 
Lichtenthai,  290. 
Liesborn  abbaye),  139. 
Limbourg.  357. 
Lincoln.  135. 

Lindau,  202,  302,  363,  503,  505,  507,  543. 
Linz,  139. 
Lippstadt,  139. 

Lisbonne,  10,  344,  350,  358,  381,  385. 
Lithuanie,  350,  353,  363. 
Livonie,  74,  76,  348,  353,  505,  507. 
Louvain,  297,  298,  .360. 
Lombardie,  483,  509. 
Londres,  10,  346,348,  349,  368, 


TABLE   GEOGRAPHIQUE. 


i99 


Lorch, IGO. 

Lorraine,  HG,  i83,  542. 

Liibben,  29G. 

Lucqiies,  329,  301. 

Lübeck,  13,  28,  ir,,  48,  57,  137,  156,  232, 
235,  237,  242,  246,  292,  296,  310,  317, 
320,  324,  327,  337,  346,  348,  349,  352, 
353,  355,  356,  359,  372,  426,  440,  444, 
490. 

Lübz,  296. 

Lucenie,  247,  509. 

l.üdinyhausen,  139. 

Luneboury,  359. 

Lüne,  66. 

Luxembourg  (le),  207. 

Lyne,  348. 

Lyon,  385. 


M 


Macédoine,  314. 

Magdeboursy,  2,  138,  156,  292,  378,  428, 
440,  537,  573,  578. 

jMagstadt,  138. 

."Majorque  lile),  135. 

.Malines,  360,  368,  564. 

Mansfeid,  343. 

Manloue,  207. 

Marbourg,  296,  428. 

Mariabuch,  138. 

Marienberg,  66,  344,  354. 

Marienbourg,  354. 

Marienlhal,  66. 

Marignan,  528. 

Mark,  265,  453. 

Marseille.  354. 

Mauritanie,  314. 

Mayence,  2,  7,  9,  29,  31,  69,  84,  86,  139, 
140,  142,  152,  209,  216,  256,  275,  294, 
297,  299,  305,  310,  334,  343,  360,  373, 
378,  420,  426,  537,  540,  543,  544,  550, 
553,  557,  563,  566,  567,  573,  578,  582, 
586. 

Mecklembourg,  296,  378,  452,  481. 

.Meisenheim,  139. 

Meissen,  27,  138,  335,428. 

Menimingen,  138,  426. 

Menchingen.  273. 

Meran,  138,494. 

Mergentheim,  540. 

Mersebourg,  138,  157,  578. 

Mésopotamie,  530. 

Messine,  9. 

Metz,  139,  426,  484,  542,  546,  578. 

Milan,  135,  354,  498,  512,  514,  520,  521, 
550. 

Milanais,  509,  510,  512,  528,  529. 

Minden,  428,  578,  579. 

Misnie,  341,  342,  452,  481,  575. 


Modène,  9. 

M<idling,  138. 

McillenbecK,  139. 

Moluques  (ilesi,  115. 

Monheim,  138. 

Montabaur,  357. 

Monténégro,  11.  ^ 

Moravie,  10,  505. 

Mo.sljach,  307,  507. 

Mijlhouse,  426. 

Munich,  46,  1.38,  163,  167,  172,  174,  203, 

293,  .360,  428,  517. 
Munster,  31,  50,  54,  56,  57, 139,  165,  291, 

428,  578. 


Nabbourg,  338. 

Naples,  9,  486,  487,  490,  497,  498,  509, 
554,  568. 

Nassau  (duché  de),  .304,308. 

Xaumbourg,  138,  578. 

Neisse,  378. 

Neubourg,  138. 

Neubourg  (Bavière),  428. 

Neuffen,  30. 

Neumarkt,  138. 

Neuiibourg,  138. 

Neuötting,  138. 

Neu-Tuppin.  137. 

Neustadt,  139,  582. 

Neustadt-Eberswalde,  137. 

Niklashausen,  301. 

Nimègue,  150,  426. 

Nivelles,  209. 

Nordhausen,  138,  426. 

Nördliugen,  10,  138,  379,  426. 

Normandie,  382. 

Norwége,  74,  76,  300,  350,  353. 

Norwiciî,  348. 

Nottulu,  139. 

Novogorod,  348,  349,  352. 

Nuremberg,  8,  9,  il,  13,  29,  45,  48,  64, 
67,  75.  86,  88,  111-119,  142,  146,  147, 
148,  149,  152-154,  156-160,  167,  169, 
172-176,  178,  182,191,  194,  207,208, 
210,  217,  220,  237,  248,219,  251,  254, 
291-295,  308,  310,  313,  321,  328,  330, 
333,  337,  338,  344,  353,  355-357,  359, 
361,  366,  372,  378-380,  384,  398,  400, 
426,  427,  506,  507,  511,  518,  539,  540, 
548,  558,  565,  576,  582. 

Nussdorf,  138,  142. 

O 

Oberbergheim,  332. 
Oberland,  47. 
Obermauern,  138. 


600 


TABLE    GÉOGRAPHIQUE, 


Oberndorf,  540. 
Oberwinterthür,  282. 
Ochsenfurt,  540. 
Odenwald,  290. 
Oderberg,  296. 
Geringen,  14,  138. 
Oldenbourg,  279. 
Olmütz,  378,  418. 
Oppenheim,  308,  334,  541,  573. 
Orléans,  466. 
Osnabrück,  279,  428,  578. 
Ottobeurn,  85. 
Otrante,  491. 
Oviedo,  135. 
Oxford,  10,  12,  83. 


Paderborn,  291,  428,  578. 

Padoue,  65,  75,  116,  117,   119,  526,  527. 

Palatinat,  443,  452,  453,  557,  561. 

Païenne,  9. 

Palestine,  255,  530. 

Palma,  135. 

Paris,  7,  11,  13,  83,  97-99,  128,  461,  515, 

560. 
Passau,  138,  153,  208,  428,  578. 
Pavie,  65,  75. 
Pays-Bas,  13,  14,  47,  49,  57,  64,  162-167, 

202,  243,  348,   367,  426,  485,  490,  515, 

527. 
Pays  rhénans,   64,   277,  292,  293,    298, 

299,  417,  426,  452,  515,  517,  518,  519, 

536,  537,  573,  573,  417. 
Péloponèse,  894. 
Pelplin,  137. 
Pérouse,  9. 
Philippsbourg,  282. 
Picardie,  485. 
Pipping,  138,  172. 
Pirna,  138. 
Pise,  329. 
Plauen,  296. 
Pologne,  14,  74,  110,  156,  159,  350,  482, 

510. 
Poméranie,  57,  268,  298,  300,  349,  378, 

452,  481,  550. 
Portugal,  10,  135,  159,350,  357,  358. 
Pottendorf,  138. 
Pouille,  494. 
Pracjiatitz,  138. 
Prague,  69,  138,  353,  372,  582. 
Presbourg,  353. 
Pritzwalk,  137. 
Provence,  485. 
Prull,  138. 
Prüm  (abbaye),  274. 
Prusse,  348,  482,  505. 
Purgstall,  138. 


U 


Rabenstein,  138. 

Radstadt. 

Rammeisberg,  342. 

RappoUsweiler,  140. 

Rathenow,  296. 

Ratisbonne,  115,  134,  135,  138,  139,  152, 

156,  172,   175,   174,  223,  296,  310,  321, 

337,  356,  363,   372-374,  377,   422,  426, 

507,  517,  578. 
Ravensbourg,  344,  426,  453,  543. 
Redentin,  234. 
Recklinghausen,  265. 
Reuss,  579. 
Reutlingen,  293,  426. 
Reval,  352. 
Rheine,  139. 
Rhodes,  534. 
Riga,  349,  352. 
Rochlitz,  138. 
Rokeskyll,  139. 
Rome,  2,  12,  88,  33,  92,  100,115-117,119, 

147,  491,  505,  523,  530,  564,  567. 
Romhild,  138. 
Rolandswerth,  66. 
Rostock,   U,  13,  28,   57,  69,  72,  74,    137, 

375,428.  4G1,  581. 
Rolhenl)ourg,  160,  291,  582, 
Roltweil,  426. 
Rouen,  566. 
Roveredo,  526. 
Runkelstein,  494. 
Russie,  350,  506. 


S 


Saalfeld,  138. 

Saint-Biaise,  375. 

Saint-Gall,  161,  426,  509,  540. 

Saint-Georges,  138. 

Saint-Goar,  139. 

Saint-Léonard,  242. 

Saint-Marein,  138. 

Sainte-Marguerite,  99. 

Saint-Michel  (mont),  254,  583. 

Saint-Nicolas,  138. 

Saint-Thomé,  10. 

Saint-Wolfgang,  160. 

Sangerhausen,  138,  300. 

Saragosse,  9. 

Sasbach,  271. 

Saxenhausen,  292. 

Schaffouse,  426. 

Scheyrn,  174. 

Schlettstadt,  61,  82. 

Schleswig-Holstein,  13,  247,   269,  279, 

482,  550, 
Schneeberg,  341. 


TABLE    GÉOr.RAI'IllQUE. 


601 


Schönliarli,  138. 

.Schorndorf,  30,  138. 

Sclirekenber  ,  342. 

■Sclirobenhausen,  138. 

Schussenried,  11. 

Schwabisch-Gmünd,  138. 

Schwanheim,  277. 

Schwatz,  138,  343. 

Schweidnitz,  378. 

Schwei{;ers,  158. 

Schweinfurt,  582. 

Schwerin,  296,  576. 

Schwerte,  139. 

Schwylz,  509. 

Seebach,  66. 

Seehausen,  137. 

Serbie,  489. 

Séfîovie,  135,  136. 

Selifjenstadt,  22. 

Séviile,  9,  135. 

Sicile,  410. 

Sicybourg,  308. 

Siegen,  21. 

Sienne,  9, 135. 

Sigolsheim,  273. 

Souabe,  162-165,  295,  302,  310,  525,  534, 
5.36. 

Silésie,  294,  481,  505. 

Simmern,  139. 

Sobernheim,  139. 

Sobieslau,  138. 

Soest,  139,  428,  437. 

Speyergau,  21. 

Spire,  10,  21,  62,  134,  175,  208,282,  292, 
295,  360,  378,  388,  423,  426,  570,  573. 

Sponheim,  55,  76,  82,  87-89,  92. 

Stablo,  210. 

Stargard,  296. 

Stein  (près  Leybach),  138. 

Stendal,  137,  172. 

Sternberg,  475. 

Stettin,  137,  353. 

Steyer,  138. 

Stocicholm,  10, 

Stralsund,  137,  438. 

Strasbourg,  8,  10,  21,  29,  45,  97,  98,  100- 
103,  106,  107,  134,  1.35,  139,  207,  210, 
221,  237,  247,  271,  272,  292,  293,  297, 
326,  353-355,  360,  365,  366,  369,  426, 
577. 

Strassengel,  138. 

Straubing,  138, 172. 

Stuttgard,  30,  138,  224. 

Styrie,  266,  275,  342,  491,  531,  533,  534, 

Subiaco,  9. 

Suède,  11,  74,  76,  300,348,350,  497,553. 

Suisse,  237,  247,  295,  483,  509,  510,  528. 

Sulz,  30,  138. 

Syrie,  314,  530. 


T 


Tablait,  270. 

Tabor,  138. 

Tangermilnde,  137. 

Tannenberg,  220. 

Techeisberg,  250. 

Tegernsee,  154,  227. 

Tepl,  46. 

Th^nn,  139. 

Thorn,  137,  428. 

Thurgovie,  428. 

Thuringe,  137,  300,  349,  426,  452,  575. 

Tirschenreuth, 138. 

Tolède,  135. 

Tollersheim,  138. 

Tolosa,  9. 

Tölz,  138. 

Torgau,  34. 

Toul,  426,  484. 

Transylvanie,  159, 

Trébizonde.  489,  490. 

Trêves,  2,  69.  139, 172,  420,  428,  514,  536, 

537,  538,  554. 
Trieste,  523,  524. 
Tritenheim,  87. 
Trostberg,  138. 
Tubinguc,  12,  .59,  68,  69,  71,  72,  84,  86, 

97,  98,  108,  109,  138. 
Tyrol,  124,  165,  265,  275,  302,  343,  384, 

429,  451,  493,  524,  525,527. 


V 


Überlingen,  21,  1.39,  426. 

Ulm,  8,  65,  137,  1.38,  139,  140,  142,  158, 
160,  161,  165,  172,  173,  183,  199,  237, 
257,  291,  292,  293,  294,  296,  308,  310, 
312,  313,  334,  .337,  338,  .3.53,  355,  356, 
364,  371,  379,  380,  383,  422,  427,  493, 
515,  505. 

Unna,  139. 

Upsal,  74. 

Urbin,  9. 

Utrecht,  16,  40,  50,  150. 


Valence,  9,  344. 

Velden.  138. 

Venise,  9,  13,  14,  86,  113,   162,  207,  354- 

357,  360,  361,  381,382, 
Verden, 578. 
Verdun,  426,  484,  578. 
Vérone,  526,  530. 
Vienne,   U;,  25,  59,  69,    73,  75,  83,  112, 

113,    121,    125-128,  134,  138,   174,  175. 

192,  208,  296,  297,  321,  337,  343,  353, 

357,  360,  373,  385,  428,  146,  534,  582. 


602 


TABLE    GÉOGRAPHIOUE. 


Vienne  en  France,  83. 
Vilsbibourg,  138. 
Vilseck,  540. 
Viterbe,  113. 
Voralberg,  385. 
Yornbach  (abbaye),  174. 
Vreden,  138. 

HT 

Waldstena  (abbaye  de),  11. 

Waiblingen,  30-138. 

Waidhofen,  138. 

Wallenda,  66. 

Walkenried,  168,  172. 

Walraersheim,  274. 

Wasserbirg,  138. 

Wedderen,  139. 

Weil-la-ViIle,138. 

Weiten,  172. 

Werben,  137. 

Weese,  21,  23. 

Wesel,  20,  54,  57,  333,  564. 

Westphalie,  34, 55-57,  64,  76,  79,  99,  218, 

275,  304,  348,  349,  367,  426,  436,  537- 

574. 
Wiener-Neustad,  138,  172. 
Wienhausen  (abbaye),  168,  172. 
Wilhelmsbourg,  138. 
Wilre,  273. 

Wilsnack,  137,  172,  582. 
Wimpfen,  426. 
Wincester,  135. 
Windesheim,  16. 
Windsheim,  16,582. 
Windisch-Gratz,  138. 
Winnigen,  277. 
Wisby,  348. 


Wismar,  137,  223,  428. 

Wittemberg,  69,  70,   72,   138,   185,  428, 

581. 
Wittstock,  137. 
Witzenhausen,  296. 
Wolmirstädt,  137. 
Worcester,  135. 
Worms,  81,  82,  87,   139,292,  293,  426, 

470,  492,   498,  499,    500-503,   507-509, 

511,  523,  525,  535,  541,  542,  574. 
Wunsiedel,  333. 
Wurtemberg,   258,  378,   384,   470,  474, 

537,  543,  565. 
Würzbourg,  12,  159,  164,  174,  294,  378, 

428,  537,  553.  582. 
Wursthausen,  137. 


Xanten,  20,  21,  48,  57,  58,  65,  84,   139, 
140,  141,304,  336. 


Yarmouth,  3i8. 
Yenkosen,  172. 
York,  135,  348,  497. 


Zélande,  300. 

Zerbst,  138,  2.32. 

Ziesar,  137. 

Zurich,  139,  161,204,  321,  378,  426. 

Zütphen,  16. 

Zug,  139. 

Zwickau,  138,  156,  237,  573. 

Zwolle,  16,  40,  49,  50. 


FIN. 


ERRATA 


Page  4.   1467,  lisez  :  1464. 

P.  13,  Des  formulaires  de  prières  et  d'édification,  lisez:  et  des  livres  édifiants. 

P.  30.  Aux  fêtes  de  Notre-Dame  et  des  saints.  Usez  :  et  des  saints  apôtres. 

P.  32.  Les  tableaux  des  confessions,  Usez  :  de  la  confession. 

P.  51.  Cette  manière  de  voir  n'avait  pas,  du  reste,  rien  de  nouveau,  lisez  .n'a- 
vait, du  reste,  rien  de  nouveau. 

P.  57.  Robert  de  Venray,  lisez  :  Lambert  de  Venray. 

P.  83.  Maximiiien  en  l'élevant  et  l'avait  élevé,  Usez  :  Maximilien  l'avait  élevé. 

p.  86.  Conrad  Pentinger,  Usez  :  Peutinger. 

P.  87.  Le  siècle  en  connut  à  peine  un  second  qui  puisse  lui  être  comparé,  Usez: 
connut  ù  peine  un  savant  qui  pût  lui  être  comparé. 

P.  1Ü9.  L'obligation  de  conserver  le  gibier,  Usez  :  de  ne  pas  détruire  le  gibier. 

P.  111.  Les  centres  intellectuels  des  villes  de  l'Allemagne, //ses  ;  les  centres 
intellectuels  de  l'Allemagne. 

P.  119.  L'entrelacer  heureusement,  Usez  .■  l'unir  heureusement. 

P.  133.  Pour  les  ouvriers,  Usez  .-  pour  les  artistes. 

P.  187.  L'humour  demeura  vigoureuse  et  saine.  Usez  :  vigoureux  et  sain. 

P.  188.  Elle  passait  souvent,  Usez  :  il  passait  souvent. 

P.  202.  Ces  mêmes  règles  ont  triomphé  dans  le  domaine  des  sons,  elles  l'ont 
affranchi,  Usez  .-  elles  les  ont  affranchis. 

P.  215.  Humour  malicieuse.  Usez  :  humour  malicieux. 

P.  218.  Prendre,  rouer,  voler,  Usez  :  pendre,  rouer,  voler. 

P.  236.  Prie  pour  ton  cher  enfant,  Usez  :  prie  pour  moi  ton  cher  Enfant! 

P.  379.  Härdlingen,  Usez  :  Nördlingen. 

P.  417.  La  division  du  pays  en  districts.  Usez  .•  en  cercles. 

P.  524.  D'après  les  conventions  des  alliés,  l'Empire  et  la  maison  d'Autriche 
s'unissaient  pour  recouvrer,  en  réunissant  leurs  efforts,  toutes  les  possessions 
que  les  Vénitiens  leur  avaient  enlevées,  Usez  :  l'Empire  et  la  maison  d'Autriche 
devaient  recouvrer  toutes  les  possessions  que  les  Vénitiens  leur  avaient  enlevées . 

P.  531.  1617.  Usez  :  1517. 


PARIS.    —   TYPOGRAPHIE  E.    FLO\,    \ULIIRIT    ET   C"',    nUE    CAUAXCIÈRE,    8. 


I/ALLEMVGNE    ET   LA    HÉFOHME 


P 


II 


L  ALLEMAG  jNE 


LE  COMMENCEMENT  DE  LA  GUERRE  POLITIQUE  ET  RELIGIEUSE 


JUSQU  A    LA    VIS    DE    LA    RÉVOLUTION    SOCL\LE 


(1525)      ^  -^  ".J^-"' 


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JEAN    JANSSEN 


TRADUIT  DE  L'ALLEMAND  SUR   LA  QUATORZIEME  EDITION 
Paiî   E.    paris 


PARIS 

LIBRAIRIE     PLÖN 

E.   PLÖN,    NOURRIT  et   G'%   I3IP  RIMEURS- ÉDITEURS 

RUE    G  A  RANGIERE,    10 


1889 

Tous  droits  réservés 


^^  W 


H.  T  aeRHANS. 


Totius  injustitiae  nulla  capitalior  est,  quam  eorum,  qui  cum  maxime  fallunt,. 
id  a};unt  ut  viri  boni  esse  videantur. 

ClCÉRON. 


Il  y  a  de  nos  jours  autant  de  sectes  et  de  Credo  que  de  têtes.  Point  de  rustre 
si  grossier  qui  ne  s'imafjine  avoir  reçu  une  révélation  du  Saint-Esprit,  et  ne 
s'ériye  en  prophète  dès  qu'il  a  rêvé  ou  imaginé  quelque  chose. 

Martin  Luther,  1525. 

Avec  l'Église  et  son  enseignement,  toute  nation  religieuse  a  été  atteinte  dans 
le  peuple,  et  avec  la  religion  l'autorité  temporelle  a  perdu  son  équilibre. 

Charles  de  Bodman.x,  1524. 

Partout  règne  une  telle  confusion,  on  entend  parler  de  choses  si  épouvan- 
tables, qu'il  semble  que  le  monde  soit  prêt  à  sombrer...  Que  Dieu  nous  prenne 
en  pitié!  L'Empire  romain  va  être  broyé,  la  gloire  de  l'.^Uemagne  va  s'éteindre. 

Sébastien  Brant. 


fc 


Lettre  adressée  au  nom  de  Sa  Sainteté  Léon  XIII 
à  l'auteur  de  la  traduction  Je /'Histoire  du  peuple  allemand. 


Ill*"    Si<;nora, 

11  Santo  Padre  ha  ricevuto  la  ossequiosa  di  Lei  lettera,  corne 
pure  Foflerta  del  primo  volume  che  Ella  ha  tradotto  délia  htoria 
del  Popolo  Tedesco  di  Monsig''  Jansseo.  Sua  Santità,  che 
apprezza  giustamente  Topera  del  distinto  prelato,  si  è  compia- 
ciuta  molto  che  si  diffonda  nella  lingua  fiancese  per  opeia  di  una 
Signora  che  professa  lanla  devozioiie  ed  affetto  alla  Chiesa. 
Laonde  La  ring-i-azia  del  gradito  invio,  La  incoragf;ia  a  proseguire 
nel  suo  utile  lavoro,  ed  in  pegno  délia  sua  pateina  benevolenza 
Le  comparte  daU'intimo  del  cuore  l'aposlolica  benedizione. 

Nel  rendeila  di  cio  consapevoie,  mi  prcgio  dichiararmi  con  sensi 
di  distinta  e  perfelta  stima, 


M.      MOCENNI, 
Substitut  de  la  Secrétairerie  d'État. 


^ 


TABl.E  DES  MATIERES 


LIVRE   PREMIER 

LE    PARTI    KÉV  OLUTIONNAIRE    ET    SES    ACTES 
JUSQU'A    LA    DIÈTE    DE    WORMS    (l52l) 

CHAPITRE    PREMIER 

LE     N  0  li  V  E  L     H  Ü  M  A  M  S  JI  E     ALL  K  M  A  N  D 

I.  coup  d'œil  rétrospectif  sur  les  humanistes  anciens  et  les  théologiens  scolas- 
tiques.  —  Leur  manière  d'envisager  l'antiquité  classique,  1-5. 

II.  Erasme  de  Rotterdam,  chef  et  type  des  nouveaux  humanistes.  —  Voyages  et 
circonstances  diverses  de  sa  vie.  —  Son  attitude  vis-à-vis  des  princes  et  des 
puissants.  —  Sa  conduite  envers  ses  contradicteurs,  7-11. 

m.  Influence  d'Érasme.  —  Ses  efforts  pour  rattacher  les  humanités  à  la  théo- 
logie. —  ;>a  nouvelle  théologie.  —  interprétation   rationaliste  de  l'Écriture. 

—  .Vtlitude  d'Érasme  vis-à-vis  de  l'Église.  —  Ses  opinions  sur  différents 
dogmes  fondamentaux  du  christianisme. —  Son  dédain  pour  la  théologie  du 
moyen  âge.  —  Sa  nouvelle  méthode  pédagogique.  —  Sa  philosophie  pratique, 
11-21. 

IV.  Érasme  et  le  culte  du  »vénie,  22-22.  —  Esprit  et  caractère  du  nouvel  huma- 
nisme. —  Mélange  bizarre  de  vérités  chrétiennes  et  d'idées  païennes,  22-27. 

V.  Conrad  Mutian  et  le  cercle  des  humanistes  d'Erfurt.  —  1,'ancien  humanisme 
à  Erfurt,  27-28.  —  InHuence  de  Mutian  sur  les  humanistes  d'Erfurt.  — Ses  opi- 
nions sur  le  christianisme  et  la  Bible.  —  Son  dédain  pour  l'Église.  —  Immo- 
ralité et  cynisme  de  la  nouvelle  école,  et  en  particulier  de  Mutian,  31-33.  — 
Les  scolastiques  et  le  clergé  régulier  contre  le  nouvel  humanisme.  —  Mutian 
et  les  humanistes  d'Erfurt  contre  les  scolastiques,  34-36. 

CHAPITRE  II 

I.  4    QUERELLE     DE    II  E  L  C  H  L  1  N 

1.  Reucblin  et  la  cabale.  —  Nouvelle  théosophie  de  Reuchlin,  37-38.  —  Controverse 
au  sujet  des  livres  hébreux.  —  Pfefferkorn  et  les  livres  juifs.  —  Ordonnances 
impériales  relatives  aux  livres  hébreux.  —  Le  Miroir  des  yeux  de  Reuchlin  (1511). 

—  Portée  de  la  question,  38-43. 

H.  Le  Miroir  des  yeux  et  les  théologiens  de  Cologne,  Arnold  de  Tongres,  Collin  et 
Hochstratten.  —  Reuchlin  contre  les  théologiens  de  Cologne  et  Pfefferkorn. 

—  Violence  de  ses  attaques.  —  L'Empereur  condamne  le  Miroir  des  yeux.  —  Ce 
livre  est  également  condamné  par  plusieurs  facultés  de  théologie  et  par  l'in- 
quisiteur de  la  foi,    Jacques   Hochstratten.    Reuchlin    en  appelle  au  Pape, 

li.  a 


H  TABLE    DES    MATIERES. 

43-50.  —  Les  "  Poètes  »  se  déclarent  pour  Reuchliii  et  profitent  de  la  querelle 
pour  attaquer  violeniment  la  science  scolastique  et  l'autorité  de  l'Église.  — 
Attitude  peu  franche  de  Mutian.  —  Les  nouveaux  humanistes  et  Reucblin,  50-54. 

III.  ririih  de  Hütten.  —  Traits  saillants  de  son  caractère.  —  Payugyrique  d'Albert 
de  Brandebourg,  archerique  de  Mayeiicc.  —  Relations  de  IlUtten  avec  Érasme, 
54-57.  —  Les  Épitres  des  hommes  obscurs  {i 51 5-1 5i7).  —  Réponse  des  théologiens 
de  Cologne,  57-59.  —  Albert  de  Mayence  et  la  querelle  de  Reuchlin.  —  La  cour 
électorale  de  Mayence.  — Hütten  et  ^  la  poésie  de  la  haine  et  de  la  vengeance  », 
59-62.  —  La  Renaissance  à  la  cour  de  Rome,  puis  à  la  cour  des  princes  ecclé- 
siastiques d'Allemagne.  —  Indulgence  accordée  pour  la  construction  de  la 
nouvelle  basilique  de  Saint-Pierre,  62-66. 

CHAPITRE  m 

H  T  H  K  R     ET     H  II  T  T  K  N 

I.  Jeunesse  de  Luther,  son  éducation.  —  Ses  études  à  Erfurt  et  ses  relations 
avec  les  humanistes  de  cette  ville,  67-69. 

II.  Luther  au  couvent.  —  Sa  vie  intérieure.  —  Ses  angoisses  morales  et  leurs 
causes.  —  Son  séjour  à  Rome,  69-74.  —  Le  nouvel  Évangile  »  de  Luther,  son 
origine  et  ses  développements  daus  sa  pensée.  — Dès  1515,  Luther  s'était  écarté 
de  la  doctrine  de  l'Église,  74-76.  -—  Thèses  sur  les  indulgences  (1517).  —  Motifs 
réels  des  attaques  de  Luther.  —  Tetzel  et  les  indulgences.  —  Importance  de  la 
querelle.  —  Déclarations  de  Luther  au  sujet  de  son  nouvel  Évangile.  —  Luther 
sur  le  Pape  et  l'Église  romaine,  76-82. 

ivispute  de  Leipzig  (1519  .  —  Ses  causes  et  son  caractère.  — (Exposé  succinct  des 
principaux  points  de  la  dispute.)  Luther  se  déclare  hussite,  et  voit  daus  Jean 
Huss  le  premier  apôtre  du  véritable  Évangile,  83-88. 

ni.  Luther  et  les  humanistes.  —  Correspondances  de  Luther  avec  Mutian,  Reuchliii- 
et  Érasme.  —  Les  humanistes  d'Erfurt  lui  décernent  le  titre  de  «  nouvel  Her- 
cule •  et  de  -  second  saint  Paul».  —  Nombreux  partisans  de  Luther  dans  l'Alle- 
magne du  Sud.  88-93.  —  La  question  luthérienne  appréciée  par  Ulrich  de  Hütten. 

—  Hütten  et  Franz  de  Sickingen.  —  Plans  révolutionnaires.  —  Sickingen  et  la 
querelle  de  Reuchlin.  —  Reuchlin  se  range  avec  décision  du  côté  de  l'Église, 
93-100. 

IV.  Luther  et  Hulten,  1520.  —  llutten  impatient  de  voir  éclater  la  guerre  de 
religion.  —  Alliance  de  Luther  avec  le  parti  de  la  révolution  politico-religieuse. 

—  Esprit  et  style  des  écrits  polémistes  de  Luther.  —  Son  Manifeste  à  la  noblesse 
d'Allemagne,  93-106.  —  Luther  fait  appel  à  la  guerre  de  religion,  106-109. 

V.  Emser  contre  Luther.  —  E.rliortution  à  la  nation  allemande.  —  Emser  ledoute  pour- 
l'Allemagne  le  sort  de  la  Bohème,  109-112. 

VI.  Luther  est  condamné  par  la  Bulle  Exsurge{\b1Q). —  La  captivité  babylonienne  de- 
l'Église.  —  Doctrine  sur  le  mariage.  —  Luther  en  appelle  à  un  concile  général, 
113-116. 

VII.  Intrigues  révolutionnaires  de  llutten.  —  Ses  libelles  incendiaires  contre 
Rome.  —  Luther  et  llutten.  —  Luther  briMe  publiquement  la  Bulle  et  les 
livres  de  droit  canon.  —  Des  images,  répandues  dans  le  peuple,  repré- 
sentent Luther  la  tète  entourée  d'une  auréole.  —  Lettre  de  Hütten  à  Luther. 

—  Pourquoi  Hutten  n'avait  pas  encore  commencé  la  campagne.  —  Ses  appels 
réitérés  à  la  guerre  de  religion.  —  Lettre  à  Erasme.  —  Ziska  présenté  par 
Hütten  comme  le  type  et  le  modèle  du  libérateur  patriote,  116-128. 

VIII.  Thomas  Murner,  la  Détresse  de  la  foi.  —  Murner  prévoit  les  résultats  de 
la  révolution  qui  se  prépare.  —  Il  réfute  l'Exhortation  à  la  noblesse  allemande.  — 
Espérances  de  .Murner  en  Charles-Quint,  128-134. ., 


T  A  B  1. 1:    DES    M  A  1  I  È  II  K  S  .  111 


LIVI5K    If 

LA    DIÈTE    DE    WORMS    ET    LES    l'ROGRÈS    DE    LA    RÉVOLUTION 
POLITIQUE    ET    RELIGIEUSE 

JUSQU'A  l'explosion  de  la  révolution  sociale 

(I521-I524) 
Cil  A  PITRE   PREMIER 

I,\    DIÈTE    [)E    WOlliHS.    —    LE     NOUVEL    EVANGILE    JUGE     PAR     LES    CONTEMPOUAINS 

I.  Situation  critique  de  Charles-Quint.  —  Principe  dominant  de  sa  politique.  — 
Son  couronnement  à  Aix-la-Chapelle.  —  Idée  qu'il  se  faisait  de  la  di{;nité 
impériale.  —  Le  .serment  du  sacre,  137-142. 

II.  Déclarations  de  l'Empereur  aux  Ordres,  à  l'ouverture  de  la  Diète  de  Worms.— 
Délibérations  à  propos  du  Conseil  de  régence;  délimitations  de  son  pouvoir. 
—  Difficultés  de  pourvoir  ù  l'entretien  du  Conseil  de  régence  et  de  la  Cham- 
bre Impériale.  —  L'expédition  romaine  est  décidée. —  L'Empereur  tente  de 
rattacher  plus  étroitement  à  l'Empire  la  confédération   helvétique,  142-150. 

m.  Aléandre,  légat  du  Pape  en  Allemagne. —  Jugement  qu'il  porte  sur  la  situation 
de  l'Allemagne  et  sur  les  partisans  des  nouvelles  doctrines.  —  Érasme  pour  et 
contre  Luther.  —  Frédéric  de  Saxe  réclame  le  conseil  d'Érasme,  150-154. — Si- 
tuation de  Luther  vis-à-vis  de  l'Église.  —  Obstacles  qui  s'opposent  à  sa  récon- 
ciliation avec  elle,  154-156.  — Délibérations  religieuses  à  la  Diète  de  Worms. — 
Discours  d'Aléandre. —  Déclaration  des  États. —  Luther  est  appelé  à  Worms  pour 
y  être  entendu  sur  sa  doctrine.  —  Efforts  tentés  par  Glapion,  confesseur  de 
l'Empereur,  pour  le  rétablis.^ement  de  la  paix  de  l'ÉglLse.  —  La  nécessité  d'une 
réforme  dans  la  discipline  relijjieuse  universellement  reconnue  par  les  États. 
—  Griefs  de  la  nation  allemande  contre  la  cour  romaine  et  le  clergé  régulier 
et  séculier. —  La  réforme  ardemment  désirée  par  Charles-Quint,  157-164, — 
Anxiété  des  esprits  à  Worms.  —  llutten  adresse  une  lettre  menaçante  à 
l'Empereur,  au  légat  et  aux  princes  de  l'Église.  —  Charles-Quint  matérielle- 
ment hors  d'état  de  résister  à  la  révolution.  —  La  situation  générale  appréciée 
par  Aléandre,  164-166. 

IV.  Luther  en  route  pour  Worms.  —  Il  est  reçu  en  triomphateur  par  lès  huma- 
nistes d'Erfurt.  —  Ses  prédications  à  Erfurt.  —  Son  premier  miracle  ».  —  Une 
émeute  dirigée  contre  les  prêtres  éclate  le  jour  même  de  son  départ,  166-168.  — 
Luther  devant  la  Diète.  —  Lettres  de  Lutten  à  Luther.  —  Les  paysans  mena- 
cent de  se  révolter.  —  Pourparlers  avec  Luther.  —  Cochlaens  lui  propose  une 
dispute  publique.  —  Luther  quitte  Worms.  —  Images  et  médailles  commémo- 
ratives  en  son  honneur,  168-174.  —  Condamnation  de  Luther.  —  L'Édit  de 
Worms,  174-179. 

V.  Agitateurs  révolutionnaires.  —  Arrêt  momentané  dans  la  révolution. —  Luther 
jugé  par  ses  contemporains.  —  Lettres  d'Ulrich  Zasius  et  de  Charles  de  Bod- 
mann,  179-182. 

VI.  Luther  et  son  œuvre  jugés  par  lui-même.  —  Ses  angoisses  intérieures.  — 
Remèdes  auxquels  il  a  recours  pour  les  calmer.  —  Sa  manière  de  réfuter  ses 
contradicteurs.  —  Luther  apprécié  par  Pirkheimer,  Bullinger  et  Zasius,  182-189. 

CHAPITRE  II 

SOULÈVEMENT  DU  PEUPLE  PAR  LA  PREDICATION  DE  LA  PRESSE  (1521-1523) 

I.  Esprit  général  des  prédications  et  des  pamphlets  de  cette  époque.  —  Eberlin 
de  Giinzburg  prêche  le  massacre  des  moines  et  l'abolition  du  culte  catholique, 
—  remploi  de  la  force  et  la  destruction  des  églises.  —  Son  plan  de  réorgani- 
sation sociale. —  Ses  idées  sur  l'enseignement  scolaire,  193-195.  —  La  Réforma- 


IV  TABLE    DES    MATIERES. 

lion  de  Ftcdéric  III,  195.  —  Les  prédicants  prêchent  l'abolition  de  la  dime  et 
des  redevances.  —  Prédicants  laïques.  —  Karsthans  à  Strasbourg.  —  Le  nou- 
veau •  Karslans  -,  —  Les  paysans  sont  invités  à  se  joindre  à  la  noblesse 
pour  exterminer  les  moines  et  les  prêtres,  à  l'exemple  de  .lean  Ziska,  198-200. 
—  Thomas  Murner  et  d'autres  écrivains  catholiques  combattent  les  pam- 
phlets révolutionnaires,  200-203. 
11.  Luther  a  donné  le  ton  à  toute  la  littérature  polémiste  de  son  temps.  —  Ses  vio- 
lentes attaques  contre  les  clercs,  les  évéques  et  les  Universités.  —  Ce  qu'il  dit 
de  l'attachement  du  peuple  à  l'ancienne  Église.  —  .Jugement  qu'il  porte  sur 
Frédéric  de  Saxe,  203-20*.  —  Enseignement  de  Luther  sur  les  vœux,  le  baptême 
et  les  autres  sacrements,  207-208.  —  Éloquence  de  Luther.  —  Son  livre  de  la 
Liberté  chrétienne.  —  Il  rejette  certains  livres  des  saintes  Écritures.  —  La  lecture 
de  la  traduction  de  la  Bible  interdite  aux  catholiques  par  le  Pape.  —  Luther 
annonce  dans  un  avenir  prochain  des  émeutes  et  des  troubles.  —  Quelle  est 
la  vraie  bouche  du  Christ,  209-214. 

CHAPITRE   III 

MOUVEMEINTS      REVOLUTIONNAIRES     .4     ERFURT     ET     A     \\ITTEMBERG 
—   COMMENCEMENT   DE     LA    SCISSION   RELIGIEUSE 

I.  Animosité  de  la  population  d'Erfurt  contre  le  clergé.  —  Émeutes.  —  Décadence 
de  l'Université.  —  Révolution  dans  l'organisation  ecclésiastique.  —  Intrigues 
des  nouveaux  prédicants.  —  L'ancien  maître  de  Luther,  Usingen,  prévoit  les 
déplorables  suites  des  prédications  révolutionnaires,  215-218.  —  Espérances 
fondées  sur  Albert  de  Mayence  par  les  novateurs  religieux.  —  Attitude  équi- 
voque de  ce  dernier,  218-221.  —  Abolition  de  la  messe.  —  Mariage  des  prêtres. 

—  Les  nouveaux  prophètes  de  Zwickau.  —  Plusieurs  >  prophètes  •  entrent  en 
relation  avec  Mélanchthon.  —  Leur  opinion  sur  Luther.  —  Carlstadt  prêche  la 
destruction  des  images  (Traité  d'Einser  sur  le  culte  des  images),  221-226.  — 
Situation  générale  de  l'Électoral  de  saxe.  —  Avertissement  du  duc  Georges 
de  Saxe,  227-229.  —  Luther  à  Wittemberg.  —  Il  s'efforce  de  rétablir  la  paix. 

—  Éloignement  de  la  population  saxonne  pour  le  nouvel  Évangile,  225-230. 

II.  Luther  sur  sa  doctrine  seule  justifiante.  —  Comment  il  s'exprime  sur  l'Em- 
pereur et  les  princes.  —  Il  prédit  la  guerre  civile.  —  Il  déclare  hors  la  loi 
les  prêtres  qui  repoussent  son  Évangile,  et  pousse  à  l'extermination  des 
évéques,  231-240. 

CHAPITRE  IV 

FRANZ    DE    SICKINOEN    TENTE    DE    RENVERSER    LA     CONSTITUTION    DE    LEMPIRE 

I.  La  noblesse  libre  d'Empire  menacée  dans  ses  droits  par  la  puissance  tou- 
jours croissante  des  princes.  —  Décadence  de  la  petite  noblesse.  —  Proléta- 
riat de  la  noblesse.  —  Les  chevaliers  brigands.  —  Hans  Thomas  d'Absberg, 
241-245.  —  Martin  Bucer  célèbre  le  zèle  de  Sickingen  et  de  Ilutten  pour  le 
nouvel  Évangile.  —  Manifeste  d  Harmuth  de  Cronberg  en  faveur  du  nouvel 
Évangile.  —  Ilutten  invite  les  villes  libres  à  se  joindre  à  la  noblesse  d'Empire 
pour  la  défense  de  l'Évangile,  245-247.  —  Sickingen  se  prépare  à  marcher 
contre  l'archevêque  Richard  de  Trêves. — Son  appel  à  la  guerre  de  religion. 

—  Il  envahit  le  territoire  de  l'archevêque.  —  Attitude  d'Albert  de  Mayence. 

—  Efforts  tentés  par  Sickingen  pour  séculariser  les  principautés  ecclésias- 
tiques. —  sickingen  échoue  devant  Tièves.  —  En  opérant  sa  retraite,  il 
brûle  et  saccage  les  éj^lises  et  les  couvents,  237-254. 

II.  Sickingen  envahit  le  Palatinat.  —  Enrôlements  pour  Sickingen  en  Allemagne 
et  en  Bohême.  —  Partisans  de  Sickingen  au  Conseil  de  régence.  —  Sickingen 
demande  du  secours  à  Eraiiçois  1".  —  Ses  vastes  plans  révolutionnaires,  254- 
257.  —  Libelle  de  Luther  contre  les  priuces  et  leur  tyrannie.  —  Le  duc  Georges 
de  Saxe  et  le  chancelier  bavarois  Eck  sur  ce  libelle.  —  Intrigues  du  duc 
Ulrich  de  Wurtemberg.  —  Tendances  communistes  parmi  le  peuple,  257-260. 


TABLE    DK. S    MATIKRES.  V 

—  Alliance  des  princes  contre  Sickinfjen.  ^  siej;e  de  I.andstuhl. —  Défaite  et 
mort  de  Sicicinfjen.  —  Consternation  des  partisans  du  nouvel  Kvani^ile, 260-263. 

III.  Dernières  années  dClridi  de  Hütten  —  Vaincu  et  niallieureux,  il  a  recours 
à  Érasme.  —  Conduite  peu  {;énéreuse  de  celui-ci.  —  Ressentiment  mutuel  des 
deux  anciens  amis.  —  l'amphlet  de  llutten  contre  les  "  tyrans  -.  —  .Sa  mort, 
263-268. 

IV.  Conséquences  de  la  défaite  de  sickinfjen  et  de  son  parti,  269-270. 

CHAPITRE  V 

LE    CONSEIL    I)i;     l'vÉGENCE    ET     LES    DIETES    DE    1522-1523 

I.  Le  Conseil  de  régence.  —  Première  Diète  de  Nuremberg.  —  Le  péril  turc.  — 
La  guerre  contre  les  Turcs  est  décidée,  271-272.  —  .Seconde  Diète  de  iNurem- 
berg.  —  Discussions  entre  les  Ordres.  — Griefs  des  villes  contre  les  princes, 
la  noblesse  et  le  clergé.  —  Réponse  des  princes.  —  Les  délégués  des  villes 
rejettent  l'impôt  turc  et  ne  promettent  de  contribuer  à  la  défense  du  pays  que 
dnns  le  cas  où  le  territoire  serait  envahi,  273-277.  —  Projet  d'un  "  Impôt  de 
frontière  ".  —  Dissentiments  entre  les  Ordres  à  ce  s^ijet,  278-279. 

II.  Le  Conseil  de  régence  et  la  question  religieuse.  —  L'électeur  Frédéric  de 
Saxe  et  le  luthéranisme.  —  (Lettre  de  Luther  sur  la  parcimonie  de  Frédéric  et 
sur  ses  difficultés  pécuniaires. ■ — Adrien  VI  et  les  Étals  de  Nuremberg. — Ouver- 
tures de  paix  du  Souverain  Pontife.  —  Plan  de  réformes.  —  .\drien  VI  jugé 
par  ses  contempoiains.  —  Réponse  des  États  aux   déclarations  papales    — 

—  Décision  prise  par  les  États  relativement  à  ces  propositions.  —  Espoir  de 
voir  bientôt  la  paix  de  l'Église  rétablie,  280-290. 

CHAPITRE  VI 

CO.NTINÜATlON    DE     L'.VGITATIOX     POLITIQUE     ET     RELIGIEUSE 
DÉCADENCE    DE    LA     VIE     I.NTELLECTUELLE     ET    CHARITABLE 

I.  Violation  des  ordonnances  de  Nuremberg.  —  Nouveaux  libelles  de  Luther.  — 
.lugement  qu'il  porte  sur  Adrien  VI.  —  Son  exhortation  aux  chevaliers  de 
l'Ordre  Teutonique.  —  Il  déclare  l'observation  des  vœux  impossible.  —  Sermon 
sur  le  mariage.  —  Luther  enfreint  les  ordres  de  l'électeur  de  Saxe.  —  Les  cha- 
noines de  VVittemberg  contraints  de  changer  de  religion.  ^-  Luther  explique 
les  prodiges  qui  excitent  à  ce  moment  l'imagination  populaire.  —  Interpré- 
tation de  ces  mêmes  «  signes  miraculeux  "  par  .Mélanchthon.  —  Luther  prédit 
que  de  grands  changements  vont  survenir  en  Allemagne,  291-299. 

II.  Réfutation  de  Luther  et  du  nouvel  Évangile  par  Cochlaeus,  Emser,  Dietenber- 
ger,  etc.  (1523  à  1524),  299-310. 

m.  Conséquences  des  troubles  religieux.— Décadence  des  Universités. — Abandon 
des  sciences.  —  Décadence  du  commerce  de  librairie,  310-316.  —  Décadence 
des  écoles  populaires.  —  circulaire  de  Luther  à  ce  sujet. —  Luiher  rend  hom- 
mage à  la  charité  des  temps  catholiques.  —  Il  constate  la  disparition  de  l'esprit 
de  sacrifice  eu  vue  des  biens  idéaux  de  la  vie,  316-322. 

CHAPITRE    VII 

AFFAIRES     EXTÉRIEURES.     —     GUERRE     D  '  I  F  \  L  l  E 

La  situation  de  l'Allemagne  appréciée  par  un  contemporain.  —  Rivalité  de 
François  l"  et  de  Chailes-Ouint.  —  Alliance  du  Pape  et  de  l'Empereur  pour 
l'expulsion  des  Français  d'Italie  (1521).  —  La  chrétienté  menacée  par  les  Turcs. 

—  Conquêtes  des  Turcs.  —  Les  Turcs  chrétiens.  —  Le  pape  Adrien  VI  .s'inter- 
pose entre  l'Empereur  et  François  I".  —  Ligue  contre  la  France,  323-330.  — 

—  Intrigues  françai.'^es  en  Allemagne.  —  Les  villes  libres  envoient  des  délégué^ 
à  François  I".  —  L'Empereur  dis,)osé  à  conclure  la  paix  avec  la  France.  330- 
332. 


VI  TABLE    DES    MATIÈRES. 

CHAPITRE  VIII 
DiÈTE  DE  Nuremberg.  —  projet  d'une  convention  religieuse  (1524) 

I.  Efforts  des  villes  pour  repousser  l'impôt  de  frontière.  — Les  délégués  des  villes 
libres  se  rendent  auprès  de  Charles-Ouint.  —  Moyens  qu'ils  emploient  pour  le 
gagner  à  leurs  intérêts,  333-335.  —  Instructions  données  par  Charles-Ouint  à 
ses  chargés  de  pouvoir  à  la  Diète  de  Nuremberfv,  335-336.  —  Ouverture  de  la 
Diète.  —  Les  princes  et  les  villes  contre  le  Conseil  de  régen  e.  —  Discours 
d'un  légiste  romain.  —  Intrigues  françaises  pour  l'élection  d'un  nouveau  roi 
romain.  —  Efforts  de  l'archiduc  Ferdinand  pour  obtenir  des  États  le  maintien 
du  Conseil  de  régence.  —  Délibérations  diverses.  —  Ferdinand  expose  à 
Charles-Ouint  la  situation  de  l'Allemagne,  et  lui  exprime  ses  crainlesde  voir 
la  nation  périr  bientôt  de  ses  propres  moins,  336-345. 

II.  Délibérations  religieuses  à  la  Diète  de  Nuremberg. — "Le  légat  Campeggio  sur 
les  griefs  de  la  nation  allemande.  —  Nouveau  cahier  de  doléances  des  États.  — 
Recez  des  États,  et  contradictions  qu'il  renferme.  —  Points  de  discussion  ren- 
voyés à  l'assemblée  future  de  Spire.  —  Luther  contre  l'Empereur  et  les  prin- 
ces, 347-353.  * 

III.  Larchiduc  Ferdinand  sur  l'anarchie  religieuse.  — L'Empereur  interdit  l'as- 
semblée religieuse  de  Spire,  353-355. 

IV.  mion  de  Ratisljonne  (1524).  —  Attitude  des  ducs  de  Bavière.  —  Projet  de 
réforme  du  clergé,  355-358. 

V.  Scandales  dans  le  clergé.  —  Responsabilité  des  princes  dans  la  démoralisation 
du  clergé.  —  Georges  de  Saxe  sur  l'état  moral  du  clergé.  —  L'unité  et  la  disci- 
pline de  l'Église  détruites.  —  Conséquences  de  ce  fait,  358-305. 

CHAPITRE  IX 
troubles   croissants   dans   la  vie  religieuse    et   sociale 

I.  Propagation  des  nouvelles  doctrines,  en  particulier  dans  les  villes  libres.  — 
Dé  isions  prises  aux  États  des  villes  li])res  réunis  à  Spire  ('juillet  1524  .  —  La 
juridiction  des  évêques  transférée  à  l'autorité  laïque,  366-370. 

II.  Nuremberg  se  distingue  entre  toutes  les  villes  par  son  aniinosité  contre  l'an- 
tique constitution  de  l'Église.  —  Wilibald  Pirkheiiner  sur  les  principaux 
meneurs  de  la  révolution  religieuse.  —  Les  prédicants.  —  Violences  exercées 
par  les  novateurs  religieu.x:  contre  les  catholiques.  —  Mémoires  de  Charité 
Pirkheimer,  370-385. 

III.  Causes  de  l'anarchie  religieuse.  —  Luther  donne  à  la  communauté  le  droit 
d  apprécier  la  doctrine,  d'élire  ou  de  déposer  ses  pasteurs.  —  Tout  chrétien 
obligé  d'enseigner  l'Évangile,  385-389.  —  Thomas  .Münzer  sur  l'Évangile  de 
Luther,  389-391.  —  Le  nouvel  Évangile  de  :Münzer.  —  Il  invite  les  princes  à 
exterminer  tous  ceux  qui  n'adoptent  pas  sa  doctrine,  et  pre^fae  le  partage  des 
biens. — Puissant  parti  de  .Münzer  dans  le  peuple. —  -  Mouvements  évangéliques» 
en  Thuringe  et  en  Saxe,  391-394.  —  Le  nouvel  Évangile  de  Carlstadt.  —  Carl- 
stadt partisan  de  la  polygamie.  —  Luther  et  Carlstadt.  —  Luther  jugé  par  un 
disciple  de  Carlstadt,  394-400.  —  Luther  contre  les  prophètes  célestes  ".  — 
Son  enseignement  sur  le  libre  arbitre  et  la  sanctification  du  dimanche.  —  Il 
craint  qu'on  n'en  vienne  bientôt  à  nier  la  divinité  même  du  Christ,  400-405. 

IV.  Procès  des  •  peintres  impies  -  à  Nuremberg,  405-406.  —  Conséquences  de  la 
libre  interprétation  des  saintes  Écritures.  —  Mysticisme  et  communisme.  — 
Agents  révolutionnaires  au  sud-ouest  de  l'Allemagne  et  en  Suisse.  — Propa- 
gande anal)aptiste.  —  Le  prédicant  Balthasar  llubmaier  à  Waldshut.  —  Lettre 
du  couveil  de  Fribourg  en  Brisgau.  —  Opinion  de  Luther  au  sujet  de  l'anar- 
chie religieuse.  —  Analogie  entre  l'état  de  l'Allemagne  en  1525  et  celui  de  la 
Bohême  après  la  diffusion  des  doctrines  de  Jean  Huss,  406-413. 


TABLE    DES    M  ATI  KR  ES.  VU 

LIVRE   III 

LA    RÉVOLUTION    SOCIALE 
C  FI  A  P I T  U  E  I»  H  E  M I E  W 

INFLUENCE    DES    DOCTUINES    DE    JEAN    H  US  S     EN    ALLEMAGNE. 
PRÉLUDES    DE    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE. 

L  Principes  politiques  et  sociaux  de  Jean  Huss.  —  Leurs  résultais  en  Bohême, 
417-422. 

II.  Le  radicalisme  hussite  se  propage  en  Allemagne.  —  Premières  émeutes  de 
paysans,  et  leur  caractère.  —  llans  Böhm,  premier  apôtre  de  lélat  naturel 
social  et  individuel.  —  .Ses  prédications  à  Nildashausen,  422-426.  —  La  Iléfo,- 
mation  de  l'empereur  Sigismond  Tépanù  en  Allemagne  les  doctrines  hussiles,  426- 
429.  —  Avant-coureurs  de  la  révolution  sociale.  —  Le  Bundschuh  dans  i'évèché 
de  Spire.  —  Le  Bundschuh  à  Lehen,  près  Fribourg,  et  la  révolte  du  "  pauvre 
Conrad  ^  dans  le  Wurtemberg  (I514-15I4).  —  Complois  révolutionnaires  dans 
le  margraviat  de  Bade  et  à  Wissembourg  (1517),  429-434, 

CHAPITRE  II 

CAUSES    GÉNÉRALES    DE    LA    REVOLUTION    SOCIALE 

!.  Dans  quelle  mesures  l'anarchie  religieuse  est  responsable  de  la  révolution 
sociale  de  1525.  —  La  révolution  dès  longtemps  pressentie  par  Sébastien  Brant, 
433-434.  —  L'amour  du  luxe  et  du  bien-être,  principale  cause  des  malheurs  de 
l'époque.  —  Mesures  prises  pour  la  répression  du  luxe  à  la  Diète  de  Nuremberg 
(1524).  —  Passion  du  jeu  chez  les  grands  seigneurs  et  les  riches  marchands.  — 
Satire  contre  le  luxe  et  les  excès  de  table  des  paysans.  —  Luther  et  Érasme 
sur  la  licence  des  mœurs,  particulièrement  dans  la  jeunesse,  435-443. 

II.  Exploitation  de  toutes  les  classes  par  les  grandes  sociétés  commerciales.  — 
Ordonnances  de  Nuremberg  (I523j.  —  Cahier  de  doléances  des  comtes,  sei- 
gneurs et  chevaliers.  —  Traité  de  Luther  sur  l'usure,  les  grandes  compagnies 
et  les  secrètes  ententes  des  princes  avec  les  exploiteurs  du  peuple,  44.3-448.  — 
Agiotage,  falsification  des  choses  de  première  nécessité,  448-451.  —  La  main- 
d'œuvre  abaissée  par  suite  de  l'abandon  des  règlements  dé  corporations.  — 
Ruine  des  petites  industries  et  des  petits  marchands.  —  Nombre  excessif  des 
commerçants,  des  marchands  ambulants,  des  aubergistes.  —  Pourquoi  les 
artistes,  ouvriers  et  journaliers  restaient  sans  travail.  —  Décadence  de 
l'art.  451-453. 
U\.  Sentiments  de  haine  et  d'envie  parmi  les  pauvres.  —  Les  "  honorables  ■  et  le 

peuple.  — Le  prolétariat  des  villes,  453-456. 
IV.  Causes  de  mécontentement  parmi  les  populations  rurales.  —  Commence- 
ments et  progrès  du  mouvement  socialiste,  456-458. 

CHAPITRE    III 

CARACTÈRES    (i  É  M;  Il  A  L  \    DE    LA    REVOLUTION    SOCIALE 

I.  Éléments  divers  et  réclamations  multiples  de  la  révolution.  —  Prépondérance 
des  tendances  communistes.  —  Aveux  des  chefs  révolutionnaires  après  leur 
défaite,  459-461.  —  Traits  communs  à  la  plupart  des  chefs  révolutionnaires, 
461-463.  —  Le  bas  clergé  et  la  révolution,  463-465. 

II.  Comment  était  composée  l'armée  des  paysans.  —  Moyens  d'intimidation 
employés  par  les  révoltés.  —  Le  ■  ban  laïque  >,  466-468. 

m.  L'Évangile  et  la  révolution.  —  Le  «  droit  divin  »,  468-470.  —  Projet  pour 
l'érection  d'une  république  démocratique  et  sociale,  470-476.  —  Nouvelle  consu- 
lutionde  iMichel  Geismayer  fondée  ■■<  sur  la  parole  de  Dieu  ".  Extermination  des 


VII!  TABLE    DES    MATIÈRES. 

impies,  nivellemenî  des  classes,  liberté,  égalité,  476-478.  —  Appel  au  mas- 
sacre général  des  princes  et  seigneurs.  — Exhortation  aux  frères  chrétiens,  478-483. 

IV.  La  révolution  sociale,  vraie  guerre  de  religion.  —  Fureur  de  destruction 
contre  tous  les  monuments  et  tous  les  symboles  de  l'antique  foi.  —  Que  les 
écrils  de  Luther  avaient  préparé  les  excès  révolutionnaires,  484-488. 

V.  Pourquoi  la  révolution  rencontra  d'abord  une  si  faible  résistance.  —  La  ligue 
souabe,  unique  rempart  de  l'Allemagne.  —  Énergie  et  capacité  du  cbancelier 
bavarois  Léonard  d'Eck,  488-491. 

CHAPITRE    IV 

LA    RÉVOLUTION    .S  O  CI  .V  L  H 

I.  Le  premier  foyer  de  l'insuri-ection.  —  Les  paysans  de  Stühlingen.  —  •  Frater- 
nité "  évangélique  h  Waldshut  (1524).  —  Si  les  habitants  de  Stühlingen  étaient 
aussi  opprimés  qu'ils  le  prétendaient? —  Le  chef  des  paysans,  Hans  Müller, 
Î92-49.J.  —  Agitateurs  populaires  :  le  prédicant  Balthasar  Hubmaier  prêche  la 
souveraineté  du  peuple.  —  Thomas  Münzer  dans  le  Klettgau  et  le  Hegau,  495- 
496.  —  Le  duc  de  Wurtemberg,  Ulrich,  cherche  à  reconquérir  son  duché  à  la 
faveur  du  Bundschuh.  —  H  embrasse  les  doctrines  nouvelles.  —  Traitements 
qu'il  se  propose  de  faire  subir  aux  clercs  et  aux  marchands.  —  Ses  relations 
avec  François  I",  le  prolétariat  de  la  noblesse  et  les  Bohèmes;  ses  agents 
révolutionnaires,  496-499.  —  Insurrection  en  Souabe  (1525).  —  Déclaration 
naïve  des  tenanciers  de  l'abbaye  de  Roth.  —  L'  «  Union  chrétienne  "  à  Mem- 
mingen,  et  ses  articles  d'alliance,  499-502.  —  Le  duc  Ulrich  envahit  le  Wur- 
temberg. —  Insuccès  de  son  entreprise.  502-505.  — Atrocités  commises  par  les 
rebelles  dans  l'Algau,  la  forêt  .Noire  et  les  contrées  du  Ries,  505-506.  —  Alliance 
de  la  population  urbaine  avec  les  paysans.  —  La  révolution  s'étend  et  se  pro- 
page. —  Le  général  en  chef  de  la  ligue  souabe,  Georges  de  Waldbourg,  met  les 
paysans  en  déroute  près  de  Leipheim.  —  Traité  de  Weingarten.  —  Violation 
du  traité,  506-509.  —  Révolte  en  Tyrol.  —  Incendies  et  pillages.  —  Alliance 
des  Tyroliens  avec  les  Souabes  et  les  Alsaciens,  509-511.  —  Insurrections  en 
.\lsace.  —  Strasbourg  menacée.  —  Les  articles  alsaciens.  —  Alliance  des  Alsa- 
ciens avec  les  habitants  de  la  forêt  Noire.  —  Fribourg  en  Brisgau  tombe  au 
pouvoir  des  rel)elles,  511-514. 

H.  Ulrich  Zasius  impute  à  Luther  la  responsabilité  des  malheurs  publics.  — 
Luther  publie  V Exhortation  à  la  paix,  à  propos  des  douze  articles  des  paysans  de 
Souabe.  —  Si  ce  manifeste  était  vraiment  propre  à  apaiser  les  esprits?  —  Date 
de  sa  publication,  514-519. 

ÏII.  Soulèvement  en  Franconie.  —  Révolte  parmi  les  paysans  de  la  landwehr  à 
Rothenbourg  sur  la  Tauber.  —  Agitateurs  populaires  à  Rothenbourg,  520-52i. 

IV.  Révolte  dansl'évêché  de  Bamberg,  524-526. 

V.  Révolte  dans  l'Odenwald  et  dans  la  vallée  du  Neckar.  —  Chefs  révolutionaires 
dans  ces  contrées.  —  L'armée  évangélique  à  Schönthal.  —  Götz  de  Berlichin- 
gen  offre  ses  services  aux  paysans.  —  Les  comtes  de  llohenlohe  et  de  Löwen- 
stein, 526-529.  —  Forfaits  de  Weinsberg,  529-531.  —  Révolte  à  lleilbronn.  — 
L'armée  évangélique  à  lleilbronn.  —  Les  conseils  d  lleilbronn  et  de  Wimpfen 
traitent  avec  les  rebelles.  —  La  Hoffmann,  mégère  révolutionnaire  de  l'Oden- 
wald, 531-536.  —  Révolte  dans  le  Wurtemberg. —  Conseils  donnés  par  le  duc 
Ulrich  aux  ■  frères  chrétiens  ",  537-539. 

VI.  Révolte  à  Bade  et  dans  l'évêché  de  Spire,  539.  —  Götz  de  Herlichingen, 
général  en  chef  des  paysans.  —  Götz  et  l'Union  chrétienne  à  l'abbaye  d'Amor- 
bach.  —  Décisions  prises  par  les  chefs  des  rebelles,  540-541. 

YIl.  Révolte  à  Francfort-sur-le-Mein,  fomentée  par  la  «  Fraternité  évangélique  •- 
—  Articles  de  la  Fraternité.  —  Le  conseil  pactise  avec  les  révoltés,  551-544.  — 
Révolte  dans  le  Rheingau.  (Les  émeutiers  demandent  que  les  Juifs  leur  soient 
livrés.)  —  Insurrection  dans  l'évêché  de  Trêves.  — Incendiaires.  —  Francfort- 
sur-le-.Mein  menacée,  544-546.  —  Aschaffenbourg  entre  dans  l'«  Union  « .  —  Le 
coadjuteur  de  l'archevêque  de  Mayence  traite  avec  les  rebelles.  —  Le  comte 


TABLE    DKS    MATIKRES.  IX 

Georges  de  Werdieini  fraternise  avec  les  paysans,  540.  —  r,'évêcbé  de  Würz-, 
bourg  se  soulève  tout  entier,  540-549.  —  I.a  population  de  Rolhenhourg  pac- 
tise avec  les  révoltés.  —  Termes  du  traité,  549-5.'il 

VIII  Révolte  en  Thuringe.  —  Agitateurs  populaires  à  Miilhausen.  —  Thomas 
Münzer  pousse  au  massacre  de  tous  les  princes  et  seigneurs,  551-555.  —  /Liste 
des  couvents  et  abbayes  détruits  en  Thuringe),  555.  —  l.'iiumauiste  .Mutian  sur 
les  actes  de  vandalisme  des  révoltés.  — (Dernières  années  de  Mutian^,  556.  — 
Insurrection  A  Langensalza.  —  Opinion  du  duc  Georges  de  Saxe  sur  la  révolu- 
tion, 557-559.  — Erfurt  se  donne  aux  rebelles.  — Compromis  honteux  du  con- 
seil. —  Eoban  Ilessus  sur  les  actes  révolutionnaires  commis  à  Erfurt,  559- 
561. —  Lettres  de  menaces  de  ThomasMünzer,  5GI-562.  —  Les  princes  sapprétent 
à  réprimer  la  révolte.  —  Bataille  de  Frankenhausen.  —  Repentir  et  mort  de 
Thomas  Miinzer,  562-565. 

IX.  Luther  sur  les  châtiments  infligés  aux  rebelles.  —  Son  manifeste  Contre  Ifs 
hordes  pillardes  et  homicides,  —  Mariage  de  Luther.  565-570. 

\.  Victoires  remportées  sur  les  rebelles  dans  le  Wurtemberg,  en  Al.^ace,  dan^ 
l'évêché  de  spire.  —  .Jonction  de  la  ligue  souabe  avec  les  armée>  du  Palatinat 
et  de  Trêves,  570-571.  —  plan  de  campagne  des  révoltés  de  Franconie.  — 
Trahison  de  Golz  de  P>erlichingeii.  —  Défaite  des  paysans  à  Konigshofen  et  à 
In,",olstadt.  —  Prise  de  Wurzbourg,  571-577. —  Le  margrave  Casimir  à  Anspach- 
Bayreuth  et  ses  premières  relations  avec  les  rebelles. — Répression  des  rebelles  à 
Kitzingen,  577-579.  —  La  révolte  apaisée  dans  l'évêché  de  Bcimberg  et  à  Rothen- 
bourg.  —  (Fuite  de  Carlstadt  racontée  par  lui-même),  579-581.  —  Répression 
de  la  révolte  en  Souabe,  dans  le  Rheingau  et  sur  le  Mein.  —  Soumission  de 
Francfort,  581-585. 

XI.  Révolte  et  pacification  du  Tyrol.  —  Projets  de  sécularisation.  —  L'archiduc 
Ferdinand  et  le  mouvement  révolutionnaire,  —  Insurrections  dans  l'arche- 
vêché de  Salzbourg.  —  Le  duc  Guillaume  songe  à  tirer  parti  de  la  révolution 
pour  la  réalisation  de  ses  plans  ambitieux.  —  Rivalité  des  maisons  de  Wittels- 
bach  et  d'Autriche.  —  Fin  de  la  révolution,  580-592. 

CHAPITRE  V 

ir  KT    Dr    L  '  .\  L  L  E  M  .\^  G  N  E    .\  P  R  È  S     LÀ.    RÉVOLUTION    .S  0  Cl  .\  L  E 

Réflexions  des  contemporains  sur  la  révolution  de  1525,  59.3-595.  —  État  de  l'Alle- 
magne. —  Nombre  des  morts  et  des  fugitifs.  —  Répressions  sanglantes. — 
Quelques  princes  ecclésiastiques  se  montrent  miséricordieux  envers  leurs  pay- 
sans. —  Amendes  et  indemnités  de  guerre.  —  chansons  populaires,  595-002.  — 

—  Luther  recommence  à  exciter  à  la  haine  contre  le  clergé.  —  Emser,  sur  la 
responsabilité  de  Luther  dans  la  révolution.  —  Nouvelles  tentatives  de  révolte, 
602-606. — Aggravation  des  malheurs  publics  dans  les  villes  et  les  campagnes. 

—  Chansons  populaires,  600-610.  —  Luther  pousse  les  princes  à  la  rigueur 
envers  leurs  sujets.  —  Il  conseille  le  retour  au  servage  tel  qu'il  était  établi 
chez  les  Juifs.  —  Son  opinion  sur  les  corvées,  610-612.  —  Mélanchthon  d'accord 
avec  lui  sur  ces  points.  —  Nouvelle  doctrine  des  réformateurs  sur  l'obéissance 
passive  envers  l'autorité  et  sur  la  nécessité  alisolue  de  la  sécularisation  des 
biens  du  clergé.  —  Les  princes,  héritiers  de  la  révolution,  612-615. 

Table  des   personnages  cités 617 

Table   géographique 625 


TITRES  COMPLETS  DES  OUVRAGES  CONSULTÉS 


Lei  ouvrages  qui  ne  soin  cités  qu'une  seule  fois  ou  par  hasard  dans  le  cours 
de  ce  volume  ne  sont  pas  compris  dans  cette  liste.  Les  écrits  des  auteurs  catho- 
liques sont  marqués  d'une  f , 

Les  ouvraîïes  marquée  d'un  astérisque  dans  le  cours  du  volume  sont  emprun- 
tés à  dci  sources  inédites,  indiquées  ici  plus  en  détail. 

I  Albéri  E.  I-e  lîelazioni  dejjli  ambasciatori  Veneti  al  senato  durante  il  seculo 

decimosesto.  Serie  1,  vol.  1-6.  Serie  2,  vol.  3.  Serie  3,  vol.  2-3.  Firenze,  1839-1860. 
.\LBEi\T  R.  Aus  welchem  Grunde  disputirte  .lohann  Eck  gegen  M.  Luther  in 

Leipzig  1519?  in  der  Zeilschrift  für  die  histor.  Theologie  Bd.,  43,  p.  382-441. 

Gotha,  1873. 
Allihn  M.    Socialdemokratisches  aus    der   deutschen   Vergangenheit,  in   den 

Grenzboten,  .lahrgang32,  ApriHiefte.  Leipzig,  1873. 
Anshelm  V.,  genannt  Rüd.  Berner  Chronik  von  Anfang  der  Stadt  Bern  bis  1526. 

6  Bde.  Bern.  1825-1833. 

—  Anzeiger  für  die  Kunde  der  deutschen  Vorzeit  Neue  Folge.  Organ  des  ger- 
manischen Museums.  Bd.  1-28.  Nürnberg,  1854-1881. 

t  Aux  J.  v.  Geschichte  des  Cantons  S'-Gallen.  3  Bde.  S«-Gallen,  1810-1813. 
I  AsHB.vcH  J.  v.  Die  Wiener  Universität  und  ihre  Humanisten  im  Zeitalter  Kaiser 
Ma.ximilian's  I.  Wien,  1877. 

—  Anfruhrbuch  der  Reichstadt  Frankfurt  am  Main  vom  .lahre,  1525.  Zum  ersten- 
mal herausgegeben  von  G.  F.  Seitz.  Frankfurt,  1875. 

Baadi.r  J.  Beiträge  zur  Kunstgeschichte  Nürnbergs.  2  Bdchn.  Nordlingen,  1860, 
1802. 

—  Verhandlungen  über  Thomas  von  Absberg  und  seine  Fehden  gegen  den 
schwäbischen  Bund,  1519-1530,  in  der  Bibliothek  des  literarischen  Vereins  in 
Stuttgart,  Bd.  114.  Tü!)ingen    1873. 

j  Balw  P.  Monumenta  Reformationis  Lutheranae  ex  tabulariis  S.  Sedis  secretis. 

1521-1525.  Ratisbonnae,  18S3,  1884. 
Bakacic  K.  A.  Hans  Böhm  und  die  Wallfahrt  nach  Niklashausen  im  Jahre  1476, 

im  Archiv  des  historischen  Vereins  von  Unterfranken  und  Aschaffenburg,  14« 

1-108.  Würzburg,  1858. 
Basler   Chroniken,  herausgegeben    durch  W.    Vischer  und    A.  Stern.   Bd.   1. 

Leipzig,  1872. 
Balm.I.  M.  Capito  und  Butzer,  Strassburgs Reformatoren  (Leben  und  auserwalhte 

Schriften  der  reformirten  Kirche).  Elberfeld,  1860. 
f  Baumanx  f.  L.  Die  oberschwabischen  Bauern  im  März  1525  und  die  zwölf  Artikel. 

Kempten,  1871. 

—  Quellen  zur  Geschichte  des  Bauernkrieges  in  Oberschwaben,  in  der  Bibliothek 
des  literarischen  Vereins  in  Stuttgart,  Bd.  129.  Tübingen,  1876. 

—  Acten  zur  Geschichte  des  deutschen  Bauernkrieges  aus  Oberschwaben.  Frei- 
burg, 1877. 

t  —  Quellen  zur  Geschichte  des  Bauernkrieges  aus  Rotenburg  a.  d.  Tauber,  in 
der  Bibliothek  des  literarischen  Vereins  in  Stuttgart,  Bd.  139.  Tübingen,  1878. 

'Baumgakte.n  IL  Geschichte  Karls  V.  Erster  band.  Stuttgard,  1885. 

BAun  A.  Deutschland  in  den  Jahren  1517-1525,  betrachtet  im  Lichte  gleichzeitiger 
anonymer  und  pseudonymer  deutscher  Volks-und  Flugschriften.  Ulm,  1872. 


XU      TITRES  COMPLETS  DES  OUVRAGES  CONSULTÉS. 

Beger  L.  Studien  zur  Geschichte  des  Bauernkriegs,  nach  Urkunden  des  General- 
archivs zu  Carlsruhe.  I.  In  den  Forschungen  zur  deutschen  Geschichte  Bd.  21. 
lieft  3.  Göttingen.  18S1 

Be.nsen  II.  M.  Geschichte  des  Bauernkriegs  in  Ostfranken,  aus  den  Quellen  bear- 
beitet. Erlangen,  1840. 

BERLicHiNGEN-Ross.iCH  M.  G.  V.  Gcschichtc  des  Ritters  Götz  von  Berlichingen 
und  seiner  Familie.  Leipzig,  1861 . 

Bezold  f.  V  Zur  Geschichte  des  llusitenthums.  Culturhistorische  Studien.  Mün- 
chen, 1874. 

—  Der  rheinische  Bauernaufstand  vom  .lahr  1431,  in  der  Zeitschrift  fiir  die 
Geschichte  des  Oberrheins  -V,  129-149.  Cirlsruhe,  1875. 

—  Die  •  armen  Leute  -  und  die  deutsche  Liberatur  des  späteren  Mittelalters,  in 
V.  Sybels  historischer  Zeitsrhrift,  41,  1-37.  —  München,  1879. 

7  Binder  F.  Charitas  Pirkheimer,  Aebtissin  von  St-Clara  zu  Nürnberg.  2  Aufl 
Freiburg,  1878. 

7  Bodm.4X.\  f.  I.  Rheingauische  Altherthümer  oder  Landes-und  Regimentsver- 
fassung des  westlirhen  oder  Nieder-Rheingaues  im  raitlleren  Zeitalter.  2 Theile. 
Mainz,  1819. 

BöCKiNG  E.  Ulrici  Hutteni  Opera.  5  vol.  LipsicX",  1859-1862. 

BoEHM  W.  Friedrich  Reisers  Reformation  des  Kaisers  Sigmund.  Mit  Benutzung 
der  ältesten  Handschriften  nebst  einer  kritischen  Einleitung  und  einem  erklä- 
renden Commentar.  Leipzig,  1876. 

BoELL  A.  Der  Bauernkrieg  um  Weissenburg  anno  1525.  Weissenburg,  1874. 

Brewer  J.  s.  Letters  and  pupers,  foreign  and  domestic,  of  the  reign  of  Henri 
Vlll,  vol.  3.  London,  1870. 

Br.iEGER  Th.  Aleander  und  Luther.  Die  vervollständigten  Aleander  Depeschen 
nebst  Untersuchung  über  den  Wormser  Reichstag.  Erster  Abtheilung.  Gotha, 
1884. 

7  BccHHOLTz  F.  B.  v.  Geschichte  der  Regierung  Ferdinand  des  Ersten.  8  Bde.  und 
ein  Urkundenband.  Wien,  1831-1838. 

Blder  Ch.  G.  Nützliche  Sammlung  verschiedener  meistens  ungedruckter  Schrif- 
ten, Berichte,  Urkunden,  Briefe  und  Bedenken.  Fiankfurt  und  Leipzig,  1735. 

Bchler  F.  G.  Wendel  llipler,  als  llohenlohischer  Kanzler,  und  seine  Bedeutung 
im  Bauernkrieg  in  Franken,  in  der  Zeitshr.  des  histor.  Vereins  für  das  würt- 
tembergische Franken,  10,  152-164.  lleilbronn,  1875. 

Blrkhardt  C.  A.  11.  .Martin  Luther's  Briefwechsel.  Mii  vielen  unbekannten  Brie- 
fen und  unter  vorzüglicher  Berücksichtigung  der  De  Wette'scben  Ausgabe. 
Leipzig,  1866. 

—  Ueber  die  Glaubwürdigkeit  der  Antwort  Luthers  :  Hie  stehich,  ich  kann 
nicht  anders,  Gott  helff  mir.  Amen,  »  in  den  Theologishen  Studien  und  Kri- 
tiken 42,  517-531.  Gotha,  1869. 

—  Das  tolle  Jahr  zu  Erfurt  und  seine  Folgen  1509-1523,  in  Weber's  Archiv  für 
sächsishe  Geschichte,  t.  12,  337-426.  Leipzig,  1874. 

—  Geschichte  der  sächsischen  Kirchen-und  Schulvisitationen  von  1524-1545. 
Leipzig,  1879. 

t  Bcssière  M.  DE.  Histoire  delà  guerre  des  paysans  iseizième  siècle).  2  vol.  Plancv, 

1852. 
t  Chmel  J.  Die   Handschriften  der  kaiserl.  königl.  Hofbibliothek  in  Wien,  im 

Interesse  der  Geschichte,  besonders  der  österreichischen,  verzeichnet  und 

excerpirt    2  Bde.  Wien,  1840. 

—  Instruction  Erzherzog  Ferdinand's  von  OEsterreich  für  Carl  von  Burgund, 
Herrn  zu  Bredam,  an  Kaiser  Carl  V,  vom  13  ,îuni  1524,  im  Archiv  für  Kunde 
österreichisher  Geschichtsquellen,  1,  83-149.  Wien,  184S. 

—  Actenstücke  zur  Geschichte  Deutschlands  in  den  lahren  1522-1524,  im  Notizen- 
blatt, Beilage  zum  Archiv  für  Kunde  österreichisher  Geschitsquellen  Bd.  2. 
Wien,  1852. 

Chroniken,  die,  der  deutschen.  Städte  vom  14  bis  in's  16.  Jahrhundert.  Bd.  15. 

Leipzig,  1878. 
t  Clag  eins  einfeUig  klosterbruders.  (Voy.  Dietenberger.) 


TITRES    COMPLETS    DES    OUVRAGES    CONSULTÉS.  XIII 

f  CooiiLKiJS,  ,Ion.  Clos  und  Comment  auff  den  XIII.  Artickel  von  rechtem  Messbalten 
Avider  Lutherislie  zwispaltuni;.  Ohne  Ort,  i^ti.i. 

—  Clos  und  Comment  uff.  CLIIU  Artikien  jjezofjen  uss  einem  Sermon  Doc.  Mart. 
I.nlerss  von  der  heiligen  Mess  und  nüera  Testament  (Strassburg).  Joh.  Grie- 
niiiger,  1523. 

CocHL.ui  Colloquium  cnm  Luthero  Wormatia- olim  habitiiin.  Moguntia;,  1540. 

CocHL^us  ,1.  Commeiitciria  de  actis  et  scriptis  M.  Lulheri...  ab  a.  1517  usque  ad 
a.  1537  conscripla.  Mogunti;«",  1549.  » 

t  Contra  Martinum  Lutherum  et  Lulheranismi  fautores  dissertationes  quatuor. 
Moguntiœ,  1532. 

7  C0R.\ELius  c.  A.  Die  Milnslerischen  Humanisten  und  ihr  Verhältniss  zur  Refor- 
mation. Münster,  1851. 

—  Geschichte  des  Münsterischen.  Aufruhrs  in  drei  Büchern.  Bd.  1  u.  2.  Leipzig, 
1855-1860. 

—  Studien  zur  Geschichte  des  Bauernkriegs.  München,  1861. 
Coi\rusREro[ui,vTORUM — PhilippiMelanchthonisopeiaqua-supersuntomniaedidit 

C.  G.  Bretshneider,  vol.  1-7.  Malis  Saxonum,  Î834,  1840. 
De  Wette.  V'oy.  Marlin  Luther's  Briefe,  Sendschreiben,  etc. 
t  DiETE.NBEncFiv,  JüH.  Von  menschcu  1er.  Widerlegung  des  Lutherischen  büchlins 

von  menschen  leren  zu  meiden.  Strassburg  (,loh.  Grieninger),  1523. 

—  Übe  die  Christen  mügen  durch  iere  guten  werk  dz.  hymelreich  verdienen. 
(Strassburg).  .loh  Grieninfjer,  1523. 

—  Wider  CXXXIX  sclilussrede  Martin  Luthers  von  gelübdniss  und  geistlichem 
leben  der  klosierlüt  und  iunckfrawschafft,  etc.,  vertütscht  durch  Jo.  Coch- 
leiim.  Strassburg  (Joh.  Grienin;;er),  1523. 

—  Clag  eins  eiufeltig  kloslerbruders,  das  es  so  bös  worden  in  der  werlt.  Ohne 
Ort.  Den  1  ypen  nach  l)ei  Giieninger  in  Strassburg  gedruckt.  Auf  dem  Titel 
1523,  auf  dem  letzten  Blatt  1524. 

—  Der  leye.  Obedergelaub  alleinselig  mache.  Strassburg(.loh.  Grieninger),  1524. 
f  DÖLLiNGER  J.  Die  Reformation,  ihre  innere  Entwicklung  und  ihre  Wirkungen 

im  Umfange  des  lutherischen  Bekenntnisses,  3  Bde.  Regensburg,  1846,  1848. 
f  DöLLiNGEK  J.  V.  Kirche  und  Kirchen,  Papsthum  und  Kirchenstaat.  München, 

1861. 
DnoYSEN  J.  G.  Geschichte  der  preussischen  Politik.  Bd.  2.  Abtheilung  2.  Berlin, 

1870. 
DnuMMO.ND  R.  B.  Erasmus,  his  life  and  character  as  shown  in   his  correspo»- 

dence  und  works.  2  vol.  London,  1873. 
f  Durv.iXD  Di:  Laur.  U.  Érasme  précurseur  et  initiateur  de  l'esprit  moderne.  2  vol. 

Paris,  1872. 
Eberstein  V.  L.  v.  Fehde  Mangoll's  von   Eberstein  zum  Brandenstein  gegen  die 

Reichsstadt  Nürnberg.  ^Zweite  AuHl.),  1879. 
f  EcKERTz  G.  Die  Revolution  in  der  Stadt  Köln  im  .Jahre  15i3,  in  den  Annalen  des 

historischen  Vereins  für  den  Niederrhein.  Heft  26  und  27,  197-267.  Köln,  1874. 
Egli  E.  Actensanimlungzur  Geschichte  der  Züricher  Reformation  in  den  Jahren 

1519  bis  1533.  Zürich,  1880. 
7  Ejisf.r  H.  An  den  Stier  zu  Wiettenberg.  ohne  Ort  und  Jahr. 

—  Auff  des  Stieres  tzu  Wiettenberg  wieitende  Replica.  Ohne  Ort  und  Jahr. 

—  Wider  d  is  unchristeuliche  Buch  Martini  Luters  Augustiners  an  den  Tewt- 
schen  Adel  aus-gan;;en.  An  gemeyn  Ilochlöbliche  Teutsche  Nation.  Gedruckt 
durch  ß.ic.  Mortinum  Herbipolensem,  1521. 

—  Das  man  der  heiligen  bilder  yn  den  kirchen  nit  abthon  noch  Unehren  soll, 
und  das  sie  yn  der  schriffl  nyndert  verbotten  seyn.  (Widmung  an  Herzog 
Georg  von  Sachsen,  geben  zu  Dresden,  Mittwoch  nach  Letare  1522.)  Ohne  Ort 
und  ,lahr. 

—  Aniwurll  auff  die  Warnung  oder  schandbuch  durch  ungereymte  reyinen,  on 
eyn  namen  aussgangeu.  Ohne  Ort  und  Jahr. 

—  Wyder  den  lalscb  genannten  Ecciesiasten  und  warhaffligen  Ertzketzer 
Martinum  Luther  Emser  getrawe  und  nawe  Vorwarnung  mit  bestendiger  Vor- 
legung aus  bewerter  und  canonischer  schriff't.  Dresden,  1524. 


XIV  TITRES    COMPLETS    DES    OUVRAf^ES    CONSULTÉS. 

—  Der  Bock  trith  frey  auf  disen  plan  —  hat  wyder  Ehren  nye  gethan,  Avie  sehr 
sie  yn  gesholdeii  han.  1525  ohne  Ort. 

Epistola'  obscurorum  virorum  cum  notis  illustrantibus  adversariisque  scriptis. 
Collefïit,  recensuit,  adnotavit  E.  Bocking,  in  Ulr.  Ilutteni  0pp.  Supplemen- 
tuni.  2  tom.  LipsicT,  1864,  1869. 

f  Erasmi  de  Roterodami  Opera  omnia  emendatiora  et  auctiora.  10  tom.Lugduiii 
Balavoruni,  1702-1706. 

Erbram  h.  W.  Geschichte  der  protestantischen  Seelen  im  Zeitalter  der  Refor- 
mation. Hamburii;  und  Gotha,  1848. 

f  EvFRS  G.  Martin  Luther.  Lebens,  und  Charakterbild,  von  ihm  selbst  gezeichnet 
in  seinen  eigenen  Schriften  und  Correspondenzen.  Heft.  1-7  Mainz,  1883-1885. 

Felgkre  G.  Erasme.  Étude  sur  sa  vie  et  ses  ouvrages.  Paris,  1874. 

Flersheimer  Chronik,  zur  Geschichte  des  15.  und  16.  Jahrhunderts,  herausge- 
gel)en  von  0.  Waltz.  Leipzig,  1874. 

Forschungen  zur  deutschen  Geschichte.  Herausgegeben  von  der  historischen 
Commission  bei  der  königl.  bayerischen  Académie  der  Wissenschaften.  Bd.  1-21 . 
Göttingen,  1862-1881. 

FönsTEM.^N-V  C.  E.  .\eues  Urkundenbuch  zur  Geschichte  der  evangelischen  Kir- 
chen Reformation.  Erster  (einziger^  Band.  Hamburg,  1842. 

f  Fontes  rerum  .Vusiriacarum.  Erste  Abtheilung  :  Scrifrtores.  Bd.  I,  herausge- 
geben von  Th.  G.  von  Karajan.  Wien,  1855. 

f  Francfurts  Reichscorrespondenz  nebst  verwandten  Aclenstücken  von  1376- 
1519,  herausgegeben  von  .L  .lansstn.  Bd  2.  Freyburg,  1873,  i876. 

Freitag  G.  Bilder  aus  der  deutscheu  Vergangenheit.  Bd.  2.  .Vbth  2.  Aus  dem 
Jahrhundert  der  Reformation.  Leipzig,  1867. 

f  Friedrich  J.  Astrologie  und  Reformation,  oder  die  Astrologen  als  Prediger  der 
Reformation  und  Urheber  des  Bauernkrieges.  München,  1864. 

—  Der  Reichstag  zu  Worms  im  Jahre  1521,  nach  den  Briefen  des  päpstlichen  Nun- 
tius Hieronymus  .\leander,  in  den  Abhandlungen  der  historischen  Classe  der 
k.  bayer.  Académie  der  Wissenschaften,  II,  57-146.  München,  I870. 

f  Fries  L.  Die  Geschichte  des  Bauernkriegs  in  Osifranken,  herausgegeben  von 
A.  Schaffler  und  Th.  llenner.  Lief.  1  und  2.  Würzburg,  1876-1877. 

Geiger  L.  Nikolaus  Ellenbog,  ein  Humanist  und  Theologe  des  16.  Jahrhunderts. 
Nach  handschriftlichen  Quellen.  Wien,  1870. 

—  Johann  Reuchlin.  Sein  Leben  und  seine  Werke.  Leipzig,  1871. 

—  Neue  Schriften  zur  Geschichte  des  Humanismus,  in  v.  Sybel'shistor.  Zeitschrift 
Jahrgang  17,  49-125.  München,  1875. 

f  GEISSEL  J.  v.  Der  Kaiserdom  zu  Speyer.  2.  Aufl.  Cöln,  1876. 

Ge:meiner  K.   Th.   Chronik  der   Stadt   und   des   llochstiftes   Regensburg.  4  Thle. 

Regensl)Uig,  1816-1824. 
t  Gindely  A.  Geschichte  der  ])öhmischen  Brüder.  Ester  Band.  Prag,  1857. 
Gieseler  J.  C.  L.  Lehrbuch  der  Kirchengeschichte.  Bd.  3.  Abth.  1.  Bonn,  1840. 
f  Glos  und  Comment   uff  LXXX  Articklen  und  Keizeryeu  der  Luterischeii  und 

ander  Secten  und  Stürmer.  Strassburg  (Joh.  Grieningen,  1524. 
Graetz  H.  Geschichte  der  Juden  von  den  ältesten  Zeiten  bis  auf  die  Gegenwart. 

Bd.  9.  Leipzig,  1866. 
Greife.  Tagebuch  des  Hans  Lutz  aus  Augsburg  (vergl.  Baumann.  Quellen,  613-638). 

Ein  Beitrag  zur  Geschichte  des  Bauernkriegs,  in  dem  Jahresbericht  des  histor. 

Kreisvereins  für  Schwaben  und  .\euburg,  für  die  Jahre  1847  und  1848,  S.  47-70. 

Augsburg,  1849. 
Greife  E.  Tagebuch  des  Lucas  Rem  aus  den  Jahren  1494-1541,  ein  Beitrag  zur 

Handelsgeschichte  der  Stadt  ,\ugsburg.  Augsburg.  1861, 
f  Greuter  J.  Die  Ursachen  und  die  Entwicklung  des  Bauernauf:>tandes  im  Jahre 

1525,  mit  vorzüglicher  Rücksicht  auf  Tyrol,  im  Programm  des  k.  k.   Staals- 

Gymnasiums  zu  Innsbruck.  1856. 
f  Gro.ne  V.  Telzel  und  Luther,  oder  Lebensgeschichte  und  Rechtfertigung  des 

Ablasspredigers  und  Inquisitors  J.  Tetzel.  Soest  und  Olpe,  1853. 
Haarer  P.  H.  Eigentliche  warhefflige  Beschreibung  des  Bauernkriegs,  im  Goebel's 

Beiträgen  zur  Staatsgeschichte  von  Europa.  Lemgo,  1767. 


TITRES  COMPLETS  DES  OUVRAGES  CONSULTES.      XV 

II\nEnr.iN  F.  I).  Die  alljf.  Welthistorie.  Neue  Historie.  Bel  »  ii.  in.  Halle.  1771-1772. 
IU<;i:n  c.  Iieutsrhe  Geschichte  seit  Rudolf  von  llabsburf;.  r;d.  2.  Francfiirl.  1857. 

—  Deutschlands  lilterarisilie  und  relijjiöse  Verhältnisse  im  Reforniationszei- 
lalter.  .'5  Bde.  2  Ausf;    Francfurt.  18GS. 

lIvccENMür.i.Fu  .1.  (ieschichte  der  Stadt  und  f;efürsteten  Graffschaft  Kempten 
2  Bde.  Kempten,  1840-1817. 

—  Flamburjjische  Chroniken,  herausgegeben  von  .1.  M.  Lappenberg.  Hamburg, 
1852-1861. 

lluiTFiLDEn,  Zur  Geschichte  des  Bauernkriegs  in  Südwest-Deutschland.  Stutt- 
jjard,  1884. 

—  Strassburg  wahrend  des  Bauernkriegs  1.52.5,  in  den  Forschungen  zur  deutschen 
Geschichte,  Will,  p.  221-285.  Göttingen,  1883. 

Hase  O.  Die  Koburger.  Buchhändlerfainilie  in  Nürnberg.  Leipzig,  1869. 

Hegel  C.  Zur  Geschichte  und  Beurtheilung  des  deutchen  Bauernkriegs,  in  Droy- 
sen's  Allgemeiner  .Monatsschrift  für  Wissenshaft  und  Literatur,  Jahrgang  1852. 
S.  564  bis  576,  65.V674.  Halle  und  Braunschweig,  1852. 

IIellek.F.  Reformationsgeschichte  des  ehemaligen  Bisthums  Bamberg.  Erstes  bis 
drittes  Heft.  Bamberg,  1825. 

f  Hennés  J.  H.  Albrecht  von  Brandenburg,  Erzbischof  von  Mainz  und  von  Mag- 
deburg. Mainz,  1858. 

—  Martin  Luther's  Aufenthalt  in  Worms,  16  bis  26  april  1521.  Mainz,  1868. 
Hekolt   .J.   Chronica,  Zeit-und  .lahrbuch  von    der   Statt    Hall,  herausgeg,  von 

F.  H.  Shönhuth.  Schwäbisch-IIall,  1855. 

[Hess  .1.    Erasmus  von  Rotterdam.  Nach  seinem  Leben  und  Schriften.  2  Bde. 

Zürich,  1790. 

llEüM.vNN  .].  Documenta  litteraria.  Altorfii,  1758. 

7  HiPLER  Fr.  Nikolaus  Kopernikus  und  Martin  Luther.  Nach  erraländischen  .\rchi- 
valien.  Braunsbc  rg,  1868. 

I  llöFLEa  C.  Frankische  Studien,  im  Archiv  für  Kunde  oesterreichischer  Ge- 
schichtsquellen 8.  237-322.  Wien,  1852. 

—  Der  hochberühniten  Charitas  Plrkheimer,  Aebtissin  von  S.  Clara  zu  Nürnberg, 
Denkwürdigkeiten  aus  dem  Reformationszeitalter.  Bamberg,  1852. 

—  Betrachtungen  über  das  deutsche  Stadtewesen  im  fünfehnten  und  sechszehn- 
ten .lahrhundert,  im  Archiv  für  Kunde  österreichischer  Geschichtsquellen,  ll. 
179-224.  Wien,  1853. 

—  Geschichtschreiber  der  husitischen  Bewegung  in  Böhmen  (Fontes  rer.  .\usir 
Scriplt  2.  6.  7.).  3  Thie.  Wien,  1856-1866. 

—  Wahl  und  Thronbesteigung  des  letzten  deutschen  Papstes,  Adrian's  VI  1522. 
Wien,  1872. 

HÖFLEP.  C.  V.  Der  deutsche  Kaiser  und  der  letzte  deutsche  Papst,  Carl  V  und 
Adrian  VI.  Wien,  1876. 

—  Papst  Adrian  VI  1522-1523.  Wien,  1880. 

HoFxvwiTz  A.  Zur  Biographie  und  Correspondenz  .1.  Reuchlin's.  Wien,  1877. 

Hor.rLEDEn  Fr.  Handlungen  und  Ausschreiben  etc.  von  den  Ursachen  des  deut- 
schen Krieges  Kaiser  Carls  des  Fünften  wider  die  Schnialkaldischen  Bundes- 
verwandteii.  Gotha,  1645, 

.lÄGER  c.  Geschichte  der  Stadt  Heilbronn  und  ihres  ehemaligen  Gebietes.  Bd  2. 
lleilbronu,  1828. 

JÄGER  C.  F.  Andreas  Bodenstein  von  Carlstadt.  Stuttgart,  1856. 

J.\NSE>  K.  Aleander  am  Reichstage  zu  Worms,  1521.  Auf  Grundlage  des  berich- 
tigten Friedrich'schen  Textes  seiner  Briefe.  Kiel,  1883. 

t  [Jarcke  E.  V.]  Studien  und  Skizzen  zur  Geschichte  der  Reformation  aus  dem 
politischen  und  socialen  Gesichtspunkte.  Schaffhausen,  1846. 

7  JÖRG  J.  E.  Deutschland  in  der  Revolutionsperiode  von  1522-1526  aus  den  diplo- 
matischen Correspondenzen  und  Originalacten  bayerischer  .\rchive  darges- 
tellt. Freiburg,  1851. 

Jürgens  C.  Luther's  Leben.  Erste  Abth.  Luther  von  seiner  Geburt  bis  zum  Ablass- 
streite. 3  Bde.  Leipzig,  1846-1847. 

Kahms  K.  F.  A.  Die  deutsche  Reformation.  Erster  Band.  Leipzig,  1872. 


XVl  TITRES    COMPLETS    DES    OUVRAGES    CONSULTES. 

7  Kampschllte  F.  \V.  Die  Iniversitat  Erfurt  in  ihrem  Verhältniss  zu  dem  Huma- 
nismus und  der  Reformation.  Aus  den  Quellen  dargestellt.  2  Theile.  Trier, 
1858-1860. 

K.vpp  J.  E.  Sammlung  einiger  zum  papstlichen  Ablass  überhaupt,  sonderlich 
aber  zu  der  im  Anfang  der  Reformation  zwischen  D.  Martin  Luther  und  Johann 
Tetzel  hiervon  geführten  Streitigkeit  gehöriger  Schrifften.  Leipzig,  1521. 

Kapp.J.  E.  Kleine  .Nachlese  einiger,  grösstentbeils  noch  ungedruckter  und  son- 
derlich zur  Erläuterung  der  Reformationsgeschichte  nützlicher  Urkunden. 
4  Theile.  Leipzig,  1727-173.3. 

Keil  F.  S.  Des  seligen  Zeugen  Gottes  Martin  Luthers  merkwürdige  Lebensum- 
stände bei  seiner  medicinalischen  Leibesconstitutiou,  etc.  4  Theile.  Leipzig, 
1764. 

7  Kerker  !\I.  Erasmus  und  sein  theologischer  Standpunkt,  in  der  Tübinger  Theo- 
logischen Quartalschrift  41,  531-566.  Tübingen,  1859. 

Kessler,?.  Sabbata.  chronick  der  Jahre  1523-1539,  herausgegeben  von  E.  Goe- 
tzinger.  Bd.  1.  Sl.  Gallen,  1866. 

KETTENB.iCH  IL  Ein  new  Apologia  und  Verantwortung  Martini  Luthers  wyder  der 
Papisten  Mortgeschrey,  die  zehen  Klagen  wyder  in  ussblasieniren  so  wyt  die 
Christenheyt  ist,  dann  sy  toben  und  wüttendt  recht  wie  die  unsinnige  Hundt 
thondt.  1523. 

Kirchhoff  A.  Beilrage  zur  Geschichte  des  deutschen  Buchhandels.  2.  Bändchen. 
Leipzig,  1851,  1853. 

Kllpfel  K.  Urkunden  zur  Geschichte  des  schwäbischen  Bundes.  2  Bde.,  in  der  Bi- 
bliothek des  literarischen  Vereins  in  Stuttgart,  Bd.  14  und  15.  Stuttgart,  1846. 

Köhler  K.  F.  Luther's  Reisen  und  ihre  Bedeutung  für  das  Werk  der  Reformation. 
Eisenach   18731. 

KoLDE  Th.  Die  deutsche  Augustiner-Congregation  und  Johann  von  Staupitz. 
Eil!  Beitrag  zur  Ordens-und  Reformationsgeschichte  nach  meistens  unge- 
druckten Quellen.  Gotha,  1879. 

Kolde  Th.  Friedrich  der  Weise  und  die  Anfänge  der  Reformation.  Mit  archiva- 
lischen  Beilagen.  Erlangen,  1881. 

Analecta  Lutherana.  Briefe  uud  Actenslücke  zur  Geschichte  Luther's.  Gotha,  1883. 

f  KöMGSTEiN  W.  Tagebuch  über  die  Vorgänge  am  Liebfrauenslift  und  die  Ereig- 
nisse der  Reichsstadt  Frankfurt  am  Main  in  den  Jahren  1520-1548,  herausge- 
geben von  E.  G.  Steitz.  Francfurt,  1876. 

KösTLiN  J.  Ges'hichtliche  Untersuchungen  über  Luther's  Leben  vor  dem  .\blass- 
streit,  in  den  theologischen  Studien  und  Kritiken  44s  7-54.  Gotha,  1871. 

—  Martin  Luther.  Sein  Leben  und  seine  Schriften.  Bd.  l.  Elberfeld,  1875. 
Krafft  K.  und  W.  Briefe  und  Documente  aus  der  Zeit  der  Reformation  im  16, 

Jahrhundert,  nebst  Mittheilungen   über  Kölnische  Gelehrte  und  Studien  in 

13.  und  16.  Jahrhundert.  Elberfeld  (1875). 
7  Krauss  Fr.  .\.  Beiträge  zur  Geschichte  des  deutschen  Bauernkrieges  1525,  in  den 

Annalen  des  Vereins  für  Nassauische  Alter thumskunde  und  Geschichtsforschung. 

Bd.  12.  {Separatabdruck. I  Wiesbaden,  1873. 
Krause  C.  Ilelius  Eobanus  llessus,  sein  Leben  und  seine  Werke.  Ein  Beitrag  zur 

Cultur-und  Gelehrtengeschichte  des  sechszehnten  Jahrhunderts.  2  Bde.  Gotha, 

1879. 
Krause.   Die   Briefwechsel   des    Mutianus    Rufus,    Zeitschrift    des    Vereins  für 

hessische  Geschichte  und  Landeskunde,  neue  Folge,  I.\,  Supplement.  Kassel, 

1885. 
Kriegk  G.  L.  Frankfurter  Bürgerzwiste  und  Zustände  im  Mittelalter.  Beitrag  zur 

Geschichte  des  deutschen  Bürgerthums.  Francfurt  am  Main.  1862. 
Krcmmel  L.  Joh.  Drändorf,  ein  .Märtyrer  des  Ilusitenthums  in  Deutschland,  in 

den  Theologischen  Studien  und  Kritiken  42',  130-144.  Gotha,  1869. 
7  Laemmer  H.  Monumenta  Vaticana  historiam  ecclesiasticam  sa'culi  XVI  illus- 

trantia.  Fribiirgi  Brisg.,  1861. 

—  Meletematum  Roinanorum  Mantissa.  Ratisbonse,  1875. 

Lanz  K.  Correspondenz  des  Kaisers  Carls  V  aus  dem  k.  Archiv  und  der  Biblio- 
thèque de  Bourgogne  zu  Brüssel.  3  Bde.  Leipzig,  1844-1846. 


TITRES    COMPLETS    DES    OUVRAGES    CONSULTES.  XVII 

—  ActensUicke  und  Briefe  /ur  Gescliiclite  Kaiser  Carl's  V.  Bd.  1.  Einleitung  zu 
Bd   1.  Wien,  1853,  18:j7. 

LAUTErvDAO»    A.  Tagehuch    auf  das  Jalir  1538;   die  llanptqueile   der  Tishreden 

Luther's,  iierausgejjeben  von  .1.  K.  Seidemann.  I)resdt;n,  1872. 
Leculer  G.Joli.  von  VViciifunddie  Vorjjescliiclile  der  Uefornialion.  2  Bde  Leipzig, 

1873. 
Le  Clay.  Néîçnciations  diplomatiques  entre  la  France  et  l'Autriche  durant  les 

trente  premières  années  du  XVI«  siècle.  2  vol.  Paris,  1845. 
f  Leib  Kii,.  Annales  von  1.002-1523  in  v.  Aretin's  Beiträjjen  zur  Geschichte  und 

Literatur.  Bd.  7,  und  9.  Miinrhen,  1803-1806. 
Leodids  Th.  llul).  Annales  de  vita  et  rebus  ßestis  Friderici  II.  electoris  Palatini 

libri  14.  Krancofurti,  1(>24. 

—  De  geslis  Krancisci  a  .Sickingen,  bei  Freher,  Rer.  Germ.  Script.,  3,  298-30G. 
Argentorati,  1707. 

t  Liessem  II.  ,1.   De  Hermann i  Buschii   vita  et  scriptis  commentatio  historica. 

Bonna%  1866. 
LiLic^cnoN  H.  v.   Die  historischen  Volkslieder  der  Deutschen  vom  13.  bis  16. 

Jahrhundert,  gesammelt  und  erläutert.  Bd.  3.  Leipzig,  18G7. 
LiPOvvsKi.  Argula  von  Grnmbach.  München,  1801. 
Lisch.  G.  C.  F.  (icschichte  der  Buchdruckerkunst  in  Mecklenburg  bis  zum  Jahre 

1840,  in  den  Jahrb.  des  Vereins  für  mecklenburgische  Geschichte  und  Alter- 

thumskunde  4-280.  Schwerin,  1839. 
LÖSCHER  V.  E.  Vollständige   Reformationsacta  und  Documenta.  3  Bde.  Leipzig, 

1720-1729. 
f  Lucubrationes  theologicae.  Romac,  1528. 

LuMG  J.  Ch.  Deutsches  Reichsarchiv  24  Bde.  Leipzi;;,  1713-1722. 
Luther  K.  Geschichtliche  Notizen  über  Martin  Luther's  Vorfahren.  Wittenberg, 

1867. 
Luther  M.  .Sämmtliche  Werke.  67  Bde.,  herausgegeben  von   .).  G.  Plochmann 

und  J.  A.  Irmischer.  Erlangen,   1826-1868.  Zweite  Aufl.,  herausgegeben  von 

E.  K.  Enders.  i;d.  1-15.  Frankfurt,  1862-1870. 
LuTHERi  M.  Opera  latina  varii  argumenti  ad  reformationis  historiam  imprimis 

pertinentia  cur.  11   Schmidt,  vol.  1-5.  Francofurti,  1865-1868. 
Luthers  M.  Briefe,  Sendschreiben  und  Bedenken,  vollständig  gesammelt  von 

W.  L.  M.  de  Wette.  5  Theile.  Berlin,  1825-1828.  Sechster  Theil,  herausgegeben 

von..!.  K.  Seideinann.  Berlin,  1856. 
Mathesius  J.  Historien  von  des  ehrwirdigen  in  Gott  seligen  theuren  Mannes 

Gottes  Doctoris  Martini  Lutheri  Anfang,  Lere,  Leben  und  Sterben.  Nürnberg, 

1570. 
Maurencrecherw,  Geschichte  der  kathol.  Reformation.  Erster  band.Nördlingen, 

1880. 

—  Studien  und   Skizzen  zur  Gesch.  der   Reformationszeit.  Leipzig,  1874. 

May  J.  Der  Kurfürst,  Cardinal  und  Erzbischof  Albrecht  II  von  Mainz  und  Magde- 
burg und  seine  Zeit.  Ein  Beitrag  zur  deutschen  Cultur-und  Reformationsge- 
schichte. 2  Bde.  München,  1865-1875. 

Meiners  C.  Lebensbeschreibungen  berühmter  Männer  aus  den  Zeiten  der  Wie- 
derherstellung der  Wissenshaften.  3  Bde.  Zürich,  179'<-l797. 

Menzel  K.  A.  Neuere  Geschichte  der  Deutschen  seit  der  Reformation.  2  Aufl. 
Bd.  1.  Breslau,  1854. 

t  MoNE  F.  J.  Zeitschrift  für  die  Geschichte  des  Oberrheins.  21  Bde.  Karlsruhe,  1850 
bis  1868. 

—  Quellensammlung  der  badischen  Landesgeschichte.  Bd.  2.  Karlsruhe,  1854. 
Muck  G.  Geschichte  vom  Kloster  Heilsbronn  von  der  Urzeit  bis  zur  Neuzeit.  Bd. 

1  und  2.  Nördlingen,  1879. 

Mühlhauser  Chronik  aus  den  Jahren  1523-1526,  herausgegeben  von  F.  A.  Holzhau- 
sen in  A.  Schmidt's  Zeitschrift  für  Geschichtswissenshaft  4, 365-394,  Berlin,  1845 

MuLLEuA.  Leben  des  Erasmus  von  Rotterdam.  Hamburg,  1828. 

MuNzER  Th.  Von  dem  getichten  Glauben  auf  nächst  Protestation  aussgangen. 
1524.  Ohne  Ort. 


XVllI         TITRES    COMPLETS    DES    OUVRAGES    CONSULTÉS. 

—  Auslegung  des  andern  Untershyds  Danielis  des  Propheten,  gepredigt  auffm 
Schloss  zu  Alstet  vor  den  teligen  thewren  Herzcogen  und  Vorstehern  zu 
Sachsen.  Allstedt,  1524. 

—  Mit  dem  Hammer.  Aussgetrückte  Emplössungdes  falschen  Glaubens  der  unge- 
trewen  Welt  durchs  Gezeugnus  des  Evangelions  Luce,  vorgetragen  der  elen- 
den erbemlichen  Christenheyt.  Mühlhausen,  1524. 

—  Proteslalion  oder  Erbiettung  seine  Lehre  betreffende,  und  Izum  Anfang  von 
dem  rechten  Christenglauben  und  der  Tawffe,  1524.  Ohne  Ort. 

—  Bekenntnus,  gescheen  in  derguthe  Dienstajjs  nach  Cantate,  1525.  Ohne  Ort. 
f  M unNERTh.  An  den  grossmechtigsten  und  durch luchtigsten  Adel  lütscher  Nation, 

das  sye  den  christlichen  Glauben  beschirmen  wider  den  Zerstörer  des  Glau- 
bens Christi  Marlinum  Luther, einen  Verlierer  der  einfeltigen  Christen.  Strass- 
burg,  gedruckt  von  Johann.  Grieninger,  1520. 

—  Gedicht  vom  grossen  Lutherischen  Narren,  herausgegeben  von  IL  Kurz. 
Zürich,  1848. 

MuTHER  rh.  Aus  dem  Universiläts-und  Gelehrtenleben  im  Zeitalter  der  Refor- 
mation. Erlangen  1866. 

—  Zur  Geschichte  der  Rechtswissenschaft  und  der  Universitäten  in  Deutschland. 
Jena,  1876. 

Neudecker  eh.  G.  Voy.  Ratzeberger. 

Neue  und  vollständigere  Sammlung  der  Reichsabschiede  (von  IL  Chr.  von 
Senckenbergi.  Bd.  2.  Frankfurt,  1747. 

f  NÈVE  F.  Recherches  sur  le  séjour  et  les  études  d'Érasme  en  Brabant.  Louvain, 
1876. 

\  NouDHOFF.  J.  B.  Denkwürdigkeiten  aus  dem  Münsterchen  Humanismus.  Müns- 
ter, 1874. 

Notizenblatt.  Beilage  zum  Archiv  für  Kunde  österreichischer  Geschichsquellen. 
9  Bde.  Wien,  1851-1860. 

OEcHSLE  F.  F.  Beiträge  zur  Geschichte  des  Bauernkriegs  in  den  schwäbisch- 
fränkischen Grenzlanden.  Aus  meistens  archivalischen  Quellen,  lieilbronn, 
1830. 

■J-  Otto  C.  Johannes  Cochläus  der  Humanist.  Breslau,  1874. 

—  Bemerkungen  zu  dem  Frankfurter  Bürgeraufstande  vom  Jahre  1525,  in  den 
Hislor.  polit.  Bl.  74,  326-332.  München,  1874. 

Pastor  L.  Die  kirchlichen  Reunionsbeslrebungen  während  der  Regierung 
Karl's  V.  Aus  den  Quellen  dargestellt.  Freiburg,  1879. 

Paulsen  f.  Geschichte  des  gelehrten  Unterrichts  auf  den  deutschen  Schulen 
und  Universitären  vom  Ausgang  des  Mittelalters  bis  zur  Gegenwart.  Mit  be- 
sonderer Rücksicht  auf  den  classischen  Unterricht.  Leipzig,  1885. 

Pawlikowski  C.  c.  v.  Hundert  Bogen  aus  mehr  als  fünfhundert  alten  und  neuen 
Büchern  über  die  Juden  neben  den  Christen.  Freiburg,  1859. 

Peschek  Ch.  A.  Kirchengeschichtliche  Miscellen,  in  Niedner's  Zeitschrift  für  die 
historische  Theologie,  15,  153-164.  Leipzig,  1845. 

Plitt  G.  L.  Desiderius  Erasmus  in  seiner  Stellung  zur  Reformation,  in  der  Zeit- 
schrift für  die  gesammte  lutherische  Theologie  27,  479-514.  Leipzig,  1866. 

iRanke  L.  Deutsche  Geschichte  im  Zeitalter  der  Reformation.  Bd  1,  und  2.  Berlin, 
1842. 

äatzebergerM.  Handschriftliche  Geschichte  über  Luther  und  seine  Zeit,  heraus- 
gegeben von  Ch.  G.  Neudecker.  Jena,  1850. 

f  Raynalui  0.  Annales  ecclesiastici.  Tom.  12  (1513-1536).  Lucge,  1755. 

Reriling  f.  X.  Geschichte  der  Bischöfe  von  Speyer.  Bd.  1.  Mainz,  1854. 

Relchlin's  J.  Briefwechsel,  gesammelt  und  herausgegeben  von.  L.  Geiger,  in 
der  Bibliothek  des  literarischen  Vereins  in  Stuttgart,  Bd.  126.  Tübingen, 
1875. 

.RiEDERER.  Nachrichten  zur  Kirchen-Gelehrten-und  Bücher-Geschichte,  4  Bde. 
Altdorf,  1764-1768. 

f  Riffel  C  Christliche  Kirchengeschichte  der  neuesten  Zeit  seit  dem  Anfange 
der  grossen  Glaubens-und  Kirchenspaltung.  Bd.  1,  AuH.  2.  und  Bd.  2.  Mainz, 
1842,  1844. 


TITRES    COMPLETS    DES    OUVRAGES    CONSULTÉS.  XIX 

RiGGE.NBACH  B-  lohanii  Eberlin  von  Günzbunrff  und  sein  Reformproj5ramm.  Ein 
Beitrufî  zur  Gesciiichte  des  sechszelmten  Jahrhunderts.  Tübingen,  1874. 

ROESLER  I!.  Die  Kaiserswahl  Cari's  V.  Wien,  1808. 

RoHLi.NG  E.  Die  Reichstadt  Memmingen  in  der  Zeit  der  evanf;elischen  Volksbe- 
wegung  München,  1864. 

f  RüHRBACHiRs.  Uui  versalgeschich  te  der  katholischen  Kirche,  in  deutscher  Bear- 
beitung von  F.  X.  Schulte.  Bd.  2i.  Münster,  1873." 

RoMMEL  Ch.  V.  Philipp  der  Grossniüthige,  Landgraf  von  Hessen.  2  Bde  und  ein 
Urkundenband.  Giessen,  1830. 

Roth  F.  Die  Einführung  der  Reformation  in  Nürnberg  1517-1528.  Nach  den 
Quellen  darijestellt.  Würzburg,  1865. 

Sattler  E.  F.  Geschichte  des  Herzogthums  Wurtemberg  unter  der  Regierung 
der  Herzoge.  Ih.  1.  und.  2.  Ulm,  1769. 

Schade  0.  Satiren  und  Pasquille  aus  der  Reformationszeit.  3  Bde.  Hannover, 
1856-1858. 

Scheurl  Chr.  Briefbucb,  ein  Beitrag  zur  Geschichte  der  Reformation  und  ihrer 
Zeit,  herausgegeben  von  F.  von  Soden  und  J.  K.  F.  Knaacke.  2  Bde.  Potsdam, 
1867-1872. 

Schmidt  Ch.  Notice  sur  Sébastien  Brant,  in  der  Revue  d'Alsace,  nouvelle  série, 
tom.  3.  rolinar,  1874. 

f  Schreckenstein,  K.  H.  Roth  von  Geschichte  der  ehemaligen  freien  Reichsrit- 
terschafl.  Hd.  2.  Tübingen,  1862. 

Schreiber  H.  Der  Bundschuh  zu  Lehen  im  Breisgau  und  der  arme  Konrad  zu 
Bühl;  zwei  Vorboten  des  deutschen  Bauernkriegs.  Freiburg  im  Breisgau,  1824. 

Geschichte  der  Albert-Ludwigs-Universität  zu  Freiburg  im  Breisgau.  3  Theile. 
Freiburg,  1857-1860. 

—  Der  deutsche  Bauernkrieg.  Gleichzeitige  Urkunden,  mit  Einleitungen.  Jahr 
1524  und  1525.  3  Theile.  Freiburg,  1863,  1864,  1866. 

Schüchardt  Chr.  Lucas  Cranach  des  Aelteren  Leben  und  Werke.  2  Bde.  Leipzig, 

1851. 
SouuNK  J.  P.  Beiträge  zur  Mainzer  Geschichte  mit  Urkunden.  3  Bde.  Mainz,  1788- 

1790. 
Schwertzell  G.  Helius  Eobanus  Hessus.  Halle.  1874. 
Seckendorf  V.  L.  a.  Commentarius  historiens  et  apologeticus  de  Luthéranisme 

sive  de  reformatione  religionis  duclu  M.  Lutheri  stabilita.  Francofurti,  1692. 
Seidemann  J.  K.  Thomas  Münzer,  nach  den  in  Dresdener  Archiv  vorhandenen 

Quellen    Dresden  und  Leipzig,  1342. 

—  Die  Leipziger  Disputation  im  Jahr  1519.  Dresden  und  Leipzig,  1843. 

—  Erlaüierungen  zur  Reforraationsgeschichte  durch  bisher  unbekannte  Urkun- 
den. Dresden,  1844. 

—  Luthers  Grundbesitz,  in  Niedner's  Zeitschrift  für  die  historische  Theologie, 
30,  475-570.  Gothe,  1860. 

—  Beiträge  zur  Geschichte  des  Bauernkriegs  in  Thüringen,  in  den  Forschungen 
zur  deutschen  Geschichte.  Bd.  11,375-399  und  14,513-548.  Göttingen,  1871-1874. 

t  SiNNACHER  F.  A.  Beiträge  zur  Geschichte  der  bischiiflischen  Kirche  Sähen  und 

Brixen  in  Tyrol.  Bd.  7,  8.  Brixen,  1830-1832. 
Spalatin  G.  Historischer  Nachlass  und  Briefe.  Erster  Band  :  Das  Leben  und  die 

Zeitgeschichte  Friedrichs  des  Weisen,  herausgegeben  von  J.  G.  Neudecker  und 

L.  Preller.  lena,  1851. 
t  Spiegel,  ein.  der  Evangelischen  Freyheit,  wie  die  Christus  wahrhafftiglichen 

gelert  und  Martin  Luther  ietz  in  unsern  Zeiten  dieselbigen  unnützlich  für- 
geben hat.  D.  J.  K.  .Strassburg  (Joh.  Grieninger),  1524. 
Stalin  Ch.  F.  v.  Wirtembergische  Geschichte.  Bd.  4.  Stuttgart,  1873. 
Steitz  G.  E.  Die  Melanchthons-und  Luther-Herbergen  zu  Frankfurt  am  .Main 

(mit  archivalischen  Beilagen)  im  Neujahrsblatt  des  Vereins  für  Geschichte  und 

Alterthumskunde  für  1861.  Franckfurt,  1861. 

—  Gerhard  VVesterburg,  der  Leiter  des  Bürgeraufstandes  zu  Fraiicfiirt  am  Main, 
im  Jahre  1525,  im  Archiv  für  Frankfurts  Geschichte  und  Kunst.  Neue  Folge  5, 
1-215.  Frankfurt.  1872. 


XX  TITRES    COMPF-ETS    DES    OUVRAGES    CONSULTÉS. 

—  Der  Humanist  Wilhelm  Nesen,  im  Archiv  für  Francfurts  Geschichte  und 
Kunst.  Neue  Foljje  6,  36-160.  Francfurt,  1877. 

Stern  A.  Ueber  die  zwölf  Artikel  der  Bauern  und  einige  andere  Aktenstücke  aus 
der  Uewegung  von  1525.  Leipziy,  1868. 

—  Regesten  zur  Geschichte  des  Bauernkriegs,  vorniimlich  in  der  Pfalz,  in  der 
Zeitschrift  für  die  Geschichte  des  Oberrheins,  23,  179-201.  Karlsruhe,  187j. 

Stichart  F.  0.  Erasmus  von  Rotterdam.  Seine  Stellung  zu  der  Kirche  und  zu 
den  kirchlichen  Bewegungen  seiner  Zeit.  Leipzig,  1870. 

Stintzing  R.  Ulrich  Zasius.  Ein  Beitrag  zur  Geschichte  der  Rechtswissenschaft 
im  Zeitalter  der  Reformation.  Basel,  1857. 

Stockmf.yer  .1.  uNn  Reber  B.  Beiträge  zur  Baseler  Buchdruckergeschichte.  Basel, 
1840. 

STöLzr.L  A.  Die  Entwicklung  des  gelehrten  Richterthums  in  deutschen  Territo- 
rien. 2  Bde.  Stuttgart,  1872. 

Stolle  K.  Thüringisch-Erfurter  Chronik,  herausgegeben  von  L.  F.  Hesse,  in  der 
Bibliothek  des  literarischen  Vereins  in  Stuttgart,  Bd.  32.  Stuttgart,  1854. 

Strauss  I».  F.  Ulrich  von  Hütten.  2  Bde.  Leipzig,  1858. 

—  Gespräche  von  Ulrich  von  Hütten  übersetzt  und  erläutert.  Leipzig,  1860. 
Strobel  G.  ïh.  Beiträge  zur  Litteratur,  iiesonders  des  sechszehnten  Jahrhun- 
derts. Bd.  1  und  2.  Nürnberg  und  Altdorf,  1784-1786. 

—  Leben,  Schriften  und  Lehren  Thomä  Münlzer's,  des  Urhebers  des  Bauernauf- 
ruhrs in  Tiiüringen.  Nürnberg  und  Altdorf,  1795. 

SuGEMiEiM  S.  Baierns  Kirchen-und  Volks-Zustände  im  sechzehnten  Jahrhundert. 
Nach  handschriftlichen  und  gedruckten  Quellen,  dessen,  1842. 

Tentzel  W.  E.  Supplementum  Historiae  Gothanae  primum  Conradi  Mutiani  Rnfi 
epistolas,  etc.,  compiectens.  Jena',  1701. 

Thausing  M.  Dürer's  Briefe,  Tageliücher  und  Reime.  Wien,  1872. 

THir.RscH  H.  W.  J.  Luther.  Biographische  Skizzen.  Nördlingen,  1869. 

Uhland  L.  Alte  hoch-und  niederdeutsche  Volkslieder.  Bd.  1  in  2  Abtheilungen. 
Stuttgart,  1844-1845. 

ÜHLHOUN  G.  Urbanus  Rhegius.  Leben  und  auserwählte  Schriften.  Elberfeld,  1861. 

Ullmann  C.  Reformatoren  vor  der  Reformation  vornehmlich  in  Deutschland  und 
den  Niederlanden.  2  Bde.  Hamburg,  1841,  1842. 

Ulmann  H  Franz  von  Sickingeu.  Nach  meistens  ungedruckten,  Quellen. 
Leipzig,  1872. 

f  Unrest  J.  OEsterreichische  Chronik  in  Hahn's  Collect.  Monument,  vet.  et  recen- 
tium,  1,  5H7-803.  Brunsvigse,  1724. 

Varrentüapp  C.  Hermann  von  Wied  und  sein  Reformationsversuch  in  Köln. 
Ein  Beitrag  zur  deutschen  Reformation.sgeschichte.  Leipzig,  1878. 

VEESENMEYru.  Nachrirht  von  Konrad  Köllin,  Leben  und  Schriften  aus  gedruck- 
ten und  ungedruckten  Quellen,  in  Slaudlin's  und  Tzschirner's  Kirchenbistor. 
Archiv  1,  471-501.  Halle,  18J8. 

ViRCK  H.  Politische  Correspondenz  der  Stadt  Slrassburg  im  Zeitalter  der  Refor- 
mation. Erster  Band,  1517-1530    Strassburg,  1882. 

ViscHER  W.  Geschichte  der  Universität  Basel  von  der  Gründung  1460  bis  zur 
Refoi  ination  Î529.  Basel,  1860. 

—  Erasmiana.  Programm  zur  Bectoratsfeier  der  Universität  Basel.  Basel,  1876. 
Vogt  M.Bayerns  Stimmung  und  Stellung  im  Bauernkrieg  von  1525,  im  Programm 

des  Lyceums  und  der  Sludienanslalt  zu  Regensburg   1877.  Stadtamhof,  1877. 

Voigt  G.  D.  Wiederbelebung  des  classischen  Alterthums  oder  das  erste  Jahrhun- 
dert des  Humanismus.  Berlin,  1859. 

Vorreiter  H.  Luthers  Ringen  mit  den  antichristlichen  Principien  der  Revolu- 
tion. Halle,  1860. 

Wagner  E.  Der  Bauernkrieg  auf  dem  Gebiete  der  freien  Reichstadt  Schwäbisch 
Gmünd,  in  den  Forschungen  zur  deutschen  Geschichte  14,228-248.  Göttingen, 
1874. 

Walch  J.  G.  Martin  Luther's  sämmtliche  Schriften,  24.  Bde.  Halle,  1*39-1750. 

Walchner  K.  und  Bodent  J.  Biographie  des  Truchsessen  Georg  III  von  Wald- 
pur r. Mit  Urkunden.  Constanz,  1832. 


TITRES    COMPLETS    DES    OUVRAGES    CONSULTES.  XXI 

Walpau  G.E.Nachrichten  von  Thomas  Murner's  Leben  und  Schriften.  Ein  kleiner 
Beilraß  zur  Refonnationsgeschichle.  Nürnberjj,  1775. 

Waloau  fi.  E.  Nachricht  von  Hieronymus  Einsers  leiten  und  Schriften.  Beitraj} 
zur  Heformations-und  Litterarfjeschichte.  Auspach,  1783. 

Waltz  O  Der  Wormser  Reichstag  im  Jahre  1521,  in  den  Forschungen  zur  deut- 
schen Geschichte  8,  21-44.  Götlinijen,  18G8. 

Wegf.le  Fr.  X.  Götz  von  Berlichingen  und  seine  Denkwürdigkeiten,  in  Müller's 
Zeitsclirifl  für  deutsche  Kulturgeschichte.  Neue  Folge,  Jahrg.  3,  129-166.  Han- 
nover, 1874. 

t  Wf.geler  J.  Richard  von  Oreiffenclau  zu  VoUraths,  Erzbischof  und  Kurfürst 
von  Trier  1511-1531.  Trier,  1881. 

Weller  E.  Repertorium  typoyraphicum.  Die  deutsche  Literatur  im  ersten  Viertel 
des  sechszehnten  Jahrhunderts.  Nördlingen,  1864.  Supplement.  Nördlingen, 
1874. 

t  Wiedemann  Th.  Johann  Eck,  Prof.  der  Theolojjie  an  der  Universität  Ingolstadt. 
Kegensburj},  1865. 

WiSKEiNiANN  11.  Darstellunjj  der  in  Deutschland  zur  Zeit  de  Reformation  herr- 
schenden nationalökonomischen  Ansichten.  Gekrönte  Preisschrift.  Leipzig, 
1861. 

WisKowATOFF  P.v.  Jacob  Wimpheling,  sein  Leben  und  seine  Schriften. Ein  Beitrag 
zur  Geschichte  der  deutschen  Humanisten    Berlin,  1867. 

Wolf  A.  Geschichtliche  Bilder  aus  OEsterreich.  Erster  Band,  aus  dem  Zeitalter 
der  Reformation.  Wien,  1878. 

WOLTMANN  H.  Holbein  und  seine  Zeit.  2  Bde.  Leipzig,  1866-1868. 

Wynecken  E.  f.  Die  Regimenisordnung  von  1521  in  ihrem  Zuzammenhang  mit 
dem  Churverein,  in  den  Forschungen  zur  deutschen  Geschichte  8,  568-628. 
Göttingen,  18G8, 

Zarncke  Fr.  Sebastian  Branfs  Narrenschiff.  Leipzig,  1854. 

•}■  Zasii  U.  Epistolae  ad  viros  a'tatis  suag  doctissimos,  edid.  J.  A.  Rieggerus. 
lllmae,  1774. 

f  Zimmerische  Chronik,  herausgegeben  von  K.  A.  Barack.  4  Bde  in  der  Biblio- 
thek des  literarischen  Vereins  in  Stuttgart,  Bd   91-94,  Tübingen,  1869. 

Zimmermann  W.  Allgemeine  Geschichte  des  grossen  Bauernkrieges,  nach  hand- 
schriftlichen und  gedruckten  Quellen.  Neue  .\usg.  2  Thie.  Stuttgart,  1854. 

ZöLLNERR.  Zur  Vorgeschichte  des  Bauernkriegs,  Programm  des  Vitzthumschen. 
Gymnasiums.  Dresden,  1872. 

ZuiNGLii  H.  Opera.  Compléta  editio  prima  cur.  M.  Schulero  et  J.  Schulthessio, 
8  vol.  (Vol.  7  Epistolae)  Turici,  1828-1842. 


LIVRE   PREMIER 


LE    PARTI   RÉVOLUTIONINAIRE    ET    SES    ACTES 
JUSQU'A    LA    DIETE    DE    WORMS    (1521) 


L'ALLEMAGNE  Au  TEMPS  DE  LA  REFORME 


L'ALLEMAGNE 

DEPUIS  LE  COMMENCEMENT  DE  LA  GUERRE  RELIGIEUSE  ET  POLITIQUE 
JUSQU'A  LA  FIN  DE  LA  RÉVOLUTION  SOCIALE 

(1525) 


LIVRE    PREMIER 

LE    PARTI   RÉVOLUTIONNAIRE    ET    SES    ACTES   JUSQU'A    LA    DIETE 

LE    WORMS 


CHAPITRE  PREMIER 

LE    NOUVEL     HUMANISME. 


I 


Le  nouvel  humanisme  allemand,  complélement  différent  de  l'an- 
cien dans  son  action  comme  dans  ses  principes,  fut  au  commence- 
ment du  seizième  siècle  l'agent  principal  de  la  grave  et  vaste  révo- 
lution qui  allait  s'accomplir  dans  le  monde  des  idées. 

Les  premiers  humanistes  avaient  compris  l'antiquité  classique  en 
restant  au  point  de  vue  de  la  vérité  absolue  du  Christianisme;  ils 
l'avaient  mise  au  service  de  la  foi.  Recherchant  avec  soin  dans  les 
auteurs  anciens  les  témoignages  religieux  qui  s'y  rencontrent,  échos 
d'une  révélation  primitive,  ils  s'étaient  en  même  temps  montrés 
les  adversaires  déclarés  des  idées  païennes  sur  le  monde  et  sur  la 
vie  morale. 

L'étude  de  l'antiquité  avait  été  pour  eux  un  champ  fécond  d'inves- 
tigation scientifique.  Ils  avaient  cru  cette  étude  indispensable  à  toute 
éducation  vraiment  forte,  la  tenant  pour  '  l'admirable  gymnastique  » 
u.  1 


2  COUP    D'OEIL    RETROSPECTIF   ;   L'ANCIEN    HUMANISME. 

OÙ  se  pouvait  former  rindépendance  de  l'esprit,  le  dou  de  concevoir 
nettement  la  vérité  et  de  l'exposer  avec  clarté. 

Selon  eux,  la  connaissance  approfondie  de  la  pensée  des  anciens 
devait  servir  à  «  Tintelligence  des  saintes  Écritures  et  renouveler 
l'étude  des  sciences  sacrées  ".  Voilà  dans  quel  esprit  Nicolas  de  Cusa 
et  son  élève  Rodolphe  Agricola  s'étaient  efforcés  de  faire  adopter  en 
Allemagne  les  auteurs  classiques;  pourquoi  Alexandre  Hégius  avait 
fait  des  humanités  le  point  central  de  l'instruction  de  la  jeunesse; 
c'est  dans  ce  but  que  Jacques  Wimpheling  avait  composé  son  grand 
ouvrage  pédagogique  qui  marque  une  date  considérable  dans  l'his- 
toire de  l'esprit  humain.  "  Ce  n'est  pas  l'élude  de  l'antiquité  clas- 
sique en  elle-même  ",  disait  ce  dernier,  «  qui  est  dangereuse  pour 
l'éducation  chrétienne,  c'est  la  manière  fausse  de  l'envisager,  c'est 
le  mauvais  usage  qu'on  en  peut  faire.  Sans  aucun  doute  elle  serait 
funeste,  si,  comme  il  arrive  fréquemment  en  Italie,  on  propageait 
par  les  classiques  une  manière  païenne  de  juger  et  de  penser,  et 
si  l'on  mettait  entre  les  mains  de  nos  étudiants  des  œuvres  littéraires 
qui  pouraient  mettre  en  péril,  dans  leurs  jeunes  esprits,  le  patrio- 
tisme ou  les  mœurs  chrétiennes'.  Mais  au  contraire,  l'antiquité  bien 
comprise  peut  rendre  à  la  morale  et  à  la  science  théologique  les  ser- 
vices les  plus  précieux.  Les  Pères  de  l'Église  n'ont-ils  pas  tiré  le  plus 
grand  profit  des  études  profanes?  ne  s'en  sont-ils  pas  aidés  pour 
l'explication  des  saintes  Écritures  et  ne  les  ont-ils  pas  constamment 
vantées  et  encouragées?  "  Saint  Grégoire  de  Nazianze  appelait  les 
adversaires  des  humanités  les  "  ennemis  de  toute  science  ^  «,  et  le  pape 
Grégoire  le  Grand  a  démontré  clairement  qu'elles  sont  une  utile 
préparation,  un  indispensable  secours  pour  l'intelligence  des  sciences 
sacrées. 

C'est  dans  le  même  esprit  que  les  théologiens  éminents  du  quin- 
zième siècle,  Heynlin  von  Stein,  Grégoire  Reisch,  Geiler  de  Kaisers- 
berg, Gabriel  Riel,  Jean  Trithème,  s'étaient  montrés  chauds  par- 
tisans, zélés  propagateurs  de  l'humanisme  chrétien. 

('  Nous  pouvons  en  toute  sécurité  ",  dit  Trithème,  "  recommander 
l'étude  des  anciens  à  tous  ceux  qui  ne  s'y  livrent  pas  dans  un  esprit 
frivole  ou  pour  le  simple  amusement  de  leur  esprit,  mais  pour  la 
sérieuse  formation  de  leur  intelligence,  et  pour  amasser,  grâce  à  elle, 
à  l'exemple  des  Pères  de  l'Église,  des  semences  précieuses,  propres 
à  servir  le  développement  des  sciences  chrétiennes.  Pour  nous,  nous 
regardons  cette  étude  comme  indispensable  au  théologien.  » 

'Wirapheling  jugeait  très-nettement  le  danger  que  pouvaient  faire  courir  à  la 
foi  et  aux  mœurs  les  humanistes  italiens.  Voy.  Wiskowatoff,  p.  67. 

*  Voy.  l'excellent  ouvrage  de  Daniel,  Des  études  classiques  dans  la  société  chré- 
tienne (Paris,  1853),  p.  35-40. 


L'ANCIEN    HUMANISME.  H 

Les  maitres  que  nous  venons  de  citer,  représentants  illustres  de 
l'école  scolastiquc  en  Allemagne,  étaient  ennemis  jurés  de  «  ces 
stériles  et  inutiles  arguties,  de  ces  subtiles  querelles  sur  des  mots  », 
qui,  à  partir  du  quatorzième  siècle,  avaient  abaissé  la  science,  et 
dominaient  encore  trop  fréquemment  à  1a  fin  du  quinzième  siècle 
dans  la  littérature  Ihéologique  et  dans  les  Universités.  Ils  faisaient 
également  tous  leurs  efforts  pour  faire  disparaître  des  écoles  le  latin 
barbare  alors  usité  dans  les  livres  de  théologie  comme  dans  les  leçons 
des  professeurs.  «  Ce  latin  »,  disait  Geiler,  ^-  est  rude  et  sans  préci- 
sion. C'est  un  misérable  amalgame,  qui  n'est  ni  latin  ni  allemand,  et 
pourtant  latin  et  allemand  tout  ensemble.  »  "  Des  discussions  arides 
sur  les  choses  les  plus  insignifiantes  » ,  demandait  Wimpheling,  «  sont- 
elles  donc  indispensables  à  celui  qui  veut  devenir  docteur  profane 
ou  professeur  orthodoxe  de  théologie?  Une  langue  contournée  et 
véritablement  rebutante  est-elle  de  rigueur?  Les  Pères  de  l'Église  et 
les  grands  théologiens  des  premiers  siècles  ont-ils  connu  nos  dis- 
putes? se  sont-ils  perdus  dans  nos  distinctions  subtiles?  ont-ils  cru 
nécessaire  d'employer  un  langage  barbare?  « 

Les  esprits  éminents  qui,  avec  un  zèle  si  louable,  avaient  entrepris 
au  quinzième  siècle  la  réforme  religieuse,  rattachaient  tous  leurs  tra- 
vaux à  ceux  des  grands  théologiens  des  douzième  et  treizième  siècles; 
tout  d'abord  ils  avaient  «  replacé  sur  le  chandelier  "  saint  Thomas 
d'Aquin,  l'Ange  de  l'école.  Ils  ne  s'étaient  pas  bornés  à  encourager 
l'humanisme  et  la  philologie,  ils  s'étaient  encore  proposé  d'unir  à 
la  théologie  les  sciences  naturelles  et  physiques  récemment  remises 
en  honneur,  et  surtout  de  rajeunir  l'enseignement  traditionnel  de 
l'école  par  l'étude  approfondie  de  la  Bible  et  des  Pères.  Ils  recom- 
mandaient aux  théologiens,  de  la  manière  la  plus  pressante,  l'exégèse 
et  la  patrologie,  sans  toutefois  renoncer  aucunement  à  la  méthode 
scolastiqne.  Cette  méthode,  à  leur  avis,  tout  en  s'affranchissant  des 
surcharges  d'un  formalisme  sans  vie,  devait  subsister  dans  son  inté- 
grité, dans  la  sévère  rigueur  de  ses  conclusions  logiques  et  dogma- 
tiques. 

Ces  anciens  maitres  avaient  tous  reçu  dans  leur  jeunesse  une  solide 
éducation  scolastique;  aussi  appréciaient-ils  l'ancienne  méthode  non- 
seulement  au  point  de  vue  théologique,  mais  surtout  au  point  de 
vue  de  la  formation  de  l'esprit.  Leurs  manières  de  voir  étaient  en 
complet  accord  avec  celles  des  théologiens  de  leur  temps.  Wimphe- 
ling publia  en  1510  un  ouvrage  spécialement  consacré  à  la  défense 
de  la  scolastique,  ouvrage  qui  peut  être  considéré  comme  la  pro- 
fession de  foi  des  humanistes  du  Haut-Rhin  '.  Comme  Wimpheling, 

'  Voy.  WlSKOWATOFF,  154  fll. 

1. 


4         -COUP    D'OEIL    RETROSPECTIF    :   L'ANCIEN    HUMANISME. 

les  savants  qui  partageaient  ses  vues  luttaient  avec  zèle  contre  la 
passion  partiale  et  exclusive  pour  Tantiquité  classique,  contre  la 
dépréciation  systématique  des  services  que  la  science  du  moyen 
âge,  à  ses  meilleures  époques,  a  rendus  à  la  philosophie  et  à  la  théo- 
logie, et  se  montraient  aussi  reconnaissants  envers  elle  que  Pic  de  la 
Mirandole,  qui  fait  dire  aux  scolastiques  dans  l'un  de  ses  écrits  : 
«  Nous  vivrons  éternellement,  non  dans  les  écoles  des  pointilleurs  de 
syllabes,  mais  dans  le  cercle  des  sages,  où  l'on  ne  discute  pas  sur  la 
mère  d'Andromaque  ou  sur  les  tils  de  Niobé,  mais  ou  l'on  s'entretient 
des  origines  profondes  des  choses  divines  et  humaines'.  » 

Ce  n'était  pas  seulement  la  science  religieuse,  c'était  aussi  l'in- 
struction populaire,  qui,  d'après  les  anciens  humanistes,  devait  être 
étendue  et  améliorée  par  la  culture  classique.  Il  est  à  remarquer  que 
les  Frères  de  la  vie  commune,  qui  par  leurs  écoles  et  leurs  livres 
d'enseignement  contribuèrent  tant  aux  progrès  des  études  clas- 
siques au  quinzième  siècle,  s'étaient  constammment  préoccupés  de 
la  langue  et  de  la  poésie  nationales,  inventoriant,  recueillant  les 
anciens  poëmes,  en  composant  de  nouveaux  et  rimant  de  pieux  can- 
tiques sur  des  sujets  religieux  ou  moraux  ^  Agricola,  véritable  fon- 
dateur de  la  première  école  d'humanisme,  composait  des  chansons 
en  allemand  et  ne  cessait  d'insister  pour  que  les  historiens  latins 
fussent  traduits  en  langue  vulgaire,  afin  que  le  peuple  apprit  à  les 
connaître,  et  que,  par  leur  secours,  la  langue  nationale  fût  perfec- 
tionnée. Sébastien  Brant  n'a  pas  seulement  ouvert  une  nouvelle  voie 
à  la  littérature  allemande  :  humaniste  éminent,  il  ne  se  désintéressait 
point  du  peuple,  et  "  sa  vaste  science  ne  l'empêchait  pas  de  tra- 
duire un  livre  de  prières  à  l'usage  du  commun  des  fidèles  ». 

L'humanisme  de  l'ancienne  école  avait  pris  à  cœur  les  intérêts  de 
l'histoire  et  de  la  poésie  nationales.  Wimpheling  cite  avec  éloge 
l'opinion  de  Geiler  de  Kaisersberg,  déclarant  que  tout  homme 
instruit,  comprit-il  toutes  les  langues,  doit  encore  et  par-dessus  toutes 
estimer  et  chérir  celle  «  qu'il  a  apprise  enfant  auprès  de  ses  parents, 
et  dans  laquelle,  en  sa  jeunesse,  il  a  été  instruit  des  vérités  de  la  foi  ». 
Lui-même  trouvait  révoltant  que  "  des  savants  fussent  assez  égarés 
par  la  vanité  pour  répéter  que  leur  langue  maternelle  n'était  bonne 
que  pour  les  vieilles  femmes,  les  matelots  et  les  portefaix^  >;.  «  Aucune 

'  BcacKH.vr.DT,  Renaissance,  p.  157.  FeugÈre  (p.  208)  cite  un  jugement  remar- 
quable du  philosophe  français  Victor  Cousin  sur  les  scolastiques;  •  Il  est  impos- 
sible d'avoir  plus  d'esprit  que  les  scolastiques,  de  déployer  plus  de  finesse,  plus 
d'harmonie,  plus  de  ressources  dans  l'argumentation,  plus  de  cette  analyse 
ingénieuse  qui  divise  et  subdivise,  plus  de  cette  synthèse  puissante  qui  classe 
et  ordonne.  •  Leibnitz,  comme  on  le  sait,  pensait  de  même. 

-  Voy.  NoKDUOFr,  Denkwürdigkeiten,  p.  117-120. 

^  De  arte  imprcssoria,  19. 


L'ANCIEN    HUMANISME.  5 

langue  »,  dit  le  moine  Fabri  dans  l'enthousiasme  de  son  patriotisme, 
«  n'est  plus  noble,  plus  ma{j;nifique  et  plus  humaine  que  la  lan{jue 
allemande'  ». 

L'esprit  religieux  et  populaire  était  l'âme  et  comme  la  force 
motrice  de  tous  les  travaux  savants  et  littéraires  de  nos  anciens 
humanisles.  Cet  esprit  inspirait  également  tous  les  edorts  de  leur 
zèle  rétormateujî. 

Ils  reconnaissaient  et  combattaient  les  abus  graves  et  profonds 
qui  s'étaient  int^-oduits  dans  le  domaine  religieux,  ils  déploraient 
les  nombreux  bépéfices  conférés  à  une  même  personne,  les  hautes 
dignités  réservées  aux  fils  des  plus  grandes  familles,  l'avidité  des 
hauts  dignitaireSj  ecclésiastiques  pour  accroître  leurs  possessions, 
l'exploitation  du  peuple  allemand  par  les  exorbitantes  réclamations 
de  la  cour  de  Rome.  Ils  blâmaient,  ils  réprouvaient  partout  où  ils  les 
rencontraient  la  vie  scandaleuse  d'une  grande  partie  du  clergé  régu- 
lier et  séculier,  la  sensualité,  le  luxe  et  la  débauche  qui  régnaient  à 
la  cour  de  beaucoup  de  princes  ecclésiastiques,  le  trafic  des  reliques 
et  le  parti  mercantile  tiré  par  le  clergé  de  pratiques  purement  exté- 
rieures. 

Ces  premiers  humanistes  avaient  exercé  une  mission  véritablement 
réformatrice,  car  une  inébranlable  fol,  un  attachement  filial  pour 
l'Eglise  était  le  plus  intime  trésor  de  leur  âme.  Leur  conduite  grave 
et  digne,  leur  fidèle  observance  des  prescriptions  de  l'Eglise  corres- 
pondaient de  tous  points  à  leurs  convictions.  Ils  combattaient  les 
abus,  mais  le  fond  même  de  la  religion  restait  indiscutable  à  leurs 
yeux.  Dans  leurs  opinions  politiques  et  religieuses,  ils  restaient  fer- 
mement attachés  aux  principes  du  moyen  âge,  héritiers  de  ses  vues 
larges  et  élevées  sur  la  Papauté  et  l'Empire.  Refouler  le  Turc,  établir 
dans  le  monde  entier  le  règne  du  Christ,  tel  était  à  leurs  yeux  le  but 
le  plus  digne  de  leur  ambition.  En  dépit  de  la  triste  décadence  de 
l'Empire,  leur  dévouement  restait  acquis  à  cet  «  Empereur  romain 
de  nation  germanique  »  auquel  tous  les  peuples  de  la  terre  devaient 
rendre  hommage,  et  dont  la  plus  sublime  fonction  était  la  tutelle 
et  la  protection  de  l'Église ^ 

L'école  des  nouveaux  humanistes  différait  essentiellement  de  l'an- 
cienne. Son  principal  fondateur  et  son  plus  illustre  représentant, 
c'est  Érasme  de  Rotterdam'. 

'  F.  Fabri.  Evagatorium,  t.  III,  p.  449. 

*  Voy.  pour  plus  de  détails  le  chapitre  consacré  aux  humanistes  et  aux  théo- 
logiens dans  le  premier  volume  de  cet  ouvrage. 

*  Erasme  et  ses  écrits  ont  été  de  nos  jours  jugés  avec  talent  dans  les  utiles 
et  savants  travaux  biographiques  et  littéraires  de  Durand  de  Laur  (1872),  Drum- 
mond  (1873)  et  Feugère  (1877).  Cependant,  les  ouvrages  antérieurs  de  Hess  (1790) 
et  de  Müller  (1823)  sont  encore  utiles  à  consulter;  le  premier  surtout    traite 


ERASME. 


II 


Didier  Érasme  de  Rotterdam,  né  dans  les  circonstances  les  plus 
malheureuses  ',  orphelin  dès  sa  première  jeunesse,  lésé  dans  ses  droits 
d'héritier  par  des  tuteurs  cupides,  avait  embrassé  la  vie  monas- 
tique, sans  aucune  vocation  sérieuse,  chez  les  Augustins  de  Stein, 
non  loin  de  Gouda.  Depuis  lors  il  ne  cessa  de  nourrir  une  haine  pro- 
fonde contre  les  vœux  religieux  tels  queTÉglise  les  approuve*.  En  1491, 
il  abandonne  son  couvent,  et  pendant  une  dizaine  d'années  il  mène, 
dans  de  continuelles  pérégrinations  à  travers  l'Europe,  une  vie 
nomade  et  agitée,  pense  à  s'établir  tantôt  en  Angleterre,  tantôt  en 
France,  ou  bien  eu  Italie,  ou  bien  encore  dans  les  Pays-Bas  ou  en 
Bourgogne,  et  parle  même  d'aller  finir  ses  jours  en  Espagne  ou  en 
Pologne.  De  bonne  heure  il  encourt  le  reproche  «  de  ne  dire  presque 
jamais  la  sainte  messe  et  de  l'entendre  rarement,  bien  qu'étant 
prêtre  ».  Le  «  très-savant  Érasme  trouve  ridicules  '  les  prières  dubré- 

avec  la  plus  grande  impartialité  (t.  I,  p.  317-505;  les  questions  de  polémique  sou- 
levées entre  Érasme  et  ses  adversaires  catholiques.  —  Outre  ces  ouvrages,  je  me 
suis  encore  servi  des  écrits  de  Slichart  (1870),  de  Nève  (1876j,  de  Plitt  (1866)  et 
de  Kerker  (1859).  Ce  dernier,  selon  moi,  est,  de  tous  les  biographes  d'Erasme, 
celui  qui  analyse  de  la  manière  la  plus  équitable  et  la  plus  profonde  ses  véri- 
tables opinions  théologiques.  L'Erasmiana,  de  Vischeu  (1876),  contient  quelques 
précieux  documents  et  lettres  inédites. 

1  Dans  un  mémoire  de  Léon  X,  reproduit  par  Vischer,  et  daté  du  26  jan- 
vier 1517  [Erasmiana),  on  lit  au  sujet  d'Érasme  :  '  Ex  illicito,  et,  ut  timet,  inceste 
[■peut-être  incestuoso?)  damnatoque  coitu  genitus.  •  Il  n'en  faut  pas  conclure  que 
le  père  d'Érasme  fut  prêtre  (voy.  Vischer,  note  3),  mais  seulement  que  ses 
parents,  non  mariés,  étaient  dans  un  degré  de  parenté  qui  empêchait  le 
maria;;e  d'après  les  lois  de  l'Église.  Le  nom  de  famille  d'Érasme  était  proba- 
blement Roger  ou  Rogers,  comme  Vischer  semble  le  conclure  de  la  suscrip- 
tion  d'un  bref  papal.  Ce  nom  n'était  pas  celui  de  son  père,  mais  celui  de  sa 
mère.  Trois  ans  avant  la  naissance  d'Érasme,  c'est-à-dire  entre  1464  et  1469,  sa 
mère  avait  eu  un  fils,  Pierre  Gérard  (voy.  Vischer,  p.  30,  note  1).  Érasme  le 
dépeint  comme  étant  son  parfait  contraste,  physiquement  et  moralement.  H 
dit  en  parlant  de  lui  :  «  Nec  unquam  aliud  fuit  germano  quam  malus  genius.  " 
(Voy.  Drummond,  t.  I,  p.  16,  note  13.) 

*  Il  avait  quitté  le  costume  religieux  de  son  propre  mouvement,  et  avait  été, pour 
cefait, frappé  d'excommunication. Ilavaitalorsadressé«  une  humble  supplique»  au 
pape  Léon  X  et  reçu  de  lui  le  pardon  de  sa  faute  par  l'entremise  d'André  Amrao- 
nius,  légat  du  Pape  en  Angleterre.  «  Dominum  Erasmum  Roterodamum  ■,  écrit 
Ammonius  le  9  avril  1517,  "  humiliter  a  nobis  petentem  a  sententia  excommu- 
nicationis  ceterisque  censuris  ecclesiasticis,  quas  incurrit  propter  dimissionem 
babitus  professionis  sue  apostasiam  incurrendo  in  habitu  sœculari  aliquot 
annos  incedens,  absolvimus  in  forma  Ecclesie  consueta.  •  (Vischer,  p.  28.)  —  Il 
obtint  la  permission  de  vivre  et  de  se  vêtir  à  l'avenir  comme  les  prêtres  sécu- 
liers. 


ERASME.  7 

viaire,  les  prescriptions  de  l'Église  touchaut  le  jeûne  et  l'abstinence. 
Les  règles  de  pénitence  lui  paraissent  intolérables,  et  il  s'en  affran- 
chit sans  scrupule,  causant  ainsi  un  «  scandale  d'autant  plus 
fâcheux  »  que  son  esprit  cultivé  et  son  grand  savoir  donnent  plus 
de  poids  à  ses  opinions,  et  le  rendent  plus  influent  auprès  de  la 
jeunesse.  Son  exemple  contribua  beaucoup  à  accréditer  l'opinion 
'  que  pour  les  savants  les  commandements  de  l'Église  sont  superflus 
et  puérils,  et  qu'il  leur  est  loisible  de  s'en  affranchir'  »,  Comme  le 
prieur  de  son  couvent  l'exhortait  un  jour  de  la  manière  la  plus  pres- 
sante à  rentrer  sous  la  règle  de  son  Ordre,  Érasme  lui  répondit,  sur 
un  ton  d'ironie  presque  insolent,  «  que  ni  son  corps  ni  son  intelli- 
gence n'étaient  faits  pour  la  vie  du  cloître;  que  les  couvents  avaient 
autrefois  contribué  au  salut  du  monde,  mais  que  maintenant,  au 
contraire,  leur  existence  était  la  cause  et  l'origine  de  la  corruption 
régnante;  que  le  Christianisme  et  la  piété  n'étaient  attachés  ni  à  un 
Ordre  spécial,  ni  à  aucun  genre  de  vie  particulier;  que  le  monde 
entier,  d'après  la  doctrine  du  Christ,  pouvait  être  considéré  comme 
une  famille,  et  même  comme  un  monastère  =.  "  On  vante  les  voyages 
de  Solou,  de  Pylhagore  et  de  Platon,  disait-il,  et  les  Apôtres,  parti- 
culièrement saint  Paul,  ont  parcouru  le  monde;  pour  moi,  je  suis 
le  bienvenu  dans  tous  les  pays;  tous  me  prient  avec  instance  d'être 
leur  hùte.  »  Sur  sa  conduite  morale,  il  avait  coutume  d'énoncer  les 
jugements  les  plus  bienveillants.  «  Un  commerce  étroit  avec  des 
hommes  sages  »,  écrivait-il  à  son  prieur,  «  l'avait  grandement  amé- 
lioré. L'amour  des  richesses  lui  était  inconnu,  il  n'en  avait  pas  la 
moindre  étincelle;  il  est  vrai  qu'il  avait  parfois  ressenti  l'aiguillon 
de  la  chair,  mais  jamais  jusqu'à  en  devenir  l'esclave;  l'ivrognerie 
et  la  débauche  répugnaient  à  sa  nature*.  »  Quant  à  ces  derniers 
vices,  en  admettant  qu'Érasme  eût  rejeté  de  sa  vie  toute  habitude 
grossière,  sa  frêle  constitution  lui  eût  forcément  interdit  tout 
excès  ^  Aucun  de  ses  admirateurs  n'a  jamais  parlé  de  l'austérité  de 
ses  mœurs,  et  beaucoup  ont  pensé  que  son  goût  pour  les  vins  capi- 
teux était  cause  des  douleurs  qui  le  tourmentaient  si  fréquemment 

'  Vers  1512.  «  Lucubrationes  18.  » 

*  Op.,  t.  m,  p.  1527-1530,  App.  epist.  du  8,  9  juillet  1514  :  «  Voluptatibus 
etsi  quaudo  fui  iiiquinatus,  nunquam  servivi.  "  On  peut  voir  l'opinion  d'Érasme 
sur  ce  sujet  dans  un  passage  d  une  de  ses  lettres  à  Ulrich  de  Hütten,  23  juil- 
let 1519,  où  il  fait  l'éloge  de  Thomas  Morus  :  "  Cum  aetas  ferret,  non  abhorruit 
a  puellarum  amoribus,  sedcitra  iufamiam,  et  sic  ut  oblatis  magis  frueretur,  quam 
captatis...  »   Op.,  t.  III,  p.  474,  ep.  447. 

'  «  Druniienness  »,  dit  Drummond,  t.  I,  p.  21,  •<  he  ahvays  detested;  and 
perhaps  no  merit  can  be  ascribed  to  him  for  avoiding  a  sin  to  which  be  had 
no  inclination,  and  for  which  he  was  constitutionally  unfit.  •  Drummond 
appelle  assez  justement  Érasme  (t.  l,  p.  347)  «  the  self-satisfied  and  by  no  means 
ascetic  german  man  of  letters  ». 


8  ERASME. 

(il  était  atteint  de  la  pierre).  Il  faisait  souvent  parade  de  son 
mépris  pour  l'argent;  il  ne  recherchait  pas,  il  est  vrai,  l'argent  pour 
l'argent",  mais  il  était  fe  mement  convaincu  qu'un  homme  sage  et 
prévoyant  doit  s'efforcer  d'acquérir  du  bien  et  le  conserver  le  mieux 
possible,  afin  de  pouvoir  supporter  facilement  les  revers  de  fortune 
et  les  pénibles  épreuves  qui  peuvent  se  rencontrer  en  cette  vie  *. 
Quant  à  la  manière  de  s'enrichir,  il  en  savait  une  fort  aisée.  La  façon 
dont  les  moines  mendiants  recueillent  les  aumônes  lui  paraissait  «  in- 
digne d'un  homme  libre  «;  l'acceptation  d'un  emploi  quelconque, 
offrant  un  revenu  fixe  en  échange  de  devoirs  déterminés,  lui  sem- 
blait «  inconciliable  avec  son  indépendance  »;  mais,  en  revanche,  il  ne 
trouvait  nullement  au-dessous  de  sa  dignité  de  mendier  des  pensions 
et  des  dons  auprès  des  prélats,  princes,  comtes  et  seigneurs,  et  cela 
bien  souvent  par  des  flatteries  du  genre  le  moins  relevé,  quêtant 
par  des  dédicaces  louangeuses  les  remerciments  '  bien  sonnants  "  des 
riches.  Les  rudes  leçons  qu'il  s'attira  par  sa  "  déplaisante  mendicité  » 
ne  ralentirent  en  rien  son  ardeur  quémandeuse.  A  la  fin,  ses  revenus 
se  trouvèrent  si  avantageusement  aménagés  qu'il  dépensait  tous  les 
ans  la  somme,  énorme  pour  ce  temps,  de  six  cents  ducats.  Indépen- 
damment du  trésor  presque  royal  qu'il  possédait  en  hanaps  d'or  et 
d'argent,  en  monnaies  rares,  il  laissa  après  lui  environ  sept  raille 
ducats.  «  Mes  coffres  «,  écrivait-il,  "  sont  remplis  d'objets  précieux, 
de  coupes  travaillées  artistement,  d'aiguières,  de  cuillers,  d'hor- 
loges, dont  plusieurs  sont  en  or.  Quant  aux  bagues,  je  puis  à  peine 
les  comptera  » 

La  flatterie  littéraire  prodiguée  dans  le  but  d'obtenir  la  faveur  des 
princes  et  des  puissants,  le  répugnant  abus  des  dédicaces  louangeuses 


'Il  se  qualifie  de  «  strenuus  pecuniarum  contemptor  ■.  Op.,  t.  III,  p.  141, 
ep.  167. 

^  Voy.  la  lettre  d'Amerbach  à  Spalatin,  dans  Krafft,  Briefe  und  Documente, 
p.  75, 

*  Sur  ses  pensions,  présents  et  donations,  voy.  les  lettres  citées  par  Vischer, 
15,  33-34.  —  Hess,  t.  I,  p.  190,  281.  —  Müller,  p.  217.  —  Drommond,  t.  II, 
p.  268.  Il  reçut  un  jour  du  duc  Philippe  le  Bel  un  présent  de  cinquante 
florins  d'or  pour  un  discours  plein  de  flatteries  prononcé  à  Bruxelles;  peu  de 
mois  après,  ayant  sollicité  de  nouveau  la  générosité  du  duc,  celui-ci  lui  envoya 
dix  livres  à  titre  d'aumône:  •  pour  Dieu  et  en  aumosne  ».  «  Il  lui  fut  remis  une 
somnie  de  dix  livres,  de  quarante  gros,  monnaie  de  Flandre,  la  livre.  »  Nève, 
p.  7-8.  Colet  lui  écrivait  en  1513  à  propos  de  son  «  odiosa  mendicitas  »  :  «  5r 
humiliter  mendicaveiis,  habeo  aliquid...  »  Érasme  lui-même  fait  dans  cette  même 
année  cet  aveu  :  •  Ab  N.  satis  audacter  petii,  at  ille  impudenter  rogantem  impu- 
dentius  repulit...  »  Op.,  m,  1524,  App.,  ep.  i  et  3,  132,  ep.  150.  Voy.  Hess,  t.  I, 
p.  169-170.  —  A  propos  de  ses  biens,  son  ami  Amerbach  lui  écrit  :  «  Sunt  qui 
illum  circa  septena  millia  aureorum  (ne  dicam  plus)  reliquisse  ferunt.  •  «  Reli- 
quit  aureorum  et  argenteorum  poculorum  fere  regium  apparatum.  »  Krafft, 
Briefe  und  Documente,  p.  75.  —Sur  l'abus  des  dédicacesà  cette  époque,  voy.  Müller, 
p.  181.  —  Geiger,  Peucklin,  p.  13Î-336. 


ÉRASME.  9 

précédant  les  moindres  écrits,  toutes  ces  choses  datent  d'Erasme,  et 
devinrent  bientôt  d'un  usage  presque  {jénéral  parmi  les  humanistes 
de  la  nouvelle  génération.  Ils  héritèrent  également  de  cette  vanité, 
de  cette  présomption  qui  s'étaient  fait  voir  chez  Érasme  dès  sa  pre- 
mière jeunesse,  et  furent  jusqu'en  sa  vieillesse  un  des  traits  distinctifs 
de  son  caractère.  Cette  estime  excessive  de  lui-même  était  entre- 
tenue par  l'encens  qui  lui  fut  prodigué  dès  sa  première  jeunesse;  elle 
l'aveuglait  de  telle  sorte  que  son  jugement,  selon  lui,  devait  faire 
loi  dans  toutes  les  questions,  et  qu'il  ne  pouvait  s'empêcher  de  lais- 
ser percerune  irritation  parfois  ridicule  dès  qu'il  se  voyait  contredit, 
ou  lorsque  ses  ouvrages  encouraient  quelque  blâme.  Au  talent  qu'il 
possédait  de  louer  avec  une  grâce  délicate'  ses  adulateurs  et  protec- 
teurs, correspondit  bientôt,  dans  une  exacte  mesure,  une  irritation 
emportée  contre  ceux  qui  osaient  le  contredire;  il  se  ut  ainsi  beau- 
coup d'ennemis,  surtout  dans  les  dix  dernières  années  de  sa  vie.  Il 
entassait  contre  ses  censeurs  accusation  sur  accusation,  attribuant 
les  critiques  dont  il  était  l'objet  non-seulement  à  une  complète  igno- 
rance, mais  à  une  obstination  préconçue  contre  la  vérité;  pour  les 
combattre,  il  se  servait  généralement  de  toute  arme,  sans  distinction, 
et  les  attaquait  non-seulement  dans  leurs  écrits,  mais  aussi  dans  leur 
vie  privée.  Les  imprimeurs  qui  publiaient  des  critiques  sur  ses  écrits 
n'étaient  pas  à  couvert  de  ses  rancunes.  Un  jour,  il  traita  l'imprimeur 
Schott  de  "  dragon  furieux,  d'abominable  malfaiteur  ",  répétant 
que  sa  conduite  honteuse  était  plus  répréhensible  que  celle  d'un  vo- 
leur, d'un  meurtrier  ou  d'un  adultère  ^  Qui  s'opposait  à  lui  était  à 
ses  yeux  un  être  dangereux  contre  lequel  la  force  publique  devait  sévir. 
Le  style  diffamatoire  était  depuis  longtemps  de  mode  chez  les 
humanistes  italiens;  Érasme,  par  ses  exemples,  ne  contribua  pas  peu  à 
le  mettre  à  l'ordre  du  jour  en  Allemagne.  Bientôt  il  ne  choqua  plus 
personne,  et  passa  même  pour  digne  d'éloge.  On  se  réglait  sur 
l'axiome  de  Laurent  Valla  :  "  La  querelle  peut  être  honteuse,  mais 
céder  à  son  adversaire  semble  encore  plus  honteux  ^  »  Érasme  en  un 
seul  point  dépassa  ses  modèles  :  les  humanistes  italiens  injuriaient, 
diffamaient,  mais  ne  connaissaient  pas  ces  phrases  hypocrites  où 
s'enveloppait  souvent  Érasme  après  avoir  enfoncé  le  dard  dans  le 
cœur  de  son  ennemi. 


'  Parmi  ses  lettres  les  plus  dépourvues  de  goût,  voyez  celle  adressée  au 
pape  Léon  X,  où  il  dit  entre  autres  choses  :  ■  Qui  quanto  ceteri  mortales  pe- 
cudibus  anteceilunt,  tanto  ipse  mortales  universos  nnijestate  superat,  etc.  «  Voy. 
Hess,  t.  I,  p.  217.  —  Il  est  difficile  de  convenir  avec  Drlmmond  (t.  II,  p.  345) 
que  -  les  lettres  d'Érasme,  sous  le  rapport  de  la  flatterie  délicate,  sont  des 
modèles  de  bon  goût  » . 

'  Voy.  Hess,  t.  II,  p.  266. 

^  Voy.  Voigt,  p.  427. 


10  ÉRASME. 

Il  exerça  sur  son  époque  une  immense  influence  '.  La  multiplicité 
de  ses  connaissances  dans  presque  toutes  les  branches  des  sciences 
cultivées  de  son  temps  frappe  l'esprit  d'étonnement.  On  reste  confondu 
lorsqu'on  énumère  ses  travaux  incessants  et  variés.  Il  parlait  le  plus 
pur  latin;  le  mouvement,  la  richesse  de  son  style  en  cette  langue 
n'ont  été  égalés  que  par  bien  peu.  Son  coup  d'œil  pénétrant  embras- 
sait toutes  choses,  et  son  expression  était  d'une  justesse  acérée.  Ce 
qui  fait  sa  principale  originalité,  c'est  son  génie  actif  qui  réunissait 
comme  en  un  foyer  les  genres  les  plus  variés  de  la  littérature  -. 
On  lui  doit  de  nouvelles  éditions  des  classiques  latins,  des  traduc- 
tions d'auteurs  grecs,  des  éditions  et  traductions  des  Pères,  des  édi- 
tions et  des  commentaires  de  la  Bible.  Outre  cela,  il  publiait  des  écrits 
de  tous  genres,  philosophiques,  pédagogiques,  théologiques,  sati- 
riques. Mais  son  esprit  manquait  de  profondeur.  Il  était  rare  qu'il 
interrogeât  soigneusement  les  sources.  Il  avoue  lui-même  qu'il 
épanche  ses  idées  plutôt  qu'il  ne  les  médite,  et  qu'il  lui  est  bien  plus 
facile  d'écrire  un  livre  que  de  le  revoir  et  de  le  corrigera  De  là  ses 
fréquentes  contradictions  et  les  nombreuses  inexactitudes  et  fautes 
d'attention  qui  lui  échappent,  et  que  ses  adversaires  lui  repro- 
chaient avec  raison.  Ce  qu'il  manie  avec  le  plus  d'aisance  et  d'art, 
ce  sont  les  armes  de  l'ironie,  de  la  satire  malicieuse;  aussi  ce  don  lui 
avait-il  fait  prendre  pour  modèle  Lucien,  «  son  écrivain  favori  ».  Une 
mâle  dignité  de  caractère,  un  généreux  esprit  de  sacrifice,  l'élan 
d'un  patriotisme  enthousiaste  se  font  aussi  peu  jour  dans  ses  écrits 
que  dans  sa  vie.  Il  était  à  lui-même  son  centre,  et  rapportait  tout  à 
l'estime  profonde  qu'il  avait  de  son  <  immortel  mérite*'.«  Érasme«, 
lisons -nous  dans   un   recueil   de  dialogues   satiriques   du   temps, 

'On  ne  peut  la  comparer  qu'à  celle  de  Voltaire  au  dix-huitième  siècle.  On  a 
d'ailleurs  appelé  Érasme  le  Voltaire  de  la  Renaissance.  Il  faut  cependant  conve- 
nir qu'Érasme,  sous  le  rapport  moral,  est  bien  supérieur  à  Voltaire. 

*  Hagen,  Deu'chlands  lilerarische  lerhältnisse,  t.  I,  p.  256.  —  Kahms,  t.  I,  n.  37. 
'  Voy.  IviuLLER,  p.  220-224,  et  les  passages  tirés  des  lettres  d'Érasme. 

*  Le  portrait  d'Érasme  par  Holbein,  qui  se  voit  au  Musée  de  Bâle,  rend  avec  une 
vérité  admirable  la  physionomie  du  critique,  du  sceptique  et  du  satirique.  Le  ca- 
ractère intéressé,  sagement  timoré  d'Érasme  y  est  indiqué  de  main  de  maître.  De 
hardiesse,  de  feu,  d'énergie,  nulle  trace  dans  cette  physionomie.  Voy.  Wolt- 
MAN.\,  Hans  Holhein,  t.  I,  p.  273.  —  La  nature  morale  d'Érasme  explique  facile- 
ment qu'un  homme  comme  Beatus  Rhenanus,  malgré  toute  son  amitié  pour 
lui,  n'ait  jamais  pu,  dans  la  Biographie  d'Erasme,  s'élever  à  une  véritable  chaleur 
de  sentiment,  et  qu'il  montre  si  rarement  un  intérêt  vivant  pour  la  personna- 
lité de  celui  dont  il  retrace  la  vie.  —  Voy.  l'article  d'HoRAwiTz  sur  la  Biographie 
d'Erasme,  par  Beatus  Rhenanus,  dans  les  Comptes  rendus  des  séances  pour  la 
classe  de  philosophie  et  d'histoire  de  l'Académie  des  sciences  de  Vienne, 
t.  LXXII,  p.  372-375.  —  Même  à  la  mort  d'un  Albert  Dürer,  Érasme  montre  une 
indifférence  glaciale.  Voy.  Thausing,  Dürer,  Geschichte  seines  Lebens,  p.  497-498.  — 
Quant  à  ce  que  dit  Érasme  de  lui-même  dans  une  lettre  à  Colet,  affirmant  qu'il 
est  •  Simplex,  apertus,  siraulandi  ac  dissimulandi  juxta  ignarus  •  {Op.,  t.  III, 
p.  40,  rp,  41),  le  contraire  eût  presque  pu  se  dire  avec  vérité. 


NOUVKLLK    THÉOLOGIE    D'ÉRASME.  11 

«  éfait  petit  en  tout,  et  beaucoup  plus  d'esprit  que  de  corps  '.  » 
Dans  ses  nombreuses  pérégrinations  à  travers  l'Angleterre,  l'Italie, 
la  France,  il  ne  se  livrait  jamais,  en  vrai  savant  de  cabinet  qu'il  était, 
à  l'observai  ion  directe  de  la  vie  populaire,  restant  même  étranger 
à  cette  influence  qu'un  nouveau  milieu  exerce  sur  notre  esprit  pres- 
que à  notre  insu.  Il  se  vantait  de  connaître  aussi  peu  l'italien  que 
l'indien,  et  d'ignorer  pareillement  l'anglais,  l'allemand  et  le  fran- 
çais*. Pour  ne  rien  perdre  de  la  pureté  et  de  l'élégance  de  sa 
diction  latine,  pour  laliniser  entièrement  sa  pensée,  il  affectait  de 
ne  jamais  se  servir  des  langues  vivantes,  les  trouvant  nuisibles  ou 
vulgaires. 

Sous  ce  rapport  aussi  il  fit  école  et  fut  imité  par  les  nouveaux 
humanistes  allemands  de  son  temps.  Bien  différents  de  leurs  prédé- 
cesseurs, ils  méprisaient  et  raillaient  leur  langue  maternelle,  qu'ils 
appelaient  un  barbare  patois  franc.  Aussi  formaient-ils  comme  une 
caste  à  part,  entièrem.ent  séparée  du  reste  de  la  nation. 

Mais  tandis  qu'Erasme  en  sa  science  présomptueuse  et  pédante 
restait  en  toute  sa  conduite,  ses  jugements,  ses  pensées,  complè- 
tement étranger  aux  classes  populaires,  il  ne  rougissait  pas  de  tourner 
en  dérision,  de  railler  et  de  détruire  par  des  plaisanteries  froides 
et  peu  relevées^  la  piété  des  petits,  absolument  incompréhensible 
pour  son  esprit  sceptique  et  frivole.  A  ses  yeux,  elle  n'était  autre  chose 
qu'une  faiblesse  superstitieuse,  et  tout  esprit  «  vraiment  libre  et  vrai- 
ment éclairé  »  devait  s'en  affranchir.  Cependant  il  était  lui-même 
tellement  superstitieux  qu'il  cherchait  à  deviner  dans  les  rêveries 
astrologiques  de  l'époque  les  causes  de  l'esprit  de  discorde  dont  son 
siècle  était  tourmenté  *. 


III 


Voici  ce  qu'Érasme  prétendait  avoir  en  vue  dans  tous  ses  tra- 
vaux :  mettre  tous  ses  soins  à  propager  en  Allemagne  la  culture  et 

'  Voy.  Hess,  t.  II,  p.  423. 

'  Voy.  MuLLER,  p.  196-197.  —  NÈVE,  p.  21-23. 

'  Kerker  (p.  562)  traite  ce  point  "  avec  un  profond  sentiment  d'indigna- 
tion • . 

*  Voy.  ses  lettres,  Op.,  III,  p.  405-427,  ep.  380,  403.  —  Dans  une  lettre  datée 
du  25  mai  1527,  Op.  III,  p.  983,  ep.  8G8,  il  vante  le  bonheur  des  astrologues, 
«qui  ex  astris  norunt  sibi  dies  et  horas  fortunatas  eligere  ».  Les  humanistes 
italiens,  eux  aussi,  se  montraient  d'autant  plus  enclins  à  toutes  les  superstitions 
imaginables  qu'ils  s'éloignaient  davantage  de  la  religion  chrétienne.  —  Voy. 
BCKCKH.vnDT,  Renaissance,  p.  410-422. 


<2  NOUVELLE    THÉOLOGIE    D'ÉRASME. 

l'amour  de  la  littérature  classique  et  des  belles-lettres,  et,  rattachant 
ces  études  aux  sciences  sacrées,  leur  donner  une  physionomie  chré- 
tienne; répandre  la  «  philosophie  du  Christ  «;  remettre  en  honneur 
la  K  vraie  théologie  «,  et  pour  cela  se  servir  des  nouvelles  ressources 
fournies  par  les  études  classiques.  La  révolution  qu'il  désirait  voir 
s'opérer  dans  la  théologie  ne  se  rapportait  pas  seulement  au  per- 
fectionnement de  la  forme,  à  l'amélioration  des  méthodes  d'en- 
seignement :  c'est  l'esprit,  l'essence  même  de  la  philosophie  qu'il 
prétendait  réformer.  La  rhétorique  des  anciens  devait  remplacer  les 
recherches  spéculatives  de  la  scolastique,  et  la  philosophie  large  et 
nuancée  des  païens,  l'impassible  rigueur  d'un  dogmatisme  renfermé 
dans  d'infranchissables  limites.  «  Si  Ton  veut  atteindre  cette  paix, 
cette  concorde  qui  sont  l'idéal  de  notre  religion  ",  disait-il,  «  il  faut, 
autant  que  possible,  peu  parler  des  définitions  du  dogme,  et  per- 
mettre à  chacun,  sur  beaucoup  de  points,  un  jugement  libre  et  per- 
sonnel'. T. 

Cette  large  théologie,  qu'il  estimait  être  la  seule  parfaite,  il  la 
prônait  dans  ses  écrits  et  dans  ses  lettres,  en  premier  lieu  par  son 
langage  chatoyant,  onduleux,  variant  suivant  les  temps  et  l'intérêt 
personnel,  et  si  étrangement  élastique  que  les  esprits  les  plus  positifs 
comme  les  plus  négatifs,  catholiques,  hérétiques  et  rationalistes, 
peuvent  invoquer  ses  jugements  à  l'appui  de  leurs  assertions.  Aussi 
Luther  disait-il  avec  raison  en  parlant  du  langage  mobile  d'Érasme: 
«  Lorsqu'on  pense  qu'il  a  beaucoup  dit,  il  n'a,  en  réalité,  rien  dit  du 
tout,  car  on  peut  interpréter  tous  ses  écrits  comme  on  veut,  et  leur 
faire  dire  tout  ce  qui  plaît  ^  »  Si  Érasme  se  préoccupait  de  théologie, 
c'était  bien  plutôt  dans  son  propre  intérêt  que  mû  par  un  zèle  sin- 
cère pour  la  vérité,  la  religion,  l'Église.  A  son  manque  de  con- 
viction solide  co^'respondait  un  défaut  absolu  de  courage  moral.  Sa 
maxime  ordinaire  était  :  «  Je  veux  mon  repos,  et  je  me  tiens  le  plus 
possible  dans  la  neutralité.  '>  11  avouait  qu'autant  par  politesse  que 
pour  éviter  toute  dispute  il  employait  volontiers  une  forme  vague, 
obscure,  un  langage  poétique,  et  disait  que  la  foule  mêlée  et  igno- 

'  Voy.  Kerker,  541  fil.  —  Hess,  1. 1,  p.  461.—  Drluimond,  t.  II,  p.  182.  —  Érasme 
loue  sa  hardiesse  en  ces  termes  :  -  Theologiam  nimiiim  ad  sophisticas  argutias 
delapsam,  ad  fontes  ac  priscam  simplicitatem  revocare  conatus  sum...  •  «  Ad 
puriorem  Christianismum  orbeni  ceremoniis  pêne  judaicis  indormientem  exper- 
gefeci.  .  Op.,  III,  1727.  App.,  ep.  345. 

-  Voy.  Hess,  t.  II,  p.  453.  —  ^  Le  oui  et  le  "o«,  le  pour  et  le  contre,  se  heurtent 
dans  ses  écrits  •,  dit  fort  justement  Dirand  de  Laur  (t.  II,  p.  546^  «  Comme 
écrivain  religieux,  trois  choses  lui  ont  manqué  :  la  fermeté  et  la  vivacité  de  la 
foi,  la  rigueur  de  l'esprit  théologique,  les  élans  du  mysticisme  chrétien  qui 
ravissent  l'âme  et  l'unissent  à  Dieu  »  (t.  II.  p.  561).  —  Les  chapitres  dans  les- 
quels l'auteur  traite  d'Érasme  comme  écrivain  théologique  forment  la  partie  la 
plus  remarquable  de  son  livre. 


NOUVELLE    THÉOLOGIE    D'ÉKASME.  13 

rantedu  peuple  <  ne  peut  être  maintenue  dans  les  bornes  de  son  de- 
voir sans  être  de  temps  en  temps  abusée  par  un  pieux  mensonge  '  ». 

11  proclamait  hautement,  chaleureusement,  la  ferme  volonté  où  il 
était  de  ne  jamais  se  séparer  de  l'Église  calholique;  et  cependant, 
longtemps  avant  Luther,  il  mettait  en  doute  la  divine  institution  de 
l'Église  et  de  son  chef,  et  s'exprimait  d'une  manière  dubitative  sur 
beaucoup  d'autres  dogmes ^ 

«  Celui  qui  approfondit  tes  ouvrages  »,  lui  écrivait  Albertus  Pius, 
prince  de  Carpi,  «  et  ne  se  laisse  pas  aveugler  par  la  beauté  de  ton 
style  et  la  richesse  de  ton  langage  (comme  ces  gens  auxquels  la  belle 
apparence  d'un  fruit  fait  passer  sur  son  peu  de  saveur),  celui-là  est 
contristé  de  te  voir  discuter  souvent  des  points  de  doctrine  que 
l'Église  a  depuis  longtemps  définis,  enlever  aux  vénérables  sacre- 
ments le  respect  qui  les  entourait,  et  toucher  sans  déférence  à  l'in- 
stitution du  Saint-Siège.  On  est  scandalisé  du  sans  gène  avec  le- 
quel tu  parles  des  saintes  cérémonies  du  culte,  et  des  mordantes 
railleries  dont  tu  cribles  les  moines  et  les  Ordres  religieux.  »  «  Tu  as 
dit  ouvertement  que  dans  les  temps  anciensla  puissance  du  Pape  n'était 
ni  reconnue  ni  active;  que  les  évéques  n'avaient  pas  de  rang  plus  élevé 
que  les  autres  prêtres,  et  que  le  mariage  n'était  pas  compté  parmi  les 
sacrements  proprement  dits.  C'était  bien  imprudent  à  toi  de  louer  le 
mariage  aux  dépens  du  céUbat,  de  blâmer  la  liturgie  ecclésiastique  et 
les  pratiques  de  dévotion,  et  d'en  parler  avec  mépris  comme  étant  d'in- 
stitution humaine!  iS'as-tu  pas  éveillé  ainsi  chez  les  hommes  faibles 
et  frivoles  l'idée  que  toutes  ces  choses  sont  sans  valeur  et  n'ont  au- 
cune efficacité?  Des  opinions  si  légèrement  émises  ne  les  portent- 
elles  pas  au  mépris  de  toutes  les  vérités  de  notre  sainte  religion  ^P  » 

■  Voy.  ce  passage  et  d'autres  analogues  dans  Stichart  (p.  295-301).  .  Ousedara 
inter  se  fatentur  theologi,  quae  vulgo  non  expédiât  efferri...  Non  hic  adducam, 
quod  Plato  perspexisse  videlur,  multiludinem  promiscuain  et  imperitam  non 
posse  contiueri  in  officio,  nisi  nonnumquam  fuco  doloque  bono  fallatur.  •  Op., 
III,  596,  ep.  547.  «  Non  omnes  ad  inartyrium  satis  liabent  roboris,  vereor 
autem,  ne  si  quid  insiderit  tumultus,  Peirura  sira  iinitatiirus.  •  5  juillet  1521, 
Op.,  III,  651,  ep.  583. 

-  Voy.  Stighart,  p.  234-267.  —  Drummond,  t.  I,  p.  319-322,  et  t.  II,  p.  162,  182- 
186,  310.  —  FelgÈcie,  p.  236-240. 

'  Voy.  Hess,  t.  I,  p.  490-493.  Petrus  Canisius,  dans  l'introduction  de  son  éài- 
lioQ  des  lettres  de  saùa  Jérôme,  dit  fort  justement  à  propos  d'Érasme  iDiilingen, 
1565)  :  •  Il  s'est  acquis  d'indiscutables  mérites  dans  les  belles-lettres;  mais 
quant  à  la  théologie,  ou  il  aurait  dû  la  laisser  complètement  de  côté,  ou  la  trai- 
ter avec  plus  de  réserve  et  de  loyauté.  Il  critique  les  Pères,  les  scoias- 
tiques,  les  écrivains  théologiques  d'une  manière  si  tranchante  et  si  rude  que 
personne  avant  lui  n'avait  été  aussi  loin  dans  ses  reproches  injurieux.  Pour 
lui,  il  ne  pouvait  souffrir  aucune  contradiction.  •  «  Mais  il  n'a  pas  plus  de 
crédit  auprès  des  bien  pensants  qu'auprès  de  la  plupart  des  malintentionnés. 
Dans  ses  écrits,  il  se  montre  plus  préoccupé  du  mot  que  de  la  chose.  »  «  Personne 
n'a  plus  profondément  ébranlé  la  réputation  d'Érasme,  qu'Érasme  lui-même.  • 
—  Dans  son  ouvrage  De  .Maria  Virgine  incoOT2)ara6iYi(Ingolstadt,1577),  Canisius  fait 


a  NOUVELLE    THÉOLOGIE    D'ÉRASME. 

Mélanclilhon  désigne  Érasme  comme  é(ant  le  premier  et  le  véritable  in- 
stigateur de  la  dispute  qui  éclata  plus  tard  à  propos  de  l'Eucharistie '. 
11  est  certain  que  plusieurs  de  ses  plus  intimes  amis,  Wolfgang  Fa- 
bricius  Capito,  Conrad  Pellicanus  et  d'autres,  parlaient  ouvertement 
dès  1512  du  '  mensonge  de  la  transsubstantiation  »,  et  qu'ils  se  ran- 
gèrent plus  tard  au  parti  de  Zwingle.  Zwingle  comptait  lui-même 
parmi  les  admirateurs  personnels  d'Erasme  *. 

Érasme  propose  sérieusement  la  révision  de  tous  les  points  de 
doctrine  définis  depuis  longtemps  par  l'Église.  Il  prétend  apercevoir 
dans  les  débats,  les  querelles  et  les  décisions  doctrinales  de  la  période 
christologique,  les  premiers  symptômes  d'une  corruption  qui,  selon 
lui,  alla  toujours  ens'accentuant  dans  l'Église.  L'Église,  à  l'entendre, 
avait  dès  lors  perdu  «  son  antique  simplicité  évangélique  >• .  A  partir  de 
ce  moment,  la  théologie  était  devenue  la  servante  d'une  philosophie 
subtile,  et  celle-ci,  dégénérant  à  son  tour,  avait  engendré  la  scolas- 
tique.  Cette  dernière  école  avait  détruit  l'intégrité  de  la  doctrine 
évangélique  et  abaissé  les  mœurs  chrétiennes.  Pendant  tout  le  cours 
de  sa  carrière  littéraire,  Érasme  ne  se  lassa  jamais  d'attaquer  la  sco- 
lastique  avec  une  amertume  incomparable,  combattant  sa  méthode 
spéculative,  son  enseignement  théologique,  livrant  ses  représen- 
tants au  sarcasme  et  au  mépris  de  tous^  «  Depuis  qu'elle  règne 
parmi  nous  ",  disait-il,  "  le  judaïsme  et  le  pharisaïsme  ont  envahi 
l'Église;  le  vrai  christianisme  et  la  vraie  théologie  ont  été  opprimés, 
et  la  religion  n'a  plus  consisté  qu'en  une  sainteté  de  moine,  en  un 
culte  vide  de  sens,  y 

Le  mépris  du  moyen  âge,  invariablement  appelé  dans  ses  écrits  un 
temps  de  ténèbres,  d'esclavage  intellectuel;  les  récriminations  sur  la 
sophistique  dans  la  science,  sur  une  sainteté   tout  extérieure,  tout 

remarquera  plusieurs  reprise  s  (voy.  p.  345.  367,  601-603,  716-717)  la  frivolité  et 
l'immoralité  du  style  d'Érasme,  tout  en  admirant  (voy.  p.  600-601)  "  son  instruc- 
tion étendue,  sa  riche  connaissance  de  la  langue  latine,  l'abondance  aisée  de 
son  style,  et  son  éloquence  rare,  digne  de  l'admiration  de  tous  les  temps  ». 
Mais  comme  on  l'a  déjù  dit  souvent  :  •  übi  Erasmus  icnuit,  illic  Lutherus 
irruit  •;  en  d'autres  termes,  Luther  a  couvé  les  œufs  qu'Érasme  a  pondus. 
Toutefois  il  existe  de  profondes  différences  entre  ces  deux  hommes. 

'  •  Tota  illa  tragœdia  Tiepi  Scïttvou  ypta  oj  ab  ipso  (Erasme)  nata  videri 
potest  »,  écrit  Mélanchthon  à  Camerarius  le  26  juillet  1529.  Corp.  Reform.,  t.  I, 
1083. 

'Voy.  GiESELER,  3  a.,  130  fil.  —  Voici  comment  le  légat  Aléandre  jugeait 
Érasme  en  1521  :  -  Ha  scritto  peggio  che  Luther  contra  la  fede...  lo  sempre  ho 
saputo  che  Erasmo  erat  fomes  omnium  malorum  et  che  iui  subvertea  la  Fian- 
dra  et  il  tratîo  del  Rheno.  •  Voyez  ce  rapport  dans  Balan,  p.  100-101;  voyez 
aussi  p.  55,  79-81.  Érasme  lui-même  écrivait  à  Zwingle,  le  31  août  1521  :  "  Videor 
mihi  fere  omnia  docuisse,  quae  docet  Lutherus,  nisi  quod  non  tam  atrociter, 
quodque  abstinui  a  quibusdam  senigmatibus  et  paradoxis.  »  Zwingle,  Op.,  VH, 
p.  310. 

'  Voy.  les  passages  cités  par  Hess,  t.  I,  p.  59-60.  —  Müller,  p.  165,  229. 


NOUVELLE    THÉOLOGIE    D'ÉRASME.  15 

cela  date  d'Érasme  et  de  son  école,  et  devint  plus  tard  l'héritage 
des  prétendus  réformateurs.  Pendant  de  lon[yues  années,  Érasme 
couvrit  du  prestige  de  son  savant  renom  tous  les  quolibets,  toutes 
les  calomnies  entassés  contre  la  culture  du  moyen  âge,  l'influence  de 
rÉglise  et  la  tradition  des  écoles  de  philosophie  chrétienne. 

Son  Elocje  de  lafnUc\  publié  pour  la  première  fois  en  1509  et  mul- 
tiplié parsept  éditions  en  l'espace  de  peu  de  mois,  contribua  surtout 
àjeter  le  discrédit  sur  l'Église.  Érasme,  en  cet  ouvrage,  met  en  scène 
la  personnification  delà  Folie.  Celle-ci  nous  vante  les  services  qu'elle 
a  rendus  à  l'humanité,  et  dans  les  cla.sses  sociales,  qu'elle  passe  en 
revue  touràtour,admirece  qu'elles  ont  précisément  de  répréhensible. 
Quand  le  prince  de  Carpi  reprochait  à  Érasme  les  semences  funestes  ré- 
pandues par  cette  satire  S  lorsqu'il  constatait  sa  désastreuse  influence, 
il  n'entendait  pas  le  blâmer  d'avoir  censuré  sévèrement  les  abus,  les 
vices  du  clergé  régulier  et  séculier,  l'accumulation  des  bénéfices 
ecclésiastiques,  les  prélats  belliqueux,  les  pieuses  coutumes  changées 
en  pratiques  superstitieuses  :  il  l'accusait  d'avoir  attaqué  la  cause 
même  que  ces  abus  déshonoraient.  Dans  les  écrits  et  les  discours 
d'Erasme,  jamais  la  juste  douleur  d'un  Sébastien  Brant  ou  d'un 
Geiler  de  Kaisersberg  ne  se  fait  jour.  Ce  qui  y  domine,  c'est  le  sar- 
casme et  le  mépris.  Érasme  y  confond  avec  insouciance  et  légèreté 
ce  qui  est  saint  et  ce  qui  est  vulgaire;  il  tombe  dans  la  frivolité,  et 
souvent  même  dans  le  blasphème. 

VEloge  de  la  folie  peut  être  regardé  comme  le  prologue  de  la 
grande  tragédie  théologique  du  seizième  siècle'. 

La  piété  populaire  nous  y  est  représentée  comme  complètement 
corrompue,  la  vie  monastique  comme  n'offrant  qu'un  christianisme 
dégénéré,  et  la  scolastique  comme  une  théologie  abâtardie.  Quant 
aux  papes,  Érasme  leur  adresse  des  injures  si  violentes,  que  dans 
les  âges  suivants  les  ennemis  de  Rome  eurent  peu  de  choses  à  y 
ajouter^.  Aucun  écrivain  antérieur  n'a  plus  qu'Érasme  miné  en  Alle- 

1  Moriœ  Encomium,  id  est  siuUiiiœ  Laus,  dans  le  quatrième  livre  de  l'édition  com- 
plète de  ses  œuvres  publiée  à  Leyden.  Il  existe  une  bonne  édition  portative  des 
CoUoquia  /amiliaria,Leipzi[ç,  1829.  Voy.  sur  cet  ouvrage  Duk.vnd  de  Laur,  t.  II, 
p.  89,  199-205,  290-298,  301.  —  FelgÈre,  p.  302-306,  340-341.  —  Drlmmond  (t.  I, 
p.  194-195)  fait  remarquer  qu'un  passage  très-peu  orthodoxe  se  trouve  dans  les 
éditions  parues  postérieurement  à  1515.  Pendant  la  vie  d'Érasme,  le  manuscrit 
en  fut  reproduit  au  moins  vingt-sept  fois.  Dans  ses  remarques  sur  le  Nouveau 
Testament,  Érasme  dirige  contre  la  constitution  de  l'Église  des  attaques  ana- 
logues :  •  In  fact  the  Encomium  Moriw  was  hère  repeated,  only  in  a  somewhat 
more  serious  form  •,  dit  à  ce  sujet  Drummond,  t.  I,  p.  319. 

*  Voy.  Hess,  t.  I,  p.  493. 
^  Voy.  FelgÈre,  p.  341. 

*  Il  dira,  par  exemple,  en  parlant  des  papes  :  •  Lorsqu'il  y  a  quelque  besogne 
à  faire,  ils  en  chargent  saint  Pierre  et  saint  Paul  ;  mais  la  considération  et  les 
jouijssances  de  leur  charge,  ils  les  gardent  soigneusement  pour  eux.  Ils  pensent 
avoir  satisfait  parfaitement  à   Jésus-Christ  et   s'être    montrés    véritablement 


16  ÉRASME    ET    L'ÉCRITURE    SAINTE. 

magne  le  respect  dû  au  Siège  apostolique.  Personne  avant  lui,  abu- 
sant de  la  sainte  Écriture,  n'y  a  trouvé  prétexte  à  de  plus  burlesques 
jeux  d'esprit'. 

Toutefois  il  professait  le  plus  profond  respect  pour  la  Bible,  et  pré- 
tendait voir  en  elle  «  l'unique  source  de  la  foi  chrétienne  »  ;  il  répé- 
tait que  la  théologie,  si  elle  voulait  renaître,  devait  être  uniquement 
rattachée  à  la  sainte  Écriture,  «  et  conseillait  à  tout  chrétien  d'avoir 
constamment  la  Bible  entre  les  mains  ».  «  Je  souhaite  »,  écrit-il  en 
1516  dans  l'avertissement  au  lecteur  qui  précède  sa  traduction  du 
Nouveau  Testament,  «  que  toutes  les  femmes  lisent  les  Évangiles  et 
les  épitres  de  saint  Paul.  Je  voudrais  que  ces  livres  fussent  traduits 
dans  toutes  îes  langues  et  devinssent  familiers  aux  Écossais,  aux  Irlan- 
dais, aux  Turcs  et  aux  Sarrasins;  je  voudrais  que  les  paysans  derrière 
la  charrue,  les  femmes  assises  devant  leurs  métiers  à  tisser,  les  lussent 
et  chantassent  leurs  louanges.  Je  souhaiterais  que  les  voyageurs  abré- 
geassent la  longueur  du  chemin  par  les  récifs  bibliques.  Lire  la 
Bible,  c'est  le  premier  degré  qui  conduit  à  l'intelligence  de  la  Bible.  » 
«  iMème  en  admettant  »,  ajoutait-t-il,  «  que  beaucoup  y  trouvent  à 
rire,  quelques-uns,  du  moins,  en  seront  touchés.  »  Il  est  injuste  «  que 
les  vérités  de  la  foi  soient  exclusivement  réservées  à'cette  caste  fermée 
que  le  grand  nombre  appelle  maintenant  théologiens  et  religieux, 
et  parmi  lesquels,  bien  qu'ils  ne  forment  que  la  plus  petite  par(ie  du 
peuple  chrétien,  tant  d'individus  sont  si  loin  de  mériter  ces  noms*  ». 
Le  libre  examen  des  saintes  Écritures,  tel  qu'il  était  usité  chez  les 

évoques  lorsqu'ils  paraissent  revêtus  de  leurs  ornements  mystiques  et  presque 
de  théâtre,  qu'ils  accomplissent  les  cérémonies,  nous  prodiguent  leurs  béné- 
dictions ou  leurs  anathèmes,  et  se  font  appeler  Votre  Sainteté  et  Votre  Béa- 
titude. Ils  sont  d'avis  que  les  miracles  sont  surannés,  passés  de  mode,  et  ne 
correspondent  plus  bien  aux  idées  actuelles.  Enseigner  le  peuple  est  trop  rebu- 
tant ;  expliquer  la  sainte  Écriture  n'est  que  pédantisme  d'école.  La  prière?  Oui, 
quand  ils  ont  le  temps.  Us  n'ont  d'autre  occupation  que  d'exercer  par  la  pro- 
scription la  puissance  qu'ils  s'approprient  d'anathématiser,  de  fulminer  ces  épou- 
vantables excommunications  par  lesquelles  d'un  seul  geste  ils  peuvent  encore 
précipiter  dans  l'enfer  les  âmes  des  mourants.  •  Moriœ  Encomium  dans  l'édition 
portative  de  Leipzig,  p.  378-379. 

'  Voy.  Stichakt,  p.  249-251.  —  Mlller,  p.  234-235. —  Drummond  lui-même,  qui 
partage  les  idées  rationalistes  d'Érasme,  dit  à  ce  sujet  (t.  I,  p.  200)  :  •  The  free 
way  in  which  Scripture  is  handled,  and  even  the  most  sacred  names  introduced, 
while  it  shows  certainly  great  want  of  taste,  if  not  even  want  of  révérence, 
migbt  reasonably  hâve  given  offense  to  persons  who  were  neither  supersti- 
tions nor  very  bigotted.  •  Les  sympathies  de  Drummond  pour  l'Église  catho- 
lique sont  du  reste  suffisamment  démontrées  à  la  p.  338,  t.  II,  à  l'endroit  où  il 
raconte  la  mort  d'Érasme,  qui,  comme  on  le  sait,  ne  reçut  point  les  derniers  sa- 
crements :  «  It  was  better  so.  There  would  hâve  been  a  stränge  incongruity  in 
the  présence  oipriesdy  mummeries  round  the  death  bed  of  Erasmus.  • 

-  Dans  le  Paradesis  ad  leciorem  pium  de  l'édition  du  Nouveau  Testament  de  1516. 
Hess,  t=  I,  p.  212  b. 


ÉRASME    ET    L'INTERPRETATION    DE    L'ECRITURE.  17 

«  Frères  de  Bohême'  »,  malgré  la  réprobation  de  l'Église,  a  rentier 
assentiment  d'Érasme.  Lorsque  les  Frères  lui  font  parvenir  l'une  de 
leurs  nombreuses  professions  de  foi,  fondée  sur  une  interprétation 
toute  nouvelle  de  la  sainte  Écriture,  Érasme4es  félicite  surleurexacte 
connaissance  de  la  vérité.  «  Il  approuve  pleinement  leur  ouvrage  ", 
leur  écrit-il,  et  «  il  attend  des  travaux  qu'ils  préparent  »  la  même 
rectitude  de  jugement.  Les  Frères  auraient  souhaité  qu'il  leur 
donnât  un  témoignage  public  d'approbation,  mais  il  s'y  refusa. 
«  Cela  ne  leur  servirait  à  rien  auprès  de  leurs  ennemis  ",  leur  assurait- 
il,  «  et  ses  propres  écrits,  à  lui,  Érasme,  courraient  ensuite  le  risque 
d'être  taxés  d'hérétiques,  au  grand  préjudice  de  la  religion  épurée; 
on  les  arracherait  des  mains  des  fidèles  de  par  l'autorité  du  Saint- 
Siège,  et  il  valait  beaucoup  mieux  qu'il  gardât  le  silence,  afin  de 
conserver  sans  amoindrissement  son  influence  et  sa  considération, 
qu'il  voulait  mettre  entièrement  au  service  de  tous^  ». 

Sa  propre  interprétation  de  l'Écriture  était  entièrement  ratio- 
naUste.  11  réclamait  une  explication  spirituelle,  ou,  comme  il  le  dit, 
allégorique,  des  récits  bibliques;  mais  cette  allégorie  était  bien  dif- 
férente de  celle  dont  s'étaient  constamment  servis  les  Pères  de 
l'Église.  Ceux-ci,  dans  leur  mysticisme  plein  de  foi,  avaient  toujours 
respecté  le  sens  littéral,  ne  cessant  de  le  regarder  comme  inspiré 
et  divin;  au  lieu  qu'Érasme  entend  expliquer  l'Écriture,  non  d'après 
•ce  que  les  mots  expriment,  mais  d'après  les  vérités  et  les  idées 
qui,  selon  lui,  sont  sous -entendues  par  le  texte.  En  un  mot,  il  traite 
les  récits  bibliques  comme  les  fables  de  la  mythologie.  «  Si  tu  lis 
la  Bible  sans  allégorie  »,  lisons-nous  dans  le  Manuel  du  soldat  du  Christ, 
«  si  tu  lis,  par  exemple,  que  le  corps  d'Adam  a  été  formé  du  limon  de 
la  terre,  que  son  âme  a  été  créée  par  un  souffle  divin,  qu'Eve  a  été 
tirée  d'une  des  côtes  de  l'homme,  qu'il  fut  défendu  à  nos  premiers 
•parents  de  manger  de  la  pomme,  puis  que  le  serpent  les  a  tentés; 
•que  Dieu  se  promenait  dans  l'Éden,  que  les  coupables  se  cachèrent  à 
sa  voix,  qu'un  ange  au  glaive  de  flamme  fut  placé  à  l'entrée  du  Paradis , 
qu'Adam  et  Eve,  proscrits,  n'y  purent  jamaisrentrer;  si  tu  lis  tout  cela 
en  n'ayant  égard  qu'à  l'écorce,  je  ne  vois  pas  que  tu  fasses  quelque 
chose  de  plus  utile  pour  ton  âme  que  si  tu  racontais  l'histoire  de  la 
statue  de  terre  de  Proraéthée,  et  le  feu  du  ciel  ravi  pour  donner  la 
vie  à  la  poussière.  Peut-être  même  est-il  plus  profitable  de  lire  les 
fables  du  paganisme  avec  des  allégories  que  de  se  nourrir  des  récits 
de  la  sainte  Écriture  en  restant  attaché  à  la  lettre.  Quelle  différence 
y  a-t-il  entre  les  livres  des  Piois  et  des  Juges  et  les  récits  de  Tite- 

'  Voy.  le  premier  volume  de  cet  ouvrajje,  p.  581. 

*  Voy.  GiNDELY,  Gesch.  der  böhmischen  Brüder,  t.  I,  p.  148-H9. 

H.  2 


18  ÉRASME    ET    L'INTERPRETATION    DE    L'ECRITURE. 

Live,  si  tu  n'as  égard  à  l'allégorie?  On  peut  même  dire  que  dans  Tite- 
Live  on  trouve  beaucoup  de  choses  capables  d'améliorer  les  mœurs, 
au  lieu  que  dans  la  Bible,  grand  nombre  de  pages  peuvent  scanda- 
liser, comme  par  exemple  celles  où  sont  racontés  les  ruses  de  David, 
l'adultère  acheté  par  un  assassinat,  l'amour  coupable  de  Samson  ',  etc. 
Presque  tous  les  livres  de  l'Ancien  Testament  offrent  souvent  des 
pages  choquantes,  soit  par  l'apparente  absurdité  de  l'histoire  qu'ils 
rapportent,  soit  par  l'obscurité  de  l'énigme  qu'ils  proposent.  Le  Nou- 
veau Testament,  lui  aussi,  est  incompréhensible  en  plus  d'un  passage. 
Lorsque  Jésus,  par  exemple,  prédit  la  ruine  de  Jérusalem,  la  fin  du 
inonde  et  les  persécutions  qui  attendent  les  Apôtres,  il  confond  et 
mélange  tellement  ses   discours,  qu'il   semble  avoir  voulu  rester 
obscur,  non-seulement  pour  les  Apôtres,  mais  pour  nous.  Beaucoup 
d'autres  textes  sont,  à  mon  sens,  inexplicables,  par  exemple  celui 
sur  le  péché  irrémissible  contre  le  Saint-Esprit.  -  D'autres  se  laissent 
expliquer  allégoriquement;  ainsi  le   feu  dont  il  est  parlé  dans  la 
sainte  Écriture  n'est  autre  chose  que  '^  la  colère  et  le  châtiment  de 
Dieu  ».  Cette  flamme  qui  torture  le  riche  de  l'Évangile,  «  c'est  l'indi- 
gnation du  Seigneur;  il  n'existe  pas  d'autres  châtiments  dans  l'en- 
fer, en  dépit  de  toutes  les  imaginations  des  poètes,  et  les  tourments 
éternels  ne  sont  autre  chose  que  cette  torture  d'âme  qui  accompagne 
constamment  les  coupables^  «.  «  Érasme. a  la  hardiesse  »,  dit  fort 
justement  le  docteur  Jean  Eck  dans  ses  Commentaires  sur  le  Nouveau 
Testament,  «  de  corriger  l'Espril-Saint,  le  Maître  même  des  Apôtres.  » 
«  Tu  prétends  >-,  écrivait-il  à  Érasme,  -  que  les  évangélisfes  se  sont 
trompés.  Aucun  chrétien  n'admettra  jamais  une  pareille  hypothèse! 
Loin  de  nous  de  supposer  seulement  la  possibilité  d'une  semblable 
erreur!  Comment  les  disciples  du  Saint-Esprit  et  de  Jésus,  notre 
Rédempteur,  comment  les  colonnes  de  notre  foi,  les  hommes  qui 
n'ont  pas  été  enseignés  par  la  sagesse  humaine,  auraient-ils  pu  se 
tromper  ?  Si  tu  compromets,  à  propos  des  Évangiles,  le  respect  dû  à 
la  sainte  Écriture,  quelle  autre  partie  de  la  Bible  sera  désormais  à 
l'abri  du  doute  ^?  •' 

Que  les  auteurs  des  saints  Livres  aient  été  en  général  «  inspirés 
par  le  Saint-Esprit  >',  et  qu'ils  aient  suivi  cette  divine  impulsion, 


'  Voy.  cette  opinion  d'Érasme  et  d'autres  analogues  dans  Hagen,  Deutschlandt 
literarische  V erhüll nisse,  t.  I,  p.  307-318.  Voy.  aussi  Dra'MMOND,  t.  I,  p.  293. 

-  Nec  alla  est  flamma  in  qua  cruciatur  dives  ille  cominessator  evangelicus; 
nec  alla  supplicia'  inferorum...  quam  perpétua  mentis  anxietas,  quae  peccandi 
consuetudinem  comitatur.  "  Voy.  Stichvrt,  p.  242-244,  266-267. 

'  «  Audi,  mi  Erasme,  arbitrari.^ne  Christianum  patienter  laturum  Evangelis- 
tas  in  Evangeliis  lapsos?  Si  hic  vacillât  sacra'  Scripturœ  auctoritas,  quse  pars 
alia  sine  suspicione  erroris  erit?  "  Lettre  du  2  février  1518,  in  Erasmi  Op.,  III, 
p.  296-297,  ep.  303. 


MÉTHODE    D'ENSEIGNEMENT    ET    MORALE    D'ÉRASME.  19 

Érasme  ne  le  niait  point;  mais  il  admettait  également  une  sorte 
d'inspiration  chez  les  grands  auteurs  païens;  selon  lui,  les  maximes 
qu'ils  nous  ont  léguées  sont  si  pleines  de  sagesse  qu'elles  les  ont 
rendus  dignes  d'être  mis  en  parallèle  avec  les  saints  de  l'Église  chré- 
tienne. «  11  est  vrai  que  le  premier  rang  doit  être  laissé  aux  saintes 
Écritures  ",  lisons-nous  dans  ses  Enlreliens  JamUiets ;  ^  mais  je 
découvre  souvent  dans  les  auteurs  païens,  même  chez  les  poètes,  des 
pensées  si  pures,  si  saintes,  si  divines,  que  je  suis  persuadé  qu'un 
esprit  divin  a  guidé  la  plume  de  ces  hommes.  Je  ne  puis  lire  les 
traités  de  Cicéron  sur  la  vieillesse,  sur  l'amitié,  sur  les  devoirs  de 
l'homme;  je  ne  puis  lire  ses  Tnsculanes,  sans  baiser  avec  respect  les 
pages  de  mon  livre,  et  sans  rendre  hommage  au  cœur  vraiment  reli- 
gieux que  Dieu  même  inspirait.  Lorsque  j'ai  en  main,  au  contraire, 
les  écrits  moralistes  de  notre  temps,  que  tout  m'y  parait  froid!  « 
«  C'est  à  peine  si  je  puis  m'empécher  de  dire  :  Saint  Socrate,  prie 
pour  nous!  »  "  Souvent  je  me  persuade  que  les  âmes  de  Virgile  et 
d'Horace  ont  été  sanctifiées  '.  » 

Mais  s'il  avait  été  donné  aux  païens  d'atteindre  à  la  sainteté,  pour- 
quoi, alors,  les  rudes  austérités  delà  pénilence  chrétienne? pourquoi 
l'observance  des  conseils  évangéliques,  les  Ordres  religieux?  pour- 
quoi le  jeune,  les  pèlerinages  et  autres  pratiques  de  dévotion?  Jésus- 
Christ,  modèle  achevé  de  toute  perfection,  être  parfait,  exemplaire 
unique  et  vivant  de  la  plus  pure  vertu,  n'avait  pas  ordonné  le  jeûne; 
il  s'y  était  plutôt  montré  opposé,  ainsi  qu'à  d'autres  prescriptions;  le 
jeûne  était  donc  une  invention  humaine,  et  même  une  tyrannie-. 

La  «  philosophie  du  Christ  -  qu'Érasme  voulait  répandre  n'était 
au  fond  que  la  morale  facile  d'un  homme  du  monde,  sans  reproche 
aux  yeux  de  la  sagesse  humaine.  Dans  ses  Entretiens  familiers, 
auxquels  il  travaillait  encore  en  sa  vieillesse,  et  qu'il  regardait  comme 
une  oeuvre  d'une  importance  capitale  au  point  de  vue  de  l'éducation 

'  •  Miilti  sunt  in  consortio  sanctorum,  qui  non  sunt  apud  nos  in  catalogo... 
Proinde  quuni  huiusraodi  quœdara  lego  de  talibus  viris,  vix  mihi  terapero  quin 
dicam  :  Sancte  Socrates,  ora  pro  nobis.  At  ipse  mihi  sa^penumero  non  tera- 
pero, quin  bene  ominer  sanctae  animae  Maronis  et  Flacci.  «  Colloquia  famiUaria, 
dans  le  Com-ivium  religiosum  d'après  l'édition  portative  de  Leipzig],  p.  122,  126. 
—  Les  humanistes  italiens  avaient  depuis  longtemps  imaginé  un  paradis  païen 
où  les  héros  de  l'histoire  et  des  lettres  éclipsaient  les  saints  du  christianisme. 
Voy.  BuRGKHAUDT,  Renaissance,  p.  4i6.  —  Érasme  avait  aussi  inventé  un  paradis 
païen.  Dans  ses  Apolkeosls  Capnionis,  de  incomparabili  hcroc  Joanne  Reuchlino  in 
divorum  numcrum  relato  ip.  Hl-147  ,  il  place  Reuchlin  au  nombre  des  saints,  et 
l'invoque  comme  le  patron  de  la  philologie,  sécriant  :  "  0  sancta  anima,  sis 
felix  linguis,  sis  felix  linguarum  cultoribus,  faveto  Unguis  sanctis,  perdito 
malas  linguas,  infectas  veneno  yehennse.  "  iP.  147.) 

*  Voy.  H.VGEN,  Deutschlands  literarische  Verhcdtnissc,  t.  I,  p.  320.  —  MuLLER, 
P.  236,  265.  —  Drummo.nd,  t.  I,  p.  321.  —  Hess,  t.  I,  p.  233. 

2. 


20  PHILOSOPHIE    D'ERASME. 

chrétienne,  Érasme  affirme  que  cette  éducation  consiste  surtout  dans 
Tacquisition  d'une  culture  délicate,  dans  Tobservance  exacte  des  con- 
seils suggérés  par  le  bon  sens,  et  dans  l'emploi  de  tous  les  moyens  que 
nous  fournit  la  prudence  humaine  pour  vivre  honorablement.  «  11 
dit  et  enseigne  dans  ses  Entreliens  ■■,  dit  Luther,  «  beaucoup  de  choses 
impiesqu'ilprêteà  des  personnages  fictifs,  dans  le  dessein  prémédité  de 
combattre  l'Église  et  la  foi  chrétienne.  >i  Le  livre  des  Entretiens,  destiné 
surtout  à  la  jeunesse,  contient  néanmoins  les  railleries  les  plus  acérées 
contre  les  moines,  la  vie  religieuse,  les  jeûnes,  les  pèlerinages,  etc.; 
on  y  trouve  même  quelques  passages  lascifs'.  Il  était  impossible  à 
Érasme,  même  quand  il  offrait  au  public  des  remarques  sur  la  sainte 
Écriture,  de  dissimuler  entièrement  une  lubricité  de  faune*. 

Voici  l'abrégé  de  sa  philosophie  :  «  La  sagesse  humaine  doit  régler 
notrevie.  Puisquenousne  pouvons  éviterlamort,ilnous  faut  l'accepter 
avec  résignation.  "  Dans  son  traité  sur  le  Mépris  de  la  mort,  où  il  s'ef- 
force de  consoler  un  père  de  la  mort  de  son  fils,  âgé  de  vingt  ans,  il  cite 
différents  passages  tirés  des  poètes  païens  sur  la  rapidité  et  la  misère 
de  la  vie;  nous  y  retrouvons  le  célèbre  axiome  :  «  Ce  qu'il  y  a  de  pré- 
férable, c'est  de  ne  pas  naître;  ensuite,  c'est  de  disparaître  le  plus  tôt 
possible  de  cette  vie.  »  "  Oui  pourrait  ",  ajoute  Érasme,  '  ne  pas  donner 
son  entier  assentiment  à  cette  maxime?  »  «  Le  sage  doit  tout  sup- 
porter avec  un  courage  plein  de  sérénité.  Le  deuil  ne  sert  de  rien 
aux  morts,  et  nuit  beaucoup  aux  vivants.  "  Ce  n'est  que  vers  la  fin 
du  traité  qu'il  place  quelques  réflexions  où  Ton  peut  trouver  un 
semblant  de  christianisme  :  "  Après  m'être  servi  jusqu'ici  de  tout 
ce  que  j'ai  pu  recueillir  dans  les  auteurs  païens  de  plus  propre  à  vous 
consoler,  je  veux  maintenant  vous  expliquer  en  peu  de  mots  ce  que 
la  piété  et  la  foi  chrétienne  demandent  de  vous.  »  Lesphrasessuivantes 
doivent  donc  passer  à  nos  yeuxpour  chrétiennes  :  «  Tout  en  admettant 
que  la  mort  soit  affreuse,  nous  devons  néanmoins  nous  en  accom- 

'  "  ]\'a-t-on  pas  lieu  de  s'alarmer  »,  dit  Kellner  {Erzickungsgesckichte,  t.  I,p.  238- 
240),  -  lorsque  dans  un  écrit  destiné  à  la  jeunesse  et  sorti  de  la  plume  d'un  savant 
et  d'un  prêtre,  nous  trouvons  la  conversation  légère  de  deux  femmes  sur  leurs 
maris,  les  entretiens  d'un  amoureux  avec  sa  belle,  d'un  jeune  homme  avec  une 
femme  de  mauvaise  vie?  "  -  Érasme,  dans  ce  livre,  fait  de  certains  plaisirs  vo- 
luptueux des  descriptions  dangereuses,  qu'il  s'efforce  de  faire  passer  en  les 
accompagnant  de  conseils  édifiants.  •  —  Voy.  aussi  Müller,  p.  240-241.  Dans  la 
dédicace  de  la  seconde  édition  de  son  ouvrage,  Érasme  affirme  que  bien  des 
gens,  grâce  à  lui,  sont  devenus  meilleurs  latinistes  et  gens  de  meilleure  vie. 
Assurément  la  jeunesse  pouvait  fjire  de  réels  progrès  dans  la  langue  latine  à  la 
lecture  de  ces  pages  écrites  d'un  style  si  élégant,  si  naturel;  mais  qu'elle  s'y 
soit  moralement  améliorée,  c'est  ce  qui  n'est  guère  admissible.  L'influence  des 
Entietiens  fut  énorme.  Les  Colloques,  dit  Durand  de  L.iUR  (t.  Il,  p.  56),  «  vulgarisèrent 
la  Renaissance  et  la  firent  pénétrer  dans  l'esprit  de  la  jeunesse  ».  Pour  l'histoire 
de  la  culture  intellectuelle  à  cette  époque,  le  livre  de  Laur  est  une  mine  fé- 
conde. Voy.  Peschek  dans  V  Anzeiger  für  Kunst  deutscher  Vorzeit,  t.  III,  p.  139-140. 

-  Voy.  STICH.4RT,  p.  247-248. 


PHILOS  Ol' Il  IE    D'ÉRASME.  21 

iiiodcr,  parce  que  nous  n'avons  aucun  moyen  de  nous  y  soustraire.  » 
"  Quand  bien  même  elle  anéantirait  l'homme  tout  entier,  il  laudrait 
encore  l'accepter  avec  insouciance,  puisqu'elle  met  un  terme  aux 
peines  de  la  vie!  »  «  Quand  la  mort  délivre  l'àme,  dont  l'origine  est  si 
pure,  de  cette  grossière  maison  de  travail  et  de  corruption  qui  est  notre 
corps,  il  faut  léliciter  celui  qui  dit  adieu  au  monde  :  il  a  retrouvé  la 
bienheureuse  liberté.  »  De  Jésus,  dispensateur  de  la  vie  éternelle, 
fondement  de  notre  espérance,  Érasme  ne  dit  pas  un  seul  mot'. 

Telle  est  la  «  nouvelle  culture  »,  la  «  philosophie  chrétienne  »,  la 
«  science  théologique  épurée  »  que  propagea  cet  illustre  humaniste, 
qui  fut  pendant  si  longtemps  la  première  puissance  intellectuelle  de 
l'Occident  et  le  centre  vivant  de  l'Europe  littéraire.  Ses  écrits  étaient 
l'objet  d'un  enthousiasme  sans  exemple*.  On  les  «  dévorait  »  avec 
une  incroyable  ardeur.  Lui-même  raconte  avoir  été  salué  des  noms 
de  «  prince  de  la  science  »,  de  «  précurseur  triomphant  de  la  vraie 
théologie  »,d'  «  étoile  et  de  parure  de  l'Allemagne ^  »  Lorsque,  dans 
l'automne  de  1513,  il  revint  d'Angleterre,  son  retour,  regardé  comme 
un  événement  grand  et  joyeux  pour  l'Allemagne,  fut  célébré  comme 
la  fête  générale  de  tous  les  esprits  cultivés.  Dans  beaucoup  de  villes, 
il  fut  presque  reçu  en  roi.  Des  députations  allèrent  au-devant  de 
lui,  prononcèrent  des  harangues,  lui  remirent  des  adresses  et  des 
présents.  Ulrich  Zasius  lui-même  était  si  épris  des  dons  brillants, 
de  la  culture  variée,  du  latin  exquis  d'Érasme,  qu'il  l'appelait  le  plus 
grand  savant  qu'ait  jamais  produit  rAlleroagne*. 

'  Voy.  Stich\rt,  p.  264-266.  —  Ailleurs  il  s'exprime  sur  la  mort  non  en 
chrétien,  mais  en  vrai  disciple  de  la  philosophie  païenne.  Dans  une  de 
ses  épîtres  (Op.,  m,  p.  784-787,  ep.  671)  il  dénature  complètement  la  juste 
crainte  qu'éprouve  le  chrétien  à  la  pensée  d'une  mort  soudaine  et  imprévue  : 
«  Verum  dictu  mirum,  quam  vulgus  execratur  subitam  mortem,  adeo  ut  nihil 
frequentius,  nihil  vehementius  apud  Deum  et  divos  deprecentur  quam  mortem 
subitaneam  ac  improvisam.  ■■>  «  Da  mihi,  inquiunt,  veram  contritionem  et  puram 
confessionera  ante  mortem.  Et  hoc  petunt  nonnunquam  a  diva  Barbara  aut 
Erasmo.  Obsecro,  quid  alii  isti  petunt,  quam,  liceat  mihi  male  vivere,  et  da  tu 
bene  mori.  »  Érasme  avoue  sa  préférence  pour  une  mort  subite  :  «  quam  paucos 
corrigit  longa  aegrotalio  si  tarnen  ullos  corrigit  »,  et  répète  là  encore  la  maxime 
païenne  :  «  Ab  omni  philosophia  videtur  alienus,  qui  miserius  ducit  mori  natum 
quam  nasci  moriturum.  »  —  Feugère  (p.  362-364),  comparant  les  idées  d'Érasme 
avec  celles  de  Montaigne,  dit  à  ce  propos  :  «  C'est  déjà  l'esprit  philosophique  cher- 
chant à  dissiper  les  terreurs  religieuses  des  derniers  instants  de  l'homme.  Érasme, 
comme  plus  tard  Montaigne,  n'est  pas  éloigné  denvier  aux  anciens  cette  mort 
paisible  à  laquelle  ils  arrivaient  sans  chagrin,  dans  un  état  de  somnolence  confuse.  • 

*  Un  éditeur  de  Paris  imprima  jusqu'à  vingt-quatre  mille  exemplaires  des 
Colloques.  Drummo.Nd,  t.  I,  p.  179. 

^  Op.  m,  p.  862,  ep.  746. 

*«  Hoc  enim  fateri  et  ex  judicio  possum  •,  écrivait-il  en  1515  à  Érasme, 
•  sexcentis  et  amplius  rétro  annis  doctiorem  te  Germanije  vel  omni  nunquam 
contigisse.   •  Erasmi  op.,  IH,  1540,  /ipp.  ep.  27.  —   Zasius    s'estimait  heureux 


22  ÉRASME  ET  LE  CULTE  DU  GÉNIE. 

La  jeunesse,  passionnée  pour  les  études  classiques,  était  "  transportée 
d'enthousiasme  »  au  seul  aspect  d'Érasme  et  le  regardait  comme  un 
saint  :  "  Homme  unique  « ,  lui  écrivait  un  jour  l'humaniste  Guillaume 
Nesen,  «  tu  es  le  dispensateur  de  l'immortalité!  ^  Ailleurs,  Nesen 
nous  dit  «  qu'il  se  tient  aussi  abaissé  au-dessous  du  plus  humble  des 
savants  qu'Erasme  est  élevé  au-dessus  des  plus  éminents  *  •.  Eoban 
Hessus,  Juste  Jonas,  Caspar  Schalbe,  humanistes  célèbres  de  cette 
époque,  entreprenaient  des  pèlerinages  au  lieu  de  naissance  d'Érasme. 
«  A  travers  les  forêts  -,  rapporte  Schalbe,  -  parmi  tant  de  pays 
infestés  de  maladies  contagieuses,  nous  allons  à  la  recherche  de  la  perle 
unique  de  l'univers.  '-  Eoban  célèbre  en  de  nombreux  hexamètres 
son  pénible  voyage,  dont  l'unique  récompense  devait  être  un  court 
entretien  avec  Érasme.  Ce  voyage,  c'est  le  "  point  lumineux  de  toute 
sa  carrière  >;.  Conrad  Mutian,  chef  illustre  dans  l'école  nouvelle, 
s'écriait  plein  d'enthousiasme  :  «  En  Érasme,  la  mesure  habituelle 
des  dons  humains  est  dépassée.  C'est  un  être  divin,  et  comme  tel 
on  doit  le  vénérer  avec  religion  et  piété  *.  ' 

Le  culte  du  génie,  inauguré  à  propos  d'Érasme,  était  une  appari- 
tion toute  nouvelle  en  Allemagne.  Parmi  les  esprits  de  second  ordre 
de  la  nouvelle  école,  il  dégénéra  naturellement  en  véritable  mala- 
die, et  l'adulation  flagorneuse  des  savants  entre  eux  ne  connut  bien- 
tôt plus  de  bornes.  Érasme  favorisa  ce  travers  par  les  éloges  hors 
de  toute  proportion  qu'il  prodiguait  aux  uns  et  aux  autres,  surtout 
lorsque  son  intérêt  était  en  jeu,  et  que  l'homme  qu'il  venait  d'encen- 
ser lui  paraissait  pouvoir  servir  sa  gloire,  et  devenir  comme  un  porte- 
voix  ou  comme  une  trompette  retentissante  pour  sa  renommée. 


IV 


Le  second  résultat  de  l'influence  exercée  par  Érasme  sur  la  nou- 
velle école  des  humanistes  fut  de  leur  inspirer  un  profond  mépris 
pour  la  théologie  du  moyen  âge,  en  même  temps  qu'un  enthou- 
siasme exclusif  pour  l'antiquité  païenne.  Ce  n'est  pas  sans  raison 
qu'on  lui  a  reproché  d'avoir  discrédité  l'étude  de  la  philosophie, 

d'avoir  reçu  une  lettre  d'Érasme.  Cette  lettre,  lui  écrivait-il,  avait  couru  dans 
toute  l'Académie  de  Fribourg.  Tous  avaient  loué  Érasme,  tous  s'étaient  émer- 
veillés; Érasme  était  un  esprit  descendu  du  ciel.  On  montrait  Zasius  au  doigt, 
en  disant  :  Voici  l'homme  heureux  auquel  Érasme,  le  Cicéron  de  l'Allemagne,  a 
écrit  une  lettre  d'ami!  etc.  Voy.  Riegger,  ZasU  Episi.  274. 

•  Steitz,  .Vese7i,  p.  42-44,  107. 

-  «  Erasmus  surgit  supra  hominis  vires.  Divinus  est,  et  venerandus  religiöse, 
pie  tanquam  Numen.  •  Tentzel,  p.  120.       Krause,  Briefwechsel,  p.  564. 


ESI' RIT    DE    LA    NOUVELLE    ÉCOLE    DES    HUMANISTES.  23 

et  d'avoir  célébré  comme  première  condition  d'une  haute  culture  la 
rhétorique  et  le  verbiage  spirituel,  au  détriment  d'une  investigation 
savante,  approfondie  et  spéculative.  "  11  est  extrêmement  facile  », 
écrivait  Wimpheling,  «  de  persuader  à  la  jeunesse,  éprise  de  l'élo- 
quence des  poètes  anciens,  que  la  scolastique  n'est  que  sophisme  et 
barbarie.  Les  jeunes  gens  sont  bien  aises  de  voir  traiter  avec  dédain 
une  science  qui  leur  est  d'une  acquisition  si  difficile;  d'autre  part, 
ils  aiment  à  entendre  vanter  des  études  qui  leur  sont  faciles  et  agréa- 
bles. »  Déjà  l'humaniste  Jacques  Locher,  surnommé  Philomusus, 
exprimait  le  désir  de  voir  le  culte  des  muses  remplacer  les  disciplines 
scolastiques.  «  A  la  sainte  poésie  = ,  disait-il,  =  appartient  le  premier 
rang  dans  toutes  les  sciences;  les  scolastiques,  dans  la  stérilité  de 
leur  prétendu  zèle  scientifique,  sont  à  proprement  parler  des  «  ânes 
théologiens  »,  dignes  de  la  raillerie  et  du  mépris  de  tous  les  gens 
éclairés.  Ce  n'est  que  dans  les  poètes  que  la  jeunesse  peut  puiser  un 
utile  aliment  pour  son  intelligence.  »  A  entendre  Philomusus,  Ovide 
lui-même  était  chaste;  il  assimilait  les  sentences  de  Juvénal  aux 
maximes  de  l'Évangile  *. 

A  partir  de  1511,  les  plaintes  sur  l'abaissement  et  le  discrédit  où 
la  philosophie  tombe  de  jour  en  jour,  sur  l'élude  partiale  et  exclu- 
sive de  l'antiquité,  sur  l'orgueil  présomptueux  et  la  conduite  disso- 
lue des  nouveaux  humanistes,  se  font  entendre  de  tous  côtés.  «  La 
philosophie  est  délaissée  ",  écrit  Jean  Cochhïus  en  1512,  i  et  cepen- 
dant il  faut  convenir  que  l'étude  des  auteurs  anciens,  bien  qu'elle 
soit  la  parure  de  l'érudition,  est  certainement  dangereuse  pour 
celui  qui  n'a  point  reçu  une  solide  instruction  scientifique.  De  là 
vient  la  frivolité  de  certains  esprits,  désignés  à  tort  par  les  gens 
peu  instruits  sous  le  nom  de  poètes  ;  de  là  leurs  mœurs  légères,  leur 
vie  scandaleuse  et  coupable.  Ce  sont  de  vulgaires  esclaves  de  Bacchus 
et  de  Vénus,  et  non  de  pieux  prêtres  de  Phœbus  et  de  Pallas  -.  » 

'  Sur  Locher,  voy.  Stintzing,  i'iiich  Zasius,  p.  57-60.  Voy.  Wiskowatoff,  148.  — 
Schreiber,  Gesckichle  der  L'/iicersität  Freiburg,  t.  I,  p.  77-81.  —  Horawitz,  Zut 
Geschichte  des  deutschen  Humanismus  und  der  deutschen  Historiographie.  —  .AIüLLER,  Zeits- 
chrift für  deutsche  Culiurgeschichte,  nouvelle  suite,  quatrième  année,  p.  743-756. 
—  Parlant  du  peu  d'honorabilité  de  Locher,  Schreiber  raconte  qu'il  fit  un  jour 
surprendre  et  maltraiter  un  adversaire  sans  armes  par  huit  hommes  bien  armés.  Il 
se  vantait  d'être  très-savant  latiniste, juge  compétent  en  grec,  poëte  exquis,  et 
disait  que  son  caractère  admirable  était  d'une  sûreté  à  toute  épreuve.  Comme 
traducteur,  éditeur,  commentateur  des  auteurs  classiques,  Locher  rendit,  il  est 
vrai,  d'éminents  services  à  la  philologie  classique;  mais  ses  mœurs  étaient  telle- 
ment dissolues,  que  l'on  peut  à  peine  comprendre  comment  Zarncke,  dans 
l'excellente  introduction  de  son  édition  de  la  Nef  des  fous,  l'ait  mis  au  rang  de 
"  ces  jeunes  lutteurs  que  l'esprit  universel  de  progrès  avait  réunis  sous  la 
bannière  de  Sébastien  Brant  -  .L'infatuation  sans  réserve  de  Locher  pour  lui- 
même  et  sa  conduite  iiiiinorale  font  de  lui  le  précurseur  d'LIrich  liuUen. 

*  Voy.  Otto,  p.  2G.  In  des  hommes  qui  les  premiers  combattirent  les  exagé- 


24  ESPRIT    DU    NOUVEL    HUMANISME. 

Les  «  poètes  »,  comme  étaient  communément  appelés  les  nouveaux 
humanistes,  en  vinrent  enfin  à  un  fanatisme  si  exalté,  et  s'éprirent  de 
telle  sorte  de  l'antiquité  classique,  qu'ils  se  mirent  à  dénigrer  tout  ce 
qui  n'était  pas  latin  ou  grec.  Tout  eu  eux,  pensée  et  langage,  démentit 
leur  origine  allemande;  ils  finirent  par  perdre  tellement  le  sentiment 
de  leur  nationalité  avec  toutes  ses  traditions  que,  tout  honteux  de 
leurs  noms  germaniques,  ils  s'en  forgèrent  de  nouveaux  tirés  du  latin 
ou  du  grec.  Un  Schuster  devient  un  Sutor,  ou  Sutorius.  Un  Fischer  se 
transforme  en  Piscator.  Un  Schneider  s'appelle  Sertorius  ;  un  Pierre 
Eberbach,  Petrejus;  un  Hans  Jäger,  d'abord  Venator,  se  change  en 
Crotus  Rubianus. 

K  Lorsqu'il  s'appelait  encore  Jäger  von  Dornheim  »,  écrivait  à 
Crotus  son  ami  Conrad  Mutian,  «  les  scolastiques  lui  plaisaient;  le 
saint  docteur,  l'irréfutable  docteur,  le  pénétrant  docteur  lui  agréait 
fort;  mais  depuis  qu'il  a  pris  une  nouvelle  naissance,  et  que  Jäger 
von  Dornheim  est  devenu  Crotus  Rubianus,  il  a  perdu  ses  longues 
oreilles  et  sa  queue  d'âne,  semblable  à  Apulée  lorsqu'il  reprit  sa 
forme  humaine.  »  «  Salut  et  gloire  à  toi!  Tu  as  échappé  aux  récifs  et 
aux  sirfes!  Maintenant  que  tu  es  au  port,  comprends-tu  combien  sont 
à  plaindre  ceux  qui  ne  se  sont  pas  encore  affranchis  de  la  barbarie  '?  » 
Quant  aux  "  vieux  barbares»,  plongés  dans  leurs  subtilités  dialec- 
tiques et  scientifiques,  les  nouveaux  humanistes  les  méprisaient  pro- 
fondément, parce  qu'ils  ne  comprenaient  pas  le  latin  classique  et  ne 
faisaient  point  de  vers  latins  comme  eux. 

La  plupart  d'entre  eux  ne  se  piquaient  que  de  versifier.  Incapables 
de  pénétrer  profondément  dans  l'esprit  des  anciens,  mettant  la 
forme  bien  au-dessus  du  fond,  regardant  l'élégance  du  langage 
comme  le  but  suprême  de  toute  culture,  ils  ne  cherchaient  à  s'appro- 
prier que  la  beauté  extérieure  de  la  forme  antique.  La  puissance 
créatrice,  la  vérité  intrinsèque,  la  profondeur  de  pensée,  la  sève, 
l'imagination,  irisaient  totalement  défaut  aux  innombrables  «  hauts 
faits  poétiques  »  dont  ils  étaient  si  fiers,  et  pour  lesquels  ils  se  trai- 
taient mutuellement  de  modernes  Horaces,  de  Virgiles,  de  vainqueurs 
de  l'antique  barbarie,  et  de  restaurateurs  du  véritable  bon  goût  -. 

rations  de  l'humanisme  ;\  cette  époque,  c'est  Conrad  Saldner,  professeur  de 
théologie  à  l'Université  de  Vienne.  Voy.  sa  correspondance  avec  le  patricien 
d'Augsbourg  Sigismond  Gossembrot,  publiée  par  W.  Wattenbach  dans  la 
Zeitschrift  für  die  Geschichte  des  Oberrheins,  t.  XXV,  p.  36-69. 

'  Voy.  Tentzel,  p.  151-1G2.  —  Krause,  Briefwechsel,  p.  382-383,  Nr.  310.  —  La 
quantité  de  noms  dont  s'affublaient  les  savants  est  vraiment  divertissante.  Un 
humaniste  d'Erfurt  te  fait  appeler  Publius  ligilamius  BaciUarius  Axuagia  ârbiila.  V 
ajoute  encore  à  ces  noms  celui  de  Trabotus  (Kampschülte,  p.  I,  p.  66,  noie  2j. 
Eoban,  Hessois  de  naissance,  fils  d'un  cuisinier,  se  contente  de  trois  noms  : 
Helius{en  sa  qualité  de  favori  du  Dieu  Soleil)  Eobanus  Hesstts. 

^  •  Le  sujet  des  compositions  des  humanistes  de  ce  temps  » ,  dit  Paulsen  (p-  29), 


LES    NOUVEAUX    HUMANISTES    ET    LEURS    ECRITS.  25 

Combien  fades  et  vides  sont,  par  exemple,  les  trois  cents  hexa- 
mètres où  riiumaniste  Hermann  van  dem  Busciie  chante  la  «  sainte 
Cologne  ')  !  Les  fleurs  de  rliélorique  et  les  rémiHJscences  classiques 
forment  la  majeure  partie  de  son  poëmc.  Tous  les  dieux  de  la 
mylhologie  sont  invités  à  glorifier  la  ville.  Parmi  eux,  le  Christ  est 
nommé  une  seule  fois,  et  comme  en  passant.  L'ouvrage  ne  nous  fournit 
peut-être  pas  un  seul  renseignement  intéressant  sur  la  physionomie 
delà  ville  '  à  cette  époque.  ViClocje  de  l'Université  cl' Erfurt,  par  Eoban 
Hessus,  est  tout  aussi  dépourvu  d'intérêt  et  de  goiït.  La  ville  y  est 
célébrée  comme  le  séjour  des  Muses,  le  lieu  de  naissance  de  Pallas;  la 
bruyante  Gera  est  transforméeen  Triton.  Dieux  et  demi-dieux  cèdent 
leurs  noms  aux  professeurs  d'Erfurt.  L'humaniste  Mutian  est  porté 
aux  nues  sous  le  nom  de  Minos.  Quani  à  Eoban,  sa  gloire  ne  le 
cède  en  rien  à  celle  d'Homère.  Son  poème,  s'il  faut  l'en  croire,  assure  à 
Erfurt  un  renom  immortel.  Ainsi  l'Iliade  immortalisa  Troie*.  S'il  adve- 
nait jamais  qu'une  catastrophe  imprévue  détruisit  Erfurt,  le  poème 
d'Eoban  la  ferait  vivre  éternellement  dans  la  mémoire  des  hommes. 

Lorsqu'ils  entreprennent  de  traiter  quelque  sujet  chrétien,  rava- 
lant les  choses  saintes  jusqu'à  les  faire  servir  de  prétexte  aux  plus 
fades  jeux  d'esprit,  les  «  poètes  "  se  montrent  encore  plus  destitués 
de  goiit,  plus  loin  du  sentiment  juste  des  choses.  Eoban,  dans  ses 
Héroïdes  chrétiennes  (1514),  nous  offre  les  épitres  amoureuses  des 
saintes  femmes  du  Nouveau  Testament.  Ces  épitres  ont  eu  celles 
d'Ovide  pour  modèles.  Sainte  Marie-Madeleine  correspond  avec  Jésus- 
Christ,  Dieu  le  Père  avec  la  Vierge  Marie.  On  ne  peut  lire  sans  dégoût 
des  élucubrations  de  ce  genre.  Cependant  Érasme  se  montre  ravi  de 
l'ouvrage,  et,  plein  d'admiration,  salue  dans  Eoban  ><  l'Ovide  de  l'Al- 
lemagne, le  seul  génie  capable  d'affranchir  son  pays  de  la  barbarie  '  » . 

Les  «  poètes  "  faisaient  preuve  d  un  matérialisme  révoltant  dans 
leurs  nombreuses  et  indécentes  imitations  des  auteurs  erotiques  de 
l'antiquité.  Conrad  Celtes  les  avait  précédés  dans  cette  voie;  ses  pein- 
tures indécentes  laissaient  Ovide  bien  loin  derrière  lui;  du  reste,  il 
s'en  vantait,  affirmant  que  ces  trop  réalistes  tableaux  préservaient  la 
jeunesse  des  périls  d'un  sensualisme  effréné'.  Sous  le  même  faux 

•  n"est  souvent  qu'un  mannequin  servant  à  draper  un  élégant  attirail.  »  Voy. 
aussi  la  page  34  du  même  ouvrage. 

'  Voy.  A.  Reichensperger,  index  3  fil.  Liessem,  Hermann  van  dem  Büsche,  Pro- 
gram des  Kaiser  ll'il/ielm  Gymnasius  in  Coin  (18851,  p.  34. 

-  Voy.  SCHW  ERTZELL,   p.   8.    —  KAMPSCHULTE,   t.  I,  p.   71-72. 

»  Voy.  ScHWEPxTZELL,  t.  XVI,  p.  28-29.  —  Voy.  la  lettre  de  M.  Huramelberger 
j  du  24  janvier  1516  dans  Horawitz,  Zw  Biographie  BeuclUin's,  p.  31.  —  Sur  Eoban 
i  considéré  comme  poëte,  L.  Geiger  a  fait  un  excellent  article  de  critique.  Neue 
Schriften,  p.  124. 

*  Dans  le  Libri  Amorum.  Voy.  AschbaCH,  Wiener  Humanismus,  p.  227-247.  —  On 
avait  déjà  vu  çà  et  là  dans  les  écrivains  contemporains  s'affirmer  des  tendances 


26  LES    NOUVEAUX    HUMANISTES    ET    LEURS    ÉCRITS. 

prétexte,  beaucoup  d'humanistes  mettaient  entre  les  mains  des 
jeunes  gens  les  œuvres  les  plus  licencieuses. 

"  Peux-tu  nier  »,  écrit  le  prince  de  Carpi  à  Érasme,  "  que  chez  vous 
ainsi  qu'en  Italie  (et  cela  depuis  déjà  longtemps),  partout  où  les 
prétendues  belles-lettres  sont  cultivées  avec  une  ardeur  exclusive, 
partout  où  les  disciplines  philosophiques  et  théologiques  d'autrefois 
sont  méprisées,  une  triste  confusion  ne  se  soit  mise  entre  les  vérités 
chrétiennes  et  les  maximes  païennes?  Ce  désordre  regrettable  se  glisse 
partout;  l'esprit  de  discorde  s'empare  des  esprits,  et  les  mœurs  ne 
s'accordent  plus  en  rien  avec  les  prescriptions  morales  du  christia- 
nisme '.  » 

Aux  quatorzième  et  quinzième  siècles,  les  humanistes  italiens  avaient 
pris  une  attitude  indifférente  et  sceptique  vis-à-vis  de  l'Église;  le 
christianisme  et  son  constant  appel  vers  des  pensées  élevées  ne  les 
dirigeaient  plus  en  rien.  Ils  remplissaient  l'Italie  de  leurs  écrits  dif- 
famatoires. La  légèreté  de  leurs  mœurs  était  connue  de  tous.  A  la 
science  grecque  il  n'était  pas  rare  de  les  voir  mêler  les  vices  grecs; 
ils  suivaient,  en  un  mot,  cette  philosophie  éhontée  de  la  jouissance 
à  laquelle  les  nouvelles  de  Boccace  avaient  donné  l'éveil  *. 

C'est  un  désordre  semblable  que  l'on  voyait  maintenant  s'intro- 
duire en  Allemagne.  Locher,  Hermann  van  dem  Busche  \  Ulrich  de 
Hütten  ne  le  cédaient  en  rien  à  leurs  modèles  d'Italie.  Eux  aussi 
ne  se  plaisaient  que  dans  les  querelles,  répandaient  la  calomnie, 
et  poussaient  jusqu'aux  plus  extrêmes  excès,  dans  leur  vie  privée, 
l'abandon  des  devoirs  de  la  morale  chrétienne.  En  un  point  même 

absolument  païennes.  Jean  Tröster  publia  en  1454  un  dialogue  erotique  où  les 
plus  indiscutables  prescriptions  de  la  morale  chrétienne  étaient  représentées 
comme  niaises  et  surannées.  Jésus- Christ  y  était  comparé  à  Hercule,  et  la 
Vierge  Marie  à  Aicmène.  Voy.  Voigt,  ll'iederbelehung,  p.  381. 

'  Luciibrationes,  p.  72.  —  Érasme  lui-même  écrivait  à  Fabricius  Capito,  à  pro- 
pos du  réveil  des  sciences  et  de  la  philologie  (26  février  1516)  :  «  Omnia  mihi 
pollicentur  rem  felicissime  successuram  :  unus  adhuc  scrupulus  habet  animum 
meum,  ne  sub  ol)tentu  prisca'  literaturse  renascentis  caput  erigere  conetur 
Paganismus  :  ut  sunt  et  inter  Christianos,  qui  tutulo  pêne  duntaxat  Christum 
agnoscent,  ceterum  intus  Gentilitatem  spirant  :  aut  ne,  renascentibus  Hebraeo- 
rum  literis,  Judaismus  raeditetur  per  occasionem  reviviscere,  qua  peste  nihil 
adversius,  nihilque  infensius  inveniri  potest  doctrinae  Chrisli.  »  Op.  III,  p.  189, 
ep.  207. 

^  Les  ouvrages  de  Voigt  et  de  Burckhardt  fournissent  sur  ce  point  des 
preuves  nombreuses. 

3  Sur  Locher,  voyez  plus  haut  p.  23,  n.  I.  Sur  Busch,  voy.  Liessem,  p.  39-44.  Il 
y  réfute  Erhard,  Gesch.  des  U'iederaufblühe/is  wissenschaftlicher  Bildung  (t.  III,  p.  68). 
—  "  Praetereo  silentio  nostrosGermanicos  poêlas,  qui  se  mutuis  conviciis  prope 
discerpere  soient  »,  écrit  Joseph  Grünbeck,  Hist.  Frld.  et  Maximil.  dans  Chmel, 
Oesterr.  Geschichtsfr.,  t.  I,  p.  65.  —  Les  paroles  d'Érasme  peuvent  sappliquer 
aussi  à  l'Allemagne  :  «  ...adeoque  Gratiarum  cum  Musis  sodalitium  diremtum 
est,  ut  si  qui  sint  inter  quos  conveniat,  /actione  potius  quam  sincera  benevo- 
lentia  conglutinentur.  .  Op..  m,  1315,  cp.  1135. 


CERCLE    iniUMAMSTES    A    EUFURT.  27 

ils  surpassaient  les  Italiens,  qui  n'auraient  jamais  pu  lutter  avec  Eoban 
Hessus,  lequel  élait  en  élat  rlc  vider  d'un  seul  coup  un  énorme  broc 
de  bière.  Aussi  élail-il  célébré  en  tous  lieux  comme  "  un  très-illustre 
buveur  '  ». 

Ouant  au  friste  mélange  de  vérités  chrétiennes  et  de  maximes 
païennes  dont  gémissaieni  tous  les  esprits  sérieux  et  qu'ils  repro- 
chaient à  bon  droit  aux  humanistes  d'Italie,  on  en  voyait  aussi  en 
Allemagne  les  plus  déplorables  exemples.  Conrad  Mutianus  Rufus 
et  le  cercle  des  humanistes,  dont  il  était  l'âme  à  Erfurt,  en  étaient 
surtout  responsables. 


Parmi  les  universités  de  l'Allemagne  du  Nord,  Erfurt  s'était  de 
bonne  heure  distinguée  par  son  zèle  pour  les  études  classiques.  Les 
lettres  et  les  sciences  y  avaient  pris  le  plus  heureux  essor,  grâce  au 
soutien  que  leur  avaient  prêté  les  trois  plus  éminents  professeurs  de 
r Université  :  les  théologiens  .lodocus  Truttefetter  d'Eisenach,  Bar- 
thélemi  Arnoldi  Usingen,  et  le  légiste  Henning  Goede.  C'est  à  ces 
hommes  que  la  haute  école  d'Erfurt  avait  dû  l'éclat  dont  elle  brilla 
durant  les  dernières  années  du  quinzième  siècle.  Leur  fidélité  à  la 
foi  catholique  leur  attira  des  injures  et  des  calomnies  de  plus  d'un 
genre  au  début  des  querelles  religieuses;  mais  avant  ces  lamentables 
troubles,  ils  avaient  entretenu  les  rapports  les  plus  affectueux  avec  les 
principaux  représentants  de  l'humanisme.  Maternus  Pistoris  et  Nicolas 
Marschalk  étaient  de  leurs  amis.  Ces  derniers,  dans  leur  enseigne- 
ment, s'attachaient  exclusivement  à  l'exphcation  des  auteurs  antiques, 
estimant  que  cette  étude  devait  avoir  le  premier  rôle  dans  l'éducation 
de  la  jeunesse;  mais  néanmoins  leurs  vues  étaient  sages  et  modérées. 
Ils  ne  réclamaient  point  un  privilège  exclusif  pour  l'humanisme,  et, 
malgré  leur  enthousiasme  pour  les  classiques,  ils  ne  prétendaient 

'  Voy.  ScHWERTZELL,  p.  13-14.  -  LoFsquc  Eoban  était  à  jeun,  qu'il  n'avait  pas 
encore  bu  »,  lisons-nous  dans  un  écrit  contemporain,  -  il  y  avait  in  vultu  ejus 
une  superbe  gravitas  et  modcsiia.  =  Pour  caclier  la  rougeur  suspecte  de  son  nez, 
Eoban  emprunta  un  jour  à  l'un  de  ses  amis  la  recette  d'une  certaine  poudre, 
accompagnant  sa  requête  de  ces  mots  :  ■  Même  s'il  m'était  prouvé  que  la 
sobriété  est  nécessaire  à  la  beauté  du  nez,  je  dirais  toujours  que  la  f  ouleur 
rouge  m'est  infiniment  plus  chère  que  la  blanche.  '  li  s'enivrait  bien  souvent 
même  avant  d'avoir  déjeuné.  Hier  il  n'a  pas  pu  écrire,  raande-t-il  à  son  ami, 
parce  qu'il  s'est  -  grisé  à  fond  ■  ;  aujourd'hui  il  écrit  avant  le  déjeuner,  encore 
complètement  à  jeun,  car  pendant  le  déjeuner  il  pourrait  bien  se  faire  qu'il  se 
laissât  aller  à  quelque  faiblesse  humaine.  Krause,  Eobanus  Hesse,  t.  II,  p.  106.  — 
1  Cela  ne  l'empêchait  pas  d'écrire  des  vers  contre  l'ivrognerie.  Schwertzell, 
p.  24,  29-30. 


28    INFLUENCE   ISÉOLOGIOUE  DE  MUTÎAN  SUR  LES  HUMANISTES  D'ERFURT. 

point  réformer  par  eux  la  théologie.  Ils  laissaient  debout  Tancien 
ordre  de  choses,  et  ne  se  permettaient  point  de  toucher  aux  prin- 
cipes fondamentaux  du  christianisme  '. 

C'est  à  dater  du  jour  où  Mutian,  chanoine  de  Gotha,  entreprit  de 
diriger  les  jeunes  humanistes  d'Erfurt,  qu'un  violent  amour  pour  les 
nouveautés  commença  à  monter  à  la  tète  des  «  poètes  «  de  l'Univer- 
sité. Dans  un  certain  groupe  d'étudiauts,  dont  faisaient  partie  Eoban 
Hessus,  Crotus  Rubiauus,  Petrejus  Eberbach,  Georges  Spalatin, 
Juste  Jonas,  Hérébord  von  der  IMarlhen,  et  pendant  quelques 
temps  Ulrich  de  Hütten,  Mutian  passait  pour  le  «  maître  intègre  de 
la  vertu  ",  pour  le  «  père  de  la  paix  bienheureuse  ». 

Mutian,  en  Italie,  avait  été  un  ardent  adepte  du  néoplatonisme, 
alors  si  florissant  en  ce  pays.  Il  admirait  tout  particulièrement  Poli- 
tien  et  Marcile  Ficin.  Il  n'a  pas  exposé  ses  idées  dans  de  savants 
traités,  ayant  coutume  de  dire  que  ni  Socrate  ni  Jésus-Christ  n'avaient 
rien  laissé  par  écrit;  mais  sa  volumineuse  correspondance  avec  ses 
amis  ne  laisse  subsister  aucun  doute  sur  ses  tendances,  et  il  est  évi- 
dent que,  pendant  un  certain  temps  du  moins,  il  rompit  complètement 
avec  tout  christianisme  positif. 

Il  concevait  le  christianisme  comme  la  doctrine  de  l'humanité  pure, 
directement  opposée  au  mosaisme,  mais,  au  fond,  absolument  indé- 
pendante des  faits  de  la  révélation. 

«  Je  vais  te  proposer  -,  écrit-il  à  Spalatin,  «  non  pas  une  énigme 
tirée  des  saintes  Écritures,  mais  une  question  nette  et  positive,  que 
les  études  profanes  t'aideront  à  résoudre.  Si  le  Christ  est  la  voie,  la 
vérité,  la  vie,  qu'ont  donc  fait  tous  les  hommes  qui  ont  vécu  durant 
tant  de  siècles  avant  sa  naissance?  Se  sont-ils  égarés?  Étaient-ils 
plongés  dans  les  sombres  ténèbres  de  l'ignorance,  ou  bien  ont-ils 
participé  au  salut  et  à  la  vérité?  Permets-moi  de  t'offrir  ici  le  secours 
de  mes  propres  réflexions.  La  religion  du  Christ  n'a  pas  commencé 
avec  l'Incarnation,  car  elle  était  avant  tous  les  siècles,  comme  la 
première  naissance  du  Verbe.  Qu'est-ce  après  tout  que  le  Christ, 
qu'est-ce  que  le  propre  Fils  de  Dieu,  sinon,  comme  le  dit  saint  Paul,  la 
sagesse  du  Père?  Or  cette  sagesse  n'a  pas  été  exclusivement  dévolue 
aux  Juifs;  elle  n'a  pas  été  reléguée  dans  un  coin  étroit  de  la  Syrie; 
elle  a  brillé  chez  les  Grecs,  les  Italiens  et  les  Germains,  bien  qu'ils 
eussent  des  usages  religieux  fort  différents  de  ceux  des  Juifs.  Gain 
offrait  à  Dieu  les  fruits  de  la  terre,  mais  Abel  composait  son  sacrifice 
des  plus  belles  de  ses  brebis.  Quant  à  ce  qui  faisait  la  matière  des 
sacrifices  d'action  de  grâces  et  d'expiation  dans  d'autres  pays,  si  tu 

•  Pour  plus  de  détails  voy.  Kampschütte,  l.  I,  p.  27-71. 


INFLÜKNCE  NÉOLOGIQUE  DE  MUTIAN  SUR  LES  IJUMANLSTES  DERFURT.    29 

le  veux,  tu  peux  en  faire  robjet  de  tes  recherches.  "  ^  Celui  des  com- 
mandements de  Dieu  qui  renferme  le  plus  de  lumière  pour  les  âmes 
a  deux  articles  fondamentaux  :  Aime  Dieu,  et  Aime  ton  prochain  comme 
toi-même.  Voilà  le  dogme  qui  nous  rend  di{}nes  de  parvenir  au  salut. 
C'est  la  loi  naturelle;  elle  n'a  pas  été  taillée  dans  la  pierre  comme  celle 
de  Moïse,  ni  gravée  sur  l'airain  comme  la  loi  romaine,  ni  écrite  sur 
du  parchemin  ou  du  papier  ',  mais  elle  a  été  répandue  dans  nos  cœurs 
par  le  Maître  suprême.  Celui  qui  goiUe  de  cette  Cène  mémorable  et 
salutaire  dans  un  esprit  de  ferveur  fait  quelque  chose  de  divin,  car 
le  véritable  corps  du  Christ,  c'est  la  paix  et  la  concorde.  »  Dans  une 
autre  lettre,  parlant  de  la  fête  de  Pâques  qui  s'approche,  il  écrit  : 
«  Notre  Rédempteur,  c'est  l'agneau  et  le  pasteur.  Mais  que  faut-il 
entendre  par  le  Rédempteur?  La  justice,  la  paix,  l'allégresse!  Voilà 
le  Christ  qui  est  descendu  du  ciel!  Le  royaume  de  Dieu  n'est  pas 
nourriture  et  breuvage.  »  «  Le  véritable  Christ  est  esprit  et  intelli- 
gence; il  ne  saurait  être  vu  de  nos  yeux,  ^i  touché  de  nos  mains-.  ■' 
Ouant  à  la  Rible,  Mulian  pensait  que  les  auteurs  de  la  sainte  His- 
toire avaient  à  dessein  enveloppé  toutes  sortes  de  mystères  dans  des 
paraboles  et  des  énigmes.  Selon  lui,  les  évangélistes  n'avaient  parlé 
qu'allégoriquenient,  comme  Apulée  et  Ésope.  L'opinion  des  mahomé- 
tans  qui  soutiennent  qu'un  homme  ressemblant  à  Jésus-Christ,  mais  non 
Jésus-Christ  lui-même,  a  été  mis  en  croix,  renfermait  à  ses  yeux  une 
profonde  sagesse.  La  notion  même  de  la  divinité  est  confuse  dans 
l'esprit  de  Mutian.  -  Il  n'y  a  qu'un  Dieu  »,  explique-t-il  à  un  de  ses 
amis;  "  il  n'y  a  qu'une  déesse,  mais  il  y  a  beaucoup  d'êtres  divins, 
beaucoup  de  dénominations.  Il  y  a  par  exemple  Jupiter,  ou  le  soleil, 
Apollon,  Moïse,  Jésus,  Luna,  Cérès,  Proserpine,  Tellus,  Marie.  Cepen- 
dant garde-toi  bien  de  répandre  ces  choses;  nous  devons  les  enve- 
lopper dans  le  silence,  comme  l'étaient  jadis  les  mystères  d'Eleusis. 
Pour  les  questions  religieuses,  il  faut  toujours  se  servir  du  voile  de 
l'allégorie  et  du  secours  des  énigmes.Toi,par  la  grâce  de  Jupiter,  c'est- 
à-dire  du  meilleur  et  du  plus  grand  des  dieux,  tu  méprises  les  dieux 
secondaires  avec  un  calme  dédain.  Quand  je  dis  Jupiter,  j'entends 
le  Christ  et  le  vrai  Dieu.  Mais  assez  parlé  de  ces  choses  sublimes  M  » 

'  Comme  les  lois  de  l'Efjlise  ? 

-  Voy.  ce  passage  et  d'autres  dans  Krause,  BniiFWECHSEL,  13,  32,  35,  53,  93,  111, 
466.  —  Voy.  Hagen,  Deutschlands  literarische  lerhültnisse,  t.  I,  p.  323-431  ;  STRAUSS, 
t.  I,  p.  46-48.  —  Contre  Kampschlxte  ;t.  I,  p.  86),  qui  cherche  à  attribuer  les 
expressions  antichrétiennes  de  Mltian  à  son  animosité  contre  ses  collègues  les 
chanoines,  qui  l'avaient  attaqué  sur  ses  opinions  irréligieuses,  vov.  Vorreiter, 
p.  118. 

^  ■  Est  unus  deus  et  una  dea.  Sed  sunt  multa  uti  numina  ita  et  nomina  : 
Jupiter,  Sol,  Apollo,  Moses,  Christus,  Luna,  Ceres,  Proserpina,  Tellus,  Maria. 
Sed  ha?c  cave  enunties.  Sunt  enim  occultanda  silentio  tanquam  Eleusinarum 
dearum  mysteria.  Ltendum  est  fabuiis  atque  enigmatumintegumentis  in  re sacra. 


30   INFLUENCE  NÉOLOGIOLE  DE  MUTIAX  SUR  Li^S  HUMANISTES  D'ERFUUT. 

.'  Il  ne  faut  pas  vulgariser  les  mystères  '-,  dit-il  ailleurs;  "  il  faut  les 
tenir  cachés  ou  bien  les  expliquer  par  des  fables  et  des  allégories,  afin 
de  ne  pas  jeter  de  perles  aux  pourceaux.  Voilà  pourquoi  Jésus-Christ 
n'a  rien  laissé  par  écrit,  et  pourquoi  les  évangélistes  se  sont  servis 
de  beaucoup  de  paraboles  pour  revêtir  la  vérité.  Théodote,  l'écrivain 
tragique,  perdit  les  yeux  pour  avoir  voulu  transporter  dans  une  fable 
une  partie  des  mystères  judaïques.  -^ 

Des  opinions  de  ce  genre  expliquent  amplement  pourquoi  Mutian, 
au  grand  scandale  des  chanoines  ses  confrères,  s'abstenait  de  dire  la 
messe  et  de  recevoir  la  communion  ';  pour  quels  motifs  il  regardait 
comme  perdues  les  heures  passées  au  choeur,  rejetait  la  confession 
auriculaire  -,  appelait  les  moines  mendiants  des  monstres  encapu- 
chonnés, et  les  mets  usités  pour  le  jeûne  des  aliments  de  fous.  «  Il 
n'y  a  que  des  imbéciles  '^  écrit-il,  <;  qui  puissent  placer  leur  salut 
dans  le  jeûne.  Je  suis  paresseux  et  stupide,  et  c'est  la  nourriture  des 
imbéciles  qui  en  est  cause,  pour  ne  rien  dire  de  plus  dur.  Ce  sont 
des  ânes,  de  véritables  ânes,  ceux  qui  se  refusent  le  diner  qui  leur 
est  nécessaire  pour  se  nourrir  de  choux  et  de  morue.  Les  prêtres  ne 
se  contentent  pas  d'affliger  le  corps  par  le  jeûne  :  ils  torturent  encore 
l'âme,  et  reprochent  aux  hommes  les  iniquités  dont  eux-mêmes 
se  rendent  coupables.  Tandis  que  dans  le  poëme  d  Homère  l'âne 
se  régale  à  cœur  joie  dans  les  hautes  herbes,  sans  se  laisser  détour- 
ner de  son  festin  par  les  coups  de  son  gardien,  l'homme  est  troublé 
pour  quelques  paroles  de  menace.  "  ^  J'avais  coutume  de  rire  de 
bon  cœur  ;>,  écrit-il  à  l'humaniste  Eberbach,  «  lorsque  Benedict  me 
racontait  les  lamentations  de  ta  mère,  se  désolant  de  te  voir  peu  fré- 
quenter les  églises,  refuser  de  jeûner,  et  manger  des  œufs,  contraire- 
ment àla  coutume  généralement  établie.  Voici  comment  j'excusais  alors 
ces  fautes  inouïes,  ces  crimes  épouvantables:  Petrejus,  disais-je,  agit 
sagement  et  prudemment.  Il  ne  va  pas  à  l'église,  parce  que  les 
temples  peuvent  s'écrouler,  que  les  tableaux  peuvent  tomber  sur  sa 

Tu  Jove,  hoc  est  oplimo  maximo  deo  propitio,  contemne  tacitus  deos  miuutos. 
Ouum  Jovem  iiomino,  Christum  intellige  et  verum  Deum.  Satis  de  his  nimium 
assurn-enlibus  - .  Tiré  du  Codex  maimsoipius  des  lettres  de  Mutian,  Bibliothèque 
de  Francfort,  fol.  90  ib.,  et  maintenant  reproduit  dans  Krause,  Brieficcchsel,^  28. 

—  Voy.  Strauss,  t.  II,  p.  47. 

1  Ce  ne  fut  qu'après  avoir  joui  pendant  plus  de  dix  ans  des  revenus  de  son 
canonicat  qu'il  se  décida  enfin  à  dire  sa  première  messe.  —  Krause,  XXIV,  408.  — 

-  ...auriculariam  confessionem  improbo  »,  etc.  Tentzee,  p.  178.  Krause,  p.  130. 
5  Dans  Krause,  p.  295.  Voy.  XXY.  Écrivant  à  son  ami  Henri  Urbanus,  religieux 

Cistercien  et  humaniste  distingué  dont  le  couvent  était  à  Georgenthal,  près 
de  Gotha,  il  dit  en  se  plaignant  des  chanoines  ses  confrères  :  "  Diipecus  scabio- 
sum  in  tartara  detrudant.^  Les  chanoines  lui  reprochent  de  ne  pas  dire  la  messe; 
il  parle  de  ce  qui  fait  l'objet  de  leur  reproche  :  .t  ILtc  simplicia  verba  sunt,  sed 
pestiferi  homines  venenum  suum  eo  modo  evomiunt  et  nos  Walen  esse  gar- 
riunt.  •  Recueil  de  Francfort,  fol.  \bi.  Krause,  275. 


IMMORALITK    DES    HUMANISTE  S.  31 

télé,  que  beaucoup  de  dangers  y  sont  à  redouter.  Et  d'ailleurs, 
s'il  y  allait,  qu'en  résulterait-il?  les  prêtres  recevraient  de  l'argent, 
et  les  laïques  du  sel  et  de  l'eau,  comme  des  chèvres.  Aussi  nommons- 
nous  le  peuple  un  troupeau,  car  un  troupeau  n'est  qu'un  assemblage 
de  chèvres  et  de  moutons.  Si  Petrejus  a  horreur  du  jeune,  c'est 
qu'il  sait  ce  qui  est  arrivé  à  son  père  :  son  père  a  jeihié,  et  il  est 
mort.  Si  son  père  avait  mangé  comme  à  son  ordinaire,  il  aurait 
vécu.  '  "  En  m'écoufant,  continue  Mutian,  Benedict  fronça  le  sour- 
cil; puis  il  me  dit  :  Oui  vous  absoudra,  mauvais  chrétien?  Je  lui 
répondis  :  L'étude  et  la  science  '.  »  «  Je  viens  à  l'instant  d'être  appelé 
par  la  cloche  au  pieux  marmottage  «,  écrit  Mutian  un  autre  jour  en 
parlant  de  l'office  du  chœur;  <  et  je  m'y  rends  comme  un  adorateur 
du  feu  en  Cappadoce*.  " 

Parmi  les  livres  dont  il  recommande  la  lecture  à  ses  amis,  il 
cite  les  Facéties  de  l'humaniste  Henri  Bebel,  de  Tubingen,  publiées 
pour  la  première  fois  en  1506,  recueil  latin  de  toutes  sortes  d'anec- 
dotes obscènes,  de  contes  satiriques  et  bouffons,  de  farces,  et  même  de 
blasphèmes.  Les  railleries  sceptiques  de  Bebel  ne  sont  pas  seulement 
dirigées  contre  le  clergé  et  ses  mœurs,  le  jeune,  les  indulgences, 
le  culte  des  saints  et  des  reliques,  mais  encore  contre  plusieurs 
des  dogmes  fondamentaux  du  christianisme.  La  sainte  Trinité  et 
l'œuvre  de  la  Rédemption  y  sont  l'objet  de  propos  grossiers.  Les 
motifs  de  consolation  chrétienne  dans  les  souffrances  y  sont  tour- 
nés en  dérision  ^ 

Bebel  démontre  par  une  anecdote  tirée  de  la  vie  de  l'humaniste 
Pierre  Luder,  qu'on  peut  payer  à  l'enseignement  de  l'Église  le 
tribut  d'un  assentiment  extérieur  et  dérisoire  tout  en  professant  des 
opinions  absolument  opposées.  Forcé  de  s'expliquer  sur  des  propos 
qu'il  avait  tenus  touchant  la  .sainte  Trinité,  Luder  avait  répondu  : 
K  Eh  bien!  je  ne  m'obstinerai  pas  davantage  à  soutenir  imprudem- 
ment mon  opinion,  car,  je  l'avoue,  avant  de  faire  connaissance  avec 
le  feu,  je  consentirais  de  bon  cœur  à  confesser  aussi  la  sainte  quater- 
nité^l  »  «  Procure-toi  bien  vite  »,  écrit  Mutian  à  Herebord  von  der 
Marthen,  «  les  Facéties  de  Bebel.  On  ne  peut  nier  que,  dans  la  vie, 
des  anecdotes  familières  n'aient  souvent  une  grande  portée.  Elles 
sont  promptement  racontées,  touchent  aux  questions  avec  justesse, 

*  CaMER.\RIUS,  Lib.  novus  epistolarum  (Lipsiae,  1568).  Bl.  J.  4.  Voy.  H.vgeN,  Deuts- 
chlands literariscke  Verhältnisse,  t.  I,  p.  328;  IvR.vUSE,  Brief wechse  xxv,  xxvi. 

-  Voy.  Krause,  p.  10. 
.    '  Pour  plus    de  détails  sur  les  Facéties,  voy.  Hagen,  t.  I,  p.  331-334,    393-406. 
Vorreite:;,  p.  123-125. 

*  «  ...Sisbono  animo,  ait,  domine  doctor,  nihil  eniin  temere  aut  pertinaciter 
affirmo  :  nain  priusquam  igiiein  subirera,  ego  crederem  quaternitatem.  »  Face- 
liarum  H.  Bebelii  Hbri  très  (Tubinga?,  1550),  fol.  28  B. 


32    IVIÜTIAN  ET  LES  HUMANISTES  D'ERFURT  CONTRE  LES  SCOLASTIOUES. 

et  la  mémoire  les  retient  longtemps.  »  Mutian,  dans  la  même 
lettre,  exprime  le  désir  de  publier  bientôt  lui-même  un  semblable 
recueil  '. 

L'esprit  qui  règne  dans  ses  épitres,  Mutian  le  propageait  de  vive 
voix  dans  les  réunions  d'humanistes  qu'il  présidait  fréquemment  dans 
sa  maison.  Là,  aux  applaudissements  de  tous,  Crotus  Hubianus  appe- 
lait la  sainte  messe  une  comédie  papiste;  les  reliques,  des  os  de 
potence;  l'office  religieux,  unhurlement  de  chiens;  Cicéron,  disait-il, 
était  un  grand  apôtre,  et  un  bien  plus  illustre  pontife  que  le  pape 
Léon  X-. 

Une  licence  de  mœurs  souvent  effrénée  allait  de  pair  avec  ce 
mépris  de  l'Église  et  de  sa  doctrine.  Mutian  s'exprimait  souvent 
avec  un  cynisme  inouï  sur  les  mœurs  détestables  de  ses  amis.  Auprès 
de  ce  cynisme,  les  auteurs  erotiques  de  l'antiquité  semblent  pleins 
de  réserve  et  de  retenue.  L'enlèvement  et  le  déshonneur  d'une  reli- 
gieuse deviennent  presque  pour  lui  un  sujet  de  bons  mots^ 

On  ne  s'étonnera  donc  pas  qu'à  Erfurt,  à  Gotha,  partout  où  les 
nouveaux  humanistes  annonçaient  l'évangile  de  l'antiquité  païenne 
et  cherchaient  à  faire  de  la  propagande  en  sa  faveur,  tous  les  esprits 
graves  et  retenus,  tous  ceux  qui  restaient  attachés  de  cœur  à  l'Église, 
aient  conçu  une  aversion  profonde  et  beaucoup  de  méfiance  pour  ces 
nouveaux  apôtres.  Chez  un  grand  nombre  d'entre  eux,  ce  sentiment 
finit  par  dégénérer  en  une  haine  prononcée  pour  tout  ce  qui  sentait 
la  culture  «  poétique  ".  On  jugeait  le  nouvel  évangile  d'après  ses 
fruits  intellectuels,  pour  la  plupart  sans  saveur  ou  empoisonnés,  et 
aussi  d'après  le  genre  de  vie  de  ses  apôtres.  «  Je  ne  suis  nullement 
étonné  »,  écrit  Cochlaeus,  «  de  voir  les  esprits  jadis  les  mieux  dis- 
posés pour  les  études  classiques  en  devenir  maintenant  les  ennemis 
les  plus  acharnés.  Que  font  en  effet  tous  ces  poètes,  qui,  mainte- 

'  Le  Triumphus  l'eneris  de  Bebet  fut  imité  par  Tiloninus,  élève  de  Mutian. 
Voy.  Kampschulte,  t.  I,  p.  180,  n.  1. 

*  Olearius,  Einst.  Anonymi  ad  Crotum  Rubianum  (Amst.,  1720)  14.  —  Voy.  BOGKIXG, 
Drei  Abhandlunfjen  über  lieformations  geschichtliche  Schriften,  p.  92. 

^  Pour  se  rendre  compte  de  sa  manière  cynique  de  juger  et  de  s'exprimer,  il 
suffira  de  lire  le  passage  suivant,  extrait  d'une  lettre  à  Urbanus,  l'auteur 
même  du  méfait  :  "  Nemo  coget  amicam  tuam,  Urbane,  conceptura  a  se  abigere. 
Solvatur  Vulva  in  nomine  sanctaeJunonis. .  Dent  veniam  puerperae  quatuor  illaè 
primae  Vestales  a  Numa  electae...  Verae  Barbant',  vera^  Ursulas,  quœ  ama- 
tores  suos  odisse  soient.  Desinant  nobis  obtrudere  Paulum  Tharsensem,  quod 
dicat  :  Fugite  fornicationem.  Urbanus  fornicarius  non  est  :  quamvis  virgines 
maritatasque  cupidissime  futnat  :  ad  unguem  doctus  clinopalen  et  amatoriam 
railitiara,  etc.  ^  Recueil  de  Francfort,  fol.  81.  Dans  un  autre  passage  il  écrit  : 
'  Si  igitur  incestus  es,  imitare  csecos  et  clama  :  Fiîi  David,  miserere  nostri,  et 
continuo  evanescet  ultio,  culpa  condonabitur.  »  (P.  188.)  —  Voy.  aussi  Strauss, 
t.  I,  p.  33G.  —  On  rencontre  aussi  dans  le  Recueil  de  Francfort  une  poésie  ob- 
scène dont  Mutian  est  l'auteur;  fol.  92. 


LES    SCOLASTIQÜES    CONTRE    LES    HUMANISTES.  33 

nant,  comme  des  histrions  ou  bien  comme  des  coqs  dressés  pour  le 
combat,  traversent  l'Allema^jne  en  tous  sens,  excitant  partout  où  ils 
se  montrent  les  inimitiés  et  les  querelles?  Leurs  mœurs  sont  relâchées, 
inconvenantes,  pour  ne  rien  dire  de  plus  fort.  Il  est  extrêmement  rare 
de  trouver  parmi  eux  quelque  respect  pour  ce  qui  est  saint  et  véné- 
rable. Ils  n'excellent  qu'à  railler,  à  mépriser  ce  qui  est  établi,  et 
celui  qui  ne  veut  pas  aider  à  leur  œuvre  de  destruction  passe  à  leurs 
yeux  pour  barbare.  » 

L'Allemagne  fourmillait  de  parasites  littéraires,  de  brouillons,  de 
libellistes;  tous  prenaient  un  plaisir  particulier  à  faire  pleuvoir  sur 
les  moines  une  grêle  d'injures  et  de  quolibets,  il  était  par  consé- 
quent dans  la  nature  des  choses  que  les  Ordres  religieux  se  mon- 
trassent vivement  opposés  à  l'influence  des  poètes;  et  si,  au  milieu 
de  la  bataille,  rendus  méfiants  et  intolérants  par  le  péril,  fréquem- 
ment ignorants  par  crainte  d'une  fausse  science,  ils  dépassèrent  sou- 
vent de  beaucoup  les  bornes  de  la  modération,  cela  n'est  que  très- 
naturel.  Dans  les  chaires,  dans  les  universités,  les  religieux  et  les 
théologiens  scolastiques  tonnaient  contre  les  poëf  es,  leur  reprochant 
de  propajjer  une  science  antichrétienne,  de  faire  plus  de  cas  de  l'art 
de  bien  dire  que  de  la  vérité  elle-même,  et  de  se  servir  de  méthodes 
qui  dispensaient  la  jeunesse  de  tout  travail  intellectuel,  solide  et 
utile;  ils  les  traitaient  d'impies,  et  les  déclaraient  entachés  de 
paganisme.  Les  temps  étaient  malheureusement  venus,  disaient 
à  la  fois  professeurs  et  prédicateurs,  où  les  hommes,  suivant  la 
prédiction  de  l'Apôlre,  las  de  la  vérité,  se  porteraient  vers  toutes 
sortes  d'erreurs  et  de  vanités;  il  était  urgent  d'arrêter  le  mal.  La 
prédication  de  l'Évangile  n'avait  pas  consisté  dans  les  belles  paroles 
de  la  sagesse  humaine;  il  fallait  à  tout  prix  interdire  l'étude  per- 
nicieuse des  poètes  et  des  écrivains  païens  '. 

i-  Dans  l'intérêt  de  la  jeunesse,  il  faut  tarir  cette  source  d'où 
s'épanche  un  fleuve  d'iniquité  «,  disait  en  chaire  un  Dominicain  de 
Cologne  (1516).  -<  Ou  bien  souffrira-t-on  plus  longtemps  que  nos 
jeunes  gens  soient  égarés  par  des  hommes  qui  ne  rougissent  pas  de 
I  mettre  entre  leurs  mains  les  poètes  les  plus  licencieux  de  l'antiquité, 
i  les  expliquent  dans  leurs  cours  par  des  gloses  inconvenantes,  assai- 
sonnant leurs  leçons  d'attaques  et  de  satires  grossières  contre  l'Église 
et  la  papauté?  Veut-on  voir  notre  jeunesse  plus  longtemps  guidée 
;  par  des  maîtres  qui  assimilent  la  Bible  aux  auteurs  païens,  et  osent 
dire  qu'on  peut  apprendre  dans  ces  derniers  plus  de  vérités  utiles 
que  dans  la  Sainte  Écriture?  Que  tous  les  anciens  poètes,  et  aussi  les 

'  C'est  ainsi  que  l'humaniste  Hermann  van  dem  Busche,  souvent  cité  déjà, 
résume,  dans  son  l'allum  humanitaiis  (éd.  Burkhard,  p.  27,  29;,  les  griefs  des  théolo- 
giens de  Cologne.  —  Voy.  Kerker,  p.  535. 

M.  3 


34  MUTIAN    COMRE    LES    HUMANISTES. 

nouveaux,  peut-être  plus  daugereux  encore,  soient  donc  bannis  de 
nos  écoles  '!  " 

Les  humanistes  et  les  hellénistes  qui  cherchaient,  à  la  manière 
d'Érasme,  à  transformer  la  science  théologique  et  à  discréditer  la 
scolastique  tout  en  affectant  des  sentiments  de  piété,  passaient  à 
juste  titre  pour  les  propagateurs  les  plus  dangereux  du  mouvement 
qui  se  produisait  alors  ^ 

Mutian  était  au  nombre  des  contempteurs  les  plus  acharnés  de  la 
scolastique.  Il  appelait  la  lutte  que  l'humanisme  soutenait  contre  elle 
le  combat  de  la  lumière  contre  les  ténèbres,  et  faisait  partager  a 
toute  la  ligue  des  poètes,  entièrement  sous  son  influence,  sa  pro- 
fonde horreur  pour  ^  les  sophistes,  race  haineuse,  arrogante  et 
cupide  ».  Une  partie  des  compositions  poétiques  dont  il  gratifiait 
ses  élèves  respire  la  haine  la  plus  passionnée  pour  la  scolastique.  Il 
voulait  le  complet  anéantissement  des  anciennes  écoles,  et  de  toutes 
les  institutions  qui  en  dépendaient.  Les  grades  académique*,  par 
lescjuels  les  -  sophistes  '  maintenaient  leur  empire,  lui  paraissaient 
«  burlesques,  pour  ne  rien  dire  de  plus  ».  «  Là  où  la  raison  préside  «, 
disait-il,  (^  on  n'a  que  faire  des  docteurs.  Les  hommes  véritablement 
cultivés  n'ont  aucun  besoin  de  se  tourmenter  pour  acquérir  le  titre 
barbare  et  creux  de  bachelier  ou  de  magister  '.  »  «  L'école  est  le 
domaine  des  grammairiens,  et  le  théologien  n'y  est  d'aucune  utilité. 
Aujourd'hui,  les  singes  théologiens  remplissent  l'école,  et  mettent 
au  jour  une  foule  d'impertinences.  »  «  Dans  les  hautes  écoles,  un 
sophiste,  deux  mathématiciens,  trois  théologiens,  quatre  juristes, 
cinq  médecins,  six  maîtres  d'éloquence,  sept  professeurs  d'hébreu, 
huit  hellénistes,  neuf  grammairiens  et  dix  philosophes  sensés  suffi- 
raient amplement  pour  représenter  et  régir  toutes  les  sciences*.  » 
La  plupart  des  disciples  de  Mutian  imitaient  leur  chef,  et  se  répan- 
daient en  violentes  invectives  contre  les  <•  sophistes  »  et  les  anciens 

'  Voy.  Lucubrationes  43.  Le  prince  de  (  arpi  demandait  aussi  que  les  poètes  latins 
fussent  interdits  dans  les  écoles.  Érasme  lui-même,  dans  sa  vieillesse,  témoin 
de  leur  mauvaise  influence  sur  la  jeunesse,  était  de  la  même  opinion.  Dans  une 
lettre  au  recleur  du  collège  de  Louvain  (14  août  1527),  il  recommande  qu'on  lise 
aux  écoliers  des  auteurs  chrétiens,  par  exemple  le  Babylas  de  Saint  Jean  Chryso- 
stome.  "  Ethnicos  autores  »,  ajoute-t-il,  '  ob  sermonis  elegantiam  professoribus 
legendos  arbitror  potins  quam  adolescentibus  pra^legendos.  »  Op.  lll,  p.  996, 
ép.  580.  —  Voy.  aussi  son  opinion  sur  les  cicéroniens  qui  remettent  le  paga- 
nisme en  honneur,  dans  Durand  de  Laur,  t.  II,  p.  121-126. 

-  Voy.  le  dialogue  composé  par  Latoraus,  professeur  de  Louvain.  Il  appartient 
aux  écrits  les  plus  importants  alors  composés  contre  les  humanistes.  De  tribus  linr- 
guis  et  ratione  studii  theologici.  Lovaniae,  1519.  Latonus  avait  d'abord  été  partisan 
de  l'humanisme,  comme  Érasme  lui-même  l'avoue.  0/>.  III,  p.  405,  ép.,  380. 

'  Rampschulte,  t.  I,  p.  112-115. 

*■  Dans  Tentzel,  p.  161;  Krause,  Briefwechsel,  p.  331. 


il 


EMEUTES    A    ERFURT.  35 

professeurs  des  Universités;  la  discorde  grandissait  tous  les  jours 
dans  les  hautes  écoles  où  les  humanistes  avaient  de  rinduence. 
Erfurt  ressemblait  à  un  champ  de  bataille.  Beaucoup  d'anciens  pro- 
fesseurs, autrefois  favorables  au  progrès  des  études  classiques,  s'y 
opposaient  maintenant  de  toutes  leurs  forces;  on  les  entendait  sou- 
vent répéter  que  les  nouveaux  poètes  finiraient  par  amener  la  ruine 
complète  des  Universités,  Muliaun'en  devint  que  plus  acharné.  «  Nous 
n'avons  pas  à  nous  préoccuper  »,  disait-il,  «  des  jugements  que  por- 
tent sur  nous  des  sophistes  querelleurs.  »  «  Rien  ne  peut  donner 
la  victoire  aux  ennemis  des  belles-lettres  >,  écrivait-il  en  1509  au 
recteur  de  l'Université;  '  qu'ils  le  veuillent  ou  non,  le  nombre  des 
lettrés  croit  tous  les  jours.  «  «  Je  félicite  les  nouveaux  professeurs 
d'Erfurt  d'avoir  su  s'affranchir  de  la  barbarie  »,  écrivait-il  à  Héré- 
bord  von  der  Marthen.  Il  exhortait  les  humanistes,  qu'il  appelait 
"  sa  cohorte  latine  ",  à  rester  fermes  dans  le  combat,  «  car  bientôt 
lui,  leur  général,  les  conduirait  à  la  victoire  '>,  «^  Persévérons,  main- 
tenant que  nous  sommes  engagés  dans  la  lutte,  car  nous  sommes 
pour  ainsi  dire  liés  par  un  serment  militaire  '.  « 

Mais  avant  que  commençât  cette  guerre  intellectuelle,  un  sou- 
lèvement populaire  contre  le  conseil  et  le  patriciat  de  la  ville  éclata 
dans  Erfurt.  Les  arguments  employés  entre  humanistes  et  scolastiques 
à  l'Université  furent  transportés  dans  le  domaine  politique.  Les  anciens 
professeurs,  Henning  Goede  à  leur  tête,  se  rangèrent  parmi  les  défen- 
seurs du  conseil  ;  les  humanistes,  au  contraire,  montrèrent  un  penchant 
décidé  pour  le  parti  populaire.  Mutian  nourrissait  depuis  longtemps 
un  amer  ressentiment  contre  Goede,  parce  que  celui-ci,  en  loyal  Alle- 
mand qu'il  était,  s'était  indigné  du  mépris  des  humanistes  pour  la 
littérature  et  la  langue  nationales  ^.  Mutian  fit  pleuvoir  sur  lui  une 
grêle  d'injures;  il  le  comparait  à  Catilina,  et  lorsque  la  fureur  popu- 
laire eut  contraint  Goede  à  prendre  la  fuite,  il  lui  adressa  les  plus 
impitoyables  outrages.  Dans  son  érudition  bizarre,  Mutian  faisait 
dériver  toutes  les  lois  allemandes  de  la  législation  romaine,  et  plus 
particulièrement  des  lois  de  Solon  ^;  il  s'évertuait  à  prouver  à  ses  amis 
la  légitimité  des  réclamations  populaires,  en  lesjustifiant  par  des  cita- 
tions empruntées  aux  auteurs  classiques.  «  Il  serait  insensé  de  se 
figurer  »,  écrivait-il,  «  que  les  grands  hommes  d'autrefois  aient  tous 
été  des  patriciens;  ils  sortaient  souvent  des  classes  les  plus  humbles. 
Isocrate  a  dit  dès  longtemps  que  l'on  aurait  de  bien  meilleurs  gou- 
vernants, si  le  peuple  était  libre  de  les  élire.  »  Dans  ses  lettres, 
Mutian  parle  avec  amertume  et  colère  des  partisans  du  conseil,  et 

'  Rampschulte,  t.  I,  p.  115-119. 

*  Kampschulte,  t.  I,  p.  41. 

'  Voy.  KlMPSCHULTE,  t.  I,  p  99. 


36  DÉCADENCE    DE    L'UNIVERSITÉ    D'ERFURT. 

se  réjouit  de  voir  les  humanistes  exprimer  dans  leurs  vers  leurs  pré- 
férences politiques.  Mais  il  leur  conseille  de  ne  pas  s'exposer  per- 
sonnellement, avouant  que,  pour  lui,  il  cherche  à  se  mettre  à  Tabri 
du  péril'.  Hérébord  von  der  Marthen  fut  le  seul  d'entre  les  huma- 
nistes qui  eut  le  courage  de  braver  le  danger  pour  défendre  les 
intérêts  populaires.  Bientôt  de  fréquentes  et  tumultueuses  émeutes 
jetèrent  le  trouble  dans  l'administration  de  la  cité. 

En  1510,  une  insurrection  d'étudiants  {Studenten-Lärm)  eut  pour 
résultat  la  destruction  des  bâtiments  de  l'Université.  Ses  anciens  privi- 
lèges et  chartes,  sa  splendide  bibliothèque  et  même  ses  collèges  et  ses 
"  bourses  »  furent  anéantis  par  l'émeute.  Dans  la  ruine  de  ces  lieux 
d'étude,  où  la  jeunesse  avait  été  maintenue  tant  d'années  sous  l'an- 
cienne discipline  et  l'ancien  respect,  les  penseurs  éclairés  des  âges 
suivants  ont  vu  avec  raison  la  cause  première  de  la  décadence 
morale  de  l'Université.  Parmi  les  étudiants  "  affranchis  »  et  livrés  à 
eux-mêmes,  la  licence  prit  peu  à  peu  le  dessus.  Pour  le  moment,  ils 
se  dispersèrent  par  troupes-. 

Les  humanistes,  dont  Mutian  avait  été  le  chef,  se  séparèrent  égale- 
ment; ils  allèrent  de  tous  côtés  propager  en  Allemagne  la  doctrine  de 
leur  maitre  et  sa  haine  pour  les  "  barbares  »  ;  ils  recrutèrent  de 
nouveaux  alliés,  et,  vers  la  fin  de  1512,  ils  rentraient  à  Erfurt  -  for- 
tifiés pour  la  lutte  ». 

Cette  lutte  allait  maintenant  embraser  l'Allemagne  entière. 
A  entendre  les  poètes,  elle  allait  donner  la  victoire  «  à  la  lumière 
contre  les  ténèbres,  aux  humanistes  contre  les  théologiens,  les 
moines  et  autres  barbares  ». 

La  querelle  survenue  entre  Reuchlin  et  les  théologiens  de  Cologne 
servit  de  prétexte. 

'  "  Prudens  est  nimirum  » .  écrit-il  à  Hérébord  von  der  Marthen,  peu  de  jours 
après  le  commencement  des  troubles,  •'  quisquis  in  turbita  seditione  cedit  for- 
tiori et  sequitur,  non  quod  honestissimum,  sed  quod  tutissimum.  »  Voy.  Tentzec, 
]).  103;  Krause,  Briefwechsel,  p.  148-149. 

-  Voy.  pour  plus  de  détails  Rampschulte,  t.  l,  p.  120-152.  —  Décrivant  le 
lamentable  état  de  l'Université  en  1523,  le  recteur  Henri  Herebold  dit  :  «  Malo- 
luui  fuit  initium  coUegiorum  eipugnatio...  •  Dans  Kampschllte,  t.  II, p.  184. 


CHAPITRE  II 

LA    QUERELLE   DE   REUCHLIN. 


Jean  Reuchlin  est  en  Allemagne  un  des  premiers  savants  qui  aient 
fait  adopter  dans  nos  Universités  l'étude  de  la  langue  grecque. 
Par  ses  efforts  persévérants,  l'ascendant  de  sa  parole  et  de  ses 
exemples,  par  son  enthousiasme  pour  la  littérature  grecque,  il  était 
parvenu  à  en  faire  comprendre  la  valeur  et  la  beauté.  Son  diction- 
naire, ses  traductions  latines  des  classiques  grecs,  avaient  aussi  rendu 
d'importants  services  aux  lettres  latines;  mais  c'est  surtout  pour  la 
connaissance  et  l'enseignement  de  l'hébreu  que  son  influence  avait 
été  considérable.  Le  premier,  il  avait  créé  en  Allemagne  l'étude  rai- 
sonnée  decette  langue.  Ilcherchait,  parses  travaux  et  par  ses  efforts 
pour  reconstituer  le  texte  original  de  l'Ancien  Testament,  à  former 
un  utile  contre-poids  au  culte  exagéré  de  l'antiquité  païenne;  il  disait 
souvent  avec  tristesse:  «  L'éloquence  et  la  poésie  des  anciens  ont  tant 
de  charme,  qu'elles  font  non-seulement  négliger,  mais  mépriser  la 
sainte  Écriture  '.  » 

Cependant  l'étude  derhébreu,commecelle  de  la  littérature  classique, 
n'était  pas  sans  offrir  quelque  danger.  Reuchlin  avait  un  penchant 
inné  pour  les  subtilités  du  mysticisme.  Bientôt  il  ne  se  servit  plus  de 
sa  connaissance  de  l'hébreu  que  comme  d'une  sorte  de  clef  qui  l'aidât 
à  pénétrer  dans  le  merveilleux  domaine  de  la  science  cabalistique. 
Pic  de  la  Mirandole  exerça  sur  lui  à  cet  égard  un  considérable  ascen- 
dant. Ce  grand  homme  avait  initié  les  savants  allemands  aux 
mystères  de  la  cabale,  et  n'en  parlait  jamais  qu'avec  la  plus  ardente 
admiration.  «  La  cabale  et  la  magie  naturelle  >■,  disait-il,  «  nous 
donnent  plus  que  toute  autre  science  la  certitude  de  la  divinité 
du  Christ.  »  Et  Reuchlin  ajoutait  :  «  Les  cabalistes  n'ont  d'autre  but 
que  de  relever  vers  Dieu  l'esprit  de  l'homme  et  de  le  conduire  vers 
la  félicité  parfaite.  Celui  qui  cultive  leur  science  goûtera  en  ce  monde 

*  Voy.  notre  premier  volume,  p.  83-85. 


38  NOUVELLE    THEOSOPHIE    DE    REÜCHLIN. 

la  plus  grande  somme  possible  de  bonheur,  et  jouira  dans  l'autre  de 
la  béatitude  éternelle'.  » 

Pour  exposer  ses  théories,  Reuchlin  avait  publié  deux  importants 
traités  :  la  Parole  miraculeuse'^  et  la  Science  cabalislique^ .  11  y  pose  les 
fondements  d'une  théosophie  à  moitié  mystique,  à  moitié  rationaliste. 

Voici  les  principales  données  de  ces  savants  ouvrages  :  Le  monde 
visible  n'est  que  le  pâle  reflet  d'un  monde  invisible;  il  existe  entre 
ces  deux  mondes  d'étroites  relations.  A  ce  principe  vient  se  rattacher 
la  croyance  au  pouvoir  magique  exercé  par  les  éléments  terrestres 
sur  les  forces  qui  leur  sont  associées  dans  le  monde  céleste.  Les  lettres 
de  la  sainte  Écriture,  dont  chacune  se  trouve  dai)s  un  rapport  surna- 
turel avec  les  anges  chargés  du  gouvernement  du  monde  inférieur, 
sont  considérées  comme  ayant  le  mystérieux  pouvoir  d'unir  aux 
esprits  célestes  le  monde  extérieur.  A  l'énoncé  de  certains  mots, 
Dieu  lui-même  apparaît  aux  yeux  de  notre  esprit,  et  vient  en  même 
temps  habiter  notre  âme.  Reuchlin,  pour  justitier  l'interprétation 
des  cinq  livres  de  Moïse  d'après  la  cabale,  prétendait  que  si  une 
sagesse  secrète  n'y  eût  été  cachée,  ils  n'eussent  en  rien  différé  d'au- 
tres écrits  de  législation  et  de  morale.  D'après  Reuchlin,  Moïse  avait 
reçu  de  Dieu  l'art  de  disposer  les  lettres  de  la  sainte  Écriture  de 
cette  façon  mystique;  de  Moïse  il  avait  été  transmis  à  Jésus,  de 
Jésus,  par  la  tradition,  aux  Septante,  et  de  ces  derniers  à  la  com- 
munauté des  Ésotériques.  Le  système  de  Reuchlin  le  conduisait  à 
penser  que  Pythagore  avait  tenu  pour  vrais  presque  tous  les  articles 
de  la  foi  chrétienne.  Mais  d'après  la  philosophie  pythagoricienne,  la 
foi,  disait-il,  ne  peut  être  soumise  à  aucune  opération  logique,  car 
l'entendement  à  lui  tout  seul  ne  saurait  fournira  l'homme  de  justes 
noi  ions  touchant  les  bases  de  la  religion  ;  aussi  la  foi  ne  se  donne-t-elle 
pas  comme  le  résultat  de  la  réflexion  et  du  raisonnement  humain, 
mais  bien  pour  la  conséquence  d'une  révélation  divine. 

Reuchlin  était  bien  éloigné  de  vouloir,  par  ses  théories  philoso- 
phiques et  mystiques,  porter  la  moindre  atteinte  au  christianisme 
ou  à  l'Église;  il  se  flattait  bien  plutôt  d'avoir,  au  moyen  des  livres 
juifs,  allumé  un  nouveau  flambeau  à  la  lueur  duquel  les  dogmes 

'  Voy.  ces  passages  dans  Geiger,  Reuchlin,  p.  169,  176.  ■  L'esprit  de  Reuchlin 
était  confus  et  enclin  au  mysticisme  >,  dit  Geicer  (p.  195).  Ses  connaissances 
scientifiques  étaient  incomplètes.  Il  ne  s'éleva  jamais  jusqu'aux  hauteurs  de  la 
philosopliie.  Jacques  Margolith,  de  Ratisbonne,  savant  Juif  qui  ne  manquait 
pas  de  mérite,  cherchait  à  détourner  Reuchlin  de  son  engouement  pour  la  cabale  : 
>■  Ne  forte  sapientia  raultiplicet  ei  damnum  plus  quam  perfectum.  •  ReuMtn't 
Briefwechsel,  p.  53-54. 

-  De  verbo  mirifico  (1494). 

"  De  arte  cabbalistica  (151*7). 


REUCHLIN    ET    LES    LIVRES    JUIFS.  89 

chrétiens  allaient  être  mieux  compris.  Malheureusement  ses  vues, 
considérées  même  comme  de  simples  conceptions  pliilosophiques, 
pouvaient  aisément  égarer  les  esprits,  et  donnaient  trop  grande  satis- 
faction au  penchant  déjà  si  entraînant  que  l'homme  éprouve  pour 
tout  ce  qui  semble  lui  promettre  une  communication  directe  avec 
le  monde  surnaturel.  Mutian  lut  ravi  de  la  Parole  miraculeuse.  Il 
espérait  bien,  disait-il,  voir  réaliser  par  Reuchlin  ce  que  Pic  de 
la  Mirandole  avait  fait  espérer  '.  Cornelius  Agrippa  fit  des  cours 
«  sur  l'œuvre  chrétienne  et  catholique  de  Reuchlin  *  >  ;  mais  quel- 
ques théologiens  lui  refusèrent  leur  approbation.  <  Il  me  semble 
en  lisant  Reuchlin  »,  écrivait  Jean  Colet,  t<  que  les  miracles  sont 
plus  dans  les  paroles  que  dans  les  faits;  on  prétend  que  certains 
mots,  certains  signes  hébreux  possèdent  une  vertu  tout  extraor- 
dinaire. Oh!  la  science  et  les  livres  n'ont  jamais  tout  dit!  Mais 
après  tout,  rien  ne  me  parait  meilleur,  pour  les  moments  si  courts 
de  notre  existence  terrestre,  que  de  vivre  saintement  et  purement, 
de  viser  tous  les  jours  au  perfectionnement  de  notre  âme.  et  de 
nous  diriger  vers  la  lumière,  en  cherchant  à  atteindre  le  but  que 
nous  proposent  les  livres  pythagoriciens  et  cabalistiques  de  Reuchlin. 
Or,  nous  n'avons  d'autre  moyen  d'y  atteindre  qu'un  brûlant  amour 
pour  Jésus,  et  l'imitation  de  sa  vie^  ^ 

Craignant  non  sans  raison  une  nouvelle  invasion  du  judaïsme,  le 
Dominicain  Jacques  Hochstratten,  professeur  de  théolop;ie  à  Cologne, 
inquisiteur  de  la  foi  dans  les  provinces  de  Cologne,  de  Mayence  et 
de  Trêves,  entreprit  de  réfuter  Reuchlin  dans  sa  Destruction  de  la 
cabale.  Il  y  démontrait  que  cette  doctrine  ne  fortifiait  en  rien  les 
dogmes  du  christianisme,  qu'elle  les  niait,  au  contraire,  et  que  les 
livres  de  Reuchlin  fourmillaient  de  propositions  erronées*. 

Peu  de  temps  avant  l'apparition  des  traités  de  Reuchlin  sur  la 
cabale  et  de  la  réfutation  de  Hochstratten,  une  longue  dispute  sur 
l'autorité  des  livres  hébreux  avait  eu  lieu,  et  Reuchlin,  au  début 
de  la  querelle,  avait  pris  ouvertement  parti  contre  les  Juifs.  A  l'in- 
stigation d'un  noble  de  ses  iimis,  il  avait  publié  un  petit  traité 
intitulé  :  Pourquoi  les  Juifs  sont  depuis  si  longtemps  dans  la  détresse  ^ 
(1505).  Il  y  expliquait  que  la  dispersion  et  l'exil  des  Hébreux  depuis 
plus  de  treize  cents  ans  «  n'étaient  que  la  juste  punition  de  leur 
déicide  > .  Or,  ce  crime  s'était  perpétué  sans  interruption  à  travers  les 
âges,  '  car  les  Juifs  continuaient  à  blasphémer,  à  outrager,  à  injurier 

'  Reuchlin's  Briefwechsel,  p.  84. 
'Voy.  Geiger,  Reuchlin,  p.  199. 
ä  Erasmiop.  III,  1660.  App.  ap.,  242. 

*  Deslructio  Cabbale  seu  Cabbalistice  perßdie  (1519)  .Yoy.  Geiger,  Reuchlin,  p.  199-201. 

*  BÖCK1.\G,  Ulr.  Hutteni  op.  Supplementum,  t.  I,  p.  173-179.  —  GEIGER,  Reuchlin,. 
p.  206-208. 


40  JEAN    PFEFFERKORN. 

journellement  le  Seigneur  de  toutes  choses,  dans  la  personne  de  son 
Fils,  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  vrai  Messie  donné  au  monde,  qu'ils 
appellent  «  pécheur,  enchanteur,  supplicié«;  la  douce  Vierge  Marie, 
ils  la  nomment  Haria,  ce  qui  veut  dire  furie,  et  traitent  d'hérétiques 
les  Apôtres  et  les  disciples  du  Seigneur;  et  nous  autres  chrétiens, 
disait  encore  Reuchlin,  «  ils  nous  regardent  comme  un  peuple  abomi- 
nable, comme  des  païens  insensés  «.«  Les  Juifs  d'autrefois  et  ceux  de 
maintenant,  et  cela  aussi  longtemps  qu'ils  seront  Juifs,  participent  à 
ces  blasphèmes,  et  trouvent  une  joie  singulière  à  imaginer  sans  cesse 
quelque  nouvelle  injure  contre  le  christianisme.  »  «  Ce  fait  ressort 
clairement  de  tous  leurs  actes,  de  leur  attitude,  de  leurs  prières  quo- 
tidiennes, ainsi  que  de  la  lecture  des  livres  qu'ils  composent  contre 
nous'.  »  «  Le  pire  est  qu'ils  ne  veulent  pas  convenir  de  leur  péché; 
ils  nient  que  les  blasphèmes  qu'ils  profèrent  tous  les  jours  contre 
Notre-Seigneur  soient  répréhensibles;  de  sorte  qu'ils  sont  incapables, 
soit  de  reconnaître  leur  erreur,  soit  d'améliorer  leur  vie.  Et  comme 
tous  ensemble  demeurent  dans  l'endurcissement,  ils  voient  aussi 
s'éterniser  leur  châtiment  et  leur  captivité.  Tant  qu'ils  ne  change- 
ront point  de  cooduite,  ils  ne  doivent  espérer  aucun  adoucissement 
à  leur  sort,  parce  qu'ils  veulent  être  aveugles,  que  cela  plaise  ou 
non  à  Dieu,  et  qu'ils  restent  de  plein  gré  dans  leur  ignorance.  Je  prie 
Dieu  de  daigner  les  éclairer  et  les  ramener  à  la  vraie  foi,  afin 
qu'ils  confessent  que  Jésus-Christ  est  le  véritable  Messie;  alors  leur 
cause  redeviendra  bonne  en  ce  monde  et  dans  l'autre.  »  En  termi- 
nant cet  écrit,  Reuchlin  avait  généreusement  offert  à  tout  Juif,  dési- 
reux d'être  instruit  touchant  le  Messie  et  la  foi,  de  s'occuper  de  lui, 
de  lui  venir  en  aide,  '  afin  que,  déchargé  de  toute  préoccupation 
temporelle,  il  puisse  servir  Dieu  en  paix,  affranchi  de  tout  souci  «. 

Mais  la  conversion  des  Juifs,  selon  l'opinion  souvent  répétée  des 
théologiens  et  des  canonistes,  ne  pouvait  être  espérée  qu'à  certaines 
conditions.  Il  leur  fallait  abandonner  l'usure,  prendre  part  comme 
les  chrétiens  aux  industries  civiles,  et  surtout  renoncer  aux  livres 
antichrétiens  qu'on  leur  permettait  encore  de  garder,  et  principa- 
lement au  Talmud.  «  Par  ces  livres  ",  disaient  les  théologiens,  «  la 
«  haine  des  Juifs  contre  le  christianisme  est  constamment  ravivée.  » 
Un  Juif  baptisé,  Jean  Pfefferkorn,  dans  un  esprit  de  sincère  bon 
vouloir  envers  ses  anciens  coreligionaires,  se  fît  l'interprète  de  ces 
manières  de  voir  dans  plusieurs  écrits,  souvent  réimprimés  entre  1507 
et  1509.  Le  premier  :  le  Miroir  des  Juifs,  condamne  franchement  les 


'  Comme  «  uns  dem  Buch  Nizahon  un  Bruder  fol,  ouch  in  dem  gebet  ulcschu- 
madim  wol  zu  merken  ist  •. 


QUERELLE    A    PROPOS    DES    LIVRES    JUIFS.  41 

persécutions  si  fréquemment  exercées  contre  les  Israélites,  et  s'efforce 
(le  les  justifier  des  imputations  odieuses  qu'on  formulait  alors  contre 
eux;  surtout  il  nie  qu'ils  soient  obligés  par  leur  loi,  comme  on  le 
prétendait  alors,  de  verser  le  sang  chrétien  "dans  certains  rites  reli- 
gieux, et  de  mettre  à  mort  de  jeunes  enfants.  «0  mes  frères  bien-aimés 
en  Jésus!  »  s'écrie  Pfefferkorn,  «  je  vous  supplie  de  ne  donner  aucune 
créance  à  de  telles  accusations!  »  «  La  manière  dont  on  opprime  les 
.luifs  les  éloigne  de  la  foi  chrétienne.  »  «  Croyez-moi,  nul  d'entre 
eux  ne  doit  être  dépouillé  par  la  force  de  ce  qui  lui  appartient'.  » 
Mais,  d'accord  en  cela  avec  tous  les  théologiens  de  son  temps, 
Pfefferkorn  demandait  aux  Juifs  «  de  renoncer  à  l'usure,  de  gagner 
leur  pain  par  un  travail  honorable,  d'assister  aux  prédications  aux 
époques  désignées  par  l'Église,  afin  de  s'instruire  de  la  sainte  parole 
de  Dieu;  surtout  il  les  suppliait  de  renoncer  à  la  lecture  du  Tal- 
mud )'.  Vivement  attaqué  par  ces  anciens  frères,  Pfefferkorn  de- 
vint plus  sévère  envers  eux.  «  Les  Juifs  »,  dit-il  dans  un  petit  livre 
publié  peu  après  et  intitulé  :  Comment  les  Juifs  aveuglés  célèbrent  la 
Pâque,  «  n'étaient  plus  des  mosaïstes,  mais  des  talmudisfes,  des  héré- 
tiques de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  et  dignes,  à  cause  de 
cela,  d'être  jugés  d'après  les  lois  de  Moïse.  »  11  fallait  leur  enlever 
le  Talmud,  qui  ne  servait  qu'à  les  égarer;  alors  ils  changeraient 
promptement  d'esprit  et  de  disposition.  Dans  cet  écrit,  aussi  bien 
que  dans  deux  autres  qui  le  suivirent  :  la  Confession  juive  et  Y  Ennemi 
des  Juifs,  Pfefferkorn  caractérisait  en  termes  sévères  «  la  ruse  astu- 
cieuse des  Hébreux  »;  il  faisait  resssortir  «  leur  mauvais  vouloir 
pervers  »,  exhortant  les  chrétiens  à  ne  pas  souffrir  au  milieu  d'eux 
les  Juifs  restés  Juifs,  «  qui  blasphèment  Jésus-Christ  et  sa  Mère 
bénie  ».  «  Cependant  »,  ajoutait-il,  »  les  chrétiens  ne  doivent  pas  de- 
mander aux  autorités  leur  mort  ou  leur  expulsion  :  qu'ils  se  bornent 
à  insister  pour  que  l'usure  leur  soit  interdite.  »  Et  il  trace  un  sombre 
aperçu  de  l'usure  juive.  Il  est  aussi  d'avis  qu'on  détruise  «  les  faux 
livres  juifs  »,  et  demande  que  la  prédication  chrétienne  soit  rendue 
obligatoire  à  tout  Israélite.  Si  les  autorités,  peut-être  corrompues  par 
des  présents,  n'adoptent  point  ces  mesures,  il  recommande  aux  chré- 
tiens d'employer  auprès  de  Dieu  l'arme  de  la  prière.  Ils  peuvent 
aussi  tenter  de  se  faire  écouter  par  d'autres  princes  chrétiens  ^ 

Parmi  ceux-ci,  l'Empereur  était  le  premier  en  titre,  et  c'était 
surtout  de  lui  que  Pfefferkorn  attendait  aide  et  secours.  Les  Domi- 

'Norrenberff  a  le  premier,  selon  nous,  jugé  avec  une  complète  impartialité 
la  conduite  de  Pfefferkorn  en  cette  affaire.  Voy.  son  article  sur  la  vie  litté- 
raire à  Cologne  au  commencement  du  seizième  siècle,  dans  les  Cölner  Nachrich- 
ten (1872,  n»  35). 

*  Voy.  Pawlikow'SKI,  Auszüge  aus  Pfefferkorns  Schriften,  p.  738-742. 


42  QUERELLE    A    PROPOS    DES    LIVRES   JUIFS, 

nicains,  qui  s'étaient  imposé  le  devoir  spécial  de  protéger  le  peuple 
chrétien  contre  l'usure  juive',  et  considéraient  la  saisie  des  <  livres 
détestables  et  antichrétiens  des  Juifs  comme  l'unique  moyen  de 
les  convertir,  lui  donnèrent  des  lettres  de  recommandation  pour  la 
sœur  de  Maximilien,  Cunégonde,  veuve  d'Albert,  duc  de  Bavière. 
Celle-ci,  bientôt  gagnée  aux  vues  de  Pfefferkorn,  le  recommanda  à 
son  frère,  et  le  15  août  1509,  Maximilien  faisait  publier  une  ordon- 
nance concernant  tous  les  .luifs  de  l'Empire.  Il  leur  était  enjoint  de 
remettre  les  livres  hostiles  à  la  foi  chrétienne  et  contredisant  leur 
propre  loi,  <  à  Jean  Pfefferkorn,  fidèle  serviteur  de  l'Empereur,  dé- 
voué au  royaume,  expérimenté  et  savant  dans  notre  croyance  ». 
Pfefferkorn  était  autorisé  à  saisir  et  à  détruire  tous  les  livres  suspects; 
mais  en  chaque  ville,  il  devait  préalablement  avertir  et  consulter 
le  curé,  deux  membres  du  conseil,  ou  bien  les  premiers  magistrats 
du  lieu  ^. 

Dans  une  ordonnance  postérieure,  l'Empereur  confia  la  direction 
de  toute  l'affaire  à  l'archevêque  Uriel  de  IMayence,  chargeant  ce  pré- 
lat d'examiner  les  livres  juifs  déjà  confisqués  en  quelques  endroits 
par  Pfefferkorn,  et  de  réclamer  à  leur  sujet  l'avis  des  Universités  de 
Mayence,  Cologne,  Erfurt  et  Heidelberg,  de  l'inquisiteur  de  la  foi  à 
Cologne,  Jacques  Hochstratten,  du  prêtre  Victor  de  Carben,  et  enfin 
de  Reuchlin. 

Le  jugement  de  Reuchlin  fut  plus  favorable  aux  livres  juifs 
qu'on  n'eût  pu  s'y  attendre.  Sa  conclusion  était  que,  pour  agir  équi- 
tablement  et  loyalement,  il  ne  fallait  détruire  que  ceux  qui  étaient 
manifestement  injurieux  pour  la  foi;  tous  les  autres  devaient  être 
épargnés.  Quant  au  Talmud,  Jésus-Christ  lui-même  semblait  avoir 
ordonné  sa  conservation,  car  ce  livre  pouvait  souvent  apporter  un  utile 
témoignage  à  la  vérité.  «  Les  choses  singulières  qui  s'y  rencontrent  «, 
disait  Reuchlin,  ^  ne  suffisent  pas  pour  en  autoriser  l'entière  destruc- 
tion; car  il  est  naturel  que  la  superstition  et  l'erreur  se  mêlent  à  ce 
qui  est  raisonnable,  et  ce  mélange  ne  peut  que  rendre  plus  vigou- 
reuse la  foi  des  vrais  fidèles.  "  Les  quatre  Universités  consultées 
firent  aussi  connaître  leurs  décisions.  Heidelberg  ne  voulut  rien 
préciser,  et  remit  la  question  à  la  délibération  plus  approfondie  d'une 
commission  savante,  spécialement  nommée  dans  ce  but.  Erfurt  fut 

-  Voy.  notre  premier  volume,  p.  377. 

-  Pour  plus  de  détails,  voy.  Geiger,  Reuchlin,  p.  210-217.  Cesarea  maiestas  suis 
imperialibus  publicis  mandatis  omnibus  Romani  imperii  statibus  mandavit,  ut 
omnes  i?iuiiles  thalmudicos  libros  cum  suis  appendiciis,  in  Christianae  fidei  oppro- 
briuni  et  dedecus  compositos,  a  .Tudeis  tollerent  et  supprimèrent.  Voluit  quoque 
eos,  ut  quamdiu  Christianam  fidem  non  acceptaverint,  secundum  antiquam  legem  et 
prophetas  vivcre  dcbere.  »  Voy.  dans  Bocking.  L'ir.  Hulteni  op.  Suppl.,  t.  I,  p.  87,  la 
Dèfenrx  de  Pfefferkorn. 


QUERELLE    A    P  I!  0 1' 0  S    DES    LIVRES    JUIFS.  Î3 

d'avis  que  l'Kmpereur  et  tout  prince  régnant  avaienl  le  devoir,  dans 
leurs  Élals,  de  retirer  aux  .luifs  les  livres  injurieux  pour  la  foi  chré- 
tienne. Mayence  en  demanda  la  confiscation  provisoire ,  et  même 
celle  de  la  Bible,  soupçonnant  que  les  pas«;a{jes  capables  d'établir 
la  foi  chrétienne  y  avaient  été  falsifiés.  Cologne  était  pour  qu'on 
laissât  la  Bible  aux  Juifs,  mais  non  le  livre  du  Talmud,  que  plu- 
sieurs papes  avaient  déjà  condamné  aux  flammes.  Hochstratten  et 
Victor  de  Carben  se  rangèrent  à  cette  dernière  opinion. 

En  novembre  1510,  l'archevêque  de  Mayence  chargea  Pfefferkorn 
de  soumettre  à  l'Kmpereur,  qui  résidait  alors  à  Fribourg,  ces  diffé- 
rentes appréciations.  Maximilien  en  remit  les  pièces  à  trois  théologiens 
éminenfs,  parmi  lesquels  se  trouvait  le  célèbre  prieur  des  Chartreux 
Grégoire  Reisch  '  ;  il  les  pria  de  les  examiner  et  de  décider  en  dernier 
ressort.  Les  trois  docteurs  se  prononcèrent  unanimement  en  faveur 
des  théologiens  de  Cologne.  La  Bible,  selon  eux,  pouvait  être  sans 
inconvénient  laissée  aux  Juifs;  mais  il  fallait  détruire  tous  leurs 
autres  livres;  cette  mesure  importait  à  la  foi;  elle  était  dans  l'in- 
térêt même  des  Juifs.  Les  archevêques,  évêques  et  autres  supé- 
rieurs ecclésiastiques  furent  donc  autorisés,  aidés  de  fonctionnaires 
laïques,  à  rassembler  les  livres  suspects  dans  tout  le  royaume,  puis 
à  les  faire  examiner  par  des  savants  compétents,  experts  dans  la 
langue  latine  et  hébraïque.  Les  ouvrages  jugés  inoffensifs  devaient 
être  restitués  à  leurs  propriétaires;  les  autres  seraient  ou  brûlés,  ou 
disséminés  dans  les  bibliothèques  chrétiennes ,  pour  servir  aux 
recherches  et  aux  études  des  savants. 

Cependant  cette  grave  décision  n'eut  en  réalité  aucun  effet.  L'Em- 
pereur approuva  les  conclusions  des  examinateurs,  mais  ne  voulut 
rien  faire  avant  d'avoir  consulté  les  Ordres.  Or,  dans  aucune  diète 
postérieure  la  question  des  livres  juifs  ne  fut  soulevée  ^ 

Mais  à  propos  de  cette  controverse  éclata  tout  à  coup  une  que- 
relle destinée  à  exercer  la  plus  grande  influence  sur  les  destinées 
intellectuelles  et  religieuses  de  l'Allemagne. 


II 

Dans  le  jugement  qu'il  avait  porté  sur  les  livres  juifs,  Reuchlin 
avait  attaqué  directement  1'  «  ennemi  des  Juifs  »,  Pfefferkorn;  il 
l'avait  traité  de  -^  buffle  >■  et  d'  '  âne  «,  assurant  qu'il  était  incapable 
de  comprendre  un  mot  aux  livres  dont  il  regardait  la  destruction 

'  Voy.  notre  premier  volume,  p.  97-98. 

*  Pour  plus  de  détails,  voy.  Geiger,  Reuchlin,  p.  216-240. 


44  I.E  MIROIR  DES  YEUX. 

comme  si  nécessaire.  Il  s'était  exprimé  en  termes  méprisants  sur  les 
«  fourbes  »  que  des  motifs  bas  et  intéressés  font  passer  au  christia- 
nisme. Pfefferkorn  n'eut  connaissance  de  ces  attaques,  non  des- 
tinées à  la  publicité,  qu'en  sa  qualité  d'examinateur  officiel;  cepen- 
dant, comme  s'il  eût  été  atteint  comme  individu  dans  son  honneur 
privé,  il  répondit  avec  virulence  aux  accusations  de  Reuchlin,  dans 
un  écrit  intitulé  :  h  Miroir  à  la  main  (1511).  Reuchlin  riposta  sur 
un  ton  plus  violent  encore  dans  son  Miroir  des  yeux,  où  il  traite 
Pfefferkorn  de  '  vulgaire  coquin  ",  d'  >  écrivain  déloyal  »,  de  «  nature 
diabolique  »,  livrant  à  la  publicité  le  jugement  que  Pfefferkorn  avait 
communiqué  par  écrit  à  l'Empereur,  et  le  faisant  suivre  d'un  com- 
mentaire. 

Ces  deux  écrits  n'étaient  pas  le  programme  de  deux  partis,  mais 
seulement  l'exposé  des  griefs  mutuels  de  deux  particuliers.  Les  théo- 
logiens de  Cologne  n'avaient  rien  à  voir  dans  le  Miroir  à  la  main  de 
Pfefferkorn,  et  les  «  poètes  «  rien  à  faire  avec  le  Miroir  des  yeux  de 
Reuchlin  '. 

Cependant,  peu  de  temps  après,  on  voit  les  «  grands  partis  »  se 
former.  Le  Miroir  des  yeux  parut  pendant  la  foire  de  Francfort 
(automne  1511),  et  fit  une  sensation  profonde. 

Bientôt  il  se  répandit  dans  l'Allemagne  entière.  Y  découvrant  des 
propositions  hérétiques,  absolument  opposées  à  l'enseignement  de 
l'Eglise,  le  curé  de  Francfort,  Meyer,  selon  les  devoirs  de  sa  charge 
et  sur  la  requête  de  l'archevêque  de  Mayence,  Uriel,  envoya  un  exem- 
plaire du  livre  à  la  faculté  de  théologie  de  Cologne.  Cette  faculté,  de 
par  l'autorité  papale,  possédait  en  Allemagne  un  droit  souverain  de 
censure.  L'Université  de  Cologne,  avec  ses  deux  mille  étudiants,  son 
importance  considérable,  la  gloire,  la  réputation  dont  elle  jouissait, 
avait  alors  incontestablement  le  premier  rang  parmi  les  Univer- 
sités rhénanes  ^  et  sa  faculté  de  théologie  était  la  plus  influente 


'  De  tous  les  historiens  modernes,  c'est  Geiger  qui,  dans  sa  bibliographie  de 
Reuchlin,  a  jugé  cette  célèbre  querelle  de  la  manière  la  plus  impartiale  et  la 
plus  sagace.  •  Aucun  des  historiens  qui  racontent  l'affaire  »,  dit-il  (page  257, 
note,  =  ne  l'a  appréciée  équitablement,  par  les  procédés  d'une  sage  critique. 
Les  faits,  pris  isolément,  n'ont  point  été  confrontés  dans  leurs  diverses  versions, 
lorsque  ce  cas  s'est  rencontré,  ni  ensuite  appréciés  séparément  à  leur  juste  valeur. 
On  parcourt  sommairement  les  pièces  émanant  des  adversaires  de  Reuchlin,  puis 
on  prononce  une  rapide  sentence,  en  ayant  surtout  égard  aux  témoignarres 
de  ses  amis,  c'est  à  tort  qu'on  pense  glorifier  la  cause  de  Reuchlin  en  ra- 
baissant ses  contradicteurs.  On  pèche  contre  l'histoire  et  par  conséquent 
contre  léquilé  en  mesurant  avec  des  poids  différents  amis  et  ennemis.  = 

-  Voy.  notre  premier  volume,  p.  76-78.  Voy.  Krafft,  Documente  und  Briefe, 
p.  117-177. 181-202.  —  .  En  étudiant  les  choses  de  près  • ,  dit  Kr«fft  (p.  184),  «  il  est 
intéressant  d'énumérer,  d'une  part,  le  grand  nombre  d'écrivains  savants,  de 
professeurs  éminents,  de  l'autre,  les  jeunes  et  militantes  énergies  qui  alors  se 
rencontraient  et  se  combattaient  à  Cologne  »  (1512-1514). 


HEUCHLIN    ET    LES    THÉOLOGIENS    DE    COLOGNE.  i5 

(le  loute  l'Allemagne.  Les  docteurs  qui  y  étaient  alors  les  plus  en 
renom  étaient  le  régent  du  collège  de  Saint-Laurent,  Arnold  de 
Tongres',  et  les  deux  Dominicains  Conrad CoUin  *  et  Jacques  Hoch- 
stratten  '. 

Aussitôt  que  Reuchlin  eut  appris  qu'Arnold  de  Tongres  était 
chargé  d'examiner  son  livre,  il  lui  écrivit  (18  octobre  1511)  :  il  s'esti- 
mait heureux,  lui  disait-il,  qu'un  homme  de  sa  valeur  lui  eiU  été 
donné  pour  juge;  éminent  dans  la  science,  il  saurait  être  indulgent 
pour  la  faiblesse  humaine.  En  exprimant  son  opinion  sur  les  livres 
juifs,  Reuchlin  assurait  n'avoir  jamais  eu  l'intention  de  blesser  per- 
sonne, ni  d'empiéter  sur  les  droits  d'aucune  Université.  Il  vénérait  la 
science,  et  en  premier  lieu  la  théologie;  mais  il  ne  l'avait  jamais  étu- 
diée à  fond,  et  s'il  mêlait  à  ses  ouvrages  des  citations  théologiques, 
c'était  à  peu  près  comme  un  curé  de  village  introduisant  la  médecine 
dans  ses  sermons.  S'il  avait  commis  quelques  erreurs,  il  demandait 
qu'elles  lui  fussent  signalées;  il  était  prêt  à  les  rétracter,  car  en 
toutes  choses  il  entendait  persévérer  dans  son  obéissance  envers 
l'Église,  et  garder  l'intégrité  de  la  foi  \  Écrivant  à  Collin,  avec 

'  Sur  Arnold  de  Tonfjres  voy.  notre  premier  volume,  p.  79-84.  L'humaniste 
Jean  Murniellius  se  regardait  comme  très-redevable  au  célèbre  Arnold,  et  ne 
savait  ce  qu'il  devait  le  plus  admirer  en  lui,  ou  de  son  caractère  ou  de  son  savoir. 
En  1510,  il  lui  dédia  un  ouvrage  pedayojjique.  —  Böcking,  Supp.,  t.  I,  p.  392.  — 
Voy.  Cornélius.  Müiisterische  Humanisten,  p.  29.  —  L'humaniste  Jean  Butzbach  a  dit 
d'Arnold  :  «  Vir  in  divinis  scripturis  egregie  eruditus  et  saecularis  philosophiae 
non  infime  peritus,  sacrae  theologiae  apud  Coloniam  modo  insignissimus 
professor,  fama  doctrinas  suae  undique  notus,  quippe  qui  eruditionis  suae  magni- 
tudine  et  christianœ  fidei  zeio  almam  illam  Coloniensium  universitatem  magni- 
fiée hoc  tempore  nostro  illustrât.  »  -^  ...dévolus  Christi  sacerdos  et  doctor 
integerrimus.  »  Et  à  propos  du  mémoire  d'Arnold  intitulé  Contra  concubinarios 
presbiteros  :  •  Omnes  autoreni  maledicunt,  vitupérant,  lacérant  et  carpunt  mali 
sacerdotes.  »  Voy.  les  Auctarium  de  Butzbach  dans  la  Zeitschrift  des  Bergischen  Ges- 
chitsvcreiiis,  i.  VII,  p.  260.  Les  «  mali  sacerdotes  "  se  seront  certainement  joints 
aux  humanistes  de  mœurs  dissolues,  comme  llutten  et  Crotus  Rubianus,  pour 
attaquer  le  digne  homme.  Pourquoi  Böcking,  qui,  dans  son  commentaire  des 
Epist.  obscurorum  virorum  [Ulrich  Huiteni,  Suppl.,  Op.,  II),  se  Sert  fréquemment  des 
âuctarium  pour  ce  qui  touche  aux  amis  de  Reuchlin,  passe-t-il  sous  silence  un 
passage  favorable  à  Arnold  qui  se  trouve  à  la  p.  147  (p.  151  /  Après  trois  siècles 
écoulés,  l'esprit  de  parti  doit-il  donc  encore  subsister,  même  dans  les  recherches 
des  savants? 

-  Sur  Collin,  voy.  Veesenmeyeu,  dans  les  archives  historiques  de  Staudlin 
(Halie,  1825),  t.  I,  p.  470-501.  Lorsqu'il  était  professeur  de  théologie  à  Heidel- 
berg, Collin  enseignait  avec  un  tel  succès,  qu'étant  allé  se  fixer  à  Cologne 
eu  3511, le  doyen  de  la  faculté  de  philosophie  d'Heidelberg,  à  la  demande  générale, 
insista  pour  que  ses  cours  fussent  publiés  pour  le  plus  grand  avantajje  de  leur 
Lniver,sité  (p.  474).  —  Le  Suisse  Henri  Bullinger,  en  1545,  longtemps  après  avoir 
quitté  l'Église  catholique,  parlait  encore  de  lui  comme  d'un  egregius  Tlwmista. 
Voy.  Zeitschrift  des  Btrgischcn  Geschichtsverein,  t.  VI,  p.  265. 

Voy.  H.  CreMANS,  De  Jacobire  Hochstrati  vita  et  scriplis.  Bonnœ,  1869. 

'  •  Quidquid  igitur  .,  écrit-il,  «  sancta  ecclesia,  quae  est  columna  et  nrma- 


46      KEUCH  LIN  ET  LES  THEOLOGIENS  DE  COLOGNE. 

lequel  il  était  lié  depuis  de  longues  années,  Reuchlin  s'exprimait  à 
peu  près  dans  les  mêmes  termes.  Celui-ci  lui  répondit  (2  janvier 
1512)  qu'il  n'était  pas  étonnant  qu'un  juriste  fit  quelques  erreurs 
en  traitant  des  sujets  théologiques  ',  et  que  la  faculté  se  proposait 
de  lui  renvoyer  son  ouvrage,  en  lui  indiquant  dans  les  passages 
suspects  les  propositions  où  il  s'était  trompé  ^ 

Voici  ce  que  reprochait  à  Reuchlin  la  faculté  de  théologie  :  Par 
la  publication  de  son  mémoire,  il  avait  fait  avorter  les  desseins  de 
l'Empereur  relativement  aux  livres  juifs;  déplus,  il  s'était  rendu  sus- 
pect aux  chrétiens,  qui  pouvaient  le  soupçonner  de  partialité  pour 
les  "  perfides  Juifs  ».  Son  Miroir  des  yeux,  rédigé  en  allemand,  s'était 
propagé  parmi  les  Juifs,  qui  tous  avaient  été  ravis  de  voir  un  homme 
de  la  valeur  de  Reuchlin  prendre  leur  cause  en  main,  protéger  et 
défendre  des  livres  où  Jésus-Christ  et  la  foi  étaient  outragés.  A 
l'appui  de  ses  opinions,  Reuchlin  avait  cité,  en  les  détournant  de  leur 
vrai  sens,  des  passages  de  la  sainte  Écriture.  Outre  cela,  son  livre 
contenait  un  grand  nombre  de  propositions  choquantes,  qui  faisaient 
douter  de  la  pureté  de  son  orthodoxie.  Mais  la  faculté  voyait  avec 
joie,  par  les  lettres  de  Reuchlin  à  Arnold  de  Tongres  et  à  Collin,  qu'il 
était  résolu  de  demeurer  inviolablement  attaché  à  la  foi,  et  tout 
prêt  à  corriger  ce  que  sou  ouvrage  renfermait  d'erroné.  La  faculté 
lui  envoyait  donc  la  liste  des  propositions  non  orthodoxes  de  son 
livre,  ainsi  que  la  désignation  des  passages  interprétés  par  lui  dans 
un  sens  douteux.  Elle  le  priait  de  s'expliquer  plus  nettement  à  ce 
sujet,  ou  bien,  à  l'exemple  de  l'humble  et  sage  Augustin,  de  les 
rétracter  purement  et  simplement  ^ 

Après  des  explications  si  calmes,  si  modérées  des  deux  côtés,  on 
eût  pu  s'attendre  à  voir  l'incident  se  terminer  à  l'amiable.  Mais  il 
n'en  fut  rien. 

«  En  l'espace  de  quelques  mois  ",  écrivait  plus  tard  Hochstratten, 
'  sous  l'influence  de  gens  querelleurs  et  ennemis  de  l'Église,  un 
changement  presque  complet  s'opéra  dans  l'esprit  de  Reuchlin.  Son 
attitude,  son  langage  n'étaient  plus  les  mêmes.  »  Dès  le  12  mars 
1512,  s'adressant  à  Collin,  il  lui  écrit,  en  parlant  des  théologiens  de 


mentum  veritatis,  credit  et  qualitercunque  credit,  item  ego  et  taliter  credo. 
Et  sicut  ipsa  exponit  sacram  scripturam,  ita  ego  exponendam  censo,  alque 
confiteor.  Et  si  usquam  aliter  exposuerira,...  illud  corrigere  et  emendare  para- 
tUS  sum  "  ,  etc.  BeuMin's  Briefwechsel,  p.  139. 

*  •  Non  mirura,  si  jurista  theologicas  non  attigerit  subtilitates.  • 
s  Reuchlin's  Briefwechsel,  p.  140-141,  149-150. 

*  "  ...Super  his  ego  petimus,  ut  per  tua  scripta  nos  latius  raentera  tuana  reve- 
lando  informes,  aut  exemple  humilis  etsapientis  Augustini  palinodiamcantando 
retractes.  •  Reuchlin  s  Briefu-echiel,  p.  146-148. 


VIOLENTES    ATTAQUES    DE    R  EUCH  LIN.  47 

Colo{jne,  que  ce  sont  eux  et  non  lui  qui  ont  commencé  la  querelle,  ou 
plutôt  que  toute  la  faculté  s'est  livrée  «  à  ce  .luiC  baptisé,  qui  l'a  sans 
doute  excitée  contre  lui  >.  Innocent,  il  se  voyait  trahi,  vendu;  mais 
néanmoins  il  ne  ressentait  aucune  frayeur.  Il  comptait  des  défen- 
seurs puissants  parmi  la  noblesse  et  la  bourgeoisie.  Le  pays  tout 
entier  se  fiU  levé  pour  le  défendre,  si  un  orateur  de  la  force  de  Démo- 
sthènes  eût  su  développer  en  public  le  commencement,  le  milieu  et 
la  fin  de  cette  intrigue,  distinguant  ceux  qui  dans  le  débat  avaient  ou 
le  Christ  en  vue,  de  ceux  qui  n'avaient  songé  qu'à  remplir  leur  bourse. 
Aux  grands  personnages  qui  prendraient  son  parti  viendraient  se 
joindre  les  poètes  et  les  historiens,  parmi  lesquels  beaucoup  lui  por- 
taient un  grand  respect,  comme  c'était  leur  devoir,  ayant  reçu  autre- 
fois son  enseignement.  Ces  hommes  éminents  livreraient  bientôt  à  un 
éternel  opprobre  le  procédé  inique  de  ses  ennemis,  et  proclameraient 
son  innocence,  à  l'éternelle  confusion  de  l'Université  de  Cologne'. 

Dans  un  second  mémoire  qu'il  fit  paraître  peu  de  temps  après  *, 
également  en  allemand,  Reuchlin  soutenait  l'orthodoxie  de  tous 
ses  principes,  et  attaquait  indirectement  les  théologiens  de  Cologne 
par  des  remarques  acérées.  Ceux-ci  songèrent  alors  à  empêcher  le 
public  de  suivre  le  débat.  Arnold  de  Tongres  publia  un  grave  traité  en 
latin,  dont  le  ton  est  en  général  plein  de  modération  3;  il  y  signalait 
les  erreurs  théologiques  de  Reuchlin.  Dans  la  dédicace  de  son  travail  à 
l'Empereur,  Arnold  déclarait  qu'il  ne  prenait  la  plume  que  parce 
que  Reuchlin,  dans  son  Miroir  des  yeux,  avait  à  tort  pris  parti  pour 
les  Juifs  et  les  avait  fortifiés  dans  leur  hostilité  contre  les  chrétiens, 
et  aussi  parce  que  l'auteur  des  propositions  condamnées  n'avait 
pas  voulu  les  rétracter  lorsqu'elles  lui  avaient  été  montrées,  mena- 
çant la  faculté  de  Cologne,  et  disant  que  beaucoup  de  ses  amis  se 
lèveraient  pour  le  défendre,  comme  s'il  s'imaginait  la  faire  reculer 
par  des  menaces!  "  Non,  non  > ,  ajoutait-il,  »  nous  ne  sommes  pas  gens 
à  nous  laisser  intimider  par  de  telles  provocations!  » 

Pfefferkorn  procéda  différemment.  Exaspéré  par  les  injures  de 
Reuchlin,  qui  dans  son  second  écrit  l'avait  dépeint  comme  un  homme 
>'  trouvant  un  particulier  plaisir  à  mentir  »,  il  l'attaqua  dans  son 
Miroir  ardent  *  avec  une  violence  sans  pareille.  Reuchlin  en  fut  d'au- 
tant plus  aigri  que,  sur  ces  entrefaites,  l'empereur  Maximilien  fit 


'  Reuchlin's  Brief ttechsel.  p.  165-167. 

^  Ain  clare  verstenCnus,  etc.  A  OV.  Bocking,  i'ir.  Hutteni.  op.  Suppl.,  II,  p.  77. 
—  Geiger,  Reuchlin,  p.  264-265. 

^  Arliculi  sive  prcposiliones  de  judaico  favore  nimis  suspecta:,  ex  libella  teutonico 
Joannis  Reutchlin,  etc.  Coloniae,  1512.  —  Voy.  BOcKiNG.  t.  II,  p  78-79.  —  Geiger, 
p.  266. 

*  Voy.  BÖCKING,  t.  II,  p.  79-80. 


4S  VM  OLE  NT  ES    ATTAQUES    DE    REUClIf.IN. 

interdire  le  Miroir  des  yeux,  ordonnant  la  saisie  de  tous  les  exem- 
plaires du  livre,  sous  peine  d'un  châtiment  sévère. 

Rcuchlin  fît  alors  paraître  sa  Défense  contre  les  calomniateurs  de 
Cologne  '.  C'est  un  des  pamphlets  les  plus  virulenfs  de  l'époque. 

S'adressant  à  l'Empereur,  auquel  il  dédie  son  ouvrage,  Reuchlin 
prétend  que  ce  n'est  pas  le  zèle  pour  la  foi  qui  inspire  les  théolo- 
giens de  Cologne,  mais  uniquement  le  plaisir  de  lui  nuire,  le  désir  de 
l'écraser.  Us  ne  méritent  pas,  à  son  avis,  le  nom  de  théologiens,  ce  ne 
sont  que  des  théologastes  ;  gens  habitués  non  à  scruter  la  vérité, 
mais  à  discuter  éternellement  sur  des  mots  ;  ne  visant  pas  à  la  pureté 
des  mœurs,  mais  souillés  de  toutes  sortes  de  vices  et  de  hontes. 
D'ailleurs  l'expérience  le  disait  assez  :  les  bons  étaient  toujours  per- 
sécutés et  calomniés  par  les  méchants.  Homère  lui-même  avait  été 
exposé  aux  injures  d'un  vil  calomniateur.  Aux  talons  de  tout  homme 
éminent  s'attachait  la  calomnie.  Les  théologiens  de  Cologne  n'avaient 
commencé  la  dispute  contre  les  livres  juifs  que  pour  extorquer  de 
l'argent  juif.  «  Ils  ont  soif  de  l'or  juif,  et  pour  que  cet  or  tombe  en 
leur  possession,  volontiers  ils  proscriraient  et  brûleraient  les  Juifs, 
tandis  que  moi,  je  ne  désire  que  la  paix  et  le  repos.  «  Quant  au  re- 
proche qui  lui  est  adressé  d'avoir  à  dessein  faussement  interprété 
des  passages  de  la  Bible  et  des  auteurs  classiques,  on  ne  saurait 
s'y  attacher  :  il  est  permis  de  les  concevoir  autrement  qu'ils  n'ont 
été  écrits  ou  entendus  par  leurs  auteurs.  On  peut  parfaitement  leur 
attribuer  plusieurs  sens,  pourvu  qu'on  n'en  fausse  pas  la  signifi- 
cation naturelle.  D'ailleurs,  un  tel  reproche  est  étrange  dans  la 
bouche  de  ses  adversaires,  qui  ne  sont  en  état  de  comprendre  et 
d'apprécier  ni  la  Bible,  ni  les  écrivains  classiques.  En  mettant  même 
à  part  la  question  scientifique,  la  simple  réflexion  leur  est  inconnue; 
rintelligeuce  et  la  logique  leur  font  complètement  défaut.  Ne  pou- 
vant suivre  ses  raisonnements,  ils  les  tronquent,  afin  de  pouvoir  les 
réfuter  plus  aisément.  J\on-seulement  ils  sont  incapables  de  les  com- 
prendre, mais  ils  sont  décidés  à  ne  les  point  écouter. 

iSon  content  de  formuler  de  pareilles  accusations,  Reuchlin  se  laisse 
aller  à  des  injures  encore  plus  violentes  contre  des  gens  qui  cepen- 
dant ne  l'avaient  pas  offensé  personnellement.  Il  les  appelle  «  mou- 
tons, boucs,  pourceaux  ».  Il  les  accuse  d'être  pires  que  des  animaux 
sauvages,  et  semblables  à  des  bêtes  de  somme  et  à  des  mulets.  H  les 
nomme  disciples  du  diable,  complices  de  l'enfer,  et  leur  attribue  un 
orgueil  de  démon.  A  l'entendre,  dénués  de  toute  science,  ils  n'ont 
pas  de  but  plus  relevé  que  de  découvrir  partout  des  hérésies;  ils 
pensent,  et  ils  ont  quelquefois  raison,  venir  à  bout  de  leurs  adver- 

'  De/ensio  J.   lieiiclilin  contra  ealumnialnres  suos  Colonienses. 


VIOLENTES    ATTAQUES    DE    KEUCIILIN.  49 

saires  avec  des  bavardages,  et  imitent  les  bouffons  les  plus  gros- 
siers. Ils  méprisent  l'Évangile,  ils  se  conduisent  comme  des  païens; 
ils  menfent,  ils  trompent;  ils  n'ont  pas  de  plus  grande  Joie  que  de 
flétrir  l'honneur  d'un  honnête  homme.  Lejir  faculté  n'a  pas  l'ombre 
de  valeur;  leurs  professeurs  corrompent  le  peuple;  leur  université 
surannée  ressemble  à  un  vieillard  tombé  en  enfance.  Pfefferkorn 
est  un  fou  fieffé,  un  lâche,  ou  plutôt  une  bête  venimeuse.  Reuchlia 
va  jusqu'à  faire  allusion  à  de  coupables  rapports  qu'aurait  eus  sa 
femme  avec  des  théologiens  de  Cologne.  Il  formule  même  d'odieuses 
accusations  contre  le  respectable  Arnold  de  Tongres,  et  lui  reproche, 
par-dessus  le  marché,  d'avoir  à  dessein  mal  compris  et  mal  inter- 
prété les  assertions  de  son  adversaire.  Il  dit  en  concluant  :  «  Chacun 
s'étonnera  de  la  douceur  avec  laquelle  j'ai  traité  et  traite  encore  de 
tels  adversaires;  je  ne  leur  rends  pas  injure  pour  injure,  fureur 
pour  fureur,  mépris  pour  mépris,  calomnie  pour  calomnie,  car  je 
ne  veux  pas  prendre  le  même  chemin  qu'eux,  et  je  me  borne  à  prier 
Dieu  de  les  délivrer  des  tourments  de  l'enfer.  Ma  seule  vengeance 
sera  d'avoir  gravé  sur  le  marbre  le  nom  de  mes  ennemis,  laissant 
cette  parole  aux  générations  futures  :  Arnold  de  Tongres,  faussaire 
et  calomniateur'.  » 

11  faut  dire  à  l'honneur  de  Pfefferkorn  qu'à  la  réception  du  libelle, 
Use  rendit  à  Stuttgard  afin  d'y  joindre  Reuchlin  et  de  se  présenter  avec 
lui  devant  le  duc  de  Wurtemberg  et  son  conseil,  qu'il  voulait  prendre 
pour  arbitres  de  la  querelle.  Mais  il  ne  rencontra  pas  son  adversaire. 

Maximilien,  à  qui  Reuchlin  avait  envoyé  sa  Défense,  y  répondit 
par  une  ordonnance  datée  de  Coblentz  (9  juillet  1513).  Elle  portait  : 
«  qu'à  propos  d'une  enquête  commencée  par  lui  et  se  rapportant  à 
la  question  des  livres  juifs,  Reuchlin  avait  fait  paraître  plusieurs 
brochures  s'accordant  mal  avec  les  intentions  de  l'Empereur;  l'une 
d'elles  accablait  d'outrages  Arnold  de  Tongres  et  la  faculté  de  théo- 
logie de  Cologne.  »«  Et  comme  cet  écrit  était  propre  à  scandaliser  le 
peuple,  l'Empereur  chargeait  les  archevêques  de  Cologne,  de  Mayence, 
de  Trêves,  aussi  bien  que  l'inquisiteur  delà  foi,  de  saisir  l'ouvrage  par- 
tout où  ils  le  trouveraient,  de  le  détruire  et  d'en  interdire  le  débit  ^.  » 
Les  facultés  de  théologie  de  Louvain,  Cologne,  Mayence,  Erfurt  et 
Paris  condamnèrent  aussi  le  Miroir  des  yeux  ^ 

I/inquisiteur  de  la  foi,  Hochstratten,  commença  le  procès  *. 

'  Geiger,  Reuchlin,  p.  272-278.  —  Dans  ce  genre  de  polémique,  Reuchlin  a  servi 
de  modèle  à  Luther,  quelque  peu  incliné  qu'il  fût,  comme  nous  le  verrous  plus 
tard,  à  ouvrir  la  voie  à  la  rébellion  du  novateur. 

^  Geiger,  Reuchlin,  p.  279-281. 

*  Pour  plus  de  détails,  voy.  Geiger,  p.  282-290. 

*  Nous  ne  possédons  jusqu'à  présent  s;ir  ce  procès  que  les  relations  pleines 
de  partialité  de  Reuchlin  et  de  ses  amis.  Voy.  Geiger,  p.  290-291. 

U.  4 


50  CONDAMNATION    DU   MIROIR    DES    YEUX. 

Reuchlin,  apprenant  rinterdiction  de  son  livre,  en  appela  au  Pape, 
et  pour  se  le  rendre  favorable  il  écrivit  au  médecin  ordinaire  du 
Saint-Père,  un  Juif  nommé  Bonet  de  Lates,  dans  les  termes  les  plus 
humbles.  I!  s'était,  disait-il,  opposé  aux  théologiens  de  Cologne  qui 
s'obstinaient  à  vouloir  détruire  les  livres  juifs;  il  avait  lutté  pour 
prouver  la  nécessité  de  les  conserver;  et  pourprix  desa  bonne  action 
il  se  voyait  la  victime  de  la  haine  et  des  persécutions  des  docteurs. 
Il  priait  instamment  Bonet  de  soutenir  sa  cause  auprès  du  Pape  '. 

Léon  X  renvoya  la  question  au  jeune  évêque  de  Spire,  le  comte 
palatin  Georges.  Peu  versé  dans  les  points  en  htige,  celui-ci  en  remit 
l'appréciation  au  chanoine  Georges  Truchsess,  élève  de  Reuchlin. 
Truchsess  fut  d'avis  que  le  Miroir  des  yeux  ne  contenait  aucune  héré- 
sie appréciable,  qu'il  ne  pouvait  causer  de  scandale,  n'était  cou- 
pable d'aucune  irrévérence  et  ne  défendait  pas  les  Juifs  avec  exagé- 
ration. Selon  lui,  ce  livre  pouvait  sans  aucun  inconvénient  être  mis 
en  vente;  pour  Hochstratten,  il  avait  eu  tort;  il  fallait  le  condamner  à 
une  amende,  et  l'obliger  à  garder  désormais  le  silence. 

Hochstratten,  à  son  tour,  en  appela  à  Léon  X,  et  celui-ci  choisit 
pour  arbitre  le  cardinal  Grimani.  En  juin  1514,  Grimani  convoqua  les 
parties  à  Rome.  Hochstratten  fut  sommé  de  comparaître  en  personne  ; 
Reuchlin,  en  considération  de  son  grand  âge,  fut  autorisé  à  se  faire 
représenter  par  un  avocat.  Hochstratten  obéit  aussitôt;  mais  le  juge- 
ment ne  fut  pas  rendu,  et  d'année  en  année  Rome  ajourna  la  sentence 
définitive.  Eu  vain  l'archiduc  Charles,  le  futur  empereur,  représentait- 
il  au  Pape  que  plus  on  tardait,  plus  le  mal  croissait,  et  qu'il  fallait 
trancher  promptemeut  la  question  pour  épargner  le  troupeaa  du 
Christ  et  ôter  aux  faibles  tout  motif  de  se  scandaliser  (1515)^  : 
Reuchlin  avait  à  Rome  des  partisans  influents,  laïques  et  ecclésiasti- 
ques', et  !e  Pape,  ne  soupçonnant  pas  le  péril,  demeurait  inactif*. 

Pendant  cet  intervalle,  un  fait  s'était  produit  ne  justifiant  que 
trop  l'avertissement  donné  par  les  théologiens  de  Cologne  dans  un 
mémoire  adressé  par  eux  au  cardinal  Bernhardin  (1514).  «  Si  l'on  ne 
met  un  terme  aux  propos  frivoles  des  poètes  à  propos  de  cette  ques- 


•  -  si  les  théologiens  de  Cologne  » ,  dit  Geiger  [Reuchlin,  p.  297),  ■  avaient  lu 
cette  lettre,  ils  y  auraient  puisé  de  nouveaux  motifs  d'accuser  Reuchlin  de  par- 
tialité envers  les  Juifs,  aucun  chrétien  allemand  n'ayant  encore  écrit  à  un 
Juif  dans  un  pareil  style,  qui  surpasse  en  exagération  emphatique  la  manière 
déjà  trop  ornée  des  savants  israélites.  - 

-  Voy.  Geiger,  p.  311. 

"  Parmi  ces  amis  influents,  citons  Etienne  Rosinus,  chapelain  de  l'empereur 
Maxirailien  et  son  chargé  d'affaires  ù  Rome-  V^oy.  Aschbach,  Die  Wiener  Universitai 
und  ihre  Humanisten,  p.  114-115,  349. 

*  Lucuhrationes,  p.  27. 


LES    "   POETES  '    SE    DECLAP.ENT    POUR    REUCHLIN.  51 

tionoii  la  foi  est  intéressée,  ils  deviendront  de  plus  en  plus  insolents, 
et  en  viendront  jusqu'à  attaquer  la  vérité  théologique  elle-même*.  « 
Tandis  que  les  premiers  et  les  plus  vénérables  maîtres  de  l'huma- 
nisme, Jacques  Wimpheling,  Sébastien  Braqt  *,  tout  amis  de  ReuchUn 
qu'ils  fussent,  déclaraient  ne  pas  approuver  sa  conduite,  les«  poètes  », 
en  grand  nombre,  prirent  fait  et  cause  pour  le  savant  helléniste,  et 
l'excitèrent  à  aller  toujours  plus  avant.  Influencé  par  eux,  Reuchlin, 
autrefois  si  digne  et  si  grave,  changea  complètement  d'allure  et  de 
langage.  Ses  procédés  actuels  contre  les  théologiens  de  Cologne 
étaient  absolument  étrangers  à  ses  habitudes  d'esprit  comme  à  son 
caractère.  Les  "  poètes  -,  se  formant  pour  la  première  fois  en 
ligue  serrée,  firent  servir  les  griefs  de  Reuchlin  à  leur  haine  contre 
l'autorité  ecclésiastique  et  la  scolastique,  et  dirigèrent  particulière- 
ment leurs  attaques  contre  les  Dominicains,  qui  représentaient  alors 
dans  toutes  les  Universités  les  traditions  de  cette  école. 

Malheureusement,  la  guerre  contre  les  Frères  prêcheurs  fut  servie 
par  un  crime  dont  une  relation,  rédigée  en  latin  et  en  allemand, 
répandit  partout  le  scandale.  Quatre  Dominicains  de  Berne,  ayant 
abusé  le  peuple  par  de  soi-disant  apparitions  miraculeuses,  venaient 
d'expier  leur  imposture  sur  le  bûcher  (1509).  Les  hauts  dignitaires  de 
l'Église,  les  évèques  de  Lausanne  et  de  Sion,  et  le  légat  investi  du 
pouvoir  papal,  avaient  conduit  le  procès  et  prononcé  la  sentence.  Sur 
la  place  du  marché,  les  coupables,  par  l'ordre  du  légat,  avaient  été 
dépouillés  de  leurs  vêtements  sacerdotaux,  déclarés  déchus  de  leur 
dignité  de  prêtres,  et  livrés  au  bras  séculier.  Cet  incident  scan- 
daleux devint  le  prétexte  d'une  grêle  d'injures  que  les  -  poètes  » 
firent  pleuvoir  sur  les  autorités  ecclésiastiques  et  sur  le  clergé  en 
général.  Ils  en  profitèrent  tout  d'abord  pour  flétrir  l'Ordre  des 
Dominicains,  auquel  avaient  appartenu  les  quatre  misérables  K 
.-  Tout  moine  et  tout  prêtre  mentent  et  trompent  -,  répétaient  les 
humanistes,  "  et  le  devoir  de  tout  homme  éclairé  est  de  s'opposer 
à  eux*.  î 

Mutian  s'offrit  pour  diriger  la  campagne.  Déjà,  en  octobre  1512, 
il  avait  écrit  à  Petrejus  qu'en  sa  qualité  de  «  panégyriste  de  Reuch- 
hn  ^,  il  entendait  bien  prendre  sa  cause  en  main.  Après  que  le 
rapport  d'Arnold  de  Tongres  eut  été  publié,  il  jugea  que  le  moment 
était  enfin  venu  de  »  crever  les  yeux  aux  corbeaux  ^  ". 

'  Voy.  Geiger,  p.  305. 

*  Voy.  Schmidt,  A'otice  sur  Sébastien  Branl,  Revue  d'Alsace,  nouvelle  série,  t.  III, 
p.  41-42. 

'  Voy.  ce  qui  concerne  le  •  Bernense  sceius  ■•  dans  Böcking,  Clrich  Huueni  op. 
Suppl.,  t.  II,  p.  305-314. 

*  Lucubraliones,  p.  29. 

*  Voy.  K.iMPSCHDLTE,  t.  I,  p.  15i-156.  —  RRA.ÜSE,  Briefwechsel,  XLV  fl. 


52  MUTIAN    POUR    ET    CONTRE    REUCHLIN. 

Cependant  il  avouait,  en  secret,  il  est  vrai,  à  ses  plus  intimes  amis, 
que  la  condamnation  de  Reuchlin  lui  semblait  juste;  que  Reuchlin, 
dans  son  rapport  sur  les  livres  juifs,  s'était  exprimé  avec  plus  de  pré- 
somption que  l'intérêt  de  tous  ne  semblait  le  réclamer;  que  pour 
soutenir  son  opinion  il  avait  accumulé  des  reproches  odieux;  que 
son  orgueil  était  insupportable;  qu'il  s'était  posé  avec  arrogance 
en  savant  de  premier  ordre;  enfin  qu'en  flattant  les  Juifs  il  avait 
desservi  les  chrétiens,  et  donné  aux  âmes  faibles  une  occasion  de 
scandale  '. 

Néanmoins,  entraîné  par  sa  haine  pour  les  «  barbares  r^,  Mutian 
continuait  à  faire  de  la  propagande  parmi  les  humanistes  au  profit 
d'une  cause  que  lui-même  trouvait  mauvaise  :  «  Puissent  les  dieux 
confondre  les  théologastes!  «  répétait-il  à  ses  amis;  «  ils  ne  méritent 
pas  d'être  protégés  par  les  lois;  il  faut  les  empêcher  d'en  recueillir 
les  bienfaits  *.  "  Le  nombre  de  ses  partisans  secrets  croissait  tous 
les  jours,  et,  plein  de  joie,  il  écrivait  à  Reuchlin  :  <  D'excellents  jeunes 
gens  affluent  quotidiennement  chez  moi.  Tu  vis  dans  leur  cœur  et 
sur  leurs  lèvres  ^  »  Ces  nouveaux  adeptes  s'empressaient,  à  peine 
reçus  dans  l'armée  des  poètes,  d'apporter  leur  hommage  à  Reuchlin  en 
de  louangeuses  épilres,  où  ils  l'encourageaient  à  persévérer  dans  une 
lutte  "  devenue  inévitable  »  contre  la  «  race  réprouvée  > .  L'un  d'eux 
débute  en  ces  termes  :  «  Très-saint  père,  la  paix  soit  avec  toi!  »  Un 
autre  appelle  Reuchlin   «    un  Hercule  vainqueur,  triomphant  des 

'  Voy,  cette  remarquable  lettre  dans  Tentzel,  p.  137-143.  — Krause, firie/icecAsf/, 
p.  350-354.  Mutian  consentait  à  ce  qu'on  accordât  à  l'Église  une  obéissance  exté- 
rieure, et  sa  manière  de  voir  se  traduit  clairement  dans  ses  paroles  :  •  Aucto- 
ritatera  ecclesiae  refellere,  cum  sis  bujus  corporis  membrum,  et  contumelio- 
sum  est  et  plénum  impietatis.  etiamsi  errores  deprehenderis.  Scimus  multa  esse 
ficla  a  viris  sapientissimis  et  non  ignoramus  expedire  vilœ  ut  homincs  religione  fallantur.  • 
En  terminant,  il  recommande  à  son  ami  de  ne  reproduire  rien  de  ce  qu'il  lui  écrit, 
et  de  jeter  tout  au  feu.  •  Est-ce  là  ce  même  Mutian  - ,  dit  Geiger  {Reuchlin,  p.  351), 
«  qui  s'indignait  en  voyant  l'Université  d'Erfurt  condamner  le  livre  de  Reu- 
chlin, et  entrait  en  fureur  contre  les  théologiens  de  Cologne,  parce  qu'ils 
avaient  livré  aux  flammes  le  Miroir  des  yeux?  Ne  reconnaissait-il  qu'à  lui  et  à 
ses  amis  les  savants  le  droit  de  prononcer  en  pareille  matière?  Refusait-il  aux 
illettrés  l'entrée  du  sanctuaire?  Est-ce  un  hypocrite,  qui  d'une  main  écrit  à  tous 
les  savants  pour  les  presser  de  prendre  la  défense  de  Reuchlin,  et  de  l'autre 
confesse  en  secret  à  un  ami  que  la  condamnation  de  Reuchlin  lui  semble  juste  ?  ' 

*  Voy.  Kampschulte,  t.  I,  p.  171.  Une  lettre  de  Mutian  à  l'humaniste  Hérébord 
von  der  Marthen  montre  avec  évidence  le  peu  de  part  qu'avaient  les  motifs 
moraux  dans  son  attitude  agressive  contre  les  théologiens  de  Cologne.  Il  donne 
à  Hérébord,  qu'il  cherche  à  attirer  au  parti  de  Reuchlin,  un  conseil  bas  et  hon- 
teux, apropos  des  théologiens,  -  ces  sophistes, ces  moutons  imbéciles  •.  —  Cette 
lettre  se  trouve  dans  l'ouvrage  de  Tentzel,  p.  97-98,  £■/;.,  125.  Mais  Tentzel  a 
omis  le  passage  où  Mutian  dissuade  Hérébord  du  mariage  :  «  Audivi  aliquid  de 
sponsa.  Cave  futuas  in  matrimonio.  Contentus  sis  fututioue  extraordinaria  - 
Frankfurter  Codex  der  Mulianischen  Briefe,  fol.  98''.  Reproduit  par  Kracse,  387, 
n»  316.  Voy.  Strauss,  t.  ï,  p.  336,  note. 

^  Reuchlin  s  Briefwechsel,  p.  256. 


F. ES    IKIINES    HUMANISTES    ET    REUCHLIN.  53 

monstres  barbares'   ».  «  C'est  sans  doute  par  une  disposition  des 
dieux  ",  lui  écrit  Crotus  Rubianus,  «  que  cette  querelle  est  survenue, 
car  les  dieux  ont  coutume  de  fortifier  ceux  qu'ils  aiment  par  des 
épreuves.  Mais  rassure-toi,  tu  n'es  pas  seul!  Tu  as  pour  toi  Mutian, 
le  savant  illustre,  et  toute  la  cohorte  de  Mutian*.  Là  se  trouvent  des 
philosophes,  des  poètes,  des  théologiens;  tous  te  sont  dévoués,  tous 
sont  prêts  à  combattre  pour  toi.  Eoban  possède  un  don  divin,  c'est 
un  poète  heureux;  dans  mon  Hütten  se  réunissent  la  chaleur  de 
l'inspiration  et  la  force  du  raisonnement.  Fais  de  nous  tes  courriers, 
donne-nous  tes  ordres!    Nous  sommes  en  tout  temps  prêts  à  te 
servir'.  «  Eoban,  exaltant  Reuchlin  dans  une  de  ses  pièces  de  vers, 
le   nomme  le  «   dompteur   des   monstres  *   ».    Il  lui   écrit    (jan- 
vier 1515)  :  «  Le  sénat  de  la  République  des  savants  a  résolu  ton 
triomphe  ■'.  Puissent  les  dieux  faire  périr  les  méchants,  et  effacer 
leur  souvenir  de  la  terre  des  vivants!  Ils  méritent  la  haine  de  tous  les 
gens  de  bien,  car  non-seulement  ils  persécutent  la  science,  mais  ils 
corrompent  notre  divine  religion.  J'ai  composé  récemment  quelques 
ïambes  énergiques  contre  les  diahologues  de  Cologne,  ainsi  que  tu 
les  appelles;  j'en  composerai  encore  bien  d'autres,  et  je  te  les  enverrai 
lorsque  le  moment  en  sera  venu.  Ce  qui  me  donne  du  courage,  c'est 
que  je  ne  suis  pas  seul,  car  j'espère  que  Hütten,  Busch,  Crotus, 
Spalatin,  les  compatriotes  Philomusus  "  et  Melanchthon,  et  beaucoup 
d'autres,  emboucheront  bientôt  avec  moi  la  trompette  de  la  vic- 
toire ^  »  «  Tes  ennemis  ",  lui  annonçait  Busche  après  qu'eut  été 
publiée  la  décision  de  l'évêque  de  Spire,  "  nous  donnent  mainte- 
nant le  spectacle  de  leur  rage  furieuse;  dans  leur  délire  insensé,  ils 
roulent  les  yeux,  deviennent  tantôt  rouges,  tantôt  blafards,  soupirent, 
grincent  des  dents!  Aussi  je  t'exhorte  à  prendre  courage,  car  lu 
verras  bientôt  la  perversité  de  tes  ennemis  confondue  '.  » 

«  Je  te  recommande  le  calme  »,  écrivait  à  Reuchlin  Ulrich  de 
Hütten  (13  janvier  1517).  «  Je  me  suis  associé  des  compagnons  dont 
l'âge  et  les  facultés  correspondent  de  tous  points  à  la  lutte  qui  se  pré- 


'  «  ...Adversus  tot  deterrima  monstra  ex  olida  barbariae  palude  emergentia 
invictissime  Hercules.  •  —  Voy.  Kampschulte,  t.  I,  p.  190,  note  2.  —  Krause, 
Briefwechsel,  L-LII. 

-  "...Habes  totum  Mutiani  ordinem.  • 

'  BÖCKIXG,  Huilent  op.,  t.  I.  p.  28-30.  —  Voy.  Kampschulte,  t.  I,  p.  190. 

^  Frankfurier  Codex  der  Mulianischen  Briefe,  fol.  259. —  Voy.  Kampschulte,  t.  I, 
p.  213 

'  «Tuvinces;  latinae  civitatis  senatusjam  tibi  triumphum  decrevit.  • 

'  Jacques  Locher.  —  Voy.  plus  haut,  p.  23,  note  I. 

^BöcKiNG,  Huiteni  op.,  I,  p.  453-455.  Les  adversaires  de  Reuchlin  étaient  tous 
considérés  comme  1*  ■  ignavum  pecus  ..  —  Voy.  les  lettres  de  M.  Hummel- 
BERGER  dans  Horawitz,  Zw  Biographie  Rmchliiis,  p.  13,  25,  35-36. 

*  Dans  BÖCKING,  Suppl.,  II,  p.  746-747.  —  Voy.  Geiger,  Reuchlin,  p.  362-363. 


54  ULRICH    DE    HÜTTEN. 

pare.  Tu  verras  bientôt  la  pitoyable  traj^édie  de  tes  adversaires 
tomber  sous  les  sifflets  d'une  bande  de  rieurs.  «  «  Ne  pense  pas  que 
j'aie  fait  choix  pour  mon  entreprise  d'auxiliaires  indignes  de  toi.  Je 
m'avance  à  pas  comptés,  avec  des  amis  dont  chacun,  tu  peux  le  croire, 
est  de  taille  à  lutter  contre  cette  engeance,  »  «  Prends  courage, 
l'incendie  est  préparé  de  longue  main,  et  j'espère  qu'il  éclatera  au 
moment  favorable  '.  - 


III 


Ulrich  de  Hütten,  issu  d'une  famille  noble,  mais  pauvre,  de  Fran- 
conie,  était  né  au  château  de  Stekelberg  en  1488.  Lorsqu'il  eut 
atteint  l'âge  de  onze  ans,  ses  parents  l'envoyèrent  à  l'abbaye  de 
Fulde  pour  y  faire  ses  études.  Son  père  le  destinait  à  l'état  ecclésias- 
tique; mais  Ulrich  s'échappa  secrètement  de  Fulde  à  l'instigation  de 
Crotus  Rubianus  (1504  ou  150.5).  Depuis  lors  il  mena  la  vie  nomade 
d'un  étudiant  et  d'un  lettré  ambulant.  Souvent  il  était  réduit  au  plus 
lamentable  équipage,  et  sa  détresse  était  extrême.  Pendant  de  longues 
années  il  erra  d'Université  en  Université,  du  nord  au  sud  de  l'Alle- 
magne, et  voyagea  aussi  en  Italie.  Ses  mauvaises  mœurs  avaient  ruiné 
sa  santé;  son  corps  était  couvert  d'ulcères  et  d'abcès  douloureux,  et 
souvent  il  était  réduit  à  un  tel  état  de  souffrance  qu'un  jour  un  de 
ses  amis  ne  craignit  pas  de  lui  conseiller  ouvertement  de  mettre  fin 
à  ses  jours ^ 

C'était  une  nature  sans  frein,  incapable  de  se  plier  à  une  disci- 
pline quelconque.  Ses  amis  mêmes  redoutaient  ce  caractère  irritable 
à  l'excès;  un  feu  sombre  couvait  dans  ce  petit  être  faible,  d'appa- 
rence chétive.  "  Un  seul  mot,  même  murmuré  tout  bas  >-,  disait 
Mutian,  «  suffit  pour  l'aigrir»,  i  Les  dons  brillants  qu'il  avait  reçus 
de  la  nature,  sa  connaissance  approfondie  des  langues  anciennes,  le 
rempHssaient  d'une  vanité  tellement  extravagante,  qu'il  se  considérait 
comme  l'initiateur  d'un  mouvement  nouveau  dans  son  siècle,  et 
regardait  ses  moindres  actes  comme  important  à  l'histoire  du 
monde. 

Or,  son  rôle  ne  consista  jamais  qu'à  détruire. 

'  BÖCKING,  Huitcni  op.,  l,  p.  129.  •  .laiiipridem  incendium  conflo,  quod  tem- 
pestive  spero  efflagrabit.  •  Expliquant  à  ses  amis  le  complot  qu'il  trame,  il  leur 
dit  :  "  Viginti  amplius  sumus  in  infamiam  ac  perniciem ,  vestram  conjurati  • 
Dans  la  préface  du  Triumphus  Capnionis. 

*  Voy.  Strauss,  t.  I,  p.  340. 

'  Voy.  Strauss,  t.  I,  p.  167-171. 


ULRICH    DE    HÜTTEN.  55 

Ce  qui  s'opposait  à  l'idéal  fantastique  qu'il  s'était  formé,  et 
géuait  son  rêve  de  liberté  sans  limites,  il  cherchait  de  tontes  ses 
forces  à  l'anéantir,  et  l'appelait  despotisme,  oppression  intellectuelle. 
Pour  combattre  ses  adversaires,  tous  les  moyens  lui  étaient  bons.  Il 
dénaturait  les  faits,  mentait,  calomniait  bassement,  et  cela  sans  aucun 
scrupule.  On  ne  voit  pas  qu'il  ait  jamais  subi  l'influence  dune  grande 
idée  '. 

Introduit  dans  le  cercle  des  humanistes  par  Crotus  Rubianus,  il  y 
apprit  bien  vite  à  honnir  l'Église,  à  la  cribler  de  sarcasmes,  à  se 
railler  de  son  enseignement  et  de  ses  lois.  En  peu  de  temps,  il  devint 
le  plus  ardent  et  le  plus  habile  disciple  de  Mutian.  Il  considérait  ce 
«  saint  homme  »  comme  le  chef  commun  de  tous  les  conjurés  contre 
la  barbarie,  et  resta  en  correspondance  suivie  avec  lui  durant  tout 
le  cours  de  son  aventureuse  carrière  *. 

Hütten  s'était  tellement  assimilé  les  manières  de  sentir  et  de 
penser  du  paganisme,  que  dès  1510,  dans  une  élégie,  il  se  plaignait 
aux  dieux,  et  particulièrement  au  Christ,  le  dieu  de  la  douleur,  de 
l'amertume  de  sa  destinée,  et  demandait  vengeance  contre  l'un  de 
ses  ennemis.  «  Puisse  tout  ce  qui  se  peut  imaginer  d'affreux  et  de 
néfaste  l'atteindre!  Que  ma  fièvre  et  mes  plaies  horribles  le  tor- 
turent, et  que  les  nombreuses  souffrances  qui  m'accablent  deviennent 
toutes  le  partage  de  ce  pervers  M  » 

Une  autre  élégie  qu'il  composa  en  1515,  après  que  le  duc  Ulrich 
de  Wurtemberg  eut  fait  assassiner  le  maréchal  Hans  de  Hütten, 
cousin  dupoëte,  mérite,  à  ce  point  de  vue,  d'être  remarquée.  Le  fond 
en  est  essentiellement  païen  '.  >:  Les  âmes  survivent-elles  à  la  mort?  y 
dit  Ulrich  en  s'adressant  au  père  du  jeune  homme  et  cherchant  à  ie 
consoler.  «  En  bons  chrétiens,  nous  devons  le  croire;  mais  quand 
bien  même  elles  retourneraient  au  néant,  leur  perte  ne  serait  pas 
un  mal,  puisque,  avec  la  sensation,  ces  âmes  ont  vu  finir  toutes  leurs 
souffrances.  »  Le  reste  du  morceau  n'est  que  le  développement  de 
ce  thème. 

Dès  son  premier  séjour  en  Italie  (1513),  Hütten  voua  la  haine  la 
plus  implacable  à  la  papauté.  Il  avait  du  reste  donné  la  mesure  de  ses 
sentiments  sous  ce  rapport  dans  ses  Epigrammes,  où  il  avait  pris  à  partie 
le  «  corrupteur  du  monde,  la  peste  de  l'humanité  »,  Iules  H  '\ 


•  VoRREiTER  (p.  185-213)  trace  un  très-juste  portrait  de  Hütten.  «  Gerte  vafer 
est  » ,  écrivait  Laurent  Behaim  à  Pirkheimer,  -  quae  mera  sunt  mendacia  (et  ipse 
fassus  est)  instruit  in  iiia.  »  Heumanx,  Doc.  litt.,  p.  258. 

*  Kampschulte,  t.  I,  p.  68,  96,  202-204. 

'  MoHMKE,  Ulrich  HuiicHs  Klagen.  (Greifswalde,  1816.) 
'  Comme  le  dit  très-justement  Strauss,  t.  I,  p.  119. 
^  Voy.  Strauss,  t.  I,  p.  99-100. 


56  PJIXEGYIUQUE   D'ALBERT  PAR   HÜTTEN. 

De  retour  d'Italie  (1514),  Hütten  chercha  fortune  à  la  cour  de  l'ar- 
chevêque de  Mayence,  Albert  de  Brandebourg.  Là,  il  comptait  sur 
la  protection  d'Eitelwolf  de  Stein,  ami  de  Mutian,  qui  y  occupait  un 
poste  influent.  Personne,  au  dire  d'Ulrich,  ne  surpassait  Albert  en 
bonté;  c'était  le  «  père  de  la  patrie  ».  Pourtant,  en  sa  qualité  d'agi- 
tateur révolutionnaire,  Hütten  nourrissait  pour  tous  les  princes  des 
sentiments  hostiles;  mais  il  était  d'avis  -^  que  son  parti,  pour  triom- 
pher, devait  savoir  utiliser  cette  race  d'hommes  -,  les  célébrer, 
leur  prodiguer  les  noms  de  iMécène  et  d'Auguste.  Il  importait  «  de 
dresser  des  pièges  à  leur  vanité,  d'obtenir  leur  faveur,  d'entrer  à  leur 
service,  et,  comme  avaient  su  le  faire  les  juristes  et  les  théologiens, 
de  briguer  des  charges  à  leurs  cours  '  .  Aussi  le  voyons-nous 
porter  Albert  aux  nues.  Dans  l'un  de  ces  poèmes,  il  l'appelle 
"  l'ornement  de  son  siècle,  la  parure  de  la  piété,  l'appui  de  la  paix, 
le  défenseur  des  sciences  »  (1514).  Le  Rhin  invite  tous  les  fleuves 
à  célébrer  l'Électeur,  et  s'empresse  de  venir  lui-même  -  rendre 
hommage  à  son  roi  et  à  son  maître.  Jamais  le  visage  du  dieu 
n'avait  été  plus  rayonnant  qu'aujourd'hui!  »  «  Parle,  prince,  quels 
seront  donc  tes  hauts  faits  dans  l'avenir,  toi  qui  dans  la  fleur  de 
ta  jeunesse  surpasses  déjà  tes  prédécesseurs  *?  »  Or  le  prince  de 
Hohenzollern,  alors  âgé  de  vingt-quatre  ans,  n'avait,  en  dehors  de 
sa  haute  naissance,  aucun  titre  à  l'admiration  de  son  peuple.  En 
vertu  du  détestable  abus  qui  régnait  alors',  il  avait  été  élu  arche- 
vêque de  Magdebourg,  puis  administrateur  de  l'archevêché  d'Hal- 
berstadt,  plus  tard  archevêque  de  Mayence,  et  enfin  primat  de  l'Église 
d'Allemagne. 

Érasme,  lorsque  parut  le  Panégyrique  d Albert,  annonça  à  l'Allemagne 
l'avènement  d'un  grand  poète  épique.  Le  prince  archevêque  fit  re- 
mettre à  Hütten  un  présent  de  deux  cents  florins  d'or,  et  lui  promit 
de  plus  un  emploi  à  sa  cour  aussitôt  qu'il  aurait  achevé  en  Italie  ses 
études  juridiques.  Hütten  partit  donc  pour  Rome  et  Bologne  (voyage 
dont  Albert  fit  tous  les  frais),  nourrissant  toujours  une  profonde 
haine  contre  la  «  race  hypocrite  et  damnée  des  théologiens  et  des 
moines  ».  A  Rome,  il  suivit  avec  un  extrême  intérêt  le  procès  de 
Reuchlin,  bien  que  le  sentiment  du  Pape  sur  cette  question  le  laissât 
absolument  indifférent.  «  Une  flèche  lancée  par  Érasme  à  un 
faquin  »,  disait-il,  «  me  paraîtra  toujours  plus  redoutable  que  dix 
excommunications  ou  sentences  d'exil  prononcées  par  ce  Florentin  *; 

'  Voy.  Strauss,  t.  I,  p.  327. 

'  Voy.  ces  passages  dans  L.  Schübart,  L'ebersetzung  des  Gedichtes  bei  May,  t  I, 
Beilagen  und  Urkunden,  p.  11-19. 

*  Voy.  notre  premier  volume,  p.  578. 

*  I-e  pape  Léon  x. 


HÜTTEN    ET    ÉRASME.  J7 

les  foudres  qu'il  lance,  pour  de  nombreux  et  excellents  motifs,  n'ont 
plus  {jrandc  importance,  aux  yeux  de  ceux  qui  possèdent  encore  un 
peu  de  virile  énergie  '.  >> 

A  Mayence,  Hulten,  en  1514,  était  entré  en  relation  avec  Erasme. 
Peu  de  temps  après,  il  couvrait  d'éloges  la  «  véritable  théologie  » 
ressuscitée  par  celui-ci  «  pour  la  confusion  et  la  rage  de  leurs  ennemis 
communs  «.  Et  pourtant,  exclusivement  épris  de  l'antiquité  païenne, 
Hütten  n'avait  jamais  approfondi  les  sciences  chrétiennes,  et  les  ques- 
tions théologiques  luiétaientabsolumentétrangères.Celane  l'empêche 
point  d'exalter  Érasme,  qu'il  appelle  le  Socrate  allemand,  assurant 
qu'il  n'a  pas  rendu  de  moindres  services  à  la  culture  populaire  que 
Socrate,  en  Grèce,  n'en  avait  rendu  autrefois  à  l'éducation  des  jeunes 
hommes  de  son  pays.  Il  lui  témoigne  le  désir  qu'il  a  de  s'attacher 
étroitement  à  lui,  et  veut  devenir  son  Alcibiade  *. 

Ensme,  peu  de  temps  auparavant,  avait  '  lancé  de  nouvelles  flèches 
aux  faquins  »,  selon  l'expression  de  Hütten,  dans  sa  nouvelle  édilion 
de  VÉlogede  la  folie  (1515)  S  et  l'avait  accompagnée  d'un  commen- 
taire dont  soi-disant  Gerardus  Listrius  était  l'auteur,  mais  qui  en 
réalité  était  de  lui*. 

Ce  commentaire  accrut  encore  la  réputation  d'Érasme.  Cette 
mordante  satire  donna  sa  véritable  portée  à  l'agitation  passionnée 
excitée  par  la  querelle  de  Reuchlin,  et  servit  à  merveille  la  guerre 
audacieuse  entreprise  contre  le  culte  populaire,  la  science  sco- 
lastique,  les  Ordres  religieux  et  la  chaire  apostolique.  Elle  se  pro- 
pagea rapidement  ^ 

Au  moment  de  son  apparition,  les  amis  de  Mutian  préparaient  de 
leur  côté  d'autres  satires  d'un  genre  plus  dangereux  encore".  Nous 
voulons  parler  des  EpUres  des  hommes  obscurs ,  composées  en  grande 
partie  par  Crotus  Rubianus  et  Hütten  ^  Les  poètes  se  flattaient  que 

'  BÖCKING,  Vir.  Hulleni  op.,  I,  p.  133. 

^  Erasmi  op..  III,  1573.  y9pp.  ep.  86.  La  lettre  est  datée  d'octobre  1515.  — 
Voy.  Strauss,  t.  I,  p.  156,  note. 

'  Voyez  plus  haut,  p.  15,  17. 

*Du  moins  quant  au  fond.  Voy-  Vischer,  Erasmiana,  p.  36. 

^  Voy.  Stockmeyer  et  Reber,  Beitrüge  zur  Baseler  Burhdruckergeschichie ,  p.  89. 
•  Vix  aliud  (opus)  majore  plausu  exceptum  est  -,  disait  Érasme  lui-même  à  pro- 
pos de  sa  satire,  ^  praesertim  apud  magnâtes  •  [Op.  X,  3),  qui  alors  jouaient 
encore  avec  le  feu. 

/Voy.  Kampschulte,  t.  I,  p.  208-226.  —  Mutian  n'écrivit  pas  une  seule  des 
Epiires,  mais  il  créa  l'atmosphère  où  de  telles  productions  devinrent  possibles, 
et  fut  l'inspirateur  de  ces  libelles  pleins  de  fiel.  Sur  la  participation  qu'eut  très- 
probablement  Eoban  Hessus  aux  Epiires,  voy.  Krauss,  Eobamis  Hessus,  t.  II,  p.  183- 
190.  —  Voy.  aussi  Schw-ertzell,  p.  19-23. 

'  Böcking,  dans  les  deux  volumes  de  supplément  dont  il  fait  suivre  l'édition 
des  œuvres  de  Hütten,  a  donné  une  excellente  reproduction  des  Epistolœ  obscu- 
Torum  l'irorum.  Elle  est  suivie  d'un  commentaire  savant  et  complet   Sur  l'huma- 


58  LES  E PITRES  DES    HOMMES    OBSCUIiS. 

ce  pamphlet,  dont  la  première  partie  parut  en  1515  et  1516  et  la 
seconde  en  1517,  porterait  un  coup  définitif  aux  -  barbares  ». 

Presque  toutes  les  Epitrcs  des  hommes  obscurs  se  rapportent  à  la 
querelle  de  Reuchlin.  Mais  leur  véritable  but  n  est  pas  d'accabler 
de  sarcasmes  les  adversaires  de  Hochstratten,  c'est  d'ouvrir  la  cam- 
pagne contre  Taulorité  de  l'Église.  Les  théologiens  de  Cologne  ne 
sont  pas  l'objet  principal  de  l'attaque;  comme  Juste  Menius  le  remar- 
quait plus  tard  avec  raison,  il  s'agissait  avant  tout  de  monter  à  l'assaut 
de  la  papauté  '. 

Erasme  ne  prit  aucune  part  à  la  composition  des  É pitres  ;  peut- 
être  même  en  désapprouvait-il  le  ton.  Cependant  c'est  à  bon  droit  que 
le  prince  de  Carpi  lui  reprochait  d'avoir,  par  VEloge  de  la  folie,  ^  ce 
libelle  venimeux  contre  la  méthode  scolastique,  les  maîtres  du  moyen 
âge  et  les  institutions  ecclésiastiques  " ,  fourni  à  leurs  auteurs  des  armes 
de  toute  nature,  de  sorte  qu'on  pouvait  regarder  Érasme  comme  le 
vrai  père  intellectuel  de  ces  pamphlets,  dont  l'action  fut  immense  -. 

En  effet,  le  fond,  la  substance  des  Epitres,  c'est  toujours  et  encore 
VEloge  de  la  folie,  transposé  en  plus  âpre,  en  plus  grossier  langage,  et 
rempli  d'attaques  plus  directes.  Ce  qui  y  blesse  le  plus  le  goût  du 
lecteur,  ce  sont  les  plaisanteries  dont  la  sainte  Écriture  est  le  thème. 
Érasme  avait  abusé  de  la  Bible;  il  en  avait  burlesquement  interprété 
certains  textes;  mais,  allantau  delà,  les  Epitres  des  hommes  obscurs 
mettent  sur  les  lèvres  des  moines  dégradés  qu'elles  nous  présentent 
des  sentences  bibliques  qui  sont  censées  devoir  excuser  des  actes  hon- 
teux. Érasme,  tout  dépourvu  qu'il  fût  de  véritable  sens  moral,  s'était 
donné  pour  un  rhétoricien  moraliste;  il  avait  livré  au  mépris 
public  toute  la  «  moinerie  -,  mais  jamais  il  n'avait  nommé  personne^; 

niste  Ortwinus  Gratius,  auquel  les  moines  sont  censés  écrire,  voy.  notre  premier 
volume,  p.  81-82,  et  surtout  le  livre  de  Reichling,  Ortwin  Gratius,  Heiligenstadt, 
1884.  Le  Fasciculus  rerum  expectandarum  ac  fugiendarum  lui  est  faussement  attribué. 
Voy.  sur  ce  point  le  travail  de  G.  Cremans,  dans  les  Annalen  des  histor.  Vereins  für   > 
den  Xiederrhein,  rahier23,  p.  192-224.  — Les  Epist.  obscur,  virorum  sont  la  Contre-partie 
des   Clarorum   rirorum  epislolœ  missœ  ad  Reuchlinum.    C'est   donc   à   tort   qu"en   Alle- 
magne on  désigne  ces  epitres  sous  le  nom  de  Briefe  der  Bunkehnänner,  dans  le  sens   , 
d'hommes  ignorants  ou  ténébreux.  —  Voy.BôciciNG,  Suppl.,  t.  II,  p.  517.  —  Voy.  I 
la  critique  des  Epîtres  dans  Strauss;  c'est  un  chef-d'œuvre  en  son  genre.  —  ' 
Voy.  aussi  P.\llsen,  p.  49-53. 

'  Voy.  Kampschllte,  t.  I,  p.  201,  note  1.  C'est  Juste  Menius  et  non  .Juste  Jonas 
qui  est  l'auteur  de  cette  lettre.  —  Voy.  Geiger,  Beuchlin,  p.  344.  Que  Mutian, 
Crotus  Rubianus  et  Hutten  aient  tenu  Léon  X  en  honneur,  qu'ils  aient  sollicité  sa 
protection,  cela  ne  contredit  en  rien  le  fait  de  leurs  attaques  contre  la  papauté. 
C'est  l'institulion.  non  l'homme,  qu'ils  combattaient. 

-  Lucubrationes,  p.  51. 

'  Il  était  surtout  mécontent  des  personnalités  que  renfermaient  ces  lettres 
«  Lusi  (!)  equidem  in  Moria,  sed  incruente  nullius  famam  nominatim  per- 
strinxi  ' ,  écrivait-il  le  16  août  1517  à  l'humaniste  Caesarius.  Il  écrit  de   même  l\ 


RÉPONSE  DES  THÉOLOGIENS  DE  COLOGNE.         59 

au  lieu  que  ses  continuateurs  jettent  à  leurs  adversaires  de  la  boue 
en  pleine  ti(;ure.  Ils  vont  jusqu'à  insulter  Tirrcprochable  Arnold  de 
Tonp,res,  lui  attribuant  des  lettres  ignobles  où  il  est  fait  allusion  à 
un  commerce  adultère  prétendu  entre  lui  ebla  femme  de  Pfeffer- 
korn, leur  ennemi  juré. 

Les  images,  les  comparaisons  qu'on  rencontre  dans  les  Epures 
sont  absolument  vulgaires.  Jésus-Christ  y  est  comparé  à  Cadmus; 
de  même  que  Cadmus  redemandait  partout  Europe,  Jésus-Christ 
cherche  en  tous  lieux  sa  sœur,  l'âme  humaine;  de  même  que  le 
Christ  a  eu  deux  naissances,  l'une  avant  tous  les  siècles  et  l'autre 
selon  la  chair,  de  même  Bacchus  est  né  deux  fois.  Sémélé,  mère 
de  Bacchus,  est  comparée  à  la  Vierge  Marie  '.  Le  Pape  est  traité 
avec  le  dernier  mépris.  Les  indulgences,  la  vénération  des  reliques 
sont  tournées  en  dérision.  La  sainte  tunique  de  Trêves,  assure 
un  poète  écolier,  n'est  autre  chose  qu'une  vieille  guenille.  Les  trois 
saints  rois  de  Cologne  sont  vraisemblablement  trois  paysans  west- 
phaliens. 

La  vraie  théologie,  expression  par  laquelle  on  désignait  alors 
l'ensemble  des  théories  religieuses  d'Érasme,  avait  aussi  sa  place  dans 
les  Épitrcs.  Elle  y  est  célébrée  comme  un  admirable  moyen  de  réfor- 
mer l'Église,  et  d'écarter  d'elle  les  abus  qui  s'y  sont  glissés.  Par  des 
hommes  tels  qu'Érasme,  Dieu  avait  voulu  visiter  et  châtier  ces  théo- 
logiens obstinés  qui  restaient  attachés  à  la  doctrine  sombre,  déraison- 
nable, surannée,  mise  en  honneur  par  eux  plusieurs  siècles  auparavant. 
Ignorants  de  la  science  philologique,  ils  n'étaient  même  pas  en  état 
de  comprendre  la  sainte  Écriture.  Mutian  est  mis  au  rang  des  «  grands 
esprits  appelés  à  réformer  les  maîtres  de  cette  science  stérile*  ". 

Hochstratten,  en  réponse  au  pamphlet,  fit  paraître  son  Apolocjie. 
«  Nous  nous  garderons  bien  ■,  dit-il  en  commençant,  «  de  parler 
comme  ces  hommes  qui  se  plaisent  à  semer  partout  l'outrage,  dont 
la  bouche  est  pleine  d'une  amertume  détestable,  et  qui,  dépourvus 
d'équité  et  de  science,  se  servent  d'injures  plus  grossières  que  n'ont 
coutume  d'en  employer  de  vulgaires  histrions.  Que  le  Dieu  qui  est 
béni  dans  toute  l'éternité  juge  entre  nous  et  eux!  -  «  Celui  dont  le 
trône  est  au-dessus  des  nuages  «,  dit-il  en  s'adressanl  à  Reuchlin, 
«  connaît  le  fond  de  notre  cœur;  il  sait  avec  quelle  patience  nous 
avons  souffert  les  injures  et  les  outrages,  bien  qu'innocents,  nous 
bornant  à  invoquer  le  Seigneur  de  toute  notre  âme,  et  n'imitant 
pas  ces  fomentateurs  de  fausses  doctrines  qui  souillent  de  leurs 

Hermann  de  Neunar  :  -  Lusimus  et  nos  olimin  Moria,  sed  nullius  nomen  a  nobis 
perstrictura  est.  »  Op.  m,  1622,  1626,  App.  ep.  160,  168. 

'  Voy.  d'autres  passages  analogues  dans  Böcking,  Suppl.,  t.  I,  p.  161. 

'  Epist.  2,  p.  50.  —  BÖCKING,  t.  I,  p.  264-266. 


60  DÉFENSE    DE    PFEFFERKORN. 

abominables  sarcasmes  la  réputation  d'hommes  dignes  de  respect. 
Nul  ami  de  la  vérité,  nous  l'espérons,  ne  pourra  dire  que  les  théolo- 
giens de  Cologne  t'aient  combattu  parla  ruse  ou  la  déloyauté;  et  tous 
les  hommes  sincères  seront  forcés  de  reconnaître  que  nous  n'avons 
parlé  que  pour  défendre  la  foi  chrétienne,  agissant  non  par  haine, 
ni  pour  satisfaire  notre  vanité  personnelle,  mais  en  vertu  du  droit 
que  nous  donnent  les  Décrétales,  lesquelles  nous  font  un  devoir  de 
combattre  les  doctrines  d'erreur".  « 

Pfefferkorn,  pour  répondre  aux  railleries,  aux  sarcasmes  que  les 
Epîtrcs  des  hommes  obsatrs  ^Qtsàtni  à  pleines  mains  sur  les  choses  les 
plus  vénérables,  et  aussi  pour  se  laver  des  accusations  calomniatrices 
dirigées  contre  sa  personne,  écrivit  sa  Défense,  qui  parut  en  latin  et 
en  allemand  (1516)*,  et  plus  tard  le  Petit  Livre  de  combat  [Slreit- 
biichlein).  La  Défense  est  précédée  d'un  avertissement  rimé  qui  débute 
par  ces  paroles. 

«  0  vous,  princes  chrétiens,  seigneurs  ecclésiastiques, 

Combien  de  temps  serez-vous  les  témoins  muets  d'une  telle  insolence? 

Prenez  garde  à  Satan  !  car,  je  vous  en  avertis, 

Il  conduit  avec  lui  une  grande  troupe  de  démons 

Avec  laquelle  il  a  dessein  d'anéantir  notre  foi.  » 

L'ouvrage  est  dédié  à  Albert  de  Mayence.  Pfefferkorn  le  conjurait 
d'intervenir  dans  la  querelle,  d'interdire  enfin  les  livres  pernicieux 
des  Juifs,  d'amener  à  une  heureuse  conclusion  l'affaire  de  Reuchliu, 
depuis  trois  ans  en  suspens  à  Rome,  et  enfin  de  travailler  à  sa 
réhabilitation  devant  ses  juges  spirituels  et  temporels,  car  il  se  voyait 
atteint  dans  son  honneur.  Mais  Albert  mit  le  livre  de  côté  sans 
le  lire,  et  laissa  sans  réponse  celui  qui  le  lui  présentait.  Non  que 
Pfefferkorn  fiU  allé  trop  loin  dans  ses  réclamations  contre  les 
Juifs.  Alors  comme  autrefois,  il  se  bornait  à  demander  qu'on  leur 
enlevât  la  possibilité  de  s'adonner  à  l'usure,  qu'on  les  astreignît 
à  des  travaux  manuels  et  utiles ,  et  qu'on  les  obligeât  à  assister 
aux  prédications  chrétiennes.  Loin  d'être  d'un  autre  avis,  Albert, 
à  ce  même  moment,  cherchait  précisément  à  réunir  les  priuccs  et 
les  cités  dans  une  ligue  commune,  ayant  pour  but  le  bannissement 
perpétuel  des  Juifs  ^  S'il  refusait  de  prendre  en  main  la  cause  de 
Pfefferkorn  et  d'aider  à  sa  réhabilitation,  c'est  qu'enlacé  dans  les 
filets  des  humanistes,  il  avait  ouvertement  pris  parti  contre  les  théo- 

'  Voy.  Geigeu,  Ikuchlin,  p.  411-412. 

*  La  Defensio   J.  Pepericorni  contra  famosas  et  crimiiiales   obscurorum    virorum   epi- 
slolas,  etc.,  dans  Bocking,  Suppl.  I,  p.  81-176.  —  Voy.  Geiger,  p.  378-386. 
'  Voy.  notre  premier  volume,  p.  379. 


ALBERT    DEMAYENCEETSACOUR.  61 

lofjiens  de  Colojjne,  et  ne  voulait  accorder  ni  à  eux  ni  à  leurs  amis 
le  droit  de  demander  justice  devant  les  tribunaux.  «  Je  voudrais», 
écrivait  à  Keuchlin  le  médecin  ordinaire  de  l'archevêque  «  que  la 
terre  s'entr'ouvrit  pour  cn[jloutir  ce  .luifbaplisé,  ainsi  que  la  troupe 
venimeuse  de  ces  faux  théologiens,  de  cette  bande  de  moines,  qui 
le  soutiennent  et  le  protègent  '  !  » 

Albert  de  Mayence,  prince  rempli  de  vanité,  rêvait  de  faire  de 
son  palais  un  centre  d'humanistes  et  de  poètes  en  renom,  et  d'être 
pour  l'Allemagne  un  autre  Médicis.  «  Quel  est  parmi  nous  le  savant 
qu'Albert  ne  connaisse?   >  écrivait  Hütten;  -<  quel  homme  instruit 
et  cultivé  l'a  jamais  célébré  sans  recevoir  aussitôt  la  preuve  de  sa 
libéralité,  et  sans  être  honoré  de  sa  protection?  ^  Des  peintres  comme 
Albert  Dürer,  Mathieu  Grünewald,  des  miniaturistes  comme  Beham 
et  Glockendon,  recevaient  les  nombreuses  commandes  de  l'Electeur, 
Des  orfèvres,  des  sculpteurs  de  talent,  princièrement  récompensés, 
enrichissaient  la  cathédrale  de  Mayence  et  son  trésor  de  splendides 
œuvres  d'art  ^  L'archevêque  était  aussi  un  amateur  passionné  de 
musique.  Il  faisait  venir  de  tous  côtés,  même  d'Italie,  les  musiciens 
les  plus  célèbres,  pour  relever  l'éclat  de  ses  fêtes,  auxquelles,  bien 
souvent,  les  dames  prenaient  part.  De  riches   tapis,   d'étincelants 
miroirs  ornaient  les  salles  et  les  appartements  particuliers  du  palais; 
les  tables  étaient  chargées  de  mets  délicats  et  de  vins  exquis.  Lorsqu'il 
se  montrait  en  public,  l'Électeur  se  plaisait  à  étaler  un  faste  impo- 
sant. Il  entretenait  une  garde  du  corps  composée  de  cent  cinquante 
cavaliers  armés.  Une  troupe  de  valets,  magnifiquement  vêtus,  for- 
mait sa  suite,  et  les  jeunes  nobles  du  pays  passaient  pour  recevoir 
à  sa  cour  et  sous  sa  direction  la    «  véritable  éducation  chevale- 
resque. ')  Le  train  magnifique  de  cette  cour  brillante,  l'esprit  qui 
y  régnait,  excitaient  naturellement  l'enthousiasme  de  plus  d'un  flat- 
teur; mais  il  faut  convenir  que  ce  qui  faisait  l'objet  de  leur  admiration 
correspondait  fort  peu  à  la  vocation  et  aux  devoirs  d'un  archevêque, 
et  surtout  d'un  primat  de  l'Église  d'Allemagne.  Au  reste,  les  convic- 
tions religieuses  d'Albert  n'étaient  ni  profondes  ni  raisonnées,  et  sa 
conduite  morale  était  loin  de  mériter  le  respect.  Il  n'avait  pas  fait 

'  «  Utinam  ima  tellus  dehiscat  et  tinctum  Judaeum  devoret,  atque  etiam  atram 
pseuilotheolofçorum  aciem  et  œrumnosam  fraterculorum  conventionem  -,  etc. 
Ce  médecin  se  vantait  d'avoir  si  bien  arrangé  les  choses,  «  aidé  par  d'autres  amis 
des  savants  •,  qu'Albert  n'avait  pas  même  ouvert  le  mémoire  à  lui  envoyé  par 
Pfefferkorn.  «  L'archevêque",  assurait-il,  «  était  du  parti  de  Reuchlin,  et  soute- 
nait sa  cause.      Reuchlin  s  Bricßcechsel,  p.  254-256. 

*La  plus  grande  partie  de  ces  chefs-d'œuvre  fut  pillée  parles  Suédois  pendant 
la  guerre  de  Trente  ans,  et  l'on  croit  qu'ils  sombrèrent  dans  la  traversée  qui 
devait  les  amener  en  Suède.  On  voit  encore  au  Musée  des  médailles,  à  Stockholm, 
une  crosse  d'argent  artistement  ciselée  ayant  appartenu  à  Albert.  V'oy.  la  lettre 
de  J.  D.  Passavant,  dans  Hennés,  Albrecht  von  Brandenbourg,  p.  336. 


62  ALBERT  DK  MAYENCE  ET  SA  COUR. 

de  sérieuses  études  thcologiques,  et  ne  se  mettait  nullement  en  peine 
d'organiser  et  de  discipliner  son  clergé.  Si  le  mot  scolastique  était 
pour  lai  synonyme  de  barbarie,  il  se  montrait  ravi  du«  divin  génie  » 
d'Érasme.  A  son  avis,  Érasme  avait  rendu  à  la  théologie  son  ancien 
lustre,  terni  depuis  tant  de  siècles'.  Il  l'assurait  de  sa  protection; 
aussi  Érasme,  écrivant  à  Hutteu,  appelle-t-ilTarchevéque  ;  le  plus  bel 
ornement  de  l'Allemagne  dans  le  siècle  présent-  ■  ;  toutefois  il  ne 
peut  s'empêcher  de  déplorer  qu'Albert,  en  acceptant  le  chapeau  de 
cardinal,  ait  méconnu  sa  vraie  grandeur  eu  consentant  à  redescendre 
au  simple  rang  de  -<  moine  du  Pape  ^  '•. 

Les  Ê pitres  des  hommes  obscurs  rapportent  que  les  «  poètes  >•  qui 
habitaient  le  palais  archiépiscopal,  tous  libres  penseurs,  tous  con- 
tempteurs de  la  religion,  avaient  coutume  de  se  réunir  à  V Hôtellerie 
de  la  Couronne.  Là,  l'épée  ou  le  poignard  suspendus  à  la  ceinture, 
ils  allaient,  venaient,  jouaient  au  dé  des  billets  d'indulgence,  tenaient 
des  propos  impies,  accablaient  de  quolibets  et  d'injures  les  moines 
ou  les  "  maîtres  es  arts  «  que  leur  mauvaise  étoile  conduisait  dans 
ce  lieu*.  Ulrich  de  Hütten,  un  des  habitués  de  la  Couronne,  fait  dire 
à  un  moine,  dans  l'une  des  Epures,  que  lui,  Hütten,  s'était  un  jour 
vanté  que,  si  jamais  les  Dominicains  se  conduisaient  envers  lui 
comme  envers  Reuchliu,  il  leur  jetterait  publiquement  le  défi,  et 
couperait  le  nez  et  les  oreilles  de  tous  ceux  qui  tomberaient  entre 
ses  mains  \ 

Des  menaces  de  ce  genre  n'étaient  point  de  simples  fanfaronnades 
dans  la  bouche  d'Ulrich.  Érasme  rapportait  plus  tard,  comme  un  fait 
connu  de  tout  le  monde,  qu'il  avait  un  jour  coupé  les  oreilles  à  deux 
Frères  prêcheurs  qui  s'étaient  trouvés  sur  sa  route  *■'.  Les  guerres  pri- 
vées, les  rapines,  plaisaient  singulièrement  à  cette  nature  farouche  et 
indomptée.  En  1509,  étaut  encore  bien  jeune,  nous  le  voyons  donner 
à  son  cousin  Louis  de  Hütten  le  conseil  de  barrer  le  chemin  à  un 
marchand  dont  il  avait  eu  à  se  plaindre,  de  le  guetter  lorsqu'il  se 


'  Voy.  ses  lettres  à  Érasme.  Erasmi  op.  III,  p.  350,  451,  ep.  334-434.  La  der- 
nière est  datée  du  13  juin  1519,  par  conséquent  à  une  époque  ou  plusieurs 
des  plus  violents  pamphlets  de  Hütten  contre  la  papauté  avaient  déjà  paru, 
cependant  Albert  l'appelle  encore  =  notre  Hütten  - ,  -  Huttenum  uostrura  vel 
idcirco,  quia  amari  abs  te  inteliigimus,  libenter  diligimus  ». 

-  "  Luicum  his  temporibus  nostrae  Germaui«  ornamentum.  "   Op.  lil,  p.  44'. 

^  -  Monachus  factus  Romani  poulificis.  -  Op.  III,  1686.  .^pp.  ep.  296. 

*  Voy.  Strauss,  t.  I.  p.  242. 

^  Dans  les  Epist.  obscur,  viromm,  t.  II,  p.  55  (BöCki.no.  Suppl.  II,  p.  272  ,  le 
magister  Sylvestre  Gricius  rapporte  que  parmi  les  -  commensales  in  hospitio 
coron«  •  se  trouve  Ulricus  de  Hütten,  -  qui  est  valde  bestialis,  qui  semel  dixit,  si 
fratres  praedicatores  »,  etc. 

"  Strauss,  t.  Il,  p.  240-241,  note  3.  •  H*c  atque  hujus  generis  permulta  '^ 
ajoute  Érasme,  •  etiam  populus  ubique  novit.  •  , 


POÉSIE    «    DE    LA    HAINE    ET    DE    LA    VENGEANCE    ».  63 

rendrait  â  la  foire  de  Francfort,  de  le  terrasser,  mais  non  de  le 
tuer,  ce  qui  serait  peut-être  imprudent,  puis  de  le  faire  mettre  au 
cachot.  Ulrich  se  réservait  le  soin  de  com|)lcter  lui-même  le  châ- 
timent'. 

Avant  le  retour  de  Hütten  d'Italie,  et  lorsqu'il  ne  faisait  pas  encore 
officiellement  partie  de  la  cour  de  l'archevêque,  il  avait  fait  rééditer 
l'ouvrage  de  Laurent  Valla  :  De  la  prétendue  donation  de  l'empereur 
Comtantin  au  pape  Sijlvcatre  et  à  ses  successeurs.  Le  livre  était  pré- 
cédé d'une  préface  adressée  à  Léon  X,  qui  surpassait  en  attaques  vio- 
lentes, en  injures,  en  mépris,  tout  ce  qui  av.iit  été  écrit  jusque-là 
contre  la  papauté.  Tous  les  pontifes  des  siècles  précédents  y  étaient 
appelés  «  brigands,  voleurs,  tyrans,  sangsues  du  peuple  »;  sous  prétexte 
de  remettre  les  péchés,  ils  avaient,  disait  Hütten,  établi  un  commerce 
lucratif  d'indulgences,  se  faisant  une  source  de  revenus  avec  les  châti- 
ments réservés  aux  pécheurs  dans  la  vie  future.  «  Seul,  le  grand  pape 
Léon  »,  ajoutait  hypocritement  Ulrich,  «  méritait  toute  louange.  » 
Or,  ce  même  Léon,  il  l'avait  appelé  peu  de  jours  auparavant  «  un 
Florentin  frivole  et  cupide  ".  Miùs  il  assurait  maintenant  que  le  Pape 
avait  fait  refleurir  la  justice  et  la  paix,  la  vérité  et  la  liberté,  et 
qu'on  allait  le  voir  renoncer  de  lui-même  au  pouvoir  temporel,  et 
donner  bénévolement  ce  qu'on  aurait  été  contraint  de  reprendre  par 
la  force,  si  un  mauvais  pontife  eût  été  élu  à  sa  place \ 

Cela  n'empêchait  pas  Hütten  d'être  depuis  longtemps  convaincu 
que  pour  la  sainte  cause  de  la  liberté  "  on  serait  bientôt  con- 
traint d'employer  la  violence.  Dans  son  Triomphe  de  Reuchlin,  il  n'a 
laissé  planer  aucun  doute  sur  ce  qu'on  eût  eu  à  attendre  de  son  parti 
s'il  s'était  un  jour  trouvé  à  même  d'exécuter  ses  plans.  Nous  y  voyons 
comparaître,  chargés  de  chaînes,  tous  les  adversaires  de  Reuchlin. 
Hütten  les  accable  d'injures.  H  presse  le  bourreau  de  commencer 
leur  supplice;  il  l'exhorte  à  torturer  Pfefferkorn,  à  le  mettre  sous 
ses  pieds,  et  décrit  avec  une  satisfaction  féroce  les  tourments  qu'il  va 
subir.  "  Trainez-le  sur  la  terre!  Que  son  hideux  visage  balaye  le  sol! 
Que  ses  genoux  élevés  l'empêchent  d'apercevoir  le  ciel,  que  ses  yeux 
hagards  ne  puissent  vous  émouvoir,  que  sa  bouche  calomniatrice 
baise  la  poussière  et  s'en  nourrisse!  Qu'attendez-vous,  bourreaux? 
Hâtez-vous  d'ouvrir  sa  bouche  et  de  lui  arracher  cette  langue  détes- 
table qui  a  fait  tant  de  mal,  afin  qu'il  ne  puisse  plus  souiller  de 
ses  propos  infâmes  cette  fête  triomphale!  Arrachez-lui  le  nez  et  les 


'  Strauss,  t.  I,  p.  69-70. 

-  Voy.  Strauss,  1. 1,  p.  280-2S5. 


64  L.\  RENAISSANCE  A  LA  COUR  DES  PRINCES  ECCLESIASTIQUES. 

oreilles;  enfoncez  profondément  vos  clous  dans  ses  pieds!  Que  sa 
face  et  sa  poitrine  balayent  le  sol!  Meurtrissez  sa  mâchoire!  Que  ses 
lèvres  soient  désormais  incapables  de  nuire!  Avez-vous  lié  solide- 
ment les  mains  derrière  le  dos?  Bien!  maintenant,  rognez-lui  les 
ongles,  bourreaux!  n 

A  la  vue  d'un  semblable  supplice,  les  hommes  et  les  enfants  qui 
composent  l'assemblée  sont  invités  à  applaudir  et  à  battre  des  mains  '. 

La  poésie  "  de  la  haine  et  de  la  vengeance  »  a  été  introduite  par 
Hütten  dans  notre  littérature,  et  c'est  le  Triomphe  de  Reuchlin  qui 
commence  à  nous  en  révéler  le  véritable  caractère  *. 

Bien  des  gens  trouvaient  singulier  qu'un  archevêque,  le  primat  de 
l'Église  d'Allemagne,  eût  donné  une  charge  quelconque  à  sa  cour  à 
un  homme  comme  Hütten.  Le  prince  de  Carpi,  dix  ans  plus  tard, 
écrivait  de  Rome  à  ce  sujet  :  «  Les  princes  ecclésiastiques  et  laïques 
récoltent  maintenant  les  fruits  de  la  semence  qu'ils  ont  répandue 
à  profusion,  ou  dont  ils  ont,  tout  au  moins,  favorisé  la  croissance. 
Ce  sont  les  poètes  qui  ont  le  plus  contribué  à  exciter  en  Alle- 
magne la  révolte  contre  l'Eglise  et  la  société.  Ce  sont  eux  qui 
ont  encouragé  toutes  ces  violations  du  droit  dont  nous  sommes 
tous  les  jours  les  témoins.  Mais  qui  donc  a  soutenu  ces  hommes  ? 
Ce  sont  les  dignitaires  ecclésiastiques,  et  ceux  mêmes  du  rang  le 
plus  élevé.  Ils  ont  entretenu  à  leur  cour  voluptueuse  ces  gens  aux 
tendances  à  demi  païennes,  qui  jettent  le  mépris  sur  tout  ce  qui 
est  resté  cher  au  peuple,  et  n'ont  d'autre  but  que  le  renversement 
de  tout  ce  qui  existe.  Le  funeste  exemple  des  poètes  et  des  courti- 
sans a  fait  un  mal  incalculable.  L'insouciance,  l'esprit  mondain  des 

I  Rident  puerique  virique, 

L'na  omnes  rident,  plausuque  favente  seqiientur. 

-  Triomphus  doctoris  Beuchltni,  dans  BÖCK1NG.  t.  III,  p.  413-448.  Hutten  avait  mon- 
tré ce  poëme  à  Érasme  dès  1514.  Celui-ci  lui  avait  donné  des  éloges,  mais  n'avait 
pas  jugé  le  moment;  opportun  pour  sa  publication.  La  colère  d'Érasme  contre 
Pfefferkorn  est  curieuse  à  constater.  Celui-ci  avait  eu  l'audace  de  lui  jeter  en 
passant  une  attaque  légère,  évitant  même  de  le  nommer.  (Geiger,  Reuchlin, 
p.  386,  note  3.)  — Cependant  Érasme  trouve  un  pareil  procédé  digne  d'être  châ- 
tié par  la  main  du  bourreau.  =  0  pestem  indignam  talibus  adversarii.s,  dignam 
carnifice.  •  (0/7.  III,  1639,  .4;)p.  e/;.  200.)  •  C'est  à  présent  ' ,  s'écrie-t-il  indigné, 
«  que  Pfefferkorn  prouve  clairement  sa  qualité  de  Juif.  Ses  ancêtres  ont  exercé 
leur  fureur  contre  le  seul  Jésus-Christ;  mais  lui  ne  craint  pas  d'attaquer  une  foule 
d'hommes  haut  placés.  De  Juif  infâme  il  est  devenu  Juif  plus  infâme  encore.  ■ 
Les  autorités  ecclésiastiques,  l'Empereur,  le  conseil  de  Cologne,  tous  devaient 
agir  de  concert  pour  préparer  la  ruine  de  ce  misérable.  (Geiger, p.  342.)  Les  vio- 
lentes sorties  de  ce  genre  étaient  alors  fréquentes,  et  appartiennent  aux  sym- 
ptômes les  plus  malsains  de  l'époque.  Tandis  que  les  humanistes,  «  les  cultivés  • 
comme  ils  s'intitulaient  modestement,  se  croyaient  autorisés  à  attaquer,  à  calom- 
nier tout  l'univers,  ils  écumaient  de  rage,  ils  réclamaient  le  secours  des  auto- 
rités aussitôt  qu'on  avait  l'audace  de  se  défendre  contre  leurs  attaques,  ou  seu- 
lement d'exprimer  d'autres  opinions  que  les  leurs. 


INDULGENCE    FOUK    LA    CONSTRUCTION    DE    SAINT-PIERRE.   65 

princes  de  rÉglise  est  cause  en  grande  partie  du  discrédit  où  est 
tombé  l'état  religieux,  et  des  troubles  qui  nieuaccnl  l'Église  et  la 
société  '.  » 

Mais  le  prince  de  Carpi  aurait  di)  ajouter  que  la  «  funeste  engeance 
des  poètes  »  avait  trouvé  à  Rome  encouragement  et  protection  bien 
avant  que  l'Allemagne  l'etU  accueillie,  et  que  la  Renaissance  avait 
exercé  en  Italie  son  séduisant  empire  longtemps  avant  qu'elle  eût 
trouvé  quelque  crédit  en  Allemagne.  Parmi  les  cent  vingt  poètes  * 
qui  sous  Léon  X  assiégeaient  tous  les  jours  les  théâtres,  les  palais,  et 
même  les  églises,  bien  peu  semblent  avoir  eu  quelques  principes 
chrétiens.  Le  genre  de  vie  adopté  en  Allemagne  dans  un  grand 
nombre  de  cours  ecclésiastiques,  et  particulièrement  à  Mayence, 
formait  assurément  un  contraste  regrettable  avec  les  devoirs  d'état 
d'un  haut  dignitaire  de  l'Eglise;  mais  il  faut  bien  reconnaître  que  le 
faste  de  la  cour  de  Léon  X,  les  jeux,  les  représentations  théâtrales,  les 
fêtes  mondaines  qui  s'y  succédaient  sans  interruption,  convenaient 
moins  encore  au  caractère  sacré  du  chef  suprême  de  la  chrétienté. 
L'esprit  mondain,  la  vie  voluptueuse  des  princes  ecclésiastiques  d'Alle- 
magne n'étaient  que  la  reproduction  des  idées  et  des  mœurs  des  pré- 
lats italiens,  et  d'ailleurs  ils  eussent  été  à  peine  possibles  ou  n'auraient 
pu  être  longtemps  tolérés  si  l'exemple  ne  fût  venu  de  haut.  Long- 
temps avant  qu'en  Allemagne  la  science  et  l'art  aient  été  envahis 
par  l'esprit  du  paganisme,  ils  s'étaient  affranchis  en  Italie  des 
anciennes  traditions  chrétiennes  ;  savants  et  artistes  avaient  perdu 
tout  respect  pour  le  passé  chrétien.  Ce  qui  le  prouve  avec  évidence, 
c'est  la  décision  prise  en  1506  par  Jules  II  à  propos  de  la  vieille  basi- 
lique de  Saint-Pierre.  Lorsqu'il  ordonna  la  démolition  de  ce  sanc- 
tuaire, vénéré  depuis  tant  d'années  par  la  piété  de  la  chrétienté  tout 
entière,  et  voulut  qu'un  monument  grandiose,  imitation  magnijfique 
du  Panthéon,  fût  érigé  à  sa  place,  ce  dessein  rencontra  dans  le  peuple 
!  de  Rome  de  nombreuses  oppositions  ^  En  Allemagne  aussi,  bien  des 
'  voix  s'élevèrent  pour  déplorer  la  destruction  de  l'antique  basilique. 
!  On  exprimait  tout  haut  la  crainte  que  ce  plan,  loin  d'être  inspiré  par 
l'Évangile,  ne  fût  le  résultat  d'un  culte  profane  pour  l'art,  et  l'on 
ne  pressentit  que  trop  qu'une  pareille  entreprise,  -  loin  d'attirer  sur 
l'Église  et  le  peuple  chrétien  la  bénédiction  de  Dieu^  leur  serait 
au  contraire  très-funeste  » . 


'  Ltuubraliones,  p.  49. 

*  Voy.  Reumont,  Geschichte  Roms,  Z^,  p.  351. 

'  Voy.  Ranke,  Päpste,  t.  I,  p.  67-70.  —  Reumont,  3''.  p.  377. 

*  Écrivait  le  chanoine  Charles  de  Bodmann,  dans  une  lettre  encore  inédite 
datée  du  17  août  1516. 

H.  5 


66    INDULGENCE    POUR    LA    CONSTRUCTION    DE    SAINT-PIERRE. 

Pour  commencer  les  fondations  de  Saint-Pierre,  Jules  II  avait 
publié  une  indulgence.  Léon  X  la  renouvela  en  1511,  afin  d'être  en 
état  de  faire  continuer  l'immense  édifice  avec  les  offrandes  des 
fidèles.  Il  chargea  les  Frères  Mineurs  d'en  répandre  les  bulles  dans 
toute  l'Europe  chrétienne,  et  l'archevêque  de  Mayence  fut  nommé 
premier  commissaire  du  Pape  pour  l'Allemagne  du  Nord.  Albert 
songea  aussitôt  à  mettre  à  profit  une  occasion  si  favorable  de  payer 
les  dettes  énormes  qu'il  avait  contractées  chez  les  Fugger  d' Augsbourg, 
lors  de  sa  promotion  au  siège  archiépiscopal.  Les  frais  du  pallium 
ne  s'élevaient  pas  alors,  pour  l'archevêché  de  Mayence,  à  moins  de 
20,000  florins  du  Rhin,  répartis  entre  les  divers  districts  du  diocèse. 
En  l'espace  de  dix  ans,  cette  contribution  monstrueuse,  qui  avait  tou- 
jours excité  l'indignation  populaire,  avait  été  versée  deux  fois".  Aussi 
le  chapitre  de  la  cathédrale,  lorsque  la  mort  d'Ulrich  de  Gemmingen 
eut  de  nouveau  rendu  vacant  le  siège  archiépiscopal,  accepta-t-il  avec 
empressement  la  proposition  d'Albert,  qui  s'engageait,  s'il  était  élu, 
à  supporter  à  lui  seul  les  frais  du  pallium;  toutes  les  voix  s'étaient 
alors  réunies  sur  lui,  et  le  nouvel  archevêque  avait  emprunté  aux 
Fugger  la  somme  dont  il  avait  besoin.  A  la  sollicitation  des  hommes 
d'affaires  de  l'Électeur,  les  Fugger,  dès  la  publication  de  l'indulgence, 
s'adressèrent  au  Saint-Père  pour  être  remboursés;  un  marché  fut 
conclu.  Le  Pape  consentit  à  céder  aux  Fugger  la  moitié  des  produits 
des  indulgences  dans  les  possessions  d'Albert,  à  la  condition  que 
l'autre  moitié  serait  remise  à  la  fabrique  de  la  nouvelle  basilique.  Ce 
honteux  traité,  dont  les  conditions  étaient  arrêtées  dès  1515,  ne  com- 
mença d'être  exécuté  qu'en  1517  ^ 

Dans  les  premiers  mois  de  cette  même  année  commencèrent  les 
prédications  pour  l'indulgence.  Elles  causèrent  dans  le  sein  de  l'Église 
l'ébranlement  le  plus  violent,  à  la  suite  de  l'intervention  de  Martin 
Luther,  moine  Augustin. 

'  Après  la  mort  des  archevêques  Berthold  de  Henneberg  (1504)  et  Jacques  de 
Liebenstein  (1508). 

*  Pour  plus  de  détails,  voy.  Hennés,  Erzbischof  Albi echt  von  Maint,  p.  4-10,  21-23. 


CHAPITRE  III 

LUTHER   ET    HÜTTEN. 


Martin  Luther'  naquit  à  Eislebenle  10  novembre  1483.  Son  enfance 
s'écoula  à  Mansfeld;  elle  ne  fut  pas  heureuse,  mais  rude  et  con- 
trainte, non-seulement  à  cause  de  la  pauvreté  de  ses  parents,  mais 
parce  que,  à  l'école  comme  à  la  maison,  il  fut  toujours  traité  avec 
une  extrême  rigueur.  Lui-même  a  raconté  qu'un  jour,  sa  mère,  à 
propos  d'une  misérable  noix,  le  fouetta  jusqu'au  sang,  et  qu'une 
fois  son  père  le  corrigea  de  telle  sorte  qu'il  en  conserva  un  pro- 
fond ressentiment,  et  fut  sur  le  point  de  s'enfuir  de  la  maison 
paternelle.  A  l'école,  en  une  seule  après-midi,  il  assure  avoir  été 
frappé  quinze  fois.  Et  cependant,  malgré  tant  de  châtiments  et  tout 
l'effroi  qu'ils  lui  inspiraient,  malgré  ses  angoisses  et  ses  souffrances, 
Luther  se  plaint  de  n'avoir  alors  «  absolument  rien  appris*  ».  Un  tel 
mode  d'éducation  développa  chez  lui  une  disposition  inquiète.  Jamais 

'  Le  père  de  Luther,  Hans  Luther,  était  fermier  à  Moehra  (Thuringe),  mais  il 
avait  été  obligé  de  quitter  le  pays,  abandonnant  tout  son  avoir,  après  avoir, 
comme  on  l'en  soupçonna  généralement  autour  de  lui,  tué  dans  un  accès  de 
colère,  avec  le  mors  de  son  cheval,  un  pâtre  qui  était  à  son  service.  Voy.  Ges~ 
chicklUche  Notizen  über  Martin  Luthers  Vorfahren^  par  K.  Luther,  Wittemberg,  1867. 
«Il  est  peu  habile  ",  dit  l'auteur,  «  d'essayer  de  dissimuler  des  faits,  même 
lorsqu'ils  sont  désagréables  à  constater.  •  Thiersgh  (p.  185)  cite  un  livre  publié 
en  1565  où  il  est  fait  allusion  au  meurtre  commis  par  Hans  Luther.  •  Igitur  ^ 
y  est-il  dit  ironiquement,  "  antequam  nasceretur  filius  homicidae  Morensis. 
non  fuit  Evangelium  in  Germania.  ■  Bien  longtemps  auparavant  il  est  ques- 
tion de  ce  fait  dans  une  lettre  de  G.  Wicel  [Epist.  libri  quatuor,  Lipsiap,  1537) 
Voy.  KösTLiN,  Luthers  Leben  vor  dem  Ablasstreit,  p.  25.  Köstlin  tient  ce  renseigne- 
ment pour  inexact.  Martin  Luther  naquit  à  Eisleben,  où  la  femme  de  Hans 
Luther  avait  suivi  son  mari  fugitif  au  milieu  d'un  hiver  rigoureux.  —  Sur  la 
date  de  sa  naissance,  voy.  Kah.nis,  t.  I,  p.  131-132.  —  Köstlin,  p.  8-14.  Hans 
Luther  menait  à  Eisleben,  et  plus  tarda  Mansfeld,  une  vfe  pauvre  et  laborieuse. 
Il  était  coupeur  d'ardoises;  sa  position  matérielle  s'améliora  dans  la  suite. 

*Pour  plus  de  détails,  voy.  Jukgens,  t.  I,  p.  151-160.  Pendant  ses  luttes  avec  les 
•  sectaires  de  Rotenliourg  »,  il  échappa  un  jour  à  Luther  de  dire  :  "  Dieu  m'a 
mis  dans  une  telle  situation  qu'il  me  faut  parfois  fredonner  le  petit  refrain 
enfantin  que  chantait  ma  mère  :  "  Personne  ne  nous  aime,  ni  toi  ni  moi,  c'est 
«  notre  faute  à  tous  les  deux.  •  Sämmtl.  Werke,  t.  LXIII,  p.  332. 

5. 


68  LUTHER    ETUDIANT. 

il  ne  connut  l'obéissance  joyeuse  qui  règle  ordinairement  la  vie  de 
l'eniance.  La  manière  dont  on  Televail  pouvait  peut-être  contenir 
sa  violence  naturelle,  mais  non  l'assouplir  et  la  dompter. 

Lorsqu'il  eut  quatorze  ans,  Luther  fut  envoyé  à  Magdebourg 
pour  y  continuer  ses  éludes  ',  et  Tannée  suivante  il  entra  à  Técole 
latine  d'Eisenach.  A  cette  époque,  la  pauvreté  de  ses  parents  était 
telle,  qu'en  route  l'enfant  dut  gagner  son  pain  en  chantant  quelques 
refrains  aux  passants.  Il  a  raconté  qu'à  cette  époque  le  culte  solennel 
de  l'Église  faisait  sur  lui  une  heureuse  impression;  qu'il  se  plaisait  à 
la  représentation  des  mystères,  et  qu'il  aimait  les  pieux  cantiques 
chantés  par  les  fidèles  pendant  le  service  divin  -. 

A  Eisenach,  lorsqu'il  eut  atteint  l'âge  de  seize  ans  environ,  un  grand 
changement  s'opéra  dans  sa  vie.  Une  jeune  dame  noble,  de  la  famille 
des  Cotta,  le  recueillit  dans  sa  maison  ^  Elle  s'attacha  à  lui,  rapporte 
Mathésius  dans  son  panégyrique  de  Luther,  "  à  cause  de  la  beauté 
de  sa  voix  et  de  la  ferveur  avec  laquelle  il  priait  ; .  C'est  d'elle  que 
Luther  tenait  cette  maxime  :  «  qu'il  n'y  a  pas  de  chose  plus  pré- 
cieuse sur  cette  terre  que  l'amour  d'une  femme,  quand  on  est  assez 
heureux  pour  l'obtenir*.  >! 

En  1500,  le  jeune  homme  entrait  à  l'Université  d'Erfurt  pour  y 
étudier  la  philosophie  et  la  jurisprudence;  en  1502,  il  était  bachelier 
en  philosophie;  trois  ans  plus  tard,  il  obtint  le  grade  de  maître  es 
arts,  et  pendant  quelque  temps  enseigna  la  morale  et  la  physique 
d'Aristote^ 

Un  attrait  particulier  le  poussait  alors  vers  les  études  classiques; 
il  lisait  les  principaux  chefs-d'œuvre  des  écrivains  latins,  et  de  pré- 
férence Cicéron,  Tite-Live,  Virgile  et  Plante,  suivait  les  cours 
d'humanités  de  Jérôme  Emser",  et  se  distinguait  de  telle  sorte,  rap- 
porte son  biographe,  «  que  toute  l'Académie  était  dans  l'admiration 
des  dons  remarquables  de  son  esprit"  r,. 

Dans  le  cercle  des  jeunes  humanistes  où  il  entrait,  il  rencontra 


'  Voy.  KÖSTL1N,  p.  32-34. 

*  Sur  le  fréquent  usage  des  cantiques  au  quinzième  siècle,  voy.  notre  premier 
volume,  p.  219,  225;  le  témoignajife  de  Luther  y  est  rapporté. 

2  Voy.  KösTLiN'.  p.  35-36.  —  KÖHLER,  p.  4,  appelle  la  dame  Cotta  «  une  digne 
matrone  •,  et  convient  cependant  que  Luther,  en  1540  ou  1541,  par  conséquent 
plus  de  quarante  ans  plus  tard,  recevait  à  sa  table  son  fils  Henri,  alors  étudiant  à 
Wittemberg. 

*  Sammtl.   Werke,  t.  LXI,  p.  212. 

*  Luther  racontait  plus  tard  qu'au  temps  où  il  était  bachelier,  un  étudiant 
de  Meiningen  lui  prédit  qu'il  deviendrait  un  jour  un  grand  homme.  Köstlin, 
Marlin  Luther,  t.  I,  p.  55. 

'■'Voy.  Unschuldige  Xaclirichten,  année  1720,  p.   14. 

^  MÉLANCUTHON,  l'ita  Lutheri  dans  le  Corpus  Reformai.,  t.  VI,  p.  157. 


LUTHER   AU    COUVENT.  ß9 

Crotus  Kubianus  et  Jean  Lange,  avec  lesquels  il  se  lia  bientôt  étroi- 
tement. Il  se  faisait  apprécier  de  ses  compagnons  moins  comme 
poëte  que  comme  <  musicien  et  savant  philosophe*  «.  H  prenait 
volontiers  part  aux  réunions,  aux  plaisirs  de  ses  camarades,  chan- 
tait, faisait  de  la  musique  avec  eux;  mais  souvent,  après  s'être  montré 
d'une  humeur  enjouée,  il  tombait  tout  à  coup  dans  une  disposition 
sombre  et  comme  maladive  :  dès  lors  il  était  accablé  de  tourments  de 
conscience. 

En  1505,  la  mort  subite  d'un  de  ses  amis,  tué  en  duel,  l'ébranlé 
jusqu'au  fond  de  son  être*.  La  même  année,  aux  portes  d'Erfurt,  un 
épouvantable  orage  le  surprend  et  met  sa  vie  en  danger.  "  Lorsque 
je  me  vis  tout  proche  d'une  mort  qui  semblait  se  hâter  »,  écrivit-il 
plus  tard,  "  je  prononçai,  sous  l'empire  de  mon  effroi,  un  vœu  con- 
traint et  forcé'.  "  Ayant  réuni  ses  amis  dans  un  souper  qu'égayèrent 
les  violons  et  les  chants,  il  leur  annonça  soudain  qu'il  avait  résolu 
de  renoncer  au  monde  et  de  prendre  l'habit  religieux  au  couvent 
des  Augustins.  «  Vous  me  voyez  encore  aujourd'hui  ,  leur  dit-il, 
-c  et  bientôt  vous  ne  me  verrez  plus.  »  Toutes  les  objections  de  ses 
amis  furent  inutiles;  ils  l'accompagnèrent  en  pleurant  jusqu'à  la 
porte  du  couvent. 

Il  est  à  remarquer  que  Luther  n'emporta  d'autres  livres  au  couvent 
que  les  œuvres  de  deux  poètes  païens  :  Virgile  et  Plante  *.  Ce  que 
disait  le  Dominicain  Pierre  Schwarz  de  l'étude  exclusive  des  clas- 
siques et  du  droit  peut  s'appliquer  à  Luther  jusqu'au  moment  de  la 
démarche  la  plus  grave  de  sa  vie  :  «  De  nos  jours,  beaucoup 
apprennent  à  versifier,  mais  peu  approfondissent  l'Évangile.  Beau- 
coup étudient  la  jurisprudence,  mais  peu  la  sainte  Écriture',  « 
Reuchlin,  à  la  même  époque,  se  plaignait  aussi  de  ce  qu'autour  de  lui 
«  la  sainte  Écriture  fût  délaissée  pour  l'attrayante  étude  de  l'élo- 
quence et  de  la  poésie"  ». 

Tandis  que  dans  toutes  les  écoles  latines  restées  fidèles  à  l'antique 

'  KÖSTLIN,  Luthers  Leben  vor  dem  Ablassstreit,  p.  37-41.  XOUS  y  troUVODS  poUF  la 

première  fois  nettement  indiquées  les  premières  relations  de  Luther  avec  les 
humanistes.  L'humaniste  Gaspard  Schalbe,  d'Eisenach,  qui  est  cité  comme 
étant  l'ami  de  Luther  (voy.  Burkhardt,  Luthers  Briefwechsel,  p.  115),  était  proba- 
blement un  frère  ou  un  parent  de  la  dame  Cotta  (voy.  Kösthx,  p.  38),  dont  le 
nom  de  fille  était  Schalbe.  •  Summa  familiaritate  »,  écrivait  plus  tard  Crotus  à 
Luther  à  propos  de  leur  amitié  d'Erfurt,  •  Erfordiae  bonis  artibus  siraul  operam 
dedimus  asiate  juvenili  »,  et  »  eras  in  raeo  quondam  contubernio  musicus  et 
philosophus  eruditus  • .  —  Böcking,  Hutteni  op.,  I,  p.  307.  Voy.  Kampschllte, 
t.  II,  p.  4. 

'  G.  Mathésius,  i^,  raconte  ■  qu'un  de  ses  bons  camarades  le  tua  • . 

'  De  Wette,  t.  II,  p.  101. 

*  Voy.  Seckendork,  t.  I,  p.  21». 

*  Dans  son  Chochaf  Hamschiach  (Esslingen,  1477),  t.  II*. 

*  Voy.  plus  haut,  p.  37. 


70  LUTHER   AU    COUVENT. 

tradition,  l'étude  de  la  Bible  était  poussée  avec  ardeur',  il  semble- 
rait, à  entendre  Luther,  que  dans  les  établissements  visités  par  lui, 
Texplication  des  auteurs  païens  ait  été  Tunique  occupation  des  élèves. 
V  Parvenu  à  l'âge  de  vingt  ans  -,  dit-il,  «  je  n'avais  pas  encore  vu 
de  Bible,  et  je  m'imaginais  qu'il  n'existait  d'autres  épitres  ou  évan- 
giles que  ceux  de  nos  livres  de  prières*.  "  Ces  paroles  sont  d'autant 
plus  extraordinaires,  qu'à  vingt  ans  Luther  avait  déjà  étudié  deux  ans 
Erfurt,  et  avait  dû  y  avoir  plus  d'une  fois  l'occasion  d'apprendre 
à  connaître  la  Bible.  En  effet,  nous  voyons  qu'à  Erfurt,  à  partir  de  la 
seconde  moitié  du  quinzième  siècle,  la  science  biblique  florissait  ;  et 
dans  le  catalogue  des  ouvrages  théologiques  encore  manuscrits 
d'une  des  bibliothèques  de  la  ville,  on  a  remarqué  que  les  ouvrages 
d'exégèse  formaient  au  moins  la  moitié  des  volumes  rassemblés*. 
En  1480,  l'L'niversité  d'Erfurt  avait  reçu  un  legs  considérable  des- 
tiné à  la  fondation  d'un  cours  spécial  d'exégèse,  devant  durer  huit 
ans.  Le  fondateur  avait  stipulé  qu'on  mêlerait  à  l'étude  de  la  sainte 
Écriture  «  quelques  notions  de  droit  canon*  ». 


Il 


(  Si  je  suis  entré  au  couvent,  si  j'ai  renoncé  au  monde,  »  a  dit 
Luther  ^  «  c'est  que  je  désespérais  de  moi-même.  »  Malgré  l'opposi- 
tion formelle  de  son  père,  qui  doutait  de  sa  vocation,  et  rêvait  de  voir 
un  fils  de  tant  d'espérances  et  de  talent  obtenir  dans  le  monde  de 
brillants  succès  et  peut-être  faire  un  jour  un  riche  mariage,  il  prononça 
ses  vœux  solennels  chez  les  ermites  Augustins,  jurant  de  persévérer 
jusqu'à  la  mort,  et  selon  la  règle  de  Saint-Augustin,  dans  l'obéis- 
sance, la  pauvreté  et  la  chasteté.  «  Contrairement  au  quatrième 
commandement  > ,  lui  écrivait  son  père  au  moment  où  il  se  prépa- 
rait à  recevoir  la  prêtrise  (1507),  «  vous  nous  avez  abandonnés  dans 
notre  vieillesse,  votre  bonne  mère  et  moi;  et  cependant,  nous  pou- 
vions nous  attendre  à  recevoir  de  vous  consolation  et  secours,  après 
tous  les  sacrifices  que  j'avais  faits  pour  votre  instruction  «.  n 

'  Voy.  les  eiemples  cités  par  nous  dans  notre  premier  volume,  p.  45-48. 

*  Sätnmtl.  Werke,  t.  LX,  p.  255. 

*  Voy.  Kampschllte,  t.  I,  p.  22-23. 

*  Voy.  StÖI.ZeL,  Entwicklung  des  gelehrten  Richter thums.  t.  I,  p.  130-131. 
'  Voy.  Jürgens,  t.  I,  p.  522. 

«  Rapporte  l'ami  de  Luther,  Ratzenberger,  p.  48. —  Voy.  d'autres  passages  sur 
les  sentiments  d'Hans  Luther  à  propos  de  la  vocation  de  Luther,  dans  Jlrgens, 
t.  I,  p.  696-697. 


LUTHER   AU    COUVENT.  71 

Une  résolution  violente  et  soudaine,  résultat  d'un  trouble  maladif 
de  conscience,  tel  fut  donc  le  motif  de  l'enlrée  de  Luther  au  cou- 
vent, et  il  n'y  eut  point  chez  lui  de  vocation  plus  profonde.  Il  espé- 
rait, une  fuis  revêtu  de  l'habit  religieux,  recouvrer  la  paix  qui  le 
fuyait;  mais  les  moyens  auxquels  il  eut  recours  ne  firent  qu'empirer 
son  état.  Peut-être  même  la  solitude  du  cluitre  contribua-t-elle  à 
développer  en  lui  une  véritable  maladie  morale,  celle  du  scrupule. 
Bientôt  on  le  vit  s'écarter  de  la  simple  obéissance  aux  règles  de  son 
Ordre.  La  récitation  quotidienne  des  heures  lui  était  imposée;  mais 
entraîné  vers  l'étude  par  un  irrésistible  attrait,  il  lui  arrivait  souvent 
de  passer  des  semaines  entières  sans  prendre  en  main  son  bréviaire; 
alors  il  s'efforçait  de  rattraper  à  la  fois  tout  le  temps  perdu,  s'en- 
fermait dans  sa  cellule,  refusait  de  boire  et  de  manger,  et  se  mor- 
tifiait d'une  si  effrayante  manière,  qu'une  fois  il  se  priva  de  sommeil 
pendant  cinq  semaines  consécutives,  et  fut  sur  le  point  d'expier 
cette  imprudence  par  la  perte  de  la  raison  '.  Les  exercices  de  morti- 
fication prescrits  par  la  règle  de  son  Ordre  ne  lui  suffisaient  pas  :  "  Je 
m'imposais  ",  a-t-il  écrit,  '■  des  obligations  particulières  ;  je  voulais 
suivre  un  chemin  à  part.  Mes  supérieurs  combattaient  beaucoup  mes 
singularités,  et  sous  ce  rapport  ils  faisaient  bien.  Je  devins  bientôt 
l'horrible  persécuteur  et  le  bourreau  de  ma  propre  vie,  car  je  jeû- 
nais, je  veillais,  je  priais,  je  m'épuisais,  ce  qui  n'est  autre  chose  que 
le  suicide.  »  En  un  mot,  le  vieil  adage  monacal  se  vérifiait  pour 
Luther  :  «  En  dehors  de  l'obéissance,  tout  est  danger  pour  un  reli- 
gieux. "  Comme  tous  les  scrupuleux,  il  n'apercevait  en  lui  que  péché, 
en  Dieu  qu'indignation  et  vengeance.  A  son  repentir  manquait 
l'humble  amour,  et  l'espérance  filiale  en  cette  miséricorde  infiniment 
clémente  que  le  Seigneur  se  plaît  à  exercer  envers  l'homme  en  vue 
des  mérites  de  Jésus-Christ.  Ses  rapports  avec  Dieu  n'étaient  basés 
que  sur  l'effroi;  il  voulait,  selon  ses  paroles,  apaiser  la  colère  divine 
«  par  sa  propre  justice  »  et  par  ses  œuvres  personnelles.  «  J'étais 
alors  ^  a  t-il  raconté,  "  le  plus  présomptueux  des  justes  ^; 
j'étais  le  plus  téméraire  des  saints;  m'appuyant  sur  mes  œuvres, 
je  me  confiais,  non  pas  en  Dieu,  mais  en  ma  propre  justice.  "  Aussi 

'  «  ...Et  quae  per  unam,  duas.  immo  très  quandoque  septiraanas  prge  studii 
assiduitate  neglexerat,  cibo  et  potu  abstinentem  recitasse  euraque  in  modura 
se  macérasse,  ut  aliquando  quinque  septimanis  somno  caruerit  et  pêne  in 
mentis  deliquium  incident.  •  Seckendoeif,  t.  I,  2l'>.  »  La  pureté  et  l'austérité 
de  sa  conduite  morale  dans  le  cloître  »,  dit  Köstli\  [Martin  Luther,  t.  I,  p.  65), 
«  n'out  été  contestées  par  aucun  de  ses  adversaires,  bien  que,  prenant  la  question 
à  un  autre  point  de  vue,  ils  se  soient  efforcés  de  le  représenter  comme  possédé 
du  démon.  .  Le  moine  Augustin  Jean  Mathieu,  professeur  de  sainte  Écriture  à 
Erfurt,  citait  Luther  comme  un  modèle  de  sainteté  aux  religieuses  de  Mulhouse. 
—  KOLDE,  Auguslmer-Congregatioti,  p.  247. 

*  •  Pra'sumptuosissimus  justitiarius.  = 


72  LUTIJEH    AU    COUVENT. 

tomba-t-il  peu  à  peu  dans  un  état  de  découragement  désespéré  et 
dans  le  plus  sombre  abattement.  Il  en  vint  presque  jusqu'à  en 
vouloir  à  Dieu,  jusqu'à  le  haïr,  et  regrettait  souvent  d'avoir  reçu 
la  vie.  «  A  ma  fausse  confiance  en  ma  propre  justice  ',  a-t-il  avoué, 
u  s'ajoutait  un  doute  continuel,  le  désespoir,  l'effroi,  la  haine  et  le 
blasphème.  J'avais  tant  d'éloignement  pour  le  Christ  que  lorsque  je 
voyais  quelqu'une  de  ses  images,  comme  par  exemple  le  crucifix,  je 
ressentais  aussitôt  de  l'épouvante,  je  baissais  les  yeux,  et  j'eusse  plus 
volontiers  vu  le  diable.  Mon  âme  était  brisée  de  douleur;  j'étais 
plongé  dans  une  continuelle  agonie,  et  toutes  les  consolations  que 
je  voulais  tirer  de  ma  propre  justice  et  de  mes  œuvres  personnelles 
restaient  impuissantes  à  me  consoler*.  » 

Il  est  étrange  que  plus  tard  Luther  ait  voulu  rendre  responsable 
d'un  si  lamentable  état  intérieur  la  doctrine  de  l'Église  sur  les  bonnes 
œuvres,  car  il  était  manifestement  en  pleine  contradiction  avec  cette 
doctrine,  comme  avec  toutes  les  prescriptions  de  l'Eglise  à  cet  égard. 
Le  premier  livre  de  prières  venu,  le  plus  simple  catéchisme,  eût  pu 
lui  rappeler  que  l'Église  rejette  tout  pharisaisme,  toute  justice  per- 
sonnelle de  l'homme;  qu'elle  considère  le  Christ  et  ses  mérites  comme 
les  uniques  fondements  de  la  sainteté  et  de  tout  acte  méritoire; 
que  la  grâce  du  Rédempteur  est  à  ses  yeux  le  principe  de  toute  vie 
agréable  à  Dieu;  qu'en  particulier,  elle  ne  voit  dans  les  exercices  de 
la  mortification  chrétienne  que  les  moyens  d'atteindre  à  une  fin 
plus  haute,  que  des  secours  qui,  en  affaiblissant  nos  penchants  cou- 
pables, nous  aident  à  les  surmonter  avec  le  secours  de  la  grâce, 
nous  répétant  que  ces  moyens  n'ont  par  eux-mêmes  aucune  valeur, 
et  que  l'homme  ne  saurait  établir  sur  eux  son  salut.  «  Le  chrétien 
doit  mettre  sa  foi,  son  espérance  et  son  amour  en  Dieu  seul,  et  non 
dans  une  créature  quelconque  >',  lit-on  dans  le  catéchisme  de  Dide- 
rich  Cölde  (1470);  «  il  doit  placer  son  unique  confiance  dans  les  seuls 
mérites  de  Jésus-Christ.  »  "  Mets  tout  ton  espoir,  toute  ta  confiance«, 
dit  \e  Petit  Jardin  de  l'âme,  un  des  livres  de  prières  les  plus  complets 
et  les  plus  répandus  du  quinzième  siècle,  «  dans  les  mérites  et  dans 
la  mort  de  Jésus-Christ.  »  «  L'homme  doit  mourir  appuyé  sur  la 
miséricorde  et  sur  la  bonté  de  Dieu  »,  enseigne  Ulrich  Krafft  dans 
son  Combat  spirituel  (1503),  «  car  il  ne  saurait  compter  sur  ses 
bonnes  œuvres  *.  »  Dans  tous  les  livres  autorisés  et  répandus  par 

'  Voy.  ces  passafjes  dans  Jürgens,  t.  I,  p.  577-585,  et  t.  II,  p.  4.  —  A  un  autre 
endroit,  Luther  dit  en  parlant  de  lui-raéme  :  •  J'étais  un  moine  austère;  ma  vie 
était  chaste,  sévère;  je  n'aurais  pas  voulu  disposer  d'un  liard  à  l'insu  de  mon 
supérieur;  je  priais  avec  ferveur,  jour  et  nuit.  ^  Sämmtl.  iVerke,  t.  XLVIII, 
p.  306. 

*  Voy.  ces  passages  et  d'autres  encore  dans  notre  premier  volume,  p.  35-42. 
•^  L'homme  doit  croire  sans  hésiter  »,  dit  le  Petit  Jardin  de  l'âme,  publié   par 


LUTHER    A    ROME.    tili.  73 

l'Église  à  cette  époque,  ouvrages  de  doctrine  ou  traités  religieux 
destinés  aux  fidèles,  pas  un  qui  ne  contienne  la  doctrine  de  la  justi- 
fication par  Jésus-Christ  .seul. 

L'angoi.sse  intérieure  dont  .souffrait  Luther  ne  trouvait  aucun 
adoucissement  dans  la  réception  du  sacrement  de  pénitence.  Il  en 
est  ordinairement  ainsi  pour  les  natures  que  tourmente  la  maladie  du 
scrupule.  En  vain,  à  Erfurt,  il  fit  deux  fois  une  confession  générale; 
en  vain,  en  Italie,  il  renouvela  encore  cette  confession  ',  y  cherchant 
un  peu  de  relâche  à  ses  tourments,  rien  ne  le  soulageait.  Son  exalta- 


Sébastien  Brant  et  répandu  parmi  les  fidèles  par  plus  de  quarante  éditions, 

•  qu'il  ne  peut  être  délivré  et  éternellement  heureux  que  grâce  à  l'amère 
Passion  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  »  Dans  une  édition  allemande  de 
l'Ars  moriendi  [1470),  on  trouve  la  prière  suivante  :  «  Seigneur,  je  réclame  ton 
paradis,  non  en  récompense  de  mes  mérites,  car  je  ne  suis  que  cendre  et  pous- 
sière, et  le  plus  misérable  de  tous  les  pécheurs,  mais  parce  que,  par  la  puis- 
sance et  l'efficacité  de  ta  très-sainte  Passion,  tu  m'as  délivré,  moi,  pauvre 
misérable  pécheur,  et  m'as  ouvert  le  paradis  par  ton  sang  précieux,  répandu 
pour  moi.  ^  (Voy.  Seelengurthin,  Munich,  1877,  p.  497-513.)  Nous  lisons  dans  un 
sermon  de  Geiler  cette  invocation  au  Sauveur  :  «  Très-doux  Jésus,  en  toi  est  mon 
unique  espoir.  Seigneur,  je  réclame  et  désire  ton  paradis,  non  à  cause  de  mes 
mérites,  mais  uniquement  par  la  vertu  de  ta  sainte  Passion,  par  laquelle  tu  as 
voulu  me  sauver,  moi,  misérable  pécheur,  m'achetant  le  ciel  au  prix  de  ton 
sang  précieux.  »  (Geiler,  IVie  mon  sich  halten  soll  bei  einem  sterbenden  menschen,  1482.) 
Fac-simile  avec  introduction  par  L.  Dacueüx,  Paris-Francfort,  1878.  Les  pres- 
criptions des  synodes  concordent  de  tout  point  avec  ce  qui  précède.  Le  con- 
cile de  Bâle  (1503)  recommande  instamment  aux  prêtres  d'avertir  tout  fidèle 

•  ut  de  peccatis  doleat,  omncm  tpem  in  merito  Passionis  Christi  pönal,  in  fide  Christi 
et  Ecclesiae  constans  maneat...  moneatur  etiam,  ne  rem  alienam  scienter  deti- 
neat,  et  ut  omnibus  amore  Christi  ex  corde  ignoscat  ».  Hartzheim,  Concilia 
Germania,  t.  VI,  p.  29.  —  Voy.  le  mandement  du  synode  de  Bamberg  (l49ij  dans 
Hartzheim,  t.  V,  p.  630. 

'  Lui-même  donne  pour  principal  motif  de  son  voyage  à  Rome  le  désir  d'y 
faire  une  confession  générale.  Köstli\,  Luthers  Leben  vor  dem  Ablasstlreit,  p.  50. 
—  II  n'est  pas  exact  de  dire,  d'après  des  affirmations  souvent  répétées,  que  le 
Toyage  de  Rome  ait  rendu  Luther  hostile  à  la  papauté.  On  conçoit  aisément  que 
le  faste  mondain  de  la  cour  de  Léon  X  lui  ait  beaucoup  déplu;  mais  ce  ne  fut 
qu'après  sa  rupture  avec  Rome  qu'il  prit  plaisir  à  raconter  tout  ce  qui  l'avait 
choqué  en  Italie,  et  mille  traits  relatifs  à  l'immoralité  du  clergé;  son  attitude 
vis-à-vis  de  l'Église  et  de  son  chef  resta  parfaitement  correcte  et  respectueuse 
plusieurs  années  encore  après  son  retour  de  Rome.  Le  duc  Georges  de  Saxe  lui 
reprochait  plus  tard  de  n'être  devenu  l'ennemi  acharné  du  Pape  que  depuis 
que  celui-ci,  à  Rome,  avait  refusé  de  le  délivrer  du  froc,  lui  avait  interdit 
le  mariage  et  refusé  le  chapeau  de  cardinal;  mais  cette  imputation  n'a  aucun 
fondement.  —  Voy.  cette  citation  dans  Schnorr  de  Carolsfeld,  Archiv  für 
Literatur  geschichie,  t.  IV,  p.  119.  Luther  reçut  en  Italie  des  impressions 
favorables.  Il  prit  plaisir  à  admirer  la  beauté  des  hôpitaux  de  Rome  •■  si  bien 
tenus,  si  propres,  si  beaux,  si  libéralement  entretenus  par  la  bienfaisance  publi- 
que. Là,  les  dames  les  plus  respectables  de  la  ville  soignaient  volontairement 
les  pauvres.  »  Dans  la  population,  il  fut  frappé  du  contraste  de  la  sobriété  ita- 
lienne avec  les  habitudes  d'ivrognerie  des  Allemands.  Il  dit  aussi  avoir  été  satis- 
fait de  l'organisation  "  de  la  chancellerie  romaine,  où  sont  apportées  toutes  les 
affaires  relatives  au  droit  ecclésiastique  ».  Voy.  Kostlin,  Martin  Luther,  1. 1,  p.  101. 


74  LE  NOUVEL  EVANGILE  DE  LUTHER. 

tion  devint  telle,  qu'à  Rome,  ainsi  qu'il  l'écrivait  plusieurs  années  après, 
il  ressentait  une  sorte  de  regret  de  ce  que  ses  parents  fussent  encore  au 
monde,  parce  qu'à  l'aide  de  ses  messes,  de  ses  prières,  et  autres  œuvres 
encore  plus  méritoires,  il  eût  pu  les  délivrer  du  Purgatoire."  J'aurais 
alors  volontiers  consenti  s  a-t-il  assuré,  '^  à  devenir,  pour  la  cause 
de  la  religion,  le  plus  cruel  des  assassins,  si  l'occasion  s'en  était 
offerte.  »  «  J'aurais  été  prêt  à  immoler,  si  je  l'avais  pu,  tous  ceux  qui 
auraient  refusé  d'obéir  au  Pape,  même  à  propos  d'une  syllabe  '.  » 

Un  tel  étal  moral  devait  inévitablement  amener  une  réaction. 

Dans  son  décliiremeut,  dans  sa  torture  intérieure,  Luther,  insensi- 
blement, passa  d'un  extrême  â  l'autre.  Si  jusqu'alors  il  avait  présomp- 
tueusemeut  compté  sur  ses  propres  forces,  maintenant  il  niait  toute 
efficacité  des  oeuvres  pour  le  salut.  Il  se  persuada  peu  à  peu  que 
l'homme,  par  suite  du  péché  originel,  a  été  complètement  corrompu 
et  n'a  plus  de  libre  arbitre;  que  toutes  les  actions  humaines,  même 
les  meilleures,  ne  sont  que  les  fruits  de  sa  volonté  dépravée,  et  par 
conséquent,  devant  le  tribunal  de  Dieu,  ne  peuvent  être  que  des 
péchés  mortels.  L'homme,  selon  lui,  n'est  sauvé  que  par  la  foi.  "  Par 
le  fait  seul  de  notre  foi  en  Jésus-Christ  '-,  enseignait-il,  '■  ses  mérites 
deviennent  notre  propriété;  nous  revêtons  sa  robe  de  justice;  elle 
couvre  toutes  nos  fautes  et  notre  constante  iniquité,  et  supplée 
surabondamment  à  tout  ce  qui  manque  à  notre  justice  humaine.  Si 
nous  avons  la  foi,  il  suffit;  toutes  nos  angoisses  de  conscience 
deviennent  superflues.  »  «  Sois  pêcheur  »,  écrit-il  à  l'un  de  ses 
amis;  "  pèche  hardiment;  mais  crois  plus  hardiment  encore,  et 
réjouis-toi  dans  le  Christ,  qui  a  triomphé  du  péché.  Les  péchés  d'un 
homme  ne  sauraient  le  séparer  de  l'Agneau  qui  efface  les  péchés 
du  monde,  quand  bien  même,  en  un  seul  jour,  il  s'abandonnerait 
mille  fois  à  la  luxure  ou  commettrait  un  nombre  égal  d'homicides  '.  « 


1  Sämmtl.  Werke,  t.  XL,  p.  184.  —  Voy.  Kahms,  t.  I,  p.  149-174. 

*  Les  passages  suivants  sont  dignes  d'attention  :  "  lia  vides,  quam  dives  sit 
hoino  eliristianus  sive  baptisatus,  qui  eliam  volens  non  potest  perdei-e  salutcm  suam 
quaniiscunque  peccatis ,  nisi  nolit  credcre.  Nulla  eniin  peccata  euni  possunt  damnare, 
nisi  sola  incredulitas.  Canera  oinnia,  si  redeat  vel  stet  fides  in  promissionem 
divinam  baplisato  factum,  in  momento  absorbentur  per  eamdem  fidera.  »•  Fides 
sola  est  pax  conscienti»,  infideliias  autem  turbatio  conscientia-.  »  Be  Capiivit. 
Babyl.Eccl.,  Op.  lathia,  t.  V,p.59,  55.  Dans  une  lettre  à  Mélanchthon  1"  août  1521), 
Luther  se  sert  de  termes  encore  plus  forts  ;  -  Esto  peccator  et  pecca  fortiter, 
sed  fortius  crede,  et  gaude  in  Christo  qui  viclor  est  peccati,  mortis  et  mundi  : 
peccandum  est,  quamdiu  sumus.  Vita  haec  non  est  habitatio  justitiae,  sed 
expectamus,  ait  Petrus,  cœlos  novos  et  terram  novani,  in  quibus  justitia  habi- 
tat. Suflicit,  quod  agnovimus  per  divitias  glori*  Dei  .Agnum,  qui  toilit  pecca- 
tum  mundi  :  ab  hoc  non  avellet  nos  pe  catum,  etiamsi  millies,  millies  uno  die, 
forniceiiiur  aut  occidamus.  Putas  tam  parvum  esse  pretium  et  redemptionem' 
pro  peccatis  nostris  factam  in  tanto  ac  tali  .\gno?  »  De  Wette,  t.  II,  p.  37. 
Pour  plus  de  détails,  voy.  Evers,  t.  I,  p.  75-127. 


LE  NOUVEL  ÉVANGILE  DE  LUTHER.  75 

Celte  nouvelle  doctrine  de  la  justification  par  la  foi  seule,  Luther 
ne  tarda  |)as  à  la  considérer  comme  le  centre  suprême  de  la  religion, 
comme  le  dogme  essenliel  du  christianisme.  Elle  devint  à  ses  yeux 
la  «  sainte  parole,  la  sainte  révélation  »,  si  longlemps  cachée  sous  le 
boisseau.  Il  la  nommait  tout  court  "  l'Évangile  ",  «  la  bonnenouvelle  », 
et  la  considérait  comme  l'unique  remède  qui  piU  opérer  le  salut  de  la 
chrétienté.  Selon  lui,  elle  contenait  un  évangile  sans  alliage,  presque 
celui  qu'avaient  entendu  les  Apôtres.  "  Le  mot  évangile  «,  disait-il, 
«  ne  signifie  rien  d'autre  qu'un  message  joyeux  et  nouveau,  qu'une 
doctrine,  une  prédication,  promettant  un  événement  heureux,  dont 
on  reçoit  volontiers  l'annonce.  II  ne  faut  donc  pas  entendre  par  évan- 
gile une  loi,  un  précepte  réclamant  de  nous  des  sacrifices,  et  nous 
menaçant  de  châtiment  ou  de  damnation  si  nous  ne  lui  obéissons 
pas;  car  une  telle  nouvelle,  personne  ne  l'apprend  avec  plaisir'.  » 

Ce  nouvel  évangile  se  forma  insensiblement  dans  l'esprit  de 
Luther  à  partir  du  moment  où,  sur  l'invitation  du  prieur  de  son 
Ordre,  Jean  de  Staupitz,  avec  lequel  il  était  intimement  lié,  il  accepta 
de  l'électeur  de  Saxe  les  fonctions  de  professeur  de  philosophie  à 
l'Université  de  Wittemberg,  tout  récemment  fondée  (1508).  Son 
départ  ne  fut  pas  très-vivement  regretté  par  les  religieux  d'Erfurt, 
rapporte  un  contemporain  dans  ses  mémoires;  on  était  las  de  son  goût 
pour  les  disputes,  dans  lesquelles  il  voulait  toujours  avoir  raison  '. 

A  Eisenach,  Luther  se  livra  exclusivement  aux  études  théologiques 
et  bibliques.  En  1512,  il  fut  reçu  docteur  en  théologie,  et  fît  avec 
grand  succès  des  cours  sur  les  Epitres  de  saint  Paul,  particulièrement 
sur  l'Epitre  aux  Romains,  sur  les  Psaumes,  et  sur  saint  Augustin. 
Ses  sermons  à  l'église  collégiale  étaient  extrêmement  suivis.  «  Ce 
Frère  a  des  yeux  bien  profonds!  »  disait  en  parlant  de  lui  Martin 
Pollich,  premier  recteur  de  l'Université  de  Wittemberg;  «  il  aura 
d'étranges  imaginations  M  » 

Plusieurs  années  avant  la  querelle  des  indulgences,  Luther,  avec 
ses  opinions  sur  la  grâce,  la  justification,  la  non-liberté  de  la  volonté 
humaine,  s'était  déjà  placé  en  dehors  de  la  doctrine  de  l'Église,  et 
dès  1515,  au  rapport  de  son  panégyriste  Mathésius,  on  lui  repro- 
chait ses  opinions  peu  orthodoxes  *.  «  Notre  justice  n'est  que  péché  », 

'  Voy.  ce  passage  et  d'autres  analogues  dans  Döllinger,  Reformation,  t.  III, 
p.  173-187, 

'  Voy.  Jürgens,  t.  I,  p.  674.  —  Evers,  t.  I,  p.  53,  note. 

'  KÖSTLIN,  Martin  Luther,  t.  I,  p.  96. 

*  Historien,  p.  9.  Le  changement  décisif  qui  se  produisit  dans  l'ûme  de  Luther 
nous  semble  dater  de  1513  ou  de  1514.  Il  dit  avoir  prêché  trois  ans  à  Wittem- 
berg avant  d'avoir  enseigné  sa  doctrine  en  public.  (Lettre  du  16  octobre  1523, 
voy.  DE  Weïte,  t.  n,  p.  422.)  Cependant  nous  le  voyons  exposer  ses  opinions  en 
chaire  dès  le  commencement  de  1517.  —  Dans  le  Pétri  a  Bceck  Aquisgranum  (Aquis- 
grani,  1620,  p.  255),  il  est  rapporté  que  Luther,  longtemps  avant  d'avoir  exposé 


76  LE  NOUVEL  ÉVANGILE  DE  LUTHER. 

avait-il  dit  daas  un  sermon  prononcé  le  second  jour  de  Noël  (1515); 
u  que  chacun  se  borne  donc  à  accepter  la  grâce  qui  lui  est  offerte 
par  Jésus-Christ  '.  »  «  Apprends,  mon  cher  frère,  à  désespérer  de 
toi-même  ",  écrivait-il  le  7  avril  1516  au  moine  Augustin  Georges 
Spenlein,  à  Menningen;  «  apprends  à  dire  :  Seigneur  Jésus,  tu  es 
ma  justice  et  je  suis  ton  péché  -;  tu  m'as  pris  ce  qui  était  mien,  et 
tu  m'as  donné  ce  qui  était  tien.  Ce  n'est  que  par  Lui,  et  par  un  pro- 
fond mépris  pour  toi-même  et  tes  œuvres,  que  tu  trouveras  la  paix.  » 
"  Apprends  encore  du  Christ  que  puisqu'il  t'a  adopté,  faisant  de  tes 
péchés  les  siens  propres,  il  a  aussi  rendu  sa  justice  tienne.  "  H  était 
dès  lors  si  fermement  convaincu  de  la  vérité  de  cette  doctrine,  qu'il 
y  ajoute  un  anathème  :  «  Maudit  soit  celui  qui  ne  croit  pas  ceci  ^  !  » 
Dans  une  dispute  soutenue  par  lui  en  1516  à  l'Université,  dispute 
qu'il  avait  demandé  le  droit  de  diriger,  bien  que  ce  droit,  selon 
l'ordre  établi,  appartint  à  un  autre,  il  émet  ses  opinions  sous  une 
forme  absolue  et  tranchante.  Il  soutient  entre  autres  la  proposition 
suivante  :  «  L'homme  pèche  quand  il  fait  ce  qui  est  en  lui,  car  de 
lui-même  il  ne  peut  ni  vouloir,  ni  penser  *.  »  Dans  les  vingt-neuf 
propositions  posées  par  lui  pour  un  candidat  au  doctorat  (août  1517), 
on  lit  (quatrième  thèse)  :  «  La  vérité,  c'est  que  l'homme,  n'étant 
qu'une  souche  pourrie,  ne  peut  produire  que  corruption,  ne  peut 
vouloir  et  faire  que  le  mal.  »  Et  dans  la  cinquième  thèse  :  «  11  est 
faux  que  la  volonté  puisse  se  déterminer  d'un  côté  plutôt  que  d'un 
autre.  Ce  qui  est  vrai,  c'est  que  la  volonté  humaine  n'est  pas  libre, 
mais  captive  \  » 

Il  commence,  pendant  le  carême  de  1517,  à  exposer  ses  principes 
en  public.  Eu  chaire,  il  s'échauffe  contre  "  les  inutiles  bavards  qui 
ont  rabâché  à  toute  la  chrétienté  tant  d'inepties,  séduisant  le  pauvre 
peuple  par  leurs  doctrines,  et  lui  enseignant  du  haut  de  leurs  chaires 
qu'on  peut  former  et  exécuter  un  bon  dessein,  une  bonne  résolution  ». 
"  A  dire  le  vrai,  il  nous  faut  abandonner  franchement  cette  espé- 
rance, car  personne  ne  peut  formuler  ni  exécuter  un  bon  dessein.  Là 
où  n'existe  pas  de  volonté,  la  volonté  de  Dieu  reste  la  meilleure  ".  » 


sa  doctrine  en  public,  avait  coutume  de  consulter  les  ouvrages  des  hérétiques 
dans  les  bibliothèques  de  la  ville. 

'  LUTHERI  Op   lalina,  t.  I,  p.   57. 

-  •  ...Tu,  Domine  Jesu,  es  justitia  mea,  ego  autem  sum  peccatum  tuum.  • 

î  De  Wette,  t.  I,  p.  16-18. 

*  «  Homo,  quando  facit  quod  in  se  est,  peccat,  cum  nec  velle  nec  cogitare  ex 
se  possit.  •   Op.  latina,  t.  I,  p.  235. 

5  Op.  latina,  t.  I,  p.  315.  Luther  se  demandait  avec  anxiété  quel  effet  produi- 
saient au  dehors  des  axiomes  si  étranges.  •  On  les  üornrntTi  cacadoxiques  «, 
disait-il;  -  mais  pour  nous,  ils  ne  sauraient  être  qu'orthodoxes.  »  De  Wette, 
t.  I,  p,  60-63. 

«  Sammll.  Werke,  t.  XXI,  p.  192-193. 


THÈSES    DE    LUTHER    SUR    LES    INDULGENCES.    1517.  77 

En  juin  1517,  trois  mois  avant  (jirécIalAl  la  querelle  des  indul- 
gences, le  duc  Georges  manil'eslail  déjà  son  ellroi  sur  les  con- 
séquences qu'une  telle  doctrine  pourrait  avoir  pour  les  fidèles. 
Lor.'sque  Luther,  à  Dresde,  le  25  juillet,  dans  un  sermon  prêché  à 
la  jjrière  du  duc,  assura  que  la  seule  application  des  mérites  de 
Jésus-Christ  nous  donnait  la  certitude  du  salut,  et  que  toute  personne 
possédant  la  loi  ne  pouvait  plus  douter  aucunement  de  sa  justification, 
le  duc,  le  soir  même,  répéta  plusieurs  Ibis  pendant  le  souper,  avec 
un  accent  grave  et  triste,  «  qu'il  donnerait  beaucoup  pour  n'avoir 
pas  entendu  ce  sermon;  qu'un  tel  enseignement  ne  servirait  qu'à 
donner  au  peuple  une  fausse  sécurité,  et  à  le  rendre  incrédule  '  >!. 

La  doctrine  de  Luther,  qu'il  croyait  pouvoir  appuyer  sur  saint 
Augustin,  l'appelant  à  cause  de  cela  confession augustinienne,  préva- 
lait dès  1516  dans  toute  l'Université  de  Wittemberg*. 

Elle  se  propagea  rapidement  en  Allemagne  à  partir  du  31  octo- 
bre 1517. 

Ce  jour-là,  Luther,  à  propos  des  sermons  sur  l'indulgence  prêches 
par  Jean  Tetzel,  Dominicain,  fit  afficher  a  la  porte  de  la  chapelle  du 
château  de  Wittemberg  quatre-vingt-quinze  propositions,  ayant 
pour  but  l'obtention  d'une  dispute  sur  Tefficacite  des  indulgences, 
Tetzel,  dont  les  fidèles  goûtaient  beaucoup  l'enseignement,  venait 
d'être  nommé  sous-commissaire  apostolique  par  l'archevêque  Albert 
de  l\Iayeiice,  avec  mission  d'annoncer  et  de  prêcher,  dans  tuutc  l'Alle- 
magne du  Nord,  rindulgeuce  publiée  par  Léon  X  pour  la  construc- 
tion du  dôme  de  Saint-Pierre  ^  Ses  prédications  étaient  extrême- 
ment suivies.  Dans  l'une  des  instructions  remises  par  lui  de  la  part 
de  l'archevêque  aux  curés  de  paroisses  et  aux  confesseurs,  il  était 
expressément  recommandé  aux  fidèles  désireux  de  participer  à  la 
grâce  de  l'indulgence,  de  s'acquitter  premièrement  de  leurs  devoirs 
religieux,  de  s'approcher  du  sacrement  de  pénitence,  de  recevoir  la 
communion,  et  de  jeûner  la  veille  de  leur  confession.  Les  prédicateurs 
étaient  invités  à  mener  une  vie  régulière,  à  éviter  les  hôtelleries,  les 
fréquentations  suspectes  et  les  dépenses  inutiles  *.  Malgré  ces  précau- 

'  Voy.  Seidemann,  Leipziger  Disputation,  p.  4-5. 

»  Christophe  Scheurl,  juriste  de  Nuremberg,  parle  de  la  •  confession  augus- 
tinienne •  dans  une  lettre  à  Luther,  2  janvier  1517.  (Schewi's  Briefbuch,  t.  II,  p.  1.; 

•  Theologia  nostra  et  S.  Augustinus  •,  écrit  Luther  le  18  mai  1517  à  Jean  Lange, 

•  prospère  procedunt  et  régnant  in  nostra  Universitate  Dec  opérante.  •    De 
Wette,  t.  1,  p.  57. 

'  Voyez  plus  haut,  p.  65. 

*  Inslruclio  summaria  pro  suhcommissariis ,  pœnitentiariis  et  con/essoribus.  Yo)'. 
Kapp,  Sammlung,  117-184.  Pour  plus  de  détails  sur  cette  instruction  et  sui- 
les  critiques  qui  m'ont  été  faites  à  ce  sujet,  voy.  l'opuscule  intitulé  :  Au  meine 
Kritiker,  p.  69-77,  et  Ein  ztceiles  Wort  au  meine  Kritiker,  p.  24-26. 


78  THÈSES    DE    LUTHER    SUR    LES    INDULGENCES.    1517. 

lions  et  ces  sages  avis,  de  graves  abus  ne  tardèrent  pas  à  se  pro- 
duire. L;i  conduite  des  prédicateurs,  leur  manière  d'offrir,  de 
vanter,  de  mettre  à  prix  les  billets  d'indulgence,  causèrent  plus 
d'un  scandale  '. 

Mais  ces  abus  n'étaient  pas  le  principal  motif  de  la  campagne 
entreprise  par  Luther.  Ce  qu'il  entendait  avant  tout  combattre, 
c'était  le  dogme  même  de  Tindulgence,  et  surtout  la  doctrine  de 
l'Église  sur  l'efficacité  des  bonnes  œuvres,  si  manifestement  contraire 
à  ses  opinions  sur  la  justification  et  la  non-liberté  de  la  volonté 
humaine.  Dans  un  de  ses  sermons  de  carême  (1517),  il  s'était  écrié  : 
a  Jésus-Christ  a  mis  la  satisfaction  dans  le  cœur.  Tu  n'as  donc  nul 
besoin  de  courir  à  Rome,  à  Jérusalem,  à  Saint-Jacques,  ici  ou  là,  pour 
gagner  l'indulgence.  La  bulle  du  Christ  est  ainsi  conçue  :  Si  vous 
pardonnez  à  ceux  qui  vous  ont  fait  quelque  tort,  mon  Père  aussi 
vous  pardonnera;  que  si  vous  ne  pardonnez  pas,  mon  Père  ne 
vous  pardonnera  pas  davantage.  »  Or  c'était  précisément  là  ce  que 
l'Église  avait  toujours  enseigné.  Elle  n'avait  cessé  de  répéter  que 
la  véritable  amélioration  du  cœur,  la  digne  réception  des  sacre- 
ments étaient  les  indispensables  conditions  de  l'indulgence,  grâce 
qui  n'est  autre  chose  que  la  remise  de  la  peine  temporelle  due  au 
péché.  Mais,  selon  Luther,  la  bulle  d'indulgence  du  Christ,  scellée 
par  ses  plaies,  confirmée  par  sa  mort,  était  presque  oblitérée  et 
corrompue  par  les  averses  d'indulgences  que  Rome  faisait  pleu- 
voir sur  la  chrétienté.  D'ailleurs,  le  Christ  n'avait  pas  dit  :  ^  Pour  que 
tes  péchés  soient  effacés,  il  faut  que  tu  jeûnes  tant  de  fois,  que  tu 
récites  tant  de  prières,  que  tu  donnes  telle  aumône,  que  tu  fasses 
ceci,  cela.  Il  s'était  borné  à  demander  à  l'homme  de  quitter  sa  mau- 
vaise voie,  et  de  pardonner  à  ceux  qui  l'avaient  offensé.  »  «  11  est 
vrai  ",  ajoutait  Luther,  t<  qu'une  telle  indulgence  n'avancerait  guère 
la  construction  de  Saint-Pierre,  chère  au  diable,  et  qu'elle  édifie- 
rait les  temples  du  Christ,  que  le  diable  hait!  «  Après  l'énoncé  de 

'  Voy.  ROHRBACHER-SCHULTE,  Universalgeschichte  der  Katolischen  Kirche  (Münster, 
1873,  p.  18-24).  Il  était  expressément  recommandé  aux  prédicateurs  de  l'indul- 
gence de  n'excepter  personne  de  la  grâce  accordée  par  l'Église;  «  car  il  faut 
avoir  autant  d'égard  à  l'intérêt  des  fidèles  qu'à  la  construction  de  Saint- 
Pierre».  «Ceux  qui  ne  peuvent  donner  d'argent  remplissent  les  conditions 
imposées  au  moyen  de  la  prière  et  du  jeûne,  car  le  royaume  du  ciel  est  aussi 
bien  pour  les  pauvres  que  pour  les  riches.  »  (Kapp,  Sammlung,  147,  172.)  —  Jérôme 
Emser  est  le  premier  à  se  plaindre  -  de  ces  commissaires  rapaces,  moines  et  | 
prêtres,  qui  prêchent  l'indulgence  d'une  manière  scandaleuse...  appuyant 
l)ien  plus  sur  la  question  d'argent  que  sur  la  confession,  la  contrition,  la  péni-  ' 
tence  ».  U  idcr  das  unchristlichc  Buch  Luthers  an  den  deutschen  AdelBl.  g.  4.  Le  Cardinal 
Sadolet  dit  à  propos  de  l'indulgence  accordée  par  Léon  X  :  «  ...quas  ego  indul- 
gentias  atque  adeo  potius  indulgentiarum  illarum  ministros  neque  nunc  défende, 
et  tune  cum  décréta'  illse  atque  publicata'  sunt,  recordor  me  contradixisse,  •  etc. 
Sadoleti  0;??ra 'Moguntia',  1607,  p.  753). 


LUTHER    ET    TETZ  EL.  79 

scniblablcs  paroles,  qu'éfait-il  besoin  que  ï.uther  affirmât  ne  point 
rejeler  rinfliil{^;ence  romaine  '?  De  tels  sermons  remuaient  et  trou- 
blaient nécessairement  la  foi  des  fidrles.  Plus  lard,  s'expliquant  fran- 
chement sur  les  secrets  mobiles  de  sa  conduiîe  passée,  Luiher  écrivait 
h  Teizel  :  «  Restez  calme,  car  la  chose  n'a  pas  commencé  par  moi, 
l'enfant  a  bien  un  autre  père  '!  »  ><  De  graves  abus  s'élaient  iniroduits 
dans  le  clergé  «,  écrit-il  dans  un  mémoire  rédigé  pour  l'électeur  de 
Saxe;  «  les  États  s'en  étaient  plaints,  le  F^ape  avait  promis  d'y 
apporter  remrde;  mais  comme  ces  abus  n'avaient  point  été  réprimés 
par  ceux-là  mêmes  qui  eu  avaient  la  charge,  ils  commençaient  main- 
tenant à  tomber  d'eux-mêmes  dans  tous  les  territoires  allemands. 
Eux  seuls  étaient  cause  du  mépris  dont  les  prêtres  étaient  l'objet,  de 
leur  réputation  d'ignorance,  d'incapacité,  et  de  la  méfiance  générale 
qu'ils  inspiraient.  Or  la  déchéance  du  clergé,  la  cessation  des  abus, 
élait  déjà,  pour  ainsi  dire,  un  fait  accompli  avant  qu'apparût  la 
doctrine  luthérienne,  car  le  monde  entier  était  las  des  abus  ecclé- 
siastiques. »  Luther  attachait  une  importance  capitale  à  ce  qu'il  appe- 
lait emphatiquement  «  sa  doctrine  ».  A  l'entendre,  la  religion  lui 
devait  son  salut  \ 

Tetzel,  en  cent  dix  antithèses*,  réfuta  les  propositions  de  Luther 
à  l'Université  de  Francfort-sur-l'Oder,  où  il  venait  d'être  promu  au 
grade  de  docteur  en  théologie  (1517).  Ces  antithèses  exposent  avec 
clarté  et  concision  la  doctrine  de  l'Église  sur  les  indulgences.  Tetzel 
y  insiste  surtout  sur  les  points  suivants  :  les  indulgences  n'effacent 
pas  le  péché;  elles  ne  font  que  remettre  les  peines  temporelles  que 
le  péché  a  méritées,  à  condition  qu'il  ait  été  préalablement  regretté 
et  confessé;  la  doctrine  des  indulgences  n'amoindrit  en  aucune 
manière  la  foi  du  fidèle  en  l'unique  efficacité  des  mérites  de  Jésus- 
Christ,  puisque  l'indulgence  ne  fait  autre  chose  que  substituer  aux 
chùliments  satisfactoires  la  Passion expiatrice  du  Rédempteur*.  -^  Le 

^Samvitl.  IVerIce,  t.  XXI,  p.  2t2-2t3. 

'  De  Wette-Seidemann,  t.  VI,  p.  18. 

»  De  Wette,  t.  III,  p.  439.  —  Siimmtl.  Werke,  t.   LIV,  p.  63-64. 

*  L'opinion  communément  répandue  que  Tetzel  aurait  brûlé  publiquement 
les  thèses  de  Luther,  n'est  pas  fondée.  Voy.  Gröne,  p.  122-126.  Les  Antithèses 
de  Tetzel  furent  brûlées  par  les  étudiants  de  Wittemberjj  sur  la  place  du  mar- 
ché. Voy.  sur  ce  fait  les  lettres  de  Luther  du  21  mars  et  du  9  mai  I.'IS.  Dr  Wette, 
t.  I,  p.  98-99,  109,  et  les  passages  cités  par  BüRCKH.*.nDT,  Luthers  Briefwechsel,  p.  10. 
L'auteur  de  l'article  sur  Wimpina,  dans  le  Mainztr  CathoUk,  Meue  Folge,  t.  XXII, 
p.  129-132,  a  prouvé  que  Tetzel  était  bien  l'auteur  des  antithèses,  et  non  Wim- 
pina. —  Voy.  aussi  Grone,  p.  74-81.  •  Quiconque  lira  les  antithèses  de  Tetzel  •, 
dit  Hefele  dans  le  Titbingcr  Quartalschri/i  (année  1854,  p.  631),  t  sera  forcé  de  con- 
venir qu'il  possédait  à  fond  la  difficile  doctrine  des  indulgences,  et  que  ses 
arguments  sont  incontestablement  préférables  à  ceux  du  très-célèJ)re  D"^  Eck.  - 

'  Gröne.  p.  81-96. 


80    VÉRITABLE    PORTÉE    DE    LA    QUERELLE    DES    INDULGENCES. 

saint  concile  de  Constance  »,  dit  Tetzel,  "  l'a  récemment  défini  : 
Pour  [jagner  l'indulgence,  il  faut,  selon  les  conditions  imposées 
par  la  sainte  Église,  confesser  ses  péchés  avec  repentir  et  former 
le  ferme  propos  de  ne  les  plus  commettre.  On  trouve  ces  conditions 
exposées  avec  détail  dans  toutes  les  bulles  papales  »  ;  «  ceux  qui 
gagnent  l'indulgence  sont  établis  dans  un  vrai  repentir  et  amour 
de  Dieu.  Or  ces  sentiments  ne  sauraient  laisser  le  chrétien  inactif 
et  tiède;  ils  l'animent,  au  contraire,  dans  le  service  de  Dieu,  et  l'exci- 
tent à  procurer  sa  gloire  par  de  saintes  actions.  Il  est  clair  que  les 
fidèles  qui  ont  gagné  l'indulgence  par  leur  ferveur  sont  de  bons 
chrétiens,  craignant  Dieu,  et  non  des  âmes  tièdes  et  relâchées.  « 
«  L'indulgence  est  surtout  accordée  en  vue  de  la  gloire  de  Dieu,  et 
celui  qui  fait  l'aumône  pour  la  mériter  est  bien  évidemment  charitable 
par  amour  pour  Dieu,  puisqu'il  lui  serait  impossible  de  l'obtenir  sans 
un  vrai  repentir  et  sans  une  grande  charité.  Or,  celui  qui  fait  le  bien 
par  amour  de  Dieu  agit  selon  Dieu  '.  »  Tetzel  recommande  aux 
prédicateurs  de  bien  faire  comprendre  aux  fidèles  que  nos  œuvres  de 
justice  ne  suffisent  pas  pour  le  salut,  auquel  nous  ne  saurions  jamais 
atteindre  sans  le  secours  de  la  divine  miséricorde  *.  Parmi  les 
bulles  et  lettres  d'indulgence  où  ces  doctrines  sont  le  mieux  précisées, 
il  faut  citer  un  décret  de  Léon  X  (1518),  où  nous  lisons  :  «  Le  Pape, 
en  sa  qualité  de  successeur  de  saint  Pierre,  possesseur  des  clefs, 
vicaire  de  Jésus-Christ  sur  la  terre,  en  vertu  du  pouvoir  qui  lui  a  été 
remis,  a  tout  aussi  bien  la  puissance  de  remettre  les  péchés  aux 
fidèles  que  de  les  délivrer  des  châtiments  dus  à  ce  péché.  Le  Pape 
efface  les  offenses  du  pécheur  au  moyen  du  sacrement  de  pénitence, 
et  le  délivre  du  châtiment  temporel  au  moyeu  de  l'indulgence  ^  » 

Tetzel,  d'un  coup  d'œil  pénétrant,  devina  tout  de  suite,  à  la  vive 
sensation  produite  par  les  thèses  de  Luther,  que  la  querelle  com- 
mencée n'était  pas,  comme  le  pensaient  plusieurs,  une  simple  dispute 
d'école.  Il  y  vit  aussitôt  une  lutte  de  principes  d'une  immense  portée, 
lutte  touchant  aux  fondements  de  la  foi  et  à  l'autorité  même  de 
l'Église.  Il  se  plaignit,  dans  sa  réfutation  du  Traité  sur  les  mdulgences 
et  la  grâce,  publié  par  Luther  en  réponse  aux  Antithèses,  que  le  Pape  et 
l'Église  y  étaient  tournés  en  dérision;  il  ne  prévoyait  que  trop, 
disait-il,  que  désormais  on  n'ajouterait  plus  foi  aux  enseignements 
de  l'Église,  et  qu'on  interpréterait  la  sainte  Écriture  à  sa  guise  *. 

Maximilien,  lui  aussi,  avait  promptement  aperçu  toute  l'impor- 

1  Dans  Rapp,  Sammlung  332  fii.  —  Voy.  K.  M.  IIermann,  Joh.  Telzd  (Franc- 
fort, 1882),  p.  31-32. 

'  Rapp,  Schauplatz  des  Telzelischen  Ablasskrames  (Leipzig,  1720),  p    48 
^  Kapp.  Sammlung  461. 
''Gno-NE,  p.  103-109. 


LUTHER    ET    LE    NOUVEL    EVANGILE.  81 

tance  de  la  queslion  soulevée.  ;<  Les  nouveautés  de  Luther  >',  écrivait- 
il  au  Pape  le  5  aoiit  1518,  <  mettront,  si  l'on  ne  s'y  oppose  éuer- 
giquement,  l'unité  de  la  foi  en  péril;  aux  vérités  traditionnelles  du 
salut,  on  substituera  bientôt  les  opinions  privées  '.  » 

Luther,  dès  le  début,  regarda  sa  cause  comme  étant  celle  même 
de  Dieu.  Toutes  ses  opinions  lui  semblaient  autant  de  vérités  acquises, 
dont  jamais  il  ne  devrait  se  désister.  En  envoyant  à  son  ami  .lean 
Lan[',e  (11  novembre  1517)  ses  premières  thèses  sur  les  indulgences, 
il  lui  écrit  qu'on  lui  reproche  sa  légèreté,  son  orgueil,  sa  manie  de 
condamner;  mais  ■■•  sans  orgueil,  ou  du  moins  sans  apparence  d'orgueil 
et  sans  dispute,  aucune  nouvelle  doctrine  ",  selon  lui,  «  ne  peut  être 
annoncée  au  monde  ».  Il  appuie  celle  opinion  sur  l'exemple  du  Christ 
et  des  martyrs  :  «  Pourquoi  Jésus-Christ  et  tous  les  martyrs  onl-ils  été 
mis  à  mort?  Pourquoi  les  saints  docteurs  se  sont-ils  attiré  la  haine  et 
l'envie,  si  ce  n'est  parce  qu'ils  étaient  considérés  comme  les  orgueil- 
leux contempteurs  de  la  sagesse  ou  de  la  prudence  antique  partout 
en  honneur,  et  que,  sans  se  préoccuper  des  maîtres  de  l'ancienne 
sagesse,  ils  prêchaient  une  nouvelle  doctrine  ^?  "  Il  écrit  à  Spa- 
latin,  peu  de  mois  après  (14  janvier  1518),  qu'il  méprise  de  tout 
cœur  ses  vaines  terreurs  au  sujet  de  l'excommunication,  ajoutant 
qu'il  craint  si  peu  les  arrêts  de  l'Église  et  ses  axiomes  purement 
humains,  qu'il  se  propose  d'entreprendre  bientôt  une  guerre 
ouverte  contre  eux.  La  miséricorde  de  Dieu  saura  bien  le  pro- 
téger ^ 

A  l'entendre,  il  enseigne  la  plus  pure  théologie  :  «  Elle  parait,  il 
est  vrai,  aux  plus  saints  des  Juifs,  un  scandale;  aux  plus  sages  des 
Grecs,  une  folie  »;  cependant,  tout  ce  que  Luther  tient  pour  vrai  et 
tout  ce  que  ses  adversaires  attaquent  dans  ses  écrits.  Dieu  lui-même 
le  lui  a  révélé  *. 

'  Kaynaldi  Annales  eccl.  ad  annum  1518,  n»  90.  —  LUTHERI  Op.  latina,  IF,  p.  349-350. 

'  Voy.  T)E  Wette,  t.  I,  p.  72-73. 

^  De  Wette,  t.  I,  p.  86.  Voy.  la  lettre  de  Luther  à  Spalatin,  15  février  1518,  et 
ce  qu'il  y  dit  de  son  adversaire,  qu'il  accuse  d'avoir  jeté  le  soupçon  d'hérésie  sur 
l'Université  de  Wittemberf;.  Pour  la  première  fois,  dans  la  préface  de  la  seconde 
édition  de  la  Théologie  allemande,  Luther  parle  de  -  quelques  savants  docteurs  qui 
se  sont  exprimés  avec  mépris  sur  les  théologiens  de  Wittemberg,  et  prêtent  à 
Luther  et  à  ses  amis  le  dessein  d'introduire  en  Allemagne  des  nouveautés  reli- 
gieuses ..  Dans  la  préface  de  la  première  édition  (1505)  ce  passage  ne  se  trouve 
pas.  Voy.  Sämmtl.  Werke,  t.  LMII,  p.  235-238.  —  Sur  ce  point,  DöUinger  est  à  tgcü- 
fiiv  (Reformation,  t.  Ill,  p.  11-121.  L'ouvrage  de  Staupitz,  cité  par  Luther  dans  sa 
lettredu  31  mars  1518,  n'est  pas,  comme  le pense'de  Wette,  la  Théologie  allemande, 
I  mais  le  Livret  sur  l'imitation  de  l'oblation  volontaire  du  Christ.  —  Voy.  Stalpitii  Opera, 
f  t.  I,  p.  50  et  suiv. 

*  "  Egoautem,  ut  mihi  conscius  sum,  non  nisi  sincerissimam  theologiam  me 
•Jocere,  ita  jam  diu  prap.<;cius  fui  fore  ut  sanctissimis  Judaeis  scandalum  et 
Japientissimis  Graecis  stuliitiam  predicarem.  Sed  spero  me  debitorem  esse  ,Iesu 
I  hristo.  qui  et  mihi  forte  dicit  :  Ostendam  ei  quanta  opporteat  eum  pati  prop- 

II.  6 


82  LUTHER    ET    LE    NOUVEL    ÉVANGILE. 

Dès  lors  il  estimait  que  soa  nouvel  «  évangile  :>  de  la  justification 
par  la  foi  sans  le  secours  des  bonnes  œuvres,  et  son  opinion  sur  la 
non-liberté  de  la  volonté  humaine,  étaient  des  dogmes  tout  aussi 
importants  que  les  plus  grandes  vérités  du  christianisme;  aussi  le 
voit-on  souvent  renouveler  la  déclaration  qu'il  avait  faite  dès  les 
premières  années  de  la  lutte,  et  affirmer  qu'il  ne  se  soumettra  au 
Pape  et  à  l'Église  que  dans  le  cas  où  le  Saint-Père  et  l'Église  tien- 
dront ses  opinions  personnelles  pour  orthodoxes,  et  se  converti- 
ront à  son  nouvel  évangile.  11  est  donc  facile  de  comprendre  que 
ni  les  écrits  de  controverse,  ni  les  négociations  entamées  par  le  car- 
dinal Caietan  sur  l'ordre  du  Pape  (Augsbourg,  octobre  1518),  ni  les 
timides  essais  de  conciliation  de  Charles  de  Miltitz,  ne  pouvaient 
avoir  aucune  influence  sur  son  esprit.  Persuadé  que  les  foudres  du 
Vatican  allaient  l'atteindre,  Luther,  dès  le  mois  de  juillet  1518,  prêche 
sur  l'excommunication  et  sur  ce  qu'il  en  faut  penser.  Niant  la  doctrine 
catholique,  il  pose  alors  un  nouveau  principe  :  L'Église,  en  (ant  que 
société,  n'est  pas  un  corps  visible,  mais  une  communauté  invisible, 
et  nul  ne  peut  en  être  séparé  par  l'excommunication,  car  le  péché 
seul  rend  indigne  d'en  faire  partie  '. 

Luther,  fermement  convaincu  que  Dieu  lui  a  confié  la  mission 
d'annoncer  le  dogme  essentiel  du  christianisme,  obscurci  et  défiguré 
depuis  les  Apôtres,  va  bientôt  jusqu'à  dire  :  «  Je  n'admets  pas  que 
ma  doctrine  puisse  être  jugée  par  personne,  même  par  les  anges.  ■- 
<'  Celui  qui  ne  reçoit  pas  ma  doctrine  ne  peut  parvenir  au  salut  *.  >: 
La  même  conviction  lui  fait  adopter  des  termes  depuis  longtemps 
employés  par  les  hussites  et  autres  hérétiques  du  seizième  siècle  ^  : 
le  Pape  devient  pour  lui  l'Antéchrist,  et  l'Église  languit  dans  un 
étal  de  captivité  babylonienne. 

Sa  doctrine  lui  avait  été  révélée  par  Dieu  même,  seule  elle  con- 
duisait au  salut,  le  Pape  élait  l'Antéchrist;  ces  assertions  passèrent 
bientôt  à  l'état  d'idées  fixes  dans  l'esprit  de  Luther,  et  devinrent  les 
moteurs  de  toute  sa  vie  et  de  tous  ses  actes. 

Le  11  décembre  1818,  en  envoyant  â  un  de  ses  amis,  à  Nuremberg, 

ter  nomen  meum.  Si  enim  id  non  dicit,  cur  in  officium  verbi  hujus  me  invic- 
tissimura  posuit?  Aut  cur  non  aliud  docuit,  quod  loquerer?  fuit  voluntas  sua 
sancta.  '  10  juillet  1518,  à  Wenceslas  Link.  -^  ...Id  mihi  reliquum  est  et  cordis  et 
conscientige,  quod  oninia  quae  haheo.  qureque  ipsi  impugnant,  ex  Deo  me 
habere  cognoscam  et  confitear.  •  21  août  1518,  lettre  à  Spalatin.  De  Wette,  t.  I, 
p.  129  voy.  t.  VI,  p.  537,  note  5)  et  132. 

^  Sermo  de  virtu'.e  excommunicationis.  Op.  latina,  II,  p.  306-313.  «  Quid  futuri  mail 
mihi  iaLumbat  »,  écrit  Luther  en  juin  1518  à  propos  du  sermon  cité  ci-dessus. 
«  omnes  expectamus  novum  ignem  succendi,  sed  iia  jacit  veibum  veritaiis  signum, 
cui  contradicitur.  -  De  Wette,  t.  I,  p.  130 

■^Sämmil.  ll'erke,  t.  XXVIII,  p.  144. 

2  Voy.  notre  premier  volume,  p.  581-582. 


DISPUTE    DE    LEIPZIG.    1,0  19.  8» 

le  compte  rendu  de  ses  pourparlers  avec  le  cardinal  Caietan,  il  écrit  : 
K  De  bien  plus  grandes  idées  assié^jent  ma  plume;  je  t'enverrai  mes 
petits  essais,  afin  que  tu  puisses  voir  si  j'ai  raison  de  supposer  que 
le  véritable  Antéchrist,  décrit  par  saint  Paul,  r('{jne  en  ce  moment  à 
Rome,  et  soit  bien  plus  à  redouter  que  le  Turc;  je  crois  pouvoir  le 
prouver  '.  »  «  La  cour  romaine  »,  écrit-il  le  10  décembre  1518  à  Spala- 
tin,  «  lutte  contre  le  Christ  et  son  Église  de  concert  avec  tant  de 
monstres,  qu'en  fait  de  tyrannie  elle  va  plus  loin  que  tous  les  Turcs.  " 
Et  le  13  mars  1519  :  «  .le  te  dirai  en  confidence  que  j'ignore  si  le 
Paj)e  est  véritablement  l'Antéchrist,  ou  seulement  son  apôtre  '.  » 
Cependant  dix  jours  auparavant  il  avait  écrit  au  Saint-Père  :  «  Dieu 
et  toutes  les  créatures  me  sont  témoins  que  je  n'ai  jamais  eu  l'inten- 
tion de  combattre  l'Église  romaine,  et  que  je  ne  mets  rien  au-dessus 
d'elle  au  ciel  et  sur  la  terre  ^  "  Ce  qui  ne  l'empêchait  pas  de  déclarer, 
au  mois  de  mai  de  cette  même  année,  que  ce  n'était  que  par  con- 
descendance pour  l'électeur  de  Saxe  et  l'Université  qu'il  s'abste- 
nait "  de  vomir  tout  ce  qu'il  avait  sur  le  cœur  contre  Rome,  ou  pour 
mieux  dire  contre  Babylone,  la  corruptrice  de  la  sainte  Écriture  et 
de  l'Église  *  ". 

Telle  était  déjà  sa  disposition  d'esprit  lorsque  eurent  lieu  entre  lui  et 

Jean  Eck  (juin  et  juillet  1519)  les  célèbres  colloques  connus  sous  le 

nom  de  Dispute  de  Leipzig  ^  Lorsque,  dans  le  cours  de  la  discussion, 

son  adversaire  lui  reprocha  très-justement  d'avoir  pris  vis-à-vis  de 

la  primatie  du  Pape  une  attitude  qui  ne  différait  guère  de  celle  des 

hussites;  lorsqu'il  lui  dit  que  les  Frères  de  Bohême  se  vantaient  avec 

I  raison  d'avoir  trouvé  en  lui  un  nouvel  adepte  et  un  protecteur 

i  Luther  repoussa  vivement  toute  communauté  de  sentiments  avec  les 

1  hérétiques  de  Bohême.  «  Jamais  »,  assurait-il,  «  son  intention  n'avait 

i  été  de  susciter  un  schisme,  jamais  il  ne  donnerait  les  mains  à  un 

I  pareil  dessein.  »  En  février  1519  il  avait  écrit  «  que  sous  aucun  pré- 

!  texte,  si  grand  qu'il  fût  ou  pût  devenir,  il  ne  pouvait  être  permis  de  se 

!  séparer  de  l'Église  romaine  ».  "  Non,  aucun  crime,  nul  abus,  ne  peut 

I  justifier  une  scission.  Jamais  il  ne  peut  être  légitime  de  déchirer 

!  l'unité.  »  A  Leipzig,  il  répète  encore  que  les  hussites  ont  eu  tort  de 

se  séparer  de  Rome. 

'  De  Wette,  t.  I,  p.  192. 

*  De  Wette,  t.  I,  p.  200-239. 
'  De  Wette,  t.  I,  p.  233-235. 

*  De  Wette,  t.  I,  p.  260. 

*  La  dispute  de  Leipzifj  a  eu  un  tel  retentissement,  et  l'on  entend  encore 
(  aujourd'hui  affirmer  si  souvent  que  Luther  y  a  été  entraîné  malgré  lui  par 
I  Eck,  qu'on  nous  permettra  de  grouper  ici  quelques  faits  positifs  relatifs  à  cette 
',  question. 

i      I.  A  la  prière  de  l'évêque  d'Eichstaedt ,   Eck   avait  rassemblé  sous  le  nom 
I  d'Obélisques  [dàQue;  critiques)  une  série  de  remarques  sur  un  certain  nombre  de 

I  6. 


84  LUTHER    SE    DECLARE    HUSSITE. 

Mais  peu  de  temps  après  il  ch;mgea  subitement  de  lang^age  et 
apprécia  tout  différemment  l'hérésie  de  Bohème;  c'est  qu'il  avait 
reçu,  le  3  octobre  1519,  des  lettres  de  deux  chefs  hussites  qui  lepres- 

propositions  avancées  par  Luther,  remarques  non  destinées  à  la  publicité.  Sans 
qu'il  pût  deviner  par  quelle  voie  ce  travail  tomba  entre  les  mains  de  Luther, 
qui  avait  le  docteur  Eck  en  grande  estime  à  cette  époque  (voy.  ses  lettres  dans 
DE  Wette,  t.  L  p.  63,  lOO,  et  le  Briejbuch  de  Schelrl,  t.  F,  p.  425),  néanmoins  il 
riposta,  en  mars  I5I8,  par  ses.'îi^e"^?«««  (Étoiles  critiques)  Asterisci  Luiheri  adversus 
Obeliicos  Eccii  (in  Op.  latina,  t.  \,  p.  405-456). 

II.  Pour  défendre  ses  assertions,  mais  sans  citer  Eck  ni  les  Obélisques,  Luther, 
le  26  avril  1518,  ouvrit  au  monastère  des  Augustins  d'Heidelberg,  où  lavaient 
appelé  les  affaires  de  son  Ordre,  nne  dispute  publique  à  laquelle  assistèrent  un 
grand  nombre  de  professeurs,  d'étudiants,  de  bourgeois  et  de  courtisans. 
Luther,  dans  cette  dispute,  soutint  vingt-huit  propositions  théoiogiques  et  qua- 
rante philosophiques.  Ces  thèses  déplurent  aux  théologiens  d'Heidelberg  i  ■■  pere- 
grina  illis  videbatur  theologia  »),  et  l'un  d'eux  émit  l'opinion  que  -  si  rustici 
haec  audirent,  certe  lapidibus  vos  obruerent  et  interficerent  ».  (Lettre  de 
Luther,  18  mai,  de  Wette,  t.  I,  p.  3.)  Dans  ses  thèses,  et  les  notes  justificatives 
publiées  postérieurement  {Op.  latina,  t.  I,  p.  387-444),  Luther  développe  nette- 
ment sa  nouvelle  doctrine  sur  la  justification  parla  foi  seule,  sur  la  complète 
captivité  de  la  volonté  de  l'homme,  et  sur  les  œuvres  humaines,  toutes  entachées 
de  péché.  "  L'homme  ",  dit-il,  ^  est  dans  la  main  de  Dieu  comme  la  scie  dans 
la  main  du  charpentier.  » 

m.  Content  des  résultats  de  la  dispute  d'Heidelberg,  qui  lui  avait  fait  beau- 
coup d'amis  dans  l'Allemagne  du  Sud  (Martin  Bucer,  entre  autres,  qui  est  d'avis 
que  Luther  joint  à  la  vigueur  d'un  saint  Paul  la  finesse  d  un  Érasme.  Voy. 
Kahxis,  t.  I,  p.  213\  [,uther,  à  son  retour,  eût  aimé  soutenir  à  Erfurt  une  dispute 
publique  (voy.  KiMPSCHCLTE,  t.  II,  p.  19-20).  «  Erfurdiensibus  •,  écrit-il,  -  mea 
theologia  est.  Bis  mortem  cratnbe.  ■■■■  Mais  ses  anciens  professeurs,  Trutvetter  et 
Usingen  (voy.  Kampschllte,  t.  II,  p.  17-18),  l'exhortèrent  paternellement  à 
changer  d'attitude  vis-à-vis  de  l'Église.  Luther,  répondant  à  ces  conseils,  écrit 
à  Trutvetter  (9  mai  1518):  «  Ego  simpliciter  credo  quod  impossibile  sit  eccle- 
siam  reformari  nisi  funditus  canones  decrciales,  scholastica  theologia,  philosophia, 
logica,  ut  nunc  habentur,  eradicentur  et  alia  studia  instituantur.  »  Il  écrit  à 
Spalatin  le  18  mai  que  les  vieillards  entêtés  méprisaient  sa  doctrine,  mais 
que  la  jeunesse  était  pour  lui  :  «  Eximia  spes  mihi  est,  ut,  sicut  Christus  ad 
gentes  migravit  rejectus  a  Judaeis,  ita  et  nunc  quoque  vera  ejus  theologia, 
quam  rejiciunt  opiniosi  illi  senes,  ad  juventutem  sese  transférât.  »  De  Wette, 
t.  I,  p.  188-112, 

IV.  Ce  qui  ralluma  la  guerre  entre  Eck  et  Luther,  ce  fut  la  malencontreuse 
démarche  de  Carlstadt,  l'ami  et  le  collègue  de  Luther  :  il  défendit  publiquement 
ce  dernier  contre  les  Obélisques  inédites  de  Eck,  et  il  en  publia  une  partie  en  les 
défigurant  et  en  les  accompagnant  d'injures  à  l'adresse  de  Eck.  (Löscher,  t.  II, 
p.  66-104.)  En  vain  Eck  (29  mai  1518)  pria-t-il  instamment  Carlstadt,  et  cela  de 
la  manière  la  plus  conciliante,  de  s'abstenir  de  ces  attaques  publiques  (Löscher. 
t.  II,  p.  64-65);  en  vain  adressa-t-il  la  même  prière  à  Luther  par  l'entremise  de 
Christophe  Scheurl  (de  Wette,  t.  I,  p.  125)  :  Luther,  au  mois  d'août,  fit  paraître 
ses  Asiériques.  Eck  s'abstint  de  se  justifier.  Il  se  borna  à  réfuter  les  attaques  de 
Carlstadt  dans  un  langage  plein  de  dignité  et  de  calme.  Löscher,  t.  II,  p.  107, 
en  convient  lui-même.  Cependant  son  amer  adversaire  continua  à  lui  refuser 
la  paix  qu'il  souhaitait  si  sincèrement.  (Voy.  l'article  sur  la  dispute  de  Leipzig 
dans  le  KathoUh  de  .Mayence,  1872,  liv.  de  septembre-novembre.) 

V.  Pendant  qu'avaient  lieu  les  conférences  avec  le  cardinal  Caietan  (octo- 
bre 15I8I,  Luther  sollicita  instamment  la  permission  de  discuter  ses  opinions  en 
public.  Le  19  novembre  1518,  il  écrit  à  l'électeur  Frédéric  de  Saxe  :  •  Il  (Caietan) 
refuse  de  m'autoriser  à  discuter  publiquement  mes  opinions;  cependant  je  ne 
renonce  pas  encore  à  tout  espoir.  Peut-être  pourrais-je  organiser  une  dispute. 


LUTllEH    SE    DÉCLARE    HUSSITE.   1020.  85 

saient  de  marcher  hardimenl  en  avant.  «  Ce  que  .lean  Huss  a  élé 
autrefois  pour  la  Bohême  »,  lui  écrivait  l'un  d'eux,  prévôt  de  l'église 
abbatiale  de  Saint-Charles,  à  Prague,  «  toi,  Martin,  tu  l'es  maintenant 

soit  à  Leipzig,  soit  à  Erfurt,  soit  à  Halle,  à  Magdebourg  ou  en  tout  autre  lieu  où 
Votre  Grâce  a  autorité,  celte  discussion,  /oi«  dy  renoncer, je  l'implore  de  Votre  Grâce.  - 
(.  Quin  etiain  oro  et  utinain  exoreni.  «)  De  Wettf.,  t.  I,  p.  185.  Il  rappelle  aussi 
dans  une  lettre  à  .Miltiz  {17  mai  1519)  que  Caietao  lui  a  refusé  la  discussion 
publique.  —  (De  Wf.tte,  t.  I,  p.  276.) 

VI.  Cependant,  pour  parvenir  ù  ses  fins,  il  somme  Eck,  qu'il  rencontre  à  Augs- 
bourg,  d'avoir  à  soutenir  contre  lui  et  Carlstadl,  grand  partisan  des  doctrines 
luthériennes,  une  dispute  publique  :  •  Eccius  noster  ' ,  écrit-il  à  Sylvius  Egranus  le 
2  février  1519,  «  a  metcntaïus  .lugustœ.  Ut  cum  Carlstadio  nostro  Lipsiie  congrede- 
retur  pro  componenda  contentione,  tandem  obsecutus  est.  ■•  —  De  Wette,  t.  I, 
p.  216.  Il  prend  sur  lui  d'engager  aussi  Carlstadt  dans  l'affaire,  et  de  retour  à 
Wittemberg,  il  écrit  à  Eck  (15  noveml)re  1518)  que  Carlstadt  est  prêt  à  la  dis- 
pute, et  lui  laisse  le  soin  de  déterminer  le  lieu  et  le  jour  où  elle  aura  lieu. 
•  Itaque  fac  " ,  ajoute-t-il,  «  ut  non  frustra  horainem  permoverim.  »  —  De  Wette, 
t.  I,  p.  171.  Eck  donne  enfin  son  assentiment  à  la  dispute,  mais  il  est  bien  évi- 
dent que  c'est  Luther  qui  l'a  provoquée. 

VII.  Cestpar  une  lettre  deCiiri^topheScheurl,  du24novembrel518,queJeanEck 
apprit  que  Carlstadt  avait  déclaré  à  Erfurt  «  quod  te  eo  mox  evocalurus  sit  in  arenam 
atque  etiara  ea  lege  disputaturus,  ut  singula  verba  calamus  excipiat  diligen- 
tissime...  ».  •  Tuœ  defensiones  apud  Wittenbergenses  puijlice  distrahuntur.  . 
Schcuri's  Brie/buclt,  t.  II,  p.  61-62.  —  Eck  reçut  plus  tard  VAppellalio  ad  conci- 
lium  de  LUTHEU,  qui  date  du  18  novembre  1518.  —  Lctueri  Op.  laiina,  t.  II, 
p.  438-445. 

VIII.  Entre  les  deux  Universités  dont  le  choix  lui  était  laissé  par  Carlsdat, 
Eck  se  décida  pour  Leipzig.  Il  écrivit  à  la  faculté  de  théologie  de  cette  ville 
et  au  duc  Georges  de  Saxe  pour  obtenir  l'autorisation  de  la  dispute  (4  dé- 
cembre 1518).  L'Université  la  refusa.  Le  duc  Georges,  au  contraire,  envoya  le 
31  décembre  la  permission  demandée.  —  (De  Wette-Seidemann,  t.  VII,  p.  1!, 
note.)  Dans  l'intervalle.  Eck,  sans  attendre  qu'il  y  fût  autorisé,  fit  imprimer  ses 
douze  thèses  sur  l'indulgence  et  l'autorité  du  Pape,  et  les  envoya  à  Luther. 
Celui-ci  fut  tellement  irrité  des  objections  qu'il  y  rencontra,  qu'eu  janvier  (et 
non  en  mars  ou  avril,  comme  le  dit  de  Wette,  t.  I,  p.  249;  voy.  aussi  Seidemann, 
Leipsiger  Disputation,  p.  27-28)  il  écrivit  à  Carlstadt  une  lettre  destinée  à  la  publi- 
cité, où  parmi  les  plus  ûpres  invectives  contre  Eck  (il  parle  entre  autres  des 
^ pestilemibus  Romani  ponlißcis  et  Romanorum  tyrannorum  adulatoribus  •)  il  fait  part  à 
Carlstadt  de  son  dessein  bien  arrêté  de  combattre  Eck  en  public  à  Leipzig  :  «  Oro 
ut  una  mecura  ad  illustrissimum  principem  ducem  Geargium,  prudentissimum 
quoque  senatum  Lipsiae  sciibas,  si  qua  dignentur  nobis  domum  vel  profanam  in 
hoc  negotium  collocare.  Nam  egregios  dominos  doctores  de  universitate  penitus 
noio  hujus  periculo  judicii  onerari,  quod  et  prudentissime  recusarunt.  •  «  Main- 
tenant elle  aura  lieu  »,  écrit-il  le  3  février  1519  à  Jean  Lange,  «  ut  faciam  quw 
diucogiiavi,  Christo  propitio,  id  est,  ut  aliquando  libro  serio  lu  Romanas  lernas 
invehar  ..  —  (De  Wette,  t.  I,  p.  217.)  Le  12  février  il  écrit  à  Spalatin  ;  «  Eccius  et 
ego  congrediemur  Lipsia?  post  Paschalia  »,  etle20février  à  Scheurl  :  «Nec  Eccius 
sibi,  nec  ego  mihi  in  hac  quicquam  serviemus.  Dei  consilium  agi  mihi  videtur. 
Ssepius  dixi  hucusque  lusum  esie  a  me  :  nunc  tandem  séria  in  Romanum  Ponti- 
ficem  et  arrogantiam  Romanam  agentur.  •  De  Wette,  t.  I,  p.  223-230.  —  Le  22  fé- 
vrier 1519,  il  prononça  sur  la  puissance  papale  un  sermon  irrité,  qui  inspira  au 
célèbre  juriste  de  Wittemberg,  Otto  Beckmann,  la  réflexion  suivante  (lettre  à 
Spalatin, 24  février):  «  Quantum  ad  nostrura  Eleutherium  attinet,  nescio  quod 
possim  polliceri.  Scripsi  tibi  antehac,  nostrates  (les  professeurs  de  lUniversitéi 
excepto  uno  vel  altero  improbanda  probare,  ut  Martiniaui  videantur,  quamquam 
cum  Martino  minime  consentiant  quantum  videlicet  attinet  ad  potestatem 
summi  pontificis,  quse  nec  convelli  ac  minui  potest  nostris  latratibus.  »   •  Tu 


S6  LUTHER    SE    DKCLARE    HUSSITE. 

pour  la  Saxe.  Prie  donc,  et  fortifie-toi  dans  le  Seigneur.  Si  l'excom- 
municafion  t'atteint,  si  Ton  te  traite  d'hérétique,  ne  te  laisse  pas 
abattre;  pense  à  ce  que  le  Christ  et  les  Apôtres  ont  eu  à  souffrir!  » 

recte  feceris,  si  Amsdorfio  scripseris,  ut  Martinum  admooeat,  ne  sine  causa 
coram  vulgo  de  pontifice  aliisque  prelatis  tam  petulanter  loquatur.  Aliiur  ncscio 
quid  monstri,  sed  Christus  faxit.  ne  apud  nos  nascatur.  Alia  via  pergenduin  est. 
Commentis  equidem  nostris  non  potest  reformari  ecclesia,  si  reformanda  venit.  • 
—  LöscBER,  t.  III,  p.  90-91.  —  KÖLDE,  Analecia,  p.  6-7.  Ces  faits  ne  prouvent-ils  pas 
que  la  lettre  pleine  de  soumission  écrite  par  Luther  au  Pape  le  3  mars  1519  de 
Wette,  t.  I,  p.  233-235)  a  pu  difficilement  être  sincère? 

IX.  Après  que  la  lettre  de  Luther  à  Caristadt  eut  été  publiée,  l'Université  de 
Leipzig  écrivit  au  duc  Georges  de  Saxe  ilô  février  1519)  qu'elle  avait,  sur  son 
ordre,  donné  à  Eck  et  à  Caristadt  l'autorisation  désirée  pour  la  dispute,  mais 
que  Luther,  intervenant  dans  la  question,  prétendait  maintenant  se  substituer  à 
Caristadt.  L'Université  conseillait  au  duc  de  s'opposer  à  ce  que  Luther,  malgré 
elle  et  malgré  lui,  soutint  publiquement  cette  dispute.  —  (Seidemann,  Leipziger 
Disputation,  p.  126.)  Le  19  février,  l'Lniversité  exprime  à  Luther  son  étonnement 
de  ce  que,  sans  y  avoir  été  autorisé,  il  se  proposât  de  soutenir  la  dispute,  ainsi 
qu'il  l'annonçait  officiellement  dans  sa  lettre  à  Caristadt.  Ce  même  jour,  Luther, 
s'adressant  humblement  au  duc.  le  supplie  d'autoriser  la  dispute,  ses  thèses 
contre  Eck  étant  déjà  publiées.  — (De  Wette-Seidem.vnn,  t.  VI,  p.  11.)  Il  est  donc 
absolument  inexact  de  dire  que  Luther  a  été  pour  ainsi  dire  contraint  à  la  dis- 
pute par  la  lettre  de  Eck  du  19  février.  —  (Lltheri  Op.  latma,  iv,  p.  77.)  Eck  ré- 
pondit à  la  lettre  de  Luther  à  Caristadt  par  des  lettres  pleines  de  dignité, 
adressées  aux  deux  prélats  Gaspard  de  Wessobrunn  et  Jean  de  Pollich.  (Lltheri 
Op.  latina,  III,  p.  9.)  —  Sans  répondre  aux  attaques  personnelles  de  Luther,  il 
expose  l'état  véritable  de  la  question.  .\   cet  exposé  Luther  ne  trouve  rien  à 

opposer  dans  sa  Disputalio  et    Excusatio  adversus  criminationes  J.  Eccii.  [Op.  latina,  III, 

p.  12-17.'!  Eck  fixa  le  jour  de  la  dispute  au  27  juin,  tout  en  répétant  qu'il  serait 
heureux  de  voir  Luther  se  désister  et  offrir  sa  soumission  au  Saint-Siège. 

X.  Parmi  les  thèses  de  Luther,  ses  partisans  remarquèrent  avec  surprise  des 
propositions  comme  celle-ci:  •  Romanam  ecclesiam  esse  omnibus  aliis  superio- 
rem,  probatur  ex  frigidissimis  Rom.  Pontificum  decretis,  intra  quadragentos 
annos  natis,  contra  quae  sunt  historiac  approbatae  mille  et  centum  annorum, 
textus  scripturae  divinae  et  decretum  Niceni  concilii,  omnium  sacratissimi.  » 
"Voy.  au  sujet  de  ses  thèses  (■  Sanctis  patribus  contraria  •)  l'intéressant  passage 
du  Briefiuch  de  ScHEURL,  t.  II,  p.  S5.  ('>  Velaquo\is  errore  putetur  excusari 
posse,  SI  modo  errare  possit.  v]  Caristadt,  à  propos  de  cette  thèse  (24  février  1519), 
écrit  à  Spalatin  (Löscher,  t.  III.  p.  91)  qu'il  avait  conseillé  à  Luther  de  se 
désister,  mais  que  la  thèse  ayant  été  publiée,  et  la  chose  n'étant  plus  répa- 
rable, il  avait  engagé  Luther  à  appuyer  du  moins  ses  assertions  de  preuves 
solides.  Luther  s'était  donc  mis  à  étudier  assidûment  le  droit  canon.  Il  écrit  le 
13  mars  à  Spalatin,  après  avoir  expédié  au  Pape  la  lettre  soumise  que  l'on  sait  : 
■  Verso  et  décréta  pontificum  pro  mea  disputatioue  et  in  aurem  tibi  loquor 
nescio  an  papa  sit  Antichristus  ipse  vel  apostolus  ejus.  =  —  (De  Wette,  t.  I,  p.  239). 
Avant  la  dispute  de  Leipzig,  il  imprima  encore  pour  faire  suite  à  ses  thèses 
sa  Eesolutio  de  potestate  papœ,  per  auctorem  locupktata  [Op.  latina,  III,  p.  293-384),  d'OÙ 
il  ressort  avec  évidence  que  non-seulement  il  rejetait  la  suprématie  des  papes, 
mais  que  déjà,  en  principe,  il  adoptait  la  doctrine  sur  le  sacerdoce  universel, 
qu'il  devait  plus  tard  enseigner.  —  (Voy.  le  Katholik,  1872,  p.  238-549.)  Par  con- 
séquent, c'est  à  tort  qu'on  soutient  que  la  Dispute  de  Leipzig  a  exercé  une 
influence  considérable  sur  ses  manières  de  voir. 

XI.  La  Dispute  de  Leipzig,  sur  Inquelle  le  livre  de  Seidemann  nous  fournit  les 
détails  les  plus  circonstanciés,  eut  lieu,  ce  dont  il  faut  tenir  compte,  malgré 
les  autorités  ecclésiatiques  de  Mersebourg  et  de  Brandebourg.  —  (SEiDEM.iNN, 
p.  29-31,  41;  et  Albert,  p.  407-418.)  La  faculté  de  théologie  de  Leipzig  résista 
longtemps;  mais  Georges  de  Saxe  l'obligea  enfin  à  céder,  et  l'interdiction  de 


LUTHER    SE    DÉCLARE    11  US  SITE.    1520,  87 

L'aiilre  chef  hussile  lui  écrivait  :  <  (jiic  rAiifechrist  ne  vienne  pas  à 
bout  de  te  séduire!  Souviens-foi  qu'il  a  mille  manii^res  de  perdre 
nos  âmes.  Oue  le  Christ  te  fortifie  '  !  » 

En  février  1520,  Luther,  >  soudainement  éclairé  ,  se  persuade 
tout  à  coup  qu'il  est  hussile,  et  que  .lean  Huss  a  été  son  précurseur 
dans  rintelli(jence  du  véritable  évangile.  "  Cette  guerre  est  celle 
du  Seigneur  »,  écrit-il  à  Spalatin;  «  le  Christ  n'est  pas  venu  pour 
apporter  la  paix.  Insensé  que  j'étais!  Sans  le  savoir  j'ai  enseigné  et 
tenu  pour  véritables  toutes  les  doctrines  de  Jean  Huss!  Nous  sommes 
tous  hussites  sans  en  avoir  eu  conscience  !  Saint  Paul  et  saint  Augustin 
sont  aussi  de  parfaits  hussites!  .le  ne  sais,  dans  la  terreur  où  je  suis 
plongé,  ce  que  je  dois  penser  des  effroyables  jugements  de  Dieu  sur 
les  hommes  de  notre  temps,  qui  ont  brûlé  et  condamné  depuis  plus 
d'un  siècle  la  vérité  évangélique,  et  n'ont  pas  permis  à  ses  apôtres  de 
la  confesser^  »  Au  concile  de  Constance,  le  Pape  et  les  siens  avaient 
substitué  à  la  doctrine  du  Christ  celle  du  dragon  infernal.  Huss  était 
un  grand  martyr  du  Christ;  il  fallait  le  vénérer  comme  un  saint  ^ 

révêque  de  Mersebourjj  fut  inulilement  affichée  à  THôtel  de  ville  de  Leipzig. 
Nous  voyons  ici  commenctr  limmixtion  de  la  puissance  temporelle  dans  les 
affaires  ecclésiastiques.  La  lettre  de  Thomas  Venatorius  à  Pirkheimer,  insérée 
par  Albert,  ne  prouve  pas  du  tout  que  l'évèque  dEichstadt  ait  vu  avec  déplaisir 
l'attitude  de  Eck  (p.  408).  Les  passages  qui  semblent  blâmer  Eck  ne  se  rapportent 
pas  à  la  Dispute  de  Leipzi?;,  mais  à  la  dispute  jadis  soutenue  par  Eck  à  Bologne, 
sur  la  question  du  prêt  à  intérêt.  —  (Voy.  notre  premier  volume,  p.  399.) 

XII.  Luther  fut  mécontent  du  résultat  de  la  dispute  :  ■^  La  discussion  n'a  pas 
été  bien  conduite»,  écrit-il  ù  Spalatin.  («Maie  disputa  tum  est.  ^  "  Tout  cela  n'a  été 
que  du  tempsperdu.  »  (^  ...fuisse  perditionera  temporis.-) — (Voy.  ceslettres  dans 
DE  Wette,  t.  I,  p.  284-289,  290-306.)  Il  disait  plus  tard,  en  parlant  de  Carlstadt  : 
•  Noluit  mihi  Lipsiae  primas  partes  disputationis  concedere,  ne  ei  pra>riperem 
honorem,  cui  tamen  libenter  favebam.  •  Il  avoue  avoir  été  plus  humilié  qu  ho- 
noré à  Leipzig,  -  quia  est  infelicissimus  disputator,horridi,et  hebetis  ingenii.  - 
— ■  [Lauierbach's  Tagebuch,  p.  190.)  A  propos  d'Eck,  Melanchthon  écrit  à  OEcolam- 
pade  après  la  Dispute  (21  juin  1519)  :  «  Apud  nos  magnae  admirationi  plerisque 
fuit  Eccius  ob  varias  et  insignes  ingenii  dotes.  -•  —  (Luthep,!  Op.  latina,  lll,  p.  487.) 
Christophe  Scheurl,  bien  qu'alors  partisan  de  Luther,  vante  dans  une  lettre  à 
.Mélanchthon  (11  mai  1519)«  dexteritas,  gnavia,  eruditio,  ingenium,  humanitas, 
fides,  amicitia  »,  de  Eck.  [Bric/buch,  t.  II,  p.  92.) 

'  Voy.  les  lettres  des  deux  hussites  dans  les  OEuvres  latines  de  Luther,  p.  78-81 
Luther  les  reçut  le  3  octobre  1519.  —  Voy.  sa  lettre  à  Staupitz  datée  du  même 
jour.  •  Accepi  ac  hora  ex  Praga  Bohemiae  litteras...  »  —  De  Wette,  t.  I,  p.  341. 

*  De  Wette,  t.  I,  p.  425. 

»Sam/ntl.  Werke,  t.  XXIV,  p.  133-134;  t.  L,  p.  143,  et  t.  LXV,  p.  82.  L'attrait  de 
Luther  pour  .Tean  Huss  venait  de  la  remarquable  analogie  de  caractère  et  de  des- 
tinée qui  existe  entre  ces  deux  hommes.  Tous  deux,  par  leur  naissance,  appar- 
tiennent aux  basses  classes;  tous  deux  acquièrent  dans  leur  contact  avec  le  peuple 
un  secret  rarement  révélé  aux  esprits  formés  dans  une  sphère  plus  haute  :  l'art 
d'agir  sur  les  masses.  Tous  deux  doivent  à  l'Église  un  rang  social  plus  élevé,  et 
se  font  tous  deux  prêtres  contre  le  sentiment  de  leurs  compagnons  d'état  et  de 
leurs  supérieurs  ecclésiastiques.  L'un  et  l'autre  aliandonnent  aux  laïques  la 
direction  des  affaires  ecclésiastiques,  et  tombent,  par  les  inévitables  consé- 
quences de  leurs  principes,  dans  le  césaro-papisrae  ;  tous  deux,  par  leurs  attaques 


88  LUTHER    ET    LES    HUMANISTES. 

Comme  Luther  était  fermement  convaincu  que  Dieu ,  en  lui  révé- 
lant la  vérité  évangélique,  avait  voulu  qu'elle  fût  annoncée  au  peuple 
par  son  intermédiaire,  la  question  était  maintenant  de  savoir 
comment,  par  quels  moyens,  il  allait  combattre  la  papauté,  siège  de 
l'Antéchrist,  et  comment  le  règne  de  la  vérité  pourrait  être  établi  sur 
la  terre.  Les  hussites  avaient  propagé  leur  doctrine  par  le  fer  et  le 
feu;  Luther,  aussitôt  qu'il  eut  reconnu  en  lui  un  véritable  hussite,  ne 
recula  pas  davantage  devant  l'emploi  de  mesures  violentes.  "  Je  t'en 
supplie  »,  écrit-il  le  20  février  1520  à  Spalatin,  "  si  tu  entends  bien 
l'Évangile,  ne  t'imagine  pas  que  sa  cause  puisse  triompher  sans 
émeute,  sans  scandale  et  sans  révolte.  Tu  ne  feras  pas  une  épée  d'une 
plume;  avec  la  guerre,  tu  ne  feras  point  la  paix.  La  parole  de  Dieu 
est  un  glaive,  c'est  un  combat,  c'est  un  déchirement,  un  scandale, 
une  ruine,  un  poison.  Comme  dit  le  prophète  Arnos,  elle  est  sem- 
blable à  l'ours  sur  le  chemin,  et  à  la  lionne  de  la  forêt  qui  s'avance 
au-devant  des  fils  d'Éphraïm  '.  » 

Au  moment  ou  Luther  traçait  ces  lignes,  un  parti  puissant  venait 
de  se  rallier  à  son  «  évangile  ».  Fort  de  son  appui,  il  pouvait  désor- 
mais braver  l'excommunication,  ainsi  que  les  menaces  et  les  pièges 
de  tous  ses  ennemis. 


III 


Les  humanistes  furent  les  premiers  alliés  de  Luther.  Dans  la  lutte 
qu'ils  avaient  entreprise  contre  la  scolastique  et  l'autorité  ecclé- 
siastique, ils  saluèrent  avec  enthousiasme  ses  attaques  hardies;  ils 
entrèrent  en  lice  pour  lui,  comme  autrefois  pour  Reuchlin. 

Les  humanistes,  au  rapport  de  Cochl^eus,  guerroyaient  sans 
relâche  pour  Luther,  et  s'efforçaient,  par  la  parole  autant  que  par 
la  plume,  de  gagner  les  laïques  aux  doctrines  nouvelles.  Ils  s'atta- 
quaient aux  prélats,  aux  théologiens,  par  toutes  sortes  de  propos 
méprisants  et  moqueurs,  leur  reprochant  leur  cupidité,  leur  faste, 


violentes  contre  l'Église,  déchaînent  sur  leur  pays  la  plus  effroyable  des  tempêtes, 
et  tout  en  faisant  faire  à  leur  langue  maternelle  un  remarquable  progrès,  sont 
les  pères  d'une  révolution  de  la  plus  immense  portée.  — (Voy.  le  parallèle  entre 
Huss  et  Luther  dans  les  Hhtor.  Pol.  BliUtcrn.,  t.  XXXf,  p.  369-374.) 

1  »  Obsecro  te,  si  de  Evangelio  recte  sentis,  noli  putare  rem  ejus  posse  sine 
tumultu,  scandalo,  seditione  agi.  Tu  ex  gladio  non  faciès  plumam,  nec  ex 
belio  pacem;  verbum  Dei  gladius  est,  bellum  est,  ruina  est,  scandalum  est,, 
perditio  est,  venenum  est  » ,  etc.  (De  Wktte,  t.  I,  p.  417.)  Nous  citerons  plus  loin 
d'autres  passages  où  Luther  pousse  ouvertement  à  une  lutte  sanglante  contre 
Rome  et  les  évêques  romains. 


LUTHER    ET    I,  E  S    HUMANISTES.  89 

leur  envie,  leur  ignorance  el  leur  rudesse.  «  Le  clergé  ne  persécute 
l'innocent  Luther  i,  disaient-ils,  ^^  que  parce  qu'il  est  plus  savant  que 
lui,  et  possède-  assez  d'indépendance  d'esprii  pour  juger  comme  elles 
mériteni  de  l'être  les  impostures  et  les  fables  des  hypocrites.  «  Comme 
les  humanistes  étaient  non-seulement  savants,  cultivés,  pleins  de 
talent,  mais  encore  habiles  à  manier  la  parole  et  la  plume  avec  aisance 
et  goût,  il  ne  leur  était  pas  difficile  d'éveiller  chez  les  laïques  une 
vive  sympathie,  une  sincère  compassion  pour  Luther;  ils  le  repré- 
sentaient comme  une  victime  de  la  cause  de  la  vérité  et  de  la  justice; 
à  les  entendre,  il  n'était  contredit  que  par  des  prèlres  envieux, 
cupides  et  ignorants,  qui,  dans  la  paresse  et  la  débauche,  vivaient 
des  mensonges  de  la  superstition,  et  ne  songeaient  qu'à  extorquer 
l'argent  d'un  peuple  imbécile  '.  L'étroite  amitié  de  Luther  et  de  Phi- 
lippe Mélanchthon,si  célèbre  dès  ses  jeunes  années  dans  toute  l'Alle- 
magne par  sa  science,  si  ardent  à  servir  son  ami,  contribua  beau- 
coup à  donner  aux  humanistes  une  opinion  favorable  «  du  nouveau 
héraut  de  la  vérité,  qui  luttait  si  courageusement  pour  elle  à  Wit- 
temberg  ». 

Luther  avait  cherché  de  bonne  heure  à  se  rapprocher  de  la  ligue 
des  poètes.   On  le  voit,  dans  ses  écrits,  offrir  successivement  ses 
hommages  et  ses  louanges  aux  coryphées  de  la  bande,  à  Mutian, 
Reuchlin,  Érasme.  Comparé  à  Mutian,  ce  savant  génie,  cet  esprit 
si  cultivé,  si  exquis,  il  avoue  n'être  qu'un  barbare,  accoutumé  tout 
au  plus  à   crier  parmi  les   oies,   et  il   lui  demande  son  amitié - 
(29  mai  1516).  Écrivant  à  Reuchlin  (li  décembre  1518),  il  se  dit  son 
imitateur;  comme  lui,  il  souffre  sans  perdre  courage  la  persécution 
et  l'injure.  Grâce  à  l'énergie  de  Reuchlin,  l'Allemagne  recommence 
à  respirer,  après  avoir  été  pendant  des  siècles  non-seulement  oppri- 
mée, mais  en  quelque  sorte  annihilée.  L'aurore  de  la  renaissance 
intellectuelle  ne  pouvait  venir  que  d'un  homme  comme  Reuchlin, 
d'un  esprit  aussi  exceptionnellement  doué.   «  De  même  que  Dieu 
I  a  réduit  en  poussière  par  la  mort  le  Christ,  la  plus  haute  de  toutes 
'  les  montagnes,  et  que  de  cette  poussière  se  sont  élevées  ensuite  tant 
d'autres  montagnes,  ainsi   tu  n'aurais  porté  que  peu  de  fruits,  si, 
comme  le  Christ,  tu  n'avais  été  poi'r  ainsi  dire  broyé;  et  voilà  que 
de  ta  poussière  nous  voyons  maintenant  sortir  de  hardis  défenseurs 
I  de  la  sainte  Écriture  ^   »  Son  langage  est  encore  plus  obséquieux 
j  lorsqu'il  s'adresse  à  Érasme.  Érasme  est  l'ornement  et  l'espoir  de 

'  Voy.  Otto,  p.  118. 

'  De  Wette,  t.  I,  p.  21. 

'  De  Wette,  t.  I,  p.  196-197.  —  Voy.  Geiger,  Reuchlin,  p.  354.  Dans  Evers,  t.  [, 
p.  62-72,  voyez  les  passages  où  Luther  déclare  que  son  entreprise  n'est  que  la 
continuation  de  la  querelle  de  Reuchlin. 


£0  LUTHER    ET    LES    HUMANISTES 

son  siècle,  l'homme  de  son  cœur,  et  son  esprit  s'entretient  journel- 
lement avec  le  sien  ;  «  car  où  trouver  quelqu'un  dont  l'oreille  ne 
soit  attentive  à  tout  ce  que  dit  Erasme,  qu'Érasme  n'instruise, 
qu'Erasme  ne  domine?  »  Quant  à  lui,  nourri  «  parmi  les  sophistes  «, 
il  n'est  pas  assez  instruit  pour  oser  s'approcher,  même  par  la  corres- 
pondance, d'un  savant  tel  qu'Érasme;  mais  puisque  la  querelle  sur  les 
indulgences  a  fait  parvenir  son  nom  jusqu'au  grand  homme,  puisque, 
dans  la  préface  de  la  nouvelle  édition  du  Manuel  du  soldat  chrétien,  il 
voit  qu'Érasme  approuve  son  œuvre,  il  se  hasarde,  il  s'approche,  il 
lui  demande  ses  bonnes  grâces,  et  désire  ardemment  s'attacher  à  lui 
par  les  liens  d'une  tendre  affection  ' . 

Mulian,  qui  le  premier  avait  reçu  l'encens  de  Luther,  fut  aussi  le 
premier  à  saluer,  dans  son  attitude  agressive  contre  Rome,  1'«  aurore 
d'un  radieux  avenir  ».  Parmi  ses  amis,  le  «  nouvel  Hercule  »,  le 
«  second  saint  Paul  *  »,  rencontre  les  partisans  les  plus  ardents. 
Dans  leurs  écrits  satiriques  comme  dans  leurs  cours  de  professeurs, 
les  humanistes  d'Erfurt,  Euricius  Cordus,  Juste  Jonas,  Eoban  Hessus, 
déclarent  la  guerre  à  la  «  horde  impie  »  que  Luther  harcelle  et  presse 
de  tous  côtés,  et  ce  sont  eux  qui  poussent  Érasme,  leur  chef  com- 
mun et  vénéré,  à  prendre  sous  sa  protection  la  cause  de  Luther  '.  Les 
écrits  et  les  lettres  d'Érasme  sont  la  source  où  s'alimente  tous  les 
jours  l'enthousiasme  toujours  croissant  des  humanistes  pour  Luther. 
'  Celui  qui  les  a  lus  »,  écrivait  l'un  d'eux,  "  ne  peut  plus  demeurer 
hostile  à  l'œuvre  commencée.  » 

A  l'imitation  de  Luther,  les  humanistes  affectent  de  prendre 
un  ton  biblique,  et  ce  ton  domine  bientôt  toute  la  littérature  de 
l'époque;  ils  deviennent  même  tout  à  coup  savants  théologiens, 
et  font  des  conférences  sur  les  points  de  foi  controversés.  Si  aupa- 
ravant un  émule  de  Mutian  avait  fait  de  VÉloge  de  la  folie  le  sujet 
d'un  cours  spécial,  Eoban  Hessus,  en  1519,  commente  en  chaire 
le  Manuel  du  soldat  chrctien.  Érasme,  selon  lui,  a  ramené  les 
âmes  vers  la  Bible,  source  de  toute  vraie  piété,  et  maintenant  le 
monde  sort  de  l'enfance,  et  renonce  à  la  superstition  et  à  Thypo- 
crisie.  Il  n'était  plus  possible  de  tolérer  que  le  peuple  chrétien,  la 

'  De  Wette,  t.  I,  p.  247-249.  Celte  lettre  tout  entière  et  la  réponse  d'Érasme 
ont  été  traduites  dans  l'ouvrage  de  Stichart,  p.  309-315.  Avec  ses  intimes,  Luther 
s'exprime  déjà  différemment  sur  le  compte  d'Érasme.  —  Voy.  Köstli.n,  M.  Luther, 
t.  1,  p.  137-138. 

*  Voy.  ces  passages  dans  K  uipschblte,  t.  II,  p.  30. 

*  Voy.  Hess,  t.  II,  p.  39-45.  A  Capito,  conseiller  d'Albert  de  Mayence,  qui  cher- 
chait à  le  décider  à  ne  rien  entreprendre  contre  Luther  (Hess,  t.  II,  p.  61-62), 
Érasme  écrivait  (décembre  1520;  :  «  Theologi  putant  Lutherum  non  posse 
ccnfici  nisi  meo  stiio.  Et  id  tacite  flagitant,  ut  scribam  in  illum.  At  ego  absit, 
ut  sic  insaniam.  •  (Hess,  t.  H,  p.  552.) 


PARTISANS    DE    LUTIJER    DANS    L'ALLEMAGNE    DU    SUD-        91 

foule  simple  et  ignorante,  continuât  à  se  laisser  abuser  par  des 
farces  indignes  et  niaises.  «  Sous  la  conduite  du  Christ,  il  fallait 
anéantir  l'armée  ennemie.  "  Euricius  Cordus,  célébrant  Luther, 
découvre  en  lui  un  héros  plus  vaillant  qu'Achille;  Juste  .lonas  ne  voit 
dans  le  monde  entier  que  vice  et  corruption,  et  engage  tous  les 
hommes  éclairés  à  rompre  ouvertement  avec  le  passé'.  Mais  Crotus 
Rubianus  va  plus  loin  encore;  autrefois,  à  Erfurt,  il  avait  été  l'intime 
ami  de  Luther.  Bien  qu'en  sa  qualité  d'humaniste  il  eut  chanté  très- 
peu  de  temps  auparavant  les  louanges  de  l'Italien  Pierre  Pomponace, 
qui  doutait  de  l'immortalité  de  l'âme;  bien  qu'il  eiU  salué  en  lui  un 
allié  précieux  dans  la  guerre  d'extermination  qu'il  avait  juré  aux 
«  sophistes  "  et  aux  moines»,  il  ne  tarde  pas  à  reconnaître  de  quelle 
importance  les  querelles  suscitées  par  Luther  peuvent  être  pour  son 
parti;  aussitôt,  son  esprit  devient  «  biblique  »,  et  il  choisit  pour  nou- 
velle devise  le  «  glaive  de  la  sainte  Écriture  ».  Le  16  octobre  1519, 
il  presse  Luther,  «  son  savant,  son  saint  ami  »,  «  l'élu  du  Seigneur  », 
de  ne  rien  craindre  dans  la  lutte  qu'il  a  entreprise  contre  Rome,  <;  ce 
foyer  de  corruption  dont  la  pensée  seule  excite  le  dégoût  ».  L'éclair 
qui  autrefois  avait  renversé  Luther  à  Erfurt  était  un  signe  donné  par 
Dieu  même,  et  nous  révélant  que,  nouveau  saint  Paul,  Luther  avait 
reçu  du  ciel  une  mission  divine.  Aussi  l' exhortait-il  à  continuer 
l'œuvre  commencée,  l'assurant  que  l'Allemagne  recevrait  de  lui  avec 
enthousiasme  la  parole  de  Dieu'. 

Luther,  dès  ses  premières  négations,  avait  trouvé  parmi  les  huma- 
nistes, les  juristes  et  les  patriciens  de  Nuremberg,  des  partisans  tout 
aussi  exaltés.  Christophe  Scheurl,  Jérôme  Ebner,  Jean  Holzschuher, 
Lazare  Spengler,  d'autres  encore,  se  surpassaient  mutuellement  dans 
leurs  témoignages  d'admiration  '.  "  Luther  est  devenu  l'homme  le 
plus  célèbre  de  l'Allemagne  -,  écrivait  Christophe  Scheurl  en  1518; 
"  il  est  dans  toutes  les  bouches;  ses  amis  le  célèbrent,  l'adorent, 
combattent  pour  lui,  sont  prêts  à  tout  endurer  pour  lui  ;  ils  baisent  ses 
moindres  écrits,  et  le  nomment  le  héraut  de  la  vérité,  le  clairon  de 
l'Évangile,  leprédicateur  de  Jésus-Christ;  saint  Paul,  à  les  entendre, 
parle  par  sa  bouche  '.  »  Albert  Durer,  lui  non  plus,  ne  trouve  pas  de 
termes  assez  louangeurs  pour  célébrer  Luther,  «  ce  docteur  éclairé 

'  Kampschulte,  t.  II,  p.  31-35.  —  Sur  les  -  poètes  d'F.rfurt  et  leurs  rapports 
avec  Érasme  et  Luther,  voy.  Rr.vuse,  Eobanus  Hessus,  t.  I,  p.  259-329. 

»  Voy.  sa  lettre  dans  Kampschulte,  t.  II,  p.  44-45. 

'Voy.  BÖCKING,  Hutteni  Op.  I,  p.  309-312.  •  C'est  une  des  lettres  les  plus 
remarquables  que  Luther  ait  reçues  •,  fait  observer  avec  raison  Kampschulte, 
t.  II,  p.  51. 

*  Voy.  Roth,  Reformation  in  Xümherg,  p.  49. 

*  Voy.  les  lettres  d'octobre  à  décembre  1518  dans  ScheurVs  Brie/buch,  t.  II, 
p.  53-65.  Voy.  aussi,  p.  83,  la  lettre  de  Scheurl  à  Eck  (19  février  1519  sur  l'enthou- 
siasme du  clergé  pour  Luther,  dont  il  approuve  sans  restriction  les  principes. 


92         PARTISANS    DE    LUTHER    DANS    I/AL  LE  MAGNE    DU    SUD. 

par  l'Esprit-Saint,  ce  confessseur  de  la  vraie  foi,  dont  les  écrits  sur- 
passent en  clarté  tous  les  traités  composés  depuis  un  siècle  et  demi  ». 
Dürer  attendait  de  Luther  Tunité  et  la  paix  derÉ<i[lise;  «  lorsqu'elles 
seront  restaurées  -,  disait-il,  «  tous  les  incrédules  viendroutànous,  con- 
vertis par  nos  bonnes  actions,  et  ils  embrasseront  la  foi  chrétienne'  ». 
Longtemps,  l'ami  de  Dürer,  Willibald  Pirkheimer,  partagea  ces 
manières  de  voir;  mais,  plus  tard,  ses  yeux  s'ouvrirent  sur  les  tristes 
fruits  du  nouvel  "  évangile  «,  sur  le  caractère  de  beaucoup  d'évangé- 
listes  imposteurs,  et  sur  la  liberté,  «  plutôt  diaboliquequ'évangélique«, 
de  tant  d'apostats  des  deux  sexes,  tous  =  fort  bons  luthériens  ^  ». 

Mais  à  l'époque  qui  nous  occupe,  Pirkheimer  appelle  encore  les 
philosophes  scolastiques  des  monstres  et  des  gnomes,  gens  qu'il 
serait  heureux  de  voir  s'entre-dévorer,  adultères  de  la  philosophie 
dignes  d'être  fustigés  de  la  belle  manière  \  Dans  sa  satire  du  Poteau 
raboté'',  sorte  de  riposte  aux  Épîtrcs  des  hommes  obscurs,  il  livre  Jean 
Eck  au  mépris  public,  le  dépeint  comme  un  homme  dépravé,  et  lui 
attribue  les  mobiles  les  plus  intéressés.  Il  le  met  en  scène,  et  lui 
fait  avouer  qu'au  fond  du  cœur  il  est  luthérien,  mais  que  l'espoir 
de  s'enrichir  le  retient  dans  le  camp  des  adversaires  de  Luther,  et  le 
pousse  à  exploiter  la  superstition  et  la  sottise  populaires  *. 

Luther  rencontra  aussi  les  sympathies  les  plus  ardentes  parmi  les 
humanistes  d'Augsbourg,  de  Strasbourg,  de  Schlestadt,  de  Bàle  et 
de  Zurich.  Les  coteries  littéraires  de  ces  villes  propageaient  avec  zèle 
dans  le  peuple  tous  les  écrits  hostiles  à  l'Eglise,  pamphlets,  feuilles 
volantes,  caricatures.  Ils  employaient  pour  cette  propagande  des 
colporteurs  gagés,  auxquels  il  n'était  permis  d'écouler  que  les  pro- 
ductions de  la  littérature  révolutionnaire*.  Ces  colporteurs  allaient 
de  maison  en  maison  offrir  leur  marchandise,  et  les  écrits  de  Luther 
trouvaient  partout  un  débit  prodigieux';  outre  cela,  des  milliers  de 


'  ThauSING,  Dürer's  Briefe  und  Tagebücher,  p.  119-122. 

-Voy.  ses  lettres  dans  DÖLLIXGER,  Reformation,  t.  I,  p.  167-170  et  553.  NOUS  y 
reviendrons  plus  tard. 

^  Voy.  Roth,  Reforynation  in  Nürnberg,  p.  18. 

*  Eccius  dedolatus,  1530.  Voy.  Kampschllte,  t.  II,  p.  38,  note  1.  —  Jung,  Beitrage 
zur  Gesc/iic/ite  der  Reformation,  donne  Guidius  Matheus  comme  étant  l'auteur  de  la 
satire;  mais  nous  sommes  bien  fondé  à  croire  qu'elle  est  l'œuvre  de  Pirkheimer. 
Voy.  R.  RossLER,  dans  le  Zeitsctiriftfür  Deutsclie  Culturgescliictile ,  1873,  p.  259-469. 
—  Roth,  Reformation  in  Nürnberg,  p.  71-74. 

^  H.VGEN,  DeutscJilands  literarisc/ie  UerhuUnisse,  t.  II,  63-73,  et  sur  la  correspondance 
postérieure  d'Eck  avec  Pirkheimer  et  Lazare  Spengler  touchant  la  Bulle  d'excom- 
munication, voy.  t.  I,  p.  113-123.  —  Roth,  Reformation  in  Nürnberg. 

^  ilAGEN,  t.  II.  p.  87-88,  353.  Cochlaeus  parle  dans  De  actis  et  scriptis  Lutfieri, 
p.  58-59,  du  grand  nombre  de  moines  échappés  de  leurs  couvents  •  qui  victum 
ex  Lutheranis  libris  quseritantes,  in  speciem  bibliopolarum  longe  lateque  per 
Germaniae  provincias  vagabuntur  •. 

'  Voy.  Kampschulte,  t.  II,  p.  80,  note  4.  —  Hagen,  t.  II,  p.  97-98. 


HÜTTEN  ET  LA  QUERELLE  LUT  H  F.  R  I  E  NN  E.         93 

brochures,  de  libelles,  de  salires,  de  pasquiaades,  paraissaient  (ous 
les  jours,  baKant  ea  brèche  toutes  les  iaslitutioos  légales  de  l'Église 
et  de  la  société, 

A  aucune  époque  de  l'histoire  d'AlleiDagne,  le  journalisme  révo- 
lutionnaire n'eut  une  semblable  importance  ni  une  telle  clientèle. 
C'est  qu'une  foule  de  gens  s'attachaient  à  Luther,  non  par  sympathie 
pour  ses  opinions  religieuses,  mais  surtout,  comme  Mélanchthoa 
l'avoue,  "  parce  qu'ils  croyaient  voir  en  lui  le  restaurateur  de  la 
liberté'  >'.  Par  cette  liberté,  chacun  entendait,  bien  entendu,  la 
suppression  de  ce  qui  le  gênait  personnellement,  et  l'obtention  d'un 
bonheur  individuellement  rêvé.  Beaucoup  n'aspiraient  qu'au  boule- 
versement de  toutes  choses  par  la  force.  Les  discours,  les  écrits  de 
ces  hommes  inconsidérés  minèrent  sourdement  la  confiance  de  tous 
dans  la  sécurité  générale,  et  réussirent  à  faire  tomber  les  barrières 
élevées  au  dedans  par  la  religion  et  la  conscience,  au  dehors  par  la 
loi.  Parmi  tous  ces  ennemis  de  l'ordre  légal,  le  plus  passionné,  le  plus 
influent,  le  plus  doué,  lut  Ulrich  de  Hütten. 

Peu  attiré  par  les  querelles  de  dogmes,  peu  versé  dans  les  questions 
théologiques,  Hütten,  au  commencement  de  la  lutte  religieuse  sou- 
levée par  Luther,  l'avait  tenue  pour  méprisable,  et  l'avait  prise 
pour  une  simple  querelle  de  moines;  mais  il  ne  tarda  pas  à  com- 
prendre le  grand  parti  qu'il  en  pouvait  tirer  pour  ses  visées  particu- 
lières. 

"  Peut-être  ne  sais-tu  pas  encore  ",  écrit-il  en  avril  1518  à  un  ami, 
"  qu'à  Wittemberg,  en  Saxe,  un  parti  puissant  vient  de  se  former 
contre  l'autorité  du  Pape.  Le  camp  opposé  défend  de  toutes  ses 
forces  les  indulgences  papales.  Des  moines  sont  à  la  tête  des  deux 
partis;  les  meneurs  sont  ardents,  pleins  de  chaleur,  de  courage  et 
de  zèle.  Tantôt  ils  s'emportent,  tantôt  ils  gémissent  aussi  haut  qu'ils 
peuvent,  et  dernièrement  ils  se  sont  même  essayés  à  écrire.  Les 
imprimeurs  ont  maintenant  de  la  besogne!  On  vend  des  points 
de  dispute,  des  corollaires,  des  arguments,  des  articles;  j'espère  bien 
qu'ils  se  détruiront  réciproquement  les  uns  les  autres  !  Un  religieux 
me  fit  l'autre  jour  le  récit  de  ce  qui  se  passe  en  Saxe,  et  je  lui 
répondis  :  Dévorez-vous,  dévorez-vous!  Puissiez-vous  être  anéantis 
promptement  les  uns  par  les  autres!  Fasse  le  ciel  que  nos  ennemis 
luttent  les  uns  contre  les  autres  avec  tant  de  rage,  qu'ils  se  brisent  enfin 
à  force  de  se  heurter  ^!  »  Même  après  l'entrevue  de  Luther  et  du  car- 
dinal Caietan,  Hütten,  à  la  fin  d'octobre  1518,  envisage  encore  les 


'  Corpus  Reformât.,  t-  I,  p.  657. 

'  BÖCKING,  Hutleni  Op.  I,  p.  164-168.  —  Voy.  Stracs,  t.  I,  p.  291. 


94  LUTHER    ET    HÜTTEN. 

choses  eiu  même  puiul  de  vue,  jouissant  du  spectacle,  et  tout  joyeux 
de  voir  les  théologiens  s'entre-déchirer '. 

Quant  à  lui,  écrit-il  vers  la  même  époque,  son  plan  est  tout  tracé. 
Ses  occupations  littéraires  ne  doivent  pas  lui  faire  négliger  le  soin 
de  se  rendre  digne  de  l'héritage  d'honneur  qu'il  a  reçu  de  ses 
pères;  il  se  propose  de  l'accroitre  encore  par  ses  mérites  personnels, 
et  pour  l'exécution  de  ce  dessein,  il  compte  sur  sa  bonne  étoile.  Ses 
revers  ne  peuvent  compromettre  sa  fortune,  puisqu'il  n'a  même  pas 
de  quoi  vivre;  mais  il  peut  être  favorisé  par  une  chance  heureuse. 
Seulement,  pour  atteindre  son  but,  il  a  besoin,  pour  quelque  temps 
encore,  du  soutien  de  la  cour,  et  c'est  pourquoi  il  reste  au  service 
de  l'archevêque  Albert  de  Mayence  -. 

A  cette  époque  il  ne  voyait  pas  encore  dans  le  mouvement  luthé- 
rien le  moyen  de  réaliser  sa  grande  idée,  c'est-à-dire  le  renver- 
sement de  l'ordre  politique  existant  au  profit  de  la  chevalerie  alle- 
mande. Vers  la  fin  de  1518,  il  publie  un  ouvrage,  terminé  depuis  le 
mois  de  mai,  et  connu  sous  le  nom  (['Exhortation  contre  les  Turcs. 
Il  y  déclare  une  guerre  ouverte  non-seulement  à  la  cour  romaine, 
mais  encore  aux  princes;  il  les  menace  du  fer  et  du  feu,  leur  annonce 
l'envahissement  et  la  dévastation  de  leurs  États,  et  le  prompt  soulève- 
ment du  peuple  \  Si,  l'année  d'auparavant,  il  avait  accepté  d'Albert 
de  Mayence  la  mission  d'ambassadeur  auprès  de  François  I"';  s'il 
avait  été  chargé  de  conclure  un  traité  avec  ce  prince  et  de  lui  pro- 
mettre le  suffrage  de  l'archevêque  au  moment  de  l'élection*,  main- 
tenant la  seule  pensée  de  donner  la  couronne  à  François  l'indigne; 
il  appelle  un  pareil  dessein  un  crime  de  haute  trahison,  un  plan 
antipatriotique  et  honteux.  «  Comme  si  le  sang  princier  était  épuisé!  » 
s'écrie-t-il.  Dans  un  Appendice  à  l'Exhortation  contre  les  Turcs,  dédié 
«  à  tous  les  libres  et  vrais  Allemands  »,  il  retourne  contre  Rome  la 
pointe  de  son  dard,  et  avertit  la  ville  des  papes  de  se  tenir  sur  ses 
gardes,  «  de  peur  que  la  liberté  bâillonnée  et  presque  étouffée  ne 
vienne  soudain  à  briser  ses  entraves  ^  ". 

Pour  combattre  plus  à  l'aise  et  plus  librement  le  «  clergé  corrup- 
teur de  l'Allemagne  ",  il  souhaitait  vivement  pouvoir  quitter  la 
cour  de  Mayence.  Par  l'intervention  d'Érasme,  qu'il  avait  humble- 
ment sollicité  à  ce  sujet  (mars  1519),  il  obtint  enfin  de  l'arche- 
vêque la  dispense  de  tout  service  à  la  cour,  avec  l'autorisation  de 
conserver  son  traitement  ".  Il  alla  alors  s'établir  dans  le  vieux  manoir 

*  Voy.  Straus,  t.  î,  p.  314. 

*  Voy.  Straus,  t.  I,  p.  328-329. 
2  Voy.  Straus,  t.  I,  p.  298-299. 

*  Voy.  notre  premier  volume,  p.  551. 

5  Voy.  Stuaus,  t.  I,  p.  295-302  et  347-348 
•*  Voy.  Straus,  t.  I,  p.  352,  369. 


HÜTTEN    ET    SICKINGEN.  95 

de  ses  pères,  à  Steckelberg;  là,  il  organisa  des  presses  uiii<|iieineut 
destinées  à  multiplier  et  à  répandre  tous  les  écrits  de  controverse, 
pamphlets,  satires,  etc.,  pouvant  contribuer  à  décrier  l'Église.  Ces 
presses  eurent  une  très-grande  importance  dans  les  années  qui  sui- 
virent. En  mars  et  avril  1519,  Ilutten  prit  part-à  la  campagne  dirigée 
contre  le  duc  de  Wurtemberg,  et,  plein  des  espérances  les  plus 
hardies,  écrivait  à  Érasme  avant  de  partir  :  <  En  peu  de  temps,  tu 
verras  l'Allemagne  bouleversée'.  > 

Pendant  la  guerre,  il  se  lia  étroitement  avec  Franz  de  Sickingen  ^, 
qu'il  appelle  «  un  grand  homme  sous  tous  les  rapports,  né  pour 
accroître  la  gloire  de  la  nation  allemande  ».  «  Sickingen  est  sage  et 
prudent  ■,  écrit-il  à  Érasme  (juin  1519);  «  il  s'exprime  bien,  il  saisit 
promptement,  et  fait  preuve  d'une  grande  activité,  ce  qui  est  un 
point  important  chez  un  général  en  chef.  Que  Dieu  soutienne  les 
entreprises  de  ce  cœur  vaillant  M  » 

En  effet,  Hütten  avait  trouvé  dans  Sickingen  l'homme  de  son 
cœur,  l'instrument  dont  il  avait  besoin  pour  l'accomplissement  de 
ses  plans  révolutionnaires.  Les  deux  amis  se  flattaient  que  le  roi 
Charles,  «jeune  et  inexpérimenté  -,  se  laisserait  facilement  gagnera 
leurs  vues.  Aussi  appuyèrent-ils  son  élection  de  tout  leur  pouvoir. 
Ils  fondaient  également  beaucoup  d'espérances  sur  le  jeune  frère  de 
Charles,  Ferdinand,  espérant  «  qu'il  prendrait  comme  eux  parti 
contre  la  barbarie*  ».  «  Efforçons-nous  de  gagner  Ferdinand  ", 
écrivait  Hütten  à  xMélanchthon.  "  Sickingen  aimerait  à  se  l'attacher 
par  un  service  ^  »  Hütten  dédia  à  l'archiduc  son  livre  sur  la  Que- 
relle de  Henri  IT  et  de  Grégoire  III,  ouvrage  de  polémique  où  il 
représente  Henri  IV  comme  l'idéal  d'un  empereur,  et  démontre  à 
Charles-Ouint,  nouvellement  élu,  que  le  plus  grand,  le  plus  élevé 
de  ses  devoirs,  c'est  d'affranchir  l'Allemagne  de  la  tyrannie  de  la 
papauté.  Charles  est  exhorté  à  prendre  Henri  IV  pour  modèle;  Fer- 
dinand doit  l'y  encourager;  quant  à  Hütten,  il  se  tiendra  à  leurs 
côtés,  brûlant  de  les  servir  et  de  les  seconder  ". 

En  attendant  ces  grandes  choses,  Sickingen,  à  l'instigation  de 
Hütten,  s'occupait  beaucoup  de  l'affaire  encore  pendante  de  Heuch- 
lin,  se  sentant  très-disposé  à  trancher  par  l'épée  cette  querelle  de 

'  BocKiNG,  Huttetii  Op„  t.  I,  p.  248. 

^  Sur  Sickingen,  voy.  notre  premier  volume,  p.  538-539,  541-542,  540-547. 

^  BÖCKING,  t.  I,  p.  273.  —  Voy.  Strals,  t.  I,  p.  361-362. 

*  "  ...Fore  ut  orljiscapitaadversus  barbariera  nobiscum  conspirent.»  Bocking, 
t.  I,  p.  273. 

^  "  ...Primura  conciliandus  nobis  Ferdinandus  erit...  post  facile  erit  exagitarr 
improbos.  •  Bocking,  t.  I,  p.  320. 

"  Voy.  Stuaus,  t.  n,  p.  48-51. 


96  CONDAMNATION    DE    REUCIILIN- 

savants.  A  la  grande  joie  des  humanistes,  en  sa  qualité  d'«  ami  du  droit 
et  de  l'équité  »,  il  menaça  de  guerre  privée  le  Dominicain  Hochstratten 
et  le  prieur  de  son  Ordre,  dans  le  cas  où  tous  deux  refuseraient  de 
donner  satisfaction  «  au  pieux  et  savant  Reuchlin  ».  11  envoya  aussi 
son  défi  à  Cologne,  sous  prétexte  que  le  premier  magistrat  de  cette 
ville  s'était  rangé  du  côté  des  Dominicains  '. 

Or,  chacun  savait  ce  que  signifiaient  les  défis  de  Sickingen. 
Worms,  Landau,  Metz,  tout  le  pays  de  la  Hesse  l'avaient  appris 
à  leurs  dépens,  et  cela  d'une  foçon  terrible  -.  L'«  attitude  humble  » 
que  prirent  aussitôt  les  Dominicains  vis-à-vis  du  brigand  redouté 
est  donc  excusable,  bien  qu'elle  ne  soit  pas  précisément  digne.  Le 
conseil  du  couvent,  saisi  d'effroi,  se  hâta  de  retirera  Hochstratten  la 
charge  de  supérieur  du  couvent  de  Cologne  et  celle  de  grand  inqui- 
siteur de  la  foi.  Le  silence  lui  fut  imposé. 

Mais  un  bref  pontifical  ne  tarda  pas  à  rétablir  Hochstratten  dans 
ses  fonctions,  et  le  procès  de  Reuchlin,  si  longtemps  en  suspens,  se 
termina  enfin  en  faveur  du  Dominicain.  Le  Pape  donnait  droit  à  la 
sentence  de  Spire,  interdisait  le  Miroir  des  yeux  comme  livre  dan- 
gereux, suspect,  plein  de  partialité  pour  les  Juifs,  et  condamnait 
Reuchlin  à  payer  tous  les  frais  du  procès.  Dès  ce  moment,  l'alliance 
de  Reuchlin  avec  les  chevaliers  révolutionnaires  cessa  complète- 
ment. En  vain  Sickingen  lui  offrit-il  son  appui  ;  en  vain  l'invita-t-il  à 
se  réfugier  dans  son  château,  Reuchlin  s'était  entièrement  soumis  à 
la  décision  du  chef  de  TÉglise,  et,  vis-à-vis  de  Luther,  son  attitude 
redevint  strictement  orthodoxe.  Il  fit  même  tous  ses  effortspour  éloi- 
gner du  dangereux  voisinage  des  novateurs  son  neveu  Mélancht  hontet 
s'exprima  sur  le  compte  de  Luther  avec  tant  de  force,  dans  une 
lettre  adressée  aux  ducs  de  Bavière,  qu'à  partir  de  ce  moment  Hütten 
devint  son  ennemi  juré.  "  Tu  te  déshonores  »,  lui  écrivit-il,  "  en 
combat  tant  le  parti  auquel  appartiennent  des  hommes  dont  tu  devrais 
être  l'inséparable  allié  en  toute  question  d'honneur.  Essaye  cepen- 
dant de  nous  vaincre,  et  si  ton  âge  te  le  permet,  fais  le  voyage  de 
Rome;  puisque  tu  en  montres  un  si  grand  désir,  va  baiser  le  pied 
de  Léon!  Écris  contre  nous,  comme  tu  enbriUes  d'envie!  Malgré  tes 
€ris,  ceux  de  tes  amis  et  des  romanistes  impies,  nous  parviendrons 
à  secouer  le  joug  qui  nous  écrase;  nous  briserons  cette  chaîne  hon- 
teuse que  tu  te  vantes  d'avoir  toujours  été  fier  de  porter,  comme  si 


'  Sur  l'intervention  de  Sickingen,  voy.  Geiger,  Reuchlin,  p.  444-450. 

^  Voy.  notre  premier  volume,  p.  546-547. 

'  Pour  plus  de  détails,  voy.  Geiger,  p.  451-466.  —  Voy.  la  lettre  de  Reuchlin  à 
M.  Huuimelberger,  3  janvier  1520,  où  il  exprime  son  opinion  sur  Luther.  — 
HORAWITZ,  Zur  Biographie  Ecuchlin's,  p.  62. 


AM-IANCK    DE    LUTHER    ET    DE    HÜTTEN.    1520.  97 

cela  était  dip,ne  d'un  homme  comme  toi!  Tu  blâmes  l'attitude  de 
Luther,  tu  désapprouves  son  entreprise,  tu  voudrais  voir  son  parti 
vaincu;  mais  son[;es-y  bien,  tu  as  en  moi  un  violent  adversaire, 
non-seulement  si  tu  t'en  prends  à  lui,  mais  si  tu  te  soumets  au  pon- 
til'e  romain  '.  = 

Depuis  quelque  temps,  Hütten  était  devenu  l'intime  ami  de  Luther. 
En  1519,  les  liens  qui  l'attachaient  encore  à  l'archevêque  de 
Mayence,  les  revenus  qu'il  tenait  du  prélat,  l'empêchaient  de  se  rap- 
procher ouvertement  de  Luther*.  Aussi,  en  janvier  et  février  1520, 
c'est  par  l'entremise  de  Mélanchthon  qu'il  s'adresse  à  lui  :  <  Sickin- 
gen  me  charge  -,  écrit-il  à  Alélanchton  (Mayence,  20  février),  ^  de 
faire  savoir  à  Luther  que  dans  le  cas  où  il  aurait  à  redouter  quelque 
péril  à  cause  de  ses  opinions  et  ne  trouverait  point  de  meilleur  appui 
d'un  autre  côté,  il  peut  s'adresser  à  lui  en  toute  confiance,  et  serait 
sur  de  rencontrer  en  lui  la  meilleure  volonté  de  le  servir.  Crois-moi, 
je  ne  sais  si  ailleurs  il  pourrait  s'assurer  un  auxiliaire  plus  sûr.  Luther 
est  aimé  de  Sickingen'.  "  De  Steckelberg  (28  février),  il  fait  des 
ouvertures  encore  plus  claires  :  «  Ce  que  je  t'ai  chargé  de  commu- 
niquer à  Luther  de  la  part  de  Sickingen,  dis-le-lui  promptement; 
mais,  je  te  prie,  dis-le-lui  à  l'oreille;  je  ne  désire  pas  que  quelqu'un 
sache  la  part  que  j'ai  dans  cette  affaire.  Si  les  difficultés  s'amassent 
autour  de  Luther,  il  n'a  pas  besoin  de  chercher  bien  loin  des  auxi- 
liaires; ayant  Franz  pour  lui,  il  peut,  en  pleine  sécurité,  braver  tous 
ses  ennemis.  .Je  fais  avec  Sickingen  des  plans  importants  et  gran- 
dioses; si  tu  élaisici,  je  te  les  communiquerais  de  vive  voix.  J'espère 
que  les  barbares  feront  une  mauvaise  fin,  ainsi  que  tous  ceux  qui 
révent  de  voir  s'appesantir  sur  nous  le  joug  romain.  Mes  dialogues, 
la  Triade  romaine,  et  les  Spectateurs  sont  sous  presse.  Ils  s'expriment 
avec  une  étrange  liberté  sur  le  Pape  et  sur  les  sangsues  de  l'Alle- 
magne*. » 
Nous  lisons  dans  le  premier  de  ses  dialogues  :  «  Contre  le  poison 

i  qui  sort  tout  fumant  du  cœur  du  Pape,  il  n'est  point  d'antidote;  le 
Pape  peut  abriter  sous  sa  protection  toutes  sortes  de  ruses,  de  tours 

\  de  passe-passe;  les  habiles  manœuvres,  les  complots  renaissent  sans 
cesse  autour  de  lui.  Le  Pape  est  un  bandit,  et  l'armée  de  ce  bandit 

I  s'appelle  l'Église.  »  «  Que  tardons-nous  encore?  L'Allemagne  n'a-t-elle 

'  Lettre  du  22  février  1521.  Böcking,  Hutteni  Op.,  Suppl.,  t.  II,  p.  803-804.  — 
Beuchlin's  Briefwechsel,  p.  327-329.  —  On  voit  que  la  Statue  de  Reuchlin  a  été 
malencontreusement  placée  sur  le  monument  commémoratif  de    Luther,  à 
Worms. 
I     *  Voy.  sa  lettre  à  Eoban  Hessus,  26  octobre  1519,  dans  Böcking,  t.  I,  p.  313 

'  «  Crede  mihi,  vix  aliunde  certior  salus  erit.  »  Böcking,  t.  I,  p.  320. 

*  BÖCKING,  t.  I,  p.  324. 


98  LUTHER    ET    HÜTTEN. 

donc  plus  d'honneur?  n'a-t-elle  point  de  feu?  Si  les  Allemands  en 
manquent,  les  Turcs  en  auraient,  car  les  épées  turques  finiraient  par 
être  nécessaires  si  les  chrétiens,  refusant  d'ouvrir  les  yeux,  se  laissaient 
encore  égarer  par  la  superstition,  et  ne  châtiaient  pas  les  criminels.  » 
Hütten  souhaite  que  trois  calamités  fondent  sur  le  bourbier  romain, 
siège  de  toute  perversité  :  la  peste,  la  famine  et  la  guerre.  Rome 
étant  la  mère  de  toute  impureté,  un  foyer  de  corruption,  pour  s'en 
délivrer,  on  devait,  comme  on  en  agit  dans  toutes  les  grandes  cala- 
mités publiques,  accourir  en  masse  de  tous  côtés,  seller  les  chevaux, 
déployer  les  bannières,  porter  partout  le  fer  et  le  feu. 

Après  la  publication  de  ce  libelle,  Hütten  présida  à  Bamberg,  avec 
son  frère  d'armes  Crolus  Kubianus,  une  importante  assemblée  qui 
devait  grandement  servir  les  progrès  de  la  révolution  (avril  1520).  Les 
conjurés  convinrent  entre  eux  de  si  bien  stimuler  Luther  qu'il  se 
décidât  enfin  à  prendre  vis-à-vis  de  Kome  une  attitude  plus  claire- 
ment hostile;  leur  dessein  était  de  se  servir  de  lui  pour  la  révolution 
politique  et  religieuse  qu'ils  rêvaient. 

Après  la  réunion  de  Bamberg,  Crotus,  le  28  avril,  se  tourne  donc 
une  seconde  fois  vers  Luther,  ■-  le  plus  grand  des  théologiens  »,  le 
«  très-excellent  Polyclète  ",  l'exhortant  à  poursuivre  hardiment  son 
entreprise.  Oue  les  créatures  du  Pape  vantent  et  célèbrent  l'infaillible 
mission  doctrinale  de  l'Eglise;  pour  Luther,  il  doit  s'en  tenir  à  cette 
parole  des  saints  Livres  :  <  Tu  seras,  Seigneur,  le  flambeau  qui  éclaire 
mes  pas,  et  la  lumière  de  mon  chemin.  Mais  qu'il  ne  tarde  pas  à 
mettre  à  profit  le  secours  de  ce  flambeau  divin;  qu'il  donne  suite 
aux  avances  de  Sickingen,  -  cet  illustre  chef  de  la  noblesse  alle- 
mande -;  Luther  voit  ses  jours  menacés  par  de  nombreux  ennemis; 
mais,  grâce  à  Sickingen,  il  sera  protégé  contre  tous  ceux  qui  lui 
dressent  des  embûches.  ^  Aie  souci  de  l'avenir  ,  lui  dit-il  en  termi- 
nant, '  voila  mon  conseil;  écris  à  Sickingen,  et  songe  à  entretenir 
sa  bonne  volonté*.  '= 

Luther  souffrait  dès  lors  d'une  angoisse  maladive  qui  lui  faisait 
redouter  partout  la  persécution  et  le  meurtre.  Cette  disposition, 
après  de  tels  avertissements,  ne  fit  que  s'exagérer  encore.  Le 
16  avril  1520,  il  écrit  à  Spalatin  qu'il  a  été  secrètement  informé 
qu'un  docteur  en  médecine,  ayant  le  don  de  se  rendre  invisible,  a  été 
envoyé  pour  le  mettre  à  mort-!  Ses  terreurs  sont  soigneusement 
entretenues  par  Hütten.  ^  Hütten  -,  écrit-il,  ^-  ne  se  lasse  pas  de  me 
mettre  sur  mes  gardes,  tellement  il  redoute  pour  moi  le  poison  K  >■ 

'  Dans  BÖCKING,  Hutteni  Op.,  t   I,  p.  337-339.  —  Voy.  Kampschulte,  t.  II,  p.  68- 
71,  et  sa  dissertation  intitulée  :  De  Johanne  Croto  Rubiano.  Bonua%  1862. 
ä  De  Wette,  t    1,  p.  441. 
■*  De  Wette,  t.  I,  p.  48".  —  Voy.  Luiheri  Xachsiellung  durch  eine  Ziindbüchse,  durch 


ALLIANn:    DE    LUTHER    ET    DE    FfUTTEN.  99 

Plus  tard,  ces  sortes  de  craiates  devinrent  chez  lui  une  véritable 
monomanie. 

Kntrainc  par  la  force  de  l'impulsion  donnée,  Luther  se  décida  enfin 
à  suivre  les  conseils  de  son  ami  Crolus;  il  écrivit  à  Sickingen  et  à 
Hütten,  avant  même  que  ce  dernier  eiU  encore  osé  s'adresser 
directement  à  lui  '.  En  mai  1520,  le  chevalier  Sylvestre  de  Schaum- 
burg lui  offrit  son  appui  *,  et  le  4  juin  Ilutten  lui  écrivit  directe- 
ment de  Mayence.  Il  le  pressait  de  se  joindre  à  ses  amis  au  cri  de 
"  Vive  la  liberté!  »  puis,  abandonnant  soudain  le  style  païen  qui  lui 
était  familier,  il  se  transformait  en  défenseur  de  l'Évangile,  et  pre- 
nait un  Ion  biblique^:  "  Nous  n'avons  pas  travaillé  jusqu'ici  sans 
résultat;  Christ,  sois  avec  nous!  Christ,  aide-nous!  C'est  pour  toi  que 
nous  combattons;  c'est  pour  remettre  en  lumière  la  doctrine 
obscurcie  par  les  ténèbres  papistes  que  nous  luttons,  toi,  Luther, 
avec  succès,  moi  selon  mes  forces!  »  «  Nous  détestons  les  assemblées 
des  insensés,  et  nous  ne  nous  sommes  pas  assis  avec  les  impies. 
Cependant  sois  prudent,  et  tiens  tes  yeux  et  ton  esprit  fixés  sur  eux.  » 
'  Sois  mâle  et  i'ort,  n'hésite  pas!  Tu  as  en  moi  un  allié  fidèle,  prêt  à 
te  servir  en  toute  occasion;  ne  crains  donc  pas  de  me  confier  tes 
plans  d'avenir.  Nous  défendrons  ensemble  la  liberté,  et  nous  déli- 
vrerons la  patrie,  asservie  si  longtemps.  Sickingen  t'engage  à  venir 
à  lui;  il  te  traitera  avec  tous  les  égards  qui  te  sont  dus,  et  te  défendra 
vaillamment  contre  tes  ennemis  de  toutes  sortes.  Aujourd'hui,  je  me 
mets  en  route  pour  aller  trouver  Ferdinand,  et  je  tenterai  tout  pour 
servir  notre  cause  auprès  du  prince  *.  " 

Dans  l'entourage  de  Luther,  on  fondait  sur  ce  voyage  les  plus 
grandes  espérances.  «  Hütten  »,  écrit  Mélanchfhon  le  8  juin  1520, 
«  se  rend  près  de  Ferdinand,  frère  du  roi  Charles;  il  va  frayer  la 

Gi/t,  durch  einen  Juden  mit  gelben  Haaren.  Il  croyait  que  les  Chaires  OÙ  il  prêchait 
avaient  été  plus  d'une  fois  empoisonnées,  mais  que  Dieu  l'avait  toujours  protégé 
miraculeusement.  Il  était  aussi  convaincu  que  souvent  il  avait  hu  du  poison 
sans  qu'il  lui  ait  fait  aucun  mal.  —  Keil,  Luthers  Lebensumstände,  t.  I,  p.  88-92. 

'  Le  5  mai,  il  avait  déjà  écrit  à  Hütten.  Voy.  cette  lettre  dans  de  Wette,  t.  I, 
p.  445.  —  Voy.  aussi  la  lettre  du  31  mai,  de  Wette,  t.  I,  p.  451. 

'  Voy.  la  lettre  de  Luther  à  Spalatin,  13  mai  1520,  dans  de  Wette,  t.  I,  p.  448. 

*  Straus  remarque  à  propos  du  langage  biblique  employé  par  Hütten  à  dater 
de  ce  moment  (t.  II,  p.  52)  :  ■  Ce  style  ne  convient  ni  au  caractère  ni  au  genre 
de  talent  de  liutten.  Son  instruction  avait  été  assez  superficielle,  à  moitié  clas- 
sique, à  moitié  politique;  même  lorsqu'il  traite  les  questions  relifîieuses,  il  rai- 
sonne en  •  poète  »  et  en  homme  du  monde.  Or  les  paroles  de  la  Bible  ont  une 
portée  autrement  élevée,  et  ne  sauraient  être  heureusement  associées  à  des 
tendances  qui  leur  sont  si  étrangères.  Malgré  l'art  avec  lequel  Hütten  les  met 
en  œuvre,  elles  font  un  contraste  désagréable  avec  l'ensemble,  elles  dérangent 
le  lecteur  au  lieu  de  le  persuader.  Parfois  on  s'imagine  voir  la  figure  de  Hütten 
grimacer  sous  un  capuchon.  •  Cela  est  vrai,  mais  ces  raomeries  semblaient  à  Hüt- 
ten nécessaires  à  son  rôle,  et  indispensables  pour  séduire  et  entraîner  le  peuple. 

'  BOCKING,  1. 1,  p.  355. 

7. 


100  LUTHER    FAIT    ALLIANCE    AVEC    LA    RÉVOLUTION. 

voie  aux  princes  très-puissants  qui  bientôt  prendront  en  main  la 
cause  de  la  liberté.  Oue  ne  pouvons-nous  pas  espérer  '  ?  " 

Hütten,  pour  les  frais  de  ce  voyage  à  la  cour  de  Bruxelles,  eut 
recours  à  l'archevêque  Albert  de  .Mayence-,  avec  lequel,  en  dépit  de 
tous  ses  écrits  incendiaires  contre  Home,  il  restait  toujours  en  fort 
bons  termes.  Albert  ne  dissimulait  point  ses  espérances.  Il  se  flattait 
que  TAllemag^ne,  une  fois  affranchie  du  Pape,  fonderait  une  Église 
nationale  dont  il  deviendrait  le  chef  suprême  \  <•  Hütten  est  venu  à 
Mayence  ' ,  mande  Agrippa  de  Nettesheim  à  un  ami  (16  juin  1520). 
«  H  était  accompagné  de  plusieurs  partisans  de  Luther;  tous  montrent 
une  extrême  indignation  contre  ceux  qu'ils  appellent  les  courtisans, 
et  contre  les  légats  romains.  Ils  sont  fort  mal  disposés  pour  la  per- 
sonne même  du  Pape.  Ils  préparent,  si  Dieu  ne  l'empêche,  de 
grandes  révoltes  en  ce  pays,  car  ils  font  aux  princes  souverains  et 
aux  seigneurs  de  belles  promesses,  et  les  exhortent  à  secouer  le 
joug  de  Rome.  Qu'avons-uous  besoin,  s'écrieut-ils,  d'un  évoque 
romain?  N'avons-nous  pas,  dans  notre  Allemagne,  des  primats,  des 
évêques?  L'Allemagne  doit  abandonner  Rome,  et  s'en  tenir  à  ses 
primats,  à  ses  évêques,  à  ses  curés.  Tu  vois  clairement  ce  à  quoi 
ils  visent.  Déjà,  quelques  princes  et  cités  leur  font  un  accueil  bien- 
veillant; quant  à  ce  que  pourra  tenter  l'autorité  de  l'Empereur,  je 
l'ignore  *.  » 

Depuis  la  mort  de  Maximilien  (janvier  1519),  l'Empire,  privé  de 
maître,  était  livré  à  une  sorte  d'anarchie,  et  le  déplorable  désarroi 
des  affaires  publiques  ne  favorisait  que  trop  les  menées  du  parti 
révolutionnaire. 


IV 


L'alliance  de  Luther  avec  le  parti  révolutionnaire  était  désormais 
un  fait  accompli  =. 

Bientôt  il  répond  à  Hütten  qu'il  a  plus  de  confiance  en  Sickingen 

'  •  ...Viam  facturus  libertati  per  maximos  principes.  Quid  non  speramus  igi- 
tur?  »  Corp.  Reform.,  t.  I,  p.  201. 

*  Voy.  la  lettre  de  Jean  Cochlaeus,  12  juin  1520,  dans  Böcking,  t.  I,  p.  358. 

^  La  question  de  savoir  si  le  Pape  tient  son  autorité  de  Dieu  ou  simplement 
d'un  mandat  humain  paraît  à  Albert  «  superficielle,  indifférente,  au  nombre 
de  ces  questions  dont  un  vrai  chrétien  n'a  pas  beaucoup  à  se  préoccuper  = .  — 
Voy.  Riffel,  t.  I,  p.  174-175. 

*  BÖCKING,  t.  I,  p.  339-360.  Voy.  STR.iLSS,  t.  IV,  p.  55. 

'  Maure.nbrecher  [Katholische  Reformation,  t.  I,  p.  394)  reconnaît  franchement 
ce  fait,  mais  il  approuve  la  ligne  de  conduite  adoptée  par  Luther:  •  ce  n'est 
pas  aux  protestants  '.  selon  lui,  •  qu'il  appartient  de  le  blâmer.  Ils  doivent  av 


LUTHER    FAIT    ALLIANCE    AVEC    LA    RÉVOLUTION.  10! 

qu'en  n'importe  quel  prince  '.  «  Je  pense  qu'ils  sont  tous  devenus  fous, 
à  Rome  ",  écrit-il  à  Spalatin  au  commencement  de  juin  1520; 
«  tous  sont  violents,  inconsidérés,  sans  cervelle!  Cène  sont  que  des 
bûches,  des  pierres,  des  démons  M   >  Lorsque,  le  11  juin,  le  chevalier 

contraire  lui  savoir  gré  de  ne  pas  s'être  arrêté  à  de  vains  et  subtils  scru- 
pules, de  n'avoir  pas  eu  horreur  des  mesures  violentes,  puisqu'elles  étaient 
nécessaires,  et  d'avoir  été  droit  aux  moyens  efficaces  et  radicaux.  L'emploi  de 
ces  moyens  était  inévitable.  Sans  eux,  la  patrie  allemande,  si  longtemps  oppri- 
mée par  la  cour  de  Rome,  ne  pouvait  être  affranchie.  • 

'  «  ...Se  plus  confidentiae  erga  illum  gerere,  raajoremque  in  eo  spem  habere, 
quam  habeat  in  ullo  sub  ca-lo  principe.  -  Cochl.els,  De  actis  et  scriptis  Lutheri, 
fol.  se''.  Voy.  Kampschulte,  t.  Il,  p.  74,  note  3,  et  Sybel,  Histor.  Zeitsckri/i,  1874, 
p.  189. 

»  De  Wette,  t.  I,  p.  453.  En  même  temps  il  écrivait  à  Crotus  Rubianus.  Voy. 
Corp.  Reform.,  t.  I,  p.  202.  —  ßöcKiNG,  t.  I,  p.  434.  —  Burkhardt,  Luther' s  Brief- 
wechsel, p.  29.  —  De  Wette,  t.  I,  p.  452.  Luther  traitait  tous  ses  adversaires 
théologiques,  Sylvestre  l'rierias,  Latomus,  les  théologiens  de  Cologne,  de  Paris 
et  les  autres  avec  le  dernier  mépris;  tous  sont  à  ses  yeux  des  gredins,  des  gens 
sans  pudeur,  inspirés  par  le  mauvais  esprit,  et  qui  s'attachent  à  lui  "  comme 
la  crotte  aux  roues  •.  A  l'entendre,  ils  déchirent  effrontément  la  sainte  Écri- 
ture et  ne  sont  pas  même  dignes  de  garder  les  pourceaux.  Dans  une  lettre  à 
Link,  19  août  1520,  il  en  appelle  à  saint  Paul  pour  exruser  la  violence  de  ses 
attaques,  disant  que  l'Apôtre  a  comme  lui  appelé  ses  adversaires  des  chiens,  des 
serviteurs  du  démon,  etc.  Il  n'y  a  que  des  «  asini  asinissimi  qui  écrivent  contre 
moi  " ,  dit-il  à  un  autre  endroit  ;  «  ego  vero  corpore  satis  bene  valeo  et  animo, 
nisi  quod  mallem  minus  me  peccare.  Et  quotidie  magis  pecco,  quod  tibi  tuisque 
orationibus  conqueror.  •  De  Wette,  t.  I,  p.  474,  479,  553.  ■  Les  écrits  controver- 
sistes  de  Luther  »,  avoue  Kahnis  en  dépit  de  tout  l'enthousiasme  que  lui  inspire 
le  réformateur  (t.  I,  p.  297),  manquent  de  logique,  de  suite,  de  calme, 
d'impartialité,  de  dignité,  de  mesure.  Beaucoup  étaient  rebutés  par  le  ton 
acéré,  les  reproches  rudes  et  grossiers  qui,  sous  sa  plume,  se  changeaient 
si  souvent  eu  invectives  brutales.  >  •  Luther  est  fortement  enclin  à  mettre 
toutes  les  objections  de  ses  adversaires  sur  le  compte  de  l'ignorance,  d'un 
endurcissement  voulu,  de  vices  honteux,  d'un  manque  total  de  sens  évan- 
gélique,  etc.  »  —  Thiersch  (p.  58-59)  ne  dissimule  pas  davantage  ce  que  lui 
fait  éprouver  la  violence  sans  frein  de  Luther  envers  ses  adversaires  :  •  Au 
lieu  d'attribuer  leurs  critiques  à  des  erreurs  de  jugement,  à  un  défaut  de 
science,  n'empêchant  pas  leur  loyale  bonne  volonté,  Luther  répète  constam- 
ment qu'ils  sont  possédés  du  démon;  il  les  accuse  d'aveuglement  volontaire;  il 
représente  leurs  actes  comme  entachés  de  péché  mortel.  Ces  exagérations 
nous  révèlent  en  lui  l'absence  de  cette  calme  'ucidité  d'esprit  que  posède  seule 
l'âme  pleinement  convaincue  de  l'équité  de  ses  voies  et  de  la  justice  de  sa 
cause.  Toute  sa  dialectique  repose  sur  l'idée,  érigée  par  lui  en  principe,  que  le 
Pape  est  l'Antéchrist.  Pour  justifier  sa  conduite,  il  est  obligé  de  repéter  sans 
cesse  cette  assertion,  et  de  représenter  ses  adversaires  comme  des  êtres  incor- 
rigibles, desquels  il  n'y  a  absolument  rien  à  espérer.  »  ^  Son  langage  violent, 
l'àpreté  de  ses  jugements,  l'amertume  de  ses  paroles  ont  beaucoup  contribué  à 
rendre  irrémédiable,  et  cela  de  nos  jours  encore,  la  scission  dont  il  est  l'auteur; 
car  Luther  a  légué  son  esprit  à  ses  disciples.  Son  style  acrimonieux  a  été  d'un 
exemple  déplorable  pour  les  théologiens  luthériens  qui  le  suivirent.  Comme  lui, 
ils  s'imaginèrent  qu'injurier,  damner,  était  le  signe  d'une  foi  robuste,  prouvait 
la  justice  de  la  cause  défendue,  et  que  cet  emportement  n'était  autre  chose  que 
le  véritable  »  zelus  Lutheri,  l'héroïque  ardeur  du  nouvel  Élie.  »  Le  Courrier 
luthérien  (p.  380-385)  professe  les  mêmes  opinions  :  «  La  façon  dont  Luther 
traite  ses  adversaires  rendait  tout  accommodement,  toute  discussion  scienti- 
fique impossible.  "  D'ailleurs,  il  avait  pour  système  de  jeter  ceux  qui  discutaient 


102        LUTHER  PUBLIE  LE  IVIAMFESTE  A  LA  NOBLESSE   D'ALLEMAGNE. 

Sylvestre  de  Schaumbourglui  offre  cent  cavaliers  nobles  pour  le  pro- 
téger *,  Luther  envoie  aussitôt  sa  lettre  à  Spalatin  :  «  Les  dés  sont 
jetés  ',  s'écrie-t-il;  «  je  méprise  la  colère  des  Romains  aussi  bien  que 
leur  faveur,  et  je  ne  veux  point  de  réconciliation  avec  eux  dans  toute 
Téternité;  non,  je  ne  veux  avoir  rien  de  commun  avec  eux!  Qu'ils  me 
condamnent  ou  brûlent  mes  écrits,  peu  m'importe!  En  revanche, 
dussé-je  ne  jamais  employer  d'autre  flamme,  je  prétends  brûler  et 
damner  publiquement  tous  les  livres  du  droit  papal,  cette  hydre 
pédante  de  l'hérésie.  Alors  nous  en  finirons  enfin  avec  l'humilité  sté- 
rile témoignée  jusqu'ici  aux  Romains,  et  dont  je  ne  souffrirai  plus 
que  les  ennemis  de  l'Évangile  continuent  à  s'enorgueillir.  Sylvestre 
de  Schaumburg  et  Franz  de  Sickingen  m'ont  affranchi  de  toute  crainte 
humaine.  "  «  Franz  »,  écrit-il  à  un  Frère  de  son  Ordre,  «  m'a  fait 
assurer  par  l'entremise  de  Hütten  qu'il  me  défendrait  contre  tous  mes 
ennemis.  Sylvestre  en  a  fait  autant,  et  m'offre  l'appui  de  ses  nobles  de 
Franconie;  j'ai  reçu  de  lui  une  belle  lettre.  Désormaisjene  crains  plus 
rien.  Je  suis  en  train  de  publier  en  allemand  un  livre  sur  le  Pape  et 
sur  la  réforme  de  la  société  chrétienne.  J'y  attaque  le  Pape  de  la 
manière  la  plus  violente,  et  je  vais  jusqu'à  l'assimiler  à  l'Antéchrist^  >•■ 

Ce  livre,  publié  au  commencement  d'août  1520,  n'était  autre  que  le 
célèbre  manifeste  intitulé  :  A  la  noblesse  chrétienne  dupay  s  d'Allemagne^. 


ses  doctrines  dans  une  confusion  toujours  plus  inextricable  :  "  Comnneje  m'aper- 
çois »,  dit-il  dans  la  Captivité  de  Babylone,  «  que  mes  ennemis  ont  du  temps  et  du 
papier,  je  veux  mettre  tous  mes  soins  à  ce  qu'ils  aient  de  quoi  criailler,  .le  pré- 
tends courir  toujours  en  avant,  et  tandis  que  mes  éloquents  et  glorieux  vain- 
queurs s'imagineront  avoir  terrassé  quelqu'une  de  mes  hérésies,  je  leur  taillerai 
une  autre  besogne.  -  Souvent  Luther,  accablant  de  son  mépris  un  adversaire 
qui  jamais  et  nulle  part  ne  peut  avoir  raison,  est  entraîné  à  soutenir  d'étranges 
sophismes,  et  semble  vraiment  se  moquer  de  la  logique  la  plus  élémentaire.  C'est 
ainsi  que,  réfutant  la  proposition  d'Alveld  qui  avait  dit  que  nulle  société  terrestre 
ne  peut  subsister  sans  un  chef,  et  que,  par  conséquent,  la  société  chrétienne 
doit  avoir  un  pasteur  suprême,  il  dira  :  "  Une  société  corporelle  ne  se  fonde 
pas  sans  femme;  par  conséquent  on  devrait  aussi  donner  à  la  chrétienté  une 
vraie  femme,  une  femme  en  chair  et  en  os,  afin  que  l'Église  ne  périsse  pas;  à 
la  vérité,  cette  femme  devrait  être  une  robuste  prostituée!  •  Il  faut  reconnaître 
que  plus  d'un  adversaire  de  Luther  imitait  sa  violence.  Sylvestre  Prierias  l'appelle 
"  un  lépreux  spirituel,  un  homme  à  la  tête  d'airain,  qui  sans  doute  eût  été  un 
ardent  panégyriste  de  l'indulgence,  si  le  Pape  lui  eût  donné  un  bon  êvéché, 
ou  bien  une  indulgence  plénière  pour  l'établissement  de  son  Église  ».  Dialog. 
Silv.  Prierias,  dans  les  Op.  latina,  varii  argumenti  de  Luther,  t.  I,  p.  351-365. 

'  BuRKHARDT,  Luthcr's  Brieftcechsel,  t.  XXIX.  Voy.  G.  LOTZ,  Der  frankische  Adel,  und 
dessen  Einßuss  auf  die  Verbreitung  der  Reformation,  dans  le  Zeitschrift  für  die  gesammte 
lutherische  Theologie,  t.  XXIX,  p.  465-486. 

*  De  Wette,  1. 1,  p.  466,  469,  475.  «  A  me  quidem, yflc/a  mihi  alea,  contemptus  est 
Romanus  furoret  favor:  nolo  eis  reconciliari  nee  communicari  inperpetuura.» 
"  Quia  enim  jam  secure  me  fecit  Silvester  Schaumburg  et  Franciscus  Sickin- 
gen, ab  hominum  timoré  succedere  oportet  daemonum  quoque  furorem.  » 

3  Sämmtl.  Werke,  t.  XXI,  p.  274-360. 


LUTHER   PUBLIE  LE  MANIFESTE  A   LA  NOBLESSE  D'ALLEMAGNE.         103 

C'est  la  véritable  déclaration  de  guerre  du  parti  révolutionnaire 
dirige  par  Luther  et  Hütten.  Luther  était  bien  sûr  d'être  chaude- 
ment approuvé  par  ceux-là  mêmes  qui  ne  partageaient  point  ses  opi- 
nions sur  le  renversement  total  de  l'organisation  ecclésiastique, 
lorsqu'il  parlait  comme  il  suit  de  la  cessation  des  abus  du  pouvoir 
temporel  :  ■<  En  premier  lien  »,  dit-il,  "  il  serait  urgent  de  faire  une 
loi,  du  consentement  de  toule  la  nation,  contre  le  luxe  extravagant 
de  ces  habillements  coûteux  qui  ruinent  parmi  nous  tant  de  nobles  et 
tant  de  riches  bourgeois.  Dieu  nous  a  cependant  donné  comme  aux 
autres  nations  assez  de  laine,  de  crin,  de  lin,  et  tout  ce  qui  est 
nécessaire  à  l'honnête  entretien  de  chaque  état,  pour  que  nous 
n'ayons  pas  besoin  de  gaspiller  des  sommes  énormes  dans  l'achat 
de  velours,  de  soie,  d'ornements  d'or;  toutes  ces  marchandises  étran- 
gères que  nous  recherchons  follement  nous  sont  inutiles.  Nous 
n'avons  que  faire  non  plus  de  la  masse  d'épices  dont  nous  faisons 
usage;  c'est  là  le  grand  vaisseau  qui  conduit  tout  notre  argent  hors 
du  pays.  Mais  la  grande  calamité  de  l'Allemagne,  c'est  évidemment 
le  prêt  à  intérêt.  S'il  n'existait  pas,  plus  d'un  regarderait  à  dépenser 
son  argent  en  soie,  velours,  ornements  d'or,  épices,  et  pour  tous  ces 
oripeaux  dont  il  se  montre  si  curieux.  Certainement,  le  prêt  à  intérêt 
est  la  figure  et  la  preuve  que  le  monde  avec  ses  iniquités  a  été  vendu 
au  diable,  qui  par  là  veut  nous  ravir  à  la  fois  le  bien  temporel  et 
spirituel;  mais  nous  ne  discernons  pas  son  mauvais  dessein.  En  vérité, 
il  faudrait  mettre  aux  Fugger  et  autres  compagnies  un  frein  dans 
la  gueule.  Comment  pourrait-il  être  juste  devant  Dieu  qu'un  homme 
puisse  en  sa  vie  amassera  lui  tout  seul  les  trésors  d'un  roi?  »  "  Il 
serait  selon  Dieu  de  favoriser  le  travail  des  champs  et  de  diminuer 
les  affaires  du  négoce,  et  ceux  qui  travaillent  la  terre  et  en  tirent  le 
nécessaire  pour  le  soutien  de  leur  vie  sont  bien  mieux  inspirés  que 
les  commerçants,  car  ils  suivent  l'Écriture,  qui  a  dit  :  «  Tu  gagneras 
'  ton  pain  à  la  sueur  de  ton  front.  »  Luther,  en  parlant  ainsi,  ne  faisait 
que  répéter  ce  qu'avaient  tant  de  fois  enseigné  les  théologiens  éco- 
nomistes du  quinzième  siècle.  ^  Voyez  »,  poursuit-il,  -  les  abus  de 
mangeaille,  de  boisson,  qui  nous  sont  particulièrement  reprochés,  et 
nous  font  un  si  méchant  renom  dans  les  pays  étrangers.  Les  prédica- 
teurs ne  parviennent  pas  à  y  apporter  remède,  tant  ils  sont  devenus 
habituels  parmi  nous.  Le  tort  fait  par  là  à  notre  bourse  serait  un  bien 
petit  mal,  si  le  meurtre,  l'adultère,  le  vol,  le  blasphème  et  toutes  sortes 
de  crimes  n'étaient  la  conséquence  de  ces  excès.  L'épée  temporelle 
devrait  ici  mettre  le  holà;  si  elle  ne  s'y  décide,  nous  verrons  bientôt 
se  réaliser  ce  que  le  Christ  a  prédit  :  le  jugement  dernier  viendra 
comme  un  voleur  de  nuit,  pendant  qu'ils  boiront,  mangeront,  se 
marieront,  feront  l'amour,  bâtiront,  planteront,  achèteront,  ven- 


104         LUTHER  PUBLIE  LE  MANIFESTE  A  LA  NOBLESSE  D'ALLEMAGNE. 

dront.  En  vérité,  les  choses  en  sont  venues  à  un  tel  point  que  je  crois 
le  jugement  dernier  tout  voisin  de  notre  porte;  il  sera  ici  au  moment 
où  l'on  s'y  attendra  le  moins.  Knfiu,  n'est-ce  pas  une  chose  déplo- 
rable que  nous  autres  chréliens  tolérions  parmi  nous  des  maisons  de 
filles  publiques?  Si  le  peuple  d'Israël  a  pu  vivre  5ans  un  tel  scandale, 
comment  le  peuple  chrétien  ne  le  pourrait-il  pas?  Et  comment  donc 
fait-on  dans  tant  de  villes,  de  bourjjs,  de  hameaux,  de  villages? 
Pourquoi  nos  grandes  villes  ne  peuvent-elles  se  passer  d'uue  pareille 
abomination? 

Ces  réflexions,  qui  terminent  le  livre,  sont  dignes  d'être  louées; 
mais  là  n'est  point  la  vraie  portée  du  manifeste  de  Luther.  Ce  qu'il 
venait  y  déclarer,  c'est  que,  se  rattachant  à  Jean  Huss  et  à  Hütten,  il 
était  résolu  à  combattre  l'organisalion  de  l'Eglise  jusqu'en  ses  plus 
profondes  racines;  il  y  émettait  des  propositions,  il  y  posait  des  prin- 
cipes qui  menaient  tout  droit  à  la  complète  abolition  du  droit  tra- 
ditionnel. 

Adoptant  entièrement  la  doctrine  hussile  sur  le  sacerdoce  univer- 
sel, il  commence  par  affirmer  que  tous  les  chrétiens  sont  prêtres  : 
«  Un  chrétien  sort  à  peine  des  eaux  du  baptême  qu'il  est  prêtre, 
et  peut  se  vanter  d'avoir  reçu  l'ordination,  et  d'être  clerc,  évêque  et 
pape.  >!  "  Ce  n'est  que  par  rapport  aux  fonctions  qu'il  existe  quelque 
différence  entre  les  chrétiens.  Or  les  fonctions  sacerdotales  sont 
conférées  à  l'individu  par  le  peuple,  sans  la  volonté  et  l'ordre  duquel 
personne  ne  doit  se  charger  d'exercer  le  ministère.  Et  s'il  arrivait 
qu'un  chrétien,  élu  prêtre  de  cette  manière,  liît  ensuite  révoqué 
pour  avoir  abusé  de  la  charge  qui  lui  avait  été  confiée,  il  en  serait 
quitte  pour  redevenir  ce  qu'il  était  auparavant.  Dès  que  les  fidèles 
l'ont  déposé,  il  redevient  paysan  ou  bourgeois,  comme  les  autres, 
car  il  faut  bien  se  persuader  qu'un  prêtre  n'est  plus  prêtre  à  partir 
du  moment  où  il  a  été  déposé  '.  " 

Tous  les  chrétiens  étant  prêtres,  il  s'ensuit  que  tous  ont  le  droit 
de  juger  la  doctrine  et  de  séparer  ce  qui  est  orthodoxe  de  ce  qui  ne 
l'est  pas.  Or,  la  mesure  de  ce  jugement,  c'est  la  sainte  Écriture,  que 
chacun  doit  interpréter  selon  que  la  foi  lui  en  donne  l'intelligence. 
Personne  ne  doit  souffrir  que  les  imaginations  des  papes  mettent 
obstacle  à  !'<'  esprit  de  liberté  «  dont  parle  saint  Paul.  "  Il  convient, 
au  contraire,  que  tout  chrétien  soit  en  état  de  comprendre  et  de 
défendre  sa  foi,  et  de  réfuter  toutes  les  erreurs.  > 

La  communauté  chrétienne,  dépouillée  de  son  organisation  hiérar- 

'  Maurenbrecher,  Siudicn  und  Skizzen,  p.  342-347,  fait  très-bien  comprendre 
comment  Luther,  par  la  proclamation  du  sacerdoce  universel  et  du  principe 
populaire  donné  pour  base  à  la  constitution  de  la  nouvelle  société  chrétienne, 
sapait  jusqu'en  ses  racines  toute  l'organisation  de  l'Église. 


LUTIfKR  PUBLIK  LE  MANIFESTE  A  LA  NOBLESSE  D'ALLEMAGNR.        105 

chique  et  de  son  sacerdoce  parliciilier,  sociélé  libre  où  chacun  peut 
fornier  sa  foi  d'après  la  libre  inlerprélatiou  de  IKcriture,  est  assu- 
jettie au  pouvoir  temporel  :  "  Comme  la  puissance  temj)orelle  a  été 
établie  par  Dieu  pour  punir  les  méchants  et  protéger  les  bons,  on 
doil  lui  laisser  le  libre  exercice  de  son  pouvoir  dans  toule  l'étendue 
du  corps  chrétien.  Elle  ne  doit  jamais  avoir  égard  aux  personnes, 
mais  frapper  indistinctement  le  Pape,  les  évéques,  les  prêtres,  les 
moines,  les  religieuses  ou  n'importe  qui.  ;>  Ce  que  le  droit  ecclésias- 
tique a  pu  dire  de  contraire  ne  procède  que  du  téméraire  orgueil  de 
Home,  et  n'est  que  rêverie  inventée  à  plaisir.  «  Le  glaive  temporel  est 
rigoureusement  obligé,  lorsque  la  nécessité  s'en  fait  sentir,  de  veiller 
à  ce  qu'un  concile  vraiment  indépendant  soit  convoqué;  et  dans  le 
cas  où  le  Pape  voudrait  entraver,  par  ses  excommunications  et  ses 
foudres,  la  réunion  d'un  tel  concile,  il  faudrait  se  borner  à  mépriser 
le  dessein  d'un  homme  insensé,  et,  se  confiant  uniquement  en  Dieu, 
l'excommunier  lui-même,  et  s'opposer  à  lui  par  tous  les  moyens 
possibles.  » 

Ce  concile,  que  le  pouvoir  temporel  a  le  droit  de  convoquer  en 
dépit  des  résistances  du  Pape,  aura  pour  mission  de  réorganiser  de 
fond  en  comble  le  système  ecclésiastique,  et  de  délivrer  l'Allemagne 
des  brigands  romains  et  de  leur  gouvernement  scandaleux  et  diabo- 
lique. «  Rome  pressure  le  peuple  allemand  d'une  telle  manière  qu'une 
seule  chose  doit  nous  surprendre,  c'est  d'avoir  encore  de  quoi  man- 
ger. ')  <'  Le  Pape  vit  à  nos  dépens  avec  une  si  grande  magnificence 
que  lorsqu'il  se  promène  à  cheval,  il  est  entouré  de  trois  ou  quatre 
mille  cavaliers  montés  sur  des  mulets;  il  nargue,  par  un  faste  si 
choquant,  tous  les  empereurs  et  tous  les  rois!  »  -<  H  ne  serait  pas  éton- 
nant que  Dieu,  dans  sa  colère,  fit  pleuvoir  du  ciel  le  soufre  et  le  feu 
de  l'enfer,  et  que  Piome  fiU  engloutie  dans  l'abîme,  comme  autre- 
fois Sodome  et  Gamorrhe.  •■  «  0  nobles  princes  et  seigneurs,  com- 
bien de  temps  souffrirez-vous  que  vos  terres  et  vos  gens  soient  les 
victimes  de  ces  loups  dévorants?  "  Lr.iher  imite  ici  le  langage  de 
Crotus  Rubianus  et  de  Hütten  ',  mais  il  surpasse  encore  ses  modèles 
dans  la  description  qu'il  fait  de  Rome,  <;  où  tout  est  si  corrompu  par 
le  vol  et  le  brigandage,  le  mensonge  et  la  tromperie,  que  l'Antéchrist 
lui-même  ne  pourrait  régner  d'une  manière  plus  odieuse  ■  .  '  Et 
parce  qu'un  gouvernement  si  diabolique  n'est  pas  seulement  un  bri- 
gandage public,  une  imposture  et  une  tyrannie  sorties  des  portes 

'  Sur  l'influence  exercée  par  les  écrits  de  Crotus  et  de  Hütten  sur  les  idées  et 
le  style  de  Luther,  voy.  V Index  de  Kampschulte,  t.  II,  p.  75-: 9.  Les  pamphlets 
de  liutten  fournissent  à  Lulher,  comme  le  démontre  Kampschulte,  une  partie 
de  son  matériel.  Quant  à  ce  qu'il  écrivait  sur  la  cupidité  du  clergé  romain,  il 
déclare  plus  tard  le  tenir  d'un  certain  docteur  Wick.  Voy.  Kostliin,  Martin  Luther, 
t.  I,  p.  336. 


106        LITIIER   PUBLIE   l.E  MANIFESTE  A  LA  NOBLESSE   D'ALLEMAGNE. 

de  l'enfer,  mais  qu'il  ruine  la  chrétienté  dans  son  corps  et  dans  son 
âme,  nous  sommes  strictement  obligés  à  faire  tous  nos  efforts  pour 
la  délivrer  d'une  telle  détresse  et  d'une  pareille  dévastation.  » 
'  Avant  de  combattre  les  Turcs,  commençons  par  châtier  les  Turcs 
d'Europe;  ce  sont  les  plus  malfaisants  de  tous.  » 

Le  pouvoir  temporel  (ouïe  concile  général)  aura  donc  pour  devoir 
d'interdire  à  l'avenir  tout  envoi  d'argent  à  Rome;  toute  commende 
ou  réserve  papale  doit  être  abolie;  tout  courtisan  venant  d'Italie 
recevra  un  ordre  sévère,  lui  enjoignant,  ou  de  retourner  sur  ses  pas, 
ou  de  se  jeter  dans  le  Rhin  ou  tout  aulre  fleuve  voisin,  pour  faire 
prendre  un  bain  froid  à  la  lettre  d'excommunication  romaine.  Les 
évèques  allemands  ne  seront  plus  désormais  «  de  purs  zéros,  de  simples 
idoles  ointes  par  le  Pape  "  ;  aucun  d'eux  ne  solKcitera  plus  le  pal- 
lium  et  ne  demandera  plus  au  Pape  la  confirmation  de  son  élection. 
Les  cas  réservés,  les  serments  que  les  évêques  sont  contraints  de 
prêter,  tout  cela  sera  supprimé,  et  toutes  les  questions  se  rappor- 
tant aux  fiefs  ecclésiastiques  ou  aux  prébendes  seront  réglées  par  le 
primat  de  Germanie,  assisté  d'un  consistoire  général. 

Par  des  propositions  de  ce  genre,  Luther  espérait  se  rendre  favo- 
rables les  évêques  allemands,  et  surtout  l'archevêque  de  Mayence, 
primat  d'Allemagne.  Ouant  au  pouvoir  impérial,  il  se  flattait  de 
le  tenter  en  lui  offrant  comme  appât  la  confiscation  des  États  de 
l'Église  et  l'abolition  des  droits  de  suzeraineté  du  Saint-Siège  sur 
Naples.  La  noblesse  devait  aussi  avoir  sa  part  dans  les  bienfaits  pro- 
mis par  le  nouvel  état  de  choses.  Luther  lui  promettait  que  les  cano- 
nicats  continueraient  à  pourvoir  les  fils  cadets  des  grandes  familles. 
Quant  à  l'administration  intérieure  des  églises,  il  déclarait  que  les 
jours  fériés,  les  trésors  de  sacristie,  les  riches  ornements  d'église  et 
choses  semblables  ^^  étaient  inutiles  et  nuisibles  ".  Les  jours  fériés 
seraient  abolis,  ou  remis  au  dimanche  suivant.  Les  anniversaires, 
octaves,  etc.,  seraient  supprimés,  ou  du  moins  considérablement 
diminués.  On  démolirait  les  oratoires  et  chapelles  des  champs. 
Comme  il  était  à  craindre  que  la  grande  indignation  du  Seigneur  ne 
fût  excitée  par  les  nombreuses  messes  fondées  pour  les  défunts,  il 
serait  nécessaire  de  ne  pas  admettre  à  l'avenir  de  pareils  contrats, 
et  de  supprimer  beaucoup  de  fondations  de  ce  genre.  Les  pèleri- 
nages, en  tant  qu'oeuvres  pies,  seraient  interdits;  mais  si  quelqu'un, 
dans  la  visite  de  quelque  sanctuaire,  se  proposait  surtout  l'étude 
d'un  pays  ou  des  mœurs  d'une  nation,  il  faudrait  le  laisser  libre 
d'agir  à  sa  guise!  Les  jeûnes  prescrits  par  l'Église  seraient  suppri- 
més. Les  pénitences  ecclésiastiques,  l'interdit,  l'excommunication, 
la  suspension  des  fonctions  sacerdotales,  tout  cela  n'était  que 
d'horribles  vexations   et    calamités,  introduites  dans  le  royaume 


LUTHER    SOULÈVE    LA    GUERRE    DE    RELIGION.  107 

céleste  de  la  chrétienlé  par  l'Esprit  du  mal.  Aussi  celui  qui  décrétait 
un  interdit  <  comnietf;iit-iI  un  plus  grand  crime  que  s'il  eût  éjîorgé 
vingt  papes  > .  Mais  avant  loul,  le  droit  ecclésiastique,  «  depuis  la 
première  lettre  jusqu'à  la  dernitMc,  devait  élrc  aboli,  et  en  particu- 
lier les  Décrétales  ».  Tout  ce  que  le  papisme  avait  institué  et  ordonné 
n'était  bon  qu'à  propager  l'iniquité  et  l'erreur.  On  assure  ■,  ui'i 
Luther,  ■  qu'il  n'existe  nulle  part  un  meilleur  gouvernement  tempo- 
rel que  celui  des  Turcs,  el  cependant  ils  n'ont  ni  droit  laïque,  ni 
droit  papal,  et  ne  connaissent  d'autre  loi  que  leur  Alcoran.  Pour 
nous,  nous  sommes  bien  forcés  de  reconnaître  qu'il  n'est  pire  gou- 
vernement que  celui  que  nous  ont  fait  le  droit  ecclésiastique  et  le 
droit  séculier,  nulle  classe  n'étant  régie  par  une  loi  naturelle  et  rai- 
sonnable, ou  qui  soit  en  harmonie  avec  la  sainte  Écriture. 

'<  (Jue  Dieu  nous  donne  à  tous  l'intelligence  de  la  foi  chrétienne!  •' 
dit  Luther  en  concluant.  Qu'il  communique  surtout  à  la  noblesse 
d'Allemagne  un  esprit  vraiment  pieux,  afin  qu'elle  soit  en  état  d'agir 
pour  le  bien  de  la  pauvre  Eglise!  » 

Mais  ce  n'était  pas  seulement  de  la  noblesse,  c'était  vraisemblable- 
ment de  Charles-Quint  que  Luther  attendait  alors  avec  confiance  pro- 
tection et  secours  :  "  Dieu  nous  a  donné  pour  chef  »,  dit-il  au  com- 
mencement de  son  manifeste,  un  jeune  prince  issu  d'un  sang  illustre; 
et  dans  bien  des  cœurs  une  grande  et  légitime  espérance  s'éveille  à 
son  sujet.  » 

Luther  fait  tous  ses  efforts  pour  exciter  les  Allemands  contre  les 
Welches,  et  cherche  à  exploiter  en  laveur  de  sa  cause  les  antipathies 
nationales.  A  l'entendre,  les  Italiens  sont  souillés  de  tous  les  vices 
imaginables,  et,  outre  cela,  tellement  orgueilleux  qu'ils  ne  considè- 
rent même  pas  les  Allemands  comme  des  hommes. 

Le  Manifeste  à  la  noblesse  allemande  devint  le  signal  de  mesures 
arbitraires  et  violentes  contre  l'Église  '. 

Luther  le  fit  suivre  de  la  réédition  d'nn  livre  publié  contre  lui  :  la 
Mission  doctriîiale  infaillible  des  papes,  par  Sylvestre  Prierias.  Les  notes 
marginales  qui  les  accompagnaient  n'étaient  que  la  violente  réfuta- 
tion du  texte  -.  Dans  la  préface,  il  appelle  la  Rome  des  papes  la 

'  Jean  Lanf;e,  écrivant  à  Luther,  qualifiait  cet  appel  à  la  force  d'airoce  et  de 
féroce.  Luther  lui  répond  le  18  août  1520  :  '  Libeitate  et  impetu,  fateor,  plenus 
est,  multis  tamen  placet,  "cc  aulœ  nostrœ  penitus  displicct.  Lgo  de  me  in  his  rebus 
nihil  statuere  possum  :  forte  ej;o  prsecursor  sum  Pliiiippi,  oui  exeraplo  Heliae 
viam  pareni  in  spiritu  et  virlute,  conturbaturus  Israel  et  Achabitas.  »  Il  ajoute 
que  quatre  mille  exemplaires  de  l'écrit  sont  déjà  vendus.  Le  8  septembre, 
il  écrivait  :  >  Classicum  meum  acutisiimum  est  et  vehementissimum.  •  L'élec- 
teur de  Saxe  ayant  reçu  son  manifeste,  lui  envoya  du  gibier.  De  Wette,  t.  I, 
p.  478,  48i. 

*  Be  juridica    et   irrefragabili  veritate   Romante   Ecclesiœ.    Op.    lalina,   t.    II,   p.    79- 


108  LUTHER    SOULÈVE    LA    GUERRE    DE    RELIGION. 

«  synagogue  de  Satan  ";  il  célèbre  le  bonheur  des  Grecs  et  des 
Bohèmes  qui  se  sont  séparés  delà  Babylone  romaine.  Il  anathématise 
tous  ceux  qui  gardent  encore  quelque  attachement  pour  Rome,  et 
s'écrie  :  «  Meurs  donc,  disparais,  malheureuse  Rome,  Rome  blas- 
phématrice et  dépravée!  Que  la  colère  de  Dieu  fonde  sur  toi,  comme 
tu  l'as  mérité!  »  Dans  l'épilogue,  il  ne  craint  pas  de  faire  directe- 
ment appel  à  la  guerre  de  religion  :  <  Si  le  délire  des  romanistes 
continue,  il  me  semble  qu'il  ne  reste  qu'un  remède  à  employer  : 
l'Empereur,  les  rois  et  les  princes  devront  se  servir  de  la  force, 
s'armer,  s'unir,  pour  attaquer  Rome,  cette  peste  de  la  terre,  afin 
d'amener  le  résultat  désiré  non  plus  par  des  paroles,  mais  par  le 
glaive.  Si  nous  punissons  les  voleurs  par  la  corde,  les  meurtriers  par 
l'épée,  les  hérétiques  par  le  feu,  à  bien  plus  juste  titre  pouvons-nous 
employer  toutes  nos  armes  contre  ces  docteurs  de  perdition,  ces 
cardinaux,  ces  papes,  et  toute  cette  engeance  de  la  Sodome  romaine, 
qui  ruine  sans  trêve  l'Église  de  Dieu!  Oui,  il  nous  est  permis  de 
tremper  nos  mains  dans  leur  sang'  !  •> 

Aux  éclats  extravagants  d'une  passion  si  violente,  nous  ne  trou- 
vons d'explication  que  dans  quelques  passages  des  lettres  confiden- 
tielles de  Luther  à  ses  amis.  Il  écrivait  à  Jean  Lange  (18  août  1520)  : 
'  Je  suis  fermement  convaincu  que  pour  anéantir  la  papauté,  siège 


108.  En  juin,  l'ouvrage  était  déjà  sous  presse.  Voy.  la  lettre  de  Luther  à  Spalalin, 
DE  Wette,  t.  I,  p.  454. 

'  «  Mihi  vero  videlur,  si  sic  pergat  furor  Romanistarum,  nullum  reliquum  esse 
remedium,  quam  ut  imperator,  reges  et  principes  vi  et  arinis  accincti  aggre- 
diantur  has  pestes  orbis  lerrarum,  remque  non  jam  verbis,  sed  ferro  décer- 
nant. -  «  Si  fures  furca,  si  liitrones  gladio,  si  ha>reticos  igné  plectimus,  cur 
non  magis  hos  magistros  perditionis,  iios  cardinales,  hos  papas,  et  totani  istam 
Roniana^  Sodoma?  colluviem,  quae  ecclesiam  Dei  sine  fine  corrumpit,  omnibus 
armis  impetimus,  et  manus  nostras  in  sanguine  istorum  lavamus?  »  (P.  107.) 
Comment  accorder  ce  qui  précède  avec  ce  qu'il  écrit  le  16  janvier  1621  à  pro- 
pos d'Ilutten  à  Spalatin?  «  Nollem  vi  et  caede  pro  Evangelio  certari;  ita  scripsi 
ad  hominem  !  »  Il  continue,  et  alors  s'explique  l'énigme  :  »  Mitto  etiam  episto- 
lam  meara  ad  principem  »  (l'électeur  Frédéric  de  Saxe).  (De  Wette,  t.  I, 
p.  543.)  Or,  Frédéric  ne  voulait  avoir  rien  de  commun  avec  Hütten  et  la  guerre 
de  religion  méditée  par  lui.  Aussi  Luther  adresse-t-il  à  Spalatin  sa  réponse  à 
Hütten,  afin  que  Spalatin,  en  la  présentant  lui-même  au  prince  électeur,  puisse 
lui  persuader  plus  aisément  que  Luther  a  écrit  dans  le  sentiment  de  son  sei- 
gneur. Voy.  Meineus,  Lebensheschreibungen,  t.  III,  p.  278.  Le  13  novembre  1520, 
Luther  donne  toute  sou  approbation  aux  attaques  violentes  de  Hütten  contre 
les  légats  du  Pape.  "  Gaudeo  Huttenum  prodiisse,  atque  utinam  Marinum  aul 
Aleandrum  inlercepisset.  »  (De  Wette,  t.  I,  p.  523.)  —  Les  lettres  de  Luther  à 
Hütten  ont  été  perdues;  Cochlaeus  en  avait  eu  connaissance  :  "  Vidimus  ",  écrit- 
il,  '  certe  cruentas  ejus  litteras  ad  Huttenum.  ■  Otto,  p.  121,  note.  "  La  réfor- 
mation allemande  »,  dit  Höfler  (/Jf/nra  II,  p.  32),  »  semblait  s'ouvrir  par  la 
même  pensée  homicide  qui  dans  la  réforme  slave  entraîna  les  taborites.  Luther 
exprimait  le  dé>ir  de  voir  enfin  le  jeu  finir  et  les  luthériens  tomber  sur  les 
maudits,  non  plus  avec  des  paroles,  mais  avec  des  armes.  Tel  était  l'esprit  qui 
tendait  dès  lors  à  dominer  en  Allemagne.  » 


EMSER    <:ONTRE    LUTHER.  109 

du  vérilable  Antéchrist,  tout  nous  est  permis,  au  nom  du  salut  des 
âmes'.  "  «  La  lureur  de  ses  ennemis  est  telle  ',  écrit-il  dans  une 
autre  lettre,  ■=  qu'il  n'est  plus  maitre  de  lui  ■•,  il  ne  sait  "  quel  esprit 
le  pousse  -  ^  . 


Jérôme  Emser,  autrefois  Tami  du  prétendu  réformateur,  aumônier 
et  secrétaire  du  duc  Georges  de  Saxe,  écrivait  à  Luther  à  la  suite  du 
violent  manifeste  qu'il  venait  de  faire  paraître:  •  Ton  esprit  superbe 
ne  peut  souffrir  qu'on  parle  ou  écrive  contre  toi  ;  tu  ne  veux  entendre 
les  raisons  de  personne  et  prétends  ne  t'en  rapporter  qu'à  toi  seul; 
aussi,  très-certainement  ce  n'est  pas  l'Esprit  du  Seigneur  qui  t'inspire  ; 
tu  es  sous  une  tout  autre  influence,  car,  ainsi  que  le  dit  le  Pro- 
phète, le  Saint-Esprit  ne  se  repose  que  sur  les  humbles,  les  paci- 
fiques et  les  calmes.  Est-il  donc  juste  que  jour  et  nuit,  comme  une 
mer  en  furie,  tu  n'aies  ni  repos  ni  trêve  avec  toi-même,  et  ne  puisses 
pas  davantage  laisser  les  autres  en  paix?  Comme  les  vagues  battent 
le  navire,  ainsi  tu  te  jettes  tantôt  d'un  côté,  tantôt  d'un  autre,  cher- 
chant ce  que  tu  pourrais  trouver  à  attaquer.  Je  t'affirme,  sur  la  fidé- 
lité que  je  dois  à  mes  vœux  sacerdotaux,  que  je  n'ai  jamais  ressenti 
dans  mon  cœur  ni  envie  ni  haine  contre  ta  personne,  et  qu'à  l'heure 
où  je  t'écris,  je  n'en  éprouve  pas  davantage.  Je  ne  te  parle  ainsi, 
sois-en  bien  convaincu,  qu'en  me  mettant  en  présence  des  sévères 
jugements  de  Dieu,  qui  doivent  un  jour  nous  atteindre  l'un  et 
l'autre.  Je  suis  de  plus  en  plus  indigné  de  ton  attitude  irrespec- 
tueuse envers  notre  Mère  la  sainte  Église.  Je  suis  choqué  au  plus 
haut  degré  par  ta  fausse  doctrine  et  ta  téméraire  interprétation  de 
tous  les  docteurs  chrétiens.  J'en  suis  d'autant  plus  froissé,  que  de 
jour  en  jour  lu  agis  avec  plus  de  brutalité.  Je  t'ai  averti  trois  fois 
fraternellement,  je  t'ai  supplié  au  nom  de  Dieu  d'épargner  le  pauvre 
peuple,  singulièrement  scandalisé  dans  cette  querelle,  et  voici  quelle 
a  été  ta  réponse  :  -•  One  le  diable  s'en  mêle!  la  chose  n'a  pas  été 
>'  commencée  pour  l'amour  de  Dieu,  et  ne  finira  pas  non  plus  pour 
«  l'amour  de  Dieu^!  » 

'  -  Nos  hic  persuasi  sumus,  papatum  esse  veri  et  germani  illius  Antichristi 
sedem,  in  cujus  deceptionem  et  nequiliam  ob  salutem  aniraaruin  nobis  omnia  Ucere 
arbilramur.  •   De  Wette,  t.  I,  p.  478. 

*  -  Compos  mei  non  sum,  rapior  nescio  quo  spiritu,  cum  nemini  me  maie  velle 
conscius  sim.  =  (Janvier  et  février  1421,  de  Wette,  t.  I,  p.  555.) 

'  An  den  Stier  zu  ll'ietienberg,  Bl.  A-.  Sur  la  protestation  de  Luther,  assurant  qu'il 
n'a  pas  dit  ces  paroles  en  parlant  de  lui-même,  mais  en  faisant  allusion  à  ses 


110  EMSER  PUBLIE   L'EXHORTATION  A  LA  N\TION  ALLEMANDE. 

«  Pour  le  peuple  allemand  »,  écrit  Emser  vers  la  fin  de  1520,  «  voici 
donc  venir  le  moment  de  la  visite  de  Dieu!  0  vous,  dignes  Alle- 
mands, Dieu  vient  vous  éprouver  d'une  manière  toute  singulière!  Il 
veut  sonder  la  fidélité,  la  fermeté  avec  lesquelles  chacun  de  vous  va 
prouver  son  attachement  à  la  sainte  foi  et  à  l'Eglise  chrétienne!  Jusqu'à 
présent,  il  faut  le  dire  à  l'honneur  éternel  de  l'Allemagne,  jamais 
aucun  empereur,  aucun  roi,  prince  ou  population  ayant  embrassé 
la  foi  chrétienne  avec  sincérité,  n'avait,  depuis,  ni  apostasie,  ni 
adopté  l'hérésie,  comme  l'ont  fait  tant  de  princes  des  autres  nations, 
rois  et  empereurs  d'autres  peuples;  car  ceux-là  se  sont  laissé  si  misé- 
rablement séduire  par  les  hérétiques,  qu'ils  ont  apostasie  la  foi  du 
Christ,  adorant  les  idoles,  détruisant  les  églises  et  les  monastères, 
persécutant  et  massacrant  les  prêtres,  les  évêques  et  les  papes,  l'un 
ici,  l'autre  là,  comme  les  chroniques  en  font  foi.  C'est  pourquoi, 
au  temps  de  la  visite  du  Seigneur,  des  pays,  des  empires,  des 
royaumes  entiers  ont  été  séparés  de  la  sainte  foi  par  la  perfide 
influence  d'une  doctrine  étrangère  et  nouvelle,  et  depuis  ils  se  sont 
endurcis  dans  leur  péché,  de  sorte  que  les  deux  plus  grandes  parties 
du  monde,  l'Asie  et  l'Afrique,  ont  été  séparées  du  royaume  romain 
et  de  l'Église,  et  que  très-peu  de  chrétiens  s'y  trouvent  actuelle- 
ment. Outre  cela,  dans  la  troisième  partie  du  monde,  un  grand 
nombre  de  chrétiens  se  sont  laissé  séduire;  et  maintenant,  voilà 
que  notre  tour  est  venu,  à  nous  autres  Allemands.  Une  prédiction 
nous  avait  avertis,  il  y  a  bien  des  années,  qu'un  moine  entraînerait 
la  nation  allemande  dans  de  grandes  erreurs;  au  reste,  Jésus-Christ 
nous  avait  fait  le  premier  pressentir  cette  épreuve,  et  nous  avait  tous 
mis  sur  nos  gardes  en  nous  avertissant,  dans  l'Évangile,  que  des  loups 
déguisés  en  brebis  viendraient  vers  nous.  >' 

u  Et  maintenant,  comme  il  est  bien  avéré  que  publiquement,  au 
grand  jour,  pour  tout  de  boa,  violemment  et  de  propros  délibéré, 
Martin  Luther,  moine  augustin,  a  depuis  longtemps  l'audace,  par 
d'étranges  et  nouvelles  doctrines,  disputes,  prédications,  écrits  de 
tout  genre,  de  mépriser  les  chefs  suprêmes  tt  les  premiers  pasteurs 
de  l'Église,  de  légitimer  le  péché,  de  séduire  ainsi  le  peuple  et 
d'amener  la  division  entre  la  nation  allemande  et  l'Église  romaine, 
11  est  vraiment  fort  à  craindre  qu'il  ne  soit  le  précurseur  du  séduc- 
teur annoncé  par  la  prophétie,  ou  même  peut-être  cet  imposteur  en 
personne,  celui  dont  le  Christ  et  les  Apôtres  nous  ont  recommandé  de 
nous  méfier.  "  L'attitude  de  Luther,  selon  Emser,  est  en  contradiction 
flagrante  avec  l'Évangile  :  «  L'Évangile  ne  nous  apprend  nulle  part 


adversaires   [Auf  des  Bocks  zu  Leipsig  Antwort,   Sämmtl.    Werke,  t.    XXVII,   p.  207), 
voy.  Eck,  Auf  des  Stieres  zu  IVietlenberg  icietende  Eeplica.  Bl.  A'... 


EMSER  PUBLIE  L'EXHORTATION  A   LA  NATION  ALLEMANDE.  lll 

que  nous  devions  ainsi  ouvertement  outrager,  insulter  et  calomnier 
nos  premiers  pasteurs,  seraient-ils  môme  répréhensibles.  De  plus, 
une  telle  manière  d'agir  est  contraire  au  droit  naturel,  et  même  au 
droit  impérial  écrit,  qui  châtie  et  condamne  de  pareilles  calomnies 
et  injures  envers  le  pouvoir.  Jamais  l'Évangile  ne  nous  a  enseigné 
à  lomenler  parmi  le  peuple  chrétien  de  semblables  discordes,  des 
révoltes  si  funestes.  Saint  Cyprien  a  dit  :  <  Celui  qui  trouble  la 
paix  du  Christ  et  la  concorde  du  peuple  de  Dieu  n'est  pas  avec  le 
«  Christ,  mais  s'oppose  au  Christ.  "  L'Évangile  ne  dit  nulle  pari 
que  nous  devions  mépriser  les  commandements,  les  ordonnances 
et  les  préceptes  de  l'Église,  ni  nous  révolter  contre  elle  avec  tant 
de  fureur  et  de  rage;  encore  bien  moins  nous  autorise-t-il  à  causer 
du  scandale  à  nos  frères.  Or  qu'y  a-t-il  de  plus  scandaleux,  de  plus 
funeste,  de  plus  pernicieux  pour  le  peuple  allemand,  que  la  doctrine, 
les  livres  elles  écrits  de  Luther?  En  bien  peu  de  temps,  ils  ont 
engendré  de  telles  querelles,  de  telles  dissensions,  qu'il  n'est  pas  une 
ville,  pas  une  contrée,  pas  un  village,  pas  une  maison,  où  les  chré- 
tiens ne  soient  entre  eux  séparés  de  sentiments,  et  où  l'un  ne 
combatte  l'autre,  et  cela  non  sur  des  points  de  peu  d'importance, 
mais  à  propos  des  dogmes  les  plus  essentiels  de  cette  foi  chrétienne 
que  nos  ancêtres  nous  avaient  léguée,  se  montrant  si  fidèles  et  si  per- 
sévérants à  la  conserver,  et  la  confessant  plus  encore  par  leurs  actions 
que  par  leurs  paroles  '.  - 

Luther  =  >,  continue  Emser,  ne  tire  pas  ses  erreurs  de  son  propre 
carquois,  mais  des  livres  de  ses  prédécesseurs,  Wiclef  et  Huss.  Ce 
sont  eux  qui  lui  ont  enseigné  à  appeler  le  Pape  l'Antéchrist,  les  chré- 
tiens romanistes,  les  hérétiques  chrétiens;  c'est  d'eux  qu'il  a  appris 
à  rejeter  les  sacrements,  la  messe,  l'ordination  des  prêtres,  les  con- 
sécrations et  ordonnances  de  l'Église  *.  Luther  repousse  l'autorité 
de  l'Église,  la  tradition  des  saints  Pères;  il  nous  renvoie  tous  à  la 
sainte  Écriture;  mais  si  chacun  interprète  l'Écriture  à  sa  guise,  il  y 
aura  bientôt  plus  de  manières  de  l'expliquer  que  l'hydre  n'avait 
de  têtes,  et  il  deviendra  impossible  de  s'entendre!  En  méprisant 
l'autorité,  la  hiérarchie  ecclésiastique,  on  éteindra  la  crainte  de 
Dieu  dans  les  âmes.  Or,  tout  homme  sensé  peut  se  rendre  compte 
par  lui-même  de  l'obéissance  qu'on  montrera  au  pouvoir  dii-igeant, 
dès  que  cette  crainte  salutaire  aura  disparu.  •  Emser  rapporte 
ensuite  les  axiomes  de  Luther  qui  portent  particulièrement  atteinte 
à  l'obéissance  que  les  sujets  doivent  à  l'autorité  :  «  Jésus-Christ 
nous  a  affranchis  de  toute  loi  humaine.  Tout  ce  que  l'homme  a 


'  Wider  das  unchrislenUche  Buch  M.  Luthers  an  den  Tewlschen  Adel,  Bl.  A  2-3. 
-  Wider  das  unchrislenUche  Buch,  etc.,  Bl.  S'. 


112  EMSEH   PUBLIE  L'EXHORTATION  A  LA  NATION"  ALLEMANDE. 

institué  étant  purement  humain,  on  peut  en  faire  l'usage  qu'on  veut, 
car  il  n'en  sortira  jamais  rien  de  bon.  »  «  La  liberté  que  réclame  ici 
Luther  ",  dit  Emser,  «  saint  Pierre  l'appelle  un  manteau  propre  à 
couvrir  l'ancienne  malice,  et  saint  Paul,  une  source  d'iniquité,  il  est 
dangereux  de  dénigrer  à  ce  point  les  institutions  humaines;  les 
rabaisser  ainsi  devant  les  peuples,  aller  jusqu'à  dire  que  jamais  rien 
de  bon  n'est  sorti  ou  ne  sortira  de  ce  que  les  hommes  ont  institué 
ou  ordonné,  c'est  commettre  une  grande  imprudence;  que  devien- 
dront, en  effet,  les  réformes,  les  ordonnances,  les  lois  qu'établiront 
l'Empereur  ou  n'importe  quel  concile  futur,  si  nous  donnons  au 
peuple  la  fausse  opinion  que  jamais  rien  de  bon  ne  saurait  sortir  de 
leurs  déterminations'?  Les  réformes  sont  urgentes,  il  est  vrai^; 
mais  Luther  ne  parle  nulle  part  de  réformer  les  abus  et  les  scan- 
dales existants  ;  il  semble  ne  viser  qu'au  renversement  de  la  chose 
publique  elle-même,  qu'à  la  destruction  totale  des  divins  fondements 
de  l'Église  et  des  institutions  ecclésiastiques,  de  sorte  qu'en  admet- 
tant que  son  plan  vienne  à  triompher,  il  s'ensuivrait,  dans  toutes  les 
parties  de  l'Église  et  de  la  société,  une  révolution  semblable  à  celle  de 
Bohême.  »  '  Ouvre  enfin  les  yeux,  je  t'en  supplie  »,  dit  Emser  en 
concluant  et  s'adressant  à  Luther;  "  considère  la  déplorable  affliction, 
l'hérésie,  les  erreurs,  les  meurtres,  les  assassinats,  l'oubli  du  service 
et  de  la  gloire  de  Dieu,  qui,  en  Bohême,  ont  été  les  conséquences  des 
doctrines  de  .lean  Huss;  souviens-toi  de  la  dévastation  d'un  si  noble 
royaume,  maintenant  ruiné,  humilié,  comme  tous  les  jours  les 
Bohèmes  le  sentent  et  l'avouent  davantage.  Prends  garde  de  nous 
entraîner  dans  le  même  chemin,  car  les  choses  prennent  exactement 
la  même  tournure.  Ne  perds  pas  de  temps,  n'épargne  point  tes 
peines,  emploie  tout  le  zèle  imaginable  pour  détourner  un  pareil 
fléau  de  l'Allemagne.  Que  le  ciel  nous  préserve  de  tes  doctrines  ^  !  » 

>  Wider  das  unchristenliche  Buch,  etc.,  Bl.  G.  E*.  M*.  0*. 

-  Voy.  sur  ce  sujet  la  page  G*  N*  R.  0.  Voy.  aussi  Auf  des  Stieres  zu  ll'iettenberg 
wietende  Replica,  Bl.  B. 

3  Auf  des  Stieres  zu  lUietienberg  wielcnde  Replica,  Bl.  B*  et  C.  A  la  fin  de  l'écrit  inti- 
tulé Bedingung  auf  Luters  ersten  Widerspruch  (Leipzig,  1521),  il  dit  :  "  Adjuro  te 
per  Christum  filium  Dei  vivi,  da  honorem  neoet  ecclesia;  ejussanctœ.  Non  rupit 
Emser  mortem  tuam,  sed  ut  convertaris  ac  vivas.  •>  Voy.  Waldau,  Emser,  p.  49. 
Dans  son  Antwnrt  auf  die  Warnung  ,  réponse  à  une  critique  de  ses  opinions 
publiée  sans  indication  d'auteur,  de  lieu  et  de  date,  et  intitulée  Warnung  an  den 
Bock  Emser  (voy.  Waldau,  p.  49),  Eraser  s'écrie  : 

Je  ne  suis  pas  très-enclin  à  guerroyer  ; 

Mais  dès  qu'il  s'agit  de  la  foi, 

De  l'Eglise,  de  la  sainte  Ecriture, 

Je  suis  pr't  à  tout  ijraver  pour  les  défendre. 

Et  à  la  mort  et  à  la  vie! 

Infortuné  et  maudit  celui  qui  les  attaque 

Et  s'oppose  à  elles  dans  son  délire! 

Je  n'ai  pas  soif  du  sang  de  Luther, 


BULLE  CONTRE  LUTHER.  Ui 


VI 


Après  de  longues  et  mûres  délibérations  ',  le  Pape  avait  lancé  une 
bulle  contre  Luther  (15  juin  1520);  elle  condamnait  quarante  et  une 
propositions  extraites  de  ses  écrits,  ordonnait  de  détruire  les  livres 
qui  les  renfermaient,  et  menaçait  Luther  de  la  pleine  rigueur  des 
châtiments  ecclésiastiques,  si,  après  un  délai  de  soixante  jours  qui 
lui  était  accordé  pour  se  rétracter,  il  n'abjurait  point  ses  doc- 
trines. «  Imitant  la  divine  miséricorde,  qui  ne  veut  pas  la  mort  du 
pécheur,  mais  qu'il  se  convertisse  et  qu'il  vive  »,  disait  la  bulle, 
"  nous  avons  résolu,  sans  nous  souvenir  de  toutes  les  injures  profé- 
rées contre  nous  et  ce  Siège  apostolique,  d'user  de  la  plus  grande 
indulgence,  et  de  faire  tout  ce  qui  dépendrait  de  nous  pour  obliger 
le  Frère  Martin,  par  la  voie  de  la  mansuétude,  à  rentrer  en  lui-même, 

Mais  bien  de  notre  salut  à  tous. 

Si  Luther  n'était  pas  si  efFronté,  si  brutal, 

S'il  ne  honnissait  les  évoques. 

S'il  ne  méprisait  les  sacrements, 

L'enseignement  de  l'tglise  et  des  saints  Pères, 

Comme  s'il  n'y  avait  au  monde  que  lui  seul. 

Nous  serions  bien  vite  bons  amis. 

Car  l'idée  de  le  combattre 

Ne  m'est  jamais  venue. 

Quand  il  tonne  contre  les  moeurs  du  clergé, 

Qu'il  tombe  sur  les  pr'tres,  les  moines,  les  nonnes. 

Je  ne  puis  lui  donner  complélemeiit  tort.' 

Il  aurait  pu,  malheureusement,  en  dire  davantage, 

Car  il  y  aurait  bien  des  réformes  à  faire! 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  le  clergé  qui  a  besoin  de  réforme;  toutes  le.s 
classes  de  la  société  sont  entachées  de  vices  honteux.  Il  est  donc  injuste  le 
n'accuser  que  les  prêtres.  Luther  entasse  mensonge  sur  mensonge,  et  sème  U 
discorde  en  tous  lieux. 

Et,  remarque-le  bien,  lorsqu'il  excite  ta  convoitise 

Pour  les  biens  et  les  richesse  du  clergé, 

C'est  de  son  sang  qu'il  a  boif  I 

Songe  donc  k  la  manit-re  dont  les  Bohèmes, 

Tes  voisins,  ont  été  pour  la  plupart  abusés! 

Et  maintenant  ils  sont  si  embirrassés  dans  leurs  erreurs, 

Qu'ils  ne  savent  plus  eux-m^mes  ce  qu'ils  croient! 

Beaucoup  volent,  pillent,  frappent,  égorgent,  assassineat, 

Ne  craignant  ni  les  hommes  ni  Dieu  ! 

C'est  à  cela  que  Luther  voudrait  nous  entraîner! 

Depuis  que  j'ai  bien  compris  son  dessein. 

J'écris  dans  tous  les  territoires  allemands, 

J'invite  tous  les  chrétiens  à  la  paix,  à  l'union  fraternelle 

Et  aussi  à  la  protection,  à  l'affermissement 

De  notre  sainte  foi,  que  ruinent  ces  luthériens! 

'  Voy.  Laemmer,  Melet.  Rom.  Mantissa,  197-198,  Sur  la  date  de  la  bulle  Exurge, 
Domine,  VOy.  V.  Druffel,  Sitzungsberichte  der  bayer.  Académie  der  WissenschafCr.u, 
Hiitor.  filasse,  1880,  p.  572,  note. 

II.  8 


114  BULLE    CONTRE    LUTHER.   1520. 

et  à  renoncer  à  ses  erreurs.  "  "Au  nom  de  la  miséricorde  inson- 
dable de  Dieu,  au  nom  du  sang  de  Notre-Seigneur  et  Sauveur  Jésus- 
Christ,  répandu  sur  la  croix  pour  la  rédemption  de  l'humanité  et 
l'établissement  de  la  sainte  Eglise,  nous  exhortons,  nous  conjurons 
le  Frère  Martin  et  tous  ses  adhérents  et  partisans  de  cesser  de  troubler 
dorénavant  la  paix,  la  concorde  et  la  sainteté  de  cette  Église,  pour 
laquelle  le  Sauveur  a  si  ardemment  prié,  et  de  renoncer  à  leurs  per- 
nicieuses erreurs  '.  « 

Jean  Eck,  l'ancien  adversaire  de  Luther  à  Leipzig,  fut  chargé  de 
faire  publier  la  bulle  dans  un  grand  nombre  de  diocèses  allemands,  et 
de  veiller  à  ce  qu'elle  fut  obéie.  Ce  choix  était  une  lourde  faute  ^  au 
point  de  vue  des  partisans  des  nouvelles  doctrines.  A  Leipzig,  où  la 
bulle  devait  être  placardée,  les  étudiants  de  Wittemberg  mirent  en 
danger  la  vie  du  docteur.  A  Erfurt,  la  faculté  de  théologie  s'oublia 
jusqu'à  déchaîner  contre  lui  le  ressentiment  passionné  de  la  jeunesse 
universitaire,  qui  défendit  la  >  parole  de  Dieu  »  à  coups  de  poing  et 
à  coups  de  pied  contre  son  soi-disant  accusateur'. 

Quant  à  Luther,  il  était  fort  indifférent  à  la  question  de  savoir  qui 
avait  était  chargé  de  la  publication  de  la  bulle.  Depuis  un  an,  il  était 
résolu  à  rompre  entièrement  avec  le  Pape  et  l'Église  catholique. 
Dans  son  traité  sur  la  Captivité  babylonienne  de  l'Eglise'',  il  reconnais- 
sait de  nouveau  dans  le  Pontife  romain  tous  les  traits  de  l'Anté- 
christ, rejetait  plusieurs  sacrements,  ôtait  à  la  messe  son  caractère 
de  sacrifice,  et  par  une  nouvelle  doctrine  sur  le  mariage  touchait 
aux  fondements,  inattaqués  jusque-là,  de  la  famille  chrétienne.  Non- 
seulement  il  dépouillait  le  mariage  de  son  caractère  sacramentel,  mais 
il  prenait  sur  lui  de  lever  l'interdiction  des  unions  contractées  entre 
chrétiens  et  infidèles  ^  et  émettait  sur  les  devoirs  mutuels  des  époux 
des  principes  que  l'Europe  chrétienne®  n'avait  pas  encore  entendus. 

^  Raynaldi  Annales  Eccl.  ad  annum  1520.  n"  51.  Sur  les  objections  faites  alors  à  la 
bulle,  voy.  Brischar,  Beunheilung  der  Controversen  Sarpi's  und  Pallavicini's,  dans  la 
Gesehichle  des  Trienter  Concils  {Tuhinsen,  1844),  t.  I,  p.  51.  Rohrbacher-SchüLTE, 
t.  XXIV,  p    69-70. 

^  Voy.   Pallavicim,  Hist.  Conc.  Tridentini  apparalus,  cap.  xx. 

^  Pour  plus  de  détails,  voy.  Kampschulte,  t.  II,  p.  37-10.  Sur  le  mauvais  accueil 
fait  à  la  bulle  par  quelques  évéques  du  sud  de  l'Allemagne,  voy.  ce  que  dit 
V.  üruffel  et  les  documents  communiqués  par  lui  dans  les  SiUungsbtrichien  der 
bayer.  Académie  der  Wissenschaften,  Histor.  Klasse,  1880,  p.  571-597. 

•*  De  caplivilale  Babylonica  Ecclesiœ,  Op.  latina,  t.  V,  p.  13-118. 

*  Il  appelle  même  1'«  impedimentutn  criminis  •  et  celui  de  «  publicae  hones- 
tatis  »  une  tyrannie  humaine.  «  idem  rigor  stultitiae,  immo  impietatis  est 
impedimentum  criminis,  scilicet,  ubi  quis  duxerit  priuspoUutam  adulterio,  aut 
machinatus  fuerit  in  mortem  aiterius  conjugis,  quo  cum  superstite  contrahere 
possit.  »  •  JEque  commenlum  est  impedimentum  illud  publicae  bonestatis, 
quo  dirimuntur  contracta.  •>  (P.  95-97.) 

^  Voy.  surtout  p.  1)8-100.  "  Videamus  itaque  de  impotentia.  Ouaero  casum  ejus- 
modi,  si  mulier  impoteuti  nupta  viro  nec  possit  nec  velit  forte  tot  tetitinionii^ 


DOCTRINE  DE  LUTHER  SUR  LE  MARIAGE.         115 

Dès  lors,  il  professait  les  mêmes  opinions  qu'il  devait  plus  lard 
développer  dans  son  sermon  sur  le  mariage  :  «  Sache  bien  »,  écrit- 
il,  «  que  le  mariage  est  un  acte  tout  extérieur,  et  ne  diffère  eu  rien 
de  toute  autre  occupation  temporelle.  De  môme  donc  qu'il  m'est 
permis  de  manger,  de  boire,  de  dormir,  de  me  promener  à  pied  ou 
à  cheval,  d'acheter,  de  parler  et  d'agir  avec  un  païen,  je  |)uis  tout 
aussi  bien  m'unir  à  lui  par  le  mariage,  et  demeurer  en  paix  dans  cet 
état,  ^'ajoute  pas  foi  aux  discours  des  insensés  qui  te  représentent 
cette  conduite  comme  criminelle.  Beaucoup  de  chrétiens  sont  plus 
mauvais  et  plus  incroyants  au  fond  de  leur  cœur  que  la  plupart  des 
.luifs,  des  païens,  des  Turcs  ou  des  hérétiques.  Un  païen  est  aussi 
bien  homme  ou  femme  qu'un  chrétien,  et  tout  aussi  bien  la  créature 
de  Dieu  que  saint  Pierre,  saint  Paul  ou  sainte  Lucie,  à  plus  forte 
raison  qu'un  méchant  et  faux  chrétien  '.  » 

Aussitôt  la  publication  de  la  bulle  (17  novembre  1520j,  Luther  en 
appela  de  nouveau  des  jugements  d'un  pape  hérétique,  apostat, 
obstiné,  endurci,  et  condamné  comme  tel  par  TÉcriture  -,  à  la  sen- 
tence d'un  concile  général.  11  pressait  l'Empereur,  les  princes,  les  popu- 
lations des  villes  libres,  de  s'opposer  au  dessein  autichrétien,  au  délire 
furieux  de  LéonX.  Celui  qui  obéissait  au  Pape,  il  le  citait,  lui,  Martin 
Luther,  devant  le  tribunal  de  Dieu  ^  «  Jamais  -,  écrit-il  le  4  novembre 
à  Spalatin,  "  jamais  Satan  n'avait  osé  proférer  de  pires  blasphèmes 
que  ceux  que  renferme  cette  bulle;  il  est  impossible  d'être  sauvé,  si 


et  strepitibus,  quot  jura  exigunt,  judicialiter  impotentiam  viri  probare,  velit 
lamen  prolera  habere,  aiitnon  possit  continere,  et  ego  consuluissem,  ut  divor- 
tium  a  viro  impelret  ad  nubendum  alleri,  contenta,  qiiod  ipsius  et  mariti  con- 
scientia  et  experientia  abunde  testes  sunt  impotentiae  illius,  vir  aulem  nolit, 
tum  ego  ultra  cnnsulam,  ut  cum  consensu  viri  (cum  jam  non  sit  maritus,  sed 
Simplex  et  solutus  cohabitatori  misceatur  alCeri  tel  fratri  mariti,  OC(ultO  tarnen 
matrimonio,  et  proies  imputetur  putative  (ut  dicunti  patri.  »  -  Ulterius,  si  vir 
nollet  consentire  nec  dividi  vellet,  antequampermitterem  eam  uriaut  adulterari, 
consulerem  ut  contrario  cum  alio  matrimonio  aufugeret  in  locum  ignotum  et 
remotum.  •  Voy.  l'édition  de  léna  et  de  Wiltemberg,  OEuvres  de  Luther,  p.  lOO, 
note,  et  d'autres  passages  du  même  genre,  laissés  de  côté  évidemment  à 
dessein.  -  De  divortio  etiam  versatur  questio,  an  licilum  sit?  Ego  quidem 
detestor  divortium,  ut  higamiam  malim  quam  divortium,  sed  an  liceat,  ipse  non 
audeo  definire.  -  (P.  100.) 

^Siimmtl.  Werke,  t.  XX,  p.  65.  -  Luther  envisageait  le  mariage  «,  dit  Hagen  {Lite- 
rar  und  religiöse  VerMlinisse,  t.  II,  p.  233-234),  comme  une  union  purement  exté- 
rieure et  physique,  n'ayant  au  fond  absolument  rien  à  faire  avec  la  religion  et 
l'Église.  -  Il  d  été  jusqu'à  permettre  à  une  des  parties  contractantes  (voy.  la 
citation  précédente)  de  recouvrer  son  indépendance  au  cas  où  le  mariage  n'au- 
rait pu  avoir  son  effet,  et  pour  donner  satisfaction  à  la  nature,  à  laquelle  on  ne 
peut  résister.  On  voit  que  cette  manière  de  considérer  le  mariage  est  presque 
la  même  que  celle  des  anciens;  plus  tard,  la  Révolution  française  tenta  de  la 
remettre  en  honneur. 

»  Sämmll.   Werke,  t.  XI\%  p.  28-34. 

8. 


116  LUTHER  CONTRE  LA  BULLE,  1520. 

l'ou  y  adhère  de  cœur,  ou  si  Ton  refuse  de  la  combattre'.  »  «  Je 
suis  maintenant  convaincu  »,  écrit-il  à  un  autre  ami,  "  que  per- 
sonne ne  peut  parvenir  au  salut  s'il  n'attaque  de  toutes  ses  forces, 
et  même  au  péril  de  sa  vie,  les  statuts  et  les  mandements  du  Pape  et 
des  évêques  -.  » 

Partant  de  son  habituelle  supposilion  que  sa  doctrine  est  seule 
orthodoxe,  il  dit  dans  son  Commentaire,  de  la  bulle  de  l'Antéchrist  :  «  .le 
l'ai  dès  longtemps  soutenu  :  celui  qui  met  l'erreur  au-dessus  de  la 
vérité  renie  Dieu  et  adore  le  diable.  Or  c'est  à  quoi  nous  exhorte 
et  veut  nous  contraindre  cette  précieuse  et  célèbre  bulle,  avec  toutes 
ses  menaces  d'exrommunication!  »  «  Qu'y  aurait-il  d'étonnant  à  ce 
que  les  princes,  la  noblesse  et  les  laïques  en  vinssent  à  frapper  à  la 
tète  le  Pape,  les  évêques,  les  prêtres,  les  moines,  et  ne  les  chassent 
enfin  du  pays?  N'est-ce  donc  pas  un  fait  inouï  jusqu'ici  dans  la 
chrétienté,  une  chose  horrible  à  entendre  que  la  proposition 
publique  faite  au  peuple  chrétien  de  renier  la  vérité,  de  la  condam- 
ner, de  la  brûler?  Cela  ne  s'appelle-t-il  pas  être  hérétique,  égaré, 
imposteur?  N'est-ce  pas  un  acte  injustifiable  aux  yeux  de  toute  âme 
chrétienne?  C'est  ainsi  que  tout  est  de  nouveau  bouleversé  autour 
de  nous!  Je  pense  qu'il  est  bien  évident,  à  présent,  que  ce  n'est  pas 
le  docteur  Luther,  mais  le  Pape  lui-même  et  ses  moines  qui  ont  pré- 
paré leur  propre  ruine  par  ces  abominables  et  odieuses  bulles;  oui, 
eux  seuls,  et  de  gaieté  de  cœur,  invitent  les  laïques  à  leur  tomber 
sur  le  dos  !  "  La  bulle,  selon  Luther,  méritait  que  «  tous  les  véritables 
chrétiens  la  foulassent  aux  pieds,  repoussant  par  le  soufre  et  le  feu 
l'Antéchrist  romain,  ainsi  que  le  docteur  Eck,  son  digne  apôtre ^  ». 


VII 


Hütten,  de  son  côté,  déployait  une  activité  infatigable  :  «  La  cognée 
est  déjà  à  la  racine  de  l'arbre  »,  dit-il  dans  son  Avertissement  à  tous 
les  hommes  libres  d'Allemacjne  (mai  1520);  «  tout  arbre  qui  ne  porte 
pas  de  bons  fruits  sera  déraciné.  La  vigne  du  Seigneur  sera  nettoyée. 
Pour  ceci,  bientôt  vous  n'en  serez  plus  à  l'espérance,  car  avant  peu 

'  «  ...Impossibiie  est  enim  salvos  fieri,  qui  hiiic  bullse  aut  faverunt,  aut  non 
repugnaverunt.  •  De  Wette,  t.  I,  p.  522, 

ä  >.  Eo  milii  processit  persuasio,  ut  nisi  adversiis  papae  et  episcoporiim  pu- 
gnent  statuta  et  mandata  summis  viribus,  per  vitani  et  mortem,  nemo  possit 
salvus  fieri.  »  Lettre  à  Nicolas  Uausmaii  22  mars  1521.  Voy.  de  Wette,  t.  I,. 
p.  578. 

3  Sammtl.  Werke,  t.  XXIV,  p.  35-52 


INTRIGUES    RÉVOLUTIONNAIRES    DE    HÜTTEN.    1520.        117 

VOUS  le  verrez  de  vos  propres  yeux.  Kn  attendant,  ayez  confiance, 
hommes  de  T Allemagne;  cncourap,ez-vous  les  uns  les  autres;  vos 
chefs  ne  seront  ni  inexpérimentés  ni  faibles  pour  ramener  la  liberté 
parmi  vous  '.  « 

Revenu  sans  succès  de  son  voyage  à  la  cour  de  l'archiduc  Ferdi- 
nand, qu'il  avait  espéré  entraîner  dans  la  '  grande  lutte  contre 
Home  »,  Hütten,  peu  de  temps  après  son  retour,  eut  connaissance 
d'un  bref  papal  adressé  à  l'archevêque  de  Mayence  Albert,  et  requé- 
rant celui-ci  d'arrêter  les  projets  «  de  ce  fou  audacieux,  de  ce  dan- 
gereux agitateur  nommé  Hütten,  et,  en  cas  de  nécessité,  d'employer 
contre  lui  la  force*  ».  Ce  bref  lui  servit  de  prétexte  pour  supposer 
un  effroyable  complot,  ourdi,  prétendait-il,  contre  sa  vie  et  sa  liberté 
par  le  Pape.  Luther  écrit  le  15  septembre  à  son  ami  Spalatin  :  »  Hüt- 
ten, dans  les  lettres  qu'il  m'écrit,  fulmine  contre  le  Pape.  Il  me 
mande  qu'il  est  maintenant  décidé  à  déchaîner  la  tempête  contre  la 
tyrannie  sacerdotale,  et  cela  par  la  plume  comme  par  le  glaive.  Le 
Pape  lui  dresse  des  embikhes;  sa  vie  est  menacée  par  le  poignard  et 
le  poison;  il  parait  que  Léon  a  ordonné  à  l'archevêque  de  Mayence 
de  se  saisir  de  lui,  et  de  l'envoyer  garrotté  à  Rome^  »  Et  plus  tard, 
le  2  octobre  :  «  Hütten  s'arme  contre  le  Pape,  et  sa  rage  est  à  son 
comble;  aussi  se  propose-t-il  de  servir  la  bonne  cause  par  les  armes 
autant  que  par  son  ingenium''.  » 

On  put  bientôt  apprécier  ce  qu'il  fallait  entendre  par  l'"  Inge- 
nium »  de  Hütten.  En  septembre  1580  parurent  plusieurs  circulaires 
de  sa  façon,  adressées  d'Ebernbourg,  centre  d'action  de  Sickingen,  à 
l'Empereur,  à  l'électeur  Frédéric  de  Saxe  et  à  tous  les  Ordres  de  la 
nation.  »  La  cause  que  je  défends  »,  dit  Ulrich  dans  le  premier  de 
ces  libelles,  «  est  celle  même  de  l'Empereur.  .le  ne  suis  persécuté  par 
Léon  que  pour  m'être  montré  trop  dévoué  à  Charles,  qui  a  reçu  de  la 
Providence  la  mission  d'anéantir  le  pouvoir  du  Pape,  opprobre  de  la 
nation  allemande.  >  Hütten  ne  craint  pas  de  déclarer  à  l'Empereur 
que  son  but  est  de  renverser  de  fond  en  comble  tout  l'ordre  existant  *  ; 

'  BöcKiNG,  Huiieni  Op.,t.  I,  p  349-352.  Dans  la  préface  de  l'ouvrage  :  De  schismate 
exiinguendo,  etc.  Cet  écrit,  qui  contient  six  lettres  de  dispenses  provenant  pro- 
bablement du  temps  du  grand  schisme  des  Universités  d'Oxford,  de  Prague  et  de 
Paris,  et  du  roi  Wence->las,  est  un  libelle  forgé  en  1381  en  Angleterre  pour  favo- 
riser l'établissement  des  doctrines  de  Wiclef.  »  (Voy.  Lindner,  Theolog.  Studien 
und  Kritiken,  1873,  p.  151-161.) 

-  Voy.  ce  bref  (20  juillet  1520),  dans  Böcking,  t.  I,  p.  362. 

'  De  Wette,  t.  I,  p.  486. 

*  De  Wette,  t.  I,  p.  492. 

5  Septembre  1520.  Böcking,  t.  I,  p.  371-383.  ■  Fateor  hoc  me  scriptis  conalum 
efficere,  ut  hic  vertatur  rerura  ordo,  hic  emendetur  status.  •  Le  savant  impri- 
meur Jacques  Köbel,  secrétaire  d'État  à  Oppenheim,  faisait  alors  également  par- 
tie du  cercle  intime  de  Luther  et,  ainsi  que  ses  amis,  attendait  de  lui  la  véri- 
table réforme  de  l'Église.  Tous  ensemble  cherchaient  à  entraîner  Charles-Ouint 


118         INTRIGUES    RÉVOLUTIONNAIRES    DE    HÜTTEN.    1520. 

surtout  il  en  veut  à  Rome  :  «  Rome,  la  grande  Babylone,  la  mère 
des  plus  effroyables  crimes,  des  actes  les  plus  inhumains  ",  dit-il  dans 
une  lettre  circulaire  dédiée  à  Frédéric  de  Saxe;  «  oui,  Rome  qui  a 
corrompu  et  empoisonné  le  monde  entier,  doit  être  réduite  en  poudre. 
La  tyrannie  qu'elle  exerce  pourrait-elle  donc  devenir  plus  odieuse? 
Ne  faut-il  pas  qu'elle  s'effondre?  Mais  qui  mettra  la  main  à  l'œuvre? 
Dieu,  cela  est  vrai,  oui.  Dieu!  mais,  comme  toujours,  Dieu  par  l'entre- 
mise de  mains  humaines.  Et  quelle  attitude  est  la  vôtre  dans  cette 
question,  princes  et  seig^neurs?  Quel  conseil,  quel  appui  apportez- 
vous  à  la  bonne  cause?  »  Il  les  exhorte  alors  à  venir  à  son  secours,  à 
l'aider,  lui  et  ses  compagnons,  dans  la  sainte  guerre  entreprise  contre 
la  "  bête  à  plusieurs  cornes  ".  -  Si  vous  ne  m'entendez  >-,  ajoute-t-il 
avec  menace,  "  je  saurai  bien  trouver  un  autre  remède  à  notre  mal. 
Caton  l'Ancien  disait  jadis  à  Rome  que  les  gouvernants  et  fonction- 
naires publics  qui  peuvent  empêcher  l'iniquité  et  qui  ne  l'empêchent 
point  méritent  d'être  lapidés.  Notre  dessein  ne  peut  s'effectuer  sans 
meurtre,  sans  effusion  de  sang.  On  a  coutume  d'appliquer  aux  vio- 
lentes maladies  les  remèdes  les  plus  énergiques;  c'est  ce  qu'il  nous 
faut  faire  maintenant,  et  il  n'en  peut  être  autrement.  Nous  rendrons 
Rome  à  l'Empereur,  s'il  en  veut;  l'évêque  de  Rome  redeviendra  l'égal 
des  autres  évêques;  le  nombre  des  prêtres  sera  tellement  réduit  que, 
sur  cent,  un  seul  sera  toléré.  Quant  aux  moines,  il  faut  qu'ils  dispa- 
raissent de  la  surface  de  la  terre  '.  « 

Dans  le  manifeste  intitulé  :  Aux  Allemands  de  toutes  conditions,  Hüt- 
ten s'exprime  avec  le  même  emportement  sur  le  compte  "  des  Romains, 
passés  maîtres  en  tromperie,  auteurs  de  la  servitude  de  l'Allema- 
gne "  ;  sa  diatribe  se  termine  par  ces  paroles  empruntées  à  David  : 
«  Brisons  leurs  chaînes,  et  rejetons  leur  joug  loin  de  nous*.  » 

Après  avoir  reçu,  par  l'entremise  de  Crotus  Rubianus,  ces  pamphlets 
incendiaires,  Luther  écrit  à  Spalatiu  :  «  .Je  commence  à  croire  que 
la  papauté,  jusqu'ici  invincible,  pourra  être  renversée  contre  toute 

dans  le  parti  luthérien.  Köbel  adressa  même  et  rendit  publique  une  lettre  de  lui 
adressée  à  l'Empereur  qui,  selon  lui,  avait  besoin  d'un  bon  conseil.  Il  appelle 
Luther  «  un  homme  profondément  pieux,  un  apôtre  de  la  divine  parole  .  I^lais 
Köbel  ne  voulait  pas  entendre  parler  dune  scission  avec  l'Eglise;  il  suppliait 
ses  amis  de  ne  pas  imiter  les  hussites,  dont  il  disait  : 

Hélas!  ils  se  sont  séparés  du  Pape, 
Ils  ont  mis  l'obéissance  en  oubli  ! 
Que  Dieu  détourne  de  nous  un  malheur  semblable! 

Plus  tard,  Köbel  se  sépara  totalement  de  Luther.  Voy.  l'article  que  Falk  lui 
à  consacré  :  Der  oppen/wimcr  Typograpli  Köbel  und  seine  Stellung  zur  Reformation,  dans 
les  Histor.  polit.  BläUern,  1878,  t.  LXXXII,  p.  463-476. 

'  Du  II  septembre  lö20.  böcki.ng,  t.  l,  p.  383-399.  Voy.  Strauss,  t.  II,  p.  83-86, 
où  les  termes  les  plus  violents  sont  modifiés. 

-  Du  28  septembre  1520.  Böcking,  t.  I,  p.  405-419. 


INTRIRÜES    RÉV0r,UT10!VNAIRES    DE    HÜTTEN.    1520.  119 

attente,  ou  bien  c'est  que  le  jour  du  jugement  dernier  est  tout 
proche  '.  " 

Le  5  décembre  1520,  Crotus  s'était  tourné  avec  une  nouvelle 
ferveur  vers  Luther,  assurant  "  le  grand  prêtre  sacré,  le  nouvel 
évangéliste  dont  la  bonté  du  Ciel  avait  fait  présent  à  ce  siècle 
corrompu  ',  de  son  dévouement  sans  bornes,  et  lui  promettant 
d'employer  tout  son  zèle  à  le  servir.  Les  théologiens  de  Cologne, 
disait-il,  en  brûlant  les  livres  du  saint  docteur,  avaient  en  même 
temps  brûlé  l'Évangile  de  .lésus-Christ,  ou  plutôt  Jésus-Christ  lui- 
même*. 

Cinq  jours  plus  tard,  Luther,  en  sa  qualité  de  nouvel  «  évangé- 
liste,  "  brûlait  à  son  tour  dans  une  grande  cérémonie  publique, 
devant  la  porte  d'Elster,  à  Wittemberg,  les  livres  de  droit  canon 
et  la  bulle  du  Pape  :  «  Puisque  tu  troubles  le  saint  du  Seigneur,  que 
le  feu  éternel  te  dévore'!  »  avait-il  dit  en  jetant  la  bulle  dans  les 
flammes.  Pourlégitimer  un  pareil  acte,  Luther  s'appuyait  sur  l'exemple 
de  l'apôtre  saint  Paul  condamnant  au  feu  les  livres  de  magie! 
«  L'incendie  allumé  par  Luther,  sans  précédent  jusque-là  dans  l'his- 
toire de  la  chrétienté  »,  écrit  Anshelra  à  cette  date  dans  sa  Chronique 
de  Berne,  c  répand  de  tous  côtés  l'étonnement  et  l'effroi  *.  » 

Le  jour  suivant,  Luther  expliquait  à  ses  auditeurs,  dans  sa  chaire 
de  professeur,  à  Wittemberg,  que  brûler  les  livres  du  Pape  n'était 
qu'une  bagatelle;  que  ce  qu'il  importerait  bien  plus  de  brûler,  c'était 
le  Pape  lui-même,  c'est-à-dire  le  Siège  apostolique.  «  Celui  qui  de 
toutes  ses  forces  ne  s'oppose  pas  au  pouvoir  du  Pape  ne  peut  espé- 
rer la  félicité  éternelle  ",  leur  dit-il.  «  La  clarté  et  la  beauté  de  ses 
paternels  discours  étaient  si  saisissantes  ",  assurait  un  des  assis- 
tants, «  qu'il  aurait  fallu  être  plus  inintelligent  qu'une  bûche  pour 
ne  pas  reconnaître  que  tout  ce  que  Luther  a  jamais  dit  est  la  pure 
vérité,  et  que  lui-même  n'est  autre  chose  qu'un  ange  du  Dieu  vivant, 
envoyé  pour  distribuer  aux  brebis  égarée»  d'Israël  l'aliment  de  la 
parole  de  vérité  ^  » 

'  De  Wette,  t.  I,  p.  533. 

*  "  ...Pontifex  sanctissime...  »  Böcking,  t.  I,  p.  433. 

'  Voy.  Mauren'BRECHER,  Kathol. •Reformation,  t.  I,  p.  396.  Le  corps  des  étudiants 
de  Wittemberg  avait  été  convoqué  pour  assister  à  la  destruction  de  la  bulle  par 
le  feu.  «Age  pia  et  studiosa  Juventus  ad  hoc  pium  ac  relisiosum  spectaculum 
constituito,  fortassis  enim  nunc  terapus  est  quo  revelari  Antichristum  oppor- 
tuit.  »  Voy.  KOLDE,  Analecla,  26. 

*  Anshelm,  t.  V,  p.  478. 

'  Exuslionis  Anlkhristianarum  decrelalium.  Acta,  dans  les  Op.  latina  de  Lulher,  t.  V, 
p.  252-256.  Luther  est  souvent  célébré  sous  le  nom  de  l'Ange  du  Dieu  vivant.  L'Au- 
gustin  Michel  Stiefel  (d'Esslingen)  croyait  reconnaître  en  lui  l'ange  de  l'Apoca- 
lypse qui  vole  à  travers  les  cieux  portant  le  saint  Évangile.  Keim,  Reformaiions- 
blälter,  7  fl.  —  Kolde,  Augustiner  Congrégation,  p.  380-381.  Voy.  Uhlhorn.  «  Luther 
est  le  troisième  Élie  »,  lisons-nous  dans  la  Chronique  de  Hambourg,  p.  412-417. 


120  HÜTTEN    ET    LUTHER.    1520. 

A  dater  de  1520,  on  trouve  fréquemment  en  tête  des  éditions 
latines  et  allemandes  des  œuvres  de  Luther  une  gravure  sur  bois  le 
représentant  la  tête  couronnée  d'une  auréole;  le  Saint-Esprit,  sous 
la  forme  d'une  colombe,  plane  sur  sa  tête'.  Le  bruit  se  répandit 
parmi  le  peuple  qu'à  Witteraberg,  au  moment  où  il  avait  mis  le  feu 
aux  décrétales  et  à  la  bulle  du  Pape,  des  anges  avaient  été  aperçus 
dans  les  cieux,  semblant  témoigner  toute  la  joie  que  l«ur  causait  ce 
spectacle. 

>'  Luther  menace  ' ,  ajoute  la  lettre  qui  rapporte  ces  bruits;  "  il 
affirme  que  sept  provinces  se  sont  offertes  à  défendre  sa  cause, 
que  les  Bohèmes  lui  ont  promis  trente-cinq  mille  hommes,  et  la 
Saxe  et  autres  pays  du  Nord  tout  autant.  Le  dessein  des  confédérés 
est,  parait-il,  d'envahir  Rome  et  l'Italie,  comme  l'ont  fait  autrefois 
les  Goths  et  les  Vandales.  Le  poi^^on  de  l'hérésie  a  pénétré  si  avant 
qu'il  sera  impossible  de  le  détruire  sans  de  grandes  secousses.  Le 
peuple  montre  une  grande  animosité  contre  le  clergé;  beaucoup  de 
gens  sans  aveu,  accoutumés  au  brigandage,  espèrent,  grâce  à  Luther, 
trouver  l'occasion  de  ruiner  cette  caste  détestée  et  opulente,  et 
croient  pouvoir  en  venir  facilement  à  bout  *.  « 

Il  faut  reconnaître  que  tous  les  amis  de  Luther  n'approuvaient 
pas  ces  mesures  violentes.  Wolfgang  Capito,  prédicateur  ordinaire 
à  la  cour  de  Mayence,  s'efforçait  de  détourner  le  novateur  de 
la  pensée  de  soulever  la  populace  :  '■  Les  allusions  transparentes 
que  tu  fais  aux  hommes  d'armes  et  à  la  lutte  l'aliènent  beaucoup 
de  ceux  qui  t'étaient  dévoués  >,  lui  écrit-il.  •<  Il  nous  sera  très- 
facile,  il  est  vrai,  de  tout  bouleverser;  mais  je  crains  qu'ensuite  il 
ne  soit  plus  en  notre  pouvoir  d'apaiser  l'émeute.  D'ailleurs,  com- 
ment se  confier  aux  masses?  L'expérience  nous  apprend  avec  quelle 
mobilité  elles  se  tournent  tantôt  d'un  côté,  tantôt  d'un  autre,  exces- 


'  Voy.  dans  Schuchardt,  t-  II,  p.  312-313,  la  liste  des  ouvrages  où  cette  gra- 
vure (composée  par  Lucas  Cranacli)  se  trouve  reproduite.  Elle  est  en  premier 
lieu  dans  l'édition  latine  du  livre  De  cnpiiiitate  Bahylonica  Ecdesiœ,  accompagnée  de 
ces  paroles  :  Numina  cœlestem  nobis  peperere  Lutberum.  Nostra  diu  raajus 
ssecla  videre  nihil.  Quem  si  pontificum  crudelis  deprimit  error,  non  feret  iralos 
impia  terra  deos.  -  Voy.  ma  brochure  :  Ein  iiceites  Wort  an  meine  Kritiker,  p.  69. 
Luther  autorisa  Lucas  tranach  à  graver  son  portrait,  sur  cuivre,  d'abord  en  1519, 
puis  en  1520,  et  de  nouveau  en  1521.  Schuchardt,  t.  II,  p.  189-191. 

*  -  ...Fecit  tameu  hoc  virus  tam  alte  radiées  suas,  ut  vix  absque  magno  malo 
tolli  posse  existimarem,  quod  Germani  omnes  ordini  sacerdotali  infesti  rapi- 
nisque  dediti,  se  in  hoc  homine  jam  ansam  nactos  putant,  qua  ordinem  illum 
alioquin  invisum  et  opulentum  subvertere,  et  omnia  sur^um  deorsum  facile 
miscere  posse  arbitrantur.  ^  Lettre  anonyme,  datée  de  décembre  1520,  dans 
Chmel,  Handschriften,  t.  I,  p.  523-524.  Le  passage  où  il  est  fait  allusion  à  l'exécu- 
tion de  la  bulle  :  «  Solemni  more  X"">  die  presentis  mensis  •,  établit  la  date  de 
cette  lettre. 


HÜTTEN    ET    LUTHER,    15^0.  121 

sives  en  leur  enj>oiicmenl  comFue  en  leur  colère.  »  Capilo  reproche 
donc  à  Luther  de  <  faire  retentir  trop  souvent  la  trompelle  guer- 
rière >',  et  d'avoir  excite  Hütten  à  la  révolte.  H  blâme  les  deux  amis 
de  r«  entreprise  à  main  armée     qu'ils  méditent  '. 

D'après  le  plan  de  Hütten,  la  guerre  de  religion  devait  éclater 
dès  1520. 

Le  9  décembre,  il  envoie  à  Luther,  «  son  bien-aimé  frère  et  ami, 
le  héraut  invincible  de  la  parole  de  Dieu  > ,  le  compte  rendu  détaillé 
de  ce  qu'il  a  déjà  tenté  pour  la  bonne  cause.  «  Mais  tandis  que  je 
recrute  de  nouveaux  auxiliaires  et  de  nouveaux  amis  «,  lui  écrit-il, 
«  beaucoup  d'anciens  se  retirent.  La  superstition  est  encore  si  pro- 
fondément enracinée  parmi  les  hommes,  que  celui  qui  s'élève  contre 
le  pape  de  Home  est  regardé  comme  coupable  d'un  crime  irrémis- 
sible. Le  seul  homme  qui  ait  embrassé  la  bonne  cause  avec  une  fer- 
meté inébranlable,  c'est  Franz  de  Sickingen.  «  -  A  la  vérité,  ajoute 
Ulrich,  Franz  avait  paru  hésiter  un  moment;  mais  peu  à  peu  Hütten 
avait  su  si  bien  l'enflammer,  que  maintenant,  presque  tous  les  soirs, 
à  souper,  il  se  faisait  lire  quelque  passage  des  écrits  de  Hütten  ou  de 
Luther,  et  déclarait  nettement  à  ceux  de  ses  amis  qui  tentaient  de 
l'ébranler,  que  l'intérêt  de  la  patrie  exigeait  qu'on  s'en  rapportât  entiè- 
rement aux  décisions  des  deux  nouveaux  apôtres,  parce  que  la  vraie 
foi  devait  être  défendue.  '^  «  Malgré  tout  cela  »,  continue  Hütten,  «  je 
ne  te  dissimulerai  pas,  très-cher  frère,  que  c'est  Franz  qui  jusqu'à 
présent  m'a  empêché  de  commencer  l'attaque.  11  assure  qu'il  vaut 
mieux  laisser  croître  la  présomption  de  nos  ennemis;  il  est  aussi 
d'avis  qu'il  est  plus  sage  de  s'assurer  d'abord  du  parti  que  prendra 
l'Empereur.  »  Sickingen  espère  que  ce  dernier  comprendra  bientôt 
ce  qu'il  peut  attendre  du  Pape  et  de  son  entourage.  On  annonçait 
une  scission  prochaine  et  grave  entre  Léon  X  et  l'Empereur;  c'était  à 
ce  moment  favorable  que  Sickingen  comptait  se  tourner  vers  Charles- 
Quint.  '  J'ai  écrit  dernièrement  à  Spalatia  >,  écrit  Hütten,  «  je 
lui  demande  de  sonder  adroitement  l'Électeur-,  puis  de  m'écrire  sa 
pensée.  Je  désire  vivement  savoir  jusqu'à  quel  point  on  peut  compter 
sur  son  appui,  et  je  souhaiterais  que  ses  bonnes  intentions  fussent 
connues,  non-seulement  de  toi,  mais  de  tous  ceux  qui  ont  offert 
leur  bras  et  leur  épée  pour  le  service  de  la  bonne  cause.  Insiste  toi- 
même  sur  ce  point,  je  t'en  prie.  Tu  ne  sais  pas  combien  il  est  dési- 
rable que  Frédéric  vienne  en  aide  à  nos  gens,  ou  du  moins  pro- 
mette de  fermer  les  yeux  sur  un  beau  coup  de  main,  ou  bien  encore 
nous  permette  de  chercher  un  refuge  à  l'intérieur  de  ses  États,  si  la 
situation  le  réclamait.  Aussitôt  que  je  serai  instruit  de  ses  inten- 

'  EVEI\S,  Heß  7,  215-218. 
'  L'électeur  de  Saxe. 


122  HUTTEX    SOULEVE    LA    GUERRE    DE    RELIGION.    1520. 

tions,  je  me  propose  d'aller  t'entretenir  de  vive  voix,  car  je  ne  puis 
résister  plus  longtemps  au  désir  de  te  connaître  davantage,  et 
j'aspire  au  bonheur  de  voir  face  à  face  un  homme  que  ses  vertus  me 
rendent  si  cher  '.  >■ 

En  même  temps  que  cette  lettre,  Hütten  envoyait  à  Luther  ses  der- 
niers écrits,  dans  l'espérance  qu'il  les  ferait  réimprimer  à  Wittemberg. 

Ces  libelles,  dirigés  contre  la  papauté  et  le  clergé,  destinés  spécia- 
lement au  peuple,  et  à  cause  de  cela  rédigés  en  allemand,  appelaient 
aux  armes  la  nation  tout  entière  : 

«  Je  fais  appel  à  la  fière  noblesse! 

Vous  aussi,  bonnes  villes,  soulevez-vous! 

Soutenons-nous  mutuellement, 

Ke  me  laissez  pas  combattre  seul! 

Ayez  pitié  de  la  patrie, 

Dignes  Allemands,  levez  la  main! 

Voici  l'instant  d'agir,  d'entrer  en  lice  ! 

Que  notre  devise  soit  : 

Pour  la  liberté!  Dieu  le  veut!  » 

Les  puissants  et  les  petits  sont  invités  à  s'unir  pour  la  guerre  de 
religion  : 

«  J'exhorte  ici  tous  les  princes, 

Et  en  premier  lieu  le  noble  Charles! 

Que  tous  se  rallient  à  noire  cause; 

J'invite  la  noblesse  et  les  bonnes  villes; 

Celui  qui  ne  prend  pas  la  chose  à  cœur. 

Celui-là  n'aime  point  son  pays, 

Et  ne  connaît  Dieu  qu'imparfaitement. 

Donc,  vous  tous,  braves  Allemands, 

Invofiuez  le  secours  de  Dieu,  proclamez  hautement  la  vérité! 

Vous,  lansquenets,  vous,  braves  cavaliers, 

Vous  tous  qui  avez  au  cœur  un  vaillant  courage, 

Venez  !  nous  étoufferons  la  superstition. 

Et  nous  ferons  resplendir  de  nouveau  la  foi! 

Mais  la  victoire  ne  peut  être  obtenue  sans  lutte. 

Il  faut  s'attendre  à  ce  que  le  sang  coule  ! 

Nous  avons  des  harnais,  des  chevaux, 

Des  hallebardes,  des  épées! 

El  si  les  discours  de  paix  ne  suffisent  pas, 

Nous  saurons  nous  servir  de  nos  armes! 

Que  personne  ne  m'en  demande  davantage  : 

Le  secours  et  la  vengeance  de  Dieu  sont  avec  nous!  i 

Hütten  prévoit  déjà  que  le  secours  de  l'étranger  sera  nécessaire  : 

«  Oui,  je  le  jure  sur  mon  âme. 
Si  Dieu  m'accorde  sa  grâce, 

1  BÖCKING,  t.  I,  p,  435-437. 


HÜTTEN    SOULÈVE    LA    GUERRE    DE    RELIGION.    1520.  12» 

Lui  qui  n'a  jamais  abandonné  l'innocent. 
Je  laverai  notre  injure  de  ma  propre  main, 
Dussé-je  avoir  recours  à  l'étranger!  » 

Dans  le  Parallèle  entre  la  papauté  et  l'Empire,  Hütten  prétend 
instruire  Ciiarles-Quint  do  ses  devoirs  et  de  ses  droits  vis-à-vis  de 
Rome.  Partisan  du  césaro-papismc,  il  affirme  qu'autrefois  les  empe- 
reurs étaient  à  la  fois  papes  et  Césars,  qu'ils  élevaient  et  dépo- 
saient les  évêques;  mais  qu'ensuite  tout  avait  changé  de  face,  parce 
qu'ils  s'étaient  honteusement  courbéssouslejoug  papal.  Le  despotique 
Henri  IV  est  à  ses  yeux  un  noble  héros;  l'Allemagne  n'en  a  pas  connu 
de  plus  digne  d'admiration.  Mais  plus  ce  prince  était  brave,  vail- 
lant et  vertueux,  plus  il  avait  été  exposé  par  cela  même  aux  persé- 
cutions des  papes.  Dès  qu'ils  avaient  compris  à  quel  vaste  esprit,  à 
quelle  capacité  ils  avaient  affaire,  ils  s'étaient  opposés  à  lui,  de  peur 
qu'il  ne  vint  à  les  éclipser  :  '  Henri  IV  n'a  pas  eu  seulement  à  subir 
l'opposition  d'un  ou  deux  papes;  quatre  ou  cinq  se  sont  comportés 
de  la  même  manière  envers  lui;  mais  l'odieux  moine  Hildebrand  l'a 
traité  plus  impitoyablement  encore  que  tous  les  autres.  "  Les  con- 
naissances historiques  de  Hutteu  sont  vraiment  bizarres.  Pour  éta- 
blir l'ancienne  suprématie  des  empereurs  sur  les  papes,  il  raconte 
que  l'empereur  Othon  IH  fit  crever  les  yeux  à  Jean  XIV;  pour 
démontrer  la  tyrannie  des  papes  et  prouver  qu'ils  ont  été  souvent  les 
meurtriers  des  empereurs,  il  rapporte  que  Clément  IV  fit  assassiner 
Conrad  IV.  Or  il  n'y  a  pas  un  mot  de  vrai  dans  ces  assertions. 

Pour  exciter  le  peuple  encore  davantage,  il  réédita  ses  dialogues 
latins,  et  cette  fois  les  publia  en  allemand,  sous  le  nom  à' Entretiens 
familiers.  Le  frontispice  du  livre  symbolise  la  pensée  de  l'auteur  : 
à  droite,  au  haut  de  la  feuille,  le  roi  David  présente  à  Dieu  le  Père, 
qui  apparaît  à  gauche  lançant  sa  foudre  du  haut  du  ciel,  ce  verset  du 
psaume  c\i  :  «  Lève-toi,  Seigneur,  toi  qui  juges  la  terre,  donne  aux 
orgueilleux  la  récompense  qui  leur  est  due!  »  Au  centre,  on  voit  appa- 
raître Luther  et  Hütten,  les  deux  héros  de  la  liberté.  Au  bas,  des 
hommes  d'armes,  les  lances  étendues,  chassent  une  troupe  de  prêtres 
qui  s'enfuient  en  poussant  des  clameurs  lamentables,  et  parmi  les- 
quels on  reconnaît  le  Pape,  des  cardinaux  et  des  évêques  '.A  la  fin 
du  livre,  Luther  et  Hütten,  toujours  réunis,  reparaissent  encore. 
A  partir  de  ce  moment,  on  prit  l'habitude  de  les  représenter  toujours 
ensemble,  comme  les  inséparables  «  instruments  du  Seigneur  «.  «  Dieu 
nous  a  envoyé  deux  apôtres  »,  dit  Eberlin  de  Giinzbourg  dans  le  livre 
des  Quinze  Alliés  (1521);  «  cœurs  vaillants,  hardis,  éclairés,  ces  deux 

'  Strauss  (t.  II,  p.  -218)  trouve  cette  gravure  "  la  plus  divertissante  du 
monde  •. 


121  HÜTTEN    SOULEVE    LA    GUERRE    DE    RELIGION.    1520. 

messagers  da  Seigneur  se  nomment  Martin  Luther  et  Ulrich  de  Hüt- 
ten; tous  deux  Allemands  de  naissance,  très-instruits  et  bons  chré- 
tiens, ne  respirent  que  pour  la  gloire  de  Dieu,  comme  leur  entre- 
prise le  fait  assez  voir'.  »  A  cette  époque  se  répand  aussi  parmi  le 
peuple  la  lÀtanie  des  Allemands,  où  l'aide  de  Dieu  est  invoquée  pour 
Hütten  et  Luther  ^ 

Hütten,  dans  ses  libelles,  feint  d'être  convaincu  que  l'Empereur 
va  prendre  la  direction  de  la  sanglante  révolution  qu'il  prépare.  Il 
5'adresse  même  à  lui  : 

••  Oui,  si  j'exécute  toutes  ces  choses, 

Ce  ne  sera  que  pour  ton  honneur! 

Autrement,  il  ne  me  siérait  guère 

De  lever  ainsi  l'étendard  de  la  révolte. 

J'exhorte  tous  les  Allemands  libres 

A  le  rendre  obéissance. 

Afin  que  notre  pays  soit  secouru. 

Et  que  la  ruine  et  la  honte  en  soient  bannies. 

Un  vaillant  capitaine  comme  toi 

Peut  seul  diriger  et  mener  à  bien  l'entreprise.  » 

Mais  il  ressort  au  contraire  des  lettres  confidentielles  de  Hütten 
que,  depuis  son  inutile  voyage  à  la  cour  de  Ferdinand,  il  gardait  fort 
peu  d'illusions  sur  le  parti  que  prendrait  Charles-Quint,  et  doutait 
beaucoup  qu'il  consentit  à  devenir  le  chef  de  la  révolution  :  «  Je 
n'attends  pas  grand'chose  de  l'Empereur  »,  écrit-il  à  Luther  (9  dé- 
cembre 1520).  «  Il  est  entouré  d'une  foule  de  prêtres,  parmi  les- 
quels plusieurs  ont  su  capter  entièrement  sa  confiance.  «  S'adressant 
à  Erasme  (13  novembre  1520),  il  exprime  les  mômes  craintes,  se 
montrant  d'ailleurs  résolu  à  marcher  en  avant  sans  le  concours  de 
Charles -Quint.  Il  engage  vivement  Érasme,  avant  que  la  lutte 
commence,  à  songer  à  sa  sûreté  personnelle  et  à  se  réfugier  à  Bâle. 
«  La  guerre  aurait  déjà  éclaté  «,  dit-il,  «  si  Franz  de  Sickingen 
n'avait  été  d'avis  d'attendre  encore,  à  cause  de  l'Empereur.  Si  tu 
n'approuves  pas  non  plus  les  moyens  violents,  tu  ne  peux  du  moins 
blâmer  mon  dessein  d'affranchir  l'Allemagne.  Les  sciences,  après 
sa    délivrance,   retrouveront  un  nouvel  Oclat,   et    même  si  notre 

'  BÖCKING,  t.  II,  p.  101.  Voy.  ce  que  Jean  Faber  écrivait  à  Lulber  sur  son 
alliance  avec  Hütten  :  -^  ..  qnid  enim  primum  aliud  in  dialogis  vestris  quam  virus, 
convitia,  pestis  ac  sesquipedalia  verba  jactastis  ?  hic  vester  exercitus  clavis, 
fustibus,  furcis  obarmatus  erat.  '  Ravnvld,  ad  a.  1528,  n.  359. 

*  Dans  cette  Litania  Germanorum  qui  date  de  1521,  on  lit  entre  autres  choses: 
«  Ut  strenuum  ilUim  Germaniae  equitem,  Ulricum  Huttenum,  .Martini  Lutheri 
Pyladem,  in  suo  bono  proposito  ac  provincia,  pro  Martine  Luthero  suscepta, 
perseverare  facias,  te  rogamus,  audi  nos.  -  Dans  les  Preces  qui  suivent,  on  lit  au 
sujet  du  Pape  :  '  Dominus  prœcipitet  eum  de  cathedra  pestilentiœ  et  conterai 
caput  ejus,  et  qui  seipsum  fecit  Deum  orbis  terrarum,  sit  alibi  diabolus  diabo- 
lorura  in  aîternum.  Amen. .  Kapp,  iVacA/e»e,  t.  II, p.  506-509. — Voy.  Pescheck,  p.  159. 


HÜTTEN    SOULÈVE    LA    CUERRE    DE    RELIGION.    1520.  125 

tentative  échouait,  toutes  les  ruses,  toutes  les  supercheries  de  la  cour 
de  Rome  ne  parviendraient  pas  à  éteindre  l'incendie  que  nous  avons 
allumé.  Le  feu  continuerait,  même  si  l'on  persistait  à  nous  écraser, 
et  de  nos  cendres  surgiraient  de  nouveaux  défenseurs  de  la  liberté, 
plus  forts,  plus  courageux  que  nous.  C'est  parce  que  j'en  suis 
persuadé  que  Je  suis  décidé  à  tout  tenter,  et  résolu  à  ne  me  laisser 
intimider  par  aucune  menace.  Quand  bien  même  l'Empereur  lance- 
rait un  édit  contre  nous,  tous  les  lieux  de  refuge  ne  nous  seraient 
pas  fermés,  tous  les  moyens  do  secours  ne  nous  seraient  pas  refu- 
sés. »  «  La  tyrannie  romaine  est  effroyable  »,  disait  encore  Hütten, 
«  elle  dépasse  l'imagination;  il  est  impossible  d'y  remédier,  comme 
Érasme  le  pense  à  tort,  au  moyen  de  la  douceur;  il  ne  reste  rien 
d'autre  à  faire  que  d'avoir  recours  à  la  force;  il  faut  jeter  au  loin  les 
cadavres  empestés,  les  brûler  et  les  anéantir'.  Au  reste,  Hütten 
ne  serait  pas  seul  à  entreprendre  la  campagne  ;  dans  une  chanson 
écrite  pour  le  peuple  il  s'écrie  : 

"  Beaucoup  parmi  nous,  je  le  sais, 
Désirent  aussi  entrer  en  danse. 
Dussent-ils  y  perdre  la  vie! 
Allons,  brave  lansquenet, 
Généreux  cavalier, 
Ne  laissez  pas  périr  Hütten!  t 

Dans  une  autre  chanson,  également  composée  pour  le  peuple, 
il  se  pose  en  protecteur  et  en  champion  de  l'Évangile  : 

I  Ah!  noble  Hütten  de  Franconle, 
Sois  avisé,  sois  prudent! 

Rends  grâce  à  Dieu,  bénis  sa  bonté, 

II  t'aidera  certainement 

A  combattre  pour  la  justice  ! 

Tu  soutiendras  rhonime  de  bien. 

Avec  le  secours  d'autres  chevaliers  et  varlels, 

Avec  tes  loyaux  guerriers, 

Protégés  par  le  sang  du  Christ!  » 

Au  commencement  de  1521,   Hütten  réédita   le  recueil   encore 

augmenté  de  ses  Entretiens.  Dans  le  premier,   intitulé  BuUidda  (le 

Tueur  de  bulles),  il  fait  un  nouvel  appel  aux  armes  :  "  11  s'agit  ici  de 

notre  intérêt  à  tous,  il  s'agit  du  bien  public!  »  s'écrie-t-il.  «  Le  feu  de 

la  guerre  commence  à  se  propager;  accourez,  vous  qui  soupirez 

après  la  liberté,  car  ce  n'est  qu'avec  nous  que  vous  pourrez  acquérir 

I  un  si  grand  bien.  Chez  nous  on  poursuit  les  despotes,  on  brise  les 

!  chaînes  de  l'esclave!  Où  sont  les  hommes  libres?  Ils  ne  peuvent  être 

.tous  disparus!  Où  sont  les  nobles,  aux  noms  illustres?  Où  êtes-vous, 

■  «  ...Abjiciamus  putrida  cadavera,  exuranius  et  aboIeamus.fQuod  si  vi  et  arrais 
coneinur  efficere...  »  Bocking,  t.  I,  p.  423-426, 


126         HÜTTEN    SOULÈVE    LA    GUERRE    DE    RELIGION.    1520. 

chefs  du  peuple?  Pourquoi  ne  venez-vous  pas  grossir  notre  nombre? 
pourquoi  ne  pas  vous  joindre  à  moi  pour  délivrer  notre  commune 
patrie  de  la  peste  romaine?  Y  a-t-il  un  homme  ici  qui  puisse  accep- 
ter d'être  esclave, qui  ne  rougisse  de  sa  servitude  et  ne  soit  impatient  li 
de  s'en  affranchir?  En  un  mot,  y  a-t-il  quelqu'un  parmi  vous  qui  ait 
du  courage,  et  se  sente  résolu  à  tout  tenter?  Où  êtes-vous  donc,  vous 
qui,  il  y  a  peu  de  temps  encore,  vouliez  entreprendre  une  croisade 
contre  le  Turc?  Comme  si  les  bulles  maudites  n'étaient  pas  de  pires 
ennemis  pour  l'Allemagne  !  Mais  vous  m'avez  entendu!  Je  vois  cent 
mille  hommes,  à  la  tête  desquels  se  place  Franz,  mon  hôte  et  mon 
ami!  Que  les  dieux  soient  loués!  L'Allemagne  s'est  souvenue  d'elle- 
même!  L'Allemagne  veut  redevenir  libre  '!  » 

Dans  le  dialogue  des  Brigands,  Hutteu  distingue  quatre  sortes 
de  voleurs.  Les  plus  inoffensifs  et  les  plus  excusables,  à  son  avis, 
sont  les  voleurs  de  grand  chemin.  Bien  plus  à  craindre  sont  les 
grands  commerçants,  qui  rançonnent  tous  les  ans  l'Allemagne  dans 
des  proportions  inouïes,  par  l'importation  des  marchandises  étran- 
gères; ceux-là  méritent  qu'on  les  expulse  du  pays.  Les  juristes  sont 
une  engeance  plus  nuisible  encore;  ils  falsifient  le  droit,  et  pour  s'en 
défaire  on  devrait  employer  la  cognée  et  la  massue.  Mais  les  plus 
dangereux  de  tous  les  hommes,  ce  sont  ces  brigands  qui  composent 
la  bande  perverse  des  prêtres.  «  Si  l'Allemagne  ne  se  débarrasse  de 
cette  peste  -,  dit  Sickingen,  que  Hütten  introduit  ici  dans  la  con- 
versation, n  il  deviendra  bientôt  impossible  de  lui  porter  secours!  > 
Pour  lui,  il  ne  cessera  de  rappeler  à  l'Empereur  que  son  devoir  est 
d'oter  au  clergé  le  fardeau  des  richesses  temporelles,  dans  l'intérèf 
même  de  la  sainteté  de  son  état;  qu'il  doit  s'emparer  de  tout  l'or, 
de  tout  l'argent  entassé  dans  les  églises,  faire  vendre  les  pierreries 
renfermées  dans  les  sacristies,  et,  du  produit  de  ces  trésors,  entre- 
tenir des  troupes. 

"  Le  peuple  allemand  est  exploité  d'une  façon  inique,  extrava- 
gante, et  cela  non-seulement  par  Rome,  mais  encore  par  ses  propres 
prélats;  les  impostures  et  les  brigandages  des  évêques  les  ont  ren- 
dus si  puissants  qu'ils  se  sont  emparés  des  contrées  les  plus  fertiles 
de  l'Allemagne;  les  terrains  les  plus  beaux  sont  entre  leurs  mains; 
la  malheureuse  Franconie  est  soumise  à  la  domination  impie  des 
prêtres,  et  n'est  plus  digne  de  son  glorieux  nom  de  Franconie  (terre 

1  Bulla  vel  Bullicida.  Dans  le  dialogue  Monitor  prunus,  llutten  fait  dire  à  Luther  :  i 
o  Je  passe  volontiers  bien  des  choses  à  Léon,  et  je  me  tais  sur  sa  conduite  pri-  j 
vée;  mais  je  ne  puis  assez  m'étonner  lorsque  je  vois  des  hommes  fonder  tout  j 
l'espoir  de  leur  salut  sur  l'indulgence,  c'est-à-dire  sur  l'abstention  des  bonnes  1 
œuvres,  eux  qui  cependant  devraient  si  bien  savoir  que  la  foi  sans  les  œuvres 
est  marie  !  •  (STRAUSS,  p.  275.)  On  voit  que  Hutten  avait  admirablement  saisi  la 
doctrine  de  Luther! 


HÜTTEN    SOULÈVE    LA    «UERRE    DE    RELIGION.    1520.  127 

libre)  ;  plus  servilement  qu'aucun  autre  territoire,  elle  a  courbé 
son  front  sous  le  joug.  Mais  le  temps  où  l'Allemagne  s'alTranchira 
de  ces  brigands  pervers  est  enfin  tout  proche.  » 

Par  cet  «  affranchissement  «,  il  ne  fallait  donc  pas  entendre  seu- 
lement la  confiscation  des  biens  du  clergé  et  le  pillage  des  églises, 
mais  encore  la  transformation  des  principautés  ecclésiastiques  en 
Etats  laïques.  Sickingen  chercha  plus  tard  à  opérer  une  transforma- 
tion semblable  dans  l'archevêché  de  Trêves. 

«  Aussitôt  que  le  moment  décisif  de  l'affranchissement  sera 
venu,  la  chevalerie  de  l'Empire,  les  bonnes  et  fortes  villes  d'Alle- 
magne devront  se  décider  à  une  action  commune,  mettant  de  côté 
les  anciens  malentendus  et  griefs.  »  "  Déjà  je  les  vois  lutter  avec 
énergie  pour  la  liberté,  rougir  d'une  servitude  honteuse,  et  se  mon- 
trer plus  résolues  que  tous  les  autres  ordres  de  la  nation.  Elles  ont 
des  troupes,  de  l'argent  en  abondance,  et  lorsqu'il  s'agira  d'entre- 
prendre une  guerre  qui,  selon  moi,  est  inévitable,  elles  seront  en 
état  d'offrir  à  la  grande  cause  les  secours  les  plus  efficaces.  »  Un 
marchand  que  Hutteu  fait  intervenir  ici  dit  alors  :  «  Tout  cela  mène, 
ce  me  semble,  à  la  guerre  contre  les  prêtres;  puisse  le  Christ 
Rédempteur  protéger  un  tel  dessein,  car,  à  mon  avis,  il  n'a 
jamais  existé  un  motif  de  résistance  plus  légitime,  plus  honorable 
et  plus  pressant!  »  Ce  à  quoi  Hütten  répond  :  "  Il  en  est  comme  tu 
dis!  Si  l'on  a  jamais  légitimé  la  résistance  à  une  tyrannie  quelconque, 
quel  zèle  ne  devons-nous  pas  déployer,  nous  qui  avons  affaire  à  des 
tyrans  qui  non-seulement  mettent  la  main  sur  nos  propriétés  et 
nous  ravissent  notre  liberté  de  citoyen,  mais  encore  oppriment  et 
anéantissent  ce  qu'il  y  a  de  plus  sacré  au  monde,  la  foi  et  la  piété?  car 
ils  tiennent  la  vérité  captive,  et  voudraient  effacer  de  nos  mémoires 
jusqu'au  nom  du  Christ  '.  x 

Il  fallait  donc,  de  toute  nécessité,  déchaîner  en  Allemagne  la 
«  tempête  hussite  ' . 

Aussi,  dans  un  dialogue  postérieur  intitulé  Second  Avertissement 
[Monitor  secundus),  Hütten  voit-il  en  Ziska,  le  chef  hussite,  le  modèle 
accompli  du  libérateur  et  du  héros.  Il  met  ces  paroles  dans  la  bouche 
de  Sickingen  :  c  Afin  que  tu  comprennes  bien  que  tout  n'a  pas  tourné 
mal  pour  ceux  qui  ont  résisté  aux  prêtres,  je  te  citerai,  entre  beau- 
coup d'exemples,  celui  du  Bohême  Ziska,  l'invincible  chef  d'une 
lutte  longue  et  ardente  contre  le  clergé.  Que  lui  a-t-il  manqué  pour 
prétendre  à  la  célébrité  des  plus  illustres  héros?  N'a-t-il  pas  eu  la 
gloire  de  délivrer  son  pays  du  despotisme,  de  chasser  du  territoire 
bohémien  les  hommes  inutiles,  les  prêtres  oisifs,  les  moines  fai- 

'  Prœdones.  Cet  entretien  parut  probablement  dès  1520.  Strauss,  Ulrich  von 
Hutlen,  t.  II,  p.  156. 


128  MURNEU    :    LA    DE  TRESSE   DE   LA   FOI. 

néants?  N'a-t-il  pas  restitué  les  biens  du  clergé  en  partie  aux  héri-    I 
tiers  des  bienfaiteurs',   en  partie  à  l'État?  N'a-t-il  pas   fermé  son    } 
pays  aux  entreprises  romaines,  aux  extorsions  des  papes?  N'a-il  pas    t 
noblement  vengé  la  déplorable  mort  du  saint  prophète  Jean  Huss?    j 
Et,  parmi  tant  de  grandes  actions,  il  n'a  jamais  cherché  son  intérêt 
personnel  ni  l'accroissement  de  sa  fortune!  »  Ici  un  second  paysan 
l'interrompt  pour  lui  dire  qu'il  a  entendu  raconter  que  Ziska  s'était    | 
souillé  de    beaucoup  de  crimes   abominables;   mais   Sickingen  lui 
répond  que  punir  des  malfaiteurs  n'est  point  un  crime;  que  prendre 
à  des  hommes  orgueilleux,  cupides,  insolents,  débauchés  et  lâches 
un  bien  injustement  acquis,  les  chasser  de  la  patrie  où  leur  grand    , 
nombre  cause  renchérissement  des  denrées,  n'a  rien  de  répréhensible.    I 
«  Pourquoi  n'iraiterais-je  pas  l'exemple  de  Ziska?  "  dit-il  en  ter- 
minant. 

Bien  qu'il  recherchât  l'appui  de  Charles-Quint,  Hütten  était  très-  | 
décidé  à  s'en  passer  au  besoin;  «  car,  en  vérité  »,  assure-l-il,  «  il  est 
des  cas  où  ne  pas  obéir  est  la  véritable  obéissance  ».  «  L'Empereur 
souffre  que  des  hommes  pervers  se  servent  de  lui  pour  des  choses  j 
futiles.  »  «  S'il  est  dans  sa  destinée  '-,  dit  Ulrich  à  plusieurs  reprises,  ' 
«  de  suivre  si  promplemeut  les  mauvais  conseils,  je  crois  qu'une 
prompte  ruine  sera  aussi  dans  sa  destinée.  Entouré  d'une  troupe  de 
fidèles  serviteurs,  Charles  devait  songer  à  restreindre  le  pouvoir 
excessii  des  évêques,  abattre  la  superstition,  rapprendre  au  peuple  la 
vraie  religion,  la  remettre  en  lumière,  et  restaurer  la  liberté  de 
l'Allemagne.  11  ne  devait  pas  avoir  égard  aux  rêveries  de  quelques- 
uns,  mais  à  la  volonté  de  Dieu,  car  la  vérité  et  la  religion  sont  icf 
en  jeu.  Oue  si  l'Empereur  refuse  de  se  mettre  à  notre  tête,  et  que 
nous  ne  puissions  espérer  lui  voir  embrasser  de  lui-même  la  cause 
de  la  patrie,  j'ai  résolu  de  tenter  quelque  chose  à  mes  risques  et 
périls.  Le  sort  en  est  jeté  !  Advienne  que  pourra  ^!  >> 


VIII 


Le  parti  de  la  révolution  politique  et  religieuse  faisait  à  une  grande 
partie  de  l'Allemagne  une  situaiiouque  déplore,  dans  sa  Complainte 
sur  la  détresse  de  la  foi  chrétienne  ',  Thomas  Murner,  moine  franciscain. 

Personne,  dit-il,  n'a  jamais  prétendu  nier  les  abus  qui  se  sont 

'  En  Allemagne,  selon  les  vues  de  llutlen,  ces  biens  devaient  revenir  à  1» 
nol)lesse. 

-  Monitor  secundus. 

3  L'Idand's  lolkslieder,  t.  II,  p.  906-917.  Voy.  1039,  no  349. 


MURNER,    LA    KüINE    DE    LA    FOI    C  H  R  ET  I  E  N  ^f  E.  129 

introduits  dans  l'Église.  Aucun  homme  loyal  n'a  jamais  tenté  de  les 
justifier  Seuls  ils  sont  cause  du  mouvement  révolutionnaire  (jui 
éclate  : 

Les  abus  dont  on  se  plaint, 
Nul  homme  d'honneur  ne  les  défend! 
Dieu  même,  je  commence  à  le  croire, 
Ne  veut  pas  les  tolérer  davantage! 
Mais  mon  cœur  est  plein  de  larmes, 
Parce  qu'on  veut  détruire  notre  foi. 
Voilà  l'unique  sujet  de  mes  pleurs! 

Il  faut  que  je  confesse  ici  la  vérité. 
Nous  ne  sommes  pas  sans  reproche. 
La  question  de  l'indulgence,  dit-on, 
A  malheureusement  égaré  bien  des  gens 
Entendant  dire  tant  de  mal  d'elle, 
On  s'est  imaginé  que  les  sacrements 
Étaient  tout  aussi  suspects; 
On  a  cessé  de  les  vénérer. 
0  Dieu  du  ciel,  fais-nous  miséricorde! 

Les  hauts  dignitaires  de  l'Église  sont  ensevelis  dans  la  mollesse; 
la  désunion  et  l'envie  régnent  dans  tout  le  clergé,  cela  n'est  que  trop 
vrai,  mais  on  ne  peut  remédier  à  ces  maux  par  un  bouleversement 
violent,  parle  renversement  total  de  tout  Tordre  établi!  Or  c'est  vers 
ce  but  que  courent  les  partisans  des  idées  nouvelles,  car  l'organisa- 
tion ecclésiastique  serait  ruinée  de  fond  en  comble  si  les  doctrines 
qu'ils  propagent  venaient  à  être  adoptées  : 

Le  bon  Pasteur  a  été  frappé, 

[,cs  brebis  se  sont  dispersées  ! 

Notre  Saint  Père  est  mis  dehors  : 

Il  ne  doit  plus  porter  couronne, 

(  ar  le  Christ  n'a  fondé  son  pouvoir 

Par  aucune  parole  sacrée! 

En  plus  de  cent  mille  endroits 

Se  répand  cette  doctrine  empoisonnée. 

Tous  nos  grands  prélats, 

Les  cardinaux,  les  évêques 

Vont  être  supprimés. 

Le  curé  seul  sera  toléré, 

A  condition  que  le  peuple  l'ait  choisi; 

Mais  comment  son  esprit  faussé 

Pourrait-il  reconnaître  le  bon  Pasteur  .' 

0  lamentable  honte  ! 

La  messe  ne  sert  plus  à  rien, 

Ni  dans  la  vie,  ni  à  la  mort; 

Ils  se  raillent  des  sacrements  : 

Nous  n'en  avons  que  faire  !  disent-ils. 


130  MURNER,    LA    RUINE    DE    LA    FOI    CHRÉTIENNE. 

Ils  en  ont  déjà  aboli  cinq, 

Et  ceux  qu'ils  laissent  debout, 

Ils  les  ont  si  bien  modifiés, 

Que  bientôt  ils  les  retrancheront  aussi. 

A  propos  des  doctrines  de  Luther  sur  le  sacerdoce  universel,  Murner 
s' écrie  : 

Kous  sommes  tous  devenus  prêtres, 
Les  femmes  aussi  bien  que  les  hommes. 
Bien  que  nous  n'ayons  pas  été  consacrés, 
tt  n'ayons  point  reçu  les  ordres! 
Les  escabeaux  sont  sur  les  bancs, 
La  charrue  est  devant  les  bœufs, 
La  foi  sombre  entièrement 
Dans  un  abîme  sans  fond  ! 

L'Allemagne  est  déchirée  à  l'intérieur;  on  abuse  de  la  parole  de 
Dieu;  elle  est  devenue  le  prétexte  d'émeutes,  de  rixes  sanglantes  . 

La  pomme  de  discorde  est  jetée! 
Hélas!  cela  n'est  que  trop  vrai! 
Dans  les  villes,  dans  les  villages. 
Je  ne  donnerais  ni  sou  ni  maille 
Pour  èlre  à  la  place  des  gouvernants! 
Par  la  ruse  et  par  la  fraude 
On  les  accuse  de  crimes  prétendus. 

Autrefois  on  tenait  le  saint  Évangile 
Pour  un  message  joyeux 
Envoyé  par  le  Seigneur  lui-même 
Pour  nous  procurer  la  paix! 
Maintenant  ils  ont  empoisonné  le  saint  Livre, 
Ils  l'ont  rempli  de  leurs  jjensées  liomicides. 
Et  ce  qui  devait  faire  notre  joie 
Kous  plonge  i\  présent  dans  l'angoisse. 

Je  ne  m'en  prends  pas  à  la  parole  de  Dieu; 

Mais  ce  dont  je  me  lamente, 

Cest  de  la  voir  dèfgurée, 

Et  devenue  une  parole  meurtrière! 

Oui,  la  parole  de  vie  éternelle 

X' est  plus  qu'un  prétexte  d'émeute  et  de  crime! 

Voilà  ce  qu'ils  ont  fait  de  l'Évangile 

Que  Jésus  nous  avait  apporté  dans  l'amour! 

Si  le  Turc  nous  eiU  vaincus, 

S'il  avait  envahi  l'Allemagne 

Depuis  le  lever  du  soleil  jusqu'au  couchant, 

Il  n'aurait  pu  insulter  notre  foi 

Plus  cruellement  que  nous  ne  l'avons  fait, 

Kous  autres  chrétiens,  dans  notre  propre  pays! 

Depuis  la  venue  du  Christ, 
Je  l'affirme  ici  par  serment, 


MlJIîNEH    CONTUr:    LUTHER.    1520.  131 

Jamais  pareille  rlétrcsse 

Ne  s'était  vue  dans  la  chrcHienté  ! 

Notre  foi,  jadis  si  resplendissante, 

Gîl  maintenant  h  terre! 

Notre  couronne  est  tombée  lourdement, 

Et  devient  un  objet  de  risée! 

Ceux  qui  ensorcellent  le  peuple  et  le  poussent  au  mépris  de  toule 
jiulorité  ruinent  la  foi  de  rAllemaj^ne  : 

Maintenant  celui  qui  ment, 

Qui  méprise  le  pouvoir. 

Celui  qui  contourne  le  sens  de  l'Évangile 

El  en  fait  un  prétexte  au  crime, 

On  court  à  lui,  on  l'applaudit! 

Notre  foi,  entièrement  ruinée. 

Ne  sera  bientôt  plus  qu'un  amas  de  cendres! 

Dans  une  réfutation  raisonuée  du  Manifeste  de  Luther  à  la  noblesse 
allciiiande ,  Murner  s'explique  très -franchement  sur  les  abus  dont 
gémit  l'Église.  Il  n'hésite  pas  à  condamner  les  annates,  les  frais  du 
pallium,  les  commendes,  les  cas  réservés  et  autres  regrettables  excès. 
Si  l'excommunication,  si  les  pénitences  ecclésiastiques  sont  tom- 
bées dans  le  mépris  public,  les  prêtres  et  les  évoques  en  sont  seuls 
responsables,  dit-il,  car  ils  en  ont  abusé,  et  les  ont  souvent  imposées 
à  propos  de  "  trois  noisettes  et  de  deux  crottes  de  pigeon  ».  Aussi 
les  prêtres  feront-ils  bien  de  ne  pas  trop  se  plaindre,  car  eux  seuls 
sont  coupables.  «  Ce  que  tu  as  fait  toi-même,  souffres-en  toi- 
même.  ')  La  réforme  des  abus  doit  être  entreprise  légalement  par 
les  autorités  compétentes,  c'est-à-dire  par  l'Empereur  et  les  états, 
mais  il  est  interdit  à  tout  chrétien  d'invoquer  ce  prétexte,  comme 
le  fait  Luther,  pour  outrager  la  foi.  Luther,  personne  n'en  peut  dou- 
ter, en  paraissant  prendre  tellement  à  cœur  les  charges  de  la  nation 
allemande,  n'a  en  réalité  qu'un  but;  il  s'en  sert  comme  d'un  petit 
morceau  de  lard  à  mettre  dans  son  piège.  Sous  ce  prétexte,  il  se 
propose  de  transformer  bientôt  tout  à  son  aise  notre  sainte  foi. 
Ensuite,  il  répandra  son  venin,  il  enverra  partout  ses  messages 
hussites  et  wicléfites.  Il  veut  créer  un  schisme  en  Allemagne,  lui 
qui  prétend  nous  mettre  tous  d'accord.  Il  veut,  faisant  cause  com- 
mune avec  les  Bohèmes  et  les  Moscovites,  nous  séparer  du  reste 
de  la  chrétienté,  répandue  par  toute  la  terre.  «  J'espère  de  la 
bonté  de  Dieu  que  nous  autres  Allemands,  nous  saurons  triompher 
de  toutes  les  difficultés  présentes,  et  resterons  bons  chrétiens, 
fidèles  à  la  foi  de  nos  pères.  Quant  à  la  réforme  des  abus,  si  un 
concile  doit  être  convoqué,  cela  regarde  l'Empereur  et  les  états. 
Luther,  il  est  vrai,  fait  appel  à  ce  concile.  "  "  Mais  j'aurais  cru  ';, 
dit  Murner  en  s'adressant  directement  à  lui,  «  que  toi,  qui  sou- 

9. 


132  MURNER    CONTRE    LUTHER. 

pires  avec  tant  de  ferveur  après  un  concile,  tu  t'en  remettrais 
au  Saint-Esprit,  comme  cela  est  légitime,  du  soin  d'améliorer  et 
de  rectifier  tous  les  abus,  toutes  les  difformités  de  l'Eglise.  Cepen- 
dant tu  laisses  de  côté  un  chemin  si  simple,  si  droit,  si  légal,  et  tu 
n'as  à  la  bouche  que  des  paroles  de  menace!  »  A  tout  propos  Luther 
conseille  les  mesures  violentes.  Ses  invectives  contre  le  Pape  dé- 
passent toute  mesure  :  ■■  .le  dirai  en  toute  sincérité  que  jamais  gou- 
jat ou  gâte-sauce  n'a  été  interpellé  d'une  façon  plus  odieuse,  et 
quand  même  le  Pape  .serait  un  homicide  et  le  pire  scélérat  de  tout 
l'univers,  on  n'aurait  cependant  jamais  le  droit  de  le  traiter  d'une 
manière  si  abominable'  •  Par  ces  pamphlets  amers,  on  n'arrivera 
point  à  améliorer  la  situation  religieuse. 

Dans  sa  réfutation  dogmatique  des  nouvelles  doctrines,  Murner 
s'indigne   surtout  au  sujet  de   la  sainte  messe.   11   rapporte   avec 
indignation  ce   qu'en    dit   Luther,   qui  prétend  que   fonder   une 
messe  n'est  pas  seulement  un  acte  inutile,  mais  coupable,  qui  attire 
sur  nous  la  colère  du  Seigneur  :  •  11  faut  que  j'épanche  ici  la  grande    i 
amertume  de  mon  cœur,  et  que  je  parle  brièvement,  mais  claire-    ■ 
ment,  avec  toi,  Luther.  Laissons  de  côté  le  sacerdoce,  le  doctorat,    I 
l'état  religieux,  les  Ordres,  les  vœux,  les  serments,  et  tout  ce  à  quoi   i 
l'on  pourrait  vouloir  me  contraindre;  je  ne  veux  parler  qu'en  simple 
fidèle.    Depuis  mon  eniance,    mon  père   m'a  appris  à  révérer  la 
sainte  messe.  11  m'a  enseigné  qu'elle  était  le  mémorial  sacré  de 
la  passion  du  Christ  Jésus,  Xotre-Seigneur.  Tous  ceux  qui  instrui- 
sent les  fidèles  dans  la  science  de  l'Écriture  nous  ont  appris  que 
la  messe  est  un  sacrifice  efficace  pour  les  vivants  et  pour  les  morts. 
Cette  opinion  est  celle  de  tous  les  saints  docteurs,  et  l'usage  de  la 
célébrer  nous  a  été  transmis  par  les  douze  messagers  du  Sauveur. 
0  vous,  premiers  gardiens  de  la  foi,  soyez  vigilants!  Songez  à  nous  i 
instruire  exactement  de  ce  qui  concerne   la  sainte  messe,  car  le  ' 
chrétien  a  mis  eu  elle    tout  son  cœur.  Si,    par  votre  négligence, 
l'erreur  venait  à  prévaloir  sur  ce  point,  il  est  aisé  de  prévoir  ce 
qui  arriverait  pour  les  autres!  Veillez  donc,  n'épargnez  rien  dans 
une  question  aussi  grave;  ceux  qui  combattent  notre  dévotion  au- 
saint  Sacrifice  n'épargnent  rien  de   leur  côté,    et  si  vous  tardiez 
à  agir,  vous  auriez  bientôt  à  déplorer  les  conséquences  de  votre 
apathie!  == 

"  Je  parle  ici  du  fond  de  mon  cœur  de  chrétien,  car  je  suis  attaché 
par  un  profond  respect  à  ce  que  mon  père  m'a  enseigné  sur  ce  point. 
Et  si  même  la  mort  devait  réduire  au  silence  tous  les  évêques,  de 
sorte  que  la  dévotion  à  la  sainte  messe  vint  à  s'éteindre  entièrement, 
je  témoigne  ici,  en  apposant  ma  signature  sur  cette  page,  que 
j'entends  mourir  et  quitter  ce  monde,  fidèle  à  l'enseignement  que  j'ai 


ESPÉRANCES  QUE  FAIT  CONCEVOIR  I.AVI^NEMENT  DE  CHARLES-QUINT-   133 

reçu  de  mon  père  sur  la  sainte  messe,  implorant  mon  salut  par  la 
contemplai  ion  de  la  sainte  passion  de  Jésus-Christ.  » 

Murner  s'écrie  à  propos  de  la  promesse  faite  par  Luther  à  la 
noblesse  que  les  canonicats  des  abbayes  seront  conservés  aux  fils 
cadets  des  (grandes  maisons  et  serviront  à  les  pourvoir  comme  par 
le  passé  :  «  Ici,  Luther,  le  Saint-Esprit  ne  parie  point  par  ta  bouche-, 
tu  passes  à  la  noblesse,  pour  laquelle  tu  écris,  une  douce  petite  plume 
sous  le  nez!  N'as-tu  pas  prétendu  que  nous  étions  tous  prêtres? 
Pourquoi  donc  accordes-tu  aux  enfants  des  nobles  des  privilèges  que 
tu  refuses  à  d'autres?  T'imagines-tu,  peut-être,  que  le  Christ  n'ait 
choisi  que  les  seuls  nobles  pour  la  sublime  dignité  d'apôtre?  Toi  qui 
te  donnes  pour  le  prédicateur  intègre  de  la  vérité,  il  te  sied  mal  de 
flatter!  Pour  moi,  comme  tu  n'appuies  pas  ton  dire  sur  la  sainte 
Ecriture,  je  regarde  tes  paroles  comme  de  purs  discours  humains!  » 

Murner  supplie  et  conjure  la  noblesse  de  défendre  et  de  pro- 
téger l'antique  foi  :  «  .le  ne  prétends  pas,  cependant,  que  le  docteur 
Luther  ait  tort  sur  tous  les  points,  et  parle  toujours  contre  la  vérité; 
je  ne  nie  pas  qu'en  bien  des  choses  il  n'ait  souvent  trouvé  juste. 
Mais  je  l'accuse  hautement  d'avoir  si  perfidement  mêlé  la  vérité  au 
mensonge  empoisonné,  qu'il  est  impossible  aux  chrétiens  peu  instruits 
de  démêler  lune  de  l'autre.  .le  l'accuse  d'avoir  abusé  de  son  noble 
talent,  de  son  intelligence  et  de  la  sainte  Écriture,  dans  le  but  sédi- 
tieux, antichrétien,  contraire  à  la  paix,  d'entraîner  dans  l'hérésie, 
sous  la  conduite  des  chefs  de  la  noblesse  et  des  premiers  d'entre 
nous,  les  pauvres  petites  brebis  du  Christ.  » 

«  Les  discours  violents  de  Luther  '■,  poursuit  Murner,  «  mènent 
droit  au  Bundschuh,  à  une  révolution  furieuse,  insensée,  radicale.  » 
"  Mais  il  faut  pourtant  commencer  par  lancer  le  premier  coup,  et  la 
boule  n'est  peut-être  pas  encore  posée  au  bon  endroit!  » 

Comme  Luther,  comme  Hütten,  Murner  met  toute  son  espérance 
en  Charles-Quint,  le  jeune  souverain  nouvellement  élu.  Il  le  conjure 
de  prendre  la  défense  de  la  foi  :  «  L'Empire  >;,  dit-il  au  début  de  son 
livre  en  s'adressant  au  nouvel  empereur,  ■  n'a  pas  eu,  depuis  son  ori- 
gine, de  plus  dangereux  ennemis  que  Luther  et  ses  adhérents.  Comme 
un  nouveau  Catilina,  Luther  excite  à  la  guerre  civile,  et,  pour  le  sou- 
lèvement qu'il  médite,  se  sert  de  la  foi  comme  d'un  manteau;  mais 
il  est  impossible  que  la  foi  retire  aucun  avantage  du  bouleversement 
qu'il  prépare.  Comme  si  une  telle  révolte  et  transformation  pouvait 
s'opérer  au  nom  de  la  foi  chrétienne,  sans  que  la  loi  de  Dieu  soit 
violée  et  sans  grave  péché  '  !  « 

'  An  den  grossmächtigsten  und  durchlückligsten  Adel  tütscher  Xalion,  etc.,  40  Bl.,  in-4''. 
Chaque  page  est  surmontée  de  la  suscription  :  Von  dem  tütschem  Adel.  La  même 


134  ESPÉRANCES  QUE  FAIT  CONCEVOIR  L'AVÈNEMENT  DE  CHARLES-QUINT. 

«  L'Église  et  l'Empire  tremblent  jusqu'en  leurs  fondements  », 
écrivait  le  chanoine  Charles  de  Bodmann  peu  de  temps  avant  que 
Charles-Quint  arrivât  d'Espagne;  "  tous  ont  les  yeux  fixés  vers  le 
nouvel  élu  qui  vient  prendre  possession  de  la  couronne  en  des  cir- 
constances si  difficiles  et  si  lamentables,  que  c'est  à  peine  si  l'un  de 
ses  prédécesseurs  en  a  connu  d'analogues.  Comment  maîtrisera - 
t-il  la  guerre  intérieure  qui  menace  à  chaque  instant  davantage? 
Quel  remède  employer  contre  le  mal  toujours  croissant  qui  envahit 
l'Eglise?  Le  peuple  entier  lève  les  yeux  sur  son  roi;  il  met  en  lui 
tout  son  espoir;  il  attend  de  lui  seul  sa  délivrance'.  « 

année,  Murner  écrivit  :  l'on  dem  babstenthum ,  dasist  von  der  höchsten  oberkeyt 
Chrisllichs  glaubens  wyder  Doclor  Martlnum  Luther.  Voy.  Waldau,  Thomas  Murner, 
p.  84-95. 

'  *  Lettre  inédite  du  27  août  1520.  OEuvres  posthumes  de  Bodmann. 


LIVRE    II 


LA    DIETE    DE    WORMS    ET    LES    PROGRÈS    DE    LA    RÉVOLUTION 

POLITIQUE    ET    RELIGIEUSE 

JUSQU'A   L'EXPLOSION    DE    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE. 


(1521-1524.) 


LIVRE   II 

LA    DIÈTE    DE    WORMS    ET    LES    PROGRÈS    DE    LA    RÉVOLUTION 

POLITIQUE    ET    RELIGIEUSE 

JUSQU'A   L'EXPLOSION   DE    LA    RÉVOLUTION   SOCIALE. 

(1521-1524.) 


CHAPITRE   PREMIER 

LA   DIÈTE  DE   WORMS.    LE   NOUVEL   ÉVANGILE 
JUGÉ   PAR    LES   CONTEMPORAINS. 


Charles- Quint,  empereur  nouvellement  élu,  avait  pris  en  main  le 
gouvernement  avec  la  ferme  intention  de  rétablir  la  paix  parmi 
les  peuples  chrétiens,  de  protéger  la  chrétienté  contre  le  péril 
toujours  plus  menaçant  et  plus  proche  des  invasions  turques,  et 
de  travailler  de  tout  son  pouvoir  à  rendre  aux  chrétiens  l'empire 
du  monde  en  refoulant  les  infidèles  en  Asie.  Dans  sa  première 
lettre  circulaire,  datée  de  Molino-del-Re  (31  octobre  1519),  quatre 
semaines  avant  qu'il  eût  connaissance  du  résultat  de  l'élection,  il 
annonçait  aux  Ordres  et  à  tous  ses  sujets  allemands  qu'il  se  pro- 
posait de  quitter  l'Espagne  au  mois  de  mars  suivant,  et  de  se 
rendre  en  Allemagne  pour  y  être  couronné.  11  convoquerait  ensuite 
les  états;  il  comptait  élire  parmi  eux  el  d'autres  dignes  et  loyaux 
personnages  de  nationalité  allemande  un  conseil  de  régence  com- 
posé d'hommes  sages  et  éclairés,  capables  de  rétablir  dans  l'empire 
la  paix,  la  justice  et  le  bon  ordre.  «  Nous  aviserons  ensuite  »,  ajou- 
tait-il, u  à  tous  les  autres  besoins  de  la  nation,  comme  nous  y  oblige 
notre  titre  de  roi  des  Romains,  de  chef  suprême  et  de  protecteur 
de  la  chrétienté,  et  afin  de  pouvoir  nous  opposer  énergiquement 
aux  progrès  des  infidèles,  qui  étendent  leur  domination  et  leur 
tyrannie  d'une  manière  toujours  plus  redoutable;  c'est  ainsi  que 
nous  désirons  nous  rendre  digne  de  notre  titre  d'augmentateur  du 


138  SITUATION    DIFFICILE    DE    CHARLES-QUINT. 

Saint-Empire  \{Me/u^er)\  r,  «  Ses  sujets  '),  disait-il  dans  un  second 
manifeste,  «  devaient  accueillir  sa  venue  avec  allégresse  et  confiance, 
et  supplier  Dieu  par  de  ferventes  prières  et  par  des  processions 
publiques  de  daigner  bénir  son  voyage  en  Allemagne,  afin  qu'il  y 
puisse  accomplir  sa  noble  mission  dans  la  sécurité  et  la  paix,  et  pour 
le  bien  de  la  chrétienté  tout  entière  *.  >■ 

La  situation  de  Charles-Quint,  dès  le  début  de  son  régne,  présen- 
tait les  plus  redoutables  difficultés. 

Tandis  que  l'Empire  lui  était  remis,  la  perte  de  ses  États  hérédi- 
taires semblait  imminente.  En  Espagne,  une  révolution  menaçant 
de  lui  ravir  la  couronne  couvait  sourdement*.  Les  Castillans  révoltés 
avaient  offert  le  pouvoir  au  roi  de  Portugal,  don  Manuel;  Naples, 
dans  un  continuel  effroi,  s'attendait  de  jour  en  jour  à  un  assaut  de 
la  flotte  turque;  François  I",  en  Italie  aussi  bien  qu'en  Espagne, 
attisait  continuellement  contre  Charles-Quint  les  mécontentements 
et  les  rancunes;  en  Autriche,  nul  gouvernement  capable  de  mainte- 
nir le  peuple,  et  la  lutte  «  pour  la  liberté  des  états  »  menaçant  gra- 
vement l'autorité  royale*;  quant  à  l'Empire,  il  était  pour  ainsi  dire 
livré  à  l'anarchie.  L'ambassadeur  d'Angleterre,  Richard  Pace,  qui 
visita  les  pays  rhénans  pendant  l'été  de  1519,  mandait  à  Henri  Vill 
que  la  nation  allemande  était  dans  un  tel  état  de  discorde  p,énérale 
que  tous  les  princes  de  la  chrétienté  ne  seraient  pas  en  état  d'y  réta- 
blir la  paix;  et  le  printemps  suivant  le  cardinal  d'Esté  écrivait  en  par- 
lant de  la  partie  orientale  de  l'Allemagne  :  «  La  confusion  est  si  grande 
ici  que  chacun  s'y  comporte  à  sa  guise.  Il  y  a  beaucoup  de  gouver- 
nants, mais  bien  peu  d'obéissants  M  »  Les  conditions  que  les  électeurs 
avaient  imposées  au  jeune  souverain  avant  l'élection  équivalaient  à 
une  complète  victoire  du  principe  oligarchique  sur  le  monarchique", 
et  pour  comble  d'embarras,  dans  des  circonstances  aussi  critiques, 
le  trésor  de  Charles  était  «  littéralement  épuisé^  ",son  élection  à 

'*  Archiyes  de  Francfort,  Reichsiagsagkten,  t.  XXXV,  fol.  1.  Voy.  Bacmgauten, 
t.  I,  p.  303. 

**  Ausschreiben  aus  St  Jacob,  12  avril  1520.  Archives  de  Francfort,  Kaiserschreiben, 
t.  VIII,  fol.  5. 

'  A  la  suite  des  vexations  dont  les  Hollandais  formant  l'entourage  de  l'Empe- 
reur avaient  été  le  sujet.  Pour  plus  de  détails  sur  ce  point,  voy.  Ch.  Henne, 
Histoire  durègne  de  Charles-Quint  en  Belgique.  Voyez  aussi  liÖFLER,  Zur  Kritik  und  Quel- 
lenhunde, t.  I,  p.  39. 

*  Voy.  Victor  V.  Kraus,  Ein  Bild  ständischer  Parteikämpfe  nach  den  Quellen  bear- 
beitet. Vienne,  1873. 

*  Baijmgarten,  t.  I,  p.  300. 

^  Voy.  0.  Waltz,  Die  Wahloerschreibung  Carl's  des  Fünften  in  ihrer  Genesis,  dans  les 
Forschungen  zur  deutschen  Geschichte,  t.  X,  p,  215-233.  —  WynekeN,  Regimenlsordnung, 
p.  580-581.  —  ROESLER,  p.  206-207.  —  Waltz,  p.  217.  Appendice,  p.  6B2. 

^  Sur  les  immenses  sommes  d'argent  dépensées  par  Ciiarles-Quint  pour  son 


COURONNEMENT  DE  CHARLES-QUINT  A  AIV-LA-CHAPELF-F.  139 

l'Empire  lui  ayant  coûté  la  somme,  alors  prodigieuse,  d'environ  un 
million  de  florins.  Il  avait  bien  tenté  un  emprunt  auprès  du  roi 
d'Angleterre  Henri  VIII,  mais  ses  propositions  avaient  été  repous- 
sées '. 

L'état  actuel  des  affaires  commandait  donc  à  lui  seul  une  poli- 
tique de  conciliation;  mais  en  dehors  dt^  ces  faits  trop  réels,  l'esprit  de 
conquête,  le  goiU  des  mesures  violentes  étaient  absolument  étrangers 
au  caractère  et  aux  vues  de  Charles-Quint-.  C'était  à  défendre  l'hé- 
ritage qui  lui  avait  été  transmis  qu'il  avait  résolu  d'employer  la  puis- 
sance que  Dieu  lui  avait  donnée,  puissance  qu'il  remerciait  la  Pro- 
vidence de  lui  avoir  confiée'.  La  protection,  l'intégrité  des  pays  à 
lui  appartenant,  le  devoir  de  les  défendre  contre  toute  attaque 
étrangère,  voilà  ce  qu'il  se  proposa  constamment  dans  tous  ses 
actes  politiques;  ce  mobile  l'a  seul  engagé  dans  toutes  les  luîtes  et 
périls  de  son  règne. 

Le  22  octobre  1520,  Charles,  entouré  d'un  imposant  cortège,  fit 
son  entrée  à  Aix-la-Chapelle,  la  ville  du  sacre.  Joachim  de  Brande- 
bourg et  Frédéric  de  Saxe  manquaient  seuls  au  corps  électoral.  Ce 
dernier  était  retenu  à  Cologne  "  par  une  attaque  de  goutte  ".  On 

élection,  voy.  notre  premier  volume,  p.  561-564.  Sur  les  prome.^ses  faites  au 
margrave  Casimir  de  Brandebourg,  le  négociateur  le  plus  actif  de  Charles- 
Quint  au  moment  de  l'élection,  voy.  Spiess,  Brandenburg,  histor.  Münzbelustigungen, 
l.  I,  p.  195,  et  t.  IV,  p.  101.  —  Lang,  .Veuere  Geschichte  des  Furstenthums  Bayreuth,  t.  I, 
p.  170. 

'  Le  GLi.Y,  .Végociatiom,  t.  II,  p,  465.  —  En  juin  1520,  les  dettes  de  l'Empereur 
s'élevaient  à  un  million  de  ducats.  Les  revenus  de  Castille  avaient  été  hypo- 
théqués. Depuis  six  mois,  la  flotte  destinée  à  l'expédition  d'Afrique  n'avait  reçu 
aucune  solde.  Vers  la  fin  d'août,  Charles  put  enfin  se  procurer  20,000  ducats,  à  la 
condition  de  promettre  au  préteur  20  pour  100  d'intérêt.  Avec  cette  somme,  il 
put  enrôler  trois  mille  marins.  Les  dîmes  consenties  par  le  Pape  rapportèrent 
8.000  ducats. —  Voy.  L.nyz,  Actenstûcke  und  Briefe,  Introduction,  p.  244,  note  57. 
—  Sur  les  embarras  d'argent  de  1521,  voy.  Lanz,  p.  249.  François!",  si  humilié 
par  l'élection  de  Charles-Quint,  se  consolait  en  pensant  qu'elle  avait  dû  singu- 
lièrement appauvrir  son  rival.  —  Baumgarten,  t.  I,  p.  164. 

-  On  trouvera  de  plus  amples  détails  sur  ce  sujet  dans  un  des  chapitres 
suivants.  Voyez  aussi  la  lettre  de  Charles-Quint  au  margrave  de  Brandebourg, 
dans  SpieS,  Brandenburg.  Münzbelustigungen,  t.  I,  p.  199.  «  La  politique  de  Charles- 
Quint  »,  dit  Roesler,  '^  révèle  dès  le  début  les  tendances  conservatrices  de  l'Em- 
pereur. Il  n'y  a  rien  de  capricieux,  d'exagéré,  d'inquiet  dans  sa  manière.  Son 
jugement  est  pénétrant,  calme,  plein  de  mesure.  Ce  qui  lui  appartient  en 
propre,  ce  qui  est  à  lui  par  héritage,  il  tient  à  le  conserver,  désireux  de  »  on- 
solider  toujours  davantage  ses  possessions.  C'est  envers  les  musulmans  qu'il 
se  montre  le  plus  enclin  à  oublier  cette  règle  de  conduite,  parce  qu'il  est  à  la 
fois  de  sang  espagnol  et  petit-fils  de  Maximilien.  D'ailleurs,  toute  l'Europe  par- 
tageait ses  vues  à  cet  égard;  combattre  les  infidèles  était  encore  considéré  à 
cette  époque  comme  le  plus  saint  devoir  d'un  monarque,  et  comme  la  mission 
particulière  de  l'Empereur  romain.  » 

^  Voyez  comment  il  s'exprime  sur  ce  sujet  lorsqu'en  juillet  1521  il  apprend 
que  François  I"  a  commencé  les  hostilités.  Brewer,  3'',  599. 


HO  COURONNEMENT    DE    CHARLES-QUINT. 

admira  beaucoup,  dans  la  suite  de  TEmpereur,  «  quatre  cents  cui- 
rassiers parés  d'armures  d'ar^^ent  et  d'or,  si  belles,  que  je  n'aurais 
jamais  imaginé  »,  écrit  un  témoin  oculaire,  »  que  des  hommes 
pussent  en  posséder  de  plus  riches  et  de  plus  magnifiques;  et 
cependant,  celle  du  Roi  les  surpassait  encore'  ».  Charles  montait 
un  cheval  caparaçonné  d'argent;  un  béret  d'argent  était  posé  sur 
ses  boucles  blondes;  sa  taille  peu  élevée  était  mince  et  souple. 
Le  visage,  encore  imberbe,  était  pâle,  sérieux  et  calme,  «  si  bien 
qu'on  n'eût  jamais  pu  croire  qu'il  ne  fiU  âgé  que  de  vingt  ans  à 
peine  ».  «  11  paraissait  compter  pour  peu  de  chose  le  plus  ambi- 
tionné des  bonheurs  terrestres,  et  faisait  paraître  une  telle  dignité 
et  grandeur  d'âme,  qu'il  semblait  avoir  le  globe  terrestre  sous  ses 
pieds^  » 

Le  23  octobre  eut  lieu  le  couronnement  solenneP.  Charles,  ce 
jour-là,  prêta  ce  serment  célèbre  qui  formait  la  base  de  la  con- 
stitution du  u  Saint-Empire  romain  de  nation  germanique*  >  et  en 
constituait  pour  ainsi  dire  l'essence.  L'article  principal  de  ce  ser- 
ment a  trait  à  la  protection  de  l'Eglise  et  du  Saint-Siège,  et 
l'archevêque  de  Cologne,  selon  l'antique  usage,  demanda  au  nou- 
veau souverain  :  «  Promets-tu  de  maintenir  et  de  protéger  la  sainte 
foi  catholique  telle  qu'elle  nous  a  été  transmise  par  les  Apôtres? 
Promets-tu  de  témoigner  fidèlement  au  Pape  et  à  la  sainte  Église 
romaine  la  soumission  que  tu  leur  dois?  T'engages-tu  à  la  sou- 
tenir par  tes  actes?  »  "  Oui,  je  le  promets  »,  répondit  l'Empereur; 
alors,  appuyant  sur  l'autel  les  deux  doigts  de  sa  main  droite 
comme  pour  donner  à  son  serment  une  expression  plus  solennelle 
encore,  il  ajouta  :  «  IMe  confiant  dans  le  secours  divin,  m'appuyant 
sur  les  prières  de  tous  les  chrétiens,  je  m'engage  à  remplir  loyale- 
ment mes  engagements,  aussi  vrai  que  Dieu  m'aide  et  son  saint 
Évangile.  » 

Charles  se  faisait  de  la  dignité  impériale  la  même  idée  qu'en  avaient 
conçue  ses  aïeux;  il  voyait  en  elle  la  pierre  angulaire  de  tout 
droit  sur  la  terre,  et  considérait  comme  sa  plus  haute  mission  la 
tutelle  de  l'Église  chrétienne  et  de  son  chef. 

Son  dessein  bien  arrêté,  avait -il  déclaré  dans  une  instruction 
rédigée  pour  son  ambassadeur  près  le  roi  Henri  VIII  (17  aoiU  1519), 
était  de  mettre  toute  sa  puissance  au  service  de  Dieu  et  du  Siège 

'  Voy.  G.  Will,  Beiträge  zur  Geschichte  des  Einzugs  und  der  Krönung  Kaiser  Carl'*  U 
zu  Aachen,  daiis  le  Chilianeum  de  VVürzbourg,  t.  IV,  p.  331-341.  369-375. 

*  É>  rivait  en  1519  Pierre  Martyr,  ep.  648. 
'  Voy.  Baumgarten,  t.  1,  p.  315-319. 

*  Voy.  notre  prenaier  vol.,  p.  407-409. 


COURONNEMENT    DE    C  H  A  R  F,  ES-Q  C  I  NT.  NI 

aposlollquc '.  L'aulorité  du  Pape  et  celle  de  l'Empereur  élaient, 
selon  lui,  d'iustilulion  divine,  et  placées  au-dessus  de  (oufe  antre 
juridiction.  Le  Pape  et  l'Empereur  avaient,  en  leur  qualité  de  chefs 
légitimes  de  la  chrétienté,  le  devoir  spécial  d'écarter  les  héré- 
sies qui  pouvaient  se  glisser  parmi  les  peuples  chrétiens,  de  fonder 
la  paix  jjénérale,  d'organiser  une  ligue  commune  contre  le  Jure,  de 
réformer  les  abus,  et  de  remettre  toutes  choses  dans  un  meilleur 
état  et  dans  une  forme  meilleure.  Dans  la  guerre  comme  dans  la 
paix,  les  deux  puissances  devaient  rester  indissolublement  unies,  et, 
par  leur  concorde,  donner  à  tous  les  vrais  fidèles  le  gage  d'un  meil- 
leur avenir ^ 

Après  que  l'Empereur  eut  prêté  le  serment  du  sacre,  l'archevêque, 
.«'adressant  à  tous  les  princes  et  électeurs  présents  et  à  toute  l'assis- 
tance, leur  demanda  :  «  Promettez-vous  de  vous  soumettre  à  ce  prince 
et  seigneur?  Vous  engagez-vous  à  fortifier  son  royaume,  à  l'édifier 
par  votre  fidélité?  Promettez-vous  d'être  obéissants  envers  ses  com- 
mandements, selon  la  parole  de  l'Apôtre  :  Que  chacun  soit  soumis  à 
l'autorité?  "  A  quoi  tous  les  assistants,  les  princes  aussi  bien  que  les 
derniers  de  l'assemblée,  répondirent  en  chœur  :  c  Oui,  nous  le  pro- 
mettons! ')  Le  serment  du  couronnement,  contrat  réciproque  passé 
entre  le  souverain  et  la  nation,  engageait  tous  les  princes  allemands, 
ceux-là  même  qui  n'avaient  pu  se  rendre  à  l'assemblée;  ainsi  le 
voulait  l'antique  tradition.  On  pouvait  d'autant  plus  s'attendre  à 
voir  les  princes  prendre  en  main  la  protection  de  l'Église  et  de  son 
chef,  qu'alors,  en  Allemagne,  les  liens  ecclésiastiques  n'étaient  encore 
dénoués  nulle  part,  et  que  nulle  part  la  scission  religieuse  ne  s'était 
encore  produite.  En  effet,  quelle  qu'eût  été  la  gravité  du  mouvement 
excité  par  les  nouvelles  doctrines  et  les  écrits  incendiaires  de  Luther 
et  de  ses  disciples,  aucune  conséquence  pratique  n'en  était  encore 
résultée;  l'ancienne  constitution  ecclésiastique,  l'antique  culte  chré- 
tien n'avaient  subi  aucune  altération.  Mémo  à  Wiltemberg,  la  sainte 
messe  était  célébrée  tous  les  jours.  Il  était  donc  permis  d'espérer 

'  •  Nostre  principale  intencion  a  toujours  esté  d'employer  nostre  dite  puis- 
sance au  service  de  Dieu  et  du  Saint  Siéi^e  apostolique,  à  l'amplificücion  de  nostre 
saincte  foy  catholique  et  de  la  république  rhrétienne,  debtruction  et  ruyiie  des 
ennemis  et  turbateurs  du  repos  et  tranquilité  des  chrestiens  et  de  nostre  saincte 
religion.  "  Barcelone,  16  août  1519.  Lanz.  Actenslûcke  und  Briefe,  p.  104-105.  Dës 
l'époque  des  conflits  électoraux,  Charles  avait  dé^  laré  que  sa  plus  grande  ambi- 
tion était  d'être  un  jour  le  témoin  de  -  l'exaltation  et  de  la  propagation  de  la 
sainte  foi  ».  Voy.  Bau.mgarten,  t.  I,  p.  138. 

*  Convention  entre  Charles-Quint  et  Léon  X,8  mai  1521.  Voy.  L.vnz,  Aciensiûcke 
«72<fiînV/e.  Introduction,  p.  256-258.  —  Uofler,  Wahl  und  Thronbesteigung  Adiian's  II, 
p.  7-  8.  «  Le  papat,  ...et  l'empeyre  • ,  écrit  Charles  à  Adrien  (7  mars  1 522  ,  ■  doist 
estre  une  même  chose  unanime  des  deux.  •  Lanz,  Correspondes,  t.  l,  p.  59. 


142  CllARLES-OUINT    A    LA    DIÈTE    DE    WORMS.   1521. 

que  les  princes  et  autres  Ordres  de  l'Empire  persévéreraient  dans 
les  sentiments  qu'ils  avaient  exprimés  en  1512,  alors  qu'ils  avaient  si 
hautement  déclaré,  à  la  diète  de  Cologne,  leur  résolution  de  main- 
tenir la  foi,  l'Église  romaine  et  le  Saint-Empire  romain  de  nation 
germanique,  affirmant  que  l'Empire,  l'Église,  l'Empereur  et  les 
princes,  unis,  engagés  réciproquement  les  uns  envers  les  autres, 
ne  formaient  qu'un  grand  corps,  qu'une  seule  société  chrétienne; 
s'engageant  à  soulager  la  papauté  de  ses  charges,  et  à  protéger 
énergiquement  l'Église  contre  les  tendances  séparatistes  qui  com- 
mençaient à  se  produire'. 

Après  que  les  questions  et  les  réponses  du  serment  eurent  été 
échangées,  le  Roi  reçut  à  genoux  l'onction  sainte  sur  la  tête,  la  poi- 
trine et  les  mains;  puis  on  le  conduisit  dans  la  sacristie,  ou  il  fut 
revêtu  des  ornements  liturgiques  :  l'étole,  la  dalmatique  et  la  chape. 
On  mit  à  son  coté  l'épée  de  Charlemagne  ;  on  lui  passa  au  doigt  l'an- 
neau d'or;  on  lui  tendit  le  sceptre,  et  le  globe  impérial  fut  placé 
«ntre  ses  mains.  Enfin  les  électeurs  posèrent  sur  sa  tête  la  couronne 
de  Charles  le  Grand.  Reconduit  ensuite  devant  l'autel,  le  Roi  y 
renouvela  son  serment  solennel,  et  reçut  avant  la  fin  de  la  messe  la 
sainte  communion. 

Peu  de  jours  après  l'auguste  cérémonie,  l'archevêque  de  Mayence 
lut  à  haute  voix,  en  présence  de  l'Empereur,  un  bref  papal  disant  en 
substance  que  le  Souverain  Pontife,  ayant  approuvé  l'élection  de 
l'empereur  Charles-Quint,  désirait  qu'à  l'exemple  de  Maximilien  son 
prédécesseur,  il  portât  dorénavant  le  titre  à! Empereur  romain  élu'^ . 

D'Aix-la-Chapelle,  Charles  se  rendit  à  Cologne;  c'est  de  cette  ville 
qu'il  annonça  à  tous  ses  sujets  que  la  diète  d'Empire  s'ouvrirait  à 
Worms  le  27  janvier,  immédiatement  après  le  service  divin,  solen- 
nellement célébré  dans  la  cathédrale  ;  les  états  étaient  invités  à  s'y 
rendre  en  grand  nombre  ^ 


II 


A  l'ouverture  de  la  diète,  l'Empereur  informa  les  états  qu'étant 
Allemand  de  naissance,  son  premier  souci  était  la  situation  actuelle 
du  Saint-Empire  romain,  qui,  si  l'on  n'y  faisait  promptement  cesser 
le  désordre  et  les  troubles,  serait  infailliblement  démembré  en 
l'espace  de  peu  de  temps.  Aussi  s'était-il  promis  de  tout  tenter  pour 
venir  à  son  secours;  son  premier  désir  était  d'y  remettre  la  loi  en 


'  Voy.  Neue  Sammlung  der  Reichsabschiede ,  t.  II,  p.  137. 
^  VOy.  BUCHHOLTZ,  t,   I,  p.    120.   —  ROESLER,  p.   233. 
3  BALMGARTEN,  t.  I,  p.  400-401. 


r)ÉMBr^:RATIONS    POMTIQUKS    a    I.A    diète    de    WORMS.     143 

houucur,  afin  (ju'il  fiUeusuilc  plus  aisé  de  (riompher  des  enncmisdu 
nom  clirélien.  Mais  il  fallait  premièrement  aviser  aux  moyens  de 
restaurer  le  droit,  la  paix,  le  bon  ordre  et  la  police,  et  commencer 
par  instituer  un  conseil  de  régence  chargé  d'adminisirer  les  affaires 
en  l'absence  de  l'Empereur;  car  ce  ne  serai!  (pie  par  la  justice,  la 
paix  et  le  maintien  de  l'ordre  que  l'industrie,  dans  toutes  ses  bran- 
ches, pourrai!  prospérer  et  s'accroître.  L'Empereur  désirait  aussi, 
et  cela  le  plus  promptement  possible,  comme  les  électeurs  l'en 
priaient  instamment,  aller  recevoir  à  Home  la  couronne  impériale; 
il  ferait  ensuite  tous  ses  efforts  pour  reconquérir  les  terres  et  prin- 
cipautés ravies  à  l'Empire.  Pour  toutes  ces  choses,  il  réclamait  le  con- 
seil et  l'avis  des  états;  il  désirait  ardemment  voir  le  droit  et  la  paix 
rétablis,  et  les  attaques  à  main  armée,  pratiquées  sur  les  roules, 
entièrement  abolies,  car  il  les  avait  dans  une  aversion  particulière, 
et  ne  pouvait  les  tolérer  plus  longtemps'. 

Ce  n'était  pas  dans  un  but  intéressé  qu'il  avait  ceint  la  couronne, 
déclara-t-il  dans  un  message  postérieur.  Il  ne  s'était  pas  proposé, 
en  acceptant  l'Empire,  d'étendre  son  royaume,  ses  possessions  héré- 
ditaires, et  de  grossir  ainsi  ses  revenus;  s'il  avait  désiré  la  suprême 
couronne,  ce  n'était  que  par  amour  pour  la  nation  allemande  et 
pour  le  Saint-Empire,  «  auquel,  en  gloire,  beauté,  pouvoir  et  force, 
aucune  monarchie  de  la  terre  n'était  comparable,  mais  qui  malheu- 
reusement, et  pour  dire  le  vrai,  n'était  plus  que  l'ombre  de  lui-même, 
et  ne  ressemblait  plus  en  rien  à  ce  qu'il  avait  été  jadis ^  ».  «  11  espé- 
rait, grâce  à  ses  alliances,  aux  ressources  de  ses  possessions  par- 
ticulières, pouvoir  lui  rendre  son  antique  splendeur.  S'il  réussis- 
sait, il  n'aurait  pas  seulement  à  s'en  féliciter  en  qualité  de  chef 
temporel  de  la  chrétienté,  de  protecteur  et  défenseur  de  l'Église  et 
du  Pape  :  le  bénéfice  de  ses  efforts  reviendrait  surtout  à  la  nation,  et 
profiterait  à  tous,  contribuant  aussi  au  rétablissement  de  la  paix  et 
du  droit.  »  Son  désir,  sa  volonté,  pourvu  que  les  états  lui  prêtassent 
fidèle  assistance  et  loyal  secours,  était  de  relever  la  gloire  du  Saint- 
Empire.  Il  était  prêt  à  exposer  dans  ce  but  sa  vie  et  ses  biens;  il 

'*  Proposition  du  lundi  après  la  Conversion  de  saint  Paul.  (28  janvier  1521.) 
Archives  de  Francfort,  liekhsiagsakicn,  t.  XXXIV,  fol.  1-5. 

*  Il  eût  d'ailleurs  été  absolument  impossible  à  l'Empereur  de  •  remplir  sa 
bourse  •  à  l'aide  des  revenus  que  lui  fournissait  alors  l'Empire,  car  ces  revenus 
ne  s'élevaient  pas  au-desSus  de  13,000  Ooi-ins  (et  cela  depuis  Sijiismond}.  Voy. 
Frankforts  Reichscorrcspondenz,  t.  I,  p.  142.  Voy.  ce  que  Peulinger  disait  à  ce 
sujet  à  l'ambassadeur  vénitien  Contarini.  Albéri,  sér.  I,  vol.  II,  p.  20.)  Jamais 
Charles  n'a  profité  pour  lui-même  des  revenus  de  l'Empire.  Jamais  non  plus  il 
ne  songea  à  ajrandir  ses  propres  possessions  par  l'annexion  de  territoires 
allemands.  Au  contraire,  on  le  voit  abandonner  le  gouvernement  de  ses  pays 
héréditaires  à  son  frère  Ferdinand,  et,  pendant  son  règne,  défendre  plus  d'une 
fois  les  intérêts  allemands  au  moyen  des  ressources  que  lui  fournissent  ses 
propres  États. 


144  DELIBERATIONS  POLITIQUES  A  LA  DIETE  DE  WORMS.   1521. 

se  proposait  de  gourverner  avec  équité,  et  de  travailler  utilement 
au  bouheur  de  tous,  secondé  par  des  conseillers  braves,  intelligents 
et  pieux.  Il  considérait  son  honneur,  sa  dignité,  comme  l'honneur 
et  la  dignité  des  états  eux-mêmes.  Il  était  donc  juste  que  les  Ordres, 
dans  leurs  délibérations,  se  montrassent  soucieux  «  de  voir  la  gran- 
deur, la  suprématie  de  l'Empereur  universellement  reconnues,  et 
cela  non-seulement  en  Allemagne,  mais  aussi  à  l'extérieur,  afin  que 
nous  et  eux  obtenions  le  respect  général.  11  n'était  pas  nécessaire 
que  l'Empire  eût  beaucoup  de  maîtres;  un  seul  suffisait,  comme  le 
voulait  l'antique  tradition  K  " 

Les  discussions  de  la  diète  eurent  pour  premier  objet  l'établis- 
sement du  conseil  de  régence,  qui,  dans  les  vues  de  l'Empereur, 
devait  fonctionner  pendant  qu'il  serait  éloigné  de  l'Allemagne.  Rela- 
tivement à  cette  question,  les  états  annoncèrent  à  Charles  qu'ils  s'ap- 
prêtaient à  lui  remettre  un  projet  où  il  pourrait  tout  de  suite  recon- 
naître de  quelles  bonnes  intentions  ils  étaient  animés.  Sa  Majesté 
s'apercevrait  bien  vite  en  en  prenant  connaissance  que  les  Ordres 
ne  visaient  qu'à  relever  la  gloire  de  l'Empire  et  à  augmenter  le  res- 
pect dû  à  l'Empereur,  qu'ils  regardaient  et  vénéraient  ^  comme 
leur  légitime  souverain  et  seigneur,  désirant  vivement  sa  gloire  et 
sa  prospérité,  souhaitant  fort  d'en  être  les  témoins,  et  de  voir 
l'Empereur  surpasser  en  gloire  et  en  prospérité  tous  les  souverains 
de  l'Europe  ^  =;. 

Mais  lorsque  Charles  eut  examiné  le  plan  de  gouvernement  pro- 
posé par  les  princes  électeurs,  il  put  croire  «  qu'ils  n'avaient  voulu 
que  se  railler  de  la  majesté  impériale  ".  En  effet,  les  oligarchiques, 
sous  un  si  jeune  souverain,  avaient  cru  le  moment  favorable  pour 
accaparer  à  leur  profit  le  pouvoir  exécutif,  se  flattant  de  pouvoir 
ensuite  traiter  à  leur  guise  les  autres  corps  de  l'État ^  Dans  leurs 
exigences  ambitieuses,  ils  allaient  encore  au  delà  de  l'ordonnance 
gouvernementale  t  dictée  jadis  à  Augsbourg  sousMaximilien  (1500) '•. 
Le  nouveau  conseil  de  régence  devait,  même  lorsque  le  Roi  serait 
en  Allemagne,  exercer  toute  autorité,  et,  selon  l'expression  fort 
juste  d'un  délégué  des  villes,  «  soulager  entièrement  Sa  Majesté  du 
fardeau  du  pouvoir  ".  Charles,  indigné,  s'écria  «  qu'en  vérité  on 
semblait  le  considérer  comme  trop  jeune  encore  pour  gouverner! 
Cependant,  n'avait-il  pas  été  élu  à  l'unanimité  des  suffrages,  et  par 

'  Lundi  après  Oculi  (4  mars  !521).  OtENSCHLiGEn,  Erlauterunjen,  Urkundenbuch, 
15-19.    Arctiives  de  Francfort,  Rekhstagsaktev,  t.  XXXI V,  fol.  35'',  59. 

-  *  .Jeudi  après  Oculi  7  mars).  Archives  de  Francfort,  Reichstagsakten,  t.  XXXIV, 
fol.  60-64.  Waltz,  -Hj,  note  5. 

'  Voy.  le  mémoire  du  duc  Guillaume  de  Bavière,  9  février  1521.  Jörg,  8. 

*  Voyez  noire  premier  vol.,  p.  510-511. 


DÉLIBJ'IIATIONS  POUTIOUIOS  A   LA  DlflTK   DE   WORMS.  1521.  145 

conséquent  n'avait-il  pas  été  déclaré  majeur?  Ur,  lorsqu'on  est 
majeur,  on  n'a  besoin  ni  de  curateurs,  ni  de  tutelle.  »  11  ne  convenait 
point  "  à  sa  dignité,  à  son  autorité,  à  la  considération  à  laquelle  il 
avait  droit,  (ju'étant  en  personne  dans  l'Kmpire,  le  conseil  de  ré- 
gence eût  en  main  l'administrai  ion  et  le  pouvoir.  11  ne  soulfrirait 
jamais  que  l'autorité,  que  la  dignité  royale,  qui  jusque-là  avaient  été 
prêtées  ou  reconnues  à  ses  prédécesseurs  par  les  lois  divines  et 
humaines  et  par  les  coutumes  du  pays,  fussent  en  rien  diminuées  en 
sa  personne  '.  » 

Après  de  longs  débats,  il  fut  décidé  que  le  conseil  de  régence 
ne  fonctionnerait  que  pendant  l'absence  de  l'Empereur,  et  n'aurait, 
dès  l'arrivée  de  Charles  dans  l'Empire,  «  d'autre  titre  que  celui  de 
conseil  ».  L'Empereur,  dès  ce  moment,  devait  lui  assigner  à  l'inté- 
rieur un  cercle  particulier  d'activité.  Dans  les  questions  encore  en 
suspens,  le  conseil  conserverait  la  première  autorité;  mais  dans  les 
affaires  qui  surviendraient  l'Empereur  étant  présent,  rien  ne  pour- 
rait être  traité  sans  l'assentiment  du  souverain.  En  l'absence  de 
Charles,  le  conseil  de  régence  était  investi  de  la  toute-puissance, 
devenait   l'organe  suprême  et  central  du  pouvoir  pour  toutes  les 
affaires  intérieures,  et  se  constituait  en  tribunal  souverain;  l'admi- 
nistration, la  surveillance  générale,  tout  lui  était  remis;  il  avait  aussi 
mission  de  régler  les  questions  de  féodalité,  mais  toutefois  l'Empe- 
reur se  réservait  le  droit  de  donner  l'investiture  des  grands  fiefs,  et 
de  prononcer  en  dernier  ressort  dans  les  discussions  qui  pourraient 
survenir  à  ce  propos.  La  décision  prise  alors  au  sujet  de  la  justice 
ecclésiastique  devait  par  la  suite  avoir  de  très-graves  conséquences  : 
le  conseil  de  régence  fut  chargé  de  l'exercer,  et  d'agir  en  qualité 
de  «  déi^nseur  autorisé  de  la  foi  ».  Le  lieutenant  impérial  et  vingt- 
deux  membres  devaient  composer  le  conseil.  Charles  avait  droit  à  la 
nomination  de  quatre  d'entre  eux  :  deux  en  sa  qualité  d'empereur 
d'Allemagne,  deux  comme  souverain  de  l'Autriche  et  de  la  Bour- 
gogne. Le  choix  des  autres  conseillers  était  abandonné  aux  états. 
Au  lieu  de  s'intituler  comme  du  temps  de  Maximilien  :  ^-  Conseil 
royal  et  du  Saint-Empire  »,  l'Empereur  exigea  que  le  nouveau  pou- 
voir prit  le  nom  de  Conseil  de  l'Empereur  dans  le  Saint-Empire  romain. 
Les  conseillers,  au  lieu  de  prêter  serment  comme  autrefois  à  l'Empe- 
reur et  à  l'Empire,  n'eurent  plus  à  le  prêter  qu'à  l'Empereur.  Nurem- 
berg fut  choisi  pour  siège  du  gouvernement  pendant  les  dix-huit 
mois  qui  allaient  suivre;  la  Chambre  impériale  devait  aussi  tenir  ses 
séances  dans  cette  ville  pendant  le  même  espace  de  temps-. 


*  Harpprecht,  Staatsarchiv,  4'',  p.  112-117. 

*  Pour  plus  de  détails,  voy.  Wtneken,  p".  581-628. 

II.  10 


146  DÉLIBÉRATIONS  POLITIQUES  A  LA  DIÈTE  DE  WORMS    1521. 

Les  délibérations  relatives  à  la  remise  en  activité  de  cet  organe 
suprême  de  la  justice  prirent  un  temps  considérable.  »  La  Chambre 
impériale  »,  écrivait  à  Francfort  le  délégué  de  cette  ville,  Philippe  de 
Furstemberg  (9  février),  -<  est  un  animal  si  farouche  que  chacun  s'en 
montre  tout  déconcerté;  personne  ne  sait  comment  rapprocher;  Tun 
conseille  ceci,  l'autre  cela  '.  »  «  Comment  en  venir  à  bout?  comment 
rétablir  le  souverain  tribunal?«  écrit-il  encore.,  le  26  février;  «  c'est 
ce  qu'on  discute  en  ce  moment  avec  beaucoup  de  zèle  et  de  labeur. 
Mais  parmi  les  docteurs  qui  délibèrent,  et  ils  sont  nombreux,  aucun 
ne  me  paraît  avoir  encore  trouvé  une  solution  pratique  -.  A  la 
fin,  on  en  revint,  à  peu  de  chose  près,  aux  ordonnances  édictées 
sous  Maximilien;  seulement,  le  nombre  des  assesseurs  fut  augmenté 
de  deux  membres,  et  l'Empereur  s'en  réserva  le  choix.  Pleinement 
d'accord  avec  les  états  sur  ce  point,  Charles  s'occupa  ensuite  de 
l'affermissement  de  la  paix  publique.  Il  en  étendit  les  conditions, 
et  l'antique  alliance  entre  le  pouvoir  spirituel  et  temporel  fut  encore 
une  fois  cimentée  par  une  loi  portant  que  tous  ceux  qui  persévére- 
raient audacieusement  dans  leur  conduite  rebelle  un  an  et  un  jour 
après  avoir  été  mis  au  ban,  encourraient  la  peine  de  l'excommuni- 
cation ecclésiastique  ^ 

Les  états  s'étaient  offerts  à  fournir  la  somme  nécessaire  au  main- 
tien du  conseil  de  régence  et  de  la  Chambre  impériale.  Cette  somme 
se  montait  à  cinquante  mille  florins,  et  il  s'agissait  maintenant  d'avi- 
ser aux  moyens  de  se  la  procurer;  «  car  en  fin  de  compte  =•,  écrivait 
à  Francfort  Philippe  de  Furstemberg,  "  si  l'on  veut  rétablir  la  justice 
et  la  paix,  il  faut  nécessairement  trouver  de  l'argent  ". 

Mais,  pour  ne  point  payer,  chacun  inventait  des  excuses.  «  Nous 
sommes  maintenant  tous  emprisonnés;  personne  ne  peut  plus  bou- 
ger »,  écrit  Furstemberg;  «  Metz  touche  à  la  Lorraine  et  s'attend 
tous  les  jours  à  un  assaut  des  Français;  Nuremberg  n'a  pas  eu  de 
répit  depuis  vingt  et  tant  d'années;  Ulm  est  surchargée  de  taxes; 
Cologne  a  la  bourse  vide;  Francfort  a  vu  diminuer  le  nombre  de 
ses  bourgeois  et  de  ses  richesses,  et  les  mauvaises  monnaies  l'ont 
appauvrie;  Worms  a  été  forcée,  pendant  ses  guerres  privées,  de 
débourser  plus  de  cent  mille  florins;  Spire  est  ruinée  par  son  clergé 
et  par  les  douanes  récemment  établies.  Jamais  on  n'entendit  de 
pareilles  lamentations!  »  «  Les  comtes,  seigneurs,  chevaliers  pré- 
sentent ou  font  présenter  leurs  excuses  par  écrit.  Si  l'on  ne  fait  un 

'  *  Samedi  après  sainte  Dorothée  (9  février  1521).  Archives  de  Francfort,  Heiscks- 
tagsakien,  t.  XXXV,  fol.  16.  Ranke  {Deutsche  Geschichte,-t.  I,  p.  468)  a  mal  interprété 
le  premier  passage. 

^  *  Mardi  après  saint  Matthieu  (26  février).  Rekhstagsahten,  t.  XXXV,  fol.  21. 

»  Voy.  Haberlin,  t.  X,  351-367. 


DÉLIBÉRATIONS    l'OLITIQUES    A    l.\    DIKTE    DR    VV0R:\IS.    H7 

devoir  positif  aux  pauvres  comme  aux  riclics  de  payer  Timpôl,  ils  ne 
voudront  entrer  dans  aucun  arrangement.  Ouelques  princes  et  pré- 
lats se  dispensent  tout  simplement  d'apporter  leur  continj^fent;  d'au- 
tres disent  tout  haut  que  ne  retirant  aucun  avantage  de  l'Empire,  ils 
ne  voient  pas  bien  pourquoi  ils  seraient  contraints  de  se  dépouiller 
en  sa  laveur.  ;>  Plusieurs  princes  proposaient  de  prélever  les  sommes 
nécessaires  sur  le  produit  des  annales,  ou  bien  sur  les  revenus  tou- 
chés par  Rome  sur  certains  tiefs  ecclésiastiques;  d'autres  étaient 
pour  l'établissement  de  nouvelles  douanes,  conseillaient  de  taxer  les 
Juifs,  ou  d'imposer  toutes  les  marchandises  provenant  de  France  et 
des  pays  welches  :  «  Ilcm,  impôt  sur  tout  objet  d'or,  d'argent,  d'acier, 
de  cuivre,  de  fer  et  d'autres  métaux  travaillés;  item,  impôt  d'un 
florin  sur  vingt  pour  tous  les  chevaux  envoyés  hors  des  pays  alle- 
mands. »  A  entendre  les  princes,  de  semblables  mesures  n'obére- 
raient en  rien  le  pauvre  homme,  le  paysan  de  peu  de  ressources. 
Mais  les  délégués  des  villes  ne  voulurent  jamais  donner  les  mains  à 
aucun  de  ces  projets.  A  la  fin,  on  convint,  abstraction  faite  de 
quelques  exceptions,  que  chacun,  pour  le  maintien  de  la  Chambre 
impériale  et  du  conseil  de  régence,  payerait  cinq  fois  ce  qu'il  avait 
,  donné  auparavant  pour  l'entretien  de  la  Chambre  impériale  *. 

Quant  à  la  politique  extérieure,  Charles,  présent  en  personne  à  la 
;  réunion  de  l'hôtel  de  ville,  fit  représenter  aux  états  ^  (21  mars)  que 
j  l'honneur,  la  prospérité  et  la  gloire  du  Saint-Empire  tenaient  encore 
I  à  deux  objets  importants  :  le  couronnement  de  l'Empereur  à  Rome, 
I  et  le  recouvrement  des  pays  qui  avaient  été  ravis  à  l'Empire  pendant 
I  les  funestes  guerres  d'Italie.  L'Empereur,   si  les  états,  selon  leur 
j  pouvoir,  lui  venaient  loyalement  en  aide,  était  prêt  à  exposer  sa  vie 
I  et  ses  biens  pour  amener  ces  résultats  si  désirables;  il  s'offrait  à 
j  équiper  deux  mille  cuirassiers  au  moins,  plus  un  bon  nombre  de 
cavaliers  de  moindres  armures,  et  promettait  le  concours  de  dix 
i  raille  Suisses  et  de  sept  mille  Espagnols.  Il  demandait  aux  états  de 
fournir  de  leur  côté  pendant  un  an  vingt  mille  hommes  de  pied  et 
quatre  mille  cavaliers.  Une  prompte  décision  était  urgente,  «  car 
personne  n'ignorait  que  les  ennemis  de  Sa  Majesté  faisaient  d'actifs 
préparatifs  de  guerre  ».  Depuis  quatre  siècles,  «  jamais  plus  belle 
occasion  de  servir  l'Empire  ne  s'était  offerte;  mais  il  n'y  avait  pas 
de  temps  à  perdre  ».  S'il  obtenait  ce  qu'il  demandait,  Charles  se  ren- 
drait tout  de  suite  en  Italie  ;  s'il  se  voyait  déçu  dans  son  espoir,  il  se 

'  *  Lettres  de  Philippe  de  Furstemberg,  lundi  après  l'Ascensionf  13  mai)  et  lundi 
après  la  Pentecôte  (20  mai)  1521.  Archives  de  Francfort,  Reichstagsahten,  t.  XXXV, 
fol.  52-55. 

-  Furstemberç  écrit  le  24  mars  1521,  jour  des  Rameaux,  que  l'Empereur  était 
présent  à  l'hôtel  de  ville  le  jeudi  d'auparavant.  Reichstag takien,  t.  XXXV,  fol.  37. 
Voy.  BAUMGiRTEN,  t.  I,  p.  442. 

10. 


148     DÉLIBÉRATIONS    POLITIQUES    A    LA    DIÈTE    DE    WORMS. 

déclarait  innocent  devant  Dieu  et  devant  les  hommes  des  malheurs 
qui  pourraient  fondre  sur  T Allemagne,  protestant  <  qu'il  n'avait  pas 
tenu  à  lui  que  le  Saint-Empire  ne  fût  secouru  ».  «  Il  se  verrait  alors 
autorisé  à  pourvoir  d'une  autre  manière  à  ses  propres  intérêts,  soit 
par  la  guerre,  soit  par  la  paix,  car  ses  possessions  héréditaires  récla- 
maient d'une  manière  pressante  ses  soins  et  ses  efforts.  »  11  s'offrait 
néanmoins  à  rétablir  et  à  maintenir  dans  le  Saint-Kmpire  «  le  bon 
gouvernement,  la  paix,  la  justice,  le  pouvoir  exécutif  et  les  lois,  et 
à  entreprendre  tout  ce  qui  pourrait  contribuer  à  la  prospérité  et  au 
bien  de  la  nation  '  ". 

Quant  aux  Suisses,  qu'il  espérait  rattacher  de  nouveau  étroite- 
ment à  l'Empire  et  décider  à  prendre  part  à  l'expédition  romaine, 
l'Empereur,  quelques  semaines  auparavant,  avait  exposé  ses  vues 
aux  états.  Plusieurs  nations  étrangères,  leur  avait-il  dit,  sont  dans 
l'usage  et  la  pratique  de  faire  des  conventions,  des  aUiances  et  des 
traités  avec  les  Suisses,  qui,  tout  sujets  impériaux  qu'ils  sont,  se 
laissent  fréquemment  entraîner  à  la  rébellion  contre  leur  pays.  Un 
tel  état  de  choses  ne  pouvait  durer.  L'Empereur  proposait  d'envoyer 
aux  Suisses  des  ambassadeurs  experts  et  bien  intentionnés,  chargés 
de  leur  présenter  une  triple  requête.  En  premier  lieu,  on  les  prierait 
instamment,  eux,  membres  et  sujets  de  l'Empire  d'Allemagne,  de  ne 
plus  se  liguer  dorénavant  avec  les  nations  étrangères  contre  l'Empe- 
reur et  les  états.  Secondement,  on  les  invitait  à  accorder  à  Charles, 
qui  s'engageait  à  les  solder,  dix  mille  hommes  d'armes  pour  l'accom- 
pagner à  Home  et  l'aider  à  recouvrer  les  pays  qui  lui  avaient  été 
ravis.  Enfin  l'Empereur  désirait  voir  se  conclure  une  entente  cor- 
diale et  solide  entre  le  Saint-Empire,  les  états  et  les  Suisses,  afin  que 
de  bons  rapports  de  voisinage  pussent  s'établir  entre  la  Suisse  et 
l'Allemagne,  et  que  la  guerre  et  les  soulèvements,  si  facilement  exci- 
tés entre  pays  limitrophes,  fussent  à  l'avenir  évités.  L'Empereur  et 
les  états  «  considéreraient  toujours  les  Suisses  comme  membres  de 
l'Empire  s'ils  consentaient  à  cet  accord,  et  s'engageaient  à  les  proté- 
ger et  à  les  défendre  de  tout  leur  pouvoir  contre  leurs  ennemis'  ». 

Le  13  mai,  les  états  se  déclarèrent  prêts  à  fournir  le  nombre  de 
cavaliers  et  d'hommes  d'armes  réclamés  par  l'Empereur  pour  l'expé- 
dition romaine  et  pour  le  recouvrement  des  pays  détachés  de 
l'Empire;  mais  ils  ne  s'engageaient  à  les  livrer  ([ue  dans  quinze 
mois,  seulement  pour  six  mois,  et  à  la  condition  expresse  qu'on 

'  Proposition  impériale,  Archives  de  Weimar,  publiée  par  Wyneken,  624-625. 

^  *  Remontrance  de  l'Empereur  aux  états,  jeudi  après  Oculi  (7  mars)  1521,  dans 
les  Archives  de  Francfort,  Reichttagsakten,  t.  XXXIV,  fol.  64-67.  —  Voy.  aussi  la 
lettre  de  Philippe  de  Furslemberg  et  de  Biaise  de  llolzhausen,  dimanche  de 
l.atare  (10  mars),  dans  les  Heichsiagsakten,  t.  XXXV,  fol.  31. 


IJÉLIBÉHATIONS    POLITIOCKS    A    LA    DIKIE    DE    WORMS.     149 

n'exigerait  d'eux  que  des  troupes,  et  point  d'argent,  afin  que  nul 
«  agiotage  »  ne  piU  résulter  de  cette  couvcnlion.  Le  départ  et  la 
rentrée  des  hommes  d'armes  devaient  s'eflecluer  en  l'espace  de 
six  mois.  Dans  le  cas  où  la  paix  et  la  justice  n'auraient  pas  été 
maintenues  pendant  ce  temps  à  l'intérieur,  les  états  ne  s'enga- 
geaient pas  à  porter  remède  au  mal'.  Des  cadres  maîriculaires*, 
organisés  à  nouveau,  répartirent  les  contingents  de  troupes  entre 
tous  les  ordres.  Ces  cadres  lurent  consultés  et  restèrent  en  usage 
aussi  longtemps  que  la  constitution  de  l'Empire  fut  maintenue  en 
Allemagne  \ 

Les  princes  n'avaient  pas  invité  les  délégués  des  villes  à  prendre 
part  aux  délibérations  relatives  à  l'expédition  romaine;  ceux-ci  se 
plaignirent  hautement  d'un  pareil  procédé,  le  déclarant  "  inique  et 
entièrement  opposé  aux  anciens  usages  ;  ;  car,  disaient-ils,  <  s'ils 
devaient  partager  la  bonne  fortune  ou  les  revers  de  la  nation, 
comme  les  autres  ordres,  s'ils  étaient  tenus  de  venir  en  aide  au 
pays,  et  cela  au  delà  même  de  leurs  ressources,  du  moins  devaient- 
ils  être  admis  à  délibérer  à  la  diète  sur  les  mesures  à  prendre  «.  A  la 
suite  de  ces  plaintes,  un  de  leurs  délégués  fut  appelé  au  sein  du 
comité,  afin  de  veiller  à  ce  que  les  cités  qui  dans  le  premier  projet 
avaient  été  trop  peu  imposées,  fussent  taxées  plus  fortement,  et 
celles  trop  obérées,  soulagées  d'une  partie  de  leur  dette*. 

-  Plaise  à  Dieu  ",  écrivait  le  député  de  Francfort  après  avoir  con- 
signé dans  sa  dépêche  les  délibérations  dont  nous  venons  de  parler, 
'  que  quelque  chose  de  bon  sorte  de  tout  ceci,  et  qu'on  songe  enfin 
à  l'honneur,  à  la  paix,  à  la  justice,  et  au  recouvrement  des  pays  alle- 
mands! Mais  je  crains  bien,  et  j'ai  toujours  eu  ce  pressentiment,  que 
tant  d'efforts  n'aboutissent  à  rien^!  » 

En  effet,  les  excellentes  dispositions  des  états  étaient  destinées  à 
n'amener  aucun  résultat,  et  la  faute  en  doit  être  entièrement  attri- 
buée au  complot  révolutionnaire  qui  agitait  alors  l'Allemagne 
entière,  menaçant  autant  les  intérêts  politiques  que  l'organisation 
de  l'Église. 

'  ""  Lettre  de  Phil.  de  Furstemberg,  lundi  après  l'Ascension  (13  mars  1521,  dans 
les  Reichstagsahten,  t.  XXXV,  fol.  52.  Cette  réponse  devait  être  remise  à  l'Empe- 
reur ■  aujourd'hui  •,  par  conséquent  le  13  mai. 

*  Xeue  Sammlung  der  lieichsahschiede,  t.  II,  p.  216-229. 

'  Us  étaient  désignés  sous  le  nom  de  «  matricule  nouvelle  et  légale  ■.  Voy. 
Haberlin.  t.  X,  p.  370-371. 

**  Lettre  de  Phil.  de  Furstemberg,  lundi  après  la  Pentecôte  (20  mai),  dans  les 
Reichstagsakten,  t.  XXW,  fol.  55. 

'  Voy.  la  lettre  citée  dans  la  note  précédente. 


150  LE    LEGAT    ALEANDRE, 


III 


La  bulle  de  Léon  X  déclarait  Lu(her  hérélique  et  condamnait 
ses  écrits  à  être  publiquement  brûlés.  Pour  veiller  à  l'exécution  de 
Farrêt  du  Saint-Siège,  pour  que  la  peine  du  ban  encourue  par 
Luiher  reçût  son  application,  le  Pape  députa  deux  légats  en  Alle- 
magne :  Marino  Caraccioli,  proîonotaire  apostolique,  et  Jérôme 
Aléandre,  chef  de  la  bibliothèque  du  Vatican. 

Aléandre  était  un  esprit  supérieur,  et  l'un  des  humanistes  les  plus 
éminents  de  son  temps.  A  Paris,  ses  cours  de  grec  avaient  obtenu 
un  succès  extraordinaire.  Un  étudiant  allemand,  qui  y  assistait, 
rapportait  qu'à  ses  conférences  sur  Ausone,  le  grand  nombre  des 
assistants  avait  obligé  le  professeur  à  quitter  la  salle  ordinaire  de& 
cours  pour  un  local  plus  vaste.  Parfois  plus  de  deux  mille  auditeurs, 
de  toute  condition,  se  pressaient  autour  de  sa  chaire,  «  semblables 
à  une  armée  compacte  «.  On  remarquait  parmi  eux  les  hommes  les 
plus  distingués  de  la  ville.  En  1511,  Aléandre  était  venu  se  fixer  en 
Allemagne  pour  y  suivre  le  progrès  et  l'épanouissement  des  études 
grecques,  et  y  surveiller  la  publication  des  chefs-d'œuvre  classiques. 
En  France,  en  Italie,  on  rencontrait,  disait-il,  d'excellents  esprits; 
mais  selon  lui  on  s'y  vouait  de  préférence,  et  non  sans  quelques  mobiles 
intéressés,  aux  arts  dont  on  pouvait  attendre  un  profit  immédiat; 
en  Allemagne,  au  contraire,  les  savants  n'étaient  mus  que  par  l'amour 
de  la  vérité;  s'ils  mettaient  tant  d'ardeur  à  agrandir  toujours  davan- 
tage le  cercle  des  connaissances  humaines,  ils  n'y  étaient  excités 
que  par  le  seul  désir  d'acquérir  de  la  gloire;  ils  ne  cherchaient  que 
le  bénéfice  commun  des  peuples;  glorifiant  les  anciens  arts,  ils  en 
inventaient  de  nouveaux'. 

Aucune  nation,  telle  avait  été  jadis  la  conviction  d'Aléandre, 
n'était  plus  dévouée  à  l'Église  que  l'Allemagne.  Mais  revenant 
dans  son  pays  après  dix  ans  d'absence,  il  trouva,  dans  tous  les 
cercles  de  la  société,  des  dispositions  toutes  nouvelles.  Jadis  il  avait 

'  «  Bona  invenio  ingénia  in  Gallia,  bona  in  Italia,  sed  utraque  haec  gens  ut 
plurimum  illotis  non  sine  avaritia'  nota  pedibus  sese  ad  eas  artes  dat,  ex  qui- 
bus  solura  praesentaneum  lucrum  speret.  At  Germania  virtutis  unius  aniore 
commota  semper  novi  aliquid  quaerit,  nnde  sibi  potius  {^loriam  compare!  quam 
lucelkim...  in  communem  gentium  usum  lal)orat.  artes  veteres  illustrât,  novas 
invenit...  »  Uorawitz,  Michael  Hummelberger,  t.  IV,  p.  31-32,  47.  —  Voyez  Jansen, 
p.  15-16.  Aléandre  n'était  pas  Allemand  de  naissance;  voy.  sur  ce  point  Jansen, 
p.  19-21. 


LE    LÉGAT    ALÉANDRE.  151 

été  tenu  en  haute  eslime  par  les  humanistes;  mais  depuis  qu'il  avait 
pris  en  main  la  défense  de  rÉ{>Iise  contre  Luther  et  Ilutten,  ses 
amis,  ses  élùves  d'autrefois  étaient  devenus  ses  adversaires  les  plus 
acharnés,   ils  l'accusaient,  ainsi   qu'il  l'écrit  lui-même  à   Rome, 

'   d'avoir   trahi  les  belles-lettres,  flatté  les  courtisans,  soutenu  la 
cause  des  Frères  prêcheurs*    >.   Ilutten  attenta  même  à  sa  vie,  et 
Luther  re^jretta  que  cette  tentative  eût  échoué*.  <  L'Allemagne  », 
écrit  Aléandre,  «  regorge  de  grammairiens  et  de  poètes  qui  s'ima- 
ginent ne  pouvoir  être  des  savants,  ni  surtout  des  hellénistes,  s'ils 
ne  s'écartent  du  chemin  tracé  par  l'Église  ^  Les  maîtres  en  droit 
canon  et  en  droit  romain  appartiennent  tous  au  parti  de  Luther. 
Le  clergé  lui-même,  à  l'exception  des  curés,  est  en  grande  partie 
atteint  par  l'erreur ^  Une  légion  de  nobles  tombés  dans  la  misère 
brûle,  sous  la  conduite  de  Hütten,  de  répandre  le  sang  des  prêtres, 
et  n'attend  qu'un  signal  pour  faire  éclater  la  révolte.  L'Allemagne 
entière  est  exaspérée  contre  Rome.  On  soupire  de  tous  côtés  après 
la  réunion  d'un  concile  sur  le  sol  allemand.  On  se  moque  de  l'excom- 
munication du   Pape;    un   nombre   incalculable   de  personnes   ne 
s'approchent  plus  du  sacrement  de  pénitence.  »  En  un  mot,  Aléandre 
voyait  se  déchaîner  contre  le   Saint-Siège  cette   furieuse  tempête 
qu'autrefois,  il  y  avait  de  cela  cinq  ans,  il  avait  prédite  au  Sou- 
verain Pontife  sans  parvenir  à  se  faire  écoutera  «  L'aversion  contre 
Rome  s'enracine  toujours  plus  profondément  dans  les  classes  diri- 
geantes ",  écrit-il. 

Aléandre  estimait  que  dans  le  cas  où  Luther  ne  pourrait  être 

*  Relation  d'Aléandre,  Friedrich,  p.  95-96.  —  Balan,  p.  31.  —  Brieger,  p.  28. 

*  Voy.  la  lettre  de  Luther  dans  de  Wette,  t.  I,  p.  523.  Voy.  plus  haut,  p.  108, 
note  t.  »  Coinmuni  omnium  rumore  »,  écrit  Aléandre,  "  circumfertur  che  Ilutten 
con  li  suoi  coniurati  me  cercano  ammazzar,  et  sono  advisato  non  solum  io  da 
miei  amici,  ma  ancor  proxime  alcuiii  principi  et  certi  secretari  di  César  hanno 
advertito  Liege,  che  me  admonisca,  che  io  mi  guardi,  che  a  gran  pena  la  scaperô 
di  questa  Germania.  »  Friedrich,  p.  96.  —  Balan,  p.  ^2.  —  Brieger,  p.  29. 

'  •  ...Morosissimum  grammatistarum  et  poeticulorum  genus,  quorum  Ger- 
mania plenissima  est.  Ili  tune  demum  putant  se  haljeri  doctos,  et  presertim  grece, 
quando  profitentur  se  dissentire  a  communi  ecclesiae  via.  ^ 

*  Ce  sont  justement  ces  prêtres  -  che  sono  promoti  per  Roma,  fanno  peggio 
che  gl'  altri  ».  Cochlaeus  et  Eciv  envoyèrent  plusieurs  rapports  analogues  à 
Rome  sur  ces  ■  favoris  de  la  curie  ».  Lck  écrivait  à  Contarini  à  propos  de  la 
propagation  des  nouvelles  doctrines  (13  mai  1540)  :  «  Praelati  et  canonici  et  qui 
pinguia  habebant  bénéficia  a  sede  apostolica,  plus  muti  erant  (sicut  hodie  sunt) 
quam  pisces.  •  Raynald,  ad  a.  1540,  n.  6. 

*  Rapport  d'Aléandre  dans  Friedrich,  p.  95-99,  113.  —  Balan,  p.  98-99.  — 
Brieger,  p.  47-49.  «  Al  présente  ben  io  in'arrecordo,  che  essendo  io  già  5  anni 
mandato  a  Roma...  io  dissi  a  Nostro  siguore  quello  che  quasi  vedemo  avenuto, 
che  io  teinea  tumulto  Germanico  contra  Sedem  Apostolicam,  perché  l'havea  già 
inteso  da  molti  in  questi  paesi,  H  quali  non  expettavano  altro  se  non  un pazzo  che  aprisse 
la  bocca  contra  Roma,  sed  tunc  mihi  nihil  credebatur.  •  Balan,  p.  73.  —  Friedrich, 
p.  107.  —  Brieger,  p.  73. 


152  LE    LÉGAT    ALÉANDRE. 

amené  à  se  rétracter,  le  meilleur  moyen  d'arrêter  les  progrès  de 
l'hérésie  serait  de  faire  brûler  publiquement  ses  ouvrages.  De  cette 
manière,  la  réprobation  de  l'Eglise  serait  promptement  connue  en 
Allemagne  et  dans  le  monde  entier.  Un  acte  si  public,  croyait-il, 
accompli  de  par  l'autorité  du  Pape  et  de  l'Empereur,  aurait  une 
heureuse  influence  sur  les  laïques,  un  moment  enfrainés  par  des 
prédications  haineuses  et  par  des  milliers  de  pamphlets.  Déjà,  pour 
la  Bourgogne  et  les  Flandres,  possessions  particulières  de  l'Empe- 
reur, Aléandre  avait  mis  à  exécution  la  mesure  qu'il  recomman- 
dait. A  Cologne  aussi,  pendant  le  séjour  de  l'Empereur,  les  livres 
luthériens  avaient  été  brûlés  dans  la  cour  de  la  cathédrale'. 

Mais  dans  celte  même  ville,  Aléandre,  précisément  au  sujet  de 
l'exécution  de  la  bulle,  s'était  heurté  pour  la  première  fois  à  des 
difficultés  qui  dans  la  suite  devaient  se  représenter  trop  fréquem- 
ment. Elles  furent  alors  soulevées  par  Frédéric  de  Saxe.  Aléandre 
et  Caraccioli  lui  avaient  fait  remettre  (4  novembre  1520)  des  lettres 
pontificales  lui  enjoignant  de  livrer  aux  flammes  tous  les  écrits 
de  Luther,  et  de  s'assurer  de  sa  personne,  soit  pour  le  tenir  sous 
bonne  garde,  soit  pour  le  faire  comparaître  à  Rome-.  Ainsi  mis 
en  demeure  d'agir,  Frédéric  avait  demandé  du  temps  pour  réfléchir 
à  ce  qu'on  exigeait  de  lui,  et,  le  lendemain,  avait  réclamé  l'opinion 
et  le  conseil  d'Érasme,  en  ce  moment  à  Cologne. 

Érasme,  dans  ses  lettres  à  l'Électeur,  s'était  toujours  montré  favo- 
rable à  Luther.  Tous  ceux  à  qui  la  religion  était  chère,  préten- 
dait-il, lisaient  et  admiraient  ses  écrits*.  Cela  n'avait  pas  empêché 
ce  même  Érasme  d'écrire  à  un  évêque  espagnol  (mars  1520)  «  que 
dans  les  différends  religieux  récemment  soulevés,  tout  pieux  fidèle 
devait  prendre  parti  pour  le  Pape,  car  Luther  fomentait  les  émeutes, 
les  troubles,  et  publiait  des  libelles  toujours  plus  amers  et  plus  hai- 
neux >'.  Le  13  septembre  de  la  même  année,  s'adressant  à  Léon  X, 
il  affirmait  encore  au  Souverain  Pontife  que  jamais  il  n'avait  lu  les 
écrits  de  Luther,  qu'à  peine  il  en  avait  parcouru  dix  ou  douze  pages, 
et  cela  en  courant,  sans  les  approfondir;  qu'il  était  bien  décidé 
à  ne  jamais  contredire  sur  quelque  point  que  ce  fut  l'évêque  de 

'  «  Nemo  illic  est  •,  écrit  Aléandre  en  1522  ou  1523  dans  un  mémoire  suri  es 
griefs  de  l'Allemagne,  «  qui  non  saltem  oh  odium  sedis  apostolica'  sit  macula- 
tUS  -.  DlTTRlCH,  Histor.  Jahrbuch  der  Görrcsgesellschaft,  t.  III,  p.  677. 

*  Bala>,  p.  69-70.  La  supposition  de  .sieidan  est  fausse.  «  Petebant...  ut  ipsum 
yel  capiie plecteret  \e\...  •  Il  ne  fut  janiais  question  dans  les  délibérations  d'infli- 
ger à  Luther  le  dernier  supplice.  ■  Naui  pontificis  Romani  mentem  non  esse  », 
dit  Aléandre,  ■  procedendi  contra  ipsius  Lutheri  personam,  ut  qui  nolit  manus 
suas  (ut  Aleandri  verlis  utamiir)  ejus  sanyuine  pinguefacere.  »  C'est  ce  que  nous 
lisons  dans  le  Brevis  Commemoralio  rerum  Coloniœ  aelarum.  Lutheri  Op.  lalina,  t.  V, 
p.  248. 

'  Four  plus  de  détails,  voy.  Hess,  t.  II,  p.  30-36. 


ÉRASME  POUH  ET  CONTRE  LUTHER.  153 

son  diocèse,  et  comprenait  assez  l'obéissance  plus  parfaite  qu'il 
devait  au  suprême  représentant  de  Jésus-Christ  sur  la  (erre.  Aupa- 
ravant, lorsqu'on  était  encore  libre  de  prendre  parti  pour  ou 
contre  Luther,  jamais  il  ne  s'était  ranp,é  à  son  opinion,  jamais  il 
ne  l'avait  pris  sous  sa  protection  '.  Telles  avaient  été  les  assurances 
officielles  d'Érasme;  mais  chez  l'Électeur,  il  avait  tenu  un  lanj^age 
fort  différent.  Interrogé  par  Frédéric  sur  la  question  de  savoir 
si  Luther  avait  erré  dans  ses  écrits  et  dans  ses  prédications,  il 
avait  commencé  par  sourire;  puis,  au  rappori  de  Spalatin,  il  avait 
répondu  :  «  Luther  a  fait  deux  lourdes  faules  :  il  a  attaqué  la  cou- 
ronne des  papes  et  le  ventre  des  muines  ^  »  11  s'était  ensuite 
«xprimé  si  favorablement  sur  la  doctrine  de  Luther  que  le  conseil- 
ler et  chapelain  particulier  de  l'Électeur,  Spalatin,  l'avait  pressé  de 
mettre  par  écrit  quelques-unes  de  ses  appréciations.  Érasme,  pour 
lui  complaire,  avait  écrit  ses  Axiomes,  ou  il  disait  entre  autres 
choses  que  la  guerre  commencée  contre  Luther  n'était  entretenue 
que  par  les  ennemis  des  lettres;  qu'elle  provenait  d'une  présomp- 
tion tyrannique;  que  les  chrétiens  bons  et  justes,  les  vrais  amis 
de  la  sainte  Écriture  n'étaient  nullement  choqués  des  doctrines  de 
Luther;  que  la  bulle,  au  contraire,  les  scandalisait  grandement; 
Luther  en  avait  appelé  avec  raison  au  jugement  d'hommes  impar- 
tiaux; le  monde  était  altéré  de  vérité  évangélique;  il  était  répré- 
hensible  de  .s'opposer,  dans  un  esprit  de  haine,  à  un  pareil  élan, 
et  l'Empereur,  au  début  de  son  règne,  aurait  grand  tort  de  se 
rendre  impopulaire  en  adoptant  des  mesures  de  rigueur'.  Ce  n'était 
point  de  par  l'autorité  ecclésiastique,  c'était  par  quelques  hommes 
impartiaux,  éclairés,  qu'Érasme  voulait  voir  résoudre  les  questions 
soulevées  par  Luther.  De  l'Empereur,  à  son  avis,  «  il  y  avait  peu  à 
attendre,  car  il  était  assiégé  de  papistes*  ».  Tremblant  que  son 
manuscrit  ne  vint  à  tomber  entre  les  mains  du  légat,  Érasme  s'était 
hâté  de  le  redemander  dès  le  lendemain  à  Spalatin,  et  celui-ci,  très- 
attaché  aux  idées  nouvelles,  eut  alors  bien  sujet  de  s'écrier  ironi- 
quement :  «  Voyez  avec  quelle  hardiesse  Érasme  se  prépare  à  con- 
fesser la  vérité  évangélique  !  »  Mais  bien  que  Spalatin  eût  rendu  le 
manuscrit  à  Érasme,  les  Axiomes  furent  livrés  à  l'impression,  au 
grand  déplaisir  de  leur  auteur.  Aussi,  peu  de  jours  après  son  entre- 

1  Voy.  Stichart,  p.  328-331.  Le  12  mai  1521 ,  il  écrivait  à  Juste  .Tonas  :  ■ . .  .ad  pri- 
mum  gustum  opusculorum,  quac  l,utheri  nomine  prodire  cœperant,  plane 
verebar  ne  res  eiiret  in  tumuUum  ac  publicum  orbis  disaidium.  ■>  Op.  III,  p.  639, 
ép.  572. 

-  OEuvres  posthumes  de  Spalatin,  p.  164. 

'  Axiomata  Erasmi,  Lutheri  Op.  latina,  t.  v,  p.  241-242. 

*  •  Olim  Erasmus  scripit.  nihil  esse  spei  in  Carolo,  sophistis  et  papistis 
obsesso.  »  Luther  à  Spalatin,  27  février  1531;  de  Wette,  t.  I,  p.  562. 


*54  LUTHER    £T    LÉGLISE.    1521. 

tien  avec  l'Électeur,  Érasme  avait-il  écrit  à  un  ami  dans  l'espoir  de 
se  mettre  à  couvert  :  «  Pour  plus  d'un  motif,  j'ai  toujours  refusé 
de  me  mêler  en  rien  à  la  querelle  luthérienne  '  !  » 

«  Erasme  est  un  ennemi  plus  redoutable  que  Luther  »,  disait 
Aléandre;  «  c'est  le  véritable  père  de  la  nouvelle  hérésie  ^  » 

L'Electeur,  après  son  entretien  avec  Érasme,  avait  fait  répondre 
aux  nonces  qu'il  lui  était  impossible  de  souscrire  à  leur  demande, 
Luther  en  ayant  appelé.  D'ailleurs,  il  était  à  présumer  qu'un  nombre 
considérable  de  chrétiens,  savants  ou  ignorants,  prêtres  ou  laïques, 
étaient  déjà  acquis  au  parti  luthérien.  La  doctrine,  les  sermons,  les 
écrits  de  Luther  n'avaient  pas  été  assez  examinés  et  discutés  pour 
qu'on  eiit  le  droit  de  les  détruire.  Le  plus  sage,  selon  lui,  serait  de 
faire  comparaître  l'accusé,  protégé  par  un  sauf-conduit,  en  présence 
de  juges  impartiaux  et  éclairés  '.  Frédéric  avait  parlé  dans  ce  sens 
aux  conseillers  les  plus  écoutés  de  l'Empereur,  le  seigneur  de  Chièvres 
et  le  comte  Henri  de  Nassau.  Le  28  novembre,  Charles- Ouint  fit 
parvenir  à  l'Électeur  l'ordre  d'amener  Luther  avec  lui  à   la  diète 
de  Worms,  où  il  aurait  à  s'expliquer  devant  les  états;  Frédéric, 
jusqu'à  ce  moment,  devait  l'empêcher  de  rien  publier  d'injurieux 
pour  le  Pape  et  le  Siège  apostolique  \  Mais  après  que  Luther,  le 
10  décembre,  eut  brûlé  en  grande  pompe  la  bulle  du  Pape  et  les 
livres  de  droit  canon,  Charles-Quint  révoqua  cet  ordre.  Luther  avait 
été  encouragé  à  cet  acte  par  Jean-Frédéric  de  Saxe,  qui,  le  20  dé- 
cembre, lui  exprimait  toute  sa  gratitude  de  voir  qu'en  dépit  de  la 
condamnation  du  Pape,  il  continuait  à  prêcher  et  à  écrire  comme 
auparavant.  Il  avait  l'intention,  lui  écrivait-il,  de  lui  en  témoigner 
sa  satisfaction  par  ses  bonnes  grâces  \ 

Luther,  avec  une  infatigable  ardeur,  continuait  à  exciter  le  peuple 
contre  le  chef  de  la  chrétienté.  Dans  son  sermon  pour  le  jour  de 


'  Voy.  Stichart,  p.  327.  Il  écrivait  au  recteur  de  l'Université  de  Louvain  :  «  Per- 
sonne ne  m'a  jamais  entendu  approuver  la  doclrine  de  Luther.  Je  n'ai  pas  même 
pris  la  peine  de  lire  ses  livres,  à  l'exception  de  quelques  pages;  encore  les  ai-je 
dégustées  plutôt  que  lues.  Dans  vos  disputes  avec  Luther,  je  me  suis  tenu  con- 
stamment du  bon  côté.  Lorsque  les  livres  du  docteur  furent  brûles,  personne 
ne  m'en  a  vu  affligé.  J'ai  écrit  et  dit  beaucoup  de  choses  en  particulier  dans 
le  dessein  de  corriger  l'extrême  acrimonie  de  ses  écrits,  et  là-dessus  on  m'appelle 
luthérien.  .  —Stichart,  p.  351. 

*  Voy.  plus  haut  p.  14.  note  2.  «  A  Colonia,  dove  fu  irovato  Erasmo  la  nette 
andar  ad  pervertir  li  Elettori  et  far  el  peggio  che  lui  potea...  ■  -  Erasmo  il 
grand  fundameiito  di  que.ia  heresia.  »  Rapport  d'Aléaudre  dans  Friedrich, 
p.  115-116.  —  Balan,  10I-1Ü2.  —  BuiEGER,  p.  62-54. 

»  Luiheri  Op.  latina,  t.  V,  p.  244-248.  Le  noiice  avait  même  eu  de  la  peine  à  obtenir 
une  audience  de  l'Électeur,  et  cependant  il  lavait  réclamée  au  nom  du  Sou- 
veraiu  Pouiife  ».  —  Voy.  Förstemann,  Xeues  Urhundcnbuch,  t.  I,  p.  32. 

^}/lVLLV.i\,  Staatscabincl,  t,  VIII,  p.  279-281. 

'  BURKARDT,  Luther's  Briefwechsel,  p.  35-36. 


LUTHER    ET    L'ÉGLISE.    1521  155- 

rÉpiphanie  (1521),  il  compare  le  Pape  au  roi  Hérode,  «  qui,  l'âme 
pleine  d'hypocrisie,  ose  feindre  d'adorer  .Jésus-Christ,  tandis  qu'en 
réalité  il  ne  songe  qu'à  lui  tordre  le  cou  ».  «  Le  gouvernement  du 
Pape  et  le  royaume  du  Christ  sont  aussi  opposés  l'un  à  l'autre  que 
l'eau  et  le  feu,  le  démon  et  l'ange  '.  "  «  Le  Pape  »,  dit-il  dans  un 
écrit  publié  en  allemand  (1"  mars),  «  est  pire  que  tous  les  démons 
réunis,  car  il  condamne  la  foi,  ce  qu'un  démon  n'a  jamais  fait.  Et 
parce  que  je  le  nomme  le  plus  grand  homicide  qu'ait  supporté  la 
ferre  depuis  le  commencement  du  monde,  l'assassin  à  la  fois  des 
corps  et  des  âmes,  je  suis.  Dieu  merci,  un  hérétique  pour  Sa  Sain- 
teté, et  aux  yeux  de  ses  papistes.  »  Luther,  dans  le  même  écrit, 
rejette  de  nouveau  les  conciles,  et  particulièrement  celui  de  Con- 
stance, <i  où  le  saint  Évangile  fut  condamné  avec  Jean  Huss,  tandis 
que  le  dragon  infernal  lui  était  substitué  ».  «  Mais  saint  Jean  a  osé 
trop  peu  ,continue-t-il;  cil  n'a  fait  que  commencer  à  prêcher  l'Évan- 
gile. J'ai  fait  cinq  fois  plus  que  lui,  et  cependant  je  tremble  d'avoir 
encore  été  trop  timide.  Jean  Huss  ne  nie  pas  que  le  Pape  ne  soit  la 
première  autorité  du  monde;  il  se  borne  à  affirmer  que  bien  qu'un 
mauvais  pape  ne  fasse  même  pas  partie  de  la  sainte  chrétienté, 
parce  que  tous  les  membres  de  l'Église  doivent  être  saints,  ou  du 
moins  travailler  à  le  devenir,  il  tient  qu'il  faut  tolérer  ce  mauvais 
pape  comme  on  doit  supporter  les  tyrans.  Au  lieu  que  moi,  si  saint 
Pierre  lui-même  siégeait  aujourd'hui  à  Rome,  je  continuerais  à  nier 
que  son  autorité  soit  de  droit  divin,  et  que  Dieu  l'ait  établi  au-dessus 
des  autres  évêques.  La  papauté  n'est  qu'une  invention  humaine. 
Dieu  n'en  sait  rien.  Toutes  les  décrétales  du  Pape  sont  contraires  au 
Christ,  elles  sont  écrites  sous  l'inspiration  du  mauvais  esprit,  et  je 
les  ai  briHées  avec  joie*.  »  ALiis  ses  livres,  à  lui,  ne  devaient  être  ni 
brûlés,  ni  interdits;  sa  doctrine  avait-elle  été  discutée,  trouvée  en 
faute?  «  D'ailleurs,  quand  bien  même  tout  le  genre  humain  se  ran- 
gerait du  côté  du  Pape  et  des  bulles  »,  dit-il  dans  son  Instruction 
pour  les  fidèles  qxii  se  disposent  à  la  confession,  "  le  Pape  et  les  bulles 
condamnent  si  manifestement  l'Évangile  et  la  foi,  que,  loin  de  leur 
obéir,  il  faut  les  brûler  et  les  détruire  ^  » 

'  Sümmtt.   IFerke,  t.  XVI,  p.  39-40. 

*  Dans  l'écrit  intitulé  :  Grund  und  L'rsach  aller  Artikel  so  durch  die  römische  Bulle 

unrechilich  verdammt  worden  Snmmtl.  Werke,  t.  XMV,  p.  96,  134-140.  Oll  se  servit  aussi 

1  pour  combattre  la  papauté  du  Passional  Christi  und  Antichristi ;  Luther  en  fournit 

le  texte,  et  l.ucas  Cranach  les  gravures.  L'idée  première  de  ce  parallèle  entre 

'  Jésus-Christ  et  le  Pape  a  été  prise  dans  une  ancienne  poésie  latine,  Antuhesis 

I    Ckriiti  et   Antechrisli,   per    Conr.    Xuccr.     Vov.    KnaaKE,    dans    le   Zeilschrift   fur  die 
I   getammie  lutherische  Theologie  und  Kirche,  t.  XXXII,  p.  70-73. 

i       3  Sämmil.  Werke,  t.  XXIV,  p.  203-207.  Dans  vetlG  Instruction,  Luther  déclare  que 

I  celui  qui  tient  sa  doctrine  pour  orthodoxe  ne  doit  pas  obéir  à  son  confesseur 

dès  que  ce  confesseur  exige  la  remise  des  écrits  luthériens.  Que  si  le  confesseur 


156  t,UTHER    ET    L'ÉGLISE.    1521. 

Dans  tous  les  écrits  publiés  par  Luther  à  cette  époque,  il  se 
pose  en  homme  qui  a  complètement  rompu  avec  l'Église.  Il  rejette 
ia  tradition  chrétienne,  l'autorité  de  l'Église;  il  émet  sur  les  rap- 
ports de  l'homme  avec  Dieu  de  nouveaux  dogmes,  qui,  de  son 
propre  aveu ,  étaient  demeurés  cachés  depuis  le  temps  des  Apô- 
tres. Ses  doctrines  sur  le  sacerdoce  universel  et  la  société  chré- 
tienne, principes  sur  lesquels  il  entend  baser  la  nouvelle  union  des 
fidèles,  sapent  jusqu'en  leur  racine  tout  l'ensemble  de  la  con- 
stitution de  l'Église;  selon  lui,  l'Église  doit  rompre  avec  le  passé 
dans  sa  doctrine,  ses  sacrements,  son  culte,  ses  institutions.  Jadis 
on  désirait  la  voir  se  réformer  dans  son  chef  et  dans  ses  mem- 
bres; mais  Luther,  allant  plus  loin,  réclame  sa  complète  dissolu- 
tion, et  veut  qu'elle  exécute  elle-même  le  décret  de  sa  propre 
déchéance  '. 

Et  comme  toujours,  tout  ce  qu'il  avance  est  à  ses  yeux  vérité 
d'Evangile,  vérité  indubitable.  Aussi  ne  pouvait-il  être  question  avec 
lui  d'aucune  espèce  d'accommodement.  Tous  les  essais  de  concilia- 
tion devaient  nécessairement  échouer. 

Ils  échouèrent  en  premier  lieu  à  la  diète  de  Worms*. 

insiste,  et  que  le  pénitent  ne  puisse  obtenir  l'absolution  qu'à  la  condition  de 
se  soumettre,  il  doit  laisser  au  prêtre  son  absolution,  et  quitter  celui  qui,  à 
l'imitation  de  Lucifer,  est  assez  téméraire  pour  outre-passer  les  devoirs  de  sa 
charge  et  de  son  état,  et  pour  prononcer  les  jugements  de  Dieu,  scrutant  ce  qui 
est  caché  dans  le  fond  des  cœurs,  sans  en  avoir  le  droit.  Si  le  confesseur 
refuse  d'absoudre  le  pénitent,  celui-ci  doit  néanmoins  se  retirer  content,  satis- 
fait et  sûr  de  son  pardon,  puisqu'il  s'est  confessé  et  a  demandé  l'absolution. 
Dans  un  cas  semblable,  il  faut  considérer  le  confesseur  comme  un  larron  et  un 
brigand,  qui  prend  et  retient  ce  qui  est  à  nous.  En  pareille  circonstance,  nous 
pouvons  avec  joie  et  sans  nulle  crainte  nous  regarder  comme  absous  devant 
Dieu,  et  venir  sans  nul  scrupule  recevoir  ensuite  le  Saint  Sacrement  !  Mais  si  le 
prêtre,  alhint  plus  loin,  refusait  le  sacrement  de  l'autel  à  celui  qu'il  n'a  pas 
absous,  il  faut  le  prier  humblement  de  revenir  sur  sa  décision,  car  il  faut  tou- 
jouis  agir  humblement  envers  le  démon  et  ses  œuvres,  et  témoigner  une  foi  à 
toute  épreuve.  «  Et  si  cela  ne  le  sert  de  rien  auprès  de  ton  confesseur,  laisse 
là  le  sacrement,  le  prêtre,  l'autel  et  l'église,  car  la  parole  divine  condamnée 
par  la  bulle  est  avant  toute  autre  chose  indispensable  à  l'âme,  au  lieu  que  tu 
peux  te  passer  du  sacrement.  Jésus-Christ,  véritable  évêque,  saura  bien  te 
nourrir  lui-même  spirituellement  de  son  sacrement.  • 

'  Voy.  DOLLINGER,  Kirche  und  Kirchen,  p.  67.  Luther  eût  voulu  que  l'Église  se 
débarrassât  de  ses  primats  et  de  son  épiscopat,  qui  d'après  lui  ne  servaient  qu'à 
troubler  l'harmonie  établie  entre  les  peuples.  La  simple  prédication  devait  rem- 
placer le  culte  d'adoration  et  de  sacrifice.  Ceux-là  seuls  qui  restaient  igno- 
rants du  véritable  principe  de  la  doctrine  protestante  et  ne  comprenaient  point 
la  portée  du  mouvement  qui  se  produisait,  pouvaient  songer  à  une  entente, 
à  une  réconciliation  même  partielle  avec  lui. 

*  Sur  les  délibérations  reli;;ieuses  de  Worms,  consultez  les  ouvrages  suivants  ; 
Steitz,  Die  Milanchthon'i  und  Luther  Herbergen  tu  Francfort  am  Main.  Francfort,  1861. 
Dans  I  .\ppendice,  p.  47-62.  on  trouvera  les  dépêches  du  délégué  de  Francfort, 
Philippe  de  Furstemberg,  et  d'autres  actes  tirés  des  archives  de  Francfort. 
(.Malheureusement,  il  n'est  pas  rare  d'y  rencontrer  des  fautes  d'impression.)  — 
Hennés,  A/.  Luthers  Aufenthalt  in  U'ormn,  1521.  Mayence,  1868.  —  Waltz,  Der  ll'ormser 


DÉLIBÉRATIONS   RELIGIEUSES  A   LA   DIÈTE   DE   WORMS.   1521  157 

Dès  la  première  réunion  généiMle  des  états  (13  février  1521)  ', 
Aicandre  donna  lecture  à  l'assemblée  d'un  bref  papal  où  l'Empe- 
reur élait  requis,  si  l'unité  de  l'Kgiise  lui  était  chère,  de  donner  force 
de  loi,  par  un  édit  général,  à  la  bulle  d'excommunication.  Dans  un 
discours  qui  dura  plus  de  trois  heures,  Méandre  démontra  que  la 
doctrine  du  moine  augustin  non-seulement  ébranlait  l'Kgiise  jus- 
qu'en ses  fondements,  mais  encore,  au  point  de  vue  social,  renfer- 
mait les  germes  les  plus  subversifs.  Jadis  les  Bohèmes,  s'appuyant  soi- 
disant  sur  l'Évangile,  avaient  détruit  toute  obéissance,  anéanti  toute 
discipline;  cette  (ruvre  de  destruction,  Luther  et  ses  auxiliaires  vou- 
laient la  reproduire  en  Allemagne.  Luther  avait  été  jusqu'à  dire,  dan.s 
l'un  de  ses  écrits,  qu'il  allait  tremper  ses  mains  dans  le  sang  des 
prêtres.  <  Quelques-uns  sont  d'avis  de  faire  comparaître  Luther  à 
Worms,  et  prétendent  qu'il  serait  juste  de  lui  permettre  de  s'expli- 
quer. Mais  comment  entendre  les  raisons  d'un  homme  qui  déclare 
ouvertement  ne  vouloir  se  laisser  enseigner  par  personne,  fût-ce  par 
un  ange  descendu  du  ciel,  et  se  vante  de  désirer  l'excommunica- 
tion? Luther  en  appelle  au  concile,  et  déclare  en  même  temps  qu'il 
méprise  les  conciles,  et  que  celui  de  Constance  a  condamné  injus- 
tement Jean  Huss.  Les  essais  de  conciliation,  les  négociations  enta- 
mées avec  lui,  les  moyens  suggérés  par  l'indulgence,  tout  a  été  inu- 
tile, et  Luther  n'eu  est  devenu  que  plus  arrogant.  Il  ne  reste  donc 
qu'un  suprême  moyen  à  employer  :  c'est  de  porter  contre  lui  la 
sentence  du  ban  d'Empire,  qui,  suivant  la  constitution  allemande, 
est  la  conséquence  obligée  de  l'excommunication-.  » 

Le  discours  d'Âléandre  fit  une  impression  profonde  sur  tous  les 
assistants. 

Se  conformant  à  l'injonction  du  Saint-Père,  l'Empereur  soumit 
aux  états  l'édit  qu'il  se  proposait  de  publier  contre  Luther  et  ses 
adeptes.  Luther,  disait  ledit,  attaque  de  la  manière  la  plus  violente, 
par  ses  prédications  et  ses  livres,  le  Siège  apostolique,  les  décisions 
des  conciles,  la  foi  et  l'unité  de  l'Église.  Malgré  l'indulgence  dont  on 
a  usé  envers  lui,  il  persiste  audacieusement  dans  ses  erreurs.  Abusant 
du  caractère  sacerdotal  dont  il  est  revêtu,  il  trompe  la  simple  cré- 

Reichstag  und  seine  Beziehungen  zur  reformatorischen  Beilegung,  dans  les  Forschungen 
zur  deutschen  Geschichte,  t.  VFII,  p.  23-44.  —  MaüRENBRECHER.  Der  ll'ormser  Reichstag 
von  1521,  dans  les  Studien  und  Skizzen,  p.  241-273.  Les  dépèrhes  du  légat  Aleandre 
sont  aussi  extrêmement  intéressantes. 

'  Voy.  la  lettre  de  Phil.  de  Furstemberf;  dans  Steitz,  p.  47. 

'  Voy.  FÖRSTEM.VNN,  t.  I,  p.  30-35.  Aléandre  n'avait  pas  préparé  son  discours. 
C'est  d'après  ses  notes  et  les  instructions  qui  lui  avaient  été  données  que 
Palavicini  a  composé  plus  tard,  en  l'amplifiant  à  sa  guise,  le  prétendu  discours 
du  légat.  Palavicim,  ffist.  Conc.  Trid.,  t.  I,  cap.  xxv.  —  Voy.  Bucbholtz,  t.  I, 
p.  345.  Aléandre,  dans  ses  dépêches  à  Rome,  note  à  plusieurs  reprises  l'heureuse 
impression  produite  par  se"  discours. 


158  DELIBERATIONS   HELIGIEUSES  A  LA  DIETE  DE  WORMS.  1521. 

dulité  du  peuple;  il  renîraine  dans  de  nouvelles  et  condamnables 
hérésies,  il  l'excite  au  refus  d'obéissance,  et  même  au  meurtre,  et 
désigne  à  sa  haine  le  Pape,  le  clergé  et  toutes  les  autorités  consti- 
tuées, une  telle  attitude  intéressant  souverainement  la  foi,  le  Pape, 
comme  sa  fonction  lui  en  donnait  le  pouvoir,  avait,  à  plusieurs 
reprises,  sommé  Luther  de  comparaître  à  Rome.  Mais  voyant  que, 
loin  de  se  mettre  en  demeure  d'obéir,  il  continuait  à  enseigner  les 
doctrines  les  plus  opposées  à  la  croyance  de  TÉglise  et  aux  déci- 
.sions  des  conciles,  le  Pape  l'avait  déclaré  hérétique,  et,  comme  tel, 
l'avait  frappé  d'excommunication.  Suprême  défenseur  temporel  de 
la  chrétienté,  guidé  aussi  par  ses  propres  sentiments  de  religion, 
l'Empereur  était  fermement  résolu  à  protéger,  à  sauver  par  tous 
les  moyens  en  son  pouvoir,  la  sainte  foi,  les  décisions  et  les  défi- 
nitions de  rÉglise  et  des  Pères,  le  Pape  et  le  Siège  apostolique. 
Demander  de  nouvelles  explications  à  Luther  n'était  ni  convenable, 
ni  nécessaire.  S'il  refusait  d'abandonner  son  entreprise  et  de  se 
rétracter,  il  fallait  s'assurer  de  sa  personne.  L'Empereur  ordon- 
nait donc  que  ses  écrits,  sous  peine  du  ban,  fussent  interdits  dans 
tous  les  territoires  de  l'Empire;  il  exigeait  qu'ils  fussent  brûlés  et 
détruits,  puisqu'ils  ne  visaient  qu'à  ruiner  la  foi  et  qu'ils  excitaient 
le  peuple  à  la  révolte  et  même  au  meurtre,  conduisaient  au  mépris  de 
toute  autorité  ecclésiastique  ou  temporelle,  et  nuisaient  grandement 
au  bien  public.  Les  partisans  ou  protecteurs  de  Luther  seraient  con- 
sidérés à  l'avenir  comme  coupables  du  crime  de  lèse -majesté,  et 
punis  en  conséquence  '. 

Les  princes  et  électeurs  discutèrent  sept  jours  durant  ledit  impé- 
rial, et  l'on  en  vint  à  son  sujet  à  de  si  furieux  débats  que  l'électeur 
de  Saxe  et  Joachim  de  Brandebourg  furent  sur  le  point  d'en  venir 
aux  mains-.  Enfin  les  princes  parvinrent  à  se  mettre  d'accord,  et 
répondirent  à  Charles-Ouint  qu'évidemment  il  eût  pu,  sans  les  con- 
sulter, lancer  contre  Luther  l'arrêt  en  question,  mais  qu'en  agissant 
ainsi  il  eût  risqué  de  provoquer  en  Allemagne  un  terrible  incen- 
die. Ils  se  déclaraient  prêts  et  disposés,  de  concert  avec  l'Empereur, 
à  ne  rien  épargner  de  ce  qui  pourrait  contribuer  au  bien  de  l'Église 
et  de  l'État;  mais  ils  se  croyaient  obligés  de  rappeler  au  souve- 
rain quels  pensées,  rêves  et  désirs  les  prédications,  les  doctrines 

'  FÖRSTEMANN,  t.  I,  p.  55-56.  — Steitz,  p.  53-55. 

*  «  ...Liprincipi  per  sette  giorni  consuUoroDO  con  lanta  controversia,  che  le 
duc  Saxone  et  el  marchese  Brandenburgh  veunero  quasi  ad  manus,  et  sarebbe 
fatto,  se  non  se  fusse  messo  de  megjio  Saltzbur^jh  et  altri  che  vi  erano.  quod  a 
primordiis  Hlectoratus  ad  haec  usque  tempora  dicono  tutti  mai  esser  più  acca- 
duto,  con  stupore  omnium  et  pericolo  di  qualche  grande  tumulto.  •  Dépêche 
d'Aléandre  du  27  février  1521,  dans  Bal<i>,  p.  72.  —  Friedrich,  p.  Iû5.  —  Brie- 
GEB,  p.  "0. 


DELIBERATIONS  RELIGIEUSES  A   LA   lUKTE   DE  WORMS.  1521.  159 

c"  les  écrits  fie  Luther  avaient  fait  naître  parmi  le  peuple.  Quels 
Iniils  porteraient  ces  germes  dangereux,  si,  sans  entendre  Luther 
cl  sans  le  faire  comparaître  devant  la  diète,  on  prenait  envers  lui 
le  |)arti  de  la  rigueur'?  Les  princes  proposaient  de  le  mander  à 
Worms,  de  l'y  faire  accompa{;ner  par  une  sOrè  escorte  chargée  de 
le  conduire  et  de  le  ramener  dans  le  lieu  de  sa  détention  après  les 
interrogatoires,  puis  de  faire  choix  de  quelques  juges  compétents, 
cdairés,  ayant  mission,  non  de  discuter  avec  lui,  mais  simplement 
do  lui  demander  s'il  persistait,  oui  ou  non,  à  soutenir  les  écrits 
imblics  sous  son  nom  et  contraires  à  la  sainte  foi  chrétienne.  Dans 
le  cas  ou  il  se  montrerait  disposé  à  se  rétracter,  ses  juges  l'enten- 
diaient  sur  les  divers  points  de  sa  doctrine,  et  décideraient  selon 
r('(juité;  mais  s'il  répondait,  au  contraire,  que  sur  tous  ou  sur  quelques 
aiMcles  de  foi  définis  et  tenus  pour  dogmes  par  l'Église  et  les  saints 
!  Pères,  il  maintenait  ses  opinions  personnelles,  les  électeurs,  les 
princes,  les  Ordres  réunis,  de  concert  avec  Sa  Majesté  Impériale, 
sans  plus  longue  hésitation  et  s'en  tenant  à  ce  que  leurs  pères  et 
aucêfres  dans  la  foi  avaient  toujours  tenu  pour  vrai,  ne  songeraient 
plus  qu'à  prêter  main-forte  à  la  sainte  religion  du  Christ.  L'Empe- 
reur donnerait  à  cet  effet  les  ordres  nécessaires,  et  ferait  publier 
son  édit  et  sa  sentence  dans  tout  l'Empire. 

"  Mais  les  états  >;,  disaient  en  terminant  les  auteurs  de  l'adresse, 
«  en  soumettant  leur  avis  aux  réflexions  et  au  bon  plaisir  de  Sa 
Majesté,  la  suppliaient  très-humblement  de  daigner  se  souvenir  des 
charges  du  Saint-Empire,  de  ses  justes  griefs  envers  le  Saint-Siège 
et  des  nombreux  abus  dont  il  avait  à  se  plaindre,  afin  qu'il  y  soir 
remédié  par  des  mesures  équitables ^  '• 

L'Empereur,  ayant  pris  connaissance  des  représentations  des  états, 
demeura  extrêmement  circonspect  et  «  strictement  orthodoxe  dans 
son  attitude  •.  li  recommanda  aux  Ordres  de  ne  pas  confondre  la 
question  luthérienne,  qui  intéressait  directement  la  foi,  avec  les 
griefs  particuliers  que  le  Sainl-Empire  pouvait  avoir  contre  la  cour 
romaine.  Il  se  proposait  d'écrire  au  Pape  touchant  les  abus;  il  espé- 
rait parvenir  à  faire  disparaître  ceux  qui  existaient  réellement , 
priant  les  états  de  les  lui  signaler^  et  de  lui  donner  leur  appré- 
ciation et  leur  avis  sur  les  plaintes  que  l'Allemagne  croyait  avoir  à 
formuler  contre  le  Siège  apostolique  et  le  clergé.  L'Empereur  exami- 


■  Le  16  février  1521,  Christophe  Scheurl  écrivait  à  Hector  Pomer:  ■  Communes 
îamici  scribunt  (de  la  diète  de  Worms',  rem  respectare  ad  incredibilem  seditio- 
nem,  si  d.  Martinusinauditus  et  non  revictus  condemnetur,  nec  déesse,  qui  hune 
Icontra  quoscunque  defendere  velint  et  possint.  "  Briefbuch,  t.  II,  p.  \1i,  126. 
I«  ...Rem  spectare  ad  incredibilem  seditionem  populärem  contra  clericos.  > 

'Dans  FÖRSTEMANN,  t.  I,  57-58.  —  Steitz,  56-57. 

*  VOy.  FÖRSTEMAN.N,  t.  I,  p.  58. 


160  DÉLIBÉKATIOiVS  RELIGIEUSES  A  LA  DIÈTE   DE  WORMS.  1521. 

nerait  ensuite  un  à  un  tous  ses  griefs,  et,  de  concert  avec  les  Ordres, 
aviserait  à  les  faire  disparaître.  Mais  sur  les  décrétales  et  sur  l'au- 
torité du  Pape,  nulle  discussion  n'était  admissible,  et  Charles,  en  ces 
matières,  ne  regardait  pas  la  diète  comme  un  corps  compétent.  Si 
vraiment,  ajoutait-il,  les  états  désiraient  faire  comparaître  Luther 
en  leur  présence,  il  ne  serait  besoin  que  de  lui  adresser  une  seule 
question  :  Était-il,  oui  ou  non,  l'auteur  des  livres  condamnés?  S'il 
les  reconnaissait  pour  siens,  mais  se  montrait  disposé  à  les  rétracter, 
l'Empereur  s'emploierait  auprès  du  Pape,  afin  que  le  Souverain  Pon- 
tife, levant  l'excommunication,  l'admit  de  nouveau  dans  la  commu- 
nion des  fidèles;  si  au  contraire  il  s'obstinait  dans  ses  erreurs,  il  ne 
resterait  autre  chose  à  faire  que  de  le  traiter  en  hérétique,  et  de 
procéder  immédiatement  contre  lui'. 

C'est  dans  cet  esprit  que  fut  rédigée  la  citation  impériale  adressée 
à  Luther  (6  mai  1521).  L'Empereur  le  sommait  de  comparaître  à 
Worms  en  personne,  afin  d'y  fournir  des  explications  sur  sa  doc- 
trine et  ses  écrits.  «  Tu  n'as  à  redouter  ni  embûche,  ni  mauvais  trai- 
tement V,  lui  écrivait-il;  "  notre  escorte  et  notre  sauf-conduit  te 
protégeront.  Nous  comptons  sur  ton  obéissance;  si  tu  nous  la  refu- 
sais, tu  encourrais  aussitôt  la  rigueur  de  nos  jugements.  » 

L'Empereur  ayant  interrogé  les  états  sur  ce  qu'il  conviendrait 
de  faire  si  Luther,  ne  se  fiant  pas  au  sauf-conduit  impérial,  refu- 
sait de  se  rendre  à  Worms,  ou  bien,  une  fois  en  présence  de  la 
diète,  ne  consentait  pas  à  se  rétracter,  les  états  répondirent  qu'en 
ce  cas  il  ne  resterait  plus  qu'à  le  regarder  comme  hérétique,  et  à 
le  traiter  comme  tel.  "  Plaise  à  Dieu  ",  écrivait  Méandre  au  Pape, 
"  que  la  présence  de  Luther  à  Worms  soit  utile  à  la  paix  et  au  repos 
de  l'Église!  » 

Pendant  ce  temps,  le  confesseur  de  l'Empereur,  Jean  Glapion, 
Franciscain  austère,  se  donnait  toutes  les  peines  imaginables  pour 
déterminer  Frédéric  de  Saxe  à  arrêter  Luther  dans  la  voie  révolu- 
tionnaire où  il  s'engageait  de  plus  en  plus.  Il  le  conjurait  de  per- 
mettre ainsi  à  la  réforme,  telle  que  l'entendait  rE;;lise,  de  s'effec- 
tuer. Il  avait  déclaré  à  l'Empereur,  mandait-il  à  Frédéric,  que  Dieu 
le  châtierait  sévèrement,  lui  et  tous  les  princes  chrétiens,  s'il  ne 
songeait,  de  concert  avec  ces  derniers,  à  écarter  de  l'Église  les  nom- 

'  Aléandre  adresse  à  plusieurs  reprises  les  plus  grands  éloges  à  l'Empe- 
reur. Le  Pape,  écrit-il,  devait  tout  faire  pour  lui  complaire,  car  plusieurs 
de  ses  conseillers  inclinent  à  faire  servir  la  question  luthérienne  à  des  inté- 
rêts politiques.  C'est  dans  cette  pensée  «  qu'ils  temporisent,  afin  d'amener  le 
Pape  à  consentir  à  une  alliance  contre  le  roi  de  France  •.  Les  dépêches 
dAléandre  contiennent  à  ce  sujet  quelques  passages  importants.  Voy.  Mauren- 
BRECHEn,  Studien  und  Skizzen,  p.  263-264.  —  Lanz,  âctenslucke  und  Briefe,  Introduc- 
tion, p.  262;  EVERS,  cahier  7,  p.  158. 


à 


DÉLIBÉRATIOIVS  RELIGIEUSES  A  LA  DIÈTE   DE  WORMS,   1521.  IGl 

breux  et  criants  abus  qui  s'y  étaient  introduits.  Luther  était  le  fléau 
de  Dieu,  envoyé  par  le  Seijjneur  pour  châtier  les  iniquités  des 
hommes'.  L'Église,  ajoutait  (ilapiou,  pourrait  recueillir  de  bons 
fruits  de  quelques-uns  de  ses  écrits,  pourvu  que  l'on  prit  soin  de 
pousser  dans  le  port  toutes  les  bonnes  marchandises  de  son  bag^age; 
mais  un  chrétien  ne  pouvait  admettre  ses  doctrines,  surtout  celles  sur 
le  sacerdoce  universel  et  sur  l'abolition  de  l'autorité  ecclésiastique. 
Glapion  assurait  que  la  lecture  de  la  Captivité  babylonienne  de  l'Eglise 
lui  avait  causé  tant  de  douleur  qu'il  n'eût  pas  souffert  davantage  si 
quelqu'un  l'eût  fustigé  avec  des  lanières  de  la  tête  aux  pieds.  La 
Bible,  si  constamment  invoquée  par  Luther,  était,  disait-il,  sem- 
blable à  de  la  cire  molle  que  ron  peut  tirailler  et  étendre  en  tous 
sens.  Dès  qu'un  homme  se  croyait  autorisé  à  fomenter  l'erreur 
et  l'hérésie,  il  pouvait  Irès-aisément,  avec  quelques  textes  de  la 
Bible,  démontrer  des  choses  beaucoup  plus  singulières  que  les  prin- 
cipes avancés  par  Luther.  Glapion  signalait  avec  détail  les  articles 
que  Luther  aurait  à  rétr;icter  avant  de  travailler  avec  les  catholiques 
à  une  réforme  que  pourrait  approuver  l'Eglise,  réforme  pour  laquelle 
l'Empereur  se  montrait  extrêmement  zélé.  Si  par  malheur  la  vraie 
réforme  catholique  échouait,  et  si  le  désordre,  la  guerre  et  la  révolte 
continuaient  à  être  excités  en  Allemagne,  -  songeons  »,  disait-il, 
«  au  grand  sujet  de  joie  que  nous  donnerions  aux  souverains  envieux 
de  France,  d'Angleterre  et  des  autres  pays*  ». 

Glapion  traita  ces  points  et  beaucoup  d'autres  avec  le  chan- 
celier de  Saxe  Brück,  car  il  ne  put  jamais  obtenir  une  audience  de 
l'Électeur  ^ 

Luther,  à  qui  l'on  avait  communiqué  les  opinions  du  Franciscain, 
écrivait  à  Frédéric  le  19  mars  :  ><  Je  suis  prêt  à  témoigner  à  l'Église 
romaine  le  respect  le  plus  humble,  et  à  ne  lui  rien  préférer  au  ciel 
et  sur  la  terre,  si  ce  n'est  Dieu  même  et  sa  sainte  parole;  aussi  me 

'  '  ...Vil  maledicat  hominibus  et  ut  si  flagelliitn  propter  peccata.  • 
'  "  ...Visis   bellis  intestinis  inter  nos,    quae  vidèrent  utique  libentissime  et 
nihil  libcntius.  »  Sur  Glapion,  voy.  Baumgarten,  t.  I,  p.  390-391. 

^  Sur  les  négociations  de  Glapion  avec  Brück,  voy.  Forsteman\,  t.  I,  p.  36-54. 

—  Maurenbrecher,   Studien  und    Skizzen,   p.    258-261.  —    «Les  propositions  de 

Glapion  renferment  tout  le  programme  de  la  politique  impériale.  D'un  côté, 

il  fait  ressortir  la  nécessité  dune  réforme  religieuse;  il  avoue  que  les  prédi- 

j    cations  de  Luther  pourraient  la  servir,  mais,  d'autre  part,  il  maintient  avec  fer- 

j    meté  la  tradition,  les  antiques  fondements  de  l'Église,  se  séparant  compléte- 

I    ment  des  nouveautés  préchées  par  Luther  et  les  tenant  pour  hérétiques.  Il 

1    pensait  pouvoir  réussir  à  mettre  à  profit,  pour  le  bien  général  de  l'Église,  les 

I    récriminations    de    Luther,   tout    en    écartant    soigneusement    le    poison  de 

)    l'hérésie,  si  sa  tentative  eilt  réussi,  la  scission  religieuse  eût  peut-être  été  évitée, 

j    et  une  heureuse  réforme  se  serait  accomplie.  -  Mais,  à  en  croire  Maurenbrecher, 

'    !a  civilisation  générale  en  eût  été  retardée,  et  la  non-réussite  de  ce  plan  doit 

être  considérée  «  comme  un  grand  bonheur  pour  l'humanité  •. 

n.  1 1 


162  DÉLIBÉRATIONS  RELIGIEUSES  A  LA  DIÈTE   DE  WORMS.  1521. 

rétracterais-je  volontiers  là  où  mon  erreur  me  sera  clairement  dé- 
montrée'. '■  Mais  cinq  jours  plus  tard,  il  tenait  un  langage  tout 
différent  dans  une  lettre  adressée  à  un  ami  (24  mars  1521)  :  «  a 
Worms  ■',  écrivait-il,  >:  on  met  tout  en  œuvre  pour  me  décider  à 
rétracter  beaucoup  de  points  de  ma  doctrine.  Or  voici  quelle  sera  la 
teneur  de  ma  rétractation  :  Jusqu'à  présent,  j'ai  appelé  le  Pape  le 
représentant  de  Jésus-Christ;  maintenant  je  me  rétracte,  et  je  dis: 
Le  Pape  est  l'ennemi  de  Jésus-Christ,  le  Pape  est  l'apôtre  du  diable  *.  ' 

Méandre  reconnaissait  aussi  bien  que  Glapion  la  nécessité  des 
réformes.  Il  conjurait  le  Pape  d'abolir  les  trop  nombreuses  réserves 
et  dispenses  papales;  il  réclamait  l'observation  des  anciens  concor- 
dats, la  cessation  de  tous  les  graves  abus  qui  déshonoraient  la  cour 
romaine,  le  rétablissement  en  tous  lieux  de  la  discipline  ecclé- 
siastique^; il  demandait  qu'on  mit  un  frein  à  la  rapacité  des  -  chas- 
seurs de  bénéfices  ".  -  La  plus  grande  pierre  de  scandale  pour  les 
pauvres  âmes  «,  avouait  franchement  le  duc  Georges  de  Saxe,  adver- 
saire déclaré  de  Luther,  dans  un  cahier  de  doléances  sur  les  abus 
ecclésiastiques  présenté  à  la  diète  sur  la  demande  de  l'Empereur, 
i'  ce  sont  les  mœurs  du  clergé.  Aussi  une  réforme  universelle  est-elle 
urgente,  et  la  meilleure  manière  de  l'effectuer  serait  la  réunion 
d'un  concile  général.  >■  Georges  énumérait  ensuite  les  principaux 
griefs  de  la  nation  contre  le  Saint-Siège  :  les  annates,  la  vente 
des  dispenses,  le  pernicieux  système  des  commendes,  la  multiplicité 
regrettable  des  indulgences,  etc.  *.  «  Tout  le  monde  s'accorde  à 
déplorer  ces  abus  •,  écrivait  le  chanoine  Charles  de  Bodman  à 
Rome,  «  depuis  l'Empereur  jusqu'au  dernier  de  ses  sujets.  Tous  se 
révoltent  contre  les  sommes  toujours  plus  exorbitantes  réclamées 
pour  le  pallium.  Au  sein  de  la  diète,  ces  plaintes  trouvent  un 
immense  écho'.  « 

Une  commission  nommée  à  cet  effet  dressa  la  liste  générale  des 


'  De  Wette,  t.  I,  p.  575. 

«  De  Wette,  t.  I,  p.  580. 

»  .  Ben  supplice  per  amor  di  Dio,  et  cosi  fanno  tutti  li  orthodoxi,  che  si  metta  , 
fine  a  tante  reserve  et  dispense  el  derogationi  de  concord.Ui  di  Alemagna  coin-  \ 
posilioni  et  altre  simili  no\elle-  -  -  ...Tidl.U  SS'  '  D.  N.  e  curia  sua  eas  errores 
quibus  merito  Deus  et  hoinines  offenduntur,  et  quantum  ejus  vires  et  aucto-  j 
ritas  patiuntur  clerumsiln  toto  terrarum  orbe  subditum,  monendo,  increpando, 
etiam  sacerdotiis  privando  castiget.  Id  si  serael  Germani,  quum  in  nostiis,  tum  j 
in  suis  sacerdotibus  factura  videant.  nulla  postliac  de  Lutliero  fiet  mentio.  Itaque  ; 
in  nobis  ipsis  omnium  malorum  origo  pariter  ac  medela  sila  est.  »  —  Voyez  cei 
rapport  dans  Friedrich,  p.  Ü6-99.  —  Voyez  aussi  l'appréciation  d'ALÉANDi\E,  p.  89.  i 
—  Balan,  p.  33.  —  Brieger,  p.  30,  43.  —  Les  passages  recueillis  par  Jansen  dansi 
les  dépêches  d'Aléandre  prouvent  que  ce  dernier  ne  négligeait  rien  pour  com-; 
battre  par  des  dons  et  des  faveurs  les  progrès  de  l'iiérésie. 

*  Voy.  FÖRSTEMANN,  t.   I,  p.   62-64. 

*  *   Codex    Trierer  Sachen  und  Brief/cha/ten,  œUVres  poSthumes   du  chanoine   de 


DKLIBÉlUrrONS  RELiGIEUSKS  A   LA   DIKTE   DK   WORMS.  1521.  16:î 

griefs  de  la  nation  contre  le  Saint-Siège  et  des  plaintes  formulées 
de  tous  côtés  contre  les  archevêques,  les  évoques,  les  Ordres  reli- 
gieux et  le  clergé  eu  général.  On  se  plaignait  particulièrement  : 
jdes  sentences  prononcées  par  les  tribunaux  ecclésiastiques  dans  des 
'questions  purement  tem|)orelles;  des  nombreux  bénéfices  conférés  à 
des  personnes  incapables;  des  sentences  d'excommunication  rigou- 
reusement portées  pour  de  puérils  griefs;  de  l'interdit  frappant 
quelquefois  contrairement  à  toute  équité;  du  fréquent  abandon  où 
les  curés  laissaient  leurs  paroisses;  du  refus  des  évoques  de  réunir  et 
de  présider  les  synodes,  bien  que  les  prescriptions  du  droit  canon 
leur  en  fissent  un  devoir;  de  la  liberté  excessive  laissée  aux  Frères 
I mendiants;  des  aumônes  en  nature  recueillies  par  ces  Frères  en  trop 
grande  abondance;  de  l'ambition  excessive  des  Bénédictins,  des  Ber- 
nardins, des  Prémontrés,  qui,  non  contents  de  leurs  immenses  pos- 
!  sessions,  acquéraient  tous  les  jours  des  biens  laïques,  et  devenaient 
ainsi  démesurément  riches'. 

'  Ce  volumineux  dossier  fut  soumis  à  l'examen  de  la  diète.  Le  délé- 
gué du  Neubourg-Palatinat  écrivait  à  ce  propos  :  «  C'est  mainte- 
nant que  nous  pouvons  constater  l'influence  que  Luther  et  Hütten 
ont  exercée  sur  les  états,  sans  parler  du  tort  que  leurs  écrits  ont 
jfait  à  la  foi  ^  >; 

Xanten,  Pelz,  fol.  27.  On  trouve  encore  dans  ce  recueil,  fol.  28-39,  sept  lettres 
inédites  de  Bodmann,  datées  en  partie  de  Worms  (années  1521-1524). — Les  sommes 
prélevées  par  Rome  à  l'occasion  de  la  promotion  des  évêques  variaient  beau- 
coup d  importance.  En  1484,  l'archevêque  de  Mayence,  Rerthold,  verse  en  tout, 

;y  compris  les  gratifications  offertes  aux  divers  personnages  de  la  chancellerie, 
14, .300  ducats,  tandis  que  le  second  de  ses  successeurs  envoie  à  Rome  en  1508 
21,000  florins.  —  Voy.  ces  comptes  dans  Aschenberg,  Niderrheinische  Blätter 
(Dortmund,  1801,  t.  I,  p.  295-301).  —  Dans  son  .aperçu  général  sur  Fhisloire  de 
Mayence  [eu  manuscrit  à  la  biblioth.  du  château  d'Aschaffenbourg,  feuille  44), 
Wimpheling  rapporte  que  George  de  Gemmingen,  frère  de  l'archevêque  Uriel, 
lui  écrivait  :  «  Ipsum  (Uriel)  soUicilum  esse  de  grandi  acre  Fuccaris  Augustanis 
(quod  ad  urbem  mutuarant)  reslituendo.  Tanla  summa  novies  iam  aetate  mea 

(illuc  a  Germanis  ex  une  tantum  archiepiscopatu  eva-^uit.  »  L'archevêque  de 
Cologne,  Hermann  de  Wied,  racontait  «  quod  pro  suo  pallio  Romam  miserit  ad 
lrii;inta  sex  millia  aureorum  solidorum  ».  —  Vakuentrapp,  p.  48,  note  2.  — 

Dans  l'archevêché  de  Brixeii,  les  annales  se  montaient  5  environ  7,000  florins.  — 
SiNNACiiER,  t.  VII,  p.  263.  On  voit  par  l'exemple  de  Ratisbonne  coml)ien  le& 
sommes  réclamées  étaient  devenues  plus  fortes  dans  quelques  évêchés  pendant 
le  cours  du  quinzième  siècle.  L'administrateur  .Jean  II,  pour  la  confirmation  de 
son  élection  par  le  Pape  (1507),  dut  payer  1,40)  florins,  tandis  que  Jean  I",  son 
prédécesseur,  à  la  fin  du  quatorzième  siècle,  n'avait  eu  à  verser  que  12  florins 

jd'or.  Gemeiner,  t.  IV,  p.  132. 

I     '   Articul  damit  bapstliche   heyligkeit    tetctsche  land  beschwürt.   —  liesckwerd  von  den 

^erzbicho/en,  pischo/en  und  pridalen  allain.  —  Von  ertzpricslern,  officialen  und  andern  geist 
lichen  richtern  und  gerichtspersonen.  —  Lundi  après  Jubilate  (22  avril).  Etlliche  beschwe- 
runge  tewtscher  nation  vom  stule  zu  Rom.  —  Frankfurter  Rcichstagsacten,  t.  XXXIV, 
fol.  303-391.  —  Pour  plus  de  détails,  voy.  Gebhardt,  Die  Gravamina  der  deutschen 
Nation  gegen  den  römischen  Hof,  Breslau,  1884. 
-  Dans  Waltz,  p.  32. 

11. 


J64  AGITATION    REVOLUTIONNAIRE.    1521. 

Quant  à  l'Empereur,  «  il  se  montrait  plus  préoccupé  de  la  réforme 
des  abus,  plus  soucieux  de  mettre  fin  aux  scandales  qui  se  produi- 
saient dans  rÉglise  que  pas  un  de  ses  sujets  «,  et  nul  ne  pou- 
vait mettre  en  doute  le  zèle  ardent  dont  était  animé  Adrien  VI, 
élevé  depuis  un  an  sur  le  trône  pontifical.  A  aucune  période  de 
riiisfoire  d'Allemagne,  une  véritable  réforme  de  l'Église,  dans  son 
chef  comme  dans  ses  membres,  n'eût  eu  plus  de  chance  de  réussir, 
si  elle  avait  pu  s'effectuer  sans  trouble  et  sans  violence,  dans  une 
heureuse  communauté  d'action  avec  les  pouvoirs  spirituels  et  tem- 
porels, et  dans  cette  union  de  toutes  les  classes  de  la  nation,  si  sou- 
vent recommandée  par  l'Église. 

Mais,  dès  la  diète  de  Worms,  tout  annonce  la  révolte  et  la  guerre. 
Dans  la  ville  même,  tout  est  dérèglement  et  anarchie.  "  Il  n'y  a 
pas  de  nuit  ",  écrivait  de  ^Vorms,  le  7  mars,  Dietrich  Butzbach,  ^  où 
trois  ou  quatre  hommes  ne  soient  assassinés.  Le  prévôt  de  l'Empe- 
reur a  déjà  fait  noyer,  pendre  ou  décapiter  plus  de  cent  hommes.  » 
«  Les  jeûnes  ne  sont  pas  observés  ;  on  se  bat,  on  se  livre  à  la  débauche, 
on  mange  de  la  viande,  des  gigots  fins,  des  poulets,  des  pigeons, 
des  œufs,  du  lait,  du  fromage;  enfin,  on  mène  une  telle  vie  qu'oo 
se  croirait  dans  la  montagne  de  Vénus.  •■  "  Sachez  aussi  que  beau- 
coup de  seigneurs  et  d'étrangers  succombent  à  la  suite  d'excès  de  j 
boisson".  » 

Depuis  son  discours  du  13  février,  la  vie  d'Aléandre  n'était  plus  | 
en  sûreté.  Il  ne  pouvait  se  montrer  dans  les  rues  sans  être  injurié  j 
par  la  populace  et  poursuivi  de  menaces  de  mort.  Pour  Luther,  il  j 
était  partout  célébré  comme  un  nouveau  Moïse,  comme  un  second  j 
saint  Paul.  Un  de  ses  partisans  disait  eu  plein  marché,  devant  la  j 
foule  assemblée,  que,  nouveau  Père  de  l'Église,  il  était  plus  grand  j 
que  saint  Augustin.  Ce  dernier  avait  gravement  péché,  il  avait  pu  se  j 
tromper,  et  il  s'était  effectivement  trompé;  Luther,  au  contraire,  j 
étant  sans  péché,  n'avait  jamais  erré.  On  vendait  publiquement  ces  j 
feuilles,  déjà  répandues  depuis  longtemps,  où  Luther  était  repré-  ; 
sente  la  tête  couronnée  d'une  auréole,  et  le  Saint-Esprit  planant  au- 
dessus  de  sa  tête  sous  la  forme  d'une  colombe  ^  On  propageait  le^ 
portraits  de  Luther  et  de  Hutlen,  -  ces  communs  champions  de  la 
liberté  chrétienne'  >'.  Les  luthériens  avaient  établi  à  Worms  une 
imprimerie  uniquement  destinée  à  reproduire  des  pamphlets  contre 

'  Worms,  1521  (jeudi  après  Oculi,  7  mars),  dans  Goldast,  Politische  P.eiclu-handd. 
p.  940-941. 

*  Voy.  plus  haut,  p.  120,  note  l . 

'  '  ...Et  lo  vendano  et  basciano  et  portano  nel  palazzo...  non  è  più  quella 
Cattolica  Germania  che  olim  era,  purch  non  vediamo  peggio,  quod  Deus  aver- 
tat.  '  Dépêche  d'Aléandre.  dans  Friedrich,  p.  99.  —  Balan,  p.  40.  —  Brieger. 
p.  40-41. 


ANXIÉTÉ    DES    ESPRITS    A    WORMS.    1521.  165 

l'Église'.  TJu  manifeste  de  Huden,  ainsi  que  d'innombrables  libelles 
remplis  de  sarcasmes  et  de  mépris  jx^ur  les  adversaires  de  Luther, 
couraient  de  main  en  main.  De  son  château  d'Ebernbourg,  Hütten 
adressait  aux  légats  des  lettres  grossières  et  menaçantes;  il  les  dési- 
gnait à  la  haine  populaire  comme  les  plus  léroccs  brigands,  comme 
les  imposteurs  les  plus  éhoutés.  «  .le  mettrai  tout  mon  zèle  »,  écri- 
vait-il à  Aléandre,  «  je  ferai  tous  mes  efforts,  j'emploierai  toute  mon 
énergie  pour  que  bientôt  lu  ne  sois  plus  qu'un  cadavre,  et  pour  qu'on 
pousse  bientôt  dehors  ta  dépouille  sans  vie,  car  lu  es  venu  vers  nous 
plein  de  rage,  de  délire  et  d'iniquité  ■•!  »  Il  accable  des  plus  violents 
outrages  les  princes  de  l'Église,  les  hauts  dignitaires  ecclésiastiques 
présents  à  la  diète.  11  les  appelle  les  mauvais  génies  de  l'Empereur, 
et  les  déclare  souillés  de  tous  les  crimes  imaginables.  «  Tenez-vous 
loin  des  sources  limpides,  pourceaux  impurs!  sortez  du  sanctuaire, 
marchands  pervers!  Ne  sentez-vous  pas  le  souffle  de  la  liberté  qui 
passe?  ne  voyez-vous  pas  que  les  hommes,  las  de  l'état  de  choses 
actuel,  cherchent  à  en  établir  un  nouveau?  Je  pousserai,  j'aiguillon- 
nerai, j'éperonnerai,  j'entraînerai  vers  la  liberté!  »  «Il  estimpossible 
qu'un  homme  possédant  une  ombre  de  courage  »,  dit-il  ailleurs, 
«  puisse  désormais  contenir  son  indignation!  Tous  vont  s'élancer 
vers  l'ennemi  commun  pour  l'assaillir  avec  violence,  tous  vont  lui 
préparer  la  ruine  et  la  mort  M  »  Hütten  va  même  jusqu'à  proférer 
des  menaces  contre  l'Empereur  :  «  Nous  espérions  »,  dit-il  dans  une 
adresse  à  Charles-Quint,  «  que  tu  nous  délivrerais  du  joug  romain,  que 
lu  détruirais  la  tyrannie  du  Pape.  Fassent  les  dieux  que  quelque 
chose  de  meilleur  que  tes  commencements  vienne  bientôt  nous  con- 
soler! Mais  si  l'Empereur  laissait  se  consommer  la  honte  de  l'Alle- 
magne, les  Allemands  sauraient  agir,  au  risque  de  l'offenser  momen- 
tanément *.  " 

Une  eflTayanle  agitation  ne  tarda  pas  à  s'emparer  des  esprits. 
De  tous  côtés  on  répétait  qu'un  grand  coup  allait  être  porté  au 
clergé,  et  que  les  chevaliers  allaient  mettre  la  main  sur  tous  les  biens 

'  ■^  ...Eliam  in  aula  Ca>saris  ",  écrit  Aléandre,  «  chè  chi  e  cosa  stupenda  corne 
sono  uniti  et  trovano  in  cuinulo  danari.  « 
'  *  BÖCKING,  Ulr.  Hutteni  Op.  II,  p.  12-21. 

'  «  ...Ouis  vel  mediocriter  fortimn  potest  continere  se,  quin  impetu,  vi  et  vio- 
ientia  invadat  vobisque  ctedem  et  evitium  moliatur.  "  —  Bocking,  t.  II,  p.  21-34. 
Hulten  termine  sa  lettre  par  la  menace  suivante  :  «  Certe  profecto  innocentis 
|Viri  (Luther)  damnationi  capita  vestra  consecrata  sciatis.  »  Il  est  clair  que  Luther 
léprouvait  une  vive  satisfaction  de  la  publication  de  ces  lettres  «  ad  pileos  istos 
jet  gaieritas  upupas  -.  —  Voy.  de  Wette,  t.  II,  p.  9. 

\  *BöcKiNG,  t.  II,  p.  38-46.  —  STRAUSS,  t.  II,  p.  178-180.  L'ambassadeur  anglais 
Tonstall  écrit  de  Worms  à  Henri  VIII  que  Luther  a  offert  à  l'Empereur,  dans 
|le  cas  où  celui-ci  consentirait  à  marcher  (  outre  Rome,  démettre  sur  pied  une 
iarmée  de  cent  mille  hommes.  —  Fides,  Life  of  Wohey,  2«  édit.,  p.  231.  —  Voy. 

jW'ALTZ,  p.  32. 


166  LUTHER    EN    ROUTE    POUR    WORMS.    1521. 

ecclésiastiques.  Les  rapports  d'Aléandre  témoignent  de  la  perpétuelle 
anxiété  où  Ton  vivait  à  Worms.  Chacun  se  croyait  à  la  veille  de 
quelque  hardi  coup  de  main;  on  craignait  que  le  parti  de  la  révolu- 
tion n'envahit  le  lieu  des  séances  de  la  diète.  Une  tentative  de  ce 
genre  était  d'autant  plus  à  redouter  que  l'Empereur  était  sans  défense, 
sans  armée  pour  le  protéger.  "  Au  fond  ",  écrit  Aléandre,  '  Sickin- 
gen  est  maintenant  le  véritale  maitre  de  l'Allemagne,  car  il  a  des 
hommes  d'armes  quand  et  comme  il  veut,  et  l'Empereur  n'en  a 
point.  »  '  Les  princes  restent  inactifs,  les  prélats  tremblent,  et  se 
laissent  circonvenir  comme  des  lapins.  "  «  La  noblesse  appauvrie, 
mais  forte  en  nombre,  est  aux  ordres  de  Sickingen,  et  prête  à  le 
seconder  dans  toutes  ses  entreprises.  En  vérité,  dans  les  circon- 
stances actuelles,  Sickingen  est  l'effroi  de  toute  l'Allemagne.  Tous 
semblent  impuissants,  et  sont  comme  paralysés  à  son  aspect.  « 

C'est  dans    un  tel  état  de  choses  que  Luther  était  attendu  à 
Worms'. 


IV 


Luther  avait  quitté  Wittemberg  le  2  avril.  Quatre  jours  plus  tard, 
il  était  reçu  "  comme  un  triomphateur  «par  le  parti  des  humanistes, 
qui  lui  était  entièrement  dévoué.  "  Réjouis-toi,  noble  cité  d'Erfurt, 
couronne-toi  comme  aux  jours  de  fête!  »  s'écriait  Eoban  Hessus  à  la 
nouvelle  de  son  arrivée;  «  car  regarde,  le  voici,  celui  qui  vient  te 
déhvrer  de  l'opprobre  sous  lequel  tu  as  gémi  trop  longtemps,  celui 
qui,  le  premier,  saisissant  le  hoyau  de  fer,  a  détruit  l'ivraie  empoi- 
sonnée qui  envahissait  le  champ  du  Christ!  «  Eoban  fait  intervenir  la 
Gera  pour  célébrer  Luther;  le  fleuve  apporte  ses  hommages  à  l'At- 

1  Dépêche  d'Aléandre  dans  Friedrich,  p.  126,  127, 128—  Balan,  p.  160.—  Brie- 
GER,  p.  125,  134.  —  Glapion  et  le  chambellan  impérial  Paul  Armerstorff  furent 
députés  au  château  d'Ebernbourg.  Ce  dernier  avait  mission  d'offrir  à  Hütten 
de  la  part  de  l'Empereur  une  pension  de  400  florins  d  or,  pourvu  qu'il  consentit 
à  se  taire  à  l'avenir.  Il  était  aussi  charj^é  de  faire  une  dernière  tentative  de 
conciliation  vis-à-vis  de  Luther.  Sickingen  envoya  donc  au-devant  de  Luther 
Martin  Bucer,  le  moine  apostat;  Luther  s'était  déjà  mis  en  route  et  s'était 
arrêté  à  Oppenheim;  Bucer  l'invita  à  venir  à  Ebernbourg,  où  Glapion  l'atten- 
dait. Mais  Luther  déclina  l'invitation.  —  Voy.  Ulmann,  p.  179-181.  —  Mauren- 
BRECHER,  Studien,  und  Skizzen,  p.  267-268,  et  Katholische  Reformation,  t.  I,  p.  192-193, 
397.  —  Luther  lui-même  a  rapporté  la  réponse  qu'il  fit  à  Martin  Bucer  :  '  Si  le 
confesseur  de  l'umpereur  a  quelque  chose  à  me  dire,  il  peut  tout  aussi  bien 
venir  me  trouver  à  Worms.  »  Sammtl.  Werke,  t.  LXIV,  p.  368.  Aléandre,  ainsi 
que  le  prouvent  ses  dépêches,  ignorait  le  véritable  but  de  la  missiou  de  Gla- 
pion et  d'Armerstorff  au  château  d'Ebernbourg. 


LUTHER    PRECHE    A    ERFURT.    1521.  »67 

tendu,  au  Triomphateur,  à  celui  qtii  saura  vaincre,  s'il  le  faut,  l'uni- 
vers enlier.  Crotus  Rubiaiius,  alors  recteur  de  l'Université,  accom- 
pagné de  quarante  professeurs  et  suivi  d'une  {"rande  foule  de  peuple, 
alla  au-devant  du  «  héros  de  ri<:vannile  >'  à  une  distance  de  trois 
milles  d'Erfurt.  Dans  sa  harangue,  il  appelle  Luther  le  '  juge  de 
l'iniquilé  > ,  et  il  assure  (pi'en  contemplant  ses  traits,  lui  et  ses  amis 
croient  avoir  devant  les  yeux  une  «  apparition  divine'  ". 

Le  jour  suivant,  Luther  prêcha  dans  l'église  des  Augustins,  au 
milieu  d'un  grand  concours  de  peuple.  «  Les  Athéniens  ne  furent 
pas  remplis  de  plus  d'étonnement  en  écoutant  le  langage  de  Dé- 
raosthène  »,  dit  à  propos  de  ce  sermon  l'emphatique  Eoban;  «  Rome, 
assise  aux  pieds  de  son  grand  orateur,  n'eut  jamais  plus  de  joie; 
saint  Paul  n'a  pas  remué  davantage  les  esprits  par  son  éloquence,  que 
Luther,  par  ses  paroles,  les  habitants  des  rivages  de  la  Gera.  "  Voici 
quelques  passages  de  ce  sermon  :  «  L'un  bâtit  des  églises,  l'autre  entre- 
prend un  pèlerinage  à  Saint-Jacques  ou  à  Saint-Pierre,  le  troisième 
jeûne  et  prie,  porte  le  froc,  marche  nu-pieds...  mais  de  telles  œuvres 
ne  sont  rien,  il  les  faut  abolir.  Oui,  remarquez  bien  ces  paroles  : 
Toutes  nos  œuvres  n'ont  aucune  efficacité.  «  Je  suis  moi-même  votre 
"justification",  dit  le  Sauveur  Jésus;  «j'ai  détruit  les  péchés  que  vous 
«  aviez  sur  vous;  donc,  croyez  seulement  que  je  suis  l'auteur  de  votre 
'<  rédemption,  et  vous  serez  justifiés.  »  «  Aussi,  lorsque  nous  venons 
de  commettre  quelque  péché,  ne  devons-nous  point  nous  hâter  de 
nous  désoler,  mais  dire  plutôt  au  Seigneur  :  Tu  vis  encore,  Jésus- 
Christ,  mon  Seigneur!  tu  as  détruit  le  péché!  Et  aussitôt  notre 
péché  disparaîtra.  »  «  Ne  faisons  aucun  cas  de  la  loi  humaine;  que 
le  Pape  nous  excommunie  si  bon  lui  semble,  que  nous  importe? 
Nous  sommes  unis  à  Dieu  de  telle  sorte  que  nous  bravons  toutes  les 
calamités,  excommunication,  proscription,  etc.  »  Luther  attaque  de 
nouveau,  dans  ce  discours,  l'intolérable  joug  du  papisme,  et  ce  clergé 
cruel  "  qui  mène  paître  les  brebis  à  peu  près  comme  les  bouchers, 
la  veille  de  Pâques,  conduisent  les  moutons  à  l'abattoir;  car  sur 
trois  mille  prêtres,  on  n'en  saurait  trouver  quatre  de  justes  -  ». 

Taudis  qu'il  parlait,  au  rapport  de  ses  disciples,  son  premier 
miracle  se  produisit.  Dans  l'église  comble,  un  grand  bruit  se  fit 
soudain  entendre;  les  assistants  se  troublèrent,  et  le  désordre  se  mit 
dans  l'assemblée.  Mais  Luther  le  fit  cesser  d'un  mot  :  «  Mes  chères 

'  Voy.  Kampschulte,  t.  II,  p.  95-97.  —  Swertzell,  p.  32-33.  —  Eoban  compare 
Luther  à  Érasme  : 

Ante  quidem  Tidit  mundoque  ostendit  Erasmus, 

Sacula  quo  cernunt  doctius  ista  nihil. 
Quam  fecitse  igitur  velut  est  missus  ottendiste, 

Lutberus  meriti  grandius  instar  habet. 

^Sämmtl.  Werke,  t.  XVII,  p.  98-104. 


168  ÉMEUTE    POPULAIRE.    152 1. 

âmes  -,  dit-il,  «  c'est  le  diable  qui  nous  donne  une  fausse  alerte, 
tranquillisez-vous,  il  n'y  a  aucun  danp,er!  ■■  Ensuite  il  menaça  le 
démon,  dit  un  chroniqueur,  «  et  le  silence  se  rétablit  aussitôt  n. 
«  Ceci  est  le  premier  miracle  que  fit  Luther  »,  dit  une  autre 
narration,  »  et  ses  disciples  s'approchèrent  de  lui,  et  ils  le  ser- 
vaient'! ); 

Ce  qui  ne  fut  pas  un  miracle,  c'est  l'incendie  qu'allumèrent  les 
prédications  ardentes  de  Luther  dans  une  population  où  couvait 
depuis  lonfjtemps  la  haine  la  plus  passionnée  pour  le  clergé.  Luther, 
il  est  vrai,  n'avait  pas  souhaité  un  semblable  incendie,  mais  il  sortit 
malgré  lui  et  tout  naturellement  du  germe  qu'il  avait  semé  *. 

Dès  le  jour  qui  suivit  son  départ  d'Erfurt,  une  "  tempête  de 
prêtres  »  [Pfajfensturm)  éclata  dans  la  ville.  La  populace,  pactisant 
avec  une  bande  d'étudiants  débraillés,  pénétra  dans  les  maisons  des 
chanoines,  et  satisfit  sa  rage  longtemps  contenue,  en  pillant  le  bien 
des  prêtres,  «  acquis  par  la  sueur  et  le  sang  des  pauvres  ".  «  Les 
émeu tiers  »,  rapporte  un  témoin  oculaire,  «  brisèrent  toutes  les 
fenêtres,  démolirent  les  poêles  dans  les  chambres,  arrachèrent  les 
boiseries,  fendirent  les  précieuses  tables  de  mosaïque,  et  jetèrent 
des  monceaux  de  débris  dans  les  rues,  ainsi  que  toutes  sortes  de 
provisions  alimentaires.  »  Les  chanoines  ne  purent  échapper  aux 
mauvais  traitements  qu'en  se  hâtant  de  prendre  la  fuite.  Le  conseil 
de  la  ville  regarda  tranquillement  ces  premiers  fruits  du  nouvel 
Evangile.  Crotus  Rubianus,  trouvant  que  la  mutinerie  des  étudiants 
devenait  trop  difficile  à  contenir,  mais  n'osant  toutefois  infliger 
aucun  châtiment  aux  coupables,  se  démit  de  sa  charge  de  recteur,  et 
quitta  la  ville.  Quant  à  l'ami  de  Luther,  l'Augustin  Jean  Lange,  il 
soutenait  qu'il  était  légitime  «  de  défendre  l'Évangile  par  le  glaive  ^  ». 

Le  16  avril,  Luther  et  ses  amis,  parmi  lesquels  se  trouvait  l'huma- 
niste .luste  Jonas,  arrivèrent  à  Worms,  fermement  résolus  à  braver 
'-  toutes  les  portes  de  l'enfer  et  tous  les  princes  de  l'air  ».  «  Récitez 
un  Pater  pour  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  »,  disait  Luther  pendant 
le  voyage  au  supérieur  des  religieux  de  Rheinhartsbrunn  (Thuringe). 
'  Priez  pour  que  son  Père  lui  soit  favorable,  car,  s'il  fait  triompher 
sa  cause,  la  mienne  est  gagnée  M  »  Il  écrivait  à  Spalatin  :  «  Nous 

'  Voy.  sur  ce  «  miracle  »  et  sur  un  autre  tout  seraljlable  qui  se  produisit  plus 
tard  à  Gotha  pendant  un  sermon,  les  détails  fournis  par  Kampschulte,  t.  Il, 
p.  98,  note  5. 

*  •  N.;ni  etsi  bonum  est  -,  érrivait-ii  à  ce  propos  à  Mélanchthon  en  mai  152;, 
«  incessabiles  illos  impies  cocrreri,  ^noikis  tarnen  iste  Evan^jelio  nostro  parit  et 
infamijm  et  justam  repubaiii.  =  De  Wette,  t.  II,  p.  7-8. 

3  Pour  plus  de  détails  sur  l'émeute  et  ses  causes,  voy.  Kampschulte,  t.  II, 
p.  106-123.  Voy.  le  petit  poëme  intitulé  :  font  Pfaffenstûrmen  zu  Erfurt,  dans 
Lilienkron,  t.  III,  p.  366-368.  —  Voy.  Ku.\USE,  t.  I,  p.  329. 

*  Dans  IIatzeberger,  p.  50. 


LUTHER    DEVANT    LA    DIÈTE.    1521.  169 

sommes  décidés  à  faire  reculer  Satan,  et  nous  méprisons  ses  embû- 
ches '.  » 

Mais  amené  pour  la  première  fois  en  présence  de  l'Empereur  et  de 
la  diète  (17  avril),  Luther  ne  parait  pas  avoir  conservé  cette  assu- 
rance pleine  de  fermeté.  Lor.squ'on  lui  demanda  s'il  avouait  être 
l'auteur  des  livres  condamnés,  il  répondit  affirmativement;  mais  à  la 
seconde  question  qui  lui  fut  adressée  :  «  Consentez-vous  à  les  rétrac- 
ter? »  il  demanda  du  temps  pour  réfléchir.  «  Il  parlait  presque  à 
voix  basse  »,  rapporte  Philippe  de  Furstemberjj,  «  d'un  ton  calme 
et  comme  résigné,  de  sorte  qu'on  pouvait  difficilement  l'entendre, 
même  en  se  tenant  tout  proche  de  lui.  Il  semblait  éprouver  de  l'effroi 
et  du  trouble*.  »  L'Kmpereur  et  les  états  répondirent  «  que  bien 
que  par  le  mandat  qui  lui  avait  été  adressé  il  dût  être  suffisamment 
instruit  des  causes  de  son  appel  à  Worms,  et  par  conséquent  ne  dût 
pas  avoir  besoin  de  beaucoup  de  temps  pour  réfléchir,  l'Empereur, 
dans  son  indulgente  bonté,  voulait  bien  lui  accorder  un  jour  encore 
pour  songer  à  sa  réponse  ". 

Dès  la  première  audience,  Hütten,  d'Ebernbourg,  saluait  en  Luther 
un  invincible  évangéliste,  exhortant  «  son  saint  ami  "  à  demeu- 
rer inébranlable.  «  Prends  courage  et  sois  fort!  Tu  vois  les  grandes 
choses  qui  dépendent  de  toi!  Je  m'attacherai  à  toi  jusqu'au  dernier 
souffle,  si  tu  restes  fidèle  à  toi-même.  Je  tenterai  même  les  choses 
les  plus  effroyables  pour  notre  cause,  car  j'espère  que  le  temps  est 
venu  où  le  Seigneur  va  nettoyer  sa  vignes  »  «  Je  voudrais  être  en 
ce  moment  à  Worms  »,  écrivait-il  en  même  temps  à  Juste  Jonas, 

'  Le  14  avril  1521.  —  De  Wette,  t.  I,  p.  586.  —  Voy.  la  dépêche  d'Aléandre  sur 
l'arrivée  de  Luther  à  Worms,  dans  Frieduich,  p  136.  —  B.vlan,  p.  170.  —  Brie- 
GER,  p.  143.  —  Bien  qu'Aléandre  eût  fait  tous  ses  efforts  pour  empêcher  que 
Luther  ne  fût  mandé  à  Worms,  il  disait  plus  tard  qu'à  son  avis  la  présence  du 
moine  avait  eu  d'heureux  résultats.  «  In  reliquis  la  venula  del  detto  è  stato 
saluberrima,  perché  et  César  et  quasi  tutto  il  monde  l'ha  existimato  per  pazzo, 
dissoliito  et  demoniaco;  quin  imo  subito  che  César  il  vide,  disse  :  questui  mai, 
me  farebbe  heretico,  et  poi  quando  furono  nominati  li  libri  coram  Cesare  et 
Imperio,  César  palam  dixit  et  sepissimc  postea  repetiil,  che  mai  crederà  che 
l'habia  composto  detti  libri.  —  Lasso  a  parte  la  ebrietà  alla  quale  detto  Luther 
è  detilissimo,  et  molti  atti  brutti  visu,  verbo,  et  opère,  vultu,  incessu,  che  li 
han  fatto  perder  tutta  la  opinione,  chef  mundo  haveva  concelto  de  lui.  ■ 
Friedrich,  p.  138.  —  Balan,  p.  236.  —  Brieger,  p.  170.  «  Un  Vénitien  qui  ne  peut 
être  accuse  de  partialité  »,  dit  K\'SKE[Deuische  Geschichie,  t.  I,  p. 495),  "remarque 
que  Luther,  à  Worms,  n'a  point  fait  preuve  d'une  science  extraordinaire  ni 
d'une  pénétration  très-remarquable,  et  qu'il  n'a  pas  été  sans  reproche  dans  sa 
conduite;  selon  lui,  il  n'a  pas  répondu  à  ce  qu'on  attendait  de  lui.  •  —  Con- 
tarenus  ad  M.  Dandulum,  Wormalia>  23""'  d.  Apr.  1521,  dans  la  chronique  de 
Sanuto,  t.  XXX.  —  Voy.  aussi  les  passages  cités  par  Höfler,  Adrien  II,  p.  55, 
note  1.  «  ...Luther  excels  solely  in  impudence.  » 

*  Archives  de  Francfort,  Heichstagsakien,  dans  Steitz,  t.  XLVIII,  n"  4,  au  Heu 
de  7nilder  il  faut  lire  niddcr.  Voy.  la  dépêche  du  délégué  de  Strasbourg,  Kolde, 
Analecta,  p.  30,  note. 

^  «  ...Equidem  atrocissima  omnia  concipio,  neque  fallor,  credo,  sed  spero  tem- 


170  LUTHER    DEVANT    LA    DIÈTE.    1521. 

«  afin  d'y  faire  mugir  la  tempête  et  d'y  provoquer  l'émeute'.  « 
Le  jour  suivant,  18  avril,  à  sa  seconde  audience,  Luther  fît  preuve 
de  cette  constance  inébranlable  que  lui  souhaitaient  tant  ses  amis; 
d'une  voix  ferme  et  assurée,  il  repoussa  toute  pensée  de  rétractation*. 
Le  19  avril,  l'Empereur  envoya  aux  états  un  mémoire  rédigé  par 
lui,  et  qu'il  avait  écrit  de  sa  propre  main  en  français  et  en  alle- 
mand. 11  y  déclarait  qu'il  était  résolu,  à  l'exemple  de  ses  ancêtres, 
à  rester  fidèlement  et  fermement  attaché  à  la  foi  chrétienne  et  à 
l'Église  romaine.  Il  s'en  rapportait  plus  aux  saints  Pères,  qui  de 
tous  les  points  de  l'univers  s'étaient  autrefois  réunis  en  conciles, 
qu'à  l'opinion  d'un  moine  isolé.  Il  se  repentait  de  la  neutralité  qu'il 
avait  gardée  si  longtemps,  regrettant  de  n'être  pas  intervenu  plus 
tôt  et  plus  éuergiquement  dans  une  si  importante  question.  Dès  ce 
moment,  Luther  pouvait  se  retirer.  «  La  parole  que  nous  lui  avons 
donnée  ",  disait  l'Empereur  en  concluant,  «  et  qui  lui  assure  un 
sauf-conduit,  nous  la  tiendrons  loyalement;  nous  prendrons  des 
mesures  pour  qu'il  puisse  retourner  en  toute  sécurité  d'oii  il  est 
venu.  Mais  nous  lui  interdisons  de  prêcher  et  de  séduire  le  peuple 
par  sa  pernicieuse  doctrine,  qui  excite  la  sédition  et  la  révolte  parmi 
nos  sujets  \  » 

Dans  la  nuit  qui  suivit  la  déclaration  impériale,  des  mains  incon- 
nues tracèrent  ces  mots  sur  plusieurs  portes  de  la  ville  :  "  Malheur 


pus  est,  ut  purget  Dominus  vineaa»  suam.  •  Ex  Ebernburgo  15  cal.  Maj.  1521. 
BÖCKING,  t.  II,  p.  55. 

'  Ex  Ebernburgo,  15  cal.  Maj.  1521.  Böcking,  t.  II,  p.  56. 

*  Voy.  sur  sa  comparution  à  la  diète  la  lettre  de  I.  Crels  (30  avril  1521)  dans 
les  Forschungen  zur  deutschen  Geschichte,  t.  XI,  p.  635-637,  et  la  relation  de  Conrad 
Peutinger  dans  Kolde,  Analecta,  p. 28-30.  -  Aussitôt  que  Lutiier,  après  la  seconde 
audience  »,  écrit  le  conseiller  de  Nuremberg,  Sixte  Oelhafen.  «  fut  rentré  dans 
son  hôtellerie,  en  ma  présence  et  celle  de  plusieurs  autres,  il  leva  les  mains  au 
ciel,  et  s'écria  le  visage  plein  de  joie  :  »  Enfin  j'en  ai  fini!  enfin  j'en  ai  fini!  • 
Je  me  proposais  aujourd'hui  daller  l'entendre,  mais  il  y  avait  une  telle  foule 
dans  la  salle  des  séances  que  je  n'ai  pu  y  rester.  Dans  toutes  les  rues  où  il  passe, 
la  foule  s'amasse  pour  le  voir;  on  ne  pense  qu'à  lui,  il  est  le  sujet  de  toutes  les 
conversations.  »  hem.  Luther,  même  en  public,  s'est  laissé  deviner,  et  il  a  déclaré 
•  que  si  les  choses  n'allaient  pas  autrement,  il  lui  faudrait  bientôt  ouvrir  les 
fenêtres  toutes  grandes  >.  Riederer,  Nachrichten,  t.  IV,  p.  96.  —  Voy.  Baum,  p.  57. 
Le  juriste  Jérôme  Schiirpf  était  alors  au  nombre  des  plus  fervents  adeptes 
de  Luther;  c'est  lui  qui  lui  servit  de  conseiller  juridique  pendant  la  diète;  il 
l'appelle  dans  une  lettre  adressée  à  Frédéric  de  Saxe  •  le  véritable  apôtre  et 
évangéliste  de  Jésus-Christ  en  notre  siècle  >.  C'est  lui  qui  attira  dans  le  parti 
de  Luther  Grégoire  Lamparter,  un  des  plus  influents  conseillers  de  l'Empe- 
reur, intimement  lié  avec  le  conseiller  impérial  Mercurinus  (Gattinara).  — 
Voy.  MUTHER,  'ius  dem  Univenitiits  und  Gelehrtenleben  iin  Zeitaller  der  Reformation, 
p.  196-200.  —  Sur  l'opinion  professée  plus  tard  par  Schiirpf  au  sujet  de  Luther 
et  de  sa  doctrine,  voy.  Dollinger,  Reformation,  t.  I,  p.  535-538. 

'  »  ...Prohibentesque  ne  predicet  :  neve  cum  sua  pessima  doctrina,  plebem 
admoneat,  ne  sit  causa,  ut  aliquis  tumultus  fiât  in  populo.  ■   —  Voy.  Förste- 

MIN.N,  t.  I,  p.  25. 


POURPARLERS    AVEC    LUTHER    PENDANT    LA    DIÈTE.    1521.      171 

au  pays  dont  le  roi  n'est  qu'un  enfant!  "  A  l'hôtel  de  ville,  le  len- 
demain, on  put  lire  ces  mots  sur  une  affiche  placardée  aux  murs  : 
«  Nous  sommes  quatre  cents  nobles  conjurés;  nous  nous  sommes 
unis,  et  nous  avons  juré  de  ne  pas  abandonner  Luther  le  Juste.  Nous 
annonçons  d'un  commun  accord  aux  romanistes,  aux  gens  dénués 
de  bon  sens,  aux  princes  et  seigneurs,  et  avant  tout  à  l'archevêque 
de  Mayence,  notre  profonde  inimitié,  parce  qu'ils  veulent  opprimer 
le  droit  divin  et  ce  qui  revient  à  la  gloire  de  Dieu,  et  qu'en  dissimu- 
lant leur  nom,  ils  prétendent,  sous  la  direction  des  prêtres,  exercer 
toutes  les  tyrannies,  ,1e  m'explique  en  peu  de  mots,  mais  je  me  pro- 
pose de  m'opposer  avec  énergie  a  nos  adversaires;  je  les  attaquerai 
avec  huit  mille  hommes  d'armes.  »  L'affiche  se  terminait  par  ce 
terrible  cri  de  ralliement  des  paysans  révoltés  :  Bundschuh!  Bund- 
schuh '/ 

Effrayés  par  les  fréquentes  menaces  venues  du  dehors,  les  Ordres 
supplièrent  l'Empereur  de  ne  pas  rompre  tout  de  suite  les  négociations 
avec  Luther.  Ils  craignaient  «  que  la  révolte  n'éclatât  dans  le  Saint- 
Empire  »,  si,  par  un  procédé  aussi  prompt,  sans  avoir  écouté  les 
explications  de  Luther,  on  prenait  le  parti  de  la  rigueur.  Ils  sup- 
pliaient Charles  de  daigner  permettre  à  quelques-uns  d'entre  eux 
d'essayer  encore  d'amener  le  moine  hérétique  à  rétracter  les  articles 
condamnés  par  le  Saint-Siège  ^ 

Hütten,  que  Luther  avait  mis  au  courant  de  ce  qui  se  passait  ' 
à  Worms,  ne  pouvait  s'empêcher  de  craindre  que  son  ami  ne  vînt 
à  montrer  quelque  faiblesse  :  «  Invincible  évangéliste  »,  lui  écri- 
vait-il le  20  avril,  «  je  vois  qu'il  est  besoin  de  flèches  et  d'arcs, 
d'épées  et  d'arquebuses  pour  arrêter  la  fureur  du  démon  M  Mais  toi, 
excellent  père,  reste  inébranlable,  ne  te  laisse  intimider  par  rien! 
Qu'ils  s'égosillent,  divaguent,  hurlent  et  ragent!  qu'importe?  Pour 
toi,  comparais  sans  crainte  devant  ces  monstres!  Tu  ne  manqueras 
pas  d'amis  pour  te  défendre  et  pour  te  venger!  La  prudence  des 
nôtres,  qui  tremblent  de  nous  voir  trop  risquer,  retient  encore  mon 
ardeur,  sans  cela  il  y  a  longtemps  que  j'aurais  excité  une  émeute 
sous  les  murs  de  Worms!  Mais  avant  peu,  j'éclaterai,  et  alors  tu 

'  "  Les  paysans  rebelles  prenaient  pour  se  reconnaître  un  mot  d'ordre  et 
une  enseigne.  L'enseigne  était  une  hande  d'étoffe  moitié  bleue,  moitié  blanche, 
avec  la  figure  de  Jésus  crucifié  au  milieu,  et  au-dessous  du  Christ,  un  soulier 
lacé  [Bundschuh);  à  la  botte  du  reître  ils  opposaient  le  gros  soulier  du  laboureur, 
armé  à  la  semelle  d'énormes  clous.  »  Audin,  Histoire  de  Luther,  t.  II,  p  408. 
(Note  du  traducteur.   —  Voy.  Steitz,  p.  51.  —  Hennés,  Luther  in  Worms,  p.  17-19. 

'  Steitz,  p.  50,  6-2.—  Waltz,  p.  36. 

'  La  lettre  de  Luther  à  ce  sujet,  à  laquelle  Hütten  fait  allusion  dans  un  écrit 
postérieur,  a  été  perdue. 

*  «  Opus  esse  video  gladiis  et  arcubiis,  sagittis  et  bombardis,  ut  obsistatur 
cacodaemonum  vesanise...  • 


172      POURPARLERS    AVF.C    LUTHER    PENDANT    LA    DIÈTE.    1521. 

verras  que  moi  aussi,  à  ma  manière,  je  ne  renie  point  l'esprit  que 
Dieu  a  suscité  en  moi  !  »  «  Franz  de  Sickin^jen,  notre  ardent  défenseur, 
est  toujours  prêt  à  nous  servir  '.  » 

Plus  tard,  Thomas  Münzer,  réfutant  Lutlier,  disait  en  s'adressantà 
lui  :  «  Lorsque  tu  as  comparu  devant  les  étaîs,  à  Worms,  tu  as  eu 
bien  sujet  de  rendre  grâces  à  la  noblesse  allemande!  Tu  lui  avais  si 
bien  graissé  le  museau,  tu  lui  avais  tant  prodigué  le  miel,  qu  elle 
s'imaginait  recevoir  par  l'effet  de  tes  sermons  de  beaux  présents 
de  Bohême,  des  abbayes,  des  bénéfices!  Si  tu  avais  hésité  à  Worms, 
tu  aurais  été  poignardé,  au  lieu  d'être  affranchi!  Tout  le  monde 
sait  cela  ^!  » 

Une  commission  déléguée  par  les  états  et  présidée  par  l'arche- 
vêque Richard  de  Greifenklau  employa  tous  les  moyens  conseillés 
par  la  douceur  pour  convaincre  Luther  et  l'amener  à  se  rétracter. 
Ce  fut  en  vain  que  Conrad  Peutinger,  délégué  d'Augsbourg,  et  le 
chancelier  de  Bade,  Jérôme  Vehus,  le  supplièrent  à  plusieurs  reprises 
de  remettre  sa  cause  à  la  sentence  suprême  de  l'Empereur. 

Luther  repoussa  ces  conseils,  «  donnant  des  marques  du  mépris 
qu'il  éprouvait,  tant  pour  la  personne  de  Sa  Majesté  Impériale  que 
pour  celles  de  beaucoup  de  princes  de  la  diète  ".  Vehus  lui  dit  : 
«  Tes  écrits  excitent  le  peuple  à  la  révolte,  à  l'émeute.  Ceux  surtout 
où  tu  parles  de  la  liberté  chrétienne  serviront  plus  tard  de  prétexte 
à  bien  des  gens  pour  satisfaire  leurs  convoitises  et  légitimer  tous 
leurs  actes.  »  Ce  discours  ne  lui  fit  aucune  impression. 

Il  rejeta  de  même  une  autre  proposition  :  «  Ne  consentirait-il  pas 
à  s  en  remettre  à  la  sentence  de  quelques  prélats  allemands,  nommés 
à  cet  effet  par  le  Pape?  N'accepterait-il  pas  le  jugement  qu'eux  et 
l'Empereur  porteraient  sur  sa  conduite?  » 

Enfin  Peutinger  lui  proposa  d'attendre  la  décision  du  prochain 
concile.  Lu!her  répondit  qu'il  y  consentait,  «  à  la  condition  que 
dans  cette  assemblée  rien  de  contraire  à  la  divine  parole,  aux  épifres 
de  saint  Paul  et  à  la  vérité  ne  serait  décidé  ".  En  vain  chercha-t-on 
à  lui  démontrer  «  que  ce  faux-fuyant  était  inadmissible,  parce  qu'il 
pourrait  toujours  prétendre  que  les  jugements  prononcés  contre  lui 
allaient  contre  le  véritable  sens  de  la  sainte  Écriture  ^  ».  Jean  Co- 


■  «  ...Alioqiii  ad  ipsos  muros  concitassem  aliquam  îurbam  pileatis  istis,  sed 
post  ptiulo  emittendus  sum.  ubi  evasero,  videbis  me  iiec  déesse  in  hoc  {jenere 
spirilui  quem  excitavit.  in  me  Deus!  Franciscum  habemiis  ardentem  in  par- 
tibiis.  »  Ex  Eberiibuifïo,  12  cal.  Maj.  1521.  —  Voy.  Bocking,  Suppl.,  t.  II,  p.  807. 

'  MuNZER.  Hoch  verursachte  Schulzrede  und  Antwort  wider  das  geistlose  sanfllehcnde 
Fleisch  zu  Wittenberg.  —  Voy.  Stkobel,  Thomas  Münzer,  p.  166. 

'  Sur  ces  négociations  avec  Luther,  voy.  l'ariicle  de  Seidemann  dans  Niedner, 
Zeitschrift  fur  die  historische  Theologie,  année  1851,  p.  80-100.  —  V'oy.  la  lettre  de 
Schwarzenbergdans  Joug,  p.  317. 


POURPARLERS    AVEC    LUTHER    PENDANT    I,A    DIÈTE.    1121.      173 

chlipus  ',  conseiller  théologique  de  l'archevêque  de  Trêves,  lui  offrit 
alors  une  dispute  publique;  mais  il  ne  voulut  rien  entendre.  Lorsfjue 
Cochia'us  lui  dit  que  s'il  s'opposait  ainsi  au  senliment  de  loule 
rÉ[jlise,  et  s'il  rejetait  les  conciles,  c'était  sans  doute  parce  qu'il 
croyait  avoir  reçu  du  ciel  une  révélation  particulière  et  divine,  Luther 
eut  un  nionicnl  d'hésitation,  puis  il  répondit  :  <  Oui,  ma  doctrine  m'a 
été  révélée  ^  «  Il  déclara  qu'il  ne  renonçait  ni  à  écrire,  ni  à  prêcher. 
Christophe  de  Schwarzenberg  mandait  le  25  avril  au  duc  Louis  de 
Bavière  :  «  L'archevêque  de  Trêves  m'a  confié  que  Luther,  dans  un 
moment  d'intime  épanchcment,  lui  avait  révélé  un  profond  secret.  -^ 
Luther  évidemment  avait  fait  pressentir  à  l'archevêque  l'appui  que 
la  chevalerie  révolutionnaire  promettait  au    c  nouvel  Évangile^    '. 

'  Depuis  1520  doyen  de  Notre-Dame  de  Francfort-sur-le-Mein,  Otto,  106  fi. 

^  Colloquium  Cocldai  cum  Lulhtro  liormatitr  habilum  '  Mofjuntiac,  15î0  ,  mis  par 
écrit  pridie  idus  Junii  1521...  "  Simpliciter  ita  iiiterrofjavi  :  Kst  tibi  revelatuir. ? 
lUe  vero  intueris  me  pauUulum  cunctabiinlus  respyiidit  :  Kst  mihi  revelatiiin. 
Tum  eîïo  :  lam  negasti  (dixerat  enim  paulo  ante  modestiu.s  :  Non  dico  mihi  reve- 
latuin  esse).  At  ille  ;  Non  nejjavi.  Rursus  ego  :  Ecquis  tibi  credat  reveialum  esse? 
quo  probas  miraculo,  aut  quo  id  ostendis  sigiio?  Nonne  quilibet  posset  hoc 
modo  errorem  suum  defendcre  ?..  Nihil  p:ofecto  audivi,  quid  ad  hoc  mihi  res- 
ponrlerit  Liitherus.  »  En  présence  de  plusieurs  gentilshommes  de  la  suite  de 
Luther  (voy.  aussi  la  dépêche  d'Aléandre  dans  Friedrich,  p.  138).  Cochi.Tus  émit 
l'opinion  suivante  :  >■  Disputet  tuto  absque  omni  periculo,  insu^)  conductu,  modo 
erant  judices...  quos  noliis  Caesar  et  Principes  hic  congregati  dederint.  -  Luther 
reprit  :  •  Sumptnrum  se  judiceui  piierum  octo  aut  novem  annoruui.  -  «  luirsus 
provocari  euin  rogaiis,  ut  sujj  judicibus,  quos  Caesar  et  Principes  nobis  daluri 
essent,  exactius  mecum  dispuiare  velit,  quia  hic  nihil  ageremus,  ipse  album 
diceret,  ego  nigrum  aut  e  converso;  absque  judicibus  non  posset  veritas  ista 
exquiri.  Acquiesceret  i;;itur  lorabam' judicio,  sme  ullo  peiiculo.  Quauivis  ego 
pœnam  juris  noUem  recusare  auî  deprecari,  si  a  judicibus  condamnarer.  Tum 
certe  silentium  erat,  nihil  comités,  nihil  astantes  in  me  aperte  dicebant.  Luthe- 
rus  autem  rursum  veniebat  cum  judice  suu,  novem  annorum  puero.  ^  —  .^lors 
eut  lieu  entre  ces  deux  hommes  un  long  entretien.  =  Prior  cœpit  Lutherus, 
placide  niulta  commemorans,  quae  contingerant.  Fatebatur  quidem  se  contra 
Romaniim  ponlificem  injuriis  excessisse,  indulgentias  tamen  abolevisse,  per 
quas  fueramus  decepti.  Tum  ego  similiter  benigne  et  fideliler  ei  respondi,  in- 
tellexisse  me  piidie  ex  nuncio  apostolico,  quod  non  plus  petalur  ab  eo,  nisi  ut  ea 
reoocet,  quw  aperte  sunt  contra  fidcm  et  ecclesiam  calholicam  :  de  reliquis  fore,  Ut 
deputenlur  a  Caesare  et  Principibus  viri  docii,  qui  perleclis  diligenler  libris 
ejus,  separarent  mala  a  bonis,  ut  hac  servarentur,  lila  périrent.  Quod  si  timoré 
aut  pudore  inter  suos  aniplius  degere  noiit,  Ca-sar  et  archiepiscopus  Irevi- 
rensis  curaturi  essent,  ut  alibi  viveret  quiète  et  honeste.  »  •  ....\djeci  item,  ut 
perpenderet  clementiam  Pontificis,  Cacsaris  et  Principum.  Quo  enim  mitiori 
moilo  posset  secum  agi?  Cogitaret,  quod  atrocissimas  et  antea  nunquam  auditas 
in  sedera  apostolicam  injurias,  summus  Pontifex  ei  absque  pœna  velit  remit- 
tere.  ut  sedaretur  ista  turbatio.  Quod  autem  indulgentias  te  penitus  abolevisse, 
inquam,  putas,  falleris  profecto,  mr.nent  adhuc  hodie  in  ecclesiis  et  mane!  unt 
ctiara  post  nos.  »  —  Sur  cet  entretien,  voy.  K.  Otto  dans  le  OEsierr.  liertel- 
jahrssc/ui/l  für  Kathol.  Theologie,  1866,  p.  83-114.  Cocblaeus  revient  plus  tard  à 
plusieurs  reprises  sur  cette  conversation,  dans  ses  écrits  de  controverse.  — 
Glos,  und  Comment,  auf  die  18  Arlickel,  Bl.  C-,  et  Glas,  und  Comment,  auf  154  Artickelu. 
Bl.  F'    J^ 

^  Voy   JÖRG,  p.  317. 


174  LUTHER    QUITTE    WORMS.    1521. 

Après  que  l'on  eut  inutilement  (out  tenté,  l'Empereur  intima  à 
Luther  l'ordre  de  partir  sans  délai.  Le  sauf-conduit  impérial  le  pro- 
tégeait encore  pendant  vingt  et  un  jours;  mais  il  lui  était  interdit 
de  prêcher  ou  d'écrire  en  route. 

Luther  fit  connaître  à  Hütten  '  la  décision  de  Charles-Quint,  et 
quitta  Worms  le  26  avril.  Deux  jours  après,  de  Friedberg,  il  adres- 
sait un  message  à  l'Empereur  et  un  autre  aux  états.  Ce  dernier  fut 
tout  de  suite  reproduit  en  feuilles  volantes.  Sur  le  verso  du  titre,  il 
est  de  nouveau  représenté  la  tête  nimbée,  et  la  divine  colombe  pla- 
nant sur  sa  tête*.  En  même  temps,  une  médaille  commémorative 
était  frappée  à  Worms,  portant  cette  inscription  :  «  Docteur  Martin 
Luther,  heureuses  les  entrailles  qui  t'ont  porté  M  " 

«  Je  me  laisse  enfermer  et  cacher  »,  écrivait  Luther  au  peintre 
Lucas  Cranach,  «  je  ne  sais  moi-même  où  je  vais.  Pour  le  moment, 
il  faut  se  taire  et  souffrir.  Un  peu  de  temps  encore,  et  vous  ne  me 
verrez  plus,  et  un  peu  de  temps  après  vous  me  reverrez,  dit  le 
Seigneur  Jésus.  J'espère  que  les  choses  iront  de  même  pour  moi  *. 

Le  soir  qui  avait  précédé  son  départ,  Frédéric  de  Saxe,  en  pré- 
sence de  Spalatin  et  d'autres  amis,  lui  avait  fait  entendre  qu'on 
s'occupait  de  le  mettre  à  l'abri  '.  Mais  le  nom  de  cet  abri  ne  lui  fut 
pas  révélé,  et  Frédéric  lui-même  ne  voulut  pas  en  être  instruit,  afin 
de  pouvoir  nier  toute  complicité,  dans  le  cas  où  il  serait  interrogé  ". 


'  C'est  à  cette  lettre  que  Hütten  fait  allusion  dans  une  relation  adressée  à 
Wilibald  Pirkheimer  le  1"  mai  1521.  Voy.  Bocking,  t.  II,  p.  59-62. 

*  «  Handlung  so  mit  Doctor  Martin  Luther  uff  dem  keyserlichen  Reichstag  zu  Worms 
ergangen  ist,  vom  unfang  zum  etid  and  uff  das  kürzest  begriffen  '  (Luther's  Schreiben  vom 
28  arril  1521,  dans  de  Wette,  p.  594-600i,  avec  les  {gravures  ci-dessus  mention- 
nées. —  BURCKHART  daus  ses  Studien  and  Kritiken  avait  déjà  émis  l'opinion  que  la 
célèbre  parole  de  Luther  :  '  Je  m'en  tiens  à  ce  que  j'ai  dit,  je  n'y  peux  rien  chan- 
ger ',  n'avait  pas  été  prononcée.  Cette  appréciation  se  trouve  comfirniée  parle 
rapport  authentique  des  faits  et  ;';esles  de  Luther  à  Worms,  publié  par  Kuczincki, 
Thesaurus  libellorum  histor.  re/ormationis,  Leipzig,  1870,  p.  10,  n"  102.  —  Voy.  aussi 
Bauer,  Deutschtand  in  den  Jahren,  1517-1525,  p.  67  et  295.  —  Sur  les  efforts  tentés 
de  nos  jours  pour  défendre  l'authenticité  de  cette  parole  de  Luther,  voy.  Mau- 
RENBRECHER,  Katholische  Ile/ormation,  t.  I,  p.  398.  »  Ce  n'est  que  par  une  touchante 
attache  à  des  traditions  aimées  %  dit-il,  -  que  peut  s'expliquer  tant  de  zèle 
pour  soutenir  des  anecdotes  invraisembrables.  •  Conrard  Peutinger  a  rapporté 
qu'à  la  fin  de  la  séance  Luther  s  écria  à  haute  voix  :  <  Seigneur,  viens  à  mon  se- 
cours! "  KoLDE,  Analecta,  p.  30. 

^  Une  autre  médaille  porte  l'effigie  de  Luther  avec  cette  inscription  : 

Heresibus  si  dignus  erit  Lutherus  in  ullis, 
Et  Christus  dignus  crimine  hujus  erit. 

Lt  fac-similé  de  ces  deux  médailles  se  trouve  dans  le  Gulden  und  silbern  Ehrenge- 
dächtniss,  M.  Luthers,  Francfort,  1706,  p.  58. 
-*  Francfort,  le  28  avril.  —  Voy.  de  Wette,  t.  I,  p.  588-589. 

*  Spalatin,  Annalen,  edid.  Cyprian,p.50.  —  Frédéric  n'était  donc  pas  seulement 
complice,  mais  auteur  de  l'enlèvement  de  Luther  à  la  Wartbourg. 

^  D'après  un  renseignement  manuscrit.  Voy.   Freitag,  Bilder,  t.  I,  p.  90.  — 


ÉDIT    DE    WORMS.    1521.  175 

Luther  fut  conduit  à  la  Wartbourg  '.  Ses  partisaa.s  se  dispersèrent  de 
tous  côtés  pour  exciter  le  peuple;  bientôt  leurs  lettres,  leurs  émis- 
saires, répandirent  partout  le  bruit  que  le  sauf-conduit  de  l'Empe- 
reur avait  été  violé,  et  que  Luther,  fait  prisonnier  et  garrotté,  avait 
été  victime  des  plus  cruels  traitements.  On  alla  môme  jusqu'à  affirmer 
que  son  cadavre  avait  été  découvert  dans  le  conduit  d'une  mine  *. 
Tandis  qu'à  Worms  on  était  tous  les  jours  sous  la  menace  d'une 
sanglante  émeute,  la  cause  de  Luther  achevait  d'être  instruite  devant 
la  diète.  Le  30  avril,  l'Empereur,  réclamant  de  nouveau  l'avis  des 
étals,  les  interrogea  sur  la  conduite  qu'il  convenait  de  tenir  avec 
Luther,  maintenant  qu'il  avait  formellement  refusé  de  se  rétracter, 
et  s'était  retiré  déclarant  persister  dans  ses  manières  de  voir.  Que 
décider,  par  rapport  à  lui,  à  ses  écrits,  à  ses  adhérents  et  fauteurs,  et 
de  quels  châtiments  follail-il  user?  Était-ce  du  ban  d'Empire,  ou  de 
toute  autre  peine'?  Les  étals,  qui,  auparavant*,  prévoyant  le  cas  où 
Luther  s'obstinerait  dans  son  erreur,  avaient  laissé  toute  liberté  à 
Charles-Quint  de  pourvoir  au  maintien  et  à  la  défense  de  la  foi 

KOLDK,  Friedrich  der  Weise,  p.  28-29.  —  KOLDE,  Martin  Luther  (Golba,  1884),  t.  I, 
p.  350-393. 

'  Château  fort  du  {jrand-duche  de  Saxe-Weimar,  près  d'Eisenacb.  Ce  château, 
ancienne  résidence  des  landgraves  de  Tliuringe,  avait  été  le  témoin  des  douces 
vertus  et  des  courtes  années  de  boniieur  terrestre  de  la  «  chère  sainte  Elisa- 
beth ".  (Note  du  traducteur.) 

^  On  pourra  se  rendre  compte  de  l'agitation  produite  parmi  les  amis  de 
Luther  par  la  nouvelle  prétendue  de  son  arrestation  et  des  mauvais  traitements 
qu'il  avait  soi-disant  subis,  diins  le  journal  d'Albert  Dürer,  (elui-ci  était  alors 
tout  dévoué  au  parti  luthérien  ;  non  qu'il  vouli\t  se  séparer  de  l'unité  de  l'Ej'jlise, 
mais  parce  qu'il  tenait  Luther  "  pour  un  homme  éclairé  par  le  Saint-Ksprit, 
et  pour  un  confesseur  de  la  véritable  foi  du  Christ  ^.  Lorsque  Dürer,  pen- 
dant son  séjour  à  Anvers,  apprend  la  trahison  dont  Luther  a  été  victime,  il 
s'écrie  :  «  0  Dieu  du  ciel,  aie  pitié  de  nous!  Nous  te  supplions.  Père  céleste,  de 
renouveler  le  don  de  ton  Esprit-Saint  à  celui  qui  a  de  toutes  parts  rassemblé 
de  nouveau  les  membres  de  ta  sainte  Église  chrétienne,  aßn  que  nous  vivions  désor- 
mais tous  ensemble  dans  l'union  et  la  foi  chrétienne ,  et  afili  que  les  Turcs,  les  païens, 
les  Indiens,  viennent  d'eux-mêmes  à  nous,  et,  témoins  de  nos  bonnes  œuvres, 
embrassent  la  foi.  »  —  Voy.  ce  passage  et  d'autres  analogues  dans  Thausing, 
Diircr's  Briefe,  Tagebücher  und  Heime,  p.  119-123.  —  Voy.  plus  haut,  p.  91.  On  pré- 
tend qu'à  la  diète  quelques  princes,  entre  autres  le  margrave  Joachim  de 
Brandebourg,  furent  d'avis  de  ne  pas  donner  de  sauf-conduit  à  Luther  pour  le 
retour.  Mais  l'Empereur,  l'électeur  du  Palatinat,  et  aussi  le  loyal  et  fervent 
catholique  Georges  de  Saxe,  s'opposèrent  à  cette  mesure.  Les  deux  électeurs, 
assure-t-on,  échangèrent  à  ce  propos  des  paroles  si  vives  qu  ils  portèrent  la 
main  à  leurs  épées.  Voy.  ce  que  dit  Luther  à  ce  sujet,  Sâmmil.  Werke,  t.  LXIV, 
p.  368  Le  duc  Georges  déclara  fièrement  «  que  les  princes  allemands  ne  souffri- 
raient jamais  qu'au  mépris  de  la  parole  donnée  le  sauf-conduit  fût  refusé  à 
celui  auquel  il  avait  été  promis;  cet  acte  honteux  ne  devait  pas  se  produire  à  la 
première  diète  présidée  par  Charles-Quint  >.  En  un  mot,  il  combattit  ce  projet 
avec  l'antique  loyauté  allemande;  ce  que  l'on  avait  promis,  il  fallait  le  tenir. 
—  BUCHHOLZ,  t.  I,  p.  365. 

'  Voy.  Waltz,  p.  39-41, 

*  Voy.  plus  haut,  p  91. 


176  ÉDIT    DE    WORMS.    1521. 

catholique,  et  de  faire  publier  dans  tout  l'Empire  un  juste  et  néces- 
saire édit,  réclamaient  maintenant  d'eux-mêmes  la  prompte  publica- 
tion de  cet  édit.  Comme  le  disait  Frédéric  de  Saxe  (4  mai  1521),  ce 
n'était  pas  seulement  Anne  et  Caiphe,  c'était  aussi  Pilate  et  Hérode 
qui  s'opposaient  à  Luther  ',  et  les  pouvoirs  spirituels  et  temporels 
lui  étaient  également  contraires.  Pour  Frédéric,  il  n'aspirait  qu'à 
rester  neutre;  il  s'abstint  d'intervenir  dans  un  sens  ou  dans  un 
autre,  et  quitta  Worms. 

L'Empereur  chargea  Aléandre  de  rédiger  l'édit,  et  celui-ci  le  lui 
soumit  dès  le  8  mai  ■^;  mais  il  ne  fut  publié  que  lorsque  le  terme  fixé 
pour  le  sauf-conduit  de  Luther  fut  expiré.  Il  condamnait  au  ban 
d'Empire  Luther,  ses  adeptes,  et  tous  ceux  qui  l'avaient  soutenu 
dans  son  entreprise,  ordonnant  que  les  écrits  du  novateur  fussent 
détruits  par  les  flammes.  Luther,  disait  l'édit,  avait  fait  à  l'Empereur  ■ 
l'impression  d'un  possédé.  Par  ses  ouvrages,  une  semence  d'erreur 
avait  été  propagée.  Il  avait  attaqué  le  nombre,  l'institution,  l'usage 
des  sacrements,  et  avili  les  lois  sacrées  du  mariage.  Il  avait  accablé 
le  Souverain  Pontife  d'injures  atroces  et  calomniatrices,  jeté  le  mé- 
pris sur  le  sacerdoce,  et  n'avait  pas  craint  d'engager  ouvertement  les 
laïques  «  à  tremper  leurs  mains  dans  le  sang  des  prêtres  >".  Il  niait 
le  libre  arbitre,  et,  dans  ses  prédications,  affranchissait  les  fidèles  de  « 
toute  morale  et  de  toute  loi.  11  avait  été  assez  hardi  pour  renverser  i|[ 
les  plus  saintes  barrières,  et  les  livres  de  droit  canon  avaient  été  par 
lui  livrés  aux  flammes.  Il  outrageait  les  conciles,  et  surtout  ce  grand 
concile  de  Constance  qui  avait  restauré  la  paix  et  la  concorde  à  l'éter- 
nelle gloire  de  l'Allemagne,  et  qu'il  appehiit  «  une  synagogue  de 
Satan  "  ;  tous  ceux  qui  y  avaient  pris  part  étaient  à  ses  yeux  des  ante- 
christs  et  des  homicides.  «  Comme  s'il  eût  été  le  démon  en  personne 
caché  sous  un  froc  de  moine  »,  il  réunissait  en  lui  "  toutes  les  hérésies 
anciennes  et  nouvelles;  sous  prétexte  de  prêcher  la  foi,  il  détruisait 
toute  orthodoxie;  prétendant  apporter  une  doctrine  évangélique,  il 
renversait  la  paix,  la  charité,  le  bon  ordre.  Outre  les  livres  de  Luther, 
les  pamphlets  répandus  en  tous  lieux  et  si  préjudiciables  au  peuple 
chrétien,  les  pasquinades,  les  caricatures  insultant  le  Pape,  les  pré- 
lats et  la  foi  catholique,  devaient  tous  être  anéantis.  Et  afin  qu'à 
Tavenir  la  peste  des  mauvais  livres  fut  à  jamais  écartée  de  la  nation, 
et  que  la  noble  invention  de  l'imprimerie  ne  servit  plus  qu'à  propager 
de  bons  et  salutaires  ouvrages,  tous  les  écrits  se  rapportant  de 
quelque  manière  que  ce  fiU  à  la  foi  catholique  seraient  soumis  à 

'  Voy.  FÖRSTEMANX,  .Yeues  i'rkuudenbucli ,  t.  I,  p.  15. 

-  Les  dépêches  d'Aléandre  prouvent  que  l'édit,  signé  par  l'Empereur  le  26  mai 
seulement,  n'a  pas  été  antidaté.  ■  Il  est  probable  qu'il  porte  la  date  du  jour  où 
il  fut  rédigé.  Sa  publication  fut  longtemps  différée.  •  Friedrich,  p.  89,  note  1. 


AGITATEURS    RÉVOLUTIONNAIRES.    1521.  177 

r;ippi'oba(ion  de  l'ordinaire  et  de  la  facuKé  de  théologie  de  l'Uni- 
versité la  plus  voisine  avant  d'être  mis  sous  presse.  « 

Cependant  des  centaines  de  cavaliers  se  rassemblaient  autour  de 
Worms,  et  Sickingen  faisait  courir  le  bruit  qu'il  viendrait  bientôt 
en  personne  signer  les  conclusions  de  la  diète'.  «  Franz  est  avec 
nous  lî,  écrivait  Hütten  à  Willibald  Pirkheimer(l"  mai  1521);  «  non- 
seulement  il  est  bien  disposé  pour  nous,  mais  il  est  tout  enflammé  de 
zèle.  Il  a,  pour  ainsi  parler,  absorbé  tout  Luther.  A  table,  il  se  fait 
lire  ses  écrits,  .le  l'ai  entendu  affirmer  par  serment  qu'en  dépit  de 
tous  les  périls,  il  n'abandonnerait  jamais  la  cause  de  la  vérité.  »  «  Tu 
peux  t'en  rapporter  à  ses  paroles  comme  à  une  voix  divine,  tant  sa 
fermeté  est  grande.  En  parlant  de  lui  aux  tiens,  tu  peux  dire  en  toute 
assurance  :  «  Il  n'y  a  pas  en  Allemagne  une  âme  plus  noble*!  »  Les 
amis  et  auxiliaires  de  Hütten,  Eoban  Hessus,  Hermann  van  dem 
Busche,  étaient  d'avis  de  commencer  prompteraent  l'attaque.  <  On  a 
bien  assez  parlé  >■,  écrivait  Eoban  à  Hütten;  «  il  est  temps  de  saisir  nos 
armes,  et  de  fondre  sur  les  ennemis  de  l'héritage  du  Seigneur;  ce  sont 
les  véritables  Turcs,  et  les  plus  dangereux.  >  Hütten  ne  serait  pas 
isolé  dans  le  combat.  De  toutes  les  campagnes  de  la  Germanie,  les 
hommes  d'armes  se  hâteraient  de  rejoindre  sa  bannière.  Hütten  et 
Sickingen  fondraient  sur  Rome  avec  la  rapidité  de  l'éclair,  et  anéan- 
tiraient la  peste  romaine  ^  Pourquoi  attendre  que  l'Empereur  ait 
quitté  Worms?  Pourquoi  tarder  à  ouvrir  la  campagne?  écrivait  de 
son  côté  à  Hütten  Hermann  van  dem  Busche;  si  Hütten  souffrait  que 
les  nonces  du  Pape,  ces  pires  ennemis  de  Luther  et  de  l'Allemagne, 
sortissent  de  la  Germanie  «  la  peau  saine  «,  l'attente  générale  serait 
déçue,  et  l'honneur  de  Hütten  en  serait  atteint*. 

Luther,  de  son  côté,  écrivait  de  la  Wartbourg  à  Sickingen,  «  son 
très-cher  seigneur  et  maître  »  (1"  juin)  :  »  Nous  lisons  dans  le  livre 
de  Josué  que  Dieu  ayant  conduit  le  peuple  d'Israël  dans  la  Terre  pro- 
mise, fit  périr  tous  les  habitants  de  ce  pays,  avec  leurs  trente  et  un 
rois.  Toutes  leurs  cités  furent  détruites,  parce  qu'aucune  n'avait  été 
assez  humble  pour  implorer  la  paix.  A  l'exception  d'une  seule,  toutes 
avaient  eu  la  folle  témérité  de  combattre  contre  Israël,  car  Dieu 
avait  ainsi  disposé  les  choses;  il  était  arrêté  que  ces  villes  résiste- 
raient avec  obstination  et  courage,  pour  que  nulle  miséricorde  ne 
pût  leur  être  montrée.  Cette  histoire  me  semble  faite  pour  servir 
d'exemple  à  nos  papes,  à  nos  évêques,  à  nos  docteurs,  à  tous  nos 

'Dépêche  d'Aléandre  dans  Friedrich,  p.  Ii2.  —  Bahn,  p.    233.  —  Brieger 
p.  216. 

^  BÖCK1NG,  t.  II,  p.  59-62. 

*  Voy.  SCHWERTZFELL,  p.  35. 

*BÖCK1NG,  t.  II,  p.  62-64. 

H-  12 


178  ARRÊT    MOMENTANÉ    DANS    LA    RÉVOLUTION.    1521. 

tyrans  spirituels.  Bien  que  leurs  intrigues  aient  été  découvertes,  ils 
ne  songent  ni  à  l'humilité,  ni  à  la  paix.  De  propos  délibéré,  ils  mettent 
la  lumière  sous  le  boisseau;  ils  s'obstinent  dans  leur  folie,  et  s'ima- 
ginent être  si  solidement  en  selle  que  personne  ne  puisse  les  en  faire 
broncher.  Je  pense  que  tout  cela  vient  aussi  de  Dieu,  afin  qu'endurcis, 
ne  voulant  entendre  parler  d'aucune  humble  soumission,  refusant 
toute  paix,  ils  finissent,  eux  aussi,  par  être  exterminés  sans  miséri- 
corde. »  «  Je  ne  peux  plus  rien  faire,  je  suis  positivement  hanté  par 
le  grand  projet.  Ils  ont  maintenant  tout  le  temps  de  se  convertir! 
Mais  Rome  ne  veut,  ni  ne  doit,  ni  ne  peut  souffrir  de  réforme; 
cependant  s'ils  ne  changent,  un  autre  les  changera  sans  se  soucier  de 
leur  reconnaissance,  et  celui-là  ne  les  instruira  pas,  comme  Luther, 
par  des  lettres  et  des  paroles,  mais  par  des  actes'.  » 

Mais  Sickingen  continuait  à  déconseiller  l'action.  Au  moment 
décisif,  il  refusa  même  très-nettement  son  concours  au  parti  révo- 
lutionnaire. C'est  qu'il  avait  trouvé  plus  avantageux  d'offrir  son 
épée  à  l'Empereur  qui ,  à  ce  moment  même,  lançait  contre  Luther 
son  édit  de  proscription.  Robert  de  la  Marck,  encouragé  par  Fran- 
çois I",  avait  envahi  les  pays  héréditaires  de  Charles-Ouint,  et 
l'Empereur  venait  d'enrôler  Sickingen  dans  l'armée  destinée  à  pro- 
téger ses  États  ^ 

«  Nos  alliés  se  découragent  et  hésitent  »,  écrit  Hulten  à  Eoban 
qui  le  presse  d'agir;  «  mais  quant  à  moi,  je  persisterai  jusqu'à  la 
mort  dans  mon  dessein!  Je  tenterai  tout,  je  saisirai  mes  armes,  et  de 
même  qu'autrefois  j'ai  soutenu  Luther  par  la  force  de  mes  arguments, 
maintenant  je  le  défendrai  par  le  poing!  Si  les  nonces  du  Pape  ont  ■ 
réussi  à  s'échapper,  ce  n'est  pas  ma  faute,  car  je  n'ai  rien  négligé 
pour  leur  dresser  des  embûches.  Les  routes  étaient  occupées,  les 
embuscades  préparées,  mais  l'escorte  de  l'Empereur  a  déjoué  tous  nos 
plans.  •'  Néanmoins  il  gardait  au  cœur  l'invincible  espoir  d'être  avant 
peu  le  témoin  delà  chute  de  la  papauté  et  du  triomphe  del'  -  Évangile  »  \ 

Mais  Hütten,  pas  plus  que  Sickingen,  ne  pouvait  pour  le  moment 
rien  entreprendre,  et  malgré  ses  fanfaronnades  il  lui  eût  été  bien 
impossible  de  servir  ouvertement  la  «  cause  de  l'Évangile  ",  car  un 
chargé  d'affaires  de  Charles-Ouint  venait  d'acheter  son  inaction  en 
échange  d'un  revenu  annuel  de  400  florins  *  ! 

Luther,  désespérant  presque  de  l'avenir,  écrivait  à  Mélanchlhon  le 


1  De  Wette,  t.  II,  p.  13-15. 

^  Pour  plus  de  détails,  voy.  Ulmann,  191  fl  — Voy.  dans  Hofler,  Adrian  VI,  p.  58, 
note  1,  la  liste  des  nobles  qui  entrèrent  en  même  temps  que  Sickingen  au  ser- 
vice de  l'Empereur. 

*  BÖCKING,  t.  II,  p.  71-75.  [_ 

*  Voy.  plus  haut,  p.  163,  note  3.  MaurenbrecheR,  Studien  uud  Skiaen,  p.  272. 


LUTHER   JUfiE    PAR    SES    CONTEMPORAINS.  n9 

12  mai  :  «  Personne  n'est  là,  personne  ne  se  présente  pour  défendre 
la  maison  d'Israël  et  lui  servir  de  solide  rempart!  Portons  donc  en- 
semble le  fardeau  !  Seuls,  nous  sommes  encoxe  disposés  au  combat. 
Mais  lorsque  je  n'y  serai  plus,  toi  aussi  tu  seras  persécuté'!  »  Mé- 
lanchihon,  de  son  côté,  se  plaignait  amèrement  que  beaucoup  de  par- 
tisans des  nouvelles  doctrines  rentraient  dans  le  giron  de  l'Église*. 


Depuis  la  diète  de  Worms  il  était  devenu  évident  que  Luther 
et  ses  partisans  visaient  au  complet  renversement  de  l'organisa- 
tion ecclésiastique  et  par  conséquent  de  toute  la  législation  exis- 
tante ^  Aussi  les  esprits  qu'effrayait  une  révolution  si  radicale 
se  séparèrent-ils  de  Luther  à  dater  de  ce  moment.  Bien  des  pané- 
gyristes des  premiers  jours  firent  silence;  beaucoup  rentrèrent 
même  franchement  dans  le  camp  des  défenseurs  de  l'Église.  Érasme, 
dès  le  mois  de  mai  1520,  se  repent  de  tout  ce  qu'il  a  écrit  précé- 
demment en  faveur  des  nouvelles  doctrines.  Il  prévoit  dans  un  avenir 
prochain  la  spoliation  de  l'Église,  les  révoltes,  la  guerre  et  la  ruine 
des   lettres*.  Mutian,  qui  avait  d'abord  salué  en  Luther  -  l'étoile 

'  De  Wette,  t.  II,  p.  2. 

*  Mélanchthon  à  Spalatin,  septembre  1521,  dans  le  Corp.  Reform.,  t.  I,  p.  456. 

=  nroysen  dit  à  propos  du  prodigieux  travail  de  destruction  entrepris  par 
Luther  (2'',  p.  108)  :  ^  Jamais  révolution  n'a  plus  profondément  creusé,  n'a 
plus  effroyablement  détruit,  n'a  ju;;é  d'une  manière  plus  implacable.  Comme 
à  un  signal  donné,  tous  les  liens  d'obéissance  et  de  respect  se  trouvent  dénoués, 
et  tout  est  remis  en  question,  d'abord  dans  l'appréciation  des  hommes,  ensuite, 
avec  une  logique  entraînante,  dans  les  faits,  dans  la  discipline  et  le  bon  ordre. 
Des  propriétés  immenses  ne  sont  plus  en  sécurité,  malgré  leurs  titres  légaux. 
Les  tribunaux  ecclésiastiques,  avec  leurs  vastes  ramifications,  cessent  tout  à 
coup  de  fonctionner.  La  juridiction  de  l'ordinaire  tombe  en  désuétude.  • 
•  L'ordre  temporel  et  spirituel,  tout  est  en  pleine  dér.oute,  dans  le  chaos.  • 
«  Tout  est  menacé,  ébranlé  jusqu'en  sa  plus  profonde  racine,  et  jusqu'à  la  ques- 
tion même  de  son  existence.  • 

*  Sur  la  confiscation  des  biens  du  clergé  projetée  par  le  parti  révolutionnaire. 
Érasme  écrivait  à  Juste  Jonas  (10  mai  1521)  :  '  Qua  re  nihil  arbitror  sceleratius, 

!  ac  publicae  tranquillitati  perniciosius.  Etenim  si  ideo  fas  arbitrantur  invadere 

I  facultates  sacerdotum,  quod  quidam  suis  ad  luxum,  aut  alioqui  ad  res  parum 

'  honestas  abutuntur,   nec  civibus ,  me  magnatibus  aliquot  erit  satis  firma  rerum  suarum 

possessio.  —  Belle  vero  consultum  rebus  humanis,  si  impie  tollatur  a  sacerdotibus, 

.  quo  pejus  abutantur  homines  railitares,  qui  sic  sua  profundunt,  nonnunquam 

'  et  aliéna,  ut  nulli  mortalium  sint  usui.  •  Érasme  gémissait  :  «  E  meis  libris 

!  quos  scripsi,  priusquam  somniarem  exoriturum    Lutherum,    odiosa  quaedam 

decerpserunt  et  in   Germanicam  versa  linguam  publicarunt,  quaî  viderentur 

affinia  quibusdam  Lutheri  dogmatis...  Ut  ingénue  dicara,  si  prœcissem  hujus- 

modi  sa^culum   exoriturum,   aut  non   scripsissem  quaedam,    quae  scripsi,   aut 

aliter  scripsissem.  »  Op.,  III,  p.  641-642, «p.  572. 

12. 


180        LUTHER  ,]U(;E  PAR  SES  CONTEMPORAINS. 

du  matin  de  Wittemberg  ",  s'aperçoit  maintenant  qu'il  n'est  que 
a  rinsti{ïateui*  et  le  père  d'une  révolution  funeste  ",  et  se  plaint 
.<  de  la  témérité,  de  l'intolérable  présomption  des  novateurs,  dont 
la  fureur  ressemble  à  du  délire  '  « .   «  Crotus  Rubianus  reconnaît 
qu'il  est  criminel  d'attaquer  TÉglise,  cette  maîtresse  auguste,  cette 
sainte  Mère,  quia  donné  au  monde  de  si  sages  lois*.  »  Mais  l'homme 
le  plus  complètement  transformé,   c'est  Ulrich    Zasius,  l'un  des 
savants  les  plus  illustres  de  ce  temps  \  Lui  aussi  avait  espéré  qu'une 
réforme  heureuse  sortirait  des  prédications  de  Luther  ^  et  peu  de 
temps  avant  la   dispute  de  Leipzig,  on  l'avait  entendu  s'écrier  : 
«  Puisse  le  voyage  de  notre  Luther  s'effectuer  sous  d'heureux  aus- 
pices !  »  Mais  lorsque  Luther  eut  nié  l'institution  divine  de  l'Église 
et  l'infaillibilité  des  conciles,  Zasius,  insensiblement,  commença  à 
se  détacher  de  lui,  et  à  partir  de  la  diète  de  Worms  jugea  avec 
une  sévérité  toujours  plus  grande  ses  projets  révolutionnaires.  11 
souffre  de  voir  Mélanchthon  abaisser  «  sa  noble  intelligence  jus-   j 
qu'à   se  faire  le   champion  des  erreurs  luthériennes  ».  11  écrit  le 
21   décembre   1521   à  son  ancien  élève  Thomas  Blarer  qui  avait 
embrassé  les  doctrines  nouvelles  :  «  Tu  me  plains,  et  moi,  de  mon  [ 
côté,  je  te  plains  de  toute  mon  âme!  Tu  es  jeune,  tu  ne  connais  j 
pas  le  monde,  et  tu  quittes  l'Église  pour  courir  après  des  ombres?  » 
«  Est-il  juste  que  l'Église  entière  soit  bouleversée  a.  cause  des  fautes 
de  quelques-uns  ?  Vous  jugez  l'ensemble  d'après  quelques  excep-  li 
tions,  les  abus  vous  font  perdre  de  vue  ce  qui  est  louable,  et  vous  n 
confondez  toutes  les  questions.  «  Les  blasphémateurs  de  la  messe  |; 
causent  à  Zasius  une  douleur  particulière,  et  il  se  propose  de  les  •■ 
réfuter  :  "  Un  tel  travail  me  siérait  fort  bien  ",  dit-il,  «  quoique 
je  ne  sois  qu'un  légiste,  puisque  vous  autres,  grammairiens,  vous, 
poètes,  vous,  jeunes  gens,  vous  ne  craignez  pas  de  remettre  en 
question  les  principes  les  mieux  établis  de  la  théologie.  -^  «  Vous 
niez  l'efficacité  des  bonnes  œuvres?  Cependant  n'est-il  pas  dit  à 
propos  des  justes  :   "  Leurs  œuvres  les  accompagnent  et  les  sui- 
"  vent  «?  Vous  réclamez  la  liberté  évangélique,  mais  vous  ne  démon- 
trez nulle  part  comment  on  la  peut  obtenir.  Quel  est  donc  votre 
dessein,    malheureux  jeunes   gens,   qui   vous    laissez    séduire  par 
des  docteurs  imprudents  ?  »  «  Tu  dis  que  tu  as  étudié  l'Évangile  en 

>  Voy.  Rampschulte,  t.  II,  p.  227-232.  —  Krause,  Briefwechsel,  t.  LXI,  LXIV. 

2  Heu  scelus  est,  dominam  sanctamque  lacessere  matrem, 

Quœ  peperit  leges  res  aliasque  bonas. 

Dal.  Cal.  Quinciil.  1521  à  Petrejus,  voy.  Kampschulte,  t.  II,  p.  139,  note. 
^  Voy.  sur  Zasius  notre  premier  volume,  p.  95-97. 

*  ■  Lutheri  quacunque  me  contiugunt  »,  écrit-il  en  1519  à  Boniface  Amer- 
bach,  ■  ita  excipio,  ac  si  angelo  auctore  eraerissent.  ■  riegger,  Zasii  Episi.,  4. 


LUTHER   .JU(;É    PAR    SES    CONTEMPORAINS.  181 

puisant  à  sa  source  même;  tu  prétends  l'avoir  reçu  de  Jésus-Christ 
seul,  et  non  des  Pères  de  l'Éjjlise.Qui  te  conteste  ce  droit"?Moi  aussi, 
j'étudie  les  sources;  mais  dans  les  passages  douteux  ou  obscurs  des 
saints  livres,  je  m'en  rapporte  plus  volontiers  ä  l'interprétation  d'un 
saint  Jérùme,  d'un  saint  Augustin,  d'un  saint  Jean  (^hrysostome, 
qu'à  ton  interprétation  ou  à  celle  de  tes  amis.  Quel  prodige  d'or- 
gueil! (Juoi!  un  homme  isolé  prétend  que  son  sentiment  doive 
être  préféré  à  celui  de  tous  les  Pères  de  l'Église,  à  celui  de  l'Église 
elle-même,  et  de  la  chrétienté  tout  entière!  Pourquoi?  pour  quelle 
raison?  à  quel  propos,  je  le  prie?  Mais  je  devine  ce  que  tu  vas 
me  répondre  :  C'est  l'Esprit,  diras-tu;  Il  nous  conduit,  11  nous 
inspire!  L'Esprit  !  dis-moi,  mon  Thomas,  quel  esprit?  Oh!  que  de 
choses  ne  pourrais-je  pas  te  dire  à  ce  sujet  !  Est-ce  donc  cet  Esprit 
qui  vous  inspire  tant  d'injures,  tant  d'abominables  outrages?  J'ai  lu 
dans  l'épitre  de  saint  Jacques  que  la  sagesse  est  pacifique  et  chaste. 
Mais  je  t'entends  me  répondre  :  Ce  n'est  pas  la  paix,  c'est  le  glaive 
que  le  Seigneur  est  venu  apporter  sur  la  terre.  Oui,  c'est  la 
répouse  que  Luther  a  faite  aux  princes  de  la  diète.  Mais  qui  ne  voit 
qu'en  parlant  ainsi  il  forçait  le  sens  de  la  sainte  Écriture  avec  une 
insupportable  témérité,  comme  tous  vous  avez  coutume  de  le  faire? 
N'est-il  pas  évident  que  Notre-Seigneur  n'a  jamais  prononcé  ces 
paroles  dans  le  sens  que  vous  dites?  J'ai  appris  de  lui  qu'il  fallait 
laisser  l'épée  dans  le  fourreau,  et  que  celui  qui  l'en  tirerait  périrait 
par  l'épée.  Qui  sait  si  alors  il  n'avait  pas  Luther  eu  vue?  »  "  Sous 
prétexte  de  zèle  pour  l'Évangile  ",  dit  encore  Zasius,  qui  ne  fut  mal- 
heureusement que  trop  prophète,  <  nous  verrons  bientôt  le  peuple  se 
précipiter  dans  toutes  sortes  d'excès  avec  une  licence  effrénée  ^  » 
«  J'ai  longtemps  bien  auguré  des  commencements  de  Luther  », 
écrivait  dans  le  même  esprit  que  Zasius  le  chanoine  Charles  de 
Bodmann;  '  non  que  je  désirasse  une  scission  avec  l'Église,  un  chan- 
gement dans  son  enseignement;  non  que  je  russe  disposé  à  croire 
nécessaires  ou  souhaitables  de  nouveaux  dogmes  ou  un  nouveau  culte; 
mais  parce  qu'avec  beaucoup  d'hommes  éclairés,  j'espérais  voir, 
grâce  à  ses  écrits,  une  heureuse  réforme  religieuse  tentée  et  accom- 
plie. Malheureusement,  ce  qui  se  passe  autour  de  nous  ne  montre 
que  trop  clairement  que  nous  nous  étions  tous  amèrement  trompés! 
Comment  les  luthériens  pourraient-ils  réformer  une  institution  dont 
ils  rejettent  tout  l'organisme,  tous  les  actes,  toutes  les  antiques  et 
vénérables  traditions,  et  qu'ils  représentent  sans  cesse  comme  perni- 
cieuse et  corrompue?  L'esprit  mondain,  la  luxure,  la  cupidité,  la  pas- 
sion pour  les  jouissances  de  la  vie,  le  mépris  des  lois,  la  haine,  l'envie, 


'  Voy.  StiNTZING,  Ulrich  Zasius,  p    223-233. 


182  LUTHER   JUGÉ    PAR    LUI-MÊME. 

et  toutes  les  passions  basses,  quels  que  puissent  être  leurs  noms,  sont 
profondément  enracinés  dans  toutes  les  classes  de  la  société;  ces 
vices  se  propagent,  ils  nous  envahissent  et  sont  les  fruits  ordinaires  de 
notre  nature  corrompue.  On  les  a  vus  se  produire  dans  tous  les  siècles 
aussi  bien  que  dans  le  nôtre,  et  parmi  nous,  ils  dominent  dans  tel 
territoire,  dans  tel  autre,  en  cette  ville-ci,  en  celle-là,  dans  l'exacte 
mesure  où  les  ecclésiastiques  et  les  laïques  d'un  rang  élevé  donnent 
de  fâcheux  exemples  aux  classes  inférieures.  Mais  comment  corriger 
et  améliorer  grands  et  petits  si  l'on  commence  par  leur  ôter  le  seul 
frein  qui  pouvait  encore  retenir  leurs  passions;  si  l'on  foule  aux  pieds 
toute  discipline  ecclésiastique;  si  l'on  répand  à  pleines  mains  le 
mépris  sur  les  lois  pénales  de  TÉglise;  si  l'on  tient  le  jeune  et  la 
confession  pour  choses  inutiles  et  même  dangereuses  ?  Pense-t-on 
apaiser  la  soif  de  l'or  et  des  richesses  en  désignant  aux  puissants, 
comme  un  appât  facile  à  saisir,  les  riches  propriétés  du  clergé? 
Croit-on  consolider  et  protéger  la  sainteté  de  la  vie  de  famille  en 
émettant  sur  le  mariage  des  principes  qui  font  rougir  tout  chrétien 
honnête  et  sérieux?  En  attaquant  l'Église  et  sa  doctrine,  on  attaque 
en  même  temps  toute  notion  religieuse,  et  dès  que  le  peuple  aura 
perdu  la  foi,  toute  autorité  temporelle  sera  ébranlée.  L'intelligence 
de  Luther  est  noble,  élevée  par  certains  côtés,  mais  l'orgueil  a  causé 
sa  chute.  Je  voudrais  pouvoir  lire  dans  son  âme,  et  savoir  le  juge- 
ment que  lui-même  porte  sur  sa  mission  et  sur  les  résultats  de  son 
œuvre;  je  voudrais  savoir  comment  il  apprécie  les  actes  auxquels  on 
le  fait  servir  d'instrument  *,  » 


YI 


C'est  par  les  entretiens  confidentiels  de  Luther  avec  ses  amis,  c'est 
par  sa  correspondance  intime  que  nous  pourrons  connaître  exac- 
tement le  jugement  qu'il  portait  sur  lui-même  et  sur  son  œuvre. 
Dès  son  séjour  à  la  Wartbourg,  il  est  assailli  d'angoisses,  de  doutes, 
de   tourments   intérieurs  *.    «    Bouleverser  les   lois   religieuses   et 

'  *  Lettre  du  23  juillet  1524,  écrite  peu  de  semaines  avant  l'explosion  de  la 
guerre  des  paysans.  Voy.  plus  haut,  p.  162,  note  5. 

*  Sur  le  lamentable  état  spirituel  de  Luther  pendant  son  séjour  à  la  Wart- 
bourg, voy.  ses  lettres  dans  de  Wette,  t.  II,  p.  2,  10,  I6,  17,  22,  33.  Tandis  qu'il 
annonçait  en  prophète  l'explosion  d'un  incendie  {jénéral  en  Allemagne,  il  sentait 
s'allumer  au  fond  de  son  être  un  autre  incendie  éveillé  par  la  concupiscence 
dans  sa  chair  immortifiée.  •  Garnis  meae  indomita;  uror  magnis  ignibus  — 
ferveo  carne,  libidine,  pigritia,  otio,  somnolentia.  »  13  juillet  1521,  lettre  à 
Mélanchthon.  Voy.  de  Wette,  t.  II,  p.  22. 


LUTHER   JUGÉ    PAR    LUI-MÊME.  183 

humaines  malgré  le  sentiment  de  tous  les  hommes  ",  et  porteries 
autres  à  vouloir  un  pareil  clian{jement,  lui  semblait  toutefois  une 
entreprise  «  d'une  immense  portée  ".  "  f)h!  qu'il  m'en  a  coiUé  ' , 
écrit-il  le  28  novembre  1521  aux  Augustins  de  Wittemberg,  «  et 
que  de  peines,  de  difficultés  n'ai-je  pas  eues,  môme  en  m'appuyant 
sur  les  textes  de  la  sainte  Écriture  les  mieux  établis,  avant  de 
parvenir,  et  à  grand'peine,  à  me  justifier  aux  yeux  de  ma  propre 
conscience!  Ouand  je  venais  à  réfléchir  que  moi,  individu  isolé, 
j'osais  résister  au  Pape,  le  tenir  pour  l'Antéchrist,  appeler  les  évo- 
ques apôtres  de  l'Antéchrist  et  les  Universités  ses  maisons  publiques, 
que  de  fois  mon  cœur  a  frémi  au  dedans  de  moi  !  Que  de  fois  il  m'a 
châtié,  me  répétant  avec  reproche  son  perpéluel  argument  :  Es- 
tu  donc  le  seul  sage?  tous  les  autres  se  sont-ils  trompés?  Est-il 
probable  qu'ils  aient  erré  si  longtemps?  Et  si  toi-même  tu  étais 
dans  l'illusion!  Et  si  tu  avais  égaré  toutes  ces  âmes!  Et  si,  à  cause 
de  toi,  elles  se  voyaient  un  jour  condamnées  à  un  éternel  châti- 
ment! 'I  Mais  Luiher  se  persuadait  que  les  angoisses  de  cette  nature 
ne  se  représenteraient  plus.  Le  Christ,  assurait-il,  l'avait  affermi  et 
confirmé  par  sa  parole  positive,  infaillible,  et  son  cœur  ne  frémissait 
plus.  Il  résisterait  à  tous  les  arguments  des  papistes  «  comme  une 
digue  de  pierre  résiste  aux  vagues  en  furie  ».  Désormais  il  ne 
ferait  que  rire  de  leur  «  vacarme  et  de  leurs  menaces  «  '. 

Mais  Luther  s'abusait. 

Les  angoisses  intérieures  revinrent,  et  recommencèrent  à  le  tor- 
turer presque  sans  relâche;  et  jusqu'en  sa  vieillesse  une  voix  secrète, 
qu'il  prenait  à  la  vérité  pour  celle  du  démon,  lui  redemandait  sans 
cesse  de  qui  il  tenait  la  mission  de  prêcher  l'Évangile  en  lui  prêtant 
un  sens  que,  pendant  tant  de  siècles,  nul  évêque,  nul  saint  n'avait 
pris  sur  lui  d'adopter.  Et  si  son  œuvre  déplaisait  à  Dieu?  Et  si  Dieu 
le  rendait  responsable  de  la  perte  de  tant  d'âmes  ^?  ^  Personne  ne  peut 

1  De  Wette,  t.  II,  p.  107. 

2  Sämmtl.  Werke,  t.  LIX,  p.  296,  et  t.  LX,  p.  6,  45.  Les  luttes  de  Luther  avec  le 
diable,  qu'il  croyait  voir  apparaifre  sous  toutes  les  formes  possibles,  sont  bien 
connues.  ■  Le  diable  »,  Aiiaii-W  (Hauspostille),  ^  se  déguise  quelquefois,  comme  je 
l'ai  souvent  remarqué  moi-même,  soit  en  porc,  soit  en  un  brandon  de  paille  ar- 
dent, etc.  "  A  la  Wartbourg,  il  raconte  à  son  ami  Myconius  que  le  diable  lui  est 
apparu  deux  fois  sous  la  forme  d'un  chien  furieux,  prêta  le  dévorer.  — Mycomus, 
Hist.  Reform. ,  p.  42.  Dans  son  jardin,  il  croyait  souvent  reconnaître  le  démon  sous 
la  forme  d'un  sanglier  noir.  A  Cobourg,  il  l'aperçut  dans  une  étoile.  —  Voy.  Ma- 
THESius,  Historie,  p.  184.  Ses  idées  sur  les  demeures  que  le  démon  se  choisit  sur  la 
terre  sont  curieuses,  ainsi  que  ses  opinions  sur  le  diable,  considéré  comme  homi- 
cide. Sur  ce  sujet  voy.  les  anecdotes  reproduites  dans  le  Journal  de  L.4.lterb.4.ch, 
p.  109,  129, 143,  156.  Il  croyait  que  le  margrave  Joachim  de  Brandebourg»  habuit 
fœdus  cura  Sathana,  ipse  et  pater  ejus  =.  —  Lalterbach,  p.  105.  Il  était  ferme- 
ment convaincu  de  l'alliance  des  sorciers  avec  le  diable,  et  se  déclarait  même 
prêt  à  brûler  les  sorciers  de  sa  propre  main.  «  Cum  illis  nuUa  h;ibenda  est 
misericordia.  >  Je  voulais  les  brûler  moi-même,  «  more  legis,  ubi  sacerdotes 


184  LUTHER   JUGÉ    PAR    LUI-MÊME- 

se  représenter  »,  avouait-il  lui-même,  -<  combien  il  en  coûte  et  quel 
casse-tête  c'est,  pour  un  homme,  que  d'enseigner  et  de  croire  une 
doctrine  que  n'admettent  point  les  Pères  de  TÉglise.  Ouel  trouble 
en  son  cœur  lorsqu'il  songe  que  tant  d'hommes  excellents,  éclairés, 
instruits,  et  pour  ainsi  dire  la  meilleure  et  la  plus  grande  partie  du 
monde  chrétien,  ont  cru  et  enseigné  tel  et  tel  article,  et  avec  eux 
tant  d'âmes  saintes,  les  Ambroise,  les  Jérôme,  les  Augustin!  On  croit 
les  entendre  pousser  des  cris  de  détresse,  et  répéter  en  chœur  : 
L'Église!  l'Église!  Et  c'est  alors  dans  l'âme  une  suprême  douleur! 
Oui,  c'est  en  vérité  une  rude  épreuve  que  de  vaincre  son  âme  en  des 
choses  semblables,  de  se  séparer  de  tant  de  saints  personnages  qui 
ont  su  conquérir  le  respect  de  tous,  et  dont  le  nom  est  partout  en 
vénération;  de  rompre  avec  l'Kglise  elle-même,  et  de  n'avoir  plus 
ni  foi  ni  confiance  en  ses  enseignements!  "  Sa  conscience  lui  repro- 
chait d'avoir  propagé  une  fausse  doctrine,  d'avoir  détruit  l'antique 
équilibre  de  l'Église,  «  si  paisible  et  si  calme  sous  le  papisme  >',  et 
d'avoir  été  l'occasion  d'innombrables  scandales,  discordes,  troubles, 
rixes.  -  .)e  ne  puis  nier  ",  avoue-t-il,  le  trouble  et  l'angoisse  que  ces 
pensées  me  causent  souvent,  r  Mais  il  cherchait  à  apaiser  ses  cruelles 
perplexités  en  se  persuadant  qu'il  enseignait  »  Jésus-Christ  seul  », 
le  seul  qui  fût  infaillible,  au  lieu  que  l'Église  avait  pu  se  tromper 
et  s'était  effectivement  trompée;  il  se  répétait  que  sa  doctrine 
n'était  autre  chose  que  l'Évangile  «  pur  et  sans  alliage  »,  et  que 
par  conséquent  personne  n'avait  le  droit  ni  le  pouvoir  de  l'entraver  '. 
Cette  doctrine,  il  était  de  nécessité  urgente  de  la  prêcher,  quand 
bien  même,  à  cause  d'elle,  le  monde  entier  devrait  être  précipité  dans 
l'abime.  «  Tout  cela  est  effrayant  '•,  disait-il,  c  mais  inévitable.  La 
solution  est  prompte  et  claire  :  si  l'on  refuse  de  croire  *,  point  de 
salut,  car,  dit  le  Seigneur  Jésus,  Celui  qui  m'a  envoyé  et  dont  j'ai 
entendu  le  témoignage,  c'est  celui-là  même  qui  m'a  ordonné  de 
prêcher,  et  il  ne  ment  point.  On  entend  quelquefois  dire  :  Si  le 
Pape  est  renversé,  l'Allemagne  périra,  elle  sera  brisée,  broyée  en 
mille  pièces!  Eh  bien,  qu'y  puis-je  faire?  je  ne  saurais  l'empêcher!  A 
qui  la  faute?  Hélas!  disent  les  bonnes  gens,  si  seulement  ce  Luther 
n'était  pas  venu  et  n'avait  pas  prêché,  la  papauté  serait  encore 
debout,  et  nous  jouirions  d'une  douce  paix!  Que  voulez-vous  que 
j'y  fasse?  »  Il  ne  craignait  point  de  comparer  l'état  de  la  chré- 
tienté avant  la  prédication  de  sa  doctrine  à  celui  du  monde  païen 


reos  lapidare  incipiebant  -.  —  Lauterbach,  p.  121.  Voy.  p.  117.  —Nous  revien- 
drons avec  plus  de  détails  sur  ce  sujet  dans  notre  cinquième  volume. 

»  Snmmtl.  Werke,  t.  XLVI,  p.  226-229,  et  t.  LX,  p.  82.  —  Voy.  t.  LIX,  p.  297.  et 
t.  XLVIII,  p.  358. 

*  C'est-à-dire  à  son  nouvel  Évangile. 


LUTHER    JUGÉ    PAR    LUI-MÊME.  185 

avant  la  mission  des  apôtres  :  «  En  ce  temps-là  on  disait  aussi  à 
Home  :  Depuis  que  saint  Pierre  et  saint  Paul  sont  venus  ici,  tout 
tombe  en  ruine;  autrefois,  lorsque  nous  adorjons  les  idoles,  nous 
étions  bien  plus  heureux  !  La  môme  criaillerie  recommence  de 
nos  jours.  Ah!  répè(e-t-on,  si  l'on  n'avait  pas  |)réché  rKvanp,ile, 
toul  n'aurait  pas  été  de  la  sorte,  nous  serions  tranquilles!  Eh  bien, 
mes  amis,  il  faut  vous  attendre  à  mieux  encore,  car  le  Christ  a  dit  : 
«  J'ai  encore  bien  des  choses  à  vous  enseigner,  j'ai  encore  d'autres 
«  choses  à  juger  »,  ce  qui  signifie  que  vous  devez  laisser  cet  Évangile 
se  répandre,  et  que,  si  vous  vous  y  opposiez,  il  ne  vous  resterait  pas 
une  seule  motte  de  terre,  pas  une  pierre  l'une  sur  l'autre  '  !  » 

Dans  tout  ce  qu'il  publie,  c'est  avec  la  même  assurance  qu'il  parle 
de  la  vérité  absolue  de  sa  doctrine.  Mais  quand  il  s'épanche  avec  ses 
amis,  son  langage  est  bien  diliérent.  Après  avoir  prêché  pendant 
plus  de  vingt  ans,  voici  l'aveu  qui  lui  échappe  :  «  Ce  qui  me  remplit 
d'étonnement,  c'est  que  je  ne  puis  avoir  moi-même  une  pleine  con- 
fiance en  ma  doctrine!  Je  suis  devenu  mon  propre  ennemi  à  cause 
d'elle,  tandis  que  mes  disciples  pensent  la  savoir  sur  le  bout  du 
doigt  V  )'  Mathésius,  son  panégyriste,  rapporte  qu'un  certain  Antoine 
Musa,  curé  de  Hochlitz,  ouvrant  un  jour  son  âme  au  docteur,  s'était 
plaint  à  lui  de  la  peine  qu'il  avait  à  se  persuader  à  lui-même  ce  qu'il 
enseignait  aux  autres.  "  Dieu  soit  loué!  »  s'écria  aussitôt  Luther,  «  il 
en  arrive  donc  autant  aux  autres  qu'à  moi-même!  Je  croyais  être  le 
seul  à  éprouver  ces  choses  *  »  !  Pour  se  consoler  dans  ses  doutes, 
il  cherchait  à  se  persuader  que  saint  Paul,  lui  aussi,  n'était  jamais 
parvenu  à  croire  fermement  à  sa  doctrine,  et  que  le  doute  avait 
été  pour  lui  cet  aiguillon  de  la  chair  dont  il  est  parlé  dans  ses 
épitres.  La  parole  de  l'Apôlre  :  ';  Je  meurs  tous  les  jours  »,  signifiait, 
au  dire  de  Luther,  l'angoisse  qu'il  éprouvait  au  sujet  de  son  ensei- 
gnement. «  A  parler  franchement,  je  ne  puis  malheureusement 
avoir  cette  foi  inébranlable  que  je  témoigne  en  mes  prédications, 
mes  discours  et  mes  écrits.  Je  ne  crois  pas  avec  autant  de  fer- 
meté que  beaucoup  de  gens  se  l'imaginent.  »  Se<;  combats  inté- 
rieurs, sa  détresse,  ses  profonds  abattements,  trouvent  parfois  pour 
s'exprimer  des  paroles  tellement  poignantes,  qu'elles  nous  émeuvent 
de  pitié.  Après  de  p.ireilles  luttes,  il  était,  disait-il,  si  épuisé,  si 
brisé  dans  tous  ses  membres,  qu'il  avait  peine  à  respirer,  et  res- 
tait longtemps  pantelant.  Personne  ne  pouvait  alors  lui  apporter 
quelque  consolation,  et  il  se  disait  à  lui-même  :  «  Pourquoi  suis-je 
seul  à  passer  par  de  pareilles  angoisses?  Pourquoi  faut-il  que  je 

•  Sämmtl.  Werke,  t.  XLVIII,  p.  342-343. 
s  Sammil.  Werke,  t.  LXII,  p.  122. 
^  Historien^  p.  139. 


186  LUTHER   JUGÉ    PAR    LUI-MÊME. 

sois  assailli  par  de  semblables  tenlations?  »  «  Oh!  j'ai  vu  d'horribles 
visages,  de  hideux  fantômes!  Au  milieu  de  si  affreuses  visions,  je 
me  suis  souvent  demandé  si  j'avais  encore  une  parcelle  de  cœur 
dans  mon  corps!  »  «  Je  suis  parfois  en  colère  contre  moi-même  », 
avoue-t-il  ailleurs,  i'-  parce  que  je  ne  puis  pendant  ces  luttes  atta- 
cher mes  pensées  sur  Jésus-Christ  ni  me  délivrer  de  la  tentation, 
moi  qui  ai  tant  lu,  tant  écrit,  tant  prêché  sur  ce  sujet'!  =>  «  Si 
tout  autre  que  moi  avait  eu  à  soutenir  les  combats  que  j'ai  à  subir, 
il  serait  mort  depuis  longtemps!  J'ai  surtout  éprouvé  de  rudes  assauts 
au  sujet  de  mes  prédications,  lorsque  je  me  disais  :  Est-ce  ainsi 
que  tu  tranches  toutes  les  questions?  Dans  mes  luttes,  j'ai  sou- 
vent été  jusque  dans  l'enfer,  et  ensuite  Dieu  m'en  délivrait,  puis 
me  consolait.  L'esprit  de  tristesse  n'est  autre  chose  que  la  conscience 
elle-même;  ceux  qui  ont  enduré  dans  leur  conscience  des  tortures 
spirituelles  comptent  ensuite  pour  rien  les  combats  de  la  chair  *.  n 
Un  jour,  un  prédicateur  ayant  raconté  en  sa  présence  que  le  démon 
lui  avait  suggéré  la  pensée  de  se  donner  la  mort  au  moyen 
d'un  couteau,  Luther  s'écria  :  «  Cela  m'est  aussi  arrivé  bien  des 
fois  !  Tenant  un  couteau  entre  mes  mains,  cette  mauvaise  pensée 
m'est  venue,  et  souvent  m'a  complètement  empêché  de  prier.  Le 
diable,  alors,  me  chassait  de  la  chambre'.  -^  «  Je  sais  quelqu'un  qui 
pourrait  se  lamenter  presque  autant  que  Job  et  Jérémie,  et  répé- 
ter comme  eux  :  Je  souhaiterais  n'être  jamais  né''.  «  «  Moi  aussi,  je 
suis  tenté  de  m'écrier  quelquefois  :  Pourquoi  suis-je  venu  en  ce 
monde,  et  pourquoi  ai-je  publié  mes  livres?  Je  n'avais  pas  demandé 
la  vie!  je  verrais  mes  livres  anéantis  sans  regret'!  »  it  J'ai  été  bal- 
lotté et  jeté  çà  et  là  parmi  les  tempêtes;  les  vagues  furieuses  du 


^  Siinimll.  Werke,  t.  LX,  p.  108,  1 1 1 . 

'  Tome  LXII,  p.  16,  et  t.  LX,  p.  46,  109. 

'  Tome  LX,  p.  61. 

*  De  Wette,  t.  V,  p.  153. 

^  De  W^ette,  t.  III,  p.  189.  —  Voy.  Keil,  Luthers  Lebensumstande,  t.  II,  p.  1S9.  — 
Voy.  ces  passages  plus  au  long  dans  Döllinger,  Reformation,  t.  III,  p.  245-260.  La 
relation  impartiale  que  l'aml)assadeur  polonais,  .lean  Dantiscus.  nous  a  laissée  de 
sa  visite  à  Lutht  r  (1523),  est  pleine  d'intérêt.  Dantiscus  fut  présenté  à  Lutlier  par 
Mélanchthon.  ■  Luther  se  leva  »,  écrit-il;  ■  une  sorte  de  timidité  paraissait  dans 
sa  démarche,  il  me  tendit  la  main,  et  me  pria  de  prendre  place.  Nous  nous 
assîmes,  et  restâmes  au  moins  quatre  heures,  jusqu'à  la  nuit,  à  causer  de  divers 
sujets.  Je  trouvai  en  lui  un  homme  spirituel,  instruit,  éloquent;  mais  en  parlant 
du  Pape,  de  l'Empereur  et  de  quelques-uns  des  princes,  il  ne  se  sert  que  de 
paroles  sarcastiques,  amères  et  mordantes.  Son  visage  ressemble  à  ses  livres;  les 
yeux  sont  perçants  et  brillent  d'un  feu  singulier,  comme  celui  qu'on  remarque 
quelquefois  dans  les  regards  des  possédés.  Son  langage  est  violent,  semé  de 
sarcasmes,  d'épigrammes.  Son  habillement  ne  se  distingue  en  rien  de  celui  d'un 
gentilhomme  ordinaire.  Mais  lorsqu'il  quitte  sa  demeure  (autrefois  un  couvent), 
il  remet,  dit-on,  son  froc  de  moine.  Notre  visite  ne  fut  pas  uniquement  remplie 
par  la  conversation.  Nous  bûmes  ensemble  gaiement  du  via  et  de  la  bière, 


LUTHER   JUGÉ    PAR    LUI-MÊME.  187 

désespoir  et  du  blasphème  m'ont  assailli  »,  écrit- il  un  jour  à 
Mélanchtlion;  et  à  un  auire  de  ses  amis  :  <  Bien  des  {jens,  parce 
que  dans  mon  extérieur  j'alfecte  quelquefois^  un  air  joyeux,  s'ima- 
ginent que  je  ne  marche  que  sur  des  roses;  cependant  Dieu  sait 
dans  quel  état  je  suis,  la  moilié  du  temps!  »  Sans  relâche,  sans 
répit,  il  était  en  butte  aux  plus  rudes  combats  intérieurs,  et  lui- 
môme  a  avoué  que,  pour  y  échapper,  il  avait  souvent  recours  à 
de  copieuses  libations,  au  jeu,  à  la  plaisanterie,  ou  bien  s'elïor- 
çait  de  penser  à  une  jolie  fille,  ou  cherchait  à  exciter  en  lui  une 
violente  colère  '. 

Or  ce  qui  réussissait  toujours  à  le  mettre  dans  cette  violente 
colère,  c'était  le  souvenir  de  l'Église,  de  sa  doctrine,  de  ses  institu- 
tions; c'était  surtout  la  papauté.  Pour  maîtriser  ses  angoisses,  pour 
justifier  sa  rébellion,  il  s'évertuait  à  adopter  de  plus  en  plus  dans 
sa  polémique  ce  ton  violent,  passionné,  qui  a  jeté  dans  l'étonne- 
ment  et  l'elfroi  tous  ses  contemporains  calmes  et  de  sang-froid, 
amis  ou  ennemis.  Dès  qu'on  attaquait  sa  doctrine  de  la  justification 
par  la  foi  seule  :  «  Injurier  sans  retard  »,  telle  était  sa  maxime.  "  Il 
n'y  a  que  d'incurables  benêts  qui  puissent  soutenir  que  c'est  un  péché 
d'insulter  Home*  »,  disait-il.  Lorsqu'il  éprouvait  de  la  difficulté  à 
prier,  il  essayait  aussitôt  de  se  représenter  le  Pape,  "  avec  ses  ulcères 
et  sa  vermine  ».  Alors  son  cœur  «  brûlait  d'indignation  et  de  haine, 
et  sa  prière  devenait  ardente^  ».  «  Ma  gloire,  mou  honneur,  et 
j'aspire  à  les  mériter  »,  disait-il,  «  c'est  qu'un  jour  on  puisse  dire  de 
moi  que  j'ai  versé  à  pleines  mains  l'injure,  l'outrage  et  la  malédic- 
tion sur  les  papistes!  »  «  Je  veux  jusque  dans  ma  tombe  m'achar- 
ner  à  injurier,  à  outrager  ces  misérables!  Ils  n'auront  de  moi  nulle 
bonne  parole!  Mon  tonnerre  retentira  à  leurs  oreilles,  leurs  yeux 
seront  éblouis  par  mes  éclairs,  et  cela  jusqu'à  ce  qu'ils  succombent! 
Puisque  je  ne  puis  pas  prier,  je  puis  du  moins  maudire!  Au  lieu  de 
dire  :  Que  ton  nom  soit  sanctifié,  je  dirai  :  Maudit,  damné,  honni 
soit  le  nom  des  papistes!  Au  lieu  de  répéter  :  Que  ton  règne  nous 
arrive,  je  dirai  :  Que  la  papauté  soit  maudite,  damnée,  exterminée! 

selon  la  coutume  du  pays.  Luther,  comme  on  dit  en  allemand,  me  semble  être 
«  un  bon  compagnon  •  {ein  gut  geselle);  quant  à  ses  mœurs  sévères,  dont  beau- 
coup parmi  nons  vantent  le  mérite,  il  ne  me  paraît  nullement  au-dessus  des  sim- 
ples mortels.  L'orgueil  se  fait  tout  de  suite  remarquer  en  toute  sa  personne,  ainsi 
qu'une  grande  ambition.  Il  est  vraiment  par  trop  libre  dans  ses  railleries,  quo- 
libets, médisances.  Aureste,  ses  écrits  révèlent  exactementlhomme.  »  Lettre  du 
6  aoilt  1526,  dans  Hipler,  p.  71-74.  —  IIöfleu,  Adrien  VI,  p.  320,  note  2,  cite 
l'opinion  de  Danticus  sur  Luther:  «  affirmans  eum  esse  daemoniacum-. 

*Voy.  ces  citations  dans  Dollingek,  t.  III,  p.  257.  —  Voy.  Sammtl.  Werke, 
t.  LX,  p.  124-125.  —  De  Wette,  t.  IV,  p.  188. 

*  Sammtl.  Werke,  t.  LX,  p.  129. 

2  Sammtl.  Werke,  t.  LX,  p.  107-108. 


188  LUTHER   JUGÉ    PAR    LUI-MEME. 

Et  en  réalité  c'est  ainsi  que  je  prie  tous  les  jours  sans  relâche,  soit 
des  lèvres,  soit  du  cœur'  !  » 

Tout  ce  qui  provoquait  sa  colère  et  s'opposait  à  lui  devait  être 
anéanti.  Aussi  avait-il  juré  une  guerre  à  mort  non-seulement  à  la 
papauté,  mais  à  tous  ceux  qui  combattaient  sa  doctrine,  "  gens 
endiablés,  possédés  et  archipossédés,  gueules  menteuses!  »  Les 
Juifs  aussi  lui  étaient  en  horreur  :  «  C'est  un  peuple  obstiné,  incré- 
dule, orgueilleux,  pervers,  maudit,  un  bouillon  d'iniquités  »,  disait- 
il.  11  eût  voulu  voir  mettre  le  feu  à  leurs  synagogues,  à  leurs  écoles. 
11  fallait,  si  cela  était  possible,  y  jeter  du  soufre  et  de  la  poix,  et  si 
l'on  avait  pu  y  mettre  le  feu  de  l'enfer,  c'eût  été  mieux  encore.  Ce 
qui  ne  voudrait  pas  brûler,  on  devait  l'enfouir  dans  la  terre,  de 
façon  que  jamais  personne  n'en  puisse  revoir  pierre  ni  débris. 
"  Voilà  comment  il  faut  agir  pour  honorer  Notre-Seigneur  et  la 
chrétienté  tout  entière,  et  c'est  à  ces  actes  que  Dieu  verra  que 
nous  sommes  sincèrement  chrétiens!  Donc,  que  l'on  démolisse,  que 
l'on  détruise  leurs  demeures!  Pour  eux,  qu'on  les  mette  sous  un 
auvent  ou  dans  une  étable;  qu'on  leur  enlève  tous  leurs  livres  de 
prières,  le  Talmud,  la  Bible;  qu'on  défende  à  leurs  rabbins,  sous 
peine  de  mort,  d'enseigner  à  l'avenir;  qu'on  leur  interdise  l'usure; 
qu'on  ôte  d'entre  leurs  mains  toutes  les  marchandises  brutes,  les 
joyaux  d'or  et  d'argent,  et  qu'on  mette  tous  ces  trésors  de  côté. 
Et  si  tout  cela  ne  suffit  pas  encore,  qu'on  les  chasse  en  pleine  cam- 
pagne comme  des  chiens  enragés!  «  "  J'ai  fait  ce  qui  dépendait  de 
moi  »,  dit-il  en  terminant  cette  apostrophe;  '  que  chacun  voie 
maintenant  ou  il  en  est  de  son  devoir  :  j'ai  fait  le  mien*!  » 

Le  langage  de  Luther  en  vint  enfin  à  de  tels  excès  de  violence  et  de 
grossièreté,  que  Wilibald  Pirkheimer  croyait  y  reconnaître  la  preuve 
d'une  véritable  aliénation  mentale  ou  d'une  possession  du  démon  ^ 
«  Luther  ne  garde  plus  aucune  mesure!  "  écrit  Bullinger,  un  des  théo- 
logiens luthériens  les  plus  respectés  de  la  Suisse.  "  En  vérité  ses  écrits 
ne  contiennent  la plupartdu  temps  qu'outrage,  emportement,  fureur! 
Dieu  lui  donne-t-il  un  bon  terrain?  Il  le  sème  aussitôt  de  tant  de 
paroles  grossières  et  dissolues  que  le  bongrainnesaurait  ygermer,  et 
qu'on  ne  l'y  distingue  plus.  Il  envoie  tout  de  suite  au  diable  tous  ceux 
qui  ne  se  livrent  pas  entièrement  à  lui.  Parmi  tant  de  sarcasmes,  c'est 
l'esprit  de  haine  qu'on  voit  dominer  en  lui,  non  l'esprit  de  bonté 
et  de  paternelle  onction.  Beaucoup  et  trop  de  prédicateurs  tirent  de 
ses  écrits  amers  tout  un  arsenal  de  paroles  grossières,  puis,  une  fois 

'  Sämmtl.  Werke,  t.  XXV,  p.  108. 
*Tome  XXXII,  p.  217,  233-236,  252-254,  259-260. 

^  «  Adeo  ut  plane  iriianire,  vel  a  raalo  damonio  agitari  videatur.  >  Lettre  de 
Pirklieimer  à  Kilian  Leib,  »öllinger,  Heformation,  t.  I,  p.  533-534. 


JUGEMENT    PORTÉ    PAR    ULRICH    ZASIUS    SUR    LUTHER.      189 

en  chaire,  se  décharf,eQt  de  leur  butin,  et  en  fatiguent  les  oreilles  du 
pauvre  peuple  de  Dieu.  Ces  tristes  exemples  propagent  dans  toute 
la  communauté  chrétienne  le  goiU  de  l'insulte,  et  la  plus  grande 
partie  de  cette  société  qui  se  dit  évan{',clique  ne  sait  plus  témoi};ner 
sa  foi  que  par  des  propos  injurieux,  .'ipres  cl  mordants.  11  est  clair 
comme  le  jour,  et  malheureusement  impossible  à  nier,  que  personne 
avant  Luther  n'avait  été  plus  libre  dans  ses  propos,  plus  indécent, 
plus  querelleur,  que  personne  n'a  blessé  davantage  la  retenue  et  la 
chasteté  chrétiennes,  et  cela  dans  les  questions  qui  regardent  la  foi. 
Et  pourtant  quelques-uns  de  ses  écrits  sont  pleins  d'élévation  et  de 
gravité;  mais  on  dirait  qu'il  vise  toujours  à  se  surpasser  lui-même 
dans  l'art  de  l'invective'.  ^  «  Bien  souvent  %  dit  Théobald  liillika- 
nus,  "  j'ai  conjuré  .Mélanchthon,  lui  qui  est  la  joie,  l'orgueil  de  l'Alle- 
magne, de  modérer  le  zèle  de  Luther,  d'adoucir  sa  violence  par 
des  représentations  douces  et  amicales,  car  je  crois  pouvoir  pré- 
dire qu'entraîné  vers  la  révolte  par  de  semblables  apostrophes,  le 
peuple  surexcité  précipitera  bientôt  l'Allemagne  dans  une  incurable 
détresse  ^  " 

!'  Que  dirais-je  à  ce  sujet?  ^  écrit  avec  douleur  Ulrich  Zasius  à  Boni- 
face  Amerbach;  <  Luther,  dans  son  délire  impudent,  interprète  l'Écri- 
ture tout  entière,  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament,  depuis  le  pre- 
mier chapitre  de  la  Genèse  jusqu'à  la  dernière  sylIabC;  dans  le  sens 
d'une  perpétuelle  menace  et  malédiction  contre  les  papes,  les  évêques 
et  les  prêtres.  Il  semble  qu'à  travers  tous  les  siècles  Dieu  n'ait  eu 
d'autre  affaire  que  de  tonner  contre  le  clergé!  »  =  L'esprit  de 
Luther  ),  dit-il  ailleurs,  «  engendre  la  haine,  la  discorde,  les  émeutes, 
les  ressentiments,  le  meurtre  ^  « 

'  Voy.  DÖLHNGER,  t.  m,  p.  262-263. 
*Voy.  DÖLLINGER,  t.  I,  p.  149. 

^  Voy.  RiEGGER,  Zasii  epist,,  p.  72.  «  ...parit  inimicitias,  lites,  aemulationes, 
iras,  concertationes,  sectas,  invidias,  caedes,  etc.  ••  —  Vov.  Höfler,  Adrian  il, 
p.  319. 


CHAPITRE   H 

SOULÈVEMENT   DU    PEUPLE   PAR   LA    PRÉDICATION    ET   LA    PRESSE. 
(1521-1523.) 


Cependant  le  «  grand  embrasement  »  auquel  on  s'était  attendu 
lors  de  la  diète  de  Worms  n'avait  pas  encore  éclaté. 

Mais  en  dépit  de  l'édit  impérial,  prédicateurs  ambulants,  prêtres 
séculiers,  moines  sortis  de  leurs  couvents  ou  simples  laïques,  conti- 
nuaient sans  relâche  à  entretenir  l'agitation  populaire  par  des  libelles 
révolutionnaires  de  tous  genres.  Les  écrits  et  les  discours  les  plus 
passionnés,  les  pamphlets  les  plus  injurieux  pour  l'Église  étaient 
tolérés  dans  la  plupart  des  territoires  allemands.  Le  peuple  des  cam- 
pagnes, surtout,  était  entraîné  dans  le  mouvement  révolutionnaire; 
on  le  pressait  de  s'affranchir  par  la  violence  du  joug  des  institutions 
établies.  Le  clergé  tout  entier,  depuis  le  Pape  jusqu'au  dernier  moine 
mendiant,  et  avec  lui  toute  prescription,  toute  pieuse  coutume  de 
l'Église,  étaient  raillés  et  honnis  de  la  manière  la  plus  grossière  et  la 
plus  cynique.  Dans  les  cabarets,  dans  les  maisons  de  bains,  sur  les 
places  de  marché,  en  pleine  campagne,  un  grand  nombre  d'orateurs 
improvisés  déblatéraient  contre  "  la  prétraille,  les  serviteurs  de  Satan, 
le  dragon  de  l'enfer,  contre  leurs  crimes  sodomites  et  les  jongleries 
abominables  dont,  prétendaient-ils,  le  culte  des  saints  était  pour  eux 
le  prétexte,  les  idoles,  la  confession,  les  prières,  les  dîmes,  etc.  «.  On 
dépeignait  au  peuple,  sous  les  mêmes  couleurs,  les  exactions  des 
grands  princes  temporels  en  les  représentant  comme  tout  à  fait  into- 
lérables'. "  Les  tyrans  ecclésiastiques  et  laïques  qui  vous  pillent  », 
lit-on  dans  un  pamphlet  de  1521,  «  sont  évidemment  responsables  en 
partie  de  la  peste  qui  dévaste  en  ce  moment  l'Allemagne  '\  ii  «  Une 

'  Voy.  les  extraits  de  sermons  et  de  pamphlets  cités  par  Hagex,  t.  II,  p.  155-227, 
et  Balr,  Deutschland  in  den  Jahren  1517-1527. 
-  Cité  dans  Glos,  und  Comment.  F*. 


SOULÈVEMENT  DU  PEUPLE  PAR   LA  PRÉDICATION  ET  LA  PRESSE.      191 

morlalifé  effrayante  désole  loiit  le  pays,  et  contribue  encore  à 
exciter  l'ima^jination  populaire.  Eu  Bavière,  les  princes  n'osent 
plus  résider  dans  aucune  ville;  à  Vienne,  vinjyt-quatre  mille  hommes 
ont  péri  victimes  du  fléau,  qui  cependant  ne  parait  pas  diminuer.  » 
A  CoIo{;ne,  sur  toute  la  rive  du  Hliin,  en  Souabe,  en  Sui.sse,  en 
Autriche,  la  mort  fraisait  d'épouvantables  ravagées'. 

L'un  des  prédicateurs  et  des  pamphlétaires  les  plus  influents  de 
cette  époque,  c'est  Jean  Eberlin  de  Giinzbourg,  ancien  moine  fran- 
ciscain. Il  prêchait  en  Suisse,  en  Souabe,  en  Bavière,  en  Saxe  et 
ailleurs,  annonçant  en  tous  lieux  le  <  nouvel  Évangile  >  par  la  parole 
et  par  la  plume. 

Au  dire  d'Éberlin,  «  tout  |)rètre  était  impie,  cupide,  querelleur, 
envieux,  adultère  ».  La  colère  de  Dieu  s'était  appesantie  sur  les 
prêtres,  et  c'était  miracle  que  le  peuple  ne  les  eiU  pas  encore  lapidés. 
"  Moines  et  prêtres  ont  calculé  et  médité  jour  et  nuit  les  meilleurs 
moyens  de  nous  tromper.  Tandis  que,  pleins  de  soucis  et  d'angoisses, 
nous  ne  songions  qu'à  nous  procurer  la  subsistance  de  tous  les  jours, 
celle  de  nos  enfants  et  de  nos  serviteurs,  nous  ne  nous  apercevions 
pas  que  nos  guides  spirituels,  nos  cagots  hypocrites  avaient,  sous 
de  beaux  prétextes,  préparé  la  mort  de  notre  âme.  ><  Grâce  aux 
doctrines  des  universités  et  des  moines  mendiants,  les  Allemands 
étaient  devenus  ^  pires  que  des  païens  et  plus  gueux  que  des  men- 
diants ».  Parlant  de  saint  François  d'Assise,  fondateur  de  l'Ordre 
auquel  il  avait  jadis  appartenu,  Éberlin  disait  que  c'était,  ^  ou  un  fou, 
qu'on  eiU  dû  chasser  à  bous  coups  de  crosse,  ou  un  infâme  scélérat, 
qu'il  eiU  fallu  expulser  du  pays  ».  A  la  vérité,  on  ne  pouvait  nier 
K  qu'il  n'y  eût  eu  beaucoup  de  saintes  âmes  dans  son  Ordre;  mais 
un  mauvais  arbre  ne  pouvait  porter  de  bons  fruits;  ces  âmes  avaient 
sans  doute  servi  de  pièges  à  Satan;  en  tout  cas,  Satan  était  le  véri- 
table auteur  de  la  règle  franciscaine  ». 

<  O  mère  »,  s'écriait  Éberlin,  «  toi  qui  envoies  ton  enfant  au  cou- 
vent, tu  es  plus  dure  que  la  pierre,  tu  es  une  louve,  une  lionne, 
une  vraie  Médée!  Père,  tu  es  moins  père  que  meurtrier;  ami,  tu  es 
moins  ami  qu'ennemi;  citoyen,  tu  agis  comme  un  étranger;  chré- 
tien, tu  es  pire  que  l'Antéchrist!  O  mère,  si  tu  avais  étouffé  ton 
enfant  dans  son  berceau,  tu  aurais  été  mieux  inspirée,  car  cet  enfant 
est  destiné  à  pleurer  le  jour  de  sa  naissance  comme  Jérémie  et 
comme  Job;  il  deviendra  un  autre  Antéchrist,  parce  que  là  où  sont 
les  moines,  là  se  rassemblent  les  soldats  et  les  serviteurs  du  démon.  » 

Éberlin  demandait  donc  que  l'on  chassât  les  moines  du  pays  et 
de  la  ville  comme  oppresseurs  de  la  divine  parole.  Le  souverain  tem- 

'  G.  KiRCHMAiu,  Denkwûr  digkeiten,  dans  les  Fontes  rer.  Auslriacarum  script.,  1. 1,  p.  457. 


192     SOULÈVEMENT  DU  PEUPLE  PAR  LA  PRÉDICATION  ET  LA  PRESSE. 

porel  avait  le  devoir  de  les  faire  étrangler,  en  punition  des  blas- 
phèmes publics  et  incessants  qu'ils  proféraient  contre  Dieu;  de  cette 
manière  on  se  verrait  enfin  débarrassé  de  ces  misérables  et  détes- 
tables «  mangeurs  d'images  ».  Lutlier  n'avait-il  pas  dit  et  répété 
qu'il  fallait  délivrer  le  monde  des  pourceaux  qui  habitent  les  cou- 
vents? Tous  ceux  qui  prononçaient  des  vœux,  -  moines,  religieuses, 
prêtres  »,  étaient  «  les  sujets  du  diable;  et  par  conséquent  ils  étaient 
maudits  de  Dieu  »  ;  comme  Achab,  ils  s'étaient  vendus  pour  com- 
mettre l'iniquité.  "  Le  nègre  deviendra  blanc  avant  que  le  moine 
soit  capable  de  quelque  bonne  action.  »  Les  consécrations  de  l'Église 
n'étaient  que  des  pièges  séducteurs;  donc  il  fallait  les  abolir,  aidé 
de  la  parole  de  Dieu  et  soutenu  par  l'autorité  légitime. 

Les  prêtres  et  les  évêques  devaient  se  marier,  «  car  Dieu  a 
ordonné  l'état  du  mariage,  et  il  n'en  a  pas  excepté  les  prêtres  ». 
-'  Les  évêques  qui  empêchent  les  prêtres  de  se  marier  sont  les 
ennemis  du  bien  public;  leur  conduite  est  antichrétienne.  »  En  tête 
du  traité  où  Éberlin  cherche  à  établir  ces  principes,  se  trouve  une 
gravure  représentant  trois  couples  prêts  à  recevoir  la  bénédiction 
nuptiale  :  un  moine  et  une  religieuse,  un  moine  et  une  dame,  un 
évêque  et  une  dame. 

Quant  aux  édifices  consacrés  au  culte,  Eberlin  enseignait  que 
l'église  est  une  maison  destinée,  non  par  Dieu,  mais  par  la  com- 
munauté chrétienne,  aux  pieuses  assemblées,  et  que,  lorsque  cette 
maison  n'est  plus  du  goût  de  la  communauté,  on  peut  s'en  servir 
sans  aucun  scrupule  pour  divers  usages  profanes,  et  la  transformer 
en  boutique,  maison  de  bains,  boulangerie,  boucherie,  etc.  =  C'est 
le  commencement  de  tout  le  mal  et  c'est  une  grande  ruse  du  diable 
que  la  persuasion,  où  il  nous  a  tous  mis,  que  Dieu  réclame  de  nous 
une  demeure.  Le  démon  nous  a  ainsi  détachés  du  Christ  et  de  son 
esprit,  pour  nous  attirer  aux  pompes  et  aux  frivolités  de  la  terre. 
Cependant  Jésus-Christ  avait  dit  :  =  Mon  royaume  n'est  pas  de  ce 
"  monde.  "Le  pays  est  ruiné  par  la  construction  des  églises;  les  autels, 
les  tableaux,  les  verrières  nécessitent  d'énormes  dépenses.  Non- 
seulement  les  frais  sont  considérables,  mais  il  n'est  pas  de  petit  vil- 
lage qui  ne  veuille  avoir  deux,  trois  églises.  A  tout  bout  de  chemin 
il  nous  faut  des  chapelles,  et  chaque  cultivateur  veut  avoir  dans  sa 
vigne  ou  dans  son  champ  un  petit  oratoire  pour  son  saint.  »  ■•  Vos 
pieux  ancêtres  »,  dit  Éberlin  aux  habitants  d'Ulm  à  propos  de  leur 
cathédrale,  '  ont  cédé  à  la  tentation;  ils  ont  fait  construire  une 
église  magnifique,  beaucoup  d'argent  y  a  passé  et  y  passe  encore 
tous  les  ans  ;  on  eiU  bien  mieux  fait  de  donner  cet  argent  aux  pauvres, 
au  lieu  de  le  prodiguer  aux  adorateurs  de  temples.  Avoir  une  mai- 
son qui  serve  au  culte,  cela  n'est  pas  répréhensible  ;  mais  sachez 


SOULÈVEMENT  DU  PEUPf.K   PAR   LA  PHÉDICATION  ET  LA  PRESSE.      193 

bien  que  cette  maison  n'est  pas  plus  a^^réable  à  Dieu  qu'une  maison  de 
bains,  un  établissement  de  douane  ou  un  liOIel  de  ville.  Dieu  veuille 
que  vous  ayez  le  bon  sens  de  démolir  toutes  vos  é[}lises  de  marbre  et 
de  pierre,  et  de  construire  avec  leurs  débris^un  bel  hôpital,  ou  bien 
des  asiles  pour  les  pauvres!  Je  souhaiterais  presque  que  l'orajjc 
détruisit  vos  égalises,  et  j'aiderais  volontiers  à  en  construire  de  nou- 
velles où  l'on  ne  verrait  ni  tableaux,  ni  précieux  ornements,  ni 
riches  all'ublements  de  prêtres.  Allez  plutôt  au  marché  ou  à  la  danse 
habillés  de  velours,  de  soie,  d'or  et  d'argent,  que  de  souffrir  que  le 
prêtre  lasse  servir  ces  riches  étoffes  à  son  culte  idolâtrique.  •■ 

11  n'était  nullement  nécessaire,  enseignait  encore  Kberliu  aux 
paysans,  que  chaque  église  eût  son  curé.  '^  Durant  bien  des  siècles  nos 
ancêtres,  en  Allemagne,  n'ont  souvent  eu  qu'un  curé  pour  dix  ou  douze 
villages.  Si  ta  conscience  te  tourmente,  cherche  conseil  et  consola- 
tion auprès  d'un  chrétien  pieux,  digne  de  ta  confiance.  Si  tu  ne  peux 
avoir  de  prêtre,  prends  un  laïque;  si  tu  ne  rencontres  pas  ce  que  tu 
cherches  dans  un  homme,  confie-toi  à  une  femme,  soit  pour  ce  qui 
concerne  ta  vie,  soit  pour  t'aider  à  l'heure  du  dernier  passage.  Souffre 
plutôt  la  mort  que  de  te  laisser  contraindre  à  la  confession  ;  contente- 
toi  d'aller  à  l'église  aux  jours  fériés.  S'il  ne  t'est  pas  possible  de  t'y 
rendre,  que  la  foi  te  suffise.  Si  tu  ne  peux  recevoir  l'Eucharistie  au 
moment  de  la  mort,  le  désir  que  tuen  as  suffit.  -  "  Surtout  %  ajoutait 
Éberlin,  <  hâtons-nous  de  nous  débarrasser  de  tous  ces  prêtres,  diseurs 
de  messes.  »  »  La  messe  est  un  si  grand  outrage  fait  à  Dieu  qu'il 
vaudrait  mieux,  plutôt  que  de  la  dire,  jeter  le  Sacrement  dans  les 
latrines,  ou  dans  une  étable  à  porcs.  > 

Dans  son  Traité  sur  la  réforme  du  clercjé,  Éberlin  va  jusqu'à  émettre 
le  vœu  qu'il  soit  défendu  "  sous  peine  de  mort  »  d'enseigner  au 
peuple  d'autre  prière  que  le  Pater  et  le  Credo;  encore  ne  veut-il  pas 
du  symbole  de  saint  Athanase,  il  n'accepte  que  celui  des  apôtres. 

Dans  sa  Nouvelle  Organisatio)i  de  l'état  laïque,  il  trace,  dès  1.321,  le 
plan  suivant  au  su^et  de  la  réforme  sociale  qu'il  voulait  voir  s'opérer  : 
"  L'État  ne  reconnaîtra  d'autre  travail  honorable,  d'autre  moyen 
d'existence  que  l'agriculture.  Aucune  marchandise  étrangère,  si  ce 
n'est  dans  des  cas  urgents  d'utilité  publique,  ne  pourra  être  intro- 
duite dans  le  pays.  L'importation,  même  du  blé  ne  sera  permise 
que  dans  un  cas  d'extrême  nécessité.  On  ne  tolérera  pas  plus  de 
trois  associés  dans  les  compagnies  commerciales.  Le  gibier,  le  pois- 
son seront  propriété  commune,  et  chacun  pourra  en  user  pour  ses 
•besoins,  s'il  peut  se  les  procurer  par  la  chasse  ou  la  pêche.  Tout  indi- 
vidu aura  le  droit  de  couper  du  bois  dans  la  forêt,  mais  jamais  au 
delà  de  ses  besoins;  on  pourra  acheter  chez  le  boulanger  pour 
un  demi-pfenning  '  autant  de  pain  qu'un  homme  robuste  en  peut 

II.  13 


194      SOULÈVEMENT  DU  PEUPLE  PAR   LA   PRÉDICATION  ET  LA  PRESSE. 

manger  à  son  repas;  une  mesure  de  vin  ne  coûtera  pas  plus  d'un 
kreutzer,  et  cette  mesure  sera  suffisamment  grande  pour  que  deux 
hommes,  «  ayant  raisonnablement  soif  > ,  en  aient  assez  pour  leur 
dîner.  -  Toute  charge,  même  celle  du  Roi,  sera  conférée  par  les  suf- 
frages de  tous.  Dans  les  conseils,  paysans  et  nobles  seront  égaux  en 
nombre,  mais  nul  prêtre  n'y  pourra  siéger.  Celui  dont  l'avoir  ne 
dépasse  pas  cent  florins  ne  sera  pas  obligé  de  payer  d'impôt;  celui 
qui  aura  davantage  payera  un  liard  par  semaine,  n 

«  Dans  les  villes,  à  l'exception  des  édifices  d'utilité  publique, 
aucune  maison  luxueuse  et  magnifique  ne  sera  construite.  Tout  indi- 
vidu dépensant  au  delà  de  ce  que  son  revenu  a  été  estimé,  sera 
dénoncé  sous  serment  à  l'autorité.  Personne  ne  pourra  léguer  quel- 
que chose  aux  établissements  publics.  " 

L'autorité  temporelle  sera  seule  chargée  du  soin  des  pauvres  et  de 
l'organisation  de  l'enseignement  scolaire,  qui  sera  obligatoire  et 
gratuit.  Voici  quel  est  le  curieux  plan  tracé  par  Éberlin  pour  cet 
enseignement  :  «  Tout  enfant,  fille  ou  garçon,  sera  conduit  à  l'école 
dès  sa  troisième  année,  et  fréquentera  les  classes  jusqu'à  l'âge  de 
huit  ans.  Les  écoles  seront  entretenues  sur  les  fonds  publics.  Les 
enfants  y  apprendront  la  doctrine  chrétienne  dans  l'Évangile  et 
dans  saint  Paul.  Ils  devront  être  formés  à  l'intelligence  du  latin 
aussi  bien  que  de  l'allemand,  et  savoir  lire  un  peu  le  grec  et  l'hébreu. 
En  outre,  ils  apprendront  le  violon,  la  géométrie,  le  calcul,  l'astro- 
nomie, enfin  la  botanique  et  la  médecine  usuelle,  ainsi  que  l'art 
d'appliquer  les  remèdes  dans  les  maladies  ordinaires.  Lorsqu'un 
enfant  aura  atteint  l'âge  de  huit  ans,  on  lui  fera  apprendre  un 
métier,  à  moins  qu'on  ne  lui  permette  de  poursuivre  ses  études,  « 
«  Il  semble  en  vérité  que  le  monde  soit  devenu  fou  ou  songe- 
creux  '),  dit  à  propos  de  ces  plans  scolaires  l'auteur  des  Plainles^ 
d'un  simple  moine.  «  On  voit  se  faire  jour  de  merveilleuses  fantaisies! 
Les  gens  se  mettent  dans  l'esprit  que  ceci,  que  cela  doit  être  enseigné 
aux  enfants;  les  têtes  s'échauffent,  s'emplissent  de  projets  extrava- 
gants; enfin  tous  deviennent  si  emportés,  si  disputeurs,  que  c'est 
chose  pitoyable  à  voir  '.  » 

Éberlin  voulait  aussi  que  la  philosophie  fiU  bannie  des  Univer- 
sités, ainsi  que  tous  les  auteurs  scolastiques,  à  moins  qu'il  ne  s'agit 
de  les  livrer  au  mépris  des  élèves.  Il  demandait  que  les  livres  de 
droit  canon  et  les  Décrétales  fussent  publiquement  brûlés. 

Dans  toutes  les  questions  intéressant  la  chose  publique,  soit  à  la 
ville,  soit  à  la  campagne,  nulle  autorité  ne  devait  être  exercée  «  sans 
la  participation  et  le  conseil  de  ceux  que  la  majorité  des  citoyens 

'  BI.  c. 


SOULftVEMENT  DU  PEUPLE   PAP.   I,.\   PhÉDlf.ATION  FT  r.A   PRESSE.      195 

aurait  élus  et  investis  de  son  mandat,  n.  «  Tous  les  anciens  droits 
impériaux  et  ecclésiastiques  seraient  abolis  •  »  ;  «  chacun  connaîtrait 
des  droits  communs,  et  serait  en  état  d'apprécier  la  légitimité  ou 
rillé{;alilé  d'un  acte.  A  l'avenir  on  n'aurait  plus  besoin  ni  de  juriste 
ni  d'avocat.  » 

Un  pamphlet  publié  vers  1.322,  et  intitulé:  Besoins  et  mressités de 
la  nation  allemunde ;  organixation  et  réforme  de  toutes  les  condilinns 
dans  l'Empire  romain  *,  réclame  aussi  UD  changement  radical  dans 


'  V'oy.  Kurz,  Einleitung  zu  Murner's  Gedicht  vom  grossen  lutherischen  X'arren,  IX-XXVII. 

—  Hagen,  t.  II,  p.  167-169,  226,  309,  33i.  —  RiGGENBiC»,  p.  44,  58-77,  88-96,  99,  105, 
124-125,  148,  181-186.  Les  opinions  d'Kl)erlin  sur  les  connaissam  es  quun  enfant 
peut  avoir  acquises  à  huit  ans  ne  concordent  pas  avec  les  vues  qu'il  a  exposées 
en  d'autres  endroits  de  ses  ouvrages.  -  Luther  et  Mélanchthon  -,  dit-il,  -eussent 
été  contents  de  voir  leurs  écrits  brûlés,  ainsi  que  ceux  de  tous  les  autres  doc- 
teurs, afin  qu'en  fait  de  lecture  les  chrétiens  se  contentassent  de  la  Bible.  En 
cela  ils  avaient  ^ai^on.  En  effet,  chacun  de  nous  sait,  par  sa  propre  expérience, 
le  peu  de  profit  qu'on  retire  des  livres  de  doctrine,  comme  un  auteur  rejette 
l'opinion  d'un  autre  et  en  fournit  rarement  une  meilleure,  les  lecteurs  sont 
divisés  de  senti inents,  et  les  connaissances  qu'ils  retirent  de  leurs  lectures  ne  sont 
que  vanité  et  bafjatelle.  Lis  Origène,  Jérôme,  etc.;  que  trouves-tu  dans  leurs 
ouvrages?  rien  que  fleurs  de  rhétorique  et  vanité  humaine!  Saint  Chrysostome 
aurait  fait  un  meilleur  juge  de  village  qu'un  docteur  de  l'Eglise.  Saint  Augus- 
tin, à  force  d'avoir  écrit,  a  été  obligé  de  rétracter  plus  d'un  passage  de  ses 
livres.  Saint  Grégoire  a  composé  une  masse  de  traités  de  morale  :  mais  celui 
qui  médite  dix  pages  de  la  Bible  et  laisse  ensuite,  plein  de  foi,  l'Esprit  divin 
agir  en  lui  et  l'instruire  au  dedans,  tire  plus  de  profit  de  sa  lecture  que  de 
tous  ses  livres.  Que  n'a  pas  écrit  Boëce  sur  la  Sainte  Trinité?  La  chrétienté 
n'eût-elle  pas  subsisté  sans  cela?  Un  cœur  vraiment  affermi  dans  la  foi  se  con- 
tente de  la  Bible,  et  ne  se  soucie  que  médiocrement  des  sciences  et  des  arts 
humains.  Il  ne  s'en  approprie  que  ce  qu'il  peut  en  apprendre  sans  grande  perte 
de  temps  et  sans  grand  labeur.  >  (Riggenbàch,  p.  137-138  )  Plus  tard,  Éberlin, 
comme  Rii;genbach  le  prouve  surabondamment  dans  son  ouvrage,  revint  de 
beaucoup  de  ses  idées  extravagantes  et  outrées.  En  parlant  de  ses  travaux 
apostoliques,  il  disait  :  ^  Je  paraissais  singulier  à  plusieurs  eu  enseignant  que 
pour  un  chrétien  il  y  a  encore  autre  chose  à  faire  qu'insulter  les  prêtres,  man- 
ger de  la  viande,  cesser  d'assister  à  la  messe,  ne  plus  se  confesser,  et^'.  J'éton- 
nais mon  auditoire  en  blâmant  l'excès  dans  le  boire  et  le  manger,  en  léprou- 
vaut  la  gloutonnerie  des  soi-disant  évangélistes.  la  luxure,  l'usure,  les  blas- 
phèmes, les  mensonges  et  déloyautés  auxquels  ils  étaient  enclins.  C'est  sans 
doute  le  diable  qui  rend  beaucoup  de  ceux  qui  se  disent  évangélistes  et  luthé- 
riens plus  opiniâtres,  moins  soumis  que  qui  que  ce  soit.  Maintenant  que  vous 
vous  êtes  affranchis  du  joug  papal  par  un  motif  de  conscience,  vous  seriez 
bien  aises  de  vous  délivrer  aussi  de  toute  peine,  et  de  vivre  dans  la  bonne 
chère,  foulant  aux  pieds  la  croix  du  (  hrist  et  méprisant  son  exemple.  Vous 
deviendriez  ainsi  deux  fois  pires  que  les  papistes,  et  même  que  Tyr,  Sidon 
et  Sodome.  Aussi  les  gens  de  Sodome  seront-ils  jugés  avec  plus  de  miséri- 
corde que  vous  au  dernier  jour.  •  Riggenbach,  p.  221-222-242.  —  Voy.  la  table 
chronologique  des  œuvres  complètes  d'Éberlin  dans  Riggenbach,  p.  285-290. 

—  V.  A.  Kaufmann,  Archive  des  histor.  l  ereins  von  Unter/ranken  und  Aschaffenburg , 
t.  XX,  p.  1-29. 

'Attribué  faussement  à  FrédéricIH,  qui  l'avait  composé,  prétendait-on,  ^  pour 
la  gloire  de  Dieu,  l'utilité  et  le  salut  de  toute  la  chrétienté  ^.  —  Voy.  Hagen, 
t.  II,  p.  338-342.  —  Friedrich,  Astrologie  und  Reformation,  p.  138-149.  —  StaLIN, 
t.  IV,  p.  298,  note  1. 

13. 


196      SOULÈVEMENT  DU  PEUPLE  PAR  LA  PREDICATION  ET  LA  PRESSE. 

l'état  de  choses  existant.  Il  demande  que  les  docteurs  en  droit  canon 
ou  en  droit  séculier  soient  cassés  dans  tous  les  tribunaux;  que  tous 
les  droits  séculiers  impériaux,  jusque-là  appliqués,  soient  supprimés, 
à  l'exception  de  quelques  lois  qui  "  |.our  de  solides  raisons,  et  exa- 
minées au  plein  jour  de  la  pure  vérité,  seront  reconnues  d'utilité 
publique  •'.  Les  douanes,  péages,  frais  d'escort«,  monnaie  suspecte, 
enchérissement  de  denrées,  impôts  et  charges  établis  jusque-là  dans 
l'Empire,  tout  cela  devait  être  aboli,  à  l'exception  de  ce  qui  serait 
reconnu  pour  vraiment  nécessaire,  afin  que  l'égoisme  des  particu- 
liers ne  nuisit  plus  au  bien  public,  et  que  nul  obstacle  ne  s'opposât 
désormais  à  la  prospérité  des  industries  et  métiers  usuels.  =<  Aucun 
marchand  ne  pourrait  entreprendre  une  affaire  comportant  un  capi- 
tal de  plus  de  dix  mille  florins  :  l'excédant  retournerait  à  l'État.  '•■ 
«  Certes,  princes  ».  dit  l'auteur  inconnu  de  cet  écrit,  «  vous 
convoitez  un  bien  injuste;  vous  voudriez  continuer  à  sucer  à  votre 
guise  la  sueur  et  le  saug  du  peuple,  mais  en  vérité  vous  avez  fait 
assez  de  mal;  tenez-vous  pour  avertis.  •-  "  Dans  vos  palais,  vous 
êtes  entourés  de  flatteurs,  d'hypocrites,  de  mangeurs  de  soupe; 
aussi  ne  pouvez-vous  souffrir  qu'on  vous  dise  la  vérité  en  face;  celui, 
au  contraire,  qui  améliore  votre  position  en  nous  exploitaut,  est 
toujours,  à  vos  yeux,  un  habile  compère.  Parmi  vous,  personne  ne 
s  soucie  de  savoir  si  la  fortune  qu'il  possède  est  légitimement 
cquise.  Il  en  jouit,  cela  lui  suffit.  Il  semble  que  Dieu  n'ait  créé  les 
siens  que  pour  vous  servir  de  dupes!  Vos  extorsions  ne  sont  plus 
nécessaires.  >  Le  haut  clergé  a  transformé  la  population  en  une  troupe 
de  mendiants  :  "  A  vous,  bons  chrétiens,  nobles  et  roturiers,  riches 
et  pauvres,  jeunes  et  vieux,  de  réfléchir  à  ces  choses  en  votre  âme 
et  conscience,  et  de  décider  si  une  telle  situation  peut  être  long- 
temps tolérée  ou  maintenue  parmi  nous!  Je  voudrais  bien  savoir  à 
quoi  servent  les  hauts  dignitaires  ecclésiastiques!  Je  voudrais  bien 
aussi  que  quelqu'un  me  dise  si  Jésus-Christ,  notre  Rédempteur,  tan- 
dis qu'il  était  sur  la  terre,  a  jamais  parlé  de  moines  et  de  religieuses! 
Si  le  clergé  ne  veut  pas  restituer  le  bien  de  l'Église,  il  peut  être  sûr 
que  «  Dieu  le  récompensera  selon  ses  mérites  ",  c'est-à-dire  qu'on  lui 
arrachera  de  force  sa  propriété.  Vous  avez  surchargé  et  tyrannisé 
le  peuple,  mais  voici  venir  le  temps  où  vos  biens  seront  partagés  et 
traités  comme  butin  ennemi.  >  '■  Vous  avez  opprimé  la  nation,  mais 
bientôt  elle  s'élèvera  contre  vous  à  son  tour,  et  vous  ne  saurez  où 
trouver  un  lieu  de  refuge.  » 

«  Les  agitateurs  se  répandent  de  tous  côtés  dans  les  cités  et  les 
villages  »,  lit-on  dans  les  Plaintes  d'un  simple  moine;  «  ils  distribuent 
des  livres  remplis  d'injures,  de  caricatures  ignobles  contre  le  haut  et 
le  bas  clergé.  Ils  enseignent  que  l'on  ne  doit  aux  prêtres  ni  dime, 


SOULfiVEMENT  DU  PEUPLE   PAR   LA   P(!l!:i)IC.\TION  ET  LA  PRESSE.      197 

ni  redevances,  et  qu'il  faut  les  dépouiller  de  tout  ce  qu'ils  possèdent, 
les  chasser  et  les  ég^orger.  Ils  accommodent  la  Sainte  Écriture  à  leurs 
desseins  maudits,  ponssenl  le  peuple  à  se  révoller  contre  toute  auto- 
rité et  toute  loi,  et  la  divine  parole  est  contrainte  de  servir  de  man- 
teau à  leurs  conseils  séducteurs  et  pervers  '.  » 

C'est  ainsi,  par  exemple,  que  le  prédicant  de  Memmingen,  Chris- 
tophe Scliappler,  persuadait  aux  paysans,  Bihlc  en  main,  '  que  le 
Nouveau  Testament  avait  aboli  la  dime;  qu'il  était  anlichrétien  d'exi- 
ger des  fidèles  des  redevances  ou  des  taxes;  qu'on  n'était  pas  obligé 
de  payer  les  dettes  qu'on  avait  contractées  envers  le  clergé  ;  que  le 
ciel  était  ouvert  aux  paysans,  mais  fermé  aux  nobles  et  aux  prê- 
tres* ".  A  Kempicn  (1523),  Mathieu  Waybel  enseignait  de  son  côté 
que  l'on  ne  devait  aux  prêtres  ni  dime,  ni  redevance;  que  les 
ordonnances  de  l'Fglise,  par  lesquelles  l'homme  du  peuple,  à  Kemp- 
ten comme  partout  ailleurs,  avait  été  trompé,  »  devaient  être  abo- 
lies ^  ».  Le  prédicant  Nicolas  Schweikart,  habillé  en  paysan,  ensei- 
gnait publiquement  que  l'on  n'était  pas  tenu  de  payer  la  dime  aux 
prêtres.  «  Ils  nous  ont  assez  trompés  >,  disait-il;  "  leur  temps  est 
passé  \  » 

Des  laïques  aussi  parcouraient  le  pays  en  prêchant  (1521-1523). 
«  Des  gens  illettrés  »,  rapporte  Éberlin  de  Günzbourg,  «  paysans, 
charbonniers,  batteurs  en  grange,  savent  et  enseignent  l'Évangile 
mieux  que  tous  les  chapitres  urbains  ou  ruraux  de  chanoines  et  de 
prêtres,  mieux  même  que  les  docteurs  les  plus  éminents^  »  «  On 
voit  maintenant  à  Nuremberg,  à  Augsbourg,  à  Ulm,  le  long  du  Rhin, 
en  Suisse,  en  Saxe  »,  écrit  l'ex-moine  franciscain  Henri  Ketten- 
bach (1523),  «  des  femmes,  des  jeunes  filles,  des  serviteurs,  des 
ouvriers,  des  tailleurs,  cordonniers,  boulangers,  tonneliers,  reitres, 
chevaliers,  qui  en  savent  plus  long  sur  la  Bible  que  tous  les  docteurs 
des  Universités,  y  compris  celles  de  Paris  etàe  Cologne,  et  que  tous 
les  papistes  mis  ensemble,  aussi  loin  que  le  monde  est  grand;  ils  sont 
en  état  de  le  prouver,  et  le  prouvent  tous  les  jours.  »  «  Si  l'empe- 
reur Charles  «,  continue-t-il,  'i  avait  seulement  autant  d'instruction 
que  le  chauffeur  de  poêle  de  Luther,  il  ne  se  laisserait  pas  berner 
par  son  Glapion,  ce  moine  sans  cervelle,  qui  est  son  confesseur, 
et  le  gouverne  à  tel  point  qu'il  devient  la  risée  du  monde  entier, 
et  qu'il  est  compté  pour  un  zéro''.  » 

'  Bl.  G«. 

*  Voy.  Ar\,  Gesch.  des  Cantons  i>on  St-Gallen,  t.  II,  p.  492. 

*  Voy.  Flaschutz,  Chronik  des  Sli/tes  Kempten,  dans  B.vumann',   Quellen,  p.  377. 

*  JÖRG,  p.  251.  Sur  les  prédications  séditieuses  de  cette  époque,  on  trouvera 
de  plus  amples  détails  dans  les  chapitres  qui  traitent  de  la  révolution  sociale. 

*  RiGGENBACH,  p.    198. 

*  Ein  new  Apologia  und  Veranlicorlung  Martini  Luthers,  Bl.  B'*. 


198      SOULÈVEMENT  DU  PEUPLE  PAR  LA   PRÉDICATION  ET  LA  PRESSE. 

Parmi  ces  prédicants  laïques,  un  paysan  nommé  Karslhans  se  fai- 
sait particulièrement  remarquer.  Il  déployait  surtout  son  zèle  dans 
les  pays  rhénans,  à  Strasbourg  et  à  Bâle  :  ■■-  Un  laïque  nommé  Kars- 
thans  »,  lit-on  dans  une  relation  de  Strasbourg,  «  un  extravagant, 
un  homme  remuant,  attaché  à  l'hérésie  luthérienne,  a  soulevé  dans 
la  ville  de  Strasbourg  l'émeute  et  la  révolte  contre  tous  les  gens 
honorables.  Il  agite  les  masses,  il  les  rassemble  autour  de  lui,  dans 
les  ruelles  et  dans  les  rues,  enseignant  beaucoup  de  choses  dan- 
gereuses, fausses  et  hérétiques;  ainsi,  par  exemple,  cet  impudent 
coquin  a  osé  dire  ouvertement  que  maintenant  le  temps  était  oppor- 
tun, l'heure  propice  pour  l'extermination  et  l'anéantissement  de 
tous  les  -=  accapareurs  d'^héritages  «  ;  et  comme  quelqu'un  qui  se 
trouvait  là  lui  demandait  la  raison  d'une  mesure  si  violente,  Kars- 
thans  a  répondu  et  dit  que  c'était  parce  que  jusqu'ici  les  «  man- 
geurs d'héritage  -  avaient,  contre  toute  justice,  soutiré  les  Pfen- 
nings des  laïques,  enseignant  la  doctrine  du  purgatoire,  et  prétendant 
que  les  âmes  sont  sauvées  par  les  aumônes  et  la  prière,  choses  qui 
ne  sont  cependant  que  de  leur  invention.  - 

Le  nom  de  Karsthans  devint  bientôt  un  nom,  un  type  populaire. 
On  le  retrouve  dans  tous  les  pamphlets  révolutionnaires  répandus 
à  cette  époque  par  les  marchands  ambulants  '. 

Le  plus  célèbre  de  ces  pamphlets,  le  Xouveau  Karsthans,  parut  sans 
nom  d'auteur;  il  émanait  du  cercle  des  amis  de  Sickingen.  Le  paysan 
Karsthans  et  le  chevalier  Franz  de  Siciiingen  causent  ensemble  sur 
les  affaires  du  temps.  Hütten,  dans  son  dialogue  des  brigands,  avait 
cherché  à  former  une  alliance  entre  la  noblesse  et  les  villes  contre 
le  clergé;  mais  dans  ce  nouveau  libelle,  ce  sont  les  paysans  que  la 
noblesse  veut  attirer  à  elle.  -  .le  suis  profondément  attaché  à  la 
noblesse  >•,  dit  Karsthans  dès  le  début;  <-  je  suis  prêt  à  en  venir  aux 
mains.  Pour  régler  le  compte  sanglant  qui  va  être  présenté  aux 
prêtres,  il  ne  manque  plus  qu'un  chef,  et  dès  que  ce  chef  sera  trouvé, 
la  bonne  cause  marchera!  •■•  Sickingen  démontre  aux  paysans  que 
les  prêtres  sont  des  loups  dévorants,  si  bien  que  son  interlocuteur, 
prenant  feu  à  ce  discours,  s'écrie  :  ■'  Alors,  il  faut  les  assommer  avec 
des  fléaux  et  des  pioches!  ;;  Lorsque  Sickingen  lui  explique  que  le 
Pape  a  placé  son  trône  au-dessus  du  trône  de  Dieu,  et  qu'à  cause 
de  ce  crime  il  sera  précipité  dans  l'abime  comme  autrefois  Luci- 
fer, Karslhans  répond  :  "  Qu'il  y  tombe  au  nom  de  tous  les  diables, 
et  qu'ensuite  Satan  l'aide,  s'il  veut,  à  se  relever!  »  «  Il  faut  »,  lui 
explique  Sickingen,  «  se  débarrasser  du  clergé,  de  ses  cérémonies, 
de  ses  jongleries.  Le  clergé  égare  la  simpUcité  du  peuple.  Dieu  ne 

1  Voy.  Hagen,  t.  II,  p.  173. 


SOULÈVEMENT  DU  PEUPLE   PAR  LA  PRÉ[)If:ATION  ET  LA  PRESSE.      199 

demande  de  nous  que  l'adoralion  en  esprit  et  en  vérité;  il  ne  prend 
aucun  plaisir  aux  éj;lise.s  de  pierre  ou  de  bois;  aussi  faut-il  en 
déiruire  la  plus  jjraude  partie,  et  en  toutes  choses  prendre  pour 
modèle  le  Bohême  Ziska,  qui  a  réussi  à  chasser  de  son  pays  les 
moines  et  les  prêtres.  Aussi  longtemps  que  les  églises  resteront 
debout  ,  dit  encore  Sickingen,  ■  l'esprit  clérical  s'insinuera  de 
mille  côtés.  La  superstition  ne  sera  détruite  parmi  le  peuple  que 
lorsqu'on  parviendra  à  se  débarrasser  des  hommes  de  trop,  c'est-à- 
dire  de  tous  les  moines.  "  -  En  vérité,  Ziska  a  été  bien  avisé  lorsqu'il 
a  abattu  les  églises,  car  s'il  les  avait  laissées  debout,  la  prédiction 
qu'il  avait  faite  autrefois  aux  Bohèmes  se  serait  accomplie  à  la  lettre. 
Si  vous  laissez  les  nids,  avait  dit  ce  grand  homme,  au  bout  de  dix 
ans,  tous  les  oiseaux  y  reviendront,  .le  ne  puis  assez  louer  la  haute 
intelligence  de  Ziska;  il  a  compris  qu'il  fallait  d'abord  chasser 
les  moines,  puis  détruire  leurs  couvents  ;  c'est  qu'il  savait  fort  bien 
que  le  fondement  de  toute  superstition  vient  de  ces  hypocrites 
bigots,  qu'on  ne  peut  jamais  rassassier.  Si  nous  ne  nous  eu  défai- 
sons promptemcnt,  le  monde  chrétien  sera  ruiné.  Sickingen,  en 
conseillant  cette  mesure  et  en  s'efforçant  de  la  justifier,  s'appuie 
sur  cette  parole  de  saint  Paul  :  ■  Là  oii  est  l'Esprit  de  Dieu,  là  est  la 
liberté.  " 

Trente  articles  forment  un  appendice  à  ces  dialogues  :  Helferich, 
qui  appartient  à  la  noblesse,  le  chevalier  Henri  et  Karsthans  jurent 
de  les  maintenir  fidèlement  et  loyalement.  Les  conjurés  s'engagent 
à  ne  plus  considérer  le  Pape  que  comme  l'Antéchrist;  les  cardinaux, 
que  comme  les  apôtres  du  diable.  Ils  traiteront  tout  légat  envoyé 
par  le  Pape  comme  l'ennemi  commun  des  pays  allemands.  Ils  jet- 
teront une  pierre  de  quatre  livres  à  tout  moine  mendiant  deman- 
dant un  fromage.  Tout  officiai  ou  délégué  ecclésiastique  sera  pour- 
suivi par  les  chiens,  et  les  enfants  lui  jette'-ont  de  la  boue.  Les 
conjurés  se  rallieront  à  Hütten;  ils  égorgeront  et  feront  périr  les 
courtisans  romains  et  leurs  partisans,  et  ne  se  feront  aucun  scru- 
pule d'assommer  un  prêtre  ou  de  le  fouler  aux  pieds.  Ils  jurent 
inimitié  à  tous  les  ennemis  et  adversaires  de  Luther.  Les  huissiers 
envoyés  par  le  Pape  pour  apporter  en  Allemagne  les  décrets  du 
Saint-Père  auront  les  oreilles  coupées;  s'ils  reviennent  à  la  charge, 
on  leur  crèvera  les  yeux.  Les  jours  de  fête  sont  abolis,  à  l'excep- 
tion du  seul  dimanche;  on  ne  souffrira  plus  aucune  image,  qu'elle 
soit  de  bois,  de  pierre,  d'or  ou  d'argent  '.  Dieu  ne  sera  adoré  qu'en 
esprit  seulement.  Les  conjurés  promettent  d'exposer  leurs  corps  et 
leurs  biens  pour  le  maintien  de  ces  articles,  et  prennent  Dieu  à 

*  Strauss  transcrit  :  -  Aucune  image  ne  sera  plus  adorée.  >   r.  II,  p.  224. 


200     SOULÈVEMENT  DU  PEUPLE  PAR   LA  PRÉDICATION  ET  LA  PRESSE. 

témoin  que  leur  entreprise  ne  tend  qu'à  la  propajyation  de  la  divine 
vérité  et  au  bien  de  la  patrie  '  ! 

Murner  prédisait  au  -  pauvre  homme  ><  auquel  on  promettait  une 
bonne  part  du  butin,  qu'il  aurait  le  même  sort  que  le  paysan  de 
Bohème,  entraîné  jadis  comme  lui  dans  une  sanglante  révolte;  la 
même  lamentable  destinée  lui  était  réservée.  En  ce  temps-là, 

Le  riche  s'empara  de  tout,  et  h;  pauvre 

Fut  laissé  à  sa  lamentation  et  A  sa  détresse-'. 

Ce  que  Joseph  Grünbeck,  secrétaire  de  Maximilien,  avait  prévu, 
bien  des  années  auparavant,  s'accomplissait  à  la  lettre  :  •  Tous  les 
vices  doubleront,  tripleront,  quadrupleront;  l'égoisme  et  la  cupidité 
grandiront  de  telle  sorte  qu'on  mentira  sans  aucun  scrupule;  on 
mettra  la  main  sur  les  biens  de  l'Église  et  sur  les  biens  séculiers  d'une 
manière  inique  et  déloyale,  et  cela  sans  nul  remords.  Les  pauvres 
veuves  et  les  orphelins,  dépouillés  de  leur  droit,  pousseront  conti- 
nuellement de  grandes  clameurs  vers  Dieu,  implorant  vengeance,  et 
cette  vengeance  retombera  sur  nos  têtes,  si  nous  ne  nous  hâtons  de  nous 
convertir  au  Seigneur.  -  «  Je  crains  fort  que  l'Empire,  entièrement 
corrompu  au  dedans,  ne  tombe  bientôt  en  pourriture  et  ne  soit 
promptement  flétr.i  et  desséché;  je  tremble  que  de  sanglantes  émeutes 
n'éclatent  de  tous  côtés  dans  l'intérieur  de  l'Allemagne.  Je  suis  dans 
une  étrange  angoisse;  j'ai  peur  que  notre  mâle  courage  et  notre  force 
ne  se  changent  en  pusillanimité  de  lièvre,  et  que  la  guerre,  la  famine 
et  la  peste  ne  cessent  de  faire  rage  que  lorsque  toute  l'énergie  des 
petits  et  des  grands  sera  complètement  épuisée  .  »  «  Jeunes  et  vieux, 
pauvres  et  riches,  prêtres  et  laïques,  sont  avides  de  richesses,  et  indif- 
férents sur  les  moyens  de  se  les  procurer;  le  temps  viendra  où,  pour 

1  Gesprech  Biechlin  neue  Karsthans,  Au  frontispice,  on  lit  : 

Je  viens  à  vous,  nouveau  Karsthans, 

Avec  un  bon  enseignement,  une  saine  doctrine  .' 

Je  ne  fais  plus  qu'un  avec  la  noblesse. 

Je  ne  tairai  rien  de  ce  que  je  sais. 

Et  Tolontiers  j'en  viendrais  aui  mains! 

Que  les  autres  fassent  aussi  de  leur  mieux! 

Schade,  Satiren  und  Pasquille,  t.  Il,  p.  1-ii,  277-288.  —  Voy.  Baur,  p.  131-144.  — 
Les  trente  articles  se  trouvent  aussi  dans  Br>.sE>,  p.  512-514.  -  Les  trente 
articles  - ,  dit  cet  auteur,  >■  forment  un  document  important  ;  ils  éclairent  dune 
vive  lumière  bien  des  incidents  de  la  révolte  des  paysans.  =■  On  lit  dans  une 
chanson  dont  le  duc  Georges  de  Saxe  est  le  héros  : 

Quelque  menteurs  qu'ils  soient,  il  faut  les  appeler  évangéliques. 
Sous  ce  noble  nom,  ils  écoulent  leur  poison; 
Ils  ne  font  rien  pour  la  vérité.  Amen. 

Voy.  Seidemann,  Thomas  Münzer,  frontispice. 
'  Vom  grossen  lutherischen  .Varren,  p.  23-28. 


SOULÈVEMENT  DU  PEUPLE  PAR   Lk  PRÉDICATION  ET  LA  PRESSE.      201 

nous  punir,  Dieu  permettra  que  l'état  séculier  réclame  sa  part  des 
biens  ecclésiastiques;  or  ce  bien  l'empoisonnera,  car  de  fous  les  châ- 
timents qui  tomberont  sur  les  prêtres  à  cause  de  leurs  iui<}uiiés,  la 
plus  grosse  part  finira  par  revenir  aux  laïques;  le  clergé  boira  le 
premier  au  calice  de  la  désolation,  mais  les  laïques  se  verront  un 
jour  contraints  d'en  avaler  le  plus  amer,  et  de  le  vider  jusqu'à  la 
lie  '.  La  persécution  et  la  proscription  des  prêtres  seront  prompte- 
ment  suivies  d'un  soulèvement  général  contre  les  seigneurs.  ' 

Plus  d'une  prophétie  de  cet  te  époque  prédit  à  l'homme  du  peuple 
que  de  dures  épreuves  seront  préparées  aux  princes  et  aux  sei- 
gneurs par  leurs  sujets,  "  qui  se  ligueront  ensemble,  et  forme- 
ront un  Bundschuh  ».  «  La  menace  ne  regardait  pas  seulement  tel  ou 
tel  seigneur,  mais  presque  tous.  -  Cn  second  déluge  était  proche, 
et  toutes  les  choses  de  ce  monde  allaient  être  renouvelées,  transfor- 
mées. L'année  1524  était  généralement  désignée  pour  l'époque  de  ce 
grand  cataclysme. 

Tout  ce  qui  s'imprime  en  ce  moment  nous  parle  d'émeutes,  de 
meurtres,  et  respire  le  mépris  des  institutions  ecclésiastiques  ou 
séculières  :;,  lit-on  dans  les  Lamentations  d'un  simple  moine;  •■•  ce  qu'il 
y  a  de  plus  regrettable,  ce  n'est  pas,  à  vrai  dire,  que  les  biens  tem- 
porels du  clergé  soient  menacés,  ni  qu'on  attaque  le  luxe  et  la  sen- 
sualité des  évéques  et  des  grands  prélats,  car  il  y  a  là  vraie  matière 
à  réforme;  il  serait  à  souhaiter  que  la  richesse  des  hauts  dignitaires 
de  l'Eglise  fiU  diminuée,  et  qu'eux-mêmes  fussent  tenus  de  mener 
une  vie  simple  et  chaste.  Mais  ce  qu'il  y  a  de  beaucoup  plus  regret- 
table ,  c'est  que  tout  est  bouleversé  dans  les  choses  mêmes  qui 
regardent  le  service  de  Dieu;  les  églises,  les  couvents,  la  vie  chré- 
tienne, plus  rien  n'est  respecté;  la  jeunesse  ne  sait  plus  ce  que  c'est 
que  la  discipline;  on  lui  apprend  à  injurier  tout  ce  qui  est  digne  de 
respect.  »  ^  0  Dieu,  dans  quel  monde  vivons-nous  !  On  raille  et 
l'on  maudit  tout  ce  que  nos  parents  avaient  tenu  pour  saint,  tout  ce 
que  nous  avions  appris  à  vénérer  et  à  pratiquer  dans  notre  enfance, 
les  croyances  sacrées  que  nos  pères  et  nos  mères  avaient  gardées,  et 
dans  lesquelles  ils  étaient  morts  pieusement  dans  1  amitié  de  Dieu, 
grâce  que  nous  espérions  obtenir  aussi  pour  nous-mêmes!  Le  mémo- 
rial satisfactoire  de  la  Passion  de  Jésus-Christ,  dans  la  sainte  messe, 
est  traité  d'idolâtrie  diabolique!  On  refuse  d'honorer  les  chers  saints; 
on  ne  veut  plus  ni  du  jeune,  ni  de  la  prière  pour  les  âmes  du 
purgatoire.  On  excite  le  frère  contre  le  frère,  l'inférieur  contre  le 
supérieur;  tontest  querelle,  tout  est  chaos,  et  l'on  semble  ne  redou- 
ter nullement  les  troubles  et  les  émeutes  qui  s'approchent.  Certes, 

'  Voy.  Friedrich,  Astrologie  und  Be/ormation,  p.  63-78. 


202     SOULÈVEMEM  DU  PEUPLE  PAR  LA  PRÉDICATION  ET  LA  PRESSE. 

Jésus-Christ  n'a  pas  annoncé  le  même  Évangile  que  celui  de  Lutiier 
et  de  ses  partisans!  > 

L'Epure  d'une  religieuse  à  son  père  reproduit  les  mêmes  plaintes  : 
«  C'est  à  tort  qu'on  reproche  aux  religieux  de  s'imaginer  gagner 
le  paradis  rien  que  par  leur  entrée  au  couvent,  rien  qu'en  adoptant 
le  saint  habit,  ou  bien  par  leurs  jeûnes  et  leurs  prières.  Une  telle 
conviction  est  très-éloignée  de  leur  esprit,  et  ne  leur  a  jamais 
été  enseignée.  Instruits  par  la  Sainte  Écriture,  ils  savent  fort  bien 
que  toute  justice  humaine  est  souillée,  et  n'attendent  leur  salut 
que  des  mérites  de  Jésus-Christ.  L'habit  ne  fait  pas  plus  le  bon 
religieux  que  le  costume  civil  ne  rend  honorable  le  bourgeois  de 
Cologne.  Si  quelques  moines  mènent  au  fond  de  leurs  couvents 
une  vie  peu  édifiante,  il  ne  s'ensuit  pas  que  tous  les  religieux 
soient  criminels,  de  même  qu'il  serait  inique,  dès  qu'un  bourg- 
mestre ou  un  conseiller  commet  une  faute  grave,  de  condamner 
tous  les  bourgmestres  et  tous  les  conseillers.  Pour  ma  part,  je 
sais  que  les  cloîtres  renferment  un  grand  nombre  d'hommes  pieux 
et  respectables,  et  sans  aucun  doute,  parmi  les  bourgeois  et  les 
bourgeoises  des  villes,  parmi  les  paysans  et  paysannes  des  vil- 
lages, il  y  a  de  très-honnêtes  gens.  Ceux-là  nous  laissent  en  paix, 
et  ne  voient  en  nous  que  des  frères  et  sœurs  en  Jésus-Christ.  Que 
chacun  songe  à  bien  remplir  les  devoirs  de  sa  condition,  fuyant 
la  médisance  et  la  calomnie,  et  se  souvenant,  comme  saint  Paul 
nous  en  avertit  dans  le  premier  chapitre  de  l'Épi tre  aux  Romains, 
que  Dieu  a  en  horreur  les  médisants  et  les  calomniateurs.  '^  -  En 
disant  ceci,  je  ne  parle  pas  de  toi,  cher  frère  ■,  dit  la  religieuse, 
«  mais  de  ceux  qui  portent  aux  nues  la  doctrine  de  ce  Luther. 
Lorsqu'ils  viennent  chez  nous,  je  n'entends  autre  chose  que  ca- 
lomnie, outrage,  invectives  contre  le  Pape,  les  évêques,  les  prêtres 
et  les  religieux;  ils  ne  sont  préoccupés  que  de  l'abolition  du  jeune 
et  de  la  prière.  Si  c'est  là  ce  qu'enseigne  Luther,  je  m'en  rapporte 
à  ton  jugement;  dis-moi,  mon  cher  frère,  sa  doctrine  ne  ressemble- 
t-elle  pas  à  du  poison  plutôt  qu'à  du  miel?  Je  ne  vois  nulle  part 
dans  l'Évangile  que  Jésus-Christ  nous  ait  conseillé  tant  d'injures  et 
de  sarciismes  '.  " 

«  Les  papistes  se  plaignent  «,  dit  Henri  Kettenbach  dans  son 
Apologie  de  Lutlwr,  «  que  Luther  observe  mal  le  commandement  de  la 
charité  fraternelle  et  évangélique.  Ils  l'accusent  d'être  mordant, 
envieux,  d'injurier  et  d'outrager  les  gens.  Luther,  cependant,  ne 
fait  en  cela  que  suivre  l'exemple  de  Jésus-Christ  et  de  ses  apôtres. 
De  nos  jours,  il  est  beaucoup  plus  nécessaire  de  prêcher  contre  la 

'  Voy.  cette  lettre  dans  B\tin,  p.  217-219. 


SOULÈVEMENT  DU  PKUI'LE   ['AI'.   LA   PRÉDICATION  KT  LA  PRESSE.      203 

perverse  influence,  la  séduction  sainte  et  spécieuse  de  la  gent  luu- 
surée,  que  de  tonner  contre  les  pécheurs  avoués,  les  païens,  les 
Turcs,  les  brigands,  les  meurtriers,  les  adultères!  Luther  en  s'en 
prenant  à  vous,  papistes,  ne  fait  qu'imiter  Jésus-Christ,  Paul,  fMerre 
et  Élie.  Commcnl  donc  serait-il  dans  son  tort?  Luther  ne  saurait 
faire  la  cour  aux  l'ripoiL*^;  ils  ne  méritent  pas  (ju'on  leur  adresse  de 
bonnes  paroles;  ils  sont  aveugles,  et  veulent  rester  aveugles!  Aussi 
j'estime  que  les  poursuivre,  les  anéantir,  n'est  pas  un  grand  péché, 
puisque  Daniel  et  Élie  ont  fustigé  autrefois  de  même  sorte  les  scé- 
lérats de  leur  temps  '.  " 


II 


Luther  a  donné  le  ton  à  toute  la  littérature  polémiste  de  son 
siècle,  dans  ses  premiers  ouvrages  comme  dans  les  écrits  plus  récents 
qu'il  répandait  sur  le  monde  du  fond  de  sa  solitude  de  la  Warl- 
bourg. 

Son  traité  sur  VAints  des  messes,  publié  pendant  l'automne  de 
1521,  va  jusqu'à  appeler  le  saint  sacrifice  de  la  messe  ■•  une  œuvre 
infernale,  une  abominable  idolâtrie  -  :  '=  Que  tout  vrai  chrétien 
sache  bien  que  dans  le  Nouveau  Testament  il  n'est  question  d'autres 
prêtres  visibles  que  de  ceux  que  le  diable  a  suscités  et  élevés  au 
moyen  des  mensonges  des  hommes.  Le  sacerdoce  réside  en  tous 
les  chrétiens;  il  est  dans  l'esprit  seulement,  il  n'a  besoin  ni  de  per- 
sonnes, ni  de  masques.  ■  D'où  sortez-vous  donc,  prêtres  des 
idoles?  Vous  n'êtes  que  des  voleurs,  des  brigands,  des  blasphé- 
mateurs de  l'Église!  Vous  abusez  honteusement  d'un  nom  qui 
appartient  à  tous,  et  que  vous  avez  pris  et  dérobé  de  force  aux 
autres  chrétiens,  pour  servir  votre  ambition,  votre  orgueil,  vos 
aises,  votre  cupidité!  Vous  êtes  l'intolérable  fardeau  de  la  terre, 
vous  n'êtes  nullement  prêtres.  Avez-vous  quelque  idée  du  châti- 
ment qui  vous  est  réservé,  hypocrites  et  brigands  que  vous  êtes?  • 
Comme  le  sacerdoce  n'est  que  mensonge,  il  s'ensuit  naturelle- 
ment que  la  loi  qu'il  prétend  nous  imposer  n'oblige  personne.  Le 
sacrifice,  les  actes  qui,  selon  l'Église,  doivent  s'accomplir  par  le 
prêtre,  ont  encore  bien  moins  de  valeur  :  ■  Les  lois  du  Pape  ne  sont 
que  tromperie;  son  sacerdoce  n'est  que  chimère  et  que  leurre;  la 
messe  des  papistes,  qu'ils   appellent   sacrifice,   n'est  qu'idolâtrie, 

'  Ein  neue  Apologia,  Bl.  B 


204     SOULÈVEMEM  DU  PEUPLE   PAR  LA  PRÉDICATION  ET  LA  PRESSE. 

et  cette  idolâtrie  est  plus  criminelle  que  celle  des  Juifs  et  des 
païens.  » 

II  ne  se  lasse  pas  de  répéter,  «  s'appuyant  sur  l'autorité  de  Dieu 
et  sur  la  Sainte  Écriture  ",  ;<  que  les  prêtres  ne  sont  autre  chose 
que  les  serviteurs  du  démon,  et  que  leurs  livres,  leurs  écrits  ren- 
ferment le  diable  en  personne  :  <  Que  tout  chrétien  jette  les  yeux 
sur  l'innombrable  troupe  des  moines  et  des  prêtres,  avec  leurs 
messes,  leurs  sacrifices,  leurs  lois,  doctrines  et  œuvres,  il  ne  verra 
en  eux  que  les  sujets  et  les  suppôts  du  diable.  »  ■  11  vaudrait  biea 
mieux  être  bourreau  ou  malfaiteur,  que  prêtre  ou  moine'.  "  Le 
Pape,  «  ce  pourceau  de  Satan,  a  fait  du  sacerdoce  un  bouillon 
d'iniquité  ".  «  Le  sacrement  de  l'Ordre  imprime  aux  prêtres  ce  signe 
de  la  bête  dont  il  est  parlé  dans  l'Apocalypse.  » 

Mais  c'est  surtout  contre  les  évêques  que  Luther  est  animé  d'une 
singulière  fureur  :  «  Il  n'existe  point  de  race  plus  ennemie  de  Dieu 
que  ces  idoles  d'évêques!  Ce  sont  des  gens  sans  foi,  des  singes 
ignorants;  ils  n'ont  rien  de  chrétien,  ce  sont  des  caricatures,  des 
miracles  de  la  colère  divine!  »  «  Pourquoi  les  craindre?  Pourquoi 
t'inspireraient-ils  de  l'effroi?  Pourquoi,  bien  plutôt,  ne  les  regar- 
derais-tu pas  comme  la  balayure  du  monde,  ainsi  que  Pierre  les 
nomme,  eux  et  toutes  leurs  lois,  leurs  mensonges,  leur  faste,  leurs 
usages,  leurs  cérémonies?  " 

Il  jette  également  l'outrage  sur  les  Universités,  qu'il  appelle  »  des 
temples  de  Moloch,  des  cavernes  de  malfaiteurs  -^  :  '  Or,  de  ces 
cavernes  sortent  les  sauterelles  qui  régnent  sur  le  monde  entier,  et 
gouvernent  partout  à  la  fois  spirituellement  et  temporellement 
[Apoc,  IX);  en  sorte  que  le  démon,  depuis  l'origine  du  monde,  n'a 
rien  imaginé  de  mieux  pour  opprimer  la  foi  et  l'Évangile  que  les 
Universités  ^  » 

'  ■  J'aimerais  mieux  être  un  souteneur  de  filles  ou  un  brif;and  que  d'avoir 
blasphémé  le  Christ  pendant  quinze  ans  par  loffrande  de  laut  de  messes.  ' 
Sammtl.  llerke,  t.  LX,  p.  106. 

Il  appelle  les  theolofjiens  de  Louvain,  prêtres  comme  lui,  -  ânes  grossiers, 
truies  maudites,  misérables  fripons,  panses  de  blasphème,  incendiaires  altérés 
de  sang,  fratricides,  pourceaux  grossiers,  porcs  épicuriens,  hérétiques  et  ido- 
lâtres, vaniteux  païens  damnés,  maîtres  de  mensonges,  mares  croupies,  bouil- 
lon maudit  de  l'enfer  »,  etc.,  etc.  Il  nomme  la  faculté  de  théologie  de  Paris  -  la 
synagogue  damnée  du  diable  ».  ■  Elle  est  -,  dit-il,  ■  rongée  depuis  le  sommet 
de  la  tele  jusqu'à  la  plante  des  pieds  par  la  lèpre  blanche;  elle  est  atteinte 
de  la  pire  des  hérésies  qui  aient  jamais  contredit  l'Église  chrétienne.  C'est  la 
plus  abominable  gourgandine  intellectuelle  qui  ait  jamais  paru  sous  le  soleil, 
la  vraie  porte  de  l'enfer,  la  maison  de  filles  du  Pape,  etc.  •  llöfler  remarque  à 
ce  sujet  (/idrien  Vf,  p.  i\)  .  qu'on  ne  peut  du  moins  pas  dire  d'un  tel  langage 
qu'il  manque  de  franchise!  »  «  Mais  ',  ajoute-t-il,  ■  le  peuple  que  le  •  réfor- 
mateur >  trouvait  digne  d'être  repu  de  pareils  propos,  était  vraiment  liien  à 
plaindre!  Dans  cette  grossièreté  cynique  Luther  est  toujours  resté  égal  à  lui- 
même.  Son  esprit,  son  influence,  ont  contribué  à  rendre  la  nation  grossière. 


SOULÈVKMENT  DU  PEUl'I.E   l'A  H    F.A   PHÉIHCATION  ET  LA   PRESSE.      205 

Il  s'irrile  de  voir  la  plus  {jrande  et  la  meilleure  partie  de  la  jeu- 
nesse élevée  dans  «  ces  cavernes  de  brigands  -.  Sur  ce  point,  son 
temoi{ynaßc  est  important,  car  il  prouve  d'une  manière  irrécusable 
que  l'Eßlise  était  encore  puissanleen  Allemajjne,  (jue  les  Universités 
jouissaient  encore  du  respect  de  tous,  et  (pie  l'ardeur  et  le  zèle  pour 
la  science  étaient  encore  (rès-vivaces  à  cette  époque.  '■■  De  l'avis 
de  tout  le  monde  ",  dit  Luther,  «  il  n'est  aucun  lieu  sous  le  ciel  où 
la  jeunesse  soit  mieux  enseignée  que  dans  les  Universités;  les 
moines  eux-mêmes  y  affluent.  Celui  qui  ne  les  a  pas  fréquentées 
n'est  rien  dans  le  monde;  mais  celui  qui  y  a  fait  ses  études,  peut 
parvenir  à  tout,  tant  on  est  convaincu  que  là  seulement  on  peut 
être  initié  aux  sciences  divines  et  humaines.  Aussi  chacun  se  per- 
suade-t-il  qu'il  ne  peut  mieux  faire  que  d'y  envoyer  son  fils,  et  croit 
rendre  à  Dieu  un  fort  grand  service  en  y  sacrifiant  ses  enfants;  on 
espère  que  plus  tard  ils  deviendront  des  prédicateurs,  des  prêtres, 
des  serviteurs  de  Dieu,  utiles  à  Dieu  et  aux  hommes.  Ce  peuple  uni- 
versitaire compose  ensuite  la  foule  de  nos  grands  personnages,  de 
nos  docteurs,  de  nos  magisters,  gens  habiles  à  gouverner  les  autres. 
Nous  sommes  tous  témoins  qu'on  ne  peut  obtenir  une  chaire  ou  une 
cure  sans  avoir  été  d'abord  maître  es  arts  ou  docteur,  ou  du  moins 
sans  avoir  étudié  à  l'Université'.  > 

L'un  des  chagrins  les  plus  sensibles  de  Luther,  c'était  de  voir  l'ardeur 
avec  laquelle  les  jeunes  gens  souhaitaient  entrer  à  l'Université,  dans 
l'espoir  d'appartenir  un  jour  au  clergé. 

Ses  plaintes  si  souvent  renouvelées  à  ce  sujet  font  de  lui  un  témoin 
irrécusable;  elles  attestent  qu'alors,  dans  toute  la  nation,  l'Église 
inspirait  encore  non-seulement  un  attachement  purement  extérieur 
ou  d'habitude,  mais  un  sentiment  profond,  ardent  et  sincère:  «  Cha- 
cun ",  dit-il,  "  cherche  le  meilleur  chemin  à  suivre  pour  devenir  un 
jour  un  saint  prêtre,  un  curé,  un  moine.  Lorsque  arrive  le  jour  où  un 

cela  est  manifeste.  Ici  il  n'y  a  plus  moyen  de  pallier  ni  d'excuser,  L'Alle- 
majjne,  en  peu  d'années,  fit  des  proférés  incroyables  dans  l'art  de  l'invective 
grossière.  Le  poison  de  la  haine  théologique  fut  légué  par  les  moines  apo- 
stats comme  le  plus  triste  des  héritap,es  aux  classes  les  plus  élevées  comme 
aux  plus  infimes.  L'esprit  de  haine  détruisit  tout;  tout  se  flétrit  sous  son 
souffle  empesté,  et  le  bel  élan  intellectuel  du  siècle  de  l'humanisme  se  trans- 
forma en  querelle  dojjmatique.  On  eiU  dit  que  l'Allemagne  avait  recueilli  la 
triste  succession  de  Byzance.  ■<  (F.  301-302.)  Apres  que  Luther  eut  adopté  ce 
langage,  qui  dépasse  en  cynisme  tout  ce  qu'on  avait  ouï  jusque-là  et  forme 
un  si  choquant  contraste  avec  les  sujets  qu'il  traite,  ce  qui  devait  arriver 
arriva.  Ses  adversaires  ne  voulurent  pas  rester  en  arrière.  Ses  opinions  furent 
traitées  d'audacieux  mensonges;  lui-même,  frater,  pater  potator  -■ ,  fut  appelé 
non-seulement  ivrogne  et  ribauti,  mais  tout  carrément  fou  et  possédé.  Tho- 
mas .'\lorus  le  nommait  "  latrinarius  nebulo  »,  qui  nihil  in  capite  concipit, 
praeter  stultitias,  furores,  ainentias;  qui  nihil  habet  in  ore  prœter  latiinas, 
merdas,  stercora  »,  etc.  P.  367-368. 
■  'Voy.  à  ce  sujet  l'opinion  déjà  citée  de  Wimpheling,  t.  I,  p.  574. 


206 


SOULÈVEMENT  DU  PEUPLE  PAR  LA  PRÉDICATION  ET  LA   PRESSE. 


jeune  homme  doit  dire  sa  première  messe,  sa  mère  s'estime  mille  foi^ 
heureuse  d'avoir  porté  un  tel  fils  et  donné  un  serviteur  à  Dieu  '. 
«  Il  n'est  ni  père  ni  mère  >',  dit-il  ailleurs,  "  qui  ne  souhaite  voir  un 
jour  son  enfant  curé,  moine,  religieuse;  c'est  ainsi  qu'un  fou  en  fait 
un  autre,  et  que  la  jeunesse,  c'est-à-dire  ce  qu'il  y  a  de  meilleur  au 
monde,  se  précipite  en  foule  vers  le  diable  ^  ^  "  Avec  une  libéralité 
cruelle  nous  avons  préparé  des  rentes  aux  marionnettes  du  diable 
et  aux  fantoches  des  Universités,  à  tous  ces  docteurs,  prédicateurs, 
prêtres,  moines,  maîtres  es  arts,  gros  et  grossiers  ânes  gras,  dont 
les  barrettes  brunes  ou  rouges  font  l'effet  d'un  collier  d'or  et  de 
perles  sur  le  cou  d'un  porc  engraissé.  Nous  avons  soutenu  et  entre- 
tenu à  nos  frais  ceux  qui,  bien  loin  de  nous  donner  une  saine  doc- 
trine, nous  rendaient  toujours  plus  aveugles  et  plus  insensés,  et 
dévoraient,  pour  la  peine,  tout  notre  bien.  ■  C'était,  selon  Luther, 
chose  lamentable  à  penser  qu'un  jeune  homme  dût  étudier  vingt  ans 
et  plus,  avant  de  devenir  prêtre  et  de  pouvoir  dire  la  messe;  et  néan- 
moins, celui  qui  en  était  arrivé  là  croyait  être  parvenu  au  bonheur 
suprême,  et  sa  mère  était  dans  l'allégresse  de  son  cœur  d'avoir  porté 
un  pareil  enfanta  Et  ailleurs  :  ■  Quelqu'un  a-t-il  endossé  une  sou- 
tane"? Aussitôt  tout  le  monde  le  fête  et  lui  témoigne  du  respect.  Cha- 
cun veut  contribuer  à  sa  carrière  et  donne  largement  à  cette  inten- 
tion; et  bienheureuse,  alors,  est  la  mère  qui  a  porté  un  tel  fils*! 

Au  point  de  vue  de  son  <:  nouvel  Évangile  »,  Luther  considérait  ce 
chaud  dévouement  du  peuple  pour  l'Église,  l'éducation  donnée  par 
les  Universités,  leur  influence,  comme  un  très-grand  malheur,  comme 
un  sérieux  obstacle  à  la  diffusion  de  la  -  vraie  doctrine  ".  Aussi  ne 
négligea-t-il  rien  pour  discréditer  les  Universités,  "  ces  cavernes  de 
la  suprême  abomination,  ces  synagogues  de  perdition!  » 

A  la  fin  de  son  traité  sur  ÏAbus  des  messes,  il  témoigne  de  nouveau 
sa  joie  de  ce  que  les  habitants  de  Wittemberg  avaient  aboli  le  saint 
sacrifice  :  «  Plaise  à  Dieu  -,  s'écrie-t-il,  "  que  le  scandale  phari- 
saique  croisse  et  progresse  parmi  vous!  Puisse  la  troupe  des  papistes 
s'écrier  bientôt  :  Voyez  donc!  à  Wittemberg,  on  ne  célèbre  plus  le 
service  divin,  on  ne  lit  plus  la  messe,  on  n'entend  plus  résonner 
l'orgue,  tous  sont  devenus  païens,  tous  ont  perdu  l'esprit!  «  Il  avait 
vu  avec  mécontentement  que  Frédéric  de  Saxe,  «  séduit  par  les 
papistes  »,  avait  agrandi  et  rendu  plus  magnifique  l'église  de  Tous- 
les-Saints  de  Wittemberg.  Avec  l'argent  que  ces  embellissements 
avaient  coûté,  l'Électeur,  à  son  avis,  eût  pu  nourrir  bien  des  pau- 

1  Sammtl.   Werke,  t.  XLIX,  p.  317.  Voy.  aussi  t.  X,  p.  403. 
-  Sammtl.  Werke,  t.  LU,  p.  241. 
'  Tome  XXII,  p.  196. 
•»  Tome  XLUI,  p.302. 


SOULÈVEMENT  DU  PEUPLE   PAR   LA  PRÉDICATION  ET  LA   PRESSE.      207 

vres'.  Cet  exemple  faisait  bien  voir  que  Dieu  jugeait  très-rarement 
digne  d'être  employée  pour  les  iulcréfs  elirétiens  la  fortune  des 
princes,  du  reste  rarement  ac<juise  d'une  autre  manière  que  celle  de 
Nemrod*.  ■■  Cependant  •  ,  dit  Luther,  TÉlecteur  n'est  ni  un 
tyran,  ni  un  fou;  il  entend  volontiers  la  vérité,  il  la  tolère,  et  ceux 
de  VVMttemberg  pourront  facilement  achever  l'œuvre  commencée.  ' 
L'électeur  Frédéric  a  accompli  l'antique  prophétie,  disant  qu'un 
prince  de  son  nom  délivrerail  le  Saint  Sépulcre.  "  Or  de  quel  autre 
sépulcre  peut-il  être  ici  question  que  de  la  Sainte  Écriture,  où  la 
vérité  du  Christ  a  été  ensevelie  après  avoir  été  mise  à  mort  par  les 
papistes?  Et  maintenant  les  archers,  les  gardes,  c'est-à-dire  les 
Ordres  mendiants,  les  docteurs  d'hérésie,  gardent  son  tombeau,  le 
surveillent,  de  peur  que  quelque  disciple  du  Christ  ne  vienne  et  ne 
dérobe  la  vérité;  car  Dieu  se  soucie  de  la  tombe  où  le  Seigneur  fut 
autrefois  déposé  autant  que  de  toutes  les  vaches  de  la  Suisse!  -  «  Per- 
sonne ne  peut  nier  que  parmi  vous,  sous  le  règne  du  duc  Frédéric, 
électeur  de  Saxe,  l'Évangile  dans  toute  sa  pureté  n'ait  été  annoncé  au 
peuple.  Et  moi,  ne  puis-je  me  vanter  avec  raison  d'avoir  été  l'ange 
ou  la  Madeleine  du  Saint  Sépulcre?  Ouelque>-uns  estiment  sans  doute 
que  je  me  livre  ici  à  une  bouffonnerie  coupable,  mais  je  continuerai 
le  jeu,  et  je  ne  cesserai  de  m'étonner  de  tout  ce  qui  arrive,  admirant 
que  Dieu  ait  fait  choix  de  cette  ville  inconnue  du  monde  pour  y  susci- 
ter sa  parole.  Un  autre  miracle  qui,  selon  moi,  ne  s'est  produit  dans 
aucun  pays,  c'est  que  les  villes  et  villages  des  environs  de  Wittem- 
berg,  et  les  bourgeois  mêmes  de  la  ville,  portent  des  noms  hébreux, 
comme  les  cités  et  bourgades  des  environs  de  Jérusalem!  Les  habi- 
tants de  VVittemberg,  possédant  maintenant  l'Évangile  pur  et  sans 
alliage,  sont  obligés   de   le  propager  avec  zèle,  de  le  communi- 

'  Sifïismond,  baron  d'IIerberstein.  raconte  dans  son  autobiographie  le  séjour 
qu'il  ni  à  Wittemberg  en  1516  :  -  On  voyait  près  du  château  une  belle  église 
ornée  de  nombreux  ouvrages  d'argent  ciselé,  offerts  en  l'honneur  de  Dieu  et 
des  saints.  Les  églises  de  la  ville  renfermaient  beaucoup  de  riches  autels,  d'orne- 
ments, de  tableaux  précieux.  On  conservait  aussi  des  reliques  venues  de  beau- 
coup de  pays  étrangers.  Les  savants  les  plus  en  renom,  les  plus  considérés  des 
pays  d'Allemagne,  étaient  appelés  dans  la  ville  pour  y  remplir  les  fonctions  les 
plus  honorables,  et  lévéché  pourvoyait  libéralement  à  leur  entretien,  (ombien 
tout  cela  a  été  promptement  change,  et  c'est  ici  même  que  tout  a  commencé!  • 
Fontes  rer.Austr.,  1. 1,  p.  89. En  1519,  l'électeur  Frédéric  envoyait  encore  à  Louise 
de  Savoie  des  tableaux  de  Lucas  Cranach  en  échange  de  reliques.  —  Voy.  Schc- 
CHARD,  1. 1,  p.  67-68.  En  1522,  comme  le  prouvent  les  lettres  de  Spalatin,  il  s'occu- 
pait encore  d'enrichir  sa  collection  de  reliques.  —  Voy.  Kolde,  Friedrich  der 
ll'eise,  p.  29. 

-  Voyez  à  ce  propos  l'opinion  émise  par  Luther  dans  une  lettre  à  Spalatin 
(15  août  1521)  :  -  Scis  enim  quod  si  cujusquam  opes  perdenda"  sunt,  Principum 

perdendiL'  sunt;  quod  Principcm  esse,  et  non    aiiqua  parle  latronem  esse,  aut   nou,  aut 

vix  possibile  est,  eoque  majorem,  quo  major  Princeps  fuerit.  •  Vov.  de  Wette,, 
t.  II,  p.  43. 


208  ÉLOQUENCE    DE    LUTHER. 

quer  aux  autres;  surtout  ils  doivent  rester  unis  entre  eux,  éviter 
les  querelles  et  les  disputes,  et  se  donner  la  main'.  " 

Dans  un  autre  opuscule  de  la  même  époque.  Mémoire  et  instruction 
relatifs  aux  monastères  et  aux  vœux  religieux,  Luther  rejette  les  vœux, 
par  la  simple  raison  qu'ils  sont  impossibles  à  garder*. 

Il  enseignait  encore  que  personne  ne  devait  être  obligé  à  la  con- 
fession, ni  même  au  baptême.  «  .Je  loue  la  foi  et  le  baptême  >,  écrit-il 
le  17  septembre  1521;  «  néanmoins  je  soutiens  que  personne  ne  doit 
être  contraint  au  baptême,  mais  seulement  exhorté.  On  doit  engager 
les  infidèles  à  le  recevoir,  puis  les  laisser  libres  ^  »  Il  dit  aussi  dans 
son  Traité  sur  la  confession  :  "  La  réception  des  sacrements  est  facul- 
tative. Laissez  en  paix  celui  qui  refuse  le  baptême.  Celui  qui  ne  veut 
pas  communier  est  libre  d'agir  comme  il  veut.  De  même,  qui  ne 
veut  pas  se  confesser  en  a  parfaitement  le  droit  devant  Dieu  '.  » 

11  était  impossible  que  de  pareilles  assertions  n'exerçassent  pas  une 
influence  troublante  et  funeste  sur  la  vie  morale  et  religieuse  des 
peuples. 

La  forme  dont  Luther  savait  les  revêtir  contribuait  beaucoup  à  les 
faire  pénétrer  dans  les  esprits.  Il  maniait  la  langue  allemande  avec 
une  incomparable  puissance.  Luther  est  véritablement  un  maître.  Son 
expression  est  concise,  énergique;  son  exposition,  pleine  de  mouvement 
et  de  vie;  ses  comparaisons,  bien  que  fort  simples,  sont  saisissantes  et 
pleines  de  feu.  Il  avait  largement  puisé  aux  riches  sources  de  la  langue 
dupeuple.  Enfait  d'éloquence  populaire,  bienpeupeuventluiétre  com- 
parés. Là  où  il  s'inspire  encore  de  l'esprit  dupasse  catholique,  ses  pa- 
roles ont  parfois  une  grandeur,  une  éloquence  singulières.  Dans  ses  ou- 
vrages d'édification  ou  de  doctrine,  se  révèle,  en  plus  d'une  page,  une 
profondeur  de  sentiment  religieux  qui  rappelle  les  plus  beaux  jours  du 
mysticisme  allemand.  Ouel  charme,  par  exemple,  dans  ces  passages  du 

1  Sammtl.  Werke,  t.  XXVIII,  p.  27-141.  Vov.  surtout  les  paj^es  34,  37,  41,  45,  52, 
57,  116,  120,  134,  136,  138.  141.  Luther,  dans  un  de  ses  sermons,  s'exprime  avec  le 
même  cynisme  .\  propos  des  reliques  :  "  Un  os  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul  ne 
vaut  pas  mieux  qu'un  os  de  voleur  expiré  sur  la  potence.  ■  T.  XVI,  p  126. 
En  novem'jre  1521,  Luther,  s'étant  furtivement  échappé  de  la  Wartbourg,  se 
montra  ravi  de  tout  ce  qu'il  vit  à  Wiltemberrj  :  '^  Veni  Wittenbergam...,  omnia 
vehementer  placent,  quse  video  et  audio.  Dominus  confortet  et  spiritum 
eorum,  qui  bene  volunt.  •  Fin  novembre,  lettre  à  Spalatin.  —  Voy.  de  Wette, 
t.  II,  p.  109. 

^  Siimmt!.  Werke,  t.  XXVIII,  p.  1-27.  Il  envoya  ce  traité,  ainsi  que  le  traité  sur 
VAbiis  des  messes,  à  Spalatin,  qu'il  pria  de  les  faire  imprimer  à  \Vittember[;.  Mais 
Spalatin  ne  s  acquitta  point  de  la  commission,  sur  quoi  Luther  entra  en  fureur 
et  se  promit  d'écrire  avec  plus  de  violence  encore.  Voy.  sa  lettre  de  la  fin  de 
novembre  1521.  —  De  Wette,  t.  II,  p.  109.  Voy.  d  autres  opinions  de  Luther 
sur  la  chasteté  dans  ma  brochure  :  in  second  mot  à  mes  critiques,  p.  93-94. 

s  Dp  Wette,  t.  IJ,  p.  57. 

*  Siimmti.  llerke,  t.  XXVIi,  p.  343-344. 


ÉLOQUENCE    DE    LUTHER.  209 

pelit  livre  intitule  :  De  la  liberté  d'un  chrétien'  t>j20j,  OU  Luther  a 
retracé  le  bonheur  de  l'ànic  unie  à  Jésus  par  l'anneau  de  la  foi, 
«  comme  une  épouse  est  unie  à  son  époux  »!  «  Un  chrétien  est  telle- 
meui  élevé  par  la  foi  au-dessus  de  toutes  les  choses  de  la  terre,  que, 
spirituellement  parlant,  il  en  devient  le  maître,  car  elles  ne  peuvent 
plus  apporter  aucun  obstacle  à  sou  salut;  tout  lui  est  soumis,  tout 
favorise  son  voyage  vers  le  ciel.  "  «  C'est  une  di(;nité  vraiment 
sublime  et  incomparable  que  celle  du  chrétien;  c'est  une  domination 
toute-puissante,  c'est  vraiment  un  royaume  spirituel!  >  -<  M;iis  de  plus, 
nous  sommes  prêtres,  ce  qui  est  encore  beaucoup  plus  que  d'être 
rois,  car  le  sacerdoce  nous  rend  dignes  de  servir  Dieu  et  de  prier 
pour  nos  frères.  «  "  Le  Christ  nous  a  choisis  et  rachetés,  afin  que 
nous  puissions  aider  spirituellement  nos  frères,  et  intercéder  les  uns 
pour  les  autres,  n  «  Qui  pourrait  dire  la  gloire  et  la  dignité  d'une 
âme  chrétienne?  Sa  royauté  lui  donne  pouvoir  sur  toutes  les  choses 
créées,  et  son  sacerdoce  la  rend  puissante  sur  le  cœur  même  de 
Dieu.  '  C'est  ainsi  que  Luther,  dès  qu'il  sent  sous  ses  pieds  un  débris 
de  l'antique  foi,  jette  sur  le  monde  un  regard  joyeux  et  triomphant. 
Beaucoup  d'autres  pages  de  ce  petit  traité  sont  encore  plus  éton- 
nantes. On  ne  peut  assez  s'émerveiller  en  voyant  cette  même  main, 
habituée  à  renverser  comme  à  coups  de  massue  tout  ce  qui  avait  été 
tenu  jusque-là  pour  sacré,  toucher  avec  tant  de  justesse  les  cordes 
les  plus  délicates  du  sentiment  de  l'amour  divin  :  '  C'est  assez  par- 
ler de  l'homme  intérieur;  venons  maintenant  à  un  autre  sujet; 
parlons  de  l'homme  extérieur.  Voici  qu'il  s'agit  à  présent  des  actes. 
Les  bonnes  œuvres  s'offrent  aux  regards  du  chrétien,  car  il  ne  doit 
pas  rester  dans  l'inaction,  il  faut  que  son  corps  soit  exercé  au  jeune, 
aux  saintes  veilles,  au  travail,  soumis  à  une  règle  de  tempérance 
exacie,  afin  que  parfaitement  dompté  il  obéisse  en  tout  à  l'homme 
iniérieur  et  à  la  foi,  et  n'apporte  plus  aucun  obstacle,  aucune  résistance 
à  l'âme,  comme  il  a  coutume  de  le  faire  lorsqu'on  lui  laisse  pleine 
liberté.  L'homme  intérieur  est  uni  à  Dieu;  il  est  joyeux,  il  est  plein 
d'allégresse  en  songeant  à  Jésus,  qui  a  tant  fait  pour  lui;  il  met  son 
unique  bonheur  à  le  servir  avec  désintéressement,  et  dans  un  libre 
amour.  '  »  «  Le  chrétien  doit  se  faire,  volontairement,  le  serviteur  de 
Dieu,  aidant  son  prochain,  et  traitant  avec  lui  comme  Dieu  l'a  traité 
lui-même  par  l'intermédiaire  du  Christ.  Il  doit  s'acquitter  de  son 
office  de  charité  sans  jamais  réclamer  de  salaire,  ne  voulant,  ne 
cherchant  que  le  bon  plaisir  de  Dieu.  »  -'  Vois,  c'est  de  la  foi  que 
naissent  l'amour  et  l'attrait  pour  Dieu,  et  c'est  de  l'amour  que  nait 
le  dévouement  volontaire,  joyeux  et  libre,  pour  le  prochain!  >     Les 

'  Sâmmtl.   Werke,  t.  IV,  p.  173-199. 

n.  14 


210  LUTHER    ET    LA    BIBLE. 

dons  de  Dieu  doivent  passer  de  Tun  dans  les  autres,  et  devenir  com- 
muns à  tous.  De  Jésus-Christ,  ils  s'écoulent  en  nous;  de  nous,  ils 
doivent  se  répandre  en  tous  ceux  qui  en  sont  dépourvus*.  >'  Lorsque 
Luther  écrivait  ces  lignes,  son  âme  était  comme  envahie  par  un  souffle 
puissant  du  passé  catholique.  Elles  sont  comme  le  lointain  écho  des 
sentiments  de  son  cœur  le  jour  où  il  prononça  ses  vœux  et,  dans  un 
libre  élan  d'amour,  se  consacra  pour  jamais  à  la  pratique  des  conseils 
évangéliques. 

Mais  bientôt,  dans  ce  même  traité,  nous  le  voyons  reprendre  son 
œuvre  de  destruction,  et  renverser  de  nouveau  le  développement  reli- 
gieux de  tous  les  siècles  chrétiens,ne  laissant  subsister  que  la  sainte  Écri- 
ture, =  unique  source  où  la  foi  doive  puiser  ses  certitudes,  seule  règle, 
seule  puissance  législatrice  auxquelles  le  chrétien  puisse  recourir  ". 

Et  néanmoins  il  est  le  premier  à  ruiner  l'autorité  de  la  Bible  dans 
les  préfaces  qui  accompagnent  certains  livres  de  sa  traduction  du 
Nouveau  Testament*. 

C'est  ainsi  qu'il  rejette  l'épi tre  de  saint  .lacques,  «  véritable  épltre 
de  paille  «,  selon  lui,  n'ayant  «  absolument  rien  d'évangélique  ". 
'•  Je  ne  la  tiens  p;is  même  pour  apostolique  «,  dit-il.  "  Au  reste,  la 
vraie  pierre  de  touche  pour  la  critique  des  livres  du  Nouveau  Testa- 
ment, c'est  la  mesure  dans  laquelle  ils  reproduisent  la  doctrine  du 
Christ.  Ce  que  Jésus-Christ  n'a  pas  enseigné  ne  serait  pas  aposto- 
lique, quand  bien  même  Pierre  ou  Paul  l'enseignerait.  En  revanche, 
<:e  que  prêche  Jésus- Christ  serait  apostolique  quand  bien  même 
Judas,  Anne,  Pilale  et  Hérode  le  prêcheraient.  Mais  ce  Jacques  ne 
nous  entretient  que  de  la  loi  et  de  ses  œuvres;  il  embrouille  toutes 
les  questions.  »  «  Aussi  %  dit  Luther  dans  l'édition  de  1522  du  Nou- 

'  Summll.  Werke,    t.  IV,  p.  182-183,  185-186,  188-189,  196. 

'  Dans  sa  traduction  du  Nouveau  Testament  et  dans  les  commentaires  qui 
l'accompagnent,  Luther,  par  des  passages  intercalés  habilement  dans  le  texte, 
en  contournant  le  sens  de  maint  passage,  en  en  transformant  d'auires,  s'efforce 
de  donner  à  la  principale  de  ses  doctrines,  la  justification  par  la  foi  seule,  une 
couleur  plus  biblique.  Voyez  les  preuves  multipliées  que  DoUinger  a  réunies  sur 
ce  sujet  :  Reformation,  t.  II,  p.  139-n3.  Dans  l'épitre  aux  Romains,  chap.  iv,  v.  28, 
saint  Paul  avait  dit  :  '  Nous  devons  reconnaître  que  l'homme  est  justifié  par  la 
foi,  sans  les  œuvres  de  la  foi  "  ;  Luther  traduit  :  ■  par  la  foi  selle.  >  Ses  paroles  à 
ce  sujet  ont  été  souvent  citées  :  ■  Si  votre  nouveau  papiste  a  l'intention  de  faire 
un  fracas  inutile  à  cause  du  mot  sola,  h;Uez-vous  de  lui  dire  :  «  Le  docteur  Martin 
le  maintient,  et  aftirme  de  plus  qu'un  papiste  et  un  âne  sont  mêmes  choses,  sic 
vola,  sic  juheo,  sii  pro  ratione  volunias,  car  nous  sommes  bien  décidés  à  n'être  plus 
ni  les  disciples  ni  les  élèves  des  papistes,  mais  bien  leurs  maîtres  et  leurs  juges. 
Nous  aussi,  nous  ferons  à  notre  tour  les  fiers  et  les  arrogants  avec  ces  tétas 
d'ânes!  <■  Je  suis  fâché  de  n'avoir  pas  mis  dans  mon  texte  louiet  et  toute  -  et  de 
n'avoir  pas  écrit,  par  conséquent,  sans  ^w»/«  les  œuvres  de  toute  la  foi'  ;  le  sens  eût 
été  ainsi  plus  rondement  formulé.  Donc  ce  vers  reste  et  restera  tel  quel  dans  mon 
Nouveau  Testament,  et  quand  tous  les  ânes  papistes  devraient  en  devenir  fous  et 
stupides,  ils  ne  me  feront  point  démordre  de  ce  que  j'ai  avancé.  ■  (P.  141-142.) 


I.  U  THE  i;    IT    LA    BIBLE.  2H 

veau  Teslamenf,  "  je  ne  veux  pas  mettre  soa  épitre  dans  ma  Bible 
parmi  les  autres  livres  authentiques,  .le  n'empêche  néanmoins  per- 
sonne de  l'estimer  et  de  l'apprécier  selon  (juil  le  jugera  bon  '. 

Quant  à  Tepiire  aux  Hébreux,  Luiher  affirmait  qu'elle  n'était  ni 
de  saint  Paul,  ni  d'aucun  autre  apùlre.  u  On  ne  saurait  dire  à  qui  elle 
doit  être  attribuée.  11  est  probable  qu'on  l'ijjnorera  encore  pendant 
quelque  temps.  Üu  reste,  peu  importe  ^  > 

Voici  son  opinion  sur  l'Apocalypse  :  (  Pour  ce  livre,  je  laisse  à 
chacun  toute  liberté;  je  n'entends  lier  personne  à  ma  manière  de  voir, 
je  dis  ce  que  j'éprouve.  Je  ne  lui  fais  pas  un  mince  reproche,  car  je 
ne  le  tiens  ni  pour  apostolique  ni  pour  prophétique.  (Jue  celui-là 
s'y  attache  qui  y  sent  son  esprit  attiré;  mon  esprit,  à  moi,  ne  peut 
s'en  accommoder'.  » 

Ainsi  diiuc,  l'autorité  de  la  sainte  Écriture  ne  reposait  que  sur  le 
sentiment  particulier  de  chacun. 

«  Jusqu'où  ira-t-on  •',  demandait  avec  Emser  et  Cochlaeus  Charles 
de  Bodmanu;  •■  jusqu'où  ira  la  doctrine  luthérienne  quant  à  Tinter- 
prélatiou  et  à  l'autorité  des  saintes  Écritures?  Luther  rejette  tel  ou 
tel  livre,  il  le  tient  pour  non  apostolique,  non  authentique,  et  cela 
uniquement  parce  que  son  esprit  ne  le  goùle  pas.  Mais  d'autres  vien- 
dront après  lui  qui,  dirigés  par  les  mêmes  principes,  rejetteront  a 
leur  tour  ce  livre-ci,  celui-là,  et  à  la  fin,  la  Bible,  en  son  ensemble, 
deviendra  un  vaste  champ  de  doute,  et  sera  discutée  comme  tout 
autre  ouvrage  profane.  Et  cependant  on  jette  les  hauts  cris  de  ce 
que  la  traduction  de  Luther  ait  été  interdite  aux  fidèles;  il  semble  que 
cette  défense  soit  un  acte  inouï  de  tyrannie*!  Dès  maintenant,  bien 

1  Sammtl.  Werke,  t.  LXIII,  p    !15,  156-158. 

'  T.  LXIIF,  p.  154-155.  —     Il  me  semble  •,  dit-il  encore,  -  que  cette  épître  est 

camposée  de  beaucoup  de  pièces  disparates.  Elle  n'a  aucune  unité.  Quoique  saint 

Paul  n'y  pose  pas  le  fondement  de  la  foi  (il  le  déclare  lui-même,  chap.  m,  v.  î  ;. 

ce  qui  est  le  propre  de  la  mission  d'un  apôlre,  il  ne  laisse  pas  d'élever  sur 

ce  fondement  l'or,  l'arfjent,  les  pierreries  les  mieux  travaillés.  Donc,  ne  pre- 

I  nons  pas  ^arde  aux  parcelles  de  bois,  de  pierre  et  de  paille  qui  y  sont  mêlées; 

I  acceptons  cette  epitre  avec  les  autres,  tout  en  ne  la  mettant  pas  au  même  rang 

I  que  les  épitres  apostoliques.  ■> 

\     '  T.  LXIII,  p.  15M55.  —  On  lit  dans  la  préface  du  traité  de  Luther  intitulé  :  Des 
j  livres  les  plus  aullientiques  et   les  plus  excellents  du  Xouveau  Testament  :   -  Comme  Jean 
1  parle  très-peu  des  actes  du  Christ,  mais  s'étend  beaucoup  sur  ses  prédications, 
I  tandis  que  les  autres  évangélistes  parlent  au  contraire  beaucoup  de  ses  actions 
I  et  peu  de  son  enseignement,  l'Évangile  de  Jean  est  l'unique  Évangile,  l'Évan- 
gile de  l'amour,  l'Évangile  par  excellence,  et  doit  être  mis  et  élevé  bien  au- 
!  dessus  des  trois  autres.  Les  épitres  de  saint  Paul  et  de  saint  Pierre  sont  aussi 
bien  supérieures  aux  récits   des  trois   évangélistes   Mathieu,  Marc  et  Luc.  » 
1.  LXIII,  p.  115. 

*  La  traduction  !"thérienne  du  Xouveau  Testament  lut  également  interdite  en 
Bavière,  en  Autriche,  dans  le  Brandebourg  et  dans  le  duché  de  Saxe.  Un  édit 
du  duc  Georges,  daté  du  7  novembre  1522,  ordonnait  que  dans  un  délai  de 
cinq  semaines,  tous  les  exemplaires  en  circulation  dans  le  pays  depuis  Noël 

14. 


212     SOULÈVEMENT  DU  PEUPLE  PAR  LA  PRÉOICATIOX  ET  LA  PRESSE. 

des  gens  méprisent  tout  autant  rÉcriture  sainte,  et  même  le  Christ, 
que  l'Église  et  son  enseignement,  et  ces  tristes  exemples  se  multi- 
plieront toujours  plus,  dans  la  mesure  où  TÉglise,  en  son  autorité 
comme  eu  ses  premiers  pasteurs,  sera  plus  honnie,  plus  salie  par  les 
ignobles  propos  de  Luther  et  de  ses  disciples  '.  ' 

Luther,  en  guise  de  compliment  de  nouvelle  année,  dédia  au  Saint- 
Père  (décembre  1522)  son  Exposillon  sur  la  Bulle  Cœna  Domiui,  autre- 
ment dite  Bulle  du  souper  (jlouton  du  Très-Saint  Seijneur  le  Pape. 

Le  Pape,  dans  cet  écrit,  reparait  de  nouveau  sous  les  traits  de 
l'Antéchrist  :  «  Sa  perversité  >,  dit  Luther,  «  dépasse  celle  du  dragon 
infernal,  et  toute  l'infamie  des  suppôts  du  diable.  »  «  Ouvrez  les  yeux, 
malheureux  papistes,  papistes  aveugles,  considérez  votre  idole,  voyez 
comme  elle  s'élève  contre  le  Christ,  et  à  quelle  besogne  satanique 
elle  s'emploie!  >•  -  Le  Pape,  par  ses  mensonges  d'enfer,  force  tout  le 
monde  à  déserter  la  foi  chrétienne;  aussi  dans  sou  corps,  dans  ses 
biens,  dans  son  âme,  le  gouvernement  du  Pape  est-il  dix  fois  pire 
que  celui  des  Turcs.  ■'  Jésus-Christ,  comme  nous  le  lisons  dans 
l'iicriture,  s'est  réservé  le  châtiment  de  l'Antéchrist;  sans  cela,  avant 
de  songer  à  exterminer  les  infidèles,  il  faudrait  commencer  par 
anéantir  la  Papauté.  Le  Rhin  serait  à  peine  assez  profond  pour 
engloutir  toute  la  bande  des  pillards  romains,  tous  ces  infâmes  bour- 
reaux, très-fidèles  apôtres  du  Pape,  cardinaux,  archevêques,  évêques, 
abbés,  qu'on  ne  saurait  compter*!  ■■ 

Il  s'exprime  avec  la  même  violence,  la  même  passion,  dans  un 

fussent  rerais  aux  agents  du  duc;  le  prix  des  Bibles  devait  être  remboursé  aux 
acheteurs.  Jérôme  Emser,  chapelain  du  duc,  exposa  dans  un  traité  étendu  les 
raisons  de  cette  interdiction.  Non-Seulement  -,  dit-il,  ^  le  sens  de  certains 
passages,  mais  encore  le  respect  dû  à  la  sainte  Écriture  est  bles.é  dans  les 
commentaires  et  les  préfaces  de  Luther.  -  La  faculté  de  théologie  de  Leipsick 
(janvier  1523  supplie  le  duc  d'interdire  i  ses  sujets  la  lecture  des  commen- 
taires et  préfaces  de  Luther,  quand  bien  même  la  traduction  du  texte  saint 
serait  ndèle.  (Ce  qui  n'était  pas  le  cas.)  Emser  recommande  aux  évêques  de 
charger  quelques  savants  de  publier  une  nouvelle  et  exocte   traduction  du 

Nouveau  Testament.  —  Voy.  SeIDEM.VNN.  Erläuterungen  zur  Reformationsgeschichte, 
p.  51-55.  —  Emser  fut  plus  tard  chargé  par  le  duc  d'éditer  une  traduction  ca- 
tholique, et  Georges  en  composa  lui-même  la  préface.  Cette  préface  se  termine 
ainsi  :  «  Ceux  de  nos  sujets  qui  accepteront  et  liront  docilement  ce  Nouveau 
Testament,  véritablement  donné  par  Dieu,  nous  feront  d'autant  plus  de  plai- 
sir, et  nous  le  reconnaîtrons  d'autant  plus  volontiers  par  toutes  sortes  de 
grâces,  qu'ils  y  puiseront  plus  d'avantages  et  d'édification  pour  le  salut  de  leurs 
âmes  '.  —  Voy.  l'article  sur  le  duc  Georges  dans  les  Hist.  pot.  Blattern,  t.  XLVI, 
p.  462-463.  — Emser  eût  désiré  que  sa  traduction  fiU  imprimée  chez  les  Frères  de 
la  vie  commune  de  Rostock  ;  mais  Luther,  par  une  démarche  auprès  du  duc  Henri 
de  Mecklembourg,  parvint  à  empêcher  la  chose.  —  (Lisch,  p.  23-43.) —  Il  pressait 
le  duc  de  l'interdire,  à  cause  des  commentaires  et  des  annotations  d'Emser. 
Voy.  ses  lettres  sur  ce  sujet  dans  de  Wette,  t.  III,  p.  528-530. 

'  '  Du  23  août  1523.  Voy.  plus  haut,  p.  162,  note  5. 

^  Sammil.  Werke,  t.  XXIV,  p.  164-202.  Voy.  surtout  les  pages  166,  182-183,  188.    , 


SOULÈVEMENT  DU  PEIPI.E   l'AR    (.A   l'KÉniCATION   ET  LA  PHESSE.       213 

écrit  polémiste  plus  considérable,  qu'il  avait  cru  pouvoir  intituler  : 
Loyale  exhortation  adressée  à  tous  les  chrélkns  pour  les  détourner  de  toute 
émeute  et  révolte  :  <  Comme  les  honteuses  et  funestes  impostures,  les 
crimes,  la  tyrannie  du  Pape  et  de  ses  affidés  sont  maintenant  exposés 
en  plein  jour  et  livrés  au  mépris  de  tous  %  dit-il  dans  l'introduction 
de  ce  livre,  «  il  est  à  prévoir  qu'on  en  viendra  prochainement  à  la 
révolte  ouverte,  et  que  les  prêtres,  les  moines,  les  évêques,  enfin 
tout  le  clergé,  pourront  bien  être  chassés  ou  assommés,  à  moins  que 
d'eux-mêmes  ils  ne  s'appliquent  à  une  sérieuse  et  foncière  réforme.  » 
«  Le  peuple,  dans  la  première  chaleur  de  son  ressentiment,  com- 
prenant eufin  le  tort  qu'on  a  fait  à  ses  biens,  à  son  corps  et  à  son 
âme,  tenté  au  delà  de  ses  forces,  écrasé  de  la  façon  la  plus  inique  et 
la  plus  excessive,  refusera  de  se  soumettre  à  l'avenir  à  de  pareils  trai- 
tements, il  n'a  que  trop  de  motifs  légitimes  '^  de  frapper  dur  avec  son 
fléau  et  sa  pioche  ' ,  comme  dit  Karsthans  en  son  rude  langage. 
Luther  voit  avec  plaisir  l'effroi,  l'angoisse  du  clergé,  et  souhaiterait 
que  cette  terreur  s'accrût  encore  :  ■  L'Écriture  constate  une  pareille 
épouvante  chez  tous  les  ennemis  de  Dieu;  elle  nous  apprend  qu'elle 
est  un  des  signes  avant-coureurs  de  leur  réprobation.  Et  il  est  vrai- 
ment bien  juste  que  le  temps  de  l'expiation  commence  pour  les 
papistes;  leur  châtiment  m'agréerait  fort,  car  ils  ont  persécuté  et 
condamné  la  divine  vérité.  Mais  ils  auront  bientôt  à  s'en  repentir!  » 

Toutefois  il  ne  souhaitait  pas  le  déchaînement  de  l'émeute,  et  ne 
désirait  pas  voir  la  populace  se  ruer  à  l'aveugle  sur  les  objets  de  sa 
haine.  L'autorité  devait  réprimer,  disait-il,  «  l'iniquité  et  la  tyrannie 
papistes  «  au  moyen  de  son  pouvoir  légitime;  les  princes,  les  seigneurs 
devaient,  eu  leurs  territoires  respectifs,  prendre  l'initiative  de  mesures 
énergiques,  -  car  ce  qui  s'obtient  avec  le  concours  de  l'autorité  légale 
ne  saurait  s'appeler  révolte  ».  L'homme  du  peuple  ne  devait  donc  rien 
entreprendre  pour  la  bonne  cause  sans  l'ordre  de  ses  gouvernants, 
sans  l'assistance  du  pouvoir  public.  ^  Sois  attentif  à  la  conduite  que 
tient  l'autorité  ',  conseille  Luther  à  son  lecteur;  "  aussi  longtemps 
qu'elle  ne  se  met  pas  à  l'œuvre  et  ne  te  donne  pas  le  signal,  que  ton 
cœur,  ta  bouche  et  ta  main  restent  inactifs;  n'entreprends  rien  de  toi- 
même.  Mais  si  tu  peux  décider  l'autorité  à  agir  et  à  ordonner,  alors 
il  t'est  permis  de  la  seconder.  ^  Qae  ferons-nous  donc  > ,  me  diras- 
tu,  "  si  nos  gouvernants  refusent  de  commencer  la  besogne?  Tolé- 
rerons-nous plus  longtemps  les  abus?  fortifierons-nous,  par  notre 
inertie,  l'audace  de  nos  ennemis?  «  Je  réponds  :  "  Non,  ce  n'est 
pas  là  ton  devoir.  ■- 

Le  chrétien,  selon  Luther,  devait  continuer  à  suivre  le  chemin 
tracé,  combattre,  par  la  parole  et  la  plume,  les  impostures  des  pa- 
pistes, et  le  prendre  lui-même  pour  exemple  :      Enseigne,  répète, 


211      SOULÈVEMENT  DU  PEUPLE  PAR  LA  PRÉDICATION  ET  LA  PRESSE. 

écris,  prêche  que  les  lois  humaines  ne  sont  rien.  Empêche  par  ton 
influence  que  personne  à  l'avenir  ne  se  fasse  prêtre,  moine  ou  nonne; 
conseille  à  ceux  qui  le  sont  déjà  de  s'affranchir  au  plus  tôt.  Ne  donne 
plus  ton  argent  pour  les  bulles,  les  cierges,  les  cloches,  les  tableaux, 
les  églises;  dis  hautement  que  la  vie  chrétienne  réside  dans  la  foi  et 
l'amour;  persévère  dans  cette  conduite  pendant  deux  ans;  tu  verras 
ensuite  ce  que  seront  devenus  pape,  évêque,  prêtre,  moine,  nonne, 
cloche,  clocher,  messes,  vigiles,  frocs,  capuchons,  tonsures,  règles, 
statuts,  en  un  mot,  tout  l'ulcère  et  toute  la  vermine  du  système 
papal!  "  t  Tout  homme  qui  annonce  la  parole  du  Christ  peut  affir- 
mer hardiment  que  sa  bouche  est  la  bouche  même  du  Christ.  Pour 
moi,  je  suis  certain  que  ma  parole  n'est  pas  la  mienne,  mais  celle 
du  Christ  lui-même.  Ma  bouche  est  la  bouche  même  de  Celui  qui 
par  moi  annonce  sa  parole  '!  " 

On  aurait  pu  lui  objecter  ce  que  lui-même  avait  écrit  jadis  au 
légiste  Christophe  Scheurl  (22  janvier  1517)  :  ■■  C'est  le  comble  de 
l'orgueil  de  s'imaginer  être  le  temple  de  Jésus-Christ.  La  mission 
seule  d'un  apôtre  pourrait  légitimer  une  pareille  présomption*.  » 

Mais  à  cela  Luther  n'eût  pas  manqué  de  répondre  par  les  paroles 
qu'il  avait  adressées  à  Frédéric  de  Saxe  le  5  mars  1522  :  <<  Votre 
Grâce  n'ignore  pas,  ou  si  elle  l'ignore  elle  pourra  l'apprendre 
ici,  que  je  n'ai  pas  reçu  des  hommes,  mais  uniquement  du  ciel,  par 
l'entremise  de  Notre-Seigueur  Jésus-Christ,  l'évangile  que  j'an- 
nonce^. En  sorte  qu'il  m'eiU  été  loisible,  comme  désormais  je  le 
veux  faire,  de  me  vanter  d'être  et  de  m'intituler  en  effet  servi  leur 
et  évangéliste  de  Dieu*.  ^ 

Luther,  dans  cette  même  lettre,  prévenait  l'Électeur  qu'il  avait 
quitté  la  Wartbourg  et  rentrait  à  Wittemberg.  Les  troubles  révo- 
lutionnaires qui  commençaient  à  s'y  produire,  suite  inévitable  de  la 
nouvelle  prédication  évangélique  >',  y  réclamaient  impérieusement 
sa  présence. 

>  S'immll.  Werke,  t.  XXII,  p.  43-59. 

'  Immo  id  ipsum  est  summum  arrogantiae,  praesumere  de  te,  quod  Cbristi 
habilaculum  sis,  nec  nisi  apostolico  ordini  facile  permittenda  ista  gloriatio.  • 
De  Wette,  t.  1,  p.  50. 

•  C'est-à-dire  sa  doctrine  de  la  justification  par  la  foi  seule,  et  celle  de  la  non- 
liberté  de  la  volonté  humaine. 

*  De  Wette,  t.  II,  p.  139. 


CHAPITRE   III 

MOUVEMENTS   RÉVOLUTIONNAIRES   A   ERFURT   ET    A    WITTEMBERG 
COMMENCEMENT   DE   LA   SCISSION    RELIGIEUSE 


Les  premiers  troubles  révolutionnaires  qui  suivirent  la  publication 
de  ledit  de  Worms  éclatèrent  à  Erfurt  en  juin  1521,  L'ami  de  Luther, 
TAuf.ustin  .lean  Lan^,e,  ayant  excité  le  peuple,  par  des  prédications 
irritantes,  à  la  haine  et  aux  voies  de  fait  contre  les  prêtres,  le  conseil 
de  la  ville  n'eut  point  honte  de  mettre  à  profit  la  révolte  populaire 
pour  attaquer  les  prérogatives  du  clergé  et  mettre  1 1  main  sur  ses 
biens.  Des  bandes  armées  composées  d'étudiants,  d'ouvriers,  de  gens 
sans  aveu,  déiruisirent  en  peu  de  jours  plus  de  soixante  ><  maisons  de 
prêtres  ".  L'autorité  laissa  faire.  Des  bibliothèques  furent  détruites; 
les  bâtiments  où  siégeaient  les  tribunaux  ecclésiastiques  de  l'arche- 
vêché, abattus;  tous  les  registres  de  dîmes  qu'on  y  put  découvrir, 
brûlés  ;  en  un  mot,  les  révoltés  se  livrèrent  à  toutes  sortes  de  dépré- 
dations, et  allèrent  même  jusqu'à  l'assassinat.  Maternus  Pistoris, 
dont  les  savants  travaux  avaient  jadis  fait  tant  d'honneur  à  l'Univer- 
sité, ne  fut  pas  épargné  : 

Ils  vinrent  aussi  dans  la  maison  de  Materne 

Et  le  jetèrent  par  la  fenêire. 

Materne  gisait  à  terre  comme  un  homme  mort! 

Dans  quelle  terrible  angoisse  ont  été  les  prêtres! 

Ils  firent  un  feu  de  joie  des  débris  entassés, 

Ils  brisèrent  tout  ce  qui  se  trouvait  là: 

Fenêtre,  banc,  poêle,  table,  grille. 

Tout  fut  détruit  en  un  clin  d'œil  ! 

Ils  travaillaient  sans  relâche, 

Comme  s'ils  eussent  été  bien  décidés 

A  ne  rien  laisser  d'intact  dans  la  maison  '. 

'  Das  Pfaf/enstûrmcn  zu  Erfurt,  /luthore  Gotlhardo  Schmalz.  Gotha.   Voy.  LiliencrOD. 
t.  III,  p.  369-376.  Vers  167-171,  220-224. 


216     LA   PRÉDICATION  ÉVANGÉLIOUE  ET  SES  RÉSULTATS  A  ERFURT.   1521. 

Pendant  une  seconde  émeute,  qui  éclata  vers  la  fin  de  juillet,  sept 
maisons  de  prêtres  furent  incendiées  '. 

C'est  à  partir  de  cette  époque  que  l'Université  d'Erfurt  commença  à 
dépérir.  Le  nombre  de  ses  étudiants  diminua  au  moins  de  moitié;  beau- 
coup de  parents  rappelaient  leurs  fils,  redoutant  pour  eux  la  «  conta- 
gion hussite  *.  "  Parmi  les  étudiants  demeurés  dans  la  ville,  les  actes 
de  brutalité,  de  violence,  d'inconduite,  se  multipliaient  tous  les  jours^ 

Cependant,  malgré  ces  troubles,  ces  désordres,  l'antique  forme  du 
culte  continuait  à  être  respectée.  Jusqu'à  la  fin  de  1521,  le  service 
divin  se  célébra  sans  aucune  altération,  à  Erfurt  comme  dans  tout  le 
reste  de  l'Allemagne.  Le  rite  de  la  messe,  le  mode  d'administration  des 
sacrements  ne  subirent  aucun  changement.  On  ne  songeait  pas  encore 
à  fonder  une  église  nouvelle,  un  système  ecclésiastique  différent. 

Mais  les  doctrines  de  Luther  sur  la  justification  par  la  foi  seule 
et  sur  le  sacerdoce  universel  devaient  logiquement  conduire  au  ren- 
versement de  l'ancien  ordre  de  choses.  Si  tous  les  chrétiens  étaient 
prêtres  devant  Dieu,  il  s'ensuivait  nécessairement  que  la  hiérarchie 
sacerdotale  devait  être  supprimée.  Si  les  bonnes  œuvres  étaient 
inutiles  au  salut,  les  fondations  pieuses  et  les  couvents  devenaient 
inutiles,  et  l'Église  ne  devait  prétendre  à  aucune  propriété  tempo- 
relle. D'ailleurs  la  "  liberté  évangélique  »  si  pompeusement  annon- 
cée réclamait  la  suppression  des  «  criants  abus  du  passé  ",  et  ce 
séduisant  prétexte  allumait  en  d'innombrables  âmes  l'ardent  désir 
de  "  rompre  avec  tous  les  vestiges  d'un  esclavage  odieux,  d'abolir 
les  frocs,  les  couvents,  les  prières,  les  jeûnes,  les  mortifications,  de 
mettre  la  main  sur  les  riches  propriétés  d'un  clergé  fainéant,  enfin 
de  s'emparer  dans  les  églises  des  calices  d'or  et  d'argent,  et  de  tous 
les  trésors  improductifs  des  sacristies  ». 

A  Erfurt,  la  "  transformation  •  commença  dès  l'automne  de  1521, 
Les  moines,  en  grand  nombre,  et  en  premier  lieu  les  Augustins, 
abandonnèrent  en  tumulte  leurs  couvents  ',  et  commencèrent   à 

'  Pour  plus  de  détails  sur  les  deux  soulèvements  d'Erfurt,  voy.  K ampschllte, 
t.  Il,  p.  123-132.  Un  prêtre,  victime  de  l'insurrection,  prédit  à  la  ville  un  som- 
bre avenir  : 

Erfurt,  tune  doleas  nunquam  c.irUiira  dolore. 
Cum  careas  clerc,  qui  te  ditavit  lionore. 

*  '  Adeo  ut  plerosque  bonorum  hominum  fiiios,  ne  Hussitico  lederentnr  con- 
tafjio",  lisons-nous  dans  le  registre  de  la  faculté  de  philosophie,  •  hincadpatrios 
lares  avocari  conti;T;erit.  • 

^  Voy.  pour  plus  de  détails.  Kampschulte,  t.  II,  p.  134-138. 

*Luther  ne  s'en  montra  pas  satisfait.  Il  écrit  le  18  décembre  1521  à  Lange:  '  Non 
probe  egressum  istum  tumultuosum,  cum  potuissent  et  pacifiée  et  amice  ab 
invicem  separari  -  ;  et  le  28  mars  1522  :  «  Video  monachos  nostros  multos  exire 
nulla  alia  causa  quam  qua  intraverant,  hoc  est,  ventris  et  libertatis  carnalis 
gratia,  per  quos  S;itanas  magnum  foetorem  in  nostri  verbi  odorem  bonum  exci- 
tabit.  »  —  Voy.  de  Wette,  t,  II,  p.  115,  175. 


r,A  PRÉDICATION  ÉV ANGÉLIQUE  ET  SES  RÉSULTATS  A  ERFURT.   1521.     217 

prt^chcr  publiquement  qu'il  n'était  plus  permis  de  demeurer  dans  la 
reli{;ion  des  ancêtres;  que  l'Ancien  Testament  faisait  aux  chrétiens 
un  devoir  positif  d'abandonner  le  culte  catholique;  que  lÉjjlise 
n'avait  fait  autre  chose  pendant  des  siècles  qu'inventer  des  maximes 
humaines,  propager  des  doctrines  d'orgueil,  de  cupidité,  de  sensua- 
lité, de  déloyauté,  d'hypocrisie;  qu'elle  n'était  qu'un  atelier  de  men- 
songes et  de  perversité  > .  Lange,  l'ancien  moine  aujjusiin,  appelait 
les  couvents  des  repaires  de  brigands,  et  conseillait  à  l'homme  du 
peuple,  à  l'ouvrier,  de  faire  le  signe  de  la  croix  toutes  les  fois  qu'il 
entendait  prononcer  le  nom  de  l'Église  catholique.  Les  prédicants 
pressaient  les  chrétiens  affranchis  de  la  tyrannie  du  papisme  d'aban- 
donner la  pratique  dc<'  bonnes  œuvres,  car  le  jeune,  la  prière,  la 
confession,  les  indulgences,  les  couvents  et  les  messes  n'étaient  que 
de  pures  institutions  humaines,  inventées  pour  assouvir  la  cupidité 
de  la  gent  ointe  et  tondue  ".  Les  martyrs  chrétiens  et  les  Pères  de 
l'Église  des  premiers  siècles  étaient  vilipendés  en  pleine  chaire.  La 
chasteté  d'un  saint  François  d'Assise  ou  d'un  saint  Dominique  était 
livrée  aux  quolibets  et  à  la  risée  publique.  La  foule  grossière,  ras- 
semblée dans  les  églises  autour  des  prédicateurs,  exprimait  par  ses 
applaudissements  et  ses  cris  d'allégresse  la  satisfaction  que  lui 
causaient  de  pareils  discours.  Sur  les  places  de  marché,  dans  les 
auberges,  les  questions  Ihéologiques  étaient  débattues;  jeunes  gens, 
hommes  et  femmes,  commentaient  et  expliquaient  la  sainte  Écriture. 

Aussi  le  peuple  ne  tarda-t-il  pas  à  traduire  son  -  zèle  évangélique  » 
par  des  émeutes  répétées. 

"  Nous  voyons  maintenant  les  fruits  de  la  prédication  évangé- 
lique, '  écrivait  l'ancien  compagnon  et  maître  de  Luther  au  couvent 
des  Augustins,  Barthélemi  Usingen;  "  le  peuple,  après  avoir  secoué 
l'obéissance  qu'il  devait  à  l'Église  catholique,  se  livre,  sous  prétexte 
de  liberté  chrétienne,  à  tous  les  plaisirs  charnels,  méprise  la  vraie 
dévotion,  et  se  précipite  dans  un  abîme  dont  il  sera  ensuite  bien 
difficile  de  le  retirer.  « 

Usingen  était  à  Erfurt  l'inébranlable  soutien  de  l'antique  foi;  dans 
ses  sermons,  prêches  à  la  cathédrale,  dans  ses  écrits  apologétiques, 
il  ne  cessait  de  mettre  le  peuple  en  garde  contre  les  faux  prophètes. 
"  ils  semblent  uniquement  préoccupés  d'évangile  et  de  liberté  r, 
disait-il,  -  mais  en  réalité  ils  détruisent  la  religion,  l'ordre  et  l'hon- 
neur; ils  renouvellent  les  troubles  autrefois  excités  par  les  hussites; 
ils  poussent  à  l'émeute,  nu  désordre,  et  livrent  la  Chrétienté  à  des 
maux  dont  on  ne  saurait  prévoir  la  fin.  "  Une  réforme  est  certaine- 
ment nécessaire,  mais  elle  l'est  premièrement  pour  ces  moines  dis- 
solus, échappés  de  leur  couvent,  qui  maintenant  se  donnent  pour  les 
sévères  censeurs  des  mœurs,  et  par  une  perfide  exagération  des  abus. 


218         LES  NOVATEURS  RELIGIEUX  ET  L'ARCHEVÉOUE  DE  MAYENCE. 

s'efforcent  de  couvrir  leur  propre  ignominie.  "  L'honnête  Usingen 
ne  pouvait  contenir  son  indignation  en  voyant  ceux  qui  avaient  pré- 
cisément le  plus  besoin  de  réforme  s'ériger  en  juges  de  la  société 
chrétienne  :  que  l'audacieuse  entreprise  des  novateurs  demeurât 
impunie,  lui  semblait  une  honte  pour  le  nom  allemand.  Les  désor- 
dres des  iconoclastes  à  Constantinople  avaient  causé  jadis  la  chute 
du  Bas-Empire,  dont  l'antique  splendeur  avait  été  transférée  à  la 
nation  allemande  :  ainsi,  disait  Usingen  dans  un  douloureux  et 
prophétique  pressentiment,  la  dévastation  des  églises  aura  égale- 
ment pour  conséquence  la  décadence  de  l'Allemagne  et  la  ruine  de 
sa  vieille  gloire'.  Le  peuple  se  pressait  autour  de  sa  chaire',  et 
pourtant  sa  parole  restait  sans  influence  sur  le  cours  des  événements, 
et  le  parti  révolutionnaire  gagnait  chaque  jour  du  terrain.  Pendant 
trente  ans,  Usingen  avait  servi  fidèlement  sa  ville  natale,  il  avait  bien 
mérité  de  l'Université  d'Erfurt;  cependant,  il  se  voyait  maintenant 
exposé  sans  défense  aux  insultes  de  la  populace;  c'est  à  peine  s'il  était 
en  sécurité  pour  sa  vie,  car  la  majorité  des  membres  du  conseil  faisait 
cause  commune  avec  les  novateurs,  et  protégeait  «  l'évangile  ",  dési- 
reux qu'ils  étaient  d'échapper  à  la  domination  détestée  de  l'arche- 
vêque de  Mayencc,  et  de  faire  main  basse  sur  les  biens  du  clergés 
«  Les  nouveaux  hérétiques  ne  redoutent  guère  l'archevêque  de 
Mayence  -,  écrivait  à  Home  Charles  de  Bodmann;  ■  au  contraire,  ils 
espèrent  que  lui,  et  bien  d'autres  avec  lui,  se  tourneront  peu  à  peu  de 
leur  côté,  et  que  les  prélats,  dans  leur  propre  intérêt,  donneront  les 
mains  à  la  confiscation  des  biens  de  l'Église.  Ouant  à  l'exécution  de 
l'édit  de  Worms,  il  n'eu  a  pour  ainsi  dire  plus  été  question  depuis 
que  l'Empereur  a  quitté  le  royaume;  dans  quelques  villes  épisco- 
pales,  les  livres  luthériens  sont  vendus  librement  et  publiquement, 

'  Voy.  les  excellents  développements  fournis  sur  ce  sujet  par  Kampsghllte, 
t.  II,  p,  141-16),  169-174. 

'  A  son  sermon  pour  la  fête  de  saint  Mathieu  (1523),  environ  quatre  mille 
auditeurs  étaient  réunis.  Voy.  Kampschulte,  t.  II,  p.  153,  note  1.  Cuelsamer,  pré- 
dicant  luthérien,  disait  un  jour  en  chaire  à  propos  d'Usinjjen:  -  Nelnilo  ille  tur- 
pissimus  nunc  tandem  Christum  ipsum  pudef.icere  conatur  ob  fornicarioruni 
defensionem  :  idqne  lucri  causi.       Usingen,    selon  lui,  n'était  qu'un  sophiste 
frappé  d'aveuglement  qui  ne  comprenait  rien  à  l'Évangile;  «  un  de  ces  vieillards 
endurcis  »,  comme  s'exprime  un  autre  préJicant,  ^  qui,  d'après  le  témoignage  de 
la  sainte  Écriture,  ont  dans  tous  les  temps  résisté  à  la  vérité  - .  Des  bandes  tumul- 
tueuses étaient  envoyées  aux  sermons  d'Usinger,  pour  l'interrompre  par  des  sif-  \'\ 
flets  et  le  troubler  par  des  exclamations  injurieuses. Plus  d'une  fois,  rapporle-t-il,  |: 
on  tenta  de  se  débarrasser  de  lui  par  la  violence.   Des  espions  stipendiés  le  j 
guettaient  quand  il  retournait  chez  lui  après  avoir   prêche  (p.   155-158,   !70).  |' 
Usingen  finitparseréfugier  au  couvent  des  Augustins,  à  Würtzbourg.  Un  volume  i: 
d'extraits  rassemblés  par  lui  et  écrits  de  sa  main,  se  voit  encore  dans  la  biblio-  's 
thèque  de  l'Université  de  cette  ville,  et  donne  une  haute  idée  de  l'étendue  de  ses  j; 
connaissances.  —  Koldf,  Augustiner  Congrégation,  p.  394,  note  2.  j 

'  Kampschulte,  t.  II,  p.  t65.  ; 


r.ES  novatei:r.s  nF.r.ifarux  et  f/archev^que  pe  mayence        219 

et  ledit  impérial  devient  nnliirellement  l'objet  de  la  risée  popu- 
laire '.  "  Un  autre  jour,  il  crrit  :  ;:  Le  peu|)Ie  dévore  avec  une 
incroyable  avidité  tous  les  libelles  qui  attaquent  et  injurient  TEglise 
et  son  organisation.  A  peine  si  quelques  évêques  veillent  à  ce  que 
de<:  })rédications  et  des  écrits  de  controverse  appropriés  à  ses  con- 
naissances viennent  l'instruire  des  conséquences  funestes  que  peuvent 
avoir  les  doctrines  hérétiques  pour  l'unité  de  l'Église  et  le  bien 
public.  Les  partisans  de  Luther  ont  pénétré  jusque  dans  les  conseils 
privés  des  princes  ecclésiastiques.  Dans  la  crainte  et  l'effroi  de  la 
révolution  qui  nous  menace,  tout,  parmi  nous,  semble  paralysé, 
tandis  que  dans  le  camp  de  nos  ennemis  la  révolte  lève  audacieuse- 
ment  la  tête'.  " 

L'attitude  révolutionnaire  toujours  plus  hardie  des  novateurs 
religieux  était  la  conséquence  toute  naturelle  de  la  conduite  hési- 
tante et  louche  d'un  grand  nombre  d'évêques.  Albert,  archevêque 
de  Mayence  et  primat  d'Allemagne,  en  était  surtout  responsable.  Dès 
le  début,  il  n'avait  pas  été  franc,  et  le  nonce  du  pape,  Aléandre, 
n'avait  eu  que  trop  de  motifs  de  blâmer  à  plusieurs  reprises  sa 
conduite  et  celle  de  son  clergé,  dont  l'orlhodoxie  était  à  bon 
droit  suspectée.  Aussitôt  après  la  publication  de  ledit  de  Worms, 
Albert  avait  fait  savoir  à  Luther  qu'il  pouvait  compter  sur  ses  bons 
offices  et  sur  sa  protection.  Lui  aussi  songeait  à  soutenir  la  cause 
de  l'Évangile,  «  mais  il  comptait  prendre  un  chemin  plus  sur  et 
plus  aisé  ».  Menacé  par  Hütten  et  son  parti',  Albert  n'avait  pas 
signé  l'édit  de  Worms  comme  il  eut  di)  le  faire  en  sa  qualité  de 
chancelier  de  l'Empire,  et  dans  ses  diocèses  de  Mayence,  de  Mag- 

'  Corhlaeus  se  plaint  à  plusieurs  reprises  du  peu  de  zèle  qu'apporteut  les 
évéques   à  la  répression  des  nouvelles  doctrines.  Voyez  les  Glos  und  Comment 

auf  den  18  ArticLel  vom  rechten  Messhaiti n  Dl.  B^  et  D-  et  Glos  und  Comment  auf 
154  Ariickel,  Dl.  q^.  und  l*.  L'édit  de  Worms,  qui  avait  fait  croire  au  '  dénoi'iment 
de  la  tragédie  - ,  n'en  fut  au  contraire  que  le  début.  —  Voy.  la  lettre  d'Alphonse 
Valdes  à  Pierre  Martyr,  15  mai  1521,  dans  les  œuvres  de  Lessing,  puhi.  par 
Mallzahu,  t.  IV,  p.  101. 

'  Lettre  du  22  juillet  et  du  2,3  août  152.3.  Voy.  plus  haut,  p.  162,  note  5. 

'  «  Fertur  Galerita  Moguutinus  hosies  in  se  juratos  habere  1800  •,  écrit 
Luther  à  Mélanchthon  le  21  mai  1521.  Voy.  de  Wette,  t.  II,  p.  11.  Albert,  dans 
sa  pusillanimité  inconcevalde,  comme  disait  Aléandre,  agissait  sous  l'impres- 
sion des  prophéties  astrologiques,  qui  annonçaient  un  soulèvement  général  et 
prochain  du  peuple.  A  la  cour  d'Albert  -,  dit  Bodmann  -  les  astrologues  sont 
très  en  faveur.  -  L'astrologue  Jean  ab  Indagine  avait  cherché  un  abri  près  de  l'ar- 
chevêque contre  les  '  canes  Astrologiae  calumniatores  "  ,  c'est-à-dire  les 
théologiens  scolastiques,  qu'il  dépeint  comme  imbus  d'une  -  theologia  ineptis- 
sima  ..  Il  disait  en  parlant  d'Albert  :  •  Jure  consultus  aliquis  est?  habet  apud 
te,  quo  compensare  actum  studiorum  laborem  potest.  Medicus  est  vel  Astro- 
logus?  ab  archanis  habetur.  -  Lettre  du  1"  juin  1522  dans  les  Xeuen  Beiträgen 
von  allen  und  neuen  theologischen  Sachen,  auf  das  Jahr  1752,  p.  458-468.  Le  vicaire 
général  d'Albert,  Théodoric  Zobel,  dédia  à  Jean  ab  Indagine  (1522)  un  ouvrage 
astrologique.  Voy.  Friedrich,  Astrologie  und  Re/ormation,  p.  149-150. 


220         LES  NOVATEURS  RELIGIEUX  ET  L'ARCHEVÊQUE  DE  MAYENCE. 

debourg  et  d'Halberstadt,  il  avait  empêché,  autant  que  cela  était  en 
son  pouvoir,  que  des  mesures  de  rigueur  fussent  prises  contre 
Luther.  Aussi  son  chapelain  ordinaire  et  conseiller  privé,  Wolfgang 
Capito,  favorable  aux  nouvelles  doctrines,  porte-t-il  son  maître  aux 
nues  dans  une  lettre  à  Zwingle  datée  du  4  août  1521,  et  l'appelle-t-il 
'  le  vrai  protecteur  de  l'Évangile  ".«  L'archevêque  »,  dit-il,  "  ne  souffre 
pas  qu'on  parle  mal  de  Luther  en  chaire.  '  ^  Tout  récemment,  le  Pro- 
vincial des  Frères  Mineurs  lui  a  demandé  l'autorisation  de  faire  une 
tournée  dans  les  pays  rhénans  pour  prémunir  le  peuple  par  des  pré- 
dications suivies  contre  les  nouvelles  doctrines,  mais  Albert  la  lui  a 
refusée.  -  »  Malheureusement  les  disciples  de  Luther  se  divisent 
déjà  en  nombreuses  sectes;  une  nouvelle  classe  de  sophistes  vient 
de  se  produire.  Ils  remetient  tout  en  question,  et  ue  songent  qu'à 
trouver  prétexte  à  de  stériles  disputes  de  mots  ou  à  de  furieux 
éclats.  C'est  ce  que  font  tout  spécialement  les  moines  défroqués, 
de  sorte  quune  bonne  partie  du  peuple  commence  à  se  détourner 
d'eux  '.  « 

Vers  la  fin  de  septembre  1521,  Capito  et  Henri  Stromer,  médecin 
particulier  de  l'archevêque,  se  rendirent  à  Witfemberg  auprès  de 
Mélanchthonpourle  supplier  d'user  de  son  influence  sur  Luther,  afin 
d'obtenir  de  lui  qu'il  modérât  la  violence  de  son  caractère,  et  consen- 
tit à  traiter  l'archevêque  de  Maj  ence  avec  plus  d'égards  et  de  ména- 
gement. «  Luther  -,  lui  dirent-ils,  •■■  par  une  sage  retenue,  triomphe- 
rait aisément  de  ceux  qu'éloignent  ses  emportements.  -  Mélanch- 
thon,  pour  toute  réponse,  déclara  qu'il  n'avait  pas  mission  d'agir  sur 
son  maitre.  11  savait  trop  bien  le  jugement  que  portait  le  monde  sur 
le  nouvel  apôtre,  et  que  plusieurs  le  considéraient  ou  comme  un 
méchant,  ou  comme  un  fou.  Quant  à  lui,  Mélanchthon,  il  était  con- 
vaincu que  Luther  n'annonçait  l'Évangile  que  sous  l'inspiration 
même  de  Dieu;  il  entrait  dans  les  desseins  du  Seigneur  que  sa  parole 
fût  prêchée  de  manière  à  scandaliser  les  impies,  pendant  que  les 
brebis  égarées  d'Israël  rentreraient  au  bercail!  ^  En  fait  de  choses 
divines,  >  leur  dit-il,  -  chacun  entend  ce  qu'il  plait  à  l'Esprit-Saint 
de  lui  révéler.  Luther,  toutefois,  épargnerait  autant  que  possible 
le  primat,  pour  mieux  disposer  celui-ci  ci  à  fermer  les  yeux  sur  la 
non-exécution  de  l'édit  de  Worms*. 

Albert,  prince  sans  droiture,  dépourvu  de  tout  courage  moral, 
ne  s'opposa  jamais  franchement  aux  nouveautés  religieuses.  Il  plia 
devant  Luther,  et  le  primat  d'Allemagne  s'humilia  devant  «  un  moine 
excommunié  «  qui  le  menaçait  de  faire  des  révélations  '.  Dès  1522, 

'  Dans  IIOTTINGER,  Histor.  eccl.,  l.  Il,  p.  520-526. 

*  Lettre  de  Mélanchthon,  Corp.  lie/cirm,,  t.  I,  p.  462. 

»  Voy.  la  lettre  de  Luther  à  Albert  ^l"  décembre  1521),  dans  de  Wette,  t.  Il, 


LA    PRÉDICATION  DES  NOVATEUHS  REI.IGIKCX   A   UIITEMBKIU;     15*.>l       221 

Charles  de  Bodmana  exprimait  la  crainle  qu'il  ne  se  mariai,  ne 
transformai  rarchevêclié  de  Mayeuce  eu  priucipauié  lemporelle, 
er  n'y  laissât  librement  pénétrer  révanj;ile  de  Luther.  Carisladt 
annonce  à  ses  lecteurs  à  la  fin  d'un  de  ses  ouvrajjes  '  une  heureuse 
nouvelle  :  Il  sait,  à  n'en  pouvoir  douter  «,  que  l'archevêque  de 
Ma\ence  est  favorable  à  la  vérité  évangélique,  qu'on  n'est  pas  sans 
espoir  de  voir  d'autres  évéfjnes  rejeter  comme  lui  le  joup,  romain 
et,  sans  plus  se  soucier  de  l'investiture  et  de  la  confirmation  du 
Pape,  commencer  enfin  à  régner  par  eux-mêmes  '.  -  De  son  cùté, 
Capito,  en  1523,  vantait  en  pleine  chaire  la  tolérance  d'Albert, 
énumérant  les  prédicants  luthériens  qui,  dans  ses  villes  et  domaines, 
avaient  toute  liberté  de  prêcher  ouvertement  «  l'Évangile*  -. 

Cependant,  à  Wittemberg  comme  à  Erfurt,  des  troubles  ne  tar- 
dèrent pas  à  se  produire.  Le  6  octobre  1521,  Gabriel  Zwilling,  sur- 
nommé Didyme,  moine  auguslin,  haranguant  les  étudiants  rassem- 
blés dans  le  cloître,  leur  démontre  que  l'adoration  du  Saint  Sacre- 
ment est  une  idolâtrie,  et  que  personne  ne  doit  plus  assister  au  culte 
idolàtrique  de  la  messe,  parce  que  le  Corps  et  le  Sang  de  .lésus- 
Christ  ne  constituent  pas  un  sacrifice,  et  ne  sont  que  le  symbole  de 
la  rémission  des  péchés.  <<  Nous  ne  savons  encore  ce  qui  arrivera, 
mais  ce  qui  est  certain  »,  écrivait  à  un  ami  un  jeune  étudiant  comme 
une  curieuse  nouveauté  de  la  ville  très-chrétienne  de  Wittemberg 
(18  octobre  1521),  -  c'est  que  nous  communierons  bientôt  sous  les 
deux  espèces,  dussent  le  Pape  et  toute  sa  bande  en  crever  de  dépit! 
A  moins  que  Mélanchthon  n'ait  menti,  en  disant  ouvertement  dans  la 
salle  des  cours  :  '•  Je  crois  que  nous  introduirons  bientôt  l'usage  de 
«  la  communion  sous  les  deux  espèces  ^  >•  -•  Aujourd'iiui,  23  octobre  -, 
écrit  un  autre  étudiant,  "  les  Augustins  ont  aboli  la  messe.  Carlstadt 
a  organisé,  séance  tenante,  une  dispute  publique.  Il  eût  souhaité  que 
l'on  prêchât  d'abord  contre  l'abus  de  la  messe,  et  qu'ensuite  toute 
la  ville  de  Wittemberg  se  rassemblât  pour  en  sanctionner  l'aboli- 
tion; il  craignait  que,  sans  cette  mesure  préalable,  la  concorde  chré- 


p.  112-115,  et  la  réponse  pleine  de  soumission  d'Aliiert  (21  déceiulire  1521\  dans 
Walch,  Luthcr's  Werke,  t.  XI\,  p.  661.  —  Voy.  Hennés,  Albrechi  von  Brandenburg, 
p.  156-159. 

'  Voy.  Jager,  Carlstadt,  p.  235-23'J. 

-  lettre  de  f.apito,  du  30  juillet  1524,  dans  Baum.  p.  74.  Le  20  novembre  1524,  le 
duc  Jean  de  Saxe  écrivait  à  son  frère  l'élecieur  Frédéric  que  l'archevêque  de 
Mayeuce  lui  avait  confié  qu'au  fond  de  son  cœur  il  voulait  du  bien  à  Luther, 
parce  que  celui-ci  prêchait  et  écrivait  selon  la  vérité  :  «  Il  me  dit  encore  :  Lors- 
qu'on arrête  les  prêtres  (ceux  qui  étjient  attachés  à  la  doctrine  de  Luther  et 
qu'on  me  les  amène,  cela  arrive  sans  mon  ordre  et  je  ne  le  vois  pas  d'un  bon 
ceil;  mais  je  suis  oblij;é  d'avoir  égard  au  Pape  et  à  l  Empereur.  '■  —  Voy.  Kolde, 
Friedrich  der  ll'tise,  p.  56. 

*  Albert  Burrer  à  Beatus  Rhenanus  ;  voy.  Baum,  p.  65-66. 


222  LA   PRÉDICATION  DKS   NOVATEURS  KELIGIfcll  X  A   WITTEMBERG.  1521. 

îieaoe  ne  souffrit  (juelquc  atteiüte.  Mais  les  moines  ont  été  d'avis 
qu'avant  toutes  choses  ou  devait  avoir  devant  les  yeux  le  péril  de  la 
foi,  et  que  la  messe  était  la  principale  cause  du  dépérissement  de  la 
religion.  Enfin  on  a  porté  la  question  devant  .Mélanchthon,  qui,  d'ac- 
cord avec  Carlstadt,  a  nettement  déclaré  que  le  Sacrement  ne  devait 
point  être  adoré,  parce  que  le  Christ  était  éternellement  présent  dans 
le  ciel.  Si  saint  Paul  n'avait  pas  craint  d'abolir  la  circoncision  chez 
les  Corinthiens,  pourquoi  donc  serait-il  si  coupable  d'abolir  la  messe? 
Les  Augustins,  en  prenant  les  devants,  avaient  donné  le  bon  exemple. 
Et  comme  Carlstadt  émettait  l'avis  qu'on  ferait  peut-être  bien 
d'attendre,  de  réfléchir  encore,  Mélanchthon  s'écria  avec  impatience  : 
'  Il  a  été  assez  prêché  dans  Capharnatmi!  D'oii  vient  donc  qu'on  y 
demeure  si  attaché  aux  cérémonies?  Les  moines  ont  pour  eux  le 
Christ,  peu  importe  que  les  Pharisiens  se  scandalisent  et  perdent 
oui  ou  non  la  raison!  »  Bien  qu'en  pQt  dire  Carlstadt,  Mélanchthon 
soutint  qu'il  n'était  nullement  nécessaire  de  déférer  à  l'autorité  dans 
cette  question  :  celui  qui  avait  mis  la  main  à  la  charrue  ne  devait  pas 
regarder  en  arrière'-.  Le  12  novembre,  le  prieur  des  Augustin«, 
Conrad  Helt,  se  plaignit  à  l'électeur  de  Saxe  qu'une  partie  de  ses 
moines,  après  avoir  abandonné  le  couvent,  tournaient  en  dérision 
leur  ancien  genre  de  vie  et  le  livraient  au  mépris  des  bourgeois  et 
des  étudiants,  excitant  contre  le  monastère  et  contre  les  moines 
restés  fidèles  à  leurs  vœux  la  haine  des  gens  de  mauvaise  vie,  de 
sorte  qu'à  chaque  instant  le  couvent  était  en  danger  d'être  assailli*. 
Peu  de  semaines  après,  les  étudiants  d'Erfurt  et  de  Wittemberg 
se  pressaient,  couteaux  nus  à  la  main,  dans  l'église  paroissiale, 
arrachaient  les  prêtres  des  autels,  leur  jetaient  des  pierres,  et 
exhortaient  le  peuple  à  -  détruire  les  autels,  puis  avec  leurs  débris 
à  construire  des  potences  et  des  échafauds,  l'office  des  bourreaux 
étant  beaucoup  plus  utile  que  celui  des  prêtres  idolâtres;  ceux 
qui  persistaient  à  assister  à  la  messe  exposaient  le  salut  de  leur 
âme  ^    . 

Pour  ■-  affranchir  par  son  exemple  et  en  prenant  les  devants  tant 
de  pauvres  prêtres  abusés,  pervertis,  dignes  de  compassion  et  captifs 
du  démon*  ■■ ,  Carlstadt  résolut  d'embrasser  l'état  du  mariage,  auquel 
Dieu,  disait-il,  "  avaitconviétoussesprêtres  -.  Enprésence  de  Mélanch- 
thon et  d'un  grand  nombre  de  professeurs  de  l'université,  il  célébra 
ses  fiançailles  avec  la  fille  d'un  pauvre  gentilhomme,  annonçant  en 

'  Ulscénius  à  Capito,  dans  Jager,  Carlsiadt,  p.  508.  —  Baum,  66-68.  —  Voy.  Kolde, 
Augustiner  Congrégation,  367  ff. 

-  Dans  le  Corp.  Reform.,  t.  I,  p.  484. 

^  Voy.  Jager,  Carlsiadt,  p.  246-250. 

■  Lettre  de  Carlstadt  à  Frédéric  de  Saxe,  du  6  janv.  1522  dans  le  Corp.  Reform., 
t.  I,  p,  538. 


I.KS    PUOFHÈTF.S    DK    ZWICKAU    A    W  I  T  T  E  M  B  E  KG.    1521.  2Ï3 

rrH';nie  lemjis  rinfeutiou  où  il  élait  de  doiiiicr  une{5rande  (ôfe  iejoar 
de  ses  noces.  Luiher  exprima  (oiite  la  joie  (jue  lui  causait  cet  événe- 
meni  '  (26  décembre  1521).  A  son  lour,  le  prévôt  du  chûteau,  .Juste 
.louas,  confia  à  son  ami  Capilo  qu'il  songeait  également  ä  se  marier, 
et  le  pria  de  veiller  à  ce  que  l'archevéiiue  Albert  n'euireprit  rien 
contre  un  dessein  que  manifeslemeul  Dieu  lui-même  avait  inspiré  et 
conduit  ».  »  .le  ne  nie  pas  >,  lui  écrivait-il,  u  la  tolérance  de  ton 
maître,  et  récemment  tu  nous  en  as  toi-même  donné  l'assurance  ver- 
bale. Mais  je  préférerais  néanmoins  que  les  princes  confessassent 
plus  iranchement  le  Christ  et  la  sainte  Écriture.  «  ^  N'oublie  jamais 
que  la  parole  de  Dieu  est  ordinairement  calomniée  et  raillée  eu  ce 
monde;  mais  oublie  un  peu  les  motifs  pour  lesquels  tu  m'as  tou- 
jours recommandé  et  prêché  la  modération.  Apprends  que  Dieu  lui- 
même  semble  maintenant,  comme  au  temps  du  Christ,  enseigner 
directement  son  peuple  par  un  souffle  ardent  et  soudain  de 
l'Esprit  ^  » 

A  Zwickau,  cet  esprit  prétendu  se  manifesta  d'une  manière  plus 
surprenante  encore.  Là,  excités  par  le  zèle  du  prédicant  Thomas 
Munzer  et  du  foulon  Nicolas  Storch,  de  nouveaux  prophètes  entrè- 
rent en  scène.  C'étaient  presque  tous  des  ouvriers,  qui,  ^  divine- 
ment appelés  à  la  mission  sainte  ",  prétendaient  substituer  -  le 
règne  du  Christ  "  au  vieil  empire  croulant.  Dans  ce  nouveau 
royaume,  aucun  culte  sensible,  aucune  loi  extérieure  ne  devaient  être 
reconnus  pour  légitimes,  aucune  autorité  séculière  exercer  de  pou- 
voir; tous  les  hommes  étant  égaux,  les  biens  étaient  communs, 
et  les  citoyens  étaient,  de  droit,  prêtres  et  rois.  Douze  apôtres  et 
soixante-douze  disciples,  dont  Münzer  fut  élu  <  le  seigneur  et  le 
maître^  >',  furent  choisis.  Une  dangereuse  sédition  eût  éclaté  si  par 
bonheur  le  conseil  n'eiU  réussi  à  la  prévenir.  Cinquante -cinq 
ouvriers  drapiers  furent  mis  au  cachot;  mais  les  chefs  parvinrent  à 
s'échapper,  et  parmi  ces  derniers  étaient  Münzer  et  Storch. 

Storch    se    rendit    aussitôt    à   Wittemberg    avec    deux    de   ses 

'  "  Ciristadii  nuptiae  mire  placent,  novi  puellam  -,  écrivait  Luther  le  13  jan- 
vier 1522  à  Amsdorf  ;  voy.  de  Wette,  t.  H,  p.  123.  A  propos  du  prévôt  de  Kem- 
berjï,  Bernard  de  Feldkirch,  qui  avait  aus^i  célébré  ses  noces,  Luther  écrit 
(26  mai  1521)  :  «  Cameracensis  novus  niaritus  mihi  mirabilis,  qui  nihil  metuat, 
atque  adeo  sic  festinavil  in  iiunullu  isto  ;  regat  eum  dcminus  et  misceat  ei  oblec- 
iiiinenta  lactucis  suis,  quod  et  sine  precibus  meis  fiet.  >  Voy.  de  Wette,  t.  II, 
p  y.  —  tapito,  pensant  servir  la  gloire  de  l'archevêque  de  Mayence,  rapporte 
que  •  le  prévôt  de  Kemberg  non-seulement  n'eut  pas  à  subir  de  contradictions 
de  la  part  des  autorités  spirituelles  lorsqu'il  se  décida  à  prendre  femme,  mais 
que  son  apologie  du  mariage  des  prêtres  fut  publiée  sans  obstacle,  et  que  tout 
ce  qu'il  y  avait  avancé  en  faveur  de  sa  thèse  avait  été  considéré  comme  l'opi- 
nion d'un  véritable  honnête  homme  ».  Lettre  du  30  juillet  1523,  Baum,  p.  74. 

'  Dans  Baum,  71-72. 

'  Voy.  Seidemann,  Thomas  Munter,  p.  11-13. 


22}        LES    PROPHETES    DE    ZWICKAU    A    WITTEMBKRG.    1521. 

compagnons,  afin  d'y  annoncer  son  nouvel  évangile.  Le  27  décembre 
1521,  jour  qui  suivit  les  fiançailles  de  Carlstadt,  les  prophètes 
entrèrent  à  Wittemberg  et  commencèrent  à  prêcher  ^  que  tous 
les  prêtres  devaient  périr,  même  si  déjà  ils  avaient  pris  femme,  et 
que  dans  un  court  espace  de  temps  (environ  cinq,  six  ou  sept  ans), 
un  tel  changement  surviendrait  dans  le  monde,  que  nul  homme 
impie  et  pervers  ne  pourrait  y  demeurer  en  vie  •.  Comme  Luther  et 
ses  partisans,  les  nouveaux  prophètes  voyaient  dans  la  sainte  Écri- 
ture Tunique  source  de  toute  science.  En  matière  de  foi,  il  ne  fallait 
accepter  que  ce  qui  y  était  clairement  indiqué;  c'est  pourquoi  le 
baptême  des  enfants,  si  contraire,  selon  eux,  à  l'enseignement  formel 
du  Sauveur:  <  Oui  croit  et  sera  baptisé  sera  sauvé  n,  devait  être  aboli. 
Mais  après  tout,  la  sainte  Écriture  n'étant  qu'une  parole  morte,  il 
ne  fallait  pas  lui  attribuer  une  valeur  permanente.  Dieu  et  le  Saint- 
Esprit  faisaient  directement  part  aux  fidèles  des  vérités  divines  par 
des  visions  et  des  ravissements;  il  leur  communiquait  ses  ordres  de 
la  même  manière. 

Les  prophètes  firent  une  profonde  impression  sur  l'esprit  de 
Mélauchthon,  auquel  ils  expliquèrent  la  manière  "  singulière,  cer- 
taine, manifeste,  dont  Dieu  se  communiquait  à  eux  r-.  Il  ne  doutait 
pas  que  certains  esprits  n'agissent  en  eux,  mais  quant  à  la  nature  de 
ces  esprits,  il  pensait  qu'il  n'appartenait  qu'au  seul  Luther  de  décider. 
Les  prophètes  étaient  d'un  avis  tout  différent;  ils  disaient  .>  que  Mar- 
tiu  avait  eu  raison  sur  la  plupart  des  points  de  sa  doctrine,  mais  que 
dan*  plusieurs  autres  il  s'était  étrangement  trompé,  et  qu'un  pro- 
pliète  nouveau  s'élèverait  bientôt  au-dessus  de  lui,  doué  d'un  esprit 
beaucoup  plus  sublime'  «.  Mélanchthon,  plein  d'anxiété,  se  tourna alor- 
vers  l'autorité  séculière;  il  eut  recours  à  Frédéric  de  Saxe.  En  sa  qualité 
d'Électeur  chrétien  et  de  proiecieur  de  l'Église  dans  les  temps  actuels, 
c'était  à  lui,  selon  Mélanchthon,  de  décider  en  de  telles  circonstances, 
et  il  pressait  le  prince  de  danner  son  avis  sur  le  baptême  des  enfants. 
~  Cette  question  trouble  ma  conscience  ",  lui  écrivait-il;  .<■  elle  me 
jette  dans  une  grande  perplexité  ^  •-;  H  avait  ouvert  sa  maison  à  l'un 
des  prophètes,  homme  d'une  éducation  cultivée,  et  lui  avait  confié 
l'instruction  de  plusieurs  enfants.  Dans  leurs  assemblées  publiques, 
les  prophètes  prêchaient  ouvertement  le  nouveau  règne  du  Christ.  Ils 
firent  tout  pour  attacher  étroitement  Carlstadt  à  leur  parti. 

Carlstadt,  d'abord  hésitant,  puis  devenu    bientôt  l'un  des   plus 


'  StrOBEL,  Miscellaneen,  t.  V,  p.  127.  —  Voy.  GlESELER,  3',  p.  101-105. 

*  Lettre  de  Mélanchttion  (27  décembre  1521  ;  à  l'Électeur  et  à  Spalatin.  Voyez 
1  expression  de  ses  syrapattiies  pour  les  prophètes  de  Zwickau  dans  la  lettre  du 
1«'  janvier  1522,  Corp.  Reform.,  t.  I,  p.  513-515,  534.  —  Voy.  Jager,  Carlttadt, 
p.  259.  —  GiESELEP.,  3»,  p.  103. 


CAHLSTADT    PRÉCUK    LE    BRISliMENT    DES    IMAGKS.  •2ir, 

ardeols  parmi  les  prophètes,  avait  déjà  institué  uu  jiouveau  rile 
pour  la  célébration  de  la  Cène,  et,  dans  un  écrit  spécial,  insisté  sur 
la  nécessité  «  <le  purifier  les  églises  »  et  d'en  arracher  les  images. 
«  Les  iin;iges  »,  avait-il  dit,  «  sont  une  abomination,  et  nous  deve- 
nou'^  a!>ominal>le*  en  y  atiachaut  nos  cœurs.  Nos  temples  pour- 
raient êire  justement  appelés  fies  repaires  d'assassins,  car  notre 
âme  y  est  mise  à  mort.  Le  diable  soudoie  hs  papes,  et  les  papes, 
pour  lui  obéir,  inventeni  toutes  sortes  de  manières  de  nous  exter- 
miner, de  nous  égorger.  »  «  Il  vaudrait  beaucoup  mieux  que  les 
images  fussent  dans  renier  ou  dans  le  four  ardent  que  dans  la 
maison  de  Dieu.  »  Carlstadi  n'ignorait  pas  que  les  catholiques 
n'adorent  pas  les  images  et  ne  les  vénèrent  pas  pour  elles-mêmes, 
mais  il  n'en  persistait  pas  moins  à  réclamer  leur  ai)olition  :  «  Si 
quoiqu'un  ose  dire  :  i\on,  je  n'adore  pas  les  images,  je  ne  les  honore 
pas  pour  elles-mêmes,  mais  uniquement  à  cause  des  saints  qu'elles 
représentent;  àcului-là  Dieu  lui  répondra  brièvement  et  nettement  : 
Tu  ne  dois  pas  les  adorer,  tu  ne  dois  pas  les  vénérer.  Si  quelqu'un 
vi'Ui  ensuite  et  dit  encore  :  Les  images  enseignent  et  instruisent  les 
laïques  comme  les  livres  enseignent  et  instruisent  les  savants;  je 
lui  répondrai  :  Dieu  m'a  défendu  les  images,  et  je  ne  veux  rien 
apprendre  par  elles.  Si  ua  troisième  se  présente  et  dit  :  Les  images 
nous  prêi  hent,  elles  nous  rappellent  la  passion  du  Sauveur,  et 
bien  souvent,  grâce  à  elles,  on  récite  un  pater,  on  pense  à  Dieu, 
au  lieu  que  sans  leur  secours  ou  ne  songerait  ni  au  Seigneur  ni  à 
la  prière;  à  qui  te  parle  ainsi,  réponds  :  Mou  chrétien.  Dieu  a  défendu 
les  images.  Aucune  excuse  ne  t'aiderait,  quand  bien  même  tu  répé- 
terais mille  fois  :  Si  j'honore  ceux  qui  ont  été  déclarés  saints,  ce 
n'est  pas  en  vertu  de  leurs  propres  mérites,  mais  à  cause  de  Celui  qui 
les  a  sanctifiés.  « 

Carlstadt  soutenait  que  l'autorité  avait  le  droit  et  le  devoir  de 
faire  disparaître  les  images  des  églises  :  «  PhU  à  Dieu  que  nos  maîtres 
ressemblassent  aux  pieux  rois  et  seigneurs  de  l'Ancien  Testament! 
La  sainte  Écriture  leur  donne  tout  pouvoir  dans  les  églises;  ils  ont 
le  droit  d'y  interdire  tout  ce  qui  est  préjudiciable  à  la  foi.  «  L'auto- 
rité devait  donc  presser  le  clergé  d'abolir  les  images,  car  le  clergé 
était,  «  de  droit  divin  »,  assujetti  en  toute  chose  à  l'autorité.  Aussr 
n'élail-il  pas  besoin  d'attendre  -  que  les  prêtres  de  Baal  aient  enlevé 
leurs  vases,  leurs  bhics  et  leurs  souches  »  ;  le  bras  séculier  devait 
ordonner  et  agir  '. 

'Jager,  Carlsiadt.  254,  271-273.  Contre  le  livre  de  Carlstadt  sur  l'abolition  des 
images,  Jérôme  l  inser  piil>lia  en  1522  Touvraf^e  intitulé  :  Que  l'on  ne  doit  ni  profaner 
ni  abolir  les  lainiei  imagei  dans  les  églises.  Il  y  traite  excellemment  de  la  doctrine  et 
de  la  pratique  constante  de  l'Église  par  rapport  aux  images.  —  Voy.  par  exemple 

n.  15 


226  CARLSTADT    PRECHE    LE    BRISEMENT    DES    IMAGES. 

Il  tenait  le  même  langagfe  dans  ses  sermons,  où  le  peuple  accou 
rait  en  foule.  '  Ceux  qui  autrefois  n'allaient  que  rarement  ou  jamais 
entendre  les  prédications  s  rapporte  un  contemporain,  '  ne 
manquent  maintenant  aucun  prêche'.  «  Carlstadt,  d'accord  en  cela 
avec  Gabriel  Zwillin^y,  exhortait  le  peuple  à  faire,  de  sa  propre 
autorité,  des  chanjjemenis  dans  le  culte;  il  démontrait  à  son  audi- 
toire que  «  la  confession  était  un  commandement  diabolique,  issu 

les  p.  B'-*  et  F-,  où  sont  exposés  les  motifs  du  culte  des  images;  c'est  une  de  ses 
meilleures  démonstrations.  Il  ne  prétend  pas  excuser  les  abus.  iVoy.  p.  Q*-^.)ll  met 
au  nombre  de  ces  abus  les  tableaux  peu  décents  que  les  peintres  exécutent 
de  nos  jours  .  -  :\lais  lorsque  nous  contemplons  les  tableaux  d'autrefois  •, 
dit-il,  -  nous  n'en  saurions  tirer  qu'édification.  Tous  les  membres  y  sont  cou- 
verts, et  personne  ne  peut  y  trouver  le  prétexte  d'un  mauvais  désir  ou  d'une 
pensée  impure.  Dieu  châtiera  nos  peintres,  il  leur  retirera  leur  mission  s'ils 
n'abandonnent  leur  honteuse  habitude.  .le  prie  tous  les  pasteurs  et  prélats  de 
l'Église  de  veiller,  pour  l'amour  de  Dieu,  à  ce  que  certaines  mesures  soient 
prises  au  sujet  de  ces  tableaux;  il  faudrait  en  revenir  aux  décisions  des  Pères  et 
des  conciles,  afin  que  les  hérétiques  n'aient  plus  aucun  sujet  d'insulter  les 
images  d'une  façon  si  cruelle  pour  nous,  et  ne  les  mettent  plus  en  pièces, 
comme  cela  est  arrivé  en  quelques  endroits  -  .le  crains  fort  que  cette  conduite 
des  hérétiques  n'ait  d'autre  but  que  le  désir  d'arracher  complètement  de  nos 
cœurs  le  respect  et  le  souvenir  des  chers  saints.  Ils  ont  dès  longtemps  enseigné 
qu'ils  ne  peuvent  nous  venir  en  aide  ni  prier  pour  nous;  ils  espèrent  ainsi 
nous  détourner  de  la  confiance  que  nous  avons  en  leur  intercession,  m^is 
comme  nous  persistons  dans  notre  créance,  et  qu'ils  s'aperçoivent  que  les 
images,  chaque  jour  sous  nos  yeux,  ne  nous  permettent  pas  d'oublier  nos 
saints,  ils  ne  songent  qu'à  les  détruire,  .\insi  fait  non-seulement  Caristadt,  mais 
encore  son  niaitre  Luther.  Car  Luther  a  beau  reprendre  ses  moines,  les  blâmer 
d'avoir  si  vite  fait  disparaître  les  images  (ce  qui  veut  dire  qu'ils  eussent  dû  cacher 
et  retarder  encore  un  peu  leur  jeu.  jusqu'à  la  conriusion  de  la  diète  de  Nurem- 
berr;),  il  ne  peut  cependant  nous  dissimuler  ce  qui  se  passe  en  son  cœur  dhéré- 
tique,  et  il  nous  avoue  qu'il  faut  s'efforcer  d'oler  de  l'esprit  des  gens  le  goAt  des 
images  coloriées,  et  que  peu  à  peu,  par  la  force  même  des  chose>,  on  les  verra 
disparaître.  Mais  je  ne  doute  pas  que  les  vrais  chrétiens  ne  ferment  l'oreille  à 
ces  discours creuxet  vulgaires. L'Église  chrétienne  ne  cédera  pas  sur  ce  point.  Et 
puisque  Luther  lui-même  fait  peindre  son  précieux  visage  et  permet  la  vente 
publique  de  son  portrait,  pourquoi  l'Église  ne  tiendrait-elle  pas  en  dignité  et  en 
honneur  les  images  de  ses  saints  bien-aimés?  Qui  a  jamais  compris,  enseigné 
ou  écrit  autre  chose  sinon  que  Dieu  seul  donne  la  grâce,  le  secours,  la  consola- 
tion, le  s;ilut  et  la  béatitude  .'  Dieu  est  l'unique  source  d'où  jaillit  tout  bien,  d'où 
découle  tout  ce  qui  est  bon  au  ciel  et  sur  la  terre!  Mais  pourquoi  conclure  de  là 
qu'avec  l'Église  chrétienne  nous  ne  puissions  réclamer  le  secours  et  l'interces- 
sion des  saints,  et  dire  de  tout  notre  cœur  :  Saint  Pierre  et  saint  Paul,  priez  pour 
nous!  -^  Dieu  demeure  la  source  de  toute  grâce,  mais  cette  grâce  s'écoule  aussi 
par  les  précieux  ruisseaux  et  canaux  de  la  communion  des  saints.  Tel  est  l'ordre 
divin  ;  mais  les  hérétiques,  en  gens  aveugles  et  obstinés  qu'ils  sont,  ne  veulent  ni 
le  voir  ni  le  reconnaître,  aussi  s'opposent-ils  violemment  à  la  vénération,  au 
souvenir  et  aux  images  des  chers  saints;  et  pourtant,  nous  les  honorons  de 
telle  sorte  que  Dieu  n'est  aucunement  lésé  dans  le  divin  honneur  qui  lui  est  dû, 
et  qu'il  lui  en  revient  au  contraire  plus  de  gloire  ■  -  Les  laïques,  qui  tousles  jours 
entendent  et  reçoivent  sur  ce  point  et  sur  beaucoup  d'autres  la  saine  doctrine 
chrétienne,  ne  sont  pas  assez  niais  pour  placer  leur  consolation  ou  leur  espé- 
rance dans  les  images;  et  si,  en  souvenir  des  chers  saints,  ils  leur  sont  dévots  et 
attachés  de  cœur,  cela  ne  saurait  leur  être  imputé  à  idolâtrie.  • 
'  .lAGER,  Carlstadt,  p.  260. 


ÉTAT    KELIGIEUX    DE    r/ÉLKr;T  0 11  AT    DE    SAXE.    16ÜI.  '^71 

de  la  tyrannie  papale,  et  que  le  Pape  et  les  évoques  étaient  les 
vicaires  (•(  les  messîifjers  du  diable  .  Enfiu,  à  la  tête  d'une  bande 
d'émeuticrs,  il  se  mil  a  Id'uvre  :  les  autels  et  les  croix  Curent  abaf- 
lus,  les  images  des  saints  brisées,  les  prêtres  qui  passaient  dans  la 
rue  assaillis  à  coups  de  pierres,  et  le  cloître  des  Carmes  déchaussés 
menacé  d'un  assaut. 

Le  duc  Geor};es  de  Saxe,  se  tournant  alors  vers  ses  cousins,  Fré- 
déric et  Jean  de  Saxe,  les  avertit  des  événements  qui  venaient  de  se 
passer  (16  novembre  1521).  il  leur  représenta  que  les  choses  pre- 
naient exactement  en  Saxe  la  môme  tournure  que  l'hérésie  du  siècle 
précédent  en  Bohême,  cette  hérésie  à  laquelle  leurs  pères  avaient 
opposé  une  si  énergique  résistance,  versant  leur  sang,  offrant  leurs 
vies  pour  la  défense  de  la  religion!  Déjà  dans  les  États  de  l'Élec- 
teur, beaucoup  avaient  complètement  perdu  la  foi,  et  allaient 
jusqu'à  nier  riminortalité  de  l'àme.  Luther  avait  causé  tout  ce  mal. 
Le  duc  Georges  ne  pouvait  assez  déplorer  qu'à  VVillemberg,  la  pre- 
mière ville  do  l'électorat,  des  émeutes  comme  celles  qui  venaient  de 
se  produire  aient  pu  avoir  lieu.  Il  conjurait  le  duc  Jean  d'employer 
le  crédit  qu'il  avait  sur  son  frère,  et  d'obtenir  que  Frédéric  se  décidât 
enfin  à  sévir  contre  les  novateurs;  Georges  le  suppliait  de  se  déclarer 
du  moins  nettement  contre  eux.  Quant  à  lui,  il  était  prêt  à  agir,  il  était 
tout  disposé  à  mettre  au  service  de  la  vérité  les  conseils  de  son  expé- 
rience. «  Nous  voici  parvenus  tous  trois  ",  disait-il,  "  audernier  quar- 
tier de  notre  vie;  nos  cheveux  et  nos  barbes  idanchis  nous  en  aver- 
tissent assez;  il  est  temps  de  prendre  en  main  la  défense  de  la  bonne 
cause.  1  A  diverses  reprises,  Georges,  dans  ses  lettres,  rappelle  aux 
princes  Ihérésie  de  Bohême.  En  Bohême  aussi,  les  églises  et  les 
couvents  avaient  été  pillés,  et  les  princes  pouvaient  considérer  l'état 
où  la  religion  se  trouvait  actuellement  réduite  en  ce  pays.  Le  clergé 
y  était  tombé  dans  la  dernière  misère;  il  y  était  méprisé  à  tel  point 
que  l'on  se  voyait  forcé  d'attirer  à  l'état  ecclésiastique  jusqu'à  des 
bourreaux  et  des  bouchers.  Partout  de  nombreuses  sectes  divisaient 
les  chrétiens,  la  foi  était  presque  entièrement  éteinte  et  tombée  au 
niveau  d'un  conte  de  vieille  femme.  Frédéric  était  invité  à  réfléchir 
sérieusement  à  ce  qui  se  passait  dans  son  propre  pays  :  à  Wittem- 
berg,  ou  venait  d'introduire  un  nouveau  rite;  à  Eilenbourg,  la  mai- 
son du  curé  avait  été  assaillie;  un  homme  assis  sur  un  âne  était 
même  entré  dans  l'église;  les  autels  et  les  images  avaient  été  bri- 
sés; les  moines  se  sauvaient  de  leurs  couvents,  les  prêtres  se 
mariaient,  et  Georges  avouait  ne  savoir  plus  comment  défendre 
Frédéric  contre  ceux  qui  lui  imputaient  la  responsabilité  de  tous  ces 
événements.  «  Songez  ",  lui  disait-il,  <•  que  celui  qui  n'empêche  pas 

15. 


228  ÉTAT    RELIGIEUX    DE    I/É  LETT  O  R  AT    0  E    SAXE.    1521. 

le  malest  aussi  coupable  que  celui  qui  l'exécute.  >'  Dieu  a  accord«'  de 
grands  trésors  à  la  maison  de  Saxe;  mais  depuis  que  Ludier  a  com- 
mencé sa  funeste  entreprise,  les  mines  semblent  avoir  perdu  de  leur 
fécondité  ',  et  le  niveau  moral  baisse.  «  Vainement  on  se  flattait 
d'avoir  retrouvé  l'Évangile.  Georges  l'étudiait  depuis  plus  de  qua- 
rante ans,  et  restait  convaincu  que  l'Evangile  de  sa  jeunesse  valait 
beaucoup  mieux  que  celui  qu'on  prêchait  actuellement  -. 

A  Eilenbourg,  Gabriel  Zwilling  agitait  la  population.  «  Le  moine 
défroqué  de  Wittemberg  •■,  rapporte  à  son  sujet  un  contemporain, 
«  nous  a  fait  aujourdhui  un  sermon;  il  a  endossé  un  habit  d'étu- 
diant, et  mis  par-dessus  une  chemise  bordée  de  noir;  il  s'est  affublé 
d'un  bonnet  de  fourrure,  et  dans  cet  accoutrement  nous  a  parlé 
de  la  messe  avec  le  dernier  mépris.  Il  a  aussi  rejeté  les  bonnes 
œuvres,  disant  que  deux  chemins  s'offraient  à  nous  :  l'un  étroit  et 
conduisant  au  ciel,  c'est  celui  de  la  foi;  l'autre  large  et  menant  droit 
à  l'enfer,  c'est  celui  des  bonnes  œuvres.  Il  a  rejeté  messe,  jeune, 
prière,  aumône,  discipline.  iSous  sommes,  selon  lui,  au-dessus  de 
toute  loi.  Personne  n'est  plus  obligé  ni  à  la  confession  ni  au 
baptême.  "  Après  ce  sermon,  la  Cène  avait  été  célébrée  dans  l'église 
du  château,  située  sur  la  montagne.  Comme  Zwilling  avait  persuadé 
à  ses  auditeurs  qu'il  n'était  nullement  nécessaire  de  se  confesser 
avant  de  se  présenter  à  la  sainte  table  et  qu'on  pouvait  fort  bien 
communier  après  avoir  mangé,  "  les  assistants  ",  continue  le  même 
narrateur,  «  s'avancèrent  presque  en  riant  pour  recevoir  l'Eucharis- 
tie, et  ceux-là  mêmes  qui  avaient  passé  la  nuit  précédente  dans  la 
débauche  et  l'ivrognerie,  reçurent  le  Sacrement,  comme  j'en  ai  été 
moi-même  témoin "  >. 

i-  Mais  dans  tout  ce  qu'ils  faisaient,  les  nouveaux  évangOlistes  s'ima- 
ginaient obéir  à  la  loi  de  Dieu  :  '>  Lorsque  Frédi'ric  charge  un  délégué 
de  faire  des  représentations  à  l'iconoclaste  Carlstadt,  celui-ci,  absolu- 
ment comme  Luther  l'avait  fait  avant  lui,  allègue  aussitôt  la  mission 
surnaturelle  qu'il  a  reçue  de  Dieu.  «  La  parole  ■ ,  dit-il,  "  m'a  été  donnée 
en  grande  abondance;  malheur  à  moi,  si  je  ne  prêchais  pas!  "  La  dés- 
union ne  venait  que  de  ce  que  tous  n'obéissaient  pas  textuellement  à 

'  Le  prince  Joachim  d'Anhalt  mande  à  son  frère  que  le  duc  Georges  lui  a  dit  : 
«  Si  nous  restons  iidelesà  l'Église,  tout  nous  réussira;  m;iis  si  nous  nous  en  lais- 
sons détacher,  au  lieu  de  notre  prospérité  actuelle,  nous  verrons  hienlôt  .ies 
revers  nous  atteindre  J'ai  remarqué  que  tous  ceux  qui  sont  attachés  à  la  nou- 
velle doctrine  ne  réussissent  à  rien,  mais  tombent  dans  la  ruine  et  la  misère.  Dieu 
les  a-t-il  châtiés,  ou  bien  sont-ils  tombés  par  leu;-  propre  imprévoyance,  c'est 
ce  que  je  n'entreprendrais  pas  de  décider.  ■  Prince  Georges  d'Anhalt,  Predigten 
und  Schriften,  p.  325. 

*  Seckendorf,  t.  I,  p.  217;  voyez  l'article  sur  le  duc  Georges  dans  les  :  Hisior.- 
polit.  BL,  t.  XLVI,  p.  451-4Ô3. 

^  Seidemann,  Erläuterungen  zur  Reformationsgesch.^  p.  37. 


LUTH  KR    A    WITTEMBKRG,    1522.  229 

la  sainte  Écrilure.  Ouant  à  lui,  nulle  menace  de  mort  ne  le  sépare- 
rait Jamais  de  cette  base  Irès-sure.  Il  resterait  toujours  loyalement 
anaclié  au  sens  litléral  de  la  parole  divine,  sans  se  laisser  égarer 
par  ce  que  pourraient  ensei(jner  les  autres.  D'ailleurs,  il  n'y  avait 
que  les  mauvais  chréliens  qui  pussent  se  scandaliser  de  ses  sermons. 
A  l'exemple  des  prophètes  de  Zwickau,  Garlsladt  déclarait  la 
guerre  aux  études  scientifiques,  réclamait  la  fermeture  des  écoles 
et  l'abolition  des  grades  de  docteur;  lai<|ucs  et  ouvriers  étaient 
appelés  à  prêcher  le  nouvel  évangile,  les  étudiants  exhortés  à  ne 
plus  perdre  leur  temps  à  n'importe  quel  travail  scientifique  et  à 
apprendre  un  métier,  ou  la  pratique  d'un  arl.  Tous  les  jours  le 
nombre  de  ses  adhérents  grossissait,  et  le  parti  révolutionnaire 
triomphait  à  Wittember^  comme  à  Erfurt.  Là  aussi,  l'Université  se 
changeait  eu  désert.  «  Les  plus  savants,  les  plus  éclairés  d'entre 
nous  sont  dans  la  désolation  »,  écrivait  Spalatin.  "  Les  nouveaux 
évangélistesont  chacun  une  méthode  différente.  »  «  Ils  embrouillent 
tellement  toutes  les  questions,  ils  ont  de  si  étranges  fantaisies  », 
mande-t-il  à  Frédéric,  «  que  tous  les  jours  on  voit  de  nouvelles  sectes 
se  produire,  il  en  résulte  que  chacun  est  troublé  dans  sa  conscience, 
et  que  nul  ne  sait  plus  qui  est  cuisinier,  qui  est  cellerier'.  » 

C'est  au  milieu  d'un  pareil  état  de  choses  que  Luther,  qui  dans  sa 
solitude  de  la  Wartbourg  avait  été  soigneusement  informé  de  tout 
ce  qui  se  passait,  apparut  tout  à  coup  à  Wittemberg.  Il  y  prêcha 
huit  sermons  consécutifs  (mars  1522).  11  attribua  les  actes  de  violence 
récemment  commis  à  «  une  fausse  manière  d'entendre  la  liberté 
chrétienne  ».  En  présence  des  faits  abominables  qui  venaient  de  se 
produire,  il  tirade  plusieurs  textes  bibliques,  entre  autres  de  l'épitre 
de  saint  .lacques  (auparavant  rejeiée  par  lui),  le  principe  "  que  la  foi 
sans  la  charité  est  sans  aucune  efficacité,  qu'elle  n'est  plus  même  la  foi, 
mais  une  ombre  de  foi  n.  Ce  qui  avait  eu  lieu  s'était  fait  sans  ordre, 
au  grand  scandale  du  prochain  :  "  Avant  d'agir,  vous  auriez  dû 
prier  du  fondde  votre  cœur,  puis  marcher  avec  le  concours  de  l'auto- 
rité; alors  on  aurait  su  que  la  chose  venait  de  Dieu.  »  Il  était  pro- 
fondément affligé  qu'on  eût  agi  sans  son  ordre  et  sa  coopéra- 
tion. «  Suivez-moi  »,  s'écria-t-il,  s'autorisant  de  la  mission  directe 
qu'il  assurait  avoir  reçue  de  Dieu;  "  je  .suis  le  premier  auquel  le 
Seigneur  ait  révélé  ses  desseins,  c'est  moi  auquel  Dieu  a  donné  la 
première  inspiration  de  vous  prêcher  et  de  vous  annoncer  sa  parole. 

'  Voy.  ces  lettres  dans  le  Corp.  Reform.,  t.  I,  p.  541,  545,  554,  560,  561.  Jager, 
Carhiadt,  p.  277-287.  On  voit,  par  une  lettre  de  Fröschel  citée  par  Jä|',er  {Carl- 
ttadt,  p.  282),  combien  les  devoirs  les  plus  sacrés  de  la  charité  étaient  mis  eu 
oubli  dans  ces  tristes  querelles. 


23)      LE    PEUPLE    SAXON    CONTRAIRE    AU    NOUVEL    EVANfilLE. 

Aussi  ne  deviez-vous  pas  faire  un  pareil  coup  sans  mon  ordre, 
ef  sans  m'avoir  préalablement  consulté.  Il  reprocha  sévèrement 
à  son  auditoire  la  profanation  publique  du  sacrement  de  l'autel  : 
«  Vos  autres  méfaits  seraient  encore  excusables  à  la  rigueur, 
mais  pour  celui-là,  nulle  indulgence  n'est  possible.  Vous  avez  agi 
par  trop  brutalement!  Aussi  qu'arrive-t  il?  On  répète  :  •  Là-bas, 
à  Wittemberg,  il  y  a  vraiment  de  beaux  chrétiens!  Ils  prennent 
le  Saint  Sacrement  entre  leurs  mains,  saisissent  le  calice,  vont 
ensuite  trouver  l'eau-de-vie,  et  se  soûlent  à  cœur  joie  !  »  ^-  Si  quel- 
qu'un a  l'enfantillage  de  désirer  tenir  le  Saint  Sacrement  entre  ses 
mains,  qu'il  se  le  fasse  apporter  dans  sa  demeure,  qu'il  le  tienne  et 
le  touche  tant  qu'il  voudra;  mais  en  public,  qu'il  s'abstienne  d'une 
pareille  conduite,  car  s'en  abstenir  ne  peut  lui  causer  aucun  dom- 
mage. Il  ne  faut  pas  scandaliser  nos  frères,  nos  sœurs,  nos  pro- 
chains, et  maintenant  voilà  que  tout  le  monde  est  si  irrité  contre 
nous,  qu'on  va  jusqu'à  souhaiter  de  nous  mettre  à  mort*.  - 

En  effet,  la  population  saxonne  ne  se  montrait  nullement  favorable 
au  nouvel  évangile.  Une  lettre  de  l'ambassadeur  polonais,  Jean  Dan- 
tiscus,  qui  visita  Luther  en  1526  à  Wittemberg,  nous  fournit  à  cet 
ép;ard  un  curieux  témoignage  :  "  C'est  avec  beaucoup  de  difficultés  >■, 
écrit-il,  <  que  je  pus  atteindre  Wittemberg.  Les  Meuves,  surtout  l'Elbe, 
qui  traverse  la  ville,  étaient  tellement  débordés,  que  dans  les  terrains 
ba?,  les  champs  étaient  complètement  inondés.  Sur  ma  route,  j'enten- 
dis les  gens  de  la  campagne  attribuer  ce  (léau  à  Luther,  le  maudire, 
l'accabler  d'injures,  lui  et  ses  partisans.  Le  peuple  est  généralement 
persuadé  que  Dieu  visite  et  châtie  les  habitants  du  pays  qui  pendant 
toute  la  durée  du  carême  ont,  pour  la  plupart,  mangé  de  la  viande  ^  » 
Une  preuve  encore  plus  évidente  du  peu  de  sympathie  des  Saxons 
pour  i-  l'évangile  >'  nous  est  fournie  par  la  Consultation  publiée  par 
Mélanchthon  eu  1523.  On  lui  avait  demandé  son  opinion  sur  la  ques- 
tion de  savoir  si  Frédéric  avait  le  droit  de  lever  une  armée  pour  la 
défense  de  -  l'évangile  .  Mélanchthon  répond  négativement  :  ^  Il 
est  évident  ',  dit-il,  ^-  que  la  disposition  et  le  .sentiment  des  Saxons 
s'opposent  à  la  guerre;  cela  tient  à  la  faiblesse  de  leur  foi,  ils  ne 
sont  pas  chrétiens.  Aussi  l'Électeur  ne  doit-il  pas  songer  à  prendre 
les  armes,  car  il  gouverne  des  païens,  c'est-à-dire  des  infidèles  \  » 
Les  catholiques,  au  dire  de  Mélanchthon  et  de  Luther,  n'étaient 
donc  que  des  païens  et  des  mécréants. 

•  Summil.  U'erice,  t.  XXVIII,  p.  204-285;  voyez  particulièrement  p.  208,  212-214, 
220,  246,  275. 
-  Dans  IIiPLER,  p.  72.  Voy.  aussi  p.  54,  et  plus  haut,  p.  136,  note  5. 
»  f.uthrrs  Sihnmil.    Werke,  t.  LXIV,  p.  278. 


LUTHER    SUR    SA    UOCTRIXE    SEULE   JUSTIFIANTE.    1522.      231 


II 


Lurher  voyait  dans  le  méchant  tour  que  le  diable  lui  avait  joué 
à  Wittembepjj  »,  par  l'entremise  de  Carlstadt  et  des  nouveaux  pro- 
phètes, une  punition  divine.  Dieu  avait  voulu  le  châtier  de  sou 
attitude  trop  humble  à  Worms  :  «  Je  rejjrette  amèrement  > ,  dit-il 
dans  sa  réponse  à  Henri  VIII  (1522),  «  de  m'étre  trop  humilié  à 
\\'orms.  Par  égard  puur  l'Empereur,  j'ai  été  jusqu'à  souffrir  que  ma 
doctrine  fiU  soumise  à  des  juges;  j'ai  consenti  à  écouter  ceux  qui 
prétendaient  démontrer  mon  erreur,  .le  n'aurais  pas  dû  témoigner 
une  humilité  si  sotte,  puisque  j'étais  convaincu  de  la  vérité  absolue 
de  ce  que  j'avais  avancé,  et  que  d'ailleurs,  avec  le  tyran,  tout  était 
inutile.  »  Ainsi  donc  Luther  n'hésitait  pas  à  appeler  publiquement 
l'Empereur  un  tyran.  Dans  le  même  écrit  il  s'intitule  :  ^  l'Ecclésiaste 
de  Wittemberg,  par  la  grâce  de  Dieu.  "  Non-seulement  il  affirme 
avoir  reçu  sa  doctrine  de  Dieu,  mais  il  veut  être  considéré  comme 
ayant  «  plus  d'autorité  dans  sou  petit  doigt  que  mille  papes,  rois, 
princes  et  docteurs  n'en  possédèrent  jamais  '.  Il  se  déclare  prêt  à 
soutenir  tous  les  points  de  sa  doctrine,  qu'il  analyse  avec  détail  : 
>  Celui  qui  enseigne  autre  chose  que  ce  que  j'enseigne  ou  me 
condamne  à  ce  sujet,  condamne  Dieu  même,  et  demeurera  pour 
jamais  enfant  de  l'enfer.  »  -  Une  oie  connaît  mieux  le  psautier  que 
tous  les  papistes  mis  ensemble  ne  savent  ce  que  c'est  que  la  foi  et 
les  bonnes  œuvres!  >  L'étude  assidue  de  la  sainte  Écriture  et  la 
grâce  de  Dieu  lui  ont  révélé  "  que  la  papauté,  l'épiscopat,  les  abbayes, 
les  couvents,  les  universités,  la  prèlraille,  la  monacaille,  les  nonnes, 
les  messes,  les  offices  ne  sunt  que  damnées  inventions  du  diable  ». 
•le  n'aurais  pas  dû  dire  que  la  papauté  est  une  plus  grande  usurpa- 
tion que  celle  de  JNemrod,  car  presque  tous  les  royaumes  de  cette 
nature  sont  en  dehors  de  la  loi  de  Dieu,  comme  celui  de  Nemrod; 
mais  j'aurais  dû  dire  :  Le  p;ipisme  est  la  pire  abomination  et  la  plus 
empoisonnée  du  diable  que  la  terre  ait  connue!  ■■•■  Henri  VIII  n'était 
qu'  "  un  cerveau  fêlé,  une  grossière  tête  d'âne  »,  et  le  roi  d'Angle- 
terre justifiait  bien  le  proverbe  qui  assure  «  qu'il  n'y  a  pires  fous 
que  les  rois  et  les  princes  '  » . 


>  Antwort  au/  König  Heinrichs  l'III  von  Engelland  Buch  vider  seinen  Tractât  von  der 
babylonischen  Geßingniss.  Sämmtl.  Werke,  t.  XXVIII,  p.  343-387.  —  V'oy.  SUrtOUt 
p.  3ôl,  346-347,  349-351,  380,  383.  Parlant  de  Henri,  il  dit  encore  :  Cest  par  la 
permission  de  Dieu  qu'il  est  aveuglé,  afin  que  par  moi  sa  malice  soit  mise  au 


232      LUTHER    SUR  SA    DOCTRINE    SEULE    ,]  U  S  T  1  F  lAN  T  E.    1522. 

«  l'ous  mes  ennemis  réunis  à  tous  les  démons,  bien  que  ces  der- 
niers se  soient  approchés  de  moi  de  bien  près  >,  disait-il  en  déplo- 
rant le  "  méchant  tour  de  Wittemberg"  avec  le  chevalier  Hartmuth 
de  Cronberg,  «  ne  m'ont  pas  fait  autant  de  mal  que  les  nôtres, 
et  je  dois  confesser  que  la  fumée  qui  vient  d'eux  me  cuit  terriblement 
les  yeux,  et  semble  pénétrer  jusqu'à  mon  cœur.  Après  tout,  je  me 
demande  si  tout  cela  n'est  pas  arrivé  pour  me  punir,  car  à  Worms, 
pour  ne  pas  désobliger  de  bons  amis  et  ne  pas  sembler  trop  roide  et 
trop  obstiné,  j'ai  montré  une  modération  excessive;  j'aurais  dû  con- 
fesser ma  foi  devant  le  tyran  avec  plus  de  force  et  de  vigueur.  Com- 
bien, depuis  ce  temps,  lespaïensincrédules  nem'ont-ils  pas  injurié!  De 
combien  de  mépris  et  d'outrages  ne  m'ont-ils  pas  abreuvé!  Ils  jugent 
en  païens  qu'ils  sont,  et  comme  des  gens  qui  ignorent  profondément 
ce  que  c'est  que  l'Esprit,  ce  que  c'est  que  la  foi.  Je  me  suis  bien  sou- 
vent repenti  de  mon  humiliié  et  de  mes  égards!  »  Selon  Luther,  la 
condamnation  de  sa  doctrine  à  Worms  avait  été  la  condamnation  de 
la  divine  vérité  elle-même,  et  ce  crime  était  maintenant  imputé  à  la 
nafionallemande  tout  entière.  «  Vous  savez  ",  écrit-il,  «  que  l'iniquité 
commise  à  Worms,  alors  que  la  divine  vérité  fut  si  déplorablement 
outragée,condamnéedepropos  délibéré,  méchamment,  publiquement, 
sans  avoir  été  entendue  ni  examinée,  vous  savez,  dis-je,  que  ce  crime 
a  été  imputé  à  toute  la  nation  allemande,  car  les  chefs  l'ont  commis, 
et  personne  ne  les  a  contredits  et  ne  s'est  opposé  à  leur  sentence.  Par 
là,  Dieu  a  été  si  grièvement  offensé  qu'il  nous  a  retiré  sa  précieuse 
parole;  ou  bien  il  a  permis  qu'elle  dtviul  le  prétexte  d'un  tel  scandale, 
que  personne  ne  pouvant  plus  reconnaître  en  elle  la  parole  de  Dieu, 
elle  a  été  traitée  selon  ses  mérites.  On  s'est  cru  autorisé  à  la  persécu- 
ter, à  la  diffamer,  ou  Ta  appelée  diabolique.  Oui,  eu  vérité,  mon  cher 
Hartmuth,  l'Allemagne,  pour  être  agréable  au  Pape,  a  malheureuse- 
ment assumé  sur  sa  tête  une  terrible  responsabilité,  à  Worms,  au  jour 
fatal  de  la  Diète!  «  Du  reste,  au  dire  de  Luther,  ce  n'était  pas  la  pre- 
mière fois  que  l'Allemagne  repoussait  l'évangile.  Aussi  craignait-il 
beaucoup  que  Dieu  ne  la  traitât  comme  la  Judée  :  «  Nous  lisons  dans 
le  livre  des  Rois  que  les  Juifs,  ayant  pendant  longtemps  persécuté  et 
mis  à  mort  les  prophètes,  Dieu  s'était  enfin  détourné  d'eux,  et  leur 
avait  refusé  toute  assistance.  Si  mes  ennemis  n'ont  pas  versé  mon  sang, 
ce  n'est  pas  qu'ils  n'en  aient  eu  le  dessein  précis  et  arrêté,  et  tous  les 
jours  ils  m'immolent  encore  dans  leur  pensée.  Malheureuse  nation! 
Étais-tu  donc  destinée  à  servir  l'Antéchrist,  à  te  faire  son  geôlier  et 
son  bourreau!  Devais-tu  t'élever  contre  les  saints  et  les  prophètes  du 
Seigneur!  "  «  Voyez  comme  les  paroles  me  viennent  en  abondance! 

jour.  »  On  trouve  une  sévère  mais  juste  appréciation  de  la  réponse  de  Luther  à 
Henri  VIIl  dans  IIöfler,  Adrian  VI,  p.  26t. 


LUTHER    SUR    SA    DOCTRINE    SEULE   JUSTIFIANTE.    1522.      ^33 

La  foi  du  Christ  opère  en  moi,  elle  tressaille  d'allégresse  dans  mon 
cœur,  à  cause  de  votre  foi  et  de  votre  heureuse  adhésion  à  la 
vérité!  »  «  Saluez  tous  nos  amis  dans  la  loi,  le  seigneur  Franz  ',  le 
seigneur  Ulrich  de  Hütten,  et  ceux  qui  se  joignent  encore  à  vous'. 

«  Si  tant  d'abominations  souillent  le  papisme,  ne  nous  étonnons 
pas  ",  dit  Luther,  «  que  beaucoup  fassent  un  mauvais  usage  de  notre 
évangile;  heureusemeni  nous  avons  des  potences,  des  roues,  des 
épées,  des  couleaux  :  celui  dont  la  volonté  n'est  pas  droite,  nous 
pourrons  encore  nous  en  défendre  \  »  Néanmoins,  en  dépit  des  scan- 
dales donnés  par  ceux  de  son  parti,  en  dépit  de  toutes  les  agressions 
papistes,  on  verrait  bientôt  tous  les  rois,  tous  les  princes  spirituels 
et  temporels  se  «  soumettre  et  se  rendre  »  à  son  évangile.  «  J'ai  de 
tristes  appréhensions  »,  écrit-il  à  Frédéric,  «  et  malheureusement  je 
les  crois  trop  fondées;  j'ai  peur  qu'une  effroyable  sédition  n'éclate 
dans  les  pays  allemands.  Dieu,  par  ce  bouleversement,  s'apprête  à 
châtier  l'Allemagne.  Le  peuple  reçoit  et  accepte  admirablement  notre 
évangile,  mais  il  le  prend  trop  à  la  lettre,  il  l'interprète  charnelle- 
ment; il  sent  bien  qu'il  est  le  seul  véritable,  mais  il  ne  sait  pas  encore 
eu  faire  un  bon  usage.  Ceux  qui  devraient  apaiser  la  révolte,  l'attisent, 
au  contraire.  La  violence  dont  ils  usent  empêche  la  lumière  de  l'évan- 
gile de  briller,  ils  ne  s'aperçoivent  pas  que  de  pareils  procédés  ne 
font  qu'aigrir  les  esprits  et  pousser  les  gens  à  l'émeute.  Us  semblent 
vouloir  courir  au-devant  de  la  mort,  eux  et  leurs  enfants.  Très- 
certainement  Dieu  permet  ces  choses  pour  nous  châtier.  »  Selon 
sa  coutume,  Luther  attribue  tous  les  malheurs  dont  il  est  l'occasion  à 


'  De  Sickirigen. 

*  Voy.  DE  Wette,  t.  II,  p.  165,  167-170. 

»  Sihnmtl.  Werke,  t.  XXVIII,  p.  311.  —  Voy.  ce  que  dit  Luther  sur  les  prêtres, 
moines  et  religieuses  ■  qui  se  marient  et  se  sauvent  de  leurs  couvents,  non  dans 
une  pensée  chréiienne,  mais  parce  qu'ils  sont  heureux  de  trouver  dans  la  liberté 
évangeliqiie  un  manteau  commode  pour  cacher  leur  mauvaise  conduite. 
Cette  appréciation  est  néanmoins  précédée  du  principe  :  -  que  le  devoir  des 
prêtres  est  de  se  marier  et  que  les  moines  et  les  religieuses  sont  libres  de  s'échapper 
de  leur  couvent -.  -  Cette  doctrine,  '  dit  Luther,  .  scandalise  et  courrouce  les 
papistes  plus  qu'on  ne  saurait  dire,  mais  cela  importe  peu.  ■  —  •  Que  le  ma- 
riage des  prêtres  ait  été  ordonné  par  le  diable  et  l'état  religieux  fondé  par 
Satan,  on  en  trouve  l'indubitable  preuve  dans  saint  Paul,  Tim.  I,  ch.  iv,  v.  3.  — 
Il  faul  confesser  qu'ils  ont  reçu  le  mariage  de  Dieu,  et  ne  doivent  être  con- 
traints par  auiuii  serment  à  agir  contre  la  parole  de  Dieu  et  de  par  l'ensei- 
gnement du  diable.  •  —  Le  prédicant  d'Erfurt,  Mechler,  bien  qu'après  être  sorti 
du  couvent  il  se  fiU  immédiatement  marié  pour  bien  établir  ses  sentiments  évan- 
géiiques,  se  lamentait  de  la  conduite  des  moines  et  des  religieuses  échappés  de 
leurs  monastères.  •  Quand  les  moines  ou  les  nonnes  sont  sortis  depuis  trois  jours 
seulement  de  leur  cloître,  les  uns  font  société  avec  des  filles  perdues,  les  autres 
avec  de  mauvais  garnements,  et  cela  sans  se  soucier  nullement  de  Dieu.  Les 
prêtres  en  font  autant,  ils  vont  à  la  première  femme  venue,  de  sorte  qu'une 
longue  période  d'expiation  succède  promptement  à  un  court  mois  de  baisers.  • 
—  Kampschulte,  t.  H,  p.  173. 


234       LUTHER    SUR    SA    DOCTRINE    SEULL   JUSTIFIANTE.    15-.'2. 

la  volonté  même  de  Dieu.  «  La  tyrannie  cléricale  est  humiliée,  c'est  là 
tout  ce  que  je  voulais  obtenir  par  mes  écrits;  mais  je  m'aperçois 
maintenant  que  Dieu  veut  pousser  la  chose  beaucoup  plus  loin, 
comme  il  en  usa  jadis  avec  Jérusalem  et  les  deux  royaumes  de  Judée. 
J'ai  reconnu  récemment  que  non-seulement  l'ordre  spirituel  mais 
encore  l'ordre  temporel  devraient,  de  gré  ou  de  force,  se  soumettre 
à  l'évangile.  Tous  les  récits  de  la  Bible  le  prouvent  clairement.  »  «  Si 
jusqu'à  présent  j'ai  ri  de  l'émeute,  croyant  qu'elle  ne  s'en  prendrait 
qu'au  clergé  -,  dit-il  dans  le  posl-sctiptnm  de  la  même  lettre,  -  aujour- 
d'hui j'ai  peur  qu'elle  ne  s'attaque  d'abord  à  nos  maîtres,  et,  comme 
un  véritable  fléau  public,  n'entraine  ensuite  avec  elle  tout  le  clergé'.  " 
«  Les  prémices  de  la  victoire  sont  à  nous  ",  écrit-il  quelques  jours 
plus  tarda  Vinceslas  Link  (19  mars  4.522);  «  nous  triomphons  de  cette 
tyrannie  papale  qui  jadis  a  tant  opprimé  les  rois  et  les  grands  1  Com- 
bien nous  sera-t-il  plus  facile  de  vaincre  et  d'humilier  les  princes!  « 
Le  duc  Georges  de  Saxe  excitait  tout  particulièrement  son  indignation. 
Se  conformant  à  ledit  de  Worms,  celui-ci  combattait  avec  énergie  les 
nouvelles  doctrines  et  leurs  adhérents,  et  s'efforçait  de  déterminer 
les  souverains,  les  autorités,  à  prendre  en  main  la  défense  de  l'Église. 
"  Si  les  princes  continuent  à  se  diriger  d'après  les  conseils  de  ce  cer- 
veau stupide*  >,  dit  Luther,  .:  je  crains  bien  qu'une  révolution 
n'éclate,  et  ne  renverse  bientôt  dans  toute  l'Allemagne  les  grands  et 
les  magistrats,  enveloppant  le  clergé  dans  sa  ruine.  '•  Il  lui  semblait 
déjà  voir  '  l'Allemagne  nager  dans  le  sang  ».  '  Les  peuples  -,  disait-il, 
«  ne  sont  plus  ce  qu'ils  étaient  jadis.  Les  princes  devraient  com- 
prendre que  l'épée  de  la  guerre  civile  est  suspendue  sur  leur  tète.  « 
Il  était,  pour  sa  part,  bien  éloigné  de  la  redouter;  les  calamités  que 
les  princes  avaient  attirées  sur  eux  ne  le  concernaient  point,  et  ne 
regardaient  qu'eux  seuls'. 

Il  n'hésitait  pas  à  déclarer  hors  la  loi  les  prêtres  qui  ne  recevaient  pas 
son  évangile  :  «  Ainsi  que  je  vous  l'ai  dit  »,  écrit-il  le  6  mai  1522  au 
bourgmestre  et  aux  conseillers  d'Altenbourg  à  propos  des  chanoines 
de  la  ville,  -  dès  que  les  prêtres  réguliers  s'opposent  à  l'évangile, 
leur  autorité  cesse  d'être  légitime;  dès  lors  il  faut  les  fuir  et  les  éviter 
comme  on  ferait  des  loups.  Tout  chrétien  est  autorisé  à  juger  leur 

'  De  Wette,  t.  II,  p.  143-H4. 

^11  nomme  à  plusieurs  reprises  le  duc  Georges  «  le  pourceau  de  Dresde»  •  ille 
porcus  Dresdensis  '.  De  Wette,  t.  Il,  p.  7,  n"  319,  et  t.  XXXII,  n»  330.  Il  appelle 
aussi  l'électeur  Joacliim  de  Brandebourg  .  le  Benahdad  de  Damas».  —  Voy.  de 
Wette,  t.  II,  p.  3. 

*  Voy.  DE  Wette,  t,  II,  p.  157-158.  Il  croit  nécessaire  de  faire  cette  remarque 
en  terminant  sa  lettre  :  -  Sobrius  haec  scribo  et  mane.  ■  Et  précédemment  : 
■  Haec  certe  in  spiritu  loqui  me  ^rbitror.  . 


IMTUF.W  FAHORTr:  SKS  PAUTISANS   A  I-ROSCRIRF:  LES  I^IVKQÜKS.  1522.     235 

doctrine  et  à  discerner  ces  loups,  car  tout  chrétien  doit  croire  parlui- 
inôme,  et  être  en  état  de  distinguer  ce  qui  est  orthodoxe  de  ce  qui 
ne  l'est  pas'.  "  «  Dieu  nous  dispense  d'obéir  à  l'autorité  toutes  les 
fois  qu'elle  est  en  contradiction  avec  l'évangile  > ,  dit-il  en  faisant 
allusion  à  la  lettre  que  nous  venons  de  citer,  dans  une  instruction 
adressée  à  Frédéric  de  Saxe  :  «  Aussi  le  conseil  d'Altenbourp;  et  Votre 
Grâce  sont-ils  obligés  d'écarter  les  prédicateurs  qui  peuvent  nuire 
à  la  foi,  et  d'aider  à  ce  qu'un  bon  choix  soit  fait,  ou  du  moins  à  ce 
que  rien  n'y  mette  obstacle;  il  n'est  ni  charte,  ni  sceau,  ni  lettre,  ni 
usage,  ni  droit,  ni  pouvoir  quelconque  qui  puisse  aller  à  l'encontre 
de  ce  devoir.  Je  vous  ai  déjà  prouvé  surabondamment  que  vous 
aviez  le  droit  et  le  pouvoir  de  discerner  et  de  juger  la  vraie  et  la 
fausse  doctrine.  Ouant  aux  chanoines,  leur  droit,  leur  autorité  et 
leurs  revenus  ont  pris  fin  le  jour  niéme  où  ils  se  sont  ouvertement 
opposés  à  l'évangile  *.  "  «  Loin  d'être  répréhensibles  ',  écrivait-il  dans 
le  même  sens  au  comte  .lean-Henri  de  Schwarzbourg,  «  on  est  dans 
le  strict  devoir  en  chassant  les  loups  de  la  bergerie,  et  l'on  ne  doit 
point  s'inquiéter  de  l'abstinence  qu'on  impose  à  leur  ventre.  Ce 
n'est  pas  pour  nuire,  c'est  pour  venir  en  aide  qu'on  accorde  dime  ou 
salaire  au  ministre  de  la  parole  (nuire,  signifie,  ici  comme  toujours, 
ne  pas  prêcher  l'évangile  luthérien).  Du  moment  qu'il  ne  sème  pas 
le  bon  grain,  il  n'a  droit  à  aucun  salaire ^ 

Mais  au  dire  de  Luther,  il  fallait  avant  tout  chasser  de  la  bergerie 
«  les  grands  loups  %  c'est-à-dire  les  évêques,  et  dans  un  traité  spécial 
intitulé  :  Contre  l'état  faussement  appelé  ecclésiastique  du  Pape  et  des  évê- 
ques (juin  1522),  il  conjurait  tous  les  enfants  bieu-aimés  du  Seigneur, 
tous  les  vrais  et  pieux  chrétiens,  de  travailler  à  leur  expulsion.  Or, 
des  mesures  de  cette  nature  eussent  équivalu  au  renversement  radical 
des  constitutions  de  l'Empire,  puisqu'en  Allemagne  les  évêques 
n'étaient  pas  seulement  les  premiers  pasteurs  spirituels,  mais  encore, 
pour  la  plupart,  les  princes  souverains  des  divers  territoires. 

Luther,  «  par  la  grâce  de  Dieu,  ecclésiaste  de  Wiitemberg  «,  répé- 
tait dans  ce  nouvel  écrit  ce  qu'il  avait  si  souvent  affirmé  :  sa  doc- 
trine seule  conduisait  au  salut.  Partant  de  ce  principe,  il  se  croyait 
autorisé  par  Dieu  même  à  juger  les  évêques  en  dernier  ressort  :  «  Ma 
doctrine  >■,  disait-il  avec  une  superbe  assurance,  «  ne  peut  être 
jugée  par  personne,  même  par  les  anges,  car  je  suis  certain  de  sa 
vérité;  par  elle  je  prétends  être  votre  juge  et  celui  des  anges  eux- 
mêmes,  comme  dit  saint  Paul.  J'affirme  donc  que  celui  qui  ne  la 

'  Voy.  DE  Wette,  t.  U,  p.  191. 

'  De  Wette,  t.  Il,  p.  192-193. 

'  De  Wette,  t.  H.  p.  258.  —  Voy.  Friedrich,  Atlrologit  und  Reformation,  ç.  126-138. 


236    LUTHER   EXHORTE  SES  PARTISANS   A  PROSCRIRE  LES  ÉVÉQUES,  1522. 

reçoit  pas  ne  peut  être  sauvé,  parce  qu'elle  vient  de  Dieu  et  non 
de  moi,  et  que  ma  sentence  est  celle  du  Seigneur,  non  la  mienne. 
Tant  que  je  vivrai,  vous  n'aurez  point  de  paix;  si  vous  m'imm  )lez, 
vous  en  aurez  dix  fois  moins  encore  ;  je  serai,  comme  dit  le  prophète 
Osée,  un  ours  sur  votre  route,  un  lion  dans  votre  sentier.  Tant  que 
vous  vous  opposerez  à  moi,  vous  ne  réussirez  à  rien,  jusqu'à  ce  que 
votre  front  de  fer  et  votre  cou  d'airain  aient  été  brisés,  soit  par  la 
miséricorde,  soit  par  la  justice.  » 

«  Mais  de  peur  que  quelques  âmes  bien  intentionnées  ne  m'estiment 
trop  hardi  d'oser  ra'attaquer  aux  grands  personnages,  et  parce  que 
les  tyrans  eux-mêmes  se  plaignent  que  nous  encourageons  à  l'émeute 
et  à  la  révolte,  il  importe  que  je  vous  expose  ici  le  fondement  et  les 
motifs  de  ma  conduite,  et  que  je  vous  démontre  par  écrit  que  non- 
seulement  il  est  légitime,  mais  indispensable  de  châtier  les  hauts 
dignitaires.  » 

Les  reproches  de  tous  les  prophètes  et  ceux  du  Sauveur  lui-même 
s'adressent  pour  la  plupart  «  aux  rois,  princes,  prêtres,  savants, 
en  un  mot  aux  premiers  du  peuple  «  :  «  Le  Christ,  dans  l'Evan- 
gile, nous  apparaît  dans  Thumilité,  dans  un  rang  obscur.  11  n'est 
pas  revêtu  d'une  haute  dignité,  il  n'appartient  pas  au  gouvernement. 
Or  envers  qui  se  montre-f-il  sévère?  Oui  menace-t-il  de  châtiments? 
Les  grands  prêtres,  les  scribes,  les  grands  clercs,  en  un  mot  tout 
ce  qui  occupe  un  rang  élevé,  reçoivent  ses  reproches.  Sa  conduite  doit 
être  le  modèle  des  a|)ôtres  de  l'évangile.  11  faut  qu'avec  une  grande 
assurance  ils  s'opposent  aux  chefs,  car  le  salut  ou  la  perte  du 
peuple  dépend  surtout  d'eux.  Pourquoi  donc,  malgré  le  Christ  et 
l'exemple  de  tous  les  prophètes,  suivrions-nous  la  loi  des  fous, 
inventée  par  un  pape  inepte?  pourquoi  laisserions-nous  impunis 
les  gros  bonnets  et  les  tyrans  spirituels  ?  Et  à  quoi  nous  servirait-il 
de  châtier  le  peuple  si  nous  laissions  les  grands  en  paix?  On  ne 
pourra  jamais  îaire  autant  de  bien  en  répandant  la  bonne  doctrine, 
que  de  mauvais  chefs  ne  feront  de  mal  en  en  propageant  une  mau- 
vaise. î> 

Les  évêques  et  les  hauts  dignitaires  de  l'Église  méritaient  donc  un 
traitement  plus  rigoureux  que  les  chefs  temporels,  et  cela  pour  deux 
raisons  :  d'abord  parce  que  les  dignités  ecclésiastiques  n'ont  pas  été 
instituées  par  Dieu;  Dieu  ne  connaît  point  la  mascarade  épiscopale; 
ensuite  parce  qu'elles  ne  viennent  pas  non  plus  des  hommes,  car  les 
évêques  et  prélats  se  sont  élevés  de  leur  propre  autorité,  et  se  sont 
éf  abUs  dans  leur  pouvoir  en  dépit  de  Dieu  et  du  genre  humain.  Secon- 
dement, parce  que  «  le  gouvernement  temporel,  bien  qu'usant  de  vio- 
lence et  d'injustice,  ne  porte  préjudice  qu'au  corps,  au  lieu  que  les 
prélats,  lorsqu'ils  ne  sont  pas  saints  et  ne  servent  pas  les  intérêts  delà 


LVnUin  KXIIOUTE  sus  PARTISANS  A  PROSCRIUE  LES  ÉVKQUES.  1.022.     237 

•rôle  de  Dieu,  .«^onl  des  loups,  des  assassins  d'âmes,  et  font  autant  de 
;iial(|ne.<.i  le  diable  en  personne  éiait  assis  à  leur  place  et  gouvtrnait 
pour  eux.  Aussi  faut-il  se  garder  de  l'cvéque  qui  n'enseip,ne  pas  la 
parole  de  Dieu  comme  du  démon  eu  personne.  \.ä  où  la  parole  de 
Dieu  n'est  pas  annoncée,  il  n'y  a  très-certainement  que  pure  doc- 
trine diabolique  et  meurtre  des  âmes,  d'autant  que  sans  cette  parole 
divine,  Frimc  ne  peut  vivre,  ni  être  affranchie  du  démon  i. 

Par  la  parole  de  Dieu,  Luther  entendait  loujours,  bien  eniendu, 
sa  propre  interprétation  de  l'Écriture,  interprétation  qui,  selon  son 
or{',ueilleuse  conviction,  lui  avait  été  révélée  par  Dieu  même. 

«  vS'ils  le  disent  »,  conlinue-t-il,  «  qu'il  faut  craindre  d'exciter  une 
émeute  en  poussant  les  sujets  à  résister  aux  supérieurs  ecclésiastiques, 
réponds  :  La  parole  de  Dieu  scra-t-elle  entravée  pour  un  tel  motif? 
L'univers  doit-il  périr  à  cause  de  nos  misérables  anxiélés?  Que  tous 
les  évéques  soient  exterminés,  que  foutes  les  abbayes  et  couvents 
soient  rasés,  plutôt  qu'une  seule  âme  ne  vienne  à  se  perdre,  à  plus 
forte  raison  plutôt  que  toutes  les  âmes  ne  soient  perverlies  par  ces 
inutiles  pantins,  par  ces  idoles  d'évêques!  A  quoi  sont-ils  bons  ceux 
qui,  dans  lebien-êire,  vivent  du  travail  des  autres,  profitent  de  leurs 
sueurs,  et  mettent  obstacle  à  la  parole  de  Dieu?  Ils  redoutent  une 
révolution  temporelle,  et  ils  ne  se  '■oucient  point  de  la  perdition  éler- 
nelle!  Ne  sont-ce  pas  des  personnages  honnéles  et  sages?  S'ils  rece- 
vaient la  parole  divine  et  désiraient  ce  qui  fait  vivre  l'âme,  le  Seigneur, 
qui  est  un  Dieu  de  paix,  serait  avec  eux,  et  nulle  émeute  ne  serait  à 
redouter.  Mais  comme  ils  veulent  rester  sourds  à  la  parole  de  Dieu, 
comme  au  lieu  de  l'écouter  ils  se  déchaînent  contre  elle  et  la  com- 
batlent  par  l'excommunication,  piir  les  Miimmes  et  par  tous  les  fléaux 
qu'ils  peuvent  inventer,  qu'ont-ils  donc  justement  mérité,  sinon  une 
révolution  puissante  qui  vienne  enfin  les  déraciner  de  ce  monde? 
Que  si  pareil  malheur  leur  advient,  il  ne  faudra  qu'en  rire,  comme 
le  conseille  la  divine  sagesse  :  Vous  avez,  dif-elle,  délesté  ma  correc- 
tion et  riiillé  ma  loi,  mainienant  je  me  rirai  de  vous  à  mon  tour,  et 
je  vous  raillerai,  lorsque  le  malheur  s'abattra  sur  votre  cou!  » 

Après  avoir  émis  de  pareilles  opinions,  Luther  assurait  en  vain 
désapprouver  l'emploi  «  du  poing  et  del'épée  »;  eu  vain  répétait-il 
qu'on  ne  devait  pas  s'opposer  à  l'Antéchrist  par  la  violence. 

-  La  parole  de  Dieu  ne  suscite  point  d'émeute.  C'est  l'insoumission 
obstinée  qui  la  produit,  et  ne  tarde  pas  à  recueillir  ce  qu'elle  a  mérité.  » 

«  Quels  sont-ils  »?  dit  encore  Luther  à  propos  des  évéques,  ^  ils 
vivent  sous  nos  yeux  comme  des  animaux  privés  de  niison.  Qui 
sont-ils  pour  que  personne  n'ose  les  punir,  pour  que  nul  ne  tente 
de  leur  résister?  Jgnore-t-on  que  les  évêchés,  les  couvents,  les 
abbayes,  les  Universités  ne  sont  que  d'inépuisables  pots  de  graisse, 


238     LUTHER   EXHORTE  SES  PARTISANS  A   PROSCRIRE  LES  ÉVÉQUES.  1522. 

OÙ  viennent  sans  cesse  se  fondre  les  biens  des  princes  et  tous  les 
trésors  de  la  terre?  Ils  s'imaginent  être  les  très-nobles  joyaux  de  la 
Chrétienté,  et  cependant  saint  Pierre  les  appelle  la  honte  et  l'ordure 
du  monde  !  Ils  maudissent,  ils  condamnent  la  vérité  qu'ils  ne  con- 
naissent point.  Ils  sont  noyés  et  enfoncés  dans  la  matière,  hommes 
charnels,  êtres  sensuels,  bestiaux,  qui  n'ont  jamais  goûté  les  choses 
de  l'esprit!  »i  Agir  contre  eux  n'est  pas  commettre  un  attentat 
contre  l'autorité  ecclésiastique,  «  car  ce  ne  sont  point  des  évéques, 
ce  sont  des  pantins,  des  idoles  sans  intelligence,  des  marionnettes, 
des  idiots,  gens  incapables  même  de  savoir  ce  que  c'est  qu'un 
évêque,  à  plus  forte  raison  ce  que  c'est  que  la  charge  d'un  évéque! 
Ce  sont  des  loups,  des  tyrans,  des  tueurs  d'âmes,  des  apôtres  de 
l'Antéchrist!  Mais  je  t'entends  dire  :  Vraiment  tu  t'en  prends  là  à 
de  bien  hauts  personnages!  Songes-tu  que  parmi  eux  il  s'en  trouve 
d'illustres,  de  savants?  A  cela  je  réponds  :  Jésus-Christ,  Pierre,  Paul, 
tous  les  prophètes  ont  annoncé  que  les  plus  grandes  calamités  que 
la  terre  ait  à  redouter  sont  l'avènement  de  l'Antéchrist  et  les  fléaux 
des  derniers  jours.  Penses-tu  que  de  semblables  paroles  aient  été 
prononcées  à  propos  de  plumes  d'oies  ou  de  feuilles  d'arbre?  La 
parole  de  Dieu  ne  nous  entretient  jamais  que  de  grandes  choses! 
Elle  s'élève  contre  les  grands,  contre  les  puissants;  elle  tonne  contre 
les  hauts  personnages!  Elle  nous  démontre  que  l'iniquité  est  tou- 
jours commise  par  eux,  comme  de  nos  jours  le  Pape,  les  évêqucs  et 
leur  clique  nous  le  font  assez  voir.  En  fin  de  compte,  qu'importe-t-il 
qu'ils  soient  grands,  nombreux,  élevés,  savants,  si,  manifestement, 
ils  s'opposent  à  Dieu?  Dieu  u'est-il  pas  plus  qu'eux?  Dieu  n'est-il  pas 
au-dessus  de  toute  chose  créée?  Le  Turc  aussi  est  puissant,  et  cepen- 
dant c'est  l'ennemi  de  Dieu!  Mais,  diras-tu  encore,  qui  donc  serait 
assez  hardi  pour  appeler  race  maudite  le  Pape,  les  évéques,  et  toute 
leur  bande?  Qui?  Pierre!  Oui,  le  Saint-Esprit  les  a  maudis  par  la 
bouche  de  Pierre!  Ils  sont  à  la  vérité  évéques,  mais  non  évéques  de 
chrétiens;  ce  sont  des  évéques  de  voleurs,  de  brigands,  d'usuriers, 
des  chefs  de  voleurs,  des  chefs  d'assassins,  des  chefs  d'usuriers  "  ! 
"  Le  porc,  le  cheval,  la  pierre,  le  bois,  ne  sont  pas  plus  destitué« 
de  bon  sens  que  nous  ne  l'avons  été  en  subissant  le  joug  du  Pape.  >• 
«  Et  afin  de  me  débarrasser  l'estomac,  je  veux  ici  dire  hautement  ma 
pensée  :  Les  évéques  que  nous  voyons  maintenant  régner  sur  tant  de 
villes  ne  sont  pas  les  évéques  du  Christ,  institués  par  la  loi  divine, 
mais  bien  les  évéques  du  diable,  établis  par  son  ordre,  et  très-cer- 
tainement messagers  et  intendants  de  Satan!  »  Luther  est  prêt  à  le 
prouver  «  bien  et  dûment  «  par  la  sainte  Écriture.  «  Les  couvents  », 
dit-il  encore,  «  sont  de  bien  plus  mauvais  lieux  que  les  maisons 
publiques,  que  les  tavernes  et  que  les  repaires  d'assassins.  » 


f,rriii:i?  r:\iioitTK  sks  l'AirrisANS  a  pkoscrire  les  eveques.  1522.    23!) 

Cet  écrit  ét.iit  ;iccompa<;ué  d'un  appendice  intitule  :  liulle  et 
llt'foriiic.  Lullier  y  déclarait  que  <  tous  ceux  qui  exposaient  leurs 
corps,  leurs  biens,  leur  honneur  pour  détruire  les  évèchés  et  le  gou- 
vernement des  évoques,  étaient  les  enfants  bien-aimés  de  Dieu,  les 
vrais  chrétiens,  gardant  la  loi  divine  et  résistant  à  la  loi  du  dé- 
mon ').  Lorsqu'il  n'était  pas  possible  de  combattre  ouvertement  les 
évéques,  il  fallait  du  moins  condamner  et  réprouver  leur  autorité  : 
«  Je  le  répète,  tous  ceux  qui  se  soumettent  volontairement  à  eux 
sont  à  proprement  parler  les  serviteurs  du  démon,  et  s'opposent 
à  l'ordre  et  à  la  volonté  de  Dieu.  >;  <  Tout  chrétien,  exposant  son 
corps  et  ses  biens  pour  la  vérité,  doit  travailler  à  mettre  fin  à 
leur  détestable  tyrannie;  tout  ce  qui  peut  le  moins  du  monde 
porter  préjudice  aux  évéques,  ils  doivent  s'en  acquitter  joyeuse- 
ment, agissant  envers  eux  comme  envers  Satan  en  personne.  " 
i  Ceci  est  ma  bulle  ,  dit  Luther  en  concluant,  ^  à  moi,  docteur  Lu- 
ther! Elle  apporte  la  grâce  de  Dieu  à  tous  ceux  qui  la  garderont  et 
la  suivront.  Amen  '!  « 

Spalatin  ayant  fait  quelques  représentations  à  Luther  sur  l'extrême 
violence  d'un  pareil  langage,  il  lui  répondit  (2.5  juin  1522)  que  c'était 
à  dessein  qu'il  se  déchaînait  ainsi  contre  les  évéques,  et  qu'il  était 
résolu  à  ne  plus  les  épargner.  Que  si  l'émeute  et  toutes  sortes  de 
calamités  imprévues  venaient  à  atteindre  les  hauts  dignitaires  de 
l'Église,  ils  n'auraient  à  s'en  prendre  ni  à  ses  instigations  ni  à  son 
influence,  mais  bien  à  leur  propre  tyrannie,  qui  forçait  la  main  au 
peuple,  et  aussi  à  leur  destinée,  qui  le  voulait  ainsi  ^ 

Au  moment  où  paraissait  cet  écrit,  Franz  de  Sickingen,  ^  seigneur 


'  Sammtl.  Werk,;  t  XXVIII,  p.  142-201.  —  Voy.  Surtout  p.  142-145,  147-149,  155- 
156,  174-176,  178-179,  189.  —  Maint  passage  de  ce  livre,  par  exemple  ceux  des 
p.  158-159-163,  199,  sont  impossibles  à  reproduire. 

-  "  Tu  ergo  noli  timere,  nec  speres  me  illis  parciturum  :  moius  uc  res  novas  si 
passifuerint,  nobis  autoribus  non  patientur,  sed  sua  tyr;innide  sic  vocaatibus  fatis 
urgente.  ■  —  Voy.  de  Wette,  t.  II,  p.  236.  —  Lutlier  érrit  à  Slaupitz  (27  juin  1522  : 
•  Quod  tu  scribis  meajactari  ab  iis,  qui  lupanaria  coluni,  et  multa  scandala  ex  recen- 
lioribus  scriptis  meis  orta,  neque  miror,  neque  metuo.  •  —  De  Wette,  t.  II, 
p.  215.  •  Personne-,  écrit-il  à  un  inconnu  ;28  août  1522),  -  ne  doit  se  scarjdaliser 
de  ces  injures;  la  justice  doit  avoir  son  cours;  tous  ceux  qui  ne  sont  pas 
dignes  d'elle  se  scandaliseront  et  tomberont,  ainsi  qu'il  est  écrit  dans  saint 
Jean  (chap.  vi,  v.  60  .  Cet  apôtre  rapporte  que  beaucoup  de  disciples  de  .îésus- 
Christ  se  retirèrent  après  lavoir  écouté,  disant  :  Ce  discours  est  trop  dur,  et 
qui  peut  le  supporter?Donc,cherami,  ne  vous  effrayez  pas,  si  beaucoup  se  scan- 
dalisent de  mes  écrits;  il  faut  qu'il  en  soit  ainsi,  et  que  très-peu  restent  fidèles 
à  l'évangile.  •  Avec  le  temps,  on  comprendra  pourquoi  il  est  resté  sourd  à 
toutes  les  remontrances  que  lui  font  à  ce  sujet  Frédéric  de  Saxe  et  beaucoup 
de  ses  amis.  Pour  le  moment,  il  ne  peut  répondre  qu'une  chose  :  c'est  qu'il 
ne  doit  ni  ne  peut  faire  autrement  :  •  Je  ne  peux  plus  accepter  de  demi-mesures  ; 
je  ne  veux  plus  ni  plier,  ni  céder,  ni  me  soumettre,  comme  je  lai  fait  jusqu'à 
présent,  fou  que  j'étais!  >  —  De  Wette,  t.  II,  p.  244. 


240     LUTHER  EXHORTE  SES   PARTISANS   A  PROSCRIRE   LES  ÉVÉOUES.  1522. 

et  patron  spécial  »   de  Luther  ',  se  préparait  à  être  rinstrumenf 
de  cette  destinée. 

Le  livre  de  Luther  est  pour  ainsi  dire  le  manifeste  de  guerre 
avec  lequel  Sickingen  entre  en  campagne ,  pour  renverser  la  consti- 
tution de  l'Empire  et  faire  «  une  trouée  à  l'évangile'  ". 

'  C'est  ainsi  que  le  nomme  Lutiier.  —  Voy.  de  Wette,  t.  H,  p.  13. 
*  Voy.  plus  loin. 


CHAPITRE   IV 

FRANZ    DE    SlCklNGEN    TENTE    DE    RENVERSER    I.A    CONSTITUTION 

DE    LEMI'IRE. 


Sickingen,  revenu  sans  gloire  et  sans  butin  de  son  expédifion 
contre  la  France,  crut  le  moment  venu,  pendant  l'été  de  1522,  pour 
la  réalisation  de  son  grand  projet  :  «  la  réorganisation  de  l'Empire  «. 
Charles-Ouint  était  reparti  pour  l'Espagne,  et  le  Conseil  de  régence, 
qui  siégeait  à  Nuremberg  depuis  le  mois  de  septembre  1521  sous 
la  présidence  du  lieutenant  impérial  le  comte  palatin  Frédéric,  était 
"  faible  et  peu  à  redouter  >!.  Sickingen  s'attendait  d'autant  plus  à 
voir  les  nobles  venir  de  tous  cotés  lui  offrir  '  d'abondants  secours  ", 
que  l'état  général  des  affaires  publiques  servait  de  moins  en  moins 
les  intérêts  de  la  peti'e  aristocratie,  et  que  le  sourd  mécontentement 
qui  couvait  depuis  longtemps  parmi  la  noblesse  prenait  de  plus  en 
plus  les  proportions  d'une  haine  violente. 

Exclue  de  toute  participation  aux  affaires  publiques,  dépouillée 
d'un  de  ses  droits  politiques  les  plus  essentiels,  le  droit  de  réunion, 
«  la  noblesse  libre  d'empire  •  avait  vu  son  crédit  lui  échapper  à  mesure 
qu'avait  grandi  la  puissance  des  petits  souverains'.  Le  joug  féodal 
que  les  princes  faisaient  peser  sur  elle  était,  à  l'entendre,  <=  intolé- 
rable. ■  Les  nouvelles  taxes  de  douane  allaient  s'augmentant  chaque 
jour;  sans  cesse  on  voyait  surgir  de  nouvelles  servitudes,  enchéris- 
sements  et  charges  onéreuses.  Les  nobles  éprouvaient-ils  le  besoin  de 
s'assembler  pour  traiter  ~-  ensemble  de  leurs  griefs  communs  ",  ils 
s'en  voyaient  aussitôt  empêchés  par  les  menaces  et  les  violences  des 
princes;  et  cependant,  «  le  droit  de  réunion  leur  avait  été  garanti 
depuis  plus  de  deux  siècles  dans  un  grand  nombre  de  territoires  «. 
Les  Électeurs,  princes  et  autres  Ordres,  au  contraire,  «  avaient  coü- 

'  Voy.  notre  premier  volume,  p.  452-454. 

11.  15 


242  SITUATION    DE    LA    PETITE    ARISTOCRATIE. 

tinuellement  ensemble  des  pourparlers,  des  conférences  secrètes  ou 
publiques,  et  bien  qu'au  sein  de  ces  assemblées  l'Empereur  fût  sou- 
vent honoré  en  paroles,  en  réalité  elles  donnaient  plus  fréquem- 
ment lieu  à  des  discussions,  à  des  querelles,  qu'à  des  actes  de  sou- 
mission envers  le  chef  souverain  et  légitime  de  la  nation.  Elles 
compromettaient  par  conséquent  la  paix  publique,  et  lésaient 
gravement  les  intérêts  communs  de  l'Allemagne  .  La  noblesse  se 
plaignait  encore  de  la  mauvaise  administration  du  droit  :  les  tribu- 
naux secondaires  des  petits  souverains  semblaient  n'être  plus  desti- 
nés, comme  autrefois,  à  rendre  la  justice  à  tous  et  ne  se  montraient 
préoccupés  que  des  intérêts  des  seigneurs  qui  les  tenaient  sous 
leur  dépendance.  Lorsqu'un  noble  en  appelait  d'un  jugement  par- 
tial et  inique,  il  se  voyait  aussitôt  débouté  de  son  droit,  ici  par 
l'allégation  de  tel  privilège,  là  par  la  violence.  Voulait-il  soumettre 
la  cause  en  litige  au  Conseil  de  régence,  à  la  Chambre  impériale? 
c'est  à  peine  si,  dans  toute  la  principauté,  il  se  rencontrait  un  notaire 
assez  courageux  pour  se  prêter  à  ce  que  réclamaient  de  lui  les  de- 
voirs de  sa  charge.  La  haute  magistrature  se  faisait  l'instrument  du 
révoltant  despotisme  des  grands.  La  Chambre  impériale,  toute  au 
service  des  puissants,  se  montrait  injuste  et  partiale  dès  qu'il  s'agis- 
sait de  faire  exécuter  une  sentence;  de  sorte  qu'après  mille  difficul- 
tés, les  faibles  ne  pouvaient  jamais  profiter  d'un  arrêt  obtenu  à 
grand'peine.  Mais  on  supposant  même  que  la  Chambre  impériale 
eût  la  bonne  volonté  de  se  montrer  équitable,  le  Conseil  de  régence 
avait  entre  les  mains  un  pouvoir  exécutif  trop  insignifiant  pour 
oser  s'en  prendre  à  de  hauts  et  puissants  personnages  ',  de  sorte 
que  tout  fortifiait  -  l'insoumission  des  grands  ".  Impuissant  et 
faible,  le  Conseil  •<  ne  parvenait  même  pas  à  maintenir  la  paix 
publique  dans  l'Empire  ". 

Aussi,  dès  qu'un  jugement  était  rendu,  abandonnait-on  le  plus 
souvent  à  celui  qui  avait  gain  de  cause  le  soin  de  faire  exécuter  la 
sentence;  l'autorisant  à  enrôler,  pour  soutenir  ses  intérêts,  des 
hommes  d'armes  en  plus  ou  moins  grand  nombre,  selon  les  forces 
dont  son  adversaire  pouvait  disposer  '.  ^  Tous  les  Ordres  de  l'Empire, 
aussi  bien  les  spirituels  que  les  temporels,  aspiraient  à  voir  la  noblesse 
humiliée  >  ;  aussi  ne  croyait-elle  pas  agir  contre  la  justice  et  le  droit 
en  appelant  de  tous  ses  vœux  le  jour  où,  se  levant  enfin,  elle  ten- 
terait "  d'échapper  à  la  servitude,  et  réunirait  ses  forces  pour  recon- 
quérir un  peu  d'autorité,  et  se  faire  une  existence  supportable  ". 
A  l'entendre,  les  autres   Ordres  «  s'enrichissaient   tous  les  jours; 

'  Dans  les  pièces  désignées  dans  le  répertoire  de  Weller  sous  le  n»  2357,  Be- 
schwerdeschrift der  Grafen,  Herren  und  gemeiner  Pilterschaft,  Nuremberg,  1523.  —  JÖRG, 
p.  21-23,  42-43. 


I.E  PROI.ÉTAIilAT  I)F  l,A   NOBLESSE  ET  LES  CHEVALIERS  BRIGANDS.    24.t 

seule  elle  se  vo}  ail  condamuée  '  â  une  misère  de  plus  en  plus  pro- 
fonde ". 

Ce  qu'il  y  avait  de  vrai  dans  ces  laraentalious,  c'est  que  la  petite 
noblesse,  à  force  de  morceler  les  propriélés  héréditaires,  de  se  livrer 
à  sa  passion  pour  le  plaisir,  de  déployer  un  luxe  excessif,  et  aussi 
en  raison  de  la  dépréciation  de  la  propriété  foncière  et  du  dévelop- 
pement envahissant  du  capital,  avait  perdu  dans  beaucoup  de  terri- 
toires les  éléments  matériels  de  son  influence  politique.  Le  proléta- 
riat de  la  noblesse  formait  une  classe  considérable  -,  et  les  seigneurs 
ruinés,  déchus,  regardaient  d'un  œil  d'envie  les  riches  couvents,  les 
abbayes  florissantes,  surtout  les  collégiales  princières.  L'avidité 
de  tant  de  {jrands  seigneurs  spirituels  en  vue  d'agrandir  encore  et 
toujours  leurs  possessions  déjà  si  étendues,  la  magnificence  qu'ils 
étalaient  au  dehors  en  faisant  insolemment  parade  de  leurs  richesses, 
tout  avait  fait  détester  de  plus  en  plus  l'organisation  ecclésiastique, 
et  ce  mécontentement  amer  était  partagé  par  une  foule  de  gens  qui, 
d'ailleurs,  ne  songeaient  nullement  à  se  séparer  de  l'Église  et  de  sa 
doctrine.  La  confiscation  des  propriétés  ecclésiastiques,  le  partage 
des  biens  du  clergé,  tant  réclamés  par  Hütten  et  Sickingen,  et 
représentés  comme  de  nécessité  urgente,  flattaient  donc  le  sentiment 
du  plus  grand  nombre  et  semblaient  une  œuvre  -  raisonnable  et 
attrayante  •.  Cette  perspective  •  chatouillait  surtout  délicieuse- 
ment )  les  penchants  de  celte  classe  particulière  de  gentilshommes 


'  Voy.  notre  premier  volume,  p.  366-367.  Wimpheling  parle,  dans  son  Aperçu 
général  de  l'histoire  de  Mayence  (Ïâl5),  de  la  passion  des  nobles  pour  la  boisson,  et  il 
ajoute  :  «  ni  viderint,  an  sitit  nobiles,  immo  si  sint  homines  quidem,  cura  no- 
bililas  ex  sola  virtute  comparetu.r.  Ad  quas  sordes  redarta  est  prisca  et  autiqua 
nobilitas  Germanica,  yd  quam  labeculam  demersa  est  alta  comitum  generositas  ! 
Ignorant  profecio  splendorem  proprium,  excellentiam  et  dignitatem.  ■  (Fol.  22- 
23.)  Manuscrit  de  la  bibliothèque  du  château  d'Aschaffenbourg. 

'  Les  nombreux  documents  cités  par  Jörg,  et  copiés  sur  dix  actes  authen- 
tiques, montrent  dans  quel  abaissement  était  tombée  la  noblesse  de  Bavière 
(p;  49-jO).  Nous  en  citons  un  passage  : 

.  llirschauer  de  Gersdorf  est  veuf,  chargé  de  petits  enfants,  et  de  plus  affligé 
de  beaucoup  de  malades;  il  ne  touche  que  quatorze  florins  par  an  de  rede- 
vances. Jacques  Tanner,  de  Tann,  et  ses  deux  frères  ne  possèdent  plus  que  la 
seule  résidence  de  Tann;  encore  ce  petit  bien  appartient-il  à  leurs  trois  neveux. 
Érasme  Reigher,  de  Lankwart,  loge  dans  une  maison  de  paysan,  et  y  vit  pauvre- 
ment avec  25  florins  de  redevances  annuelles;  lui,  sa  ménagère  et  trois  autres 
personnes  sont  obligés  de  cherrher  au  dehors  des  moyens  de  subsistance. 
Wolfgang  Auer,  de  Straubing,  a  une  toute  petite  propriété;  il  cultive  lui-même 
sa  ferme  avec  sa  femme  et  ses  enfants.  Ulrich  de  Kailangkrent  n'a  ni  servi- 
teurs ni  chevaux.  B;ilthazar  Kollnbeck,  de  Thurnthenning,  n'a  pas  le  moyen 
d'entretenir  un  serviteur;  tous  ies  biens  sont  hypothéqués.  Gui  Rohrbeck,  de 
Rohrbach,  ne  possède  plus  à  Rohrbach  que  la  dixième  partie  de  son  domaine 
qui  comporte  dix  livres  de  pfenning  de  revenu;  c'est  avec  cela  que  ce  pauvre 
gentilhomme  doit  vivre,  lui,  sa  femme  et  de  nombreux  enfants  »,  etc. 

16. 


2H  LES    CHEVALIERS    BRIGANDS.    1522. 

qui  avaient  toujours  été  d'avis  que  l'un  des  privilèges  de  la  noblesse 
consistait  à  dépouiller  le  plus  possible  ceux  qui  possédaient. 

Dans  beaucoup  de  territoires  impériaux,  les  chevaliers  bri- 
gands avaient  conquis  une  position  '  vérilablement  redoutable  >. 
En  dépit  de  toutes  les  lois  édictées  pour  le  maintien  de  la  paix 
publique,  ils  continuaient  à  considérer  leurs  vols  à  main  armée 
comme  une«  occupation  honorable  «.  Un  jour,  un  Carme  déchaussé 
ayant  osé  dire  en  chaire  qu'on  devrait  suspendre  en  plein  jour  à  la 
potence  et  faire  mourir  de  raalemort,  tout  bottés,  tout  éperonnés, 
si  la  nécessité  le  réclamait,  les  brigands  de  grandes  routes;  plusieurs 
nobles  de  Franconie,  mêlés  à  l'assistance,  se  montrèrent  fort  irrités 
du  discours  du  moine;  «  car  ils  tenaient  pour  certain  >,  dit  la  Chro- 
nique de  Zimmer,  «  qu'un  ancien  privilège  leur  concédait  le  droit  de 
voler  impunément  sur  les  chemins,  et  de  dépouiller  les  passants  ». 
L'un  d'eux,  l'échanson  Ernest  de  Tautenberg,  menaça  le  religieux,  et 
témoigna  le  désir  de  «  l'accommoder  de  bonne  sorte  '  ».  .Jusque  dans 
les  environs  de  Nuremberg,  siège  du  Conseil  de  régence,  la  popula- 
tion vivait  dans  un  perpétuel  effroi,  toujours  sous  le  coup  des  agres- 
sions d'un  des  principaux  chefs  des  chevaliers  brigands,  Hans  Thomas 
d'Absberg,  lequel,  secondé  par  ses  nombreux  compagnons  de  rapine, 
torturait  et  rançonnait  jusqu'à  de  pauvres  manœuvres  sans  ressource. 
En  juillet  1522,  Absberg  avait  lui-même  coupé  la  main  droite  d'un 
tonnelier  de  Nuremberg.  En  vain  ce  pauvre  homme  lavait-il  supplié 
à  genoux  de  couper  plutôt  la  main  gauche  :  Absberg  s'était  montré 
inflexible.  Le  5  août  de  la  même  année,  lui  et  sa  bande  sanguinaire 
surprirent  près  de  Baireuth  un  coutelier  et  un  pelletier  de  Nurem- 
berg. L'un  des  chevaliers  brigands  demanda  un  dissah  (courte  épée 
de  Bohême,  sans  poignée,  très  en  usage  dans  le  pays);  il  éprouvait, 
disait-il,  le  désir  de  travailler  un  peu  par  lui-même,  étant  resté  trop 
longtemps  dans  l'inaction.  On  fit  au  pelletier  cinq  cruelles  blessures, 
enfin  on  lui  coupa  la  main  droite.  Le  coutelier  eut  aussi  la  main  cou- 
pée. Hans  Thomas  envoya  les  membres  coupés  au  bourgmestre  de 
Nuremberg,  en  lui  faisant  savoir  que  son  épée  avait  encore  un  pom- 
meau, et  qu'il  le  lui  ferait  si  bien  mordre  que  les  dents  lui  tombe- 
raient de  la  bouche  et  que  le  feu  lui  jaillirait  des  yeux.  Son  inten- 
tion était  d'agir  de  même  envers  tous  les  habitants  de  Nuremberg, 
et  il  chargea  le  pelletier  de  bien  avertir  le  bourgmestre  que  c'était 

'  «  Retourner  les  poches  des  marchands,  passe  encore  •,  disait  le  mar- 
grave Frédéric  de  Brandebourg  à  ses  gentilshommes  [Zimmcrischc  Chronik,  t.  II, 
p.  434-4.35t,  «  mais  il  vous  est  interdit  d'attenter  à  leur  vie.  •  -  In  Franco- 
nia  nobiles  depraedabantur  mercatores  etiam  salvum  conductum  prin  ipum 
habentes,  volentes  etiam  proprium  ligim  eiigere  contra  regnum  Romanorum 
et  ligam  Suevicam  »,  écrit  Jean  Nibling  d'Ebrach.  —  Voy.  Höfler,  Fränkische 
Studien,  t.  VIII,  p.  254. 


PLANS   DU    PAKTI   R  É  VO  LU  T  lONN  A  1  K  K    DE   LA  NO  B  LES  S  E,  1  522.    245 

lui,  Absberg,  qui  avîiif  fait  le  coup,  et  se  chargerait  du  reste.  Georges 
de  Giech,  Wolf  Heinrich  et  lîans  Georges  de  Aufsess,  (étaient  au 
nombre  des  compt'res,  recôlcurs,  et  complices  secrets  ■■■  d'Absberg. 
Ces  brigands  trouvaient  abri  et  j>roleclion  jusque  dans  les  possessions 
du  margrave  Casimir  de  Brandebourg'.  Mangold  d'Eberstein,  sei- 
gneur de  Brandenstein,  le  seigneur  de  Bosenberg,  d'autres  encore, 
se  montraient  à  peu  près  aussi  féroces.  .Marguerite  de  Hosenberg, 
femme  de  Mangold,  se  plaisait  à  donner  des  conseils  pratiques  aux 
chevaliers  brigands  qu'elle  recevait  à  sa  table.  •  Lors(|u'un  marchand  ne 
tient  pas  la  promesse  qu'il  vous  a  faite  s  disait-elle  à  ses  hôtes,  «  cou- 
pez^lui  pieds  et  mains,  puis  laissez-le  par  terre,  étendu  sur  le  sol  ^  " 
Sickingen,  qui  avait  été  pendant  de  longues  années  l'effroi  des 
paisibles  bourgeois,  comptait  parmi  ses  affidés,  maintenant  que  selon 
son  expression  il  songeait  à  une  expédition  que  nul  empereur 
romain  n'avait  osé  entreprendre  avant  lui  »,  plus  d'un  camarade  qui, 
en  maint  endroit,  «  avait  bien  souvent  trouvé  l'avoine  de  ses  chevaux 
dans  la  bourse  du  prochain  ^  ». 

Martin  Bucer,  prédicant  de  Strasbourg,  ancien  Dominicain,  plu- 
sieurs fois  employé  par  Sickingen  à  des  missions  évangéliques, 
écrivait  de  Strasbourg  à  son  ami  Sapidus  (7  juin  1522)*  :  »  Il  faut 
que  je  m'en  retourne  le  plus  vite  possible  auprès  de  Sickingen.  11 
songe  à  me  confier  une  fois  de  plus  une  mission  importante.  11  m'a 
fait  promettre  de  revenir  auprès  de  lui  promptement,  et  sans  doute 
pense  à  m'envoyer  en  Saxe.  Prie  le  Seigneur,  toi  et  les  tiens  ",  con- 
tinue-t-il  sur  le  ton  biblique  qui  était  alors  à  la  mode,  "  qu'il  daigne 
assister  mes  chevaliers,  Sickingen  et  Hutlen.  Tous  deux  sont  enflam- 
més d'un  tel  zèle  pour  l'évangile,  qu'ils  sont  prêts  à  exposer  avec 
joie  pour  sa  cause  leurs  biens,  leur  fortune  et  leurs  vies.  Jusqu'à 
présent  leurs  efforts  ont  été  heureux,  et  si  Dieu  ne  se  détourne  de 
leur  entreprise,  la  tyrannie  des  grands  pourra  bien  être  abattue. 
Que  le  Seigneur  fasse  tout  ce  qui  sera  agréable  à  ses  yeux!  Si  je  ne 
m'abuse,  une  révolution  grandiose  et  universelle  est  toute  proche 
de  nous,  et  les  retardataires  prudents  et  anxieux  n'en  attendront  pas 
longtemps  l'avènement,  qu'ils  le  veuillent  ou  non  \  " 

'  Voy.  la  relation  de  ces  faits  dans  Baader,  p.  28-29,  35,40-41,  45-46. 

'  EBERSTEtN,  Fehlte  Mart'joît's  von  Eberstein  mil  der  Rcichsstiidl  Xiirnherg,  p.  72. 
Hans  de  Walsa,  dans  une  lettre  de  défi  adressée  à  l'archevêque  Léonjrd  de  Salz- 
boiirg,  lui  annonce  qu'il  se  dispose  à  brûler,  piller,  poignarder,  couper  les 
mains,  en  un  mot  A  faire  de  son  mieux.  «  Ci-joint  la  date  du  jour  où  vous 
verrez  monter  la  fumée  %  dit-il  en  terminant.  —  Voy.  Roth  de  Schreke.nstein, 
Beichsrillerschaft,  2»,  p.  247,  note  2. 

*  Voy.  JÖRG,  p.  67. 

*  Voy.  L'LMANN,  p.  286. 

*  Baum,  Capito  und  Butzer,  p.  141-143. 


246  PLANS  DU  PARTI  REVOLUTIONNAinE  DE   LA  NOBLESSE.   1522. 

Bucer  fut  en  effet  envoyé  eu  Saxe.  En  récompense  de  son  zèle, 
il  demanda  la  permission  de  passer  quelque  temps  à  Witfemberg, 
afin  d'y  entretenir  des  relations  suivies  avec  Luther  et  Mélanchthon  '. 

De  quelle  mission  avait-il  été  cliarp,é?  Comment  devait-il  servir 
>  la  cause  de  l'évangile  "?  On  l'ignore.  Ouant  à  la  réforme  de  l'état 
de  choses  existant  au  profit  des  nouvelles  doctrines,  nous  pourrons 
nous  instruire  de  la  façon  dont  l'entendaient  les  meneurs,  par  les 
propres  aveux  de  Sickingen,  aussi  bien  que  par  les  déclarations 
de  ses  compagnons,  Hartmuth  de  Cronberg  et  Ulrich  de  Hulten. 
Harfmulh,  ardent  partisan  de  Sickiogen  et  de  Luther,  publiait 
depuis  longtemps  une  foule  de  messages ,  de  lettres ,  d'avertis- 
sements qu'il  dédiait  au  Pape,  à  l'Empereur,  aux  moines  mendiants, 
aux  Suisses,  au  curé  de  Francfort  Pierre  Mayer,  Il  avait  déclaré  à  ce 
dernier  que,  s'il  refusait  «  de  recevoir  l'évangile  »,  chacun  serait 
autorisé,  en  pleine  sécurité  de  conscience,  à  l'attaquer  par  la  parole 
et  par  les  actes,  «  parce  qu'il  était  légitime  et  louable  de  se  défendre 
contre  un  loup  ravisseur,  un  voleur  de  choses  saintes,  un  homicide 
spirituel  *  -.  Cronberg  conseillait  à  l'Empereur  de  faire  entendre  ;iu 
Pape  «  avec  la  plus  grande  courtoisie  »  qu'il  n'était  que  le  lieutenant 
du  diable,  ou  pour  mieux  dire  que  l'Antéchrist  en  personne.  Que  si  le 
Pape,  complètement  possédé  du  démon,  refusait  de  convenir  du  fait, 
Charles-Quint,  selon  Cronberg,  aurait  le  droit  et  serait  même  tenu 
devant  Dieu,  d'employer  contre  lui  les  ressources  que  sa  grande  puis- 
sance lui  mettait  entre  les  mains,  et  de  le  traiter  comme  un  mécréant, 
un  hérétique,  un  antechrist.  L'Empereur  se  servirait  ensuite  des  biens 
du  Pape,  actuellement  appelés  biens  ecclésiastiques,  de  façon  que 
le  royaume  de  l'Antéchrist  fût  détruit  au  moyen  de  ses  propres 
ressources  et  par  son  propre  glaive  ^  L'exaltation  maladive  d'Hart- 
muth  alla  même  si  loin  qu'il  eut  l'audace  de  publier  en  son  propre  nom 
un  manifeste,  où  toute  la  société  chrétienne  était  représentée 
comme  une  armée  immense,  ayant  reçu  du  Roi  des  rois,  du  Prince 
des  princes,  de  Jésus-Christ,  Seigneur  tout-puissant,  l'ordre  de  se 
tenir  prête  à  combattre  les  ennemis  obstinés  de  la  divine  parole. 

Mais  ce  que  l'Empereur  différait  d'exécuter,  Sickingen  allait 
l'entreprendre.  Nouveau  Ziska,  il  s'emparerait  par  la  violence  et  le 


'  Voy.  Baum,  p.  14.3. 

5  *  Le  12  mai  1522,  les  compagnons  d  Hartmuth,  Mari  Lesch  de  Moinheym, 
Georges  de  Stoclcheim  et  Emmeric  de  Reiffenstein  sommèrent  les  prêtres  sécu- 
liers et  les  moines  de  Francfort  d'adhérer  à  l'évangile;  en  cas  de  refus,  ils  les 
menaçaient  de  marcher  contre  eux.  Acun  des  Religions  und  Kirchenvesens,  t.  1, 
fol.  14,  Archives  de  Francfort. 

'  Voy.  BucHOLz,  t.  II,  p.  85-89,  O.  Thelemann  chante  tes  louanges  d'IIartmuth 
de  Cronberg  et  l'appelle  un  ^  chevalier  selon  le  cœur  de  Dieu  • .  —  Voy.  Fullner, 
Deutsche  Blätter.  Gotha,  1875,  p.  14-37. 


SICKINfJEN    CONTRE    L'ARCHEVÊQUE    DE    TRÊVES.    1522.      247 

tneurlrc  de  lous  les  biens  volés  par  l'Eglise';  nouveau  Brulus,  il  en 
finirai!  avec  la  tyrannie  des  princes  el  des  évoques  -.  Hultcn  ■■  espéraif 
qu'en  dépit  des  trop  justes  griefs  que  les  villes  libres  pouvaient  avoir 
contre  les  chevaliers  brigands,  elles  ne  tarderaient  pas  à  s'unir  à  la 
noblesse  révolutionnaire,  et  combattraient  avec  celle-ci  •  pour  la 
cause  de  la  liberté  de  l'Allemagne  et  pour  l'évangile.   ' 

Dans  sa  Lamentation  des  villes  libres  de  nation  germanique  .  Ilutîen 
;ippelle  les  cités  aux  armes  : 

Vous,  bonnes  villes,  songez  bien 

Au  pouvoir  de  la  noblesse  allemande! 

Rapprochez-vous  d'elle,  confiez-vous  à  elle. 

Je  veux  mourir  si  vous  vous  en  repentez! 

Songez  que  vous  ^tes  accablées  comme  elle 

Par  la  tyrannie  des  princes; 

Ils  oppriment  maintenant  toutes  les  conditions, 

Attentifs  à  leurs  seuls  inlf^rêts. 

Ils  interdisent  la  doctrine  du  docteur  Luther, 

Comme  si  elle  était  en  rien  répréhensible! 

C'est  qu'ils  ne  peuvent  souffrir  la  vérité, 

La  servir  C'^t  contre  leur  usage! 

C'est  pourquoi,  bonnes  villes,  armez-vous! 

Acceptez  l'amitié  de  la  noblesse, 

Alors  on  pourra  résister  à  l'ennemi, 

Alors  les  sarcasmes,  les  humiliations  prendront  tin! 

•  Si  seulement  la  parole  de  Dieu  pouvait  régner  sans  entrave,  la 
puissance  des  princes  serait  bientôt  anéantie.  » 

Aucun  prince  d'Allemagne  n'était  plus  détesté  de  Sickingen  que 
l'archevêque  de  Trêves,  Richard  de  Greiffenklau.  Lors  de  la  diète 
d'Augsbourg,  en  1518,  tandis  que  Sickingen  organisait  contre 
le  landgrave  Philippe  de  Hesse  sa  campagne  de  pillage  et  menaçait 
Francfort,  Richard,  dans  un  discours  chaleureux,  avait  averti  les  états 
du  péril  que  faisait  courir  à  la  nation  l'impunité  de  semblables  rapines. 
Sickingen,  avait-il  dit,  pousse  par  trop  loin  l'insolence.  Après  avoir 
attaqué  les  villes,  il  s'en  prend  maintenant  aux  princes,  et  les  menace 

'  Voy.  plus  haut,  p.  198. 

*  Ulmann,  p.  267,  269. 

^  Depuis  la  diète  de  Worms,  Ilutten  n'avait  cessé,  en  vrai  aventurier  politique 
qu'il  était,  de  poursuivre  ses  intrigues  révolutionnaires  dans  les  pays  du  Rhin 
et  du  Vein;  il  vivait  de  guerre  privée,  de  brigandages,  menant  une  existence 
farouche,  mallraitant  cruellement  les  moines  et  les  prêtres  sans  défense.  Sur  ses 
guerres  privées  contre  les  Carmes  de  Strasbourg,  contre  le  curé  Pierre  Mayer  à 
Francfort,  et  sur  les  trois  abbés  surpris  et  pillés  par  lui  dans  le  Palatinat, 
voy.  Strauss,  t.  II,  p.  198-200,  203-207,  249.  Hutteu  encourageait  les  habitants 
de  Worms  à  défier  l'épée  à  la  main  les  évéques  ou  prévôts,  clercs  réfractaires 
Ü  l'évangile,  >  et  à  les  expulser  avec  l'aide  de  Dieu  -  (p.  209j.  Voy.  plus  haut, 
p.  62,  ce  qu'Érasme  rapporte  de  ses  mœurs  farouches. 


218  .SICKINGE?<  CONTRE  L'ARCfJEVÉQUE  DE  TRÊVES.   1522. 

les  uns  après  les  autres.  C'était  aux  grands  seigneurs,  aux  Électeurs, 
aux  princes,  qu'il  apparteniiit  de  peser  les  conséquences  que  pouvait 
avoir  pour  eux  une  pareille  audace.  Richard  était  le  premier  Élec- 
teur de  sa  famille;  il  pensait  aussi  en  être  le  dernier,  mais  il  re- 
commandait à  ceux  à  qui  la  chose  importait  bien  plus  qu'à  lui,  aux 
Électeurs-nés,  aux  princes  souverains,  de  réfléchir  mûrement  à  ce 
qu'il  convenait  de  faire  ',  et  il  les  suppliait  de  s'opposer  énergique- 
ment  aux  progrès  de  Sickingen.  Celui-ci  ne  lui  pardonna  jamais  ce 
discours.  D'ailleurs,  Richard  était  un  des  plus  puissants  adversaires 
de  Luther,  et,  dès  la  dièle  de  Worms,  le  bruit  avait  couru  que 
Sickingen  ne  rassemblait  des  troupes  que  dans  le  dessein  d'envahir 
les  possessions  de  l'archevêque  *. 

Avant  même  de  partir  pour  la  France,  Sickingen  avait  enrôlé  des 
lansquenets  dans  le  but  d'aller  attaquer  Richard  dans  ses  États ^ 
Toutefois,  il  ne  se  décida  à  commencer  la  campagne  qu'en  août 
1522.  Dans  une  des  assemblées  de  la  chevalerie  libre  du  Rhin,  assem- 
blées organisées  parlui  et  alors  fréquentes  (Landau,  13  août  1522),  la 
Ligue  fraternelle  de  In  îioblesse  s' é\ai[  définilivement  organisée,  et  Sickin- 
gen en  avait  été  élu  le  chef.  Fort  de  cet  appui,  il  commença  aussitôt 
d'actifs  préparatifs  de  guerre*.  Pour  attirer  plus  de  soldats  sous  sa 
bannière,  il  s'efforçait  de  faire  croire  que  les  recrutements  qu'il  opé- 
rait n'avaient  d'autre  but  que  le  service  de  l'Empereur.  11  eut  même 
la  hardiesse  de  faire  porter  par  ses  hommes  d'armes  la  bannière 
impériale  et  la  croix  bourguignonne.  Saisi  de  terreur  à  l'approche 
du  chevalier  brigand  qui  durant  laut  d'années  avait  rançonné  et  pillé 
impunément  les  bourgeois  de  Worms,  le  conseil  de  Strasbourg  lui 
fit  offrir  une  somme  considérable  ^;  mais  il  ne  se  laissa  pas  acheter. 
Cinq  mille  cavaliers  et  dix  mille  hommes  de  pied  furent  bientôt  à  sa 
solde". 

Pour  faire  «  une  trouée  à  la  parole  de  Dieu,  que  Richard  de 
Trêves,  en  vertu  d'un  pouvoir  tout  humain,  repoussait  de  toutes  ses 

1  Flersheimrr  C/iroJuÂ-,  pilbl.  par  Waltz,  p.  71. 

°  Voy.  la  relation  d'Aléandre  dans  Friedrich,  p.  142.  —  Bal.vn,  p.  233.  —  Brie- 
GER,  p.  216. 

*  Ul'.iann,  p.  247. 

*  Pour  plus  de  détails,  voy.  Ulma>>,  p.  250-259.  Ulmann  suppose  qu'après  la 
réunion  où  le  traité  d'alliance  fut  apporté,  la  chevalerie  neut  plus  de  pourpar- 
lers secrets.  Cependant  les  paroles  de  Spalatin  sur  cette  réunion,  -  ubi  excitata 
est  nova  quaepiam  socielas  conditionihus  neque  le{îiinis  civilibus  iieque  cliris- 
tianisino  paruni  conseiitaneis  ■  (P.  253,  note),  ne  se  rapportent  certainement 
pas  à  celte  séance,  mais  à  dautres  conférences,  tenues  très-secrètes. 

*  Voy.  les  lettres  de  juillet  et  d'aoïH  1522  dans  Virck,  1. 1,  55  fil. 

'  C'est  le  nombre  indiqué  par  Hartmuth  de  Cronberg  dans  une  lettre  datée 
du  16  septembre  1522.  Voy.  Seckendouk,  t.  I,  p.  226.  —  Sur  les  relations  con- 
tradictoires touchant  les  forces  de  l'armée,  voy.  Ulmann,  p.  284,  note. 


APPEL    A    LA    G  (EU  RE    DE    RELIGION.    1522.  249 

forces  '  j.  celte  armée  se  mit  en  devoir  d'envahir  les  possessions 
«le  rarclievôqiie.  Eitclfritz  de  Zoliern,  Guillaume  et  Frédéric  de 
Fürstember{y,  (iuillaume  de  LauCen,  les  chevaliers  L'irich  de  llulten, 
Hans  Thomas  de  (»osenberj;,  Louis  de  Spiit  et  .lean  Hilchen  de  Lorcli 
en  diriceaieul  les  divers  corps.  Dès  la  fin  d'aoïU,  Sickin^jen  passait  ses 
troupes  en  revue  dans  le  voisinage  de  Strasbourg.  Sur  les  manches 
de  ses  soldats,  il  avait  fail  broder  ce  cri  de  guerre  :  >'  Seigneur, 
que  la  volonté  s'accomplisse!  -  Dans  un  manifesie  composé  par 
Henri  de  Kelteubach^  ex-moine  franciscain,  les  lansquenets  de  Sic- 
kingen  étaient  appelés  "  les  chevaliers  du  Christ  •',  et  les  évoques  et 
les  prêtres  «  les  ennemis  de  l'évangile  ".  La  devise  :  ■-  Toute  victoire 
de  Dieu  •^,  que  les  Turcs  portaient  écrite  sur  leurs  manches,  y  était 
commentée  par  des  exemples  empruntés  à  la  Bible.  C'était  avec  Dieu 
qu'on  entrait  en  campagne,  car  Sickingen  était  pur  de  toute  pensée 
intéressée;  il  ne  songeait  à  acquérir  ni  or,  ni  gens,  ni  domaine;  son 
unique  désir  était  d'exposer  fous  ses  biens  pour  la  gloire  du  Christ; 
son  seul  but,  de  renverser  les  papes  et  les  évéques,  «  ces  ennemis,  ces 
exterminateurs  de  la  vérité  évangélique  ».  Des  prédicants  fanatiques 
accompagnaient  l'armée. 

C'est  ainsi  que,  pour  la  première  fois,  la  guerre  de  religion  fut 
allumée  sur  le  sol  allemand,  et  que  la  religion  servit  de  prétexte 
à  une  campagne  de  pillage,  dont  la  politique  était  le  véritable 
motif. 

Invoquant  d'insignifiants  griefs  ^  Sickingen  jeta  le  défi  -•  à  Richard, 
archevêque  de  Trêves,  coupable  de  haute  trahison  envers  Dieu, 
envers  Sa  Majesté  Impériale  et  les  lois  de  l'Empire  »  (27  août  1522). 
Quelques  jours  après,  il  envahissait  le  pays  de  Trêves  à  la  tête  de 
quelques  bandes  armées,  il  attendait  de  nouveaux  renforts,  et  se 
flattait  de  s'emparer  de  Trêves  avant  que  Richard  n'eût  eu  le  temps 
de  recevoir  les  secours  promis  par  ses  alliés,  le  landgrave  Philippe 
de  Hesse  et  le  comte  palatin  Louis  \  Après  cette  capture,  il  se  pro- 

'  Écrit  Harmuth  de  Cronberfï  dans  la  lettre  citée  noie  précédente.  On 
lit  dans  les  OEuvrcs  posthumes  de  Spalalin  (p.  173)  :  «  Et  comme  il  (Mckingeu) 
voulait  tout  de  suite  entrer  en  campagne,  liartmuth  de  Cronl)er{î  m'écrivit  que 
Franz  de  Sickingen  commençait  la  guerre  contre  l'archevêque  de  Trêves  pour 
faire  une  trouée  à  l'i^vangile.  -  Le  16  septembre  lô22,  llarlmutb,  écrivant  au 
Conseil  d«;  régence  siégeant  à  Nuremberg,  assure  qu'il  se  ferait  volontiers  écar- 
teler  tout  vif  pourvu  que  par  une  telle  mort  il  put  espérer  voir  l'Allemagne 
adopter  «  l'évangile  -.  —  Secrendorf,  t.  I,  p.  226. 

'  Ain  Vermanung  Junker  Frnnlzen  von  Sickingen  zu  seynein  hör  als  er  wollt  ziehen  uider 
den  Bischof  von  Trier  auss  byllicher  such  und  reiizuiig,  etc.  Sans  indication  de  lieu,  1523. 

'  •  Le  prétexte  de  la  déclaration  de  guerre  était  tout  à  f.iit  dans  le  goût  des 
guerres  privées  du  temps,  cest-à-dire  absolument  futile  ,  dit  Str.vlss,  t.  Il, 
p.  231. 

*  «  ...Pro  more  serius  Treviro  auxilia  missuros,  priusque  ad  deditionem  Tre- 
verim  urbera  venturum,  quam  ullum  advenire  posse  praesidium  :  qua  dedita, 


250  SICKINGEN  CONTRE  I/ARCHEVEQUE  DE  TREVES.    1522. 

posait  de  marcher  contre  la  Hesse  :  «  Nous  avons  la  nouvelle,  rannoncc 
et  la  preuve  ,  mandait  au  comte  Michel  de  Wertheim  le  landgrave 
Philippe  (2  septembre  1522),  -  que  Sickingen,  dès  qu'il  aura  fait  sa 
volonté  de  Trêves,  viendra  immédiatement  nous  attaquer  '. 

Sickingen  était  si  sûr  de  la  victoire,  qu'après  avoir  capturé  la 
petite  ville  fortifiée  de  St-Wendel,  il  s'ouvrit  de  tous  ses  plans  aux 
gentilshommes  faits  prisonniers  pendant  le  combat.  11  comptait  être 
un  jour  <  électeur  de  Trêves,  et  mieux  encore  -.  «  Vous  êtes  pri- 
sonniers, vous  avez  perdu  vos  chevaux  et  vos  bagages,  mais  votre 
électeur,  quelque  chose  qu'il  lui  advienne,  est  en  état  de  payer  pour 
vous  une  forte  rançon.  Quand  Franz  de  Sickingen  sera  électeur  à 
son  tour,  comme  la  chose  est  fort  possible  et  comme  vous  le  verrez 
de  vos  yeux  (et  non-seulement  électeur,  mais  plus  encore),  il  vous 
fêtera  de  son  mieux,  vous  qui  aurez  été  ses  prisonniers  *.  «  Ce  n'était 
donc  pas  à  tort  qu'on  avait  attribué  à  Sickingen  l'ambitieux  dessein 
dedevenir  un  jour  roi  du  Rheingau  et  duc  de  Fr.inconie  '.  «  Au  nom 
de  l'Empereur  ,  il  exigea  le  serment  d'hommage  de  la  principauté 
de  Schaumbourg,  puis  il  pénétra  plus  avant  dans  le  pays,  ravageant, 
brûlant  plus  d'un  village  sur  sa  route  *.  Le  8  septembre,  il  était 
devant  Trêves.  Dans  les  lettres  qu'il  fit  remettre  au  conseil  de  la 
ville,  il  sommait  la  bourgeoisie  de  lui  ouvrir  les  portes,  promettant 
que  les  habitants  seraient  protégés  dans  leurs  personnes,  leurs  vies 
et  leurs  biens,  parce  qu'il  n'en  voulait  qu'aux  trésors  de  l'archevêque, 
aux  clercs  et  aux  religieux  du  diocèse! 

«  Sickingen  est  aux  portes  de  Trêves  -,  écrivait  le  chanoine  Charles 
de  Bodmann;  "  un  jeu  terrible  est  engagé.  Il  a  beaucoup  d'amis  et 
de  partisans  qui  ne  rêvent  que  de  chasser  et  d'humilier  les  princes 
ecclésiastiques,  convoitent  les  biens  de  l'Église,  et,  tout  laïques  qu'ils 
sont,  prétendent  exercer  le  pouvoir  spirituel  et  soumettre  à  leur 
autorité  les  curés  et  autres  supérieurs  ecclésiastiques.  Si  la  chance 

facile  cetera  expugnari  posse  videbantur,  atqiie  inde  brevissima  in  Hassiara  via 
pateret.  -  llub.  Leodils,  p.  301. 

'  Lettre  de  Philippe,  du  mardi  après  Ef^idii  (2  septembre  1522),  dans  les  Fürstl. 
Löjcenslein- ll'ert/ieim'schen  gemeinschafll.  Archiv,  Grufeit-Tagcs-Snchen,  n"  20  II  Se  pré- 
parait tous  les  jours  à  entrer  en  campagne,  écrivait-il  à  Philippe,  et  demandait 
au  comte  d'envoyer  à  Darmstadt,  le  lundi  après  l'Exaltation  de  la  sainte  Croix 
(15  septembre),  autant  de  cavaliers  qu'il  lui  serait  possible  d'en  rassembler  en 
toute  hAte. 

*  iLAI.VNN,  p.  287. 

'  Yoy.  le  rapport  de  Jean  Nibling  d'Ebrach,  dans  Höfler,  Fräiikische  Studien, 
t.  VIII,  p.  255. 

*  '  ...Ceux  de  Schaumbourg  ont  été  convoqués,  et  ont  juré  au  nom  de 
l'Empereur;  ce  qui  ne  les  a  pas  empêchés  fies  troupes  de  Sickingen)  d'incendier 
plus  d'une  localité.  »  lUlation  extraite  des  Archives  de  Strasbourg,  dans 
MONE,  Zeitschrift  für  die  Getchichte  des  Oberrheins,  t,  XVI,  p.  81. 


SICKlNGliN    CONI'liE    L'A  HCIl  K  V  KQ  U  K    l)K    TliÈVES.    1522.     251 

favorise  Sickingen,  nous  assisterons,  dans  beaucoup  de  territoires 
de  l'Empire,  à  une  transformation  radicale  de  l'organisation  ecclé- 
siastique. On  clierclie  de  mille  laçons  à  soulever  l'homme  du  peuple, 
et  celui-ci,  espérant  tirer  profit  de  la  révolution  qui  se  prépare, 
s'apprête  avec.joie  à  secouer  le  jouj;  que  font  peser  depuis  longtemps 
sur  lui  les  seigneurs  laïques  et  spirituels.  Sous  prétexte  de  liberté 
évangélique,  les  amis  de  Sickingcn  agitent  le  peuple,  et  vont  prê- 
chant partout  le  meurtre  et  le  pillage  '. 

«  Sickingcn  est  perdu  s'il  ne  remporte  sur  l'archevêque  une  vic- 
toire éclatante  ■■•,  écrivait  au  duc  Guillaume  le  chancelier  de  Bavière 
Léonard  d'Eck  (S  sept.  1522).  «  S'il  est  vaincu,  il  perdra  aussitôt 
toute  confiance  eu  son  étoile.  11  sait  trop  ce  qui  lui  adviendrait  en 
cas  de  non-réussite;  il  sait  que  le  cor  de  chasse  sonnerait  bientôt  le 
lancer,  que  le  ban  d'empire  le  frapperait,  ou  bien  que  les  princes 
du  Hhin  le  cerneraient  de  telle  sorte  qu'il  ne  pourrait  échapper,  et 
serait  promptement  désarçonné.  Or  il  ne  peut  accepter  la  pensée 
d'une  telle  honte  et  d'un  pareil  échec;  cette  humiliation  lui  serait 
trop  amère,  devant  Dieu,  devant  les  hommes,  devant  son  propre 
honneur.  Aussi  met-il  tout  en  œuvre  pour  soulever  la  populace.  Ses 
agents  y  travaillent  de  leur  côté,  et  tous  les  jours  arrivent  des  nou- 
velles qui  font  pressentir  un  prochain  ß««(/.?cÄ«/(.  >  En  effet,  le  cercle 
des  amis  de  Sickingcn  venait  de  faire  paraître  un  dialogue  intitulé  : 
le  Xouvcau  Karsihans,  où  le  peuple  était  chaudement  invité  à  faire 
cause  commune  avec  la  noblesse'.  «  Si  donc  '•,  continue  Eck,  «  le 
Bundschuh  éclate  et  que  le  peuple  prenne  le  dessus,  les  princes  du 
Rhin  payeront  le  déjeuner,  Votre  Grâce  et  les  autres  princes  le  sou- 
per, la  petite  noblesse  le  coup  du  soir,  et  tous  iront  au  diable  de 
compagnie  1  Au  reste,  si  les  princes  et  les  grands  chefs  doivent  être 
châtiés,  ce  sera  sans  doute  par  la  permission  divine,  car  c'est,  en 
vérité,  chose  étrange  que  de  voir  de  ses  yeux  des  princes,  des  gens 
de  guerre  honorables,  faciliter,  par  le  secours  qu'ils  apportent, 
l'envahissement  d'un  territoire  électoral'!  » 

Parmi  les  princes  qui,  non-seulement  toléraient,  mais  allaient 
jusqu'à  favoriser  les  actes  de  violence  de  Sickingcn ,  l'archevêque 
de  Mayence,  Albert  de  Brandebourg,  était  au  premier  rang.  On  le 
soupçonnait,  dans  le  cas  où  Sickingcn  réussirait  dans  son  entre- 
prise, de  vouloir  réaliser  un  plan  qui  lui  était  cher  depuis  long- 
temps, et  de  transformer  l'archevêché  de  .Mayence  en  principauté 


'  Voy.  plus  haut,  p.  162,  note  5. 
'  Voy.  plus  haut,  p.  199. 
*  Dans  JÖRG,  p.  64. 


252  SICKIiVGEN  CONTRE   L'AKCHEVÉOUE   DE  TRÊVES.    IJ22. 

temporelle  '.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  qu'il  refusa  constam- 
ment d'envoyer  des  secours  à  Richard,  fit  une  réponse  évasive  au 
Conseil  de  régence  lorsqu'il  le  somma  de  s'armer  contre  les  periur- 
bafeurs  de  la  paix  publique,  et  laissa  tranquillement  passer  le  Rhin 
aux  troupes  de  Sickingen,  en  marche  vers  Trêves.  Le  grand  maître 
Frowin  de  Hutîen  et  le  maréchal  Gaspard  Lerch  de  Dirnstein,  les 
plus  hauts  dignitaires  de  la  cour  de  Mayence,  étaient  alliés  de  Sickin- 
gen, et  ce  furent  eux  qui  conseillèrent  à  son  général,  INickel  de 
Minkwitz,  d'opérer  une  jonction  avec  les  troupes  du  chevalier,  au- 
dessus  de  Cologne  *. 

Si  le  chancelier  Ëck  augurait  mal  pour  les  princes  de  l'entreprise 
de  Sickingen,  il  ne  fondait  pas  beaucoup  plus  d'espérance  sur  la 
résistance  du  Conseil  de  régence  :  «  Le  Conseil  est  faible  et  bien 
malade»,  écrivait-il;  "  il  est  entre  les  mains  de  Dieu  M  « 

Du  moins  le  Conseil,  dès  le  1"  septembre,  avait-il  appelé  aux 
armes  plusieurs  princes  du  Rhin  et  quelques  villes  libres,  les  sommant 
de  s'opposera  Sickingen,  "  coupable  d'exciter  dans  l'Empire  le  trou- 
ble, la  guerre  et  la  révolte.  '  Si  l'on  ne  s'opposait  prompteraent  et 
énergiquement  au  perturbateur  de  la  paix,  il  était  à  craindre,  leur 
écrivait-il,  ^^  que  cette  guerre  ne  fût  pas  seulement  funeste  à  l'arche- 
vêché de  Trêves,  mais  que,  grandissant  en  peu  de  temps,  elle  ne  causât 
un  irrémédiable  dommage,  d'abord  aux  grands  Ordres,  puis  à  tout 
l'Empire  ".  )  Le  9  septembre,  jour  qui  suivit  l'investissement  de 
Trêves,  un  délégué  du  Conseil  se  présenta  devant  le  camp  de  Sickin- 
gen et  lui  intima  l'ordre  de  renoncer  à  son  entreprise,  sous  peine 
d'encourir  le  ban  d'empire  et  de  payer  une  amende  de  deux  mille 
marcs  d'argent.  «  Mais  Sickingen  se  comporta  avec  la  dernière 
insolence  envers  le  représentant  du  pouvoir  suprême.  «  «  Voici  le 

'  Voy.  plus  haut,  p.  218. 

*  Voy.  BucHOLTz,  t.  II,  p.  99-100.  —  IIennes,  Alhrecht  von  Brandenburg,  p.  1G7-170. 
~  Ulmann,  p.  292,  309.  «  Albert  n'entretenait  aucun  rapport  coupable  et  secret 
avec  Sicliin;",en",  suppose  Ulinann  (p.  288j,  -  mais  il  n'osait  prendre  parti  contre 
lui  aussi  longtemps  que  sa  cause  semblait  avoir  quelque  cbiince  de  succès.  "  — Sur 
les  mesuies  prises  par  l'archevêque  de  Trêves  et  ses  alliés  contre  Albert,  voy. 
p.  310-312. 

'  Dans  JÖRG,  p.  65. 

*  *  Das  Schreiben  des  liegimentcs  an  Frankfurt,  im  Frank/.  Archiv,  Reichstagsaclen, 
t.  XXXVi,  fol.  56.  Sur  les  missives  du  môme  genre  adressées  à  quelques  membres 
des  états,  voy.  Ulmann,  p.  292,  note  1.  Dans  un  autre  manifeste.  Francfort  est 
sommée  d'envoyer  le  12  octobre  à  Gelnhausen  quinze  reîtres  et  cent  quinze 
hommes  de  pied  par  ordre  de  '  la  Régence  d'Empire  » .  Mais  lescon^eillersde  la  ville 
déclarèient  qu'ils  entendaient  ne  se  mêler  de  l'affaire  que  lorsque  tout  l'Empire 
y  prendrait  part.  De  là  une  lettre  de  plaintes  du  Conseil  de  régence,  datée  du 
17  septembre  1522.  Voy.  Ueichsiagsacicn,  t.  XXXVI,  fol.  51.  Strasbourg  non  plus  ne 
voulut  s'engager  à  fournir  des  secours  à  l'archevêque  de  Trêves  que  dans  le 
cas  où  tous  les  États  de  l'Empire  se  joindraient  à  elle.  Lettre  du  conseil  de 
Strasbourg,  27  septembre  1522,  dans  Virck,  t.  I.  p.  58,  n»  101. 


SrCKINGKN    CONTHK    I/A  K  CH  F  V  ÉQ  U  K    I)  K    TKÈVKS.    1522.      253 

vieux  violon  fie  la  Réfrénée  ",  dit-il  à  ceux  qui  l'entouraient,  au  mo- 
ment on  la  volonté  du  Conseil  lui  était  sifjnifiée;  -■  malhcurense- 
menf,  les  danseurs  manquent!  Ce  ne  sont  pas  les  ordres  qui  font 
défaut,  mais  les  obéissants!  >>  Puis,  s'adressant  au  délégué  du  Con- 
seil, il  lui  fit  une  réponse  insultante,  en  son  nom  et  au  nom  de  tous 
les  siens.  Il  lui  ordonna  d'aller  rapporter  an  lieutenant  impérial  et 
aux  seijvneurs  du  Conseil  qu'ils  feraient  bien  d'y  aller  plus  douce- 
ment; qu'il  était  tout  aussi  bien  qu'eux  dévoué  à  l'Empereur  et  ne 
son[;eait  nullement  à  agir  contre  les  intérêts  de  Sa  Majesté,  Il 
n'en  voulait  (pj'à  l'archevéfpie,  et  savait  parfaitement  que  l'Empe- 
reur ne  se  courroucerait  point  s'il  châliait  quelque  peu  ce  prêtre 
insolent,  et  reprenait  quelque  chose  des  florins  d'or  que  jadis  il  avait 
reçus  de  la  France.  Sou  dessein  était  de  mettre  la  justice  sur  un  tout 
autre  pied;  le  Conseil  de  ré(',cnce  n'avait  jusqu'à  présent  remédié 
à  rien,  mais  lui,  Sickinj<i^en,  saurait  obtenir  de  bien  autres  résul- 
tats. Quant  ä  la  Chambre  impériale  de  rsuremberg,  devant  laquelle 
le  Conseil  le  citait,  il  comptait  la  laisser  en  repos;  il  n'en  avait  que 
faire,  car  il  avait  chez  lui  un  tribunal  ambulant  qui  décidait  les  ques- 
tions de  droit  avec  des  arquebuses  et  des  canons.  Quant  à  son  projet 
de  séculariser  les  principautés  ecclésiastiques,  il  déclara  que  pourvu 
qu'on  consentit  à  le  suivre,  il  saurait  agir  de  telle  sorte  que  l'Empe- 
reur, à  son  retour,  trouverait  plus  de  terres  et  d'argent  dans  son 
royaume  qu'il  n'eu  allait  maintenant  chercher  bien  loin  de  chez  lui. 
Il  comptait  couler  des  jours  paisibles,  lorsqu'une  fois  il  serait  arche- 
vêque de  Trêves,  et  ne  verrait  alors  nul  inconvénient  à  ce  que 
Richard  lut  (  hevalier  à  sa  place.  C'était  pour  mener  à  bien  ce  grand 
projet  qu'il  s'était  établi  dans  les  environs  de  Trêves.  On  rapporte 
encore  que  Sickin{yen,  expliquant  une  autre  fois  ses  intentions  au 
délégué  du  Conseil,  lui  aurait  dit  «  qu'il  avait  commencé  la  cam- 
pagne pour  lui,  e(  la  continuerai!  pour  lui,  en  dépit  même  de  l'Empe- 
reur' ».  «  Ou  je  me  trompe  fort  >;,  écrivait  Spalatin,  «  ou  ce  fauteur 
de  guerre  civile  peut  devenir  un  autre  Jules  César*.  » 

Mais  les  plans  ambitieux  du  chevalier  devaient  échouer  devant 
Trêves.  L'archevêque,  "  homme  énergique,  sachant  agir  el  s'aider, 
€t  fort  habile  capitaine'  »,sut  venirà  bout  de  tous  les  obstacles,  grâce 
à  sa  résolution,  à  sa  prudence,  à  son  sang-froid;  la  bourgeoisie  resta 
fidèle  à  son  seigneur,  malgré  toutes  les  horreurs  d'un  siège.  Metz 
et  Cologne  envoyèrent  de  la  poudre  et  des  armes*.  Les  tro-ipes  de 

'  Voy.  Ulmann,  p.  297-299,  306. 
1       'DuoYSEN,  2''  107-108. 

I       '(.'est  ainsi  que  le  df'peint  la  Chronique  de  FUrsheim,  p.  71. 
I      *  Écrivait  de  Nuremberg  Hamann  de  llolzliausen  au  bourgmestre    .lean  de 
€laubourg,  octobre  1622.  frankfurter  Archiv,  Reiehstagsaeten.  t.  XXXVI,  fol    66. 


254  SICKINGEN    ENVAHIT    LE    P  A  I,  AT  1  NAI'.    (522. 

la  Hesse  et  du  Palatinat  vinrent  au  secours  des  assiégés,  tandis  que 
Sickingen  attendait  vainement  du  renfort.  Après  cinq  assauts  inuti- 
lement donnés  à  la  cité,  le  manque  de  munitions  se  fit  sentir.  Le 
pays  avoisinant  Trêves  était  dévasté  par  des  bandes  de  soldats  pil- 
lards, et  la  colère  des  paysans  commençait  à  menacer.  Aussi,  le 
14  septembre,  Sickingen  leva-t-il  le  siège;  il  s'éloigna,  pillant  et 
incendiant  sur  son  passage  églises,  monastères  et  villages.  Chargé 
de  butin,  il  retourna  dans  son  château  '.  D'après  un  compte  établi 
par  l'archevêque  Richard,  les  pertes  subies  par  l'électorat  pendant 
la  guerre  s'élevaient  à  300,000  florins  d'or^ 

Ce  fut  ainsi  que  les  paisibles  habitants  du  pays  de  Trêves  firent 
l'expérience,  les  premiers  en  Allemagne,  de  ce  que  c'était  qu'une 
guerre  de  religion,  et  du  véritable  sens  qu'avait  cette  parole  :  «  Faire 
une  trouée  à  l'évangile.  » 


II 

Sickingen  "  avait  cédé  à  la  nécessité  >,  mais  son  orgueil,  sa  con- 
fiance dans  l'heureux  succès  de  sa  cause,  sa  haine  contre  «  les  loups 
spirituels  et  la  tyrannie  des  princes  restaient  indomptés  dans  son 
âme  ».  On  espérait  encore  parmi  les  siens  que  non-seulement  la  no- 
blesse, mais  les  villes  se  joindraient  à  lui.  Henri  de  Kettenbach, 
celui-là  même  qui  avait  rédigé  les  lettres  de  défi  adressées  à  Trêves, 
appelait  les  villes  libres  à  l'action  en  d'ardents  manifestes  :  «  Jamais  », 
leur  disait-il,  «  vous  n'avez  eu  de  plus  pressants  motifs  de  venir  en 
aide  à  la  noblesse.  Si  vous  vous  entêtez  à  la  desservir,  non-seulement 
vous  vous  ferez  du  tort  à  vous-mêmes,  mais  vous  nuirez  à  la  cause 
de  l'évangile  ^  »  Pendant  que  l'archevêque  Georges  de  Spire,  frère 
du  comte  palatin  Louis,  s'efforçait  de  conclure  un  accord  entre 
Sickingen  et  les  princes  alliés  de  Trêves,  de  la  Hesse  et  du  Palatinat, 
Sickingen,  vers  la  fin  d'octobre  1522,  sans  même  avoir  fait  aucune 
déclaration  de  guerre  préalable,  envahit  avec  ses  bandes  les  posses- 

>  "  Obsidionem  solvit,  in  reditu,  ut  ex  animo  totam  iram  effunderet,  omnem 
rejïionem  circa  igné  concremat,  sacra  quaeque  et  propbana  depopulatur,  vas- 
tat,  depilat  atque  ita  spoliis  onustus  ad  arces  suas  rediit.  '  Ilub.  Llodius,  p.  302. 
■'  Pendant  la  retraite  ,  dit  Strauss  (t.  Il,  p.  237),  pour  imiter  Ziska,  on  détruisit 
entièrement  par  l'incendie  des  cloîtres  et  des  églises!  Sur  la  haine  de  Siclcingen 
pour  les  prêtres,  on  lit  dans  Ilub.  Leodius,  p.  301  :  "  Acceplissimum  Deo  sacrifi- 
cium  sese  praeslitisse  credebat,  qui  suramo  opprobrio  foedaque  i{;Dominia  illos 
adfecisset.  »  —  Voy.  Wegtler,  p.  28-32. 

-  Ulmann,  p.'*301.  —  Bucboltz,  t.  II,  p.  105. 

'  Ein  Praclita  practiciil  aus  der  heiligen  Bibel  uffvicl  zukünftig  Jahr.  Selig  sind  die,  die 
ihr  wahrnehmen  und  darnach  richten,  Gott  will  selber  regieren  über  sein  Volk,  1523.  — 
Hagen,  t.  III,  p.  58. 


ENROLEMENTS    P  O  L' R    SICKINGEN.    1522.  255 

sionsducomte palatin,  dévastant  et  rançonnant  les  environsde  Kaisers- 
lautern '.  II  avait  cherché  et  trouvé  des  aUiés  dans  les  États  mêmes  de 
lÉlecteur,  en  Souabe,  et  jusqu'en  Bohême;  rilluminé  Ilartmuth  de 
Cronberg,  dont  les  princes  alliés  avaient  autrefois  capturé  le  château 
fort-,  et  le  chevalier  Jean  de  Fuchsfein,  docteur  endroit,  avaient 
activement  travaillé  à  lui  gagner  des  partisans  dans  ces  contrées.  Ce 
Fuclistein,  qui  chez  le  comte  palatin  Frédéric  avait  autrefois  rempli 
les  fonctions  de  chancelier,  était  un  homme  habile,  mais  d'un  esprit 
retors  et  vicieux  >,  dit  un  contemporain  digne  de  foi.  -  Chez  lui,  le 
droit  et  l'équitése  vendaient  à  beaux  deniers,  et  dès  qu'il  entrevoyait 
la  possibilité  d'un  g;iin,  il  savait  tourner  les  choses  comme  il  voulait. 
Outre  cela,  il  avait  un  méchant  renom;  ses  mœurs  étaient  corrom- 
pues, et  pourtant  il  était  dans  les  bonnes  grâces  du  prince,  car  sa 
langue,  admirablement  déliée,  savait  si  bien  colorer  et  dissimuler 
ses  vices,  que  beaucoup  se  méprenaient  sur  son  compte,  le  tenant 
pour  homme  d'honneur,  ce  que  pourtant  il  n'était  guère!  »  Nommé 
membre  du  Conseil  de  régence  par  le  lieutenant  impérial  Frédéric, 
Fuchstein  avait  adhéré  à  la  doctrine  luthérienne  et  soutenait  avec 
ardeur  les  intérêts  de  Sickingen  au  sein  du  Conseil.  On  trouva  des 
lettres  écrites  de  sa  main  adressées  à  Sickingen,  dans  lesquelles  il 
l'exhortait  «  à  prendre  courage,  parce  que  la  majorité  du  Conseil 
était  bien  disposée  en  sa  faveur  et  tout  inclinée  vers  lui,  et  que  le 
Conseil  verrait  avec  plaisir  le  moment  où,  grâce  à  son  initiative, 
l'orgueil  des  princes  serait  abattu  et  la  noblesse  allemande  délivrée 
de  son  intolérable  servitude^  .  Contraint  de  prendre  la  fuite  à  la 
suite  de  ses  intrigues,  Fuchstein  écrivait  de  Prague  à  Sickingen 
(1"  janvier  1523),  ^  qu'il  avait  reçu  de  Bohême  des  promesses  de 
secours,  et  qu'il  restait  dévoué,  à  la  vie  et  à  la  mort,  à  celui  qui  avait 
pris  en  main  la  cause  de  la  noblesse,  jurant  de  la  délivrer  de  son 
humiliation  et  d'abattre  l'insolent  orgueil  des  princes^  ■. 
En  Alsace,  dans  le  Sundgau,  le  Brisgau,  dans  les  comtés  de  Furs- 

'  Ulmann,  p.  317.  Lettre  de  l'électeur  Louis  au  conseil  de  Strasbourg  (15  jan- 
Yier  1523),  dans  Virck,  t.  I,  p.  66,  n"  113.  -  Avant  d'avoir  annoncé  la  guerre 
privée  ou  jeté  un  défi  quelconque  au  comte  palatin,  Franz  de  Sickingen  réso- 
lut une  belle  nuit  de  donner  l'assaut  au  château  de  Liitzelitein.  Mais  comme 
la  garde  de  la  place  eut  vent  de  ce  dessein  et  sut  l'empêcher,  il  se  porta  sur 
Kaiserslautern,  qu'il  rançonna  et  ravagea,  dévastant  par  le  pillage  et  l'incendie 
tous  les  villages  environnants.  '  Krieg  und  Fehdschafun  des  Edlen  Franzen  von  Sickin- 
gen, etc.  —  Voy.  Habels   Xacltlass,  t.  I,  p.  3. 

'  «  Les  trois  princes  se  rendirent  alors  avec  leurs  armées  devant  Cronberg, 
car  Harmuth  de  Cronberg  avait  non-seulement  prêté  assistance  à  Sickingen, 
mais  avait  en  personne  aidé  le  chevalier  à  attaquer  le  landgrave  et  à  ruiner  sa 
terre.  >  Voy.  notre  premier  volume,  p.  542.  —  Krieg  und  Fehdschafun,  etc.  Voy. 
la  note  précédente. 

'  Voy.  JÖRG,  p.  172-176.  —  Vogt,  p.  37. 

*  Voy.  Ulmann,  p.  322,  notes  2  et  3.  —  Stern,  Ztciilf  Artikel,  p.  49,  -  Illustrissimi 


256  LES    PRINCES    JUGES    PAR    LUTHER.    1522. 

temberg  et  de  Zollern,  on  enrôlait  pour  Sickingen  ';  on  lui  recrutait 
des  soldats  jusqu'en  Bavière*.  Il  avait  même  demandé  au  roi  de 
France  ^  aide,  consolation  et  argent'  ». 

Dans  tout  l'Empire  on  entendait  répéter  ce  refrain  : 

Je  m'appelle  Franz, 

Je  suis  Franz, 

Je  reste  Franz! 
Comte  Palatin,  chasse  moi  : 
Landgrave  de  Hesse,  évite  moi: 
Évèi|ue  de  Trêves,  tu  me  le  payeras! 
Évéi|ue  de  Mayence,  tu  en  seras  aussi! 
Attention!  Voyons  qui  sera  empereur  d'ici  à  un  an^! 

Tandis  que  tout  était  dans  l'attente  pleine  d'angoisse  des  événe- 
ments qui  se  préparaient,  Luther,  le  1"  janvier  1523,  publia  son 
traité  :  De  l'autorilé  temporelle  et  de  l'obéissance  qui  lui  est  due. 
Cet  écrit  était  rempli  des  attaques  les  plus  passionnées  contre  «  les 
princes  hostiles  à  l'évangile  «  qui  osaient  interdire  dans  leurs 
États  la  vente  de  ses  ouvrages  :  «  Le  Dieu  tout-puissant  a  ôlé  la 
raison  à  nos  princes,  en  sorte  qu'ils  se  croient  libres  d'agir  envers 
leurs  sujets  sel  )n  leur  caprice,  et  se  permettent  de  leur  commander 
ce  qui  leur  plaît.  A  leur  tour,  les  sujets  se  trompent  et  s'ima- 
ginent qu'il  faut  obéir  à  la  lettre.  •■  Les  princes  avaient  eu  l'audace 
d'interdire  aux  chrétiens  l'usage  de  certains  livres,  s'arrogeant 
un  droit  prétendu  sur  les  choses  de  la  conscience  et  de  la  foi; 
ils  avaient  été  assez  téméraires,  obéissant  à  l'inspiration  de  leur 
cerveau  malade,  pour  vouloir  mener  le  Saint-Esprit  à  l'école!  >'  Et 
comme  la  fureur  de  tels  insensés  peut  amener  la  ruine  de  la  foi 
chrétienne,  conduire  à  la  négation  de  la  parole  de  Dieu  et  au  blas- 
phème de  la  divine  Majesté,  je  ne  veux  et  ne  peux  plus  long- 
temps *,  ajoute-t-il,  -  assister  tranquillement  à  ce  que  font  mes 
seigneurs  et  mes  nobles  en  colère,  et  j'essayerai  du  moins  de  leur 
résister  par  la  parole;  car  si  je  n'ai  pas  redouté  leur  idole  de  pape, 
qui  menaçait  de  me  ravir  à  la  fois  et  mon  âme  et  le  paradis,  je 

principes  reliquique  imperii  ordines  -,  rapportaient  en  déceinljre  tô22  les  états 
rassemblés  à  Nuremberg  au  légat  du  Pape,  -  non  spernendis  ruraoribus  intel- 
lexere  Bohemos  exerciluin  parare  et  copias  facere  niilitares  animoque  mcdiri 
excursiones  et  oppugnationes  in  quosd.im  principes  Germanos  ip^is  tîniiimos. 
Unde  iisdem  principii)us  negotium  faciunt,  causamque  prel)ent,  se  vicissim  ad 
belli  apparatum  insliiuere  et  hnjusmodi  incucsiones  expectare  ».*  Responsuin 
nuntio  apostolico  datum  in  re  llungarica,  dans  les  Archives  de  Francfort,  Heichs- 
tagsacten,  t.  XXXVHI,  '' fol.  38-43. 

'  Ulminn,  p.  324. 

»JÖRG,  p.  69. 

'  Ulmann,  p.  324-325. 

*  UhlaND,  Uolksliedcr,  p.  955,  n"  81  -. 


LES    F' RINCES    JUGÉS    PAR    LUTHER.  257 

prouverai  à  tous  que  Je  crains  eacore  moins  ces  atomes,  ces  bulles 
d'eau  qui  menacent  de  m'ùtei*  laterreet  la  vie!  «  «  Dieu  veuille  qu'ils 
aient  sujet  de  se  courroucer,  et  que  les  iVocs  {jris  disparaissent  entiè- 
rement de  ce  monde!  »  "  En  Misnie,  en  Bavière,  dans  la  Marche  et 
autres  territoires,  les  tyrans  ont  donné  l'ordre  de  remettre  aux  juri- 
dictions tous  les  exemplaires  de  ma  traduction  du  Nouveau  Testa- 
ment'. Or,  dans  ces  circonslances,  voici  quel  est  le  devoir  des  sujets  : 
Pas  la  plus  petite  feuille,  pas  la  moindre  syllabe  des  évangiles  ne  doit 
être  livrée,  il  y  va  du  salut.  Celui  qui  obéirait  aux  tyrans  livrerait 
le  Chris!  entre  les  mains  d'Hérode,  et  serait  aussi  coupable  que  les 
bourreaux  du  Seigneur  et  qu'IIérodc  lui-même,  "  Dieu  -,  ajoutait-il, 
«  avait  permis  la  perfidie  des  princes,  il  avait  prévu  de  loute  éternité 
qu'ils  auraient  la  perversité  de  s'opposer  à  l'évangile.  »  "  Dieu  a  donné 
aux  princes  un  sens  perverti,  parce  qu'il  veut  en  finir  avec  eux,  aussi 
bien  qu'avec  les  nobles  d'Eglise.  »  «  Les  seigneurs  temporels  sont 
obligés  de  s'occuper  du  gouvernement  de  leurs  terres  et  de  leurs 
gens,  mais  ce  devoir,  ils  le  négligent.  Ils  ne  savent  que  tondre,  pres- 
surer, inventer  de   nouvelles  taxes,  accumuler  les  impôts.  Ils  ne 
s'entendent  qu'à  courir  tantôt  un  ours,  tantôt  un  loup,  et  tout  cela 
sans  que  le  droit,  la  loyauté,  la  vérité  aient  auprès  d'eux  le  moindre 
accès.  Ils  laissent  croître  le  nombre  des  scélérats  et  des  brigands,  de 
sorte  que  leur  manière  de  gouverner  est  tout  aussi  funeste  que  le 
gouvernement  des  tyrans  spirituels.  Aussi  Dieu  leur  ôte-t-il  le  bon 
sens,  et  les  voyons-nous  agir  contrairement  à  la  raison.  Tandis  qu'ils 
prétendent  gouverner  les  âmes,  le  clergé,  de  son  côté,  veut  gouver- 
ner temporellement.  Pleins  d'une  confiance  présomptueuse  en  eux- 
mêmes,  les  uns  et  les  autres  accumulent  ainsi  sur  eux  les  péchés  de 
leurs  frères,  la  haine  de  Dieu  et  de  tous  les  hommes;  ils  sombreront 
dans  la  même  nef  que  les  évêques,  les  clercs  et  les  moines,   un 
coquin  ira  avec  l'autre.  Voyant  que  les  choses  prennent  une  mau- 
vaise tournure,  ils  rejettent  tout  le  mal  sur  l'évangile;  au  lieu  de 
s'accuser,  ils   blasphèment,  et  répètent  que  notre  prédication  est 
cause  de  tout,  tandis  que  c'est  leur  malice  perverse  qui  a  provoqué 
la  colère  de  Dieu,  et  l'attire  encore  tous  les  jours  sur  nous.  Le  peuple 
romain  s'est  comporté  de  la  même  façon,  et  Dieu  l'a  retranché.  » 
«  Vois  ",  dit  Luther  à  son  lecteur,  "  tu  as  sous  les  yeux  le  juge- 
ment de  Dieu  sur  les  gros  bonnets.  Pour  eux,  ils  ne  s'aperçoivent 
de  rien.    Dieu  permettant  leur  aveuglement  pour  que   sa  justice 
sévère  ne  puisse  être  entravée  par  leur  pénitence.  "  "  Depuis  le 
commencement  du  monde  ',  dit-il  plus  loin,  ^  un  prince  sage  a  tou- 
jours été  un  oiseau  rare;  un  prince  pieux  est  chose  plus  introuvable 

1  Sur  les  motifs  de  celle  défense,  voy.  plus  haut,  p.  210-212. 

II.  n 


258  LES    PRINCES    JUGES    PAR    LUTHER.    i:)23. 

encore.  Généralement,  les  princes  sont  les  plus  grands  fous  ou  les 
pires  scélérats  de  toute  la  terre;  avec  eux  il  faut  toujours  s'attendre 
à  ce  qu'il  y  a  de  pire,  et  l'on  ne  peut  espérer  que  fort  peu  de  bien. 
Mais  c'est  surtout  dans  les  questions  religieuses,  qui  touchent  au 
salut  et  à  l'âme,  que  leur  stupidité  se  révèle.  Les  princes  sont  les 
exécuteurs  des  vengeances  de  Dieu;  ils  lui  servent  de  bourreaux  et  de 
geôliers,  et  son  divin  courroux  les  emploie  tantôt  à  punir  les 
méchants,  tantôt  à  garder  la  paix  au  dehors.  Notre  Dieu  est  un  fort 
grand  seigneur,  voilà  pourquoi  il  a  besoin  de  tant  de  nobles  et 
d'illustres  bourreaux,  et  de  tant  de  valets  de  bourreaux.  Mais  je 
voudrais  donner  un  loyal  conseil  à  ces  aveugles,  c'est  de  bien  médi- 
ter un  petit  verset  qui  les  concerne  tout  particulièrement  dans  le 
psaume  cvii  :  «  Dieu  »,  dit  l'Esprit-Saint,  '  a  déversé  son  mépris  sur 
les  princes.  ••  .Je  vous  jure  devant  Dieu,  princes,  prenez-y  garde,  que 
si  ce  petit  verset  venait  à  se  vérifier,  vous  seriez  perdus,  chacun  de 
vous  fû(-il  aussi  en  état  de  se  défendre  que  le  Turc.  Vous  aurez  beau 
vous  essouffler  et  vous  agiter,  cela  ne  vous  servira  de  rien,  une 
grande  partie  de  la  divine  prophétie  s'est  déjà  accomplie,  car  presque 
tous  les  princes  sont  aujourd'hui  regardés  comme  des  fous  ou  des 
scélérats.  L'homme  du  peuple  commence  à  ouvrir  les  yeux  et  devient 
attentif;  le  fléau  des  princes  continue  à  s'abattre  violemment  sur 
lui;  sois-en  sur,  les  princes  ne  pourront  éviter  la  colère  du  peuple 
que  s'ils  se  décident  enfin  à  se  conduire  princièrement  et  recom- 
mencent à  gouverner  avec  sagesse.  «  <=  On  ne  ))eut  plus,  on  ne  veut 
plus  supporter  davantage  votre  arrogance  et  votre  tyrannie,  chers 
princes  et  seigneurs!  Sougez-y  bien,  Dieu  ne  tolérera  pas  longtemps 
votre  conduite.  Le  monde  ne  marche  plus  maintenant  comme  autre- 
fois, lorsque  vous  pouviez  à  votre  guise  chasser  et  poursuivre  les 
gens  comme  un  vil  gibier  '  !  « 

Le  bruit  de  l'alliance  de  Luther  et  de  Sickingen  s'étant  répandu, 
Mélanchthon  le  démentit  avec  chaleur  :  -<  Sickingen  ",  dit -il  dans 
une  de  ses  lettres,  t  a  horreur  du  nouvel  évangile,  et  Luther,  de 
son  côté,  s'afflige  extrêmement  de  la  révolte  qu'excite  Sickingen  *.  " 
Mais  le  récent  écrit  de  Luther  n'était-il  pas  fait  pour  confirmer  les 
catholiques  dans  la  persuasion,  où  ils  étaient  depuis  longtemps,  que 
Luther  était  d'intelligence  avec  le  chevalier  brigand  ^? 

'  Sftmmtl.   Werke,  t.    XXII,  p.  59-105. 

*  Franciscus  a  Sickinfjen  magna  invidia  causam  Lutheri  degravat.  Qui  quam- 
quam  ab  hoc  alienissimus  sit,  tamen  ubi  bellum  suicepit,  statim  videri  voluit 
publicam  causam,  non  suam  agere.  Nunc  latrocinium  foedissimum  ad  Rhenum 
exercet.  •  «De  fide  doctrinae  deque  integritate  Lulheri  noli  quidquam  dubitare. 
Scio  quam  doleat  ei  bic  tuumltus.  •  Lettre  des  1"  et  2  janvier  1523,  dans  le  Corp. 
Reform.,  t.  I.  p.  598-599. 

'  L'archevêque  de  Trêves  imputait  à  Luther  l'entreprise  criminelle  de  Sickin- 
gen,   et   le   délégué    du    duc   Georges   écrivait    le    19  [décembre    1522   à  son 


MOUVEMENTS    P  O  I' U  L  A  I  1.  E  S  .  253 

Le  duc  Georges,  iodigné  du  libelle  injurieux  el  révolulionnaire 
de  Luiher,  se  tourna  vers  Frédéric  de  Saxe,  le  pressant  de  sévir 
contre  le  coupable.  Mais  rÉIecteur  lui  répondit  i:  (|u'aiusi  que  tous 
le  savaient,  il  ne  l'avait  jamais  protégé,  et  ne  se  mêlerait  pas  davan- 
tage de  sa  querelle  à  cause  de  ce  petit  livre;  le  duc,  eu  bonne  con- 
science, ne  pouvait  l'exiger  de  lui  -.  Le  Conseil  de  régence,  qui 
siégeait  alors  à  Nurember^j  et  auquel  Georjjes  eut  également  re- 
cours, répondit  à  son  tour  --  qu'il  ne  savait  en  cette  circonstance 
({uel  avis  donner,  mais  que  cependant  il  engageait  fortement  le 
duc  à  ne  pas  prolonger  plus  longtemps  ses  différends  avec  Lui  lier  • .  » 
(21  mars  1523). 

'  Cette  attilude  des  autorités  explique  amplement  ;,  écrivait 
Charles  de  Bodmann,  ^  qu'en  Allemagne  toutes  les  calomnies  contre 
l'autorité  temporelle  et  spirituelle  paraissent  légitimes.  Un  tient 
pour  certain  que  les  princes  ne  sont  plus  assez  forts  pour  résister 
à  la  fureur  populaire  qui  les  menace*. 

Léonard  d'Eck,  chancelier  de  Bavière,  écrivait  à  son  maître  le  duc 
Guillaume,  en  lui  rendant  compte  de  la  manière  dont  Luther  instrui- 
sait le  peuple  touchant  ses  devoirs  envers  l'autorité  :  'i  Le  docteur 
Luther  a  composé  et  fait  imprimer  en  allemand  un  livre  où  il  expose 
la  conduite  que  les  sujets  doivent  tenir  envers  leurs  souverains.  11 
y  appelle  les  princes  temporels  des  niais,  des  fous,  des  scélérats,  des 
païens;  il  les  traite,  en  un  mot,  d'une  faron  sanglante.  Il  les  nomme 
ouvertement  des  tyrans,  particulièrement  ceux  de  Misnie,  de  Bavière 
et  de  la  Marche;  il  les  attaque  en  particulier  sur  les  impôts  et  les 
taxes,  dont,  selon  lui,  ils  accablent  leurs  subordonnés.  Luther  a 
résolu  de  soulever  les  sujets  contre  leurs  gouvernants,  de  sorte  que 
si  jamais  les  princes  ont  eu  de  bons  motifs  pour  faire  bonne  garde, 
c'est  à  présent.  Il  ne  s'agit  plus  de  rire  et  de  se  contenter  d'un  peu 
de  vent  dans  ses  voiles.  «  -  Que  Vos  Grâces  réfléchissent  à  ce  qui  se 
trame  en  ce  moment  sur  beaucoup  de  points  de  l'Empire.  On  a 
imprimé  un  petit  livre  adressé  à  l'homme  du  peuple,  où,  à  ce  que 
l'on  m'affirme,  on  lui  conseille  de  rejeter  loin  de  lui  le  joug  qui 
lui  pèse  et  que  lui  ont  imposé  jusqu'à  ce  jour  rois,  princes  et  sei- 
gneurs. On  lui  démontre  qu'en  se  révoltant  il  fera  une  œuvre  pie,  et 
tout  cela  vient  de  ce  misérable  Luther  et  du  parti  de  Franz  de  Sic- 
kingen.  »  «  Je  le  répète,  si  jamais  un  effroyable  Bundschuh  a  été  à 
redouter,  c'est  maintenant-'.  « 

maître  :  "  Votre  Grâce  voit  assez  que  le  moine  diabolique  et  Franciscus  de 
Sickingen  ne  sont  qu'une  même  chose.  •  Ulmxnn,  p.  344,  note  1. 

'  Seidemann,  Erläuterungen  zur  liiformationsgeschichle ^  p.  67-70. 

•  Voy.  plus  haut,  p.  162,  note  ô. 

'  Dans  JÖRG,  p.  61. 

17. 


260  M  0  ü  V  E  M  E  N  T  S    P  0  P  U  L  A  I  R  E  S . 

On  se  demandait  avec  une  «  singulière  angoisse  »  si  Franz  de 
Sickiogen  n'avait  pas  conclu  un  traité  secret  avec  le  duc  Ulrich  de 
Wurtemberg,  prince  jadis  proscrit  de  ses  propres  États  par  la  ligue 
souabe,  et  qui,  depuis  ce  temps,  s'était  associé  à  la  plus  vile  popu- 
lace. On  craignait  que  Franz  ne  l'eût  attaché  à  son  parti  en  lui  pro- 
mettant de  l'aider  à  reconquérir  son  duché.  Ulrich,  de  son  château 
de  Hohentwiel,  dans  le  Hegau,  ne  cessait  d'ourdir  «  de  vastes  com- 
plots ».  Pendant  l'automne  de  1522,  on  avait  vu  flotter  sur  les 
tours  de  son  château  une  bannière  blanche  où  était  peint  un  Bundschuh 
d'or  entouré  de  rayons  lumineux,  avec  cette  devise  :  u  Que  celui 
qui  veut  être  libre,  marche  vers  ce  soleil!  "  Voici  comment  le  Con- 
seil de  régence  autrichien,  sous  la  tutelle  duquel  était  placé  le 
Wurtemberg,  mettait  en  garde  les  habitants  de  la  forêt  Xoire  contre 
les  agissements  du  duc  :  ^-  Invoquant  un  prétexte  menteur  de  liberté, 
Ulrich  ne  songe  qu'à  ramener  les  simples  et  les  ignorants  sous  le 
joug  si  pesant  de  sa  domination;  il  veut  les  remettre  dans  l'ancienne 
servitude.  Tout  homme  de  bon  sens  pourra  facilement  se  rendre 
compte  que  son  intention  et  celle  de  ses  compagnons  ne  sont  pas  et 
ne  sauraient  être  de  donner  la  liberté  ;  il  ne  veut  qu'enlever  tous 
leurs  avantages  à  ceux  qui  avec  beaucoup  de  peine  ont  amassé  un  peu 
de  bien,  car  c'est  toujours  ainsi  que  se  terminent  ces  Bundsc/iu/i  mau- 
dits. Ulrich  et  les  siens  se  proposent  de  détruire  la  hberté  partout 
où  elle  a  pu  s'établir,  de  sorte  que  s'il  venait  à  réussir,  les  petits 
feraient  l'amère  expérience  d'un  esclavage  beaucoup  plus  rude  que 
celui  du  passé.  ='  '■  Le  pauvre  peuple  se  soulève  de  tous  côtés  :-, 
mandait  le  Conseil  à  l'archiduc  Ferdinand;  «  il  est  altéré  de  hberté, 
refuse  de  payer  les  laxes,  et  réclame  sa  part  des  biens  de  ceux  qui 
possèdent.  »  Le  Conseil  pressait  l'archiduc,  pendant  qu'il  en  était 
temps  encore,  et  avant  que  le  mouvement  populaire  ne  prit  le  des- 
sus, d'envoyer  promptement  des  secours,  afin  que  la  révolte  ne 
trouvât  pas  le  pays  sans  défense'. 

Les  princes  alliés  de  Trêves,  de  la  Hesse  et  du  Palatinat  se  plai- 
gnaient de  leur  côté  au  Conseil  de  régence  de  ce  que  Sickiogen  et 
ses  partisans  excitaient  le  peuple  à  la  révolte,  le  détournant  du  res- 
pect qu'il  devait  à  ses  princes  et  ne  négligeant  rien  pour  le  gagner*. 

'  Voy.  Zimmermann,  t.  II,  p.  39-43.  Stalin,  t.  IV,  p.  254-255. 

*'  Voyez  le  passage  qui  concerne  la  requête  des  trois  princes  au  Conseil 
(Ulmann,  p.  333,  note  ,  Archives  de  Francfort,  Reichsiagsacien,  t.  XXXVII,  fol.  94''. 
La  date  du  jour  où  cette  requête  fut  présentée  ressort  d'une  lettre  écrite  au 
délégué  de  Francfort,  Hamann  de  Holzhausen  (12  janvier  1:23  ,  où  il  annonce 
que  l'évéque  de  WùrzLourg  a  demandé  la  permission  de  quitter  Nuremberg, 
parce  que  la  plupart  de  ses  gens  de  service  menaçaient  de  se  réunir  à  Sickingen. 
L'évéque   craignait   d'être  assailli  par   Franz.    «   Dans  toutes  les  directions  de  son 


LES    PUINCES    CONTRE    SITKINGEN.    1522-1523.  261 

Vers  la  fin  de  septembre  1022,  les  Irois  princes  s'unirent  dans  le 
dessein  de  s'opposer  cnergiqiicmcnt  à  Sickinfyen.  Ils  se  proposaient 
d'arracher  du  sol  allemand      la  mauvaise  semence  ",  de  rendre  à 
l'Empire  la  paix,  l'union,  et  d'assurer  la  sécurité  de  ceux  qui  pos- 
sèdent'.  Le   duc    (ieorjjes   insistait  depuis   bien   lonjjtemps   pour 
qu'avant  tout  «  on  détruisit  les  nids*  y.  «  (Juand  bien  même  •',  disait- 
il,  «  l'Kmpire,  durant  toute  une  année,  et  même  pendant  deux  ans, 
devrait  laisser  une  armée  eu  permanence  devant  l'un  des  châteaux 
torts  des  brigands  chevaliers,  un  tel  sacrifice  serait  encore  préférable 
à  l'angoisse  où  nous  vivons  perpétuellement,  tremblant  à  chaque 
instant  de  voir  éclater  l'insurrection.  On  éviterait  ainsi  beaucoup  de 
dépenses,  les  intérêts  de  la  paix  seraient  mieux  servis,  et  cette  cam- 
pagne serait  tout  aussi  nécessaire  et  méritoire  que  l'expulsion  des 
Turcs  de  Jérusalem^  »  Le  margrave  Joachim  de  Brandebourg  récla- 
mait aussi  avec  instance  la  répression  de  Sickingen,  qu'il  appelait 
«  le  Turc  de  l'intérieur,  toujours  sur  le  point  d'attaquer,  aujour- 
d'hui tel  prince,  demain  tel  autre' n.  Enfin  les  trois  princes  alliés, 
voyant  qu'ils  n'obtenaient  aucun  secours  de  l'impuissant  Conseil, 
dont  quelques  membres  allaient  même  jusqu'à  favoriser  en  secret 
les  plans  de  Sickingen,  se  joignirent  à  la  ligue  souabe  qui  se  pré- 
parait de  son  côté  à  marcher  contre  les  chevaliers  brigands  de  Fran- 
conie.  Le  lieutenant  impérial,   l'archiduc  Ferdinand,  et  les  Ordres 
réunis  à  la  diète  de  Nuremberg,  s'efforcèrent  eu  vain  de  ramener 
Sickingen  à  la  raison,  de  l'incliner  vers  la  paix  :  il  ne  voulut  entendre 
parler  d'aucune  concession,  et  déclara  aux  parlementaires  envoyés 
vers  lui,  qu'il  se  regardait  comme  l'instrument  choisi  du  Seigneur; 
qu'il  avait  reçu  de  Dieu  même  la  mission  de  châtier  le  clergé,  qu'il 
attendait  de  France  et  d'Allemagne  de  puissants  renforts,  résolu 
qu'il  était  d'obéir  à  l'ordre  qu'il  avait  reçu  du  cieP. 
Mais  il  avait  des  illusions  profondes  sur  les  forces  dont  il  pou- 

évéchc,  des  soulèi^cmsnts  étaient  à  crainire,  ainsi  que  les  dépêches  le  lui  marquaient.  • 
Reichsiagsactev,  t  XXW'II,  fol.  10.  «  Une  révolte  de  paysans  faisant  redouter  un 
Bundschuh  semblait  imminente  dès  le  mois  de  novembre  1522.  "  Voy.  la  lettre 
de  Holzhausen  du  jeudi  après  Elisabeth  (20  novembre  1522),  dans  les  Reichsiags- 
acten.  t.  XXXVI,  fol.  84. 

'  Voy.  ULM.iNN,  p.  305,  .352-353.  ' 

*  Des  violateurs  de  la  paix. 

'  Lettre  de  Georges,  8  septembre  1522,  dans  Ulmanx,  p.  275-276. 

*  Voy.  IJROYSEN,  2'',  p.  108. 

*  Réponse  de  Sicl^ingen,  daiis  Kilian  Leib,  t.  TX,  p.  1039.  «  Franciscus  de 
sua  fide,  de  Evangelii  amore  deque  justitia  sua  sibi  placens  et  gloriabundus,  ut 
Lutheraiii  soient,  respondit  :  a  saeculis  semper  fuisse  aliquem,  quo  Deus  quasi 
instrumento  usus  peccatis  lasciviens  mortalium  genus  attriverit  :  persuasura 
sibi  esse,  quo  Deus  veluti  flagello  Ecclesiasticorum  petulantiam  velit  caedere, 
affuturam  sibi  ex  Germania  atque  Gallia  bellatorum  non  contemnendara  raanura, 
decretum  sibi  id  exequi,  ad  quod  se  Deus  elegerit.  . 


262  CAMPAGNE    C  0  N 'I  11 E    SICKINGEN.    1523. 

vait  disposer.  Luther,  dès  le  début,  avait  mal  auguré  de  l'entre- 
prise '.  Lorsque  vint  le  moment  décisif,  ses  alliés  lui  manquèrent 
de  parole.  Il  s'était  flatté  de  voir  la  noblesse  du  Palatinat,  de  la 
Hesse,  de  l'archevêché  de  Trêves,  se  soulever  simultanément  et 
venir  se  joindre  à  lui,  mais  il  fut  amèrement  déçu.  Le  plan  de 
campagne  des  princes  était  conçu  avec  beaucoup  de  sagesse.  Dès 
avril  1523,  ils  se  portèrent  vers  Landstuhl,  le  château  fort  de  Sic- 
kingen.  Ils  voulaient  "  surprendre  l'oiseau  au  nid  »,  car  Sickingen 
s'était  retranché  dans  cette  place  pendant  que  son  fils,  Schwicker, 
était  allé  presser,  chez  le  comte  Eitelfritz  de  Zollern,  l'envoi  de 
troupes  assez  considérables  pour  faire  lever  le  siège.  Le  29  avril, 
l'assaut  commença  avec  une  incroyable  furie.  Dès  le  troisième  jour, 
Sickingen  fut  blessé  mortellement  par  un  débris  de  poutre  qui  lui 
ouvrit  tout  le  côté,  ;<  de  sorte  que  le  poumon  et  le  foie  furent  rais 
à  jour  ".  Le  château,  criblé  de  boulets,  n'était  plus  qu'un  amas  de 
ruines,  et,  désespérant  de  la  victoire,  les  assiégés  capitulèrent 
(6  mai  152.3).  Sickingen  mourant  avait  été  transporté  dans  une 
grotte  de  rochers,  proche  du  château,  «  Où  sont  maintenant  tous 
mes  amis  >•,  répétait-il  avec  amertume;  "  où  sont  les  seigneurs 
d'Arnberg,  de  Fürstenberg,  de  Zollern,  les  Suisses,  mes  alliés  de 
Strasbourg,  et  tous  les  amis  de  la  «  fraternité  >;,  qui  m'avaient  tant 
promis  et  m'ont  si  mal  tenu  parole?  One  personne  désormais  ne  se 
confie  donc  en  ses  grands  biens  et  ne  s'appuie  sur  la  consolation  et 
les  promesses  des  hommes!  n 

De  quels  éléments  était  composée  cette  '  fraternité  v,  dont  parlait 
le  mourant?  On  l'ignore ^ 

Le  7  mai,  les  princes  firent  leur  entrée  dans  le  château.  Ils  visi- 
tèrent Sickingen  en  son  abandon  et  sa  détresse.  A  la  question  de 
l'archevêque  de  Trêves  :  «  Franz,  quel  motif  a  pu  te  pousser  à  me 
faire  un  tel  dommage,  à  moi  et  à  mes  pauvres  hommes?  »  le  mori- 
bond répondit  :  «  11  y  aurait  beaucoup  à  dire  sur  ce  sujet!  Je  n'ai 
pas  agi  sans  motif!  >•  Après  que  les  princes  se  furent  retirés,  Sic- 
kingen se  confessa  à  son  chapelain,  et  tandis  que  celui-ci  allait 
chercher  le  saint  viatique,  il  rendit  l'esprit  ^  «  Aussitôt  que  l'âme  de 
Sickingen  eut  quitté  ce  monde    i-,   rapporte  Spalatin,   ;'  quelques 

'  -  Franciscus  Sickingen  »,  écrivait-il  le  U)  décembre  1522  à  Wenceslas 
Link,  «  Palatino  bellum  indixit,  res  pessima  futura  eit.  »  Vov.  de  Wette,  t.  II, 
p.  265. 

^  Des  documents  nombreux,  établissant  l'existence  d'une  vaste  conspiration 
de  nobles,  furent  détruits  après  la  prise  d'Ebernbourg;  on  craignait  d'irriter  de 
nombreux  et  secrets  adversaires.  Voy.  Rommel,  t.  II,  p.  64. 

*  Pour  plus  de  détail,  voy.  Ulmann,  p.  361-385.  —  Pour  ce  qui  concerne  la 
guerre  faite  par  les  princes  à  Sickingen  et  les  derniers  moments  du  chevalier,. 
Ulmann  a  suivi  les  sources  les  plus  dignes  de  foi,  laissant  de  côté  avec  raison  les 
embellissements  de  la  chronique  de  Flersheim. 


DÉFAIT  K    DE    SICKINtiEN.    1523.  2  63 

paysans,  aidés  des  cuisiniers  du  landgrave,  firent  entrer  son  corps 
(le  force  dans  un  vieux  coffre  qui  avait  jadis  servi  à  serrer  les 
harnais  et  les  liabils;  on  fut  oblige  de  j)lojer  la  tele  et  les  genoux 
pour  Vy  foire  tenir.  Le  coffre  fut  ensuite  tlescendu  avec  une  corde 
le  long  des  flancs  de  la  montagne.  On  l'enlerra  dans  une  petite  cha- 
pelle, proche  de  Landstuhl  '.   ^ 

"  Ainsi  finit  l'homme  qui  avait  fait  trembler  tout  l'Empire  ro- 
main si  peu  de  temps  auparavant*  -,  dit  Spalatin.  c  Si  Dieu  ne  l'eût 
rappelé  »,  lisons-nous  dans  une  chronique  de  Bâle,  -  il  aurait  attiré 
de  grands  désastres  sur  les  princes,  et  eilt  été  en  Allemagne  ce  que 
.lean  Ziska^a  été  en  Bohème.  «  "  Dieu  est  un  juste  juge,  mais  un 
juge  surprenant!  "  s'écria  Luther  avec  découragement  en  apprenant 
1.1  mort  du  chevalier*.  Frédéric  de  Saxe  écrivait  de  sou  côté  à  Spa- 
latin :  .(  Que  Franz  de  Sickingen,  auquel  Dieu  fasse  paix,  ait  ainsi 
péri  de  corps  et  de  biens,  c'est  véritablement,  et  selon  nos  pauvres 
pensées  humaines,  une  nouvelle  étrange  à  ouïrM  » 


III 


Au  dire  de  Spalatin,  les  catholiques  se  seraient  écrié  après  la 
défaite  de  Sickingen  :  «  L'Empereur  postiche  est  mort,  on  sera  bien- 
tôt débarrassé  de  l'antipape"!  >  Luther,  en  effet,  tomba  gravement 

'  OEuvres  posthumes  de  Spalatin,  p.  180.  Voy.  de  Weech,  BericlUe  über  Franz  von 
Sickingen's  Ende^  dans  les  Forsciiungen  iur  deutschen  Geschichte,  t.  XVIII,  p.  649-656. 
Dans  une  chanson  de  lansquenet,  on  lit  à  propos  de  la  défaite  de  Sickingen  ; 

Les  princes  étaient  pleins  d'entiain, 

Ils  tirèrent  si  bien  sur  le  château 

Qu'ils  atteignirent  Franz: 

Son  noble  s:ing  fut  répandu: 

Je  ne  l'oublierai  pas,  je  ne  l'oublierai  pas  ! 

Il  a  aim^  tous  les  lansquenets. 

Il  les  avait  bien  équipés. 

Chantons  ses  louanges; 

Ce  qu'il  a  semé  n'est  pas  perdu, 

La  bemence  ne  périra  pas,  elle  ne  périra  pas  : 

Voyez  I.IL1ENCR0NE,  t.  III,  p.  418. 

*  Spalatin's  Annalen  dans  Menckev,  Script.^  t,  II,  p.  622. 

'  •  Quem  si  Deus  non  tulisset  e  medio,  graviora  damna  principibus  fuerat  illa- 
turus  quam  olim  .loaimes  Zischa  regno  Bohemorum.  Basier  Chrojulcen,  t.  I, 
p.  385.  L'ambassadeur  de  Venise  Contarini  porte  sur  Sickingen  le  jugement  sui- 
vant dans  sa  description  de  1  état  de  l'Allemagne  :  «  Ultimameute  poi  ha  rovi- 
nato  Francesco  de  Sickingen,  il  quale  era  un  signorotto  capo  de'  lutherani, 
ladro  di  strada,  e  capo  de'  gentiluomini  poveri,  inimici  del  viver  quieto.  > 
Dans  Alberi,  t.  II,  p.  20. 

*  •  Deus  justus,  sed  mirabilis  judex.  •  Lettre  à  Spalatin;  vov.  de  Wette,  t.  Il, 
p.  340. 

*  Spalatin,  Friedrich  des  Weisen  Leben,  p.  192. 
"  Spalatin's  Annalen,  p.  625. 


264  DERNIÈRES    ANNEES    DULRICll    DE    UUTTEN. 

malade  à  ce  moment  même.  La  chute  d'un  des  premiers  et  des  plus 
puissants  soutiens  du  parti  luthérien  effraya  et  affligea  grandement 
les  amis  des  nouvelles  doctrines  :  «  Je  ne  puis  te  dire  »,  écrivait 
Martin  Bucer  à  Zwingle  (9  juin  1523),  ^  combien,  enhardis  par  la 
mort  d'un  seul  homme,  les  monstres  du  papisme  relèvent  à  présent 
leurs  cornes!  L'Antéchrist,  sachant  bien  qu'il  lui  faudrait  périr  si, 
par  les  efforts  de  Sickingen,  l'évangile  était  de  nouveau  annoncé  au 
monde  dans  toute  son  intégrité  et  pureté,  n'a  rien  négligé  pour  le 
perdre.  -  •■  Nous  avions  fondé  de  grandes  espérances  sur  lui,  mais 
déjà  son  œuvre  chancelle  et  tombe  »,  écrit  à  Zwingle  avec  douleur 
Otto  Brunfeld,  ;=  et  non-seulement  son  œuvre,  mais  celle  de  tous 
les  amis  de  l'évangile.  Notre  Hütten  est  en  mauvais  point,  et  nous 
autres  devons  nous  attendre  à  être  bientôt  battus  de  tous  les  côtés. 
Nous  deviendrons  l'objet  de  la  risée  générale,  et  j'ai  le  pressenti- 
ment d'une  catastrophe  imminente'.  »  "  Aucun  des  princes  ou  des 
pharisiens  ' ,  dit-il  ailleurs,  "  ne  croit  à  l'évangile.  »  Hulten,  de  son 
côté,  tremblait  que  les  princes  n'aient  tramé  quelque  vaste  complot 
contre  la  nouvelle  doctrine  :  «  Partout  ';,  écrit-il,  ;t  nos  ennemis 
triomphent  et  régnent-.  '> 

Craignant  que  les  princes  ne  lui  fissent  subir  le  châtiment  bien 
mérité  de  ses  intrigues  révolutionnaires,  Hütten  s'était  hâté  de 
quitter  Landstuhl.  Vers  la  fin  de  1.522  il  arrivait  à  Bâle,  fugitif,  sans 
ressources,  torturé  par  la  maladie.  11  avait  des  amis  dans  la  ville,  et 
comptait  particulièrement  sur  l'appui  d'Érasme,  son  ancien  maître, 
son  guide,  «  son  Socrate  ».  Mais  entretenir  des  relations  avec  les 
malheureux  n'entrait  point  dans  les  axiomes  de  philosophie  pra  - 
tique  d'Erasme;  renouer  des  liens  d'amitié  avec  Hütten  eût  été  se 
compromettre  vis-à-vis  de  ses  puissants  protecteurs  ;  puis,  comme 
il  le  craignait  à  bon  droit,  cette  générosité  d'âme  eût  été  fatale  à  sa 
bourse.  Érasme  s'était  jadis  complu  à  se  représenter  sous  les  traits 
d'un  sage  du  christianisme  :  ';  La  propriété  -,  avait-il  dit,  «  n'est  pas 
interdite  aux  seuls  moines,  mais  à  tous  les  chrétiens.  La  charité  doit 
rendre  tout  commun  entre  frères,  et  celui  qui  ne  soutient  pas,  selon 
les  ressources  dont  il  peut  disposer,  son  prochain  tombé  dans  la  dé- 
tresse, peut  et  doit  être  considéré  comme  possédant  injustement  un 
bien  qui  ne  lui  appartient  pas*.  "  Mais  Hütten,  dans  son  malheur,  ne 
s'aperçut  point  qu'Érasme  songeât  à  mettre  en  pratique  de  si  admi- 

'  Zwinglii  Op.  VII.  p.  269-273. 

-  Voy.  Hagen,  t.  III,  p.  63. 

2  '  Proprielateni  christiana  charitas  non  novir.  =  «  Tu  credebas  solis  monachis 
interdictam  esse  proprietatem?  indictam  pauperlatem?  Errasti,  utrumquead 
omnes  christianos  pertinet,  etc.  >   Voy.,  sur  ces  passages  et  d'autres  analogues, 

WlSKBMA.NN,  p.   10-11. 


ÉRASME    ET    HÜTTEN.    1523.  265 

rables  maximes.  Froid,  indiCférenI,  il  repoussa  le  chevalier  vaincu 
et  malade,  et  lui  fit  dire  qu'il  se  jjardàt  bien  de  le  mettre  dans  un 
pénible  embarras  par  sa  visile.  Il  écrivait  à  l'un  de  ses  amis  qu'il  ne 
souhaitait  pas  voir  Hütten;  qu'il  lui  voudrait  du  bien  aussi  long- 
temps que  Hütten  s'en  voudrait  à  lui-même,  mais  qu'il  avait  autre 
chose  à  faire  qu'à  s'occuper  de  lui'.  Blessé  au  vil,  Hütten  considéra 
dès  lors  Érasme  comme  un  apostat  de  l'évangile,  et,  dans  un  libelle 
amer,  déversa  sur  lui  son  ressentiment  et  sa  colère.  «  Quel  peut 
être  ",  se  demande-t-il,  ^'.  le  mobile  d'une  telle  apostasie?  Érasme 
envie-l-il  la  gloire  de  Luther?  Est-il  dominé  par  la  crainte  pusilla- 
nime des  vainqueurs?  A-t-il  été  acheté,  ou  réellement  Érasme  aurait- 
il  changé  de  conviction?  »  «  Tant  de  princes  conjurés  contre  l'évan- 
gile ",  dit-il  encore,  ^  le  font  désespérer  du  succès  de  notre  cause; 
dès  lors,  il  trouve  prudent  de  rompre  avec  elle,  et  cherche  à  obte- 
nir par  tous  les  moyens  la  faveur  des  grands.  Érasme,  en  rendant 
aux  princes  un  service  signalé,  songe  à  faire  d'eux  ses  obligés,  aussi 
médite-t-il  un  livre  contre  nous.  Oh!  le  triste  spectacle!  Érasme 
s'est  livré  au  Pape!  Adrien  lui  a  ordonné  de  ne  pas  tolérer  que  le 
respect  dû  au  Siège  apostolique  reçût  quelque  atteinte,  et  aussitôt 
Érasme  entre  en  lice;  déjà  il  a  porté  de  rudes  coups.  Ouelle  trans- 
formation! î)  «  Autrefois,  il  est  vrai,  il  a  travaillé  dans  le  même  but 
que  Luther  et  que  moi,  et  si  la  plus  grande  partie  de  ses  écrits  est 
destinée  à  lui  survivre,  tout  homme  attentif  au  fond  de  la  question 
plus  qu'aux  paroles,  le  comptera  parmi  les  adhérents  de  ce  même 
évangile  qu'il  se  prépare  maintenant  à  combattre.  Oui,  en  dépit 
de  ses  efforts,  par  ses  premiers  écrits,  il  comptera  toujours,  même 
après  son  apostasie,  parmi  les  champions  de  l'évangile  et  les  adver- 
saires de  la  tyrannie  romaine  *.  " 

Érasme  publia  aussitôt  sa  réponse,  intitulée  :  Eponge  pour  essuyer 
les  éclaboussu7-es  de  Hvtten\  Il  y  attaquait  sans  aucun  ménagement  la 
conduite  et  le  caractère  de  son  ancien  ami,  ne  se  faisant  même  pas 
scrupule  de  railler  sa  détresse.  Avec  pleine  raison,  d'ailleurs,  il 
offrait  Hütten  en  exemple  à  la  jeunesse;  mais  quel  jour  ne  jetait-il 
pas  sur  son  propre  caractère  lorsque,  à  propos  de  ce  même  homme 
dont  il  avait  été  pendant  tant  d'années  le  plus  intime  ami,  qu'il 


'  STRAtss,  t.  Il,  p.  263-265.  —  Dans  une  lettre  à  Mélanchthon,  Érasme  dit  en 
parlant  de  Hütten  :  <  Ille  egens  et  omnibus  rebus  destitulus,  quaerebat  nidum 
aliquem,  ubi  moreretur.  Erat  mihi  jjloriosus  ille  miles  cum  sua  scabie  in  aedes 
recipiendus,  simulque  recipiendus  ille  chorus  titulo  Evangelicorum,  sed  titulo 
duntaxat.  Sietstadii  muictavit  omnes  sues  amicos  aliqua  pecunia.  .lam  amaru- 
lentiam  et  glorias  hominis  nemo,  quamvis  patiens,  ferre  poterat.  •  Corp.  Reform., 
t.  I,  p.  667. 

*  Voy.  Strauss,  t.  II.  p.  281-288.  —  Hagex,  t.  III,  p.  63-72. 

'  Spongia  Erasmi  adver  sus  adspergincs  HulUni,  1523. 


266  ÉRASME    ET    HI  TT  EN.    1523. 

avait  loué  et  célébré  à  la  face  du  monde  entier,  il  écrivait,  au  moment 
où  la  tombe  venait  à  peine  de  se  fermer  sur  lui,  des  lignes  comme 
celles-ci  :  «  On  voit  de  par  le  monde  certains  hommes  entretenir  et 
flatter  leurs  mauvais  penchants  dès  le  début  de  leur  vie;  ils  mettent 
leurs  passions  et  leurs  excès  sur  le  compte  de  la  jeunesse;  ils  tiennent 
le  jeu,  la  prodigalité  excessive,  pour  de  nobles  amusements.  Mais 
pendant  ce  temps  les  revenus  s'en  vont,  les  dettes  grossissent,  la 
réputation  dépérit,  la  faveur  des  princes,  de  la  bienfaisance  desquels 
on  vivait,  s'évanouit;  bientôt  le  besoin  conduit  au  vol;  on  com- 
mence par  y  recourir  sous  prétexte  de  guerre,  puis,  rien  ne  pouvant 
combler  l'abîme  des  dettes,  pas  plus  que  l'eau  ne  pouvait  remplir 
le  tonneau  percé  des  Danaides,  on  se  permet  de  méchants  tours,  et 
dès  qu'il  s'agit  de  happer  quelque  butin,  on  ne  fait  plus  aucune  dif- 
férence entre  amis  et  ennemis.  Enfin  la  passion,  comme  un  cheval 
emporté  qui  jette  son  cavalier  par  terre,  précipite  brusquement  dans 
la  ruine  celui  qui  lui  a  trop  obéi'.  -  Érasme,  en  cette  même  satire, 
range  Hütten  parmi  les  hommes  ^-  qui,  sous  prétexte  d'évangile,  n'a- 
gissent qu'en  vue  du  butin  et  du  pillage,  se  croient  autorisés  à 
détrousser  les  passants  sur  la  grand'route,  et  après  avoir  dissipé  leur 
bien  avec  les  filles,  le  vin  et  le  jeu,  jettent  le  défi  à  tous  ceux  dont 
ils  espèrent  tirer  quelque  argent-.  -^ 

Quant  à  sa  propre  attitude  vis-à-vis  de  l'Église  et  du  parti  luthé- 
rien, quant  au  fond  même  de  la  question  religieuse,  Érasme,  dans 
ce  pamphlet,  donne,  suivant  sa  coutume,  des  explications  fort 
vagues  et  tortueuses.  Pour  assurer  le  triomphe  pacifique  de  Tévan- 

>  Voy.  Strauss,  t  II.  p.  331-3:32. 

^Visant  particulièrement  Uutten,  Érasme  dit  à  un  autre  endroit  :  <  qu  il  voit  à 
la  vérité  beaucoup  de  luthériens,  mais  peu  d'évangélistes.  Si  llutten  connaissait 
des  gens  qui,  au  lieu  de  fréquenter  le  vin,  les  filles  ou  les  dés,  se  délectassent 
dans  la  lecture  de  la  sainte  Ecriture  et  dans  les  entretiens  pieux;  qui,  ne  trom- 
pant personne  sur  l'argent  qui  leur  était  dû,  sussent  dépenser  libéralement  ce 
qu'ils  n'étaient  pas  obligés  de  donner  aux  nécessiteux;  qui,  au  lieu  d'injurier 
ceux  qui  ne  leur  avaient  fait  aucun  mal,  répondissent  d'une  manière  conciliante 
à  une  parole  irritante;  qui  ne  se  lendissent  coupables  d'aucun  acte  de  vio- 
lence, ne  menaçant  personne,  mais  au  contraire,  pour  un  tort  souffert,  rendant 
des  bienfaits:  qui,  loin  d'exciter  des  trouldes  établissent  partout  où  ils  le  pou- 
vaient la  concorde  et  la  paix;  qui,  l)ien  éloignés  de  ve  vjuter  de  crimes  ou 
d'actes  qu'ils  n'avaient  point  accomplis,  rapportassent  au  seul  Christ  tout  le 
mérite  de  leurs  bonnes  œuvres;  si  llutten  lui  montrait  de  tels  évangelistes,  aus- 
sitôt il  se  joindiait  à  eux  avec  joie.  Mais  s'il  en  existait,  ils  étaient,  à  vrai  dire, 
excessivement  rares!  >  Strauss,  t.  II,  p.  293-294.  —  Dans  une  lettre  au  conseil 
de  Zuricli  datée  du  10  août  1523),  Érasme  se  vante  d'avoir  jusque-là  travaillé 
assidûment  h  répandre  la  doctrine  évangilique ;  et  cependant  llutten  a  publié  contre 
lui  un  petit  livre  rempli  de  mensonges  et  d'injures;  llutten  ne  doit  qu'au  con- 
seil la  permission  de  séjourner  à  Zurich,  mais  il  n'a  pas  le  droit  d'abuser  de  cette 
permission  pour  puldier  un  libelle  insolent  et  pervers.  Cet  écrit  nuirait  très- 
certainement  aux  int.rcis  évangélitjucs,  aux  belles-lettres,  à  la  chose  publique,  et 
pouvait  dans  l'avenir  porter  un  grand  préjudice  à  la  ville  de  Zurich;  quant  à 
Hütten,  •  chacun  savait  qu'il  n'avait  plus  rien  à  perdre.  ■  Dans  Egli,  245,  n"  565. 


DERNIERS    ÉCRITS    DE    HUTTEN.    SA    MORT.    1523.  287 

{jile,  il  indifiue  les  moyens  les  plus  sinjjulicrs.  Pour  lui,  répète-l-il,  il 
n'apparlicnl  à  aucun  parti,  son  indépendance  lui  esl  chère  avant 
tout  '.  La  querelle  luthérienne  a  commencé  sans  sa  participation,  et  dès 
le  début,  l'esprit  entêté  de  Luther  lui  a  beaucoup  déplu.  C'est  à  tort 
que  Hütten  lui  fait  un  crime  d'avoir  protesté  de  son  attachement 
envers  le  Siège  apostolique.  Sans  doute,  il  est  résolu  à  ne  Jamais  s'en 
séparer,  mais  aussi  longtemps,  toutefois,  que  le  Saint-Siège  ne  se 
séparera  pas  du  Christ!  L'Eglise,  dans  sa  lutte  contre  les  nouvelles 
doctrines,  n'était,  aux  yeux  de  «  l'oracle  de  la  science  -,  qu'un  parti 
en  présence  d'un  autre  parti.  Les  deux  opinions  devaient  apprendre 
à  vivre  en  paix  l'une  avec  l'autre,  ce  qui  pourrait  d'autant  plus  faci- 
lement se  faire  qu'on  était  d'accord  sur  les  articles  principaux  de  la 
foi  et  de  la  discipline,  et  que  la  querelle  ne  se  rapportait  la  plupart 
du  temps  qu'à  certains  paradoxes,  en  partie  incompréhensibles,  en 
partie  insignifiants  !  Les  potentats  spirituels  et  temporels,  l^aisant 
trêve  à  leur  lutte  passionnée,  oubliant  leurs  propres  intérêts,  feraient 
bien  d'accepter  le  conseil  d'un  simple  particulier  :  les  savants  devaient 
renoncer  aux  disputes,  aux  invectives,  et  conférer  entre  eux  sur  la 
manière  d'éviter  le  schisme  et  sur  les  intérêts  généraux  de  la  chré- 
tienté, puis  exposer  le  résultat  de  leurs  conférences  dans  des  lettres 
privées,  adressées  soit  au  Pape,  soit  à  l'Empereur*.  C'est  d'un  pareil 
remède  qu'Érasme  attendait  la  guérison  des  maux  de  son  temps. 

Mélanchlhon  craignait  que  le  ressentiment  de  Huttencontre  Erasme 
n'eût  de  fâcheuses  suites  :  «  Hütten  =>,  écrit-il,  «  est  furieux  de  voir 
en  quel  péril  est  notre  cause.  Malheureusement  sa  colère  nous  com- 
promet inutilement  auprès  des  bons,  et  il  est  à  craindre  qu'Erasme 
ne  s'irrite  encore  plus  contre  nous  que  contre  lui.  Pour  nous,  nous 
entendons  rester  complètement  étrangers  aux  rancunes  de  Hütten  ^  r> 

"  Erasme  a  lâchement  abandonné  la  cause  de  l'évangile  -,  écrit 
Hütten  à  Éoban  Hessus  (21  juin  1523);  "  toutefois  il  se  repent  du  mau- 
vais marché  qu'il  a  conclu.  >'  «  Pour  moi,  obligé  de  prendre  la  fuite, 
je  me  suis  réfugié  en  Suisse,  où  j'ai  devant  moi  la  perspective  d'un 
exil  encore  plus  long  que  les  précédents,  car  dans  les  circonstances 
présentes,  l'Allemagne  n'est  pas  en  état  de  me  tolérer.  Mais  j'espère 


'  Au  sujet  du  peu  de  franchise  d'Érasme,  Luther  écrivait  à  Spalatin,  le  15  mai 
1522  :  •  Melior  est  Eccius  eo,  qui  aperta  fronte  hostem  profitetur.  Hune  autem 
tergiversanlem  et  subdolum  tum  amicum  tum  hostem  détester.  "  Dans  de 
Wette,  t.  II,  p.  196. 

'  Voy.  Strauss,  t.  II,  p.  289-291. 

*  Corp.  Ri'fonn.,  t.  I,  p.  626-627.  «  C'est  ainsi  que  Mélanchthon  se  dégageait  avec 
ingratitude,  pour  ne  pas  dire  avec  lâcheté,  de  toute  connivence  avec  Hutien, 
auquel  cependant  là  cause  de  la  réforme  avait  tant  d'obligations,  ■  dit  IIagen, 
t  III,  p.  60. 


26S  DERNIERS    ECRITS    DE    HÜTTEN.    SA    MORT.    1523. 

voir  les  choses  changer  promptement  de  face  par  l'heureuse  expul- 
sion des  tyrans.  «  II  adresse  à  Éoban  un  nouveau  libelle  contre  ces 
mêmes  «  tyrans  »,  c'esl-à-dire  contre  les  princes  vainqueurs  de  Sic- 
kingen  qui  ^  se  sont  injustement  emparés  de  ses  biens  -,  et  il  presse 
Eoban  de  le  faire  imprimer  le  plus  tôt  possible  à  Erfurt,  t.  La  chose  », 
lui  écrit-il,  «  peut  être  faite  en  silence  et  en  secret,  et  cela  dans  votre 
ville  plus  aisément  que  partout  ailleurs;  là,  personne  ne  s'attend  à 
rien  de  semblable,  d'autant  plus  qu'on  me  sait  très-loin.  Je  t'en  prie, 
je  t'en  supplie  encore  une  fois,  ne  diffère  pas,  ne  néglige  rien  dans 
une  question  qui  est  pour  nous  de  la  dernière  importance!  Qu'une 
protestation  énergique  contre  un  attentat  inouï  se  fasse  entendre  et 
paraisse  au  grand  jour  '  !  «  Mais  Éoban,  l'ancien  frère  d'armes  de  Hüt- 
ten, n'était  plus  d'humeur  à  surveiller  la  publication  d'un  pareil  écrit. 
A  la  vérité,  il  tonnait  comme  autrefois  contre  le  Pape,  't  cet  impos- 
teur universel,  ce  perturbateur  de  la  paix  européenne,  ce  loup  sous 
le  masque  de  l'innocence  ••  ;  comme  jadis  il  .s'élevait  contre  les  par- 
tisans du  Pape,  -^  ces  ouvriers  d'iniquité^  »s  mais  il  n'était  nullement 
disposé  à  jouer  vis-à-vis  des  princes  le  rôle  d'apôtre  de  la  liberté. 
Les  efforts  des  prédicants  et  de  leurs  adeptes  avaient  réu.ssi  à  ruiner 
à  Erfurt  les  études  universitaires,  et  Hessus,  talonné  par  la  faim% 
s'était  vu  contraint  de  recourir  au  landjjrave  Philippe  de  Hesse,  qui 
lui  avait  accordé  un  poste  scientifique  à  ALirbourg.  Aussi  n'appelait- 
il  plus  Sickingen  et  ses  alliés  que  '^  les  brigands  ^ ,  et  témoignait-il 
souvent  au  chancelier  du  landgrave  toute  sa  joie  de  les  voir  enfin 
châtiés  \  Hütten  ne  pouvait  donc  compter  sur  lui  pour  publier  son 
pamphlet  t;  contre  les  tyrans  -^  :  le  manuscrit  fut  perdu. 

Hütten,  accusé  de  travailler  au  renversement  de  la  constitution 
ecclésiastique,  fut  obligé  de  quitter  Bàle.  Pour  le  même  motif,  il  lui 
fallut  bientôt  fuir  de  Mulhouse,  où  il  s'était  réfugié.  Enfin  il  trouva 
un  asile  à  Zurich,  près  d'Llrich  Zwingle.  11  mourut  dans  l'ile 
d'Ufnau,  sur  le  lac  de  Zurich,  dans  sa  trente-sixième  année,  vers  la 
fin  d'août  1523,  de  la  maladie  dont  il  souffrait  depuis  seize  ans. 
-'  Hütten  ",  rapporte  Zwingle,  ;:  ne  laissa  après  lui  aucun  objet  de 
valeur.  11  n'avait  point  de  livres;  de  meubles,  pas  davantage;  sa 
plume  seule  lui  appartenait \  » 

'  Strauss,  t.  Il,  p.  311-312.  —  Kampschllte.  t.  II,  p.  191. 

*  Voy.  ScHWERTzELL,  p.  41-42.  Il  ne  dissimulait  pas  qu'il  cherchait  de  temps 
en  temps  à  faire  plaisir  aux  gens  avec  lesquels  il  vivait.  -  par  de  semblables 
attaques  .. 

'  Eoban  élait  parfois  si  à  court  d'argent,  qu'il  était  contraint  d'emprunter 
souvent   à  ses  amis;  ordinairement  deux  florins.  Voy.  Schwertzell.  p.  4  5-45. 

*  Strauss,  t,  II,  p.  .312.  —  plus  tard.  Eoban  rangeait  la  défaite  de  Sickingen 
parmi  les  hauts  faits  de  Philippe. 

=■  -  Nihil  reliquii,  quod  uUius  sit  pretii.  Libros  nullos  habuit,  supellectilem 
nullam,  praeter  calamum.  .  op.  Vll,  p.  313.  Hütten  mourant  «  semble  n'avoir 


CONSÉQUENCES  DE  lA   DI^'.FAITF   DE   SICKINGEN  ET  DE  SON  PAKTf.       20,9 


IV 


Avec  Sickinf,eri  et  Hütten,  la  chevalerie  révolutionnaire  perdait 
«  ses  chefs  et  ses  {guides  ».  Au  bout  de  bien  peu  de  temps,  il  ne  fut 
plus  question  de  tant  de  vastes  plans  formés  par  les  chevaliers  pour 
le  renversement  de  la  constitution  de  rEmpirc. 

Les  princes  alliés  s'emparèrent  de  tous  les  châteaux  forts  de  Sic- 
kingen,  dont  la  plupart  furent  briHés.  Après  leur  complète  victoire, 
ils  formèrent  entre  eux  une  nouvelle  alliance  pour  le  maintien  de 
leurs  conquêtes,  qu'ils  s'engagèrent  à  défendre  '■■  de  leurs  corps  et  de 
leurs  biens  '  » .  Peu  après,  la  ligue  abattit  l'orgueil  de  la  chevalerie 
de  Franconie.  Pendant  les  mois  de  juin  et  de  juillet  1523,  plus  de 
vingt  châteaux  de  brigands  furent  rasés  par  ordre  des  princes*. 
M  Mais  ce  qui  est  bien  regrettable,  c'est  qu'on  ne  put  jamais  mettre 
la  main  sur  Hans  Thomas  d'Absberg,  et  châtier  comme  il  eût  mérité 
de  l'être  ce  coupeur  de  mains  et  de  pieds  ^  » 

C'en  était  fait  de  l'indépendance  politique  de  la  petite  noblesse; 

plus  invoqué  que  la  déesse  Fortune  ".  Strauss  dit  en  parlant  de  ses  tendances 
athées  (t.  II,  p.  314)  :  «  Nous  trouverons  dans  les  dernières  lettres  plus  de 
citations  tirées  des  poètes  classiques  que  de  sentences  empruntées  à  la  Bible. 
Voyons  ici  simplement  le  retour  de  Hütten  à  sa  nature  primitive,  aux  souve- 
nirs de  son  éducation  d'humaniste.  Son  commerce  avec  Luther  et  les  luthériens 
avait  donné  ù  son  langage  un  vernis  chrétien,  mais  ce  vernis  disparut  dès  que, 
tombé  dans  la  détresse,  il  resta  livré  à  lui-même.  -  Sur  la  conduite  peu  géné- 
reuse d'Érasme  à  l'égard  de  Ilutten,  même  après  la  mort  de  celui-ci,  voy.  Drum- 
MOND,  t.  II,  p.  146,  111.  158. 

'  Ulmann,  p.  394. 

*  Pour  plus  de  détail  sur  la  guerre  de  Franconie,  voy.  B.iAOEn,  p.  70-91.  — 
"Voy.  DE  ScHnEKE.NSTEiv,  2%  p.  250-251.  —  Voy.  aussi  la  liste  •  des  nids  de  bri- 
grands  détruits  »,  dans  Höfler,  Fränkische  Studien,  t.  VIII,  p.  258.  —  1,'archiduc 
Ferdinand  et  le  Conseil  de  régence  cherchèrent  à  empêcher  les  répressions  des 
princes.  Voyez  .Iorg,  p.  71,  où,  tirés  dune  lettre  du  chancelier  bavarois  Léonard 
d'Eck,  sont  exposés  les  motifs  de  cette  campagne.  Mais  les  princes  n'avaient 
rien  à  faire  avec  un  personnage  comme  Hans  Thomas  d'Absberg.  •  Il  fut  procédé 
par  décrets  et  arrêtés  de  justice  contre  ce  misérable.  •  Voy.  Ulm.vnn,  dans  la 
Jenaer  Lilerulurzcitung,  1874,  p.  727. 

'  Hans  Thomas  d'Absberg,  étroitement  uni  au  duc  banni  Ulrich  de  Wurtem- 
berg, dont  on  parlera  dans  la  suite,  poursuivit  en  paix  la  série  de  ses  atrocités 
jusqu'en  1531,  où  il  fut  assassiné  par  un  .luif,  son  plus  intime  ami  et  son  hôte, 
auquel  il  confiait  ordinairement  le  fruit  de  ses  rapines.  ■  Cet  homme  le  fit 
boire,  de  sorte  qu'il  s'endormit  à  table.  L'autre  lui  porta  alors  un  coup  au  cœur 
avec  une  arquebuse  courte,  et,  secondé  par  un  autre  Juif,  l'acheva  à  coups  de 
bâton  comme  un  chien  enragé,  avant  qu'il  ne  se  filt  bien  réveillé;  il  le  fit  ainsi 
mourir  dans  ses  péchés,  puis  il  traîna  son  cadavre  dans  un  champ  de  blé,  où  il 
fut  plus  tard  déterré  par  des  chiens,  déjà  tout  empesté  et  mangé  des  vers.  - 
B.iADER,  p.  530.  Sur  les  tortures  infligées  aux  prêtres  qui  tombaient  au  pouvoir 
de  ce  misérable  et  de  sa  bande,  voy.  Baader,  p.  144,  179,  383,  414. 


270     CONSKOUENCES  DE    r,A    DÉFAITE    DE   SICKINGEN  ET   DE   SON    PARTI. 

toutefois  les  tendances  révolutionnaires  qui  s'étaient  fait  jour  dans 
ses  rangs  n'étaient  aucunement  vaincues. 

La  révolution  politique  et  religieuse  faisait  des  partisans  de  plus 
en  plus  nombreux  parmi  les  classes  populaires,  et  plus  d'un  chevalier 
mis  au  ban  et  dépossédé  soutenait  en  secret  les  efforts  tentés  par 
beaucoup  de  prédicants  pour  exciter  et  pousser  à  la  révolte  les  sujets 
des  princes,  et  particulièrement  les  paysans. 

Mais  pour  que  cette  révolte  pût  éclater,  il  fallait  d'abord  que  les 
pouvoirs  établis  fussent  renversés,  que  le  gouvernement  central, 
devenu  impuissant,  fût  tombé  dans  le  plus  irréparable  discrédit,  et 
que  l'anarchie  fût  complète  dans  le  domaine  religieux. 


CHAPITRE  V 

LE    CONSEIL    DE    RÉGENCE    ET    LES    DIÈTES    DE    1522-1523. 


Le  Conseil  de  régence,  institué  à  Nuremberg  dans  Tautomne  de 
1521,  ouvrit  la  série  de  ses  actes  par  la  promulgation  d'une  loi  exe- 
cutive qui  maintenait  et  proclamait  de  nouveau  la  paix  publique.  Il 
adopta  ensuite  une  mesure  à  laquelle  Maximilien,  jaloux  de  l'inté- 
grité du  pouvoir  impérial,  s'était  toujours  opposé,  et  décida  que 
les  états  des  différents  cercles  de  l'Empire  auraient  désormais  le 
droit  d'élire  eux-mêmes  leurs  gouverneurs  et  conseillers'.  Le  Con- 
seil de  régence  convoqua  ensuite  les  Ordres  à  Nuremberg  pour  le 
23  mars  1522.  H  s'agissait  avant  tout  de  s'entendre  sur  les  moyens 
de  résister  aux  Turcs,  qui,  ayant  conquis  Belgrade  et  dévasté  la  plus 
grande  partie  de  la  Hongrie,  se  disposaient  maintenant  à  envahir  la 
basse  Autriche,  la  Bavière  et  les  autres  territoires  allemands  '. 

Le  péril  était  imminent.  A  chaque  instant  une  surprise  était  à 
craindre.  Mais  les  secours  étaient  fort  minces,  car  chacun  ne  pen- 
sait qu'à  soi,  et  beaucoup  de  princes  allaient  jusqu'à  reculer  devant 
les  frais  nécessités  par  l'envoi  d'un  délégué  à  la  diète.  Aussi  peu 
de  députés  se  trouvaient-ils  réunis  à  Nuremberg  au  jour  fixé,  et 
tandis  qu'on  perdait  ainsi  un  temps  précieux,  Méhémet  Bey  envahis- 
sait la  Valachie.  En  Hongrie,  on  s'attendait  tous  les  jours  à  voir  le 
sultan  Soliman  s'emparer  de  la  Moldavie,  et  pénétrer  jusque  dans 
l'Esclavonie. 

Au  mois  d'avril  1522,  les  Turcs  ravagèrent  les  environs  de  Frioul. 
-  En  un  seul  jour  >,  rapporte  Georges  Kirchmayer  dans  ses  Mémoires, 

plus  de  six  mille  hommes  furent  emmenés  prisonniers.  Les  petits 
enfants  ont  été  séparés  les  uns  des  autres,  les  femmes  odieusement 

'  Xeue  Sammlung  der  Hcichsabschiede ,  t.  II.  p.  229-241. 

^^ circulaire  du  12  février  1522.  Les  Ordres  devaient  se  réunir  le  dimanche 
d'Ocw/i  23  mars).  Archives  de  Francfort,  Reidistagsacten,  t.  XXXVI,  fui.  2. 


272  DIÈTE    DE    NUREMBERG.    1522. 

outragées,  les  prêtres  maltraités;  le  pays  n'est  plus  qu'un  vaste 
incendie.  On  dit  que  le  15  mai  les  Turcs  étaient  encore  campés  près 
de  Leybach,  au  nombre  d'environ  vingt-quatre  mille.  Cependant  per- 
sonne n'a  compassion  des  populations  en  péril,  elles  ne  trouvent  nulle 
part  aide  e(  appui.  Personne  ne  se  présente  pour  les  défendre  et 
les  guider;  ni  prince,  ni  chef  ne  vient  leur  rendre  courage,  chacun 
attend  que  sa  propre  muraille  brûle.  Oh!  que  nos  frères  chrétiens 
sont  lâchement  abandonnés!  Personne  ne  prend  à  cœur  la  dignité, 
l'honneur  de  la  foi  chrétienne,  mais  nul  n'a  garde  d'oublier  son 
propre  intérêt'!  »  Le  Conseil  de  régence  ordonna  des  processions 
et  des  prières  publiques  pour  obtenir  de  Dieu  la  cessation  "  du  fléau 
turc  ».  Tous  les  jours  à  midi,  dans  les  villes,  villages  et  hameaux,  la 
cloche  avertissait  les  fidèles  de  prier  Dieu  «  pour  qu'il  détournât  sa 
colère  et  donnât  bonheur  et  victoire  aux  armes  chrétiennes  ^  ». 

Le  7  avril,  le  comte  palatin  Frédéric,  en  sa  qualité  de  lieutenant 
impérial,  annonça  aux  états  que  l'Empereur  renonçait  aux  vingt 
millehommes  de  pied  et  aux  quatre  mille  cavaliers  qui  lui  avaient  été 
accordés  pour  l'expédition  romaine,  ordonnant  que  lesdites  troupes 
fussent  affectées  aux  nécessités  si  pressantes  de  la  défense  du  pays. 
Mais  pour  cette  défense,  aucun  Ordre  ne  semblait  porté  à  l'adoption 
de  mesures  énergiques.  "  Selon  l'us  et  coutume  >',  écrivait  à  Franc- 
fort Philippe  Fiirstenberg^,  "  des  querelles  de  préséance  éclatent  au 
sein  de  la  diète,  et  pour  de  puériles  disputes  toutes  les  affaires 
restent  en  suspens;  notre  bien  est  inutilement  dévoré ^  »  «  L'im- 
minence du  péril  avait  fait  espérer  y.,  dit  une  circulaire  du  Conseil 
publiée  le  30  avril,  «  que  les  Électeurs  et  autres  Ordres  de  l'Empire 
se  trouveraient  à  Nuremberg  au  jour  marqué;  mais  un  très-petit 
nombre  seulement  s'étant  rendu  à  notre  appel,  il  a  fallu  remettre 
l'ouverture  de  la  diète  au  1"  septembre*.  »  En  attendant,  un  nouvel 
impôt  fut  prescrit,  atteignant  tous  les  Ordres  et  tous  les  sujets  de 
l'Empire  %  et  le  8  mai,  le  procès-verbal  de  la  séance  portait  que  sur 
les  secours  consentis  à  Worms,  trois  huitièmes  seraient  affectés 
à  la  campagne  turque.  Les  Ordres  devaient  fournir  leur  contribution 


'  Dans  les  Fontes  rer.  Austr.,  t.  I,  p.  458. 

-  *  Circulaire  du  28  mars  1522.  Archives  de  Francfort,  Reichsiagsacten,  t.  XXX  VI, 
fol.  6. 

'  *  Philippe  Fürstenberg,  le  lundi  d'après  les  Rameaux  M4avril  1522),  Reichsiags- 
acten, t.  XXXVI,  fol  11.  '  Et  il  nous  arrive  un  peu  ce  qui  est  arrivé  aux  Grecs 
devant  Troie  : 

Postquam  délirant  reges,  plectuntur  Achivi.  • 

*  *  Circulaire  du  dernier  jour  d'avril  1522.  Beickstagsacten,  t.  XXXVI,  fol.  14. 

"  Proposition  du  30  avril  :  •  que  tous  les  Ordres  et  sujets  de  l'Empire  doivent 
s'imposer  pour  la  campagne  contre  les  Turcs  •.  Voy.  Lumg,  lieichsarcMv,  t.  II, 
p.  4Ü5-408. 


Ill^TK    DE    MJREMBER«;,    DISCUSSIONS    ENTRE    LES    Oit  DR  ES.  273 

eiiar^enl,  ••  sans  délai  ni  prétexte  qiieicüu(|ue'  .  'ioufefois  les  ren- 
trées se  faisaient  avec  une  ■  lenteur  désespérante  .  A  la  fin  de  juillet, 
ni  Worms  ni  Spire  n'avaient  encore  rien  fourni,  de  sorte  que  le  Con- 
seil dut  sévir  contre  ces  villes  rebelles,  ainsi  ([ue  contre  d'autres 
retardataires-.  P>anctort,  à  laquelle,  en  un  si  pressant  péril,  le  Con- 
seil avait  demandé  un  emprunt  de  4,000  florins,  refusa  de  venir  en 
aide  à  l'Empire,  s'excusant  sur  les  nombreuses  guerres  privées  qu'elle 
avait  eu  à  subir,  et  sur  la  nécessité  de  construire  plusieurs  édifices 
civils'. 

La  Diète,  dont  l'objet  pressant  était  -  le  péril  turc  > ,  ne  put  s'ou- 
vrir à  Tepocjue  convenue,  car  entre  temps  Franz  de  Sickiogen, 
^'  véritable  Turc  de  linférieur  •  -,  avait  entrepris  sa  redoutable 
aventure,  et  de  tous  les  côtés  des  troubles,  des  émeutes  menaçaient 
d'éclater^  '-  Les  Ordres  ne  semblent  guère  disposés  à  ouvrir  les 
séances  «,  écrivait  avec  découragement  Hamann  de  Holzliausen,  dé- 
puté de  Francfort;  «  aucun  prince  nest  encore  arrivé;  pour  moi,  je 
voudrais  être  à  la  maison!  ^  En  vain  l'archiduc  Ferdinand,  qui  avait 
succédé  au  comte  palatin  Frédéric  dans  la  charge  de  lieutenant  gé- 
néral d'Empire,  faisail-il  les  efforts  les  plus  sincères  pour  mettre  les 
choses  en  mouvement  :  on  allait  jusqu'à  douter  que  la  Diète  pût 
avoir  lieu". 

Elle  ne  s'ouvrit  que  le  17  novembre,  et  les  Ordres  furent  alors 
informés  que  les  délibérations  porteraient  sur  les  points  suivants  : 
La  recherche  des  moyens  à  prendre  pour  étabUr  dans  l'Empire  une 
paix  solide  et  durable;  l'organisation  de  la  résistance  contre  les 
Turcs,  et  les  moyens  de  subvenir  par  des  appointements  fixes  à  l'en- 
tretien des  membres  du  Conseil  de  régence  et  de  la  Chambre  impé- 
riale \  Les  choses  en  étaient  venues  à  un  tel  point  que  vingt-six 
villes  libres,  trente-huit  prélats,  quatre-vingt-douze  comtes  et  sei- 

'  Recez  du  8  mai  1522  dans  la  Xeue  Sammlung  der  Heichsabschiede ,  t.  II,  p.  242-247. 

*  *  Philippe  Furstenber;;  au  conseil  de  Francfort,  le  dimanche  après  saint 
Jacques  (27  juillet)  1522.  lieichstnysacten,  t.  XXXVI,  fol.  34. 

»*  Reichstagsaclen,  t.  XXXVI,  fol.  22-27. 

*  Voy.  plus  haut,  p.  264. 

*  *  Philippe  Fürstenberg  au  conseil  de  Francfort,  le  samedi  après  la  Nativité 
de  la  Sainte  Vierge  13  septembre)  1522.  Reichstagsaclen,  t.  XXXVI,  fol.  40.  Le  jeudi 
après  Elisabeth  ^20  novembre),  les  Ordres  réunis  à  la  Diète  envoyèrent  aux 
membres  encore  absents  une  sommation  leur  enjoignant  de  se  rendre  le  plus 
promptement  possible  à  l'assemblée,  à  cause  du  danger  pressant  de  l'invasion 
turque,  et  parce  que  •  de  tout  côté  dans  l'Kmpire  s'élevaient  des  révoltes  et  des 
troubles  faisant  redouter  de  grands  malheurs  =.  —  Reichsiagsacten,  t.  XXXVI, 
fol.  86. 

'*  Hamann  de  Hozihausen  au  conseil  de  Francfort,  le  mercredi  après  saint 
Michel  1,1"  ectobrei  1522.  Voy.  aussi  les  lettres  des  4,  8  et  9  octobre  1522  dans  les 
Reichstagsaclen,  t.  XXXVI.  fol.  53.  55.  57,  5S. 

'*  Holzhausen,  le  20  novembre  1522;  c'était  le  lundi  précédent  (17  novembre  ] 
que  la  Diète  avait  été  ouverte.  Reiehsiagsaeten,  t.  XXXVI,  fol.  84. 

II.  18 


274  DOLÉANCES    DES    VILLES.    1522. 

gneurs,  onze  princes  welches  et  sept  princes  allemands  refusaient 
de  contribuer  au  maintien  de  ces  deux  grands  organes  du  droit. 
«  Si  Ton  n'y  apportait  un  prompt  remède,  leur  arrêt,  leur  disso- 
lution était  à  prévoir,  et  la  rébellion,  l'émeule,  le  mépris  de  toute 
équité,  en  seraient  les  conséquences  inévitables.  «  Mais  les  «  déli- 
bérations sur  les  remèdes  à  apporter  au  mal  "  venaient  à  peine  de 
s'ouvrir,  que  les  Ordres,  -<  qui  dans  le  péril  actuel  auraient  dii  tout 
faire  pour  rester  unis,  commencèrent  à  s'aigrir  les  uns  contre  les 
autres  «.  C'était  chose  <  vraiment  lamentable  à  voir,  et  presque  capable 
de  faire  désespérer  >•  !  Chacun  se  plaignait  d'être  plus  imposé  que 
son  voisin,  et  rejetait  sur  les  autres  la  faute  de  la  misère  et  du 
malheur  public'.  En  un  mot,  «  toutes  les  plaies  de  l'Empire  sem- 
blaient se  rouvrir  à  la  fuis*  ». 

Les  délégués  des  villes  se  plaignaient  à  bon  droit  de  n'avoir  pas 
été  invités  à  prendre  part  aux  délibérations  de  la  Diète;  on  s'était 
contenté  de  les  informer  de  ce  qu'il  avait  plu  aux  électeurs,  princes 
et  autres  Ordres  de  décider,  't  Les  électeurs  et  princes  sont  d'hu- 
meur et  d'avis  ■',  disait  le  député  de  Francfort  dans  une  de  ses 
dépêclies,  "  de  n'accorder  désormais  aux  villes  ni  rang  ni  voix  dans 
les  assemblées  et  dans  les  discussions  publiques.  Ils  se  proposent  de 
les  en  exclure  totalement  ^  Or  un  tel  procédé  semblait  naturel- 
lement -■  inacceptable  "  aux  députés  urbains,  en  sorte  qu'ils  réso- 
lurent de  mettre  l'occasion  à  profil  pour  dire  une  bonne  fois  leur 
sentiment,  et  s'ouvrir  franchement  sur  tous  leurs  griefs  '-.  Us  pré- 
parèrent donc  un  cahier  de  doléances. 

"  Jusque-là  •,  disaient-ils,  '  les  villes  avaient  tenu  le  même  rang 
que  les  autres  Ordres  dans  les  Diètes  de  l'Empire.  Appelées  aux 
déUbérations  des  États  généraux,  leur  avis  y  avait  toujours  eu  un 
grand  poids.  Elles  avaient  eu  voix  au  Conseil,  >  il  y  avait  de  cela  fort 
peu  de  temps  encore  -,  fout  aussi  bien  que  les  princes  et  autres  États, 
et  leurs  députés  avaient  donné  leur  avis  sur  toutes  les  questions  mises 
en  délibération  par  l'assemblée,  "  Maintenant,  elles  n'étaient  même 
plus  représentées  au  Conseil;  les  affaires  étaient  discutées  et  décidées 
sans  leur  participation.  •-  Or,  dans  les  pénibles  circonstances  actuelles, 
l'union  de  tous  les  Ordres  était  indispensable.  Elles  exprimaient 
donc  le  vœu  que  les  choses  fussent  rétablies  dans  leur  premier  état. 

Les  autres  griefs  des  députés  urbains  avaient  trait  aux  extrêmes 
lenteurs  de  la  justice  executive,  et  surtout  aux  guerres  privées,  qui 


'  *  Lettres  de  démenl  Endres,  Trêves,  27  novembre  1522.  Voy.  Trierischen  Sa- 
chen und  B  ruf  schoflen,  fol.  52. 

^  Voy.  UÖFLER,  Adrian  VI,  p.  252. 

'*  Ilamann  de  Holzhausen, 17  décembre  1522.  Frankfurter  lieichsiagsaclen,  t. XXWl, 
fol.  102. 


DIÈTE  DE  NUREMBERG,   l,KS  PRINCES  CONTRE  LES   VIIJ.ES.    1523.       275 

|)renaicnlde  telles proporliotis  (juc  «  nulle  vie,  nulle  propriélc  n'était 
plus  en  sécurité  >■,  ce  qui  paralysait  entièremeul  l'essor  du  commerce. 
Contrairement  à  tous  les  règlements  établis  pour  le  maintien  de  la 
paix  publique  et  de  l'ordre,  ^-  les  bourgeois,  parents  ou  amis  des 
délégués  '■'.  étaient  continuellement  exposés  aux  plus  grands  dan- 
gers sur  les  routes;  leur  bien  était  pillé,  ou  même  brûlé  en  plein 
champ,  et  les  individus  mutilés,  lamentablement  assassinés,  roués  de 
coups,  dévalisés,  traînés  au  cachot.  On  voyait  se  commettre  de  tels 
actes  "  qu'on  n'en  pourrait  entendre  le  récit  sans  stupeur,  même  si 
les  Turcs  en  étaient  les  auteurs  ».  Cependant  les  coupables,  (juelque 
féroces  et  monstrueux  qu'ils  fussent,  non-seulement  restaient  pour 
la  plupart  impunis,  mais  encore  étaient  ostensiblement  accueillis  et 
ménagés  par  les  plus  grands  personnages.  Si  l'on  ne  mettait  ordre 
à  un  pareil  scandale,  il  fallait  s'attendre  à  la  ruine  complète  de  la 
nation.  De  plus,  il  était  absolument  impossible  de  tolérer  plus  long- 
temps les  nouveaux  règlements  de  douanes  établis  et  autorisés  par 
les  princes.  Le  peuple  allemand,  plus  que  tout  autre,  était  surchargé 
détaxes  écrasantes  et  multiples,  de  frais  d'escorte,  de  servitudes  sans 
nombre.  «  Il  était  contraire  aux  lois  divines  et  humaines  qu'un  pou- 
voir ou  un  Ordre,  au  détriment  de  tant  d'autres,  piit  s'enrichir  ainsi 
à  lui  tout  seul  des  sueurs,  du  sang  et  de  la  détresse  des  pauvres.  >'  On 
savait  assez  la  tournure  séditieuse  que  prenaient  de  tous  côtés  les 
événements;  aussi  importait-il  grandement  de  ne  pas  écraser  l'homme 
qui  n'avait  que  peu  de  ressources  de  charges  de  plus  en  plus  oné- 
reuses. Les  villes  exprimaient  encore  leur  mécontentement  égale- 
ment motivé  à  propos  des  tribunaux  ecclésiastiques,  des  abus  de  la 
cour  romaine  et  du  système  monétaire.  Une  quantité  de  pièces  dont 
la  valeur  avait  baissé,  et  même  de  fausses  monnaies,  étaient  intro- 
duites habilement  dans  l'Empire,  tandis  que  la  bonne  monnaie  était 
emportée  dans  les  pays  welches,  aussi  bien  par  les  chrétiens  que  par 
les  Juifs,  et  cela  dans  des  proportions  énormes'. 

Le  23  janvier  1523,  les  électeurs,  princes  et  autres  Ordres  firent 
connaître  leur  réponse  aux  délégués  des  villes.  Pour  ce  qui  regar- 
dait leur  rang  à  la  Diète,  ils  ne  pouvaient  se  plaindre  d'avoir  été  lésés 
en  aucune  façon,  car  jamais  ils  n'avaient  eu  voix  délibérât ive  au 
Conseil.  De  temps  en  temps,  il  est  vrai,  ils  avaient  été  admis  dans 
les  comités,  mais  jamais  en  raison  d'un  droit  acquis,  et  seule- 
ment par  faveur  exceptionnelle.  Quant  à  la  lente  exécution  de  la 
justice,  les  villes  en  étaient  les  premières  responsables.  Elles  n'étaient 

'  Supplikation  der  Stell.  —  Archives  de  Francfort,  Reiclutagsacten,  l.  XXXVII, 
fol.  27-38.  En  tout  dix  doléances,  dont  les  plus  importantes  viennent  d'être 
citées. 

18. 


276  LA    DIÈTE    REFUSE    L'IMPOT    TURC    1522. 

pas  seules  à  souffrir  du  fléau  des  guerres  privées;  tous  les  Ordres 
avaient  à  s'en  plaindre  comme  elles,  et  les  États  se  disposaient  pré- 
cisément à  prendre  d'importantes  mesures  pour  le  maintien  de  la 
paix  publique.  Les  impôts  étaieut  certainement  lourds,  mais  ils  avaient 
été  établis  par  l'Empereur  lui-même,  et  il  ne  se  pouvait  faire  que  les 
Ordres  s'arrogeassent  le  droit  «  d'entraver,  d'affaiblir  en  quelque 
chose  la  main  et  le  pouvoir  de  Sa  Majesté  Impériale  ".  Pourquoi  les 
villes  n'avaient-elles  pas  apporté  leurs  doléances  devant  l'Empereur 
lors  de  son  séjour  à  Worms?  Quant  aux  plaintes  formulées  contre 
les  tribunaux  ecclésiastiques,  on  était  en  ce  moment  même  en  pour- 
parlers avec  Rome,  sur  la  proposition  même  du  Saint-Père.  Les  ordi- 
naires étaient  les  premiers  à  souhaiter  que  dans  leurs  juridictions, 
les  règles  de  l'équité  fussent  remises  en  honneur.  Pour  les  mon- 
naies, c'était  surtout  dans  les  villes  libres  qu'elles  avaient  été  altérées 
par  divers  procédés  malhonnêtes'. 

Ces  réponses  «  insultantes,  ironiques,  méprisantes  '•,  écrivait  le 
25  janvier  1523  Hamann  de  Holzhausen  au  conseil  de  Francfort, 
«  mécontentent  vivement  les  députés  urbains.  Aussi,  après  s'être 
réunis,  ont-ils  résolu  de  ne  rien  répondre,  de  ne  consentir  à  rien, 
et  de  ne  pas  apposer  leur  signature  aux  procès-verbaux  préparés 
parles  États.  -  11  écrivait  le  même  jour  au  bourgmestre  de  Franc- 
fort, Jean  de  Glaubourg  :  «  Pour  des  nouvelles,  je  n'en  ai  pas  à 
vous  mander,  si  ce  n'est  que  le  tour  que  prennent  les  événements 
et  les  dissensions  de  ia  Diète  font  craindre  que  de  graves  querelles 
et  des  émeutes  ne  viennent  à  se  produire!  Que  Dieu,  par  sa  grâce 
et  miséricorde,  détourne  de  nous  de  si  grands  malheurs!  Cette 
Diète,  convoquée  pour  assurer  la  paix,  n'a  jusqu'ici  d'autre  résultat 
que  les  querelles  et  les  disputes  auxquelles  nous  ne  cessons  de  nous 
livrer'.  » 

Mais  ces  dissentiments  devinrent  d'une  extrême  gravité  lorsqu'il 
s'agit  de  s'entendre  sur  la  guerre  contre  les  Turcs. 

Les  députés  des  villes  ne  voulurent  ni  concéder,  ni  payer  '■  l'impôt 
turc  décrété  à  Nuremberg  ».  "  Les  cités  ",  disaient-ils,  «  comparati- 
vement aux  autres  Ordres,  sont,  d'après  ce  plan,  intolérablement 
surchargées.  >;  Ils  refusèrent  également  la  prestation  d'aucun  secours 
soit  en  argent,  soit  en  troupes,  pour  la  formation  de  l'armée  de 
quatre  mille  hommes  dont  les  autres  Ordres  avaient  garanti  la  levée 

1*  Anticorl  auf  die  Supplikation  der  Städte,  Reichslagsacten,  t.  XXXVill,  fol.  347-357. 
D'après  la  lettre  d'IIolzbausen  datée  du  25  janvier  (voy.  la  note  suivante;,  cette 
réponse  fut  remise  le  vendredi  après  saint  Sébastien  (23  janvier)  1523. 

^  ■  Ces  deux  lettres  sont  datées  du  dimanche  de  la  conversion  de  saint  Paul 
(25  janvier)  1523.  Reichsiagsacten,  t.  XXXVII,  fol.  19-20. 


I,A    DI  F.  TE    J{EFi;.SF.    LMM  POT    TURC.   l:.22.  i^^ 

aux  ambassadeurs  de  Hongrie  présents  à  la  Diète  (J9  décembre 
1522).  La  Hongrie,  la  Croatie,  dans  le  plus  extrême  péril,  avaient 
imploré  l'aide  et  le  secours  des  Klats'.  :  Si  nous  revenons  chez  nous 
sans  réponse  favorable  «,  avaient-ils  déclaré,  «  les  habitants  de  nos 
malheureuses  contrées,  perdant  toute  espérance,  changeront  de  sen- 
timent et  se  tourneront  vers  les  Turcs'.  •'  Mais  les  délégués  des 
villes  restèrent  impassibles  et  persistèrent  dans  leur  relus,  même 
en  apprenant  que  les  chevaliers  de  Saint-.Iean,  après  une  héroïque 
résistance,  s'étaient  vus  contraints  de  céder  à  la  toute -puissance 
ottomane  et  d'abandonner  Rhodes,  l'un  des  plus  importants  boule- 
vards de  la  chrétienté.  Les  villes  avaient  plusieurs  fois  émis  l'opi- 
nion qu'il  leur  paraissait  absolument  impossible,  inutile  et  vain,  de 
songer  à  combattre  et  à  chasser  les  Turcs  avec  les  seules  forces  de 
l'Allemagne.  Le  Pape  et  tous  les  rois  et  pouvoirs  chrétiens  devaient 
s'unir  pour  les  refouler;  mais  si  la  nation  allemande  avait  l'impru- 
dence d'entreprendre  à  elle  toute  seule  une  pareille  croisade,  elle  ne 
recueillerait  d'une  guerre  impossible  que  mépris,  ruine  et  dommage. 
Dans  le  cas  où  les  Turcs  pénétreraient  au  creur  même  du  pays,  alors, 
disaient  leurs  délégués,  chaque  Ordre,  chaque  commune,  les  pou- 
voirs spirituels  et  temporels  réunis  auraient  à  voter  un  impùt  obli- 
geant certaines  classes  de  citoyens,  mais  laissant  à  toute  commune 
la  tâche  d'imposer  elle-même  ses  bourgeois  et  ses  subordonnés.  Les 
sommes  ainsi  recueillies  subviendraient  à  l'entretien  des  troupes'. 
<  On  ne  sait  plus  ce  que  c'est  que  la  concorde  en  Allemagne  ", 
mandait  à  Rome  le  légat  Chieregato.  «  11  faudra  s'estimer  bien  heu- 
reux si  l'on  parvient  à  faire  voter  un  très-mince  secours  pour  la  cam- 
pagne turque.  Mais  quant  à  savoir  s'il  sera  vraiment  fourni,  l'avenir 
seul  nous  l'apprendra,  i;  Le  légat  ayant  demandé  que,  selon  la  volonté 
de  Charles-Quint,  les  troupes  accordées  à  l'Empereur  pour  l'expédi- 
tion romaine  à  la  Diète  de  Worms  fussent  levées  le  plus  tôt  possible, 
les  Ordres  répondirent  que  depuis  que  cette  promesse  avait  été  faite 

'  '  Pour  plus  de  détails,  voy.  Sacri  imperii  ordinumfinalis  responsio  L'ngaricis  oratori- 
bus  data  in  comiliis  Xurembcrgentibus  die  Veneris  posl  Lucie  (19  décembre)  1522.  Reichs- 
tagsacien.  t.  XXXVIII,  fol.  21-25.  On  promit  aux  Hongrois  que  le  Pape,  l'Empereur, 
la  Bohême,  l'Angleterre,  la  France,  Venise  et  les  autres  puissances  chrétiennes 
délibéreraient  ensemble  en  un  lieu  convenable,  par  l'organe  de  leurs  ambassa- 
deurs, sur  les  meilleurs  moyens  à  prendre  pour  leur  venir  en  aide.  —  lieichs- 
tagsaclen,  t.  XXXVIH,  fol.  10. 

*  '  Voy.  Bathschlag  dtr  vom  grossen  Ausschuss  verordneten  litUhe,  was  der  ungarischen 
Botschaft  tvegcn  der  begehrten  Hülfe,  zu  antworten  sei.  Reichstagsacten,  t.  XXXVIII,fol.  7-12. 

^  ■  Abschiedder  Pollschaßen  derFrey-und  Reichsstett  so  yetzo  auffürgcschlagenem  Reichstag 
zu  Xüremberg  vcrsamht  geresen.  —  Voyez  aussi  une  lettre  de  Holzhausen  datée  du 
15  décembre  1522.  Reichstagsacten,  t.  XXXVI,  fol.  95-105.  Le  19  décembre,  les  délé- 
gués des  cités  réunis  à  Nuremberg  prièrent  instamment  les  villes  dont  les  dé- 
putés n'étaient  pas  encore  arrivés  d'envoyer  sans  retard  leurs  représentants  à 
la  Diète,  à  cause  du  danger  pressant  et  de  l'angoisse  générale.  Fol.  104. 


278        DIÈTE    DE    NUREMBERG.    IMPOT    DE    FRONTIERE.    152.3, 

l'état  intérieur  de  TAllemagne  avait  empiré  de  telle  sorte,  qu'il  serait 
imprudent  et  même  impossible  d'envoyer  pour  le  moment  une  si  forte 
armée  loin  du  pays  '. 

Mais  les  discussions  entre  les  villes  et  les  autres  Ordres  furent  sur- 
tout envenimées  par  un  projet  de  douane  préparé  par  les  États,  et 
que  les  villes  déclarèrent  «  absolument  odieux,  et  visiblement  com- 
biné dans  le  dessein  de  préparer  leur  ruine  totale  ". 

't  Pour  l'entretien  de  la  Chambre  impériale  et  du  Conseil  de 
régence,  pour  assurer  au  pouvoir  exécutif  le  respect,  la  liberté 
d'action  et  la  possibilité  de  se  faire  obéir  ",  les  États  proposaient 
d'établir  un  impôt  sur  toutes  les  denrées  qui  ne  sont  point  indispen- 
sables aux  premières  nécessités  de  la  vie.  Cet  impôt  devait  être 
exigible  aussi  bien  pour  l'exportation  que  pour  l'importation,  et  se 
monter  à  4  0/0  sur  le  prix  d'achat  -. 

Une  telle  mesure,  assuraient  les  députés  des  villes  dans  un  second 
cahier  de  doléances  envoyé  aux  États  le  2  février  152.3,  "  était  fait 
pour  ruiner  entièrement  le  commerce  et  pour  soulever  les  popula- 
tions. Tous  les  ouvriers,  tous  les  bons  travailleurs  se  verraient  con- 
trainls  de  chercher  une  autre  patrie.  L'Allemagne  serait  absolument 
dépouillée!  Si  les  princes  persistaient  à  la  soutenir,  il  serait  impos- 
sible aux  villes  de  signer  le  procès-verbal  \  " 

Les  autres  Ordres  répondaient  :  Le  nouvel  impôt  n'augmente  en 
rien  les  charges  du  peuple,  puisque  les  marchandises  indispensables 
à  la  vie  de  tous  les  jours,  vin,  bière,  bœufs,  moutons,  porcs  et  autres 
bestiaux,  fromage,  sel,  graisse,  poisson  frais  ou  salé,  cuivre  et  cuir, 
restent  affranchies  de  toute  taxe;  les  choses  dont  on  peut  se  passer 
sont  seules  imposées.  Chacun,  par  conséquent,  ne  sera  onéré 
qu'autant  qu'il  le  voudra  bien,  et  dans  la  mesure  de  ses  besoins  de 

'  *  Responsnm  nunlio  aposlolico  datiim  in  re  Hungarica ,  dans  les  lieichslagsacteii, 
t.  XXXVIII,  fol.  38-13.  En  Allemagne,  y  lit-on,  non  parva  bellorum  intestino- 
rum  subpullulant  fomenta,  ex  quihus  maxime  timendum,  yie  subito  jion  médiocre 
erumpat  incendium.  Ob  id,  cum  res  Germania*  iam  sint  in  longe  deteriori  con- 
ditione  et  sfatu,  quam  eo  tempore,  cum  auxilia  illa  Cesarea;  Maj.  décréta  fue- 
rant,  summa  Providentia,  consillo  et  deliberalione  opus  est,  an  nunc  expédiât, 
tantas  copias  a  Germania  mittere.  »  On  lit  dans  le  dialogue  intitulé  Entretien  de 
Franz  de  Sickingen  avec  saint  Pierre  et  saint  Georges  à  la  porte  du  paradis  :  ■>  Pendant  ICS 
deux  dièles  de  Nuremberg  on  a  tenu  environ  trente  banquets  contre  les  Turcs, 
sans  parler  des  courses,  combats,  promenades  en  traîneaux,  représentations  de 
jongleurs,  et  autres  sérieuses  mesures.  »  Schade,  Satiren,  t.  II,  p.  59. 

*  Le  projet  d'impôt  général  sur  les  marchandises  avait  été  élaboré  par  le  mar- 
grave Casimir  de  Brandebourg-Culmbach.  Voy.  son  mémoire  dans  IIofler,  Frän- 
kische Studien,  t.  VIII,  p.  309-310. 

■'  '  Die  Eingabe  der  Stddte  au/unser  lieben  Frauentag  Purißcationis  (2  février)  1523.  — 
Voy.  aussi  les  remontrances  de  l'archiduc  Ferdinand  datées  du  9  février,  et  la 
réponse  des  villes  le  même  jour.  —  Reichstagsacten,  t.  XXXVIII,  fol.  365-375,  378- 
387, 


DIÈTE    DK    NtJREMBEKG.    IMPOT    DE    ERONTIKRE.    1523.       279 

luxe,  c  Comme  l'impôt  était  destiné  à  l'entretien  du  Conseil  de  ré- 
{jence  et  de  la  Chambre  impériale,  au  mainlieu  de  la  paix  publique, 
à  la  sécurité  des  roules,  et  que,  p,râce  à  lui,  la  paix  et  le  bon  ordre 
allaient  refleurir  dans  l'Empire,  il  tournerait  autant  à  l'avantage  des 
marchands  qu'à  celui  de  la  clas.se  ouvrière.  Dans  les  pays  étrangers, 
comme  personne  ne  Tignorait,  un  impôt  analo{;ue  et  même  plus 
onéreux  avait  été  établi  pour  la  garantie  des  intérêts  communs,  et  ni 
le  commerce  ni  les  affaires  en  général  ne  semblaient  en  avoir  souffert. 
Au  contraire,  la  prospérité  de  ces  pays  s'était  encore  accrue,  parce 
que  la  sécurité  des  roules  avait  été  obtenue  :  c'est  ce  qui  arriverait 
également  en  Allemagne.  En  outre,  il  fallait  considérer  que  la  douane 
de  frontière  serait  surtout  préjudiciable  aux  pays  étrangers,  à  la 
Bohème,  à  la  Hongrie,  à  la  Pologne,  à  l'Angleterre,  où  allaient  et  d'oii 
venaient  continuellement  les  marchandises  imposées.  Puis,  comme 
l'expliquait  avec  détail  le  texte  de  la  loi  nouvelle,  l'impôt  n'était 
établi  que  pour  cinq  ans  environ,  à  moins  que  l'Empereur  et  les 
(»rdres  n'en  décidassent  plus  tard  différemment.  Pour  lous  ces  mo- 
tifs, il  y  avait  lieu  de  s'étoncer  que  les  délégués  des  cités  ne  vou- 
lussent apercevoir  dans  la  nouvelle  taxe  qu'une  odieuse  vexation, 
et  missent  l'avantage  de  quelques  marchands  au-dessus  de  l'intérêt 
de  tant  de  milliers  d'hommes.  •'  Quant  à  ce  qui  concernait  les  griefs 
apportés  de  nouveau  par  les  villes  touchant  -  le  siège  et  la  voix  ^, 
les  Élals  se  proposaient  de  les  soumettre  à  l'Empereur,  ainsi  qu'aux 
membres  de  l'assemblée  absents  pour  le  moment,  et  à  la  prochaine 
Diète  les  villes  recevraientune  réponse  positive.  Mais  quand  bien  même, 
comme  elles  le  désiraient  si  ardemment,  elles  obtiendraient  voix  déli- 
bérativeau  Conseil,  elles  ne  devaient  pas  s'attendre  à  ce  que  leur  avis 
pût  jamais  contre-balancer  les  décisions  de  la  majorité  des  Ordres, 
car  ce  serait  là  »  une  nouveauté  inouïe,  une  tyrannie  nonpareille. 
Il  ne  se  pouvait  que  la  volonté  de  tous  ou  de  la  majorité  fiit 
anéantie  dès  l'instant  qu'elles  n'y  voudraient  pas  souscrire;  les  Etats 
refuseraient  toujours  de  s'assujettir  ainsi  à  leur  bon  plaisir  '.  « 

-  A  mon  avis  ><,  écrivait  Léonard  d'Eck,  chancelier  de  Bavière,  au 
duc  Guillaume,  '<  les  villes  ne  consentiront  jamais  à  l'impôt  de  fron- 
tière; elles  s'adresseront  probablement  à  l'Empereur  lui-même,  ou 
bien  à  Ferdiuand,  et  si  la  Chambre  impériale  ou  le  Conseil  de 
régence  veulent  leur  forcer  la  main  sur  ce  point,  quelques-uns 
pensent  qu'elles  pourraient  bien  se  tourner  vers  les  Suisses,  ou  bien 
vers  les  Français  '.  » 

'  *  Antwort  auf  die  Supplikation  der  Städte,  Reichstagsacten,  t.  XXXVIII,  p.  38S-400. 

*  Voy.  Jör.G,  p.  14-l.=i.  Eck  parlait  avec  la  plus  vive  indi{jiiation  de  l'impôt  de 
frontière.  Selon  lui,  il  ue  pouvait  avoir  d'autre  résultat  que  l'opp  -essiDii  de  tous 
les  princes  et  Ordres.  >  Ce  même  argent  qui  court  maintenant  chez  nous  par  tant 


280     LE  CONSEIL  DE   REGENTE  ET  LES   QUESTIONS  RELIGIEUSES.   1521-1523 


II 


Mais  les  questions  religieuses  demeuraient  le  point  le  plus  grave 
des  discussions  de  la  Diète. 

Le  Conseil  de  régence,  depuis  son  entrée  eu  exercice,  n'avait  eu 
nulle  part  c;  le  pied  solide  •■  sur  le  terrain  religieux.  Il  s'était  con- 
tenté de  laisser  aller  les  choses  un  peu  à  la  dérive,  '  tantôt  penchant 
vers  Luther,  tantôt  s'opposant  à  ses  progrès  -.  Il  avait  accordé  si 
peu  d'attention  à  l'édit  de  Worms,  dont  l'Empereur  avait  cependant 
réclamé  l'exécution  avec  une  vive  instance,  qu'à  Nuremberg  même, 
a  les  livres  luthériens  étaient  imprimés  et  vendus  publiquement,  et 
que  dans  quelques  chaires  les  prédicants  prêchaient  en  toute  sécu- 
rité leur  évangile,  criblant  tous  les  jours  de  grossiers  outrages  le 
Pape,  les  évêques,  les  commandements  de  l'Église  et  les  traditions  les 
plus  vénérables  -.  Les  juristes  en  droit  romain,  nombreux  au  Conseil, 
étaient  pour  la  plupart  ennemis  déclarés  de  l'ancien  état  de  choses, 
•'  et  fort  amoureux  des  trésors  et  des  biens  de  l'Église  -.  Ils  aspi- 
raient à  l'heureux  moment  où  les  biens  du  clergé  seraient  partagés 
et  ou,  la  "  morgue  cléricale  ^  étant  humiliée,  les  évêques  et  le  Pape 
n'auraient  plus  aucun  pouvoir  sur  eux.  Alors,  pensaient-ils,  le  règne 
des  laïques,  le  temps  où  les  légistes  prendraient  ia  place  des  princes 
et  des  bourgeois,  serait  inauguré  avec  éclat  '.  En  vain  le  duc  Georges 
s'était-il  plaint  à  plusieurs  reprises  au  Conseil  des  insultes  dont  Lu- 
ther ne  cessait  d'accabler  le  Pape,  l'Empereur,  les  princes  du  Saint- 
Empire  et  le  Conseil  lui-même  :  le  Conseil,  lorsque  ces  libelles  lui 
avaient  été  présentés,  s'était  contenté  d'écrire  au  duc  :  Nous  voyons 
que  les  outrages  proférés  contre  Sa  Sainteté  et  contre  Sa  Majesté 
Impériale  déplaisent  fort  à  Votre  Grâce,  et  nous  faisons  savoir  à 
Votre  Grâce  que  nous  ne  tolérerions  pas  davantage  l'injure  faite  à 
Sa  Majesté,  si  nous  pouvions  voir  de  nos  yeux  et  nous  rendre  compte 
par  nous-mêmes'.  »  La  vérité,  c'est  qu'on  ne  voulait  rien  savoir,  rien 

de  mille  florins  ira  à  la  maison  dAutriche  et  y  demeurera!  Grâce  ;"i  ces  contri- 
butions, il  (l'empereur  Charles)  pourra  exiger  des  Allemands  l'obéissance  fran- 
çaise et  welche,  et  les  mettre  sous  ce  joug  qui  semble  pourtant  si  intolérable  à 
tous  nosprinces.  -  Eck  gourmande  les  princes  qui  ont  donnéleurassentiment  à  ce 
projet  :  =  En  cela, nous  voyons  assez  combien  Dieu  tous  a  rendus  aveugles,  princes, 
pour  que  vous  tombiez  ainsi  dans  la  panneau  les  yeux  ouverts,  comme  des  oi- 
seaux dans  un  piège  d'oiseleur!  -  —  Voy.  .)öi\g,  t.  XIV,  p.  16. 

'  '  Clément  Endres  dans  la  lettre  citée  plus  haut,  p.  274,  note  1. 

*  Voy.  la  correspondance  du  duc  Georges  avec  l'autorité  ecclésiastique  par  rap- 
port à  Luther,  1522-1523,  dans  Chmel,  Aciemiüche,  p.  21-24,  36-.39,  53-56.  Voy.  aussi 
HÖFLER,  Zur  Kritik  und  Quellunhunde ,\ .  II,  p.  138-142.  Hans  de  la  Planitz  à  l'élec- 
teur Frédéric,  le  14  mai  1522,  dans  Kolde,  Friedrich  dtr  lUeite,  p.  63. 


r.E   rONSIML  DE  KÉGENCE  ET  LES  OUESTIONS  REf-IGIEnsES.   1521-1023.     281 

opposer  aux  agissements  de  Luther,  rien  apprendre  de  ce  qui  con- 
cernait l'active  propajjandc  luIlK-riennc.  «  Dans  des  fjucslions  de 
cette  nature  disait  peu  de  temps  après  au  duc  (;eorf,es  le  comte 
palatin  Philippe,  lieutenant  impérial  à  ce  moment,  «  nous  n'avons 
absolument  qu'à  laisser  faire '.  >  Lorsque  Sickinp,cn  avait  entrepris 
sa  grande  campagne  contre  la  constitution  impériale  au  profit  du 
nouvel  évangile,  le  chargé  de  pouvoir  de  Philippe  au  Conseil  de 
régence,  Jean  de  Fuchsfein  avait  fait  savoir  à  Sickingen  "  qu'il 
pouvait  avoir  bon  courage,  parce  que  la  majorité  du  Conseil  était 
favorablement  disposée  en  sa  faveur,  et  penchait  grandement  vers  son 
parti*  ').  Frédéric  de  Saxe,  forcé  par  un  ordre  exprès  de  la  Hégence 
d'assister  à  la  Diète  de  1522,  allait  à  peine  jusqu'au  bon  vouloir,  jamais 
jusqu'aux  actes;  il  n'avait  jamais  voulu  se  déclarer,  et  son  inertie 
servait  admirablement  les  desseins  de  ceux  qui  trahissaient  secrète- 
ment l'Kmpereur  et  l'Empire,  en  excitant  la  révolte  dans  le  domaine 
temporel  comme  dans  le  domaine  religieux.  Sous  sa  protection, 
Luther,  '■  librement  et  impunément  ' ,  pouvait  à  son  gré  non-seule- 
ment décrier  et  honnir  le  roi  d'Angleterre,  allié  de  l'Empereur,  mais 
encore  les  princes  allemands,  les  ducs  de  Bavière,  les  électeurs  de 
Brandebourg,  les  princes  de  HoheuzoUern  et  le  duc  Georges  de  Saxe. 
Aussi  ne  se  génait-il  pas  pour  les  appeler  «  homicides,  tyrans,  bour- 
reaux du  peuple  '.  «  Dans  mes  rapports  avec  Sa  Sainteté,  Sa  Majesté 
Impériale  et  les  autres  Ordres  ',  écrivait  un  jour  Frédéric  à  Luther, 
«  j'ai  toujours  donné  à  entendre  que  je  n'avais  jamais  rien  eu  à  démê- 
ler ni  avec  vous  ni  avec  vos  partisans  '.  "  11  écrivait  à  l'Empereur  qu'il 

'  Voy.  Ranke,  Deutsche  Geschichte,  t.  II,  p.  52. 

*  Voy.  plus  haut,  p.  255. 

»  Spalalin  à  Luther,  sous  la  dictée  de  l'Électeur,  13  mai  1523.  Voy.  Ri  rkhaudt, 
Luthers Briefwcclifcl.  t.  LVII.  Frédéric  avait  fort  peu  de  sollicitude  pour  les  besoins 
matériels  de  Luther;  il  le  laissait  se  tirer  d'affaire  comme  il  pouvait  dans  tous 
ses  embarras  pécuniaires.  Les  lettres  de  Luther  à  Spalatin,  secrétaire  particulier 
de  l'Électeur,  sont,  sous  ce  rapport,  très-curieuses  à  consulter.  En  novembre  1526, 
Luther  écrit  qu'il  se  voit  forcé  de  faire  dette  sur  dette;  le  trésorier  du  prince 
ne  se  soucie  nullement  de  lui;  la  nécessité  et  la  misère  le  chasseront  bientôt  de 
Wittemberi;,  et  il  en  saisira  volontiers  l'occasion,  car  il  est  dégoilté  de  la  dureté 
et  de  l'ingratitude  de  cette  ville  (duritiam  et  ingratitudinemi.  De  Wette,  t.  II, 
p.  433.  —  Ce  fait  semble  prouver  que  l'attachement  du  peuple  pour  lui  ne  devait 
pas  être  bien  vif.  Le  I"  février  1524,  Luther  fait  entendre  de  nouvelles  plaintes. 
Depuis  deux  ans  déjà  les  religieux  du  couvent  des  Augustins  n'ont  touché  aucune 
dîme.  Le  trésorier  les  traite  avec  arrogance  (satis  imperiosus  in  nos  frémit).  De 
"Wette,  t.  IF,  p.  473.  — Luther  est  encore  plus  amer  dans  une  lettre  datée  de 
la  fin  de  1524.  En  dépit  de  ses  instantes  prières,  il  ne  reçoit  rien.  L'Électeur 
ne  semble  pas  se  soucier  de  savoir  s'il  pourra,  oui  ou  non,  rester  à  Wittemberg; 
il  se  serait  depuis  longtemps  fixé  ailleurs  s'il  n'eût  craint  que  ce  procédé  ne 
fût  peu  honorable  à  la  cause  de  l'Évangile,  et  n'attirât  sur  la  conduite  du  prince 
quelque  méchant  blâme.  Il  n'avait  pas  voulu  non  plus  qu'on  parlât  de  lui  comme 
d'un  proscrit,  et  que  les  ennemis  de  l'Évangile  aient  lieu  de  se  réjouir  de  le  voir 
humilié.  (Nisi  contumelia  Evangelii  atque  adeo  principis  me  lenuisset,  ne  dicerer 


282  ADRIEN    VI    ET    LES    ETATS    DE    NUREMBERG.    1522. 

devrait  cependant,  comme  il  l'en  avait  tant  de  fois  supplié,  ne  pas 
exiger  qu'il  s'occupât  de  ces  questions;  il  était  affaibli  par  l'âge  et  la 
maladie,  incompétent  dans  ces  matières,  et  d'ailleurs  il  savait  peu 
de  chose  ou  rien,  quant  au  remède  qu'il  conviendrait  d'appliquer  au 
mal  '.  Son  ministre,  Jean  de  la  Planitz,  déclara  au  Conseil  de  ré- 
gence que  l'Électeur,  malgré  l'édit  impérial,  avait  parfaitement  le 
droit  d'autoriser  Luther  à  rester  à  Wittemberg,  car  Luther  n'ensei- 
gnait aucune  hérésie,  et  si  l'on  avait  l'imprudence  de  le  proscrire, 
ses  disciples  et  émules  s'élèveraient  à  sa  place,  et  prêcheraient  alors 
non-seulement  contre  l'Église,  mais  contre  le  christianisme  et  contre 
Dieu,  de  sorte  qu'une  complète  anarchie  religieuse  suivrait  une  me- 
sure si  impolitique -. 

Il  n'était  que  trop  vrai,  et  déjà  un  semblable  malheur,  conséquence 
naturelle  de  la  révolte  contre  l'autorité  de  l'Église,  se  faisait  pressen- 
tir de  tous  côtés.  "  Les  colonnes  du  temple  imprudemment  ébran- 
lées faisaient  chanceler  avec  elles  tous  les  pouvoirs  temporels  :  la 
porte  était  ouverte  à  l'arbitraire.  ' 

«  Ceux  qui  ont  insulté  les  lois  de  l'Église  et  les  saints  conciles  •', 
écrivait  Adrien  VI  aux  Ordres  réunis  à  Nuremberg;  «  ceux  qui  n'ont 
pas  craint  de  jeter  dans  les  flammes  ou  de  lacérer  les  décrets  des 
saints  Pères,  refusant  toute  obéissance  au  suprême  sacerdoce,  se 
soumettront-ils  aux  lois  de  l'Empire?  Espérez-vous  que  des  hommes 

expuisus  et  l?etificarenliir  hostes  pietatis,  quod  sperant.)  De  Wette,  t.  II,  p.  584. 
La  même  année  il  se  plaint  à  Jean  Hess  de  l'avarice  des  princes  :  -  Xikil  viirum,  si 
principes  in  Eranjelio  sua  quœrunt  et  raptores  novi  raploribus  veteribus  insidieniur. 
Lux  orta  est,  qua  videinus  quid  sit  mundus,  neinpe  regauin  Salanae.  De  Wette, 
t.  !I,  p.  592.  En  1525,  Luther  reçut  en  don  de  l'Électeur,  qui  s'était  attribue  la  libre 
disposition  des  biens  ecclésiastiques,  le  couvent  des  Auijustins,  ainsi  que  les 
meubles,  les  ornements  déj^lise  et  le  jardin  du  monastère.  Luther  donna  asile 
dan.^  ce  couvent  à  beaucoup  de  religieuses  et  de  prêtres  échappés  de  leurs  cou- 
vents. ''  Un  grand  nombre  d'objets  ayant  appartenu  au  couvent  ont  été  déro- 
bés '•v  dit-il  dans  1  inventaire  qu'il  dresse  de  tout  ce  qui  était  resté  dans  la 
maison.  Il  vendit  les  plus  belles  chasubles,  et  du  prix  qu'il  en  retira  nourrit  et 
entretint  des  religieuses  et  religieux  (parmi  lesquels  se  trouvaient  plus  d'un 
vaurien)   — Voy.  Sfidemann,  Luthers  Grundbesitz,  p.  481-483. 

'  Le  6  janvier  1523.  Voy.  Blchholtz,  t.  II,  p.  10. 

*  Ranke,  t.  II,  p.  50-51.  Planitz  écrivait  le  14  mai  1522  à  Frédéric  de  Saxe  qu'il 
ne  serait  pas  éloigné  d'admettre  la  doctrine  du  salut  par  la  foi,  mais  qu'il  était 
scandalisé  des  paroles  outrageantes,  des  injures  perpétuelles  que  Luther  adres- 
sait sans  cesse  au  Conseil  de  régence  et  à  l'Empereur.  Ce  qui  le  concernait  per- 
sonnellement lui  était  indifférent,  mais  il  craignait  qu'avec  le  temps  ces  dis- 
cours ne  causa>sent  des  troubles  fâcheux  et  n'aigrissent  les  esprits  contre 
l'Électeur.  Frédéric  lui  répondit  (26  mai)  :  -  Nous  n'avons  point  de  part  à  ces 
choses;  ce  n'est  pas  à  notre  connaissance  et  de  notre  consentement  que  le  doc- 
teur .Marlin  Luther  publie  ces  écrits,  car  s'il  eût  voulu  nous  en  croire,  il  n'aurait 
pas  envoyé  à  notre  cousin  de  Nuremberg  son  petit  traité  sur  la  communion 
sous  les  deux  espèces,  et  se  fût  abstenu  de  faire  paraître  bien  d'autres  ouvrages 
encore,  caries  livres  acrimonieux  n'ont  jamais  été  de  notre  goût.  ■  —  Kolde, 
Friedrich  der  Weise,  p.  64. 


ADIUKN    V[    ET    LES    KTATS    DE    NÜREMBEKG.    1522.  283 

<|ui  sous  nos  yeux  s'emparent  dos  biens  les  plus  sacrés  n'élendroat 
pas  leurs  mains  sacrilèges  vers  les  richesses  des  laïques?  Épargne- 
ront-ils vos  tôles,  eux  qui  ont  frappé  les  oinis  du  Seigneur?  » 

Adrien  se  proposait  de  traiter  les  affaires  religieuses  avec  les  Etats 
dans  un  esprit  d'extrême  condescendance. 

il  était  impossible  d'être  animé  d'intentions  plus  droites.  Né  à 
Utrech,  issu  d'une  famille  bourgeoise  d'Allemagne,  élevé  chez  les 
Frères  de  la  vie  commune,  à  ZwoUe,  Adrien  avait  conquis  de  bonne 
heure  le  respect  général  par  sa  piété,  sa  science  et  l'austérité  de  ses 
mœurs.  A  Louvain,  il  avait  occupé  une  chaire  de  théolo{>,ie;  plus 
tard,  nommé  précepteur  du  jeune  Charles  d'Autriche,  il  avait  été 
char{'é  pendant  quelque  temps  de  la  direction  des  affaires  d'Espagne 
en  qualité  de  lieutenant  impérial  '.  A  la  mort  de  Léon  X,  survenue 
le  1"  décembre  1521,  il  avait  été  élevé  au  trône  pontifical  par  le 
colléjje  des  cardinaux  d'une  façon  tout  à  fait  inattendue,  et  «  à  la 
joie  de  tous  les  bons  >.  Depuis  lors  toutes  ses  préoccupations,  tous 
ses  efforts  s'étaient  portés  vers  la  réforme  religieuse,  l'amélioration 
du  clergé,  la  délivrance  de  la  chrétienté  du  joug  des  Turcs,  et  la 
tin  des  dissensions  religieuses  dans  sa  patrie  d'Allemagne*. 

'  HÖ1LEU,  Adrien  VI,  p.  lO'J.  Vov.  le  parallèle  qu'il  établit  entre  Adrien  et 
Léon  \,  p.  114.  280-201,  222. 

^  V()\ .  sur  Adrien  les  ju{;ements  portés  par  les  contemporains.  Höfler,  Wahl 
und  Throbestcigunrj  Adrians  11,  p.  36-37.  —  Voici  Comment  Alber{^ati  Vianesio, 
bien  que  peu  prévenu  en  faveur  des  Allemands  en  sa  qualité  d'Italien,  appréciait 
le  caractère  d'Adrien  dans  une  lettre  adressée  au  sénat  de  Bolo{;ne  :  ...méri- 
tasse la  sua  santissima  rila,  che  curlo  in  queslo  mondo  non  ha  pari  :  da  poi  ancora  e 
piacciuto  alla  divina  dementia,  che  sia  stato  eletto  in  Somma  l'ontifice...  di 
che  la  christiana  repul)lica  se  n'  ha  da  rallej^rare  et  rendere  infinite  jjratie  all' 
Altissimo,  mag(i;iorrnente  li  subditi  délia  Santa  Apostolica  Sede.  ■  F.^^ntuzzi, 
.Votizie  degli  scrittori  Bnlognesi,  t.  I,  p.  137.  —  Le  meilleur  de  tOus  les  plans  de 
réforme  est  celui  qui  fut  remis  au  pape  Adrien  par  le  cardinal  Egidius  de 
Viterbe,  général  des  .VugUSiins.  Voy.  Hofler,  Analecten  zur  Geschichte  Deutschlands 
und  Italien.  Compte  rendu  de  la  section  historique  de  l'Académie  des  sciences 
de  Bavière,  t.  IV,  p.  62-89.  Kgidius  supplie  la  cour  de  liome  de  s'appliquer  à  la 
réforme  des  abus.  Il  demande  la  cessation  absolue  de  la  pluralité  des  bénéfices, 
la  complète  abolition  des  commendes,  la  levée  des  bénéfices  réservés,  etc.  Il 
réclatne  la  nomination  de  personnes  compétentes  et  capables  aux  grandes 
charges  ecclésiastiques.  Par  des  concessions,  de  secrets  accords  ou  même  des 
contrats  positifs  passés  avec  les  princes,  les  choses  en  étaient  venues  à  un  tel 
point  que  la  plus  grande  partie  des  droits  et  des  affaires  ecclésiastiques 
échappaient  à  la  juridiction  du  Saint-Siège,  pour  être  entièrement  remis  à  la 
libre  disposition  des  princes.  Il  était  urgent  de  restreindre  le  plus  possible  ces 
concessions  et  de  réformer  ces  abus.  .Mais  ces  mesures  si  nécessaires  devaient 
être  prises  avec  une  grande  circonspection,  puisqu'il  n'était  que  trop  vrai  que 
les  pontifes  précédents,  aux  vues  courtes  et  cupides,  n'avaient  pas  rougi  de 
faire  un  tort  profond  à  l'Église  pour  un  avantage  momentané,  etc.  C'est 
sur  le  mémoire  d'Egidius  qu'Adrien  se  guida  dans  ses  réformes;  il  nomma 
une  commission  spécialement  chargée  d'écarter  dans  la  question  des  indul- 
gences tous  les  abus  dont  les  ennemis  de  l'Église  s'autorisaient  pour  justifier 
leurs  nouveautés.  Il  diminua  de  beaucoup  les  cas  d'empêchements  aux  mariages. 


284  ADRIEX    VI    ET    LES    ETATS    DE    NUREMBERG.    1522. 

Le  Pape  s'exprimait  ;  avec  une  franchise  sans  égale  >  sur  l'urgente 
nécessité  de  réformer  l'Église  dans  son  chef  et  dans  ses  membres, 
et  particulièrement  sur  les  abus  de  la  cour  romaine.  ^  Nous  savons  11, 
fit-il  déclarer  aux  Ordres  par  l'organe  de  son  légat  Francesco  Chie- 
regato,  ■■■  que  des  actes  qu'il  faut  détester  ont  été  commis  dans  ces 
derniers  temps,  et  que  les  souverains  pontifes  n'en  peuvent  rejeter  la 
responsabilité  '.  Xous  avons  ä  déplorer  de  graves  abus  dans  les  ques- 
tions spirituelles ,  la  transgression  de  beaucoup  de  lois  existantes, 
sans  parler  des  illégalités  et  des  scandales  ^  Aussi  ne  peut-on,  en 
vérité,  s'étonner  que  le  mal  se  soit  répandu  du  chef  dans  les  membres. 
Tous,  nous  nous  sommes  détournés  du  chemin  de  Injustice;  tous 
aussi,  nous  devons  rendre  à  Dieu  la  gloire  qui  lui  appartient  unique- 
ment, et  nous  humilier  devant  lui.  Nous  nous  efforcerons,  quant  à 
nous,  d'accomplir  notre  devoir  avec  le  plus  de  zèle  possible,  afin  que 
la  cour  romaine,  de  laquelle  peut-être  sont  venus  tant  de  maux,  soit 
la  première  aussi  d'où  parte  la  réforme,  et  que  la  santé  reparaisse 
là  où  le  mal  a  eu  son  premier  foyer.  Nous  nous  sentons  d'autant 
plus  obligés  à  prendre  à  cet  égard  de  sérieuses  mesures  que  nous 
sommes  témoins  de  l'ardeur  avec  laquelle  le  monde  entier  soupire 
après  la  réforme  de  la  cour  romaine.  Nous  n'avons  jamais  ambi- 
tionné le  suprême  sacerdoce;  nous  n'avons  accepté  la  dignité  de 
premier  pasteur  que  dans  l'espoir  de  rendre  à  la  sainte  Eglise, 
l'épouse  du  Sauveur,  sa  beauté  primitive,  de  venir  en  aide  aux  oppri- 
més, de  donner  les  hautes  charges  ecclésiastiques  à  des  homm.es  ver- 
tueux et  savants;  en  un  mot,  de  ne  rien  négliger  des  devoirs  d'un 
vrai  pasteur  de  l'Église  et  d'un  digne  successeur  de  saint  Pierre,  m 
Le  Pape,  animé  des  intentions  les  plus  loyales,  promit  aux  Ordres 
que  dorénavant  les  concordats  seraient  strictement  respectés;  que 
pour  l'investiture  des  grands  emplois,  on  n'aurait  égard  qu'au  mérite, 
et  qu'ils  ne  seraient  confiés  qu'à  des  hommes  savants,  pieux  et  éclai- 
rés. Il  réclama  ensuite  l'avis  des  États  sur  les  moyens  les  plus  oppor- 
tuns d'arrêter  les  progrès  des  novateurs  religieux. 


abolissant  par  conséquent  les  dispenses  qui  en  dépendaient,  supprima  un  grand 
nombre  de  cas  réservés,  de  coadjutoreries,  de  survivances  et  autres  usages  qui 
peu  à  peu  s'étaient  écartés  des  règles.  Il  abolit  également  un  grand  nombre  de 
charges  auxquelles  étaient  attachés  de  grands  revenus,  et  qui  servaient  bien 
plus  les  goilts  fastueux  du  clergé  que  les  intérêts  de  la  religion.  Il  prit  soin  de 
ne  confier  les  emplois  ecclésiastiques  qu"à  des  hommes  pieux,  éclairés;  il  avait 
coutume  de  dire  ;  ■  Je  veux  orner  les  églises  de  prêtres,  et  non  les  prêtres 
d'églises.      Pour  plus  de  détails,  voyez  Höfleu,  Adrien  II,  p.  208,  ff. 

'  "  Scimus  in  hac  sancta  sede  aliquot  iam  annis  multa  abominanda  fuisse 
abusus  in  spiritualibus,  eicessus  in  mandatis  et  omnia  denique  in  perversum 
mutata.  > 

-  '  ...Ut  primum  curia  hax,  unde  forte  omne  hoc  malum  processit,  rei";>r- 
metur.  • 


ADRIEN    VI    ET    LES    KT  AT. S    DE    NUREMBEliG.    15Î2.  285 

Ce  fut  un  in.s(;iQt  solennel  dans  l'Iiisloire  du  peuple  allemand. 

Plein  de  coufianee  et  de  bon  vouloir,  le  Sainl-Père  s'adressait  aux 
chefs  s|)iritueis  et  temporels  de  ce  peuple  dont  lui-même  était  issu, 
et  qu'il  aimait  si  profondément.  Il  leur  faisait  part  de  ses  douleurs,  de 
ses  angoisses  paternelles,  de  ses  désirs  pour  le  bien  de  la  clirélienté, 
réclamant  leur  conseil,  leur  aide,  et  les  avertissant  que  si  les  institu- 
tions ecclésiastiques  venaient  à  s'écrouler,  leur  chute  serait  infailli- 
blement suivie  de  la  ruine  des  inslitulions  temporelles.  Si  l'on  lolère 
ou  excite  dans  le  royaume  les  dissensions  relijjieuses,  les  séditions 
contre  l'anforilé  >■.,  disait-il,  «jamais  on  ne  parviendra  à  opposera  la 
fureur  des  Turcs  une  résistance  heureuse,  et  des  guerres  intestines 
s'élèveront  au  cœur  même  de  l'Allemagne.  "  Le  Pape  insistait  donc 
pour  la  loyale  exécution  de  l'édit  de  Worms.  Tous  les  articles  de  foi 
à  propos  desquels  Luther  s'écartait  du  symbole  catholique  avaient  été 
depuis  longtemps  définis  par  différents  conciles;  il  était  impossible 
de  remettre  en  question  ce  que  les  conciles  généraux,  ce  que  l'Église 
universelle  avait  décidé  et  reçu  comme  article  de  foi.  "  Si  nous  tou- 
chons à  ce  que  l'Église  a  défini,  dès  lors  il  n'y  aura  plus  rien  de  stable 
ni  de  solide  parmi  les  hommes.  "  «  Jusqu'où  iraient  les  disputes, 
les  querelles,  si  le  premier  présomptueux  venu  pouvait  à  son  gré 
nier  ce  qui  a  été  confirmé  et  sanctifié  non-seulement  par  le  juge- 
ment d'un  ou  de  quelques  liommes,  mais  par  l'assenliment  unanime 
de  tant  de  siècles,  et  par  les  plus  sages  d'entre  les  chrétiens?  Si 
Luther  et  les  siens  rejettent  aujourd'hui  les  saints  conciles,  s'ils 
anéantissent  les  lois  et  les  ordonnances  du  passé,  bouleversant  tout 
au  gré  de  leur  caprice  et  plongeant  le  monde  entier  dans  la  confu- 
sion, il  est  évident  qu'une  telle  conduite,  s'ils  y  persévèrent,  doit  les 
faire  regarder  comme  ennemis  et  perturbateurs  de  la  paix  publique 
par  tous  ceux  à  qui  cette  paix  est  chère  '.  •;  Pour  le  redressement  des 
abus,  la  restauration  de  l'ancienne  discipline  religieuse,  l'apaisement 
des  troubles,  le  nonce  proposait  aux  Ordres  un  grand  remède  :  la 
convocation  d'un  concile  (rcuménique  dans  une  ville  allemande-. 

'  Lettre  d'Adrien  aux  princes,  et  son  instruclion  pour  le  nonce  Cliieregato 
datée  du  2^  novembre  1522  dans  Reynald,  ad  armum  1522,  n"  60-71.  Burmann, 
Hadrianus  II.  sivc  ânaUcla  historica  de  Hadriano  sexto  TrajecCino,  Papa  Boviano  [Trajecti 
adRhenum).  1727,  p.  375.  Voy.  Blchholtz,  t.  II,  p.  7  22.  —  Voy.  HÖfler,  Anakcten 
iur  Geschichlc Deulsclilandund llalicns,  p.  45-46,  ei  Adrien  II,  p.  260-275.  Le  bref  d'Adrien 
à  l'électeur  Frédéric  de  Saxe  souvent  réimprimé  et  qui  passe  pour  authentique, 
n'est  pas  un  acte  officiel,  mais  simplement  un  travail  privé  dil  à  Cochla-us.  — 
Voy.  l'article  d'OTTO  dans  le  Katholik,  ann.  LUI,  livraison  d'août,  p.  237-242. 

*  «  Non  defuturum  pontificem  suo  muneri  in  toUendis  acerbioribus  imperiis, 
si  qua  Germaniaï  a  Roniana  curia  imposita  essent,  mitigandis  exactiouibus,  abo- 
lendis  corruptelis,  si  qua'  irrepsissent,  atque  etiam  concilium  œcumenicum  ad 
restituandam  in  prislinuni  splendorem  distiplinam  ecclesiasticam,  motusque 
omnes  scdandos  in  Germanica  urbe  celebraturum.  ■  Ray.nald  ad  annum  1523, 
n"  2.  Chieregato  écrivait  le  20  janvier  1523  au  marquis  de  Mantoue  :  «  La  sola 


286      RÉPONSF    DES    ETATS    AUX    DECLARATIONS    PAPALES.    1523. 

Une  commission  élue  par  le  Conseil  de  régence  pour  préparer 
une  réponse  au  Saint-Père,  commission  où  les  partisans  de  Luther 
avaient  la  prépondérance,  rédigea  un  mémoire  qui  portait  en  sub- 
stance :  qu'il  était  impossible  de  procéder  contre  Luther  par  voie 
de  rigueur;  que  si  Ton  usait  de  sévérité  envers  lui,  ses  partisans 
crieraient  aussitôt  à  l'oppression  tyrannique  de  la  vérité  évangé- 
lique  et  au  maintien  des  abus;  qu'il  n'en  résulterait  que  révolte  et 
apostasie.  La  commission  dictait  au  Pape  les  moyens  à  prendre 
pour  arrêter  le  mal  :  il  devait  s'engager  à  respecter  les  concordats, 
donner  satisfaction  aux  griefs  formulés  contre  la  cour  romaine; 
surtout  ne  plus  exiger  d'annates,  mais,  à  l'avenir,  en  faire  la  remise 
au  lieutenant  impérial  et  au  Conseil  de  régence.  Sans  l'adoption 
de  ces  mesures  il  était  inutile  d'espérer  que  la  paix,  le  droit  et 
l'ordre  pussent  être  restaurés  en  Allemagne.  Les  laïques  devaient 
avoir  droit  de  siéger  et  de  voter  au  concile,  qui  serait  convoqué 
pour  l'année  suivante,  avec  l'assentiment  de  l'Empereur.  Dans 
ce  concile,  on  délibérerait  en  général  sur  toutes  les  questions  reli- 
gieuses et  sur  tout  ce  qui  était  d'utilité  publique.  Si  le  Pape  approu- 
vait ces  conclusions,  le  Conseil  promettait  d'agir  auprès  de  Frédéric 
de  Saxe,  ;ifin  qu'il  obtint  de  Luther  que  dorénavant  ni  lui  ni  ses  par- 
tisans n'écrivissent  et  n'enseignassent  aucune  chose  pouvant  fournir 
au  peuple  le  moindre  prétexte  à  la  révolte  ou  au  scandale.  L'Evangile 
et  l'Écriture  sainte,  d'après  les  textes  approuvés  par  l'Église  et  d'après 
le  sens  littéral,  seraient  seuls  enseignés;  les  archevêques  et  évoques 
exerceraient  sur  ce  point  une  sévère  surveillance,  secondés  par  les 
théologiens  les  plus  éclairés.  Outre  cela,  chez  tous  les  imprimeurs  et 
libraires  «  ou  aurait  l'œil  à  ce  que  nul  écrit  pouvant  exciter  des  que- 
relles religieuses  ne  fût  imprimé  ni  livré  au  public  '  ». 

causa  del  Luther  hatanto  radice  qui  che  mille  homini  non  bastaria  ad  eradicarle 
non  che  so  che  sono  solo,  pur  faro  che  si  potro.  Non  si  inancano  minaccie,  injurie, 
libelli  famosi  et  lutte  quelle  villanie  che  sono  possibile  ad  supportare,  lo  credo 
che  la  cosa  homai  sia  tanto  inanli,  chella  non  possi  andare  più.  •  Sur  les  héré- 
sies toujours  grandissanles.  il  ajoute  :  Adesso  hanno  incoininzialo  ad  predicare 
che!  sacramento  de  lo  altare  non  è  vero  sacrainenio  et  chel  non  si  deve  adorare, 
ma  sola  si  deve  far  in  memoria  de  Christo.  Item  hanno  suscitato  che  la  B.  Ver- 
gine  non  hebbe  alcuno  merito  havere  portato  Christo  net  sacrato  utero  et  chella 
pavtori  più  figlioli  de  Joseph,  et  ogni  ziorno  vanno  del  maie  in  peggio.  IIofler, 
Zur  Kritik  lind  Quelleiihindc,  t.  II,  p.  143.  —  Voy.  aussi  un  mémoire  adi'essé  par  le 
légat  aux  Ordres  :  il  voit  dans  le  trouble  qu'ont  produit  les  doctrines  de 
Luther  la  véritable  cause  du  mauvais  état  des  affaires  d'Allemagne.  Une  chro- 
nique luthérienne  écrite  à  Nuremberg  commence  le  récit  de  la  mission  de  Chie- 
regato  par  ces  paroles  :  ■  Anno  lô22  :  Le  diable  dirigea  une  fois  de  plus  un  légat 
romain  vers  Nuremberg;  il  était  envoyé  par  Adrien,  pape  maudit.  Depuis  ce 
moment,  la  dcictrine  de  Luther  est  joliment  arrangée!  mais  le  démon  a  vu  ses 
espérances  déçue^,  car  les  paysans  ne  sont  pas  plus  bêtes  que  d'autres,  et  ils  ont 
vu  clair  dans  toutes  ses  ruses.  »  IIoflek,  âdrim  11,  p.  365. 

'  Voy.  ce  rapport  dans  les  archives  de  Francfort,  liewhstagsacten,  t.  XXXVIII, 
fol.  99-109.  —  Voy.  Höfler,  Adrien  II,  p.  279-280. 


RÉPONSK  DES  ÉTATS  MX  DÉCLARATIONS  PAPALES,  l=i23.   -287 

Parmi  les  membres  de  la  tomniission,  Jean  de  Sclnvarlzcnberg, 
juriste  romain,  se  faisait  particulièrement  remarquer.  C'était  un  des 
plus  remuants  apôtres  de  l'évangile  luthérien.  Peu  de  temps  aupara- 
vant il  avait  assisté  à  Lindau  à  l'assemblée  des  chevaliers  convoquée 
par  Slckingen;  c'est  lui  (jui  avait  notifié,  dans  le  rapport  adressé  au 
Saint-Père,  l'article  si  important  réclamant  pour  les  laïques  le  droit 
de  siéger  et  de  voter  au  concile,  droit  qui  contrevenait  absolument 
aux  anciens  règlements  de  l'Égiise.  Une  «  praticta  «  astrologique, 
composée  en  vue  de  la  circonstance,  imprimée  à  Nuremberg,  dédiée 
au  Conseil  de  régence  et  autorisée  par  un  privilège  spécial,  con- 
cluait de  certaines  conjonctions  "  dans  la  maison  de  .lupiter  »  qu'un 
concile  était  de  nécessité  urgente,  et  qu'au  sein  de  ce  concile, 
l'Empereur  romain,  non  le  Pape,  prendrait  en  main  la  réforme,  amé- 
liorerait, corrigerait  et  plierait  à  ses  lois  l'Église  du  Christ  et  tous 
les  Ordres  de  l'Empire.  Si,  comme  cela  était  à  prévoir,  le  concile 
rencontrait  quelque  résistance,  «  il  fallait  s'attendre  à  ce  qu'une  guerre 
terrible,  un  trouble  violent  éclatât  simultanément  dans  les  princi- 
pautés temporelles  et  ecclésiastiques  »  ;  (^  les  paysans,  le  commun 
du  peuple,  formeraient  des  ligues  dans  beaucoup  de  localités, 
s'uniraient,  s'élèveraient  contre  leurs  rois,  leurs  princes  et  supé- 
rieurs spirituels  et  temporels,  s'empareraient  de  tout  ce  qui  leur 
semblerait  bon  à  prendre  et  n'épargneraient  personne,  de  sorte 
que,  dans  un  très-court  délai,  l'Église  devait  s'attendre  à  la  persé- 
cution et  à  l'opprobre'  «. 

Le  rapport  de  la  commission  fut  soumis  à  l'examen  des  Ordres. 
Les  délégués  des  villes  s'en  montrèrent  extrêmement  satisfaits.  Les 
États,  disaient-ils,  savaient  assez  l'extension  qu'avait  prise  la  doc- 
trine de  Luther  et  combien  elle  avait  excité  de  querelles  et  de 
fâcheux  dissentiments  entre  les  laïques  et  le  clergé,  les  autorités  et 
les  sujets;  les  mesures  rigoureuses,  les  actes  de  répression  n'avaient 
fait  qu'empirer  la  situation,  et  les  laïques  n'en  avaient  montré 
qu'une  animosilé  plus  violente  contre  le  clergé.  Si,  comme  le  de- 
mandait la  commission,  le  Pape  et  l'Empereur  traitaient  ensemble 
toutes  ces  questions,  les  villes  avaient  la  ferme  confiance  ><  que  non- 
seulement  les  erreurs  qui  menaçaient  d'envahir  l'Église  seraient  pour 
la  plupart  redressées,  mais  que  beaucoup  d'abus  tomberaient  d'eux- 
mêmes,  que  les  dissentiments  entre  les  Ordres  chrétiens  prendraient 
fin,  et  que  les  corps  spirituels  et  temporels  pourraient  être  main- 

'  Voy.  F Rii.ht.Rica,  Astrologie  und  Heformation,  p.  156-158.  Les  plus  fervents  parmi 
les  catholiques  désiraient,  eux  aussi,  que  l'Empereur,  en  sa  qualité  de  tuteur 
suprême  de  rÉjïlise,  coopérât  à  la  réforme  religieuse  et  particulièrement  à  la 
réforme  du  clergé.  Lmser  exprime  clairement  ce  vœu  dans  un  mémoire  adressé 
à  1  Empereur   et   intitulé  :   l'encaniung  wyder   den  falsch  gcnannlen  Ecelesiaslen,   etc., 

feuille  O*. 


288      RÉPONSE    DES    ÉTATS    AUX    DÉCLARATIONS    PAPALES.    1523. 

tenus  dans  leurs  droits  réciproques,  de  manière  à  procurer  à  l'Em- 
pire la  concorde  et  la  paix'  ". 

Luther  comptait  peu  d'adhérents  parmi  les  princes  de  la  Diète. 
«  Presque  lous,  princes  spirituels  ou  temporels  «,  mandait  le  député 
de  Saxe,  .leau  de  la  Planitz,  à  Frédéric,  ^■.  sont  opposés  à  Luther;  mais 
leurs  conseillers,  pour  la  plupart  juristes  en  droit  romain,  sont  en 
très-grande  partie  bons  luthériens.  ^^  Pour  le  margrave  Joachim  de 
Brandebourg,  il  était  décidé  à  ne  tolérer  aucune  nouveauté.  H  disait 
un  jour  à  Planitz  à  propos  de  Luther  :  «  Je  suis  surpris  que  votre 
mailre  ait  le  courage  d'approuver  et  de  soutenir  ce  moine,  auquel  il 
fait  tant  de  concessions!  Il  nous  met  à  tous  bien  des  calamités  sur 
les  bras!  Je  serais  heureux  d'être  agréable  à  Sa  Grâce,  mais  je  ne 
me  laisserai  jamais  insulter  par  ce  froc!  Avec  moi,  sa  peine  est  per- 
due'! » 

L'archiduc  Ferdinand,  en  sa  qualité  de  lieutenant  impérial,  et 
avec  lui  les  électeurs  et  les  princes,  répondirent  au  Pape  et  au 
légat  que,  pour  leur  part,  ils  recevaient  avec  respect  et  reconnais- 
sance les  conseils  du  Saint-Père.  «  Les  déclarations  papales  prou- 
vaient avec  évidence  le  zèle  et  le  bon  vouloir  dont  Adrien  était  animé, 
car  il  n'oubliait  aucun  des  devoirs  d'un  bon  père  et  du  premier 
pasteur  des  brebis  du  Christ.  «  Chacun  n'en  était  que  plus  obligé 
à  reconnaître  ses  propres  erreurs  et  à  travailler  avec  énergie  à 
la  réforme  chrétienne.  Les  innovations  religieuses,  les  hérésies, 
le  mépris  montré  à  l'Église,  tout  cela  était  odieux  aux  Ordres  chré- 
tiens du  Saint-Empire;  ils  étaient  tous  portés  et  disposés  à  faire 
ce  qui  serait  en  leur  pouvoir  pour  arrêter  le  mal  par  des  châti- 
ments ou  d'autres  mesures  efficaces.  Ils  reconnaissaient  l'obéis- 
sance qu'ils  devaient  à  Sa  Sainteté  et  à  Sa  Majesté  Impériale,  qu'ils 
regardaient  comme  leurs  chefs  suprêmes.  Ils  étaient  prêts  à  se 
montrer  aussi  soumis  envers  eux  que  l'avait  été  leurs  prédécesseurs, 
ainsi  que  le  voulait  l'esprit  du  christianisme;  s'ils  n'avaient  pas  fait 
exécuter  l'édit  de  Worms,  c'était  pour  les  motifs  les  plus  impérieux 
et  les  plus  plausibles,  et  pour  éviter  des  maux  plus  grands  encore  que 
ceux  dont  l'Allemagne  gémissait.  Longtemps  avant  Luther,  la  majo- 
rité du  peuple  avait  ouvert  les  yeux  sur  les  nombreux  abus  existant 
dans  le  clergé,  sur  les  actes  arbitraires  dont  la  cour  romaine  se  ren- 
dait coupable,  de  sorte  que  les  écrits  du  novateur  n'avaient  fait  que 
fortifier  des  pensées  déjà  latentes;  si  donc  on  eût  pris  le  parti  de  la 
sévérité,  un  mécontentement  général  se  fiU  produit;  on  eût  crié  à 
l'oppression  de  la  vérité  évangélique,  au  maintien  d'abus  odieux  et 

'  Réponse  des  déléfjués  des  villes.  Archives  de  Francfort,  Reichsiagsacten, 
t.  XXXVIII,  foL  109''-ni. 

'  Dr,OYSE\,  2'',  p.  105,  109,  llî. 


I5ÉP0NSE    DES    ÉTATS    AUX    DEC  L  A  K  AT  I  0  N  S    PAPALES.    15-23.      28') 

détestés,  et  de  nombreuses  délections  eussent  été  le  résultat  de  ces 
mesures  intempestives. 

Sur  ce  point,  les  États  étaient  donc  pleinement  d'accord  avec  la 
commission. 

Ils  demandaient  comme  elle  avec  une  vive  instance  que  le  Pape, 
pour  le  rétablissement  de  la  paix  et  de  la  concorde,  consentit  à  don- 
ner satisfaction  aux  griefs  de  la  nation,  et  les  princes  laïques  .«e 
chargèrent  de  les  porter  tous  à  la  connaissance  d'Adrien  dans  un 
mémoire  détaillé. 

Tous  avaient  trait  à  des  abus  de  pouvoir,  vrais  ou  prétendus,  dans 
l'exercice  de  l'autorité  spirituelle;  à  la  sentence  du  ban,  à  l'immunité 
des  personnes  ecclésiastiques,  aux  empiétements  du  clergé  dans  le 
domaine  temporel,  aux  dispenses,  aux  sommes  versées  pour  les 
indulgences,  aux  cas  réservés  et  à  d'autres  lois  ecclésiastiques.  Nulle 
part  les  fondements  sacrés  et  le  divin  caractère  de  l'Église  n'étaient 
contestés'. 

Relativement  au  concile  désiré,  les  Ordres  ne  maintenaient  pas  la 
clause  si  grave  de  la  commission  réclamant  pour  les  laïques  droit 
de  siéger  et  de  voter.  La  convocation  de  ce  concile  était  fixée  à 
l'année  suivante;  le  Pape  et  l'Empereur  devaient  ensemble  prendre 
des  mesures  pour  son  organisation  en  Allemagne.  Jusque-là,  les 
Ordres  promettaient  d'apporter  le  plus  grand  zèle  à  la  répression 
de  l'hérésie,  et  s'engageaient  à  obtenir  de  Frédéric  de  Saxe  qu'il 
défendit  à  Luther  et  à  ses  adhérents  d'écrire  et  de  faire  paraître  de 
nouveaux  écrits  ^  Frédéric,  ils  en  avaient  la  confiance,  aurait  à 
cœur  de  défendre  la  bonne  cause  en  loyal  électeur  qu'il  était.  Les 
électeurs  et  princes,  ainsi  que  tous  les  Ordres  ecclésiastiques,  pro- 
mettaient en  outre  d'employer  toute  leur  autorité  à  l'intérieur  de 
leurs  Etats  pour  qu'à  l'avenir,  et  jusqu'au  prochain  concile,  le  saint 
Évangile  fiU  expliqué  dans  la  chaire  chrétienne  suivant  les  senti- 
ments unanimement  reçus  dans  l'Église,  et  que  tout  ce  qui  pourrait 
exciter  le  peuple  contre  l'autorité  ou  lui  donner  sujet  d'adopter 

'  Graramina  sedis  apostolkœ,  non  ferenda  Germanis.  Voy.  LUMG,  Reichsarchiv  t.  11 
p.  408-432.  —  IIORTLEDEU,  Ursachen,  p.  9-23.  Ceux,  dirait  le  légat,  <  qui  Lutherura 
sectari  velint,  quod  propter  sibi  inflicta  scandala  et  gravamina  a  Curia  Romana 
(etiam  si  verum  iliud  esset)  deberecitnô  unîtate  caihoUcœfidei  •^ro'çilerea  resilire  • 
ne  sauraient  être  excusés,  surtout  maintenant  qu'un  pape  si  saintement  modéré, 
et  en  outre  Allemand  de  nai>sance,  était  as^is  dans  la  ciiaire  de  Saint-Pierre 
et  prenait  en  main  la  réforme.  R  vynald,  ad  annun  1523,  n"  15-20.  —  Voy.  sur  les 
griefs  en  question  Texcellent  jugement  porté  par  BucnnoLz,  t.  II,  p.  29-34. 

^  Par  conséquent,  nün-.>eulement,  comme  la  commission  s'était  bornée  à  le 
demander,  dans  les  choses  qui  pourraient  amener  la  révolte  et  la  sédition  >. 
Le  représentant  de  Frédéric  à  la  Diète,  Philippe  de  Feilit/.sch,  déclara  s'en  tenir 
à  l'avis  de  la  commission,  et  protesta  contre  le  recez  de  la  Diète.  Lunig,  Reichsarchic, 
t.  XIX,  p.  111. 

Il-  19 


290       RÉPONSE    DES    ÉTATS    AUX    [)E  C  L  A  R  A  T  I  O  iN  S    PAPALES.    1523. 

l'erreur,  tïit  soigneusement  écarté.  «  Les  prédicateurs  qui  refuse- 
raient de  se  soumettre  seraient  frappés  par  les  ordinaires  du  châti- 
ment mérité.  Aucun  livre  ou  brochure  ne  serait  plus  imprimé  ou 
vendu  avant  d'avoir  été  préalablement  soumis  à  l'examen  de  théo- 
logiens compétents.  Il  serait  défendu,  sous  peine  de  châtiments 
sévères,  d'imprimer  ou  de  vendre  des  pamphlets  injurieux  pour 
l'Église.  Le  prêtre  qui  prendrait  femme,  le  religieux  qui  abandon- 
nerait son  couvent,  encourrait  la  perte  de  ses  libertés,  privilèges, 
bénéfices  et  prébendes.  Des  ordonnances  et  des  édits  seraient  publiés 
dans  tout  l'Empire  pour  obliger  l'autorité  temporelle  à  n'entraver 
en  aucune  manière  les  ordinaires  dans  l'exécution  des  peines  qu'ils 
jugeraient  bon  d'infliger,  et  à  leur  prêter  main-forte  pour  la  pro- 
tection de  l'autorité  spirituelle  pour  le  «  châtiment  des  prêtres 
apostats  d'après  les  lois  établies  >. 

La  réponse  des  États,  communiquée  au  nonce  le  8  février  1523,  fut 
rendue  publique  le  6  mars  et  répandue  ensuite  dans  les  divers  terri- 
toires allemand?  au  nom  de  l'Empereur.  Elle  portait  en  termes  exprès  : 
^  Rien  ne  sera  prêché  que  la  sainte  Écriture,  dans  le  sens  approuvé 
et  reçu  dans  l'Église;  aucun  écrit  nouveau  ne  sera  expliqué,  imprimé 
ou  vendu,  sans  l'autorisation,  l'inspection  préalable  et  spéciale  de 
personnes  compétentes,  ainsi  que  le  veut  le  rescrit  envoyé  à  Sa  Sain- 
teté. •  En  même  temps,  les  Ordres  prescrivaient  pour  tous  les 
dimanches  et  dans  toutes  les  paroisses  des  prières  publiques,  et 
demandaient  aux  fidèles  «  de  prier  humblement  le  Seigneur  de  daigner 
préserver  de  l'hérésie  qui  croit  et  s'élève  en  ce  moment  de  tous 
côtés  en  Allemagne  -,  les  autorités  chrétiennes,  ecclésiastiques  et 
temporelles,  et  tous  les  chrétiens  en  général,  leur  accordant  sa  grâce, 
afin  que  tous  ensemble  puissent  demeurer  dans  l'union  de  sentiments 
que  demande  la  sainte  foi  du  Christ,  se  tenir  attachés  à  cette  foi, 
y  persévérer  jusqu'à  la  mort,  et  parvenir  par  ce  chemin  à  la  félicité 
du  ciel'. 

'  Archives  de  Francfort,  Reichsiagsactai,  t.  XXXVHI,  fol.  344-345.  Recez  du 
8  février  1523,  Rekhstagsacien,  t.  XXXVflI,  fol.  412-416.  La  dépêche  d'Hamann 
de  Holzhausen  au  conseil  de  Francfort  en  établit  la  date  llieichstagsacien. 
t.  XXXVII,  fol.  30).  Nous  y  lisons  :  -  Le  8  février,  les  électeurs,  les  princes,  les 
Ordres  ont  terminé  leurs  séances  ;  mais  je  prévois  que  les  recez  ne  seront  pas 
signés  par  tous  les  princes,  parmi  lesquels  beaucoup  feront  fausse  route.  • 
«Les  villes  libres,  vers  la  fin  de  la  Diète,  ont  donné  aux  princes  de  grands 
sujets  de  mécontentement;  pendant  les  délibérations,  elles  ne  voulaient  con- 
sentir à  rien.  Quelque  bon  résultat  sortira-t-il  de  tout  cela,  c'est  ce  que  l'avenir 
peut  seul  nous  apprendre.  »  —  Voyez  la  lettre  de  liernard,  évéque  de  Trêves, 
aux  autorités  d'Inspriick,  9  février  1523.  Höfler,  Zur  Kritik  und  Quellenkunde, 
t.  II, p.  115.  '  Vous  pouvez  nous  en  croire«,  dit  Bernard;  '  de  mémoire  d'homme, 
il  n'y  eut  jamais  de  diète  plus  laborieuse...  • 


CHAPITRE    VI 

CONTINUATION    UE    L'AGITATION    POLITIQUE    ET    UE  LIGIEUSE. 
DÉCADENCE    DE    LA    VIE    INTELLECTUELLE    ET    CHARITABLE. 


Nulle  parf,  dans  les  coaclusions  et  recez  de  la  Diète  de  Nurem- 
berg, il  n'était  question  de  se  séparer  de  Rome  et  de  l'Église  univer- 
selle. Si  l'on  avait  agi  dans  le  sens  qu'ils  indiquaient,  la  nation  alle- 
mande n'en  eiU  point  été  détachée. 

Mais  le  Conseil  de  régence  fut  le  premier  à  les  violer;  il  les  vit 
transgresser  sous  ses  yeux  sans  paraître  aucunement  se  soucier  de 
cette  désobéissance.  Aussi  l'électeur  de  Saxe,  d'autres  princes  avec 
lui  et  la  plupart  des  villes  libres  ne  se  firent-ils  à  leur  tour  aucun 
scrupule  de  les  regarder  comme  non  avenus.  Luther  s'en  préoc- 
cupait moins  que  personne.  Fort  de  l'appui  que  lui  promettait  la 
révolution,  il  était,  pour  ainsi  dire,  dictateur  en  Saxe. 

Les  Elats  s'étaient  engagés  à  ne  rien  négliger  pour  empêcher  que 
lui  ou  ses  partisans  ne  publiassent  de  nouveaux  écrits  avant  l'ouver- 
ture du  concile.  Ils  avaient  promis  d'interdire,  sous  peine  de  châti- 
ments sévères,  "  tout  pamphlet  injurieux  pour  la  religion  ».  Mais 
Luther  ne  reconnaît  point  de  lois,  de  quelque  côté  qu'elles  éma- 
nent ,  écrivait  le  duc  Georges  de  Saxe ,  «  et  d'ailleurs  ceux  qui 
devraient  le  plus  veiller  à  l'exécution  des  arrêts  de  la  Diète  sont 
insouciants,  faibles  de  cœur,  pusillanimes  ou  impuissants.  Aussi  a-t-il 
toute  liberté  pour  insulter  à  sa  guise  le  Pape,  les  évêques,  l'Empe- 
reur et  les  princes  '.  ^  Luther,  prenant  à  partie  le  duc  Georges, 
l'avait  traité  de  menteur,  d'infâme  calomniateur  de  la  vérité  évan- 
gélique;  Hans  de  la  Planitz,  ministre  de  l'Électeur,  lui  reprocha 
vivement  l'inconvenance  d'un  pareil  langage;  mais  Luther  pensa 
se  justifier  en  répondant  que  jamais  encore  il  n'avait  parlé  du  duc 
comme  il  l'avait  fait  du  Pape,  des  évêques,  du  roi  d'Angleterre,  et 
qu'il  avait  plutôt  beaucoup  trop  ménagé  Georges,  car  il  y  avait  long- 

'  Gloss  und  Comment,  uff  LXXX  Artikeln  und  Ketiereyen  der  Lutherischen,  etc.  Bi.  K*. 

19. 


292  NOUVEAUX    LIBELLES    DE    LUTHER.    1523. 

temps  qu'il  eût  dû  «  empoigner  plus  vigoureusement  "  ce  turbulent 
despote.  Il  n'ignorait  pas  que  le  ton  violent  de  ses  écrits  les  faisait 
attribuer  au  diable.  En  les  lisant,  on  s'était  attendu  à  voir  le  ciel 
tomber  sur  la  tête  de  leur  auteur;  mais  il  en  était  arrivé  tout  autre- 
ment :  "  Nous  sommes  maintenant  en  un  temps  où  l'on  s'en  prend 
aux  grands  personnages,  malgré  toute  la  surprise  qu'ils  en  éprouvent. 
On  verra  bien,  avec  le  temps,  ce  que  Dieu  avait  en  sa  pensée  '!  »  Il 
est  certain  que  Luther  trailait  le  Pape  encore  plus  brutalement  que 
Georges.  Lorsque  Adrien  eut  mis  au  nombre  des  saints  Bennon, 
évéque  de  Meissen  (31  mai  1523),  Luther  publia  un  pamphlet  intitulé  : 
Contre  le  nouveau  J?tiche  et  le  vieux  diable  quoii  va  béatifier  à  Meissen. 
«  Satan,  qui  vit  toujours  pour  se  moquer  de  Dieu  «,  y  disait-il,  "  se 
fait  maintenant  glorifier  et  adorer  avec  des  vases  d'or,  d'argent,  et 
le  plus  pompeux  appareil,  sous  le  nom  de  Bennon.  «  «  Dieu  permet, 
dans  sa  colère,  que  des  tyrans  et  des  persécuteurs  aveugles  et  endurcis 
comme  le  Pape  et  sa  séquelle,  qui  ne  veulent  ni  tolérer  ni  entendre 
l'Évangile  du  salut,  mettent  leur  confiance  dans  le  mensonge, 
l'imposture  inouïe,  l'œuvre  du  diable,  afin  d'être  plus  sûrement 
damnés.  »  Dans  ce  nouveau  libelle  le  Pape  était  de  nouveau  appelé 
«  hypocrite,  détestable  ennemi  de  Dieu  et  de  sa  parole  >•.  Six  édi- 
tions le  répandirent  dans  tous  les  territoires  allemands  ^ 

La  Diète  avait  décidé  que  les  prêtres  qui  prendraient  femme,  les 
religieux  qui  abandonneraient  leur  couvent,  perdraient  leurs  privi- 
lèges, leurs  bénéfices  et  prébendes. 

Luther,  comme  si  tout  cela  eût  été  non  avenu,  publie,  le  23  mars  1523, 
une  instruction  adressée  aux  chevaliers  de  l'Ordre  Teutouique  où  il 
les  exhorte  à  «  violer  leurs  vœux,  à  se  marier,  puis  à  partager  entre 
eux  les  biens  de  l'Ordre  ".  "  Vous  jouissez  »,  leur  dit-il,  "  d'un  rare 
privilège;  il  a  été  largement  pourvu  à  votre  entretien  lemjiorel; 
il  vous  est  donc  facile  de  partager  entre  vous  vos  revenus,  et  de 
devenir  ensuite  propriétaires,  fonctionnaires,  en  un  mot  de  vous 
rendre  utiles  au  pays  d'une  manière  quelconque.  Vous  êtes  à  l'abri  du 
misérable  motif  qui  retient  tant  de  moines  mendiants  ou  autres 
religieux  dans  leurs  monastères  :  je  veux  parler  des  nécessités  du 
ventre.  «  11  n'était  guère  probable,  selon  lui,  que  les  chevaliers 
eussent  quelque  chàtimeat  à  redouter  :  «  Je  suis  presque  certain  que 
beaucoup  d'évêques,  d'abbés  et  autres  seigneurs  ecclésiastiques  se 
marieraient  bien  vite,  pourvu  que  d'autres  consentissent  à  leur  en 
donner  l'exemple,  que  la  voie  leur  fût  aplanie  et  que  les  affranchis 

'  Le  4  février  1523  (mercredi  après  la  Purifica(ion).  De  Wette,  t.  II,  p.  306. 
—  Voy.HöFLER,  Zum  Kriiik  und  Quellenkunde,  t.  II,  p.  135-137,  et  les  passages  extraits 
des  lettres  de  Planitz  à  l'électeur  Frédéric,  dans  Buchholz,  t.  II,  p.  26,  note. 

2  Sammtl.  Werke,  t.  XXIV,  p.  237-257. 


NOUVEAUX    LIBELLES    DE    LUTHKK.    1523.  293 

fussent  en  assez  {jrand  nombre  pour  n'avoir  aucune  humiliation  à 
redouler,  aucun  risque  à  courir;  mais  il  faudrait  pour  cela  que  la 
chose  passât  pour  louable  et  honorable  aux  yeux  de  tous.  »  Luther 
exhortait  donc  les  chevaliers  à  montrer  le  chemin  à  leurs  frères,  et 
à  donner  «  un  consolant  exemple  ".  «  Voyez,  voici  maintenant  le 
temps  favorable,  voici  le  temps  du  salut!  La  parole  de  Dieu  luit  et 
nous  appelle.  Vous  ne  manquez  pas  de  bons  motifs  pour  suivre  mon 
conseil;  vouS  êtes  libres,  et  de  plus  il  est  de  votre  intérêt  temporel 
denrccouter.  La  seule  chose  qui  puisse  vous  arrêter,  c'est  le  jugement 
d'un  monde  insensé.  En  effet,  on  dira  :  Voilà  qui  va  bien!  les  che- 
valiers de  Sainl-.lean  en  font  de  belles!  Mais  ne  savons-nous  pas  que 
le  prince  de  ce  monde  est  déjà  jugé?  Ne  doutons  point  que  ses  opi- 
nions et  celles  du  monde  ne  soient  réprouvées  par  Dieu.  "  "  Si  Ton 
allègue  que  la  coutume  des  vœux  religieux  est  une  ancienne  tradi- 
tion qui  remonte  aux  apôtres,  qui  a  été  enseignée  et  confirmée  par 
un  grand  nombre  de  conciles  et  par  les  saints  Pères ,  sachez  que 
tout  cela  n'est  qu'aveugle  folie,  car  Dieu  a  dit  :  Je  veux  que  tu 
aies  une  aide,  je  ne  veux  pas  que  tu  vives  seul.  Or  Dieu  était  avant 
tous  les  conciles  et  tous  les  Pères.  Item,  l'Écriture  est  aussi  plus 
ancienne,  et  elle  a  une  bien  autre  autorité  que  tous  les  conciles  et 
tous  les  Pères  mis  ensemble.  Item,  les  anges  sont  tous  du  côté  de 
Dieu  et  de  l'Écriture.  Item,  l'usage  établi  depuis  Adam  est  plus  ancien 
que  l'usage  établi  par  les  papes.  »  Il  n'était  pas  besoin  d'attendre 
sur  ce  point  les  décisions  du  futur  concile,  et  Luther  va  jusqu'à 
tracer  les  lignes  suivantes  :  «  Quand  bien  même  un,  deux,  cent, 
mille  conciles  et  plus  encore,  auraient  décidé  que  les  clercs  peuvent 
se  marier  tout  en  restant  fidèles  à  la  parole  de  Dieu,  j'aurais  plus 
d'indulgence,  plus  de  confiance  en  la  grâce  de  Dieu  pour  celui  qui 
aurait  eu  pendant  sa  vie  une,  deux  ou  trois  concubines,  que  pour 
uuautre  qui,  afin  de  se  conformera  la  décision  d'un  concile,  n'aurait 
eu  qu'une  femme  légitime,  et  sans  cette  décision,  fiit  resté  dans  le 
célibat.  Je  voudrais  enseigner  à  tous,  au  nom  de  Dieu,  que  personne 
ne  doit  se  marier  parce  qu'un  concile  l'y  a  autorisé,  sous  peine  de 
perdre  son  âme,  et  qu'il  n'a  qu'une  chose  à  faire,  c'est  de  commencer 
par  s'essayer  à  vivre  dans  la  chasteté,  puis,  s'il  comprend  qu'une 
telle  vie  est  impossible,  de  ne  point  se  décourager  de  sa  faiblesse 
et  de  son  péché,  et  d'invoquer  le  secours  de  Dieu  '.  " 

Dans  un  autre  écrit,  intitulé  :  Comment  les  vierges  peuvent  quitter 
leur  monastère  sa7is  désobéir  à  Dieu  (avril  1523),  il  appelle  Léonard 
Koppe,  bourgeois  de  ïorgau,  qui,  sur  son  conseil,  venait  de  «  déli- 

•  Siimmtl.  Werke,  t.  XXIX,  p.  17-33.  —  Voy.  l'analyse  de  celte  lettre,  «  chef- 
d'œuvre  de  sophistique  cbarnelle  •,  dans  Rass,  Convertiten  seit  der  Reformation,  t.  I, 
p.  443-446. 


294  NOUVEAUX    LIBELI-ES    DE    LUTilEH.    1523. 

vrer  '  du  couvent  de  Nimptsch  neuf  religieuses  (parmi  lesquelles 
se  trouvait  Catherine  de  Bora),  le  ><  bienheureux  larron  ■■.  Luther 
le  compare  au  Christ,  qui,  lui  aussi,  a  été  ici-bas  un  puissant  ravis- 
seur, ayant  par  sa  mort  dépouillé  le  prince  du  monde  de  son  armure 
et  de  ses  biens.  «  Tous  ceux  qui  sont  du  parti  de  Dieu  doivent  regarder 
le  rapt  de  ces  religieuses  comme  une  action  très-louable,  et  Léonard 
peut  être  certain  que  tout  a  été  conduit  par  Dieu  même,  sans  que  sa 
volonté  ou  son  industrie  y  aient  été  pour  quelque  chose  '.  »  Dans  une 
lettre  adressée  au  Conseil  de  régence,  il  affirme  que  les  vœux  religieux 
imposent  à  l'homme  un  devoir  impossible  à  remplir  :  «  Quel  est  celui 
d'entre  vous  qui,  ayant  fait  voeu  de  voler  comme  un  oiseau,  pourrait 
accomplir  sa  promesse  sans  un  miracle?  Eh  bien,  il  est  tout  aussi 
difficile  à  un  homme  ou  à  une  femme  de  garder  le  vœu  de  chasteté, 
car  Dieu  n'a  pas  créé  l'homme  pour  la  chasteté,  puisqu'il  lui  a  dit  : 
Crois  et  multiplie.  Celui  qui  voudrait  retenir  sa  fiente  ou  son  urine 
ne  le  pourrait  pas  :  que  pouvons-nous  donc  faire '^^  " 

Et  dans  un  sermon  sur  le  mariage,  il  donne  comme  un  comman- 
dement regardant  tout  le  monde  la  doctrine  suivante  :  «  De  même 
qu'il  n'est  pas  en  mon  pouvoir  de  n'être  pas  un  homme,  de  même 
il  n'est  pas  en  mon  pouvoir  de  rester  sans  femme.  Et  vire  versa  :  de 
même  qu'il  n'est  pas  en  ton  pouvoir  de  n'être  pas  une  femme,  de  même 
il  n'est  pas  en  ton  pouvoir  de  te  passer  d'homme.  Car  il  ne  s'agit 
pas  ici  d'une  chose  laissée  au  caprice,  ou  simplement  d'un  conseil; 
il  s'agit  d'un  devoir  de  nature,  d'une  obligation  indispensable.  Tout 
homme  doit  avoir  une  femme,  et  toute  femme  doit  avoir  un  homme. 
La  parole  que  Dieu  a  prononcée  :  Croissez  et  multipliez,  n'est 
pas  un  commandement,  elle  est  plus  qu'un  commandement;  elle 
procède  d'une  disposition  divine  qu'il  n'est  pas  en  notre  pouvoir 
d'entraver  ou  de  laisser  de  côté,  parce  qu'elle  est  tout  aussi  impé- 
rieusement vraie  que  mon  titre  d'homme  est  vrai.  L'acte  du  mariage 
est  de  nécessité  plus  urgente  que  le  manger  et  le  boire,  plus  imposé 
que  le  vomissement  ou  le  crachat,  le  sommeil  ou  la  veille.  »  Sans 
un  appel  particulier  de  Dieu,  eùt-on  fait  mille  vœux  et  serments, 
employât-on  la  discipline  d'acier  ou  de  fer,  personne  ne  devait  se 
laisser  détourner  par  de  vains  raisonnements  de  ce  commandement 
divin  :  Croissez  et  multipliez.  «  Tous  les  moines  et  religieuses  qui 
n'ont  pas  la  foi  et  se  confient  dans  leur  genre  de  vie  et  dans  leur 
chasteté  «,  dit  Luther,  «  ne  sont  pas  dignes  de  bercer  un  enfant 
baptisé  ou  de  lui  faire  de  la  bouillie,  même  s'il  s'agissait  de  l'enfant 
d'une  fille  ;  car  leur  couvent  et  leur  Ordre  ne  sont  pas  fondés  sur  la 


Voy.  DE  Wette,  t.  II,  p.  321. 
De  Wette,  t.  II,  p.  372 


NOUVEAUX    LinKI.LES    DE     LUTIIEU.    152.S.  295 

parole  de  Dieu,  et  ce  qu'on  y  pratique  est  moins  agréable  à  ses  yeux 
que  ne  Test  la  mère  d'un  enfant,  même  illejyitimc  '  !  )- 

Lullicr  avait  dès  lors  uu  tel  sentiment  de  sa  puissance,  qu'il 
n'accordait  aucune  atlention  aux  ordres  de  l'électeur  de  Saxe.  Fré- 
déric ayant  décidé  que  le  service  divin  serait  célébré  comme  par  le 
passé  à  Wiltemberg,  et  que  le  culte  calliolique  y  serait  mainlenu, 
Luther,  aux  yeux  duquel  ce  culte  était  «  une  abominable  idolâ- 
trie ',  enjoint  aux  chanoines  de  la  caihédrale  (11  juin  1525) 
d'avoir  à  l'interdire,  pour  ne  pas  donner  aux  gens  le  moindre  motif 
de  penser  que  la  parole  de  Dieu  restât  sans  ibrce  et  sans  fruit  à 
Wittemberg.  (Jue  si  les  chanoines  refusaient  de  se  «  soumettre  »  et 
d'adhérer  au  saint  Évangile,  Luther  les  avertit  «  qu'il  ne  les  regardera 
plus  comme  chrétiens  ".  Frédéric  «  pouvait  à  sa  guise  donner  ou 
refuser  son  consentement  » ,  les  fidèles  n'avaient  nullement  à  s'en  préoc- 
cuper, par  la  raison  qu'il  s'agissait  là  d'une  question  de  conscience. 
Et  comme  les  chanoines,  comptant  sur  l'appui  de  l'Électeur,  ne  fai- 
saient pas  mine  d'obéir,  Luther  leur  adresse  une  lettre  de  menace  : 
'  Comme  je  pressens  et  m'aperçois  «,  leur  déclare-t-il,  «  que  la  grande 
patience  que  nous  avons  exercée  envers  l'idolâtrie,  envers  les  usages 
diaboliques  et  établis  dans  vos  églises,  n'a  porté  aucun  fruit  jusqu'ici, 
mais  plutôt  a  augmenté  et  fortifié  votre  obstination  et  votre  audace, 
je  vous  prie  maintenant  très-cordialement  de  mettre  fin  â  toute 
cette  comédie  séditieuse  et  sectaire,  et  je  vous  exprime  le  sérieux 
désir  de  vous  voir  abolir  les  messes,  les  vigiles  et  tout  ce  qui  est 
contraire  au  saint  Évangile;  prenez  en  gré  cet  ordre,  afin  que  nous 
puissions  affirmer  devant  Dieu  et  devant  les  hommes  que  vous  êtes 
décidés  à  renoncer  à  votre  société  diabolique  et  à  la  fuir  désor- 
mais. Que  si  vous  vouliez  résister,  soyez  certains  que  je  n'aurai  de 
repos  que  quand  je  vous  aurai  contraints  à  l'obéissance  et  saurai 
bien  me  passer  de  vos  remerciments.  Dirigez-vous  d'après  cet  avis, 
et  sachez  que  je  vous  demande  une  réponse  précise  et  nette,  un  oui 
ou  un  non  formel,  dès  dimanche  prochain*.  »  La  liberté  évangé- 
lique,  si  hautement  proclamée  par  Luther,  consistait  donc,  pour 
les  chanoines,  à  renoncer  à  leur  foi,  malgré  leur  conscience,  pour 
adhérer  (^  à  l'Évangile  -.  Quant  à  l'exécution  de  sa  menace,  Luther, 

'  Sämmtl.  ll'erkc,  t.  \x,  p.  Ô8-59,  79-80.  Les  femmes  aussi  ie  firent  les  apôtres 
de  semblables  doctrines.  Argula  de  Grumbacb,  femme  auteur  d'un  certain 
talent,  zélée  disciple  de  Lutber,  ardente  à  le  défendre,  écrivait  en  septembre 
1523  au  duc  Guillaume  de  Bavière  :  ■  Prononcer  le  vœu  de  chasteté,  c'est  comme 
si  l'on  faisait  \œu  de  toucher  le  ciel  avec  le  doigt,  ou  bien  de  voler;  cela  n'est 
point  au  pouvoir  de  l'homme.  »  Lipowski,  Beilage,  VI.  —  Voy.  les  vers  facétieux 
adressés  à  Argula  par  un  étudiant  dliigolstadt,  et  sa  réponse,  Beilage,  IV  et  V. 

-  Voy.  DE  Wette,  t.  II,  p.  354-356,  365.  —  Voy.  ces  lettres  dans  Kolde,  Frie- 
drich der  ll/'eise,p.  65-68. 


296         EXPLICATIONS  DONNÉES  SUR   DE   PRETENDUS  PRODIGES.   1523. 

en  cette  occasion,  ne  pouvait  compter  sur  le  bras  séculier,  carTElec- 
teur  avait  promis  sa  protection  aux  chanoines.  En  cas  de  résistance, 
il  eiU  été  obligé  de  s'appuyer  sur  la  populace.  Mais  les  chanoines  ne 
le  mirent  point  dans  cette  nécessité.  Ils  cédèrent.  Luther  obtint  ce 
qu'il  désirait  :  le  culte  catholique  fut  aboli  à  Wittemberg. 

«  Tous  les  moyens  te  sont  bons  pour  propager  tes  hérésies  ", 
s'écriait  un  polémiste  contemporain  en  s'adressant  à  lui  ;  "  mais  les 
miracles,  prétends-tu  dans  ta  folie,  ne  sont  pas  expédients  en  ce 
moment.  Tu  donnes  ainsi  à  entendre  que  tu  pourrais  en  opérer  le 
jour  où  cela  te  conviendrait'.  Et  dès  maintenant,  pour  c)ntenter 
et  ta  langue  venimeuse  et  ta  rage  contre  le  Pape  et  l'Eglise,  tu 
essayes  de  te  rendre  populaire  eu  invoquant  de  prétendus  pro- 
diges-.  ;> 

Il  en  était  vraiment  ainsi.  Luther  et  Mélanchthon,  pour  combattre 
l'Église  ,  exploitaient  les  bruits  qui  circulaient  parmi  le  peuple  tou- 
chant des  monstres  fantastiques,  des  signes  merveilleux  dans  le  ciel, 
des  naissances  prodigieuses  sur  la  terre.  Ainsi,  par  exemple,  le 
Tibre,  à  Rome,  avait,  assurait-on,  vomi  un  animal  épouvantable  qui 
avait  la  tète  d'un  àne,  la  poitrine  et  le  ventre  d'une  femme,  les 
pieds  d'un  bœuf,  un  pied  d'éiéphanl  à  la  place  de  la  main  droite,  des 
écailles  de  poisson  aux  jambes  et  une  tète  de  dragon  au  bas  du 
dos.  Un  autre  animal  merveilleux,  produit  avorté  d'une  vache,  était 
venu  au  monde  à  Waltersdorf,  près  Freiberg,  en  Misnie.  Ces  »  ani- 
maux prodigieux  •  remplissaient  de  terreur  les  imaginations,  et  Luther 
et  Mélanchthon  entreprirent  d'expliquer  au  peuple  le  sens  mystérieux 
de  ces  apparitions  étranges.  Cette  Explication  des  deux  horribles 
figures,  l'ànc-pape  de  Rome  et  le  moine-veau  de  Freiberg,  fut  propagée 
par  beaucoup  de  brochures  précédées  de  gravures  (1523)  '\ 

i:  De  même  que  Daniel  avait  prédit  le  règne  de  l'Antéchrist  de 


'  Allusion  au  sermon  pour  le  jour  de  l'Ascension  publié  par  Luther 
en  1522.  Nous  y  lisons  :  ■  Maintenant  que  rÉvan[;ile  est  partout  répandu 
et  qu'il  est  connu  dans  le  monde  entier,  il  n'est  plus  nécessaire  de  faire  des 
miracles  comme  au  temps  des  apôtres;  m;iis  si  la  né'^essité  le  demandait,  si  la 
cause  du  saint  Évangile  était  en  péril,  il  faudrait  nous  y  mettre,  et  opérer  des  miracles 
plutôt  que  de  laisser  outrager  et  opprimer  l'Évangile.  Toutefois,  j'espère  que 
cela  sera  inutili\  et  que  les  choses  n'en  viendront  pas  là.  Il  en  est  de  même 
pour  le  don  des  langues.  Il  n'est  pas  nécessaire  que  je  parle  neuf  langues, 
puisque  vous  pouvez  tous  m'entendra  et  me  comprendre!  •  «  Personne", 
ajoutait-il,  «  ne  devait  avoir  la  témérité  d  opérer  des  miracles  à  moins 
d'une  nécessité  urgente!  >  Sämmtl.  Werke,  t.  XII,  p.  200-201.  —  Voy.  plus  haut, 
p.  167. 

^  Gloss  uttd  Comment,  uff  LXXX  Artikeln  und  Ketzereyen   der  Lutherischen,  etc.  Bl.   11. 

'  Voyez-en  ia  liste  dans  les  Sämmtl.  Werke,  t.  XXIX,  p.  1-2. 


EXPIJCATIONS   UONNÉES  SUR  DE   PRÉTENDUS   PRODIGES.   1523.         297 

Rome  afin  que  tous  les  vrais  chrétiens  pussent  être  préservés  de  sa 
malice,  de  même  de  nos  jours,  et  dans  le  même  but  > ,  dit.Mélanchthon 
expliquant  l'ûne-pape,  ••  beaucoup  de  signes  nous  sont  envoyés  par 
Dieu.  "  Dans  l'animai  merveilleux  de  Rome  «  le  Seigneur  lui-même  » 
avait  voulu  figurer  l'abomination  du  papisme.  La  tête  d'âne  signi- 
fiait le  Pape;  le  pied  d'éléphant,  son  gouvernement  spirituel,  par 
lequel  il  foulait,  angoissait  et  martyrisait  les  âmes.  Le  pied  de  bœuf 
désignait  les  serviteurs  du  Pape,  les  docteurs  papistes,  les  prédica- 
teurs, curés  et  conlesseurs,  et  tout  particulièrement  les  théologiens 
scolastiques,  '  car  cette  race  maudite  n'est  occupée  qu'à  faire  peser 
sur  le  pauvre  peuple  les  intolérables  lois  du  Pape,  dans  ses  prédica- 
tions, docirincs  et  confessionnaux,  tenant  captives,  comme  sous  un 
pied  d'éléphant,  les  consciences  malheureuses;  ils  sont  comme  les 
colonnes,  le  pied  et  la  base  du  papisme,  qui,  sans  eux,  n'aurait  jamais 
pu  se  maintenir  si  longtemps,  car  la  théologie  scolastique  n'est  que 
vanité,  rêverie,  mensonge,  damnation,  bavardage  de  Satan,  songe 
de  moine  «.  —  -'  Le  ventre  et  la  poitrine  de  femme  représentaient 
les  cardinaux,  les  évêques,  les  prêtres,  les  moines,  les  étudiants,  et 
semblables  gens  débauchés  et  pourceaux  engraissés.  Les  écailles  de 
poisson  signifiaient  les  princes  et  seigneurs  temporels,  attachés  au 
papisme  et  à  son  gouvernement.  Ces  princes  soutiennent  le  papisme 
comme  s'il  était  légitime  et  comme  s'il  émanait  de  Dieu;  ils  défendent 
son  gouvernement  spirituel  et  temporel,  ses  lois  odieuses,  ses  doc- 
trines, ses  canons;  ils  conservent  et  augmentent  ses  revenus,  à  l'aide 
desquels  le  clergé  fonde  des  abbayes,  des  couvents,  des  Universités, 
des  églises,  où  les  magisters,  prédicateurs,  confesseurs,  docteurs 
casuistes  ou  théologiens  poursuivaient  leur  complot  sur  (,me  large 
échelle,  le  consolidant  et  l'affermissant  à  leur  aise.  "  Mais  la  tête 
placée  au  bas  du  dos  annonçait  que  le  papisme  touchait  à  sa  fin, 
et  que,  sans  l'appui  de  mains  humaines,  il  tomberait  bientôt  de 
lui-même  de  vétusté.  "  C'est  pourquoi  j'avertis  tout  le  monde  > , 
concluait  Mélauchlhon,  '  de  ne  pas  mépriser  ces  g^rands  signes  de 
Dieu,  de  se  garder  de  l'Antéchrist  maudit  et  de  toute  sa  troupe,  et 
par  conséquent  des  princes  séculiers  qui  soutiennent  le  Pape.  » 

Luther  fit    suivre    cette    explication    d'un    ^    puissant  Amen   ». 

L'âne-pape  n'aurait  rien  de  particulièrement  effrayant  «,  dit-il, 
'  si  Dieu  lui-même  n'avait  envoyé  et  manifesté  de  telles  merveilles 
et  de  si  monstrueuses  images.  Le  monde  entier  doit  en  frémir 
(l'épouvante,  car  la  souveraine  majesté  de  Dieu  les  a  créés  et  pré- 
sentés à  nos  yeux  pour  que  son  dessein  et  sa  pensée  fussent  claire- 
ment révélés  au  monde.  »  Si  l'on  ne  pouvait  s'empêcher  de  ressentir 
de  l'effroi  à  l'apparition  d'un  esprit  ou  d'un  démon;  si  l'on  tressail- 
lait malgré  soi  dès  qu'un  bruit  violent  se  faisait  entendre,  tout  cela 


298         EXPLICATIONS  DONNÉES  SUR  DE  PRETENDUS  PRODIGES.   1523. 

n'était  que  jeu  d'enfant,  comparé  à  cette  horrible  apparition,  où 
le  jugement  de  Dieu  se  manifestait  si  clairement,  d'une  façon  si 
terrible. 

De  même  que  le  pape-âne  annonçait  la  chute  de  l'Antéchrist,  le 
moine-veau  signifiait  la  ruine  de  toute  la  monacaille.  ■  Le  seul 
aspect  de  ce  veau  nous  prouve  évidemment  que  Dieu  est  l'ennemi 
de  la  moinerie.  Mais  les  papistes  obstinés  ne  voudront  pas  accep- 
ter celte  interprétation;  ils  n'y  verront  qu'une  nouvelle  raison  de  se 
scandaliser  et  de  s'abstenir,  de  sorte  qu'ils  ne  parviendront  jamais 
à  la  véritable  intelligence  des  choses,  et  ne  corrigeront  point  leur 
vie  incrédule.  De  même  que  Balaam,  pour  n'avoir  pas  obéi  à  Dieu, 
fut  à  la  fin  châtié  par  une  ânesse,  et  néanmoins  ne  se  convertit  pas, 
ainsi  nos  pères  spirituels,  après  avoir,  comme  des  vipères,  bouché 
leurs  oreilles  à  l'Évangile,  voient  de  leurs  propres  yeux  comme 
en  un  miroir  ce  qu'ils  sont  aux  yeux  de  Dieu,  l'estime  où  on  les 
tient  dans  le  ciel,  et  cependant  Dieu  permet  qu'ils  ferment  les  yeux 
pour  ne  rien  apercevoir,  de  peur  que,  venant  à  se  convertir,  ils 
n'échappent  à  sa  terrible  sentence.  » 

«  Par  tous  ces  signes  miraculeux  »,  Dieu  donnait  à  entendre  '  qu'un 
grand  désastre,  une  vaste  révolution  se  préparait,  révolution  qui 
très-certainement  concernait  l'Allemagne  ».  «  Quels  changements 
verrons-nous  s'opérer,  et  comment  se  produiront-ils?  C'est  aux 
prophètes  qu'il  appartient  de  le  dire.  =  La  «  lumière  évangélique 
qui  s'était  levée  avec  tant  d'éclat  »  avait  été  suivie  de  tous  côtés  -  de 
grands  bouleversements,  par  la  faute  des  incrédules  '  ».  Les  pro- 

'  Sammil.  Werke,  t.  XXIX,  p.  2-16.  La  lettre  de  Luther  à  Link  (16  janvier  1523) 
explique  ces  dernières  paroles  :  «  Unum  nionstrorum  ego  interpréter,  modo 
omissa  generali  interpretatione  monstrorum.  quae  sifjnificant  cerio  renan  publi- 
carum  mutotioiiem  per  belln  potissimum.  Quo  et  mihi  non  est  dubium  Germaniœ 
portendi  lel  summam  belli  calamitatcm  vel  exlremum  diem  :  eiJO  tantum  versor  in  parti- 
culari  interpretatione,  quae  ad  monachos  pertinet.  »  —  De  Wette,  t.  II,  p.  301. 
Contre  l'explication  donnée  par  Luther  du  moine-veau,  Emser  publia  sa  brochure 

intitulée  U' y  der  den  falsch  genannten  Ecclesi  asten.  II  y  soutient  (feuille  t.  et  V.)   »  que 

le  moine-veau  ne  désigne  personne  sinon  Luther  et  les  meines  défroqués  qui 
lui  font  cortège,  car  depuis  le  commencement  du  monde  -,  dit-il,  »  des  signes 
si  extraordinaires  et  s-iirnaturels  ont  toujours  désigné  les  méchants  et  non  les 
bons.  C'est  pourquoi  le  froc,  dans  le  veau  représenté  par  la  gravure,  n'est  pas 
entier,  mais  morcelé  et  déchiré.  »  Le  Bénédictin  Nicolas  Ellenbog,  d'Otto- 
beurn,  composa  quelques  années  après  le  l'ituU  monachilis  Lutheri  covfutaiio  pro 
monasiicœ  x-iiœ  de/cnsione,  écrit  sur  lequel  On  trouvera  d'amples  détails  dans 
Geiger,  Ellenbog,  p.  42-47.  «Les  monstres  •,  dit  Ellenbog,  «  les  défauts  naturels, 
les  créatures  venues  au  monde  avec  des  signes  contredisant  les  lois  ordinaires 
de  la  vie,  ne  sont  nullement  destinés  à  nous  prédire  l'avenir.  On  ne  saurait 
donc  en  conclure,  comme  Luther,  qu'une  tran.^formation  est  toute  prête  à 
s'opérer  dans  le  monde.  -  -  La  guerre  des  paysans  »,  demande-t-il  à  Luther, 
«  serait-elle  par  hasard  la  suite  de  ce  vitulus?  A-t-elle  été  provoquée  par  un 
événement  surnaturel?  N'a-t-elle  pas  bien  plutôt  sa  raison  d'être  toute  simple 
dans  les  écrits  pernicieux  par  lesquels  tu  excites  les  paysans  et  le  peuple  à  se 


RÉFUTATION    DE    LUTlIliR    ET    DU    NOUVEL    ÉVANfilLE.      299 

pliètes,  c'est-à-dire  les  astrologues,  prédisaient  depuis  longtemps 
qu'en  1521  de  grands  prodiges  apparaîtraient  au  ciel  et  ^^ur  la  terre, 
précédant  le  soulèvement  général  du  peuple,  et  ce  redoutable  liunds- 
c/ni/i,  qui  devait  bientôt  bouleverser  les  villes  et  les  campagnes  '. 


il 


«  Les  habitants  des  villes  et  des  campagnes  seraient  pour  ainsi  dire 
forcés  de  se  révolter  ",  écrivait  Cochlaeus  en  1522,  quand  bien 
même  ils  ne  seraient  pas  positivement  encouragés  à  prendre  en  main 
l'arquebuse  et  le  hoyau  pour  abattre  et  détruire  ",  tant  sont  nombreux 
les  pamphlets,  les  libelles  qui  circulent  parmi  le  peuple  contre  l'autorité 
papale  et  temporelle,  et  tous  ceux  qui,  ayant  en  main  pouvoir  et 
richesse,  refusent  d'abjurer  la  foi  de  leurs  ancêtres.  Luther  lui-même 
déclare  que  son  Évangile  ne  saurait  être  prêché  sans  sédition  et 
sans  émeute-;  il  déverse  à  pleines  mains  l'outrage  et  le  mépris  sur 


soulever  contre  l'Empire  et  les  moines  ?  •  Qua  tu,  Luthere,  ratione,  qua  philoso- 
phia,  qua  scripluia  clocebis  illum  consequentia  :  natus  est  vitulus  monstrosus, 
ergo  prétendit  nialum  Allemannie  ?  Cur  non  Ualis,  quum  tarnen  Ilaliam  istis 
temporibus  maxiniis  beilis  attritam  sciamus  ?  Verum  quidem  est,  quod  per 
iiniversam  AUtmanniam  farta  est  iiisigniset  iiiaudita  rusticorum  coutra  domi- 
nossuos  conspiratio  et  tam  nobiles  quam  monachi  fu;;ere  compulsi  sunt  de  suis 
locis  ad  civitates  iiiuratas,  ne  incideient  in  manus  rusticorum  furientium.  Sed 
numquid  id  propter  viiuhim  tuum  factum  est?  Id  potissimum  feceiunt  tua 
pesiifera  scripta,  quibus  rusticos  et  pkbeios  contra  nobiles  et  reiigiosos  conci- 
lasti,  et  baec  evangejii  lui  novi  perfeclio,  hic  fructus.  • 

'  Voy.  plus  haut,  p.  200-201. 

'■^  Dans  un  sermon  publié  en  1522  {Sermon  pour  le  dimanche  après  l'Ascemion 
du  Seigneur],  Luther  dit  :  «  Ici  la  raison  s'écrie  :  Pourquoi  ne  pourrait-on  pas 
prêcher  l'Évangile  tout  simplement,  tout  rondement,  sans  qu'il  y  ait  des 
révoltes  dans  le  monde?  Alois  tout  irait  bien  !  C'est  te  diable  gui  parle  ai/isi;  car 
lorsque  je  crois  et  prêche  que  seule  la  foi  dans  le  Christ  opère  et  dirige  tout, 
je  me  heurte  aux  singeries  du  monde  entier,  je  contredis  ce  que  les  plus  sages 
et  les  plus  saints  des  hommes  ont  pensé  jusqu'ici.  Aussi  ne  peut-on  toltrer  un  tel 
langage.  L'enseignement  du  Christ  et  celui  des  hommes  ne  sauraient  marcher  de 
compagnie,  l'un  des  deux  doit  nécessairement  être  vaincu,  .le  dis  donc  que 
la  foi  chrétienne  est  uniquement  fondée  sur  le  Christ,  et  qu'il  ne  faut  y  ajou- 
ter ni  œuvres  surérogatoires,  ni  lois  humaines.  Mais  beaucoup  ne  veulent 
renoncer  à  aucun  prix  à  leurs  lois,  à  leurs  usages;  de  là  les  séditions.  les  dis- 
sensions, les  révoltes.  Voilà  pourquoi  là  où  est  l'Évangile  et  la  confession  du 
christ,  là  surviennent  les  émeutes  et  le  trouble,  car  sa  parole  renverse  tout  ce 
qui  lui  est  opposé  dans  la  pensée  de  l'homme.  De  même  que  le  Christ  ne  peut 
cesser  d'être  le  Christ,  de  même  d'un  moine  ou  d'un  prêtre  on  ne  peut  faire 
un  chrétien.  Par  conséquent,  là  où  sont  les  prêtres  et  les  moines,  un  incendie 
doit  nécessairement  s'allumer,  et  la  guerre  est  inévitable.  »  Sümmtl.  Werke, 
t.  XII,  p.  245-246. 


300   RÉFUTATION  DE  LUTHER  ET  DU  NOUVEL  EVANGILE 

la  doctrine  des  Pères  et  la  foi  de  sa  propre  jeunesse '.  "  J'ose  affir- 
mer ",  dit-il  ailleurs  en  s'adressant  à  Luther,  «  que  notre  religion 
n'a  pas  été  outragée  par  Julien  l'Apostat  comme  elle  l'est  aujourd'hui 
par  tes  libelles  et  ceux  de  tes  disciples;  la  presse  les  répand  par  mil- 
liers en  tous  pays,  dans  les  villes  et  jusque  dans  les  moindres  bour- 
gades. "  «  Le  bruit  court  qu'un  Bundschuh  se  prépare,  et  en  effet  nous 
pouvons  nous  attendre  à  le  voir  éclater;  il  ne  lardera  pas  à  mettre 
en  pièces  tout  ce  qui  est  encore  debout  dans  nos  vieilles  institu- 
tions. »  Luther  veut  enrichir  par  le  Bundschuh  les  mendiants  et  les 
nécessiteux;  il  veut  leur  abandonner  toutes  les  abbayes  (excepté  celles 
des  nobles),  les  couvents,  les  oratoires  des  champs,  les  chapelles  de 
pèlerinages.  En  vérité,  si  la  chance  les  favorise,  ils  auront  là,  en  effet, 
un  joli  bénéfice!  «  Je  suis  le  premier  à  reconnaître  que  malheu- 
reusement il  existe  beaucoup  d'abus  dans  le  clergé;  mais  à  cause  de 
cela,  faut-il  donc  jeter  bas  les  églises  et  les  monastères?  Alors  il  faut 
aussi  détruire  toutes  les  cours  princières,  car  certes  aucune  d'elles 
n'est  irréprochable,  toutes  donnent  asile  à  de  nombreux  vices!  Tu 
viendrais  peut-être  encore  à  bout  de  ce  dessein  à  l'aide  d'un  Bunds- 
chuh; mais  comment  feras-tu  pour  anéantir  aussi  toutes  les  profes- 
sions, toutes  les  conditions  humaines?  Montre-moi  une  corporation, 
un  métier,  un  gouvernement,  un  état,  une  vie  qui  soient  absolument 
exempts  de  reproche!  Tu  prétends  justifier  tes  doctrines  hérétiques 
en  prétextant  les  iniquités  et  les  scandales  du  clergé,  et  par  de  tels 
discours  tu  (lattes  adroitement  et  doucereusement  le  peuple.  Tu  ne 
peux  accuser  Emser  ni  moi  -  de  vouloir  défendre  et  soutenir  les  vices 

'  cité  dans  le  :  Gloss  und  Comment,  ujï  LXXX  .■ivlilcln  und  /i'etzereyen  der  Luther i schert, 
Bl.  L«. 

-  Jérôme  Emser,  dans  un  avertissement  contre  le  soi-disant  Ecclésiaste,  Bl.  M*, 
N*et  R,  s'exprime  ainsi  :  ■  Il  est  quelques  abus  qiii  me  déplaisent  tout  autant 
qu'à  Luther,  et  je  loue  les  hommes  éclairés  et  savants  qui  ne  combattent  ces 
nombreux  al)us  qui  s'enracinent  encore  tous  les  jours  parmi  nous,  que  par 
devoir  et  charité  chrétienne,  avec  bon  sens,  mesui'e,  safjesse  et  tous  les  égards 
convenable.s,  non  pour  médire  des  évêques,  mais  pour  affaiblir  et  extirper 
tous  les  scandales  qui  répugnent  à  leur  loyauté  et  leur  sont  insupportables. 
Mais  Luther  diffame,  maudit,  tonne,  se  démène,  rage  comme  un  chien  furieux, 
sans  raison,  mesure  ni  sagesse,  et  l'on  s'aperçoit  bien  vite  que  ses  discours  ne 
proviennent  pas  d'un  esprit  de  charité,  mais  d'un  sentiment  de  dépit,  de 
colère,  d'envie  et  de  haine.  Il  ne  parle  point  pour  améliorer,  mais  pour 
détruire;  il  en  vent  moins  aux  abus  qu'aux  archevêques  et  aux  évêques,  sim- 
plement par^e  qu'ils  sont  évêques  et  archevêques.  »  "  Il  est  incontestable 
que  nous  avons  donné  à  nos  accusateurs  de  grands  sujets  de  prendre  le  ton 
qu'ils  affectent,  que  notre  vie  a  été  mauvaise,  corrompue,  que  notre  passion 
pour  les  honneurs  et  pour  l'argent  est  notoire,  car  il  semble  que  nous  vou- 
lions accaparer  le  monde  entier  et  faire  tout  entrer  dans  notre  sac.  • 
"  Il  se  pourrait  bien  que  beaucoup,  non-seulement  d'évêques,  mais  de  simples 
ecclésiastiques,  aient  montré  trop  grossièrement  leur  cupidité  au  grand  jour, 
qu'ils  aient  inventé  et  ajouté  de  nouveaux  motifs,  plausibles  en  apparence,  de 
grossir  la  dîme  qui  leur  est  due.  Il  s'en  trouve  aussi  qui  prodiguent  l'argent, 


RÉFUTATION    DE    I-UTIIER    ET    DU    NOUVEL    EVANfiir.E.      3ÜI 

et  les  scandales  des  clercs!  Que  Dieu  nous  en  préserve!  IJien  plutôt 
voudrions-nous  t'aider  à  déraciner  le  mal  là  où  la  chose  serait  rai- 
sonnable et  juste,  et  où  nous  y  pourrions  apporter  queUpie  remède. 
Mais  Jésus-Christ  ne  nous  a  jamais  indiqué  le  chemin  où  lu  marches 
avec  tant  d'emportement  et  d'orgueil.  11  ne  nous  a  jamais  parlé 
d'Antéchrist,  de  filles  publiques,  de  repaires  du  diable,  de  forfaits 
hideux;  il  ne  s'est  pas  servi  des  injures  inouïes  que  tu  profères,  par- 
lant sans  cesse,  outre  cela,  de  glaive,  de  sang,  de  mains  sanglantes! 
0  Luther,  jamais  l'exemple  du  Christ  n'a  pu  te  tracer  une  pareille 
voie,  car  le  Christ  était  doux  et  humble  de  cœur!  Tu  accables 
l'Église  d'injures;  tu  la  diffames  publiquement,  devant  le  monde 
entier,  aux  yeux  des  chrétiens,  des  hussites,  des  .Juifs;  tu  ne  cesses 
de  l'outrager  par  tes  mille  petits  livrets,  et  tu  t'élèves  non-seulement 
contre  tes  frères,  mais  contre  le  Père  commun  des  fidèles,  contre 
le  Pontife  suprême  de  Dieu!  Cependant,  malgré  tant  de  rage, 
tu  ne  fais  rien  qui  vaille;  tu  n'arrives  ni  à  aider  ni  à  corriger 
les  âmes.  Tu  ne  réussis  qu'à  faire  naître  les  scandales;  tu  es  cause 
de  cent  mille  péchés  de  médisance  et  d'insulte.  A  tout  cela,  tu 
mêles  beaucoup  d'erreurs,  et  tu  gâtes  toutes  choses;  tu  fournis  et 
conseilles  des  moyens  illégaux  et  antichréliens  d'abolir  les  églises 
et  les  monastères.  ■>  «  Luther  >-,  dit  plus  loin  Cochheus,  «  ne  recrute 
ses  partisans  que  parmi  les  poètes,  les  paysans,  les  ennemis  des 
prêtres  ou  les  pauvres  hères  qui  espèrent  gagner  quelque  chose 
au  Bundscliuh.  Ceux-là  ne  se  préoccupent  guère  de  sa  doctrine!  Les 
luthériens  ne  suivent  leur  chef  qu'autant  qu'il  s'emporte  contre  la 
prêtraille  et  les  riches  marchands.  Si,  grâce  au  Bundschuh,  ils  pou- 
vaient happer  les  biens  des  prêtres  et  l'argent  des  gros  bour- 
geois, abolir  les  redevances  et  les  dimes,  ils  redeviendraient 
ensuite  bien  volontiers  tout  aussi  bons  chrétiens  que  l'ont  été  leurs 
parents  '.  » 

et  pour  lesquels  un  évêché  est  un  morceau  trop  petit  ^  -Que  le  Dieu  tout-puissant 
nous  accorde  la  grâce  de  nous  connaître  nous-mêmes,  d'améliorer  notre  vie, 
chacun  selon  notre  état,  et  nous  donne  la  force  d'édifier  de  nouveau  le  peuple, 
afin  que  non-seulement  notre  doctrine,  mais  notre  vie  soit  droite,  féconde  et 
sainte!  ^  —  Voy.  aussi  les  passages  cités  par  Waldau,  p.  38-40. 

'  Gloss  und  Comment,  auf  den  1  8  Arlikeln.  Bl.  B.  C.  '.  Gloss  und  Comment,  au/  154  Artikeln, 
Bl.  A'.  N^  et  B'-^.  '  Si  vous  croyez  que  Lutber  vous  prêche  une  saine  doctrine, 
pourquoi  ne  l'adopiez-vous  pas?  Pourquoi  louez-vous  les  discours  des  réfor- 
mateurs, et  des  que  queliiU'un  met  ces  discours  en  pratique  vous  scandalisez- 
Yous  au>sitôt  de  l'innovation?  Si  vous,  moines  vagabonds,  vous,  prêtres  nouvel- 
lement mariés,  vous  n'en  observez  rien,  quel  enseignement  de  Luther  mettez- 
vous  donc  en  pratique?  car  il  écrit  et  enseigne  des  choses  encore  plus  gros- 
sières. »  (Bl.  A  *.)  Luilier  s'efforce  de  détacher  les  chrétiens  de  l'unité  de  l'Église 
pour  les  joindre  à  la  troupe  bohème  des  hussites  :  '  Et  cependant,  Luther,  toi- 
même,  il  n'y  a  pas  bien  longtemps,  tu  avais  coutume  de  blâmer  les  héi  étiques, 
non-seulement  dans  tes  écrits,  mais  publiquement,  témoin  le  jour  de  la  dispuie 


302      RÉFUTATION    DE    LUTHER    ET    DU    NOUVEL    EVANGILE. 

Charles  de  Bodmann  écrivait  à  son  tour  :  «  Même  quand  Luther, 
sans  doute  pour  se  faire  bien  venir  de  son  électeur,  répète  que 
l'homme  du  peuple  ne  doit  pas  avoir  recours  à  Tépée,  ses  libelles 
excitent  à  la  révolte  et  flattent  toutes  les  passions.  Comme  on 
les  répand  à  profusion  et  par  tous  les  moyens,  il  est  impossible 
que  l'émeute  n'éclate,  et  n'amène  la  ruine  complète  de  l'ordre 
social.  Les  évêques  et  autres  supérieurs  ecclésiastiques  sont,  à  ses 
yeux,  des  homicides  et  des  brigands  dont  on  est  tenu  de  détruire 
le  gouvernement  et  qu'il  faut  à  tout  prix  expulser  du  pays.  Mais  quel 
système  religieux  érigera-t-il  sur  les  débris  de  l'ancien?  En  vérité, 
nul  hérétique,  avant  Luther,  n'a  jamais  fait  de  plus  étranges  récla- 
mations que  les  siennes!  Il  veut  que  chacun  puise  sa  propre  foi  dans 
l'Écriture  et  soit  lui-même  juge  de  l'orthodoxie  delà  doctrine  qu'on 
lui  expose.  Or  c'est  ouvrir  la  porte  à  l'anarchie;  des  disputes  sans 
fin  éclateront,  et  l'on  verra  s'élever  et  s'entre-dévorer  des  sectes  de 
tout  genre  '.  » 

«  Nous  autres  chrétiens  »,  dit  Emser  dans  l'Adresse  à  l'Empereur 
qui  précède  sou  Avertissement  contre  le  faux  ecclésiaste  et  véritable 
archihérétique  Martin  Luther  (1524),  "  nous  ne  sommes  plus  appelés 
chrétiens  par  les  hérétiques;  nous  sommes  à  présent  des  papistes,  et 
les  hauts  feudat aires,  électeurs,  archevêques,  évêques,  princes  du 
Saint-Empire,  attachés  cà  l'Église  romaine  et  tes  fidèles  sujets,  sont 
outrageusement  honnis,  méprisés,  persécutés,  poursuivis  et  excités 
les  uns  contre  les  autres.  Tous  doivent  accepter  d'un  cœur  résigné 

de  Leipzig,  où  tu  as  dit  devant  tout  le  monde  :  -  Le  docteur  Ecli  me  représente 
comme  étant  le  disciple  zélé  et  le  protecteur  du  parti  de  Bohême.  Que  Dieu  lui 
pardonne  cette  calomnie  qu'il  m'adresse  devant  tant  de  hauts  personnages! 
L'idée  de  causer  une  scission  criminelle  ne  m'est  jamais  venue  à  l'esprit 
et  me  restera  toujours  étrangère;  car  les  hussites,  de  leur  chef  et  de  leur 
propre  autorité,  se  sont  séparés  de  l'union,  et  bien  que  le  droit  divin  fût  de 
leur  côté,  cependant  le  droit  divin  qui  doit  tout  primer  consiste  dans  la  charité, 
dans  l'union  de  sentiment.  »  «  Luther,  relis  maintenant  ces  paroles,  et  tâche  de 
n'en  point  rougir!  -  Luther  brise  et  rompt  le  bercail  du  Christ  ;  -  I>'un  dit  ;  Je 
suis  bon  luthérien,  j'aiderai  les  prêtres  à  quitter  leurs  presbytères.  L'autre  dit, 
au  contraire  .-  Moi,  je  suis  pour  le  Pape,  et  je  demeure  dans  l'ancienne  foi.  D'où 
vient  une  telle  division  dans  l'unique  Église  du  Christ?  0  Luther,  tu  n'es  pas 
entré  dans  le  bercail  par  la  porte!  J'ai  peur,  ou  pour  mieux  dire  je  ne  doute 
aucunement  que  tu  ne  sois  le  voleur  et  l'homicide  contre  lequel  Jésus-Christ 
nous  a  mis  en  garde.  Nous  savons  bien  qu'il  a  ordonné  à  Pierre  de  paître  ses 
brebis,  mais  de  toi  et  de  ta  mission  nous  ne  savons  absolument  rien,  car  tu  n'as 
pour  l'appuyer  ni  l'Écriture  ni  d'autres  témoins.  Gloss  und  Comment,  au/  den 
18  Ariikeln.  Bl.  A^.  et  B.  —  Voy.  Bl.  D.,  la  raison  pour  laquelle  Luther  n'en  appelle 
jamais  aux  hussites,  mais  toujours  aux  Bohèmes,  -  bien  qu'en  Bohême,  dans 
beaucoup  d'endroits,  il  y  ait  de  bons,  fidèles  et  pieux  chrétiens,  qui  ne  se  sont 
pas  séparés  de  nous  ^ . 

'  Lticubrationcs.  p.  73.  Bodmann,  à  l'appui  des  jugements  qu'il  porte  sur  Luther, 
cite  une  instruction  de  ce  dernier  publiée  en  1523  :  Motifs  pour  lesquels  une 
assemblée  chrétienne  ou  communauté  chrétienne  a  le  droit  et  le  pouvoir  d'apprécier  toutes  les 
doctrines  et  d'élire  ses  docteurs.  NOUS  reviendrons  plus  tard  sur  cet  écrit.] 


lU'lFUTATrON    DE    f.UTIIKIi    ET    DU    NOUVEL    ÉVANGILE.      303 

les  horribles  injures,  les  ignominies  grossières  dont  la  bouche 
calomniatrice  de  Wittemberg,  donf  Luiher,  qui  se  donne  pour  un 
ecclésiaste,  un  prophète,  un  évangéliste,  charge  et  accable  nos  pères 
et  nos  seigneurs.  Sa  Sainteté  le  Pape,  Sa  Majesté  Impériale,  les 
princes  et  les  évéques  du  Saint-Empire  romain.  Dans  quehiues-uns  de 
ses  premiers  ouvrages,  il  se  vante  effrontément  de  redouter  aussi 
peu  la  délaveur  de  l'Empereur  et  du  Saint-Père  qu'un  une  craint  de 
laisser  tomber  un  .sac.  Nos  évéques  les  plus  vénérables,  il  a  coutume 
de  les  appeler  ânes,  fantoches,  niais,  nigauds,  assassins  des  âmes; 
les  princes  du  Conseil  de  régence  sont  à  ses  yeux  des  blasphéma- 
teurs et  des  fous.  Il  ne  se  gêne  point  pour  leur  dire  publiquement, 
en  pleine  figure  :  Jean  l'imbécile  s'entendrait  mieux  à  gouverner 
que  vous!  .le  ne  veux  pas  répéter  ici  toutes  les  paroles  grossières, 
ignobles,  par  lesquelles  cette  bouche  impudique  blesse  les  oreilles 
modestes  et  les  cœurs  chastes.  »  Emser  conclut  de  tout  cela  que 
Luther  n'est  ni  un  véritable  ecclésiaste,  ni  un  prophète,  mais  bien  un 
de  ceux  dont  .lésus-Christ  a  dit  :  Gardez-vous  des  faux  prophètes! 

Il  reconnaît  Luther  pour  fiiux  prophète  à  vingt  signes  indubi- 
tables, dont  voici  les  principaux  : 

Les  vrais  prophètes,  apôtres  et  prédicateurs  évangéliques  n'ont 
pas  coutume  de  se  vanter  comme  lui.  Luther  n'admet  pas  qu'en 
dehors  de  lui  quelqu'un  puisse  avoir  quelque  valeur  :  lui  seul  est 
tout.  Il  méprise  et  déshonore  également  les  morts  et  les  vivants;  il 
assure  que  nul  docteur  ni  Père  de  l'Église  n'a,  jusqu'à  lui,  compris 
l'Evangile,  et  qu'avant  lui,  personne  ne  l'avait  prêché  selon  son  vrai 
sens.  A  diverses  reprises,  Emser  foit  ressortir  dans  les  paroles  de 
Luther  une  contradiction  flagrante  :  «  D'un  côté  «,  dit-il,  a  il  se  plaint 
d'être  condamné  par  Rome  sans  avoir  été  entendu  ni  réfuté,  et  sou- 
tient qu'il  n'a  pas  été  mis  en  état  de  plaider  l'excellence  de  sa  cause 
devant  les  évéques;  de  l'autre,  il  déclare  ne  reconnaître  à  personne 
ici-bas  le  droit  de  le  juger;  il  ne  souffrira  pas,  dit-il,  que  sa  doctrine 
soit  attaquée,  ou  par  les  hommes,  ou  par  les  anges.  Et  maintenant  je 
voudrais  qu'il  me  dise  à  quel  tribunal  veut  s'en  remettre  celui  qui 
prétend  n'avoir  déjuge  ni  au  ciel  ni  sur  la  terre  '!  » 

>  Luther  recherche  la  faveur  et  l'amitié  du  monde,  et  ce  n'est  point 
là  le  fait  d'un  vrai  prophète.  Il  a  séduit  presque  la  moitié  des 
chrétiens,  c'est-à-dire  :  les  prêtres  impudiques,  auxquels  il  permet  et 
conseille  de  prendre  femme;  item  les  femmes,  pour  lesquelles  il  a 
considériblement  élargi  le  frein  conjugal;  item  les  moines  et  les  reli- 
gieuses que  leur  règle  gênait,  et  auxquels  il  laisse  toute  liberté, 
malgré  leurs  vœux,  de  s'échapper  et  de  courir  le  monde,  et  cela  afin 

'  Bl.  cV  et  B'. 


304      RÉFUTATION    DE    LUTHER    ET    DU    NOUVEL    ÉVANGILE. 

que,  comme  la  reiaede  Chypre,  il  ne  soit  pas  trouvé  le  seul  coupable; 
item  les  nobles  auxquels  il  a  dédié  son  livre  de  réforme,  et  qu'il 
exhorte  à  faire  ce  que  bon  leur  semble  de  leur  épée,  bien  qu'ils  ne 
soient  que  les  serviteurs  et  les  sujets  de  l'Empereur;  item  le  simple 
peuple,  auquel  il  promet  la  liberté,  lui  répétant  qu'un  chrétien  indé- 
pendant ne  doit  être  soumis  ni  aux  hommes  ni  aux  lois.  A  tous  ces 
gens,  Luther  met  un  doux  oreiller  sous  la  tète;  il  les  attire  tous  à 
lui  par  des  caresses  et  des  flatteries.  » 

"  Les  véritables  prophètes,  apôtres  et  prédicateurs  ",  dit  encore 
Cochlaeus,  «  portent  le  peuple  de  Dieu  à  l'amour  de  la  concorde 
et  de  la  paix;  les  faux  prophètes,  au  contraire,  lui  enseignent 
qu'il  doit  tremper  ses  mains  dans  le  sang  des  prêtres.  Car  Luther 
l'a  dit  ouvertement  :  quand  bien  même  une  grande  tempête  s'élève- 
rait et  déracinerait  de  ce  monde  le  Pape  et  lesévêques,  il  ne  faudrait 
qu'en  rire,  et  c'est  d'un  pareil  sort  qu'il  les  menace.  S'il  vit,  il  ne 
leur  laissera  pas,  dit-il,  un  seul  moment  de  paix  ;  s'il  meurt,  ils  seront 
encore  moins  en  sécurité,  car  ce  sera  surtout  après  sa  mort  que  les 
grands  coups  seront  frappés  '.  " 

Emser  s'attache  avec  un  soin  particulier  à  réfuter  la  doctrine 
luthérienne  par  excellence  :  la  justification  par  la  foi  seule.  L'Ecri- 
ture en  main,  il  expose  dans  toute  sa  pureté  l'enseignement  catho- 
lique sur  les  bonnes  œuvres,  «  doctrine  que  tous  les  vrais  prophètes 
et  apôtres  du  Seigneur  ont  constamment  enseignée  «. 

Sans  la  foi,  il  est  vrai,  les  bonnes  œuvres  n'existeraient  pas, 
puisque  sans  la  foi,  qui  doit  partout  avoir  le  premier  rôle,  nulle 
action  ne  serait  agréable  à  Dieu.  «  Mais  si  les  bonnes  œuvres, 
accomplies  dans  la  foi  et  inspirées  par  la  charité  chrétienne,  ne  sont 
ni  méritoires  ni  efficaces  pour  la  vie  éternelle,  pourquoi  donc 
Jésus-Christ  a-t-il  enseigné  que  celui  qui  donne  un  verre  d'eau 
froide  aux  lèvres  altérées  recevra  la  récompense  d'un  si  modique 
service?  Pourquoi  a-t-il  annoncé  qu'au  jour  du  jugement,  s'adressant 
à  ses  élus,  il  leur  dira  :  Venez,  les  bénis  de  mon  père,  car  j'ai  eu 
faim,  et  vous  m'avez  donné  à  manger,  etc.?  Que  si  une  aussi  petite 
chose  qu'un  verre  d'eau  a  son  prix  devant  Dieu,  quels  mérites 
n'amassent  point  les  fervents  religieux  qui  se  mortifient  durement, 
qui  affligent  leur  corps,  qui  dévouent  leur  vie  pour  l'amour  de 
Dieu?  Que  ne  méritent  pas  les  malheureuses  veuves,  les  époux  chré- 
tiens, qui  portent  le  même  fardeau,  partagent  le  même  travail,  et 
élèvent  leurs  enfants  dans  la  crainte  de  Dieu  et  la  vertu?  Item  que 
ne  méritent  pas  les  bons  serviteurs  qui  obéissent  fidèlement  à  leurs 
maîtres  pour  l'amour  de  Dieu,  qui  leur  sont  soumis,  et  s'efforcent 

iBl.  D. 


HÉl'UTATION    DE    1>ÜTIIEK    ET    I)i;    N  O  H  V  E  f,    ÉVANGILE.      305 

d'être  atlcrilils  à  leurs  ordres?  Ouels  ne  sont  pas  les  mérites  des 
iiiagistrals  el  des  autorités  qui  dirij^ent  leurs  administrés  selon  la 
jusiice,  les  protéf^ent  et  leur  assurent  li  sécurité  et  la  paix?  Kn 
somme,  il  n'y  a  point  de  condition  dans  la  chrétienté  qui  ne  soit 
méritoire,  dès  qu'on  cherche  à  en  accomplir  les  devoirs  avec  zèle  et 
conscience,  dans  la  foi,  dans  la  charité,  et  en  vue  de  Dieu.  Ceux 
qui  enseignent  que  nos  bonnes  œuvres  ne  peuvent  être  ([ue  des 
actions  de  grâce,  qu'elles  ne  sont  ni  méritoires,  ni  nécessaires  au 
salut,  sont  de  purs  hérétiques  et  de  faux  prophètes,  qui  vont  contre 
la  croyance  de  rÉp,lise  chrétienne  et  contre  les  décisions  de  ses  doc- 
teurs. Il  est  vrai  (|ue  nous  devons  louer  el  remercier  Dieu  chaque 
foisquenous  avousaccompli  une  bonne  action,  puisque  sans  sa{;râce 
et  sa  protection  nous  n'aurions  pu  ni  l'entreprendre  ni  l'achever; 
mais  celte  juste  reconnaissance  n'empêche  point  (pie  chaque  œuvre 
ne  conserve  sa  valeur;  or  le  jeune,  la  prière  et  l'aumône  en  ont 
une  qui  leur  est  propre.  Chacune  de  ces  saintes  actions  a  son  mérite 
spécial  el  sa  récompense  particulière,  de  sorte  qu'un  jour  les  humbles 
seront  élevés,  ceux  qui  pleurent  consolés,  les  allâmes  de  justice  ras- 
sasiés, et  que  tous  ceux  qui  auront  fait  ou  souffert  quelque  chose 
pour  l'amour  de  Dieu  seront  récompensés  pour  cela  même,  et  d'une 
manière  spéciale,  car  le  Seigneur  l'a  expressément  promis  par  ces 
paroles  :  "  lléjouissez-vous  et  tressaillez  d'allégresse,  parce  que  votre 
récompense  sera  surabondante  dans  le  ciel.  »  Voilà  la  saine  doctrine 
catholique  et  évangélique  '.  » 

Emser  revient  à  plusieurs  reprises  sur  l'importance  des  l.onnes 
œuvres  pour  le  salut;  il  y  insiste  particulièrement  dans  les  pages  oii 
il  réfute  les  opinions  de  Luther  touchant  les  vœux  religieux  :  «  Luther 
prétend  que  ces  vœux  sont  contraires  aux  commandements  de  Dieu 
parce  que,  selon  lui,  les  religieux  se  fondent  sur  un  principe  impie, 
contraire  à  l>ieu,  et  s'imaginent  gagner  le  paradis  par  leurs  œuvres 
et  leur  genre  de  vie;  doctrine  judaïque,  dit-il,  blessant  le  pre- 
mier, deuxième  et  troisième  commandement.  »  «  Il  ne  se  lasse  pas 

'  Bl.  1)^-''  et  E.  Voy.  V*  et  G-.  I.a  doctrine  de  l'Église  sur  les  l)onne:i  œuvrei  est 
très-fréquemment  traitée  dans  les  écrits  apoiogiques  et  polémistes  composés 
pour  le  peuple  à  ceite  époque,  rlusieurs  de  ces  écrits  sont  de  véritables  modèles, 
et  ont  gardé  toute  leur  valeur.  Voy.  deux  brochures  de  Jean  Dietenberger 
(1523  etl524),  intitulées:  La  foi  sußt-elle  pour  le  sa/ut  ?  tt  :  Les  chrétiens  peuvent-Us  nnJri- 
ler  le  ciel  par  leurs  bonnes  œuvres? —  Dans  l'une  et  l'autre  domine  cette  pensée: 
«  Nos  bonnes  œuvres  n'excluent  pas  la  grâce  de  Dieu,  mnis  elles  en  sont  accom- 
pagnées, et  s'accomplissent  par  un  effet  de  la  miiéricorde  de  Dieu.  »  Par  consé- 
quent •  personne  ne  peut  se  croire  sauvé  par  la  foi  de  ses  propres  œuvres;  nous 
devons  tous  mettre  notre  unique  espoir  en  la  miséricorde  de  Dieu,  source  de  nos 
bonnes  actions.  Nous  n'avons  rien  en  propre  dont  nous  puissions  nous  glorifier, 
même  nos  meilleures  actions.  ■  Un  traité  non  moins  excellent,  ccjt  le  Miroir 
de  la  liberté  évangélique  (1524).  Les  tristes  conséquences  de  la  doctrine  de  la  justifi- 
cation par  la  foi  seule  y  sont  déjà  indiquées.  Voy.  Bl.  B. 

n.  20 


306      REFUTATION    DE    LUTHER    ET    DU    NOUVEL    ÉVANMLE. 

de  revenir  sur  ce  sujet,  comme  un  musicien  qui  ne  sait  jouer  qu'un 
air  sur  sa  viole.  Néanmoins,  comme  je  l'ai  déjà  répété  tant  de  fois, 
on  n'offense  nullement  Dieu  par  les  bonnes  œuvres,  mais  bien  par 
les  mauvaises;  d'ailleurs,  les  religieux  n'attachent  pas  une  (elle  impor- 
tance à  leurs  actions  qu'ils  en  attendent  l'infaillible  salut  de  leur 
âme;  ils  les  regardent  simplement  comme  un  moyen,  comme  un 
chemin  bien  tracé  qui  peut  les  conduire  au  ciel  plus  sûrement 
qu'un  autre.  Car  de  même  que  Dieu  ne  fait  pas  croître  le  blé  dans 
les  champs  sans  notre  peine  et  notre  labeur,  de  même  il  ne  nous 
ouvrira  pas  son  paradis  sans  qne  nous  nous  soyons  exercés  dans 
son  saint  service,  laissant  le  mal  et  faisant  le  bien.  Et  maintenant 
si  nous  réfléchissons  à  ce  à  quoi  les  religieux  s'engagent,  jurant  de 
demeurer  chastes,  pauvres,  obéissants,  se  vouant  à  la  prière,  aux 
jeûnes,  aux  saintes  veilles,  au  chant  pieux,  à  la  louange  continuelle 
de  Dieu,  nous  reconnaîtrons  que  toutes  ces  actions  seraient  des 
œuvres  excellentes,  même  accomplies  par  des  .luifs  ou  des  païens. 
Mais  parce  que  les  religieux  les  pratiquent  au  nom  et  pour  l'amour 
du  Chrisl,  ils  sont  bien  éloignes  d'agir  contre  le  premier,  le  second 
et  le  troisième  commandement,  et  leur  foi  ne  saurait  s'appeler 
judaïque;  car  les  Juifs  ne  croient  pas  au  Christ,  et  d'ailleurs  les 
Juifs  ne  seront  pas  condamnés  à  cause  de  leurs  bonnes  œuvres,  mais 
seulemcn!  à  cause  de  leur  incrédulité.  Que  les  pieux  religieux  ne 
s'affligent  donc  pas  de  s'entendre  perpétuellement  appeler  Juifs  et 
judaïques.  En  parlant  ainsi,  Luther,  sans  le  savoir,  dit  la  vérité, 
comme  autrefois  Caïphe,  car  ils  sont  en  effet  ces  vrais  Juifs  dont  a 
parlé  saint  Paul,  qui  ne  sont  point  circoncis  selon  la  chair,  mais 
selon  l'esprit.  ' 

11  n'est  point  d'état  où  ne  se  rencontrent  des  gens  "  orgueilleux, 
cupides,  impudiques,  querelleurs,  charnels  et  sans  crainte  de  Dieu  «  ; 
pourquoi  donc  s'étonner  si  quelques  religieux  cèdent  en  ce  moment 
à  la  tentation,  et  abandonnent  leurs  couvents?  Le  proverbe  ne  dit- 
il  pas  que  lorsque  Satan  veut  exécuter  quelque  crime  signalé,  il 
se  sert  généralement  d'un  moine  ou  d'une  méchante  vieille  femme? 
«  Luther,  pour  engager  les  moines  et  les  religieuses  à  quitter  leur 
couvent,  leur  promet  les  douceurs  de  la  liberté;  cependant  à  peine 
l'ont-ils  écouté,  qu'il  leur  faut,  au  contraire,  devenir  les  servi- 
teurs de  tout  le  monde;  les  uns  apportent  des  pierres  aux  maçons, 
les  autres  nettoient  les  latrines,  d'autres  chassent  les  chiens  des 
rues;  en  un  mot,  ce  que  personne  ne  fait  volontiers,  ces  pauvres 
gens  sont  obligés  de  s'en  charger,  semblables  aux  Juifs,  contraints, 
en  Egypte,  à  porter  de  lourdes  pierres  sur  leur  dos.  »  «  Revenez 
à  nous  >,  s'écrie  Emser  s'adressant  aux  religieux  séduits;  «  revenez, 
frères  et  sœurs  égarés;  hâtez-vous  de  reprendre  votre  premier  vête- 


RÉFUTATION    DE    LUTHER    ET    DU    NOUVEL    ÉVANGILE.      307 

ment,  afin  que  non-seulement  nous,  mais  les  anp,es  du  ciel  avec  nous, 
nous  puissions  fêter  votre  retour'! 

«  Ou  leconnait  les  vrais  prophètes  et  les  vrais  apôtres  »,  dit 
encore  Emser,  ^  aux  actes  do  vertu  qu'ils  accomplissent  :  ils  sont 
humbles,  patients,  obéissants,  chastes,  modestes,  disciplinés,  pieux, 
craignant  Dieu.  Les  faux  prophètes  et  les  faux  prédicateurs,  au  con- 
traire, produisent  des  fruits  de  discorde;  ils  enseignent  aux  peuples 
l'orgueil,  l'insolence,  la  présomption,  Tentètement,  l'attachement  à 
leur  propre  sens,  l'insoumission,  la  révolte,  la  calomnie,  l;i  haine, 
l'envie,  l'impudicité,  la  paresse,  la  gourmandise,  l'oubli  de  foute 
crainte  de  Dieu.  Or  nous  voyons  tous  les  jours  les  résultats  de  la 
nouvelle  doctrine  et  des  principes  dans  lesquels  la  jeunesse  est  formée 
depuis  trois  ou  quatre  ans.  Malheureusement,  ces  mauvaises  semences 
ont  si  bien  germé  qu'on  ne  voit  presque  plus  de  serviteurs  disposés 
à  se  soumettre  à  leurs  maîtres  ou  maîtresses,  sans  parler  des  rap- 
ports de  l'enfant  avec  ses  père  et  mère,  ni  de  l'obéissance  des  sujets 
envers  l'autorité.  Les  luthériens  ne  craignent  plus  ni  Dieu,  ni  per- 
sonne au  monde;  ils  méprisent  tout  commandement,  toute  loi,  toute 
discipline  chrétienne,  et  Platon,  pour  ne  point  parler  de  Jésus-Christ, 
ne  les  eiU  jamais  soufferts  en  sa  république.  »  «  Jamais  on  n'avait 
vu  parmi  nous  une  semblable  désolation,  un  tel  trouble,  un  tel  esprit 
de  sédition,  et  c'est  la  fausse  doctrine  de  Luther  qui  est  cause  de 
tout  le  mal.  " 

"  El  plût  a  Dieu  qu'il  se  fiU  borné  à  séduire  le  pauvre  peuple,  et 
n'eût  pas  semé  la  zizanie  entre  les  rois  et  les  princes,  nous  prépa- 
rant encore  de  plus  grands  maux!  Car  si  les  princes  et  les  sei- 
gneurs étaient  restés  unis  de  sentiment,  ils  auraient  facilement 
étouffé  l'erreur  et  empêché  le  mal.  «  Emser  craignait  fort  que  Luther 
ne  fût  cet  homme  dont  il  avait  été  prédit  qu'il  affligerait  toute  la 
terre,  troublerait  les  royaumes  et  les  principautés,  et  y  porterait  la 
dévastation  et  le  désordre  *. 

Il  était  impossible  de  considérer  la  doctrine  de  Luther  comme 
«  une  bonne  nouvelle  %  même  en  entendant  ses  partisans  s'inti- 
tuler évangélistes  :  «  Lorsqu'on  demande  aux  luthériens  s'ils  ont  la 
foi,  s'ils  sont  chrétiens  ou  luthériens,  ils  répondent  qu'ils  sont  évan- 
géliques,  ce  qui  est  sans  doute  vrai  s'ils  entendent  parler  de  l'évan- 
gile de  Luther,  car  si  sa  doctrine  est  un  évangile,  ils  sont  évidem- 
ment évangéliques.  Mais  s'ils  veulent  parler  de  cet  Évangile  dont 
la  sainte  Église  nous  atteste  la  vérité  et  qu'elle  adopte  et  enseigne, 
leurs  paroles,  leurs  manières  d'être  et  leurs  actes  s'accordent  autant 

^Bl.  0^  E*.  II.  Voy.  .1.  DiETENBERGER,  Wider  C XXXIX Schlussiede  Luiher's  ton  Gelüh- 
dniss  und  Geiill.  Leben,  ßl.  C.-F. 
*BI.  E.  H*. 

20. 


308       RÉFUTATION    DE    LUTHER    ET    DU    NOUVEL    E  VAX  M  LE. 

avec  lui  que  le  blanc  avec  le  noir,  le  feu  avec  l'eau,  le  jour  avec  la 
nuit,  la  lumière  avec  les  ténèbres,  et  il  faut  convenir  que  leur  évan- 
gile à  eux  ne  nous  annonce  rien  de  bon.  » 

Luther  contribua  indubitablement  au  sensible  abaissement  qui  se 
produisit  à  cette  époque  dans  les  mœurs,  par  les  principes  qu'il  émet- 
tait en  pleine  chaire  sur  les  devoirs  réciproques  des  époux  '.  Emser 
consacre  à  ce  sujet  un  chapitre  spécial,  où  il  se  plaint  de  ce  que  la 
doctrine  chrétienne  sur  la  sainteté  du  mariage  ait  été  outragée.  «  Il 
se  voit  contraint  '-,  dit-il,  «  de  rappeler  que  Jésus-Christ,  saint  Paul  et 
les  docteurs  chrétiens  les  plus  vénérés  depuis  la  naissance  de  l'Eglise 

1  Voy.  plus  haut  p.  115,  note  1.  Cesparoles,  tirées  de  la  Captivité  de  Babylone,  sont 
répétées  par  Luther  dans  son  sermon  sur  le  niariafie  publié  en  1522.  Il  ajoute  : 
«  J'ai  donné  ces  conseils  étant  encore  timide,  mais  maintenant  je  désire  mieux 
conseiller,  et  voudrais  bien  persuader  à  l'homme  (qu'une  femme,  en  ces  ques- 
tions, mène  souvent  par  le  bout  du  nez]  que  le  mariage  étant  une  action  pure- 
ment extérieure  et  physique,  comme  toute  autre  occupation  temporelle,  il  s'en- 
suit que  le  chrétien  peut  se  marier  et  rester  uni  à  un  païen,  un  Juif  ou  un 
Turc,  sans  aucune  inquiétude  de  conscience.  Il  n'existe  ni  vice  ni  crime  qui 
puisse  mettre  obstacle  au  mariage.  David  rompit  le  mariage  de  Bethsabée,  femme 
d'Uri,  et  fit  de  plus  périr  son  mari;  il  commit  donc  deux  crimes;  et  cepen- 
dant, sans  donner  d'argent  au  Pape,  il  garda  Bethsabée  pour  femme,  et  eut 
d'elle  le  roi  Salomon.  ^  Par  rapport  à  la  séparation  des  époux,  Luther  enseigne 
encore  :  -  Je  reconnais  trois  causes  de  divorce  :  la  première,  c'est  quand 
l'homme  ou  h  femme  est  impropre  au  mariage.  ...L'autre,  c'est  l'adultère. 
A  cause  de  l'adultère,  le  Christ  sépare  l'homme  et  la  femme,  afin  que  celui  qui 
est  innocent  puisse  choisir  ailleurs."  ••  Mais  pour  se  séparer  ainsi,  et  de  ma- 
nière que  l'un  des  mariés  puisse  faire  un  autre  choix,  il  faut  le  pouvoir  et 
l'enquête  de  l'autorité  laïiH>\  afin  que  l'adultère  soit  publiquement  reconnu;  que 
si  l'autorité  refuse  de  prendre  en  main  cette  affaire,  il  faut  du  moins  que  le 
divorce  ait  lieu  au  vu  et  au  su  de  toute  la  congrégation,  afin  qu'il  devienne 
impossible  de  se  séparer  une  seconde  fois  par  pur  caprice.  Que  si  tu  demandes  : 
Mais  que  fera  celui  des  deux  époux  qui  est  coupable?  Peut-être  ne  pourra-t-il 
pas  rester  charte'.'  Réponse  :  Voil'i  pourquoi  Dieu  avait  ordonné  dans  la  loi 
de  Mo'ise  de  lapider  les  adultères,  c'était  al^n  que  cette  question  demeurât  inu- 
tile. Le  bras  séculier  doit  mettre  à  mort  les  adultères,  car  celui  qui  a  violé  sa 
promesse  de  mariage  est  déjà  comme  mort  et  doit  être  considéré  comme  tel. 
Aussi  l'autre  partie  peut-elle  se  remarier,  comme  si  son  conjoint  était  mort, 
s'il  veut  rester  strictement  dans  son  droit  et  ne  pas  lui  faire  grâce.  Là  où 
l'autorité  est  négligente  et  n'agit  pas,  celui  des  deux  époux  qui  a  commis 
l'adultère  pourra  se  rendre  dans  un  pay^  éloigné,  et  là  se  marier,  s'il  ne 
peut  vivre  autrement.  Mais  il  vaudrait  mieux  qu'il  fût  puni  de  mort,  qu'il 
ne  fût  plus  parlé  de  lui,  afin  que  tout  mauvais  exemple  soit  évité.  Que  si  quel- 
qu'un prétend  combattre  cette  doctrine  et  dit  :  <■  Voilà  de  l'air  et  de  1  espace 
accordé  à  tous  les  hommci  et  femmes  vicieux!  Us  vont  maintenant  pouvoir  se 
séparer  l'un  de  l'autre,  puis  aller  se  marier  à  leur  guise  dans  les  pays  étrangers!  • 
Réponse  :  Qu'y  puis-je  faire  ?  c'est  la  faute  de  l'autorité!  Pourquoi  ne  met-elle 
pas  à  mort  l'adultère?  Je  n'aurais  pas  besoin  de  donner  un  pareil  conseil!  »  Le 
troisième  cas  de  divorce  reconnu  par  Luther  est  celui-ci  .  ^  Quand  l'une  des 
parties  se  dérobe  à  l'autre,  et  lui  refuse  ce  qu'elle  lui  doit.  »  Tout  ce  passage 
est  impossible  à  reproduire  à  cause  de  son  extrême  indécence.  Il  se  termine 
ainsi  :  ■^  Il  faut  qu'ici  V autorité  temporelle  intervienne  et  contraigne  la  femme ,  vu  bien 
la  condamne  à  mort.  Mais  si  l'autorité  n'agit  pas,  l'homme  doit  s'imaginer  que 
sa  femme  lui  a  été  ravie  par  les  brigands,  ou  qu'elle  a  été  assassinée,  et  chercher 
une  autre  épouse.  >  Summtl.  Werke,  t.  XX,  p.  60-61,  65-66,  6J-73. 


RÉFUTATIOIV    DE    LUTIIKU    ET    DU    NOUVEL    K  VA  N  C  I  L  K .      309 

jusqu'à  ce  jour,  ont  recommandé  à  tous  la  pureté,  la  chasteté  des 
corps  et  des  âmes  '.  » 

«  O  vous,  dignes  Allemands,  pieux  chrétiens  restés  fidèles  à  la  foi 
du  passé  '),  s'écrie  Emser,  «  je  vous  exhorte,  je  vous  conjure  et  vous 
supplie,  par  l'amère  Passion  du  Christ,  de  rester  fermement  atta- 
chés à  la  religion  de  vos  pères,  et  de  ne  vous  laisser  séduire  en 
aucune  manière  par  ce  nouveau  Jéroboam,  car  ce  qu'il  se  propose, 
c'est  de  vous  détourner,  vous  et  vos  enfants,  des  deux  principales 
vertus  du  chrétien  :  la  fidélité  à  ranti([uc  loi  et  Tobeissaiice  aux  supé- 
rieurs. ')  u  Les  hérétiques  persuadent  au  peuple  qu'on  ne  doit  plus 
aux  religieux,  au  Pape,  aux  évéques,   aux  prêtres  ou  aux  moines, 
ni  offrandes,  ni  redevances,  ni  dîmes,  ni  rétribution  quelconcpie; 
bien  plus,  ils  soutiennent  qu'il  est  légitime  de  les  dépouiller  de  ce 
qu'ils  possèdent.  Mes  amis,  pourquoi  vous  conseillent-ils  ceci?  Il 
leur  est  cependant  bien  aisé  de  comprendre  que  lorsque  les  prêtres 
n'auront   plus  absolument  rien,    il  leur  deviendra   impossible   de 
s'adonner  à  la  prière,  à  la  prédication,  d'administrer  les  sacrements 
et  de  s'acquitter  des  autres  fonctions  qui  sont  indispensables  au  salut 
du  peuple  chrétien  et  regardent  spécialement  leur  ministère.  »  <  Mais 
ils  savent  que  le  meilleur  moyen  d'anéantir  la  foi  chrétienne,  c'est 
d'abolir  les  prêtres,  la  messe,  l'église,  l'autel,  les  exercices  et  pra- 
tiques chrétiennes,  afin  que  toute  consolation  et  espérance  de  salut 
nous  soit  enlevée,  que  chacun  vive  ä  sa  guise,  et  que  celui  qui  n'a 
rien  vienne  puiser  dans  le  sac  de  celui  qui  possède.  Hélas!  le  peuple, 
en  son  ignorance,  ne  réfléchit  pas  à  tout  cela  !  11  s'imagine  que  lors- 
qu'il aura  dépouillé  et  chassé  les  prêtres,  tout  ira  bien,  toute  justice 
sera  accomplie,  tout  deviendra  parfait;  il  ne  prévoit  guère  quelle  dé- 
tresse serait  la  sienne  si  les  désirs  des  hérétiques  venaient  à  s'ac- 
complir! ^  «  O  vous,  pieux  Allemands,  songez  â  l'avertissement  que 
je  vous  donne  !  » 

«  Je  sais  trop  à  quelles  agressions,  à  quelles  menaces,  à  quels  dan- 
gers je  m'expose  en  entreprenant  de  défendre  ces  principes.  J'ai 
dû  souffrir  la  persécution  de  ceux-là  mêmes  qui  autrefois  étaient 
mes  meilleurs  amis.  Mais  en  dépit  de  leurs  torts  envers  moi,  je 
ne  leur  en  veux  nullement,  et  n'ai  pas  l'intention  de  leur  causer 
jamiiis  la  moindre  peine  ni  le  moindre  dommage.  Je  vous  supplie 
tous  de  n'avoir  à  votre  tour  envers  eux  ni  ressentiment  ni  aigreur, 


'  Bl.  R'-*.  Voy.  .1.  DlETENBEUGER,  ion  Mcnschenlcr,  B.  C.  '.  «L'Éciitlire  est  al)SOlii- 
ment  contre  toi(Liuher);  les  raisons  que  tu  apportes  ne  sont  que  pure  duplicité, 
tout  ce  que  tu  écris  n'est  qu'hypocrisie,  belles  paroles  fleuries,  combinées  pour 
séduire  le  simple  peuple.  Ta  conscience  est  faussée;  là  où  il  faudrait  parler  de 
péché,  de  conscience,  tu  ne  vois  aucun  mal;  là  où  il  n'y  a  nul  péché,  tu  en 
forges.  • 


3ti0  DÉCADENCE    DES    LETTRES. 

car  celui  qui  hait  son  frère  est  uq  homicide  aux  yeux  de  Dieu,  et 
digne  d'être  jugé.  D'ailleurs,  la  plus  grande  partie  des  hérétiques 
agit  par  ignorance;  jusqu'ici  ils  n'ont  pas  bien  compris  de  quoi  il 
s'agissait,  ils  ont  été  séduits,  abusés,  et  très-certainement,  lorsque 
plus  tard  on  les  instruira  de  la  vérité,  nous  les  verrons  dégager 
leur  main  de  celle  de  Luther.  Mais,  de  grâce,  vous  et  eux,  et  tous 
ceux  qui  ne  veulent  pas  être  empoisonnés  par  la  fausse  doctrine, 
renoncez  aux  livres  de  Luther,  tel  est  le  loyal  conseil  que  je  vous 
donne;  car  bien  que  de  temps  en  temps  on  y  rencontre  quelques 
bonnes  paroles,  ils  contiennent  néanmoins  tant  de  poison,  que  ce 
poison  finit  par  étouffer  complètement  la  bonne  semence.  » 

«  En  lisant  le  petit  livre  que  voici  ' ,  dit  Emser  en  concluant  et 
s'adressant  à  l'Empereur,  «  Sa  Majesté  Impériale  s'apercevra  aisément 
de  la  confusion  d'idées  où  nous  ont  jetés  la  fausse  docirine,  le 
délire  et  le  faux  zèle  de  Luther.  Nous  sommes  entraînés  et  séduits; 
non-seulement  on  cherche  à  nous  détourner  de  la  foi  du  passé,  mais 
encore  de  l'obéissance  que  nous  te  devons,  à  toi  et  à  toute  autorité. 
Il  en  résulte  que  tout  état,  toute  condition  sociale  est  ébranlée 
jusqu'en  ses  bases,  et  chancelle  '.  » 


III 


Les  troubles  religieux,  comme  il  fallait  s'y  attendre,  ne  tardèrent 
pas  à  produire  un  abaissement  sensible  et  général  dans  la  vie  intel- 
lectuelle. 

Les  Universités  perdirent  -  en  l'espace  de  peu  d'années,  et  cela 
avec  une  rapidité  aussi  lamentable  que  surprenante,  tout  le  crédit 
dont  elles  jouissaient  >'.  «  La  jeunesse  studieuse  »,  disait-on  dès 
1524,  «  ne  s'applique  plus  aux  saines  études,  et  ne  s'exerce  plus  que 
dans  l'art  de  la  controverse  religieuse.  Les  jeunes  gens  lisent, 
écrivent,  propagent  des  masses  de  petits  traités  et  pamphlets;  ils 
deviennent  grossiers,  leur  inconduite  est  notoire,  et  cependant  ils  se 
donnent  pour  les  apôtres  d'une  nouvelle  sagesse,  et  prétendent 
réformer  la  société*.  " 

Luther  avait  appelé  les  Universités  des  cavernes  de  malfaiteurs, 
des  temples  de  Moloch,  des  synagogues  de  perdition  ^  Dans  un  ser- 
mon prononcé  en  1524  et  reproduit  par  de  nombreuses  éditions,  il 

'  Bl.  V'-\ 

*  Vov.    Gloss  und  Comment,  auf  LXXX  Arlikeln,  ni.  !,*. 

•  Voy.  plus  tiaut,  p.  204. 


DÉCADENC.K    D  K  S    LETTRES.  311 

uvait  été  jusqn'a  dire  :  "  On  devrait  mettre  le  feu  aux  Universités, 
car  rien  de  plus  infernal,  de  plus  diabolique,  n'a  existé  depuis  le 
commencement  du  monde,  et  jamais  la  (erre  ne  connaîtra  rien 
d'aussi  pernicieux'.  «  A  son  exemple,  Mélanchtlion,  réfulant  Emser, 
avait  dit  (1511)  «  que  rien  de  plus  impie,  de  plus  funeste  que  les 
Universités,  n'avait  jamais  été  inventé;  que  ce  n'étaient  pas  les  papes 
qui  les  avaient  fondées,  mais  bien  le  diable  en  personne.  Wiclef 
avait  eu  le  premier  le  mérite  de  les  aj)peler  publiquement  les  écoles 
du  démon;  pouvait-il  dire  quelque  chose  de  plus  édifiant,  de  plus 
sa[;e?  On  accusait  les  Juifs  d'immoler  des  enfants  à  Moloch;  mais 
dans  les  Universités,  les  jeunes  gens  étaient  sacrifiés  aux  idoles  du 
paganisme;  celui  qui  aspirait  au  litre  de  docteur  en  philosophie 
n'était  plus  digne  du  nom  de  chrétiens  » 

La  haine  passionnée  de  Luther  et,  à  cette  époque,  de  Mélanchthon 
pour  les  Universités,  provenait  de  leur  violente  antipathie  pour  la 
philosophie  et  pour  l'usage  qu'on  en  faisait  dans  les  disputes  reli- 
gieuses. Ils  détestaient  encore  les  Universités,  parce  qu'elles  avaient 
toujours  fait  grand  état  de  la  "  lumière  naturelle  »  ;  qu'elles  avaient 
célébré  la  raison  comme  un  instrument  donné  par  Dieu  pour  scruter 
la  vérité  religieuse,  et  constamment  cherché  à  mettre  d'accord  la  foi 
et  la  science  '.  Au  reste,  Mélanchthon  ne  tarda  pas  à  revenir  de  ses 
emportements;  mais  Luther,  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie,  soutint  que  la 
raison  «  est  l'épouse  du  diable  >;  que  c'est  ■■•  une  belle  courtisane,  une 
prostituée  maudite,  une  fille  de  mauvaise  vie  revêtue  de  haillons, 
couverte  de  lèpre,  et  la  plus  grande  gourgandine  de  Satan  ».  11 
répétait  qu'il  fallait  «  fouler  aux  pieds  sa  sagesse  prétendue, 
l'exterminer,  lui  jeter  de  l'ordure  au  visage  pour  la  rendre  plus 
hideuse  encore,  et  forcer  cette  infâme  prostituée  à  se  cacher  dans 
les  latrines  ^  » . 


•  Sammil.  Werke,  t.  VII,  p.  63.  Sermon  sur  l'épitre  aux  Romains,  t.  XV,  p.  4-13. 
La  haine  de  Luther  pour  Aristote  lui  inspirait  ces  jugements.  Il  eu  voulait  à 
«  ce  païen  stérile,  vide  de  science  et  plein  de  ténèbres  ".  Ces  passages  ne  se 
trouvent  que  dans  les  plus  anciennes  éditions  du  sermon.  —  (Voy.  Sdmmtl. 
Werke,  t.  YI[,  p.  63,  note  59  —  Dans  une  lettre  à  Jean  Lange,  Luther  appelle 
Aristote  «  calomniateur  éhonté,  comédien,  Protée,  le  plus  rusé  corrupteur  des 
esprits.  Si  Aristote  n'avait  pas  réellement  existé  en  chair  et  en  os,  on  pourrait, 
sans  nul  scrupule,  le  tenir  pour  le  démon  en  personne.  »  Bien  éloigné  de  par- 
tager sur  ce  point  les  idées  de  Luther,  Mélanchthon  se  donna  plus  tard  toutes 
les  peines  imaginables  pour  remettre  en  honneur  l'étude  de  la  philosophie 
d.\ristote.  ■  lin  vérité,  sans  cet  écrivain  »,  ce  sont  ses  propres  expressions, 
«  nori-seulement  il  ne  pourrait  y  avoir  de  vraie  philosophie,  mais  encore  nous 
n'aurions  jamais  possédé  une  saine  méthode  pédagogique.  >  —  Voy.  Döllin- 
GEI\,  Reformation,  t.  l  (2^  édit.),  p.  478,  note  101. 

'  Corp.  Reform.,  t.  I,  p.  286-358.  —  Voy.  P.vulse.n,  p    135-136. 
'  Voy.  DÖLLINGER,  Riformation,  l.  I  (2=  éd.),  p.  476-477. 

*  Voy.  DÖLLINGER,  Reformation,  t.  I  (2^  édit  ),  p.  479-i82.  J'ignore  de  quel  écrit 


312  DÉCADENCE    DES    LETTRES.    1523. 

D'innombrables  prédicants  tenaient  le  même  langage,  et  se  répan- 
daient en  injures  contre  toute  notion  rationnelle,  contre  toute  science 
profane. 

Après  les  Universités,  ce  furent  les  belles-lettres  et  les  humanités 
qui  reçurent  les  plus  rudes  coups.  Avant  le  début  des  querelles  reli- 
gieuses, elles  avaient  pris  un  tel  essor  «  que  Cicéron  lui-même  «, 
assurait-on,  «  n'aurait  eu  qu'à  se  cacher  dans  un  petit  coin  s'il  eût 
pu  revenir  au  monde  ".  Mais  ce  bel  élan  avait  été  de  courte  durée. 
«  Partout  où  la  doctrine  luthérienne  prévaut  »,  écrivait  Érasme  à 
Pirkheimer,  «  les  sciences  dépérissent,  car  les  nouveaux  convertis  ne 
recherchent  que  deux  choses  :  une  place  et  une  femme.  Une  fois  ceci 
obtenu,  TÉvangile  leur  donne  pleine  liberté  de  vivre  à  leur  guise'.  " 

"  Sous  prétexte  d'Évangile  »,  écrivait  d'Erfurt  l'humaniste  Eoban 
Hessus  (1525),  «  les  moines  sortis  de  leurs  couvents  étouffent  complè- 
tement l'essor  des  belles-lettres.  Dans  leurs  funestes  prédications,  ils 
dépouillent  les  bonnes  études  du  respect  qui  leur  est  di^  pour  mieux 
prôner  leur  sagesse  prétendue.  Noire  Université  est  complètement 
déserte,  et  nous  sommes  tombés  dans  le  mépris  public  ^  '  «  Nous 
en  sommes  venus  à  un  tel  point  »,  écrit-il  avec  douleur  à  son  ami 
Camérarius,  "  qu'il  ne  nous  reste  plus  que  le  souvenir  de  notre 
ancienne  gloire.  L'espoir  de  la  voir  renaître  disparait  même  entière- 
ment \  »  «  Notre  Université  est  tombée  »,  mande  à  son  tour  en 
gémissant  Euricius  Cordus  à  son  ami  Draconites  (1523);  «  les  étu- 
diants mènent  une  vie  tellement  dissolue  que,  parmi  eux,  on  pour- 
rait se  croire  dans  un  camp  de  soldats;  aussi  la  vie  m'est-elle  devenue 
à  charge.  »  "  Dans  quel  triste  abaissement  nous  voyons  maintenant 
la  science!  »  écrit  vers  la  même  époque  l'humaniste  Nossen.  ><  Per- 
sonne ne  saurait  voir  avec  indifférence  à  quel  point  le  zèle  pour  la 
science  et  la  vertu  sont  éteints  parmi  nous.  Ce  qui  m'afflige  le  plus, 
c'est  la  crainte  qu'une  fois  les  fondements  des  sciences  sapés,  toute 
piété  ne  soit  du  même  coup  ruinée,  et  que  nous  ne  voyions  repa- 
raître une  barbarie  capable  d'anéantir  les  derniers  et  faibles  vestiges 
de  la  religion  et  des  lettres  ^  » 

«  Personne  n'aurait  jamaispu  croire  »,rapporteea  cette  même  année 
(1523)  le  doyen  de  la  faculté  de  philosophie  d'Erfurt  dans  un  compte 

de  Luther  Dollinyer  a  extrait  le  passage  suivant  :  "  Deux  et  cinq  font  sept;  ceci, 
je  puis  le  concevoir  par  ma  raison;  mais  s'il  m'était  dit  d'en  haut  :  \on,  cela 
fait  huit,  je  devrais  le  troire,  contre  ma  raison  et  mon  sentiment.  Aussi  le 
diable  n'est-;l  occupé  qu'à  persuader  aux  prêtres  de  Rome  de  luciurerla  volonté 
et  l'œuvie  de  Dieu  aux  règles  ordinaires  de  la  raison.  • 

'  Op.  IV,  p.  1139. 

-  Voy.  ScHAVERTZELL,  p.  37.  —  Krilse,  Eobaiius  Hessus,  t.  I,  p.  330. 

^  Kampschllte,  t.  II,  p.  201. 

*   kXAlPSCHLLTE,   l.   II,   p.    175,   180. 


DÉCADENCK    DES    I.ETTliKS.    (523.  313 

rendu  officiel,  <  qu'en  si  peu  de  temps  notre  Universilé  viendrait 
ainsi  à  déchoir,  et  qu'à  peine  une  ombre  de  sa  splendeur  passée 
subsisterait  encore!  O  douleur!  c'est  cependant  le  spectacle  qui 
frappe  maintenant  nos  regards!  On  parle  de  telle  façon  de  l'Univer- 
sité dans  les  chaires  chrétiennes,  que  tout  ce  qui  était  en  honneur 
autrefois  est  à  préseul  criblé  d'outrages.  »  «  Les  éludes  scientifiques 
sont  abaudonnéeset  méprisées  >-,  écrit  le  recteurde  l'université;  «  la 
jeunesse  a  maintenant  horreur  des  grades  académiques;  toute  disci- 
pline a  disparu.  "  «  Mais  qu'y  a-f-il  là  d'étonnant?  »  ajoute-t-il; 
"  comment  être  surpris  de  ce  qui  se  passe  pour  nos  écoles,  lorsque 
nous  voyons  la  religion  elle-même,  qui,  durant  tant  de  siècles,  avait 
joui  du  respect  de  fous,  n'être  plus  à  l'abri  des  insultes?  Nos 
péchés  ont  mérité  (|ue  la  h;iine  des  sectaires  s'attaque  impunément  à 
toute  chose,  selon  que  cela  leur  passe  par  l'esprit;  ou  n'estime  plus, 
pour  ainsi  dire,  que  ce  qui  était  méprisé  autrefois  '.  » 

A  Erfurt,  le  nombre  des  professeurs  et  des  étudiants  diminuait 
d'année  en  année.  A  peine  quelques  jeunes  gens  témoignaient-ils  le 
désir  d'obtenir  un  emploi,  un  grade  académique  quelconque.  De 
mai  1520  à  1521,  on  compte  encore  trois  cent  onze  étudiants  imma- 
triculés; mais  l'année  suivante  ce  chiffre  est  réduit  à  cent  vingt; 
en  1522,  à  soixante-douze;  en  1523-1524,  à  vingt-quatre*. 

Les  études  scientifiques  avaient  le  même  sort  à  Wittemberg.  "  .le 
vois  bien  que  tu  éprouves  le  même  chagrin  que  moi  à  propos  de  la 
ruine  de  nos  études  »,  écrivait  Mélanchthon  à  Eoban  Hessus  (1525). 
«  Il  y  a  peu  de  temps  encore,  les  lettres  florissaient,  main  tnant 
elles  dépérissent.  Ceux  qui  font  peu  de  cas  des  études  profanes  n'ont 
guère  meilleure  opinion,  crois-le  bien,  des  études  théologiques!  - 
«  Si  nous  avions  pu  voir  l'avènement  de  cet  âge  d'or  que  l'épanouis- 
sement des  sciences  nous  faisait  autrefois  espérer  '•,  disait-il  quelques 
années  plus  tard  en  présentant  ses  œuvres  au  public,  -■  mes  ouvrages 
auraient  un  caractère  plus  joyeux,  ils  seraient  plus  ornés,  plus  bril- 
lants. Mais  la  discorde  fatale  qui  a  suivi  de  si  près  l'essor  des  lettres 
a  intimidé  mes  efforts.  Je  m'étais  mis  à  l'œuvre  avec  tant  d'ardeur!  » 
Malheureusement,  dès  1524,  les  troubles  religieux  étaient  venus 
l'assombrir  :  «  Je  vis  ici  à  peu  près  au  désert  »,  écrit-il  à  un  ami;  «  je 
n'ai  presque  de  commerce  qu'avec  des  esprits  étroits  et  bornés,  parmi 
lesquels  je  ne  prends  aucune  espèce  de  plaisir;  aussi  je  reste  à  la 
maison,  comme  un  savetier  boiteux.  "  «  Je  n'ai  personne  avec  lequel 
je  puisse  espérer  quelque  conformité  de  sentiments;  je  n'ai  d'amitié 
qu'avec  les  loups,  comme  eût  dit  Platon,  amitiés  pleines  de  soucis 


'  Kampschulte,  t.  Il,  p.  179,  184. 

"■'  Voy.  KAMrsCHL'LTE,  Uchersichl  der  jährlichen  ImnuUnculalionen,  t.  II.  p.  219. 


314  DECADENCE    DES    LETTRES.    ir,23. 

et  de  fatigues.  >  Il  voit  échouer  tous  ses  efforts  pour  le  relèvement 
des  sciences  ',  et  dans  ses  lettres  confidentielles,  n'hésite  pas  à  accuser 
les  théologiens  de  Wittemberg  du  dépérissement  des  lettres  ^ 

Les  autres  Universités  de  l'Allemagne  du  Nord,  Leipzig'  et  Ros- 
tock, par  exemple,  perdaient  d'année  en  année  de  leur  importance. 
A  Rostock,  où  l'on  avait  vu  jadis  jusqu'à  trois  cents  étudiants  se  faire 
inscrire  tous  les  ans,  il  ne  s'en  présenta  en  1524  que  trente-huit; 
en  1525,  que  quinze*. 

Les  Universités  du  sud  de  l'Allemagne,  Bâle,  Heidelberg,  Fri- 
bourg,  nous  offrent  le  même  lamentable  spectacle  :  "  L'Université 
git  à  terre,  elle  est  comme  morte  et  enterrée  ",  écrivait-on  de 
Bâle  à  la  même  date;  «  les  chaires  des  professeurs  sont  aussi  vides 
que  les  bancs  des  élèves.  >-  En  1522,  vingt-neuf  étudiants  seulement 
s'y  font  inscrire;  en  1526,  il  ne  s'en  présente  plus  que  cinq^  A 
Heidelberg,  en  1525,  il  y  a  plus  de  professeurs  que  d'étudiants  ^. 
'<  C'est  à  peine  si  j'ai  six  auditeurs  fidèles  »,  écrit  de  Fribourg, 
en  1523,  Ulrich  Zasius,  le  plus  célèbre  de  tous  les  juristes  de  ce 
temps,  «  et  par-dessus  le  marché,  ils  sont  tous  Français.  Je  m'acquitte 
avec  un  grand  zèle  des  devoirs  de  ma  charge,  même  lorsque  j'ignore 
si  j'aurai  oui  ou  non  des  auditeurs,  et  lesquels;  mais  je  suis  tenté 
de  prendre  mon  métier  à  dégoiU,  lorsque  je  vois  la  jurisprudence 


'  Voyez  ses  lelires  dans  le  Corp.  Reform.,  t.  I,  p.  575,  604,  613,  679,  683,  695,  726, 
894.  —  Voy.  l'article  intitulé  :  Reformation  und  Literatur,  dans  le  Hisi.  Pol.  Bl., 
t.  LXXIX,  p.  259.  —  DÖLL1\GER,  Reformatio»,  t.  I,  p.  354;  Pallsen,  p.  135-138. 

*  Corp.  Reform..,  t.  I,  p.  887,  et  t.  II.  p.  513.  Voy.  t.  I,  p.  830. 

*  A  Leipzig,  entre  1508  et  1522,  6,485  étudiants  avaient  été  inscrits.  Entre  1523 
et  1537,  1,935  seulement.  ZN.vnCKE,  Die  url-undllchen  Quellen  zur  Gesch.  der  Univer- 
sität Leipzig,  .jbhand.  der  Jcönigl.  Sächsischen  Gesellsch  ifi  der  ll/isscnschaflen,  t.  III,  p.  594, 
597. 

*A  Rostock,  au  printemps  de  1512,  le  nombre  des  étudiants  se  montait  à 
119;  durant  le  stinestie  dliiver,  à  183;  dans  les  années  qui  précèdent  immédia- 
tement la  réforme,  la  diminution  des  étudiants  n'est  pas  encore  apprécia!. le. 
Mais  au  moment  où  éclatent  les  querelles  reli;jieuses,  leur  nombre  ne  cesse  de 
décroître,  de  telle  sorte  que  dans  le  semestre  d'été  de  1524  on  n'en  compte 
que  24,  dans  le  semestre  d'hiver  que  14;  dans  le  semestre  d'été  1525,  que  11  ; 
dans  le  semestre  d'hiver,  que  4.  Dans  le  semestre  d'hiver  de  1526,  il  n'y  eut  pas 
une  seule  inscription.  Krabbe,  Die  Universität  Rostock,  im  15.  und  16.  Jahrhundert, 
p.  290-293,  372,  387.  «  En  ce  temps-là  .,  dit  un  chroniqueur  (Grape,  Evangel. 
Rostock,  p.  109;,  l'Académie  fut  tellement  désertée,  que  lorsqu'on  prononçait  le 
mot  de  docteur,  à  peine  savait-on  ce  que  cela  voulait  dire.  " — Voy.  Döllinger, 
Reformation,  t.  I,  p.  575.  —  PaulseN,  p.  141. 

*  Voy.  ViscHER,  Gesch.  den  Universität  Basel,  p.  185.  •-  Avec  la  peste  physique, 
eorporum  pestis,  la  réforme  arriva  de  compagnie,  animorum.  pestis.  Elle  produisit 
une  perturbation  puissante,  empêcha  l'arrivée  de  nouveaux  élèves  et  chassa  les 
anciens.  »  Registres  d'inscription  de  l'Université;  à  partir  de  1526,  chaque  nou- 
veau recteur  répète  ces  mêmes  plaintes.  —  Vischer,  p.  258. 

^  --  ...Universitatem  magna  ex  parte  decrescere  deflorescereque,  in  eam  per- 
venisse  infelicitatem,  ut  plures  sint  professores  quam  auditores.  •  —  Hautz, 
Gesch.  der  Universität.  Heidelberg,  p.  390. 


»h'ir  A  r-iKNCK  Di-s   r.i;  r  m  Ks.  1523,  315 

ainsi  abnndonuéc.  »  «  Il  y  a  ici  ",  dit-il  encore,  «  une  disette 
extraordinaire  d'étudiants,  et  je  n'entrevois  point  d'amélioration 
possible  *.  »  L'Université  de  Vienne,  qui  sous  Maximilicu  avait 
compté  ses  professeurs  par  centaines  et  qui  avait  vu  quelquefois 
sept  mille  étudiants  s'inscrire  annuellement  sur  ses  rcg^istres,  elle, 
si  lonpjtemps  l'une  des  |)remières  universités  de  l'Kurope,  tomba 
peu  à  peu,  à  la  suite  des  troubles  religieux,  dans  un  si  lamentable 
état,  que  c'est  à  peine  si  elle  possédait  encore  en  i 023  une  cinquan- 
taine d'étudiants.  La  faculté  de  droit  se  vit  forcée  de  fermer  ses 
salles  de  cours  pendant  quelque  temps,  les  élèves  faisant  totalement 
défaut  ^ 

Là  oii  la  nouvelle  doctrine  se  développait  sans  aucune  entrave, 
d'innombrables  prédicants  travaillaient  à  ruiner  de  fond  en  comble 
toute  cnUin-e  intellectuelle.  Ils  visaient  sciemment,  de  propos  déli- 
béré, à  fonder  le  règne  de  la  foule  ignorante,  guidée  par  les  déma- 
gogues religieux,  sur  les  ruines  des  institutions  ecclésiastiques  et 
scientifiques  ^ 

On  revenait  aux  doctrines  que  les  hussites  de  Bohême  avaient 
mises  en  honneur  au  quinzième  siècle  :  '=  Celui  qui  s'adonne  aux  arts 
libéraux  >',  avaient  enseigné  ces  hérétiques,  -  celui  qui  accepte  un 
grade  universitaire,  n'est  qu'un  orgueilleux,  qu'un  païen,  qui  prêche 
contre  l'Évangile.  Toutes  les  vérités  de  la  philosophie  et  des  arts 
libéraux,  même  lorsqu'elles  semblent  devoir  servir  la  loi  du  Christ, 
loin  d'être  approfondies,  doivent  être  abolies  comme  entachées  de 
paganisme,  et  en  réalité  païennes;  les  écoles  doivent  être  détruites*.  > 

'  Voy.  SriNTZiNG,  i'Irirh  Zasius,  p.  2ii)-250, 

^  A  Vienne  en  1517,  le  nombre  des  inscriptions  se  monte  à  (567,  en  1520  à  569. 
A  partir  de  1522,  une  rapide  décadence  survient,  ^  praecipue  ■ ,  lisons-nous  dans 
les  actes  de  l'Université,  quia  ea  tempestate  secta  Lutherana  plerosque  a  sus- 
cipiendls  gradii^us  dehortubatur  ».  Les  savants,  déclare  le  recteur  Frédéric 
Herrer,  «  sont  en  horreur  à  l'homme  du  peuple  -.  —  Voy.  Kink,  Gesch.  der  Wiener 
Uniiersim,  t.  I,  p.  233,  253,  254.  —  AscuBiCH,  t.  II,  p.  86,  note  2,  p.  29i.  —  Sur  la 
diminution  du  nombre  des  étudiants  à  Ingolstadt  depuis  1518,  voy.  Pr.vntl, 
Gesell,  der  Universiiät  in  Ingolstadt,  t.  I,  p.  164.  —  A  Cologne,  en  1516,  il  y  avait 
encore  370  étudiants;  en  1521,  354;  en  1527,  72.  —  Voy.  Zeitschrift  des  Bergischen 
Geschichtsvereins,  t.   VI.  p.  208. 

^  Comme  le  dit  très-justement  Dollingek,  Reformation,  t.  F,  p.  440. 

*  Voy.  1IÖFLER,  Geschichtschreiber  der  husitischen  Bewegung,  t.  I,  p.  391.  "  Ouod  omnes 
veritates  in  philosnphia  et  in  artibus  legis  Christi  promotivae  nullo  unquam 
modo  sunt  amplectendae  sive  studendae.  -  — Brezowa,  dans  Uöfler,  t.  I,  p.  140. 
—  Voy.  Palacky  3^,  p.  189;  Lechler,  t.  II,  p.  272-274;  Aschbagh,  Kaiser  Sigmund, 
t.  III,  p.  101-102;  Bezold,  Zur  Gesch.  des  Husitenthums,  p.  48-49.  —  Lauteur,  favo- 
rable aux  doctrines  taborites  de  la  Réforme  de  l'empereur  Sigismond,  déc4a- 
rait  que  la  science  des  plus  savants  n'était  plus  d'aucune  utilité;  que  les 
savants  devaient  rester  inaclifs;  que  leurs  études  et  leurs  travaux  étaient  vains, 
parce  que  personne  n'en  devenait  meilleur  :  Je  ne  puis  m'empécher  de  dire 
que  leur  savoir  a  été  pour  nous  le  chemin  de  l'enfer;  c'est  la  pure  vérité.  > 
BoEHM,  p.  60,  note  3.; 


316  DECADENCE    DE    LA    LIBRAIRIE. 

«  Notre  temps  est  vraiment  le  plus  ap^ité  et  le  plus  troublé  de  tous 
les  temps  »,  écrivait  Glaréanus  à  Willibald  Pirkheimer  (1524); 
«  aussi  je  crains  beaucoup  la  ruine  totale  des  lettres  et  de  Tétude  des 
lan{i;ues  anciennes,  un  voit  surgir  de  tous  côtés  des  gens  qui  se 
vantent  d'avoir  rappelé  la  piété  à  la  vie,  qui  se  regardent  comme  les 
verges  des  sophistes,  et  qui  en  réalité  sont  beaucoup  plus  stupides 
que  tous  les  sophistes.  Comment  la  piété  pourrait-elle  fleurir  sans 
véritable  science  et  sans  la  connaissance  du  grec,  je  ne  le  conçois 
point.  Et  cependant  ces  hommes  proclament  avec  un  fort  grand 
fracas  qu'il  n'est  nullement  nécessaire  d'étudier  le  grec  ou  le  latin, 
qu'il  suffit  de  comprendre  l'allemand  et  l'hébreu.  On  veut,  pour 
ainsi  dire,  faire  de  la  chrétienté  une  seconde  Turquie  '.  »  Mélanchthon 
était  d'avis  qu'il  eût  fallu  couper  la  langue  ;iux  prédicants  qui  détour- 
naient des  études  la  jeunesse  inexpérimentée  (1524)  *. 

Le  discrédit  universel  des  lettres,  la  ruine  du  respect  et  de  l'amour 
dont  elles  avaient  été  l'objet  dans  toutes  les  classes  de  la  société 
avant  l'avènement  du  nouvel  Évangile,  allaient  naturellement  de 
pair  avec  la  détresse  du  commerce  de  librairie.  Depuis  1523,  l'activité 
des  grands  éditeurs  Rynmaun  à  Augsbourg,  les  frères  Alantsée, 
à  Vienne,  s'était  peu  à  peu  ralentie.  L'établissement  autrefois  si  pro- 
spère;, si  grandiose,  de  Froben  Lachner,  à  Bâle,  ne  jouissait  plus  de 
la  grande  influence  qu'il  avait  jadis  exercée.  Les  lois  qui  réglaient 
autrefois  le  commerce  des  livres  n'étaient  plus  en  vigueur.  La  pro- 
priété littéraire  n'était  plus  comptée  pour  rien;  seuls,  les  colporteurs 
faisaient  de  bonnes  affaires.  Ils  se  répandaient  par  troupes  dans  les 
villes  et  le.>  campagnes,  débitant  de  tous  côtés  leurs  écrits  polé- 
mistes, leurs  caricatures  ignobles,  leurs  abominables  gravures. 
Les  grandes  villes  pullul.iient  de  marchands  ambulants  de  toutes 
espèces.  A  rs'uremberg,  à  côté  des  imprimeurs  et  des  libraires  en 
titre,  des  colporteurs  offraient  leurs  brochures  aux  passants.  Des 
fripons  sans  aveu  parvenaient  à  s'introduire  dans  la  ville,  et  y  répan- 
daient des  livres  pernicieux;  au  marché,  derrière  l'hôtel  de  ville, 
des  colporteurs  venus  du  dehors  recommençaient  continuellement 
à  dresser  leurs  échoppes,  en  dépit  de  toutes  les  ordonnances  du 
conseiP. 


'  PiuKHF.iMER,  Opera,  edid.  Goldast,  314.  —  Voy.  Schreiber,  Glareanut,  p.  OS 
La  lettre  est  de  1524,  et  non  de  1514. 

'  ■  Linfïuas  profecto  praecidi  oportet  iis,  qui  pro  concionibus  passim  a  lile- 
rarum  studiis  imperitam  juventutem  dehortantur.  »  Corp.  Reform.,  t.  I,  p.  666. 

*  Pour  plus  de  détails  sur  la  ruine  du  commerce  des  livres,  voy.  Kirchhoff, 
t.  I,  p.  79-102;  Hase,  p.  71.  -  Apud  Germanos  -,  écrit  Érasme  en  1524,  •  vix 
quicquam  vendibile  est  praeter  Lutherana  acAnti-Lutberana.  -  Op.  III,  x>.  824. — 
Voy.  p.  777.   •  Frobenius  mihi  serio  questus  est,  se  ne  unum  quidein  opus  de 


DKCADENCK    DES    ÉCOLES.  3(7 

Comme  les  hautes  éludes  et  les  établissements  d'eiisei[jueiiieiil  supé- 
rieur, les  écoles  populaires  de  second  ordre  dépérissaient  d'année 
en  année.  «  Les  écoles  commencent  à  décliner  »,  écrit  Knocli  VVidmann 
dans  la  Chronique  municipale  de  Holi;  «  presque  personne  ne  veut 
plus  envoyer  .ses  enlants  à  l'école;  Luther  a  tant  répété  que  les 
prêtres  et  les  savants  avaient  déplor.ibiement  égaré  le  peuple,  que 
tout  le  monde  nourrit  contre  les  anciens  maîtres  un  vilressenliment; 
ou  les  humilie,  on  les  tracasse  toutes  les  lois  que  l'occasion  s'en 
présente'.  «  Guillaume  Lange,  zélé  protestant  hessois,  rapporte  les 
mêmes  faits  :  «  Les  études  sont  ruinées  >,  dil-il;  «  dans  les  campajjnes 
et  dans  les  villes  les  écoles  sont  désertes,  et  personne  ne  veut  plus 
y  envoyer  ses  enlants*.  »  «  Du  temps  du  papisme  »,  écrit  Gui  Die- 
trich de  Nuremberg,  •'  on  donnait  sans  mesure  et  sans  fin,  au  lieu  que 
maintenant  personne  ne  veut  plus  ouvrir  sa  bourse  ni  donner  un 
liard  pour  l'entretien  des  pauvres  églises,  des  écoles,  des  pauvres 
gens  nécessiteux  ».  « 

Luther  lui-même  laisait  entendre  à  ce  sujet  les  plaintes  les  plus 
amères.  Ou  lit  dans  une  des  instructions  adressées  par  lui  aux  bourg- 
mestres et  aux  conseillers  des  villes  (1524)  :  «  En  Allemagne,  on  laisse 
dépérir  l'enseignement.  Les  écoles  supérieures  languissent,  les  cou- 
vents sont  termes,  l'herbe  se  sèche,  la  fleur  tombe.  Là  où  les  couvents 
et  les  abbayes  ont  été  supprimés,  personne  ne  consent  plus  à  faire 
instruire  ses  enfants.  »  «  Puisque  l'état  ecclésiastique  ne  vaut  rien  », 
entend-on  répéter,  «  nous  n'avons  que  faire  des  écoles,  et  nous  ne 
voulons  plus  rien  donner  pour  elles.  » 

Tout  cela,  au  dire  de  Luther,  était  l'œuvre  du  diable.  Sous 
le  papisme,  le  diable  avait  tendu  .'^es  filets  par  l'établissement  des 
couvents  et  des  écoles,  de  .sorte  qu'un  jeune  garçon  ne  pouvait  leur 
échapper  sans  un  particulier  miracle  du  ciel*;  maintenant,  au 
contraire,  voyant  ses  tours  déjoués  par  la  parole  de  Dieu,  Satan 
avait  résolu  d'empêcher  toute  instruction  :  «  Or  ou  ne  saurait  ima- 

civitate  Dei  (de  saint  Außuslin)  vendere  Francofordiae.  »  l',  842.  Il  dit  dans  les  6W- 
loques:.  No.s  Kvanseiicl  quatuor  res  polissirauin  venainur,  ut  ventri  benesit,nequid 
desit  lis,  qiufsub  ventre  sunt,  tum  ut  sit,uude  vivamus,  postreino,  ut  liceaI,quod 
lubet,agere.  Ilœc  si  suppetant,  inter  pocula  (  lanmmus  :  lo  Triumphe,  lo  Pa-an, 
Yivit  Evan{5elium,  régnât  Christus.  "  —  Voy.  ces  passages  et  d'autres  analogues 
d'Érasme  sur  l'influence  destructive  du  nouvel  Évangile  pour  les  écoles,  la  litté- 
rature et  les  sciences,  dans  1)ölli.\ger,  lieformntion,  t.  I  (2'  édit.J,  p.  470-472.  — 
Voy.  aussi  l'opinion  de  Cochiseus  sur  l'anéantissement  de  la  gloire  scientifique 
des  Allemande,  causé  par  les  troubles  religieux  nouvellement  excités.  — 
Voy.  Otto,  p.  117,  131. 

'  Forlgcsclze  Sammlunj  von  Alt  und  Neu,  1735,  p.  440.  —  Voy.  Dollinger,  lieforma- 
tion,t.  1(2«  éd.),  p.  486-467. 

*  Leben  und  Tlialen  Philippi  Magnanimi,  t.  I,  p.  141. 

^  DÖLLiNCER,  He/ormation,  t.  I  (2«  éd.),  p.  4tJ9. 

*Donc,  presque  aucun  enfant  n'échappait  à  l'école. 


318  DÉCADENCE    DES    ÉCOLES 

giner  ia  perversilé  diabolique  de  ce  dessein,  et  pourtant  la  chose  se 
passe  si  tranquillement  que  le  mal  est  fait  avant  que  personne  ait 
pu  donner  un  conseil,  avertir,  empêcher.  On  redoute  les  Turcs,  la 
guerre.  Tinondalion;  on  sait  discerner  ce  qui  est  dangereux  de  ce 
qui  est  utile;  mais  quant  à  ce  que  le  diable  a  dans  l'esprit,  per- 
sonne ne  le  devine,  personne  ne  le  redoute.  Le  mal  qu'il  fait  s'opère 
à  la  sourdine.  Et  pourtant  il  serait  juste  que  donnant  un  llorin  pour 
combatire  les  Turcs  qui  sont  sur  nos  talons,  on  en  donnât  cent 
pour  élever  un  enfant,  destiné  à  devenir  plus  tard  un  vrai  et  fidèle 
chrétien.  » 

«  Ouand  j'étais  jeune  > ,  continue-t-il,  "  on  avait  coutume,  dans  nos 
écoles,  de  répéter  ce  dicton  :  .Négliger  l'éducation  d'un  jeune  garçon, 
c'est  un  aussi  grand  péché  que  de  violer  une  vierge;  dicton  que  l'on 
répandait  pour  effrayer  les  maîtres  d'école,  car  alors  on  ne  con- 
naissait pas  de  plus  grand  crime  que  celui  de  déshonorer  une  jeune 
fille.  Mais,  Seigneur  mon  Dieu!  quel  moindre  péché  n'est-ce  pas  de 
mettre  à  mal  une  femme  ou  une  vierge  que  de  délaisser  les  pauvres  | 
âmes  et  de  leur  porter  préjudice?  Ohl  malheur  au  monde,  mainte- 
nant et  éternellement!  Tous  les  jours  il  nait  des  enfants,  et  nous  les 
voyons  croître  sous  nos  yeux  ;  cependant  il  n'est  personne  qui 
veuille  prendre  soin  de  la  pauvre  jeunesse,  et  consente  à  la  diriger  : 
on  la  laisse  pousser  à  l'aventure.  Chers  seigneurs,  si  l'on  est  tenu 
de  débourser  tous  les  ans  de  grosses  sommes  pour  l'achat  d'arque- 
buses, pour  les  chemins,  les  ponts,  les  routes  et  autres  innom- 
brables nécessités  civiles,  afin  que  les  cités  jouissent  de  la  paix  et  du 
bien-être,  pourquoi  ne  donnerait-on  pas,  si  ce  n'est  plus,  du  moins 
autant  pour  la  pauvre  jeunesse  nécessiteuse?  Pourquoi  ne  pas  con- 
tribuer à  l'entretien  d'un  ou  de  deux  mail  res  d'école,  capables  de 
l'instruire?  »  Grâce  à  l'Évangile  qu'il  avait  annoncé,  les  bourgeois 
se  voyaient  affranchis  des  lourdes  taxes  qu'ils  payaient  sous  le 
papisme.  N'élait-il  donc  pas  juste  qu'ils  employassent  au  moins  la 
dixième  partie  de  cet  argent  au  relèvement  des  écoles?  "  Le  bour- 
geois devrait  entendre  raison  sur  ce  point.  Si  jusqu'à  ce  jour  il  a 
sacrifié  une  si  grosse  part  de  ses  écus  pour  les  indulgences,  les  messes, 
les  vigiles,  les  fondations,  les  testaments,  les  anniversaires,  les  moines 
mendiants,  les  confréries,  les  pèlerinages,  et  tout  ce  qui  pullu- 
lait jadis  en  ce  genre,  et  si  maintenant,  par  la  grâce  de  Dieu,  il 
est  affranchi  d'un  tel  brigandage  et  d'aumônes  si  ruineuses,  ne 
devrait-il  pas,  pour  remercier  Dieu  et  dans  la  vue  de  sa  gloire, 
donner  une  partie  de  ce  qui  lui  est  rendu  aux  écoles,  afin  que  les 
pauvres  enfants  puissent  être  élevés?  Maintenant  tout  est  si  bien 
réglé!  Autrefois,  il  lui  fallait  donner  dix  fois  autant,  et  bien  inu- 
tilement, aux  susdits  voleurs,  et  cela  non  une  fois,  mais  continuel- 


DEPERISSEMENT    DES    Œ  T  V  K  E  S    CHARITABLES.  319 

lement.  On  doil  à  la  lumière  de  l'Évangile  d'ôtre  délivré  de  tant  de 
charges;  mais  il  faut  pourtant  que  nous  trouvions  des  gens  pour 
nous  annoncer  la  parole  de  Dieu,  pour  nous  administrer  les  sacre- 
ments, pour  être  parmi  nous  les  serviteurs  des  âmes!  Or  où  irons- 
nous  les  clicr'-her,  si  on  laisse  dépérir  les  écoles,  et  si  Ton  n'en  établit 
pas  de  nouvelles  et  de  vraiment  chréliennes  '  ?  • 

En  1524,  il  écrit  aux  luthériens  de  Riga  et  de  Livonie  :  «  J'ai 
beaucoup  prêché  et  écrit  touchant  le  devoir  (pie  nous  avons  tous 
d'établir  dans  les  villes  de  bonnes  écoles,  afin  qu'on  y  puisse  instruire 
les  chrétiens  des  deux  sexes,  et  qu'un  jour  nous  ayons  de  bons  curés, 
des  prédicateurs  chrétiens,  et  que  la  parole  de  Dieu  puisse  abondam- 
ment se  répandre.  Mais  ou  s'acquitte  de  ce  devoir  avec  une  extrême 
paresse  et  négligence;  chacun  tremble  pour  l'entretien  de  sa  vie, 
pour  son  bien  temporel,  et  je  prévois  que  bientôt  nos  maîtres  d'école, 
curés  et  prédicateurs,  n'étant  pas  rétribués,  se  verront  obligés  de 
prendre  un  métier  et  d'abandonner  la  prédication  de  la  parole  de 
Dieu  pour  ne  pas  mourir  de  faim.  Autrefois,  dans  une  ville  de  quatre 
ou  cinq  cents  bourgeois,  on  donnait  aux  seuls  moines  mendiants 
(abstraction  faite  des  offrandes  aux  évêques,  aux  officiaux,  aux  sta- 
tionnaires,  aux  pauvres)  cinq  à  sept  cents  florins  par  au;  mais  main- 
tenant, dans  les  pays  allemands,  on  est  si  besoigneux,  si  misérable, 
qu'on  peut  à  peine  recueillir  de  cent  à  deux  cenis  florins  pour  les  écoles 
et  les  prédicateurs.  .Jadis  on  entretenait  richement,  surabondam- 
ment, des  centaines  de  prêtres  et  de  moines;  on  leur  faisait  même 
des  donations  de  terres  et  de  gens,  de  villes  ou  de  châteaux,  et  main- 
tenant les  prédicateurs  sont  traités  comme  le  riche  de  l'Kvangile 
traitait  le  Lazare;  on  déclare  qu'il  est  impossible  d'entretenir  trois 
prédicateurs  dans  une  ville;  partout  régnent  la  cupidité  et  le  souci 
de  la  mangeaille.  On  se  conduit  comme  des  païens  incrédules.  Aussi 
Dieu  nous  enverra- t-il  une  horrible  disette  et  enchérissement  de 
denrées,  et  cela  ne  sera  que  juste-.  » 

La  doctrine  de  l'Kglise  sur  les  bonnes  œuvres,  qui  autrefois 
avait  fait  une  obligation  au  chrétien  de  témoigner  de  sa  foi  par  sa 
libéralité,  le  pressant  d'acquérir  des  mérites  pour  l'éternité,  avait, 
durant  le  moyen  âge,  multiplié  d'innombrables  donations  chari- 
tables, des  legs  pour  les  établissements  de  pauvres,  les  hôpitaux, 
les  orphelinats.  Elle  avait  élevé  les  dômes  et  les  églises,  et  les  avait 

^  Sämmtl.  IFerle,  t.  XXII,  p.  171-175,  177,  193. 

'T.  XLI,  p.  131-132.  —  Voy.  t.  VIII,  p.  86,  année  1524.  •  On  ne  parvient  pas 
à  recueillir  cent  florins,  pour  enlreieuir  un  bon  maitre  d'école  ou  un  prédi- 
cateur, là  où  autrefois  on  en  donnait  mille,  et  des  sommes  incalculables,  pour  les 
églises,  les  abbayes.  les  messes,  les  vigiles,  etc.  • 


3>i)  DKPÉRISSEIVÎENT    DES    OE  U  V  R  li  S    CHARITABLKS. 

oi-nés  des  plus  splendides  œuvres  d'art;  elle  avait  créé  les  Univer- 
sités, les  écoles  secondaires,  les  dotant  de  fondations  de  tous 
genres.  La  nouvelle  doctrine  de  la  justification  par  la  foi  seule  et 
de  l'inefficacité  des  bonnes  œuvres  pour  le  salut  coupa  le  nerf  de 
cet  esprit  de  sacrifice  en  vue  des  biens  idéaux  de  la  vie;  en  même 
temps  elle  eut  les  résultats  les  plus  funestes  pour  les  établissements 
et  fondations  charitables  légués  par  nos  aïeux. 

Le  garant  le  plus  irrécusable  de  ces  faits,  c'est  encore  Luther. 

Dans  ses  écrits,  il  ne  cesse  de  vanter  la  libéralité,  la  bienfaisance 
du  passé  :  "  En  ce  temps-là,  les  aumônes  pleuvaieut  »,  nous  dit-il; 
«  les  fondations,  les  legs  abondaient;  mais  parmi  les  évangélistes, 
personne  ne  veut  plus  donner  un  liard'.  «  "  Sous  le  papisme,  tout 
le  monde  était  bienfaisant  et  donnait  volontiers;  mais  maintenant, 
sous  le  règne  de  l'Évangile,  on  est  devenu  avare;  chacun  ne  songe 
qu'à  écorcher  son  prochain  et  à  tout  garder  pour  lui  tout  seul.  Et 
plus  on  prêche  l'Évangile,  plus  les  hommes  se  noient  dans  l'avarice, 
l'orgueil,  l'amour  du  faste,  absolument  comme  si  ce  pauvre  sac  de 
mendiant,  qui  est  notre  corps,  devait  éternellement  demeurer  sur  la 
terre.  «  "  Tout  le  monde  pressure  et  racle;  cependant  personne  ne 
veut  passer  pour  avare,  et  tous  se  donnent  pour  bons  évangélistes 
et  vrais  chrétiens  Or  cette  parcimonie,  qui  gratte  sur  tout,  est  sur- 
tout funeste  au  frère  Shidium  et  aux  pauvres  curés  des  villes  et  des 
villages.  Ceux-là  doivent  tout  endurer,  et  se  laisser  tondre  et  égor- 
ger. Quant  aux  paysans,  aux  bourgeois,  aux  nobles,  ce  qu'ils  amassent 
par  leur  lésinerie,  ils  le  dissipent  en  bombances,  en  débauches,  en 
faste,  en  osicnlation  vaine,  en  bonne  chère,  en  habillements  luxueux 
et  superflus;  ils  dévorent  tout  leur  bien,  soit  en  le  faisant  passer  par 
leur  gosier,  soit  en  se  l'attachant  au  cou.  Aussi  ai-je  dit  bien  souvent 
qu'une  telle  conduite  ne  pourrait  être  tolérée  longtemps,  il  feudra 
en  finir.  Ou  le  Turc  ou  le  frère  Gui  arrivera  et  s'emparera  tout  à 
coup  de  ce  qu'on  aura  écorché,  volé,  dérobé,  entassé  depuis  des 
années;  ou  bien  le  jour  du  jugement  viendra  soudain,  se  ruera  sur 
le  monde  et  meltra  fin  au  jeu  ^  "  11  dit  ailleurs  :  «  Du  temps  du 
papisme,  tout  le  monde  était  miséricordieux  et  bienfaisaul  ;  on  don- 
nait des  deux  mains,  joyeusement  et  avec  une  grande  dévotion.  Mais 
mainlenant,  lorsqu'on  devrait  se  montrer  si  reconnaissant  pour 
le  don  du  saint  Évangile,  personne  ne  veut  plus  donner  la  moindre 
chose.  Auparavant,  chaque  ville,  selon  son  importance,  entretenait 
richement  quelques  couvents,  sans  parler  des  prêtres  à  messes  et  des 
fondations.  Aujourd'hui,  on  se  débat,  on  se  révolte  dès  que  l'on 


'  Sämmll   U'erle,  t.  XLIII,  p.  164. 
2  T.  V,  p.  2G4-2G5. 


DÉPÉRISSEMENT    D  R  S    OEUVRES    CHARITABLES.  321 

parle  de  la  nécessité  d'enlrelenir  deux  ou  trois  prédicateurs,  d'avoir 
des  pasteurs,  des  instituteurs  pour  la  Jeunesse.  Et  cependant  il  ne 
s'agit  plus  de  prendre  sur  le  sien,  mais  seulement  d'employer  les 
fonds  qui  nous  ont  été  légués  par  le  papisme  ',  !^ 

D'année  en  année  ses  plaintes  s'accentuent  :  <•■  Ceux  qui  devraient 
se   montrer  vraiment  chrétiens,  ayant  eu  le  bonheur  de  recevoir 
l'Évangile,  sont  bien  plus  mauvais,  bien  moins  miséricordieux  que 
les  chrétiens  d'autrefois,  comme  nous  n'en  avons  que  trop  de  preuves 
sous  les  yeux.  Auparavant,  du  temps  des  doctrines  perverses  et  du 
faux  culte,  comme  on  enseignait  la  nécessité  des  bonnes  œuvres 
pour  le  salut,   tout   le  monde  était  prêt,   bien  disposé.  Mais  nos 
gens  semblent  n'avoir  appris  qu'à  rogner,  à  pressurer,  à  voler  sans 
scrupule,  par  le  mensonge,  la  tromperie,  l'usure,  renchérissement. 
Chacun  fait  tort  à  son  prochain,  comme  si,  loin  de  le  tenir  pour  son 
ami,  pour  son  frère  en  .lésus-Christ,  il  le  regardait  comme  son  ennemi 
mortel;  on  veut  tout  accaparer  pour  soi  tout  seul,  sans  jamais  souf- 
frir qu'un  autre  fasse  quelque  bénéfice.  Voilà  ce  dont  nous  sommes 
tous  les  jours  témoins,  voilà  ce  qui  domine  parmi  nous.  Tels  sont 
les  mœurs  et  les  usages  les  plus  habituels  dans  toutes  les  conditions, 
parmi  les  princes  et  la  noblesse  comme  parmi  les  bourgeois  et  les 
paysans,   dans  les  palais,   dans  les  villes,    les  villages   et  presque 
dans  chaque  maison.  Nommez-moi  une  ville  assez  importante  ou 
assez    chrétienne   pour   se  dire  en   état    d'entretenir    un    maître 
d'école  ou  un    curé  !    En  vérité,    sans  les   pieuses  fondations  de 
nos  pères,  l'Évangile,  par  la  faute  des  bourgeois,  de  la  noblesse  et 
des  paysans,  serait  depuis  longtemps  mis  en  oubli,  et  pas  un  pauvre 
prédicateur  n'aurait  à  boire  ni  à  manger;  car  nous  ne  voulons  pas 
donner,  à  l'exemple   de   nos   ancêtres,  nous  voulons  prendre,   et 
même  nous  emparer  par  la  violence  de  tout  ce  qu'ils  avaient  légué 
et  fondé  pour  ceci  et  pour  cela.  Voilà  de  quelle  manière  on  témoigne 
sa  reconnaissance  au  cher  Évangile  du  Christ!  Les  gens  sont  à  pré- 
sent si  abominablement  méchants  qu'ils  sont  devenus  sans  entrailles; 
ils  ne  sont  plus  humainement  mauvais,  mais  diaboliquement  pervers, 
et  loin  de  rendre  grâces  à  Dieu  de  la  lumière  reçue,  ils  se  gorgent 
des  biens  qu'ils  ont  pillés  et  volés  à  l'Église,  faisant  d'autre  part 
tout  ce  qu'ils  peuvent  pour  affamer  l'Évangile.  Que  l'on  compte, 
que  l'on  calcule  sur  ses  doigts  ce  qu'ici  et  en  d'autres  lieux  ceux  qui 
bénéficient  du  saint  Évangile  donnent  et  font  pour  sa  cause!  Si 
nous  n'étions  encore  en  vie,  depuis  longtemps  il  n'y  aurait  plus  ni 
prédicateurs  ni  disciples,  et  nos  descendants  ne  pourraient  même 
pas  deviner  ce  que  nous  avons  enseigné  ou  cru.  L'exemple  de  nos 

'  Sämmtl.  Werke,  t.  XIII,  p.  123. 

II.  21 


322  DÉPÉRISSEMENT    DES    OEUVRES    CHARITABLES. 

parents  et  ancêtres,  seigneurs  et  rois,  princes  et  bourgeois,  devrait 
pourtant  nous  faire  rougir.  Ils  ont  si  abondamment  et  charitable- 
ment donné,  et  cela  même  avec  excès,  aux  églises,  aux  cures,  écoles, 
abbayes,  fondations,  hôpitaux,  etc.!  Cependant  ni  eux  ni  leurs  des- 
cendants n'en  sont  devenus  plus  pauvres  '.  « 

Parce  que  sous  le  papisme,  dit-il  ailleurs,  on  s'était  montré  si 
bienfaisant,  si  compatissant,  Dieu,  en  récompense,  avait  accordé 
du  bon  temps  >■.  -  La  promesse  de  Jésus-Christ  s'était  accomplie, 
en  ce  temps-là,  car  il  a  dit  :  Donnez,  et  11  vous  sera  donné,  et  l'on 
vous  versera  une  mesure  pleine,  pressée,  débordante  !  Cette  parole 
s'était  vérifiée  pour  les  dévotes  gens  qui,  avant  nous,  avaient  fait 
de  pieuses  aumônes,  entretenu  les  prédicateurs,  les  écoles,  soutenu 
les  pauvres  et  richement  fondé  et  donné.  Dieu  leur  avait  accordé 
la  paix  et  le  repos,  et  c'est  de  là  qu'est  venu  le  proverbe  populaire  : 
Aller  à  l'église  ne  retarde  point;  faire  l'aumône  n'appauvrit  pas; 
le  bien  mal  acquis  ne  profite  jamais.  De  là  aussi  les  malheurs  aux- 
quels nous  assistons.  A  cause  de  notre  avarice  insatiable,  à  cause 
des  larcins  qui  se  commettent,  et  parce  que  personne  ne  veut  plus 
rien  sacrifier  pour  Dieu  ni  pour  le  prochain,  accaparant  pour  lui 
tout  seul  ce  que  ses  ancêtres  ont  légué,  parce  que  nos  chrétiens 
prétendus  s'engraissent  de  la  sueur  et  du  sang  du  pauvre.  Dieu,  pour 
salaire,  nous  envoie  renchérissement  des  denrées,  la  discorde  et 
toutes  sortes  de  maux,  jusqu'à  ce  qu'enfin  nous  nous  entre-dévo- 
rions  ou  que  tous  ensemble,  riches  et  pauvres,  grands  et  petits, 
soyons  dévorés  par  un  autre-.  " 

•  T.  XIV.  p.  389-390. 

«  Sümmtl.  Werke,  t.  XIII,  p.  224-225. 


CHAPITRE   VU 

AFFAIRES    EXTÉRIEURES.    —    GUERRES    d'iTALIE. 


«  Les  affaires  d'Allemagne  sont  clans  un  piteux  état  r,,  écrivait 
Charles  de  Bodmann  le  23  aoiU  1523;  •■■  cependant  nous  pourrions 
encore  espérer  la  concorde  et  la  paix,  si,  comme  le  Saint-Père  le 
désire  ardemment,  les  puissances  chrétiennes  parvenaient  enfin  à 
s'entendre,  et  s'armaient  toutes  ensemble  pour  résister  énergique- 
ment  au  Turc,  et  détourner  de  la  chrétienté  le  péril  imminent  qui 
la  menace.  Alors  se  réveillerait  et  se  fortifierait  le  sentiment  de 
solidarité  chrétienne  qui  doit  unir  tous  les  peuples,  et  les  mécon- 
tents, les  esprits  remuants  et  inquiets  auraient  devant  eux  un  vaste 
champ  d'activité  dans  les  pays  délivrés  de  la  tyrannie  des  infidèles. 
Mais  taudis  que  les  puissances  européennes  se  combattent  l'une 
l'autre  et  répandent  le  sang  chrétien,  les  troubles  intérieurs  croissent 
d'année  en  année,  et  nulle  main  n'est  assez  ferme  pour  contenir  les 
masses,  toujours  prêtes  à  se  révolter;  l'angoisse  et  la  misère  du 
peuple  vont  croissant;  le  Turc  s'avance  toujours  plus  avant,  et  les 
-  Turcs  chrétiens  »  l'y  encouragent,  en  particulier  ceux  de  France, 
dont  l'ambitieux  souverain  attise  de  tous  côtés  la  révolte,  allume 
l'incendie  de  la  guerre,  et  réduit  à  néant  tous  les  grands  desseins 
de  l'Empereur.  Le  roi  de  France  est  le  véritable  perturbateur  de  la 
paix  de  l'Europe,  et  le  foyer  de  dissension  qu'il  entretient  ne 
pourra  s'éteindre  que  lorsque  la  France  aura  été  refoulée  dans  les 
bornes  de  ses  fronlières  primitives  '.  " 

François  I",  en  effet,  n'était  occupé  qu'à  fomenter  les  dissensions 
et  les  discordes,  «  Il  n'était  nullement  disposé  >\  ce  sont  ses  propres 
expressions,  «  à  céder  sur  un  point  quelconque  à  celui  qui  avait  été 
son  rival  heureux  lors  de  l'élection  impériale;  encore  moins  à  se 


'*  Voy.  plus  liaut,  p.  162,  note  5.  Le  cardinal  de  Santa  Croce,  Bernardin  de 
Carvajiil,  était  aussi  d  avis  (1522)  que  la  paix  européenne  et  la  guerre  géné- 
rale contre  les  infidèles  ne  deviendraient  possibles  que  lorsque  la  France  aurait 
restitué  à  Charles-Quint  et  à  Henri  VIII  tout  ce  qu'elle  avait  enlevé  à  l'un  et  à 
l'autre.  Voy.  Höfler,  Carl  V  und  Adrian  VI,  p.  19. 

21. 


324  FRANÇOIS    F'^   CONTRE    CHARLES-QUINT. 

soumettre  à  lui  '.  "  Il  se  refusait  même  à  lui  donner  le  titre  d'empereur*. 
Profondément  blessé  dans  son  orgueil  par  Tecliec  qu'il  avait  subi,  il 
bridait  de  prouver  au  monde  qu'en  dépit  de  cet  insuccès,  "  il  était  le 
plus  puissant  monarque  de  toute  l'Europe  >•,  et  que  ses  sujets  «  étaient 
capables  et  dignes  des  plus  glorieuses  conquêtes  '  .  Mais,  dans  un  si 
grand  dessein,  il  ne  se  souciait  en  aucune  façon  de  la  conscience  ni 
du  droit;  au  besoin,  il  eût  voulu  devenir  le  »  marteau  du  monde  ». 

Dès  1520,  François  ouvre  les  hostilités.  Il  attaque  Charles-Ouint 
dans  ses  droits  de  souverain  d'Espagne,  et  soutient  par  des  secours 
de  troupes  et  d'argent  les  prétendants  au  trône  de  ?savarre.  En 
mai  1521,  il  s'efforce  de  faire  triompher  la  cause  des  rebelles,  et 
favorise  l'invasion  de  la  Castille.  A  l'ambassadeur  d'Angleterre  qui 
lui  adresse  des  représentalions  à  ce  sujet,  il  répond  «  qu'il  n'entend 
pas  se  laisser  arrêter  dans  son  élan  victorieux  ».  Il  a  continuelle- 
ment la  main  dans  les  révoltes  des  comniuneros  \  L'Empereur,  au 
grand  préjudice  des  intérêts  de  l'Empire,  se  voit  forcé  de  quitter 
prématurément  l'Allemagne  pour  accourir  au  secours  de  ses  États, 
dont  les  Français  menacent  de  s'emparer.  Par  les  ordres  du  roi  de 
France  et  grâce  aux  subsides  français,  Robert  de  la  Mark,  duc  de 
Bouillon,  enrôle  à  Paris  des  hommes  d'armes  avec  lesquels  il  se 
propose  d'attaquer  les  Pays-Bas,  possessions  de  Charles-Ouint.  Dans 
une  lettre  autographe,  lettre  tombée  plus  tard  entre  les  mains  des 
Impériaux,  François  renseigne  le  comte  de  Carpi  sur  l'entreprise  qu'il 
vient  de  confier  au  duc  Robert,  et  lui  fait  part  de  son  dessein 
d'exciter  des  troubles  en  Italie  et  de  conquérir  les  royaumes  de 
Naples  et  de  Sicile.  Tandis  qu'il  s'oppose  à  ce  que  l'Empereur, 
comme  le  voulaient  et  ses  droits  et  le  souci  de  son  honneur,  allât 
recevoir  à  Rome  la  couronne  impériale,  il  se  prépare  à  envahir 
l'Italie  à  la  tête  de  cinquante  mille  hommes  ^ 

it  Les  nombreux  États  de  Charles  d'Espagne  semblent  constituer 
une  puissance  formidable  «,  écrivait-il  en  mai  1520;  «  mais  nulle 
part  ses  droits  de  souverain  ne  sont  bien  affermis,  et  ses  coffres 
sont  vides;  moi,  au  contraire,  je  règne  sur  un  peuple  soumis*';  j'ai 

'  *  Ce  sont  les  propres  paroles  du  Roi.  Rapport  de  Clément  Endres,  27  juillet 
1520.  Voy.   Trierische  Sachen  und  Briefschaften,  fol.  64. 

^  Voy.  la  déclaration  de  Charles-Quiut  aux  électeurs,  21  mai  1521,  Lanz, 
Actenslücke  und  Briefe,  t.  I,  p.  191. 

5  Rapport  de  Clément  Endres.  Yoy.  la  note  1. 

*  «  AU  thèse  iroujjleswere  stirred  up  by  the  kingof  Frence.  -  Brewer, S'',  p.  560. 

5  Voy.  L.iNz,  Actenftûckc  und  Briefe,  introduction,  p.  250. 

«  ..  Hanno  del  tutto  ",  écrivait  l'ambassadeur  vénitien  xMarino  Cavalli  à  propos 
des  Français,  "  rimessa  la  liberlà  è  volontà  loro  al  re  ;  tal  che  basta  che  lui  dira, 
voler  tanto,  approbar  tanto,  che  il  tutto  è  eseguito  e  fatto  prœciso,  come  se  essi 
stessi  lo  deliberassero...  prima  li  suoi  re  si  chiamavano  reges  Francoruni,  oro 
si  possono  dimandar  reges  senorum.  r   Alberi,  t.  I,  p.  232. 


ALLIANCE    ENTRE    L'E  M  l«  E  RE  U  R    ET    LE    PAPE.    1521.  325 

de  l'argcat  en  abondance,  et  je  puis  faire  servir  les  biens  de 
rÉglise  à  mes  desseins.  Aussi  je  ne  crains  pas  le  roi  d'Kspagne; 
je  trouverai  jusqu'en  Allemagne  des  alliés  pour  le  combattre.  «  Il 
se  vanlait  d'avoir  sur  tous  les  points  l'avantage  sur  son  rival'. 
L'hérilajje  légilime  de  l'Empereur,  la  iiourgogne,  était  entre  ses 
mains,  ainsi  que  le  fiel'  impérial  du  Milanais,  et  presque  toute  la 
Lombardie,  avec  Gènes;  il  était  devenu  l'allié  des  Vénitiens.  Par 
un  traité  conclu  le  ">  mai  1521  avec  les  Suisses,  il  avait  réussi  à 
mettre  dans  ses  intérèls  ces  utiles  auxiliaires"^.  Eu  Allemagne,  à  la 
vérité,  il  n'avait  pas  encore  de  partisans  déclarés;  cependant,  dès 
1522,  les  bons  patriotes  allemands'  se  plaignaient  que  non-seu- 
lement les  Suisses,  mais  une  foule  de  sujets  de  l'Empire,  nobles 
aussi  bien  que  roturiers,  se  mettaient  au  service  de  la  France,  et 
devenaient  les  ennemis  de  leur  pays  dès  qu'ils  étaient  gagnés  par 
l'espoir  d'une  bonne  solde.  Contre  cette  trahison  envers  la  patrie, 
tous  les  ordres  publiés  par  l'Empereur  et  le  Conseil  de  régence  res- 
taient sans  effet  '. 

Pour  mettre  un  frein  ä  l'ardente  ambition  de  François  I",  et  de 
peur  qu'il  ne  vint  à  se  rendre  maître  de  toute  l'Italie,  l'Empereur,  le 
8  mai  1521,  conclut  un  traité  d'alliance  avec  LéonX;  les  deux  sou- 
verains s'engageaient  à  unir  leurs  efforts  pour  chasser  les  Français 
de  la  Péninsule;  le  Milanais  et  Gènes  devaient  être  rapportés  à 
l'Empire,  mais  conserver  leurs  ducs,  tout  en  reconnaissant  la  souve- 


'  Rapport  de  Clément  Endres.  Voy.  plus  haut,  p.  324,  note  1. 

*  L'Empereur  avait  une  haute  idée  de  la  valeur  militaire  des  Suisses.  On  lit 
dans  une  instruction  donnée  par  lui  à  ses  ambassadeurs  auprès  de  Henri  VUI  : 
«  C'est  l'universel  repos  de  toute  la  chrétienté  de  les  tenir  lyés  à  la  bonne  et 
sainte  intencion...  de  nous...  »  «  C'est  le  secret  de  tous  les  secrets  de  les  gai- 
gner,  quoy  qu'ilz  coustent  ...  •  «  c'est  le  principal  de  toutes  nos  affaires.  »  Lanz, 
Actenstiiche  und  Briefe,  t.  \,  p.  106-107. 

^  Voy.  Lucubrationes,  79. 

*  *  Dans  les  archives  de  Francfort,  Kaiserschreiben,  8,  n"  22,  se  trouve  une  lettre 
du  lieutenant  d'empire  Ferdinand  et  du  Conseil  de  réjjence  (11  octobre  1522) 
adressée  au  conseil  de  la  ville  :  «  Nous  avons  été  informés  ■,  y  est-il  dit,  «  que 
Georges  Langenmantel,  d'Augsbourg,  enrôle  à  Francfort  des  hommes  d'armes 
pour  le  roi  de  France.  Le  conseil  doit  se  saisir  de  sa  personne  et  savoir  de  lui 
qui  lui  a  fourni  les  moyens  de  payer  la  solde  de  ses  hommes.  •  Dans  unrescrit  impé- 
rial daté  du  7  mars  1523  [Reichsacten,t.  37,  fol.  31),  on  lit  :  •  Des  ordonnances 
précédentes,  répandues  dans  tout  le  royaume,  ont  interdit  aux  nobles  et  aux 
soldats,  sous  peine  de  perdre  la  vie  et  les  biens,  de  suivre  et  de  servir,  soit  comme 
homme  de  pied,  soit  comme  cavalier,  le  roi  de  France,  qui  porte  injustement  la 
guerre  dans  les  États  de  l'Empereur.  Mais  l'Empereur  sous  ce  rapport  n'a  jus- 
qu'à présent  rencontré  aucune  obéissance,  zèle  ou  bon  vouloir  parmi  les  Ordres 
ou  autorités  qui  auraient  dû  exercer  la  surveillance.  Au  contraire,  il  remarque 
avec  tristesse  qu'à  son  grand  détriment  beaucoup  quittent  l'Empire  ou  les 
principautés  héréditaires  pour  se  joindre  aux  armées  ennemies.  Il  renouvelle 
donc  encore  une  fois  ses  ordres,  et  cela  de  la  façon  la  plus  pressante.  » 


326  GUERRES    D'ITALIE.    PROGRÈS    DES    TURCS. 

raineté  de  rEmpereur.  Parme  et  Plaisance,  dont  François  I"  venait 
de  s'emparer,  devaient  revenir  aux  États  de  l'Église.  L'Empereur 
s'engageait  à  soutenir  les  prétentions  du  Pape  sur  Ferrare;  Léon  X, 
à  son  tour,  promettait  de  défendre  les  droits  de  Charles-Ouint  sur 
Venise,  et  lui  assurait  son  appui  pour  la  défense  de  Naples.  Henri  YIII, 
après  s'être  convaincu  que  la  paix  avait  été  bien  réellement  violée  par 
François  I",  entra,  lui  aussi,  dans  une  étroite  alliance  avec  l'Empe- 
reur. Les  Français  ayant  attaqué  Reggio,  ville  des  États  de  l'Église 
{24  juin  1521),  cette  agression  devint  le  signal  de  la  guerre. 

«  Bientôt  je  ferai  mon  entrée  à  Rome,  et  j'y  dicterai  mes  lois  au 
Pape'  «;  tel  était,  en  août  1521,  le  confiant  espoir  de  François. 
Mais  il  se  faisait  de  grandes  illusions.  En  novembre,  les  Français 
se  voyaient  contraints  d'abandonner  Milan;  en  avril  1522,  ils  per- 
daient la  bataille  de  la  Bicoque,  et  presque  tout  le  Milanais  se 
soumettait  aux  Impériaux.  Gênes  était  également  soustraite  à  leur 
domination.  Les  deux  duchés  conservèrent  leurs  souverains  naturels 
et  leurs  anciennes  constitutions.  "  Grâce  à  la  vaillance  de  nos  lans- 
quenets et  à  Georges  de  Frundsberg  leur  général  ' ,  répétait-on  en 
se  félicitant  en  Allemagne,  -  nous  avons  enfin  reconquis  les  pays  qui, 
durant  des  siècles,  avaient  appartenu  à  l'Empire,  et  l'aigle  impériale 
y  plane  de  nouveau ,  comme  dans  notre  glorieux  passé  \ 

Mais  la  joie  de  ces  heureux  événements  et  le  contentement  que  lui 
causait  la  pacification  de  l'Espagne,  furent  plus  que  tempérés  pour 
l'Empereur,  au  rapport  de  l'archiduc  Ferdinand,  par  la  douleur  que 
lui  faisait  éprouver  le  péril  toujours  plus  grave  de  l'invasion  turque  ^ 

Le  sultan  Soliman,  après  avoir  conquis  Belgrade,  ■-  l'un  des  yeux 
de  la  chrétienté  '  (août  1521),  était  sur  le  point  de  s'emparer  de 
Rhodes,  le  second  rempart  des  chrétiens  eu  Europe.  "  Si  les  Turcs 
réussissent  dans  leur  entreprise  »,  écrivait  l'Empereur  à  Poupet  de 
la  Chaux  (25  août  1522),  "  la  Hongrie  étant  déjà  affaiblie  et  presque 
anéantie,  la  porte  leur  est  ouverte,  la  clef  leur  est  donnée;  ils  peuvent 
aussi  bien  entrer  à  Naples  et  en  Sicile  que  dans  les  États  de  l'Église, 
et  lorsqu'ils  auront  conquis  ces  pays,  il  leur  sera  bien  facile  de 
s'emparer  du  reste  de  l'Italie  et  de  ruiner  la  chrétienté  tout  entière. 
Vous  savez  que  nous  avons  été  ent rainés  dans  la  grande  et  coûteuse 
lutte  actuelle  sans  qu'il  y  ait  eu  aucunement  de  notre  faute;  notre 
trésor  en  a  fortement  souffert,  et  nous  aurions,  pour  ces  motifs,  de 

'  '  Rapport  de  Clément  Endres,  17  août  1521.  Trierische  Sachen  und  Briefschaften, 
fol.  67. 

-  '  Lettre  de  Charles  de  Bodmann,  sans  date.  Voy.  plus  haut,  page  162, 
note  5. 

^  Charles  de  Bodmann,  dans  la  lettre  citée  ci-dessus. 


PROf;iu;s  DES  turcs.  327 

bien  justes  raisons  de  nous  souslrairc  au  devoir  d'aider  au  refoule- 
ment des  Turcs;  d'aulant  plus  que  prccédernincnt  nous  nous  sommes 
déclarés  prêts  à  employer  à  cet  eilet  les  secours  qui  nous  avaient  été 
accordés  â  la  Diète  de  Worms  pour  l'expédition  romaine.  Mais  afin 
de  prouvera  tous  que  nous  n'avons  jamais  lormé  de  vœu  plus  sincère 
et  plus  ardent  que  celui  de  mettre  notre  puissance  au  service  de  la 
chrétienté,  nous  avons  résolu,  en  notre  qualité  de  premier  prince 
chrétien,  de  protecteur  et  défenseur  de  notre  sainte  foi  et  de  l'Éfjlise, 
de  procurer  la  délivrance  de  Rhodes  par  tous  nos  efforts,  par 
l'emploi  de  toutes  les  ressources  dont  nous  pouvons  disposer.  » 
Charles-Quint  écrit  dans  le  même  sens  au  roi  d'Anf,leterre,  aux  ducs 
de  Savoie  et  de  Lorraine,  à  ses  alliés  d'Italie  ot  au  Pape.  -  PliU  à 
Dieu  »,  disait-il,  faisant  allusion  à  François  I",  "  que  les  Turcs  ne 
fussent  pas  excités  et  encouragés  par  les  vrais  auteurs  de  tout  le  mal, 
par  ceux  qui  conduisent  la  chrétienté  à  sa  perte  '  !  " 

François!",  en  effet,  exploilait  au  profit  de  son  ambition  l'extrême 
péril  de  l'Europe.  Lorsque  le  Pape,  en  septembre  1522,  fait  équiper 
deux  caraques  à  Gênes  pour  aller  au  secours  de  Rhodes,  les  Français 
s'en  emparent.  Des  gentilshommes  espagnols  s'étant  rendus  à  Gênes 
dans  le  dessein  de  s'embarquer  pour  Rhodes,  les  ■  Turcs  français  « 
capturent  le  vaisseau  qui  devait  les  y  conduire.  Les  Vénitiens,  eux 
aussi,  se  montraient  de  «  parfaits  musulmans  ".  Ayant  cinquante 
galères  à  leur  disposition,  il  leur  eut  été  bien  facile  d'attaquer  la 
flotte  turque  pendant  que  celle-ci  se  trouvait  dans  le  port  de  Rhodes; 
séparant  ensuite  l'armée  ennemie  de  la  terre  ferme,  ils  eussent  aisé- 
ment pu  mettre  fin  d'un  seul  coup  à  l'invasion  turque;  mais  bien 
loin  d'agir  ainsi,  ils  laissèrent  la  flotte  ottomane  prendre  position 
devant  Candie,  et  se  bornèrent  à  engager  les  Turcs  à  rester  dans 
l'inaction.  Ils  exilèrent  même  deux  Vénitiens  qui  avalent  osé  demander 
en  plein  Conseil  que  Rhodes  fût  secourue  *. 


'  Lanz,  Correspondeiiz.  t.  I,  p.  66-67.  Sur  l'ardent  désir  qu'avait  Cliarles-Ouint 
d'entreprendre  la  guerre  contre  les  Turcs,  voy.  aussi  le  rapport  de  l'ambassadeur 
vénitien  Contarini.  ALBr:r,i,  t.  II,  p.  61-66.  —  Contarini  s'exprime  très-favorable- 
ment sur  le  compte  de  l'Empereur.  «  È  uomo  religiosissimo,  moito  fviusto,  privo 
d'ogni  vizio,  niente  dedito  alla  voluttà,  aile  quali  sogliono  esser  dediti  li  gio- 
vanni,  ne  si  diletta  di  spasso  alcuno,  etc.  " 

*  Voyez  ces  documents  dans  Höfler,  Carl  U  und  Adrian  VI,  p.  35-36.  A  propos 
de  l'étroite  alliance  contractée  plus  tard  avec  les  Turcs  par  François  I*"",  le  moine 
bénédictin  Nicolas  Ellenbog,  d'Ottenbeuren,  écrivait  :  Je  ne  puis  assez  m'éton- 
ner  de  la  déloyauté  et  de  l'impiété  du  roi  de  France.  Il  porte  le  nom  de  Roi 
Très-Chrétien,  mais  en  vérité  c'est  plutôt  roi  très-impie  qu'il  devrait  s'appeler, 
car  il  a  conclu  une  alliance  avec  les  Turcs,  ennemis  jurés  de  la  chrétienté. 
J'espère  que  Dieu  finira  par  châtier  la  déloyauté  des  rois  de  France,  déloyauté 
dont  ils  ont  donné  jadis  tant  de  preuves  dans  leurs  rapports  avec  l'empereur 
Maximilien.  Car  enfin,  une  alliance  avec  les  infidèles  ne  devrait-elle  pas  être  bien 
éloignée  de  la  pensée  d'un  prince  chrétien,  puisqu'elle  conduit  nécessairement 


328  ADRIEN  VI,  MÉDIATEUR  ENTRE  FRANÇOIS  \"  ET  CHARLES-QUINT.  1522. 

Adrien  VI  fut  le  seul  à  agir.  11  envoya  aux  assiégés  tout  l'argent 
qu'il  put  recueillir.  Le  secours  de  l'Empereur  arriva  trop  tard; 
en  dépit  de  riiéroique  résistance  des  chevaliers  de  Saint-.lean, 
Rhodes  tomba  au  pouvoir  des  infidèles.  Soliman  conquit  ensuite  les 
lies  attenantes,  ouvrit  aux  flottes  musulmanes  le  passage,  jusque-là 
fermé,  qui  relie  Constantinople  a  Alexandrie,  et  se  vit  ainsi  en 
possession  de  tous  les  avant-postes  de  l'Asie  Mineure.  Les  Vénitiens, 
après  avoir  abandonné  Rhodes,  durent  songer  à  la  défense  des 
iles  de  Chypre  et  de  Candie. 

Bien  avant  le  désastre  de  Rhodes,  Adrien  VI  avait  tout  tenté  pour 
amener  une  réconciliation  entre  Charles- Ouint  et  François  ^^ 
Il  avait  écrit  à  l'Empereur  (septembre  1522)  que  la  première  chose 
à  faire  dans  l'intérêt  de  la  chrétienté,  c'était  de  conclure  la  paix 
avec  le  roi  de  France.  Charles-Quint  lui  avait  répondu  que,  pour  sa 
part,  il  était  tout  disposé,  soit  à  la  paix,  soit  à  un  armistice,  pourvu 
que  François  lui  proposât  des  conditions  acceptables,  ajoutant  que 
la  plus  sûre  manière  d'obtenir  ces  conditions  serait,  pour  le  Pape, 
de  consentir  d'abord  à  s'allier  avec  lui  et  le  roi  d'Angleterre 
contre  la  France.  iMais  Adrien  répugnait  à  la  guerre  à  moins  d'y 
voir  une  nécessité  urgente,  et  il  continua  ses  infatigables  efforts 
pour  amener  la  réconciliation  entre  les  deux  souverains.  Il  suppliait 
Henri  VIH  et  son  ministre  le  cardinal  Wolsey  de  s'y  employer 
activement,  car  la  reddition  de  Rhodes  constituait  pour  la  chré- 
tienté un  péril  des  plus  menaçants.  Au  moins  pourrait-on  com- 
mencer par  conclure  un  armistice  de  quelques  années;  le  mieux 
serait  de  le  signer  à  Rome,  et  de  permettre  au  Pape  d'en  être  l'in- 
termédiaire. Si  l'Empereur  et  le  roi  d'Angleterre  consentaient  à 
l'armistice  et  s'engageaient  aie  respecter  trois  ans,  les  places  fortes 
appartenant  à  l'un  ou  â  l'autre  souverain  resteraient  pendant  cet 
intervalle  sous  la  tutelle  du  Pape.  Mais  François  P""  répondit  aux 
ouvertures  d'Adrien  qu'il  ne  pouvait  songer  à  écouter  ses  [conseils 
tant  que  Milan,  qui  était  son  légitime  héritage,  ne  lui  aurait  pas 
été  restituée.  Un  armistice  ne  conduirait  à  rien.  Quanta  la  campagne 
contre  les  Turcs,  il  lui  était  absolument  impossible  de  rien  promettre. 

Bien  éloigné  de  songer  sérieusement  à  la  paix,  François  cherchait 
à  attiser  en  tous  lieux  le  feu  de  la  discorde.  Grâce  à  sa  complicité,  les 
Ecossais,  alors  en  guerre  avec  les  Anglais,  pénétrèrent  en  Angleterre. 


à  la  ruiue  et  à  l'oppression  du  nom  chrétien  ?  •  «  Quid  detestabilius  rege  men- 
dace  »,  continue-t-il,  •  qui  promissa  literis  et  sigillis  confirmata  non  pili  facit? 
Toile  fidem,  quid  in  omni  republica  remanebit  integrum?  Nihil  pestilentius 
soeietati  humanae,  quam  promissa  non  servare,  pactis  non  stare.  •  Geiger,  Nieo- 
laus  Ellenbog,  p.  19-20. 


ALLIANCK    CONTUK    I,  A    F  K  A  IV  C  E  .    (528.  329 

Le  speaker  du  Parlemen!  iiese  fil  point  laute  d'exprimer  à  ce  sujet  sou 
opiuioii  sur  la  P'rance  :  -  L'ambition  des  Français  est  insatiable  «, 
dit-il;  «  n'eussions-nous  avec  eux  aucun  dilïérend,  nous  devrions 
encore  détester  la  déloyauté  dont  ils  usent  vis-à-vis  des  autres 
ualious.  Dès  (ju'on  ne  les  lient  pas  sous  la  ver{',e,  ils  deviennent  la 
vcrjye  des  autres  peuples'.  »  A  Rome,  François  entretenait  des 
relations  secrètes  avec  le  cardinal  Soderini,  auquel  le  trop  cré- 
dule vVdrien  avait  accordé  toute  sa  confiance.  Soderini  informa  le 
roi  de  France  (ju'une  nouvelle  révolte  était  sur  le  point  d'éclater 
en  Sicile  contre  l'Empereur,  l'invitant  en  même  temps  à  soutenir 
par  sa  flotte  l'entreprise  des  rebelles,  celte  émeute  pouvant  devenir 
le  signal  du  soulèvement  de  la  Lombardie  et  de  l'entrée  des  Fran- 
çais en  Italie.  Mais  les  dépèches  qui  contenaient  les  preuves  de  cette 
néj^ociation  lurent  saisies,  et  le  Pape,  irrité  de  la  trahison  de  son 
ministre,  le  fit  jeter  en  prison  et  le  cila  devant  la  justice.  Aussitôt 
que  François  l'eut  appris,  il  entra  en  fureur,  rappela  brusque- 
ment l'ambassadeur  accrédité  qu'il  avait  auprès  du  Saint-Siège, 
fit  incarcérer  le  nonce  à  Paris,  et  adressa  à  Adrien,  qui  le 
menaçait  d'excommunication,  une  leltre  hautaine,  oii  il  le  priait 
de  méditer  sur  le  sort  autrefois  réservé  à  Boniface  VlII.  «  Le  pape 
Boniface  VlII  entreprit  contre  Philippe  le  Bel,  dont  se  trouva  mal,  » 
lui  écrivait-il;  -<  vous  y  penserez,  par  voire  prudence.  "  On  sait  que 
sur  l'ordre  de  Philippe  le  Bel,  Guillaume  Nogaret  ayant  mis  la  main 
sur  Boniface  Vil!  lui  avait  fait  subir  d'indignes  traitements.  Le  Pape, 
intimidé  par  cette  menace,  se  détermina  enfin  à  conclure  avec  l'Em- 
pereur et  le  roi  d'Angleterre  un  traité  d'alliance  contre  François  I". 
Venise  s'était  déjà  déclarée  pour  l'Empereur,  et  le  29  juillet  1523 
s'était  unie  à  l'archiduc  Ferdinand  pour  la  défense  de  l'Italie. 
D'autres  princes  et  cité?  italiennes  vinrent  encore  grossir  la  ligue,  et 
l'on  put  se  flatter  de  l'espoir  «  qu'enfin  les  Alpes  seraient  protégées, 
et  que  sous  Adrien  VI,  pontife  éminent  en  piété,  on  pourrait  orga- 
niser la  campagne  turque*  -k  Les  alliés  espéraient  d'autant  plus  que 
l'orgueil  français  allait  être  abattu,  que  le  connétable  Charles  de 
Bourbon,  grièvement  offensé  par  François  I"  et  lésé  dans  ses  droits 
d'héritier,  était  venu  à  l'improviste  offrir  son  appui  à  Charles- 
Quint.  Le  duc  s'était  même  engagé  à  reconnaître  pour  futur  souve- 
rain le  roi  Henri  VIII,  qui  n'avait  jamais  renoncé  aux  anciennes  pré- 
tentions de  ses  ancêtres  sur  la  couronne  de  France  ^ 

■  Pour  plus  de  détails,  voy.  Höfler,  Carl  V  und  Adrian  II,  p.  10,  40-44,  et 
Adrian  VI,  p.  433.  —  Sur  la  haine  des  Anglais  pour  les  Français,  voy.  la 
relation  du  14  avril  1521  dans  Laxz,  Actemtücke  und  Briefe,  t.  I,  p.  170. 

*  Pourplus  de  détails,  voy.  IIofler,  Carll und  Adrian  VI,  p.  45-47,  54-64,  69-72. 

^  Bourbon  dut  jurer  au  roi  d'Angleterre  "  juramentum  homagii  et  fidelitatis 
%..quod  ipse  nos  pro  vero  rege  Franciae  recognoscet  et  acceptabit  nobisque 


330  GUERRES    EN    ITALIE    ET    EN    FRANCE.    1523. 

«  Toute  l'Europe  se  ligue  conlre  moi  et  jure  ma  perte  »,  déclarait 
François  1"  à  l'assemblée  des  États  de  Paris;  "  mais  je  suis  assez 
fort  pour  la  braver.  .le  ne  crains  pas  l'Empereur,  car  il  n'a  point 
d'argent;  je  ne  crains  pas  le  roi  d'Angleterre,  car  les  abords  de  la 
Picardie  sont  bien  gardés.  Je  ne  crains  pas  les  Flamands,  car  ils  sont 
mauvais  soldats.  .lirai  moi-même  en  Italie,  je  m'emparerai  de  Milan 
et  ne  laisserai  rien  à  mes  ennemis  de  ce  qu'ils  m'ont  ravi.  »  «  Je  ne 
serai  à  mon  aise  -,  écrivait-il  le  20  août  1523  à  Montmorency,  <  que 
lorsque  j'aurai  franchi  les  Alpes  avec  mon  armée  '.  " 

Mais  craignant  que  le  duc  de  Bourbon,  dont  les  intrigues  lui 
avaient  été  découvertes,  ne  soulevât  les  populations  françaises  au 
moment  même  oii  les  troupes  espagnoles  et  anglaises  se  préparaient 
à  envahir  ses  États,  il  resta  néanmoins  chez  lui,  et  se  contenta,  vers 
la  fin  d'août,  d'envoyer  l'amiral  Bonnivet  en  Italie  avec  une  armée 
considérable.  En  même  temps  la  guerre  éclatait  en  France.  Une 
armée  auglo-flamande,  commandée  par  le  duc  de  Suffolk  et  le 
comte  de  Buren,  pénétrait  jusqu'à  l'Oise,  à  onze  lieues  de  Paris,  et 
jetait  l'épouvante  dans  la  capitale.  Les  Espagnols  envahissaient  au 
même  moment  le  Béarn  et  la  Guyenne,  et  les  Allemands,  commandés 
par  les  comtes  Guillaume  et  Félix  de  Fürstenberg,  pénétraient  en 
Bourgogne  et  en  Champagne.  Nulle  part  une  action  décisive  n'eut 
lieu,  mais  partout  le  peuple  eut  horriblement  à  souffrir  des  ravages 
de  la  guerre,  et,  pour  comble  de  malheur,  "  un  incendie  horrible, 
universel,  semblait  prêt  à  éclater  de  tous  côtés  «. 

Pour  propager  eu  Allemagne  aussi  ce  redoutable  incendie,  Fran- 
çois P'  pressait  le  duc  proscrit  du  Wurtemberg,  Ulrich,  alors  ä  son 
service,  d'exciter  une  émeute  parmi  les  paysans,  et  de  tenter  avec 
leur  secours  de  recouvrer  son  duché.  Pour  l'y  aider,  il  lui  promet- 
tait une  importante  somme  d'argent  -.  François  s'efforça  aussi  de 
faire  entrer  dans  ses  vues  Jean  111  de  Clèves  (novembre  de  la  même 
année),  et  à  cette  fin  lui  envoya  de  riches  présents.  Dans  une  assem- 
blée des  États  de  la  ligue  souabe,  à  Ulm,  il  fit  parvenir  un  message 
au  délégué  d'Augsbourg  par  un  de  ses  agents  politiques.  Il  assurait 
à  la  ville  de  grands  avantages  commerciaux,  mais  à  la  condition 

tanquam  régi  Franciae  fideliler  serviet  atque  obediet  '•.  Braüford  [Con-espon- 
dence  of  thc  emperor  Charles  V,  London,  1850,  p.  51)  fait,  observer  que  Ce  ne  fut 
pas  l'Empereur  qui  fit  au  connélaljle  les  premières  propositions.  Bourbon, 
comme  les  documents  du  temps  l'établissent  clairement ,  •  was  himself  the 
first  to  court  an  alliance,  Avhich  slamped  him  a  rebel  and  traitor  • .  Bourbon 
est  bien  en  effet  un  traître  et  un  rebelle. 

'HÖFLEU,  Cari  i  und  Adrian  VI,  p.  64-65. 

-  *  Relation  de  Clément  Endres,  18  octobre  1523.  Tricrische  Sachen  und  Brief- 
schaften.  fol.  69.  D'après  la  teneur  de  ce  contrat,  signé  le  29  mars  1521,  le  duc 
entrait  au  service  du  roi  de  France,  et  lui  concédait  droit  d'entrée  et  de  garni- 


INTIUr.IiES  DE  l,A    l'OMTIQUF.  FRANflAISK   F.N  ALLKMA(;NE.   1.02:5-1524.     .3.31 

qu'elle  .s'co^jygerait  à  ne  fournir  aucun  .secours  à  Charle.s-Ouint 
pendant  la  guerre  d'Italie,  et  l'aiderait  à  reconquérir  le  Milanais'. 

'  Les  menées  du  roi  de  France  >-,  écrivait  Charles  «le  liodniann  à 
Rome  (19  mars  I")24),  «  sont  si  multipliées,  que  l'on  doit  sérieuse- 
ment craindre  que  pour  susciler  des  embarras  à  l'Kmijereur  et  à 
l'archiduc,  aliaiblir  autant  que  possible  l'Allemagne  et  fomenler 
parmi  nous  des  dissensions  toujours  nouvelles,  il  n'exploite  Jus- 
qu'aux troubles  religieux  qui  nous  divisent,  e(  ne  s'efforce  de  les 
rendre  incurables.  Dans  les  cités  libres,  qui  ne  sont  préoccupées  que 
de  leurs  intérêts  commerciaux,  il  se  fait  de  nombreux  partisans"^.  " 
Quehiues  députés  des  villes  impériales,  ayant  sollicité  de  lui  une 
audience  privée  à  Lyon\  lui  apportèrent  l'assurance  -  (jue  leurs 
maîtres  se  comporteraient  envers  lui  de  telle  manière  que  Sa  Majesté 
y  prendrait  plaisir.  Elles  priaient  le  Roi  de  ne  pas  faire  expier  aux 
villes  ses  démêlés  avec  l'Empereur  (10  novembre  1523).  Elles  feraient 
tout  ce  qui  était  en  leur  pouvoir  pour  s'acquitter  très-humblement 
envers  Sa  Majesté  Royale  delà  reconnaissance  qu'elles  lui  devaient,  y 
François  répondit  aux  députés,  avec  lesquels  il  s'entretint  pendant 
une  heure  '^  très  amiablement  et  débonnairement  :-,  que  les  villes 
ne  seraient  pas  moins  respectées  et  protégées  par  la  couronne  de 
France  que  les  cités  françaises  elles-mêmes,  et  qu'elles  n'avaient 
aucun  danger  à  redouter,  "  Rapportez  tout  ceci  aux  villes  que  vous 
représentez  >-,  dit-il  en  terminant  l'audience,  durant  laquelle  il  avait 
donné  de  fréquentes  marques  de  son  ressentiment  contre  l'Empe- 
reur, et  lui  avait  attribué  toute  la  responsabilité  de  la  guerre. 

Or  cette  responsabilité,  l'Empereur,  à  bon  droit,  la  repoussait 
énergiquement.  Il  écrivait  à  Ferdinand,  le  16  janvier  1524,  dans 
une  lettre  confidentielle  :  "  Mon  frère,  vous  savez  assez,  et  il 
est  à  tous  notoire,  comme  toujours  mou  désir  et  principale  affection 
a  esté  d'avoir  et  entretenir  paix  et  repos  en  la  chrétienté.  Et  tout 
ce  que  j'ay  faist  et  faist  présentement  n'est  sinon  tendant  à  l'effect 

son  dans  toutes  les  villes  et  châteaux  du  comtat  de  Mömpelgard,  resté  en  sa 
possession.  Pour  l'achat  de  la  forteresse  de  llohentviel,  qui  devait  servir  de 
point  d'appui  aux  entreprises  d'LIrich,  celui-ci  reçut  de  François  2,000  couronnes 
(Sonnenkroneiij.  D'après  une  déclaration  de  l'Empereur  (sept.  Iô22i,  le  duc  avait 
reçu  de  François  pendant  les  trois  derniers  mois  8,536  couronnes;  pourtant  il 
se  plaignait  constamment  de  la  parcimonie  de  la  France.  Hf.yu,  Ulrich,  Hertzog 
von  Württemberg,  t.  Il,  p.  132-135. 

'  Voy.  Haberli.n.  t.  X,  p.  554.  L'ambassadeur  de  Charles-Quint,  Hannart,  mande 
à  l'Empereur  le  13  mars  1524  :  «  Le  roi  de  France  a  puis  aucun  temps  en  ça 
escript  bonnes  et  gracieuses  lettres  aux  villes  impériales,  pour  gangnyer  leur 
bonne  voulunte,  el  par  ce  destorber  quilz  ne  vous  donnent  assistence  contre 
luy.  •  Lanz,  Correspondenz,  t.  I,  p.   105. 

-  Voy.  plus  haut,  p.  162,  note  5. 

'  Sur  leur  retour  en  Allemagne  après  leur  entrevue  avec  l'Empereur  au  sujet 
de  la  douane  d'Empire,  voy.  plus  loin,  p.  332-333. 


332    CHARLES-QUINT  DISPOSÉ  A  CO\CLURE  LA  PAIX  AVEC  LA  FRANCE.  1524. 

de  ladite  paix,  moiennant  laquelle  les  armes  et  forces  des  chrestleas 
se  puissent  joindre  et  unir,  afin  de  non  seulement  répuiser  les  Turcs 
et  infidèles  en  leur  emprinses,  mais  aussi  leur  faire  la  guerre,  aug- 
menter, exaucer  et  amplyer  la  foi  et  religion  chrestienne  '.  «  11  était 
toujours  disposé  à  conclure  la  paix  avec  la  France,  écrivait-il  à 
Clément  Vil,  qui  venait  de  succéder  à  Adrien  (14  septembre  1523), 
et  pressait  les  puissances  belligérantes  de  mettre  un  terme  à  leurs 
sanglants  et  funestes  démêlés.  Il  priait  Clément  d'être  entre  les 
souverains  le  médiateur  de  la  paix,  et  souhaitait  que  tout  le  monde 
pût  se  convaincre  du  désir  sincère  où  il  était  de  se  prêter  à  tout 
accommodement  raisonnable  ^  Même  après  qu'en  Italie  les  troupes 
impériales  eurent  obtenu  de  brillants  succès,  Charles,  le  14  mai, 
envoyait  à  son  ambassadeur  près  le  roi  d'Angleterre  des  instruc- 
tions détaillées  lui  enjoignant  de  travailler,  autant  que  la  chose 
était  possible,  et  par  l'entremise  du  Saint-Père,  à  la  conclusion  de 
la  paix  avec  l'Angleterre ^ 

Mais  pendant  ce  temps,  François  1"  poursuivait  en  Allemagne  ses 
«  redoutables  intrigues  ",  ne  songeant  qu'à  susciter  de  nouveaux 
ennemis  à  l'Empereur  parmi  les  princes  et  les  cités,  et  à  opposer  à 
Charles-Quint  un  nouveau  roi  romain. 

Il  se  flattait  qu'à  la  Diète  qui  devait  se  réunir  à  Nuremberg 
en  1524,  tant  d'efforts  aboutiraient  enfin,  et  feraient  prendre  à  ses 
affaires  «  une  heureuse  tournure  ». 

•  Lanz,  Correspondenz,  t.  I,  p.  81. 

*  Voy.  Bl'chholz,  t.  II,  p.  248.  Lettre  de  Charles-Oiiint  à  Lannoy,  15  avril  1524. 
^  "  Pour  parvenir  à  quelque  honeste  moyen  de  paix  universelle  entre  nous 

et  les  autres  princes  chrestiens  a  fin  de  pouvoir  mieulx  dresser  les  communes 
armes  contre  les  infidèles.  ••  Instruction  pour  Gérard  de  Plème,  seigneur  de  la 
Roche,  BucHHOLZ,  t.  II,  p.  503-519. 


CHAPITRE  VI  II 

DIÈTE   DE   NUREMBERG.    —    l'ROJET   d'lNE   CONVENTION    HELIGIEISE. 

1524 


A  l'issue  de  la  dernière  Diète,  il  avait  été  convenu  que  le  jour  de 
sainte  Marguerite  (13  juillet  1523),  les  Etats  se  réuniraient  de  nouveau 
à  Nurember^y.  Mais  comme  au  jour  fixé  quelques  membres  des  États 
et  les  conseillers  des  électeurs  étaient  seuls  arrivés,  l'ouverture  des 
délibérations,  forcément  retardée,  fut  remise  au  vendredi  d'après  la 
Saint-Martin  (13  novembre).  Le  Conseil  de  régence  exprimait  l'espoir 
que,  dans  les  nécessités  si  pressantes  de  l'Empire,  tous  les  Ordres  se 
feraient  un  devoir  absolu  de  se  rendre  à  Nuremberg  à  cette  date. 

Pour  entraver  autant  que  cela  était  en  leur  pouvoir  les  décisions 
de  la  Diète  précédente,  et  surtout  .  pour  rendre  impossible  l'inac- 
ceptable projet  de  douane  '  »,  les  villes  libres  avaient,  de  leur  propre 
chef, envoyé  en  Espagne  une  ambassade  à  l'Empereur.  Le  9  août  1.523, 
leurs  délégués  avaient  été  reçus  par  Charles-Ouint  à  Valladolid  en 
audience  privée,  et  deux  jours  après,  ils  remettaient  aux  quatre  con- 
seillers choisis  par  l'Empereur  un  mémoire  détaillé  où  étaient  expo- 
sés tous  leurs  griefs  contre  les  ••  grands  Ordres  de  l'Empire  > .  Dans 
ce  mémoire,  ils  s'efforçaient  d'établir  leur  droit  <  de  séance  et  de 
voix  »  au  sein  de  la  Diète,  affirmant  qu'ils  l'avaient  toujours  exercé 
dans  les  assemblées  précédentes,  et  que  les  princes  le  leur  déniaient 
avec  une  injuste  opiniâtreté.  Ils  n'avaient  point  admis  l'obligation 
où  on  les  mettait  de  se  soumettre  à  la  majorité  des  suffrages.  A 
les  entendre,  "  ils  n'étaient  aucunement  obligés  de  donner  toujours 
leur  assentiment  aux  décisions  de  leurs  collègues;  des  délibérations 
où  étaient  discutés  les  intérêts  de  tant  de  conditions  et  de  per- 
sonnes diverses  ne  pouvaient  avoir  lieu  sans  leur  participation,  puis- 

'  Voy.  plus  haut,  p.  278-279. 


334    DÉPITATION  DES  DÉLÈGUES  DES  VILLES  LIBRES  A  CHARLES-QUINT.  1523. 

qu'ils  étaient  bien  résolus  à  n'entreprendre  et  à  ne  décider  que  ce  qui 
serait  en  tout  conforme  au  droit,  à  l'honneur  et  à  l'équité  >■.  Quant 
à  l'impôt  sur  les  douanes  voté  à  Nuremberg,  il  leur  était  impossible 
d'y  donner  les  mains,  car  il  ne  pouvait  avoir  d'autre  conséquence  que 
le  désastre  le  plus  complet  pour  le  commerce  à  tous  les  degrés;  s'il 
était  exécuté,  les  marchands  se  verraient  forcés  d'abandonner  leur 
patriepour  aller  s'établira  l'étranger!  INon-seulement  il  serait  funeste 
aux  villes  libres,  mais  il  ferait  un  tort  considérable  à  la  nation  tout 
entière,  et  l'homme  du  peuple  qui  "  sous  prétexte  de  liberté  se 
montrait  déjà  récalcitrant  envers  l'autorité,  serait  conduit  infailli- 
blement à  la  sédition  et  à  la  révolte  -.  Les  villes,  sans  cesse  obli- 
gées de  débourser  de  grosses  sommes,  se  verraient  réduites  à  la 
mendicité;  d'ailleurs,  les  nouveaux  impôts  seraient  d'une  faible 
ressource  pour  l'Empereur;  on  avait  vu  précédemment  que  le  pro- 
duit pouvait  bien  facilement  lui  en  être  enlevé,  et  cette  mesure 
paraissait  plutôt  faite  pour  accélérer  la  ruine  de  r.\llemague  que  pour 
améliorer  sa  situation.  L'impôt  de  douane,  prétendait-on,  était  indis- 
pensable au  maintien  du  Conseil  de  régence;  mais  les  intérêts  de 
la  paix  et  de  l'équité  seraient  beaucoup  mieux  servis  si  l'on  se  déci- 
dait enfin  à  élire  un  roi  romain.  En  ce  cas,  les  villes  acclameraient 
avec  enthousiasme  le  frère  de  l'Empereur,  l'archiduc  Ferdinand. 

Lorsque  les  conseillers  de  l'Empereur  représentèrent  aux  délégués 
que  le  Pape  s'était  plaint,  dans  un  bref  récemment  adressé  à  Charlcs- 
Ouint,  de  l'assentiment  donné  par  Augsbourg,  Strasbourg  et  Nurem- 
berg aux  doctrines  de  Luther  et  de  l'encouragement  donné  à  la  dif- 
fusion de  ses  écrits,  les  députés  nièrent  ce  fait  avec  assurance,  affir- 
mant ne  voir  dans  cette  imputation  qu'une  calomnie  répandue  à 
dessein  par  ceux  qui  leur  voulaient  du  mal  et  travaillaient  avec  per- 
sistance à  leur  ruine.  Les  cités  ne  s'étaient  jamais  jointes  à  ceux  qui 
avaient  prôné,  suivi  ou  défendu  Luther;  ou  savait  assez  de  qui 
venait  tout  le  mal.  ^  Le  peuple  était  altéré  de  vérité  évangélique, 
il  réclamait  l'intégrale  prédication  de  la  sainte  Ecriture  ■  ;  mais  pour 
que  ce  but  put  être  atteint,  les  délégués  reconnaissaient  qu'il  était 
très-nécessaire,  en  effet,  de  veiller  à  ce  que,  dans  les  trois  cités  en 
question,  conformément  à  l'édit  impérial,  les  écrits  luthériens  fussent 
absolument  interdits,  et  même  saisis  chez  leurs  détenteurs.  A  leur 
retour,  ils  se  proposaient  de  faire  connaître  le  bref  papal  et  les 
volontés  de  l'Empereur  à  ceux  qui  les  avaient  envoyés,  et  l'on  pou- 
vait compter  sur  leur  pleine  obéissance  '! 

'  Der  gemeinen  Fry-und  Beichs  Slüdt  Potlschaßen  Handl.  by  Rom.  Kaiserl.  Majestät. 
Archives  de  Erancfurt,  Beichsiugsacien.  t.  XXXIX,  p.  39-56  Le  dimanche  de  Judica 
\1i  mars;  1523,  l'envoi  d'une  députation  à  Charles-OuJnt  avait  été  résolue  dans 
une  assemblée  des  représentants  des  villes  tenue  à  Spire.  Le  3  juin,  les  délégués 


DEPUTATION  DKS  KKr.KOl  KS  IH:S  VILLES  LIBRKS  A  CHAIU.KS-QUINT.  1523.  335 

Par  des  assurances  de  ce  {jenre,  ils  avaient  su  se  concilier  l'Em- 
pereur, (jul  n'avait  ■■  rien  plus  à  ccrur  (jue  le  nuiinlien  de  la  religion 
catholique  et  l'unité  de  rK};iise'  '.  Des  «  témoijynajjes  dejjratilude  » 
olferts  aux  conseillers  impériaux  rendirent  aussi  >  de  fort  bons 
offices-  ».  Les  députés,  il  est  vrai,  ne  purent  obtenir  une  réponse 
définitive,  tout  devant  d'abord  être  soumis  aux  décisions  de  la  Diète 
qui  allait  s'ouvrir  à  Nuremberg;;  mais  ils  parlirent  «  remplis  d'espoir 
et  fort  consolés  d.  J.'Em))creur  leur  avait  donné  secrètement  à 
entendre  «  qu'il  était  très-porté  à  favoriser  les  villes  libres  préféra- 
blement  aux  autres  Ordres  ;  il  leur  avait  assuré  que,  sans  les  néces- 
sités actuelles  de  la  {;uerre,  il  se  fiU  immédialement  appliqué  à 
régler  leurs  intérêts  d'une  façon  «  vraiment  équitable  et  royale  ».  11 
n'entrait  ni  dans  ses  idées  ni  dans  ses  plans  de  laisser  passer  la  loi  sur 
les  douanes.  Il  souhaitait  fort  prendre  lui-même  le  pouvoir  en 
main,  instituer  un  lieutenant  impérial  énergique,  établir  un  tribunal 
suprême,  imposant,  respecté,  afin  que,  dans  le  Saint-Empire,  la  paix, 
le  droit  et  le  pouvoir  exécutif  eussent  de  fermes  soutiens.  Il  avait 
Tinlenlion  de  régler  les  choses  de  telle  sorte,  de  concert  avec  les 
Ordres  et  le  Conseil  de  régence,  que  dorénavant,  dans  les  questions 
de  monopole  et  de  commerce,  rien  ne  piU  être  décidé  ni  avoir  force 
de  loi  sans  que  Sa  Majesté  en  eiU  pris  préalablement  connaissance. 
Tout  devait  d'abord  lui  être  expédié,  et  ce  qu'il  trouverait  d'illégal, 
il  était  résolu  à  l'annuler.  Restreindre  l'action  du  commerce  n'entrait 
point  dans  ses  vues  :  "  Si  les  villes  voulaient  lui  prêter  un  loyal  appui, 
soit  par  des  secours  d'argent,  soit  autrement,  elles  pourraient  tou- 
jours et  partout  attendre  de  lui  et  de  ses  chargés  de  pouvoir  un  gra- 
cieux et  favorable  accueil.  Ou  aviserait  à  écarter  la  loi  sur  les  douanes. 
Les  villes  pouvaient  se  confier  en  ces  assurances  '.  " 

Le  23  août  1523,  l'Empereur  remit  à  son  conseiller  Jean  Hannart, 
chargé  de  le  représenter  aux  États  de  Nuremberg,  une  instruction 


se  réunirent  à  Lyon.  Les  pourparlers  de  Valladolid  se  prolongèrent  jusqu'au 
24  août.  Voy.  les  détails  sur  ces  négociations  dans  les  archives  de  Francfort. 
Erber  Freij-und  Reickstele  Abschiede  der  iare  1523-1542.  Voyez-en  la  relation  dans 
HÖFLKR,  Belrachlungen  über  das  deutsche  Städtewesen^  p.  214-2(9. 

'  Comme  les  délégués  des  villes  le  reconnaissaient  eux-mêmes,  d'après  un  rap- 
port de  Clément  Endres,  datée  du  11  mars  1521.  Trierischen  Suchen  und  Briefs- 
chaften, fol.  71. 

'  Le  conseiller  impérial  Jean  Hannart  reçut  500  florins,  et  les  trois  autres 
conseillers  impériaux  avec  lesquels  les  délégués  eurent  à  traiter,  200  florins. 
Hannart  promit  aux  députés  de  se  montrer  et  de  demeurer  pö*iir  elles  •  un 
protecteur  chaudement  dévoué  à  leur^  intérêts,  et  de  travailler  à  écarter 
toute  mesure  pouvant  leur  être  contraire.  »  Lettre  d'Hamann  de  Ilolzhausen, 
12  février  1524,  Reichstagsaclen .  t.  XL,  fol.  10.  Abschiede  der  Reichstüdle , 
1524. 

'Voy.  les  pièces  citées  plus  haut,  p.  334,  note  1,  et  la  lettre  d'Hamann  de 
Holzhausen,  du  28  janvier  1524.  Reichstagsacien,  t.  XL,  p.  4. 


336  DIÈTE    DE    NUREMBERG.    1524 

détaillée  sur  les  questions  qu'il  importait  de  traiter  avec  le  Conseil 
et  les  Ordres  durant  la  Diète. 

Cetteinstructionserapportaitaux  quatre  points  suivants  :  la  douane 
de  frontière,  la  campagne  contre  les  Turcs,  le  monopole,  la  question 
luthérienne. 

Quant  à  l'impôt,  l'Empereur  avait  appris  «  que  les  villes  s'y  étaient 
sérieusement  et  énergiquement  opposées  «,  de  sorte  qu'en  l'exi- 
geant on  aurait  à  craindre  de  leur  part  un  mauvais  vouloir  très- 
accentué,  l'insoumission  et  la  révolte;  et  comme,  en  ces  temps 
périlleux,  l'Empereur  souhaitait  avant  tout  voir  régner  la  concorde 
entre  tous  les  Ordres,  Hannart  était  chargé,  avec  les  cités  et  les 
États,  de  travailler  à  l'adoption  de  moyens  et  de  voies  acceptables  à 
tous,  et  grâce  auxquels  la  Régence  et  la  Chambre  impériale  pussent 
être  entretenues. 

Pour  l'impôt  projeté  à  la  Diète  précédente  dans  le  but  de  couvrir  les 
frais  d'une  expédition  contre  les  Turcs,  les  villes  l'avaient  également 
déclaré  inacceptable;  elles  s'étaient  offertes  «à  payer  plutôt  le  denier 
commun  -  ;  mais  comme  l'organisation  d'un  pareil  impôt  était  insépa- 
rable d'énormes  difficultés,  et  que  les  progrès  des  Turcs  réclamaient  une 
prompte  répression,  Charles-Ouint  insistait  denouveau  pour  queles  sub- 
sides qui  lui  avaient  été  accordés  à  Worms  pour  l'expédition  romaine 
fussent  immédiatement  affectés  à  la  guerre  contre  les  infidèles. 

Dans  la  question  du  monopole  et  des  monnaies,  Hannart  devait 
s'entendre  avec  les  États. 

L'Empereur  se  montrait  fort  mécontent  de  ce  que  l'édit  de  Worms, 
publié  sur  le  conseil  de  tous  les  électeurs,  des  princes  et  autres 
Ordres,  n'eiït  pas  encore  reçu  son  exécution.  Il  insistait  sur  sa  mise 
en  vigueur  de  la  manière  la  plus  pressante'. 

La  Diète,  qui  avait  été  convoquée  pour  le  commencement  de  novem- 
bre 1523,  ne  put  s'ouvrir  que  le  14  janvier  1. 524.  Cependantàla  fin  du 
mois  "  nulle  question  importante  n'avait  encore  été  débattue  ».  Entre 
les  électeurs  de  Mayence  et  de  Saxe,  l'ancienne  dissension  à  propos 
du  mode  des  votes  s'était  ravivée  -,  et  le  vieux  refrain  :  «  Nous  sommes 
paresseux,  querelleurs,  et  nous  ne  nous  comprenons  en  rien  »,  aurait 
pu,  cette  fois  encore,  être  chanté  à  l'unisson  par  les  Ordres  ^  «  Je  crains 
bien  que  les  choses  n'aillent  tout  de  travers  »,  écrivait  à  b'rancforl,  dès 
le  début  de  la  Diète,  Hamann  de  Holzhausen,  député  de  cette  ville'. 

'  *  Instruction  impériale  datée  de  Valiadolid,  23  août  1523,  lîeichsiagsacun, 
t.  XXXIX,  p.  231-230. 

'  Voy.  le  rapport  d'Hannart  à  l'Empereur,  13  mars  1524,  Lanz,  Corrcspondenz, 
t.  I,  p.  102.  «  ...L'on  a  perdu  trois  sepmaines  de  temps,  avant  que  l'on  ait  sceu 
accorder  en  cecy  les  parties.  • 

*  *  Clément  Endres,  dans  la  lettre  citée,  p.  334,  note  1. 

*  •  Lettre  du  I  8  janvier  1521,  Reichslagsacten,  t.  XL,  fol.  3. 


LKS  PRINCES  KT  LES   VILLES  CONTIîE  LE  CONSEIL  DE   T.EGENCE.   1524.  337 

Charles-Quint  avait  insisté  «  pour  qu'on  prit  de  sérieuses  mesures 
touchant  l'entretien  du  Conseil  de  régence  et  de  la  Chambre  impé- 
riale; mais  aucun  résultat  ne  sortit  des  pourparlers  entamés  à  ce 
sujet.  Au  sein  même  de  la  Diète,  d'unanimes  et  graves  récriminations 
contre  le  Conseil  s'élevaient  de  tous  côtés,  et  personne  ne  voulait 
plus  rien  avoir  à  faire  avec  les  conseillers'. 

Les  princes  alliés  de  Trêves,  du  Palalinat  et  de  la  Hesse  avaient 
été  les  premiers  «  à  soulever  l'orage  «,  indignés  qu'ils  étaient  d'un 
jugement  rendu  par  le  Conseil  et  portant  que  les  possessions 
enlevées  par  Philippe  de  Hesse  à  Frowin  de  Hütten  seraient  resti- 
tuées à  ce  dernier  ^  Le  Conseil,  déclara  au  nom  des  princes  le 
docteur  Venninger,  savant  légiste  en  droit  romain,  n'avait  mis 
aucun  zèle  à  s'opposer  aux  agissements  révolutionnaires  de  Sickin- 
gen.  Loin  de  le  combattre,  il  avait  pris  ses  partisans  sous  sa  pro- 
tection. Frowin  de  Hütten,  en  faveur  duquel  le  Conseil,  de  sa 
propre  autorité  et  sans  réclamer  l'opinion  de  la  Chambre  impériale, 
avait  prononcé  ce  jugement  plein  de  partialité ^  était  publique- 
ment connu  pour  le  complice  avoué  de  Sickiugen;  ce  fait  ressortait 
clairement  des  lettres  qu'il  avait  écrites  tant  à  ce  dernier  qu'à 
Nickel  de  Minckwitz;  toutes  les  affaires  secrètes  traitées  au  Conseil 
et  dans  les  Diètes  précédentes,  Frowin  en  avait  été  instruit,  de 
sorte  «  que  le  Palatinat,  Trêves  et  leurs  délégués  avaient  été  moins 
bien  informés  que  Sickingen  de  tout  ce  qui  se  passait  au  Conseil 
ou  à  la  Diète  ».  «  Or  de  quel  carquois  étaient  sorties  ces  flèches?  Il 
était  plus  prudent  de  le  laire  que  de  le  dire.  »  C'était  à  tort  qu'on 
reprochait  aux  princes  alliés  d'avoir  eu  le  dessein  d'opprimer  la  che- 
valerie et  la  noblesse;  l'injustice  de  ce  reproche  était  manifeste. 
«  Leurs  Grâces  n'en  éprouvent  pas  une  petite  surprise,  car  la  vérité 
est  que  les  plus  honorables  de  la  noblesse  se  sont  bien  conduits;  sans 
eux,  il  eût  peut-être  fallu  s'en  remettre  uniquement  à  la  miséricorde 
divine.  »  Ce  que  les  princes  alliés  avaient  tenté  pour  châtier  les  per- 
turbateurs de  la  paix,  ils  ne  l'avaient  fait  que  dans  l'iniérêt  de  l'Em- 
pire, car  les  complots  de  Sickingen  avaient  été  si  bien  ourdis  que 
s'ils  avaient  réussi,  il  fiU  devenu  impossible  de  savoir  c  qui  était  roi, 
empereur,  prince,  comte,  commune,  ou  n'importe  quoi  ".  Attaquer 
ou  amoindrir  la  majesté  de  l'Empereur  n'était  jamais  venu  à  la  pensée 
des  princes  alliés  :  "  ?se  savaient-ils  pas  bien  -,  disait  Venninger,  s'iu- 


'  Voy.  la  note  i,  p.  336. 

*  Voy.  Ulm.vnn,  p.  396. 

*Nulle  part  les  lois  de  l'Empire  «  ne  donnent  au  Conseil  de  régence  le  pou- 
voir d'instîuire  les  causes  et  de  prononcer  des  jugements.  Ce  droit  ciai'.  réservé 
à  la  chambre  impériale.  • 

II.  22 


338  LES  PRINCES  ET  LES  VILLES  CONTRE  LE   CONSEIL  DE  REGENCE.   1524. 

spirant  ici  des  Ihéoiies  du  droit  romain  sur  le  pouvoir,  -  que  TEm- 
pereur  est  le  droit  vivant,  cju'il  est  élevé  au-dessus  des  lois,  que  Sa 
Majesté  n'est  autre  chose  qu'un  dieu  terrestre,  et  que  tout  lui  est 
possible,  comme  l'enseignent  les  docteurs"?  Mes  très- gracieux  et 
très-hauts  seigneurs  n'ignorent  point  ces  choses'.  « 

«  Le  discours  de  Venninger  »,  rapporte  le  délégué  de  Francfort 
(1"  février  1524),  "  a  porté  un  rude  coup  au  Conseil;  Venninger  a  su 
lui  dire  nettement  ses  vérités^;  aussi  les  Ordres  sont-ils  décidés 
à  ne  plus  souffrir  que  des  conseillers  du  genre  de  ceux  qui  siègent 
actuellement  soient  élus  à  l'avenir,  "  Seul,  l'électeur  Frédéric  de 
Saxe  prit  le  parti  du  Conseil,  et  comme  ses  avis  n'étaient  pas 
écoutés,  il  quitta  brusquement  Nuremberg  (26  février).  ..  Les  élec- 
teurs, princes  et  autres  Ordres  ",  mandait  le  jour  même  de  ce 
départ  le  délégué  de  Francfort,  ■  brûlent  d'abolir  le  Conseil  de 
régence.  »  Toutes  les  villes  libres  partageaient  cette  opinion  et 
s'étaient  affirmées  dans  ce  sens  à  la  Diète  de  Spire;  mais  tout  à  coup 
Nuremberg  déclara  n'être  point  de  cet  avis,  "  car  chacun  cherche 
son  propre  intérêt  ' .  Ulm,  à  sou  tour,  «  se  montra  récalcitrante 
Ces  deux  villes  étaient  cause  du  reproche  si  souvent  fait  aux  cités 
libres  d'  avoir  deux  poids  et  deux  mesures  ,  de  -  ne  rendre  pas  un 
son  bien  net  «,  et  de  manger  à  deux  râteliers  -.  ^-  Cependant  ce 
reproche  était  à  cette  époque  sans  fondement  \  » 

Les  villes,  à  leur  tour,  dressèrent  un  cahier  de  doléances  contre 
le  Conseil;  elles  s'exprimaient  en  termes  aigres  et  durs  • .  Elles 
affirmaient  que,  par  rapport  à  leurs  libertés  civiles,  statuts  et  pri- 
vilèges, le  Conseil  s'était  livré  à  des  actes  arbitraires  qui  ne  pou- 
vaient avoir  d'autre  résultat  que  le  mépris  de  l'autorité,  l'émeute, 
l'abaissement  de  la  nation  et  la  ruine  générale*.  Le  duc  Georges  de 
Saxe  déclara  à  son  tour  que  le  Conseil  n'avait  eu  aucun  souci  de  la 
dignité  de  l'Empereur,  ni  de  celle  des  princes;  qu'il  avait  laissé 
Luther  traiter  impunément  les  princes  de  coquins  et  de  scélérats, 
excitant  ainsi  le  peuple  à  la  révolte  contre  l'Empereur  ^  L'évêque  de 
Würzbourg  accusa  également  le  Conseil  d'avoir  ouvertement  favo- 
risé les  nouvelles  doctrines.  Deux  capitulaires  cités  par  lui  devant 

•  •  Bekhstagsacten,  t.  XXXIX,  p.  57-75,  97-100,  136. 

-  •  Lettre  d'Ilamann  de  Ilolzhaiisen  du  1"  février  1524,  Reichstagsacten,  t.  XL, 
fol.  7. 

^  '  Lettres  du  21  et  du  2G  février  ^vendredi  d'après  lieminiscere);  autre  letire  du 
5  mars  1524,  dans  les  lUichslagsacten,  t.  XL,  fol.  12,  14,  16.  Voy.  t,  XXXIX,  p.  156. 

* 'Délibérations  du  20  février  (Samedi  après /nrocar//),  Reichstagsacten,  t.  XXXIX, 
p.  262-269.  FwhalUn  des  Regimentes  gegen  die  Städte,  fol.  269-271  et  332-337.  Le 
26  février  (vendredi  d'après  Reminiscere),  le  Conseil  de  régence  se  plaignit  que, 
malgré  le  texte  formel  de  ses  constitutions,  il  eût  été  exclu  des  délibérations 
générales. 

'  Curieuse  Xachrichlen,  p.  37. 


LKS  PRINCES  KT  LES  VILLflS  CONTRE  EE  CONSEIL  DE  REGENCE.   152i.  :{:J9 

un  tribunal  ecclésiastique  pour  s'être  maries  avaient  été  absous  par 
le  Conseil.  Un  chanoine  convaincu  d'hérésie  avait  reçu  un  sauf- 
conduit  {yrâce  auquel  il  avait  pu  se  sauver*.  «  il  n'est  que  trop 
certain  »,  écrivait  Hannart  à  l'Kmpereur,  «  que  la  plupart  des  con- 
seillers de  la  Ré{ience  sont  fort  bons  luthériens,  et  que  très-souvent, 
dans  leurs  procédés  et  leurs  actes,  ils  se  montrent  inq)rudents  et  mal- 
avisés ^  « 

Aussi  élait-il  à  prévoir  que  les  membres  actuels  du  Conseil  ne 
seraient  pas  réélus  ;  mais  comment,  à  l'avenir,  organiser  le  nouveau 
pouvoir?  Ici  les  opinions  et  les  désirs  différaient  grandement. 

«  Quelques-uns  voulaient,  d'accord  en  cela  avec  le  lieutenant 
impérial  l'erdinand  et  l'organe  autorisé  de  l'Empereur,  Hannart, 
que  le  Conseil  de  régence,  dans  son  essence  et  son  principe,  fiU 
maintenu  tel  qu'il  avait  été  constitué,  et  qu'on  se  bornât  à  élire  de 
nouveaux  membres.  D'autres,  se  ralliant  aux  vues  de  l'Électeur 
palatin,  étaient  d'avis  qu'en  l'absence  de  Chaiies-Ouint,  ce  prince 
exerçât  dans  l'Empire  ses  droits  au  vicariat;  la  plupart  ne  voulaient 
plus  entendre  parler  de  Conseil  de  régence.  Beaucoup  étaient  pour 
l'élection  d'un  roi  romain,  excluant  d'avance  tout  prétendant  de  la 
maison  d'Autriche.  Ainsi  tous  étaient  désunis,  tous  se  querellaient; 
il  semblait  que  durant  cette  Diète  aucune  question  intéressant 
l'Empire  ne  diU  être  résolue,  et  qu'il  fallût  presque  désespérer  de 
l'avenir  \  » 

Les  États  eux-mêmes  tombèrent  dans  une  sorte  de  désespoir  en 
constatant  la  discorde  qui  régnait  parmi  eux.  «  Les  princes  et  autres 
Ordres  ",  écrit  Hannart,  u  sont  persuadés  que  c'est  par  un  châtiment 
du  ciel  qu'ils  ne  peuvent  parvenir  à  s'entendre  sur  les  pressantes 
nécessités  du  moment.  »  <'  .l'ai  grand'peur  »,  continue-t-il,  «  que  s'ils 
ne  changent  d'attitude,  ils  ne  soient,  sous  ce  rapport,  bons  pro- 
phètes, et  qu'en  effet  Dieu  ne  fasse  peser  sur  eux  sa  colère.  »  Tous 
les  jours,  on  voyait  se  produire  d'épouvantables  attentats  sur  divers 
points  de  l'Empire.  Si  donc  la  Diète  se  séparait  sans  avoir  rien  con- 
clu, une  complète  anarchie  était  à  prévoir;  ^  l'abominable  hérésie 
luthérienne  irait  se  propageant  de  plus  en  plus  ",  et  «  des  secousses 
violentes  deviendraient  inévitables  ».  Même  les  princes  qui  jusque-là 
s'étaient  monirés  dévoués  à  l'Empereur  étaient  maintenant  récalci- 
trants, pleins  d'aigreur;  ils  avaient  trop  longtemps,  trop  vainement 
attendu  le  payement  des  pensions  qui  leur  avaient  été  allouées.  Si  elles 


'  Voy.  HviiERLiN,  t.  X,  p.  577. 

-  "  Et  certes,  comme  suis  pour  vray  averty,  la  pluspart  desdicts  du  régiment 
sont  grandz  luthériens...  "  Rapport  du  13  mars  1524,  dans  L\nz,  Corresiiondem, 
t.  I,  p.  IUI. 

^  '  Charles  de  Bodmann,  19  mars  1521.  Voy.  plus  haut,  p.  152,  note  5. 

22. 


340  INTRIGUES    FRANÇAISES.    1524. 

ne  leur  étaient  promptement  remises,  ils  se  déclaraient  hors  d'état 
de  rendre  à  l'avenir  de  bons  offices  à  l'Empire,  et  d'entreprendre, 
pour  le  service  de  l'Empereur,  des  voyages  dispendieux,  pour 
assister  aux  Diètes.  L'Empereur  devrait  du  moias,  et  Hanuart  l'en 
conjurait,  faire  parvenir  à  l'ancien  lieutenant  impérial,  le  comte 
palatin  Frédéric,  les  sommes  auxquelles  il  avait  droit  afin  de  le 
maintenir  dans  ses  intérêts.  Frédéric  avait  tout  pouvoir  sur  l'esprit 
de  son  frère  le  comte  palatin  qui,  en  ce  moment  même,  remuait 
ciel  et  terre  pour  empêcher  que  le  Conseil  de  régence  ne  fût  réélu, 
et  pour  obtenir  le  vicariat  d'empire.  Or,  si  le  Conseil,  et  avec  lui  le 
pouvoir  de  l'archiduc  Ferdinand,  c'est-à-dire  tout  ce  qui  avait  été 
organisé  à  Worms,  étaient  renversés,  les  partisans  du  vicariat  au- 
raient peu  de  peine  à  empêcher  la  Diète  de  rien  conclure;  ils  con- 
voqueraient une  autre  Diète  dans  les  pays  rhénans,  et  là  établi- 
raient à  leur  guise  un  nouveau  gouvernement  central.  Dans  foutes 
ces  questions  les  secrètes  pratiques  du  roi  de  France  devaient  être 
prises  en  sérieuse  considération'. 

En  effet,  bien  avant  l'ouverture  de  la  Diète,  François  I"  s'était 
efforcé  de  persuader  à  plusieurs  électeurs  et  princes  que  l'Empereur 
étant  en  Espagne  et  l'Empire  laissé  pour  ainsi  dire  orphelin,  il  était 
de  leur  intérêt  d'élire  un  roi  romain.  Il  se  déclarait  prêt  à  en  accep- 
ter le  titre  si  le  choix  tombait  sur  lui,  et  saurait,  disait-il,  témoigner 
son  extrême  gratitude  aux  électeurs  et  princes  par  des  présents  et  des 
faveurs;  si  pourtant  ceux-ci  préféraient  élire  un  prince  allemand,  nul 
homme  n'était  plus  digne  de  leurs  suffrages  que  le  margrave  Joachim 
de  Brandebourg.  Le  comte  palatin  Louis  serait  également  un  choix 
très-recommandable,  à  cause  de  ses  rares  qualités;  en  tout  cas,  «  il 
importait  au  salut  de  l'Allemagne  que  l'archiduc  Ferdinand,  frère  de 
l'Empereur,  fût  éliminé  ».  Une  fois  élu,  le  nouveau  roi  des  Romains, 
muni  de  forts  subsides  de  guerre,  unirait  ses  forces  à  celles  du  roi 
de  France,  et  déclarerait  la  guerre  à  Charles  d'Espagne,  l'ennemi 
juré  de  la  liberté  de  l'Allemagne,  le  tyran  qui  ne  visait  qu'à  oppri- 
mer et  mettre  en  servitude  le  monde  eritier*. 

Des  instigations  de  ce  genre  ne  laissaient  pas  que  d'avoir  une 
très-grande  influence. 

"  Je  sais  de  bonne  source  »,  écrivait  Hannart  à  l'Empereur  le 
13  mars,  «  que  plusieurs  princes  se  concertent  au  sujet  des  absences 
fréquentes  de  Votre  Majesté.  Ils  assurent  qu'un  bon  gouvernement 

'  Rapport  de  Hannart  ù  l'Empereur,  13  mars  et  26  avril  1524.  L\nz,  Correspon- 
denz.t.  I,  p.  102,  104,  106,  118,  120. 

^'.  chronique  de  jMayence,  7  janvier  1521,  après  les  ouvertures  faites  par  le 
chargé  d'affaires  français  Jean  Tempor.  Œuvres  posthumes  de  Bodmann. 


INTRIGUES    FRAN(;AISP:S.    J521.  341 

est  impossible  à  établir  lorsque  le  souverain  est  si  souvent  hors  du 
royaume.  On  parle  du  roi  de  F-'rance,  parce  que  ses  richesses 
dépassent  celles  de  (out  autre  prétendant;  mais  comme  on  s'aperçoit 
que  son  élection  présenterait  de  (grandes  difficultés,  le  comte  pala- 
tin cl  le  mar{jrave  soUj^yent,  chacun  de  son  côté,  à  sonder  les  esprits 
pour  voir  s'il  ne  leur  serait  pas  possible  d'être  élus;  aucun  d'eux 
n'approuverait  le  choix  de  l'archiduc  Ferdinand.  Il  est  encore  trop 
jeune,  disent-ils,  et  sous  sa  conduite  les  princes  seraient  plus  mal  en 
point  que  jamais,  car  Ferdinand  se  laisse  complètement  diri[;cr  par 
son  conseiller  Salamanque.  "  Ilannart  se  plai{jnait  amèrement  du 
margrave,  lequel  semblait  prendre  très-peu  de  souci  des  intérêts  de 
l'Empire.  «  On  découvrira  bientôt  >',  disait  Hannart,  «que  le  penchant 
du  margrave  pour  les  Francais  n'a  d'autre  cause  que  son  désir  d'éta- 
blir son  fils,  qu'il  destine  à  la  princesse  Renée;  le  souci  de  ce  mariage 
lui  fait  oublier  son  devoir  et  ses  obligations'.  "  L'archevêque  Richard 
de  Trêves  était  également  soupçonné  «  d'avoir  fait  amitié  avec  le 
roi  de  France  -,  et  de  tirer  de  celui-ci  de  quoi  payer  le  grand  appa- 
reil dans  lequel  il  paraissait  à  la  Diète-.  François  I",  disait-on,  avait 
aussi  réussi  à  fortifier  chez  les  ducs  Guillaume  et  Louis  de  Bavière 
l'aversion  déjà  si  forte  qu'ils  nourrissaient  pour  les  princes  de  la 
maison  d'Autriche.  »  Les  ducs  n'étaient  venus  aux  États  ",  affirmait- 
on  dans  l'entourage  de  l'Électeur  palatin,  «  que  pour  déposséder  la 
maison  impériale  d'Habsbourg,  et  chercher  à  acquérir  pour  eux- 
mêmes  la  couronne  romaine  et  impériale ^  « 

Ces  bruits,  ces  soupçons,  les  intrigues  françaises,  tout  concourut 
à  dicter  aux  princes  la  subite  résolution  à  laquelle  ils  s'arrêtèrent  : 
ils  convinrent  d'envoyer  une  ambassade,  d'abord  à  François  l", 
ensuite  à  l'Empereur,  puis  au  roi  d'Angleterre,  et  de  lui  confier  la 
mission  de  ramener  la  paix  et  la  concorde  entre  les  princes  chré- 
tiens. L'électeur  de  Trêves,  le  comte  palatin  Frédéric  et  le  duc 
Louis  de  Bavière  devaient  se  rendre  dans  ce  but  à  la  cour  de  France, 
accompagnés  d'une  suite  brillante;  l'électeur  de  Trêves  demeurerait 
près  du  Roi.  L'archiduc  Ferdinand  et  Hannart  eurent  toutes  les  peines 
du  monde  à  empêcher  un  acte  aussi  inconstitutionnel,  acte  dont  les 
princes  assumaient  toute  la  responsabilité  sans  l'assentiment  de  l'Em- 

'  L4NZ,  Correspondes,  t.  I,  p.  105,  106,  107.  D'ailleurs,  Hannart  ne  semble  pas 
avoir  redouté  les  intrigues  en  question  :  •  ...joint  que  les  électeurs  ne  sont  tous 
d'une  oppinion,  sarchant  chacun  son  particulier  interest.  » 

^  Voy.  le  rapport  de  Hannart,  dans  Lanz,  t.  [,  p.  lOO-lOl. 

*  •  ...lain  tum  (à  la  diète  de  Nuremliery  de  1524)  in  animo  habentes,  si  quo 
modo  imperialem  dignitatem  ad  se  transferre  et  domui  Austriaca^  adimere  pos- 
sent.  »  Surtout  le  chancelier  de  Bavière,  Eck,  nourrissait  le  désir  de  "  praesertim 
duci  Wilhelmo,  excelso  animo  principi,  nunc  regiam,  nunc  imperialem,  nunc 
electoraleni  dignitatem  ambienti,  tandem  optatam  viam  inveniret  et  aperiret  •. 
Hub.  Leodius,  p.  89. 


342  NOUVEAU    CONSEIL    DE    RÉGENCE.    1524. 

pereur  et  des  Ordres  '.  "  Ce  qui  serait  traité  à  la  cour  de  France  dans 
le  cas  où  l'ambassade  s'y  rendrait  se  devine  aisément  lorsqu'on  est 
au  courant  des  pensées  et  des  vœux  secrets  des  princes  «,  écrivait 
Charles  de  Bodmann.  -  La  paix,  dont  ils  ont  déjà  stipulé  les  condi- 
tions, n'aurait  très-certainement  d'autre  résultat  que  d'assurer  au 
roi  de  France,  au  cœur  même  de  l'Empire,  des  alliés  déclarés,  tout 
prêts  à  se  tourner  contre  l'Empereur  à  un  moment  donné*.  » 

Charles-Ouint  remercia  vivement  son  frère  d'avoir  empêché 
cette  ambassade.  Elle  n'eût  pas  été  à  son  honneur,  écrivait-il,  mais 
au  contraire  ei\t  beaucoup  servi  la  gloire  de  François  I".  Du  reste, 
selon  lui,  elle  était  d'autant  moins  nécessaire  que  le  Pape  mettait 
en  ce  moment  tout  en  œuvre  pour  obtenir  la  paix,  ou  du  moins 
l'armistice,  et  que  les  intérêts  de  la  concorde  européenne  lui  avaient 
été  remis.  Le  Pape,  pour  négocier  les  conditions  de  paix,  venait 
d'envoyer  l'archevêque  de  Capoue,  en  qualité  de  nonce,  à  Fran- 
çois I",  à  Henri  VIII  et  à  l'Empereur  ^ 

Les  «  intrigues  françaises  >'  échouèrent  cette  fois  encore,  grâce  à 
l'énergie  de  l'archiduc. 

Ses  efforts  pour  le  maintien  du  Conseil  de  régence  eurent  aussi 
quelques  bons  effets,  en  ce  sens  qu'après  de  longs  pourparlers,  les 
Ordres  se  décidèrent  à  «  prolonger  son  existence  de  deux  années 
encore,  à  la  condition  que  tous  les  membres  actuellement  en  fonc- 
tion seraient  désormais  tenus  et  requis  de  rendre  compte  de  leur 
administration  ".  Si  l'archiduc  et  le  chargé  de  pouvoirs  de  l'Empereur 
n'acceptaient  point  cette  décision  et  ce  contrôle,  -  les  électeurs, 
princes  et  autres  Ordres  «,  portait  la  déclaration  du  12  mars,  «  se 
croiraient  autorisés,  après  avoir  si  longtemps  délibéré  sur  cette 
affaire,  à  signifier  au  Conseil  sou  congé*  ".  Le  nouveau  pouvoir 
devait  être  convoqué  à  Spire ,   Francfort  ou    toute  autre  ville,  à 

'  Rapport  de  llannart,  Lanz,  t.  I,  p.  125.  Chmel,  ErJierzog  Ferdinand's  Instruction 
für  Carl  von  Burgund,  Herrn  zu  Bredam,  du  13  juin  1524,  p.  104.  •  Hec  Icf^atio  sola 
suffecisset  interrumpere  felicem  cursum  rerum  majestatis  suae.  •  l.e  roi  de  France 
faisait  -  miras  practicas  inter  ipsius  imperii  principes  et  principalia  meinbra...» 
•  Non  cessât  dies  et  noctes  non  solum  in  Germania,  sed  etiam  in  plerisque  aliis 
regnis  et  locis  practicare,  sperans  insidiis  assequi  quod  jampridem  armis  obti- 
nere  nequivit.  >  P.  107. 

'  Voy.  plus  liaut,  p.  162,  note  5.  Bodmann  vante  l'énergie  de  l'archiduc  et  son 
infatigable  activité  dans  les  affaires,  bien  qu'il  eût  à  peine  vingt  et  un  ans  (il 
était  lié  le  10  mars  150.3).  L'ambassadeur  vénitien  Contarini  écrit  en  1525  à  propos 
de  Ferdinand  :  •  È  di  natura  che  tende  al  colerico;  pèro  è  acutissimo,  pronto, 
ardentissimo  di  stato,  e  di  signoregiare  ;  ragiona  volentieri  e  vuole  intendere 
ogni  cosa.  «  Albeui,  t.  Il,  p.  63. 

2  Lettre  du  26  mai  1524.  Buchholz,  t.  II,  p.  51.  Sur  les  efforts  de  l'Empereur 
ponr  faire  aboutir  les  négociations  de  paix,  voy.  le  rapport  de  son  ambassadeur 
Gérard  de  Plème,  20  août  1524,  Lanz,  Correspondenz,  t.  I,  p.  143-144. 

*  '  Samedi  après  Lœlare  (12  mars),  Frankfurter  Reichstagsaclen,  t.  XXXIX,  p.  284. 


NOUVEAU    CONSEIL    DE    RÉGENCE.    1524.  343 

l'époque  de  la  Pentecôte,  et  l'on  s'occuperait  alors  de  le  constituer 
sur  des  bases  meilleures.  "  Parmi  les  améliorations  proposées  par  la 
commission  nommée  à  cet  effet  par  les  Ordres,  se  trouvait  en  premier 
lieu  stipulée  la  clause  que  le  nouveau  pouvoir  laisserait  aux  Ordres, 
grands  et  petits,  la  plénitude  de  leurs  droits  réf^aliens,  privilèges, 
usages,  traditions  et  juridictions,  et  que  nulle  équivoque  ni  confu- 
sion ne  serait  tolérée  sous  ce  rapport  '.  » 

"  A  ce  sujet  les  querelles  recommencent  de  plus  belle  »,  écrit  un 
témoin  oculaire*,  '  et  il  ne  faudrait  pas  beaucoup  s'étonner  s'il  était 
vrai,  comme  on  en  fait  courir  le  bruit,  que  le  lieutenant  impérial  et 
le  chargé  de  pouvoirs  de  l'Empereur  ne  fussent  en  fort  mauvaise  intel- 
ligence. L'archiduc  parle  d'Hannart  en  termes  amers  et  violents.  » 

Il  en  était  effectivement  ainsi. 

"  Tous  les  membres  de  la  Diète  »,  mandait  Ferdinand  ;i  l'Empereur, 
«  ne  souhaitent  que  l'abolition  du  Conseil  de  régence,  et  ce  but, 
ils  le  poursuivent  par  des  ruses,  des  artifices  inimaginables.  Or,  s'ils 
parvenaient  à  leurs  fins,  l'autorité  et  la  considération  de  Votre 
Majesté  seraient  ruinées,  une  rébellion  ouverte  éclaterait  infaillible- 
ment dans  l'Empire,  et  un  grand  nombre  de  vos  sujets  se  tourne- 
raient vers  la  France.  "  Hannart,  ajoutait  Ferdinand,  n'avait  pas  été 
adroit  dans  ses  négociations.  Il  avait  donné  de  grandes  espérances 
aux  électeurs  de  Trêves  et  du  Palatinat,  ainsi  qu'au  landgrave  de 
Hesse,  leur  assurant  que  le  Conseil  de  régence  allait  être  supprimé. 
De  plus,  il  avait  révélé  à  l'électeur  de  Trêves  les  instructions  secrètes 
qu'il  tenait  de  l'Empereur.  "  Tout  ce  que  j'avais  tenté,  tout  ce  que  je 
m'étais  efforcé  de.  faire  réussir,  tant  pour  le  maintien  du  respect  dû 
à  Votre  Majesté  que  pour  le  salut  et  la  paix  de  cette  nation,  a  été 
(bien  que  je  n'en  eusse  conféré  qu'avec  quelques-uns  de  mes  plus 
intimes  conseillers)  communiqué  à  diverses  reprises  à  nos  adversaires. 
Ce  fait  m'a  extrêmement  troublé;  cependant  j'ai  dissimulé  mon  déplai- 
sir; mais  une  telle  découverte  m'a  mis  dans  une  perplexité  plus  grande 
encore  que  la  conduite  déraisonnable  d'Hannart.  C'est  à  peine  si 
Hannart  souffre  qu'on  ait  pour  moi  les  égards  dus  à  mon  rang;  son 
attitude  est  plutôt  celle  d'un  soldat  vantard  que  celle  d'un  grave  ambas- 
sadeur. Je  supporterais  facilement  ce  manque  de  tact  s'il  pouvait  en 
résulter  quelque  profit  pour  les  intérêts  de  Votre  Majesté,  mais  il 
s'en  faut  de  beaucoup  que  nous  puissions  l'espérer,  et  je  ne  veux  pas 
entrer  à  ce  propos  dans  de  trop  longs  détails,  de  peur  de  peiner  Votre 
Majesté.  Je  ne  citerai  qu'un  seul  fait  :  Hannart  s'est  laissé  si  inconsi- 

•  Reichslagsacten,  t.  XXXIX.  p.  280. 

*  *  Charles  de  Bodinauu,  19  mars  1524.  Voy.  plus  haut,  p.  162,  note  5. 


344        DÉLIBÉRATIONS    DE    LA    DIKTE    DE    NUREMBERG.    1524. 

dérément  entraîner  au  parti  des  villes,  qu'il  a  fait  espérer  et  peut-être 
promis  plusieurs  choses  qui  jamais  ne  pourront  être  accordées,  du 
moins  tant  que  les  affaires  de  Votre  Majesté  seront  en  bon  point  '.  " 
Les  États  avaient  consenti  au  maintien  du  Conseil  de  régence 
pour  deux  ans  encore;  restait  maintenant  à  trouver  les  sommes 
nécessaires  h  son  entretien.  L'impôt  de  douane,  dont  il  avait  été 
question,  fut  «  lamentablement  rejeté,  surtout  par  la  faute  des 
villes,  mais  aussi  par  suite  de  l'opposition  de  quelques  princes  et 
conseillers  de  princes,  et  cela,  à  dire  le  vrai,  au  détriment  des  vrais 
intérêts  de  l'Empire  ".  Ferdinand  proposa  alors  que  les  Ordres,  taxés 
d'après  les  anciens  registres  de  la  matricule,  fussent  obligés  à  fournir 
la  somme  voulue;  mais  ce  plan  fut  repoussé,  ainsi  que  la  proposition, 
apporice  également  par  Ferdinand,  de  faire  supportera  l'Empereur 
la  moitié  des  frais  à  condition  que  l'autre  moitié  serait  couverte  par 
les  États.  Ceux-ci  déclarèrent  le  18  mars  que  "  pour  des  motifs  très- 
plausibles  et  à  cause  de  leurs  très-lourdes  charges,  il  leur  était  impos- 
sible de  rien  faire  pour  le  Conseil  de  régence  ' .  Puisqu'il  dépendait 
de  l'Empereur,  il  était  juste  que  l'Empereur  fit  à  lui  seul  tous  les  frais 
de  son  entretien-.  Ce  ne  fut  qu'à  la  condition  que  le  nouveau  Conseil 
serait  réformé  comme  on  le  souhaitait,  et  qu'aucun  membre  du  Con- 
seil actuel  ne  serait  réélu,  qu'à  la  fin  les  électeurs  et  les  princes  con- 
sentirent à  payer  la  moitié  de  la  somme  requise. 

Mais  à  ce  moment  ^  les  délégués  des  villes  recommencèrent  leurs 
récriminations  -.Au  début  de  la  Diète,  ils  avaient  présenté  une 
adresse  portant  «  qu'ils  avaient  reçu  de  ceux  qui  les  avaient  envoyés 
l'ordre  exprès  de  ne  prendre  part  à  aucune  délibération  avant 
qu'on  eiit  fait  droit  à  leurs  griefs  touchant  le  siège  et  la  voix  ».  En 
conséquence  ils  ne  s'étaient  décidés  à  assister  aux  séances  des  Etats 
que  sous  la  réserve  qu'ils  ne  signeraient  rien  tant  que  "  leurs  maîtres 
et  amis  ne  seraient  point  traités  comme  les  autres  corps  de  l'État 
et  n'auraient  pas  obtenu  les  prérogatives  auxquelles  ils  avaient 
droit ^  ».  Le  2  avril,  il  leur  fut  répondu  que  jusqu'à  ce  que  l'Em- 
pereur vînt  en  personne  en  Allemagne  et  piU  conférer  sur  ce  sujet 
avec  les  Ordres ,   deux  délégués  seraient  admis  au  Conseil   de  la 

'  BucHHOLTz,  t.  I!,  p.  45-46,  52.  L"arcliiduc,  au  rapport  d'Iiamann  de  Ilolzhausen 
(5  mars  1524),  avait  secrèleinent  sollicité  l'appui  des  villes,  afin  que,  dans  le  cas 
où  les  membres  du  Conseil  de  réf;ence  seraient  révoqués,  le  conseil  lui-même, 
en  tant  qu'institution,  fi'it  maintenu;  l'Empire,  selon  lui,  serait  exposé  par  sa 
perte  à  de  grandes  calamités,  et  la  p.iix  et  la  justice  seraient  en  grand  péril. 
Frankfurter  fteichslagsaclen,  t.   LX,  fol.  16. 

*  *  Vendredi  avant  les  Rameaux  (18  mars  1524),  Franl-furtcr  Reichstagsacten, 
t.  XXXIX,  p.  289. 

*  *  «  Der  Stell  Handlung  gegen  Kurjürslcn  und  Fürsten  und  anderen,  Reickslend  belan- 
gend Stimm,  Session  und  Rcichsstandl  dersclbigen.  »  Reichstagsacten.  t.  XXXIX,  p.  239-259. 


KTAT    DE    L'ALLEMAGNE.    152i.  345 

Diète,  et  pourraient  disposer  d'une  voix,  mais  que  leur  vote  n'aurait 
lieu  qu'après  celui  des  comtes  et  seifjneurs,  et  à  la  condilion  expresse 
que,  comme  les  autres  Ordres,  ils  s'cn(}a{',eraient  à  ne  rien  rapporter 
au  dehors  de  ce  qui  se  passait  aux  assemblées.  Celte  concession  «  ne 
fut  nullement  du  p,oiU  des  députés  urbains  -.  Ils  répondirent  que  la 
plus  grande  partie  des  leurs  avaient  déjà  quitté  Nuremberg,  et  qu'il 
leur  était  impossible  de  donner  les  mains  à  la  proposition  qui  leur 
était  faite  :  de  retour  chez  eux,  ils  «  soumettraient  la  question  à  leurs 
maîtres'  ».Ouantà  consentir  à  contribuer  en  quoi  que  ce  soit  à  l'entre- 
tien du  Conseil  de  régence,  ils  déclaraient  en  être  -■■  bien  éloignés*  ». 

D'aucun  côté  n'arrivaient  les  sommes  indispensables  au  fonctionne- 
ment du  Conseil,  qui  venait  d'être  transférée  Esslingen,  et  dès  1524 
semblait  bien  près  d'être  dissous  '. 

Pour  les  monopoles,  rien  d'essentiel  ne  fut  décidé.  On  se  borna 
à  renouveler  les  anciennes  défenses,  avec  injonction  de  les  prendre 
cette  fois  en  sérieuse  considération  et  de  les  observer  de  la  manière 
«  la  plus  pratique,  la  plus  raisonnable,  la  plus  conforme  au  droit  ». 

Les  discussions  sur  les  sociétés  commerciales  eurent  aussi  très- 
peu  de  résultat,  bien  que  pour  cette  fois  les  délégués  des  villes  se 
fussent  déclarées  «  prêts,  avec  le  concours  des  autres  Ordres  -,  à  abolir 
les  «  grandes  compagnies*  ■^. 

Les  discussions  dont  le  Conseil  de  régence  avait  été  l'objet 
avaient  duré  si  longtemps  et  avaient  été  tellement  orageuses,  que 
pour  toute  autre  question  «  il  restait  fort  peu  de  temps  ".  Selon 
l'usage,  fout  fut  «  relégué  sur  le  grand  banc  »,  c'est-à-dire  à  la  pro- 
chaine Diète.  Quant  à  la  résistance  si  nécessaire  qu'il  s'agissait  d'op- 
poser à  l'invasion  turque,  on  décida  d'employer  aux  nécessités  de  la 
guerre  la  moitié  des  sommes  consenties  à  Worms  pour  l'expédition 
romaine.  «  IVlais  on  s'apercevra  bien  vite,  et  dans  un  temps  pro- 
chain »,  prédisait  un  témoin  de  tous  ces  débats,  «  que  ce  plan,  non 
plus  que  les  autres,  n'amènera  aucun  résultat  appréciable ^  » 

Tout  semblait  concourir  à  la  ruine  de  l'Empire. 

Ferdinand  écrivait  à  son  frère,  en  lui  exposant  le  lamentable  état 
de  l'Allemagne  *,  que  les  fonctions  dont  il  était  investi  rapportaient 

'  * Reichstagsacten,  t.  XXXIX,  fol.  297-298.  Voy.  HÖFLEP.,  Deutsches  Sta/Ilewesen,  p.  222. 
^  '  Clément  Kndres,  le  5  avril  1524,  Trierischen  Sacken  und  Brief sdiaftcn,  fol.  75. 
'  Voy.  BucHHOLTz,  t.  II,  p.  68-71. 

*  *  Clément  Eiidres,  voy.  note  2.  Hamann  de  Holzhausen,  12  février  1524,  dans 
les  Reichstagsacten,  t.  LX,  fol.  10.  Seule,  Augsbourg  protesta  contre  cette  proposi- 
tion. Le  28  janvier,  écrivait  Holzhausen,  les  déléa^ués  des  villes  se  sont  montrés 
disposés  à  abolir  les  monopoles,  parce  que  l'article  principal  de  la  proposition 
portait  :  •  que  d'eux  était  venu  tout  le  mauvais  vouloir  des  princes,  comtes  et 
chevaliers  contre  les  cités.  » 

'  '  Clément  Endres,  13  mai  1524,  Trierischen  Sachen  und  Briefschaften,  fol.  79. 

*  Chmel,  Ferdinands  Instruction  für  Carl  von  Burgund,  13  juin  1524,  p.  101-122. 


346  ÉTAT    DE    L'ALLEMAGNE.    1524. 

à  l'Empereur  plus  d'humiliation  que  d'avantages;  ce  n'était,  disait-il, 
qu'un  vain  titre,  sans  nulle  efficacité,  sans  prestige  ;  dans  les  réu- 
nions de  la  Diète,  le  lieutenant  impérial  avait  à  peine  autant  d'in- 
fluence que  les  délégués  des  princes;  au  Conseil  de  régence,  son 
action  était  à  chaque  instant  gênée  par  la  nécessité  de  se  soumettre 
aux  décisions  de  ces  derniers.  Les  intérêts  de  l'Empereur  et  de  la 
maison  d'Autriche  seraient  bien  mieux  servis  s'il  ne  paraissait  pas 
à  la  Diète  en  qualité  de  lieutenant  impérial,  mais  simplement  comme 
archiduc  d'Autriche.  Tout  était  trouble  et  confusion;  les  États 
étaient  sourdement  travaillés  par  le  roi  de  France,  et  l'on  n'avait 
que  trop  clairement  compris  pendant  la  Diète  combien  ils  prenaient 
peu  à  cœur  les  intérêts  de  l'Empire.  Xi  le  Conseil  de  régence,  ni  la 
Chambre  impériale  n'avaient  obtenu  les  subsides  nécessaires  à  leur 
entretien,  et  si  l'Empereur,  à  ses  propres  frais,  ne  se  décidait  aies 
fournir,  et  n'acquérait  ainsi  le  droit  d'élire  dans  ce  tribunal  suprême, 
ainsi  qu'au  Conseil,  des  hommes  capables,  on  verrait  bientôt  surgir, 
ou  un  vicariat  d'Empire,  comme  le  demandait  ardemment  l'Électeur 
palatin,  ou  un  pouvoir  entièrement  dépendant  des  États.  Enfin,  à 
la  suite  de  la  prodigieuse  agitation  qui  régnait  dans  le  pays,  il  était 
fort  à  craindre  que  les  électeurs,  ou  même  le  peuple,  n'exigeassent 
l'élection  d'un  nouveau  souverain,  car  dans  le  peuple,  il  fallait 
bien  que  l'Empereur  en  fût  averti,  se  fortifiait  de  plus  en  plus  la 
conviction  que  l'usage  de  laisser  élire  les  souverains  allemands  par 
quelques  princes  venais  devait  être  aboli,  et  que,  surtout  dans  la 
question  de  l'élection,  les  princes  ecclésiastiques  devaient  être  élimi- 
nés. Si  l'on  continuait  à  céder  toujours,  il  était  à  craindre  qu'un  chef 
habile,  s'appuyaut  sur  la  volonté  populaire,  ne  s'emparât  de  la  cou- 
ronne, et  ne  fiU  soutenu  dans  son  entreprise  par  les  intrigues  et  les 
armées  de  la  France.  Si  l'Empereur  voulait  prévenir  la  ruine  immi- 
nente de  la  nation,  il  lui  fallait  se  décider  à  donner  un  chef  à  l'Em- 
pire. Selon  la  promesse  que,  de  son  propre  mouvement,  il  avait  faite 
avant  son  départ  pour  l'Espagne,  il  devait  sans  tarder  et  avant  qu'il 
fut  trop  tard  favoriser  l'élection  de  l'archiduc.  Si  l'on  n'élisait  promp- 
tement  un  roi  romain,  il  était  à  prévoir  que  la  nation  allemande, 
au  milieu  des  perpétuels  conflits  créés  à  propos  de  la  couronne 
(qu'on  pouvait  toujours  se  flatter  d'obtenir  avec  l'appui  de  la  France), 
et  surtout  à  cause  de  l'anarchie  religieuse,  finirait  par  périr  de  ses 
propres  mains'. 

Cette  anarchie  ne  s'était  que  trop  fait  pressentir  pendant  la  Diète 
de  Nuremberg. 

'  ■  ...tiinendum  sit,  ne  ipsa  natio,  quam  Exteri  non  possunt  oppriniere  viri- 
bus suis,  sil)i  ipsi  sit  plus  quam  intestinum  nialum  paritura,  nec  secus,  ac  si 
quisque  silii  manum  consciret.  »  Chmel,  Ferdimmd's  Instruction,  p.  107. 


DÉLIBÉRATIONS  RELIGIEUSES  A   LA   DIKTE   DE  NUREMBERG.   1521.       3i7 


II 


Le  cardinal  Laurent  Campeggio,  délégué  aux  K(ats  par  Clé- 
ment VU,  était  chargé  par  le  Pape  d'organiser  en  Allemagne  la 
guerre  de  résistance  contre  les  Turcs,  et  d'y  pacifier  les  troubles 
religieux.  Il  devait  aussi  s'enquérir  des  griefs  formulés  par  les  Ordres 
contre  le  Saint-Siège  '. 

Ce  n'élait  pas  la  première  fois  que  Campeggio  remplissait  en  Alle- 
magne la  mission  de  nonce.  Lors  de  sa  première  délégation,  sous 
Maximilien,  il  avait  été  accueilli  par  le  respect  universel.  Mais  mainte- 
nant, disait-il,  il  lui  semblait  faire  la  découverte  <  d'une  Allemagne 
nouvelle  «.  A  Augsbourg,  lorsque,  suivant  l'ancien  usage,  il  voulut 
donner  sa  bénédiction  au  peuple,  il  fut  hué  par  la  foule.  Un  pam- 
phlet le  dépeignit  sous  les  traits  d'un  animal  étrange  et  féroce* 
envoyé  de  Rome  pour  ruiner  le  pays.  La  veille  de  son  entrée  à 
Nuremberg,  le  conseil  le  fit  avertir  qu'il  ferait  sagement  de  renon- 
cer à  donner  «  sa  béuédiclion  et  sa  croix  ",  vu  l'état  actuel  des 
esprits.  On  craignait  qu'il  ne  fi\t  insulté  par  la  populace. 

Campeggio  ne  put  s'empêcher,  en  pleine  séance  de  la  Diète,  de 
témoigner  sa  surprise  de  ce  que  tant  de  princes  et  autres  Ordres 
aient  toléré  la  diffusion  des  nouvelles  doctrines,  et  souffert  que 
l'antique  foi  de  leurs  ancêtres  fi\t  mise  en  péril  par  les  écrits  de 
quelques  novateurs.  N'élait-il  pas  évident  que  l'insoumission  et  la 
révolte  des  sujets  contre  toute  autorité  seraient  l'infaillible  con- 
séquence des  principes  qu'on  s'efforçait  d'établir?  Le  légat  se  pré- 
sentait muni  des  pleins  pouvoirs  du  Pape;  il  se  proposait  d'ap- 
profondir soigneusement  les  questions,  et,  secondé  par  les 
Ordres ,  il  espérait  remédier  au  mal.  11  n'était  pas  venu  pour  se 
servir  «  de  l'épée  et  du  feu  ",  comme  on  l'en  accusait  faussement. 
Le  désir  de  Sa  Sainteté,  conforme  d'ailleurs  au  propre  sentiment  et 
au  caractère  du  légat,  était,  au  contraire,  de  faire  prévaloir  des 
mesures  modérées,  et  de  ramener  les  apostats  et  les  égarés  par  des 
exhortations  bienveillantes  et  paternelles. 

A  cela  les  Ordres  répondirent  "  que  la  diffusion  des  nouvelles 

'  *  Beglaubigungsschreiben  für  den  Legaten  vom  1  Februar  1524,  Frankfurter  Reichstag- 
tacten,  t.  XXXIX,  p.  319''-324.  "  Nos  certe  •,  assura  le  Pape  aux  États,  in  omnibus 
quaepernos,  Deointerveniente,  fieri  poterunt,  neque  aniore,  neque  studio,  neque 
liberaiitate  deerimus.  •  Voy.  les  dépêches  du  Pape  à  Campeggio,  14  avril  1524, 
Balan,  p.  326-329. 

*  Voy.  Uhlhorn,  p.  58-59. 


348       DÉLIBÉRATIONS  RELIGIEUSES  A  LA  DIÈTE  DE  NUREMBERG.  1524. 

doctrines  déplaisait  aux  princes  et  aux  autorités  tout  autant  qu'au 
nonce,  et  qu'ils  comprenaient  fort  bien  les  inconvénients  et  les 
difficultés  qui  en  devaient  résulter;  qu'ils  étaient  prêts  à  conférer 
avec  le  légat  sur  toutes  les  questions  en  litige,  et  qu'il  pourrait  libre- 
ment exposer  ses  vues  au  sein  de  la  Diète  ;  mais  qu'ensuite  '  les 
Etats  demanderaient  à  connaître  les  instructions  qu'il  avait  reçues 
touchant  le  cahier  de  doléances  envoyé  à  Rome  l'année  précé- 
dente   . 

Ce  cahier,  rédigé  en  1523  à  Nuremberg,  avait  été,  avant  même 
d'être  expédié  en  Italie,  imprimé  à  plusieurs  reprises  en  Allemagne. 
Le  Pape,  assura  Campeggio,  n'en  avait  pas  eu  officiellement 
connaissance.  Trois  exemplaires  en  avaient  été  adressés  à  des 
personnes  privées.  Le  Saint- Père  avait  parcouru  l'un  deux,  mais 
jamais  il  n'avait  pu  se  persuader  qu'un  écrit  u  d'une  si  prodigieuse 
inconvenance  ait  pu  être  rédigé  par  les  États  d'Allemagne;  il  l'avait 
plutôt  regardé  comme  l'œuvre  de  quelques  particuliers  qui,  dans 
leur  aversion  pour  le  Siège  apostolique,  l'avaient  livré  à  l'impres- 
sion-.  Le  nonce  déclara  n'avoir  reçu  aucune  instruction  se  rappor 
tant  à  ce  mémoire,  mais  en  revanche  il  dit  avoir  plein  pouvoir  pour 
traiter  avec  les  États  «  des  griefs  de  la  nation  ».  A  son  avis,  les 
Allemands  feraient  bien  de  suivre  l'exemple  des  Espagnols;  ceux-ci 
avaient  envoyé  une  ambassade  à  Home  pour  y  traiter  de  leurs  inté- 
rêts; ils  avaient  été  entendus  et  exaucés  en  tout  ce  qui  était  légi- 
tim.e  et  possible.  Le  nonce  -  ne  doutait  pas  ='  que  la  nation  allemande 
ne  piU  à  son  tour  obtenir  tout  ce  qui  pourrait  s'accorder  raisonna- 
blement. Mais  il  était  inadmissible  que  des  discussions  de  cette  nature 
fussent  abandonnées  à  l'appréciation  du  peuple  et  reproduites 
par  la  presse;  ce  n'était  que  par  la  paix  religieuse  que  l'Allemagne 
pourrait  retrouver  l'ordre  et  la  tranquillité,  et  se  mettre  en  état  de 
se  défendre  à  l'extérieur,  en  repoussant  énergiquement  les  Turcs. 

Le  refoulement  des  Turcs  était,  comme  les  Ordres  le  disaient 
avec  raison,  une  question  vitale  pour  la  chrétienté  tout  entière,  et 
pour  atteindre  ce  but,  la  concorde  entre  les  puissances  chrétiennes 
était  de  nécessité  urgente.  Aussi  le  Pape  faisait-il  tous  ses  efforts 
pour  amener  une  entente  entre  Tl^mpire,  l'Angleterre  et  la  France, 
et  c'était  la  même  préoccupation  qui  avait  décidé  l'envoi  d'un  légat 
en  Allemagne  «  pour  la  conclusion  de  la  paix  avec  les  États  •.  Clé- 
ment était  décidé  à  faire  en  ce  sens  tout  ce  qui  serait  en  son  pou- 
voir. Que  s'il  n'était  pas  écouté,  le  Pape  n'aurait  plus  alors  qu'à 
prendre  patience  et  à  s'abandonner  à  Dieu  '. 

Les  Ordres  laïques  remirent  alors  au  légat   un  nouveau   ■  cahier 

'  *  Voy.  Frankfurter  Reiditngsactcn,  t.  XXXIX,  p.  325-330. 


»F.LlBÉliATIONS  RKI.IGFEUSES  A    LA   DIKTK   DE   NUREMBERG.   152f.       3Î9 

de  doléances  ».  Celle  lois  encore  ces  doléances  n'avaient  trait 
aucun  do^jme,  non  plus  qua  la  constitution  de  TEglise'.  Il  y  était 
dit  expressément  que  «  ni  les  membres  du  clcr{jé,  qui  se  reconnais- 
saient liés  envers  le  Saint-Père  par  leur  serment,  ni  les  princes  et 
autres  Ordres  n'avaient  l'intention  de  se  soustraire  en  quoi  que  ce 
soit  à  l'autorité  du  Pape  »;  mais  ce  qui  avait  dégénéré  en  coutumes 
répréhensibles,  en  usaj^es  arbitraires,  devait  être  réformé,  d'au- 
tant plus  que  la  nation  allemande  traversait  des  temps  si  diffi- 
ciles et  voyait  grandir  de  si  tristes  discordes  que,  d'après  l'avis  des 
meilleurs,  si  jamais  il  avait  été  jugé  nécessaire  de  venir  en  aide  à  la 
société  en  péril,  c'était  à  présent.  Avant  tout,  il  fallait  corriger  ces 
nombreux  abus  qui,  personne  ne  pouvait  le  nier,  étaient  venus,  '  soit 
des  prodigalités  exorbitantes  des  papes,  soit  des  exigences  exces- 
sives de  la  curie  romaine  ■■■ . 

Voici  les  griefs  les  plus  justement  fondés  des  États  :  Un  grand 
nombre  de  prêtres,  chargés  de  l'administration  des  diocèses, 
n'avaient  pas  reçu  la  consécration  épiscopale;  des  évêques  élus  à 
Rome  avaient  été  dispensés  de  la  résidence.  Rome  faisait  un  devoir 
aux  évêques  allemands  de  visiter  tous  les  deux  ans  les  tombeaux  des 
saints  apôtres,  et  rachetait  cette  obligation  à  prix  d'argent. 

Les  Etats  reprochaient  surtout  au  Saint-Père  l'autorisation  donnée 
par  lui  à  l'archiduc  Ferdinand  d'affecter  à  la  guerre  contre  les  Turcs 
le  tiers  des  revenus  ecclésiastiques.  Cette  autorisation,  au  dire  des 
Ordres  temporels,  était  absolument  opposée  au  droit  commun,  aux 
conciles,  aux  libertés  d'une  grande  et  noble  nation;  elle  avait  été 
édictéeet  publiée  sans  délibération  préalable,  sans  enquête;  les  pro- 
priétés immobilières  de  l'Eglise,  ayant  été  données  par  les  empe- 
reurs, rois,  princes  temporels  et  ecclésiastiques  et  autres  fidèles 
au  nom  et  pour  la  gloire  de  Dieu,  étaient  inaliénables.  Sans  le  con- 
sentement de  ceux  qui  les  avaient  consacrées  aux  besoins  du  clergé, 
on  ne  devait  ni  ne  pouvait  y  toucher.  Les  églises  avaient  été  com- 
plètement ruinées  par  une  telle  mesure,  et  se  voyaient  maintenant 
hors  d'état  de  payer  l'impôt  d'Empire.  "  Si  les  propriétés  immo- 
bilières de  l'Église  étaient  dilapidées  de  cette  façon,  il  ne  fallait 
plus  compter  sur  les  contributions  fournies  par  les  abbayes,  col- 
légiales et  couvents.  Aussi  les  États  avaient-ils  résolu  de  ne  plus 
tolérer  à  l'avenir  un  pareil  abus  de  pouvoir,  qu'il  fût  autorisé  par 
Ferdinand  ou  par  des  bulles  arbitrairement  publiées  par  le  Sainl- 
Siége,  car  des  actes  aussi  injustes  les  déliaient  de  toute  soumis- 
sion. » 

Bien  peu  de  temps    après,   ceux   qui  formulaient   ces   plaintes 

'  Aussi  peu  qu'auparavant.  Voy.  plus  haut,  p.  288. 


350       DÉLIBÉRATIONS  RELIGIEUSES  A  LA   DIÈTE   DE  NUREMBERG.  1524. 

s'adjugeaient  sans  cérémonie  ni  scrupule  le  droit  et  la  permission  de 
confisquer  à  leur  profit  les  biens  des  églises  et  des  couvents. 

«  Le  chapitre  des  griefs  est  infini  -,  écrivait  Charles  de  Bodmann, 
u  et  ces  griefs  sont  souvent  bien  fondés;  mais  quant  aux  torts  des 
Ordres  eux-mêmes  envers  l'Église,  quant  aux  emplois  ecclésias- 
tiques confiés  à  des  personnes  incompétentes  ou  incapables,  quant  à 
l'immixtion  illégale  des  princes  dans  des  questions  purement  spiri- 
tuelles et  à  tant  d'autres  abus,  les  Ordres  temporels  n'en  font  aucune 
mention.  Si  seulement  ils  n'avaient  pas  la  prétention  de  trancher  de 
la  même  façon  en  matière  de  foi!  S'ils  renonçaient  à  rendre  leurs 
légistes  romains  ou  leurs  conseillers  juges  et  arbitres  des  points  de 
doctrine  controversés!  Mais  beaucoup  n'aspirent  qu'à  déterminer  de 
leur  propre  autorité  ce  qui  doit  être  cru  ou  rejeté,  et  n'agissent  que 
dans  ce  but,  surtout  les  conseils  des  villes,  qui  brûlent  de  mettre 
la  main  sur  les  biens  de  TEglise,  et  d'abolir  toute  juridiction  ecclé- 
siastique. " 

La  justesse  de  ces  observations  n'avait  été  que  trop  clairement  dé- 
montrée pendant  la  Dièle  de  Nuremberg. 

Les  électeurs  et  princes  se  montraient  assez  disposés  à  se  con- 
former aux  ordres  sévères  de  l'Empereur  touchant  les  nouvelles 
doctrines,  et  à  obéir  à  l'édit  de  Worms.  Mais  les  délégués  des  villes 
étaient  "  d'un  tout  autre  avis  ".  Lors  de  leur  voyage  en  Espagne,  en 
présence  de  l'Empereur,  ces  mêmes  délégués  avaient  nié  toute  com- 
plicité avec  les  luthériens;  les  assurances  qu'ils  avaient  données  à 
Charles-Ouint  à  ce  propos  avaient  beaucoup  contribué  à  décider 
l'Empereur  à  repousser  la  douane  de  frontière,  tant  réclamée  par 
les  autres  Ordres.  Mais  siîrs  mainlenant  que  cet  impôt  serait  rejeté, 
les  députés  des  villes,  presque  tous  docteurs  en  droit  romain,  ne  crai- 
gnaient plus  de  laisser  voir  leurs  véritables  sentiments.  11  leur  était 
impossible,  dirent-ils,  de  consentir  à  ce  qu'exigeaient  les  électeurs 
et  les  princes.  De  telles  mesures  exciteraient  infailliblement  des  trou- 
bles, des  séditions,  des  meurtres,  en  un  mot  des  calamités  effroyables. 
Ce  qu'il  y  avait  de  mieux  à  faire  pour  remédier  au  mal  présent, 
c'était  de  convoquer  <  une  assemblée  chrétienne,  composée  de 
prêtres  et  de  laïques,  qui,  en  attendant  la  convocation  d'un  concile 
libre  et  général,  statuerait  sur  toutes  les  questions  controversées  >■. 
La  convocation  d'une  semblable  assemblée  était  tout  à  fait  urgente; 
elle  seule  pouvait  ramener  la  paix  parmi  les  chrétiens;  elle  était  le 
meilleur  moyen  de  venir  à  bout  des  résistances  populaires,  et  de 
procurer  la  concorde  générale.  L'édit  de  Worms  devait  être  mo- 
difié en  ce  sens  que  "  lorsqu'un  chrétien  enseignerait  une  doctrine 
ens'appuyant  sur  un  texte  de  la  sainte  Écriture,  il  faudrait  le  laisser 
faire,  à  moins  qu'un  autre,  établissant  son  opinion  sur  les  mêmes 


PROJET    D'UNE    ASSEMBLÉE    RELIGIEUSE    A    SPIRE.    1524.      :}51 

livres  sacrés,  ne  parvint  à  le  réfuter  et  à  le  vaincre  !  One  si  le  premier 
opinant  refusait  de  se  laisser  persuader,  alors  il  faudrait  le  punir, 
selon  qu'il  l'aurait  mérité  '.  > 

De  pareilles  propositions  semblaient  aux  autres  Ordres,  non-seu- 
lement les  ecclesiasticjucs,  mais  les  séculiers,  «  absolument  extrava- 
gantes ».  Mais  on  était  impatient  de  voir  la  Diète  se  conclure.  Aussi 
en  toute  hâte,  le  IH  avril,  le  procès-verbal  fut-il  dressé.  Il  "  tenait 
compte,  à  la  vérité,  des  vœux  exprimés  par  les  villes  > ,  mais  au  fond 
cette  concession  n'avait  d'autre  but  que  de  les  empêcher  de  proles- 
ter, comme  elles  avaient  menacé  de  le  faire  *,  et  par  conséquent  de 
prolonger  la  Diète. 

Or  ce  procès-verbal  renfermait  des  contradictions  insolubles'. 

Les  États  s'y  reconnaissaient  obligés  d'obéir  à  l'édit  de  Worms,  et 
promettaient  de  l'observer  toutes  les  fois  que  cela  leur  serait  pos- 
sible. Us  se  déclaraient  résolus  à  maintenir  et  à  protéger  la  foi  de 
l'Église  universelle.  Quant  aux  imprimés,  ils  promettaient  de  se 
conformer  aux  décisions  précédemment  prises  ^  Ils  réclamaient  la 
réunion  d'un  concile  général  sur  le  sol  allemand,  et  exprimaient 
au  légat  toute  leur  reconnaissance  pour  l'appui  qu'il  avait  promis 
de  leur  prêter  auprès  du  Saint-Siège.  iMais  ils  n'étaient  pas  d'avis 
d'attendre  que  le  concile  eût  prononcé  sur  les  points  de  foi  con- 
troversés. Ils  entendaient  décider  par  eux-mêmes,  et  régler  la 
manière  dont,  jusqu'à  plus  ample  examen,  il  conviendrait  d'agir 
touchant  ces  matières.  Par  l'entremise  de  conseillers  instruits,  expé- 
rimentés et  intelligents,  les  Ordres,  telle  était  leur  conclusion,  dres- 
seraient la  liste  des  nouvelles  doctrines  luthériennes,  signaleraient 
les  questions  en  litige,  et  exposeraient  le  tout  en  présence  d'une 
assemblée  générale  de  la  nation  allemande  devant  se  réunir  à  Spire 
le  11  novembre.  Tous  les  Ordres  y  comparaîtraient  en  personne,  ou 
se  feraient  représenter  par  des  «  chargés  de  pouvoir  compétents  et 
éclairés  »;  alors  on  pourrait  agir  et  conclure  d'une  façon  vraiment 
utile.  Entre  temps,  le  saint  Évangile  et  la  parole  de  Dieu  seraient 
prêches  d'après  '  le  sens  littéral  et  véritable»,  et  selon  l'interprétation 
des  docteurs  approuvés  par  l'Eglise  universelle.  On  ne  souffrirait  pas 
qu'à  l'avenir  il  servit  de  prétexte  à  des  émeutes  ou  à  des  scandales*. 

•  Erklärung  der  Slüdleboten  vom  (jeudi  après  Misericordias  Domini.  14  April,  Frank- 
furter Reichslagsaclen,  t.  XXXIX,  p.  375-376. 

-  '  Rapport  de  Clément  Endres  le  13  mai  1524,  Tricrisclun  Sachen  und  Drießcha/l en, 
fol.  79. 

'  Voy.  l'instruction  papale  adressée  aux  nonces  résidant  à  la  cour  impériale, 
fin  d'avril  1524,  et  le  bref  adressé  à  l'archiduc  Ferdinand  daté^  u  ii  mai,  bal.w, 
p.  339-348. 

*  Voy.  plus  haut,  p.  289-290. 

^  \'eue  Sammlung  der  Reichsabschiede,  t.  II,  p.  258. 


352     COLÈRE   DE  LUTHER  EN  APPRENANT  LES   CONCLUSIONS   DE  LA  DIÈTE. 

Ce  procès-verbal,  qu'on  prit  soin  de  répandre  dans  tout  l'Empire 
comme  s'il  eût  été  édicté  au  nom  de  l'Empereur,  n'était  évidemment 
pas  fait  pour  remédier  aux  maux  et  périls  de  la  situation. 

Luther  entra  à  son  sujet  dans  une  violente  colère.  Il  le  fit  réim- 
primer avec  l'édit  de  Worms,  accompagnant  ces  deux  pièces  d'une 
introduction  et  d'un  épilogue  où  il  attaquait  l'Empereur  et  les  princes 
dans  un  langage  encore  plus  passionné  et  plus  amer  que  celui  dont 
il  avait  coutume  de  se  servir.  «  Nous  avons  honte  de  l'avouer  ", 
s'écrie-t-il,  «  l'Empereur  et  les  princes  mentent  effrontément,  et 
nous  sommes  encore  plus  honteux  de  devoir  dire  qu'ils  se  contre- 
disent eux-mêmes,  et  donnent  des  ordres  qui  sont  opposés  les  uns 
aux  autres,  comme  tu  vas  le  voir,  car  ils  disent  qu'on  doit  agir 
envers  moi  en  se  réglant  d'après  l'édit  de  Worms,  et  qu'on  est  tenu 
d'exécuter  rigoureusement  cet  édit;  puis,  aussitôt  après,  survient  un 
commandement  contraire,  portant  qu'à  la  prochaine  Diète,  à  Spire, 
on  commencera  par  examiner  et  discuter  ce  qu'il  y  a  de  bon  ou  de 
mauvais  dans  ma  doctrine.  Je  suis  donc  en  même  temps  condamné, 
et  renvoyé  à  un  nouveau  jugement,  et  les  Allemands  me  traitent  et 
me  poursuivent  comme  un  homme  jugé,  tout  en  attendant  la  sen- 
tence qui  leur  doit  apprendre  en  quoi  je  suis  condamnable!  Une 
telle  décision  n'est-elle  pas  l'œuvre  de  princes  ivres  ou  fous?  Ainsi 
donc  nous  devons  rester  Allemands,  et  en  même  temps  martyrs  et 
ânes  du  Pape!  tel  est  notre  devoir;  même,  comme  dit  Salomon,  si 
on  nous  pile  comme  du  gruau  dans  un  mortier,  nous  ne  devons 
point  tenter  de  nous  débarrasser  de  l'ineptie  romaine!  »  «  Dieu, 
comme  je  le  vois,  ne  m'a  pas  accordé  la  grâce  d'avoir  affaire  à 
des  êtres  doués  de  raison;  les  stupides  bestiaux  allemands  de- 
vaient me  tuer,  m'assassiner;  tel  élait  le  sort  que  je  méritais;  il 
était  écrit  que  je  serai  déchiré  par  ces  loups  et  ces  porcs!  »  «  Prin- 
ces, vous  vous  exposez  à  de  grands  malheurs!  Vous  attirez  sur  vous 
la  colère  divine!  Vous  n'échapperez  pas  à  Dieu,  si  vous  continuez  à 
agir  ainsi!  Que  voulez-vous,  chers  seigneurs?  Dieu,  étant  trop  sage 
pour  vous,  s'est  hâté  de  vous  rendre  fous.  C'est  un  Dieu  très-puis- 
sant, et  il  aura  bientôt  fait  de  vous  confondre  !  Redoutez  donc  un 
peu  sa  sagesse,  de  crainte  que  dans  son  déplaisir,  il  n'ait  de  telle 
sorte  disposé  les  pensées  de  votre  cœur  que  vous  ne  puissiez  plus 
à  l'avenir  qu  accroilre  et  accumuler  vos  fautes.  Il  a  coutume  d'en 
agir  ainsi  avec  les  grands,  comme  il  le  fait  chanter  et  répéter  par 
tout  l'univers.  »  (Ps.  xxxiii,  10.)  "  Dieu  a  mis  à  néant  les  projets 
des  princes  ".  dit  le  psaume,  et  le  même  verset  porte  encore  :  «  11 
a  précipité  les  puissants  du  trône.  »  (Luc,  i,  52.)  Ceci  vous  re- 
garde, chers  seigneurs,  c'est  à  votre  tour,  maintenant;  tâchez  de 


I/AÜCIIIDLC  FKRniNANf)  SUR  L'ÉTAT  RELIGIEUX   DE  L'ALLEMAGNE.   1524.  353 

comprendre.  "  Luther  conseille  au  peuple  de  refuser  tout  secours 
pour  la  fjuerre  contre  les  Turcs  :  -  .le  prie  tous  les  cliers  chrétiens 
qui  pourraient  s'imaginer  être  agréables   à    Dieu  en  servant  des 
princes  si  méprisables  et  si  aveuglés  (que  Dieu,  sans  aucun  doute, 
nous  a  envoyés  pour  nous  chAlier)  de  ne  pas  se  laisser  entraîner  â 
donner  quoi  que  ce  soit  pour  la  campagne  turque,  car  les  Turcs 
sont  dix  fois  pins  iulelligents,  plus  sages  et  plus  religieux  que  nos 
princes.   »  Il  prétend  voir  un  blasphème,  un  outrage  â  la  divine 
majesté  dans  la  coutume  qu'avait  l'Empereur,  en  sa  qualité  de  tuteur 
temporel  de  l'Eglise,  et  selon  un  usage  séculaire,  de  s'intituler  le 
«  suprême  défenseur  de  la  foi  chrétienne  » .  Il  était  «  honteux,  incon- 
venant  ■  à  Charles-Quint  de  se  parer  d'un  pareil  fifre,  lui  qui  n'était 
-'  qu'un  sac  â  ver«,  qu'un  misérable  mortel,  incertain  d'avoir  encore 
quelques  instants  à  vivre  ».  <«  Que  Dieu  nous  vienne  en  aide,  le  monde 
est  réellement  insensé!  Le  roi  d'Angleterre,  lui  aussi,  se  donne  pour 
le  protecteur  de  la  foi  et  de  l'Église  du  Christ;  les  Hongrois  se 
vantent  d'être  les  soutiens  de  Dieu  et  chantent  dans  leur  litanie  : 
.'  Daigne  nous  exaucer,  nous,  tes  défenseurs!  >•  Je  me  plains  de  ces 
choses  du  fond  de  mon  âme  à  tous  les  pieux  chrétiens,  afin  qu'avec 
moi  ils  prennent  en  pitié  de  tels  fous,  de  tels  insensés,  de  tels  imbé- 
ciles, qui  délirent  et  extravaguent  à  plaisir.  On  aimerait  mieux  mourir 
dix  fois  que  d'écouter  leurs  blasphèmes!  iMais  ceci  n'arrive  que  pour 
les  punir;  ils  ont  persécuté  la  parole  de  Dieu  (c'est-à-dire  le  nouvel 
Évangile  de  Luther),  et  Dieu  les  livre  à  un  aveuglement  manifeste. 
Que  Dieu  nous  en  débarrasse  et  nous  donne,  par  sa  grâce,  de  meil- 
leurs gouvernants!  Amen  '.  -j 

«  Celui  qui  use  d'un  pareil  langage  et  représente  l'Empereur  et 
les  princes  comme  des  aveugles,  des  entêtés,  des  fous  qui  délirent 
et  extravaguent  ",  disait  un  contemporain  fermement  attaché  à 
l'antique  foi,  peut-il  nier  qu'il  n'excite  le  peuple  à  la  rébellion,  et 
ne  le  soulève  contre  toute  autorité  laïque  ou  ecclésiastique-?  " 


III 


Comme  il  fallait  s'y  attendre,  le  Pape  et  le  légat  s'empres- 
sèrent d'interdire  l'assemblée  de  Spire,  oii  les  laïques  prétendaient 
décider  en  dernier  ressort  sur  les  questions  de  foi  dans  une  com- 


•  Ztcei  kaiserliche  uneinige  und  iciederw artige  Gebote,  Lulhern  betreffend,  mit  Luther' s 
Vor-und  Xachrede,  nebst  Randbemerhungcn,  Sämmll.  Werke,  t.  X\IV,p.  211-213,  236-237. 
^  Glos  und  Comment.,  Dl-  ]\I'. 

II.  23 


354  f/ARClIIDUC  FERDINAND  SUR  L'ETAT  RELIGIEUX  DE   L'ALLEMAGNE.  1524. 

plète  indépendance  du  Saint-Siège.  Avec  eux,  Tarchiduc  Ferdinand 
ne  pouvait  assez  s'émerveiller  de  la  présomption  des  Etats,  «  osant 
s'ériger  en  censeurs  et  en  juges  de  l'Église  universelle  et  des 
conciles  ». 

La  situation  religieuse  avait  bien  empiré  depuis  le  départ  de 
i  Empereur,  écrivait  Ferdinand  à  son  frère,  et  déjà  la  société  était 
profondément  ébranlée  par  l'anarchie  religieuse.  Les  sectaires,  tout 
en  ayant  sans  cesse  à  la  bouche  un  Evangile  de  paix,  n'étaient 
occupés  qu'à  semer  de  tous  côtés  la  discorde.  Par  des  pamphlets, 
toujours  écrits  en  langue  vulgaire,  non-seulement  on  excitait  le 
jjeuple  à  la  haine  contre  le  Pape  et  les  évoques,  qu'on  dépeignait 
comme  des  serviteurs  de  Satan,  mais  encore  on  s'efforçait  d'anéan- 
tir dans  les  consciences  tout  respect  pour  les  sacrements  et  pour 
l'enseignement  de  l'Église;  dans  maint  ouvrage,  on  allait  jusqu'à 
nier  la  divinité  du  Christ.  Sous  prétexte  d'Évangile,  des  vols  étaient 
publiquement  commis;  les  révoltes,  les  rixes  entre  citoyens  deve- 
naient de  plus  en  plus  fréquentes  ;  ces  faits,  dont  Ferdinand  était 
tous  les  jours  témoin,  le  remplissaient  d'angoisse  pour  les  destinées 
de  la  société  civile,  toujours  si  étroitement  associées  à  celles  de 
rÉglise;  la  religion  menaçait  d'entraîner  l'Empire  dans  sa  chute,  et 
Ferdinand  conjurait  l'Empereur,  comme  il  en  avait  déjà  supplié 
le  Pape,  de  laisser  tomber  toutes  les  querelles  privées,  et  de  se 
hâter  de  venir  eu  aide  à  l'universelle  détresse  des  chrétiens,  en 
s'occupant  activement  de  la  réforme  si  nécessaire  du  clergé.  L'Empe- 
reur devait  songer  avant  tout  à  ce  qu'il  devait  à  Dieu,  de  qui  il  tenait 
la  couronne  impériale  et  tant  de  beaux  ruyaumes;  à  ce  qu'il  devait 
à  l'Église,  dont  il  était  le  tuteur  suprême;  enfin  aux  intérêts  de  la 
nation  allemande,  où  le  cancer  dévorant  de  l'hérésie  avait  paru  en 
premier  lieu.  Ouant  à  ce  qui  concernait  cette  assemblée  générale 
des  États  décidée  à  Nuremberg  et  convoquée  à  Spire',  Charles  avait 
le  strict  devoir  de  s'y  opposer  énergiquement,  puisqu'elle  préten- 
dait se  prononcer  non-seulement  sur  les  intérêts  politiques,  mais  sur 
la  question  luthérienne,  et  par  conséquent  s'immiscer  dans  les  choses 
de  la  foi;  or  il  était  souverainement  inconvenant  aux  Ordres  tempo- 
rels de  vouloir  réformer  les  Pères  de  l'Église  et  les  conciles;  la  vérité 
évangélique  n'était  pas  l'exclusive  propriété  de  la  nation  allemande, 
elle  était  le  bien  commun  du  monde  entier;  par  conséquent  elle 
devait  être  défendue  dans  un  concile  général,  et  non  devant  les 
États  de  l'Empire   d'Allemagne.   L'Empereur  devait   garantir  aux 


'  »...etiarasi  nos  manibus  et  pedibus  Iiunc  conventum  libeiiter  impedivisse- 
inus  parum  utilem  et  fortassis  majoris  perturbationis  fore  causam  praevidentes, 
taineii  non  poliiimus  ullis  ralionibus  id  assequi.  . 


UNIO.N    DK    r.ATISBONNE.    1524.  355 

Ktats  la  prompte  convocation  de  ce  concile,  et  s'employer  à  cet 
effet  aupr«s  du  Saint-Père  '. 

L'opinion  de  P'erdinand  sur  l'assemblée  de  Spire  correspondait 
de  tout  point  aux  propres  sentiments  de  l'Empereur;  aussi  fit-il 
immédialcment  publier  un  édit  qui  l'interdisait  formellement  (juil- 
let l.')2i).  I/Empereur  exprimait  en  même  temps  tout  son  mécon- 
tentement de  ce  que  les  Ordres,  en  leur  propre  nom,  eussent  conféré 
avec  le  léfjat  touchant  la  onvocation  du  futur  concile,  comme  si 
cette  question  n'intéressait  pas  en  premier  lieu  le  Pape  et  l'Empereur 
romain.  Il  allait  s'efforcer  d'obtenir  du  Saint-Père  la  prompte  réu- 
nion du  concile,  auquel  lui-même  avait  l'intention  de  prendre  part. 
En  attendant,  les  Ordres  devaient,  s'ils  ne  voulaient  se  rendre  cou- 
pables du  crime  de  lèse-majesté  et  encourir  par  conséquent  la  peine 
du  ban,  observer  exactement  l'édit  de  Worms,  et  fuir  toute  nou- 
veauté religieuse  -. 


IV 


Avant  la  publication  de  ce  second  édit,  et  grâce  aux  instances  et 
aux  démarches  actives  du  légat  Campeggio,  une  entente  avait  eu  lieu 
à  Ratisbonne  entre  l'archiduc  Ferdinand,  les  ducs  Guillaume  et  Louis 
de  Bavière,  et  douze  évoques  de  TAllemagnedu  Sud  '.  Ces  princes  et 

'  ChMEL,  Firdinand's  Instruction  fur  Cari  von  Burgund  an  den  Kaiser ,  p.  140-142. 

-  Rescrit  du  15  juillet  1524  au  Conseil  d'tssliafjen,  Frankfurter  Reichstugsacten, 
t.  XL,  fol.  44-47.  Voy.  la  reproduction  quelque  peu  inexacte  de  ce  rescrit 
dans  Walsch,  t.  XV.  2705-2709.  Voy.  Raijna'd  ad  annum  1524,  n"'  12-22.  Les 
conseillers  de  Xurenilier(j,  Jérôme  Ebner  et  Gaspard  Xiitzel,  envoyèrent  le 
20  septembre  une  copie  de  ce  rescrit  à  l'électeur  de  Saxe  Frédéric.  Celui-ci  leur 
répondit  (.3  ortobrej  qu'un  délégué  du  Conseil  de  régence  lui  avait  envoyé 
d'Eslinjen,  il  y  avait  de  cela  quatre  jours,  un  rescrit  tout  semblable.  «  mais 
que  le  passa;^e  ayant  trait  au  crime  de  lèse-majesté  et  au  châtiment  du  ban 
avec  privation  et  suppression  de  tous  privilèges  et  libertés,  etc.,  y  avait  été 
omis  ".  Walsch,  t.  XV,  p.  2709-2711.  Le  Conseil  de  régence  s'était  donc  permis 
d'altérer  à  su  guise  un  rescrit  impérial.  Plus  tard,  Frédéric  s'excusa  auprès  de 
l'Empereur  de  n'avoir  pas  tenu  compte  de  ses  ordres,  en  lui  assurant  qu'il 
n'avait  pris  aucune  part  aux  décisions  de  la  Diète  de  Nuremberg  concernant 
la  religion,  et  s'était  borné  àprotesterpar  l'organe  de  ses  délégués.  Voy.  H.iBER- 
Li\,  t.  X,  p.  623. 

^  Du  côté  des  catholiques,  on  célébra  comme  un  triomphe  l'accord  que  le 
légat  Campeggio  était  arrivé  à  conclure  entre  ces  princes,  malgré  la  rivalité  et 
les  nombreuses  querelles  qui  divisaient  alors  les  maisons  de  Wittelsbach  et 
d'Autriche.  La  cour  de  Bavière  avait  déjà  proposé  une  ligue  semblable,  dès 
les  premiers  mois  de  1523  (Jörg,  p.  320j.  L'affirmation  si  souvent  répétée  que  le 
zèle  des  ducs  de  Bavière  pour  le  maintien  de  l'ancienne  foi  n'avait  eu  pour  mobile 
que  les  Jjrillantes  promesses  du  Pape,  est  erronée.  Jusqu'au  5  mirs  1522 
l'édit  de  Worms  n'aviit  pas  été  exécuté  en  Bavière;  miis  ce  jour-là  les  ducs 

23. 


356  UNION    DE    R  ATI  S  BONNE.    1524. 

prélats  avaient  juré  de  faire  exécuter  Tédit  de  Worms  dans  leurs  États, 
autant  que  cela  serait  en  leur  pouvoir  et  selon  rengagement  qu'ils 
en  avaient  pris  à  la  Diète  de  Nuremberg.  Ils  avaient  aussi  promis  de 

firent  publier  un  édit  sévère  contre  les  luthériens.  Pour  motiver  leurs  rigueurs, 
ils  s'efforçaient  de  démontrer  à  leurs  sujets  que  de  l'Évangile  de  Luther 
on  ne  pouvait  attendre  que  le  bouleversement  de  toutes  les  lois  divines  et 
humaines,  et  qu'il  pouvait  causer  une  irréparable  et  grave  confusion  dans  les 
choses  de  la  foi.  La  correspondance  des  ducs  avec  le  docteur  Jean  Eck,  leur 
ambassadeur  accrédité  à  Rome,  prouve  sans  réplique  que  les  offres  du  Souve- 
rain PoiiJife  n'eurent  lieu  qu'après  que  le  Pape  leur  eut  témoigné  la  satisfaction 
que  leur  conduite  lui  causait,  et  avoir  reçu  d'eux  plusieurs  de  leurs  sup- 
pliques. (Voy.  la  dépêche  du  duc  Louis  à  son  frère  le  duc  Guillaume,  6  novembre 
1522,  dans  .louG,  p.  323.)  Le  docteur  Eik  obtint  l'année  suivante  les  brefs  du 
Pape  qu'avait  sollicités  la  Bavière  (des  1"  et  12  juin  1523).  Entre  autres  avan- 
tages, le  Pape  abandonnait  aux  ducs  la  cinquième  partie  des  revenus  ecclésias- 
tiques, à  condition  que  cet  argent  serait  affecté  à  la  guerre  contre  les  infidèles  . 
"  contra  perfidos  orthodoxae  fidei  hostes  »,  ce  sont  les  propres  termes  du  bref. 
"  Les  dépêches  du  docteur  Eck,  dit  ilegel  p.  375),  démontrent  avec  évidence  que 
ces  paroles  désignent  les  Turcs,  et  non  les  luthériens.  ■>  liegel  ajoute  dans  un 
louable  esprit  d'impartialité  ;  "  Ce  ne  sont  donc  pas  des  avantages  demandés  et 
obtenus  postérieurement  qui  ont  pu  décider  les  princes  bavarois  aux  rigou- 
reuses mesures  qu'ils  crurent  devoir  adopter  pour  combattre  la  doctrine  luthé- 
rienne et  ses  partisans;  il  faut  nous  eu  tenir  iimplement  aux  motifs  exposés 
dans  leur  ordonnance  :  les  ducs  déclarent  que  de  la  doctrine  luthérienne  ne 
peuvent  sortir  que  le  bouleversement  de  l'ordre  établi  et  l'anarchie  religieuse.  < 
Eck,  dans  le  voya  e  qu'il  fit  à  Piome  au  printemps  de  1523,  avait  reçu  les  graves 
plaintes  des  ducs  sur  l'apathie  des  évêques  ba\arois  qui  ne  prenaient  aucune 
mesure  pour  empê;her  la  nouvelle  doctrine  de  pénétrer  dans  le  pays.  Lorsqu'on 
leur  amenait  des  prêtres  accusés  de  l'avoir  prêchée  puijiiqutment  afin  qu'ils 
sévissent  contre  eux,  les  é>éques  se  montraient  totalement  indifférents,  et 
l'étaient  également  lorsqu'il  s'agissait  de  réprimer  l'inconduite  et  les  scandales 
de  leur  clergé.  Le  pape  Adrien  autorisa  une  commission  composée  de  six 
abbés  bavarois  et  de  trois  doyens  à  dégrader  les  prêtres  convaincus  d'hérésie, 
et  à  les  livrer  au  bras  séculier,  si  les  évêques  n'avaient  déjà  fait  leur  devoir 
dans  un  délai  fixé  (12  juin  1523).  En  même  temps,  Adrien  faisait  de  libérales 
donations  à  l'Université  d'Ingoistadt,  et  surtout  à  la  faculté  de  théologie, 
afin  de  la  mettre  en  état  de  rétribuer  des  hommes  éclairés  et  savants,  exercés 
à  la  controverse.  Il  donnait  aussi  aux  dtics  le  droit  de  proposer  pour  un  cano- 
nicat,  ù  chacun  des  chapitres  des  principales  églises  de  Bavière,  un  des  pro- 
fesseurs de  théologie  dingolstadt.  L'instruction  lemise  par  le  duc  Guillaume 
au  docteur  Eck  portait  que  l'erreur  luthérienne,  qui  allait  toujours  gran- 
diss  ;nt,  ne  pourrait  être  extirpée  saus  grand  labeur  et  fatigue,  et  avant  tout 
par  la  grâce  du  Tout-Puissant,  et  que  les  théologiens,  docteurs  dans  les 
sciences  sacrées,  devaient  travailler  à  la  détruire.  >•  Mais  dans  notre  Uni- 
versité d'Ingoistadt,  disait  le  duc,  nous  n'avons  plus  à  présent  que  deux 
théologiens.  On  y  enseigne  surtout  le  grec,  l'hébreu  et  la  poésie.  A  cause 
du  mouvement  luthérien  qui  trouble  les  esprits,  les  étudiants  ecclésiastiques 
et  laïques  sont  bien  plus  attirés  vers  la  poé^ie  que  vers  l'étude  de  la  sainte 
Écriture.  Aussi  la  fausse  doctri:;e  gague-t-elle  tous  les  jours  du  terrain.  « 
Le  duc  deujandait  que  quatre  théologiens  fussent  adjoints  aux  deux  profes- 
seurs déjà  en  fonction  pour  l'enseignement  public  de  la  philosophie  et  de  la 
sainte  Écriture.  (Joug,  p.  323-325.)  Le  gouverneur,  les  autorités  et  conseillers 
du  duché  de  Wurtemi)erg  s'expriment  à  peu  près  dans  les  mêmes  termes 
dans  un  rescrit  adressé  à  l'archiduc  Ferdinand  {2  juin  1524).  Ils  se  plaignent 
surtout  de  l'extrême  indulgence  des  évêques  pour  les  prêtres  convaincus 
d'hérésie.  Ce  rescrit  demandait  encore  que  tous  les  prêtres  hérétiques  fussent 
privés  de  leurs  bénéfices,  et  proscrits,  et  que  leurs  emplois  et  prébendes  fussent 


UNION    DE    RAT  IS  BOX  NE.    J524.  357 

s'opposer  dans  rinférieur  de  leurs  domaines  à  toute  innovation  reli- 
p;icusc.  Nul  chanf^emenf  ne  serait  toléré  dans  le  culte;  les  religieuses 
et  les  moines  sortis  de  leurs  couvents,  les  prêtres  a|)os(ats  mariés 
seraient  punis  selon  toute  la  rigueur  des  lois  ecclésiastiques,  les  pré- 
ceptes du  jeune  strictement  maintenus,  les  écrits  des  sectaires  et  tous 
les  livres  blessant  le  respect  dû  à  la  sainte  i'oi  catholique,  inter- 
dits. Les  étudiants  de  Wittemberg,  placés  sous  la  juridiction  des 
princes  souverains,  seraient  obligés  de  retourner  dans  leurs  pays 
respectifs,  sous  peine  de  perdre  leurs  bénéfices  ou  leurs  biens. 
Quiconque,  dans  les  États  de  l'un  des  princes,  aurait  élé  proscrit 
pour  cause  d'hérésie,  ne  pourrait  trouver  asile  dans  aucun  autre 
territoire.  Par  cette  convention,  en  tout  conforme  à  leurs  devoirs 
envers  l'Kglise  et  l'Empire,  les  princes  ecclésiastiques  et  temporels 
s'engageaient  à  maintenir  dans  toute  son  intégrité  l'unité  de  la  foi 
dans  la  nation  allemande,  et  à  assurer  la  paix  dans  leurs  propres 
États.  ><  Et  si  l'un  ou  plusieurs  d'entre  nous  >,  déclaraient-ils,  «  à 
cause  d'un  dessein  si  chrétien,  éprouvait  quelque  contradiction  ou 
quelque  désobéissance  et  révolte  de  la  part  de  ses  sujets,  nous  nous 
engageons  à  lui  apporter  aide  et  conseil.  -  Toutefois  les  princes  se 
réservaient  le  droit  de  contracter  d'autres  alliances  en  dehors  de 
leur  association  particulière. 

Mais  en  s'unissant  de  la  sorte,  ils  ne  se  proposaient  pas  seulement 
de  protéger  la  foi  dans  leurs  territoires,  ils  avaient  surtout  l'inten- 
tion de  travailler  à  la  «  véritable  réforme  de  l'Église  ».  Déjà, 
lors  de  la  Diète  de  Nuremberg,  un  légat  du  Pape  avait  rédigé  un 
projet  touchant  l'abolition  des  plus  graves  abus  et  la  restauration  de 
l'antique  discipline  ecclésiastique;  ce  projet  avait  été  discuté  pendant 
seize  jours  consécutifs,  et  avait  enfin  été  adopté  comme  devant 
à  l'avenir  avoir  force  de  loi  pour  le  clergé.  Voici  quels  en  étaient 
les  points  essentiels  :  "  Aucun  prêtre  ne  serait  consacré  avant 
d'avoir  subi  un  examen  sévère,  ni  avant  que  son  instruction  et  sa 
vie  privée  aient  témoigné  suffisamment  de  ses  titres  à  la  prêtrise. 
Les  clercs  seraient  tenus  de  mener  une  vie  conforme  à  leur  état, 
de  se  vêtir  d'une  façon  «  honorable  »,  d'éviter  les  auberges,  les 
théâtres,  les  banquets,  de  renoncer  à  tout  commerce,  de  ne  jamais 
refuser  pour  un  motif  d'intérêt  les  sacrements  ou  la  sépulture  chré- 

donnés  «  à  de  bons  chrétiens,  craignant  Dieu  •.  Archives  de  Lucerne,  Convolut  : 
IVûnembcrg,  Kirchcnsachcn.  Sur  l'indifférence  des  évêques  pour  les  questions 
intéressant  la  foi,  voy.  plus  haut,  p.  218.  «  L'épiscopat  allemand,  surtout  les 
évêques  issus  de  familles  nobles,  princières,  ou  élus  par  l'arbitraire  des 
grands,  joua  un  rôle  si  pitoyable  dans  la  grande  révolution  du  peuple  alle- 
mand, qu'on  se  demande  continuellement  en  lisant  l'histoire  de  ces  temps 
troublés  :  Mais  où  donc  étaieut,  en  ce  temps-là,  les  évêques  d'Allemagne  ?  • 
HÖFLER,  âdrien  Vi,  p.  302. 


358         SCANDALES  ET  ABUS  DANS  LE  CLERGE. 

tienne,  de  ne  point  exiger  de  rétribution  pour  la  confession.  Nul 
bénéfice,  nulle  charge  ecclésiastique  ne  pourrait  plus  être  achetée 
sans  l'auiorisation  de  Tévéque  compétent,  nulle  indulgence  publiée 
sans  son  assentiment.  Le  nombre  des  jours  fériés  serait  réduit;  la 
peine  du  ban  et  de  l'interdit  plus  rarement  prononcée;  la  loi  du 
jeûne  ne  serait  plus  imposée  que  comme  devoir  d'obéissance 
envers  T Église,  et  sa  transgression  n'entraînerait  plus  de  rigoureux 
châtiments.  Les  évêques  seraient  obligés  à  la  visite  annuelle  de  leurs 
diocèses,  et  il  leur  serait  enjoint  de  réunir  tous  les  trois  ans  des 
conciles  provinciaux;  ils  s'entendraient  à  l'avenir  avec  les  princes 
temporels,  les  seigneurs  et  les  autorités  pour  la  mise  eu  pratique  des 
divers  points  de  réforme.  L'autorité  temporelle  ferait  comparaître 
devant  les  tribunaux  ecclésiastiques,  pour  y  être  entendu,  tout  chrétien 
accusé  d'hérésie,  mais  aucune  sévère  répression  ne  serait  exercée  '.  " 

Ces  décisions  ne  contenaient  rien  de  nouveau.  Dans  leur  ensemble, 
elles  étaient  entièrement  conformes  aux  anciennes  ordonnances  des 
conciles  et  des  synodes.  Campeggio,  à  la  diète  de  Nuremberg,  avait 
déjà  fait  remarquer  "  qu'il  n'était  point  nécessaire  de  promulguer 
de  nouvelles  lois  pour  la  réforme  du  clergé,  et  qu'il  ne  s'agissait 
f|tie  de  faire  observer  les  anciennes  -. 

Mais,  à  vrai  dire,  l'exacte  observance  de  la  discipline  était  chose 
bien  rare. 


"  Bien  avant  que  les  sectes  nouvelles  levassent  la  tête  =>,  rapporte 
Charles  de  Bodmann,  écrivain  toujours  si  digne  de  foi  (27  juil- 
let 1524),  c<  des  ac!es  très-répréhensibles  se  produisaient  dans  le 
clergé  régulier  et  séculier.  Les  scandales,  les  crimes,  n'y  étaient  que 
trop  fréquents;  rien  n'a  plus  contribué  à  propager  l'hérésie  que  les 
fautes  des  clercs \  Mais  depuis  la  prédication  de  ce  que  Luther 
appelle  rÉvanp,ile,  les  dérèglements  ecclésiastiques,  et  particulière- 
ment le  concubinage,   ont  augmenté  d'une  façon  déplorable  ^  Le 

'  ConsCiltiiio  ad  removendos  abusus  et  ordinatio  ad  ritam  cleri  reformandam.  Ratisbona", 
édita  anno  1524,  dans  Le  Plat,  t.  H,  p.  226.  -  Ein  kurzer  Ausszug  einer  Be/ormalion 
wie  es  hinfürler  die  Priester  halten  sollen  zu  Regeiispurgk  nechsier  l'ersammlimg  betracht, 
berathschlagt  und  bechlossen  im  Jar  1524.  »  Exemplaire  unique.  Voy.  Riffel,  t.  IL 
p.  341,  344.  IliTTRiCH,  Hist.  Jahrbuch  der  Görresgesellschaß,  t.  V,  p.  380. 

^  Voy.  Chmel.  Ferdinand's  Instruction,  p.  111  ;  voy.  aussi  la  Considtatio  de  articula 
re/ormatoriis,  rédigé  plus  tard  par  l'ordre  de  Ferdinand,  dans  Gaep.tner,  Cor2). 
juris  eccles.  cathol.,  t.  11,  p.  275. 

^  Dans  un  mémoire  rerais  par  les  Dominicains  aux  ducs  de  Bavière  et  intitulé  : 


SCANDALES    KT    A  P.  Il  S    DANS    I.K    TLERGÉ.  359 

nouveau  clerj^é  esl  bien  loin  de  ressembler  à  Timcien,  sous  le  rap- 
port (les  md'urs,  comme  sous  celui  de  l'iuslruction.  On  ne  penl 
s'expliquer  l'insouciante  négligence  de  tant  d'cvéques  qui,  en  dépit 
des  faits  <jirils  ont  tous  les  "jours  sous  les  yeux,  continuent  à  mener 
une  vie  fastueuse,  restent  plongés  dans  la  mollesse  et  le  bien-être, 
et  s'attirent  fréquemment  le  reproche  d'être  moins  préoccupés  du 
soin  de  paître  leurs  troupeaux  (jue  de  celui  de  les  écorcher.  Ils  sont 
probablement  d'autant  plus  désireux  dcjouir  de  leurs  richesses  qu'ils 
se  sentent  plus  menacés  de  les  perdre  '.  > 

Sous  le  rapport  du  bien  vivre,  le  luxe  avait  encore  augmenté  dans 
plus  d'un  palais  épiscopal  depuis  les  paroles  prononcées  en  plein 
synode  par  Christophe  de  Stadion,  évéque  d'Augsbourg  :  «  A  la 
table  de  ceux  qui  accaparent  maintenant  les  dignités  épiscopales  et 
les  hautes  charges  de  l'Kglise  »,  avait  dit  ce  prélat,  «  on  voit  circuler 
les  mets  les  plus  délicats,  les  plus  raffinés;  les  vins  qu'ils  font  venir 
à  grands  frais  des  pays  éloignés  coulent  à  flots  dans  les  festins;  ou 
les  diversifie  savamment,  pour  mieux  flatter  le  palais  blasé.  Des 
serviteurs  nombreux  se  tiennent  derrière  le  siège  des  hauts  digni- 
taires de  l'Église,  tous  grands  amateurs  de  bonne  chère;  quelques- 
uns  portent  les  plats,  d'autres  dégustent  les  vins,  d'autres  encore 
font  brûler  des  parfums  ou  agitent  les  éventails.  Je  ne  puis  m'em- 
pécher  de  verser  des  larmes  à  la  pensée  de  pareils  abus.  Les  prélats 
ne  vivent  que  pour  flatter  leurs  corps;  ils  fuient  la  solitude,  la  dévo- 
tion, l'humilité;  ils  se  plaisent  parmi  les  entretiens  des  femmes,  se 
mêlent  de  commerce,  recherchent  les  procès  et  les  profits  ^.  »  On  lit 
au  sujet  d'une  fête  de  tir  à  l'arquebuse  donnée  à  Heidelberg  par 
quelques  princes  ecclésiastiques  et  laïques  :  "  Le  luxe  le  plus  extra- 
vagant y  fut  déployé  par  quelques  évéques,  au  grand  scandale 
du  peuple.  Les  prélats  dansèrent,  et  se  livrèrent  en  public  à  une 
joie  indécente.  Presque  tous  étaient  des  seigneurs  de  haute  nais- 
sance, que  l'affliction  du  peuple  au  sujet  des  hérésies  touchait  fort 
peu,  et  qui  ne  songeaient  guère  au  péril  de  l'Église;  et  cependant, 
certes,  ce  péril  était  grand  M  » 

Consiliiim  quomodo  Twcis  sil  resisiinJum,  on  voit  que  le  COncubiiiaffC  étail  alors 
considéré  comme  le  vice  principal  du  cler^jé.  •  Pro  ampliando  fiscum  Christi. 
Tertio  :  quod  omnes  roncii'.jinarii  publici  multentur  et  expellantur,  rpù  sunt 
Turci  iiitesiiiii  et  demereiilur  quod  Meus  permiltit  talem  pia^jam  saper  christiani- 
tatem.  «  3Ione,  Anzeiijcr  für  hiinde  der  deutsehen  Vorzeit,  1839,  p.  295. 

•  Voy.  plus  haut,  p.  (il,  64,  218-2(9. 

^  Au  synode  de  1517.  Steimr,  Acta  selecta  eccl.  Augustanœ  {Au{;.  Vind.  1785), 
p.  68. 

*  Curieuse  Nachrichten,  p.  71.  Sur  cette  fête  du  tir  à  l'arbalète,  voy.  Haberlin, 
t.  X,  p.  G20-621.  Entre  les  princes  du  Palatinat,  de  la  Bavière,  etr  ,  et  les 
évéques  de  Freisinjy,  Ratisbonue,  Strasbourg,  etc.,  il  fut  convenu  que  tous  les 
ans  un  des  membres  de  l'association  donnerait  la  fête  à  l'époque  qui  lui  convien- 


360    RESPONSABILITÉ  DES  PRINCES  DANS  LA  DÉMORALISATION  DU  CLERGÉ. 

C'est  à  ce  ,ojrave  moment  qu'on  put  se  rendre  compte  des  funestes 
conséquences  qu'avait  eues  pour  l'Église  l'usage  de  confier  les  plus 
hautes  dignités  ecclésiastiques  aux  fils  cadels  des  maisons  princières 
et  des  grandes  familles  de  la  noblesse,  et  d'abandonner  aux  princes 
la  nomination  à  la  plupart  des  sièges  épiscopaux  et  archiépiscopaux  >. 

Vis-à-vis  de  l'Église,  les  princes  suivaient  cette  même  politique 
d'égoisme,  d'ambition  cupide,  rapace,  qui  en  avait  fait  les  pires 
ennemis  de  l'Empire.  Cette  déplorable  politique  fut  pour  l'Église  la 
source  des  plus  amères  épreuves;  elle  engendra  des  maux  et  des 
abus  sans  nombre  dans  le  domaine  religieux. 

u  Et  cependant  les  princes  cherchent  sans  cesse  querelle  à  l'Église  », 
poursuit  Charles  de  Bodmaun;  «  ils  accablent  le  clergé  de  reproches, 
oubliant  c|u'eux-mêmes,  et  par  tous  les  moyens  possibles,  ont  établi 
dans  les  emplois  les  plus  élevés  la  plus  grande,  quoique  assurément 
la  plus  mauvaise  partie  des  prélats  et  des  hauts  dignitaires.  Ils  n'ont 
pas  honte  d'outrager  l'Église,  après  lui  avoir  eux-mêmes  donné  le 
baiser  de  Judas.  » 

Ils  ne  voyaient  dans  le  funeste  usage  des  commendes  «  que 
l'exercice  très-légitime  du  pouvoir  souverain  ».  Les  docteurs  en 
droit  romain  l'avaient  prôné  les  premiers.  Non-seulement  on  accor- 
dait à  d'anciens  serviteurs  de  princes  le  privilège  de  gérer,  leur  vie 
durant,  des  éghses  et  des  abbayes  en  leur  remettant  ce  qu'on  appe- 
lait les  lettres  de  pain;  non-seulement  on  tolérait  que  ces  personnages 
apportassent  dans  les  monastères  des  mœurs  étrangement  dissolues 
qui  discréditaient  les  couvents  auprès  du  peuple,  mais  des  chasseurs, 
des  fauconniers,  des  valets  et  autre  semblable  engeance,  devaient, 
selon  les  lois  imaginées  par  les  princes,  être  entretenus  pendant 
les  saisons  de  chasses  par  les  églises  et  les  monastères  :  «  Alors  de 
lamentables  scandales  se  produisaient;  dans  les  collégiales  et  les 
abbayes  régnaient  l'impudicité,  la  débauche,  car  les  gens  de  cette 
espèce  ne  se  font  pas  faute  de  s'abandonner  à  une  licence  grossière. 
Ne  sont-ils  pas  serviteurs  de  princes?  Aussi  ne  songent-ils  qu'à  se 
gorger  de  mangeaille,  à  s'enivrer  le  jour  et  la  nuit;  ils  vont  jusqu'à 
faire  pénétrer  des  femmes  dans  les  couvents,  et  l'on  ne  parvient  pas 
à  rassasier  la  compagnie  -.  '^  «  Ils  mènent  une  vie  scandaleuse  dans 


drait  le  mieux,  et  qu'il  serait  tenu  d'y  inviter  tous  les  autres;  pour  que  la  chose 
«se  passât  gaiement  -,  il  devait  donner  une  somme  de  50  florins  afin  qu'il  y 
eût  vingt-huit  tireurs,  au  moins.  Celui  dont  c'était  le  tour  d'inviter  les  autres 
s'engageait  en  outre  à  fournir  vinp,t-huit  chevaux  qui  presque  tous  devaient 
(^tre  montés  par  des  tireurs.  Il  devait  nourrir  bêtes  et  gens  aussi  longtemps 
que  durerait  la  fête.  Pourtant  le  règlement  portait  que  les  repas  ne  devaient 
pas  avoir  plus  de  huit  services,   etc.    ReiS-ICh,   Journal  für  Bayern,  t.  I,  p.  467. 

1  Voy.  notre  premier  volume,  p.  576-579. 

-  Clag  eines  ein/eilig  Klosterbruders.  Bl.  *. 


RESPONSABILITÉ  DES  PHINCES  DANS   r,A  DÉMORALISATION  DU  CLERGÉ.    3G1 

les  abbayes  »,  lif-on  dans  une  adresse  des  Klafs  bavarois  à  leurs 
ducs,  adresse  on  sont  rapportées  les  justes  plaintes  du  pays  sur  les 
chasseurs,  fauconniers  et  leur  suite;  «  non-seulement  il  Taut  leur 
donner  à  man^yer  et  à  boire  jour  et  nuit,  mais  encore  leurservir  tout 
ce  qu  il  y  a  de  meilleur,  à  eux  et  à  tous  ceux  qu'ils  amènent  avec  eux, 
sans  aucune  nécessité.  Parfois,  il  est  vrai,  les  princes  publient  des 
édits  interdisant  ces  excès,  mais  de  si  faibles  mesures  n'obtiennent 
que  fort  peu  de  résultats  '.  " 

Le  droit  de  spoliation,  qui  s'exerçait  à  la  mort  des  prieurs  et  des 
curés,  était  également  regardé  parles  princes  comme  ..  un  très-légi- 
time exercice  du  pouvoir  souverain  »,  et  souvent  leurs  intendants  se 
conduisaient  alors  avec  une  telle  brutalité,  ■  que  cela  était  vraiment 
scandaleux  et  lamentable  à  voir  ■■.  On  lit  dans  un  écrit  du  temps 
qui  mentionne  ces  abus  comme  étant  de  notoriété  publique  :  «  Dès 
qu'un  curé  est  sur  son  lit  de  mort,  les  avocats  faméliques,  les  valets 
de  la  justice  laïque  envahissent  sa  maison;  ce  sont  les  chasseurs 
d'arî>ent,  les  pêcheurs  de  biens  d'Église!  Ils  s'établissent  sur  le  bien 
du  curé,  et  vivent  de  ses  revenus,  dévorant  tout  ce  qui  se  trouve 
dans  sa  maison,  en  usant  comme  si  c'était  leur  propriété  légitime; 
et  lorsque  arrive  enfin  la  mort  du  pasteur,  il  ne  reste  plus  même  de 
quoi  payer  ses  dettes  -,  '=  «  Nous  avons  de  trop  justes  plaintes  à  for- 
muler »,  écrivent  un  peu  plus  tard  plusieurs  clercs  du  diocèse  de 
Passau;  <  dès  qu'un  curé  vient  à  mourir,  souvent  même  avant  son 
décès,  la  cure  est  envahie  par  les  huissiers  des  tribunaux  laïques,  et 
les  jours  se  passent  eu  excès  de  raangeaille,  en  banquets;  il  semble 
que  ce  soit  la  fête  patronale,  et  l'héritage  du  défunt  se  trouve  telle- 
ment diminué  par  ces  bombances,  que  souvent  c'est  à  peine  si  l'ordi- 
naire peut  obtenir  la  portion  de  canonicat  qui  lui  revient,  et  que  les 
créanciers  ne  parviennent  pas  à  se  faire  payer.  De  plus,  ces  gens  de 
justice  ont  l'effronterie  de  montrer  ouvertement  leur  allégresse  aux 
pauvres  curés  sur  le  point  de  mourir;  ils  ne  leur  cachent  point 
qu'ils  se  flattent  de   mener  bientôt  chez  lui  un  joyeux  train.  La 


'  Voy.  les  documents  fournis  par  Sugexheim,  p.  264-266.  Plus  tard  les  choses 
n'allèrent  pas  en  saméliorant.  Sugenheira  a  publié  un  mémoire  inédit  du  nonce 
du  Pape  (1519),  où  il  est  dit  à  propos  du  clergé  bavarois  :  «  Veuatores  monas- 
teria  et  parochias,  ibidem  ad  lüitum  victitando.  praeter  motum  fréquentant 
ac  molestant,  in  quibiis  etiam  imperiose  versantur,  et  quae  volunl  potins  immo- 
derate  extorquent  quam  pétant.  Oua^  .es  personarum  regularium  non  solum 
bonis,  sed  etiam  instiluto  et  profession:  pluriraum  obest,  maxime  quod  per  eosdcm 
venatores  etiam  mtilieres  riliquamlo  introducuntur .  • 

*  Clag  eines  einfeliig  A'iosicrbrudcrs,  Bl.  4''.  Une  bulle  du  pape  Sixte  IV  adressée  à 
l'évêque  de  Passau  (1477)  dit  à  propos  des  ^  advocati,  precones  et  alii  officiales 
seculares  '  :  ^  Vacantes  praeterea  ecclesias  et  illarum  domus  ac  bona  sub  gra- 
vissimis  et  inutilibus  expensis  in  crapulis  et  commessationibus  aliisque  scanda- 
losis  actibus  custodire  contendunt...  »  Mon.  Boica,  31'',  p.  5S8. 


362        CEORCKS    ME    SAXE    SUR    L'ÉTAT    MOHAi.    DU    CLERGÉ. 

conséquence  de  tout  cela,  c'est  que  le  peuple  perd  tout  respect, 
toute  obéissance  envers  le  clergé.  >-  Les  États  de  Bavière  font 
entendre  à  plusieurs  reprises  les  mêmes  plaintes  :  <  S'il  arrive  qu'un 
curé  ou  autre  ecclésiastique  ait  quelque  chose  à  laisser  après  lui,  les 
autorités  laïques  accaparent  aussitôt  son  héritage,  et  les  créanciers, 
les  héritiers  réclament  vainement  ce  qui  leur  est  dû.  Pour  toute 
réponse  à  leurs  réclamations,  on  leur  assigne  des  délais  sans  fin,  et 
pour  raisons,  des  frais  de  justice  onéreux.  La  cause  est  si  longtemps 
en  suspens  que  bien  souvent,  avant  qu'elle  soit  jugée,  l'héritage  s'en 
est  allé  en  fumée  '.  « 

^  En  somme  ",  comme  le  disent  fort  bien  les  Plaintes  d'un  simple 
moine,  «  les  laïques,  princes  et  nobles  veulent  être  les  maîtres  dans 
l'Eglise,  disposer  des  meilleurs  emplois,  et  remplir  peu  ou  point 
les  obligations  que  le  devoir  de  leur  charge  leur  impose.  Ils  ne 
songent  qu'à  établir  des  clercs  qui  leur  soient  dévoués  dans  les 
charges  dont  ils  disposent,  pour  se  faire  ensuite  payer  ce  bon 
office.  Ils  troublent  l'ordre  et  la  paix  des  cloîtres  et  des  abbayes, 
et  mènent  une  vie  de  débauches,  dont  les  biens  d'Église  font  tous 
les  frais;  puis  ils  se  posent  en  censeurs  intègres  et  s'écrient  hypocri- 
tement :  «  O  la  corruption  du  clergé!  »  O  pharisiens,  sans  doute 
Dieu  se  sert  de  vous  pour  châtier  sévèrement  son  peuple  !  •■■ 

Cette  conduite  ^  pharisaïque  '  des  princes  laïques,  personne  ne 
l'a  mieux  caractérisée  que  l'un  des  plus  nobles  d'entre  eux,  le  duc 
Georges  de  Saxe.  Voici  comment  il  s'exprime  dans  une  instruction 
rédigée  pour  ses  chargés  d'affaires,  et  écrite  de  sa  propre  main  : 
«  On  nous  parle  beaucoup  des  nombreux  abus  qui  existent;  mais  les 
plus  regrettables,  ceux  dont  le  monde  enlier  est  maintenant  et  sur- 
tout scandalisé,  on  les  passe  sous  silence  ;  or  ceux-là  viennent  de 
nous.  L'origine  de  l'hérésie  que  Dieu  a  permise  parmi  nous,  c'est 
très-évidemment  la  manière  défectueuse  dont  les  prélats  sont 
élus,  car  Dieu  a  dit  :  Celui  qui  n'entre  pas  dans  la  bergerie  par  la 
porte,  celui-là  n'est  pas  le  vrai  pasteur.  Malheureusement,  et  ce 
n'est  pas  actuellement  le  moindre  scandale  de  la  Chrétienté,  nous 
autres  Ordres  laïques,  grands  et  petits,  nous  ne  faisons  aucune 
attention  à  cette  divine  parole.  Nous  briguons  pour  nos  enfants, 
nos  frères  et  nos  amis  les  dignités  épiscopales  et  les  honneurs  de 
l'Église,  et  sans  nous  préoccuper  de  la  porte,  nous  ne  pensons  qu'à 
la  manière  d'y  faire  pénétrer  les  nôtres;  que  ce  soit  par  le  seuil  ou 
par  le  toit,  peu  nous  importe.  Cette  manière  d'agir  nous  est  deve- 

1  Voy.  SuGENHEiM,  p.  266-271.  Dans  le  même  ouvrage  on  trouvera  un  grand 
nombre  de  documents  relatifs  à  cet  abus,  que  Jes  synodes  combattaient  en 
vain. 


KOlUiES    DE    SAXE    S  i;  i;    I.F.TAT    M  O  li  A  L    I)  (I    Cf,  KR  GE.       36H 

ic  si  nalurclle,  qu'il  semble  (jue  nous  voulions  .iller  bien  vite  eu 
.  nier  par  ce  chemin;  il  s'ensuit  que  les  brebis  suivent  les  pasteurs, 
et  encourent  avec  eux  les  diätimenls  de  Dieu,  comme  malheureu- 
sement nous  ne  le  voyons  que  trop.  > 

"  Secondement,  nous  autres  princes  laïques,  auxquels  Dieu  a  remis 
la  puissance  (et  Dieu  veuille  qu'il  n'en  soit  pas  ainsi  parmi  les  princes 
ecclésiastiques!),  voici  comment  nous  agissons  :  Comme  nous  avons 
entre  nos  mains  les  biens  des  couvents  et  des  abbayes,  la  cupidilé 
nous  tourmente  au  sujet  de  ces  mêmes  biens,  de  sorte  que  trop 
souvent  nous  sommes  beaucoup  plus  préoccupés  de  savoir  à  qui 
appartient  telle  ou  telle  abbaye,  pour  nous  eHorcer  de  l'accaparer  et 
pour  être  en  état  de  maintenir  notre  rang,  que  de  nous  informer  si 
l'on  y  mène  une  vie  chrétienne,  si  la  règle  y  est  observée.  L'ambition 
qui  nous  dévore,  si  elle  a  grossi  les  revenus  des  gouvernants,  a  nui 
grandement,  pendant  ces  temps  de  désordre,  à  plus  d'une  commu- 
nauté. Dans  ces  questions  nous  avons  entièrement  perdu  de  vue  la 
charité  envers  Dieu  et  envers  le  prochain,  et  nous  ne  nous  sommes 
pas  demandé  si  notre  conduite  n'entrainait  pas  nos  frères  dans  un 
crime  damnable;  nous  n'avons  eu  souci  que  des  moyens  de  sou- 
tenir notre  train  fastueux.  ■'  Georges  ajoutait  que  ceux  qui  se 
plaignaient  le  plus  du  clergé  ne  parlaient  jamais  des  abus  bien 
autrement  graves  dont  ils  étaient  eux-mêmes  les  auteurs.  «  Autrefois 
une  coutume  salutaire  et  louable  voulait  que  parmi  nous  ceux  qui 
manifestement  avaient  forfait  à  Dieu  et  à  l'honneur,  ne  fussent  plus 
soufferts  ni  tolérés  dans  la  société  des  gentilshommes  qui  se  piquaient 
d'être  honnêtes;  chacun  les  évitait,  comme  on  fuit  les  sources 
empoisonnées.  Les  usuriers,  les  adultères,  les  déserteurs,  les  traî- 
tres, les  parjures,  tous  les  gens  souillés  de  vices  notoires  étaient 
exclus  de  notre  compagnie.  Maintenant  cette  honnête  manière 
d'agir  est  abandonnée,  ce  qui  n'est  pas  une  des  moindres  causes  des 
scandales  qui  se  produisent.  "  ^^  Pourquoi  ne  porte-t-on  pas  plainte 
contre  les  moines  et  les  religieuses  qui  ont  déserté  leur  couvent? 
N'ont-ils  pas  failli  à  l'honneur,  oublié  le  serment  qu'ils  avaient  prêté 
devant  Dieu  et  devant  les  hommes?  Par  conséquent  ne  sont-ils  pas 
parjures?  ne  doivent-ils  pas  être  traités  comme  tels?  >  "  Tous  les 
jours  »,  poursuit  le  duc,  <  des  épitres  calomniatrices  et  des  livres 
pernicieux  se  répandent,  et  prônent  l'Évangile  luthérien;  les  chrétiens 
restés  fermement  attachés  à  l'Église  chrétienne  sont  honnis.  Les 
prédicants  ne  cessent  d'exhorter  les  moines  et  les  religieuses  à  aban- 
donner leurs  monastères;  s'ils  ne  le  font,  ils  les  menacent  des  peines 
éternelles;  s'ils  renoncent  à  leurs  vœux,  ils  leur  promettent  le  bon- 
heur et  les  plaisirs  de  la  chair.  Puis,  aussitôt  que  les  moines  les  ont 
écoutés,  on, les  entretient,  on  les  aide  dans  les  principautés  envi- 


364       GEORGES    DE    SAXE    SUR    L'ETAT    MORAL    DU    CLERGE. 

Tonnantes;  on  les  récompense  comme  s'ils  avaient  fait  une  belle  et 
loyale  action;  ceux  (lui  les  ont  engagés  à  quitter  leur  genre  de  vie 
ne  rougissent  pas  de  s'en  vanter,  bien  que  la  loi  de  notre  pays  punisse 
de  mort  les  religieux  infidèles  à  leurs  vœux.  El  ce  qui  est  plus  triste 
encore,  celui  qu'on  ne  parvient  pas  à  tirer  de  son  couvent  au  moyeu 
de  prédications  ou  de  lectures,  on  l'y  décide  par  des  promes.ses 
d'argent,  et  lorsque  ce  moyen  même  échoue,  on  le  soumet  à  de  tels 
traitements,  à  de  si  révoltantes  injustices,  qu'il  est  enfin  contraint  de 
céder;  alors  ces  mêmes  seigneurs  qui,  par  la  ruse  ou  la  force,  l'ont 
ainsi  forcé  d'apostasier,  jouissent  de  ses  biens  comme  s'ils  étaient 
leur  légitime  héritage.  D'où  il  ressort  clairement  qu'ils  metlent 
bien  au-dessus  du  bonheur  de  voir  Dieu  bien  servi,  la  satisfaction  de 
jouir  des  richesses  de  ce  monde.  Nous  signalons  ces  faits,  et  nul  ne 
les  pourra  nier.  Quant  aux  offenses  faites  au  Dieu  tout-puissant  dans 
le  Très-Saint  Sacrement  de  l'autel,  quant  à  ce  qui  concerne  les  saints 
de  Dieu,  ce  qui  se  passe  au  milieu  de  nous  paraîtrait  affreux,  quand 
bien  même  les  Turcs  ou  les  païens  en  seraient  les  auteurs.  » 

"  Nous  ne  voulons  pas  dire  par  là  «,  continue  Georges,  «  que  les 
abus  manifestement  contraires  à  la  loi  de  Dieu  ne  doivent  pas  être 
réformés.  Si  quelqu'un,  par  suite  de  l'avarice  des  prélats  et  contrai- 
rement au  commandement  de  la  charité  chrétienne,  a  été  injuste- 
ment chargé;  s'il  arrive  qu'un  chrétien  persiste  dans  d'étranges  et 
superstitieuses  illusions  au  sujet  de  la  messe  ou  des  sacrements;  si 
un  clerc  n'a  pas  eu  une  intention  droite  en  entrant  dans  l'état  ecclé- 
siastique, partout,  en  un  mot,  où  l'erreur  a  pu  se  glisser,  il  faut 
aviser  à  la  réforme,  et  c'est  l'œuvre  des  missionnaires  ordonnés 
et  envoyés  à  cet  effet  par  les  premiers  pasteurs,  afin  que  le  peuple 
ne  soit  pas  détourné  de  l'unité  de  rÉglise  chrétienne.  One  si,  par 
ignorance,  une  pauvre  âme  a  été  entraînée  dans  l'hérésie,  il  faut 
s'efforcer,  par  de  sages  moyens,  par  un  meilleur  enseignement,  de 
la  ramener  à  la  saine  doctrine.  Voilà  la  conduite  louable,  loyale 
et  salutaire  qu'on  devait  tenir;  et  avant  tout  il  faudrait  songera 
instruire  le  peuple,  .Mais  s'il  est  advenu  qu'un  prêtre  se  soit  montré 
cupide,  indigne  de  ses  fonctions,  prévaricateur,  il  ne  faut  pas  réprou- 
ver à  cause  de  lui  toutes  les  autorités  instituées  par  Dieu,  encore 
moins  les  remplacer  par  des  coquins  défroqués.  Si  un  prêtre  a  péché 
en  célébrant  la  sainte  messe,  toutes  les  messes  ne  sont  pas  pour  cela 
dignes  de  mépris.  Si  quelqu'un,  dans  son  ignorance,  a  cru  qu'au 
moment  de  l'offertoire  Notre-Seigneur  allait  de  nouveau  mourir  et 
être  crucifié  sur  l'autel,  il  faut  lui  expliquer  que  c'est  mystiquement 
que  le  sacrifice  du  Christ  doit  être  entendu,  comme  l'Église  chré- 
tienne l'a  toujours  enseigné.  Parce  qu'un  doigt  est  malade,  il 
ne  faut  pas  châtier  tout  le  corps,  mais  prendre  bien  garde  que  le 


GEORGES    DE    SAXE    SUR    l/ÉTAT    MORAL    DU    f.LERGÉ.       365 

mal  ae  vienne  à  envahir  toute  la  main.  De  même  si,  dans  un  cloître, 
il  s'est  trouvé  un  ou  deux  moines  indifjnes  de  leur  saint  état,  il  ne 
s'ensuit  pas  qu'on  doive  chasser  lou^  les  relijjieux.  Si  ces  choses  et 
d'autres  encore  étaient  mieux  comprises,  ou  pourrait  espérer  le 
retour  à  Dieu  de  plus  d'une  àme.  « 

«  Mais  il  n'est  jamais  question  de  réforme;  on  ne  parle  que  du 
renversement  total  de  lout  ce  qui  existe;  les  princes,  les  comtes,  les 
autorités  des  villes  peuvent  blasphémer  impunément  le  Saint  Sacre- 
ment, le  fouler  aux  pieds,  détruire  les  abbayes,  prendre  et  dévorer 
le  fruit  des  aumônes,  ciiasser  du  couvent  les  vierges  consacrées  à 
Dieu  ou  les  en  arracher  de  force.  Toute  obéissance  est  anéantie,  de 
sorte  qu'il  est  à  craindre  que  le  sort  de  l'empire  grec  ne  soit  réservé 
à  l'empire  allemand.  Luther  et  sou  Évangile  ont  si  bien  fait,  qu'il  est 
rare  que,  dans  une  maison,  on  rencontre  entre  les  membres  d'une 
même  famille  quelque  conformité  de  sentiment.  De  plus,  Luther  a 
rejeté  tout  droit  écrit,  et  soutient  que  la  loi  est  dans  la  conscience, 
et  non  dans  les  codes.  On  peut  donc  aisément  en  conclure  que,  s'il  en 
est  ainsi,  il  n'y  a  point  de  droit  du  tout.  Aussi  tout  homme  accusé  de 
quelque  méfait  s'absout  devant  sa  conscience  et  crie  à  l'injustice 
s'il  est  poursuivi.  Kn  détruisant  l'Église,  son  unité,  sa  hiérarchie,  on 
a  donné  à  l'individu  la  liberté  de  se  faire  une  morale  à  lui,  et  per- 
sonne n'a  plus  confiance  qu'en  son  propre  Jugement.  Ainsi  les  esprits 
sont  divisés,  et  il  y  a  plus  de  sectes  et  d'hérésies  que  la  foi  chré- 
tienne n'a  d'articles'.  ' 

'  Actenstüche  aus  dem  Dresdener  Staaisarckir,  dans  IIÖfler,  Dcnhwûrdigkeilen  der 
Chariias  l'irlheimer,  LVIII-LXXIV',  que  lIoHer  ratiye  avec  raison  -  parmi  les  sources 
les  plus  impuiiantes  de  l'histoire  de  la  réforme  -.  Voy.  aussi  l'instruction  du 
duc  Georges  pour  Hans  de  Schönberg.  CVII-CXII. 


CHAPITRE  IX 

TROUBLE    CROISSANT    DANS    LA    VIE    RELIGIEUSE    ET    SOCIALE. 


Cependant  les  nouvelles  doctrines  se  propageaient  de  tous  côtés 
dans  les  villes  et  dans  les  campagnes,  et  la  destruction  de  1'«  abomi- 
nation diabolique  du  papisme  ■  était  regardée  par  tous  les  nouveaux 
croyants  comme  rigoureusement  exigée  par  Dieu  même. 

Dans  Télectorat  de    Saxe,  le  "  gouvernement  du  diable     ,  pour 
employer  l'expression  ordinaire  des  luthériens,  perdait   tous   les 
jours  du  terrain.  Le  duc  de  Poméranie  avait  adhéré  au  «  pur  Évan- 
gile ».  Devenu«  un  vase  d'élection  'î,  il  avait  aboli  la  «  menteuse 
superstition  de  la  messe  -,  et  s'était  emparé  des  biens  de  l'Église; 
«  pour  en  faire  un  usage  chrétien  ».  Une  révolution  énergique  eti 
radicale  se  préparait,  en  Prusse,  dans  les  Etats  de  l'Ordre  Teufoniqu 
dont  la  transformation  en  principauté  temporelle  avait  été  ardemmei: 
poursuivie  par  Luther.  Dès  1523,  il  y  avait  envoyé  l'un  de  ses  dis- 
ciples, afin  que  ce  pays,  lui  aussi,  pût  «  rompre  avec  la  domin; - 
tion  de  Satan  ».  Dans  la  Hesse,  le  laudgrave  Philippe  agissait  c 
converti   enthousiaste.    Daus  le   Palatinat,  l'électeur  Louis   faisai 
annoncer  par  .lean  Schwebel  «  la  parole  de  Dieu,  épurée,  rapporte 
au  texte  littéral  de  la  Bible  ••.  Le  duc  Louis  de  Deux-Ponts,  aidé  de 
ce  même  prédicant,  organisait  d'après  les  nouveaux  principes  la 
doctrine  et  le  culte,  et  chassait  du  pays  les  prêtres  qui  persistaient 
à  célébrer  la  messe  '. 

Mais  c'était  surtout  dans  les  villes  d'Empire  que  le  nouvel  Évan- 
gile rencontrait  de  nombreux  et  puissants  protecteurs.  Les  con- 
seils, depuis  longtemps  engagés  dans  d'inextricables  et  fréquents 
démêlés  avec  les  évêqueset  les  communautés  religieuses,  soit  à  pro- 
pos des  privilèges  et  libertés  de  ceux-ci,  soit  au  sujet  des  conflits  et 

•  Pour  plus  de  détails  sur  la  diffusion  de  la  nouvelle  docîrine,  voy.  le  troisième 
volume  de  cet  ouvrage. 


I.K    NOUVEL    EV^^N(;l^l•     dans    LKS    VII.LKS    libres,    irm.       367 

;«ussi  des  abus  de  la  justice  ecclésiastique  et  laïque,  voyaient  avec  la 
plus  vive  satisfaclion  «  qu'enfin  l'ou  Cümnicucait  à  savoir  ce  qu'il 
fallait  penser  du  clergé,  à  comprendre  qu'en  toutes  choses  il  devait 
obéissance  au  pouvoir  lem|)orel,  à  se  dire  (jue  les  biens  qu'il  possé- 
dait et  dont  il  jouissait  conirairement  a  toute  équilé,  devaient  être 
i*emis  en  de  meilleures  mains  ".  Sans  élre  aucunement  inquiétés,  sou- 
vent même  appelés  par  les  conseils  des  villes,  les  prédicanfs  avaient 
libre  accès  dans  les  cités;  la  plupart  étaient  d'anciens  religieux;  ne 
mettant  pas  le  moindre  ménagement  dans  leurs  procédés,  ils  débla- 
téraient contre  «  le  culte  idoiàtrique  de  la  messe  ",  les  prêtres, 
"  vraies  idoles  ointes,  les  biens  injustement  acquis  des  ecclésias- 
tiques, le  jeune,  la  confession,  les  pratiques  de  pénitence,  etc.  «.  Ils 
élevaient  si  haut  ^  la  liberté  évangélique  -,  que  sous  l'impulsion  de 
leur  parole,  la  foule,  ainsi  que  cela  s'était  déjà  vu  à  Erfurt  et  à 
Wittemberg  en  1522,  se  croyait  parfois  autorisée  aux  actes  de  violence 
les  plus  iniques.  Au  reste,  les  prédicauts,  loin  de  s'accorder,  étaient 
animés  les  uns  envers  lesautres  de  dispositions  •  agressives,  haineuses, 
qui  faisaient  le  plus  grand  tort  à  la  cause  de  l'Évangile  épuré  • . 

Pour  remédier  à  ces  graves  inconvénients,  les  délégués  des  villes 
réunirent  à  Spire  les  États  des  cités  (juillet  1524).  Comme  à  ce 
moment  l'édil  impérial  interdisant  l'assemblée  de  Spire  n'avait  pas 
encore  été  publié,  on  eût  pu  s'attendre  à  ce  que  les  villes,  au  lieu  de 
prendre  l'initiative,  s'abstiendraient  d'anticiper  sur  les  décisions  de 
cette  espèce  de  concile  laïque,  qui  devait  si  prochainement  s'  réunir. 
Au  lieu  de  cela,  elles-mêmes,  de  leur  propre  autorité,  s'arrogèrent  le 
pouvoir  de  décider  en  matière  de  foi,  et  rédigèrent  à  Spire  une 
déclaration  qui,  dans  la  suite,  devait  avoir  les  plus  g:raves  consé- 
quences pour  l'organisation  du  nouveau  système  religieux. 

'  Le  saint  Évangile  et  la  parole  de  Dieu  ',  dit  le  procès-verbal  des 
États  de  Spire  (18  juillet),  s'étant  répandus  dans  les  villes  libres 
de  l'Empire  pour  le  salut  des  âmes  et  le  progrès  de  la  charité  fra- 
ternelle ' ,  un  fâcheux  désaccord  s'était  mis  dans  les  esprits  par  la 
faute  de  prédicants  ignorants,  et  ce  malentendu  pouvant  porter  un 
grave  préjudice  à  la  foi  du  peuple  fidèle,  il  était  urgent  que  chaque 
ville  prit  à  cœur  la  situation  actuelle.  Toute  cité  avait  le  devoir, 
autant  que  la  chose  lui  serait  possible,  de  se  renseigner  auprès  de  ses 
prêtres  et  prédicants,  et  de  faire  en  sorte  qu'à  l'avenir  le  saint 
Évangile  seul,  dans  toute  son  intégrité  et  pureté,  conforme  en 
tout  aux  saints  livres  apostoliques  et  bibliques  ',  fût  prêché  et  expli- 
qué; toute  doctrine  jugée  susceptible  d'exciter  les  émeutes  et  les 
querelles  devait  être  rigoureusement  interdite. 

tt  nou  plus  -  d'après  l'interprétation  des  docteurs  approuvés  par  l'Église 
universelle  '■■ ,  comme  portait  encore  le  recez  de  Nuremberg. 


368        LE    NOUVEL    ÉVANGILE    DANS    LES    VILLES    LIBRES.    15-24. 

Aux  autorités  des  villes  appartenait  désormais  le  devoir  d'appré- 
cier eu  quoi  consistait  le  pur  Évangile  et  ce  qui  lui  était 
opposé. 

Si  quelque  cité  venait  à  être  inquiétée  pour  avoir  refusé  d'obéir  à 
redit  de  Worms  et  se  voyait  menacée  pour  ce  fait  de  quelque  grave 
châtiment,  on  délibérerait  aussitôt  dans  une  réunion  nouvelle  sur 
la  manière  -  de  lui  procurer  aide  et  conseil  =■.  A  la  future  assemblée 
de  Spire,  une  confession  de  foi  serait  présentée  par  les  villes.  Si 
elle  ne  concordait  point  avec  les  sentiments  des  différents  Ordres', 
on  s'efforcerait  de  la  leur  faire  adopter.  Si,  malgré  toutes  les  expli- 
cations données,  les  Ordres  persislaieut  à  la  rejeter,  les  délégués 
urbains,  après  avoir  réfléchi  miireraent,  auraient  recours  à  la  protes- 
tation, ou  à  tout  autre  moyen  jugé  nécessaire  par  eus*. 

Par  de  pareils  moyens,  il  n'était  guère  possible  d'arriver  à  la  •  cor- 
diale entente  chrétienne  que  les  villes  avaient  semblé  attendre, 
lors  de  la  Diète  de  Nuremberg,  de  la  future  assemblée  religieuse  de 
Spire. 

Les  villes  songeaient  dès  lors  à  .s'assurer  l'appui  de  l'étranger.  «  On 
m'a  affirmé  ■•,  écrivait  l'archiduc  Ferdinand  à  l'Empereur,  -  qu'à 
Spire  les  villes  avaient  reçu  en  audience  des  délégués  de  Suisse  et  de 
Bohème,  où  elles  avaient  dès  longtemps  envoyé  des  députations.  On 
dit  qu'elles  se  proposent  de  se  créer  des  alliances  à  l'étranger  pour 
le  cas  où  l'on  prétendrait  leur  faire  violence  au  sujet  delà  doctrine 
de  Luther,  qu'elles  ont  coutume  d'appeler  évangélique  ^  ;> 

Pour  définir  exactement  les  principaux  caractères  de  l'«  Évangile 
littéral,  >'  on  organisa  dans  plusieurs  villes  des  conférences  ou  dis- 
putes religieuses,  auxquelles  assistaient  généralement  quelques 
membres  des  conseils.  Quelquefois,  comme  par  exemple  à  Con- 
stance, il  était  permis  aux  opinants  de  citer,  à  l'appui  de  leurs  asser- 
tions, des  textes  hébreux  ou  grecs  ;  or  les  conseillers  ne  comprenaient 
souvent  ni  le  grec  ni  l'hébreu,  mais  cela  ne  les  empêchait  nullement 
de  décider  en  dernier  ressort.  Un  mémoire,  adressé  au  Conseil  de 
régence  par  les  échevins  de  Constance,  pourra  nous  donner  une 
idée  des  choses  singulières  qui  se  passaient  quelquefois  en  de  sem- 
blables occasions.  Les  conseillers  de  Constance  portent  plainte 
contre  le  Frère  Antoine, lecteur  des  Dominicains, qui,  aies  entendre, 
«  a  prêché  contrairement  à  la  sainte  Écriture  et  aux  injonctions 
du  conseil  : .  Le  conseil  avait  enjoint  aux  prédicants  de  l'avertir 

'  La  question  «  du  siège  et  de  la  voix  •  est  traitée  sommairement  dans  le 
recez  de  la  Diète. 

*  Abschid  aller  Frey- und  Reichsleu  gemeinen  Slelttags  Monlagnach  Margarelha  (Juli  18) 
anno  1524  in  der  Sladt  Speyer  gehallen.  Voy.  Der  erbern  Frein  und  Reichsten  Abschide 
der  jare  1523-1542.  Archives  de  Francfort. 

^  Voy.  BüCHOLTZ,  t.  II,  p.  68. 


LE  NOUVEL  ÉVANGILE   DANS   LES  VILLES    DE   L'EMIMHE.    152i.   369 

(oiitcs  les  fois  que  quelque  doctrine  opposée  à  ce  qui  avait  été 
décidé  en  matière  de  foi  aurait  été  préchée  dans  la  ville.  Or  trois 
d'entre  eux  présentaient  une  accusation  contre  Frère  Antoine,  et  voici 
les  reproches  qui  lui  étaient  adressés  :  Le  moine  avait  cilé  plusieurs 
livres,  saints  et  bibliques  à  son  sens,  mais  qui  n'avaient  point  été 
déclarés  authentiques  par  le  conseil,  par  exemple  le  troisième  et  le 
quatrième  livre  d'Esdras,  de  TEcclésiaste,  les  livres  de  la  Sagesse, 
des  Macchabées,  et  quelques  autres  livres  suspects.  Frère  Antoine 
avait  osé  dire  qu'ils  ne  contenaient  point  de  fables,  mais  faisaient 
partie  intégrale  de  la  sainte  Écriture.  "  De  plus,  il  avait  soutenu, 
et  cela  presque  journellement,  qu'on  ne  devait  ni  injurier  ni  honnir 
le  Pape  ou  les  évèques.  »  Or  le  conseil  de  Constance  avait  récem- 
ment exhorté  tous  les  vrais  prédicants,  pasteurs  et  chargés  d'âmes, 
«  non-seulement  à  montrer  avec  le  plus  de  zèle  possible  aux  fidèles 
les  bons  pâturages  en  s'appuyant  sur  la  «  pure  parole  de  Dieu  », 
mais  encore  à  leur  apprendre  à  fuir  le  loup  ».  Les  prédicants  étaient 
donc  tenus  de  dénoncer  et  de  décrier  hautement  le  Pape,  ses 
apôtres  et  ses  maximes,  par  lesquels  les  peuples  avaient  été  séduits, 
et  ne  devaient  pas  craindre  de  les  appeler  hautement  «  voleurs, 
homicides  et  antechrists  ",  comme  la  sainte  Écriture  leur  en  donnait 
Texemple,  afin  de  rendre  le  clergé  méprisable  et  haïssable  aux  bre- 
bis. Voici  ce  que  l'un  des  trois  nouveaux  apôtres  d'un  Évangile  de 
charité  prêchait  en  juin  1524  :  «  Nos  princes  sont  de  plus  grands 
tyrans  que  Néron,  Dèce  et  Dioclétien  ne  l'ont  jamais  été.  C'est 
maintenant  aux  chevaliers  et  aux  nobles  qu'il  appartient  de  protéger 
la  foi,  car  les  princes  ne  sont  que  des  tyrans  forcenés  et  des  buveurs 
de  sang'.  » 

Avant  tout,  pour  rétablissement  «  de  l'Évangile  pur  et  littéral  «, 
il  était  nécessaire  de  changer  la  constitution  de  l'Église,  d'abolir  la 
juridiction  des  évèques  et  de  la  transporter  à  l'autorité  laïque.  Au 
siècle  précédent,  les  juristes  romains  avaient  déjà  préconisé  ces 
'  réformes-  ».  «  Une  fois  affranchis  de  l'autorité  ecclésiastique  ",les 
magistrats  des  cités,  aussi  bien  que  les  princes,  rêvaient  l'établisse- 
ment d'une  Église  locale,  par  laquelle  leur  pouvoir  serait  affermi, 

'  Voy.  les  rescrits  de  juillet  et  d'août  1524,  dans  Chmel,  Aaenstückc,  p.  262- 
267,  275-279.  L'archevêque  de  Constance,  Hugues,  écrivait  au  lieutenant 
d'Empire  et  au  Conseil  de  régence  (26  juillet  1524)  que  les  disputes  sur  les 
questions  religieuses,  qui  avaient  lieu  en  beaucoup  de  localités,  avaient  produit 
jusque-là  peu  d'apaisement  dans  les  esprits;  qu'elles  avaient  singulièrement 
excité  les  gens  du  peuple,  déjà  disposés  au  mécontentement  depuis  quelque  temps, 
et  les  avaient  poussés  à  la  révolte,  comme  les  faits  ne  l'avaient  que  trop  prouvé. 
Traiter  les  questions  de  foi  et  les  trancher  devant  des  laïques,  n'était,  de  l'avis 
de  l'évéque,  •  ni  convenable,  ni  admissible  ».  D'ailleurs,  de  tels  procédés  étaient 
contraires  aux  décisions  de  Worms  et  de  Nuremberg.  Voy.  Chmel,  p.  274. 

-  Voy.  notre  premier  volume,  p.  473-474. 

IL  24 


370  LF,    NOUVEL    ÉVANGILE    A    NUREMBERG.    1524. 

qui  leur  laisserait  la  liberté  de  disposer  des  biens  de  TÉglise, 
d'exercer  le  droit  d'élire  ou  de  déposer  «  les  prédicants  de  la  doc- 
trine ' ,  et  surtout  leur  permettrait  de  ne  plus  traiter  les  prêtres 
que  comme  ■<  les  très-humbles  serviteurs  de  l'État  «.  «  Quant  à  la 
religion,  >  avouait  Mélanchthon,  ^  les  villes  libres  s'en  soucient  fort 
peu;  elles  ne  songent  qu'à  secouer  le  joug  des  évoques,  afin  de 
régner  sans  partage  '.  » 


II 


Nuremberg  se  distingua  par  <•  une  haine  singulièrement  violente  y- 
contre  la  papauté  et  le  clergé.  Les  nouveaux  croyants  disaient  avec 
orgueil  :  '  Nuremberg  brille  comme  une  perle  choisie  dans  la  cou- 
ronne tressée  par  les  cités  à  l'Évangile.  » 

Trois  hommes  contribuèrent  surtout  à  encourager  la  révolution 
religieuse  :  les  deux  trésoriers  de  la  ville,  Jérôme  Ebner  et  Gaspard 
Niitzel,  aux  mains  desquels  était  remise  toute  l'administration  de 
la  ville,  et  Lazare  Spengler,  «  qui  par  son  rang  social  ",  dit  Camera- 
rius  dans  sa  lie  de  Mélanchihon,  «  n'était  qu'un  simple  greffier, 
mais  qui  en  réalité  était  l'inspirateur  de  toutes  les  décisions  du. 
conseil  ".  Uni  à  Spengler  et  à  d'autres  prédicants,  l'agitateur  popu- 
laire André  Oslander  tenait  la  bourgeoisie  dans  une  crainte  conti- 
nuelle, car  il  avait  tout  pouvoir  sur  les  masses.  «  Un  greffier  bouffi 
d'orgueil,  sans  aucune  honorabilité,  un  prêtre  fastueux,  sans  nulle 
expérience  ',  disait  amèrement  Pirkheimer  en  parlant  de  Spengler 
et  d'Osiander,  «  gouvernent  selon  leur  caprice  la  noble  cité  de  tNurem- 
berg  ,  et  réforment  toutes  choses  d'après  leur  science  prétendue; 
leur  volonté  est  la  règle  de  ce  (ju'il  faut  croire  et  de  ce  qu'il  faut 
faire.  '  "  Je  voudrais  que  vous  fussiez  à  même  de  juger  la  conduite 
de  cet  homme  «,  écrit-il  à  un  ami  en  parlant  de  Spengler;  -  vous  ne 
pourriez  assez  vous  étonner  qu'eu  un  même  personnage  les  actes  et 
les  paroles  puissent  à  tel  point  se  contredire  ^  »  La  "  troupe  évan- 
gélique  »,  en  peu  de  temps  fortement  grossie,  finit  par  montrer  si 
peu  de  dignité  et  de  mesure  que  Hans  Sachs,  bien  que  partisan  de 
Luther,  ne  pouvait  s'empêcher  de  lui  adresser  les  plus  amers  repro- 

'  "Maxime  oderunt  illam  doniinationem(les  évêques,  dont  la  juridiction  était 
en  question)  civitates  imperii.  De  doctrina  religionis  nihil  laboranl;  tantum  de 
regno  et  libertate  sunt  solliciti.  »  Lettre  à  Luther  :  Corp.  Reform.,  t.  II,  p.  328, 
et  t.  II,  p.  336.  —  Voy.  Pastor,  p.  40. 

^  Voy.  Binder,  p.  107-109  et  p.  222,  note  32. 


LE    NOUVEL    EVANGILE    A    MIIlEMBERO.    l.>2i.  371 

ches  (1524).  «  Vous  criez  beaucoup,  mais  vous  agissez  peu  «,  leur 
disait-il.  "  Si  vous  étiez  évangélicpies,  comme  vous  vous  vantez  de 
l'être,  vous  feriez  les  œuvres  de  rÉvaugile.  Il  n'est  que  trop  juste  de 
le  dire,  si  les  luthériens  avaient  une  conduite  honorable,  exempte  de 
tout  scandale,  leur  doctrine  serait  autrement  considérée;  ceux  qui 
vous  appellent  maintenant  hérétiques  feraient  votre  éloge;  ceux  qui 
maintenant  vous  méprisent  se  laisseraient  instruire.  Mais  vos  excès 
de  table,  voire  vacarme,  vos  insultes  contre  les  prêtres,  vos  que- 
relles, vos  sarcasmes,  vos  dédains,  votre  conduite  dissolue,  ont  porté 
un  grave  préjudice  â  la  doctrine  évangélique.  Ceci  n'est  malheureu- 
sement que  trop  évident  '.  ■» 

Les  chaires  dont  disposaient  les  prédicants  retentissaient  de  dis- 
cours calomniateurs,  méprisants,  de  propos  grossiers  ou  séditieux. 
Pirkheimer  écrivait  à  Mélanchthon,  parlant  ■  de  cette  belle  et  digne 
cité  de  Nuremberg  où  jadis  la  religion  chrétienne  avait  été  si  en 
honneur-  »  :  -  Xon-seulement  notre  ville  fourmille  d'hommes  qui 
osent  entreprendre  de  convertir  les  autres  et  ne  se  corrigent  en  rien 
eux-mêmes,  mais  encore  elle  regorge  de  femmes  oisives,  bavardes, 
curieuses,  indiscrètes,  aimant  à  gouverner  toutes  choses,  excepté 
leur  propre  ménage.  Si  lu  étais  ici,  si  tu  étais  témoin  de  tant  et  de 
si  lamentables  défections,  calomnies,  illusions,  mensonges,  tu  pour- 
rais à  peine  t'erapécher  de  verser  des  larmes^!  «  «  Les  prédicants  ne 
se  contentent  pas  de  tonner  contre  tout  ce  qui  a  été  vénéré  jus- 
qu'ici, ils  n'outragent  pas  seulement  ceux  qui  refusent  d'abjurer  la 
foi  de  l'Eglise,  ils  s'écrient  :  Il  faut  les  convertir  à  tout  prix,  et 
s'ils  s'y  refusent,  il  faut  les  chasser  par  la  violence!  Entre  eux,  ils 
ne  parviennsut  même  pas  à  s'entendre.  -  ■--  Je  ne  sais  comment  on 
prêche  -,  dit  Charité  Pirkheimer  dans  une  de  ses  lettres,  -  mais 
j'enlends  dire  de  tous  côtés  que  beaucoup  d'hommes  estimables  de 
notre  ville  sont  presque  désespérés,  et  ne  veulent  plus  aller  â  aucun 
sermon.  Ils  disent  que  les  prédicants  ne  font  que  les  troubler,  qu'ils 

'  Ein  Gespräch  eines  ecangelischen  Christen  mit  einem  lutherischen  (Nuremberj^,  1524J, 
Bl.  4^.  —  Voy.  DÖLLINGER,  Reformation,  t.  I.  p.  172-173.  —  RaSS,  Convertiten,  t.  I, 
p.  48.  on  faisait  de  tous  côtés  la  même  expérience.  »  Je  crains  fort  »,  disait  dans 
un  de  ses  sermons  Jean  de  Staupitz,  l'ancien  provincial  de  Luther  (1523j,  «  que 
l'on  ne  trouve  en  ceux  qui  se  vantent  le  plus  d'être  évaugéliques  plutôt  des 
hérétiques  que  des  chrétiens.  Manger  du  chapon  en  carême,  faire  ripaille  le  jour 
et  la  nuit,  est-ce  donc  là  ce  qu'ils  appellent  la  liberté  chrétienne  ■.■'  Où  voit-on 
que  le  Christ  et  les  apôtres  nous  aient  donné  un  tel  exemple  '.'  C'est  vraiment 
imiter  le  diable  et  non  le  Christ  que  d'agir  de  la  sorte.  Beaucoup  abandonnent 
leurs  couvents,  disant  que  sous  le  froc  ils  ne  peuvent  vivre  selon  l'Évangile. 
S'ils  ont  reçu  les  Ordies  mineurs,  ils  se  hâtent  de  s'en  débarrasser;  ils  retournent 
dans  le  monde,  mangent  et  boivent  le  jour  et  la  nuit.  •  Kolde,  Augusiiner- 
Congregation,  p.  343-344. 

-  V^oy.  BiNUER,  p.  lOJ. 

PlRkHEIMEIH  Op.,    p.    374. 

24. 


372  OPPRESSION    DES    C  AT  H  O  LIO  U  li  S  .    1524-1525 

ne  savent  plus  ce  qu'ils  doivent  croire,  et  donneraient  beaucoup 
pour  ne  les  avoFr  jamais  entendus  '.  ■-■ 

Le  parti  qui  dominait  au  conseil  pensait  tout  différemment  sur 
le  compte  des  prédicants.  Les  conseillers  les  plus  influents  écrivaient 
à  l'Empereur  que  rien  de  séditieux  n'était  toléré  dans  la  cité.  Aux 
États  des  villes  réunies  à  Ulm  sur  la  proposition  de  Nuremberg,  un 
certain  nombre  de  députés  expédièrent  un  message  à  Charles-Ouint, 
pour  l'assurer  qu'à  >'uremberg'  les  prédicateurs  étaient  rigoureuse- 
ment obligés  à  ne  prêcher  «  que  la  pure  et  littérale  parole  de  Dieu, 
d'après  l'Écriture,  et  telle  que  l'approuvait  la  sainte  Église  chrétienne, 
conformément  à  l'édit  de  Worms  -  ■  . 

Et  cependant  des  agressions  directes  contre  le  culte  de  l'Église  et 
les  droits  des  établissements  religieux  avaient  depuis  longtemps  été 
inaugurées  à  Nuremberg  comme  ailleurs.  Quelques  mois  plus  tard, 
sur  l'ordre  du  conseil,  avait  lieu,  dans  une  salle  de  l'hôtel  de  ville,  une 
conférence  religieuse  qui  dura  plusieurs  jours,  et  après  laquelle, 
avec  un  sans  gène  auquel  on  commençait  à  s'habituer,  on  décida 
l'abolition  de  l'ancien  culte.  A  dater  de  ce  jour,  on  marcha  à  grands 
pas  dans  la  voie  de  l'arbitraire.  De  par  l'ordre  et  l'autorité  laïques 
le  nouvel  Évangile  fut  établi  ^  dans  la  ville  et  dans  les  cinquante  ou 
soixante  localités  soumises  à  la  juridiction  de  Nin-emberg. 

A  partir  de  ce  moment,  il  ne  fut  plus  question  de  tolérance  envers 
l'ancienne  Église,  et  l'on  ne  montra  plus  aucun  égard  envers  les 

'  Voy.  HÖFLER,  Denhicûrdigkcileii  der  Charilas  Pirl.heïmer,  p.  130. 

-  o  Abschid  aller  erbaren  Fretj-und  ReichsUtl  gemaincn  Stetllags  auf  Aflermontag  mich 
XHcolai  (13  décembre)  1524,  in  der  Stadt  Um  gehauen,  •  Vov.  Der  erbern  Freien-und 
Retchslelt  Abschide  der  jare  1523-1542.  Archives  de  Francfort.  «  L'Empereur  », 
étaiL-il  dit  dans  le  recez,  "  avait  interdit  l'assemblée  qu'on  s'était  proposé  de 
réunir  à  Spire.  Il  avait  publié  un  édit  qui  menaçait  de  peines  sévères  ceux  qui 
adopteraient  les  doctrines  de  Luther.  Aussi,  sur  la  proposition  de  Nuremberg, 
les  États  des  villes  s'étaient  réunis,  et  il  avait  été  décide  que  sans  apporter  nul 
délai  à  l'affaire,  on  aviserait  aux  voies  et  moyens  de  satisfaire  aux  ordres  de 
l'Empereur.  »  Dans  le  messaffe  envoyé  à  l'Empereur,  il  était  dit  que  l'édit  de 
Worms  était  impossible  à  exécuter,  à  cause  des  dispositions  populaires,  car  les 
peuples  se  montraient  si  avides  de  la  pure  parole  de  Dieu,  qu'ils  se  déclaraient 
prêts  à  sacrifier  pour  elle  leurs  corps  et  leurs  vies.  Les  délégués  des  villes 
étaient  donc  convenus  entre  eux  (juillet  1524)  de  laisser  prêcher  en  toute 
liberté  l'Évangile  pur  et  simple ,  conforme  en  tout  aux  écrits  bibliques  et 
apostoliques.  (Voy.  plus  haut,  p.  367.)  Le  conseil  de  Francfort  avait  écrit  à  Ulm  le 
29  novembre  1524  (mardi  après  saiute  Catherine)  qu'il  lui  était  impossible  d'en- 
voyer à  la  Diète  ses  délégués,  et  se  proposait,  autant  que  la  chose  se  pourrait, 
de  se  montrer  obéissant  envers  l'édit  impérial.  Esslingen  écrivit  à  Ulm  le  20  dé- 
cembre (mardi  avant  saint  Thomas,  apôtre)  qu'il  ne  pouvait  souscrire  à  l'adresse 
qu'une  partie  des  députés  urbains  avaient  rédigée  pour  être  envoyée  à  l'Empe- 
reur, et  qu'il  avait  l'intention  de  se  montrer  obéissant  envers  l'édit  impérial. 
Gemund  (en  Souabe)  s'exprime  de  même  (22  décembre,  jeudi  d'apiès  saint 
Thomas,  apôtre),  1524.  Archives  de  Francfort,  convolut  :  Rcichssachcn  a.  1524. 

^  Voy.  Roth,  Reformation  in  Xiirnberg,  p.  194. 


MEMOIliES   Di;    CIIAIHTK    l'ii:  Iv  II  K  IM  K  H.  373 

calholiques  demeurés  fidèles.  C'est  ce  que  va  nous  démontrer  This- 
loire  du  couvent  de  Sainte-Claire.  L'abbesse  des  relijjieuses,  Charilé 
Pirkiieinier,  nous  a  laissé  dans  ses  Mémoires  le  saisissant  récit  des 
événements  dont  elle  et  ses  S(rurs  avaient  été  les  victimes  '. 

Avant  la  prédication  du  nouvel  Évangile,  Charité  avait  été  univer- 
sellement célébrée  par  les  hommes  les  plus  éminenls  de  son  temps. 
Tous  l'avaient  considérée  comme  une  des  plus  nobles  personnalités 
de  son  sexe;  à  .\urember{j,  au  témoignage  de  Christophe  Scheurl, 
«  tous  ceux  que  distinguaient  leur  rang  ou  leur  savoir  étaient  dans 
l'admiration  de  ses  hautes  capacités,  de  son  instruction  étendue,  de 
l'élévation  de  ses  sentiments,  de  la  pureté  de  ses  mœurs  -.  Ouant 
au  genre  de  vie  des  Sœurs,  de  l'aveu  même  du  conseil,  on  n'y  avait 
jamais  rien  trouvé  à  redire;  nul  abus,  nul  scandale  n'avait  jamais 
été  signalé  dans  la  maison.  On  vantait  au  contraire  sa  parfaite  dis- 
cipline, et  sa  bonne  renommée  était  partout  solidement  établie.  Si 
donc,  même  contre  Charité  et  ses  compagnes,  issues  pour  la  plupart 
des  premières  familles  de  la  ville,  on  osait  se  porter  aux  actes  de 
violence  les  plus  audacieux,  il  est  facile  de  se  représenter  à  quels 
procédés  iniques  les  puissants,  les  tyrans  de  conscience,  avaient 
recours  quand  il  s'agissait  de  persécuter  et  d'opprimer  le  reste  des 
catholiques. 

L'histoire  du  couvent  de  Sainte-Claire  caractérise  dans  une  cer- 
taine mesure  ce  temps  «  si  lamentablement  destitué  de  paix  divine  et 
humaine  '-,  comme  le  disait  très-justement  l'archiduc  Ferdinand*. 

«  Une  foule  de  personnages  de  tout  rang  ",  dit  Charité  dans  ses 
Mémoires  (1524),  «  venaient  touslesjours  visiter  les  amies  qu'ils  avaient 
chez  nous;  ils  endoctrinaient  les  Sœurs,  leur  exposaient  les  nou- 
velles doctrines,  et  leur  argumentation  n'avait  point  de  fin.  Ils  s'effor- 
çaient de  nous  prouver  que  l'état  religieux  était  damnable,  perni- 
cieux; qu'il  était  impossible  d'y  faire  son  salut,  et  que  toutes  nous 
appartenions  au  diable.  Beaucoup  voulaient  contraindre  leurs  filles, 
sœurs  ou  cousines  à  sortir  du  cloître,  et  les  engageaient  à  changer 
d'état,  à  grand  renfort  de  paroles,  de  menaces  et  aussi  de  belles  pro- 
messes. " 

1  Höüer  a  eu  le  mérite  de  publier  le  premier  ces  Mémoir-s.  Mieux  qu'aucuu 
autre  témoignage,  les  Mémoires  et  lettres  de  l'abbesse  vont  nous  montrer  le 
triste  usage  qu'on  faisait  alors  de  la  «  parole  divine  ■  et  de  la  ■  liberté  évan- 
gélique  •  pour  l'oppression  de  toute  liberté  de  conscience.  Le  seizième  siècle 
ne  nous  fournit  peut-être  pas  un  seul  document  qui  les  vaille;  ils  nous  offrent 
un  exemple  vraiment  admirable  de  fidélité  héroïque,  de  piété  pure,  de  con- 
stance chrétienne  et  sublime  parmi  d'indicibles  angoisses  et  persécutions, 
au  milieu  des  tristes  exemples  de  l'apostasie  générale.  Binder,  dans  sa  belle 
biographie  de  Charilé  Pirkheimer,  a  su  mettre  le  récit  de  l'abbesse  dans  un 
admirable  relief. 

*  Chmel,  Ferdinands  Instruction  fur  Karl  von  Durgund,  p.  1  îO-142. 


374  MÉMOIRES   DE    CHARITÉ    PIRKHEÎMER. 

Mais  comme  aucune  des  Sœurs  ne  voulut  jamais  entendre  parler 
d'une  telle  désertion,  les  nouveaux  croyants  attribuèrent  leur  «  obsti- 
nation "  aux  Pères  Carmes,  directeurs  des  religieuses  de  Sainte- 
Claire,  et  déclarèrent  qu'aussi  longtemps  qu'on  ne  les  éloignerait 
pas  de  la  maison,  il  ne  fallait  pas  songer  à  ■-■■  convertir  >  les  Sœurs. 
Au  sein  du  conseil,  les  ennemis  du  couvent  exprimèrent  donc  le 
désir  de  voir  la  direction  spirituelle  des  Sœurs  retirée  aux  Carmes, 
et  donnée  aux  nouveaux  prédicants. 

i:  J'exposai  l'état  de  la  question  à  la  communauté  «,  rapporte 
Charité,  "  réclamant  en  cette  circonstance  l'avis  et  le  conseil  de  mes 
Sœurs.  Alors,  considérant  ce  qui  leur  adviendrait  si  la  communauté 
sortait  du  gouvernement  régulier  des  Pères  pour  être  placé  sous  la 
domination  de  prêtres  dissolus  et  de  moines  apostats,  elles  décla- 
rèrent unanimement  qu'elles  ne  leur  obéiraient  point,  et  s'écrièrent 
d'une  seule  voix  qu'il  ne  fallait  pas  attendre  pour  agir  qu'on  vint 
nous  enlever  les  Pères,  car  ensuite,  malgré  toutes  nos  récrimina- 
tions, il  ne  nous  serait  plus  possible  de  remettre  les  choses  dans 
leur  premier  état;  qu'il  fallait  commencer  par  adresser  une  sup- 
plique au  conseil,  par  faire  appel  à  sa  loyauté,  en  lui  représentant 
le  tort  qui  serait  fait  à  nos  âmes  par  une  telle  mesure,  témoignant 
une  pleine  confiance  en  sou  équité,  et  le  suppliant  de  considérer 
l'injustice  qu'on  voulait  commettre  à  notre  égard.  Je  me  rendis  à 
l'avis  des  Sœurs,  et  rédigeai  une  supplique  qu'elles  approuvèrent 
toutes,  sans  aucune  exception.  - 

Dans  cette  admirable  «  supplique  > ,  les  Sœurs  rappelaient  au  con- 
seil, en  termes  émouvants,  qu'elles  avaient  toujours  été  exemptes  de 
reproche  dans  leurs  rapports  avec  l'autorité;  que,  --  dans  toutes  les 
choses  justes  et  acceptables  =,  elles  s'étaient  constamment  efforcées 
de  lui  complaire,  et  qu'on  ne  pouvait  formuler  aucun  blâme  sur  leur 
genre  de  vie.  ^  Il  ne  serait  donc  pas  juste  »,  ajoutaient-elles,  ^-  de 
contraindre  notre  conscience  et  de  nous  empêcher  de  suivre  les  règles 
de  notre  institut.  «  «  Quelques-uns  s'imaginent  que  nos  Pères  nous 
interdisent  la  lecture  du  saint  Évangile  et  autres  livres  bibliques. 
Un  tel  soupçon  n'est  point  fondé  et  leur  l^it  injure.  Nous  pouvons 
affirmer  en  toute  sincérité  que  parmi  nous  l'Ancien  et  le  Nouveau 
Testament,  en  langues  allemande  et  latine,  sont  d'une  pratique  et 
d'un  usage  quotidiens,  et  que  nous  nous  efforçons  de  tout  notre 
cœur  de  les  entendre  dans  leur  sens  exact  et  littéral.  Et  non-seule- 
ment nous  lisons  la  Bible,  mais  nous  ne  refusons  pas  d'examiner  ce 
qui  nous  vient  entre  les  mains,  à  l'exception  des  libelles  et  pam- 
phlets qui  répugnent  à  notre  conscience,  et  ne  nous  semblent  pas 
conformes  à  la  simplicité  chrétienne.  Nous  espérons  que  Dieu,  écou- 
lant la  fervente  prière  de  nos  cœurs,  ne  nous  refusera  pas  et  ne 


MÉMOIRES   \)\-.    rjfARITK    P  F  R  K  II  F  IMK  F^  375 

nous  cachcr.'i  point  son  saint  cl  véritable  Espril,  afin  que  nons  puis- 
sions comprendre  la  parole  de  Dieu  selon  son  adorable  sens,  non- 
seulement  selon  la  lettre,  mais  selon  l'esprit.  ' 

D'autres  reproches  ayant  trait  à  leur  genre  de  vie  étaient  éjjale- 
mcnt  injustes  :  «  On  nous  accuse  de  nous  confier  en  nos  propres 
œuvres  et  de  n'attendre  notre  salut  que  de  leur  secours;  cepen- 
dant nous  affirmons  ici  que,  {yràce  à  Dieu,  nous  sommes  bien 
loin  d'i{ynorer,  mal{yré  tout  ce  qu'on  en  peut  dire,  que  par  les 
œuvres  seules  nul  homme,  comme  le  dit  saint  Paul,  ne  saurait  être 
justifie,  puisqu'on  ne  peut  l'ôlre  que  par  la  foi  en  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ,  d'autant  que  le  Sauveur  Jésus  nous  a  lui-même  enseijjné 
que  lorsque  nous  avons  lait  tout  ce  qui  est  eu  notre  pouvoir,  nous 
devons  néanmoins  nous  considérer  comme  des  serviteurs  inutiles. 
Mais  d'autre  part  nous  sommes  très-persuadées  qu'une  foi  pure  et 
véritable  ne  peut  exister  sans  les  bonnes  œuvres,  de  même  qu'un  bon 
arbre  doit  nécessairement  porter  de  bons  fruits.  >  Nous  croyons 
que  Dieu  récompensera  chaque  homme  selon  ses  mérites,  et  que, 
lorsque  nous  paraîtrons  devant  le  tribunal  du  Christ,  chacun  y  sera 
accueilli  selon  ses  œuvres,  bonnes  ou  mauvaises.  Nous  savons  encore 
que  ce  n'est  point  à  nos  propres  efforts  que  nous  devons  attribuer  nos 
bonnes  actions,  et  lorsqu'un  acte  louable  s'opère  par  notre  entremise, 
nous  n'ignorons  pas  que  le  mérite  ne  peut  nous  en  être  attribué,  car 
tout  bien  procède  uniquement  de  Dieu.  C'est  donc  sans  aucun  fonde- 
ment qu'on  nous  accuse  de  nous  complaire  dans  nos  bonnes  œuvres; 
toute  notre  gloire  ne  réside  que  dans  le  Christ  crucifié  et  humilié, 
qui  nous  a  ordonné  de  prendre  sa  croix  et  de  le  suivre.  Aussi  nous 
regardons-nous  comme  obligées,  ainsi  qu'on  nous  y  invite,-  de 
dompter  en  nous  le  vieil  Adam  et  de  soumettre  le  corps  à  l'esprit 
parla  mortification;  et  pour  ce  faire,  nous  trouvons  plus  de  facilités 
et  de  motifs  dans  la  vie  religieuse  que  dans  le  monde.  » 

Toutes  étaient  résolues  à  demeurer  au  couvent,  dans  la  vocation  à 
laquelle  Dieu  les  avait  appelées;  ce  n'était  pas  pour  y  mener  une  vie 
commode,  et  le  conseil  lui-même  savait  fort  bien,  par  l'examen  de 
leurs  comptes  annuels,  quelle  vie  de  pauvreté  et  de  privations  était 
la  leur,  puisqu'elles  avaient  à  peine  de  quoi  vivre.  Elles  ne  ressen- 
taient aucun  mépris  pour  l'état  du  mariage;  mais  quant  à  elles, 
elles  étaient  décidées  à  servir  Dieu  dans  la  virginité,  «  et  nul  homme 
de  bon  sens  ne  pouvait  leur  en  dénier  le  droit  -.  Elles  ne  retenaient 
personne  de  force;  elles  ne  jugeraient  point  celles  qui  désireraient 
retourner  dans  le  monde;  <  mais  si  nous  voulons  la  liberté  pour 
chacun,  nous  souhaitons,  nous  aussi,  être  traitées  avec  justice,  et 
jouir  delà  liberté,  non-seulement  selon  le  corps,  mais  selon  l'esprit  ». 
Aussi  se  refusaient-elles  à  laisser  pénétrer  chez  elles  des  directeurs 


376  MÉMOIRES   DE    CHARITÉ    PIRKHEIMER. 

spirituels  étrangers,  sachant  bien  qu'une  telle  mesure  serait  infail- 
liblement la  ruine  de  leur  communauté.  Le  conseil,  en  un  temps  si 
périlleux,  devait  craindre  de  donner  lieu  au  scanrlale  ou  à  d'injustes 
procédés.  Elles  le  suppliaient  donc  d'avoir  pitié  d'elles,  car  la  chose 
n'importait  pas  seulement  à  leur  bien  temporel,  mais  au  salut  de 
leurs  âmes. 

A  la  requête  de  ses  compagnes,  Charité  adressa  aussi  un  mémoire 
étendu  à  son  beau-frère  le  conseiller  Martin  Geuder,  le  priant 
d'user  en  faveur  de  Sainte-Claire  de  l'influence  dont  il  jouissait 
au  conseil.  Depuis  quatre  siècles,  lui  écrivait-elle,  les  Carmes  diri- 
geaient la  conscience  des  Sœurs,  et  jamais  on  n'avait  eu  le  moindre 
reproche  à  leur  adresser.  Les  deux  Pères  qui  exerçaient  le  saint 
ministère  à  Sainte-Claire  et  remplissaient  les  fonctions  de  prédi- 
cateur et  de  confesseur,  ne  recevaient  du  couvent,  depuis  quarante 
ans,  comme  le  conseil  le  savait  fort  bien,  que  le  vêtement  et  la  table. 
De  quel  droit  les  éloignait-on  pour  imposer  aux  Sœurs  d'autres 
guides  spirituels?  «  Je  ne  sache  point  >>,  disait  Charité,  «  que 
jamais  serviteur  ou  mendiant  ait  été  contraint  de  se  confesser 
là  où  son  maître  l'exigeait!  Nous  serions  les  plus  misérables  des 
créatures  s'il  nous  fallait  nous  confesser  à  des  personnes  qui  ne 
croient  plus  eu  la  confession,  et  si  nous  étions  réduites  à  recevoir 
le  Très-Saint  Sacrement  des  mains  de  gens  qui  en  font  un  tel  abus 
que  c'est  chose  abominable  à  entendre!  Comment  nous  résoudre 
à  obéir  à  ceux  qui  n'obéissent  plus  ni  au  Pape,  ni  à  l'évêque,  ni 
à  l'Empereur,  ni  à  la  sainte  Eglise,  à  ceux  qui  ont  aboli  le  beau 
culte  chrétien  et  l'ont  changé  au  gré  de  leurs  cervelles!  Si  je  devais 
passer  par  une  pareille  épreuve,  je  lui  préférerais  de  beaucoup  la 
mort!  » 

Charité  affirme  de  nouveau  dans  cette  lettre  que  toute  la  com- 
munauté lit  quotidiennement  la  Bible  :  "  Par  la  grâce  de  Dieu,  ni  le 
saint  Évangile,  ni  les  Épitres  de  saint  Paul  ne  nous  font  défaut. 
Pour  moi,  je  préfère  les  voir  pratiqués  dans  le  détail  de  la  vie  et 
par  des  actes,  que  sans  cesse  sur  les  lèvres  et  jamais  dans  les 
œuvres.  » 

«  Mais  ils  prétendent  qu'on  nous  explique  et  qu'on  nous  prêche 
l'Évangile  d'une  manière  puérile  et  tout  humaine.  Je  réponds  :  Nous 
resterons  attachées  au  texte  du  saint  Évangile,  et  nous  ne  nous  en 
laisserons  séparer  ni  vivantes  ni  mortes!  Mais  si  nous  admettions  des 
gloses,  je  recevrais  pour  ma  part  avec  beaucoup  plus  de  confiance  la 
glose  et  la  doctrine  des  chers  saints,  confirmées  et  approuvées  par 
la  sainte  Église,  que  la  glose  d'un  esprit  étranger,  que  la  sainte 
Église  réprouve  et  condamne,  que  nous  proposent  des  gens  qui, 
après  tout,  ne  sont  que  des  hommes,  et  dont  la  vie  évangélique  offre 


M  EMOI  II  RS   DV.    CHARITK    I' 1 1;  K  II  i:  IM  I- H.  377 

fort  peu  de  ressemblance  avec  les  œuvres  et  les  vertus  des   chers 
saiats  dont  ils  ont  rejeté  Tintercession  '.  • 

«  JNc  te  repens  point  •),  écrivait  la  Sœur  FélicKé  Grundherr  à  son 
père,  conseiller  de  la  ville,  «  de  m'avoir  encouragée  dans  le  bon 
dessein  que  j'avais  formé  de  me  consacrer  à  Dieu.  J'espère  que  ce 
sera  pour  tni  dans  réternité  une  gloire  et  une  joie  singulières,  oui, 
plus  que  si  tu  m'avais  fait  épouser  rEmperciir  romain,  dont  je 
n'échangerais  point  le  palais  contre  ma  cellule!  <  Avec  l'aide  de 
Dieu,  personne  ne  j)ourra  me  faire  sortir  de  mon  petit' couvent, 
aussi  longtemps  <juc  je  vivrai!  .le  dirai  plus  :  bien  qu'on  outrage 
d'une  si  abominable  manière  l'état  que  j'ai  embrassé,  mon  avis  est 
que  si  j'avais  encore  ma  libre  volonté,  je  m'offrirais  de  nouveau 
volontairement  à  Dieu  pour  le  servir  dans  la  vie  religieuse;  qu'on 
chante  et  rabâche  tout  ce  qu'on  voudra,  je  veux,  et  j'en  implore  la 
grâce,  vivre  et  mourir  dans  l'état  religieux,  et  y  attendre  mon  Juge, 
en  la  miséricorde  duquel  j'ai  mis  mon  unique  espérance.  J'ai  la  con- 
fiance que  lu  ne  te  laisseras  pas  séduire,  et  que  tu  conserveras  ton 
ancien  et  vaillant  cœur  de  chrétien,  car  il  me  semble  que  je  ne  pour- 
rais éprouver  de  plus  grande  douleur  en  ce  monde  que  de  te  voir 
aposfasier.  En  vérité,  cela  me  briserait  le  cœur!  ■  <  Il  me  semble  , 
écrit-elle  un  autre  jour,  «  que  si  je  recevais  l'assurance  qu'on  nous 
laissât,  à  nous  et  à  nos  vénérés  Pères,  la  liberté  de  suivre  nos  anciens 
et  saints  usages,  nous  permettant  de  servir  Dieu  en  paix,  je  ne 
pourrais  éprouver  de  plus  grande  joie  ici-bas^!  - 

Mais  '•  nulle  voix  parlant  au  nom  de  la  liberté  et  de  la  justice  chré- 
tienne >'  n'avait  alors  chance  d'être  entendue.  Une  députation  envoyée 
parle  conseil  viola  la  clôture  des  S(Purs  et  entreprit  de  les  convaincre 
que  «  la  ville  ayant  reçu  le  bienfait  de  l'Évangile  " ,  elles  devaient 
désirer  participer  à  cette  lumière,  et  consentir  à  recevoir  '^  un  saint 
prédicateur  de  la  pure  parole  de  Dieu  ".  La  nouvelle  loi  de  l'Évangile 
devait  être  partout  introduite.  Et  comme  toutes  les  Sœurs,  invo- 
quant leurs  convictions  religieuses  et  leur  conscience,  continuaient  à 
résister  aux  promesses  comme  aux  menaces,  leurs  directeurs  spiri- 
tuels leur  furent  retirés,  par  Tordre  du  conseil.  Une  religieuse  de 
soixante-dix  ans  mourut  sans  avoir  la  consolation  de  recevoir  le  saint 
Viatique;  malgré  ses  touchantes  instances,  on  ne  laissa  pénétrer 
auprès  d'elle  aucun  prêtre  catholique. 

>(  C'est  vraiment  chose  triste  et  lamentable  %  disent  les  Sœurs 
dans  une  nouvelle  supplique  adressée  au  conseil,  <  que,  dans  un 
temps  où  la  liberté  évangélique  est  proclamée  en  tout  lieu  avec  tant 

'  HÖFLER,  DenhwürdigkeiUn  der  C/iarilas  Pirhheimcr,  p.  5-19. 

^  LOCHM-R,  Brkfe  der  Félicitas  Grundiurr,  dans  les  Hisior.-poli(.,B\.,  p.  44,  442-455. 
—  Voy.  Binder,  p.  118-120. 


378  MEMOIRES   DE    CHARITE    PIRKHEIMER. 

de  fracas,  on  prétende  tenir  nos  consciences  captives!  '  Comment, 
en  ces  temps  de  discorde  et  de  trouble,  lorsque  tant  de  nouveautés 
et  de  changements  se  produisaient  tous  les  jours,  et  que  les  doctrines 
les  plus  contradictoires  étaient  tantôt  adoptées  et  tantôt  rejetées, 
pouvait-on  leur  faire  un  crime  de  persévérer  dans  leur  foi,  dans  les 
saintes  traditions  de  l'Église,  en  attendant  que  celle-ci  se  soit  pro- 
noncée, et  qu'elle  ait  fixé  ce  qui  était  encore  douteux?  Mais  le  cura- 
teur du  couvent,  le  trésorier  Nützel,  ne  voulut  voir  que  de  l'obsti- 
nation, de  l'orgueil  et  de  la  superstition  dans  la  noble  fermeté  des 
Sœurs.  Il  annonça  à  l'abbesse  que,  sur  l'ordre  du  conseil,  deux 
prédicants  viendraient  prêcher  au  couvent,  et  il  accompagna  cette 
nouvelle  de  la  remarque  suivante  :  «  Notre  Seigneur  Dieu  se  plait 
souvent  à  nous  préparer  des  verges  salutaires;  il  entend  châtier 
par  là  notre  attachement  obstiné  à  la  superstition.  «  Il  reprocha 
même  aux  religieuses  «  d'attirer  sur  la  ville  l'émeute,  l'effusion  du 
sang,  le  meurtre  et  toutes  sortes  de  calamités  '  ';. 

«  N'est-il  pas  étrange  «,  écrivait  Clara  Pirkheimer,  sœur  de 
Charité,  à  son  frère  Willibad-,  -  qu'ils  veuillent  absolument  nous 
contraindre  à  adopter  une  foi  qui  n'est  pas  dans  notre  cœur  pour 
nous  soumettre  à  ce  qui  leur  plait?  Car,  dans  leur  pensée,  rien 
n'est  chrétien  que  ce  qu'ils  ont  eux-mêmes  établi;  l'Église,  c'est 
eux;  cependant  je  crains  fort  que  le  Saint-Esprit  ne  règne  pas  con- 
tinuellement ni  certainement  dans  cette  Église,  comme  les  faits  ne 
me  le  font  que  trop  craindre!  '  «  On  voit  assez  ",  écrit  Charité, 
«  quel  profit,  quel  honneur  ont  suivi  pour  tant  d'hommes  et  de 
femmes  leur  triste  apostasie!  Nous  le  saurons  en  détail  avec  le 
temps;  ces  pauvres  âmes,  tentées  jusqu'au  désespoir,  viendront  un 
jour  nous  confier  avec  beaucoup  de  lamentalions  et  de  larmes 
qu'on  les  a  trompées,  qu'on  n'a  pas  eu  en  vue  le  salut  de  leur 
âme,  mais  uniquement  leur  avoir.  Maintenant  elles  ne  sont  même 
pas  en  sécurité  pour  leur  corps  et  leur  vie,  car  on  dit  que  la  détresse 
des  religieuses  et  des  moines  apostats  est  affreuse!  »  "  Nous  savons 
assez  que  beaucoup  de  prédicants  ne  nous  tiennent  pas  même  pour 
chrétiennes;  sous  prétexte  de  zèle  évangélique,  ils  nous  décrient 
publiquement  dans  leurs  chaires,  contrairement  à  la  charité  frater- 
nelle. Ouelques-uns  disent  qu'ils  n'auront  point  de  repos  jusqu'à  ce 
que  leurs  prédications  aient  forcé  les  religieuses  et  les  moines  à 
quitter  la  ville;  ils  disent  qu'à  la  place  de  notre  couvent,  on  établira 
un  jeu  de  boules,  et  souvent  ils  nous  en  ont  menacées.  » 

«   Mais  à   quelle  doctrine   faut-il  s'attacher    »,   demande-t-elle, 


'  IIÖFLER,  Denkwürdigkeiten  der  Charitas  Pirhheimer,  p.  33-69. 
-  Binder,  p.  145. 


MEMOlfiKS   DE    ClfARITK    P  I  R  K  II  E  IM  K  H  .  379 

"  puisque  les  prédicants  se  contredisent,  et  que  chacun  assure  être 
seul  eu  possession  de  la  vérité?  On  me  rapporte  que  ceux  de  Stras- 
bourg, Bucer,  Capilo  et  autres  affirment  maintenant  que  Jésus- 
Christ  n'est  pas  Dieu,  mais  seulement  un  homme  juste,  et  que  c'est 
pour  cela  qu'on  l'a  appelé  Fils  de  Dieu.  D'autres  se  font  rebaptiser, 
et  si  nous  devions  tous  les  croire,  nous  aurions  tant  de  choses  à 
faire  qu'il  nous  serait  impossible  de  nous  y  reconnaître!  On  nous 
dit  :  Suivez  ceux  qui  vous  enseignent  la  vérité!  Mais  comment  faire, 
puisque  tous  veulent  avoir  raison,  et  que  chacun  affirme  être  seul 
dans  le  vrai?  On  m'a  rapporté  que  Carlstadl  ne  s'est  pas  encore 
rétracté;  Luther  prétend  qu'il  ne  l'a  jamais  bien  compris,  et  ils  se 
sont  renvoyé  l'un  à  l'autre  les  plus  grossières  injures;  chacun  veut 
contraindre  son  frère  à  croire  et  à  agir  selon  sa  propre  conviction, 
et  s'il  ne  le  persuade  pas,  viennent  les  colères,  les  iajures,  les  mépris, 
les  rancunes!  Est-ce  là  vraiment  la  voie  évangélique?  J'en  appelle  à 
Dieu!  »  "  Chacun  explique  la  sainte  Écriture  à  sa  guise,  et  ne  veut 
rien  céder  à  son  frère,  de  sorte  que  la  dispute  ne  finit  plus.  " 
Xiitzel  lui  avait  beaucoup  vanté  Zwingle  :  c=  Mais  si  je  l'eusse  suivi  -, 
dit-elle,  oii  en  serais-je  actuellement  par  rapport  aux  sacrements? 
Et  cependant  tous  se  croient  en  possession  de  la  parole  de  Dieu  et 
du  pur  Évangile  '. 

Afin  de  procurer  aux  Sœurs  le  bienfait  de  cette  '  pure  parole  de 
Dieu  V,  le  conseil  leur  envoya  trois  prédicants,  parmi  lesquels  était 
Oslander.  Ordre  fut  donné  aux  Sœurs  d'assister  au  prêche  -.  -  A  partir 
de  ce  Jour  -,  écrit  Charité,  •  il  y  a  eu  chez  nous  grand  concours 
de  monde,  des  cris,  du  tumulte  dans  notre  église.  On  nous  menace, 
si  l'on  apprend  que  nous  n'écoutons  pas  le  prêche,  de  nous  mettre 
sur  les  bras  certains  personnages,  qui,  mêlés  à  l'auditoire,  sauront 
bien  nous  y  obliger.  Ces  gens  sont  chargés  de  nous  observer,  de 
s'assurer  que  nous  sommes  toutes  là,  que  nous  nous  tenons  conve- 
nablement et  n'avons  pas  de  coton  dans  les  oreilles.  D'autres,  plus 
audacieux,  conseillent  de  briser  la  porte  de  l'église  et  de  la  rempla- 
cer par  une  grille,  afin  que  tout  le  monde  puisse  voir  de  la  rue 
comment  nous  nous  comportons  pendant  le  prêche.  -  «  On  ne  sau- 
rait imaginer  »,  écrit -elle  en  parlant  de  ces  prédications,  -  le  peu 


1  Denhtrürdigheitcn,  p.  148,  161-163. 

-A  Strasbourg  aussi,  «ne  "  dépiUation  de  bourgeois  ^  réclama  l'abolitioa 
de  la  tyrannie  impie  des  religieuses,  et  demanda  qu'elles  fussent  contraintes 
à  adopter  -  la  parole  de  Dieu  '■,  les  prêtres  qui  s'obstinaient  à  repousser  l'Évan- 
gile devaient  être  obligés  à  assister  à  des  conférences  publiques  dans  les- 
quelles on  leur  ferait  comprendre  leur  conduite  païenne  et  autiévaugélique. 
Les  =  idoles  '  devaient  être  -balayées  •  de  la  cathédrale  et  autres  églises;  les 
grandes  sonneries  interdites,  les  jours  de  fête  abolis,  etc.  B.\.lm.  Capito  uni  Buizer, 
p.  310-311. 


380  MÉMOIRES  I»E    CHARITÉ    PIRK  liE  IM  ER. 

de  respect  avec  lequel  les  prédicants  accommodent  à  leur  fantaisie  la 
sainte  Écriture  et  lui  donnent  une  signification  étrangère;  avec 
quelle  brutalité  ils  repoussent  les  préceptes  de  TEglise,  avec  quel 
mépris  ils  rejettent  la  sainte  messe  et  toutes  les  cérémonies  du 
cuite,  et  comme  ils  outragent  et  calomnient  les  Ordres  religieux, 
n'épargnant  ni  le  Pape,  ni  l'Empereur,  qu'ils  appellent  publique- 
ment tyrans,  démons,  antechrists.  Blessant  la  charité  fraternelle,  ils 
nous  attaquent  grossièrement  devant  tout  le  monde;  les  plus  grands 
péchés  qu'ils  peuvent  imaginer,  ils  nous  les  reprochent  en  pleine 
chaire,  afin  d'exciter  les  gens  contre  nous.  Ils  exhortent  leurs  audi- 
teurs à  nous  exterminer,  nous  autres  gens  impies,  à  tout  briser 
dans  nos  couvents  et  à  nous  en  arracher  de  force;  car,  à  les  entendre, 
nous  sommes  dans  un  état  de  damnation,  nous  sommes  hérétiques, 
superstitieuses,  blasphématrices,  et  nous  appartiendrons  éternelle- 
ment au  diable  '!  " 

«  Les  prédicants  ",  écrivait  Pirkheimer  à  Mélanchthou,  '<  crient, 
jurent,  écument  de  colère  et  excitent  le  monde  entier  contre 
ces  pauvres  religieuses.  Ils  ne  se  gênent  pas  pour  dire  :  Puisque 
les  paroles  ne  servent  de  rien,  il  fout  que  la  force  fasse  son  office! 
En  vérité,  c'est  miracle  que  le  couvent  n'ait  pas  été  depuis  long- 
temps pillé  et  détruit,  tant  cette  haine  fatale  est  entretenue  à  des- 
sein-. 1 

'<  Nous  sortions  à  peine  d'un  carême  passé  dans  l'angoisse  et  la 
douleur  >>,  poursuit  Charité  dans  ses  Mémoires,  .-.  qu'aussitôt  après 
Pâques,  nous  vîmes  les  choses  empirer  de  beaucoup.  Le  vendredi  de 
Pâques,  tous  les  prêtres  furent  mandés  à  l'hôtel  de  ville.  Là,  défense 
expresse  leur  fut  faite  de  dire  à  l'avenir  la  messe  latine,  les  docteurs 
ayant  déclaré  que  la  messe  était  nue  superstition,  un  outrage  fait  à 
Dieu,  et  qu'il  était  impossible  de  la  tolérer  plus  longtemps,  surtout 
à  cause  du  canon.  Il  fut  aussi  interdit  à  tous  les  prêtres  libres  et 
aumôniers  de  couvent  (les  prêtres  de  paroisse  exceptés)  d'entendre 
à  l'avenir  les  confessions  et  d'administrer  les  sacrements.  A  partir 
de  ce  jour,  nous  avons  eu  la  douleur  de  n'avoir  plus  la  messe  dans 
notre  église.  " 

«  Tous  les  jours,  on  menaçait  de  nous  chasser  de  notre  maison, 
ou  de  violer  la  clôture,  ou  de  mettre  le  feu  au  couvent.  Quelques 
misérables  avaient  même  l'audace  de  rôder  autour  de  la  maison, 
faisant  entendre  des  menaces  grossières  contre  notre  vœu  de  chas- 
teté, et  répétant  que  cette  même  nuit  ils  entreraient  chez  nous, 
de  sorte  que  nous  étions  dans  des  transes  horribles  et  dans  une 


1  UÖFLF.R,  Denkicürdigleilen,  p.  63,  69-70,  113,  146-148,  161-163.  Voy.  122,  131. 
^  l'IRKEIMEUI  Op..  p.  374. 


MEMO/HKS   Di;    CIIAIUTK    P  I  fi  K  II  KIME  I!.  381 

dé(res5;c  inexprimable;  la  peur  nous  empêchait  de  fermer  les  yeux, 
car  il  y  avait  du  trouble  dans  la  ville,  et  tous  les  jours  on  s'atten- 
dait à  une  émeule;  le  peuple,  disail-on,  voulait  en  finir  avec  les 
prêtres  et  les  relifjicuses.  Ou  nous  mettait  bien  au-dessous  des 
pauvres  femmes  qui  vivent  derrière  les  murs  ',  et  l'on  prêchait  publi- 
quement que  nous  valions  moins  qu'elles.  »  «  Telles  furent  nos  joies 
pascales  entre  Pâques  et  la  Penlecôte;  aussi  u'avions-noiis  plus  de 
moelle  dans  les  os,  et  cela  n'était  pas  merveille.  Aous  osions  à  peine 
réciter  l'office  divin  et  sonner  la  cloche  du  cha'ur,  car  dès  qu'on  se 
rappelait  noire  existence,  les  injures,  les  reproches  s'élevaient  de 
plus  belle;  on  déblatérait  contre  nous  dans  les  chaires,  on  jetait  des 
pierres  dans  notre  cha'ur,  on  brisait  nos  vitraux,  on  chantait  des 
chansons  ignobles  dans  notre  cimetière.  » 

Le  conseil  ne  fit  rien  pour  protéger  les  patientes;  au  contraire, 
il  leur  fit  dire  que  si  l'émeute  éclatait,  leur  obstination  eu  serait 
cause.  «  La  parole  de  Dieu  pure  et  sans  alliage  »,  écrivait-il  aux 
S(rurs,  «  a  prouvé  avec  la  dernière  évidence  que  la  secte  péche- 
resse, c'est-à-dire  la  fraction  séparée  vouée  à  l'état  religieux,  est 
dans  un  état  maudit,  rejeté  de  Dieu,  criminel,  et  qu'en  y  demeu- 
rant, on  pèche  contre  les  commandements  de  Dieu  et  contre  le  saint 
Évangile.  Le  peuple  est  parfaitement  éclairé  sous  ce  rapport  et 
sous  beaucoup  d'autres,  et  c'est  pourquoi  son  indignation  est  si 
grande  contre  les  prêtres.  H  est  décidé  à  ne  plus  tolérer  ni  cloître, 
ni  vœux,  et  cela  non-seulement  à  Nuremberg,  mais  ailleurs"^.  » 

Osiander  ayant  excité  quelques  mégères  contre  les  Sœurs,  ces 
femmes  vinrent  au  couvent  harceler,  injurier  les  religieuses,  et  leur 
tenir  des  propos  odieux  et  meuacants  :  «  Les  femmes  sont  venues  ici 
hier  »,  écrit  Charité  à  Willibald;  «  elles  ont  été  tellement  méchantes 
et  aigres,  que  je  me  disais  tout  le  temps  :  N'y  eût-il  d'antre  peine 
dans  l'enfer  que  d'habiter  avec  de  pareilles  créatures,  c'en  serait 
assez  pour  garder  une  âme  du  péché  que  l'horreur  d'un  tel  châti- 
ment! Sans  les  femmes  et  les  prédicants,  notre  sort  serait  tolérable, 
car  on  nous  prêche  de  telles  abominations  qu'un  cœur  de  vierge  se 
sent  prêt  à  souffrir  volontairement  la  mort  plutôt  que  de  prêter 
l'oreille  à  de  semblables  discours  M  » 

Ce  qui  restait  d'honnêtes  gens  dans  le  conseil,  Martin  Geuder, 
Jacques  Muffel,  Léonard  (Grundherr,  Jérôme  Holzschuher,  Chris- 
tophe Fürer,  étaient  révoltés  de  la  conduite  grossière  des  pré- 
dicants et  des  procédés  tyranniques  de  leurs  collègues;  mais  ils 
n'avaient  plus  aucune  influence  :  -  Tout  s'opère  maintenant  par  la 

'  Les  filles  publiques. 

-  Üenkirürdigkclteit.  p.  83-93. 

^  Binder,  p.  150. 


382  MEMOIRES  DE    CHARITE    PIIIKHEIMER. 

violence  -,  mandaient-ils  à  Charité.  -■•  On  n'a  égard  ni  à  la  justice, 
ni  aux  convenances  ;  on  ne  redoute  ni  Pape,  ni  Empereur,  ni  même 
Dieu,  si  ce  n'est  en  parole.  On  ne  connaît  plus  que  ce  raisonnement  : 
Nous  voulons  que  la  chose  soit  ainsi,  et  elle  se  fera,  elle,  et  non  pas 
une  autre.  » 

-i  En  vertu  d'une  décision  du  conseil  ,  poursuit  Charité,  "  permission 
fut  donnée  à  chacun  d'aller  visiter  les  amies  ou  parentes  qu'il  avait 
dans  le  couvent  aussi  souvent  que  l'envie  lui  en  prendrait.  On  était 
déjà  entré  dans  cette  voie  à  Sainte-Catherine.  Il  y  avait  beaucoup 
d'allées  et  venues  depuis  le  matin  jusqu'à  la  nuit  au  couvent,  de  sorte 
que  le  prédicant  luthérien  de  l'hôpifal  eut  un  jour  toute  liberté  pour 
changer  d'habits  avec  un  bon  camarade  et  venir  ensuite  plaisanter 
avec  les  jeunes  Sœurs  d'une  manière  impie,  s'efforçant  d'obtenir  de 
l'une  d'elles  une  promesse  de  mariage.  Lorsqu'il  fut  une  fois  hors  du 
cloitre,  il  dit  beaucoup  de  mensonges  et  de  choses  indignes  sur 
nos  pauvres  Sœurs,  qui  jamais  n'avaient  songé  à  rien  de  pareil.  » 

Peu  de  temps  après,  une  décision  du  conseil  laissa  à  la  libre  appré- 
ciation des  parents  la  question  de  savoir  s'ils  devaient  retirer  leurs 
filles  du  cloitre  «  de  gré  ou  de  force  ■.  De  toute  nécessité,  les 
parents  devaient  sauver  la  «  liberté  évangélifjue  "  de  leurs  enfants. 
"  Par  tous  les  expédients  et  moyens  possibles  >■,  déclarait  l'ami  de 
Luther,  l'ancien  provincial  des  Augustins ,  Venceslas  Link,  depuis 
1524  prédicant  du  nouvel  hôpital  de  Nuremberg,  «  on  devait  mettre 
les  religieuses  dans  la  véritable  voie  du  salut,  même  contrairement 
à  leur  volonté.  Songe-t-on  à  demander  à  ceux  qui  sont  sur  le  point 
de  se  noyer  ou  de  périr  dans  un  incendie  s'ils  veulent  ou  non  être 
sauvés?  v  Les  religieuses  ne  pouvaient  invoquer  leurs  vœux,  puisque 
les  vœux  n'étaient     que  pure  invention  humaine  -. 

La  veille  de  la  fête  du  Saint  Sacrement  (1525),  les  femmes  des 
conseillers  Tetzel,  Niitzel  et  Ebner  annoncèrent  à  Charité  qu'elles 
viendraient  ce  jour-là  même  reprendre  leurs  filles;  elles  les  avertis- 
saient en  même  temps  qu'elles  amèneraient  avec  elles  '  d'autres  per- 
sonnes »,  faisant  ainsi  entendre  à  l'abbesse  que  "  la  force  serait  de 
leur  côté  = , 

"  Lorsque  j'appelai  les  pauvres  enfants  >■,  écrit  Charité,  «  et  que 
je  leur  appris  que  leurs  mères  allaient  venir  les  chercher  à  l'heure 
même,  elles  tombèrent  toutes  trois  à  genoux,  criant,  pleurant, 
gémissant  d'une  si  lamentable  manière  que  Dieu,  dans  son  paradis, 
dut  certainement  en  avoir  pitié!  ■>■> 

La  Sœur  Marguerite  Tetzel  était  au  couvent  depuis  neuf  ans;  Ca- 
therine Ebner  et  Clara  Niitzel  avaient  pris  le  voile  il  y  avait  six  ans. 

:<  Pendant  ce  temps,  le  bruit  de  ce  qui  allait  se  passer  s'était 
répandu  dans  la  ville.  Le  peuple  s'attroupa;  il  semblait  que  quelque 


MEMOmiiS    |»i;    CIIAIHTK    l'I  I!  k  II  KIM  i;  11.  383 

pauvre  condamné  allait  être  mené  au  supplice;  toute  la  rue  et  le 
cimetière  étaient  encombrés  de  monde,  de  sorte  (|ue  les  mères,  avec 
leurs  voitures,  eurent  [jrand'peiue  à  j)éuélrcr  jusqu'au  cimetière. 
La  présence  de  tant  de  monde  les  embarrassa;  elles  auraient  voulu 
que  nous  leur  permissions  d'entrer  par  la  porle  de  derrière,  celle 
qui  donne  sur  le  Jardin;  elles  m'envoyèrent  donc  deux  personnajjcs 
que  le  conseil,  sur  ma  demande,  avait  dési[;nés  |)our  me  servir  de 
témoins,  Sebald  Pfinzinj;  et  André  Imhol'.  Mais  je  refusai  d'accéder  à 
leur  prière,  car  je  ne  voulais  pas  que  la  chose  se  fit  en  cachette,  et  je 
leur  dis  :  Si  les  mères  croient  l'aire  une  bonne  action,  elles  n'ont  pas 
à  rougir  de  leur  conduite;  je  ne  leur  rendrai  leurs  filles  qu'au  lieu 
même  où  elles  me  les  ont  amenées,  c'est-à-dire  à  la  porte  de  la  cha- 
pelle. Les  mères  voulurent  ensuite  que  je  donnasse  aux  enfants  l'ordre 
de  quitter  la  maison;  je  n'y  consentis  pas  davantage,  et  leur  dis  que 
ce  soin  les  regardait.  Aucune  des  enfants  ne  voulut  dépasser  le  seuil 
de  la  chapelle.  Les  messieurs  s'écrièrent  alors  qu'il  serait  prudent 
de  finir  prompt  émeut  cette  affaire,  car  la  foule  s'amassait  toujours 
davantage,  et  une  émeute  était  à  craindre.  Je  dis  alors  aux  mes- 
sieurs :  «  Eh  bien,  entrez,  parlez-leur  vous-mêmes,  afin  qu'elles 
agissent  de  bon  cœur,  car  pour  moi,  je  ne  peux  et  ne  veux  les  con- 
traindre à  un  acte  qui  répugne  à  leur  conscience  et  à  leur  âme.  »  Les 
deux  messieurs  entrèrent  donc  à  l'intérieur  du  couvent,  et  je  leur 
dis:  «  Voici  mes  pauvres  orphelines;  je  les  recommande  au  souverain 
Pasteur,  qui  les  a  rachetées  de  son  précieux  sang  !  n  A  ce  moment, 
les  méchantes  femmes  entrèrent  à  l'intérieur  comme  des  louves  fu- 
rieuses; la  Fritz  ïetzler  avec  une  de  ses  filles,  la  Jérôme  Ebner,  la 
Fïirer,  la  JXiilzler  avec  son  frère  Léonard  Held  qui  remplissait  le  rôle 
de  tuteur,  et  aussi  le  jeune  fils  de  Sébald  Pfinziug.  Les  mères,  usant 
alors  de  douces  paroles,  engagèrent  leurs  enfants  à  sortir  du  couvent; 
si  elles  ne  voulaient  pas  le  faire  de  bon  cœur,  elles  les  menaçaient 
de  les  emmener  malgré  elles.  Les  valeureuses  chevalières  du  Christ 
se  défendirent  autant  qu'elles  purent  par  leurs  paroles  et  leurs 
actes,  avec  beaucoup  de  larmes,  de  cris,  de  prières,  de  supplica- 
tions. Mais  dans  le  cœur  de  leurs  mères,  il  y  avait  moins  de  miséri- 
corde que  dans  l'enfer.  Elles  répétaient  qu'elles  étaient  venues  pour 
délivrer  les  âmes  de  leurs  filles,  qui  étaient  dans  la  gueule  de  Satan, 
Les  Sœ'urs  protestaient,  disant  qu'elles  ne  quitteraient  pas  le  pieux 
et  saint  couvent,  et  qu'au  jour  du  jugement,  leurs  mères  auraient  à 
répondre  de  leurs  âmes  devant  un  Juge  sévère.  Catherine  Ebner  disait 
à  sa  mère  :  «  Tu  es  la  mère  de  ma  chair,  mais  non  de  mon  esprit  ; 
tune  m'as  pas  donné  mon  àme;  c'est  pourquoi  je  ne  suis  pas  obligée 
de  t'obéir  en  des  choses  contraires  à  ma  conscience!  -  De  ce  discours 
et  de  beaucoup  d'autres  semblables,  les  mères  se  moquèrent  haute- 


384  MEMOIRES    HE    CHARITÉ    PIRKHEIMER. 

ment;  m;iis  Catherine  les  reprit  avec  tant  de  courage  et  de  fermeté, 
appuyant  toutes  ses  paroles  sur  la  sainte  Écriture,  qu'elle  les  confondit 
entièrement;  elle  ne  craignit  point  de  leur  répéter  qu'elles  péchaient 
contre  le  saint  Évangile.  Les  hommes  restés  au  dehors  avouaient 
que  de  toute  leur  vie  ils  n'avaient  rien  entendu  de  semblable.  Cathe- 
rine parla  presque  une  heure  entière  sans  s'arrêter,  et  cependant 
elle  ne  prononça  aucune  parole  inutile  et  s'exprima  avec  tant  de 
bon  sens  et  de  force,  que  chacune  de  ses  paroles  aurait  soutenu 
le  poids  d'une  livre!  Les  femmes  menaçaient  leurs  filles  de  les  faire 
enleverpar  des  gens  assez  forts  pour  en  venir  à  bout;  elles  les  conju- 
raient de  sortir  de  bonne  grâce;  sans  cela,  disaient-elles,  on  se  ver- 
rait obligé  de  leur  lier  les  mains  et  les  pieds,  et  de  les  porter  au 
dehors  comme  des  chiens.  '^  '=  Les  conseillers  impatientés  disaient 
que,  s'ils  avaient  pu  prévoir  une  telle  scène,  ils  ne  seraient  pas  venus 
pour  trente  florins,  et  qu'ils  ne  s'exposeraient  plus  de  leur  vie  à  une 
pareille  aventure.  "  Les  mères  supplièrent  alors  l'abbesse  de  délier  les 
Sœurs  de  l'obéissance  qu'elles  lui  devaient.  Charité  leur  dit  :  "  Chères 
enfants,  vous  savez  les  engagements  que  vous  avez  pris  envers  Dieu; 
il  n'est  pas  en  mon  pouvoir  de  les  annuler;  je  ne  veux  me  mêler  en 
rien  des  choses  de  votre  conscience;  je  me  borne  à  vous  recommander 
à  Dieu;  il  saura  bien  juger  votre  cause  lorsque  son  heure  sera  venue. 
Mais  quant  à  l'obéissance  que  vous  m'avez  rendue  jusqu'ici,  je  vous 
en  délie  autant  que  je  le  puis  et  que  je  le  dois,  comme  je  l'ai  déjà 
fait  aujourd'hui,  étant  encore  seule  avec  vous.  -  ^^  Ce  discours  plut 
aux  séculiers  »,  rapporte  Charité;      ils  dirent  que  j'avais  fait  ce  qui 
était  en  moi,  et  qu'ils  n'en  demandaient  pas  davantage;  quant  aux 
vœux  des  Sœurs,  il  ne  fallait  pas  s'en  préoccuper,  parce  que  le  temps 
des  vœux  était  passé.  »  D'ailleurs,  elles  n'avaient  pas  le  droit  d'en 
faire,  si  ce  n'est  au  baptême.  Les  trois  enfants  s'écrièrent  alors  d'une 
seule  voix  :  «  Nous  ne  voulons  pas  être  déliées  de  nos  vœux!  Ce  que 
nous  avons  promis  à  Dieu,  nous  le  tiendrons,  avec  le  secours  de  sa 
grâce!  »  Marguerite  Tetzler  me  dit  alors  :  «  O  douce  Mère,  ne  nous 
repoussez  pas  loin  de  vous!  "Je  lui  répondis  :  «  Chère  enfant,  vous 
voyez  assez  que  je  ne  puis  vous  venir  en  aide,  car  la  violence  qu'on 
me  fait  est  grande,  et  s'il  arrivait  malheur  au  couvent,  vous  seriez  la 
première  à  eu  être  affligée.  J'espère  que  rien  ne  sera  capable  de  nous 
séparer,  et  que  nous  serons  de  nouveau  réunies  et  resterons  éter- 
nellement ensemble,  auprès  de  Jésus,  notre  bon  Pasteur!  '•  Catherine 
Ebner  s'écria  alors  :  '•  Ouanî  à  moi,  je  ne  céderai  pas!  personne  ne 
pourra  me  contraindre  à  m'en  aller!  Et  si  l'on  m'arrache  d'ici  de 
force,  du  moins  n'aurais-je  jamais  consenti  librement  à  ce  qu'on 
exige  de  moi!  J'en  appelle  à  Dieu  dans  le  ciel,  et  à  toute  la  terre!  » 
«  A  peine  eut-elle  prononcé  ces  mois,  que  Léonard  Held  la  prit 


ME.MOIflES   |»K    CIIAi'.ITF    I' 1 1!  K  II  i;  I  M  K  i;.  385 

par  le  bras,  e(  commença  â  la  lirer  en  avant  et  à  rcntrainer.  Je  m'en- 
luis  avec  les  Sd'urs,  ne  pouvant  supporter  un  pareil  spectacle.  Quel- 
ques Sd'urs  resièreni  devant  la  porte  de  la  chapelle.  Là  elles  enten- 
dirent de  grandes  disputes;  on  poussait,  on  traînait  les  enfants  qui 
pleuraient  et  jetaient  de  grands  cris.  (Quatre  hommes  se  mirent 
après  chacune  d'elles;  deux  les  tiraient  par  devant,  deux  les  pous- 
saient par  derrière,  si  bien  que  la  petite  Kbner  et  la  petite  Tetzel 
tombèrent  Tune  sur  l'autre  sur  le  sol;  le  pied  de  la  pauvre  petite 
Tetzel  fut  presque  écrasé.  La  Ebner  menaça  sa  fille  de  lui  faire  dé- 
gringoler tout  du  long  les  degrés  de  la  chaire,  si  elle  ne  voulait  pas 
venir  de  bon  cœur  avec  elle.  A  peine  les  avait-elle  descendus,  que  sa 
mère  voulut  la  jeter  la  face  contre  terre  sur  le  sol,  afin,  disait-elle, 
qu'elle  piU  bien  rebondir.  Ce  furent  des  cris,  des  lamentations,  des 
larmes  infinies  avant  qu'on  pût  arracher  le  saint  habit  aux  enfants 
et  leur  mettre  les  vêtements  du  monde.  Cependant  les  mères  leur 
permirent  d'emporter  avec  elles  leur  habit  religieux. 

«  Lorsqu'on  voulut  les  mettre  en  voiture,  devant  la  chapelle,  la 
grande  lamentation  recommença  de  plus  belle.  Les  pauvres  enfants 
en  appelaient  à  haute  voix  aux  assistants,  se  plaignant  de  la  violence 
et  de  l'injustice  qui  leur  étaient  faites,  et  répétant  qu'on  les  arra- 
chait de  force  du  couvent.  Claire  Niitzler,  priant  à  haute  voix,  disait  : 
>'  0  douce  Mère  de  Dieu,  tu  vois  que  ceci  est  contre  ma  volonté!  ; 
Comme  on  les  emmenait,  des  centaines  de  vauriens  coururent  der- 
rière les  voitures  de  bagages.  Nos  enfants  ne  cessaient  de  crier  et 
de  pleurer.  La  Ebner  frappa  alors  sa  Catherine  sur  la  bouche,  et  le 
sang  coula  de  la  blessure  tout  le  long  du  chemin.  Enfin  toutes  les 
voilures  étant  arrivées  pour  les  conduire  chez  leurs  pères,  il  s'éleva 
une  nouvelle  clameur  et  des  sanglots  déchirants,  de  sorte  que  les 
assistants  avaient  grande  compassion  des  enfants.  Des  lansquenets, 
chargés  de  les  escorter,  disaient  que  s'ils  n'avaient  pas  craint  une 
émeute  et  la  police  de  la  ville  qui  était  venue  aussi  prêter  main-forte, 
ils  auraient  joué  de  l'épée  et  protégé  nos  pauvres  filles  K  » 

Voici  comment  Müllner,  l'historien  officiel  de  Nuremberg,  instruit 
la  postérité  des  incidents  de  cette  journée  :  «  Quelques  religieuses 
de  la  ville,  les  filles  de  .lérôme  Ebner,  de  Gaspard  Nützel  et  de  Fré- 
déric Tetzel,  s'étant  dégoûtées  de  l'état  religieux,  ont  quitté  l'habit 
de  leur  Ordre,  abandonné  le  couvent  de  Sainte-Claire,  et  sont  retour- 
nées chez  leurs  parents  *.  " 

'  Denhwürdi(/I,eite)i,  p.  97-107. 

2Vuy.  UÖFLER,  Denkwürdigkeiten,  p.  107.  Sur  .Miiiiaer  et  l'infidélité  de  ses  récits, 
VOy.  Dr.  Lochneu,  dans  les  Hislor.-polil.  BlüUeni,  t.  LXXIV,  p.  841-865,  901-924. 
•  Le  temoignaije  de  îMilllner  »,  conclut  Lochner,  -  n'a  aucune  valeur  pour  l'his- 
toire de  la  Réforme;  d'une  partialité  voulue,  il  va  jusqu'à  taire  et  dénaturer  les 
faits,  de  sorte  qu'il  est  impossible  d'arriver  par  lui  à  la  juste  appréciation  des 

II.  25 


380  LUTHER  RECONNAIT  LE  DROIT  DAPPRECIER  LÀ  DOCTRINE. 


III 


«  Quelle  nouvelle  foi  faut-il  adopter?  >  deraaadaieut  avec  Charité 
Pirkheimer  tous  les  catholiques  demeurés  fidèles  à  T Église  quand 
on  les  pressait  d'adhérer  à  1"  Évangile  .  «  Les  nouveaux  docteurs  se 
contredisent  l'un  l'autre  sur  les  dogmes  les  plus  essentiels  de  la  foi 
chrétienne,  et  chacun  appuie  ses  opinions  sur  des  textes  de  la  sainte 
Écriture  qu'il  accommode  à  sa  guise.  Et  comment  pourrait-il  en 
être  autrement,  si,  comme  Luther  l'affirme,  lout  chrétien  doit  for- 
mer sa  croyance  sur  la  Bible,  et  si  les  décisions  en  matière  de  foi 
sont  abandonnées  à  la  libre  appréciation  des  communautés'? 

Luther  avait  en  effet  déclaré,  dans  une  instruction  publiée  en  1523, 
que  toute  assemblée  chrétienne,  ou  communauté,  a  le  droit  et  le 
pouvoir  de  décider  sur  la  doctrine  et  d'élire  ou  de  déposer  ses  pas- 
teurs. '  Partout  où  le  pur  Évangile  (c'est-à-dire  sa  doctrine)  est 
prêché,  se  forme  aussitôt  la  communauté  chrétienne,  quel  que  soit 
le  petit  nombre  de  croyants  ou  leur  imperfection.  Partout,  au  con- 
traire, où  l'Évangile  n'a  pas  été  introduit,  il  n'y  a  que  des  païens, 
quel  que  soit  le  nombre,  la  sainteté  ou  la  pureté  de  vie  des  habitants.  » 
■;  11  s'ensuit  donc  irréfutablement  que  les  évèques,  les  recteurs,  les 
prieurs,  ou  autres,  ne  sont  plus  chrétiens  depuis  longtemps,  et  ne 
sauraient  constituer  des  communautés  chrétiennes,  bien  qu'ils  pré- 
tendent en  avoir  seuls  le  droit  ;  donc  les  actes  ou  décisions  de  tels 
personnages  doivent  être  considérés  comme  païens,  et  purement 
humains.  ^ 

i.  Toute  communauté  »,  dit-il  plus  loin,  «  a  le  droit  de  prononcer 
sur  la  doctrine,  et  d'élire  ou  de  déposer  ses  docteurs  et  pasteurs.  »^ 
H  ne  fallait  nullement  se  préoccuper  des  lois  humaines,  du  droit, 

événements  de  son  époque.  Lochuer  juge  avec  beaucoup  d'impartialité  les 
mesures  violentes  du  conseil  de  Nuremljerg.  Soden,  Beiträge  zur  Geschidue  der 
lifformaiion ,  p.  206,  parle  d'un  ton  dégai^jé  des  procédés  employés  envers  les  trois 
religieuses.  Binder,  p.  223,  note  45.  David  Strauss,  dans  sa  biographie  de  Ilutten, 
f  li,  p.  349,  parlant  des  faits  révoltants  que  nous  venons  de  rapporter,  est  d'avis 
que  des  procédés  semblables  étaient  indispensables  à  l'établissement  du  nouvel 
Évangile  :  ^  Ilufler  croit-il  donc  »,  s'écrie-t-il,  ^  qu'au  temps  du  premier  établisse- 
ment du  christianisme  des  actes  de  violence  absolument  semljlables  n'aient  pas 
é:é  commis  ?  '  Assurément  les  tyrans  de  la  foi  à  Nuremberg,  dans  leur  œuvre 
de  destruction,  n'allèrent  pas  aussi  loin  que  Sickingen,  le  chevalier  révolution- 
naire, et  voici  cependant  ce  que  dit  Strauss  ^t.  II,  p.  237),  à  propos  de  l'attentat 
de    Trêves  :  «  Sickingen,  opéra  sa  retraite  en  bon  ordre;  pendanc  cette  retraite, 

des  églises  et  des  couvents  furent  complètement  rases  par  l'incendie.  ^ 

'  Glos  und  Comment  stir  les L\X\  Arlicleln  und  Ketzereien  der  Lutherischen  Bl  F-. 


I 


LUTHER   RECONNAIT  I,K   DROIT  DAPPRÉCFER   f.A   DOCTRINE.  387 

de  la  tradition,  de  l'usage,  de  la  coutume,  «  qu'ils  aient  été  établis 
par  un  pape  ou  par  un  empereur,  par  des  princes  ou  par  des  évé- 
ques,  le  monde  entier  ou  la  moitié  du  monde  lesedt-il  adoptés  depuis 
un  an  ou  depuis  mille  ans.  C'est  une  loi  humaine  qui  prétend  qu'il 
n'appartient  qu'aux  seuls  évéques,  docteurs  et  conciles  d'apprécier 
la  doctrine,  car  le  Christ  a  déclaré  tout  le  contraire.  11  a  dépossédé 
les  évéques,  les  savants,  les  conciles,  du  droit  et  du  pouvoir  de  dé- 
cider en  matière  de  foi,  et  il  les  a  remis  à  tous  les  chrétiens,  le  jour 
où  il  a  dit  :  Mes  brebis  connaissent  ma  voix;  mes  brebis  ne  suivent 
pas  le  mercenaire,  elles  s'enfuient  loin  de  lui,  parce  qu'elles  ne  con- 
naissent pas  la  voix  du  mercenaire.  Item,  tous  sans  exception  sont 
des  voleurs  et  des  homicides,  voilà  pourquoi  les  brebis  n'entendent 
point  leur  voix!  "   '  Tu  vois  ici  clairement  à  qui  appartient  le  droit 
de  décider  sur  la  doctrine.  Les  évéques,  le  Pape,  les  docteurs  et  le 
premier  venu  peuvent  enseigner,  mais  les  brebis  ont  seules  le  droit 
de  certifier  que  leur  voix  est  bien  la  voix  du  Christ.  Que  veulent 
donc  dire  ces  atomes  qui   rabâchent  sans   cesse  :      Concile!  con- 
cile!  Rapportons-nous-en  aux  docteurs,  aux  évéques,  à  celui-ci, 
à  celui-là!  Il  faut  respecter  les  usages,  la  tradition!  "  Crois-tu  donc 
que  la  parole  de  Dieu  soit  esclave  de  ta  tradition,  de  tes  coutumes, 
de  tes  évéques?  Jamais!  Laissons  donc  les  évéques  et   les  conciles 
décider  et  rabâcher  tout  ce  qui  leur  plaira!  Là  où  la  parole  de  Dieu 
nous  guide,  tenons-nous-y,  au  lieu  de  nous  en  rapporter  à  ce  qu'ils 
disent,  et  sans  remarquer  si  leurs  discours  sont  bons  ou  mauvais;  ce 
sont  eux  qui  doivent  nous  céder,  c'est  à  eux  de  nous  obéir!  «  "  Tous 
les  évéques,  recleurs,  prieurs.  Universités  qui  ont  usurpé  sans  pudeur 
le  droit  des  brebis,  ne  sont  autre  chose  que  des  homicides,  des  lar- 
rons, des  loups  et  des  renégats!  '  Dans  sa  prodigieuse  logique, 
Luther  conclut  des  paroles  du  Christ  :  «  Gardez-vous  des  faux  pro- 
phètes ",  qu'il  ne  peut  y  avoir  de  faux  prophètes  parmi  les  audi- 
teurs de  la  parole,  et  qu'il  ne  s'en  rencontre  que  parmi  les  docteurs. 
Aussi  tout  docteur  est-il  obligé  de  se  soumettre,  lui  et  sa  doctrine, 
aujugement  de  ses  auditeurs:  <  Nulle  doctrine,  sous  aucun  prétexte, 
ne  peut  être  établie  avant  d'avoir  été  examinée  et  adoptée  par  la 
communauté.  Et  non-seulement  les  auditeurs  ont  le  pouvoir  et  le 
droit  d'apprécier  l'orthodoxie  de  ce  qui  leur  est  enseigné,  mais  en- 
core ils  y  sont  strictement  obligés,  sous  peine  de  perdre  leur  âme, 
et  d'eucourir  la  disgrâce  de  la  divine  Majesté.  » 

"  Il  nous  est  donc  facile  de  comprendre  la  conduite  antichrétienne 
que  les  tyrans  ont  tenue  envers  nous  en  nous  dépouillant  d'un  tel 
droit,  d'un  tel  devoir,  pour  l'accaparer  à  leur  profit.  Aussi  ont-ils 
largement  mérité  qu'on  les  expulse  de  la  chrétienté,  qu'on  les 
traque  comme  des  loups,   des  larrons  et  des  homicides,  eux  qui, 


388  LUTHER  DONNE  A  TOUT  CHRETIEN  LE  DROIT  D'ENSEIGNER  L'EVANGILE. 

malgré  la  parole  et  le  commandement  exprès  de  Dieu,   nous  ont 
imposé  leurs  dogmes  et  ont  prétendu  régner  sur  nous.  » 

«  Concluons  donc,  maintenant  :  Une  communauté  chrétienne  qui 
a  reçu  l'Évangile  a  non-seulement  le  droit  et  le  pouvoir,  mais  est 
strictement  obligée,  sous  peine  de  salut,  sous  peine  de  manquer  à 
l'obligation  que  nous  avons  tous  contractée  envers  le  Christ  au  jour 
de  notre  baptême,  de  se  soustraire  à  l'autorité  desdits  évêques, 
abbés  ou  recteurs;  car  il  est  évident  que  tous  ces  personnages  ensei- 
gneni  et  régnent  malgré  Dieu  et  sa  parole.  Oue  ceci  soit  dit  une 
bonne  fois,  solidement  établi,  et  qu'on  se  persuade  bien  que  le  droit 
divin  elle  salut  de  notre  âme  exigent  absolument  que  nous  fuyions 
et  abolissions  les  ordres  ou  juridictions  de  tous  les  évêques,  abbés, 
monastère*,  etc.  ') 

"  Mais  parce  qu'une  communauté  chrétienne  ne  doit  ni  ne  peut 
subsister  sans  la  parole  de  Dieu,  ce  qui  vient  d'être  expliqué  prouve 
surabondamment  qu'il  faut  la  pourvoir  de  docteurs  et  de  prédi- 
cants,  afin  que  le  ministère  de  la  parole  y  soit  exercé;  et  comme, 
dans  les  funestes  temps  ou  nous  vivons,  les  évêques  et  leurs  faux 
assistants  spirituels  ne  sont  ni  ne  consentent  à  être  ces  docteurs  et 
n'en  veulent  ni  donner  ni  tolérer,  que  Dieu  ne  doit  p  is  être  tenté, 
et  que  nous  ne  pouvons  nous  attendre  à  ce  que  de  nouveaux  apôtres 
nous  tombent  du  ciel,  il  faut  nous  en  tenir  à  l'Écriture,  et  élire  entre 
nous,  puis  établir,  ceux  d'entre  nous  qui  seront  trouvés  aptes  au  minis- 
tère, ceux  dont  Dieu  a  éclairé  l'intelligence  et  qu'il  a  ornés  de  ses 
dons.  Tout  chrétien  sait  ce  qu'il  faut  savoir;  tout  chrétien  a  reçu  l'onc- 
tion sacerdotale;  non-seulement  tout  homme  a  le  droit  et  le  pouvoir 
d'annoncer  la  parole  de  Dieu,  mais  il  y  est  obligé,  sous  peine  de 
perdre  son  âme  et  d'offenser  gravement  le  Seigneur.  «  "  Quand  un 
chré'.ien  se  trouve  absolument  isolé  dans  un  pays  (c'est-à-dire  lors- 
qu'il n'y  rencontre  point  de  luthériens),  il  n'a  besoin  d'autre  élection 
que  son  nom  de  chrétien;  il  est  appelé  de  Dieu,  sacré  intérieurement 
par  Dieu  même,  et  la  charité  fraternelle  l'obligea  prêcher  l'Évangile 
aux  païens  ou  aux  chrétiens  égarés,  bien  que  personne  ne  l'y  ait 
convié.  Si  au  contraire  il  y  a  des  chrétiens  dans  le  lieu  qu'il  habite, 
ayant  par  conséquent  même  pouvoir,  même  droit  que  lui,  il  ne  doit 
pas  prendre  sur  lui  d'exercer  le  saint  ministère,  mais  attendre  qu'il 
soit  choisi  et  élu,  afin  d'enseigner  et  de  prêcher  la  parole  au  nom  et 
sur  le  commandement  de  ses  frères.  »Mais  bientôt  Luther  se  ravise  : 
"  Telle  est  cependant  la  puissance  du  chrétien  »,  dit-il,  «  que,  même 
au  milieu  de  ses  frères  et  sans  y  avoir  été  appelé  par  les  hommes,  il 
peut  et  doit  se  mettre  eu  avant  et  enseigner,  aussitôt  qu'il  apprend 
que  la  communauté  dont  il  est  membre  n'a  point  de  docteur.  >' 


MÜNZ  ER    SUU    t/RVA\Gr[,E    DE    MJTHER.  380 

<,)uaut  aux  évoques  et  autres  supérieurs  spirituels  assis  sur  la  chaire 
du  déiDOU,  ce  sont  des  loups,  et  il  leur  convient  aussi  peu  d'annoncer 
la  |)arole  et  d'exercer  la  charge  pastorale  (ju'aux  Turcs  et  aux  .Inils. 
Qu'ils  aillent  donc  paitre  les  ânes  et  les  chiens!  Ce  sont  des  ivrans  et 
des  misérables,  qui  ont  agi  envers  nous  en  apôtres  du  diable  qu'ils 
sont  '.  >' 

Conformément  an  principe  de  Luther  «  que  tout  auditeur  a  le 
droit  de  décider  sur  la  vraie  doctrine,  et  que  chacun  a  le  devoir  de 
se  mettre  en  avant  et  d'enseigner  i,  Thomas  Münzer  (comme  le  firen: 
après  lui  beaucoup  d'autres  prédicants),  après  avoir-  pendant  quelque 
temps  écoulé  avec  loi  et  attention  le  nouvel  évangéliste  de  Wittem- 
berg  »,  déclara  que  sa  doctrine  était  défectueuse,  et  que  c'était  lui, 
Miinzer,  qui  avait  été  ciioisi  par  Dieu  pour  annoncer  la  saine  doctrine, 
qui  dillérait  essentiellement  de  celle  de  Luther. 

Miinzer,  après  avoir  quitté  Zwickau-,  s'était  reudu  en  Bohême 
pour  y  servir  «  la  cause  de  l'Évangile  »  et  «  faire  retentir  sur  les 
trompettes  éclatantes  un  nouveau  cantique  ».  «  En  Bohème  -,  écri- 
vait-il, "  Dieu  allait  accomplir  en  faveur  des  élus  des  choses  merveil- 
leuses. Là  serait  fondée  la  véritable  Église,  et  le  peuple  de  Bohème 
était  destiné  à  devenir  la  lumière  des  nations.  »  Comme  Luther, 
Miinzer  se  donnait  pour  l'envoyé  du  ciel;  il  était  prêt  à  sacrifier  sa  vie 
pour  prouver  l'authenticité  de  sa  mission;  le  Seigneur  «  aiguisait  sa 
faucille,  et  lui  n'aurait  qu'à  récolter  les  épis  miirs  de  la  moisson'  -. 

Mais  les  Bohèmes  ayant  refusé  de  confirmer  cette  divine  mission 
et  l'ayant  chassé  de  leur  pays,  il  se  rendit  à  Nordhausen,  puis  à 
Alstedt,  petite  ville  isolée  de  l'électorat  de  Saxe.  La  communauté 
d'Alstedt  l'élut  pour  son  pasteur;  Miinzer  s'y  établit,  et  y  épousa 
une  religieuse. 

Uni  à  d'autres  prédicants,  et  sans  se  soucier  aucunement  de 
Luther,  il  commença  par  organiser  un  nouveau  culte,  rejeta  le  bap- 
tême des  enfants*,  la  présence  réelle,  et  ne  tarda  pas  à  prêcher  un 
Évangile  entièrement  différent  de  celui  de  Luther  \  Luther,  selon 

•  Sûmmenll  Werke,  t.  XXH,  p.  140-151. 
-  Voy.  plus  haut,  p.  223. 

'  Seidemann,  Thomas  Mû.izer,  p.  122-124.  —  Voy.  aussi  19-20.  «  Ma  doctrine  vieut 
d'en  haut.  Dieu  même  me  l'a  communiquée,  comme  je  suis  prêt  à  le  prouver 
par  tous  les  livres  de  la  Bible.  »  Lettre  de  Miinzer,  le  mercredi  après  saint  .\ndré 
(2  décembre)  1523.  —  Voy.    l'on  dem  getichten  Glauben,  Blatt  B-. 

*  Tous  les  maux  de  la  chrétienté  -  venaient  d'une  fausse  doctrine  sur  le  ï  ap- 
lême,  et  d'une  foi  inventée  à  plaisir...  «  «  Le  véritable  baptême  n'a  pas  été  com- 
pris, et  les  enfants  ont  été  introduits  dans  le  christianisme  d'une  manière  gros- 
sière et  digne  des  singes.  ■>  Mlnzer,  Protestation,  BI.  C-.  k^.  B. 

°  »  Grâce  à  moi,  la  prédication  évangélique  de  la  doctrine  chrétienne  sera  de 
beaucoup  améliorée.      Protestation  Blatt.,  C-. 


r.90  MUNZER    SUR    L'EVANGILE    DE    LUTHER. 

Miinzer,  avait  égaré  la  chrétienté.  «  Tu  n'es  qu'un  grossier  archi- 
diable  «,  lui  écrivait-il;  »  croyant  comprendre  le  texte  d'isaie,  et  sans 
la  moindre  intelligence  des  choses  divines,  tu  as  fait  de  Dieu  le  prin- 
cipe du  mal.  N'est-ce  pas  là  la  preuve  manifeste  des  effroyables 
châtiments  de  Dieu  sur  toi?  Cependant  tu  es  encore  aveugle,  et,  tout 
aveugle  que  tu  es,  tu  prétends  être  le  guide  de  l'univers,  et  tu  t'ir- 
rites lorsque  Dieu  révèle  au  monde  que  tu  n'es  qu'un  pauvre  pécheur, 
une  misérable  vipère,  malgré  toute  ta   dégoûtante  humilité.  Ton 
esprit  extravagant,  fantasque,  a  établi,  par  ton  saint  Augustin,  une 
doctrine  inique  et  hardie  sur  le  libre  arbitre,  au  grand  déshonneur 
de  l'humanité.  >'  «  Luther  ii,  dit  ailleurs  Münzer,  -  est  un  réformateur 
inintelligent,  un  homme  efféminé,  qui  met  des  coussins  sous  la 
chair  délicate  des  pécheurs;  il  élève  trop  la  foi  et  rabaisse  trop  les 
œuvres.  Sa  prédication  sur  la  foi  inerte  a  fait  plus  de  tort  à  l'Évan- 
gile que  toutes  les  doctrines  papistes.   >;  "   On  dépasse  singulière- 
ment le  but  en  soutenant  que  la  foi  justifie  seule,  sans  le  secours 
des  œuvres.  C'est  là  un  discours  impudent,  car,  s'il  en  était  ainsi,  la 
foi  ne  vaudrait  pas  une  obole,  pas  même  un  moucheron!  »     Ceux 
qui  se  disent  évangélistes  portent  la  foi   aux  nues;  et  là-dessus  la 
nature  présomptueuse  de  s'écrier  :  S'il  ne  s'agit  que  de  croire,  oh! 
comme  lu  y  parviendras  vite!  Elle  dit  encore  :  Tu  es  né  de  parents 
chrétiens,  tu  n'as  jamais  cessé  d'espérer  en  Dieu,  tu  resteras  ferme 
dans  ta  foi!  Oui,  assurément,  tu  es  un  vrai  chrétien!  Oh:  comme  je 
puis  obtenir  le  ciel  à  bon  marché!  Honte  aux  prêtres!  Ah!  les  mau- 
dits, comme  ils  m'ont  rendu  la  chose  aigre!  Nos  gens  pensent  alors 
parvenir  au  salut  tout  en  menant  une  vie  criminelle;  ils  ne  lisent  et 
n'entendent  plus  rien  de  tout  ce  qui  n  été  enseigné  sur  la  foi  et  les 
œuvres,  et  se  croient  bons  évangélistes,  grâce  à  quelques  paroles 
sonores.  C'est  là  une  énorme,  une  lourde,  une  grossière  erreur,  et 
c'est  à  cause  d'elle  que  beaucoup  mènent  une  vie  honteuse.  Luther 
sert  de  manteau  à  leur  ignominie,  car  on  aime  à  entendre  prêcher 
un  Christ  doux  comme  le  miel,  qui  a  tout  expié  pour  nous  et  qui 
donne  tout  pour  rien.  ^  "  Nos  docteurs  d'aujourd'hui  ont  toujours 
la  sainte  Écriture  à  la  bouche;  ils  écrivent  et  lèchent  toutes  sortes 
de  livres;   plus    ils  vont,  plus   ils  répètent  :  «  Crois,  crois!    '  Et 
cependant   ils  nient  l'avènement  de  la  foi,  ils  raillent  l'esprit  de 
Dieu,  et,  en  fin  de  compte,  ils  ne  croient  à  rien  du  tout,  comme  tu 
peux  t'en  apercevoir!  Ceux  qui  prêchent  cette  foi  unique  ne  sont 
que  des  pourceaux!  Christ  a  dit  et  répété  :  Mes  brebis  entendent 
ma  voix,  et  elles  ne  suivent  pas  la  voix  du  mercenaire.  Or  Luther 
est  un  mercenaire;  il  dévaste  et  rend  inculte  le  sentier  de  la  vie 
éternelle;  il  y  fait  croître  les  épines  et  les  chardons,  et  rabâche  sans 
cesse  :     Crois,  crois!  tiens  toi  ferme,  ferme;  que  ta  foi  soit  si  forte, 


NOUVEL    RYAN  G  II,  F.    Dt:    THOMAS    M  UNZE  R.  391 

si  forte,  qu'avec  elle  tu  puisses  enfoncer  des  pieux  dans  la  terre!  ^ 
Dans  la  P'mi.ssc  Foi  de  mosquée,  Miinzer  se  plaint  encore  (jue  Luther, 
«  le  noir  marmouset  venimeux  >',  et  les  nouveaux  évangélistes  ses 
disciples,  aient  empoisonné  le  lémoignajje  écrit  du  Saint- Ksprit. 
u  Les  luthériens  ne  souffrent  pas  la  plus  légère  contradiction,  ils 
préfèrent  envoyer  tous  leurs  adversaires  au  diable.  Leur  doctrine 
ne  veut  à  aucun  prix  en  venir  aux  actes,  car  elle  n'aspire  qu'à  la 
liberté  de  la  chair.  Les  évangélistes  sont  des  esclaves  de  leur  ventre; 
comme  ils  enseignent  tout  ce  qu'ils  veulent,  ils  ont  trouvé  bon  de 
prêcher  aussi  le  ventre!  «  '  Les  prêtres  épousent  de  vieilles  femmes 
avec  de  grandes  fortunes,  car  ils  ont  peur  de  finir  par  être  sans 
pain.  Oui,  en  vérité,  ce  sont  de  beaux  évangélistes!  Ils  ont  vérita- 
blement une  ferme,  ferme  foi!  Il  serait  bien  loti,  celui  qui  se  con- 
fierait à  leur  masque  hypocrite  et  à  tout  ce  que  rabâche  leur  idole 
de  moine  !  Ils  fout  sonner  leur  fameuse  foi  si  haut  que  cela  n'est 
pas  croyable  !  Il  faut  n'avoir  ni  bon  sens  ni  intelligence  pour  ensei- 
gner ce  qu'ils  nous  racontent!  Ils  calomnient  tout  ce  qu'ils  ne 
veulent  pas  admettre,  et  se  refusent  à  entendre  et  à  voir.  «  «  Oh! 
chers  maîtres,  ne  soyez  pas  tellement  fiers  de  votre  foi  idiote!  Ne 
donnez  pas,  à  cause  d'elle,  tout  le  monde  au  diable,  excepté  vous, 
comme  vous  avez  coutume  de  le  faire!  On  va  tous  les  jours  en  plus 
grandes  troupes  à  Satan,  grâce  à  vous  autres!  Vos  évangélistes 
rapaces  et  usuriers  déshonorent  leur  nom  par  leurs  actes!  Cepen- 
dant, à  leur  avis,  personne  n'est  chrétien  s'il  n'adopte  leur  doctrine 
sur  la  foi'.  " 

Mais  si  Münzer  jugeait  ainsi  le  dogme  fondamental  des  luthériens, 
il  était  entièrement  d'accord  avec  Luther  pour  rejeter  l'autorité  de 
l'Église.  Il  niait  que  la  révélation  piU  venir  du  dehors  :  "  L'homme 
ne  reçoit  la  révélation  ni  par  l'Église,  ni  par  la  prédication,  encore 
moins  par  la  parole  morte  de  la  Bible-,  mais  uniquement  par  l'Es- 
pril-Saint,  qui  parie  directement  à  chacun  de  nous.  Seule,  la  parole 
vivante  et  directe  de  Dieu  peut  donner  la  foi.  Il  faut  l'écouter  dans 
le  sanctuaire  intime  de  son  âme,  et  s'efforcer  de  l'annoncer  aux 
autres  au  moment  même  où  elle  se  fait  entendre.  Tremblant,  boule- 
versé à  la  vue  de  ses  iniquités  et  de  son  incrédulité,  l'homme  reçoit 
les  communications  de  Dieu,  les  visions  célestes.  Il  doit  les  attendre 


•  Bl.  »:-.  D.  i:.  Il  appelait  Luther  ■  archipaïen,  archicoquin,  docteur  Men- 
songe, la  femme  impudique  de  Babyione,  le  pape  de  Wittemberg,  dragon,  Ija- 
silic  ',  etc.  Strobel,  p.  1>8-197.  Seidemann,  p.  47. 

*  •  Quand  bien  même  tu  aurais  avalé  je  ne  sais  combien  de  Bibles,  cela  ne 
t'aiderait  en  rien,  tu  n'auras  la  foi  que  si  Dieu  te  la  donne  et  te  l'enseigne 
lui-même.  »  Protestatio,,,  Bl.  B-. 


392  NOUVEL    EVANGILE    DE    THOMAS    MUNZER. 

dans  une  profonde  componction  de  coeur',  puis  demander  des  signes 
à  Dieu,  afin  de  pouvoir  bien  s'assurer  que  sa  ioi  est  véritable.  Celui 
qui  réclame  hardiment  et  énergiquement  de  tels  signes,  fût-ce 
même  avec  impatience  et  colère,  sera  exaucé  par  le  Seigneur.  Dieu 
se  plaira  à  apaiser  sa  soif  et  s'entretiendra  familièrement  avec  lui, 
comme  autrefois  avec  Abraham  et  .lacob.  » 

=  De  tels  enseignements  plaisaient  extrêmement  au  peuple  »,  rap- 
porte un  chroniqueur  contemporain.  «  11  lui  était  agréable  de  s'ima- 
giner parler  à  Dieu  de  si  près  et  recevoir  de  lui  directement  des 
signes,  car  la  nature  humaine  est  curieuse;  elle  aime  les  choses 
extraordinaires  et  mystiques.  L'homme  du  peuple,  en  sa  vanité, 
était  flatté  de  se  croire  plus  saint,  plus  instruit  que  tous  les 
savants  -.  » 

Münzer  donnait  sa  doctrine  pour  le  «  véritable  Évangile  »,  pour 
la  <  pure  parole  de  Dieu  »  ;  il  la  croyait  destinée  à  fonder  la  «  véri- 
table Eglise  des  élus  «  et  à  renouveler  la  face  de  la  terre.  Mais 
pour  la  propager,  il  était  indispensable  d'entrer  franchement  en 
lutte  et  de  se  servir  du  glaive.  Dans  ses  sermons  et  ses  écrits,  il 
s'efforce,  en  paroles  ardentes,  de  décider  l'électeur  Frédéric  et  le 
duc  Jean  de  Saxe  à  prendre  l'initiative  de  la  guerre  sainte  :  «  Princes 
bien-aimés  >;,  leur  dit-il  dans  un  sermon  prêché  en  leur  présence 
au  château  d'Alstedt,  «  entendez  votre  sentence  de  la  bouche  même 
de  Dieu,  et  ne  vous  laissez  plus  séduire  par  vos  prêtres  hypocrites; 
qu'une  patience  et  une  bonté  illusoires  ne  vous  arrêtent  point,  car 
la  pierre  qui  s'est  détachée  d'elle-même  de  la  montagne  est  devenue 
redoutable,  et  les  pauvres  laïques  et  paysans  ont  une  vue  plus  pé- 
nétrante que  la  vôtre.  Oui,  Dieu  soit  loué,  le  peuple  est  devenu  si 
fort  que,  si  vous  autres  seigneurs  ou  princes  voisins  vouliez  le  per- 
sécuter à  cause  de  l'Évangile,  il  vous  renverserait  immédiatement, 
j'en  ai  la  ferme  conviction,  tant  la  pierre  est  devenue  énorme.  Le 
monde,  tout  inintelligent  qu'il  est, s'en  épouvante  depuis  longtemps; 
il  en  est  venu  à  bout  lorsqu'elle  était  encore  petite,  mais  que  fera-t-il 
maintenant  qu'elle  peut  l'écraser?  Pour  vous,  chers  princes,  mar- 
chez hardiment  sur  la  pierre  angulaire,  à  l'exemple  de  saint  Pierre; 
cherchez  loyalement  et  uniquement  la  justice  de  Dieu,  embrassez 
vaillamment  la  cause  de  T Évangile,  et  Dieu  sera  à  vos  côtés,  n'en 
doutez  point.  Si  vous  pouviez  comprendre  la  détresse  de  la  chré- 

'  "  Attendre  les  visions  et  les  recevoir  avec  une  coraponction  profonde, 
c'est  ajîir  dans  un  esprit  vraiment  apostolique,  patriarcal  et  prophétique.  Aussi 
n'est-il  pas  étonnant  que  le  Frère  Gros-Porc  et  le  Frère  Douce-Vie  aient  rejeté 
de  pareils  moyens.  •>   Mudegunçj  des  atidon  Unterschieds  Danidïs,  Bl.  B'-''  et  C. 

-  Voy.  Si\oiii:L,  p.  165-167,  188-197.  Se  rapprochant  des  doctrines  panthéistes, 
MüDzer  émet  cet  axiome  :  «  l.a  foi  n'est  autre  chose  que  le  Verbe  fait  chair  en 
nous,  que  le  Christ  né  eu  nous.  » 


NOUVEL  ÉVANGILE  DE  THOMAS  MUNZER.        3ît.'i 

lieuté,  si  vous  faisiez  réHexion  sur  ses  maux,  vos  cœurs  brûleraient 
du  même  zèle  que  celui  dont  fut  embrasé  jadis  le  roi  .léhu.  «  Les 
princes  devaient  chasser  par  l'épée  «  tous  les  ennemis  de  l'Evan- 
gile »,  s'ils  voulaient  être  non  des  démons,  mais  des  serviteurs  de 
Dieu.  Le  Christ  n'avait-il  pas  dit  en  propres  termes  :  •  Saisissez-vous 
de  mes  ennemis,  et  égor<jez-les  devant  mes  yeux  "?  -  Et  pourquoi 
cette  rigueur?  me  diras-tu.  Ah!  parce  que  ces  méchants  ont  cor- 
rompu le  royaume  du  Christ  et  pensent  encore  excuser  leur  malice 
en  la  cachant  sous  le  masque  de  la  loi  chrétienne,  scandalisant  le 
monde  entier  parleur  détestable  hypocrisie.  «  Ceux  qui  s'opposent 
à  la  révélation  divine  seront  massacrés  sans  miséricorde;  c'est  ainsi 
qu'Ézéchias,  Josias,  Cyrus,  Daniel  et  Élie  mirent  autrefois  à  mort 
les  prêtres  de  Baal.  Sans  cette  extermination  nécessaire,  l'Église 
chrélienne  ne  pourra  jamais  être  ramenée  à  sa  pureté  primitive.  Il 
faut  arracher  l'ivraie  du  champ  du  Seigneur  au  temps  de  la  moisson, 
afin  que  le  beau  froment  doré  pousse  des  racines  profondes  et  puisse 
pros|)érer.  Or  les  anges  qui  aiguisent  leurs  faucilles  pour  ce  travail 
béni  sont  les  vrais  serviteurs  de  Dieu,  et  ils  accomplissent  le  désir  de 
la  divine  Sagesse.  «  Tous  les  papistes  devaient  donc  périr  :  =  Dieu  a 
dit  :  Vous  serez  sans  miséricorde  pour  les  adorateurs  d'idoles,  vous 
briserez  leurs  autels,  vous  mettrez  en  poudre  leurs  images  et  vous 
les  brûlerez,  si  vous  voulez  que  mon  courroux  ne  s'élève  point  contre 
vous.  Les  impies  n'ont  pas  le  droit  de  vivre.  »  "  Pour  vous  ne  re- 
doutez rien,  car  celui-là  veut  régner  seul,  auquel  toute  puissance  a 
été  donnée  au  ciel  et  sur  la  terre  '.  » 

Tandis  que  Münzer  exhortait  ainsi  les  princes  "  à  ces  grandes  et 
divines  choses  ",  il  organisait  publiquement  à  Alstedt  une  ligue  dont 
les  membres  s'engageaient  par  serment  à  soutenir  et  à  favoriser 
l'établissement  du  nouveau  royaume  de  Dieu.  Dans  ce  royaume, 
d'après  la  propre  déclaration  de  Miinzer,  les  chrétiens  seraient 
tous  égaux  entre  eux,  les  biens  de  la  terre  seraient  communs;  on  les 
partagerait  entre  tous,  selon  les  nécessités  et  besoins  de  chacun. 
Tous  les  chrétiens  devaient  en  faire  partie.  Les  princes,  comtes  ou 
seigneurs,  qui  refuseraient  d'y  entrer  après  avoir  été  avertis  de  réflé- 
chir mûrement  à  la  résolution  qu'il  convenait  de  prendre,  auraient 
la  tête  tranchée  ou  seraient  pendus  -.  -i 

Münzer  recruta  un  nombre  considérable  d'adeptes,  épris  de  sa 
doctrine  mystique  et  comnviniste  à  la  fois.  On  accourait  en  foule  à 
ses  sermons.  -^  D'Eislebeu,  de  Mansfeld,  de  Sangerhausen,  de 
Frankenhausen,  de  Ouerfurt,  de  Halle,   d' Aschersleben  et  d'ail- 


■  Jluslegung  des  andern  Unterschieds  Danielis,  Bl.  (,*,  li^. 
^  Münzers  Bekenntnuss,  Bl.  A--'. 


394    MOUVEMENT    EVANGELIOUE    EN    TIJURINGE    ET    EN    SAXE. 

leurs,  le  peuple  affluait.  ;  Le  pauvre  peuple  affamé  =■,  écrivait 
Mimzer,  «  réclame  la  vérité  avec  taut  d'ardeur  que  les  rues  sont 
remplies  de  gens  venus  de  toutes  parts  pour  l'entendre.  >■  L'audace 
du  prophèle  croissait  avec  son  auditoire  :  <  Je  poursuivrai  mes  enne- 
mis '■,  disait-il,  jetant  un  défi  au  conseil  de  Sangerhausen;  «  je  ne 
m'arrêterai  que  lorsqu'ils  ne  seront  plus  qu'opprobre  et  péché;  je 
les  foulerai  sous  mes  pieds,  tout  grands  pitres  qu'ils  sont.  Vous 
calomniez  ma  doctrine,  vous  me  traitez  d'hérétique,  vous  défendez 
aux  gens  de  venir  à  moi,  vous  osez  les  menacer  du  cachot?  Eh  bien, 
je  vous  en  donne  ma  foi,  si  vous  ne  changez  de  conduite,  je  ne 
retiendrai  plus  la  fureur  de  ceux  qui  brûlent  de  vous  châtier!  Il  vous 
fauT  choisir  entre  deux  chemins  :  adoptez  l'Évangile,  ou  reconnaissez 
que  vous  êtes  païens  :  il  n'y  a  pas  à  sortir  de  cette  alternative,  le 
vous  cite  devant  le  tribunal  de  l'univers!  Vous  n'êtes  que  des  frelons 
qui  souillez  le  saint  chrême  de  l'Esprit-Saint.  Xe  résistez  pas  davan- 
tage à  l'Esprit  qui  veut  vous  éclairer!  Amen  '.  » 

A  l'instigation  de  Miinzer,  une  chapelle  de  pèlerinage,  située 
près  d'Alstedt,  fut  pillée  et  incendiée.  L'agitation  populaire  devint 
telle  que  le  conseil  d'Alstedt  supplia  l'électeur  de  Saxe  et  son  conseil 
d'empêcher  Miinzer  de  prêcher.  Il  lui  représentait  que,  si  l'on  n'agis- 
sait promptement,  tout  serait  à  craindre,  que  le  peuple,  comme  il 
menaçait  de  le  faire,  s'allierait  aux  bandes  des  paysans  révoltés,  et 
que  des  malheurs  inouïs  jusque-là  pourraient  en  résulter.  -  Alors 
viendront  le  pillage,  l'incendie  ■•,  disaient-ils,  «  carie  peuple  se  pas- 
sionne pour  ce  nouveau  prophète  -.  » 

Contraint  de  quitter  Alstedt,  Münzer  se  rendit  à  Mulhausen.  Là, 
il  recommença  à  soulever  les  masses,  les  pressant  d'agir  énergique- 
ment,  car  un  "  serviteur  de  Dieu,  rempli  de  la  grâce  du  Seigneur, 
€t  marchant  dans  l'esprit  d'Élie  -,  allait  précipiter  les  impies  de  leur 
siège;  les  pauvres  et  les  simples  allaient  être  exaltés.  Dieu  méprisait 
les  grands;  il  les  avait  donnés  au  monde  dans  sa  colère,  il  allait  les 
faire  disparaître  de  la  terre  <  dans  l'angoisse  et  l'amertume  '. 
"  Chers  compagnons  «,  disail-il  à  ses  auditeurs  en  empruntant  les 
paroles  d'Ézéchiel,-'  élargissons  le  trou,  afin  que  tout  le  monde  puisse 
voir  et  saisir  quels  sont  ces  grands  pitres  qui  ont  fait  de  Dieu  leur 
marionnette!  :■  Un  autre  jour,  c'est  .lérémie  qu'il  imite  :  -  Sois  attentif 
à  la  vérité  de  ma  parole;  je  l'ai  mise  en  ta  bouche,  afin  que  lu  déra- 
cines, que  tu  brises,  que  tu  dépeuples,  que  tu  disperses,  puis  qu'en- 
suite tu  rebâtisses  et  tu  replantes.  Un  mur  de  fer  s'élèvera  contre 


'  Seidema:';.\,  Thomas  Münzer,  p.  135-136. 
'  Seideman.n,  p.  40. 


NOUVEL    F.VANCILE    F»  E    <:  A  11  L  S  T  A  I)  T.  395 

les  rois,  les  princes,  les  prêtres!  Ils  lutteront,  mais  la  victoire  du 
SeijjQeur  sur  les  tyrans  et  sur  les  impies  sera  admirable.  Miinzer 
traçait  aux  paysans  la  voie  à  suivre:  •-  Les  saints  travailleurs  qui  se 
nourrissent  d'aliments  amers  doivent  emplir  la  {^orge  des  tyrans 
maudits  '.  " 

A  Mulliausen,  il  trouvait  •<  un  champ  ridiemcnt  préparé  ".  Là,  dès 
les  premiers  mois  de  1023,  le  ^  mouvement  évan^élique  avait  ■<  touché 
les  âmes  »  par  Tentremise  d'un  ancien  moine  cistercien,  Henri  Pfeif- 
fer. Dans  les  rues,  puis  en  chaire,  Pfeiffer  s'était  élevé  contre  les 
évéques,  les  prêtres  et  les  moines.  Au  pied  de  sa  chaire,  les  auditeurs 
cultivés  se  mêlaient  à  une  nombreuse  populace  accourue  de  la  ville  et 
du  dehors.  Le  peuple  aimait  sa  parole,  riche  en  invectives,  et  si 
quelques  membres  du  conseil  y  trouvaient  quelquefois  à  reprendre, 
d'autres  assuraient  que  ces  questions  n'étaient  point  du  ressort  de 
l'autorité  civile.  Au  bout  de  quelques  jours,  une  émeute  éclata;  les 
couvents,  les  presbytères  furent  pillés.  On  comprit  alors  que  les 
prédications  de  Pfeiffer  pourraient  bien  intéresser  le  conseil,  car 
les  bourgeois  et  beaucoup  de  gens  du  dehors  appartenant  à  son 
parti  coururent  avec  leurs  meilleures  armes  sur  la  place  de  l'hùtel 
de  ville,  parlant  d'égorger  les  magistrats.  Le  <  mouvement  évangé- 
lique  '■  se  termina  en  1523  par  la  complète  victoire  du  peuple  sur  le 
conseil.  Les  vainqueurs  présentèrent  aux  conseillers  leurs  conditions 
de  paix,  et  ceux-ci  furent  contraints  de  promettre  «  de  ne  plus  s'op- 
poser à  l'avenir  à  la  libre  diffusion  de  l'Évangile^  ". 

Pfeiffer,  «  cet  homme  consumé  du  zèle  de  la  liberté  >-,  ne  tarda 
pas  à  devenir  célèbre.  Langensalza  lui  envoya  une  délégation  d'ou- 
vriers le  priant  de  venir  annoncer  la  parole  de  Dieu  dans  la  ville. 
Là,  des  ouvriers,  des  femmes  d'ouvriers  disaient  ouvertement  qu'il 
fallait  partager  avec  les  riches.  Douze  exaltés  y  avaient  formé  une 
secte  particulière;  bientôt  trois  cent  cinquante  hommes,  et  au  delà, 
se  constituèrent  en  «  association  fraternelle  .  La  cheville  ouvrière  de 
cette  association  était  un  savetier  nommé  Melchior  Wigand,  qui 
autrefois  avait  fait  la  guerre,  et  depuis  avait  été  le  héros  de  plus  d'une 
équipée  ^ 

Une  ;'  vie  évangélique  entièrement  nouvelle  et  libre  "  fut  aussi 
inaugurée  à  Orlamunde.  Carlstadt,  à  qui  la  prédication  et  l'enseigne- 
ment avaient  été  interdits  à  ^Viltemberg,  s'était  rendu  dans  cette 
ville  pour  s'y  créer  un  centre  d'activité.  -  Vous  me  liez  les  pieds  et 
les  mains  -,  avait-il  écrit  à  la  communauté  de  Wittemberg  en  se 

'  Ausgedrûkte  Euthlössung  des  falschen  Glaubens.  Frontispice,  et  El.  C"- 
*  Mühlauser  Chronik,  p.  365-373. 
'  Seideman.v,  Beitrüge,  14,  p.  513. 


336  NOUVEL   EVANGILE    DE    CARLSTADT. 

plaignant  amèrement  de  Luther;  "  vous  me  frappez  ensuite,  car 
n'est-ce  pas  me  lier  et  me  Trapper  que  de  diriger  contre  moi  seul 
tant  d'écrits,  et  par  les  prédications,  les  actes,  faire  en  sorte  que 
mes  livres  m'aient  été  renvoyés  de  l'imprimerie,  avec  défense 
d'écrire  et  de  prêcher  à  l'avenir  '?  »  Élu  pasteur  par  la  communauté 
d'Orlamunde,  il  commença,  assisté  de  nombreux  disciples,  par 
briser  tes  images  et  supprimer  toutes  les  anciennes  formes  du  culte. 
I!  licencia  les  écoles,  abolit  la  messe,  la  confession,  le  jeûne  et  les 
jours  de  fête,  et  décida  que  sa  communauté  recevrait  à  l'avenir  la 
sainte  Cène  sous  les  deux  espèces,  "  non  plus  agenouillée,  mais 
assise  ».  Ses  doctrines  étaient  strictement  conformes  à  celles  de 
Luther  quant  à  la  libre  interprétation  de  l'Écriture  et  au  sacer- 
doce universel.  '  Pressé  par  l'intime  témoignage  de  son  âme  ", 
s'appuyaut  sur  des  textes  indubitables  ",  il  émit  le  principe  que 
dans  la  communion  le  fidèle  ne  reçoit  pas  la  chair  et  ie  sang  de  Jésus- 
Christ,  mais  simplement  du  pain  et  du  vin,  en  mémoire  de  sa  passion. 
«  Soutenir  la  présence  réelle  »,  disait-il  un  jour  pour  justifier  cette 
nouvelle  négation,  «  c'est  contredire  clairement  la  doctrine  du  sacer- 
doce universel,  car  il  parait  impossible  d'admettre  que  tous  les  chré- 
tiens, hommes  et  femmes,  aient  également  le  pouvoir  de  consacrer.  » 
'  S'il  en  était  ainsi,  tout  chrétien  serait  mis  au  même  rang  que  le 
Christ  et,  comme  lui,  pourrait  s'intituler  médiateur  de  la  nouvelle 
alliance.  «  Aussi,  pour  mettre  dans  un  jour  plus  évident  la  doctrine  du 
sacerdoce  universel  et  de  la  parfaite  égalité  de  tous  les  chrétiens, 
Carlstadt  renonça  au  titre  «  antichrétien  »  de  docteur,  et  ne  se  fit 
plus  appeler  que  «  Frère  André  »  ou  simplement  <  mon  cher  frère  «. 
Il  quitta  l'habit  ecclésiastique  pour  revêtir  un  sarrau  gris  et  un  cha- 
peau de  feutre.  Il  avait  conclu  de  l'examen  de  quelques  textes  bibli- 
ques "  que  les  péchés  ne  déplaisent  point  à  Dieu  >',  parce  que  «  les 
péchés  ont  été  créés,  et  que  toute  créature  est  bonne  «.  Parleurs 
œuvres  coupables,  les  pécheurs,  eux  aussi,  accomplissaient  à  leur  ma- 
nière la  volonté  de  Dieu,  car  une  feuille  ne  remue  point  sans  l'ordre 
du  Seigneur.  <  L'homme  ne  peut  penser  ni  vouloir,  il  ne  peut  bouger 
bras  ni  jambes  sans  la  permission  divine.  Donc  nous  ne  saurions 
avoir  une  mauvaise  pensée,  vouloir  ou  commettre  le  mal  sans  que 
Dieu  ne  l'ait  décidé  et  voulu.  En  Dieu  même,  il  existe  une  double 
volonté  :  l'une  fatale,  pleine  de  colère,  et  se  rapportant  aux  choses 

'  ErbkaM,  p.  218-219.  —  Voy.  Seidemamn,  Thomas  Mûnzer,  p.34-.''5,  OÙ  sont  aussi 
rapportées  des  pLiintes  analogues  de  Münzer.  Un  livre  de  Carlstadt,  dont  plu- 
sieurs feuilles  avaient  déjà  été  imprimées,  fut,  .sur  la  demande  de  l'I  niversité 
de  Wittemberg,  interdit  par  la  justice  électorale.  Corp.  Beform.,  t.  I,  p.  570-572. 
"  La  nature  absolue  de  Luther  «  ,dit  le  protestant  Lang,  -ne  pouvait  tolérer  que 
nul  se  crût  le  droit  d'adopter  un  chemin  à  part.  »  M.  Luther,  ein  religiöses  Charac- 
terbild,  1870,  p.  133. 


NOUVEL    ÉVANGILK    DK    CAKLSTADT.  397 

(le  la  leiTc;  l'autre  (oulc  miséricorflieiise,  élernelle  et  immuable.  » 
Comme  les  disciples  de  Mïinzer  qui,  à  Alsledt  et  ailleurs,  se  van- 
taient d'être  les  «  purs  et  véritables  évaugélistes  »,  les  chrétiens 
d'Orlamiinde  se  regardaient  comme  les  seuls  vrais  croyants,  ^  les  seuls 
fidèles  inlerprèles  de  la  pure  doctrine  ».  D'ailleurs,  Carlstadt  soute- 
nait. Bible  en  main,  que  ni  lui  ni  les  siens  n'étaient  obligés  de  montrer 
la  moindre  déférence  à  LuUier,  "  le  nouveau  pape  de  VViftemberg  ■■ , 
«  l'ecclésiaste  vorace  à  la  vie  aniichrcticunc  '.  Pourquoi  = ,  disait-il, 
«  serions-nous  condamnés  à  ne  parler  et  à  n'agir  que  lorsque  nos 
voisins,  les  débauchés  de  VVittemberg,  auraient  daigné  nous  le  per- 
mettre? Toute  communauté,  qu'elle  soit  grande  ou  pelile,  doit 
savoir  juger  toute  seule  si  elle  est  dans  le  vrai  et  dans  la  justice;  elle 
n'a  à  répondre  de  ses  actes  devant  qui  que  ce  soit.  »  11  ne  fallait  pas 
se  préoccuper  davantage  de  la  résistance  des  catholiques,  car  c'étaient 
«  des  chrétiens  idolâtres  et  deux  fois  païens  ».  «  Il  faut  leur  retirer 
tout  ce  qui  peut  leur  nuire  et  l'arracher  de  leurs  mains,  sans  se  sou- 
cier s'ils  pleurent,  crient  ou  jurent.  »  «  Le  temps  viendra  où  ils 
nous  remercieront,  ceux  qui  nous  maudissent  et  nous  injurient  main- 
tenant. '•  '-  Là  où  le  règne  des  chrétiens  est  établi,  les  fidèles  ne 
doivent  avoir  égard  à  aucune  autorité,  m.iis  abattre  et  renverser  en 
toute  liberté,  sans  même  que  les  prédications  les  y  invitent,  tout  ce 
qui  s'oppose  à  Dieu.  Or  les  scandales  sont  nombreux,  et  les  plus 
criants  sont  :  la  messe,  les  images,  et  cette  chair  d'idole  que  man- 
gent les  prêtres  '.  > 

Carlsfadt  s'érigeait  aussi  en  réformateur  à  propos  d'autres  ques- 
tions, ébranlant  jusqu'en  ses  fondements  la  morale  chrétienne  et  la 
vie  sociale.  11  était  pour  la  pluralité  des  femmes.  «  D'après  le  conseil 
de  Carlstadt  >-,  écrit  Luther  au  chancelier  Brück  (janvier  1524),  «  un 
des  nôtres  a  demandé  l'autorisation  de  prendre  une  seconde  femme.  ' 
En  principe,  Luther  disait  ne  point  rejeter  le  double  mariage,  car 
selon  lui  cet  acte  ne  contredisait  point  les  textes  de  la  sainte  Écri- 
ture; néanmoins  il  eût  été  scandalisé  de  voir  la  polygamie  s'im- 
planter parmi  les  chrétiens,  «  qui  doivent  savoir  s'abstenir  de  choses 
même  permises^  >•.  Dans  ses  prédications  publiques  sur  le  premier 

'  Voy.  Erbkam,  p.  ■2M--27'.i.  — .Iager,  p.  407-416. 

-  Voici  ce  curieux  passajje  :  «  Viro,  qui  secuiidam  uxorem  concilio  Carlstadii 
petit,  sic  respondeat  priiiceps  :  Oportere  ipsum  marilum  sua  propria  cmscienlia  esse 
firmum  ac  cerlum  per  verbuin  Dei,  sibi  hœcUcere.  Eos  erfjo  requiret,  qui  verbo  Dei  eum 
tutuin  reddant  :  si  is  Carlstadius,  vel  alius  fuerit,  nihil  ad  principem.  •  "  Ego 
Sane  fateor,  me  non  passe  prohibere,  si  quis  plures  velil  uxores  ducere,  iiec  répugnât  sacris 
scripiuris,  verum  tarnen  apud  Christianas  id  exempli  iiollein  primo  introduci, 
apud  quos  decetetiamea  intermittere,  quae  licita  sunt,  pro  vitando  scandalo  et 
pro  honestate  vilae,  quam  ubique  Paulus  exijjit.  '  Il  donne  au  chancelier  le  con- 
seil suivant  :  -^  Verum,  sinitote  ire,  quo  it,  forte  eliam  adhuc  circumcidentur 
Orlamuudse,  et  toti  Mosaici  futuri  sunt.  >  Voy.  de  Wette,  t.  II,  p.  259. 


398  LUTHER    ET    CARLSTADT. 

livre  de  Moïse,  il  avait  enseigné  -  qu'il  n'est  pas  défendu  à  un  homme 
d'avoir  plus  d'une  femme,  et  qu'il  ne  se  sent  pas  le  droit  de  condamner 
un  tel  acte,  bien  qu'il  ne  veuille  j)as  non  plus  le  conseiller  '  > . 

Les  efforts  de  Luther  pour  arriver  à  une  :  entente  chrétienne 
entre  lui  et  Carlstadt  échouèrent  totalement.  A  l'auberge  de  VOurs 
noir,k  Iéna,les  deux  anciens  amis,  en  présence  de  nombreux  témoins, 
échangèrent  des  paroles  malsonna utes.  ils  se  traitèrent  réciproque- 
ment de  menteurs,  et  s'accusèrent  l'un  l'autre  de  vaine  gloire  el 
d'ambition.  Luther  interprétait  mal  l'Évangile,  disait  Carlstadt;  il  se 
contredisait  perpétuellement;  à  la  fin  d'un  écrit,  il  disait  précisé- 
ment le  contraire  de  ce  qu'il  avait  avancé  au  début.  Carlstadt  offrait 
de  leprouverdans  une  dispute  publique,  à  Wittemberg  ou  à  Erfurt  -. 
Il  termina  Tune  des  conférences  par  cette  imprécation  :  «  Si  ce  que 
Luther  affirme  est  vrai,  que  le  diable  mette  mon  corps  en  pièces 
sous  vos  yeux!  »  Luther  donna  à  son  adversaire  un  florin  d'or  en 
signe  de  la  pleine  liberté  qu'il  lui  reconnaissait  d'écrire  contre  lui 
tant  qu'il  voudrait,  ajoutant  que  pour  sa  part  il  ne  refusait  point  la 
lutte.  Les  évangélistes  d'Orlamunde,  disciples  de  Carlstadt,  écrivirent 
alors  à  Luther  pour  lui  reprocher  de  les  avoir  injuriés  et  calomniés 
sans  les  avoir  ni  entendus  ni  réfutés;  une  pareille  conduite  montrait 
bien  qu'il  n'était  pas  membre  du  Christ.  Pour  eux,  revêtus  de  la  force 
divine,  ils  se  disaient  prêts  à  rendre  compte  de  leur  foi  et  des  actes 
de  leur  foi  devant  le  monde  entier.  Pourquoi  Luther  n'était-il  pas 


•  Sammll.  Werke,  t.  XXXJII,  p.  322-324.  —  Voy.  ma  brochure  ;  Un  second  mot  à 
mes  critiques.  Mélanchlhoo  allait  encore  plus  loin  que  Lutber  Appelé  à  donner 
son  opinion  sur  le  mariage  de  Henri  V'Ill,  il  encourage  ouvertement  le  Roi  à  la 
polygamie.   «  Tutisbimum  esse  régi,  si   ducat  secundam  uxorem,  priore  non 

abjecta,  quia  certum  est,  polygamiam  non  esse  prohthitam  jure  divino.  <•  De  bigamia 
reyis  Angliie,  dans  le  Corp.  Reform.,  t.  Il,  p.  526.  Une  relation  de  l'époque  nous 
montre  de  quelles  conséquences  avait  été  pour  la  vie  conjugale  la  «  prédication 
évangélique  » .  Un  prétlicant  de  Lucques  n'avait  pas  moins  de  trois  femmes 
vivantes  à  la  fois.  La  première  épousée  menait  une  vie  désordonnée.  —  Voy. 
BURKHA.RDT,  Luther' S  Briefueclisel,  87;  de  VVette,  t.  lll,  p.  22. 

-  C'est  ce  qu'affirme  Reinhard.  (Voy.  la  note  suivante.;  —  Voy.  aussi  Llther, 
Sammtl.  Werke,  t.  XXIX,  p.  166-167.  Le  docteur  Gérard  Westerburg,  de  Cologne, 
sollicitait  aussi  auprès  du  duc  Jean  de  Saxe  la  permission  pour  Carlstadt  de  dis- 
puter publiquement  avec  Luther,  ..  afin  que  la  vérité  et  le  mensonge  fussent 
mis  au  jour,  et  pour  que  le  docteur  Carlstadt  filt  confondu  s'il  avait  tort,  ou 
réhabilité  aux  yeux  de  tous,  s'il  était  dans  le  vrai  -.  «  Votre  Grâce  »,  écrivait-il 
au  duc  le  26  novembre  1524,  -  fera  mieux  dans  ces  sortes  d'affaires  d'entendre 
les  personnes,  d'étudier  les  questions,  que  d'avoir  aussitôt  recours  aux  pro- 
scriptions. "  Il  avertit  le  prince  d'être  bien  attentif  aux  choses  qui  regardent  Dieu, 
afin  de  ne  pas  attirer  sur  lui  la  colère  divine  au  moment  même  où,  par  l'épée 
et  l'autorité  temporelle,  il  croirait  avoir  le  mieux  mérité  de  lui.  -  Chassé  du 
pays  comme  disciple  de  Carlstadt,  Westerburg  s'offrit  à  rendre  compte  de  sa 
foi  devant  tous.  »  —  Voy.  Cor.nÉliuS,  Geschichte  des  Mûnslerichen  Aufruhres.,  t.  I, 
p.  248-249. 


LUTHER    FT    CARLSTADT.  399 

venu  les  troiivei*?  S'ils  étaieQl  dans  Terrenr,  pourquoi  ne  s'eff  orrait-il 
pas  de  les  instruire  avec  bonté,  au  lieu  de  les  injurier  ou  de  les 
menacer  du  ban?  Au  reçu  de  cette  lettre,  Luther  partit.  Mais  les  coq- 
f'érences  n'eurent  aucun  bon  résultai.  Un  cordonnier,  très-versé 
dans  rÉcrilure,  prouva  par  des  textes  de  l'Ancien  Testament  que 
Luther  était  dans  l'erreur.  Sur  l'exclamation  de  celui-ci  :  «  Mais 
c'est  là  me  condamner!  »le  cordonnier  riposta  :  Si  tu  veux  être 
condamné,  soit,  je  te  tiens  j)our  condamné,  toi  ei  tous  ceux  qui 
parleront  ou  prêcheront  contre  Dieu  et  la  vérité  de  Dieu.  »  «  Je 
dus  m'estimer  fort  heureux  »,  rapporte  Luther,  <  de  n'avoir  pas  été 
lapidé  ou  couvert  d'ordures,  car  quelques-uns  me  donnèrent  au 
départ  cette  bénédiction  finale  :  «  Va-t'en,  au  nom  de  tous  les 
diables,  et  puisses-tu  te  casser  le  cou  avant  d'avoir  quitté  notre 
ville  '  !  » 

L'électeur  Frédéric  ordonna  à  Carlstadt  de  quitter  Orlamunde. 
H  prit  congé  de  ses  ouailles  en  deux  lettres  adressées,  l'une  aux 
hommes,  l'autre  aux  femmes  de  sa  communauté.  Ces  deux  lettres 
sont  signées  :  André  Bodensteiu,  chassé  par  Martin  Luther,  sans  avoir 
été  entendu  ni  réfuté.  A  ses  amis  de  Saxe,  il  écrivit  qu'au  bruit  que 
faisait  Luther,  à  la  rage  qu'il  laissait  percer,  on  pouvait  assez  recon- 
naître l'effrayant  châtiment  de  Dieu  sur  ceux  qui  ne  recevaient  point 
sa  grâce.  Luther  était  un  homme  emporté,  sans  aucun  jugement, 
"  un  âne  cornu  »,  sur  lequel  s'exerçait  visiblement  le  courroux  du 
Seigneur. 

Proscrit,  Carlstadt  se  rendit  à  Strasbourg,  puis  à  Bàle.  In  grand 
nombre  de  prédicauts,  parmi  lesquels  Zwingle  et  OEcolampade,  se 
rattachèrent  à  sa  doctrine  de  l'Eucharistie-.  Vers  la  tin  de  1524,  il 

'  De  Wette,  t.  Il,  p  579.  —  Voy.  les  œuvres  de  Martin  Reinhard,  prédicant 
de  léna  et  ami  de  Carlstadt.  U'ess  sich  /)■"  Carhtndl  mii  D'  Luther  bnedl  zu  Jena  et 
Die  Handlung  D^  Luther's  mil  dem  liaih  und  Gemeine  der  Stadt  Orlamunde,  dans  Walch, 
t.  XV,  p.  2422-2435. 

-  rette  doctrine  avait  déjà  été  précliée  parle  hussite  Martin  Mauska  :  «  Quod 
in  sacramento  altaris  non  sit  verum  corpus  Cliristi  et  ejus  sanyuis,  sed  solum 
panis.qui  est  signum,  solum  cumsumitur.  corporis  et  sanguinis  Christi.  ■  Lorenz 
V.  Brezowa,  dans  Höfler,  Geschichtschreider,  t.  I,  p.  451.  La  doctrine  de  Carlstadt 
trouva  en  Saxe  comme  à  Wittemberg  et  dans  tout  le  sud  de  l'Allemayne  de 
nombreux  partisans.  Voy.  les  documents  cités  par  Hagen,  t.  UI,  p.  103-105.  Le 
traité  d'OEcolampade  sur  la  Cène  produisit  le  plus  j^raud  effet.  Érasme,  au  grand 
déplaisir  de  son  ami  Ulrich  Zazius,  s'exprima  sur  le  même  sujet  d'une  manière 
vague  et  embarrassée.  «  Si  seulement  »,  disait  Zazius,  «  j'avais  autant  de  ca- 
pacité que  j'ai  de  courage,  je  me  jetterais  dans  la  mêiée!  si  les  Pères  des  pre- 
miers siècles  n'avaient  pas  combattu  les  hérésies  plus  énergiquement  que  nous 
ne  le  faisons,  que  serait  devenue  l'Église?  OEcolampade  est  l'un  des  hommes 
les  plus  dangereux  qui  existent.  La  froideur  d'Érasme  me  blesse;  lui  qui  n'a 
rien  à  craindre  n'emploie  ni  sa  foi  ni  son  génie  à  réfuter  les  hérétiques  !  .Malheu- 
reux temps  que  les  nôtres  !  Non-seulement  le  pauvre  peuple,  mais  les  plus 
savants  des  honinn s  sont  entraînés  dans  l'erreur,  et  personne  ne  cioit  plus  à 
la  révélation  du  christ!  -  Voy.  Stinzting,  Ulrich  Zazius,  p.  272. 


400  .  LUTHER    KT    DARLSTADT 

vint  à  Rothenbüurg  et  y  prêcha,  au  (Jrand  applaudissement  du 
peuple,  sur  l'abolition  de  toutes  les  charges  populaires.  Valentin 
Ickelshamer,  maître  à  TÉcole  latine  de  Rothenbourg  qui  avait 
jadis  étudié  à  Wittemberg,  écrivit  pour  le  défendre  une  longue 
apologie,  où  il  se  plaignait  à  tous  les  chrétiens  «  de  la  grande  injus- 
tice et  tyrannie  exercée  contre  André  Bodenstein  de  Carlstadt  par 
Luther  de  Wittemberg  ».  -  Je  connais  à  fond  ta  conduite  »,  disait-il 
s'adressant  à  Luther;  -  j'ai  étudié  quelque  temps  à  Wittemberg.  .le 
ne  veux  rien  dire  ici  de  ton  petit  doigt  couvert  de  bagues  qui 
scandalisait  beaucoup  d'entre  nous,  ni  du  bel  appartement  situé 
près  de  la  rivière,  où  l'on  buvait  et  faisait  si  bonne  chère  avec  les  ■ 
doctoribns  et  les  seigneurs;  et  pourlant  ces  régals  me  déplaisaient 
fort,  et  je  m'en  plaignais  souvent  à  mes  compagnons!  J'étais  scanda- 
lisé de  voir  que  sans  te  préoccuper  de  tant  d'intérêts  importants,  tu 
restais  assis  près  de  ta  bière.  A  propos  de  ces  petits  reproches  que  je 
te  faisais,  le  commis  d'un  marchand  de  Leipzig  me  parla  un  jour 
franchement  de  toi  chez  Pirkheimer,  à  Nuremberg.  Il  faisait  peu  de 
cas  de  (a  sainteté;  tu  jouais  bien  du  violon,  disait-il,  tu  portais  des 
chemises  enrubannées,  mais  c'était  là  tout  ce  qu'on  pouvait  dire  à 
ta  louange.  Moi,  rempli  alors  d'amour  pour  toi,  je  le  traitais  de  fou; 
je  ne  savais  pas,  en  ce  temps  là,  que  la  modération  que  tu  montrais 
n'était  que  l'avant-coureur  de  ta  rage.  »  "  A  cette  époque,  ce  qui 
me  déplaisait  encore  en  toi,  c'était  de  le  voir  excuser  la  vie  folle  et 
impie  qu'on  menait  à  Witteaiberg,  et  de  t'entendre  dire  que  nous 
ne  pouvions  être  des  anges;  si  je  m'étais  laissé  faire,  vous  m'auriez  alors 
imposé  je  ne  sais  quelle  absurde  glose  sur  ce  texte  de  saint  Matthieu  : 
Vous  les  reconnaîtrez  à  leurs  fruits.  Comme  tu  le  vantes  d'être  seul 
en  possession  de  la  vraie  doctrine  de  la  foi  et  de  la  charité,  tu  cries 
bien  haut  que  l'on  ne  reprend  en  vous  que  l'imperfection  de  votre 
vie.  Non,  non,  nous  ne  jugeons  pas  les  pécheurs  comme  vous  avez 
coutume  de  le  faire;  mais  nous  soutenons  que  là  où  l'on  n'aperçoit 
point  les  fruits  de  la  foi  dans  le  Christ,  cette  foi  n'a  jamais  été  ni 
bien  enseignée  ni  bien  reçue,  et  nous  répétons  à  propos  de  vous  le 
proverbe  que  Rome  doit  trouver  vrai  depuis  longtemps  :  Plus  on 
s'approche  de  Wittemberg,  pires  sont  les  chrétiens  '.  » 

Luther  défendit  contre  Carlstadt,  Thomas  Münzer  et  plusieurs 
autres  adversaires  l'orthodoxie  de  sa  doctrine  dans  le  traité  intitulé: 
Réfutation  des  prophètes  célestes.  Des  imaç/es  et  du  sacrement. 

Déterminé  à  ruiner  le  nouvel  Évangile  par  une  interprétation  astu- 
cieuse de  la  sainte  Écriture,  Satan,  selon  Luther,  «  avait  fait  choix 
de  Carlstadt,  apostat  du  royaume  du  Christ  et  naufragé  de  la  foi  ". 

1  Voy.  Jager,  p.  447,  483,  488. 


LUTH  Ell    CO  NT  a  K    LL    LI  BUK    AliBlTIiE.  401 

C;irlsfa(lt  se  posait  en  docteur  sans  avoir  reçu  aucune  mission  divine; 
s'il  en  é(ai(  autrement,  que  ne  prouvail-il  par  des  "  signes  divins  • 
l'appel  inlérieur  qu'il  disait  avoir  reçu  de  Dieui'  <  Dieu  ne  détruit 
pas  un  ordre  ancien  pour  en  établir  un  nouveau  sans  opérer  aupa- 
ravant de  for!  grands  miracles.  C'est  |)our(juoi,  avant  d'ajouter  foi 
au  témoignage  de  celui  (pii  se  dit  appelé  à  prêcher  par  son  sentiment 
intérieur,  et  tonne  en  public  contre  l'ordre  établi,  il  faut  examiner 
par  quels  signes  ce  nouvel  apôtre  prouve  sa  mission.  »  Luther  n'appli- 
quait point  ce  raisonnement  à  lui-même,  ni  à  la  guerre  qu'il  avait 
déclarée  à  l'antique  organisation  de  l'Église. 

Carlstadt  se  plaignait  bien  à  tort  d'avoir  été  banni  de  la  Saxe. 
«  S'il  est  une  chose  à  regretter,  c'est  qu'il  ait  eu  ailaire  à  des  princes 
trop  faibles.  En  d'autres  pays,  s'il  fût  venu  troubler  les  gens  avec  de 
pareilles  impertinences,  on  aurait  très-bien  pu  faire  danser  sa  tête 
el  celle  de  ses  confrères  sur  une  fraîche  lame  d'acier,  et  le  châti- 
ment eût  encore  été  doux!  Les  princes  de  Saxe  n'ont-ils  pas  été 
patients  avec  cette  cervelle  à  l'envers?  En  vérité,  ils  ne  l'ont  été  que 
trop;  s'ils  avalent  été  plus  prompts  à  se  servir  du  glaive,  le  peuple 
des  rives  de  la  Saale  serait  aujourd'hui  plus  calme,  plus  retenu,  et 
l'Esprit  de  Dieu  n'eût  pas  été  emprisonné.  > 

Quant  aux  images,  Luther  avait  toujours  reconnu  à  l'autorité  tem- 
porelle le  droit  de  les  détruire;  mais  Carlstadt,  avec  une  fureur  sans 
pareille,  les  avait  abattues,  sans  même  demander  l'assentiment  du 
pouvoir.  Le  peuple,  excité  par  lui,  était  devenu  mutin,  orgueilleux, 
rebelle.  Celte  rage  contre  les  images  n'était,  examinée  à  la  lumière 
de  Dieu,  (ju'uue  (l'uvre  mosaïste,  accomplie  sans  loi  ni  amour;  et 
pourtant,  les  briseurs  d'images  avaient  depuis  cette  belle  équipée  un 
orgueil  insupportable.  Ils  se  croyaient  très-avant  dans  les  bonnes 
grâces  de  Dieu  pour  avoir  mis  bas  quelques  tableaux.  JN'ôtait-ce 
pas  là  revenir  au  mérite  des  bonnes  (euvres  et  au  libre  arbitre? 

Luther,  â  ce  moment  même,  venait  de  se  laisser  emporter  à  de 
tels  excès  de  langage  à  propos  de  la  d.)clrine  de  la  non-liberté  de 
l'homme  que,  dans  son  traité  sur  le  Serf  arbitre,  adressé  à  Érasme, 
il  n'avait  pas  reculé  devant  des  propositions  absolument  fatalistes  : 
-•  Dieu  est  nécessairement  un  Dieu  d'après  la  volonté  duquel  tout 
doit  s'accomplir,  .\ussi  les  païens  attribuaient-ils  à  leurs  divinités,  à 
leur  Jupiter,  une  volonté  qu'ils  appelaient  Fatum,  disant  qu'aucune 
prudence  humaine  ne  pouvait  soustraire  l'homme  aux  décisions,  à 
la  volonté  éternelle  de  cette  puissance  mystérieuse.  Or  ces  deux 
choses,  la  toute-puissance  de  Dieu  et  sa  prescience  éternelle, 
suppriment  radicalement  et  nécessairement  le  libre  arbitre,  et  la 
raison  elle-même  se  voit  forcée  de  reconnaître  qu'il  n'y  a  de  libre 

11.  26 


402  LUTHER    SUR    L'OBSERVATION    DU    DIMANCHE. 

volonté  ni  en  Dieu,  ni  en  nous.  Luther  admet  cependant  dans 
l'homme  la  kitte  du  bon  et  du  mauvais  principe  :  «  La  volonté  de 
l'homme  s  explique-t-il,  "  tient  le  juste  milieu  entre  celle  de  Dieu 
et  celle  de  Satan.  Elle  se  laisse  conduire,  pousser  et  diriger  comme 
un  cheval  ou  tout  autre  animal.  Si  Dieu  s'en  empare  et  la  dirige, 
elle  va  où  et  comme  Dieu  veut;  mais  elle  n'est  ni  libre  ni  maîtresse 
de  décider  vers  qui  elle  veut  courir,  à  qui  elle  veut  appartenir;  deux 
forces  opposées  se  la  disputent,  et  luttent  tour  à  tour  pour  l'obte- 
nir. ■■'  Luther  établit  aussi  une  distinction  entre  la  volonté  »  cachée  " 
de  Dieu  et  sa  volonté  ostensible,  apparente  :  «  Dieu  fait  annoncer 
à  tous  sa  loi  cl  ?a  grâce,  mais  c'est  sa  volonté  secrète  qui  décide 
le  comment,  le  combien  de  ceux  qui  devront  y  avoir  part'.  ' 

«  Si  en  s'appuyant  sur  des  textes  de  Moïse  •,  dit  Luther  dans  le 
même  traité,  «  on  permet  au  peuple  de  briser  les  images,  on  doit 
donc  aussi  lui  permettre  de  se  jeter,  pour  les  massacrer,  sur  les 
adultères,  les  homicides,  les  rebelles,  car  Dieu  a  également  ordonné 
au  peuple  d'Israël  de  les  exterminer.  «  ^  Personne,  évangéliquement 
parlant,  n'est  obligé  de  briser  les  images,  tout  est  abandonné  à  la 
liberté  de  chacun,  et  il  n'y  a  point  de  péché  à  les  conserver.  ■  "  Pla- 
çons-nous au  véritable  point  de  vue;  ces  docteurs  do  péché  et  ces 
prophètes  mosaïstes  ne  doivent  pas  nous  troubler  avec  leur  Moïse; 
qu'ils  le  laissent  en  paix!  Nous  ne  voulons  ni  voir  ni  entendre  .Moïse! 
<Jue  dites-vous  de  cela,  chères  âmes  de  Rothenbourg"?  ^ 

"  Moïse  n'a  é(é  danné  qu'au  peuple  juif  r>^  dit-il  ailleurs;  -  les 
païens  ni  les  chrétiens  n'ont  rien  à  voir  dans  sa  législalion.  11  est 
vrai  que  nous  gardons  et  enseignons  les  dix  commandements,  mais 
seulement  parce  que  la  loi  naturelle  n'est  nulle  part  mieux  expli- 
quée, ni  mise  dans  un  plus  bel  ordre.  Cependant  je  voudrais  que, 
dans  les  questions  temporelles,  on  empruntât  davantage  à  Moïse;  la 
loi  du  divorce,  le  jubilé,  l'année  de  franchise  donneraient  au  monde 
une  impulsion  meilleure;  nos  prêts  à  intérêts,  nos  lois  sur  le  com- 
merce et  sur  le  mariage  en  seraient  heureusement  modifiés.  » 

.<  Ouant  à  la  célébration  du  dimanche,  personne  n'y  est  obligé. 
Observer  le  sabbat  ou  le  dimanche  n'est  point  du  tout  obligatoire. 
La  loi  de  Moise  ne  saurait  nous  l'imposer  ;  c'est  la  nature,  par  sa  lassi- 
tude, qui  nous  indique  et  nous  apprend  qu'il  est  nécessaire,  à  de 
certains  intervalles,  d'accorder  un  peu  de  relâche  à  notre  corps, 
car  il  faut  laisser  aux  hommes  et  aux  bêtes  la  temps  de  respirer; 

•  De  serio  arhilrio.  Op.  latin.,  t.  VII,  p.  113.  —  Voy.  Vokreiter,  p.  414-415.  A 
propos  des  passages  que  nous  venons  de  citer,  Dollinger  remarque  (AVr- 
chengeschiclitc,  2'',  p.  422)  que  ces  maximes  semblent  plutôt  empruntées  au  Coran 
qu'à  l'Évangile. 


I.UTIIEK    SUR    LOBSiP.  NATION    DU    DIMANTIIE.  iOH 

rimi(|ue  (oridemcnt  du  «;abbaf  de  Moïse,  c'est  donc  une  iMisoii  toute 
|)liyi-i(|ne,  tout  extérieure,  el  le  Christ  a  eu  les  mêmes  motits  pour 
la  contirnier.  Or,  dès  qu'il  ne  s'agit  plus  que  du  repos  du  corps,  il  est 
évident  que  celui  ([m  n'est  pas  l'atijvué  peut  sans  aucun  péché  violer 
la  loi  du  sabbat,  et  faire  choix  d'un  autre  jour  pour  obéir  â  la  récla- 
mation de  la  nature.  Une  autre  raison  de  garder  le  dimanche,  c'est  le 
devoir  d'entendre  la  parole  de  Dieu',  »  Le  dimanche,  selon  Luther, 
n'est  donc  qu'une  loi  purement  extérieure,  et  par  conséquent  de  peu 
d'importance.  ><  Dieu  =,  dit-il  dans  son  grand  catéchisme,  «  s'est  ré- 
servé le  septième  jour,  comme  nous  le  lisons  dans  la  Bible.  Il  nous  a 
ordonné  de  garder  ce  jour  et  de  le  tenir  pour  saint  entre  tous, 
mais  ce  n'est  qu'aux  seuls  .luifs  qu'a  été  imposée  cette  loi  tout  exté- 
rieure. Dieu  voulait  que  ce  jour-là  ils  se  reposassent  des  œuvres  ser- 
viles, et  que  les  hommes  el  les  animaux  eussent  un  peu  de  repos,  de 
peur  qu'un  travail  incessant  ne  vint  à  les  épuiser.  Mais  ce  comman- 
dement ne  s'adresse  qu'aux  intelligences  grossières;  il  ne  nous 
concerne  en  rien,  nous  autres  chrétiens,  puisqu'il  se  rapporte  à  une 
nécessité  toute  physique.  Comme  une  foule  de  prescriptions  de 
l'Ancien  Testament,  il  a  trait  à  des  mœurs,  à  des  personnes,  à  des 
temps  et  des  lieux  fort  différents  des  nôtres.  Depuis  le  Christ,  tout 
cela  est  abandonné  à  notre  liberté.  Mais  pour  bien  faire  comprendre 
aux  simples  ce  que  Dieu  demande  de  nous  par  ce  commandement, 
sachez  que  nous  ne  considérons  pas  l'observance  des  jours  fériés 
comme  d'obligation  pour  les  chrétiens  instruits  et  intelligents;  ceux- 
ci,  encore  une  fois,  n'en  ont  aucun  besoin;  nous  gardons  le  di- 
manche à  cause  de  certaines  nécessités  physiques,  en  vue  des  gens  du 
peuple,  des  serviteurs  et  des  servantes  qui,  travaillant  toute  la  se- 
maine, ont  besoin  d'un  jour  de  répit;  nou^  le  maintenons  surtout 
parce  que,  ce  jour-là,  on  pourra  se  réunir  pour  assister  au  service 
divin.  Notre  sabbat  n'est  plus  obligatoire,  ni  attaché  à  un  moment 
précis,  comme  chez  les  Juifs;  seulement,  comme  de  toute  antiquité 
le  dimanche  a  été  désigné  pour  le  jour  du  repos,  nous  trouvons  bon 
de  le  conservera  "  »  11  importe  peu  ",  dit-il  ailleurs  en  expliquant  le 
troisième  commandement,  ^-  que  nous  observions  ou  non  le  sabbat;  les 
consciences  sont  libres.  Celui  qui  veut  ne  pas  y  avoir  égard  peut  con- 
ti uuer  à  travailler,  nous  ne  le  blâmerons  pas,  et  nous  ne  le  renierons 
pas  pour  cela.  Cette  question  est  laissée  à  notre  libre  appréciation'.  ' 
Cette  opinion  de  Luther  et  de  ses  disciples  devait  avoir  les  plus 
graves  conséquences.  Déclarer  que  Dieu  ne  fait  pas  aux  chrétiens 
une  stricte  obligation  d'observer  le  dimanche,  c'était  ôter  à  l'homme 

'  Sämmtl.  Werke,  t.  XXIX,  p.  136,  143,  Uu,  157.  167,  173-174. 

-  Sämmtl.  Werke,  t.  XXI,  p.  48.  i 

3  ï.  XXXVI,  p.  93. 

26. 


404  LUTHER    ET    L'OBSERVATION    DU    DIMANCHE. 

du  peuple  le  seul  motif  qui  le  lui  rendait  sacré.  Et  d'ailleurs 
pourquoi  chacun  ne  se  serait-il  pas  rangé,  sinon  parmi  les  savants, 
du  moins  parmi  les  chrétiens  «  intelligents  »  que  Luther  déclarait 
affranchis  de  la  loi?  La  profanation  du  dimanche,  qui  devint  tous 
les  ans  plus  générale  en  Allemagne  et  dont  les  contemporains  se 
plaignent  si  amèrement,  devait  être  la  conséquence  naturelle  d'un 
pareil  enseignement. 

Réfutant  la  doctrine  de  Carlstadt  sur  l'Eucharistie,  Luther  avoue 
les  difficultés  infinies  engendrées  par  le  principe  de  la  libre  inter- 
prétation de  l'Écriture  (que  lui-même  avait  établi).  «  On  verra 
bientôt  »,  dit-il,  dans  un  douloureux  pressentiment,  '-  ceux  qui 
prétendent  mesurer  et  régenter  l'Écriture  au  moyen  d'une  raison 
sophistiquée  et  de  subtilités  raffinées,  en  venir  à  nier  la  divinité 
du  Christ.  »  «  Tu  assisteras  dans  peu  de  temps  à  des  prodiges;  fu 
verras  comme  la  raison  deviendra  sage,  surtout  parmi  le  peuple  igno- 
rant! On  secouera  la  tête,  on  dira  :  C'est  vrai,  la  divinité  et  l'huma- 
nité sont  deux  choses  infiniment  distinctes  !  il  y  a  entre  elles  un  abîme 
immense,  comme  celui  qui  sépare  ce  qui  est  éternel  de  ce  qui  est 
du  temps;  comment  donc  l'un  peut-il  être  l'autre,  ou  comment  quel- 
qu'un a-t-il  jamais  pu  dire  que  l'homme  était  Dieu?  "  "  Déjà  -,  ajou- 
tait-il, "  le  Christ  devient  un  pur  symbole  moral;  il  est  descendu  de 
son  trône  de  législateur  et  de  maître,  et  si  l'on  fait  un  pas  de  plus 
dans  cette  voie,  aucun  dogme  ne  restera  debout.  ' 

Aussi  recommandait-il  de  la  manière  la  plus  pressante  à  ses  dis- 
ciples de  se  garder  des  faux  prophètes  et  de  leur  doctrine,  «  quand 
bien  même  le  monde  entier  abandonnerait  notre  croyance  en  l'Eucha- 
ristie ■  .  Comment  ferons-nous  donc  quand  il  s'agira  de  la  doctrine 
de  l'Évangile,  qui  est  d'une  bien  autre  importance?  (Le  mot  Évangile, 
dans  la  bouche  de  Luther,  signifie  toujours  la  doctrine  de  la  jus- 
tification parla  loi  seule  et  delà  non-liberté  de  la  volonté  humaine.) 
rse  voyez-vous  pas  tout  le  monde  l'abandonner,  la  combattre?  Com- 
bien étes-vous  qui  lui  restiez  véritablement  attachés?  Ce  n'est  pas 
merveille  que  beaucoup  embrassent  l'erreur,  c'est  merveille  que 
quelques-uns  restent  fidèles.  Les  partisans  des  faux  prophètes  ne 
peuvent  se  plaindre  de  n'avoir  pas  été  avertis,  conseillés.  Ne 
savent-ils  pas  comment  j'ai  jugé  leur  esprit?  ]N'ai-je  pas  dit  qu'ils 
agissaient  sous  l'inspiration  du  démon?  Cependant  à  quoi  cela  a-t-il 
servi?  Us  se  sont  encore  plus  obstinés;  ils  se  sont  secrètement  con- 
certés; ils  ont  usé  de  ruse  envers  moi;  ils  ont  oublié  jusqu'à  la  charité 
qu'ils  nous  doivent.  Pourquoi  nous  ont-ils  combattus  avectant  d'achar- 
nement, dans  leur  trou  et  derrière  notre  dos,  écrivant  contre  nous 
dans  les  divers  territoires  allemands,  et  n'égorgeant  que  ceux  de 
Wihemberg  dans  leur  abattoir  public,  c'est-à-dire  dans  leurs  chaires? 


OPINIONS    DKISTES.  105 

Et  fout  cela  sans  vouloir  jamais  nous  cxpliciuer  en  quoi  nous 
sommes  dans  l'erreur!  Ce  que  Witfemberça  fait,  il  faut  le  détruire, 
sans  cela  tout  ira  de  mal  en  pis,  ils  ne  connaissent  que  cet  argu- 
ment! Et  c'est  en  se  couvrant  de  la  protection  de  notre  prince,  c'esi 
en  notre  propre  nom  et  place  qu'ils  agissent  ainsi  •  !  > 

Ce  que  Lulher  avait  prévu,  qu'il  s'élèverait  bientôt  des  incrédules 
allant  jusqu'à  nier  la  divinité  du  Christ,  se  vérifiail  à  la  lettre  à 
Nuremberg.  A  cette  date,  nous  voyons  le  conseil  intenter  un  procès 
à  trois  peintres  de  la  cité,  Georges  Penz  et  les  deux  frères  Sebald  et 
Barthélemi  Hehaim,  communément  appelés  les  ;;  peintres  impies 
Cités  devant  le  tribunal  à  cause  de  leurs  opinions  déistes,  ils  exposè- 
rent leur  manière  de  voir  avec  une  pleine  franchise.  Aux  questions  qui 
lui  lurent  adressées,  Georges  Penz  répondit  qu'à  la  vérité  il  croyait 
vaguement  à  l'existence  d'un  Dieu,  mais  qu'il  ne  savait  pas  quelle 
idée  se  faire  au  juste  de  lui;  quant  à  Jésus-Christ,  il  n'y  croyait 
point;  il  lui  était  impossible  d'ajouter  foi  à  la  sainte  Écriture;  il 
n'admettaif  ni  le  baptême,  ni  l'Eucharistie,  et  ne  reconnaissait  d'autre 
autorité  temporelle  que  celle  de  Dieu.  Barthélemi  Behaim  déclara 
à  son  tour  rejeter  le  témoignage  de  la  Bible.  Il  avait  suivi  pendant 
deux  ans  le  prêche  du  luthérien  Oslander,  mais,  il  ne  savait  com- 
ment expliquer  la  chose,  ce  que  disaient  les  prédicants  avait  bien 
un  sens  devant  les  hommes,  et  pourtant  au  fond  il  n'y  avait  là  que 
vain  babil;  aussi  ne  voyait-on  aucun  fruit  de  conversion  sortir  de 
tant  de  sermons.  11  resterait  dans  ses  incertitudes;  le  mensonge  l'y 
contraignait  jusqu'à  l'avéneraent  de  la  vérité.  Son  frère  Sebald  s'ex- 
prima à  peu  près  dans  le  même  sens.  Jusqu'à  présent  il  n'avait  su 
quel  parti  prendre  relativement  à  la  Cène;  il  était  résolu  à  patienter 
jusqu'à  ce  que  Dieu  lui  en  donnât  l'intelligence.  Lui  aussi  avait  en- 
tendu beaucoup  de  prédications,  mais  il  ignorait,  comme  son  frère, 
le  moyen  d'eu  tirer  quelque  amélioration  spirituelle.  Gui  '^^ir- 
sperger,  interrogé  sur  ses  relations  avec  les  frères  Behaim,  dcclaia 
qu'ils  avaient  un  fort  mauvais  renom  sous  le  rapport  religieux,  et 
passaient  pour  être  ensorcelés.  L'im  d'eux,  Barthel,  avait  déclaré  ne 
point  connaître  le  Christ  et  ne  savoir  rien  de  lui;  quand  il  en  enten- 
dait parler,  il  prétendait  avoir  la  même  impression  que  lorsqu'on  lui 
contait  l'histoire  du  duc  Ernest,  enlevé  sur  le  haut  d'une  montagne. 
Sebald  était  non  moins  obstiné,  non  moins  sous  l'influence  du  dé- 
mon. Il  était  fâcheux  que  des  âmes  chrétiennes  fussent  obligées 
d'avoir  des  rapports  avec  de  pareils  personnages  ;  ils  avaient  telle- 
ment détourné  leurs  femmes  de  la  vérité,  qu'elles  n'étaient  plus  siires 

'  Sümmtl.  Il'erle,  t.  XXIX,  p.  I/O,  216,  260,  266.  —  Voy.  Riffel,  p.  402-406. 


406  LES    A  ^  ABAPTIST  ES. 

de  rien  en  matière  de  foi.  Les  deux  frères  faisaient  usage  du  petit 
livre  de  Miinzer  et  de  Carlstadt.  Les  «  peintres  impies  "  furent  bannis 
de  la  ville  «  à  cause  de  leurs  opinions  païennes  et  pour  avoir  parlé 
avec  grand  dédain  et  mépris  de  tous  les  prédicants,  ainsi  que  de 
leurs  supérieurs  temporels  '  .  Comme  motif  principal  de  leur  ex- 
pulsion, on  allégua  «  qu'il  fallait  éviter  avec  soin  que  le  contact  avec 
de  telles  gens  n'engendrât  une  foule  d'erreurs  et  d'opinions  extra- 
vagantes parmi  les  cit03"ens  de  la  cité  et  du  dehors;  si  l'on  n'arrê- 
tait les  progrès  du  mal,  il  faudrait  bientôt  prendre  des  mesures  pour 
que  la  parole  ne  fût  plus  distribuée  à  toute  la  congrégation  réunie; 
prendre  à  part,  instruire  en  particulier  chaque  égaré,  ce  qui  serait 
imposer  un  lourd  fardeau  non-seulement  aux  prédicants,  mais  encore 
à  messieurs  du  conseil'  > . 

Mais  de  quel  droit,  demandaient  les  chrétiens  éclairés  restés  fidèles 
à  l'Église,  «  refusait-on  à  Carlstadt  ou  à  d'autres  la  liberté  de  re- 
pousser le  baptême,  la  Cène  et  le  culte  luthérien"?  IN'avait-on  pas 
permis  à  Luther  de  rejeter  cinq  sacrements?  ^'avait-il  pas  travaillé 
à  renverser  l'édifice  tant  de  fois  séculaire  de  l'antique  Église?  Si 
Luther,  conformément  au  principe  reconnu  de  la  libre  interpréta- 
tion de  l'Écriture,  tenait  telle  ou  telle  opinion  pour  vraiment  évau- 
gélique,  s'il  osait  représenter  tout  sentiment  contraire  au  sien  comme 
abominable,  scélérat,  satanique,  pourquoi  Carlstadt,  Mïiuzer  et  les 
autres,  quels  que  fussent  leurs  noms,  ne  pouvaient-ils  à  leur  tour 
tenir  d'autres  axiomes  pour  seuls  justes,  seuls  révélés  par  l'Esprit  de 
Dieu?  pourquoi  n'avaient-ils  pas  la  même  liberté  que  Luther  et  la 
communauté  de  Wittemberg?  «  «  Une  complète  anarchie  religieuse, 
ajoutaient  les  catholiques,  sera  le  fruit  de  cette  liberté  chrétienne  tant 
prônée  par  Luther  :  l'interprétation  libre  de  la  Bible  -  claire  et  intel- 
ligible à  tous  ",  comme  il  le  prétendait,  le  principe  que  tout  chrétien 
a  le  droit  de  juger  ses  pasteurs,  parce  qu'il  est  intérieurement  en- 
seigné par  Dieu  même,  étaient  deux  dogmes  tout  aussi  subversifs-.  ' 


IV 


i-  La  sainte  Écriture  a  été  donnée  à  chacun  pour  vérifier  et  affer- 
mir sa  croyance.  Elle  est  pour  le  chrétien  l'unique  source  de  la  foi.  > 
Ce  principe,  les  disciples  de  Mïmzer  et  de  Carlstadt,  et  toutes  les 

'  Protorole  de  l'audience,  dans  Jörg,  p.  731-733  (voy.  668),  et  Baadeu,  Beitrüge 
zur  Kunstgeschichte  Xiimbergs,  ^,  t.   II,  p.  74-77,  VOV.  p.  53-54. 

-  Voy.  Glos  und  Comment.  B!.,B-D^  E.  F*.  Contra  M.  Lutherum,  fol.  9. 


LES    ANABAPTISTES.  407 

sectes  qiroii  .1  coutume  de  (lésia',ner  sous  le  nom  d'  =  anabaptistes  % 
commuaient  à  le  considérer  comme  la  plus  léjjitime  réclamatiou  de 
la  liberté  chrétienne.  Ces  sectes  différaient  (jranderaent  entre  elles 
sur  maints  points  de  doctrine  ou  de  culte,  mais  toutes  se  ratta- 
chaient à  la  croyance  commune  que  le  baptême  des  enfants  de- 
vait être  aboli,  parce  qu'il  n'en  était  question  dans  aucun  texte  de 
la  Bible  :  "  Celui  qui  croil  sera  baptisé  ',  avait  dit  le  Sauveur.  Ces 
paroles  prouvaient  indubilablemeut  que  la  ■•  pratique  de  la  foi  " 
devait  précéder  le  baptême. 

Mais  la  difficulté  de  s'entendre  sur  cette  ■'  pratique  de  la  foi  -,  qui 
était  en  même  temps  indispensable  à  la  véritable  intelligence  de  la 
Bible,  amenait  d'interminables  discussions.  Si  Luther  avait  avancé 
«  que  chacun  était  intérieurement  enseigné  par  Dieu  même  ",  beau- 
coup, allant  plus  loin,  soutenaient  maintenant  qu'il  était  impossible 
de  se  croire  en  possession  de  la  loi  véritable  avant  d'avoir  reçu  au 
dedans  la  preuve  surnaturelle  de  cet  enseignement  divin. 

Bien  avant  le  procès  intenté  aux  '  peintres  impies  i,  un  maître 
d'école  de  Nuremberg,  .lean  Denk,  avait  déclaré,  en  présence  du 
conseil,  <  qu'avec  saint  Pierre,  il  tenait  l'Écriture  pour  une  lumière 
qui  brille  dans  l'obscurité;  mais  que  pour  lui,  l'obscurité  était  si 
profonde  qu'il  lui  était  impossible  de  comprendre  les  livres  saints  dans 
leur  ensemble  ».  "  Si  donc  je  ne  la  comprends  pas  ",  disait-il, 
i-  comment  pourrais-je  y  puiser  la  foi?  Si  je  n'attends  que  Dieu  me  la 
révèle,  ma  foi  ne  sera  que  l'œuvre  de  mon  esprit.  Oui,  celui  qui  ne 
veut  pas  attendre  la  révélation  du  Seigneur  et  ose  prévenir  un 
moment  qui  n'appartient  qu'à  l'Ksprit  de  Dieu  et  au  Christ,  celui-là 
fait  très-certainement  du  mystère  de  Dieu  renfermé  d;ins  l'Écriture 
une  abomination  h>)rrible  aux  yeux  du  Seigneur,  car  il  prétend 
tirer  la  grâce  divine  de  la  corruption  humaine.  Aussi  saint  Pierre 
dit-il  encore  que  nous  ne  saurions  interpréter  l'Écriture,  parce  qu'il 
n'appartient  qu'au  Saint-Esprit  de  nous  en  donner  l'intelligence, 
lui  qui  le  premier  en  a  instruit  les  apôtres.  Or  cette  révélation  de 
l'Iispril,  chacun  doit  commencer  par  s'assurer  qu'il  l'a  réellement 
reçue,  et  dans  le  cas  contraire,  sa  foi  est  fausse  ou  de  nulle  va- 
leur'.  » 

D'autres,  comme  Thomas  MLinzer  et  les  prophètes  de  Zwickau, 
se  disaient  =  confirmés,  affermis  »  par  l'Esprit,  par  la  <  parole  inté- 
rieure "  et  la  "  révélation  de  Dieu  ",  et  posséder  le  véritable  sens  de 
l'Écriture;  ils  annonçaient,  en  se  fondant  sur  les  lumières  reçues, 
un  nouveau  royaume  de  Dieu,  une  complète  réorg^anisation  de  la 
société,  de  la  religion  et  de  l'État. 

'  JÖRG,  p.  664-665. 


408  ANARCHIE    RELIGIEUSE. 

Comme  à  Zwickau,  à  Alstedt  el  en  beaucoup  de  localilés  de  Saxe 
et  de  Thuringe,  la  doctrine  de  l'avènement  du  règne  de  Dieu  fondée 
sur  Tinterprétation  «  divine  et  intérieure  de  la  sainte  Écriture  ^ 
trouvait  en  Suisse  d'innombrables  adhérents.  A  Zurich,  où  Ulrich 
Zwingle  avait  annoncé  le  nouvel  '^  Évangile  -  tantôt  en  se  rattachant 
à  Luther  et  tantôt  en  le  contredisant,  on  vit  bientôt  se  former  un 
groupe  de  nouveaux  apôtres,  partisans  de  l'explication  littérale  de  la 
Bible,  et  désignant  le  «  soi-disant  réformateur  ^^  de  Wittembergsous 
le  nom  de  «  dragon  infernal  '•.  Selon  eux,  l'enseignement  de  Luther 
était  faux,  inepte.  Luther  avait  commis  un  crime  en  livrant  la  sainte 
parole  de  Dieu  à  l'appréciation  de  l'autorité  temporelle.  «  Vous 
n'avez  pas  le  droit  ",  disait  en  argumentant  contre  Zwingle  une  des 
voix  les  plus  autorisées  de  la  nouvelle  secte,  ^  de  remettre  le  juge- 
ment aux  mains  du  consed  de  la  ville,  puisque  le  jugement  est  déjà 
rendu,  et  que  l'Esprit  de  Dieu  a  prononcé.  =i  «  C'est  avec  raison  que 
nous  refusons  d'entendre  les  prédicants  -,  disaient-ils,  se  joignant 
aux  anabaptistes  pour  combattre  les  zwingliens,  «  car  dans  la  doc- 
trine qu'ils  nous  ont  jadis  enseignée,  ils  ont  puisé  prétexte  à  des 
émeutes,  à  des  scandales;  ils  agissent  et  vivent  contrairement  aux 
maximes  qu'ils  ont  préchées;  ils  s'efforcent,  sous  des  dehors  de  piété, 
de  mettre  au  service  de  leurs  idées  le  glaive  du  pouvoir  tem- 
porel, au  lieu  de  ne  faire  usage  que  des  armes  spirituelles.  Et  pour- 
tant les  vrais  prédicants  évangélistes  se  sont  depuis  longtemps 
prononcés  contre  une  pareille  manière  d'agir,  et  l'ont  appelée 
tyrannique'.  -  Les  nouveaux  sectaires  prétendaient  fonder  une 
Église  où  les  élus  seuls  (c'est-à-dire  leurs  partisans)  auraient  accès, 
tandis  que  tous  les  autres  hommes  ne  devraient  plus  être  considérés 
que  comme  des  impies  dignes  de  châtiment.  Entre  les  élus  régnerait 
une  égalité  parfaite,  et  tous  les  biens  seraient  communs. 

«  Ces  principes  flattaient  singulièrement  les  oreilles  de  l'homme 
du  peuple  »  ;  aussi  accourait-on  de  tous  côtés  pour  écouter  les  nou- 
veaux apôtres;  tailleurs,  cordonniers,  pelletiers  avaient  des  visions, 
prêchaient  et  enseignaient  ce  royaume  de  Dieu,  où  il  n'y  aurait 
aucune  différence  entre  les  hommes,  où  fortunes  et  propriétés  se- 
raient communes,  où  les  couvents  et  les  châteaux  seraient  rasés,  et 
ceux  qui  résisteraient  à  la  parole  de  Dieu,  mis  à  mort^ 

A  dater  de  1524,  ces  apôtres  de  la  révolution  sociale  se  répan- 
dirent dans  le  sud-ouest  de  l'Allemagne  et  en  Suisse.  A  Saint-Gall, 
au  rapport  d'un  témoin  oculaire,  les  prédicants  anabaptistes  étaient 

'  BULLINGER,  Der  liiedeitatifor  Ursprung,  Fürgang,  etc.  Zurich,  1560).  Bl.  250. 
Voy.  Cor>NELlLS,  Geschichte  des  Mûnslcrischen  Au/ruhrs,  t.  II,  p.  8-30;  voy.  aussi  le 
t.  m  de  cet  ouvrage. 

-  *  Lettre  de  Clément  Endres,  13  mai  1524.  Voy.  plus  haut,  p.  345,  note  5. 


ANARTIIIE    FELiniEUSE.  40» 

-i  nombreux,  que  de  fous  côtés,  les  dimanches  et  jours  de  fête,  ou 
voyait,  sur  les  promenades,  les  bour{jeois  se  grouper  autour 
d'eux.  ~-  Ici,  ici!  ■'  disait  un  paysan  à  son  voisin,  «  c'est  ici  qu'est 
enseigné  le  véritable  Kvangile!  Vois  donc  comme  les  anciens  prèlres 
nous  avaient  menti!  Comme  ils  nous  avaient  mal  instruits!  On  de- 
vrait assommer  tous  ces  coquins!  » 

Le  président  des  cantons  catholiques  déclarait  dès  1524  à  la 
diète  helvétique  que,  excité  par  les  nouveautés  religieuses,  le  peuple 
devenait  séditieux;  qu'il  refusait  de  payer  les  impôts,  les  dîmes,  et  de 
s'acquitter  des  corvées;  qu'il  réclamait  la  communauté  des  biens,  et 
montrait  pour  Tantorilé  un  tel  mépris  que  la  ruine  de  la  patrie  était 
imminente  ^ 

Trop  souvent  les  élus,  éclairés  sur  le  sens  de  l'Évangile  par  des 
visions  et  des  ravissements  ,  se  livraient  aux  actes  les  plus  effroyables. 
Le  chroniqueur  de  Berne,  Anshelm,  raconte  qu'à  Saint-Gall,en  1)25, 
«  pour  accomplir  la  volonté  du  Père  céleste  »,  eu  présence  des 
parents  du  jeune  homme,  un  frère  trancha  la  tête  de  son  frère,  et 
qu'à  Esslingen,  dans  une  réunion  fraternelle  >  ,  un  homme  foula 
sa  femme  sous  ses  pieds;  ces  deux  malheureux  croyaient  fermement 
accomplir  la  volonté  de  Dieu.  Jusque  sur  l'échafaud,  le  fratricide 
assura  n'avoir  tué  son  frère  que  par  l'ordre  du  Seigneur.  La  vo- 
lonté de  Dieu  excusait  et  couvrait  toutes  sortes  de  crimes.  «  Je  ne 
commets  point  de  péché  '•,  disait  un  prédicant,  -  c'est  Dieu  le  Père 
qui  les  commet  par  moi;  Dieu  est  venu  en  personne  dans  mon  âme.  » 
'  Quelques-uns,  gens  cependant  très-versés  dans  l'Ecriture  »,  rap- 
porte Anshelm,  «  sont  si  épris  des  ravissements,  qu'ils  ne  veulent 
plus  lire  une  seule  syllabe  et  refusent  de  prêter  l'oreille  à  la  parole 
humaine,  tant  ils  se  disent  consolés  au  dedans  par  la  céleste  voix  du 
Père.  «  Les  magistrats  de  Saint-Gall,  par  des  édits  publiés  à  diverses 
reprises,  se  virent  obligés  de  défendre  «  qu'à  l'avenir  personne  eût 
l'audace  de  se  dire  inspiré  par  Dieu  le  Père,  et  ne  se  permit  de  parler 
ou  d'agir  en  son  uom    . 

Après  les  effrayantes  et  funestes  conséquences  des  visions  et  des 
ravissements,  vinrent  les  bizarres  conclusions  tirées  du  texte  de  l'E- 
criture par  les  nouveaux  sectaires.  Ils  prenaient  au  pied  de  la  lettre 
une  opinion  de  Lui  her,  et  s'imaginaient  que  pour  interpréter  exacte- 
ment la  Bible,  il  fallait  adopter  le  sens  littéral  qui  s'offrait  d'abord  à 
la  pensée.  A  Saint-Gall,  ou  voyait  les  gens  sortir  par  les  portes  de  la 
ville  daus  les  quatre  directions  du  globe  pour  aller  annoncer  le 
royaume  de  Dieu  aux  nations;  la  Bible  n'avait-elle  pas  dit  :  «  Allez, 
instruisez  toutes  les  nations,  et  prêchez-leur  l'Évangile  »?  Douze 

'  Relation  de  Sicher,  dans  Baumanx,  Acten,  286-987.  —  Zimmermann,   t.  II,  22.  87. 


410  ANARCHIE    ÜELICIEUSE. 

cents  anabaptistes  se  réunirent  un  jour  à  Appenzel,  et  là,  attendireni 
patiemment  que  les  aliments  leur  fussent  envoyés  par  le  Père  céleste. 
C'est  qu'ils  avaient  lu  dans  l'Évangile  :  "  >'e  vous  inquiétez  point  de 
ce  que  vous  mangerez.  ■>  La  faim  ne  tarda  pas  à  les  décider  à  retour- 
ner chez  eux.  Sans  bâton,  sans  souliers,  sans  bourse  ni  argent,  des 
bandes  errantes  parcouraient  les  routes  et  prêchaient  sur  le  toit  des 
maisons,  car  l'Évangile  avait  dit  :  .^  Ce  qu'on  vous  a  dit  à  l'oreille, 
criez-le  sur  les  toits.  »  Beaucoup  abandonnaient  femmes  et  enfants 
pour  se  joindre  aux  frères,  et  mendiaient  sur  les  chemins,  car  ce 
n'était  pas  en  vain  que  le  Sauveur  avait  dit  qu'à  cause  de  lui,  on 
devait  abandonner  son  père,  sa  mère  et  tout  ce  qu'on  possédait. 
D'autres  briîlaient  la  Bible,  conformément  à  ce  verset  :  «  La  lettre 
tue,  mais  l'esprit  vivifie.  -  "  La  nouvelle  secte  des  anabaptistes  ■•, 
dit  Sébastien  Franck  dans  sa  Chronique,  -  a  eu  pour  origine  l'inter- 
prétation littérale  des  Écritures;  beaucoup  de  ceux  qui  s'unissaient 
aux  frères  avaient  bonne  intention,  ils  cherchaient  Dieu  avec  zèle  et 
droiture,  et  prétendaient  ne  se  diriger  que  d'après  l'Écriture,  qu'ils 
prenaient  au  pied  de  la  lettre  '.  « 

Le  docteur  Balthasar  Hubmaier  était  un  des  hommes  les  plus  actifs 
et  les  plus  influents  de  la  secte  nouvelle  'K  ■•  C'était  un  savant  singu- 
lièrement versé  dans  l'Écriture  qui  laissait  à  chacun  le  soin  d'y 
puiser  sa  foi.  «  En  son  livre  des  Dix-huit  discours  traitant  à  fond 
des  conditions  d'une  vie  vraiment  chrétienne,  Hubmaier,  comme  Lu- 
ther, avait  posé  ce  principe,  que  tout  chrétien  baptisé  doit  trouver 
par  lui-même  dans  la  Bible  l'assurance  que  son  pasteur  désaltère 
et  nourrit  son  âme  selon  la  vérité.  Sur  la  frontière  suisse,  dans 
la  seigneurie   d'Haneustein,    il  avait    fait   de    la    petite    ville    de 

'  Voy.  Anshelm,  l.  VI,  p.  268;  Ar;x,  t.  II,  p.  503-509.  — Bcllinger,  B.  12,  p.  19, 
22.  —  Kessler,  Sabba-.a,  t.  I,  p.  258-305.  —  Franck,  Clironica.  t.  III,  p.  193-199. 
—  Voy  JÖRG,  p.  662-663,  669-670.  —  A  Auftsbourf?,  dès  1524,  les  anabaptistes 
prêchaient.  —  Voy.  L'hlhorx,  p.  62.  Un  chaudronnier  de  Xuremberjj  conduisit 
au  cimetière  de  Saint-Jean  sa  femme,  dont  la  grossesse  était  fort  avancée,  et  là, 
il  la  mit  iiarbarement  à  mort,  dans  son  désir,  avoua-t-il,  de  lui  procurer  le 
bonheur  du  bapiéme  de  sang.  —  Voy.  Eyf,  Drei  Jahre  aus  dem  Leben  einer  deutschen 
Reiclisladt,  dans  la  Zeitsctirifl  für  dculsclie  CuUwgeschichle,  1873,  p.  203-230.  NOUS 
lisons  dans  une  autre  chronique  du  temps  au  sujet  du  Tyrol  :  Les  sectes 
luthériennes  y  ont  fait  de  tels  progrès  depuis  les  derniers  vingt-quatre  ans.  que 
l'autorité  a  dû  intervenir, particulièrement  à  propos  des  anabaptistes.  Quelques 
fanatiques  ont  en  beaucoup  d'endroits  tellement  séduit  le  peuple  ignorant  par 
leur  doctrine  hérétique,  qu'eu  peu  de  semaines  un  nombre  considérable 
d'hommes  et  de  femmes  ont  vendu  leurs  biens,  leurs  attelages,  pour  en  faire  de 
l'argent,  et  être  admis  avec  femme  et  enfants  dans  la  société  nouvelle.  Pour  por- 
ter à  ce  mal  un  remède  opportun,  l'autorité  a  fait  exécuter  trois  hommes  à 
Inspriick.  L'un  d'eux  avait  attiré  environ  quatre  cents  personnes  à  cette  dam- 
nable  hérésie.  ^  —  Greuteu,  p.  31. 

-  Sur  Hubmaier,  voy.  Schreiber,  Tasclienbuch  für  Geschichte  und  Alterthum  Süd- 
deuSchland,  années  1  et  2,  Fribourg,  (839,  1840.  Stem,  Zwölf,  Artikel,  p.  57. 


ANARCHIE    RELIGIEUSE.  il» 

Waldsliul  le  centre  de  son  action  pastorale.  Là,  il  avait  recruté  parmi 
le  peuple  et  les  corporations  ouvrières  un  grand  nombre  de  parti- 
sans, persuadés  que  ce  nouveau  pasteur  leur  offrait  «  un  aliment  e! 
un  breuvage  |)arfailement  sains  '.  Il  attacha  tellcmenl  sa  commu- 
nauté à  ses  doctrines,  qu'il  fut  bientôt  en  état  de  dicter  ses  volontés 
aux  magistrats  et  aux  nobles'.  L'ancienne  religion  fut  abolie, 
l'ornementation  des  églises,  les  autels,  les  tableaux,  tout  fut  ren- 
versé et  brisé  au  milieu  d'un  grand  tumulte;  les  prêtres  furent 
chassés.  Les  disciples  d'Hubmaier  affirmaient  avec  orgueil  que  leur 
maitre  avait  été  envoyé  de  Dieu  par  une  disposition  toute  spéciale 
de  la  Providence  envers  eux,  et  le  nouveau  conseil  de  la  ville  s'ima- 
ginait n'avoir  en  rien  mérité  les  reproches  de  son  légitime  seigneur, 
l'archiduc  Ferdinand,  en  permettant  que  la  parole  de  Dieu  fût 
annoncée  eu  toute  liberté  dans  leur  ville.  Mais  le  ;J  octobre  1-524, 
les  conseillers  de  Fribourg  en  Brisgan  écrivirent  aux  nouveaux  con- 
vertis de  Waldshut  :  «  Votre  prétention  de  n'avoir  fait  autre  chose 
([ue  favoriser  l'extension  de  la  parole  de  Dieu  ne  pourra  pas  vous 
être  d'une  grande  utilité  auprès  de  Sa  Grâce  ni  ailleurs.  Chacun 
comprendra  bien  vite  que  vous  vous  êtes  laissé  entraîner  et  con- 
duire par  votre  prêtre,  et  que  vous  vous  êtes  révoltés  contre  l'auto- 
rité, jusqu'à  vous  abandonner  à  la  damnable  hérésie  des  hussites. 
Vous  avez  écouté  et  gardé  Hubmaier,  malgré  tous  les  ordres  et  aver- 
tissements qu'on  a  pu  vous  donner.  Si  maintenant  vous  voulez 
soutenir  que  vous  avez  bien  fait  en  agissant  ainsi.  Sa  Grâce,  son 
conseil  et  ses  sujets  devront  en  conclure  que  vous  les  tenez  pour  des 
oppresseurs  de  la  parole  divine.  Renoncez  donc  à  tout  cela,  ne 
ripostez  pas,  n'écrivez  rien,  car  vous  êtes  dans  votre  tort.  Songez 
bien  que  s'il  en  allait  ainsi,  dans  les  questions  qui  iiitéressent  notre 
sainte  religion,  et  que  nous  devions  ajouter  foi  à  la  parole  du  pre- 
mier moine  défroqué  ou  prêtre  qui  se  présente  pour  nous  expliquer 
la  sainte  Écriture  d'après  sa  pensée,  et  si  nous  lui  laissions  le  droit 
d'anéantir  les  conclusions  et  ordonnances  des  anciens  et  sacrés  con- 
ciles, tous  les  jours  nous  pourrions  nous  remettre  entre  les  mains 
d'un  nouveau  maître,  et  finirions  par  ne  plus  savoir  ce  que  c'est 
qu'une  solide  conviction  religieuse.  Pesez  bien  toutes  ces  choses, 
et  soyez  désormais  fidèles  aux  anciennes  institutions  de  l'Eglise  ^ 

Les  progrès  de  l'anarchie  religieuse  étaient  une  rude  épreuve 
pour  Luther. 

Plein  de  confiance  eu  lui-même,  avec  un  sentiment  nonpareil  de 

'  Voy.  la  déclaration  des  habitants  de  Waldshiit  à  la  délégation  des  princes, 
et  leur  lettre  au  conseiller  du  tribunal  d'Inspriick.  16  décembre  1524,  ScHREiBEa, 
Bauernkrieg,  t.  I,  p.  70. 

-  Schreiber,  BauemLricg,  t.  I,  p.  100-101. 


412  ANARCHIE    RELIGIEUSE. 

triomphe,  il  avait  annoncé  à  mainte  reprise  qu'il  avait  reçu  son  Évan- 
gile du  ciel  même;  que  personne,  pas  même  les  anges,  n'avait  le  droit 
de  le  juger;  que  sa  bouche  était  la  bouche  même  du  Christ,  et  que 
celui  qui  n'adoptait  point  sa  doctrine  ne  pouvait  espérer  le  salut'. 
Maintenant,  parmi  ceux  qui,  à  son  exemple,  avaient  abandonné 
l'Église,  il  voyait  de  tous  côtés  surgir  de  nouveaux  apôtres,  en 
possession  d'un  Évangile  différent.  Ces  hommes  s'opposaient  à  lui, 
le  réfutaient,  affirmaient  avoir  reçu  une  mission  bien  au-dessus  delà 
sienne.  Dès  le  commencement  de  1525,  les  choses  avaient  été  si  loin, 
que  dans  son  découragement,  Luther  laissait  échapper  cet  aveu: 
«  Tel  docteur  rejette  le  baptême;  tel  autre  veut  qu'un  troisième 
monde  soit  placé  entre  celui-ci  et  le  jugement  dernier;  quelques-uns 
enseignent  que  le  Christ  n'est  pas  Dieu;  l'un  dit  ceci,  l'autre  cela,  et 
il  y  a  autant  de  secles  et  de  Credo  que  de  tètes.  Point  de  rustre  si 
grossier  qui  ne  s'imagine  avoir  reçu  une  révélation  du  Saint-Esprit 
et  ne  s'érige  en  prophète  ^  dès  qu'il  a  rêvé  ou  imaginé  quelque 
choses  ') 


Cet  élat  d'anarchie  religieuse,  qui  s'étendait  maintenant  à  une 
grande  partie  de  l'Empire,  avait  été  dès  longtemps  prédit  par  les 
esprits  réfléchis,  attentifs  au  mouvement  que  Luther  avait  provoqué. 
L'Allemagne,  avaient-ils  dit,  deviendra  une  seconde  Bohème,  car 
c'étaient  bien  les  doctrines  de  Jean  Huss  que  Luther  avait  propagées 
en  Allemagne*. 

Il  avait  autrefois  déclaré  n'avoir  rien  de  commun  avec  Jean  Huss 
(1519),  affirmant  que  jamais  il  ne  légitimerait  un  schisme,  et  que 
les  hussites  avaient  été  criminels  de  rompre  l'unité  de  l'Église 
romaine  ^  Mais  peu  de  temps  après,  il  était  arrivé  à  la  persuasion 
qu'il  était  lui-même  hussite,  et  que  son  enseignement  était  le  même 
que  celui  du  réformateur  de  Bohème.  Avant  lui,  Huss  avait  prêché  la 
vérité  évangélique,  mais  elle  avait  été  condamnée  au  concile  de 
Constance,  où  la  doctrine  du  «  dragon  infernal  «  avait  été  substi- 
tuée à  l'Évangile  littéral.  A  l'exemple  de  Huss  eî  des  hussites,  Luther 

'  Voy.  plus  haut,  p   28,  213,  236-237. 

-  Lettre  aux  chrétiens  d'Anvers,  commencement  de  1525,  dans  de  Wette,  t.  III, 
p.  61. 

^  Voy.  plus  haut  sur  ce  sujet  les  jugements  portés  par  Emser,  Murner, 
Aléandre,  Usingen  et  le  duc  George  de  Saxe,  p.  109-112,  131-13i,  157,  200,  217, 
227-228. 

*  Voy.  plus  haut,  p.  85-86. 

^  Voy.  plus  haut,  p.  87-88 


A  \  A  R  <;  II I  K    I?  E  M  0  I  F,  U  SE.  4  >  :5 

avait  rejeté  l'autorité  du  siège  apostolique,  les  couciles  généraux, 
et  beaucoup  d'autres  dogmes  fondamentaux  de  l'Église.  Comme 
les  <  frères  de  lîohéme  >,  il  avait  vu  dans  la  sainte  Kcriture  Tunique 
source  de  la  foi;  comme  eux,  il  avait  aboli  toute  différence  entre 
les  prêtres  et  les  laïques,  et  enseigné  le  sacerdoce  universel,  appe- 
lant le  Pape  Antéchrist,  et  l'antique  Église,  avec  sa  constitution,  ses 
lois,  ses  institutions,  ses  droits,  ses  usages,  une  ■•<■  invention  de 
l'enfer'  ".  Aussi  ce  qu'on  avait  vu  se  produire  en  lîohéme,  c'est-à- 
dire  "  cette  effroyable  licence  religieuse  »  dont  des  témoins  ocu- 
laires ont  rapporté  les  excès,  allait-il  nécessairement  se  reproduire 
en  Allemagne.  Comme  Luther  le  constatait  (l.>2.jj,  il  y  avait  mainte- 
nant presque  autant  de  sectes  et  de  Credo  que  de  têtes.  C'est  ainsi 
qu'en  1502  lioliuslav  Hassenstein  avait  écrit  de  Bohême  qu'en  ce  pays 
les  sectes  étaient  innombrables;  qu'on  y  rencontrait  des  wicléfites, 
des  Picards,  des  contempteurs  de  la  divinité  de  Jésus-Christ,  des 
sectaires  niant  l'enfer,  l'immortalité  de*  l'âme,  ou  persuadés  que 
toutes  les  religions  étaient  également  bonnes;  vieillards,  adoles- 
cents, hommes  et  femmes  se  croyaient  appelés  à  expliquer  la  sainte 
Écriture,  et  se  disputaient  sur  des  points  de  foi-. 

Dès  qu'on  eut  détruit  l'obéissance  envers  l'autorité  de  l'Eglise, 
d'abord  en  Bohème,  puis  en  Allemagne,  rien  n'eut  plus  un  ferme 
équilibre  dans  la  pensée  ni  dans  le  cœur  du  peuple. 

Et  sur  le  terrain  social,  d'abord  en  Bohême,  puis  eu  Allemagne, 
tout  chancela,  tout  fut  ébranlé  par  la  propagation  des  principes  de 
Jean  Huss. 

'  Le  premier,  Wiclef  avait  appelé  le  Pape  l'Antéchrist.  II  avait  dit  à  plusieurs 
reprises  en  parlant  du  Pape  :  ^  ...homo  peccati  Antichristus  insignis  loquitur, 
quodsit  summus  Chiisli  vicarius.  »  Nul  iiomme  sur  la  terre  ne  désignait  plus 
clairement  l'Antéchrist,  le  lieutenant  de  Satan,  que  le  Pape  :  «  ...ut  sit  vicarius 
principalis  Satanœ  et  pra^cipuus  Antichristus  '.  etc.  Dans  ses  prédications, 
Wiclef,  sans  autre  commentaire,  disait  Anlechrist  pour  Pape.  —  Voy.  Leculer, 
t.  I,  p.  583-584,  601,  note  3.  Les  rapports  entre  les  doctrines  de  Wiclef,  de  .Jean 
Husi  et  de  Luther  sont  symliolisés  dans  un  cantional  hussite  de  la  ville  de  Pra- 
gue. En  haut  se  tient  Viclef,  qui  bat  le  briquet  ;  au-dessous,  liuss,  qui  allume  les 
charbons;  bien  plus  bas  encore,  Luther,  qui  agite  une  torche  enflammée.  — Voy. 
Leculer,  t.  II,  p.  '2Sô,  note  2. 

-Voy.  notre  premier  vol.,  p.  582. 


LIVRE    111 


LA   REVOLUTION    SOCIALE 


v'^ 


LIVRE   III 

LA    RÉVOLUTION    SOCIALE 


CHAPITRE  PREMIER 

INFLUENCE  DES   DOCTRINES   DE  JEAN    HUSS    EN    ALLEMAGNE.    —    PRÉLUDES 
DE   LA   RÉVOLUTION   SOCLALE. 


"  C'est  à  Jean  Huss  et  à  ses  disciples  ",  dit  un  contemporalu  de  la 
révolution  sociale  du  seizième  siècle,  "  qu'il  faut  rattacher  presque 
toutes  ces  funestes  doctrines  sur  l'autorité  spirituelle  et  temporelle, 
sur  la  propriété,  sur  les  droits,  qui  engendrent  maintenant  parmi 
nous,  comme  autrefois  en  Bohème,  l'insubordination,  l'émeute,  le 
pillage,  l'incendie  et  le  meurtre.  C'est  à  elles  qu'il  faut  s'en  prendre 
du  grave  ébranlement  social  qui  nous  épouvante  à  cette  heure. 
Depuis  longtemps  déjà,  le  poison  de  ces  faux  principes  se  répand 
de  Bohème  en  Allemagne,  et  partout  où  il  s'insinue,  on  le  voit  pro- 
duire les  mêmes  calamités'.  » 

Jean  Huss  avait  porté  une  grave  atteinte  à  l'autorité  ecclésiastique 
et  séculière  en  enseignant  qu'aussitôt  qu'un  homme  se  rendait  cou- 
pable de  péché  mortel,  il  devenait  par  cela  même  incapable  d'exercer 
les  fonctions  dont  il  avait  été  investi,  parce  que  «  Dieu  retirait 
aussitôt  sa  divine  sanction  à  son  autorité  et  à  sa  charge  ».  Évèque 
ou  souverain  temporel  perdait  tout  droit  à  l'obéissance  de  ses  sujets, 
dès  qu'il  devenait  prévaricateur.  En  ces  sortes  d'occasions,  c'était 
aux  '  vrais  croyants  »  qu'il  appartenait  de  décider. 

Jean  Huss  avait  en  outre  déclaré  la  guerre  à  tout  ordre  social  eu 

'  Cinilra  M,  Lutherum  et  Lulheranisini  faulores,  foL  14. 

II.  27 


418         PRINCIPES  SOCIALISTES  DES  HUSSITES  ET  LEURS  RÉSULTATS. 

avançant  que  ceux  qui  régissent  leurs  propriétés  ou  qui  en  usent 
contrairement  à  la  loi  de  Dieu,  n'ont  aucun  titre  légitime  à  ces 
mêmes  propriétés,  qui  ne  sont  plus  qu'un  larcin  entre  leurs  mains 
souillées  et  impies.  Par  ces  doctrines,  il  avait  surtout  visé  les  pro- 
priétés ecclésiastiques,  disant  que,  puisque  mauvais  usage  en  avait 
été  fait,  elles  devaient  nécessairement  retourner  aux  laïques.  La 
propriété  ecclésiastique,  affirmait-il,  conduisait  fatalement  à  l'asser- 
vissement des  paysans  et  à  la  ruine  de  la  noblesse,  qui,  réduite  à  la 
misère,  se  voyait  alors  obligée  «  de  voler,  de  dépouiller  et  d'opprimer 
ses  subordonnés  ' .  Les  biens  de  l'Église,  selon  lui,  ceux  mêmes  qui 
provenaient  de  donations,  devaient  être  restitués  à  leurs  anciens  et 
légitimes  propriétaires,  aux  seigneurs  temporels,  dont  les  ancêtres, 
égarés  par  une  libéralité  inconsidérée,  pour  la  perte  des  âmes  et 
contre  tous  les  préceptes  delà  sainte  Écriture,  avaient  doté  les  clercs 
de  richesses  superflues.  C'est  par  de  telles  assertions  que  Jean  Huss 
avait  su  s'attacher  une  grande  partie  de  la  noblesse.  Il  avait  égale- 
ment séduit  les  gens  du  peuple,  en  leur  répétant  que  les  possessions 
ecclésiastiques  étaient  le  ><  bien  des  pauvres  ',  que  le  peuple  avait  le 
droit  de  s'en  emparer  pour  subvenir  à  ses  besoins;  qu'en  résumé,  la 
pauvreté  n'était  que  tolérée  par  Dieu,  que  les  riches  en  étaient  les 
auteurs,  et  que  seuls  les  vrais  croyants  »  avaient  le  droit  de  pos- 
séder'. 

La  guerre  hussite  se  chargea  promptement  d'apprendre  au  monde, 
et  cela  d'une  effroyable  manière,  les  résultats  qu'on  pouvait  attendre 
de  ces  notions  dangereuses  qui,  renversant  toutes  les  bases  de  la 
propriété  et  du  droit,  flattaient  les  plus  mauvais  instincts  de  la  classe 
pauvre.  Pendant  les  longues  années  d'une  révolution  sanglante, 
la  Bohême  tout  entière  ne  fut  plus  qu'un  vaste  incendie.  Les 
ouvriers,  les  paysans,  les  prolétaires  des  villes  et  des  campagnes, 
ravis  de  voir  enfin  se  lever  le  jour  de  la  vengeance  envoyé  par  Dieu 


'  Voy.  dans  le  travail  de  Zöllner  sur  les  origines  de  la  guerre  des  paysans  le 
chapitre  intitulé  :  Das  sociale  Element  in  der  husitischen  Bewegung,  p.  20-65.  — 
Voy.  dans  le  liuikolik  de  Mayence  (1873,  p.  92-108)  l'article  intitulé  :  Johannes  Hus 
und  die  böhmische  Commune,  lluss  empruntait  la  plupart  de  ses  principes  aux  écrits 
de  Wiclef.  Celui-ci  avait  enseigné  que  les  seigneurs  laïques  étaient  non-seulement 
autorisés,  mais  obligés  de  s'emparer  des  biens  des  ecclésiastiques,  de  supprimer 
les  couvents,  de  confisquer  les  revenus  de^  monastères,  si  l'Église,  après  avoir 
été  avertie,  persévérait  dans  ses  errements.  Leur  devoir  était  de  retirer  les 
charges  aux  prêtres  «  qui  s'étaient  écartés  de  la  religion  du  Christ  " .  Dans 
r  -étatfuturévangélique  •  tel  que  Wiclef  l'avait  conçu,  les  particuliers  ne  devaient 
plus  avoir  le  droit  de  posséder,  et  tous  les  biens  devaient  être  mis  en  commun. 
-  ...Tune  necessitaretur  respublica  redire  ad  politiamevangelicam,  habens  omnia 
in  communi. .  wiclef  prétendait  ramener  l'Église  à  l'institution  première  du  Chri>t, 
d'après  l'Évangile;  dans  ce  dessein  il  disait  n'avoir  pas  seulement  contre  lui 
r.4ntechrist,  c'est-à-dire  le  Pape  et  ses  disciples,  mais  encore  le  diable  et  ses 
anges.  —  Voy.  Lechler,  t  I,  p.  597-598,  600-601. 


PRINCIPES  SOCIALISTES  DES  IILSSITES  ET  LEURS  RESULTATS.         41» 

m(^me  et  se  renouveler  la  lutte  «  du  peuple  élu  de  Dieu  contre  les 
Pliilistins  ",  form(''rent  de  redoutables  armées.  «  Maudit  soif  le  fidèle 
dont  le  glaive  ne  s'est  pas  encore  plongé  dans  le  .sang  des  ennemis 
du  Christ!  »  dit  la  loi  taborite;  <  il  faut  que  nos  mains  aient  été  puri- 
fiées et  sanctifiées  par  ce  sang!  ^  "  Nous  sommes  décidés  à  pour- 
suivre les  impies  ",  déclarent  Ziska  et  ses  partisans  dans  un  de 
leurs  manifestes  (1423);  «  nous  les  flagellerons,  nous  les  assom- 
merons, décapiterons,  pendrons,  noierons,  brûlerons,  nous  leur 
ferons  subir  tous  les  supplices  réservés  aux  pervers  d'après  la  loi  de 
Dieu.  Nous  poursuivrons  tous  les  coupables  sans  exception,  .sans 
pitié  pour  le  rang  ou  le  sexe  '.  »  Un  certain  nombre  de  nobles, 
poussés  par  l'espoir  de  profiter  de  la  confiscation  des  biens  du 
clergé,  se  mirent  à  la  tête  des  insurgés.  «  Efforçons-nous  d'attirer 
la  bourgeoisie  dans  notre  parti  i,  disaient  quelques  barons  qui 
s'étaient  faits,  parmi  le  peuple,  les  apôtres  de  la  doctrine  hussite; 
<  de  quelque  manière  que  tournent  les  choses,  nous  ne  pouvons 
manquer  de  gagner  à  l'entreprise,  car  nous  aurons  à  nous  partager 
soit  les  biens  du  clergé,  soit  les  biens  de  la  bourgeoisie.  Si  le  roi 
donne  les  mains  à  la  sécularisation,  la  noblesse  sera  la  première  à  en 
profiter.  S'il  refuse  de  l'autoriser,  la  guerre  civile  éclatera,  et  nous 
fournira  plus  d'une  bonne  occasion  d'arrondir  nos  domaines  *.  ■ 

Sickingen  et  Hütten  devaient,  un  siècle  plus  tard,  chercher  à  réa- 
liser en  Allemagne  des  projets  analogues. 

Se  fondant  sur  la  «  mission  spéciale  »  qu'elles  prétendaient  avoir 
reçue  de  Dieu,  les  «  saintes  armées  »  hussites  pillaient  et  dévastaient 
couvents,  bibliothèques,  archives,  détruisaient  d'innombrables  chefs- 
d'œuvre,  et  massacraient  moines  et  prêtres.  «  Avant  la  guerre  ",  dit 
Sigismond  Meisterlin  dans  sa  Chronique,  «  la  Bohême  avait  des 
églises  et  des  temples  admirables,  qui  s'élevaient  vers  le  ciel,  et  dont 
les  vastes  et  larges  voûtes  étaient  la  joie  des  yeux.  Les  autels  de  ces 
temples  étaient  merveilleusement  hauts;  ils  renfermaient  de  pré- 
cieuses reliques,  enchâssées  dans  l'or  et  l'argent.  Les  ornements  des 
prêtres  étaient  couverts  de  riches  pierreries  et  de  perles  fines,  les 
murs  des  saints  édifices  étaient  magnifiquement  décorés  ;  les  fenêtres, 
hautes  et  claires,  étaient  ornées  de  précieuses  verrières,  chefs- 
d'œuvre  exquis  et  délicats.  »  «  Mais  l'or  et  l'argent  des  sacristies,  les 
reliques  dont  les  clercs  avaient  la  garde,    tout  cela  a  été  pillé  par 

'  V^oy.  Bezold,  Zur  Geschichte  des  Husitenthums,  p.  17-19.  Les  taborites  s'intitu- 
laient «  les  zélateurs  de  la  loi  de  Dieu  > .  —  Voy.  Höfler,  Geschichtschreiber  der 
Husitischen  Bewegung,  t.  I,  p.  .388.  «  Se  legis  Dei  zelatores  appellantes.  »  — 
Voy.  Lechler,  1. 1,  p.  471.  Les  hussites  désignaient  comme  le  but  de  leur  révolte 
«  la  mise  en  pratique  de  la  loi  de  Dieu  dans  toutes  les  saintes  vérités  démontrées 
par  la  sainte  Écriture  -.  —  Voy.  Höfler,  Geschichtschreiber,  t.  I,  p.  425. 

-  Voy.  HÖFLER,  t.  II,  p.  347. 

27. 


420         PRINCIPES  SOCIALISTES  DES  HUSSITES  ET  LEURS  RESULTATS. 

ce  peuple  de  Gomorrhe,  qui  s'est  arrogé  le  droit  d'en  disposer.  De 
vastes  abbayes,  de  splendides  églises  ont  été  dévastées,  et  ceux  qui 
mettaient  la  main  sur  ces  trésors  se  disaient  autorisés  à  les  garder 
pour  eux.  Les  lois  de  l'Eglise  ne  comptaient  plus  pour  rien,  et  la 
terre  de  Bohême  put,  en  ce  temps-là,  se  glorifier  d'un  plus  grand 
nombre  de  martyrs  que  tout  autre  pays,  tant  il  y  eut  alors  de  chré- 
tiens massacrés  pour  la  foi.  Tels  furent  les  crimes  impunément 
commis  par  ces  misérables  fils  de  Satan  '.  » 

Les  femmes  surtout  se  montrèrent  féroces  et  avides.  Presque  tous 
les  habitants  de  Komotau  périrent  par  le  feu  et  l'épée.  Partout  »  la 
propriété  des  infidèles  retournait  aux  mains  des  croyants  ».  Exer- 
çant en  tous  lieux  leur  fureur  sauvage,  les  hussites  se  vantaient  néan- 
moins de  "  l'extrême  indulgence  dont  ils  usaient  envers  les  ennemis 
de  la  foi,  les  oppresseurs  de  l'innocence,  les  transgresseurs  criminels 
et  endurcis  de  la  loi  de  Dieu*  ». 

Dans  une  adresse  au  conseil  de  Prague,  une  fraction  du  parti  hus- 
site  propose  l'adoption  de  douze  articles  principaux.  Ces  articles 
réclament  l'abolition  de  tous  les  droits  «  contraires  aux  commande- 
ments de  Dieu.  L'abrogation  du  droit  existant  était  le  premier  pas  à 
faire  vers  le  but  qu'on  voulait  d'abord  atteindre  :  le  libre  usage  des 
eaux,  forêts  et  pâturages  pour  tous.  Dans  l'administration  de  la  jus- 
tice, tout  devait  être  basé  sur  le  droit  divin.  Les  corvées  et  les  dîmes 
seraient  supprimées,  toute  distinction  entre  les  classes  abolie,  toute 
subordination  détruite.  Les  hommes  étant  frères,  nul  d'entre  eux 
ne  devait  être  soumis  à  qui  que  ce  fiit.  »  D'autres  voulaient  la  com- 
plète communauté  ûes  biens  :  personne  ne  devait  plus  posséder 
une  propriété  particulière.  Celui  qui  gardait  un  bien  pour  lui  tout 
seul  était  en  état  de  péché  mortel.  Les  fils  de  Dieu  s'apprêtaient 
<  à  poser  le  pied  sur  la  nuque  des  rois  »,  et  tous  les  royaumes  qui 
sont  sous  le  ciel  allaient  leur  être  livrés.  La  souveraineté  appartenait 
au  «  peuple  »,  aux  «  élus  »;  les  villes,  les  villages,  les  bourgs  allaient 
être  livrés  au  pillage  et  à  l'incendie*. 


'  Chroniken  der  deutschen  Städte,  t.  III,  p.  176-177. 

-  Voy.  ZÖLLNER,  p.  39-48. 

*  Voy.  ces  passages  dans  Hofler,  Geschitschreiber,  t.  I,  p.  385,  et  t.  II,  p.  435.  — 
Voy.  Lechler,  t.  II,  p.  471-472.  —  Bœhm,  p.  76.  —  Bezold,  Zur  Geschichte  Husiten- 
thums,  p.  43-45,  50.  "  L'idéal  social  et  politique  de  l'insurrection  de  Bobêine  », 
dit  Bezold  (p.  54),  »  les  efforts  des  meneurs  pour  organiser  puissamment  tout 
l'ensemble  de  la  vie  humaine  dapiès  certaines  théories,  élèvent  le  mouvement 
hussite  à  la  hauteur  d'une  véritable  révolution,  et  nous  autorisent  à  l'assi- 
miler aux  plus  grands  ébranlements  politiques  de  la  vie  des  peuples  modernes. 
Les  hussites  veulent  l'égalité  dans  les  ressorts  les  plus  divers  de  l'ordre 
social,  dans  les  questions  de  propriété  comme  dans  la  répartition  des  biens 
plus  élevés  de  l'humanité.  Ils  réclament  la  suppression  de  toute  distinction 
sociale,  entre  les  prêtres  et  les  laïques  comme  entre  les  seigneurs  et  le  peuple; 


PRINCIPES  SOCIALISTES  DES   IIUSSITES  ET  LE[;RS  RESULTATS.         iH 

«  Pendant  les  longues  et  cruelles  années  de  cette  guerre  funeste, 
terres  et  gens  furent  ruinés;  la  Bohême,  autrefois  si  prospère',  fut 
transformée  en  terre  de  désoialion  et  d'horreur.  -  La  bourgeoisie 
tomba  dans  la  plus  profonde  misère;  le  prolétariat  prit  des  propor- 
tions effrayantes;  les  paysans  furent  assujettis  au  plus  oppressif  ser- 
vage. Pour  les  séduire  et  les  décidera  prendre  les  armes,  on  leur  avait 
prodigué  de  brillantes  promesses.  On  leur  avait  assuré  que  les  dimes, 
les  corvées  des  seigneurs  temporels  et  spirituels  allaient  être  suppri- 
mées, quMls  auraient  tous  également  droit  à  la  pêche,  à  la  chasse, 
aux  pâturages;  que  les  biens  «  du  clergé,  du  roi  et  des  seigneurs  »  leur 
seraient  abandonnés.  Aussi,  exaltés,  affolés  par  de  telles  perspectives, 
s'étaient-ils  montrés  les  plus  audacieux  d'entre  les  '  soldats  de  Dieu  » 
de  l'armée  taborite.  "  Mais  leurs  prétendus  libérateurs  se  chan- 
gèrent promptement  en  maîtres  et  en  «  tyrans  ",  et  les  traitèrent 
comme  de  vils  esclaves  ^  » 

Dans  le  domaine  religieux,  l'hérésie  de  Bohême  engendra  la  tyran- 
nique  et  pitoyable  Église  d'État  des  utraquistes';  dans  l'ordre  social 
et  politique,  elle  ruina  la  prospérité  nationale  et  mit  le  peuple  sous  le 
joug  écrasant  des  oligarchiques,  rendus  plus  arrogants  que  jamais 
par  la  victoire. 

<•  Le  royaume  de  Bohême,  autrefois  si  florissant  »,  avouait  en  pré- 
sence de  l'inexprimable  détresse  du  pays  l'utraquiste  Laurent  de 
Brezova,  <  est  donné  en  spectacle  à  tous  les  peuples,  et  semble 
destiné  à  leur  servir  d'exemple.  '  «  La  Bohême  est  devenue  la  risée 
des  nations  !  "  s'écrie  douloureusement  un  Tchèque  catholique  con- 
temporain*. On  reconnaissait,  mais  trop  tard,  la  sagesse  de  l'Uni- 

l'abolition  de  tous  les  privilèges  accordés  jusque-là  à  la  naissance,  à  l'éduca- 
tion, à  la  fortune.  Leurs  plans  renferment  de  vagues  conceptions  de  la  sou- 
veraineté du  peuple,  de  l'émancipation  des  femmes,  et  visent  à  la  suppression 
de  toutes  les  barrières  établies  par  les  lois  et  la  morale.  - 

'  Voy.  ce  qu'un  Silésien  du  seizième  siècle  écrivait  sur  l'antique  période  de 
la  gloire  de  la  Bohême,  dans  IJofler,  Geschicktechreiber,  t.  III,  introduction, 
p.  44-45. 

-  Pour  plus  de  détail  sur  ce  point,  voy.  Bezold,  p.  55-63,  voy.  p.  75-94. 
"  La  population  des  campa[;nes,  loin  d'avoir  vu  s'améliorer  son  sort,  était 
réduite  à  une  détresse  qui  rappelle  la  triste  période  de  la  guerre  de  Trente  ans; 
ce  lamentable  état  de  clioses  paralysa  nécessairement  chez  les  paysans  toute 
force  de  réaction  contre  l'asservissement  complet  qui  n'était  que  trop  à 
prévoir.  ^  «  Ce  funeste  revers  de  médaille  du  taboritisme  n'a  pas,  jusqu'à 
présent,  été  mis  dans  un  relief  suffisant,  même  par  des  historiens  comme 
Palacky  et  Zöllner.  »  "  A  la  fin  de  la  guerre,  un  grand  nombre  de  villages 
avaient  complètement  disparu;  le  peuple  des  campagnes,  ruiné  moralement 
et  matériellement,  était  tout  prêt  pour  le  servage.  -  •  La  noblesse  mit  le 
pied  sur  la  nuque  des  paysans,  et  bientôt  ceux-ci  tombèrent  dans  le  plus  dur 
servage.  » 

*  Bezold,  p.  94.  «  La  Bohème  fut  dévastée  et  épuisée  non-seulement  matériel- 
lement, mais  moralement.  » 

*  Voy.  Bezold,  p.  104. 


422      INFLUENCE    DU    RADICALISME    HUSSITE    EN    ALLEMAGNE. 

versité  de  Paris,  qui,  appelée  à  apprécier  la  doctrine  de  Jean  Huss, 
avait  prédit  que  cette  hérésie  pernicieuse,  féconde  eu  lamentables 
crimes,  ne  pourrait  qu'entraîner  les  peuples  à  Tinsouraission,  à  la 
révolte,  et  finirait  par  attirer  sur  le  pays  assez  malheureux  pour 
l'accueillir  la  malédiction  de  Cham.  Dès  1424,  le  cardinal  légat 
Branda  avait  exprimé  les  mêmes  appréhensions.  La  répression  des 
hussites,  selon  lui,  n'intéressait  pas  seulement  la  foi  et  l'ÉgUse  : 
l'équilibre  de  la  société  en  dépendait  '.  "  La  plus  grande  partie 
des  hérétiques  ',  écrit-il,  '  veut  la  communauté  des  biens,  et 
soutient  qu'on  ne  doit  aux  autorités  ni  dime,  ni  tribut,  ni  obéis- 
sance. Or,  par  ces  principes,  toute  civilisation  est  détruite;  les 
lettres,  les  arts,  les  sciences,  en  un  mot  toute  culture  intellectuelle 
est  ruinée.  Les  hussites  regardent  comme  non  avenus  les  droits 
divins  et  humains,  et  ne  songent  qu'à  s'en  débarrasser  par  la  vio- 
lence. Les  choses  iront  si  loin,  que  ni  rois,  ni  princes  dans  leurs 
royaumes  ou  principautés,  ni  bourgeois  dans  leurs  villes,  ni  parti- 
culiers dans  leurs  propres  maisons  ne  seront  plus  en  sécurité,  car 
cette  abominable  secte  ne  s'en  prend  pas  seulement  à  la  foi,  à 
l'Église;  dirigée  par  Satan,  elle  déclare  la  guerre  à  l'humanité  tout 
entière,  dont  elle  attaque  et  renverse  tous  les  droits ^  « 


II 


L'influence  du  radicalisme  hussile  dans  les  pays  avoisinants  ne 
tarda  pas  à  se  faire  sentir  en  Allemagne  de  la  plus  effroyable 
manière  ».  «  Les  Bohèmes  inspiraient  un  effroi  général  >,  rap- 
portent les  documents  désignés  sous  le  nom  de  Chronique  de  hlin- 
(jetnherg.  u  Tous  les  gens  de  bien  craignaient  que  l'iniquité  et  la 
détresse  hussites  ne  vinssent  à  gagner  les  autres  pays,  accablant  à  la 
fois  les  bons,  les  justes  et  les  riches.  Quant  aux  paresseux,  aux  gens 
dissolus,  ennemis  de  tout  travail,  et  en  même  temps  mutins,  voluptueux 
et  farouches,  ils  trouvaient  l'idée  et  l'occasion  bonnes.  Beaucoup, 
dans  les  divers  territoires  allemands,  gens  tout  aussi  vils  et  dépravés 
que  les  Bohèmes,  prônaient  la  secte  et  les  abominations  hussites  dès 
qu'on  paraissait  tolérer  quelque  peu  leurs  discours;  lorsqu'au  con- 

'  "  Conservacio  societalis  humane.  » 

*  Voy  Bezold,  p.  51-53.  Le  conseil  de  Constance  écrivait  en  1416  à  propos 
d«s  dangereuses  conséquences  politiques  des  doctrines  de  Jean  Huss  :  «  Me- 
îuendum  est,  ne  eveniat  irrecuperabilis  ïactura,  qua  una  cum  recta  fide  et  ipsum 
regnum  periclitetur,  et  cum  spiritualibus  temporalia  una  parili  ruina  involvan- 
tur.  • 


INFLUENCE    DU    RADITALISME    IMSSITE    EN    ALLEMAGNE      423 

traire  ils  croyaient  comprendre  que  la  conscience  publique  les  repous- 
sai!, ils  cacliaienf  avec  soin  leurs  sentiments,  évitant  de  les  exprimer 
devant  les  bons  et  les  sages.  Donc  les  Holiùmes  comptaient  en  Alle- 
magne un  grand  nombre  de  partisans  secrets,  surtout  parmi  le  bas 
peuple.  Comme  à  cette  cpo(iueles  esprits  étaient  trés-excités  contre  les 
prêtres,  le  peuple  prêtait  volontiers  l'oreille  aux  partisans  des  lius- 
sites,  parce  qu'ils  avaient  toujours  le  clergé  à  la  bouche  et  répétaient 
sans  cesse  que  le  riche  devait  partager  son  bien  avec  ses  frères'. 

De  bonne  heure,  les  hussites  recueillirent  de  nombreuses  adhé- 
sions en  Silésie,  en  Saxe  et  en  Franconie*.  Des  aventuriers,  de 
farouches  lansquenets,  habitués  au  vol  et  au  brigandage,  et  ayant 
pour  la  plupart  servi  dans  les  armées  hussites,  propageaient  le 
«  poison  de  Bohème  »  dès  leur  retour  en  Allemagne.  Les  plus  zélés 
apôtres  des  principes  socialistes  parmi  les  classes  pauvres  des  villes 
et  des  campagnes  furent  ces  gueux,  ces  scélérats,  ces  misé- 
rables bandes  de  soldats  bohèmes  qui,  dans  la  seconde  moitié  du 
quinzième  siècle,  avaient  trouvé  du  service  dans  presque  toutes  les 
guerres,  et  maintenant,  devenus  soudain  les  «  défenseurs  du  droit 
divin  »,  volaient  et  assassinaient  impunément  quiconque  s'opposait 
à  eux  ^ 

La  première  insurrection  de  paysans  éclata  dans  les  environs 
de  Worms,  où  peu  de  temps  auparavant  le  prêtre  saxon  .lean 
Drandorl  avait  expié  sur  le  bûcher  ses  prédications  hérétiques 
(1431)*.  Environ  trois  mille  paysans  armés  de  piques,  d'arbalètes, 
revêtus  de  cuirasses  et  bannières  déployées,  se  présentèrent  aux 
portes  de  Worms,  demandant  qu'on  leur  livrât  tous  les  Juifs  de 
la  ville  dont  l'usure,  disaient-ils,  les  réduisait  à  la  dernière  misère. 
Bientôt  l'émeute  prit  une  telle  extension  que  les  habitants  de 
Worms  exprimèrent  la  crainte  aux  états  des  villes  libres  réunis  à 
Ulm,  que  l'Empire  et  la  chrétienté  n'eussent  plus  à  redouter  des 
paysans  allemands  que  des  hussites.  C'était  précisément  de  cette 
manière  que  l'hérésie  s'était  déclarée  en  Bohême,  s'attaquant 
d'abord  aux  autorités  ecclésiastiques  et  séculières,  aux  clercs  et 
aux  notables,  c'est-à-dire  au  gouvernement  aristocratique.  Les 
états  devaient  de  toute  nécessité  prendre  des  mesures  énergiques 
contre  ces  rebelles  ^  La  nouvelle  du  progrès  des  doctrines  hussites 

'  Die  klingenberger  Chronik,  publiée  par  lleDiie  de  Sargans  (1861),  p.  198.  — Bezold, 
Die  '  armen  Leute  « ,  p.  16-17. 

*  Voy.  ces  documents  dans  Zöllner,  p.  72-75.  —  Lechler,  t.  II,  p.  485-489.  — 
BœHM,  p.  106-112. 

^  Voy.  Palacky,  Gesch.  ron  Böhmen,  4",  p.  504. 

*  Voy.  K RUMMEL,  dans  les  Theol.  Studien  und  Kritiken,  LXII%  p.  133-144. 

^  Pour  plus  de  détails,  voy.  Bezold,  Der  rheinische  Bauernaufstand,  p.  129- 
149. 


i24    INFLUENCE    DU    RADICALISME    HUSSITE    EN    ALLEMAGNE. 

parmi  les  '  pauvres  gens       d'Allemagne  parvint  jusqu'à  Rome  '. 

Les  ligues  formées  par  les  princes,  seigneurs,  chevaliers  et  villes 
avaient  appris  aux  paysans  la  marche  qu'ils  devaient  suivre.  Pour 
s'entendre,  il  fallait  d'abord  se  réunir  en  grandes  troupes,  convenir 
d'un  plan  de  campagne,  puis  faire  choix  d'une  bannière,  afin  de  bien 
désigner  la  classe  à  laquelle  on  appartenait  et  le  but  qu'on  se  propo- 
sait d'atteindre  par  l'association  des  forces.  Les  paysans  prirent  pour 
signe  de  ralliement  le  gros  soulier  lacé-  qu'ils  portaient  d'ordinaire; 
ils  l'attachèrent  à  leurs  piques  ou  le  peignirent  sur  leurs  étendards. 
C'est  depuis  ce  temps  que  toutes  les  émeutes  des  campagnes  ont  été 
désignées  sous  le  nom  de  Bundschuh^. 

Les  révoltés  allemands,  comme  les  taborites  de  Bohême,  élirent 
des  nobles  pour  chefs,  «  gentilshommes  ruinés,  écrasés  de  dettes  ", 
qui  espéraient  gagner  quelque  chose  au  tumulte  et,  comme  on  dit, 
pêcher  en  eau  trouble.  Assez  fréquemment  ces  "  enfants  perdus  " 
se  chargeaient  de  soulever  les  campagnes.  C'est  ainsi  qu'Anselme 
de  Massmünster,  gentilhomme  alsacien,  déploya,  en  1486,  l'éten- 
tard  de  la  révolte;  il  avait  pris  un  varlet  de  [Zäsingen  pour  aide  de 
camp.  En  peu  de  temps,  deux  mille  révoltés  s'étaient  joints  à  lui; 
«  tous  avaient  juré  haine  au  monde  entier*  ». 

'  Notre  triomphe  se  chargera  de  vous  apprendre  ce  qu'on  peut 
gagner  au  Bundschuh  ,  disait  un  jour  un  paysan  àTrithème.  «  Nous 
voulons  nous  affranchir,  comme  les  Suisses,  du  joug  qui  pèse  sur 
nous,  et,  dans  les  questions  spirituelles,  partager  l'autorité  avec  les 
clercs,  comme  les  hussites\  " 

En  Carinthie  (1470),  les  paysans  révoltés  manifestaient  les  mêmes 
désirs.  Les  insurgés  voulaient  voir  -  la  noblesse  humiliée,  les  prêtres 
assujettis  à  leur  domination  ' ,  et  réclamaient  le  droit  d'élire  ou  de 
déposer,  selon  leur  volonté  et  bon  plaisir,  les  curés  et  les  clercs®. 

Les  exigences  et  réclamations  de  Hans  Böhm  ',  le  joueur  de  corne- 
muse de  Niklashausen,  allaient  encore  beaucoup  plus  loin.  Böhm 
fut,  sur  le  sol  allemand,  le  premier  apôtre  de  l'état  de  nature  social 
et  individuel. 

S'appuyant  sur  la  -■  sublime  mission  «  qu'il  disait  avoir  reçue  de 

'  Voy.  BœHM,  p.  109-110. 

ä  Sur  le  dicton  populaire  "  Et  caetera  Bundsclnili  >,  voy.  Liebp.echt  dans  la 
Germania  de  Pfeifl'er,  t.  V,  p.  482,  et  dans  la  Zeitschrift  für  deutsche  Kulturgeschichte , 
1872,  p.  354.  Voy.  plus  Laut,  p.  171,  note  1. 

-  Voy.  Bœhm,  p.  109-110. 

*  Voy.  Ocns,  Gesch.  von  Basel,  t.   IV,  p.  176. 

*  *  Codex  des  Klosters  Camp  am  A'iederrhein,  p.  71. 

*  Unrest  est  surtout  à  consulter  pour  tout  ce  qui  concerne  celte  insurrection, 
p.  631-642.  —  Voy.  Chmel  ,  Monum.  Habib.  ,  t.  I,  2,  p.  866-882. 

^  Voy.  sur  Böhm  B.\r..iCK,  p.  6-97.  Ullmann,  t.  I.  p.  421.  Zollneu,  p.  76-79. 
BOBHM,  p.  120-126. 


INFLUENCE  DU  H  A  I)  I  f  A  M  S  M  E  II  U  S  S  I  T  E  EN  ALLEMAGNE.  425 

Dieu,  Böhm  prêchait  aux  foules,  avides  de  l'entendre,  se  plaisant, 
disait-il,  à  les  réjouir  en  leur  offrant  la  parole  du  Seif^oeur  defjajjee 
de  tout  alliage.  11  disait  que  le  royaume  de  Dieu  était  j)roclie,  et  que 
désormais  il  n'y  aurait  plus  ni  pape,  ni  empereur,  ni  autorité  quel- 
conque; toute  différence  entre  les  classes  allait  être  supprimée. 
L'égalité  fraternelle  régnerait  entre  tous.  Les  princes  ecclésiastiques 
et  laïques  av;iieut  accumulé  tant  de  trésors!  s'ils  étaient  partagés, 
tout  le  monde  aurait  suffisamment  de  quoi  vivre,  et  c'est  ce  résultat 
qu'il  s'agissait  d'atteindre.  Les  dîmes,  taxes  et  douanes  allaient  être 
abolies.  La  chasse,  la  pêche,  les  prairies  .«serviraient  aux  besoins  illi- 
mités de  chacun;  on  verrait  bientôt  les  princes  et  les  seigneurs 
forcés  de  gagner  quotidiennement  leur  vie.  Le  temps  approchait  où 
les  prêtres  allaient  être  mis  à  mort;  une  forte  récompense  serait 
alors  décernée  à  celui  qui  aurait  eu  la  gloire  d'en  massacrer  trente. 

L'égalité  fraternelle,  la  suppression  des  corvées,  l'abolition  de 
toute  autorité,  voilà  ce  que  le  peuple  appelait  le  véritable  Évan- 
gile ,  et  celui  qui  le  lui  annonçait  était  à  ses  yeux  un  homme  de 
Dieu  ayant,  comme  le  Christ,  pitié  des  foules.  «  Donc  le  peuple 
surexcité  se  leva  bientôt  en  masse  '  ,  écrit  Sébastien  Brant;  de 
tous  les  points  de  l'Allemagne,  il  accourait  vers  son  joueur  de  cor- 
nemuse. Le  «  saint  jeune  homme  r,  comme  il  l'appelait,  eut  bientôt 
tant  d'auditeurs  venus  de  Bavière,  de  Souabe,  d'Alsace,  du  Rheingau, 
de  Wettéravie,  de  Hesse,  de  Saxe  et  de  Misnie,  qu'à  certains 
jours  plus  de  trente  mille  hommes  campaient  dans  le  petit  village  de 
]NikIashausen  et  dans  les  environs.  ^  Les  compagnons  ouvriers  «, 
rapporte  le  chroniqueur  Conrad  Stolle,  <  quittaient  à  la  hâte  leurs 
ateliers;  les  valets  des  métairies  voisines  abandonnaient  la  charrue, 
les  fîlles  de  ferme  accouraient  tenant  encore  eu  main  leur  faucille, 
tous  sans  même  avoir  pris  congé  de  leurs  maîtres  et  seigneurs,  et 
dans  les  mêmes  habits  qu'ils  portaient  au  moment  où  l'irrésistible 
envie  d'aller  à  Mcklashausen  s'était  emparée  d'eux.  La  plupart 
n'avaient  pas  de  quoi  manger;  mais  ceux  chez  qui  ils  arrivaient  se 
chargeaient  de  les  héberger;  entre  eux,  ils  se  donnaient  les  noms  de 
frères  et  de  sœurs.  Ces  pauvres  exaltés  faisaient  porter  devant  eux 
des  bannières,  et  maichaienî  au  chant  de  cantiques  inspirés  par  la 
chimère  qui  îcs  avait  entraînés. 

Mais  le  joueur  de  cornemuse  ayant  un  jour  engagé  les  milliers 
d'auditeurs  qui  se  pressaient  autour  de  lui  à  laisser  femmes  et  enfants 
au  logis  et  à  revenir  à  une  date  indiquée  avec  des  armes,  on  mit 
la  main  sur  lui;  il  lut  conduit  à  Wurzbourg.  .  Le  jour  où  Hans 
Böhm  fut  pris  •■•■ ,  raconte  StoUe,  "  on  le  trouva  assis  dans  une  taverne, 
préchant  tout  nu  à  son  auditoire.  «  Quelque  temps  après,  une 
horde  d'environ  dix  mille  fanatiques  résolut  d'aller  le  délivrer,  et 


426    INFLUENCE    DU    RADICALISME    HUSSITE    EN    ALLEMAGNE. 

quatre  gentilshommes,  vassaux  cleTévêquede  Wurzbourg,  s'offrirent 
à  les  commander.  Mais  à  l'aspect  des  canons  de  la  forteresse,  épou- 
vantés par  la  cavalerie  envoyée  pour  les  mettre  à  la  raison,  ces 
pauvres  gens  se  dispersèrent.  Hans  Böhm  fut  brûlé  vif;  les  nobles 
qui  s'étaient  mis  à  leur  télé  ne  durent  leur  salut  qu'à  la  fuite. 

Hans  Böhm  n'avait  été  que  l'instrument  d'une  vaste  conspiration 
ourdie  par  un  hussite  caché  au  fond  d'une  caverne,  dans  les  envi- 
rons de  Niklashausen,  le  curé  du  village  et  un  ex-Franciscain.  De 
jeunes  seigueurs  lui  avaient  appris  son  rôle,  ainsi  qu'il  l'avoua 
durant  son  interrogatoire.  Le  chevalier  Conrad  de  ïhunfeld  déclara 
également  avoir  cherché  à  soulever  le  peuple  contre  l'évèque  de 
Wurzbourg^  son  légitime  seigneur.  Le  comte  Jean  de  Wertheim 
lui-même  fut  soupçonné  d'avoir  encouragé  le  mouvement  \ 

On  parvint  à  l'étouffer,  mais  non  pas  à  effacer  des  esprits  les 
séduisants  espoirs  que  le  joueur  de  cornemuse  avait  fait  naitre. 
Rentrés  chez  eux,  les  paysans  propagèrent  ses  doctrines,  surtout 
en  Souabe. 

Parmi  les  écrits  chargés  de  les  répandre,  il  faut  citer  en  premier 
lieu  la  Réforme  de  l'empereur  Sigismond.  Ce  livre,  composé  en  1438 
par  un  prêtre  séculier,  parut  pour  la  première  fois  en  1476, 
l'année  même  où  les  discours  du  joueur  de  cornemuse  faisaient  une 
si  profonde  impression  sur  les  masses.  Il  fut  plusieurs  fois  réédité 
entre  1480  et  1497^ 

<  L'obéissance  est  morte  >:,  lisons-nous  dès  les  premières  pages 
de  l'ouvrage;  "  la  justice  souffre  violence,  plus  rien  n'est  en  sa  place, 
aussi  Dieu  nous  retire-t-il  sa  grâce,  et  cela  est  juste.  »  "  Les  chefs 
spirituels  et  temporels  laissent  dépérir  ce  que  Dieu  leur  avait  confié. 
C'est  pourquoi  tout  doit  être  réorganisé,  et  à  cette  réorganisation, 
les  petits  surtout  sont  appelés  à  participer.  Ceux  qui  s'opposent  le 
plus  à  la  loi  de  Dieu  sont  les  savants,  les  sages  selon  le  monde  et 
les  puissants  du  siècle;  mais  les  petits  crient  vers  Dieu,  le  suppliant 
de  les  secourir  et  de  les  remettre  dans  la  voie  de  l'équité.  »  «  Le  droit 
canon  est  malade,  l'Empire  et  tout  ce  qui  lui  appartient  défend  et 
soutient  l'iniquité,  il  faut  donc  le  renverser  par  la  force.  Quand  les 

1  Barack,  p.  101. 

-  Stolle,  p.  134.  —  Voy.  Barack,  p.  85-97. 

'  Sur  les  diverses  éditions  de  cet  écrit,  voy.  Bœ:hm,  p.  6-18.  -  La  réforme  de 
l'empereur  Sigismond  est  le  premier  écrit  révolutionnaire  qui  ait  été  publié 
en  allemand.  Si  l'on  a  appelé  une  certaine  chronique  tchèque  rimée  du  qua- 
torzième siècle  la  «  trompette  de  la  guerre  hussite,  -  notre  Réforme  pour- 
rait à  bon  droit  s'intituler  la  -  trompette  de  la  guerre  des  paysans,  ^  car 
l'histoire  de  ses  divers  manuscrits  et  éditions  démontre  que  ce  ne  fut  que  long- 
temps après  avoir  été  composée  qu'elle  vint  à  se  répandre  et  à  avoir  de  l'action. 
C'est  précisément  en  1520  qu'elle  eut  le  plus  d'influence.  »  —  Bezold,  Die  u  armen 
Leute  .,  p.  26-27. 


INFLUENrE    DU    li  A  D  I  f:  A  II  S  M  E    IIUSSITE    EN    AI.I-EMAGNE.     '«27 

grands  sommeillent,  les  petits  oui  le  devoir  de  rester  éveillés,  afin 
(jue  le  plan  de  Dieu  puisse  se  poursuivre.  >:  «  Les  humbles  seront 
élevés,  les  puissants  abaissés,  le  Christ  lui-même  Ta  dit  dans  IKvan- 
ftile,  et  les  apôtres  l'ont  répété  après  lui  dans  leurs  épitres'.  >i 

Les  petits  et  les  humbles  sont  appelés  à  fonder  le  régne  de  la 
liberté  et  de  l'égalité  sur  la  terre  :  "  N'est-ce  pas  une  chose  inouïe 
que,  dans  la  sainte  chrétienté,  il  faille  rapprendre  aux  chrétiens  que 
riiomme  qui  a  l'audace  de  dire  à  son  frère  :  «  Tu  m'appartiens  «, 
commet  un  crime  abominable?  Songez-y  bien,  Noire-Seigneur  Dieu, 
par  ses  plaies,  par  sa  mort  subie  volontairement  pour  nos  péchés, 
a  payé  notre  rançon  et  nous  a  délivrés  de  toutes  les  chaînes  qui  nous 
retenaient  captifs,  en  sorte  que  désormais  personne  n'a  plus  le  droit 
de  s'élever  au-dessus  de  ses  frères.  Nous  sommes  tous  également 
affranchis  et  libres,  les  nobles  comme  les  roturiers,  les  riches  comme 
les  pauvres,  les  grands  comme  les  petits.  Celui  qui  croit  et  qui  est 
baptisé  est  membre  du  Christ  Jésus.  Oue  chacun  sache  bien  que 
celui  qui  ose  revendiquer  un  droit  de  propriété  sur  les  chrétiens  ses 
frères  n'est  déjà  plus  chrétien,  s'oppose  au  Christ,  et  pèche  contre 
tous  les  commandements  de  Dieu.  "  Si  un  noble  contredit  cette 
vérité,  il  faut  le  supprimer;  si  une  abbaye  la  nie,  il  faut  la  détruire 
de  fond  en  comble,  et  ce  sera  faire  une  œuvre  pie.  Nous  ne  devons 
plus  tolérer  que  personne,  prêtre  ou  laïque,  s'élève  au-dessus  des 
autres.  Laissez-nous  le  soin  de  nos  intérêts,  laissez-nous  jouir  de 
notre  pleine  liberté.  Tous  ceux  qui  appartiennent  à  Dieu  s'en  réjoui- 
ront; mais  tolérer  l'état  de  choses  actuel,  ne  pas  chercher  à  porter 
remède  à  un  mal  qu'on  pourrait  facilement  guérir,  c'est  courir  à 
l'enfer  avec  les  méchants,  sans  que  rien  puisse  en  délivrer,  car  ce 
péché  surpasse  tous  les  autres  en  malice;  c'est  le  péché  par  excel- 
lence. » 

La  liberté  chrétienne  exigeait  encore  la  suppression  des  corvées, 
du  ban  et  autres  tyrannies  :  "  On  interdit  les  forêts  aux  paysans,  on 
les  taxe,  on  leur  enlève  le  droit  de  pâture.  Pour  eux,  point  de  misé- 
ricorde; on  les  écrase  d'amendes,  et  cependant  on  vit  de  leur  tra- 
vail, car  sans  eux  qui  pourrait  subsister?  C'est  le  laboureur  qui 
nourrit  les  bêtes  des  bois,  les  oiseaux  de  l'air..  On  ne  doit  pas  mettre 
l'interdit  sur  les  forêts  ou  sur  les  champs.  De  même,  ou  leur  ôte  les 
rivières,  et  cependant  elles  suivent  librement  leur  cours,  portant 
leurs  bienfaits  dans  tous  les  pays.  On  eu  est  venu  à  un  tel  point, 
que,  si  l'on  pouvait  mettre  en  contrainte  la  nature  entière,  on  le  ferait. 
Ce  que  Dieu  a  ordonné,  nous  nous  apercevons  qu'on  n'en  tient 
aucun  compte;  au  contraire,  on  le  contredit.  Les  animaux  privés  de 

'  Dans  BoEHM,  p.  161 ,  1  70,  225,  237. 


428    INFLUENCE    DU    RADICALISME    HUSSITE    EN    ALLEMAGNE. 

raison  devraient  protester  contre  nous,  et  nous  crier  :  Pieux  et 
braves  chrétiens,  après  tant  d'avertissements,  prenez  donc  à  cœur 
toutes  ces  criantes  iniquités!  Il  n'eu  est  vraiment  que  temps,  con- 
vertissez-vouSj  de  peur  que  Dieu  n'exerce  sur  vous  sa  sévère  justice!  ' 

L'homme  de  petites  ressources  était  opprimé  aussi  bien  dans  les 
villes  que  dans  les  campagnes.  L'enchérissement  et  les  compagnies 
commerciales  devaient  être  supprimés,  ainsi  que  les  corporations  : 
i  autrement  chacun  se  plaint  d'être  lésé;  tout  le  monde  l'est  dans 
les  villes;  aussi  seigneurs  et  paysans,  tous  ont  les  villes  en  hor- 
reur. Si  tout  était  mis  en  commun,  les  seigneurs  seraient  bien  obli- 
gés de  se  résigner  à  n'être  pas  plus  que  les  autres.  Il  faut  empê- 
cher que  personne  exerce  plus  d'un  métier,  d'une  industrie.  Le  prix 
des  denrées,  les  salaires  des  paysans  et  des  ouvriers  doivent  être 
fixés  par  des  experts  jurés  ,  choisis  par  les  ouvriers  K  -.^ 

Dans  les  questions  religieuses,  «  le  spirituel  doit  être  nettement 
séparé  du  temporel  -.  Pour  arriver  à  ce  but,  il  faut  avant  tout  con- 
fisquer les  biens  du  clergé;  un  traitement  fixe  sera  ensuite  attribué 
à  chaque  clerc.  Ainsi,  par  exemple,  un  curé  «  touchera  par  an  quatre- 
vingts  florins  du  Rhin,  et  cette  somme  suffira  à  rétribuer  tous  ses 
services;  il  ne  lui  reviendra  en  sus  ni  taxes,  ni  dimes.  Il  sera  défendu 
à  tout  prêtre  d'avoir  plus  d'un  bénéfice,  à  quelque  rang  qu'il  appar- 
tienne ^  ' 

Si  quelqu'un  ose  s'opposer  à  ces  nouveaux  règlements,  fût-il  sou- 
verain spirituel  ou  temporel,  «  son  corps  sera  recommandé  à  tous  , 
c'est-à-dire  livré  en  pâture  aux  oiseaux  du  ciel;  -  son  bien  sera  saisi 
et  confisqué,  car  Dieu  n'a  que  faire  de  rebelles  >;.  Les  clercs  réfrac- 
taires,  évêques,  docteurs  ou  prêtres,  perdront  leurs  charges  et  leurs 
bénéfices.  '  Si  les  couvents  refusent  d'obéir,  ils  seront  détruits  de 
fond  en  comble,  parce  que  Dieu  exige  des  siens  une  loyale  obéis- 
sance, et  que  celui  qui  ruine  une  propriété  injustement  acquise  est 
agréable  à  Dieu.  "  Pour  établir  cette  loi  nouvelle,  tous  sont  invités 
à  s'employer  et  à  se  servir  du  glaive;  <  Dieu  n'abandonnera  pas  les 
siens.  Si  l'on  met  la  main  à  l'œuvre  avec  entrain,  crois-moi,  tout 
marchera  de  soi-même.  Que  tout  le  monde  se  rassure!  Nous  savons 
que  tout  réussira  avec  l'aide  et  la  force  de  Dieu,  pourvu  que  nous 
restions  fidèles  au  Seigneur  et  ayons  égard  à  sa  loi.  " 

«  Quand  notre  liberté  sera  reconnue  par  le  monde  entier,  les 
grands  chefs  perdront  soudain  leur  pouvoir.  Car,  remarque-le  bien, 
qui  voudrait  agir  contre  soi-même?  qui  pourrait  préférer  la  servi- 
tude à  la  liberté?  Or  le  Christ  Jésus,  dans  sa  sollicitude  paternelle, 


'  BœHM,  p.  216-220,  221-228,  235.  —  Voy.  p.  170. 
^  BœHM,  p.  231,  172-195. 


PRÉLUDES  I)F,  LA  l'.ÉVOLUTION  SOCIALE.         42'J 

a  mis  celle  liberlé  i\  la  porlée  de  loiile  rhumanité.  La  vie  élernelle 
s'offre  à  nous  ;  celui  qui  ne  veul  pas  recevoir  notre  doclrine  n'est 
déjà  plus  chrétien;  qu'il  le  sache  bien,  renier  est  ouvert  devant  ses 
pas.  Donc,  nobles  chrétiens,  chrétiens  libres,  à  l'œuvre,  si  nous 
tenons  à  mériter  un  jour  la  paix  éternelle  '  !  » 

De  fréquentes  émeutes  de  «  pauvres  gens  >,  ayant  toutes  pour 
prétexte  l'obtention  de  réformes  tantôt  modérées,  lanlôl  exorbi- 
tantes, se  produisirent  de  tous  côtés  dans  les  dix  dernières  années 
du  quinzième  siècle. 

En  1486,  une  insurrection  éclate  en  Bavière;  "  un  certain  maître 
Mathieu  Korsang,  d'Aup,sb<)urp;,  la  prêche  et  l'excite*  ». 

En  149t  et  1492,  les  vassaux  de  l'abbaye  de  Kempten  arborent  le 
Bundsc/nihct  choisissent  pour  capitaine  Georges  Hugo  d'Unterasried, 
que  le  prince  abbé  appelait  à  bon  droit  «  le  nouveau  Jean  Huss^  ». 

En  149.3,  des  tenanciers  de  l'évéque  de  Strasbourg  forment  un 
complot  pendant  la  nuit  dans  le  lieu  secret  de  leurs  assemblées,  la 
Hungersberg,  au  nord-ouest  de  Schelesfadt,  entre  Andlau  et  Ville. 
Ce  Bundschu/i  recruta  beaucoup  de  partisans  dans  les  villes  d'Alsace. 
Un  grand  nombre  de  déclassés,  de  gens  sans  aveu,  s'engageaient  par 
des  serments  secrets  à  poursuivre  certains  buts  :  c  A  l'avenir  ,  lit- 
on  dans  les  articles  de  leur  association,  «  le  peuple  ne  payera  d'impôt 
que  lorsque  cela  lui  conviendra.  Chaque  commune  aura  son  tribunal 
particulier,  les  .Juifs  seront  dépouillés  et  expulsés  du  pays,  les 
prêtres  n'auront  plus  droit  qu'à  un  seul  bénéfice.  L'année  jubilaire 
sera  proclamée,  elle  annulera  toutes  les  dettes;  les  douanes  et  autres 
impôts  seront  supprimés.  -'  Mais  le  complot  fut  découvert  à  temps; 
ceux  qui  y  avaient  pris  part,  et  sur  lesquels  on  put  mettre  la  main, 
furent  très-rigoureusement  punis.  Les  deux  principaux  meneurs 
furent  écar télés  à  Bâle  *. 

Néanmoins  ce  Bundschuh  eut  de  redoutables  suites,  comme  les 
condamnés  l'avaient  annoncé  avant  de  subir  le  dernier  supplice. 
<'  On  s'aperçut  bien  vite,  aux  soulèvements  toujours  renaissants 
qui  éclataient  dans  le  pays,  que  le  poison  de  Bohême  avait  fait 
dans  l'esprit  populaire  de  terribles  ravages.  Les  riches,  ceux  qui 
avaient  de  gros  revenus,  étaient  dans  l'effroi,  car  il  était  évi- 
dent que,  si  les  rebelles  venaient  à  triompher,  ils  commenceraient 

'  BOEHM,  p.  169,  206,  247. 

-  HORMAYER,  Taschenbuch,  1834,  p.  147. 

^  Haggenmullf.r,  Gesch.  von  Kempten,  t.  I,  p.  415.  —  ZIMMERMANN,  t.  I,  p.  290-302. 
Les  tenanciers  de  l'abbaye  de  Kempten  eurent  surtout  à  souffrir. 

*  Berler  Chronik  dans  le  Code  historique  de  la  ville  de  Strasbourg,  t.  I,  p.  104.  — 
Voy.  Zimmermann,  t.  I,  p.  141-145.  Sur  une  conspiration  de  cinq  cents  tenanciers 
de  l'abbaye  d'Ochsenhausen  de  1497  à  1502,  voy.  Stalin,  t.  I\  ,  p.  94. 


430  PRÉLUDES    DE    LA    REVOLUTION    SOCIALE. 

par  renverser  toute  autorité,  refuseraient  de  payer  l'impôt  ou  la 
dime,  réclameraient  une  liberté  sans  limites,  et  surtout  l'égalité  des 
biens  '.  " 

i<  Pour  nous  affranchir  ' ,  disaient  les  articles  d'un  Bundschuh  sou- 
levé dans  l'évéché  de  Spire  (1502),  "  nous  nous  sommes  réunis,  réso- 
lus de  conquérir  notre  liberté  par  les  armes.  »  Nous  abolirons  et 
détruirons  toute  autorité,  souveraineté,  domination  quelconque; 
nous  marcherons  contre  les  puissants,  bannière  déployée,  et  tous 
ceux  qui  ne  voudront  pas  nous  rendre  hommage  seront  massacrés.  » 
Les  conjurés  ne  reconnaissaient  pour  chef  et  pour  maître  que  le  roi 
des  Romains.  Ils  se  proposaient  de  confisquer  et  de  partager  les 
biens  du  clergé  et  de  la  noblesse;  dîmes,  douanes,  taxes  et  impôts 
allaient  être  abolis.  «  L'eau,  les  forêts,  les  prairies,  le  pâturage, 
les  landes,  le  gibier,  les  oiseaux,  la  chasse  et  la  pêche,  tout  allait 
être  laissé  à  la  libre  disposition  de  chacune  « 

En  peu  de  temps,  les  révoltés  étaient  au  nombre  de  sept  mille; 
quatre  mille  femmes  environ,  <  gagnées,  elles  aussi,  à  la  cause  de  la 
liberté  »,  s'étaient  jointes  à  eux.  11  fut  convenu  qu'à  la  Saint-Georges, 
on  se  réunirait  en  armes  devant  les  murs  de  Bruchsal.  Mais  cette 
conspiration  fut  découverte  avant  que  d'éclater;  tous  ceux  qui,  de  leur 
plein  consentement,  en  avaient  fait  partie  et  dont  on  put  s'emparer, 
périrent  de  la  main  du  bourreau  ^  Beaucoup  se  sauvèrent  en  Suisse, 
dans  la  forêt  Noire,  dans  le  Brisgau  ou  dans  le  Wurtemberg. 

Parmi  ces  fugitifs  se  trouvait  un  des  chefs  les  plus  ardents  de 
la  conspiration,  Jost  Fritz,  chef  et  séducteur  du  peuple,  révolu- 
tionnaire exalté.  «  Son  langage  était  doux  et  mielleux;  il  savait 
bien  où  le  soulier  blesse  le  pauvre  homme,  et  la  dure  condition  oii 
le  réduisaient  les  Juifs  et  autres  usuriers,  avocats,  coupeurs  de 
bourses,  princes,  nobles,  seigneurs  ecclésiastiques,  etc.  «  <  Il  ne 
réclamait  pas  seulement  la  répression  des  abus,  il  voulait  une  révolu- 
tion radicale,  et,  soutenu  par  les  gens  du  peuple  et  tous  les  amis  du 
désordre,  rêvait  de  devenir  lui-même  grand,  puissant  et  riche  \  r. 

'  Glos  und  Commenl  auf  L XXX  Arlicheln,  Bl.  D-. 

-  Ils  se  disaient  l'un  S  l'autre  ; 

Il  nous  faut  un  mot  de  guerre, 
Le  \oici,  si  j'ai  bien  compris  : 
«  Brave  camarade,  qu'en  penses-tu?  » 
«  Le  pauvre  hom.ne  ne  peut  plus  guérir!  " 

LlLIE.NKROX,  t.    m,  p.    135. 

•*  Trithem,  citron.  Hirsaug.  ad  a.  1502.  —  MO\E,  Badisches  Archiv  ,  t.  If,  p.  168-169. 
—  Franc/uris  Beichscorresponderiz,  t.  H,  p.  666-669.  —  Geissel  a  fort  bien  traité 
ce  sujet,  voy.  Kaiserdom,  p.  242-248. 

'  *  Ce  portrait  juste  et  concis  est  tiré  de  la  lettre  d'un  fonctionnaire  public 
de  Brisgau,  Georges  Roheisen,  13  novembre  1514. 


PKÉLUDES    DE    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE-  i'.U 

Autrefois  lansquenet,  il  avait  pris  part  à  des  expéditions,  à  des 
batailles;  aussi  avait-il,  aux  yeux  de  ses  compagnons,  le  prestige 
d'un  véritable  capitaine.  Pendant  plusieurs  années,  il  travailla  se(  rè- 
tement  la  forêt  Aoire,  le  Brisgau,  et  parvint  à  soulever  les  pauvres 
paysans  et  tous  ceux  qui  «  aiment  à  trouver  beaucoup  de  nour- 
riture et  peu  de  besogne  '.  Comme  le  joueur  de  cornemuse,  il 
entrait  en  fureur  à  propos  des  vices  sociaux  trop  mollement  répri- 
més par  l'autorité  et  de  l'exploitation  des  pauvres  par  leurs  sei- 
gneurs. «  H  avait  un  langage  si  séduisant,  que  chacun  croyait 
toucher  à  la  félicité  et  devenir  riche  rien  qu'en  l'écoutant.  »  Les  sei- 
gneurs avaient  fini  leur  temps,  disait-il  ;  les  impôts,  les  douanes  iniques 
allaient  être  supprimés.  L'eau,  les  bois,  les  pâturages  appartien- 
draient désormais  aux  pauvres  comme  aux  riches.  On  s'opposerait 
à  la  cupidité  des  grands  usuriers;  on  revendiquerait  les  anciens 
droits,  usages  et  coutumes  dont  les  petits  avaient  été  dépouillés 
par  la  violence.  Les  perpétuelles  guerres  privées  dont  le  peuple 
était  la  victime  le  ruinaient;  la  paix  perpétuelle  allait  être  pro- 
clamée dans  toute  la  chrétienté,  et  nul  ne  resterait  en  vie  qui 
oserait  y  porter  atteinte  '.  Celui  qui  avait  le  goût  de  la  guerre  serait 
envoyé,  muni  d'une  somme  d'argent  pour  sa  route,  vers  les  Turcs 
et  les  mécréants.  Après  l'organisation  du  Bundschuh  et  lorsque  les 
armées  des  opprimés  seraient  rassemblées,  on  avertirait  l'Empereur 
de  ce  qui  se  préparait,  en  l'invitant  à  prendre  la  direction  de  la 
ligue.  Tous  ces  plans  étaient  inspirés  par  Dieu  même,  assurait  Jost 
Fritz  aux  pauvres  paysans  accourus  en  foule  pour  l'entendre  aux 
assemblées  nocturnes  qu'il  présidait;  ils  étaient  équitables,  conçus 
d'après  les  préceptes  de  la  sainte  Écriture,  et  ne  réclamaient  que 
des  choses  justes. 

•  On  lit  dans  un  récit  rimé  du  Bundschack  de   Lelien  (voy.  Lilie.\kro\,  t.  III, 
p.  137): 

Il  s'élfve  eu  ce  moment  une  grande  lamentation, 

Une  violente  querelle  dans  la  chrétienté. 

Et  surtout  dans  la  nation  allemande  ! 

Je  ne  puis  memp^cher  de  dire 

Que  les  Juifs,  les  païens  ou  les  Tartares 

Etaient  vraiment  mieux  régis  que  nous  ! 

Mais  personne  ne  regarde  plus  cela  comme  humiliant! 

On  vole  maintenant  beaucoup  sur  les  routes, 

Et  cela  s'appelle  jeu  de  cavalier! 

...Si  chacun  savait  garder  son  rang, 

Les  choses  iraient  bien  mieus  chez  nous  ! 

On  lit  aussi  dans  la  Réforme  de  l'empereur  Sigismond  :  «  Vous  princes,  vous  sei- 
gneurs, chacun  selon  son  ränget  place,  je  vous  exhorte  par  le  salut  de  l'Empire, 
je  supplie  aussi  chrétiennement  toutes  les  villes  sans  exception  de  faire  les 
plus  grands  efforts  pour  éviter  toute  guerre  et  de  conclure  la  paix.  Celui  qui 
méprisera  cette  exhortation  n'a  pas  le  droit  de  s'appeler  chrétien.  Sa  postérité 
ne  doit  plus  prétendre  à  aucun  privilège  ou  fief  de  l'Empire;  il  sera  considéré 
par  ses  frères  comme  un  païen  et  un  faux  chrétien.  »  —  Boehm,  p.  234. 


432  PRÉLUDES    DE    LA    REVOLUTION    SOCIALE. 

Les  conjurés  virent  bientôt  se  joindre  à  eux  un  grand  nombre  de 
déclassés,  de  mécontents,  venus  du  Brisgau,  de  l'Alsace,  delà  Souabe'. 
Un  gentilhomme  ruiné  et  même  quelques  prêtres  lurent  enveloppés 
dans  le  complot,  et  le  curé  de  Lehen,  village  des  environs  de  Fribourg 
devenu  le  centre  du  mouvement,  déclara  que  Tenl reprise  ^  était 
divine  et  qu'elle  avait  la  justice  pour  but  «.  De  petits  commerçants 
réduits  à  la  mendicité,  des  vagabonds,  des  colporteurs,  des  musiciens, 
des  aubergistes  servaient  d'intermédiaires  et  de  complices.  Les  pre- 
miers, à  un  signal  donné,  devaient  mettre  le  feu  à  certaines  localités 
désignées  d'avance.  On  comptait  fermement  sur  l'appui  des  Suisses: 

Ils  pensaient  entraîner  aussi  dans  leur  ligue 
Les  confédérés  avec  leurs  farouches  gars^, 

dit  une  chanson  populaire. 

Enfin,  en  octobre  1513,  tous  les  fils  du  complot  étaient  ourdis 
dans  les  différents  territoires.  On  devait  commencer  par  un  hardi 
coup  de  main,  et  s'emparer  de  Fribourg  par  surprise.  Mais  au  der- 
nier moment  la  conjuration  fut  découverte.  Les  bourgeois  de  la 
ville,  commandés  par  le  margrave  Philippe  de  Bade,  la  réprimèrent 
avec  énergie'. 

En  même  temps,  en  Suisse,  dans  les  cantons  de  Lucerne,  de 
Soleure  et  de  Berne,  des  insurrections  éclataient.  La  plus  considé- 
rable fut  celle  du  Wurtemberg  (1514),  connue  sous  le  nom  de 
«  révolte  du  pauvre  Conrad*  ".  Elle  se  rattachait  au  Bundschuh  de 
Lehen;  mais,  tandis  que  le  prolétariat  des  villes  et  des  campagnes 
avait  presque  exclusivement  formé  le  premier,  si  bien  qu'on  avait 
eu  grand'peine  à  trouver  de  quoi  acheter  une  bannière,  c'étaient  les 
citadins  et  les  paysans  à  leur  aise  qui  s'étaient  rais  à  la  tête  du 
«  pauvre  Conrad  > .  Le  grand  prétexte  de  la  révolte,  c'était  l'intolé- 
rable tyrannie  du  duc  Ulrich.  Cet  insolent  despote  avait  ruiné  le 
pays,  accablé  le  peuple  d'impôts  et,  vivant  dans  la  débauche  et  le 

'  La  conspiration  s'étendit  encore  plus  loin  :  «  Les  paysans  »,  mandait  Tempe- 
reur  Maximilien  le  18  novembre  1513  au  conseil  de  Francfort,  «  s'assemblent 
tout  le  long  du  Rhin,  et  forment  entre  eux  des  ligues,  des  complots  contre  le 
clergé  et   la  noblesse.  »  Franckfurts  Reichscorrespondcnz,  t.  II,  p.  897. 

-  Pampkilus  Gengenbach  (publié  par  Gœdeke,  Hanovre,  1856]  Lied  vom  Bundschuh, 
p.  388-390. 

^  Pour  plus  de  détail,  voy.  II.  ScaaEiBER,  Bcr  Bundschuch  zu  Lehen  und  der  arme 
Conrad  zu  Bühl,  zwei  Vorboten  des  deutschen  Bauernkriegs  ^Fribourg,  182^).  Les  actes 
d'enquête  sont  particulièrement  intéressants. 

*  De  même  qu'on  dit  encore  aujourd'hui  »  le  riche  Kunz  »  (Conrad),  autrefois  le 
contraire  était  usité  :  on  disait  «  le  pauvre  Conrad  •  (armer  Kunz).  Les  meneurs 
du  nouveau  régime  populaire  s'attribuaient  eux-mêmes  te  nom  dans  un  senti- 
ment d'orgueilleuse  indigence.  La  populace  soulevée  ne  s'appelait  pas  autre- 
ment que  «  le  pauvre  Conrad  »,  et  l'on  disait  communément  «  être  dans  le 
pauvre  Conrad,  faire  partie  du  pauvre  Conrad  ».  Stalin,  t.  IV,  p.  99,  note  3. 


[•[{ÉLUDES    DE    LA    RÉVOLLTION    SOCIALE.  f:?3 

luxe  le  plus  effréné,  avait  accumulé  presque  un  million  de  dettes'. 
Sans  l'assentiment  des  États,  Ulrich  avait  exigé  un  pfenning  d'impôt 
sur  chaque  florin  de  capital;  de  sa  prop[-e  autorité,  il  avait  établi 
une  taxe  sur  l'usage  quotidien  de  la  viande,  de  la  farine  et  du  vin, 
exigeant  que  les  bouchers,  meuniers,  boulangei-s,  marchands  de  vin, 
vendissent  aux  anciens  prix  en  diminuant  les  poids  et  les  mesures,  et 
que  sur  les  bénéfices  ainsi  réalisés,  une  forte  somme  lui  fiU  attri- 
buée. Bourgeois  et  paysans  s'étaient  unis  pour  résistera  une  tyrannie 
si  odieuse.  Un  coutelier  de  Schorndorf  avait  établi  dans  la  ville  une 
véritable  chancellerie  ;  on  venait  s'inscrire  chez  lui  de  tous  les  points 
du  pays.  Des  agitateurs  populaires  parcouraient  la  contrée,  soulevant 
les  masses.  A  Markgi-onigen,  le  cui'é  de  la  ville  prêchait  en  faveur  du 
«  pauvre  Conrad  »  et  allait  jusqu'à  encourager  ses  paroissiens  à 
se  révolter.  Enfin  les  insurgés,  s'étant  mis  en  marche,  pénéti'èi'ent 
dans  les  villes,  et  s'en  emparèrent.  Des  émeutes  eurent  lieu  simul- 
tanément à  Stuttgard,  à  Tubingue.  Le  «  pauvre  Conrad  "  réclamait 
en  premier  lieu  :  la  suppression  des  nouvelles  charges  introduites 
par  le  duc  ;  puis  la  liberté  de  la  chasse,  de  la  pèche,  la  libre  entrée 
des  bois,  l'affi'anchissement  des  taxes  et  des  corvées.  Dans  les  cités, 
il  voulait  le  renversement  des  =  honorables  »,  c'est-à-dire  des  nobles 
et  des  riches  boui'geois.  Dans  les  campagnes,  il  réclamait  sa  part 
dans  les  pi-opriétés  foncières  des  seigneui's.  Beaucoup  ne  s'étaient 
ai'més  que  par  crainte  du  servage*.   C'était  pour  s'y  soustraire. 

'  Une  chanson  du  temps  fail  dire  à  Ulrich  : 

Je  suis  jeune  et  point  vieux, 
Beau  et  de  belle  tournure, 
Assez  grand  et  point  nabot, 
Duc  et  bourreau  du  Wurtemberg. 

Kilian  Leiij,  Ann.,  dans  Arétin,  t.  Vif,  p.  633.  «  Le  pouvoir  était  aux  mains  des 
conseillers  ",  dit  Anshelm  (t.  V,  p.  269)  -  et  ceux-ci,  pour  le  malheur  du  jeune 
et  bouillant  Ulrich,  le  dirigeaient  et  le  conseillaient,  ne  cherchant  dans  leurs 
actes  que  leur  propre  intérêt.  »  L'abbé  d'ileilsbronn,  sébald  Bamberger,  dit  en 
racontant  la  révolte  du  pauvre  Conrad  :  «  La  ligue  des  paysans  suppliait  le  duc 
de  gouverner  le  pays  à  la  manière  de  ses  ancêtres,  mais  elle  ne  fut  pas  exau- 
cée. L'imprudent  Ulrich  marcha  contre  les  révoltés.  Au  début,  il  leur  tint 
un  langage  conciliant;  eux,  trompés  par  ses  douces  parole-,  déposèrent  le^, 
armes.  Alors  le  duc,  avec  ses  sanglants  affidés  (cum  sanguisugis  lateri  ejus 
adhserentibus),  tomba  comme  un  lion  furieux  sur  les  paysans.  Il  en  fit  déca- 
piter quelques-uns,  en  proscrivit  d'autres,  et  confisqua  leurs  biens.  Beaucoup  se 
sauvèrent  dans  les  pays  voisins,  échappant  ainsi  à  son  odieuse  tyrannie.  »  — 
MüCK,  Heilsbronn,  t.  I,  p.  213-214. 

-  Voy.  LiLiENCROx,  t.  III,  p.  140.  On  lit  dans  une  relation  rimée  de  cette  émeute  ; 

Ils  bourdonnaient  par-ci  par-là. 

Comme  si  le  diable  était  en  eux  ! 

Lorsqu'un  homme  de  boa  conseil  leur  représentait 

Qu'ils  devaient  éviter  tout  ce  tumulte. 

Ils  juraient  de  le  mettre  à  mort, 

S'il  continuait  un  tel  discours. 

Alors,  les  bons  étaient  obligés  de  se  taire... 

11-  28 


434  PRÉLUDES    DE    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE. 

disaient-ils,  qu'ils  s'étaient  unis  aux  défenseurs  du  '  droit  divin  «, 
et  qu'ils  avaient  résolu  de  «  prêter  main-forte  à  la  justice'  «.  Des 
tendances  communistes  ne  tardèrent  pas  à  se  faire  jour  parmi  les 
rebelles.  Plusieurs  de  leurs  chefs  avouèrent  plus  tard  avoir  formé  le 
dessein  de  s'emparer  des  biens  du  duc,  des  propriétés  des  moines, 
des  prêtres  et  des  nobles,  et  de  massacrer  tous  ceux  qui  s'oppose- 
raient à  eux.  Pendant  l'émeute,  on  entendait  retentir  des  cris  mena- 
çants :  "  (Jue  les  riches  partagent  avec  nous!  Le  jour  viendra  où 
nous  passerons  nos  épées  au  travers  du  corps  des  puissants,  et  où 
leurs  entrailles  se  répandront  sur  le  sol!  Maintenant  nous  avons  le 
glaive  à  la  main  !  Oue  le  soleil  soit  notre  signe  de  ralliement  ^!  ' 

Pendant  l'automne  de  1517,  une  vaste  conspiration  fut  décou- 
verte dans  le  pays  de  Bade.  Toute  la  contrée  située  entre  les 
Vosges  et  la  forêt  Noire  était  comme  enveloppée  dans  un  réseau 
d'émeutes.  Un  Bundschuh,  qui  éclata  dans  le  territoire  de  Wissem- 
bourg,  faillit  s'emparer  par  surprise  de  Wissembourg  et  d'Hague- 
nau;  les  conseillers,  les  magistrats,  la  noblesse,  la  chevalerie  devaient 
être  massacrés,  les  taxes  et  les  dîmes,  les  tribunaux,  tous  les  pou- 
voirs, à  l'exception  de  celui  de  l'Empereur,  renversés.  On  ne  devait 
plus  payer  d'impôt  qu'à  l'Empereur  et  à  l'Église'. 

Et  forcés  de  faire  leur  volonté. 

Lorsqu'on  demandait  à  l'un  d'entre  eux 

Ce  qu'ils  avaient  dans  la  pensée, 

Et  iiourquoi  ils  se  rassemblaient  ainsi  sur  les  montagnes, 

Us  disaient  ouvertement 

Que  c'était  pour  la  cause  de  la  justice 

Qu'ils  avaient  pris  les  armes. 

0  Marie,  douce  >lère  de  Dieu, 

Peut-on  appeler  justice 

La  persécution  criminelle 

De  tous  nos  frères 

Et  des  prélats  spirituels? 

Dieu  nous  préserve  de  le  penser  ! 

LiLIENCRON,  t.  III,  p.  143-147.  149. 

'  S.iTTLER,  Gesch.  U'ürlembcrgs  unter  den  Herzogen,  t.  I,  p.  170.  Beilagen,  4",  70.  — 
VOy.  ZÖLLNER,  p.   101-102. 

-  Sur  le  '  pauvre  Conrad  -  et  ses  suites,  voy.  Stalin,  t.  IV,  p.  95-116,  p.  98, 
note  3,  voyez  l'indication  des  sources. 

'  Voy.  "ViRCK,  t.  I,  p.  105-106.  Sur  la  révolte  des  paysans  dans  la  Styrie,  la 
r.arniole,  la  Carinthie,  entre  1545  et  (516,  voy.  les  renseignements  fournis  par 
Ch.MEL,  dans  la  iVoti:,enblatt,  Beilage  zum  /irchiv  fur  Kunde  OEslerreick.  Geschichlsqucllen, 
t.  I,  p.  111-112.  — FR.iNCK,  Deutsche  Chronika,p.  267.  Sur  les  Soulèvements  de  paysans 
dans  quelques  localités  du  Tyrol,  de  janvier  à  juillet  1521,  voy.  IIöfler,  Zur 
Kritik  und  Quellenhunde  der  ersten  Regierungsjahre  Carl's  l\  Ahlh.  2,  p.  12.  Le  15  mars 
1521,  Ulrich  Gebhard  de  Brauneggen  subit  la  peine  capitale,  pour  avoir  tenté 
d'exciter  une  émeute  parmi  les  paysans  contre  la  noblesse.  —  Kirchmür, 
Denkwicrdigheiten,  dans  les  Foules  rer.  Auslr.,  t.  I,  p.  453 


CHAPITRE  II 

CAUSES    GÉNÉRALES    DE   l.A    f,  É  VO  L  UT  10  .N    SOCIALE. 


Les  émeutes  si  fréquentes  de  la  fin  du  quinzième  siècle  et  du 
commencement  du  seizième  viennent  de  nous  prouver  que  la  grande 
révolution  sociale  de  lô^ô,  qui  bouleversa  simultanément  presque 
tous  les  territoires  de  l'Empire,  depuis  les  Alpes  jusqu'à  la  mer  Bal- 
tique, n'eut  pas  pour  première  origine  les  prédications  et  les  écrits 
des  novateurs  religieux. 

Les  paysans  "  mécontents,  insoumis,  et  devenus  partout  d'humeur 
récalcitrante  ",  comme  le  constataient  en  1517  les  États  de  Mayence, 
n'eussent  pas  tardé  à  se  soulever  dans  les  villes  et  dans  les  cam- 
pagnes, même  si  Luther  et  ses  disciples  ne  fussent  jamais  entrés  en 
scène. 

Mais  ce  fut  l'état  moral  que  les  troubles  religieux  avaient  créé  ou 
développé  qui  imprima  à  la  révolution  sociale  son  caractère  d'uni- 
versalité et  de  "  cruauté  sauvage'  >•. 

Dès  que  l'autorité  traditionnelle  de  l'Église  eut  été  systématique- 
ment ruinée  dans  le  peuple,  la  notion  même  de  l'obéissance  envers 
le  pouvoir  (comme  eu  Bohème  au  siècle  auparavant)  fut  profondé- 
ment ébranlée  dans  les  esprits.  Des  pamphlets  incendiaires,  inju- 
rieux, fanatiques,  répandus  à  profusion  contre  les  supérieurs  ecclé- 
siastiques et  laïques,  en  flattant  les  passions  populaires,  détruisirent 
toute  discipline,  tout  respect,   et  rendirent  les  peuples  avides  de 

'  M\URE\BRECHER,  Kalliolisclie  Refonnalion,  t.  I,  p.  257,  dit  avec  impartialité  :  -  Ce 
serait  voir  les  choses  à  un  point  de  vue  apologétique  peu  compatible  avec  la 
stricte  vérité  historique,  ce  serait  étudier  les  faits  sans  indépendance  que  vou- 
loir soutenir  que  la  prédication  évang^lique  de  Luther  n'ait  pas  augmenté  et 
accéléré  l'effroyable  agitation  qui,  dès  le  quinzième  siècle,  se  faisait  jour  de 
tous  côtés.  Les  prédicants  luthériens,  marchant  sur  les  traces  de  leur  maître, 
contribuèrent  plus  encore  que  lui  au  développement  des  ferments  révolution- 
naires 

28. 


4S6         CAUSES    GÉNÉRALES    DE    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE. 

posséder  une  liberté  sans  frein.  En  même  temps,  les  prédicants, 
comme  s'ils  se  fussent  livrés  à  une  industrie  réglée,  semaient  en 
tous  lieux  le  mécontentement  et  la  discorde.  Des  agitateurs 
innombrables  «,  déguisant  leur  dessein  sous  Temphase  de  discours 
chrétiens  en  apparence,  et  prétendant  s'appuyer  sur  la  sainte  Écri- 
ture, prêchaient  au  peuple  un  Évangile  de  haine  et  d'envie.  Chaque 
année,  dociles  à  ces  funestes  guides,  les  révoltés  devenaient  plus 
nombreux. 

Dès  que  prévalut  l'opinion  que  l'Église,  depuis  plusieurs  siècles, 
avait  systématiquement  exploité  et  trompé  toutes  les  nations  chré- 
tiennes, on  en  vint  bien  vite  à  attaquer  l'autorité  laïque,  alors  si 
étroitement  liée  à  l'organisation  ecclésiastique.  On  ne  voulut  plus 
voir  dans  les  lois  civiles  qu'un  système  corrompu,  fondé  sur  l'ex- 
ploitation préméditée  des  classes  inférieures,  et  leur  renversement 
sembla  commandé  par  la  «  justice  même  de  Dieu  '•.  11  fallait  à  tout 
prix  rompre  avec  le  passé  chrétien;  on  garda  aussi  peu  d'égards 
envers  les  droits  et  les  traditions  de  l'histoire  dans  les  questions  poli- 
tiques et  sociales  que  dans  les  questions  religieuses.  Un  complot, 
tramé  au  grand  jour,  s'attacha,  au  moyen  du  meurtre  et  du  pillage, 
"  à  remettre  en  haut  tout  ce  qui  était  en  bas  »,  et  ne  rêva  plus  que 
de  livrer  les  biens  de  la  terre  et  le  pouvoir  de  ce  monde  à  ceux  qui 
jusque-là  avaient  été  considérés  comme  les  plus  faibles,  et  n'avaient 
compté  pour  rien.  Sans  recourir  à  l'astrologie,  on  pouvait  donc  pré- 
dire à  coup  sûr,  avec  Sébastien  Brant,  «  que  la  confusion  se  mettrait 
bientôt  partout,  et  que  l'on  verrait  se  produire  de  si  horribles  événe- 
ments que  la  fin  du  monde  semblerait  toute  proche  > .  "  O  mon  Dieu  « , 
s'écrie  Brant,  «  viens  en  aide  à  la  sainte  chrétienté!  Et  vous,  prêtres, 
écoutez  mes  avertissements,  de  peur  que  vous  ne  veniez  à  être  pro- 
scrits et  anéantis!  Que  Dieu  nous  regarde  tous  dans  sa  miséricorde, 
car  je  prévois  que  l'Empire  romain  sera  prochainement  réduit  en 
cendres,  et  que  l'honneur  de  l'Allemagne  périra  misérablement.  Ce- 
pendant Dieu  peut  encore  changer  la  face  des  choses,  rien  n'étant 
difficile  à  sa  force  toute-puissante;  mais  comme  on  n'est  occupé  qu'à 
faire  le  mal,  comme  on  ne  veut  point  rompre  avec  une  conduite  scan- 
daleuse, je  crains  fort  que  notre  détresse  n'aille  encore  en  crois- 
sant. Sans  nul  doute,  grands  et  petits,  vieillards  et  jeunes  gens,  nous 
sommes  tous  destinés  à  assister  bientôt  à  d'étranges  changements  •  !  » 

'  ZarnCke,  Branfs  Xarrenschiff^  p.  161-162.  — StrOBEL,  Xanenschiff,  p.  34-35.  Une 
révolution  générale  et  un  nouveau  déluge  étaient  annoncés  pour  1524.  >•  Il  y  a 
quelques  années  »,  écrivait  Laurent  Y  riti^  [Geschichte  des  Bauernhrieges  in  Ostfranken, 
p.  2-3;,  "  les  tristes  brouillards  et  vapeur.>  qui  se  sont  amassés  du  fond  de  l'abîme 
de  nos  iniquités  et  de  nos  vies  coupables  ont  engendré  beaucoup  de  doctrines 
et  d'opinions  erronées  et  scandaleuses.  Les  nuages  s'amoncelèrent  dans  les 
vallées,  chez  l'homme  du  peuple,  et  par   la  négligence  des  pasteurs,  ils  s'en- 


CAUSES    (;ÉNÉFiALES    DE    [.A    RÉVOLUTION    SOcrALE.         4S7 

Tous  les  esprits  réfléchis  attribuaient  le  mal  qui  ga^ynait  peu  à  peu 
toutes  les  classes  et  fjrandissait  chaque  jour,  au  mépris  de  l'état  dans 
lequel  on  était  né,  à  l'exploitation  inique  du  prochain,  à  l'envie,  à  la 
haioe,  à  l'Insubordination,  enfin  à  cette  passion  toujours  grandis- 
sante pour  le  luxe  et  le  plaisir  qui,  dans  les  tavernes  publiques,  dans 
les  fêtes  et  les  banquets,  déjjénérait  si  fréquemment  en  débauches 
ignobles  et  en  ivrognerie  bestiale  '. 

L'amour  du  luxe,  -  comme  un  poison  dévorant  -,  gagnait  les 
villes  et  les  campagnes,  les  nobles,  les  bourgeois,  les  ouvriers, 
les  paysans.  «  Il  est  raisonnable  et  juste  «,  déclaraient,  en  renou- 
velant les  ordonnances  des  Diètes  précédentes,  les  États  de  Nurem- 
berg en  1524,  -  d'exiger  que  tout  chrétien  s'habille  selon  sa  condi- 
tion, qu'il  ait  une  tenue  particulière  et  simple,  afin  d'être  aisément 
reconnu  et  honoré  selon  son  état  par  les  étrangers.  Mais  de  notre 
temps  on  agit  tout  à  l'opposé  de  ces  sages  coutumes  du  passé, 
en  sorte  que  beaucoup  de  gens  de  petite  condition  s'habillent  et  se 
parent  beaucoup  plus  richement  que  ceux  qui  appartiennent  à  une 
classe  plus  élevée.  Autrefois,  en  Allemagne,  nos  pères  ne  connais- 
saient point  le  luxe  extravagant  qu'on  voit  depuis  quelque  temps 
parmi  nous.  Chaque  année,  ce  désordre  augmente;  on  cherche  à 
imiter  les  modes  des  peuples  étrangers;  non-seulement  les  costumes 
sont  d'une  excessive  richesse,  mais  presque  tous  les  ans  il  faut  s'en 
procurer  de  nouveaux,  de  différents.  Une  recherche  inouïe  dans  le 
boire  et  le  manger  va  de  pair  avec  le  luxe  exagéré  des  parures, 
et  ces  abus  causent  la  ruine   et  le  mortel    dommage  du  pays.  >; 

Les  électeurs  et  princes  doivent  interdire  aux  dames  de  leur 
cour  la  magnificence  outrée  des  habits,  la  profusion  des  joyaux, 
des  pierreries,  régler  ces  questions  avec  leurs  vassaux,  et  veiller 
sous  ce  rapport  au  maintien  des  lois.  Quant  aux  bourgeois,  aux 
ouvriers,  aux  paysans,  il  faut  de  toute  nécessité  édicter  de  nou- 
velles ordonnances  leur  imposant  un  costume  particulier,  et  pour 
qu'elles  soient  observées,  autoriser  tout  citoyen  à  citer  devant 
un  tribunal  compétent  celui  ou  celle  qu'il  aura  trouvé  en  contra- 
vention; l'amende  payée  par  les  violateurs  de  la  loi  sera  la  ré- 
compense du  dénonciateur.  Sans  cette  mesure,  on  ne  parviendra 


fièrent  de  telle  sorte  qu'en  l'an  1525  après  la  naissance  de  Notre-Seigneur  ils 
crevèrent  avec  un  grand  fracas,  et  renversèrent  violerament  les  hauts  et  an- 
ciens édifices  de  l'autorité,  causant  de  plus  aux  hommes,  aux  animaux,  aux 
propriétés  un  tort  affreux  et  irréparable.  C'était  bien  là  cet  effroyable  déluge 
que  les  astrologues  et  les  savants,  habitués  à  étudier  le  firmament,  avaient 
autrefois  prédit.  Oui,  c'est  bien  ce  déluge  lamentable  et  fatal,  déluge  de  sang  et 
non  déluge  d'eau,  qui  nous  avait  été  annoncé.  •  —  Voy.  aussi  Knebel,  Donau- 
wörther Chronik,  dans  Baum\n\,  Quellen,  p.  249. 
'  Glüs  und  Comment,  auf  L  XXX  Ar  tickein,  Bl.  E. 


438    CAUSES  GÉNÉRALES  DE  LA  RÉVOLUTION  SOCIALE, 

jamais  à  déraciner  le  mal  qui  nous  dévore,  car  la  licence  du  peuple, 
les  blasphèmes,  les  imprécations  augmentent  en  proportion  du  luxe. 
Les  coupables  seront  ou  exécutés,  ou  privés  d'un  membre.  Pour 
réprimer  l'ivrognerie  et  les  excès  qui  l'accompagnent,  on  fera  une 
lui  portant  que  les  crimes  commis  en  état  d'ivresse  seront  plus 
rigoureusement  punis  que  d'autres.  '^  Mais  la  commission  des  États 
remarquait  fort  judicieusement,  en  terminant  son  rapport,  «  qu'une 
véritable  amélioration  ne  pourrait  être  obtenue  des  sujets  qu'à  la 
condition  que  les  chefs  se  décidassent  à  réformer  leurs  propres  dérè- 
glements '  ». 

Or  c'était  précisément  des  chefs  spirituels  et  temporels  que  venait 
tout  le  mal.  On  lit  dans  un  cahier  de  doléances  daté  de  1523:  «  De 
tous  côtés  on  entend  dire  que  les  princes,  les  seigneurs  et  la 
noble  chevalerie,  pendant  les  Diètes,  aux  assemblées,  au  milieu  de 
leurs  cours,  ne  songent  qu'à  se  surpasser  les  uns  les  autres  par 
la  magnificence  de  leurs  costumes;  le  velours,  la  soie,  le  damas,  les 
perles,  les  plumes  sont  leurs  parures  ordinaires.  Leurs  festins  sont 
d'une  splendeur  inouïe;  je  ne  veux  point  parler  de  leurs  mauvaises 
mœurs,  ni  de  leur  passion  effrénée  pour  le  jeu^  »  Le  jeu  passait  alors 
«  pour  l'honorable  passe-temps  des  nobles;  ^j  il  était  bien  porté  d'avoir 
d'énormes  dettes  de  jeu.  Le  grand  maitre  de  l'Ordre  Teutonique, 
Albert  de  Brandebourg,  perdit  au  jeu  pendant  la  Diète  de  Nuremberg 
la  somme,  exorbitante  pour  ce  temps,  de  600  florins  d'or,  et  les 
dettes  de  jeu  du  margrave  Casimir  de  Brandebourg  montèrent  jus- 
qu'à 50,000  florins  ^  Les  riches  marchands,  les  grands  entrepreneurs 
ne  restaient  pas  en  arrière;  '  au  contraire,  ils  affichaient  une  prodi- 
galité plus  extravagante  encore.  On  assurait  que  le  fils  et  le  gendre 
du  banquier  d'Augsbourg  Hochsletter  avaient,  en  une  seule  nuit  et 
pendant  un  banquet,  dépensé  de  5,000  à  10,000  florins,  et  perdu  au 
jeu,  en  une  seule  séance,  10,000,  puis  20  et  30,000  florins  '.  - 

Les  classes  inférieures  prenaient  modèle  sur  les  classes  élevées  : 
«  Ouvriers  et  paysans,  valets  et  filles  de  ferme  dépensent  leur  argent 
en  habits,  en  parures  dispendieuses,  et  font  la  roue  tout  aussi  bien 
que  les  nobles  et  les  grandes  dames;  le  peu  qui  leur  reste  s'en  va  par 
leur  gosier.  Les  jeunes  paysans  surtout  ne  mettent  point  de  bornes  à 
leur  passion  pour  la  parure  et  la  boisson;  chaque  année  ils  devien- 
nent plus  fous,  de  sorte  que  le  châtiment  de  Dieu  ne  peut  manquer 

'  *^  Frank/urtir  Reichstagsacten,  t.  XXXIX,  fol.  7-18.  Beschwerung  die  aus  Costlichkait 
der  Klayder  volgen.  Diète  de  Worms,  1521.  —  HeichstagsacUn,  t.  XXXIV,  foL  252-270. 
Sur  les  blasphèmes  et  les  imprécations,  vo\ .  fol.  274-276.  —  Voy.  Bucholtz, 
t.  II,  p.  41-43. 

-  Clag  eines  ei nf eltig  A'iosterhruders,  Bi.  F. 

^  Voigt..  Preus.^.   Gescli.,  t.  IX,  p.  748.  —  Droysen,  Preiiss.  Politik.,  t.  H'',  p.  45G. 

*  Rapport  de  clément  Sender,  dans  Greiff.  fiem's  Tagebuch.,  p.  95-96. 


CAUSES    (iÉNKRAI.tS    DE    LA    RÉVOLUTION    SOCIAI-E.         439 

de  les  atteindre'.  »  «  Personne  »,  dit  un  rimeur  de  l'époque,  "  ne 
veut  rester  dans  sa  condition  ;  le  rustre  veut  égaler  le  noble.  " 

Les  paysans  et  les  villageois  portaient  des  vêtements  de  soie  et  de  ve- 
lours, tout  comme  leurs  seigneurs;  ils  avaient  comme  eux  des  chaînes 
d'or  au  cou;  «  bienmanger,  bien  vider  le  verre,  jouer  beaucoup  stelle 
était  leur  grande  affaire.  -'  Les  riches  paysans  aiment  à  humilier  les 
gentilshommes  et  à  leur  bien  prouver  qu'ils  ont  plus  d'argent  qu'eux 
dans  leur  coffre.  Ils  n'ont  plus  aucun  respect  pour  la  noblesse,  et  ne 
veulent  plus  entendre  parler  de  corvées  ni  dédîmes,  n  Plus  la  noblesse 
allait  s'appauvrissant  *,  plus  chez  les  villageois  enrichis  grandis- 
saient l'orgueil  et  le  ridicule  sentiment  de  leur  importance.  -  Quand 
une  noce,  un  baptême  ou  une  kermesse  avaient  lieu  dans  un  village, 
la  ferme  dépassait  souvent  de  beaucoup  le  château  en  luxe  de  cos- 
tumes et  de  table.  On  faisait  bombance  chez  le  fermier,  tandis  que  le 
pauvre  gentilhomme,  assis  tristement  chez  lui,  avait  à  peine  quelque 
chose  à  mettre  sous  la  dent.  Aussi  n'était-il  pas  rare  de  le  voir  ven- 
dre ou  engager  ses  terres  morceau  par  morceau,  afin  de  pouvoir, 
à  l'occasion,  donner,  lui  aussi,  un  festin  dispendieux,  et  acheter 
des  robes  et  des  parures  à  sa  femme  ou  à  sa  fille.  '  -  .le  sais  des 
paysans  »,  écrivait  Wimpheling,  qui  à  la  noce  de  leurs  enfants,  ou 
bien  pour  un  baptême,  étalent  un  tel  luxe,  que  l'on  pourrait  acheter 
une  maison,  un  champ  et  une  petite  vigne  attenante  avec  ce  que 
la  fête  a  coûté.  »  Les  débauches,  les  excès  de  boisson  entraî- 
naient souvent  les  villageois  dans  des  dettes  inextricables.  Tho- 
mas Murner  avait  dit  longtemps  auparavant  dans  sa  Conjuration  des 
fous  : 

lis  sont  assis  nuit  et  jour  à  l'auberge, 

Et  négligent  leur  besogne: 

Ils  boivent,  mangent,  perdent  au  jeu 

Plus  d'argent  que  leur  charrue  n'en  gagne. 

Celui  qui  ne  veut  pas  me  croire, 

Qu'il  aille  à  l'auberge, 

Qu'il  regarde  les  comptes  crayonnés  sur  la  muraille! 

Tous  sont  aux  paysans! 

Puis  ils  tâchent  de  vendre,  avec  force  ruse. 

Leurs  blés,  qui  ne  sont  pas  encore  verts  '! 

«  Faire  bombance,  s'enivrer,  honnir  les  autorités  laïques  et 
ecclésiastiques  > ,  dit  un  auteur  satirique  contemporain,  ■■■  voilà  les 

'  Clag  eines  einfeUig  Klosterbruders,  Bl.  ¥ . 

-  Voy.  notre  premier  volume,  p.  366-367  et  4ô3-4J4.  —  Vo) .  plus  haut,  p.  243. 
—  Bensen,  Banernkrieg,  p.  29-31. 

3  Narrenbeschicörüng,  Bl.  X'.  Voy.  les  détails  que  nous  avons  donnés  sur  le 
luxe  et  les  excès  de  table  des  paysans  dans  notre  premier  volume,  p.  300,  302. 
363. 


440         CAUSES    GÉNÉRALES    DE    LA    REVOLUTION    SOfJALE. 

grandes  occupations  du  jeune  paysan  de  notre  temps;  aussi  pour- 
rait-il chanter  : 

11  faut  que  je  m'habille  richement; 

Alors,  tout  paysan  que  je  suis,  j'aurai  l'air  d'un  noble! 

Il  faut  que  j'engouffre  le  plus  de  vin  possible. 

Que  je  jure,  blasphème,  que  je  mente  hardiment, 

Que  je  trompe  les  bourgeois  sur  le  poids  et  la  mesure, 

Que  je  risque  de  grosses  sommes  au  jeu, 

Car  c'est  ainsi  que  va  maintenant  le  monde! 

îl  faut  savoir  disputer  sur  la  foi, 

Être  au  courant  de  la  doctrine  évangélique. 

Et,  dans  les  auberges,  assis  près  du  vin  et  de  la  bière. 

Injurier  les  prêtres  à  cœur  joie  '  î 

"  Dans  les  tavernes  et  les  maisons  de  bain,  les  gens  du  peuple  tran- 
chent toutes  les  questions  politiques.  Ils  restent  attablés  tout  le  jour, 
buvant,  jouant,  mangeant,  et  voulant  tout  régenter.  Là,  le  rustre,  le 
tailleur,  le  cordonnier,  l'ouvrier,  l'apprenli  savait  le  dernier  mot  des 
affaires  religieuses;  c'est  à  qui  saura  le  mieux  conseiller  le  Pape,  les 
évêques,  l' Empereur  et  les  princes  ;  ils  blâment  tout  le  monde  ;  il  semble 
que  le  fardeau  des  affaires  publiques  soit  sur  leurs  épaules,  et  qu'ils 
aient  à  veillera  la  sécurité  publique.  Il  n'y  a  que  ce  qui  concerne  leur 
commerce  ou  leur  métier  qui  leur  est  indifférent;  la  femme  et  l'en- 
fant ne  le  savent  que  trop  ^!  De  bonne  heure  les  jeunes  apprennent 
de  leurs  aines  l'oisiveté,  l'intempérance,  et  tous  les  autres  vices  ^  " 

Mais  les  plaintes  les  plus  amères  sur  l'abaissement  des  mœurs, 
surtout  dans  la  jeune  génération,  c'est  Luther  qui  les  fait  entendre. 

Il  avait  maintes  fois  exprimé  le  confiant  espoir  que  sa  doctrine 


'  A  l'exemplaire  des  Lucubrationes  theologicœ  tiré  de  la  bibliothèque  franciscaine 
de  Fulda  dont  nous  nous  sommes  servi,  sont  ajoutées,  dans  une  écriture  du 
seizième  siècle,  trois  feuilles  renfermant  les  passage  cités  ci-dessus,  ainsi  que 
des  renseignements  sur  le  peuple,  les  curés  de  village,  etc.;  nous  les  citons 
plus  bas.  La  dernière  page  finit  par  quelque^  phrases  empruntées  à  l'édition  alle- 
mande du  livre  de  Cochlaeus  sur  la  guerre  des  paysans. 

*  Les  politiques  de  cabaret  avaient  déjà  été  très-bien  dépeints  par  Thomas 
Murner  dans  sa  Schelmenzunft,  t.  XXV  : 

Il  en  est  qui  prétendent  décider 

Sur  tout  ce  qui  se  passe  dans  l'Empire,  et  au  delà! 

La  situation  de  l'Empire  romain. 

Celle  des  pays  allemands  et  welches 

Est  examinée  par  eux  ! 

Que  d'affaires  embarrassantes  1 

\\  s'agit  de  savoir  qui  a  emprunté  l'arjent  vénitien 

Et  comment  parvenir  à  le  rendre, 

Comment  est  entretenue  la  maison  du  Pape, 

Et  comment  les  Français  ne  savaient  rien 

De  la  ligue  du  roi  romain,  etc. 

3  Glos  und  Comment,  auf  LXXX  ArlicMn.  Bl.  G. 


CAUSES    GKNKRALES    UE    LA    RÉVOI,UTION    SOCIALE.         44( 

exercerait  la  plus  salutaire  induence  sur  la  vie  rclif^ieuse  et  morale 
(le  tous  ceux  qui  la  recevraient  avec  foi  et  bonne  volonté. 

Mais  quelques  années  plus  tarrl,  voici  l'aveu  qu'il  est  contraint  de 
[aire  :  «  .Nos  évangélistes  sont  sept  fois  pires  qu'ils  n'étaient  autrefois. 
Bien  que  rÉvanp,ile  nous  ait  été  annoncé  et  expliqué,  nous  volons, 
menions,  trompons,  nous  nous  vautrons  dans  (ous  les  vices,  nous 
passons  notre  temps  à  bien  boire  et  à  bien  manger.  »  «  Je  vis  entre 
Sodome,  Gomorrhe  et  Babylone  »,  écrit-il  en  1523'.  «  Quand  j'étais 
jeune,  je  me  souviens  que  la  plupart  de  mes  amis,  même  de  mes  amis  ' 
riches,  ne  buvaient  cpic  de  l'eau.  On  se  nourrissait  très-pauvrement 
d'aliments  simples  et  sjiins;  beaucoup  commençaient  à  peine  à  prendre 
du  vin  à  l'âge  de  trente  ans.  Maintenant,  on  habitue  les  enfants  à  boire, 
et  non-seulement  du  petit  vin,  du  mauvais  vin,  mais  des  vins  capiteux, 
venus  de  l'étranger,  des  vins  brûlés,  distillés,  qu'on  prend  à  jeun.  » 
«  L'ivrognerie  a  fondu  sur  nous  comme  un  fléau  >,  dit-il  ailleurs;  «  elle 
a  envahi  toutes  les  conditions;  on  la  rencontre  partout,  non-seulement 
chez  les  {jens  du  commun,  parmi  le  peuple  grossier  et  sans  culture 
des  villages  et  des  cabarets,  mais  dans  toutes  nos  villes  et  presque 
dans  toutes  nos  maisons,  parmi  la  noblesse  comme  à  la  cour  des 
princes.  Dans  ma  jeunesse,  un  gentilhomme  aurait  eu  honte  de  boire 
avec  excès.  Les  digues  seigneurs,  les  princes,  cherchaient  par  des 
réprimandes,  par  de  sévères  châtiments,  à  préserver  leurs  sujets  du 
fléau  de  rivrugnt^rie.  Mais  maintenant  le  mal  est  plus  invétéré  chez  les 
nobles  que  chez  les  paysans.  Les  choses  en  sont  venues  à  un  tel  point 
que  quelquefois  les  princes  et  seigneurs  gagnent  ce  vice  en  voyant 
leurs  jeunes  fils  s'y  adonner;  ils  n'en  rougissent  plus,  et  seraient 
plutôt  prêts  à  soutenir  qu'il  sied  à  un  prince,  à  un  noble,  à  un  bour- 
geois de  savoir  bien  boire;  quiconque  refuse  de  s'emplir  avec  eux 
comme  un  pourceau,  ils  le  méprisent.  Comment  porter  remède  à  un 
vice  qui  atteint  la  jeunesse  elle-même,  vice  auquel  elle  se  livre  sans 
honte  et  sans  pudeur,  qu'elle  a  appris  de  ses  pères,  et  qui  l'a  entraînée 
dans  un  genre  de  vie  si  honteux,  si  indigne,  qu'on  la  voit  se  flétrir 
dans  sa  première  fleur,  comme  le  blé  se  courbe  sous  la  grêle  et 
les  averses,  en  sorte  que  maintenant  la  plus  grande  partie  de  nos 
jeunes  gens,  les  meilleurs  et  les  plus  capables,  surtout  dans  les 
châteaux  et  à  la  cour,  perdent  leur  santé,  leur  corps  et  leur  vie 
avant  d'avoir  atteint  la  plénitude  de  l'âge!  Et  comment  peut-il  en 
être  autrement,  lorsque  ceux  qui  devraient  les  prémunir  et  les 
redresser  leur  donnent  eux-mêmes  un  lamentable  exemple^?  ' 

Erasme,  comme  Luther,   déplore  la  licence,   la   grossièreté,    la 


'  Sämmtliche  lUerhe,  t.  XXVIII,  p.  420;  t.  XXXVI,  p.  4tl,  300. 
*  T.  VIII,  p.  293-297;  t.  XVllI,  p.  350;  t.  XX,  p.  273. 


442         CAUSES    GÉNÉRALES    DE    f.  A    RÉVOLUTION    SOCIALE. 

démoralisation  de  la  société  depuis  rintroduction  du  nouvel  Évangile. 
«  Sous  prétexte  de  liberté  évangélique  »,  écrit-il  en  1523,      les 
uns,  se  livrant  à  une  stupide  débauche,  satisfont  leurs  plus  vils  in- 
stincts ;  les  autres  ne  rêvent  que  de  mettre  la  main  sur  les  biens 
ecclésiastiques;  ceux-là  dépensent  bravement  leur  avoir  en  ripailles 
avec  des  filles  et  des  dés,  et  se  dédommagent  en  s'appropriant  des 
biens  qui  ne  leur  appartiennent  pas;  ceux-ci  voient  leurs  affaires  en  si 
pitoyable  état  qu'ils  redoutent  la  paix.  ;  Il  s'exprime  plus  énergi- 
quemcnt  encore    dans    sa  correspondance  (1524).  «  Une  nouvelle 
génération,  hardie,   licencieuse,  impudique,  s'avance  vers  nous  % 
s'écrie-t-il.      Elle  fait  profession  d'être  évangélique,  e(  les  jeunes 
gens  qui  la  composent  n'ont  à  la  bouche  que  ces  cinq  mots  :  Évan- 
gile, parole  de  Dieu,  foi,  Christ,  Esprit  divin.  Cependant  la  conduite 
de  beaucoup  d'entre  eux  me  fait  craindre  qu'ils  ne  soient  possédés 
du  démon.  »  "  Le  nouvel  Évangile  a  créé  une  espèce  d'hommes  in- 
connue jusque-là  :  gens  insolents,  effrontés,  hypocrites,  blasphé- 
mateurs, menteurs,  amis  des  divisions,  inutiles  ou  plutôt  nuisibles  à 
tous,  séditieux,    extravagants,  querelleurs,  tracassiers.  -   t.-  Autre- 
fois '•,  écrit-il  à  Mélanchthon,  -  l'Évangile  adoucissait  les  mœurs  des 
sauvages;  il  rendait  les  voleurs  bienfaisants;  les  turbulents,  paci- 
fiques; ceux   qui  blasphémaient  auparavant  ne  savaient  plus  que 
bénir.  Mais  les  nôtres,  je  veux  dire  les  disciples  du  nouvel  Évangile, 
semblent  possédés  du  démon.  Ils  dérobent  le  bien  d'autrui,  ne  se 
plaisent  qu'à  exciter  la  sédition,  et  calomnient  les  justes  eux-mêmes. 
Je  vois  bien  se  former  une  nouvelle  espèce  d'hypocrites  et  de  tyrans, 
mais  nulle  part  je  n'aperçois  une  étincelle  d'esprit  évangélique.  « 
«  Le  culte  public  est  aboli  -,  écrit-il  ailleurs;  -  un  grand  nombre 
de  chrétiens  ont  cumplétement  renoncé  à  la  prière;  la  messe  est 
abandonnée,  sans  que  rien  de  meilleur  soit  venu  la  remplacer.  La 
plupart  du  temps,  les  prédicants  se  bornent  à  outrager  les  prêtres, 
et  leurs  sermons  semblent  calculés  bien  plutôt   pour  exciter  les 
émeutes  que  pour  porter  à  la  piété.  La  confession  est  supprimée; 
le  plus  grand  nombre  ne  se  confesse  même  plu>  à  Dieu  :  le  jeune 
et  les  prescriptions  de  l'abstinence  sont  méprisés,  l'ivrognerie  les 
remplace.  Le  culte  est  l'objet  de  grossières  injures,  mais  sans  nul 
profit   pour  l'âme,  qui,  selon  moi,  a   gagné  peu  de  chose  à  tant 
d'innovations.  Et  quelles  émeutes  excite  de  temps  à  autre  ce  peuple 
évangélique!  Oue  de  fois  nous  le  voyons  courir  aux  armes  sous  le 
plus  futile  prétexte!  A  moins  que  ses  pasteurs  ne  flattent  ses  oreilles, 
il  ne  les  écoute  pas,  et  les  prédicants  peuvent  s'attendre  à  être  chassés 
le  jour  où  ils  voudraient  censurer,  avec  un  peu  d'indépendance,  les 
mœurs  de  leurs  auditeurs.  Taudis  que,  plongés  dans  l'égoïsme,  les 
nouveaux  croyants  n'obéissent  ni  à  Dieu,  ni   aux  évêques,  ni  aux 


CAUSES    G  km;  RALE  S    DE    F,  A    RKVOLUTIOX    SOCIALE.         41.^ 

princes,  ni  aux  autorités,  se  livrent  à  Mammon,  satisfont  leur  ventre, 
se  ravalent  Jusqu'aux  plaisirs  les  plus  bas,  ils  prétendent  être  évan- 
gélistes,  ils  invoquent  Luther  comme  leur  docteur  et  leur  maitre! 
Luther  parle  sans  cesse  de  la  foi  ;  mais  en  quoi  donc  la  fait-il  consister? 
Chez  la  plupart  de  ses  adeptes,  je  n'aperçois  que  les  u'uvres  de  la  chair; 
quant  à  l'àme,  il  n'y  en  a  pas  trace.  »  Érasme  va  jusqu'à  dire  :  «  En 
général,  les  évanjjéliques  n'ont  rien  à  perdre;  ce  sont  des  banquerou- 
tiers, des  proscrits,  des  moines  et  des  prêtres  défroqués;  hommes 
altérés  de  ciiangemcnl,  de  licence,  journaliers  désu'uvrés,  jeunes  gens 
inexpérimentés,  femmes  frivoles,  peuple  mobile  d'aventuriers  et  de 
soudards,  que  parfois  le  fer  rouge  a  marqués.  "  «  Les  nouvelles  doc- 
trines ",  écrit-il  à  Luther  ((.>24),  ont  engendré  une  race  d'êtres 
corrompus  et  séditieux,  et  je  redoute  une  révolution  sanglante  \  -^ 


II 


L'amour  désordonné  du  bien  vivre  et  du  luxe  avait  favorisé 
l'accroissement  de  l'usure  dans- les  cités,  comme  il  fallait  s'y  attendre, 
et  les  compagnies  commerciales  contribuaient  surtout  à  la  propager. 
Exploitant  le  vice  capital  de  l'époque,  ces  compagnies  avaient  fini 
par  accaparer  presque  exclusivement  les  coûteuses  denrées  étran- 
gères, qu'elles  taxaient  à  leur  gré;  en  l'espace  de  quelques  années, 
elles  retiraient  de  leurs  marchandises  deux  fois  le  prix  de  revient,  et 
quelquefois  même  davantage.  -^  L'intolérable  et  coupable  tyrannie 
des  grandes  compagnies  »,  déclarait  la  commission  chargée  par  les 
États  de  ^'uremberg  d'étudier  à  fond  la  question  de  l'usure  (152.3), 
«  est  l'unique  cause  des  émeutes  populaires  qui  éclatent  dans  quel- 
ques villes,  et  nous  devons  nous  attendre  à  de  pires  séditions  si  l'on 
ne  porte  un  prompt  remède  au  mal.  La  commission,  établissant  ses 
calculs  d'après  des  registres  fournis  par  les  marchands  eux-mêmes, 
mit  sous  les  yeux  des  États  le  tableau  synoptique  des  marchandises 
exportées  chaque  année  et  des  hausses  de  prix  qu'elles  subissaient. 
Le  résultat  de  cet  examen  conduisit  à  des  constatations  surprenantes. 
Tous  les  ans,  de  la  seule  ville  de  Lisbonne,  abstraction  faite  du  com- 
merce avec  Venise,  trente-six  mille  quintaux  de  poivre,  vingt-quatre 
mille  quintaux  de  cannelle  et  mille  balles  de  safran  étaient  importés. 
La  livre  de  safran,  qui  valait  deux  florins  et  demi  et  six  kreutzers  en 
1515,  se  payait  actuellement  quatre  florins  et  demi  et  quinze  kreutzers  ; 

'  Voy.  ces  passages  et  d'autres  sur  le  même  sujet  daus  les  extraits  de  la  cor- 
respondance d'Érasme,  publiée  par  Dollinger,  Reformation,  t.  1,  p.  o-lS. 


444         CAUSES    GENERALES    DE    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE. 

la  livre  de  poivre  avait  augmenté  de  quinze  kreutzers.  La  livre  de 
galanga,  qui  valait  autrefois  un  demi-florin  (ou  trente-six  kreutzers), 
valait  à  présent  un  florin  quinze  kreutzers;  un  quintal  de  sucre  coû- 
tant de  onze  à  douze  florins  en  1516  se  vendait  à  peu  près  vingt  flo- 
rins en  1518.  Depuis  1521,  les  raisins  de  Venise,  au  lieu  de  valoir 
cinq  florins,  en  coiUaient  neuf.  Des  enchérisseraents  si  exorbitants 
n'empêchaient  point  que  les  marchandises  ne  fussent  avariées'. 

«  Les  compagnies  de  marchands  accapareurs  'i,  déclarent  les 
comtes,  seigneurs  et  chevaliers  dans  un  cahier  de  doléances  présenté 
à  la  Diète  en  1523,  «  ruinent  la  nation  et  la  plongent  dans  la 
détresse.  11  est  clair  que,  par  leurs  monopoles,  elles  ont  exploité 
dans  des  proportions  inouïes  les  Allemands  de  toutes  conditions. 
Les  associations,  les  conventions  secrètes  sur  le  prix  de  telle  ou  telle 
denrée,  la  disparition  des  petites  boutiques  où  l'on  pouvait  se  pro- 
curer les  choses  à  meilleur  compte,  tout  contribue  à  notre  ruine.  Leurs 
frais  défalqués,  leur  bénéfice  légal  réalisé,  les  grands  marchands 
n'ont  pas  honte  de  se  livrer  encore  à  un  agiotage  monstrueux,  par 
lequel  ils  nous  sucent  tous  les  ans  jusqu'à  la  moelle;  et  cependant, 
relativement  aux  autres  Ordres,  ils  payent  fort  peu  d'impôts,  et  four- 
nissent de  très-minces  secours  pour  le  détournement  des  calamités 
qui  menacent  toujours  plus  la  commune  patrie  et  l'Empire  romain.  '^ 
Tout  le  monde  se  plaignait  que,  parle  canal  des  compagnies,  l'argent 
monnayé  et  non  monnayé,  l'or  et  le  cuivre,  sortissent  de  l'Empire, 
«  de  sorte  qu'on  en  était  extrêmement  à  court,  au  grand  préjudice 
de  la  nation,  et  cela  au  moment  oîi  il  eût  été  si  nécessaire  de  se 
mettre  en  état  de  repousser  le  Turc  et  d'aviser  à  d'autres  néces- 
sités pressantes  «.  ^  Exploitant  la  triste  situation  actuelle  ^  disait 
le  même  cahier  de  doléances,  «  les  compagnies  se  rendent  tribu- 
taires presque  tous  les  Allemands,  chacun  en  particulier.  )  De 
mémoire  d'homme,  jamais  on  ne  vit  pareille  exploitation;  il  est 
manifeste  qu'en  l'espace  d'une  seule  année  les  supercheries,  les  cal- 
culs secrets,  les  habiles  tours  de  passe-passe  des  compagnies  nous 
ont  fait  plus  de  tort  que  tous  les  voleurs  de  grand'route  mis  ensemble 
n'auraient  pu  nous  en  faire  en  dix  ans;  et  cependant  les  marchands 
ne  souffrent  pas  qu'on  les  traite  de  larrons,  ils  se  font  appeler  les 
'  honorables  ".  A  plusieurs  reprises,  les  États  avaient  publié  des 
ordonnances  contre  les  monopoles,  l'agiotage,  les  enchérissements 
des  compagnies;  mais  celles-ci  n'en  subsistaient  pas  moins,  et  par- 
venaient à  échapper  à  tout  contrôle;  «  ce  qui  s'explique  aisément  ", 
continue  le  livre  de  doléances,   "  car  les  compagnies  avancent  de 

1  *  Die  Gutachten  und  Tabellen,  archives  de  Francfort,  Reichstag saclcn,  t.  XXXVIII, 
p.  241-271.  Les  renseignemenls  fournis  par  Ranke  (t.  Il,  p.  43-4ij  ne  concordent 
pas  sur  bien  des  points  avec  ces  documents. 


CAUSES    GÉNÉRALES    DE    I.A    RÉVOLUTION    SOCIALK.         H5 

fortes  sommes  à  certains  princes  et  grands  seigneurs,  tout  en  exi- 
geant d'eux  un  profit  usuraire  considérable;  elles  ont  l'art  d'inté- 
resser d'autres  princes  dans  leurs  traMcs,  de  leur  faire  partager 
leurs  profils  et  leurs  perles;  ceux  qu'elles  ne  peuvent  entraîner 
reçoivent  de  gros,  de  hardis  présents,  eux  ou  leurs  conseillers.  De 
plus,  ils  contractent  des  alliances,  des  amitiés  utiles  par  suite  de 
mariages  avantageux,  desorle  que  tous  ou  la  plus  grande  partie  des 
princes  sont  intéressés  à  leurs  succès,  et  conduits  à  tolérer  ou  à 
défendre  leurs  effroyables  et  vils  méfaits,  comme  nous  n'en  avons 
que  trop  de  preuves  '.  i 

Oue  le  mal  provint  des  villes  plus  que  de  partout  ailleurs,  c'était 
l'opinion  générale.  Dès  1521,  plus  d'un  mécontent  disait  tout  haut 
que  ce  n'était  pas  seulement  le  clergé  qu'il  fallait  débarrasser 
de  richesses  injustement  acquises;  qu'il  serait  bon  d'en  alléger 
aussi  les  marchands  usuriers  devenus  démesurément  rlche>;  qu'il 
fallait  restreindre  le  luxe  des  villes,  interdire  l'importation  des 
marchandises  étrangères,  les  compagnies  de  commerce,  le  trafic 
avec  les  pays  étrangers,  et  poursuivre  les  princes  aussi  bien 
que  les  usuriers,  c  parce  qu'ils  se  cachaient  sons  le  même  man- 
teati,  -  ■■' . 

Pour  extirper  le  mal  jusque  dans  sa  racine,  Luther,  dans  son 
Traité  sur  le  négoce  et  l'usure  (1524),  demandait  "  que  le  commerce 
étranger  important,  de  Calcutta,  des  Indes  et  d'ailleurs,  de  précieux 
tissus  de  soie  et  d'or  ",  et  ^  ces  épices  qui  ne  servent  qu'aux  satis- 
factions du  luxe  et  ne  sont  nullement  utiles  à  la  santé  »,  fût  rigou- 

1  Cahier  de  doléances  cité  plus  haut,  p.  242,  note  l.  Il  avait  été  motivé  par 
une  circulaire  du  Couseil  adre>sée  aux  nobles  rassemblés  à  Schweinfurt  le 
jour  d'après  la  présentation  de  Notre-Dame  (2i  novembre]  1522.  Archives  de  Franc- 
fort./?eicÄs<a(/s«c/e«,  t.  XXXVI,  fol.  90.  —  Voy.  L'LMA.w,  p.  327-.328.  «  Les  membres 
de  la  noblesse  qui  auraient  à  se  plaindre  »,  disait  la  circulaire,  ^  apporteront 
leurs  griefs  devant  le  Conseil  de  régence  ou  la  Chambre  impériale.  "  Les 
villes  »,  assuraient  les  comtes,  seigneurs  et  chevaliers  dans  leur  cahier  de 
doléances,  •  consentiraient  volontiers  à  porter  plainte  contre  les  compagnies 
qui  accaparent  et  font  hausser  les  prix,  car  tous  leurs  bourgeois  ont  beau- 
coup à  en  souffrir.  ^  Ceci  était  surtout  vrai  pour  Francfort.  Le  Conseil  de 
régence  demanda  aux  échevins  de  ladite  ville  de  leur  remettre  en  secret  un 
mémoire  détaillé  au  sujet  -  des  grandes  compagnies,  monopolistes,  accapa- 
reurs et  agioteurs  faisant  un  tort  considérable  à  la  nation  =.  Répondant 
aux  plaintes  qui  lui  furent  adressées,  le  Conseil  émit  l'opinion  que  les  compa- 
gnies, reliées  intre  elles  par  des  contrats  commerciaux,  ne  servaient  que  les 
intérêts  de  quelques  particuliers,  qu'elles  étaient  funestes  au  bien  public,  et 
qu'elles  devaient  être  abolies,  et  leurs  chefs  punis.  Défense  devrait  du  moins 
être  faite  aux  compagnies  d'acheter  d'un  seul  coup  et  pour  une  même  somme 
une  seule  marchandi>e,  et  de  trafiquer  avec  de  l'argent  étranger  au  lieu  de 
se  servir  de  celui  quelles  avaient  eu  réserve.  On  trouvera  la  circulaire  du 
Conseil  de  régence  [7  septembre  1521,  et  la  réponse  du  Conseil  de  Francfort 
dans  les  archives  de  Francfort,  Kaisemchreibcn,  t.  Vlil,  n»*  16  et  17. 

-  Glos  und  Commenl.  auf  LXXX  Arlicheln.  Bl.  G-. 


446    CAUSES  GÉNÉRALES  DE  LA  RÉVOLUTION  SOCIALE. 

reusement  interdit.  «  Additionne  n,  disait-il  à  son  lecteur,  "  les  sommes 
ravies  à  l'Allemagne  en  une  seule  foire  de  Francfort,  sans  nécessité 
aucune,  et  tu  pourras  à  peine  comprendre  comment  on  peut  encore 
trouver  un  liard  dans  notre  pays!  Francfort  est  le  trou  d'or  et 
d'argent  par  lequel  s'écoule  hors  de  chez  nous  tout  ce  qui  s'épa- 
nouit, tout  ce  qui  germe,  tout  ce  qui  se  monnaye  et  se  frappe! 
Si  le  trou  était  bouché,  on  n'entendrait  pas  tant  de  lamenta- 
tions, on  ne  répéterait  pas  de  tous  côtés  qu'il  n'y  a  que  dettes  et 
point  d'argent;  les  contrées  et  les  villes  ne  seraient  pas  accablées  de 
taxes,  ni  rongées  par  l'usure.  ^  Luther  dépeint  sous  de  vives  cou- 
leurs «  l'astuce,  l'avarice,  l'égoisme  cupide  et  la  déloyauté  des 
marchands  >'.  Les  hausseurs  de  prix,  les  accapareurs,  les  monopo- 
listes n'étaient,  selon  lui,  que  des  voleurs,  des  brigands,  des  usu- 
riers publics  :  Ils  ne  sont  pas  dignes  de  s'appeler  hommes  et  de 
vivre  parmi  leurs  semblables;  ils  ne  méritent  même  pas  qu'on  les 
instruise  et  qu'on  les  avertisse,  car  leur  envie,  leur  avarice  sont  si 
impudentes  et  si  viles  qu'ils  vont  jusqu'à  être  bien  aises  de  la  dé- 
tresse d'autrui,  et  à  se  réjouir  de  dominer  seuls  le  marché.  L'autorité 
ferait  fort  bien  de  confisquer  les  biens  de  tels  personnages,  et  de  les 
expulser  du  pays.  «  Maintenant  ils  inventent  de  déposer  le  poivre, 
le  gingembre  et  le  safran  dans  des  caves  ou  des  celliers  humides, 
afin  d'augmenter  le  poids  de  leur  marchandise.  Ils  renferment  les 
étoffes  de  laine,  les  fourrures,  la  martre,  la  zibeline  dans  des  caves 
sombres;  ou  bien  c'est  à  certains  produits  de  mercerie  qu'ils  enlèvent 
l'air;  chaque  marchandise,  comme  on  sait,  demande  des  conditions 
particulières  d'atmosphère.  De  toute  espèce  de  produits,  ils  savent 
ainsi  tirer  un  profit  malhonnête;  on  trompe  sur  l'aunage,  sur  la 
quantité,  sur  la  mesure,  sur  le  poid*.  On  donne  à  telle  denrée  une 
couleur  qu'elle  n'a  point  naturellement,  ou  bien  on  glisse  la  plus 
belle  marchandise  dessous  et  dessus,  puis  on  cache  ce  qui  est  avarié 
au  milieu,  et  ces  tromperies  n'ont  point  de  fin.  Aussi  un  marchand 
ne  se  fie-t-il  plus  à  un  autre,  car  il  sait  à  quoi  s'en  tenir,  il  voit,  il 
comprend  ce  qui  se  passe!  « 

"  Les  marchands  se  plaignent  amèrement  des  nobles  et  des  che- 
valiers brigands;  ils  font  sonner  bien  haut  les  grands  périls  aux- 
quels ils  s'exposent;  à  les  entendre,  il  n'est  pas  rare  qu'on  les 
jette  en  prison,  qu'on  les  maltraite;  ils  sont  pillés,  rançonnés, 
disent-ils.  Mais  ils  trompent  et  volent  dans  une  telle  proportion, 
ils  se  livrent,  même  entre  eux,  à  de  telles  escroqueries  qu'il  n'est 
pas  surprenant  que  Dieu  ruine  souvent  leurs  desseins,  permette 
que  leur  fortune  injustement  acquise  soit  tout  à  coup  anéantie, 
et  qu'eux-mêmes  soient  maltraités  ou  mis  au  cachot.  Dieu  se 
doit  à  lui-même  de  maintenir  le  droit,  lui  qui  est  appelé  le  juste 


CAUSES    GÉNÉRALES    DE    t,A    l'.EVOLUTlON    SOCIALE.  447 

Juge,  y-  En  parlant  ainsi,  je  n'entends  pas  exenser  les  voleurs  de 
grand  chemin  ou  les  coupe-jarrets,  je  n'ai  pas  l'intention  de  jus- 
tifier leur  brigandage;  mais  les  princes  ne  veillant  pas  à  la  sécurité 
des  routes  et  ne  prenant  aucune  mesure  pour  défendre  leurs  sujets 
contre  les  exactions  scandaleuses  des  marchands,  Dieu  se  sert  des 
reitrcset  des  brigands  |)our  châtier  les  compagnies,  et  les  che- 
valiers deviennent  ses  mauvais  anges;  c'est  ainsi  qu'il  éprouva 
jadis  l'Egypte,  soit  par  des  démons,  soit  par  les  ennemis  du  dehors, 
car  le  Seigneur  fla^'elle  un  scélérat  au  moyen  d'un  autre,  'loute- 
tois,  au  dire  de  Luther,  les  chevaliers  brigands  étaient  bien  moins 
coupables  que  les  marchands,  -  car  ceux-ci  pillaient  quotidienne- 
ment tous  les  hommes,  au  lieu  qu'un  noble  ne  rançonnait  qu'une 
ou  deux  fois  par  an  une  ou  deux  personnes  seulement  >■. 

u  Avant  tout,  les  princes  et  seigneurs,  s'ils  veulent  s'acquitter  en 
conscience  des  devoirs  de  leur  état,  doivent  supprimer  et  punir  les 
monopoles,  c'est-à-dire  les  achats  qui  n'ont  d'autre  but  que  l'iutcrct 
d'un  particulier.  Ces  achats  ne  doivent  plus  être  tolérés,  ni  dans  les 
campagnes,  ni  dans  les  villes  '•  ;  les  compagoies  ;  sont  des  gouffres 
de  rapacité  et  d'impostures;  on  n'y  saurait  rien  acheter  en  sécurité 
de  conscience  ■ .  -  Elles  accaparent  toutes  les  marchandises,  puis  en 
font  l'usage  qui  leur  plait,  haussant  et  baissant  les  prix  à  leur  fantaisie, 
et  ruinant  ainsi  tous  les  petits  marchands,  comme  le  brochet  dévore 
le  fretin  des  rivières.  Elles  veulent  régner  sur  toutes  les  créaiures 
de  Dieu,  il  semble  qu'elles  soient  affranchies  des  précepte>  de 
la  foi   et  de  la  charité.  »  Aussi   -   tout  le  monde  est-il  dévoré  ■■. 

Tout  l'argent  du  pays  aboutit  à  leur  réservoir.  Comment  serait-il 
légitime,  co.iimeut  serait-il  selon  la  justi  e  et  selon  Dieu  qu'un 
homme,  en  si  peu  de  temps,  pût  devenir  assez  riche  pour  être  en 
état,  quand  il  lui  plait,  de  débouter  par  une  surenchère  les  rois  et 
l'Empereur?  Outre  cela,  ils  se  sont  arrangés  pour  que  tout  le  monde, 
excepté  eux,  soit  exposé  à  la  ruine;  on  gagne  une  année,  puis  on 
perd  tout  l'année  suivante;  eux,  au  contraire,  ne  cessent  d'accu- 
muler des  bénéfices;  s'ils  perdent  quelque  chose,  ils  se  hâtent  de 
réparer  l'accident  par  des  enchérissemenis  plus  exagérés  que  jamais; 
il  n'est  donc  pas  surprenant  que  la  fortune  du  monde  entier  aille 
s'engloutir  chez  eux.  >: 

"  Les  rois  et  princes  devraient  être  attentifs  à  ces  choses,  et  par  une 
juste  rigueur  mettre  fin  à  de  tels  abus;  mais  on  prétend  au  con- 
traire qu'ils  s'y  mêlent,  qu'ils  en  profitent,  et  qu'on  peut  dire  à  l'Al- 
lemagne ce  qu'Isaie  disait  à  son  peuple  :  <  Tes  princes  sont  devenus 
les  compagnons  des  voleurs  '.  >;  <  ils  attachent  à  la  potence  des  lar- 

'  Cochlœus  tire  de  ces  passages  et  d'autres  analogues  la  conclusion  suivante  : 


448    CAUSES  GÉNÉRALES  DE  LA  REVOLUTION  SOCIALF. 

rons  coupables  d'avoir  dérobé  un  florin  ou  un  demi-florin,  et  pac- 
tisent avec  ceux  qui  pillent  le  monde  entier,  et  sont  pires  coquins  que 
tous  les  autres,  donnant  ainsi  raison  au  proverbe  qui  assure  que  ce 
sont  toujours  les  grands  voleurs  qui  font  pendre  les  petits.  Caton 
ne  disait-il  pas  jadis  à  Rome  :  "  Les  petits  voleurs  sont  dans  les  cachots 
et  dans  les  fers,  tandis  que  les  voleurs  publics  vivent  dans  l'or  et 
dans  la  soie.  Quel  sera  le  jugement  final  de  Dieu?  Ezéchiel  va  nous 
l'apprendre:  <  Le  Seigneur  »,  dit-il,  -  fera  fondre  comme  le  plomb  et 
l'airain  les  princes  et  les  marchands  ■■;  les  uns  suivront  les  autres, 
comme  dans  une  ville  incendiée  une  maison  communique  le  feu  à 
la  maison  voisine,  de  sorte  qu'il  n'en  restera  bientôt  plus  sur  la 
terre,  et  je  crains  fort  que  ce  châtiment  de  Dieu  ne  soit  déjà  à  notre 
porte  '.  » 

Ainsi  parlait  Luther  peu  de  mois  avant  l'explosion  de  la  révolu- 
tion sociale. 

Les  compagnies  d'eochérisseurs  et  d'accapareurs  causaient  en 
outre  la  dépréciation  des  produits  de  la  terre,  seule  espérance 
du  «  pauvre  homme  ".  Elles  développaient  les  besoins  maté- 
riels, et  se  livraient  à  de  savantes  combinaisons  d'agiotage, 
taudis  que  l'argent  diminuait  de  valeur  d'année  en  année,  et 
que  les  salaires,  loin  de  s'élever,  tendaient  plutôt  à  descendre. 
La  puissance  toujours  croissante  du  capital  augmentait  encore 
la  détresse  des  petits  fabricants;  autrefois  ils  avaient  pu  se  suf- 
fire au  moyen  d'un  humble  négoce;  maintenant,  depuis  que  les 
grands  marchands  leur  avaient  enlevé ^  avec  leur  industrie,  le 
moyen  de  gagner  leur  vie,  ils  se  voyaient  privés  de  toute  res- 
source; l'ouvrier  et  le  petit  marchand,  forcés  d'emprunter  au 
riche,  '-  étaient  odieusement  pressurés  par  les  intérêts  usuraires 
qu'on  exigeait  d'eux,  et  leur  sort  éîai^  vraiment  lamentable'  >■. 
Cependant  ceux  qui  l'exploitaient  ne  voulaient  pas  être  rendus 
responsables  de  leur  détresse,  et  rejetaient  toute  la  faute  sur  les 
"  clercs  ». 


-  Eo  tendebat  popularis  aurae  captator  et  seditionum  iiiachiiiator  nequissiinus, 
quo  plebeiu  eftenam  in  principts,  propter  mercalorum  gravamina,  tanquara  in 
socios  furum  et  iucroruin  iniquorum  participes  concitarel.  ■>  De  actis  et  scriptis 
Luiheri,  p.  100.  Reaucoup  de  partisans  de  Luther  pensaient  et  parlaient  comme 
lui  :  "  Si  nous  considérons  les  rois,  les  princes  et  les  seigneurs  ■,  écrit  Speratus 
en  1523,  «  nous  ne  voyons  dans  la  plupart  d'entre  eux  que  de  vrais  enfants,  des 
êtres  hypocrites  et  efféminés  -,  etc.  —  Voy.  Hagen,  Literarische  Verhiillni-se,  t.  II, 
p.  326.  —  âeitsserungen  über  die  Fürsten,  de  Wenzel  Link,  p.  324-325. 

1  Sammll.  Werke,  t.  XXII,  p.  199-226.  —  Voy.  les  passages  cités,  p.  201,  21S-216, 
218,222,  225. 

-Voy.  la  lettre  de  la  ligue  souabe,  18  décembre  1525,  dans  Jörg,  p.  115, 
116. 

^  Clag  eines  einf eilig  Klosterbruders.  El.  D. 


CAUSES    GÉNÉKALES    DK    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE,  14) 

Od  lit  dans  des  rimes  populaires  de  ce  temps  : 

Ils  incitent  tous  les  torts  sur  le  dos  des  clercs, 

Mais  moi,  je  jure  sur  ni.i  foi 

Que  tout  le  mal  vient  des  marchands, 

Et  avant  tout  des  compagnies, 

Sachez-le  bien,  bonnes  gens! 

L'un  accapare  tous  les  vins; 
L'autre  s'empare  du  poivre; 
Le  troisième  se  charge  du  saindoux 
JN'accusfz  pas  seulement  les  |)rêtres, 
Faites-y  allenlion,  vous,  gens  libres! 

Ils  n'ont  plus  l'ombre  de  conscience; 

Par  leurs  mesures,  leur  monnaie,  leur  balance,  leurs  poids, 

Leur  déloyai'lé,  leur  imi)OSiure, 

Toutes  les  marchandises  sont  falsifiées. 

Sachez-le  bien,  gens  libres! 

Ce  dont  le  pauvre  homme  a  besoin, 

11  lui  faut  aller  le  chercher  chez  le  marchand. 

L'acheter  au  prix  du  marchand,  au  gré  du  marchand. 

Sans  cela  il  lui  arriverait  malheur! 

Sachez-le  bien,  bonnes  gens'! 

Mais  «  ce  que  les  jjrands  marchands  faisaient  en  grand,  les  petits 
rimitaient  selon  leurs  ressources,  et  le  monde  entier  était  dans 

'  Ein  Bcsonet  in  Laudibus  wieder  die  falschen  Evangelischen.  Voy,  Stolle,  p.  33G.  i.e 
poète  rejette  avec  partialité  tous  les  torts  sur  les  marchands  luthériens. 

Un  Dies  est  lœliliœ  contre  les  faux  èvangélislcs. 

Le  tenus  est  si  favorable 

A  tous  nos  bons  luthériens 

Qu'ils  remplissent  leur  ventre, 

Leurs  caves  et  leur  co!îre, 

Gnlce  à  l'usure,  à  l'agiotage  et  à  la  ruse. 

Nulle  part  on  ne  trouve  à  se  nourrir, 

Car  ils  ont  tout  en  main, 

Tout  s'engouffre  dans  leurs  sacs 

Us  amènent  renchérissement 

Ici  e(  en  tous  lieux. 

Luther  est  arrivé  au  bon  moment  pour  eux, 

Avec  ses  beaux  contes, 

Qui  insultent  tout  ce  qui  est  saint 

Et  bouleversent  toutes  choses! 

Aussi  maintenant  personne  ne  croit 

Que  ce  qui  flatte  son  corps. 

Comprenez -moi  bien  : 

Il  n'y  a  plus  ni  honneur  ni  vertu, 

Ooinma  du  temps  de  nos  pères! 

On  ne  rougit  plus  de  rien  ! 

Stolle,  p.  339.  Le  grand  marchand  et  banquier  d'Augsbourg,  Hochstetter,  qui 
avait  plongé  d'innombrables  personnes  dans  la  misère  par  sa  banqueroute  frau- 
duleuse de  800,000  florins,  n'était  pas  luthérien.  Il  se  donnait  pour  un  '  chrétien 
modèle  >,  et  trompait  ainsi  ses  clients,  parmi  lesquels  se  trouvaient  beaucoup 
de  pauvres  servantes  et  de  valets  de  ferme.  —  Voy.  notre  premier  volume, 
p.  385-387. 

11.  29 


450         CAUSES    GÉNÉRALES    DE    LA    REVOLUTION    SOCIALE. 

la  désolation  ».  Plus  d'une  satire  de  l'époque  s'est  faite  l'écho  des 
plaintes  populaires.  Colporteurs,  boulangers,  jiubergistes,  !  ouchers 
rivalisaient  les  uns  avec  les  autres  dans  l'art  de  duper  le  chaland. 
■^  On  ferait  un  bien  gros  livre  ' ,  dit  un  pamphlet  contemporain,  «  si 
l'on  voulait  énumérer  tant  et  de  si  grandes  fourberies.  Chacun  surfait, 
aujourd'hui;  il  n'y  a  plus  ni  fidélité  ni  foi;  on  trompe  sur  le  manger, 
sur  le  boire,  sur  les  choses  indispensables  à  la  vie.  Les  aubergistes  falsi- 
fient le  vin  avec  toutes  sortes  de  produits  artificiels;  le  pain  est  petit, 
la  mesure  mélangée;  l'ouvrier  fait  de  la  mauvaise  marchandise;  le 
boucher  fournit  de  la  viande  de  mauvaise  qualité;  le  boulanger  livre 
du  pain  malsain  ;  le  cultivateur  ne  vaut  pas  mieux,  ce  qu'il  conduit 
au  marché  est  avarié,  que  ce  soit  du  blé,  de  l'avoine  ou  de  l'orge.  >^ 
-  Le  bois  qui  est  au-dessus  de  sa  charrette  parait  superbe,  mais  à 
l'intérieur,  il  est  tordu,  il  est  pourri,  il  est  trop  court  ;  le  foin  et  la 
paille  semblent  magnifiques  au  premier  abord;  ouvrez  les  bottes, 
tout  est  humide  et  moussu.  »  '^  On  trompe  jusque  sur  les  fruits 
et  les  œufs  '. 

Autrefois,  lorsque  les  règlements  corporatifs  étaient  eu  vigueur, 
l'ouvrage  livré  par  l'ouvrier  était  bien  fait;  maintenant  que  personne 
ne  se  souciait  plus  de  ces  règlements,  -  rien  de  ce  qui  sortait  des  mains 
de  l'artisan  n'était  soigné  «.  Le  compagnon,  même  quand  il  ignorait 
son  métier  et  n'avait  pas  encore  fait  son  chef-d'œuvre,  passait 
maitre.  Des  apprentis  qui  n'étaient  que  des  gamins  et  n'avaient  pas 
même  achevé  leur  temps  étaient  '  salués  du  nv)m  de  patrons  >.  On 
travaillait  "  pour  le  malheur  des  gens  =,  à  la  hâte,  sans  soin,  sans 
conscience;  les  acheteurs,  de  leur  côté,  ne  regardaient  qu'an  bon  mar- 
ché et  non  à  la  qualité.  "  Les  prix  fixes,  maintenus  scrupuleusement, 
lorsque  les  règlements  des  corporations  étaient  observés,  étaient  par- 
tout mis  en  oubli.  »  Les  anciennes  conventions  sont  mises  en  oubli, 
cela  fait  un  beau  marché!  Si  le  marchand  dit  en  toute  sincérité  sou 
prix  de  revient,  et  déclare  ne  pouvoir  livrer  à  meilleur  compte,  il  ne 
voit  plus  un  seul  acheteur  se  présenter  dans  sa  boutique;  on  ne  sunge 
plus  guère,  en  traitant  avec  lui,  aux  ordonnances  de  iXuremberg!  Par 
tant  de  désastreuses  innovations,  le  vrai  commerce  et  l'industrie  sont 
entièrement  ruinés;  on  ne  trouve  que  bien  rarement  des  ouvriers  et 
des  marchands  satisfaits,  mais  les  acheteurs  contents  sont  encore  beau- 
coup plus  rares,  et  la  faute  en  est  aux  uns  comme  aux  autres-.  > 

'  Voy.  BvLR,  p.  123.  —  Hagen,  t.  II,  p.  323.  —  Voy.  notre  premier  vol.,  p.  383. 

-  Clag  eines  einfeltig  Klosterbruders^  Bl.  D'.  —  Voy.  M.  Allihn,  Socialdanokralisches 
um  der  deutschen  Vergangenheit,  dans  le  Grenzboien  des  11  et  18  avril  1873.  Eu  1525,  les 
insurgés  de  Francfort-sur-le-Meiu  stipulent  dans  leurs  articles  que  ^  personne 
ne  sera  reçu  comme  corapagnon  qu'il  n'ait  auparavant  bien  appris  son  métier 
et  n'en  ait  donné  des  preuves  de  sa  main  .  Aufruhr/mch  der  Reichsstadt  Francfuri, 
p.  12. 


CAUSES    f;ÉN|!:RALF.S    nE    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE.  451 

A  tant  de  mniix  venaient  encore  s'ajoufer  les  malheurs  particulier«* 
de  cette  époque  désastreuse. 

Le  matérialisme  gagnait  chaque  jour  du  terrain;  plus  grandissait  la 
soif  d'acquérir,  plus  les  hautes  études  perdaient  de  leur  prestij^e,  et 
plus  la  jeuuesse  se  tournait  vers  le  commerce  et  les  industries  lucra- 
tives. «  De  nos  jours  on  ne  veut  plus  apprendre  que  ce  qui  peut  rap- 
porter beaucoup  d'ar^ijent;  les  maisons  de  commerce,  les  échoppes, 
les  tavernes  se  multi|)licnl,  non-seulement  dans  les  villes,  mais  jusque 
dans  les  villages.  Le  monde  se  montre  bien  ingrat  envers  le  saint 
Evangile  (pie  Dieu,  de  notre  temps,  a  si  clairement  manifesté  à  son 
peuple  '  »,  écrivait  en  i')'2i  un  partisan  des  nouvelles  doctrines. 

On  voyait  dés  lors  dominer  parmi  ceux  qui  se  vantaient  d'être 
évangélistes  cette  tendance  dont  devait  s'effrayer  plus  tard  Martin 
Bucer  :  «  Tous  courent  à  l'envi  aux  industries,  aux  emplois  qui 
demandent  le  moins  de  travail  et  rapportent  le  plus  d'argent.  On  ne 
songe  plus  au  prochain  ni  à  la  probité,  si  exposée  dans  les  occu- 
pations du  négoce;  les  sciences  et  les  arts  sont  ravalés  au-dessous 
des  métiers  les  plus  vils.  Les  plus  belles  intelligences,  les  gens 
auxquels  la  libéralité  d'en  haut  a  fait  part  des  capacités  les  plus 
excellentes,  s'adonnent  au  commerce  qui  aujourd'hui  fait  courir 
de  tels  périls  à  la  probité,  qu'un  honnête  homme  ne  devrait  rien 
craindre  davantage  que  de  s'y  engager.  '  <  La  plupart  de  ceux  qui  se 
vantent  d'être  évangélistes  »,  avouait  Wolfgang  Capito,  élèvent 
leurs  enfants  dans  des  habitudes  de  luxe,  et  leur  inspirent  l'amour 
du  gain  -.     Le  même  reproche  aurait  pu  s'adresser  aux  catholiques. 

En  peu  d'années  notre  situation  est  devenue  si  lamentable  »,  écrit 
en  1523  l'auteur  de  la  Cnmplaintc  d'un  simple  moine,  «  que  les  mères 
chréiiennes  ne  peuvent  plus  envoyer  leurs  enfants  dans  les  Univer- 
sités. Les  études  sont  tombées  dans  le  dernier  mépris.  Les  fils  de 
famille  se  font  marchands;  les  pauvres,  singulièrement  délaissés, 
grossissent  le  nombre  des  petits  artisans;  à  peine  s'ils  savent  leur 
état.  Les  colporteurs,  revendeurs,  porleballes  pullulent.  '  «  Les 
cités  regorgent  de  fripiers,  de  marchands  ambulants  paresseux, 
dépravés  ^  »  "  Dans  les  hameaux,  dans  les  villages,  toutes  sortes  de 
boutiquiers,  d'industriels,  d'artisans,  de  brasseurs,  de  cabaretiers 
viennent  s'établir,  au  grand  préjudice  du  commerce  des  villes*.  « 
"  Les  cultivateurs  veulent  maintenant  devenir  artisans,  et  les  ouvriers 
sont  en  trop  grand  nombre;  aussi  livrent-ils  les  choses  à  vil  prix; 
dans  les  villages,  on  ne  voit  qu'ouvriers,  que  débitants,  que  gens 

'  cité  dans  le  Glos  und  Comment,  Bl.  K-. 

-  Voy.  ces  citations  dans  DöLLrxGra,  t.  I,  p.  435-437. 

3  Voy.  Anshelm,  t.  VI,  p.  91-92. 

'  Voy.  les  doléances  des  villes  dans  Jörg,  p.  310. 

29. 


452         CAUSES    GÉNÉRALES    DE    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE. 

vantant  et  offrant  leurs  marchandises.  »  L'abandon  des  vieilles 
ordonnances  était  désastreux  pour  les  cités;  le  paysan  n'était  plus 
obligée  d'aller  chercher  à  la  ville  tout  ce  dont  il  avait  besoin;  il  trou- 
vai! plus  commode  d'acheter  aux  colporteurs,  ou  bien  lui-même, 
abandonnant  le  soin  de  ses  champs,  devenait  débitant.  L'ouvrier  des 
villes,  au  lieu  de  se  complaire  à  perfectionner  sa  besogne,  sacrifiait 
la  main-d'œuvre  à  l'intérêt  de  la  vente;  que  son  industrie  fût  consi- 
dérable ou  restreinte,  ■■■  il  voulait  devenir  marchand  »,  et  comme  ses 
ressources  ne  le  lui  permettaient  pas,  il  s'endettait,  et  finissait  par 
la  banqueroute  '. 

Dix  ans  auparavant  seulement,  les  artistes,  les  ouvriers,  les  arti- 
sans de  tous  genres  avaient  bénéficié  de  cette  ardeur  pour  l'archi- 
tecture qui  alors  s'était  emparée  de  toutes  les  classes,  de  cet 
intérêt  passionné  pour  l'art  qui  avait  élevé  tant  d'églises,  tant 
d'édifices  admirables.  «  Alors  les  tableaux,  les  sculptures  sur  bois, 
les  ciselures  d'or  et  d'argent,  l'orfèvrerie  d'église,  les  précieux 
ornements  qui  servent  au  culte,  étaient  offerts  à  Dieu  par  les  riches 
et  par  les  humbles,  par  les  corporations,  les  confréries,  les  pieux 
chrétiens  de  toutes  conditions.  "Maintenant  tout  cela  était  changé. 
«  On  n'élevait,  on  n'ornait  plus  ni  églises  ni  couvents.  Au  lieu  de 
construire,  on  détruisait,  de  sorte  que  bien  des  mains  restaient 
oisives,  j^  L'incertitude  des  événements,  leur  soudaineté,  l'anxiété 
constante  où  l'on  vivait,  l'émeute  tous  les  jours  redoutée,  rendaient 
les  riches  prudents  et  craintifs.  Rarement  ils  faisaient  bâtir;  l'ouvrier 
recevait  fort  peu  de  commandes;  «  le  bourgeois  laissait  son  argent  dans 
le  sac  > .  •'  Beaucoup  d'ouvriers,  autrefois  actifs,  flânaient  dans  les  rues, 
ou  colportaient  des  écrits  de  controverse,  des  pamphlets,  des  libelles, 
des  caricatures.  Les  ouvrages  d'art  n'étaient  presque  plus  appréciés  *.  n 
Hans  Holbein  le  jeune,  un  des  plus  grands  artistes  de  tous  les 
temps,  se  vit  contraint  pour  gagner  sa  vie  de  faire  un  métier  de 
barbouilleur;  il  peignit  un  jour  pour  deux  florins  un  panneau  d'ar- 
moiries^  «  L'art  de  la  peinture  «,  écrit  tristement  Albert  Dürer  à 
Wilibald  Pirkheimer,  ■  est  très-méprisé  de  nos  jours.  On  l'accuse  de 
servir  et  de  propager  l'idolâtrie.  "  «  Cependant  la  vue  d'un  tableau 

'  Voy.  Allihn,  p.  103,  110. 

-  Glos  und  Comment.  Bl.  k'. 

2  WoLTMANN,  1. 1,  p.  341.  Dès  Ic  Commencement  du  mouvement  «  évangélique  •, 
Holbein  dut  interrompre  les  peintures  murales  qu'il  avait  commencées  pour 
l'hôtel  de  ville  de  Bâle;  le  manque  de  travail  le  contraignit  enfin  à  s'expatrier 
en  Angleterre.  Le  fait  suivant  caractérise  bien  l'état  de  l'an  à  ce  moment  :  En 
janvier  1526,  les  peintres  de  Bâle  adressent  une  supplique  au  conseil  de  la  ville 
pour  qu'il  leur  soit  permis,  afin  de  pouvoir  nourrir  femmes  et  enfants,  d'avoir 
le  privilège  exclusif  de  peindre  les  manques  du  carnaval.  Les  peintres  supplient 
les  conseillers  de  ne  pas  leur  enlever  ce  mince  profit  en  confiant  des  travaux  de 
ce  genre  à  des  manœuvres.  —  Woltmann,  t.  I,  p.  340. 


CAUSES    GÉNÉRALES    DE    LA    RÉVOLUTIOX    SOCIALE.  Î53 

OU  d'un  dessin  porle  aussi  peu  le  chrétien  à  la  superstition  que  i'épée 
au  côté  de  l'honnùfc  homme  ne  le  pousse  au  meurtre.  Kn  vérité,  il 
faudrait  être  bien  stupide  pour  avoir  la  j)ensée  d'adorer  un  tableau 
de  bois  ou  une  statue  de  pierre!  »  Mais  pour  qu'une  œuvre  d'art, 
au  lieu  de  scandaliser,  pi\t  aider  au  progrès  moral,  Dürer  vou- 
lait, naturellemeni,  qu'elle  fiU  «  honnête'  ».  Les  caricatures  d'une 
grossièreté  révoltante,  les  images  grotesques  qui,  depuis  le  commen- 
cement des  troubles  religieux,  trouvaient  en  Allemagne  un  débit  si 
extraordinaire  et  que,  de  VVittemberg,  Lucas  Cranach  commençait  à 
répandre  de  tous  côtés*,  loin  de  rendre  le  peuple  meilleur,  contri- 
buaient à  l'avilir. 


III 


Le  luxe  universel,  l'envahissement  du  capital,  l'exploitation  de  la 
classe  laborieuse  par  1''  agiotage  »,  renchérissement  et  la  falsi- 
fication savamment  calculés  des  produits  de  première  nécessité, 
l'oppression  des  petits  métiers  et  des  petits  marchands  par  le  haut 
commerce,  le  dépérissement  des  corporations,  les  occasions  de 
profit  devenues  plus  rares,  telles  étaient  les  principales  causes  de 
l'amer  dissentiment  qui  grandissait  à  vue  d'œil  dans  les  cités  entre 
riches  et  pauvres.  La  population  ouvrière  se  voyait  menacée  de 
mourir  de  faim;  le  nombre  des  prolétaires  allait  toujours  croissant, 
et  les  dépossédés  sentaient  d'autant  plus  cruellement  leur  détresse  et 
s'en  irritaient  d'autant  plus,  que  les  riches  avaient  l'imprudence 
d'étaler  à  leurs  yeux  un  faste  plus  extravagant.  En  bien  des  villes, 
on  accusait  le  clergé  de  ne  rien  changer  à  son  luxe,  à  sa  vie  mon- 
daine, malgré  la  misère  des  temps.  A  une  époque  où  les  évoques 
eux-mêmes,  en  de  certaines  occasions,  «  dansaient  et  se  divertis- 
saient en  public  '  »,  on  s'explique  aisément  l'aversion  foute  naturelle 
du  peuple  i)Our  des  mœurs  «  si  peu  ecclésiastiques  et  si  peu  chré- 
tiennes». Dans  de  telles  circonstances,  les  séduisantes  promesses  des 
agitateurs  révolutionnaires  flattaient  singulièrement  les  oreilles  des 
prolétaires.  Les  âmes  seraient  mieux  gouvernées,  disaient-ils,  si  messei- 
gneurs  les  prélats  avaient  de  moindres  fortunes,  un  genre  de  vie  moins 
fastueux,  et  si  l'on  partageait  les  biens  du  clergé  entre  les  pauvres  K 

'  ThalSING,  Dûier's  Briefe  und  Tagebücher,  p.  55. 

*  Un  grand  nombre  de  ces  caricatures  se  voient  encore  dans  l'ancien  cloître 
des  Augustins  à  Witlemberg.  Leur  grossièreté  est  vraiment  révoltante.  Schu- 
chard  en  a  décrit  plusieurs  [i.  Il,  p.  240-24/1. 

^  Voy.  plus  haut,  p.  3i9. 

■*  Voy.  Gloi  und  Comment.  Bl.  G-. 


454         CAUSES    GÉNÉRALES    DE    LA    REVOLUTION    SOCIALE. 

Les  «  honorables  »  de  la  classe  riche  qui,  à  cette  époque,  avaient 
en  main  dans  la  plupart  des  cités  le  gouvernement  et  le  pouvoir, 
étaient  aussi  sous  le  coup  de  la  haine  et  du  ressentiment  populaires. 
On  leur  reprochait  de  détourner  les  deniers  pubhcs  à  leur  profit 
par  toutes  sortes  d'exactions,  de  ruses,  de  corruptions,  d'actes  arbi- 
traires. Aussi  étaient-ils  l'objet  d'une  véritable  haine.  Plus  d'un 
membre  du  conseil  était  soupçonné  de  participer  aux  agiotages  des 
grands  accapareurs,  et  d'exploiter  honteusement  la  classe  laborieuse  '. 

^  Sigismond  Meisterlin,  dans  la  Chronique  de  Xuremhcrg,  rédigée  sur  l'ordre  du 
-conseil,  a  très-bien  analysé  les  divers  éléraenls  de  révolte  qui,  de  son  teuipi  déjà, 
fermentaient  dans  les  villes.  D'abord  ;  ■■  les  fainéants,  les  badauds  qui,  ayant 
bonne  nourriture  chez  leurs  pères  et  mères,  n'avaient  d'autre  occupation  que 
de  flâner  sur  le  marché,  tranchaient  toutes  les  questions  et  ne  cessaient  de 
réclamer  la  réoiganisation  sociale  et  l'abandon  des  lois  anciennes.  «  Voici  ce  que 
cette  sorte  de  gens  prêchait  au  peuple  :  «  Nos  conseillers  sont  contre  vous!  loin 
d'être  votre  appui,  ils  vous  oppriment  avec  barbarie.  Hélas  !  il  e^t  maintenant 
permis  aux  puissants  d'exercer  leur  fureur  envers  les  pauvres,  et  ceux-ci  n'ont 
d'autre  ressource  que  de  se  taire  et  de  gémir.  Les  mains  qui  détiennent  le 
pouvoir,  qui  dirigent  les  affaires  du  peuple  et  du  pays,  sont  impuissantes.  Les 
richards  se  sont  unis,  ils  se  sont  établis  au-dessus  des  paysan.,  et  de  la  nation,  et 
nous  devons  leur  payer  tribut.  Auprès  d'eux  vous  êtes  tous  en  disgrâce,  vous  êtes 
méprisés,  vous  n'avez  aucun  pouvoir,  et  vous  leur  devez  obéissance.  A  vous  la 
misère,  le  mépris,  et  malgré  tout  cela  soyez  joyeux  et  taisez-vous!  Tous  les 
emplois  sont  exploités,  non  protégés.  Nous  avons  des  écorcheurs  et  non  des 
protecteurs.  Regardez  leurs  maisons,  ce  ne  sont  pas  des  maisons  bourgeoises, 
mais  des  châteaux,  des  donjons  hauts  et  redoutables.  Loin  de  veiller  sur  le 
trésor  public,  ils  le  dilapident.  Ne  serions-nous  pas  plus  heureux  suus  la  loi  d'un 
cruel  tyran  que  sous  leur  domination,  forcés  que  nous  sommes  de  payer  tant 
d'impôts,  de  taxes,  de  dures  redevan-es!  oh!  dignes  Allemands,  combien  de 
temps  supporterez-vous  un  sort  semblable?  réveillez- vous  donc!  Si  vous  le 
voulez,  la  victoire  est  à  vous!  Vous  êtes  des  hommes  d'énergie,  vos  mœurs  sont 
honnêtes  et  pures.  En  quoi  donc  êtes-vous  moins  habiles  que  vos  maîtres?  La 
fortune  sei  a  de  votre  côté.  »  Dans  les  maisons  com  muues  des  corporations  venaient 
s  inscrire  parmi  les  conjurés  -  des  malfaiteurs,  des  ivrognes,  des  joueurs,  gens 
dissolus,  avides  de  l'argent  d'autrui  et  dissipateur.-,  de  leur  propre  bien,  des 
fainéants  et  beaucoup  de  ces  personnages  qui  déjeunent  tous  les  jours  à  l'au- 
berge, se  disant  bonsoir  quand  le  veilleur  annonce  le  jour,  et  commençant  à 
trouver  le  vin  bon  quand  minuit  sonne.  Ceux-lâ  ne  visent  qu'au  renversement 
complet  de  tout  ce  qui  existe,  convoitent  l'or,  les  maisons,  les  vêtements  des 
riches,  demandent  l'abolition  des  dettes  sans  condition,  convoitent  les  florins 
juifs,  crient  à  la   suppression   des  impôts  et    réclament  la  liberté  absolue.  » 

La  bande  révolutionnaire  est  encore  composée  d'autres  éléments,  gens  turbu- 
lents, extravagants,  canaille  perverse,  garçons  d'auberge,  cabareliers,  balan- 
ceurs  de  poteuce,  coquins  de  toute  sorte.  On  y  trouve  aussi  cette  classe 
d'apprentis  qui  fêtent  le  vin  le  vendredi,  vont  au  bain  le  lundi,  et  le  mardi  à  la 
soupe  du  matin;  enfin  des  malfaiteurs  de  tous  genres,  assassins,  traîtres, 
voleurs,  parjures  et  autres.  =  Chroniken  der  deuCschen  Studie,  t.  III,  p.  131-143. 
Ce  que  dit  ici  .Meisterlin  se  rapporte,  il  est  vrai,  à  des  événements  anté- 
rieurs; mais  il  est  clair  qu'il  a  tiré  ce  tableau  de  sa  propre  mémoire,  et 
parle  en  se  souvenant  de  ce  dont  lui-même  a  été  témoiu,  comme  Bezold,  dans 
son  livre  des  Pauvres  Gens,  p.  15,  le  fait  remarquer  avec  raison.  Voy.  notre 
1"^  vol.,  p.  196,  où  il  est  parlé  de  ce  prolétariat  des  villes,  dont  Martin  Schöngauer 
nous  a  pour  ainsi  dire  laissé  le  portrait.  Dès  le  commencement  du  seizième 
siècle,  des  émeutes  et  des  séditions  avaient  éclaté  en  beaucoup  de  villes;  l'émeute 
de  Cologne ,  en  1513,   avait  appris  au  prolétariat  à  connaître  sa  puissance.  Il 


CAUSES   V;ÉNÉRAI,ES    DE    I,A    HÉVOI.UTION    SOCIALE.         «55 

Depuis  l'explosion  des  troubles  relif^ieux,  les  «  honorables  "  se  trou- 
vèrent iréqucmmeDl  en  lutte  avec  toute  une  nrmée  de  conspirateurs 
qui,  poursuivant  à  la  laveur  de  la  doctrine  luthérienne  un  idéal 
commun,  .ippuyaient  leurs  réclamations  sur  IKvangile,  et  ref^ardaient 
toute  opposition  à  leurs  intrij^ues  révolutionnaires  comme  attenta- 
toire à  la  «  liberté  évangélique  ». 

L'union  du  peuple  avec  le  prolétariat  contre  les  «  honorables  " 
assura  presque  toujours  la  victoire  aux  masses  pendant  la  révolution 
sociale.  Presque  partout,  les  «  honorables  '  durent  céder  au  terro- 
risme populaire. 

Le  premier  signal  du  mouvement  socialiste  partit  de  Forscheira, 
en  Franconie.  Le  peuple  s'empara  des  clefs  de  la  ville  (26  mai  1524), 
mit  le  cou'ieil  sous  son  obéissance,  souleva  les  paysans  des  alentours, 
puis,  d'accord  avec  eux,  dressa  un  certain  nombre  d'articles  qui 
réglaient  à  leur  profit  toutes  les  questions  de  dimes,  et  réclamaient 
la  liberté  de  l;i  péclie  et  de  la  chase. 

Au  même  moment,  la  population  de  la  forêt  Noire  signifiait  à 
l'abbé  de  îSaint-Blaise  son  refus  de  lui  obéir  désormais,  et  déclarait 
qu'ell  ;  se  regardait  comme  affranchie  de  toute  corvée  ou  redevance. 
«  Nous  précédons  nos  frères  de  Waldshut  »,  disaient  les  révoltés,  "  ce 
sont  eux  qui  nous  envoient.  »  Dans  les  environs  de  Nuremberg,  les 
gens  des  campagnes  s'aifroupaient,  et  s'entretenaient  ensemble  des 
moyens  de  secouer  le  joug  des  seigneurs  laïques,  afin  de  n'être  plus 
obligés  de  payer  taxes,  rentes,  intérêts  ou  redevances.  «  Bour- 
geois et  paysans  doivent  s'unir,  sans  cela  rien  ne  réussira  >, 
disaient  les  têtes  chaudes  de  la  ville,  impatientes  de  renverser  le 
conseil.  Les  gens  du  peuple,  excités  par  les  meneurs,  parlaient  de 
partager  avec  les  riches,  parce  que  le  temps  de  la  liberté  et  de  la 
fraternité  chrétiennes  était  arrivé,  et  que  les  fortunes  devaient 
être  nivelées.  Ces  tendances  communistes,  comme  le  montre  bien 
le  procès  des  <;  peintres  impies  »,  s'étaient  propagées  jusque  dans 

ne  se  contenta  pas  de  se  joindre  au  comité  révolutionnaire  formé  par  les  cor- 
porations, il  en  composa  un  lui-même,  réclama  les  clefs  de  la  ville,  celles  de 
l'hôiel  de  ville,  de  la  cave  du  conseil  et  du  iiureau  des  impôts,  et  saccagea 
les  maisons  des  conseillers  Les  émeutiers  firent  périr  sur  l'échafaud  les  deux 
bourgmestres  de  la  ville  et  plusieurs  membres  du  conseil.  Leur  triomphe  mit 
ec  émoi  tous  les  gouvernants  et  magistrats  de  l'Allemagne.  Pour  plus  de  détails 
voy.  Eckert/.,  p.  197-245.  Le  prolétariat  joua  aussi  un  rôle  important  d.tns 
l'émeute  dErfurt  (1509).  Voy.  Buukhvrdt,  Das  tolle  lahr  zu  Erfurt,  p.  3î5,  372, 
sur  les  troubles  d'Ulm  en  1513.  —  Voy.  l'article  de  Pressel  dans  la  Zeitschrift  fur 
die  Gesch.  des  Oberrheins,  t.  XXXVII,  p.  211-218.  A  Hall,  les  ouvriers  des  corpora- 
tions s'insurgèrent  contre  le  gouverneur  de  la  ville,  un  parvenu  nommé  Hermann 
Büschler.  Ils  allèrent  jusqu'à  proférer  cette  menace  :  •  Bientôt  nous  jouerons 
aux  boules  avec  des  tètes  sur  la  place  du  marché  !  -  —  Voy.  Stalin,  t.  IV,  p.  94. 
La  même  année  il  y  eut  des  insurrections  à  Schweinfurt.  —  Voy.  Liliencron, 
Volkslieder,  t.  III,  p.  120. 


45G         CAUSES    GÉNÉRALES    DE    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE. 

les  cercles  cultivés  de  la  ville.  Les  <•  peintres  impies  »,  eux  aussi, 
rejetaient  toute  autorité  temporelle  et  réclamaient  le  partage  des 
biens.  A  les  entendre,  tout  bourgeois  était  né  pour  commander, 
juger  et  punir  '. 


IV 


Au  reste,  les  agitateurs  révolutionnaires  avaient  peu  de  peine  à 
soulever  les  paysans,  cardans  les  campagnes  on  était  presque  aussi 
révolté  que  daus  les  villes  contre  Tordre  social  existant,  et  les  pré- 
textes aux  plaintes  ne  manquaient  guère. 

Bien  avant  l'introduction  du  droit  romain,  beaucoup  de  petits  sou- 
verains et  de  seigneurs  fonciers,  spirituels  et  temporels,  travaillaient 
à  établir  petit  à  petit  le  servage  parmi  les  nombreux  paysans  libres 
de  leurs  possessions,  et  cherchaient  sans  cesse  de  nouveaux  pré- 
textes pour  augmenter  toujours  les  dîmes  et  les  corvées.  Plus  le 
droit  chrétien  germanique  était  opprimé  par  le  droit  romain,  plus 
la  situation  du  '  pauvre  homme  -  empirait.  Avec  ses  anciens 
droits,  il  avait  perdu  son  antique  liberté.  Les  juristes  appliquant  à 
TAllemagne  les  lois  d'un  état  païen  basé  sur  Tesclavage,  avaient 
fourni  à  leurs  protecteurs  des  moyens  <  légaux  »  pour  dompter  une 
paysannerie  récalcitrante,  et  Tempécher  d'  «  empiéter  >;.  Us  avaient 
appris  aux  seigneurs  l'art  de  confisquer  les  biens  communaux,  de 
lever  de  nouveaux  impôts,  d'exiger  des  redevances  et  des  corvées 
nouvelles;  ils  avaient  restreint  les  droits  des  villageois  au  communal 
de  i.ois,  de  champs  et  de  pâturage,  et  avaient  été  jusqu'à  leur  retirer 
leur  droit  d'usage,  déjà  extrêmement  circon-crit.  Enfin  le  communal 
des  forêts  fut  mis  «  au  ban  »  par  les  cruelles  lois  de  chasse  nouvelle- 
ment établies.  La  chasse  fut  complètement  interdite  au  paysan.  De 
plus,  la  défense  d'abattre  le  trop  nombreux  gibier  réservé  pour  les 
chasses  seigneuriales,  même  lorsque  ce  gibier  ravageait  les  terres  des 
cultivateurs,  faisait  un  tort  incalculable  à  l'agriculture.  Plus  deve- 
naient exorbitantes  les  sommes  nécessitées  par  le  renouvellement  des 
engins  de  guerre  et  les  soldes  des  gens  de  guerre,  qui  remplaçaient 
peu  à  peu  l'ancienne  servitude  féodale,  plus  les  gouvernants  et  les 
potentats  menaient  une  vie  fastueuse  et  prodigue,  et  plus  aussi  le 
peuple  des  campagnes  était  accablé  d'impôts  et  de  vexations  toujours 

'  Voy.  JÖRG,  p.  142.  Lettre  de  l'abbé  Jean  de  Saint-Biaise  du  30  mai  1524,  dans 
Schreiber,  Bauernkrieg,  t.  1,  p.  1-2,  Glos  wtd  Comment.  Bl.  K.  —  Zim.mermaivn,  t.  II, 
p.  80.  —  Bi.iDER,  Beiträge,  t.  II,  p.  75-7".  —  Voy.  plus  haut,  p.  405-406. 


I 


CAUSKS    GliNÉRALES    DK    LA    KKVOLUTION    SOCIALE.         4j7 

plus  accablantes.  Ea  l.'>02,  les  Klecteurs  eux-mêmes  avouaient  que 
le  pauvre  homme  était  surchaific  de  servitudes,  de  tailles,  d'impôts, 
et  qu'il  élait  opprimé  par  les  tribunaux  ecclésiastiques  et  laïques 
d'une  manière  exorbitante  et  absolument  inique.  .Mais  parmi  tant  de 
calamités,  le  plus  grand  malheur  des  paysans,  c'ét;iit  de  n'avoir 
presque  plus  rien  à  voir  dans  leurs  propres  affaires.  Autrefois  ils 
avaient  eux-mêmes  géré  leurs  intérêts,  pris  part  aux  assises  popu- 
laires, aux  assemblées  des  communes,  des  districts  maintenant  le 
Code  romain  allait  jusqu'à  les  dépouiller  de  leur  droit  traditionnel, 
des  us  et  coutumes  si  nombreux  auxquels  ils  étaient  attachés  de 
cœur.  '  L'ancien,  le  simple  droit  »  était  proscrit,  étouffé  par  le 
«  droit  étranjjer  '-.  Aussi  le  peuple  ref^ardait-il  les  avocats,  «  ces 
plieurs  de  droit,  ces  coupeurs  de  bourse,  ces  sangsues  »,  comme  ses 
pires  ennemis;  il  les  détestait  plus  que  les  chevaliers  brigands;  il  les 
maudissait  plus  encore  que  les  guerres  privées  qui  dévastaient  son 
champ  et  incendiaient  sa  demeure.  Et  pourtant  le  vol  à  main  armée, 
les  maux  engendrés  par  les  guerres  privées  s'étaient  multipliés  à 
mesure  qu'avait  empiré  l'administration  de  la  justice,  et  les  lans- 
quenets qui  parcouraient  les  plaines  en  bandes  vagabondes  augmen- 
taient la  détresse  du  pauvre  paysan,  que  nul  ne  protégeait  plus  '. 

Telles  sont  les  causes  principales  des  si  nombreuses  insurrections 
de  la  fin  du  quinzième  siècle  et  du  commencement  du  seizième. 
«  Comment  n'y  aurait-il  point  d'émeutes?  ■■  lisons-nous  dans  une 
chronique  du  temps  (1524).  >'  Tandis  que  les  riches  seigneurs  et  les 

'  Voy.  notre  l""  vol.,  p.  454,  465-477.  —  Voy.  aussi  Glas,  und  Comment.  Bl.  K.  Le 
chanoine  de  Zurich,  Félix  Hemmerlin,  dans  son  dialogue,  qui  est  plein  de  partia- 
lité pour  la  noblesse,  fait  dire  à  un  jjentilhomine  que  le  proverbe  a  raison  qui 
assure  que  «rustica  gens  optima  tiens  ».  -  Il  serait  bon  •,  dit-ii,  ^  qu'à  certains 
intervalles,  environ  tous  les  cinquante  ans,  on  détruisit  le  l)ieu  et  la  maison  des 
paysans,  afin  d'empôcher  les  branches  orf^ueilleuses  de  pousser  de  trop  fiers 
rameaux.  «  Quand  il  rapporte  les  plaintes  des  paysans  sur  les  déprédations  hon- 
teuses de  la  noblesse  et  sur  les  infamies  des  juristes,  il  cite  leurs  paroles  en 
latin.  Indigné  des  actes  de  violence  des  princes  et  seigneurs,  le  paysan  souhaitait 
qu'il  n'y  eiUplus  de  chevaux  ni  de  mulets;  qu'il  n'y  eût  sur  la  terre  que  des  bes- 
tiaux el  des  bétes  de  labour.  =  Cela  suffirait  bien  pour  l'agriculture,  disnient-ils,  et 
la  paix  du  monde  y  gagnerait.  '  —  Voy.  Bezold,  i-'<e  «  armen  Leuten,  p.  11-18.  Wim- 
pheling,  dans  la  dédicace  de  son  Überblicks  über  die  Mainzer  Gesch.  à  l'archevêque 
Albert  (1515),  est  d'avis  que  l'arcbevêqu.^  devrait  veiller  «  ut  cum  incole  tum 
advene  tuto  per  terras  nostras  ambulent  nec  innocentissimi  quique  a  sicariis 
equitibus  contra  ratiouem  et  omnem  legem  inhumanissime  depredentur  et 
cum  forte  qui  se  ad  defendendum  parant,  jaculis  confodiantur,  uti  cuidam  pres- 
tanii  viro  ex  Marchia  illustrissimi  patris  tui  vel  ad  Cesarem  vel  ad  summum 
pontificem  equitaturo  miserabiliter  accidit.  Et  hi  tameu  latrones  pauperculum 
ac  stolidum  pro  exiguo  furto,  quo  rapina  ipsorum  longe  immanior  est,  ad 
laqueum  nonnumquam  judicare  soient.  Uiinara  germanici  proceres  et  équités 
haue  infamem  labern,  quam  de  ipsis  etiam.  Suitenses  et  ore  et  impressionibus 
predicant,a  se  tandem  abdicarent  :  sicut  in  toto  Francie  regno  terras  esse  tutis- 
simas  viatoresque  securissimos,  ex  pio  Guilhelmo  Argentinensi  episcopo...  in 
patria  mea  nuper  his  auribusaudivi.«  Bibliothèque  duchâteaud'Aschaffenbourg. 


i58 


CAUSES    GÉNÉRALES    DE    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE. 


paysans  enrichis  vivent  dans  le  bien-être,  se  délectent,  se  noient 
dans  les  plaisirs,  le  pauvre  homme  est  plongé  dans  la  détresse  par 
les  mauvaises  récoltes,  renchérissemenî,  les  reitres,  les  chevaliers 
brigands,  les  avocats  et  autres  misérables.  L'émeute  est  facilement 
soulevée,  les  séditieux  et  les  agitateurs  sont  avidement  écoutés  parmi 
cette  population  misérable  qui,  ne  distinguant  plus  ce  qui  est  légi- 
time de  ce  qui  est  coupable,  est  si  naturellement  tentée  de  secouer  le 
joug,  de  se  débarrasser  de  toute  autorité,  de  toute  charge,  et  se  dit 
avec  raison  qu'il  serait  bien  juste  de  lui  faire  payer  de  moindres 
redevances  qu'à  ses  pères.  Voilà  comment  l'insurrection  éclate  eu 
beaucoup  d'endroits,  et  elle  deviendra  encore  bien  autrement  fré- 
quente, si  Dieu  n'a  pitié  de  nous  '.  » 

En  l'espace  de  quelques  mois  l'insurrection  était  partout.' 

A  partir  du  mois  de  juillet  1524,  la  révolution  sociale  «  se  pro- 
pagea comme  un  incendie,  de  ville  en  ville,  de  village  en  village  ». 

D'abord  circonscrite  sur  la  lisière  de  la  Suisse,  de  la  forêt  Noire 
au  lac  de  Constance,  elle  se  propagea  rapidement  dans  tout  le  ter- 
ritoire situé  entre  le  Danube,  le  Lech  et  le  lac  de  Constance;  de 
là,  elle  se  répandit  en  Alsace,  dans  le  Palatinat,  le  Rheingau,  la  Fran- 
conie.  la  Thuringe,  la  Hesse,  la  Saxe  et  le  duché  de  Brunswick.  Au 
sud,  elle  atteijjnit  le  Tyrol,  l'archevêché  de  Salzbourg,  les  duchés  de 
Styrie,  de  Carinthie  et  de  Carniole.  La  Bavière  seule  resta  paisible, 
et  les  révolutionnaires  n'y  purent  avoir  d'influence,  car  le  pouvoir 
était  entre  des  mains  énergiques  et  sages. 

Il  vint  un  moment  où  l'on  put  croire  que,  clans  les  pays  allemands, 
«  tout  ce  qui  jadis  avait  été  en  haut  venait  de  couler  à  fond,  et  qu'il 
n'y  avait  plus  aucun  moyen  d'échapper  à  la  domination  de  la  popu- 
lace* ». 

'  Vermanunj  an  crisllich  Oherkeil  und  alle  Cristen  in  gemein.  Sans  indication  de  lieu. 
1524. 

^  *  Écrivait  Clément  Endres,  le  18  avril  1525,  Trierische  Sachen  und  Briefschaften, 

loi.  89. 


CHAPITRE   111 

CAllACTÈRES    GI-N'ÉHAUX    DE    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE. 


La  révolution  qui  venait  d'éclater  renfermait  les  éléments  les  plus 
disparates  et  lormiilait  les  prél entions  les  plus  variées. 

«  Un  (jrand  nombre  d'insurgés  ';,  écrit  un  contemporain,  «  se  bor- 
naient à  revendiquer  le  droit  communal,  le  rétablissement  de  leur 
antique  système  judiciaire,  la  remise  en  vigueur  de  leurs  anciens 
usages,  rallégemenl  des  charges  et  des  corvées;  d'autres  refu- 
saient nettement  toute  servitude  et  entendaient  commander  à  leur 
tour.  Quelques-uns  ne  voulaient  obéir  ni  aux  princes  ecclésias- 
liques,  ni  aux  seigneurs  temporels,  et  disaient  ne  dépendre  que  de 
l'Empereur.  Mais  la  grande  majorité  des  révoltés  et  des  incendiaires 
voulait,  avant  tout,  partager  avec  les  riches  argent,  propriétés, 
privilèges,  champs,  forets  et  pâturages,  car,  disaient-ils,  d'après  la 
sainte  Écriture,  les  biens  de  la  terre  appartiennent  à  tous,  et  il  ne 
doit  point  y  avoir  de  distinction  entre  les  hommes.  De  par  le  droit 
divin,  nous  sommes  tous  égaux  devant  Dieu.  "  Sur  ce  point,  les 
déclassés,  les  dépossédés  des  campagnes  étaient  entièremeut  d'accord 
avec  les  insurgés  des  villes.  Les  nombreux  agitateurs  qui  s'offraient 
pour  les  diriger,  prêtres  apostats,  moines  échappés  de  leurs  cou- 
vents, nobles  dissolus,  avocats  et  greffiers  sans  ressource,  soudards, 
compagnons  ouvriers,  aubergistes  ruinés  et  autres  gens  déclassés, 
n'étaient  occupés  qu'à  mettre  le  feu  aux  poudres  et  à  exciter  toutes 
les  convoitises'.  Éberlin  de  GQnzbourg  résumait  dans  ces  courtes 
paroles  le  but  avoué  de  la  révolte  :  '  La  richesse  pour  les  pauvres,  la 
domination  pour  les  sujets,  l'égalité  pour  tous*.  " 

'  Contra  M.  Lulherum  et  Luiheranismifaulores,  fol.  15. 

-  Voy.  U[GGE\BACH,  p.  243.  «  Et  cependant  »,  disait  Eberlin,  >  rég.ilité  est  une  ir- 
réalisable utopie.  Car  même  si  l'on  mettait  en  commun  tous  les  biens  de  la  terre, 
les  yens  dissolus,  les  joueurs,  les  débauchés  ne  laisseraient  pas  longtemps  la 
chose  en  même  état,  ils  dissiperaient  leur  part,  et  réclameraient  ensuite  un  nou- 
veau partage.  Or  les  autres  ne  voudraient  pas  y  consentir,  et  se  verraient  bien 


460  TENDANCES  COMMUNISTES  DE  LA  REVOLUTION   SOCIALE. 

Les  interrogatoires  des  chefs  d'insurgés  après  leur  défaite,  inter- 
rogatoires dont  un  grand  nombre  nous  ont  été  conservés,  prouvent 
clairement  que,  par  le  renversement  de  tout  droit,  de  tout  ordre  so- 
cial, les  rebelles  espéraient  obtenir  l'égalité  et  la  fraternité  parfaites. 

Thomas  Münzer  avouait  sans  détour  que  lui  et  ses  compagnons 
n'avaient  entrepris  la  guerre  que  dans  le  dessein  -  de  mettre  en 
commun  tous  les  biens  de  la  terre  '  ".  Jean  Laue,  l'ex-grand  maître 
de  l'Ordre  Teutonique,  prêchait  publiquement  à  Mulhausen  «  qu'il 
fallait  sortir  des  coffres  l'argent,  cette  idole  des  riches  bourgeois, 
parce  que  tous  les  biens  étaient  communs^  - . 

En  Alsace,  le  révolutionnaire  WoIfGerstenwell  avouait  que  le  prin- 
cipal motif  de  son  entreprise  et  de  celle  de  ses  compagnons,  c'était 
le  partage  des  biens;  dès  leur  entrée  à  Saverne,  ils  s'étaient  proposé 
de  mettre  la  main  sur  les  propriétés  des  riches.  C'était  au  tour  de 
ceux-ci  à  souffrir  la  misère  tandis  que  les  pauvres  jouiraient  de  la 
fortune.  De  plus,  ils  voulaient  renverser  toute  autorité  et  devenir 
les  maîtres.  Les  chefs  des  paysans  révoltés  de  Rappoltswiller  firent 
les  mêmes  aveux  ^ 

Simon  de  Weiersheim  et  ses  compagnons  confessèrent  en  présence 
de  sept  témoins  que  non-seulement  leur  intention  avait  été  «  de 
partager  entre  eux  tous  les  biens  communaux  et  d'établir  l'égalité  de 
biens  entre  riches  et  pauvres  ),  mais  qu'ils  avaient  juré  d'exterminer 
et  de  proscrire  les  seigneurs,  les  nobles  et  les  prêtres,  et  de  se  par- 
tager leurs  biens.  «  Étant  pauvre  ",  disait  ouvertement  Georges 
Voltz,  "  je  me  promis  de  devenir  riche  par  ce  moyen*.  " 

vite  exposés  à  être  dépouillés,  à  perdre  la  vie  et  les  biens  comme  ceux  dont  ils 
auraient  auparavant  partayé  les  dépouilles,  de  sorte  que  ces  avides  tyrans,  après 
s'être  jelés  d'abord  sur  les  seigneurs,  ne  tarderaient  pas  à  se  dévorer  ensuite 
les  uns  les  autres.  " 

'  Voy.  plus  haut,  p.  393. 

'  Voy.  Seidemann,  Beiträge,  t.  XI,  p.  382,  et  Mûhlhauser  Chronik.,  p.  393. 
^  Voy.  Schreiber,  Bauernkrieg,  t.  Il,  p.  195-196.  — Jörg,  p.  293.  Dans  une  chan- 
son populaire  du  temps,  on  lit  : 

La  bande  des  ruitres  est  tout  enflée  d'orgueil, 

Les  psysans  veulent  s'unir,  se  liguer, 

Oui,  pour  aller  en  enfer! 

I!s  prétendent  ^tre  les  seuls  maîtres, 

lis  veulent  partager  tous  les  biens. 

LlLIENCRON,  t.  III,  p.  497. 

*  Voy.  JÖRO,  p.  292.  —  Schreiber,  Bauernkrieg,  t.  II,  p.  197-198.  —  «  On  trouTC 
toute  une  série  de  ces  aveux  dans  les  archives  de  Strasbourg»,  dit  l'édi- 
teur. A  propos  de  l'émeute  du  Tyrol,  l'archiduc  Ferdinand  écrivait  le  22  mai 
1525  «  que  ces  séditions  et  révoltes  ne  provenaient  que  de  quelques  individus,  gens  ayant  • 
peu  ou  rien  à  perdre  •.  Dans  la  «  Défense  et  articles  de  protestation  de  la  ville  de 
Botzen  >  où  la  cité  cherche  à  se  disculper  d'avoir  laissé  piller  la  maison  des 
chevaliers  de  l'Ordre  Teutonique,  on  lit  «  quau  moment  de  l'émeute,  la  ville 
était  pleine  d'étrangers,  d'hommes  et  de  femmes,  qui  espéraient  voir  durer  le 
pillage  et  avaient  même  apporté  des  sacs  avec  eux  dans  l'espoir  d'avoir  du  bon 
butin  à  y  mettre  ».  —  Voy.  Grelter,  p.  41. 


TENDANCES  COMMUNISTES   DE  LA  RÉVOLUTION  SOCIALE.  461 

Ce  furent  ces  mêmes  convoitises,  ces  mêmes  aspirations  commu- 
nistes qui,  dans  rcvêclic  de  Bambergs,  armèrent  le  prolétariat  des 
villes,  dont  un  barbier  avait  pris  le  commandoinent.  La  populace 
disait  hautement  qu'il  fallait  assommer  les  «  honorables  > ,  les  nobles, 
les  moines  et  les  prêtres.  Le  barbier  Hans  Harllieb  '  de  la  rue 
longue  »,  le  plus  ardent  de  tous,  prétendait  tout  réformer  «  d'après 
l'Kvangile  »,  et  comme  il  le  disait,  «  tout  niveler'  ». 

Aux  environs  de  Wurzbourg,  les  paysans  déclaraient  nettement 
«  que  les  hommes  étant  tous  frères,  ils  entendaient  que  la  chose  fût 
reconnue  dans  la  pratique  »,  et  que  le  riche  partageât  avec  le 
pauvre,  surtout  ceux  qui  avaient  acquis  leur  fortune  dans  les  affaires 
du  commerce,  ou  qui  se  l'étaient  procurée  aux  dépens  du  pauvre 
homme  ^  A  Rothenbourg  sur  la  Tauber,  les  émeutiers  faisaient  con- 
sister la  «  doctrine  de  l'amour  fraternel  chrétien  »  dans  le  partage 
des  biens,  l'abolition  de  toute  autorité  et  souveraineté,  et  dans  l'éga- 
lité parfaite  des  fortunes,  l'out  chrétien  devait  être  disposé  à  prêter; 
mais  bien  loin  de  songer  à  réclamer  le  remboursement  d'une  dette, 
il  devait  attendre  que  le  remboursement  se  fit  de  lui-même'. 

Des  aveux  des  chefs  révolutionnaires  de  l'Algau,  il  ressort  qu'ils 
avaient  résolu  de  massacrer  tous  les  chefs  ecclésiastiques  et  tempo- 
rels. Les  paysans  insurgés  de  Franconie  entrèrent  en  campagne  avec 
l'idée  arrf'-tée  d'extirper  entièrement  la  race  des  princes  et  des 
nobles,  et  de  brûler  tous  les  châteaux*. 

Les  plus  modérés  voulaient  que  chacun  étant  désormais  dûment 
instruit  du  nouvel  Évangile,  l'année  jubilaire  ordonnée  par  Moise  fût 
rétablie,  toutes  les  dettes  annulées,  et  que  les  biens  aliénés  par  suite 
d'obligations  précédemment  contractées  revinssent  à  leurs  premiers 
propriétaires.  Ils  réclamaient  en  outre  la  complète  indépendance  des 
colons  fermiers. 

Or  si  l'on  eût  donné  droit  à  de  pareilles  réclamations,  l'existence 
même  de  la  bourgeoisie  eût  été  en  question. 

Luther  s'était  montré  favorable  au  rétablissement  de  l'année  jubi- 
laire ^  Aussi  à  Eisenach,  le  prédicant  Strauss  la  déclarait-il  d'insti- 
tution divine,  disant  qu'indubitablement  tous  les  chrétiens  y  étaient 
obligés.  Selon  lui,  on  n'était  pas  forcé  de  payerles  impôts,  mêmelorsque 
l'autorité  commandait.  La  tyrannie  régnait  partout,  mais  le  temps  de 

'  Voy.  JÖRG,  p.  293-294. 

*  Laurent  Fries,  Bauernkrieg,  p.  299.  A  Munster,  en  Westphalie,  les  paysans 
disaient  hautement  qu'ils  ne  souffriraient  pas  que  les  riches  aient  plus  de 
2,000  florins  de  fortune  par  individu.  A  Cologne,  «  ils  menaçaient  de  faire  une 
descente  chez  les  riches  bourgeois  •.  —  Cornelius,  Münsicrischen  Aufruhr,  t.  L  p.  9. 

'  Voy.  Bensen,  p.  78. 

*  Voy.  JÖRG,  p.  295,  298. 

*  Voy.  plus  haut,  p.  404. 


462  CHEFS    REVOLUTIONNAIRES. 

la  vengeance  était  proche.  Le  pauvre  était  contraint  de  payer  la 
dime  lorsque  sa  femme  et  ses  enfants  souffraient  de  la  faim  et  de  la 
misère.  Plus  d'une  pauvre  femme  enceinte,  à  force  de  trembler  pour 
son  mari,  se  voyait  privée  de  l'espoir  d'être  mère,  parce  que  le 
pauvre  travailleur  ne  parvenant  point  à  payer  ses  dettes  ä  la  suite 
d'une  mauvaise  récolte  ou  de  tout  autre  désastre,  avait  été  jeté  en 
prison,  et  tellement  tourmenté  que  cela  criait  vengeance  au  ciel. 
"  Et  très-certainement,  cette  vengeance  sera  prompte  %  ajoutait 
Strauss;  «  mais  les  gros  bonnets  ne  pensent  guère  à  cela!  la  parole 
et  la  loi  de  Dieu  les  laissent  fort  indifférents;  ils  croient  faire  bien 
assez  en  employant  une  partie  de  l'argent  qu'ils  ont  extorqué  à  leurs 
pauvres  sujets  au  culte  des  idoles,  aux  joujoux  d'église!  Les  moines 
les  engagent  à  faire  ainsi  pénitence,  et  en  profitent  pour  se  remplir 
le  ventre!  Ils  se  persuadent  qu'ainsi  ils  iront  tous  ensemble  au  ciel, 
dût  le  diable  les  y  porter  '.  «  Le  prédicaut  Mantel  disait  en  pleine 
chaire  aux  paysans  du  Wurtemberg  :  «  O  mes  chers  frères,  ô  pauvres 
chrétiens  pieux,  si  les  années  jubilaires  arrivaient,  quel  bon  temps 
commencerait  pour  vous  ^!  " 

Du  reste,  ces  désirs  de  destruction  radicale,  ces  appétits  de  vol  et 
de  pillage  s'expliquent  amplement  lorsqu'on  étudie  le  caractère  de 
la  plupart  des  chefs  révolutionnaires. 

Les  révoltés  de  l'Odenwald  étaient  sous  la  conduite  d'un  auber- 
giste dépravé,  Georges  Metzler,  qui  avait  passé  la  plus  grande  partie 
de  sa  vie  dans  le  jeu  et  la  débauche,  et  voyait  dans  l'émeute  un 
moyen  d'échapper  aux  châtiments  qu'il  avait  justement  mérités.  Les 
insurgés  d'OEliringeu  agissaient  sous  l'impulsion  du  boucher  Nicolas 
Salb,  qui,  dévoré  d'ambition,  espérait  devenir  quelque  chose  dans  la 
tourmente.  A  la  tête  des  bandes  du  Neckar,  Jacques  Rohrbach,  être 
farouche,  redouté  dans  tous  les  environs  depuis  qu'il  avait  assassiné 
les  maires  de  Böckingen,  =  ne  désirait  autre  chose  que  la  liberté  de 
ne  pas  payer  ses  dettes^  >.  «  Moi,  je  n'ai  qu'une  devise  ",  répétait-il 
souvent  :  ^  Brûler,  saccagera  »  Dans  l'évêché  de  Wurzbourg,  c'était 
aussi  parmi  les  mauvais  sujets  à  qui  leur  vie  désordonnée  avait  fait 
perdre  l'estime  et  la  confiance  de  tous  que  le  peuple  allait  chercher 
ses  guides.  Son  principal  oracle  était  Hans  Bermeter,  «  h;ibile  joueur 
de  fifre  et  de  violon,  qui  s'exprimait  avec  une  certaine  éloquence,  mais 
dont  la  conduite  avait  toujours  été  dissolue;  sa  tenue  était  débraillée, 
et  beaucoup  refusaient  de  frayer  avec  lui,  parce  qu'il  avait  été  mis 

'  Voy.  la  brochure  publipe  par  lui  en  1524  :  Das  Wucher  zu  nehmen  und  geben 
unserem  christlichen  Glauben  entgegen  ist.  Bl.  C'*. —  Voy.  IIagen,  t.  11,  p.  322.  —  WlSKE- 
MA>\,  p.  96. 

-  Sattler,  IVürlemberg.  Gesch.  unter  den  Herzogen,  t.  II,  p.   105. 

3  Voy.  Bensen,  p.  108,  116,  120. 

•*  *  D'après  un  renseignement  fourni  par  Senckenberg,  .icta  et  Pacta,  fol.  507. 


CHEFS    REVOLUTIONNAIRES.  463 

jadis  au  cachot  pour  cause  de  vol.  Dès  qu  il  avisait  dans  un  quartier 
isolé  de  la  ville,  dans  quelque  ruelle  ou  maison  l)or{;ue,  un  individu 
de  son  espèce,  ami  du  désordre,  mauvais  drôle,  ayant  comme  lui 
dépensé  ce  qui  lui  appartenait  et  convoilant  pour  ceflo  raison  le  bien 
d'autrui,  c'est  à  celui-là  qu'il  s'associait.  "  «  11  injuriait  l'autorité, 
portait  aux  nues  la  liberté,  et  enseijjnait  à  ses  auditeurs  le  moyen  de 
se  débarrasser  promptement  de  toutes  les  charges  et  d'arriver  à  la 
richesse'.  "  Le  che!"  des  rebelles  de  lîainber(j,  Ulrich  de  Peignitz, 
:  était  toujours  pris  de  vin  >'.  Ses  mœurs  étaient  corrompues;  «  il 
était  de  ceux  qui  ne  sont  misérables  que  pour  avoir  dissipé  tout 
ce  qui  leur  appartient  «.  Le  second  chef  de  bande  de  Bamberg 
"  était  connu  de  tous  pour  un  voleur.  Il  s'immisçait  dans  toutes  les 
querelles;  son  pauvre  vieux  père  était  mal  nourri  et  sans  le  sou.  ■  Le 
troisième  >-  avait  bien  excité  cent  émeutes  dans  le  cours  de  son  exis- 
tence, et  ne  voulait,  disait-il,  reconnaître  d'autre  maître  que  Dieu.  Il 
avait  commis  plus  d'un  larcin,  plus  d'un  meurtre,  et  ne  songeait  qu'à 
boire  ^  »  Au  camp  des  paysans  de  Bayreuth,  près  de  Gesess,  les  révoltés 
obéissaient  à  Ilaus  Lorenz,  ivrogne  par  état,  qui  présidait  leur  con- 
seil de  guerre  «  et  disait  s'êlre  voué  à  la  cause  de  l'Evangile  et  de  la 
justice  ' .  Ils  reconnaissaient  aussi  pour  chef  un  gentilhomme  ruiné, 
devant  lequel  ils  portaient  la  bannière,  et  qui  était  connu  dans  tout  le 
pays  pour  un  assassin  et  unbrijjand  de  grand  chemina  Dans  le  haut 
Algau,  Conrad  Wirt  avait,  de  son  propre  aveu,  commis  trente 
vols  -,  et  de  par  ordonnance  de  justice  n'avait  plus  le  droit  de  porter 
des  armes  ^  A  Langensalza,  le  savetier  Melchior  Wigand,  chef  des 
révoltés,  avait  été  autrefois  soldat,  et  depuis  avait  mené  une  vie 
d'aventures  et  de  désordre.  --  C'est  moi  qui  ai  mis  tout  en  branle!  >^ 
s'ccria-t-il  au  moment  où  le  toscin  se  faisait  entendre  et  où  le  peuple 
s'attroupait.  «  J'ai  eu  bien  de  la  peine  à  y  parvenir,  car  dans  un  tel 
jeu  il  y  va  de  la  tète!  Les  bandes  de  paysans  qui  s'unirent  à  la 
populace  de  Langensalza  pour  détruire  les  couvents  et  les  châteaux 
étaient  conduites  par  Albert  .Menge,  qui,  selon  les  besoins  de  sa 
cause,  se  donnait  tour  à  tour  pour  un  médecin  français,  un  barbier 
ou  un  tondeur  de  drap^    . 

Le  prolétariat  des  villes,  les  paysans,  les  nobles  s'étaient  simulta- 
nément soulevés  contre  tout  l'ordre  existant,  et  c'est  ce  dangereux 
accord  qui  rendit  la  révolution  si  terrible. 

Elle  recruta   aussi    de  chauds   apôtres  parmi  le  bas  clergé.  Le 


'  Laurent  Fries,  Bauenihrieg ,  p.  61-63. 

-  Voy.  JÖRG,  p.  202. 

'  Voy.  JÖRG,  p.  204. 

^  Voy.  J<iRG,  p.  206-207. 

'  Pour  plus  de  détails,  voy.  Seidem\>x,  Beiträge,  t.  X[,  p.  513-527. 


464  CHEFS    REVOLUTIONNAIRES. 

«  pauvre  homme  du  sacerdoce  "  espérait,  tout  aussi  bien  que  celui 
du  peuple,  tirer  bon  parti  de  Témeute.  Depuis  longtemps  déjà  il 
regardait  d'un  œil  d'envie  les  riches  abbayes  et  les  couvents,  et 
nourrissait  un  secret  ressentiment  contre  les  seigneurs  '  haute- 
ment nés  »  qui  gouvernaient  les  évèchés  et  les  chapitres,  possé- 
daient de  si  gros  revenus  et  souvent  de  si  nombreux  bénéfices. 
«  11  comparait  leur  sort  au  sien;  en  dehors  de  la  dime  et  d'un 
casuel  très-incertain,  il  n'avait  rien,  et  comme  à  la  suite  des  inno- 
vations religieuses,  ces  dîmes  et  ces  casuels  étaient  de  plus  en  plus 
maigres,  la  pénurie  du  curé,  du  pauvre  vicaire  de  village,  devenait 
tous  les  jours  plus  grande.  Beaucoup  se  faisaient  évangélistes 
faute  d'avoir  de  quoi  manger;  d'autres  se  laissaient  tenter  par 
l'espoir  de  faire  bombance,  de  ravager  les  couvents,  les  châteaux, 
et  de  rapporter  chez  eux  un  bon  butin  évangélique.  Mais  on  n'a 
jamais  ouï  dire  que  leur  conduite  ait  été  dans  la  suite  véritablement 
évangélique!  ' 

Le  prêtre  de  village  était  mécontent, 

Il  n'avait  guère  de  quoi  mordre! 

La  misère  était  tout  son  horizon. 

Aussi,  lorsque  arriva  la  guerre, 

11  saisit  ses  armes,  son  armure, 

Et  résolut  de  défendre  l'Éviingile 

Et  de  soulever  pour  la  foi  le  monde  entier! 

Mais  au  fond  il  ne  désirait  que  prendre  femme 

Et  s'affranchir  de  toute  loi  '. 

«  Les  suborneurs  de  paysans,  ces  prêtres  qui  commandent  les 
bandes  révoltées  ",  écrivait  l'humaniste  Beatus  Rhenanus  à  un  ami, 
«  mériteraient  d'être  proscrits  dans  des  lies  lointaines  et  désertes,  car 
ils  ne  respirent  qu'émeute,  pillage,  haine  de  l'autorité  ^  » 

Mais  les  principes  révolutionnaires  trouvaient  surfout  d'ardents 
apôtres  parmi  les  «  prêtres  évangéliques  »  des  campagnes.  Beau- 
coup, il  est  vrai,  avaient  suivi  malgré  eux  les  hordes  insurgées;  mais 
beaucoup  aussi,  de  leur  propre  mouvement,  se  faisaient  aumô- 
niers militaires,  conseillers,  chanceliers,  capitaines  des  rebelles. 
D'autres  prêchaient  ouvertement  la  révolte  aux  paysans  de  leurs 
villages.  Dès  qu'ils  avaient  quitté  l'Église,  ils  commençaient  par  abolir 

1  *  Tiré  de  la  source  citée  plus  haut,  p.  440,  note  1. 

^  A.  HOKkwnz,  ßealus  Rhenanus,  ein  bibliographischer  Versuch,  dans  les  Sitzungshe- 
richten  der  Wiener  Académie  Philos,  hislor.  Classe  (1872),  t.  LXX,  p.  255.  Au  début,  Rhe- 
nanus  s'était  déclaré  pour  Luther,  dont  il  attendait  la  réforme  intérieure  de  l'Église 
(p.  224-233).  Après  les  horreurs  de  la  guerre  des  paysans,  il  revint  à  la  foi  catho- 
lique. Dans  une  lettre  au  caidinal  Bernard  de  Trente,  il  gémit  de  voir  «  la  paix 
de  l'Église  presque  entièrement  ruinée  par  les  querelles  impies  de  certaines 
gens  '  (p.  233-237J. 


CHKtS    REVOLUTIONNAIRES.  465 

la  messe  et  prendre  femme.  C'élail  la,  infailliblement,  le  premier 
i'ruil  de  leur  apostasie;  ensuite  ils  venaient  se  joindre  aux  révoltés. 
Dans  le  seul  petit  domaine  du  pi'ince-abbé  de  Kempten,  nous  voyons 
neuf  prêtres  prendre  part  à  l'émeute  ou  accusés  de  l'avoir  soulevée; 
plus  nombreux  encore  sont  les  curés  révolutionnaires  du  Tjrol.  Dans 
les  principautés  du  mar^jravc  Casimir  de  Brandebourjj,  les  prêtres 
«  ont  la  main  dans  toutes  les  insurrections  -i.  Ce  sont  des  prêtres, 
armés  de  toutes  pièces,  qui  marchent  avec  les  révoltés  contre  Tévêque 
d'Augsbourg  lorsque  celui-ci  se  décide  â  venir  en  personne  inviter 
les  paysans  de  Kaufbeuern  et  de  Füssen  à  rentrer  dans  l'ordre.  Dans 
les  environs  d'Eichstädt,  plusieurs  prêtres  apostats  sont  à  la  tête  des 
paysans',  dont  l'armée  se  compose  en  grande  partie  de  gens  sans 
aveu,  de  filous,  de  domestiques  honteusement  chassés  par  leurs 
maîtres,  de  joueurs,  de  paysans  sans  feu  ni  lieu,  de  bourgeois  dé- 
pravés, de  vagabonds,  d'étameurs  ambulants,  de  goujats,  de  déser- 
teurs, de  soudards,  de  musiciens  et  de  tondeurs  de  haies  *. 

'  Pour  plus  de  détails  sur  l'attitude  du  bas  clergé  pendant  la  révolte  des  pay- 
sans, voy.  JoKG,  p.  191-200.  Le  chevalier  Georges  de  Werdenstein  dit  dans  sa 
Chronique  sur  la  guerre  des  paysans  :  ^  Quelques  prédicants  se  sont  mis  en  avant  dans 
de  semblables  émeutes;  c'étaient  des  moines  échappés  de  leurs  couvents,  des 
prêtres  apostats,  dépravés,  nayaiit  plus  rien  à  perdre,  et  qui,  pour  essayer  de 
se  relever,  avaient  embrassé  le  luthéranisme  ou  adhéré  à  des  doctrines  bizarres. 
Dans  presque  tous  leurs  sermons  ils  excitaient  le  peuple  contre  les  autorités; 
enfin  la  chose  alla  si  loin  que  les  paysans  chassèrent  leurs  anciens  prêtres,  pieux 
et  bons,  et  prirent  ces  misérables  pour  leurs  pasteurs  et  prédicants.  Bientôt  ils 
refusèrent  de  payer  aux  seigneurs  redevances,  dîmes  ou  impôts;  ils  devinrent 
séditieux,  ils  s'emparèrent  des  châteaux,  des  couvents  pour  les  piller  ou  les 
brûler;  ils  ont  indignement  persécuté  le  clergé  et  les  autorités;  dans  cet 
intervalle  beaucoup  de  doctrines  singulières  s'introduisirent  dans  les  villes  et 
les  villages,  et  les  luthériens  commencèrent  à  faire  de  grands  changements 
dans  la  religion,  niant  que  la  mes^se  fiU  un  sacrifice,  enseignant  le  peuple 
touchant  la  foi  comme  si  auparavant  on  n'en  avait  jamais  eu!  Loin  de  nous  une 
pareille  pensée!  Jadis  on  vivait  plus  chrétiennement,  plus  fraternellement  et 
cordialement  que  de  notre  temps.  Les  prédicants  avaient  l'Évangile  sur  les 
lèvres,  mais  ils  ne  s'en  servaient  que  pour  couvrir  leur  perversité.  Beaucoup 
parlaient  de  l'Esprit  de  Dieu,  mais  peu  priaient  d'après  son  inspiration.  Ils  ont 
réhabilité  la  chair  :  voilà  leur  œuvre;  mais  quant  à  la  dévotion,  à  la  discipline, 
à  la  chasteté  et  aux  autres  vertus,  ils  les  ont  balayées  et  les  ont  remplacées 
par  l'envie,  le  scandale,  les  vices  de  tous  genres.  Ils  se  sont  arrogé  le  droit 
d'abolir  les  usages  de  l'Église,  comme  si  jamais  ces  usages  avaient  fait  quelque 
tort  aux  hommes  !  A  Dieu  ne  plaise  !  D'autres  comme  Carlstadt  en  Souabe. 
Zwingle  à  Zurich,  OEcolampade  à  Bàle,  etc.,  ont  blasphémé  le  Très-Saint  Sacre- 
ment de  l'autel,  ne  voulant  voir  en  l'Eucharistie  qu'un  pain  ordinaire;  sur 
cette  question  les  luthériens  et  eux  ont  éuiis  quantité  d'opinions  contradic- 
toires; maintenant  l'un  disait  ceci,  demain  l'autre  disait  cela,  et  ainsi  ils  ont 
répandu  poison  sur  poison.  Dieu  veuille  les  convertir!  •  —  Voy.  Bacmxxn, 
Quellen,  p.  479-480. 

'  .IÖHG,  p.  222. 


30 


466  L'ARMEE    REVOLUTIONNAIRE- 


II 


Tel  était  en  général  le  personnel  de  ce  qu'on  a  appelé  T"  armée 
des  paysans  ".  Mais  on  y  rencontrait  aussi,  dit  un  écrivain  con- 
temporain, «  beaucoup  de  braves  villageois  à  leur  aise.  Si  tu  me 
demandes  comment  cela  se  pouvait  faire,  je  vais  te  l'expliquer  :  Les 
vauriens  d'un  village,  ceux  qui  n'avaient  rien  à  risquer,  commençaient 
par  s'attrouper,  sonnaient  le  tocsin,  et  ne  tardaient  pas  à  incendier, 
à  piller;  l'effroi  se  répandait  alors  parmi  les  paysans  des  alentours. 
D'aucun  côté  ils  ne  pouvaient  espérer  du  secours,  car  dans  les  villes 
il  en  allait  de  même;  là  aussi  les  méchants  garnements  jetaient 
l'épouvante  parmi  les  bourgeois.  Mais  l'insurrection  avait  un 
caractère  plus  effrayant  dans  les  villages,  oii  beaucoup  de  gens 
dépravés  des  villes  avaient  réussi  à  exaspérer  les  ressentiments  des 
paysans.  La  bande  perverse  et  dissolue  en  venait  donc  à  contraindre 
les  bons  et  ceux  qui  avaient  quelque  avoir,  menaçant  de  tout  incen- 
dier si  l'on  refusait  de  se  joindre  à  elle,  et  même  d'assommer  tout 
récalcitrant.  Ils  mettaient  un  poteau  devant  la  demeure  de  celui  qui 
leur  fermait  sa  porte,  et  c'était  une  manière  de  les  désigner  à  la  ven- 
geance des  leurs;  ils  couraient  ensuite  dans  les  maisons  voisines  et 
s'emparaient  des  armes  et  des  piques.  La  jeunesse  surtout  se  livrait 
avec  fougue  à  toutes  sortes  d'excès.  A  la  fin,  les  bien  intentionnés 
étaient  obligés  de  céder,  de  sorte  que  l'armée  grossissait  de  jour  en 
jour'.  ') 

C'est  par  ces  "  moyens  d'intimidation,  ces  pillages,  ces  incen- 
dies ",  que  les  chefs  de  la  révolte  contraignaient  à  les  suivre  ceux 
mêmes  qui  détestaient  le  plus  leur  entreprise.  Nous  lisons  dans  une 
relation  écrite  à  Constance  :  «  Les  paysans  s'assemblent  dans  les 
campagnes.  Bien  que  leur  entreprise  répugne  aux  bons,  et  qu'ils 
déplorent  ce  qui  se  passe,  les  jeunes  gars  et  ceux  qui  n'ont  plus 
rien  à  perdre  font  tant  et  si  bien  que  les  honnêtes  gens,  même  les 
meilleurs,  sont  contraints  de  suivre  l'élan  donné;  sans  cela  les  révol- 
tés mettent  un  poteau  devant  leurs  maisons,  et  leur  déclarent  que 
s'ils  s'abstiennent  et  refusent  de  payer  une  sorte  de  rançon,  ils  les 
feront  assommer,  ou  bien  que  le  premier  insurgé  qui  les  rencontrera 
leur  passera  sa  pique  au  travers  du  corps,  sans  que  le  meurtrier  soit 
exposé  pour  cette  action  au  moindre  châtiment  ^  "  L'auteur  de  la 

'  *  SeNCKENBERG,  Acta  und  Pacta,  fol.  506. 

*  SCHULTHEISS,  Constanzer  Colleclaneen,  dans  Baumann,  Quellen,  p.  519. 


L'ARMEL    KKVOr^UTIONXAIRE.  467 

Chronique  de  Biberack  dit  aussi  :  -  Dès  qu'un  paysan  refuse  de  faire 
partie  de  la  <  Fraternité  ,  les  rebelles  plantent  un  poteau  devant  sa 
maison,  et  cela  signifie  qu'ils  se  disposent  à  piller  tout  ce  que  possède 
son  propriétaire,  à  moins  que  celui-ci  ne  consente  à  payer  une  bonne 
somme'.  '  «  Une  horde  s'entendait  avec  l'autre  «,  écrit  un  chroni- 
queur de  Weissenhorn;  celui  qui  refusait  de  suivre  les  insurgés 
était  menacé  d'incendie,  de  pillage,  et  d'être  exclu  de  la  commune*.  ' 
Une  chronique  de  Kempten  rapporte  les  mêmes  faits:  «  Celui  qui  ne 
voulait  pas  prendre  part  à  l'insurrection,  on  l'y  coniraignait.  (Uiel- 
ques-uns,  pour  obtenir  la  permission  de  rester  chez  eux,  devaient 
payer  rançon,  sans  cela  les  insurgés  mettaient  le  poteau  devant  sa 
porte  ^  ••  Le  chef  des  bandes  du  haut  Algau,  Knopf  von  Luibas,  au- 
trefois domestique  chez  un  blanchisseur  de  Kempten,  avoua  dans  son 
interrogatoire  que  ses  compagnons  et  lui  avaient  décrété  que  qui- 
conque refuserait  de  se  joindre  à  la  Fraternité  et  de  venir  en  aide  à 
la  cause  populaire  serait  dépouillé  de  ses  biens,  mis  à  mort,  et  que  sa 
femme  et  ses  enfants  seraient  chassés  du  pays*.  L'abbé  de  Kempten 
écrivait  :  -  Ils  ont  entraîné  les  paisibles  sujets  et  les  serviteurs  de 
l'abbaye,  qui  volontiers  seraient  restés  fidèles  à  leur  honneur,  à  leur 
devoir  et  à  leur  serment.  Ils  les  ont  contraints  de  faire  partie  de  leur 
maudite  Fraternité;  ceux  qui  refusaient  d'obéir,  ils  les  ont  menacés 
d'incendie  et  de  pillage,  parlant  de  mettre  un  poteau  devant  leur 
maison,  de  les  retrancher  de  la  commune  ou  de  les  en  chasser  comme 
de  vils  malfaiteurs  \  -  "  Les  maîtres,  bien  malgré  eux,  laissaient  à 
leurs  fidèles  serviteurs,  qu'ils  se  voyaient  incapables  de  protéger  plus 
longtemps,  la  liberté  de  se  joindre  aux  émeutiers,  de  peur  que  ceux- 
ci  ne  réaUsassent  envers  eux  leurs  féroces  menaces  ^ 

Un  autre  châtiment  imposé  aux  récalcitrants,  c'était  le  -  ban 
laïque  -.  "  Si  vous  voulez  entrer  dans  notre  union  et  confrérie  chré- 
tienne ',  écrivaient  les  -  chefs  et  conseillers  ;  des  hordes  de  la  forêt 
Noire  aux  habitants  de  Villingen,  !  la  volonté  de  Dieu,  qui  nous 
ordonne  de  pratiquer  le  commandement  de  l'amour  fraternel,  sera 
accomplie  en  ce  qui  vous  concerne;  mais  si  vous  vous  opposez  à 
nous,  nous  vous  condamnerons  au  ban  laïque,  en  vertu  de  la  pré- 
sente lettre.  "  Frappé  par  la  sentence  du  ban  laïque,  le  paysan  était 
considéré  comme  mort,  comme  ne  faisant  plus  partie  de  la  com- 
mune :  «  Personne  ne  doit  avoir  de  relations  avec  lui.  Défense  de 


-  Pflummern,  Annales  Bibtracenses,  dans  B.V.UMANX,  Quellen^  p.  305. 

-  Thomanx,  ll'eissenhorner  Historie,  dans  BvlMANN,  Quellen,  p.  63. 

'  Flaschutz,  Chronik  des  Sti/les  Kempten,  dans  BauMANN,  Quellen,  p.  379. 

*Voy.  JÖRG,  p.  219. 

^  Voy.  JÖRG,  p.  218. 

^  Voy.  l'exemple  du  village  de  Sontbeim,  cité  par  Be.nsex,  p.  121. 

30. 


468  L'ÉVANGILE    DE    LA    REVOLUTION    SOCIALE. 

lui  apporter  aucun  aliment,  blé,  boisson,  bois,  viande,  sel,  etc. 
Défense  aussi  de  l'approcher,  de  lui  acheter  ou  de  lui  vendre  quelque 
chose;  les  marchés,  les  lorèts,  les  pâturages,  les  rivières  lui  sont 
interdits.  Celui  qui  par  faiblesse  tolérerait  quelque  contravention  aux 
présentes  lois  serait  à  son  tour  condamné  au  ban,  et  puni  des  mêmes 
châtiments,  ainsi  que  sa  femme  et  ses  enfants.  Comme  toutes  les  tra- 
hisons, tyrannies,  iniquités  nous  sont  venues  des  châteaux,  des  cou- 
vents et  des  abbayes,  à  dater  de  celte  heure,  on  leur  dit  anathème.  « 
Dans  la  vallée  et  le  village  de  Kirchzarten,  ce  même  avertissement  fut 
publié.  On  y  avait  ajouté  ces  paroles  :  ■■■  L'union  chrétienne  vous 
exhorte  en  toute  charité  fraternelle  à  prêter  main-forte  au  droit 
divin  et  à  adhérer  au  saint  Évangile.  JNous  réclamons  une  réponse  à 
bref  délai;  ceci  est  notre  première  sommation  :  Évangile,  Évangile, 
Évangile!  »  Leschel^  et  conseillers  des  '  saintes  hordes  évangéliques 
de  la  forêt  Noire  et  du  Brisgau  "  envoyaient  aux  habitants  de  Fri- 
bourg  cet  avertissement  :  «  Nous  avons  le  très-grand  désir  de  vous 
compter  aussi  parmi  nos  frères;  nous  espérons  que  vous  nous  aiderez 
à  propager  la  parole  de  Dieu  et  le  saint  Évangile,  auquel  personne  n'a 
le  droit  de  résister.  Dès  votre  adhésion  donnée,  nous  vivrons  en  frères 
avec  vous.  Dans  le  cas  contraire,  nous  marcherons  contre  vous  avec 
nos  parents  et  amis,  et  nous  envahirons  votre  cité.  "  Quelques  émeu- 
tiers  proposèrent  de  mettre  le  feu  à  un  coin  ou  aux  quatre  coins  de 
la  ville.  «  Les  insurgés  »,  écrivaient  les  conseillers  de  Fribourg,  «  ont 
pillé  et  saccagé  plusieurs  couvents  et  châteaux,  dont  quelques-uns  ont 
été  complètement  détruits  par  l'incendie.  Le  clergé  et  la  noblesse  sont 
lamentablement  dépouillés.  Les  paysans  ont  si  bien  fait,  par  leurs 
sanglantes  menaces,  qu'ils  ont  forcé  les  villes  à  prêter  hommage  à 
leur  "  Fraternité  »,  et  contraint  tout  le  Brisgau  d'en  faire  partie.  » 
Pour  les  émeutiers,  ils  ne  cessaient  de  répéter  que  le  seul  mobile  de 
leurs  actes,  c'était  «  l'amour  iTaternel,  l'établissement  de  la  paix 
perpétuelle  d'après  la  parole  du  Dieu  tout-puissant,  et  le  maintien  du 
droit  divin  ".  "  La  seule  charité  les  pressait  de  communiquer  à  leurs 
frères  la  parole  de  Dieu  et  le  saint  Evangile'.  » 


III 


«  A  entendre  les  révoltés  »,  écrivait  Clément  Endrès,  "  ils  n'agissent 
que  pour  la  défense  du  saint  Évangile.  Les  nobles  perdus  de  dettes, 

'  Voy.  Schreiber,  Bauernkrieg,  t.  II,  p.  88-89,  101,  187,  219,  et  t.  III,  p.  57,  200. 
Des  paysans,  pour  -  avoir  voulu  obéir  à  leurs  seigneurs,  furent  rançonnés 
ou  assommés  ».  —  Voy.  les  aveux  de  Pierre  Ganzenberg  dans  Schreiber,  t.  I, 
p.  173, 


L'ÉVANGILE    DE    LA    RKVOLUTION    SOCIALE.  469 

les  paysans,  la  iiopuiacc  n'oni  que  ces  mots  à  la  bouche.  En  Suisse, 
dans  roberland,  la  lorét  IXoire,  la  Souabe,  lu  Fraiiconic,  il  n'est 
question  que  d'Évan[;ilo.  Ce  mot  sacré  excuse  et  couvre  tout,  émeutes, 
attentats  de  tout  genre  '.  "  Nous  lisons  dans  les  chansons  populaires 
du  temps  : 

lis  se  vantent,  ils  se  glorifient 
De  la  sainte  parole  de  Dieu. 
Ils  pensent  ainsi  lleurir  leur  cause, 
Mais  ils  ne  fondent  (|ue  l'assassinat! 

Une  autre  chanson  fait  dire  aux  prolétaires  : 

Le  saint  Iivangile  nous  est  enfin  annoncé, 

A  nous  autres  pauvres  gens! 

Il  nous  délivrera  généreusement 

De  tout  ce  qui  nous  opprimait. 

Il  apprend  au  riche  et  au  pauvre  à  s'entr'aimer 

El  h  partager  ce  (|u'ils  ont; 

Aussi  le  mettrons-nous  en  pratique 

Avec  une  bonne  volonté  joyeuse  ! 

Nous  chasserons  tous  ceux 

Qui  voudraient  s'y  opposer. 

Nous  aussi,  nous  porterons  des  robes  rouges, 

Sans  nous  inquiéter  de  savoir 

Si  la  loi  le  permet  ou  non! 

La  "  parole  de  Dieu  »,  le  droit  divin  contenu  dans  le  saint 
Évangile  et  opposé  aux  lois  existantes,  tels  furent,  en  Allemagne 
comme  en  Bohême,  les  formules  générales,  les  mots  de  guerre  de  la 
révolution  sociale,  surtout  depuis  les  prédications  des  prêtres  apo- 
stats-. 

'  *  Triereschen  Sachen  und  Briefschaften,  fol.  89. 

*.lörg  dit  très-bien  à  propos  de  ce  mot  de  »  droit  divin  »  qui  égara  alors 
toutes  les  têtes  :  «Cette  parole,  pour  pouvoir  devenir  l'âme  du  terrorisme  révo- 
lutionnaire, devait  exprimer  une  idée  vague,  et  être  susceptible  d'être  inter- 
prétée dans  des  sens  différents,  soit  pour  le  bien,  soit  pour  le  mal.  »  Chacun 
devait  pouvoir  y  sous-entendre  son  idée  préférée;  les  uns,  complètement 
séduits,  allaient  devenir, grâce  à  elle,  des  fanatiques  de  bonne  foi;  les  autres,  y 
puiser  des  motifs  de  poursuivre  leurs  efforts  intéressés,  dissimulés  sous  de 
beaux  prétextes;  les  troisièmes,  troublés,  déroutés  par  elle,  allaient  être  jetés 
presque  malgré  eux  dans  le  tourbillon;  enfin  elle  allait  rendre  impuissants  tous 
les  efforts  de  résistame  des  quatrièmes,  leur  fermant  la  bouche  et  les  livrant 
sans  défense  à  la  haine  d'une  populace  en  délire  :  «  Agricolas  libertatis  falsse 
spécula  illectabat,  classicum  canentibus  illis,  qui  numinis  cœlestis  adulterato 
verbo,  simplicitati  hominum  imponebant  »,  dit  Theobald  Billikanus.  Voy.  Döl- 
LiNGER,  ftéformation,  1. 1,  p.  149,  note.  «  Le  pauvre  peuple  »,  écrivait  le  duc  Georges 
de  Saxe  à  propos  de  la  révolte  des  paysans,  «  a  été  conduit  à  la  haine  et  à  la 
résistance  envers  les  autorités  par  ses  mauvais  conseillers.  Ce  qui  l'a  aussi  égaré, 
c'est  le  désir  de  la  liberté.  Ils  ont  dit  aux  gens  du  peuple,  aux  pauvres  igno- 
rants, qu'ils  faisaient  bien  de  mettre  à  mort  tous  les  princes   Les  paysans  sont 


470     LES    DOUZE    ARTICLES    PRINCIPAUX    DES    INSURGÉS.    1525. 

Les  «  douze  équitables  articles  >  présentés  par  les  paysans  et  vas- 
saux des  souverains  spirituels  et  temporels,  rédigés  dans  la  haute 
Souabe  et  propagés  ensuite  dans  tout  l'Empire,  se  fondaient  tous 
sur  l'Évangile,  sur  la  -  parole  de  Dieu'  ' . 

Nous  lisons  dans  l'avertissement  qui  les  précède  :  ^-  Des  écrits 
impies  et  criminels  ont  attribué  au  saint  Évangile  la  responsabilité 
de  l'insurrection  qui  éclate.  Mais  sachez  que  l'Évangile  n'engendre 
que  l'amour,  que  la  paix,  que  la  patience;  les  paysans  ne  sont  point 
des  révoltés  ;  leurs  articles  ne  réclament  qu'une  chose  :  le  droit  de 
faire  prêcher  l'Évangile  littéral  et  d'y  conformer  leur  vie.  Nous  pre- 
nons pour  notre  loi  suprême  et  fondamentale  le  sens  littéral  de 
l'Evangile,  nous  et  tous  ceux  que  nous  avons  chargés  de  définir  le 
«  droit  divin  »  contenu  dans  le  saint  livre.  » 

Le  premier  article  revendiquait  pour  chaque  commune  le  droit  et 
le  pouvoir  d'élire  son  pasteur,  ou  de  le  déposer  dans  le  cas  où  il 
deviendrait  infidèle  à  son  mandat.  Le  pasteur  élu  ne  devait  prêcher 
que  l'Évangile  tout  pur,  sans  mélange  de  doctrine  ou  de  prescrip- 
tions humaines,  et  sans  y  rien  ajouter  qui  fut  de  l'invention  des 
hommes.  Il  ne  devait  enseigner  que  la  vraie  foi. 

Dans  les  articles  concernant  le  droit  civil,  les  paysans  posaient 
les  réclamations  suivantes,  uniquement  fondées,  disaient-ils,  sur  le 
c  droit  divin  "  : 

L'Ancien  Testament  avait  établi  les  dîmes,  mais  le  -Nouveau  affran- 
chissait le  chrétien  de  toute  obligation  semblable.  Cependant  les 
paysans  consentaient  à  payer  encore  la  dime  du  blé,  qui  servirait 
désormais  à  l'entretien  du  curé  élu  par  la  communauté,  au  soulage- 
ment des  nécessiteux  et  à  la  diminution  des  charges.  Mais  toute 

devenus  envieux,  ils  ont  refusé  de  se  soumettre  à  la  noblesse,  et  se  sont  laissé 
mener  par  des  misérables,  des  fous,  des  envieux,  des  moiues  échappés  de  leurs 
couvents,  des  prêtres  apostats.  Aussi  ont-ils  été  réduits  à  endurer  des  traite- 
ments qui  leur  étaient  absolument  inconnus  dans  le  passé,  ce  que  nous  pou- 
vons attester,  ayant  sur  ces  questions  de  sûrs  renseignements.  Ces  mauvais 
conseillers  sont  donc  responsables  des  maux  que  le  peuple  a  soufferts  dans  son 
corps,  son  honneur  et  ses  biens,  et  aussi  de  tout  le  tort  fait  à  son  âme.  Tout  le 
malest  venu  du  jugement  privé  et  de  l'abandon  de  l'unité  chrétienne,  et  parce  que  chacun  a 
voulu  expliquer  l'Evangile  à  sa /a7itaisie,  refusant  de  sen  remettre  au  sentiment  et 
à  la  loi  de  l'Église  chrétienne.  »  Instruction  de  Georges  dans  Höfler,  DenJcwùrdig- 
keiten  der  Charitas  Pirkheimer ,  LXXIII. 

'  Sur  la  question  si  controversée  des  origines  et  des  auteurs  des  douze  articles, 
voy.  le  travail  de  Stern  [Die  zwölf  Artikel  der  Bauern,  etc.).  Stern  pense  que  le 
prédicant  de  Waldshut,  Balthasar  Hubmaier,  en  est  l'auteur.  Voy.  aussi  le  tra- 
vail de  'RaMmaiWi  (Uie  oberschicàhischen  Bauern, etc.,.  Voy.  Stern  dans  les  Forschungen 
zur  deutschen  Geschichte,  t.  XII,  p.  477-513.  Il  est  d'avis  qu'une  complète  certitude 
sur  cette  question  n'est  pas  encore  possible.  ■  Il  reste  sur  ce  point  des  obscu- 
rités que  je  ne  puis  dissiper  »,  dit-il.  Dans  l'appendice,  p.  513-519,  Stern  a 
donné  le  fac-similé  du  plus  ancien  exemplaire  connu  des  douze  articles.  —  Voy. 
de  plus  complètes  indications  sur  l'origine  des  articles,  dans  B.vumax.v,  Acten, 
p.  285-287,  note. 


LES    DOUZE    ARTICLES    PRINCIPAUV    DES    INSURGES.    1525.     47! 

taxe  sur  le  bétail  était  abolie,  <  Dieu  ayant  donné  à  l'homme  la  libre 
propriété  de  tous  les  animaux  '. 

Jusque-là,  ils  avaient  été  traités  comme  des  serfs,  -  ce  qui  constitue 
un  véritable  crime,  si  l'on  considère  que  Jésus-Christ  nous  a  tous 
rachetés  et  délivrés  par  son  précieux  sang,  les  pâtres  aussi  bien  que 
les  puissants,  sans  excepter  personne.  D'où  il  suit,  de  par  l'Écri- 
ture, que  nous  sommes  tous  libres;  or  nous  déclarons  vouloir  rester 
tels.  »  Les  paysans  consentaient  néanmoins  à  reconnaître  le  pouvoir 
établi  par  Dieu  «  dans  toutes  les  choses  chréliennes  et  équitables  ". 

L'usage  jusque-là  suivi  interdisait  au  pauvre  homme  le  droit  de 
chasser  le  gibier  à  plume  ou  à  poil  et  de  pécher  le  poisson  des 
rivières;  non-seulement  cette  défense  blessait  la  charité  fraternelle 
d'une  manière  révoltante;  elle  ne  provenait  que  d'égoisme  et  était 
absolument  opposée  à  la  loi  divine.  La  maintenir,  c'était  se  mettre 
en  contradiction  flagrante  avec  la  parole  de  Dieu,  qui,  dès  l'origine 
du  monde,  avait  donné  aux  hommes  toute  autorité  sur  les  bêtes  des 
champs,  les  oiseaux  de  l'air  et  les  poissons  de  la  mer. 

Tous  les  biens  forestiers  que  les  clercs  et  les  laïques  s'étaient  appro- 
priés par  d'autres  moyens  que  par  un  légitime  achat,  devaient,  sans 
qu'il  fiU  nécessaire  d'indemniser  aucunement  leur  soi-disant  pro- 
priétaire, être  réunis  aux  biens  communaux,  et  chacun  pourrait 
désormais  y  prendre  ce  qui  serait  nécessaire  à  ses  besoins  particu- 
liers, soit  pour  le  chauffage,  soit  pour  la  bâtisse. 

Les  corvées  exigées  par  les  seigneurs  ne  pourraient  plus  être  aug- 
mentées; les  redevances  seraient  ramenées  à  une  mesure  tolérable, 
d'après  l'avis  de  gens  loyaux;  les  lois  pénales  ne  seraient  imposées 
que  conformément  aux  anciennes  coutumes  écrites  du  pays;  l'impôt 
sur  le  bétail,  prélevé  en  cas  de  décès,  serait  aboli. 

Les  prairies  et  les  champs  qui  n'avaient  pas  été  acquis  légale- 
ment reviendraient  tous  au  communal. 

Parmi  ces  réclamations  relatives  au  temporel,  beaucoup  étaient 
justes  et  raisonnables.  11  est  évident  que  les  articles  avaient  été  rédi- 
gés dans  un  sage  esprit  de  modération. 

Mais  cependant  la  tendance  communiste  y  perce  à  maint  endroit. 
Ainsi,  d'après  les  anciennes  constitutions  des  villages  et  des  dis- 
tricts, ceux-là  seuls  avaient  droit  de  participer  aux  biens  commu- 
naux qui  étaient  véritablement  établis  »  dans  le  pays  et  y  avaient 
"  leur  foyer  ••,  leur  ménage;  les  manants  ■■,  ceux  qui  n'étaient  que 
tolérés  dans  le  territoire  de  la  commune,  indigents,  ouvriers,  jour- 
naliers, gens  entièrement  destitués  de  toute  propriété,  n'avaient 
rien  à  y  prétendre'.  Si  donc,  comme  les  articles  le  demandaient, 

'  Voy.  notre  premier  volume,  p.  276-277. 


474        PROJET  D'UNE  RÉPUBLIQUE  DÉMOCRATIQUE  ET  SOCIALE.  1525. 

Mais  ce  n'était  pas  seulement  le  droit  romain  qui  allait  perdre 
toute  autorité  :  la  législation  existante  était  en  même  temps  abolie. 
«  Il  serait  à  souhaiter  »,  disait  la  Réforme,  «  que  le  droit  civil,  en  usage 
jusqu'ici,  fût  supprimé,  et  que  le  droit  divin  et  naturel  fiU  établi  à 
sa  place,  de  manière  que  le  pauvre  ait  autant  d'accès  devant  la 
justice  que  le  plus  grand  et  riche  seigneur.  »  La  Chambre  impériale 
était  constituée  puissance  législative  souveraine.  Elle  devait  être 
composée  de  seize  membres,  parmi  lesquels  deux  seraient  élus  parles 
princes,  deux  par  les  comtes  et  seigneurs,  deux  par  la  chevalerie, 
trois  par  les  villes  libres,  trois  par  les  villes  princières,  quatre  par 
les  communes.  Quatre  cours  souveraines  relèveraient  de  la  Chambre 
impériale  :  ces  cours  auraient  sous  leur  juridiction  quatre  tribunaux 
territoriaux,  ayant  à  leur  tour  au-dessous  d'eux  quatre  tribunaux 
libres.  Les  assesseurs  de  ces  derniers  seraient  choisis  dans  tous  les 
rangs  sociaux;  viendraient  ensuite  les  tribunaux  des  villes  et  des 
villages;  chaque  tribunal  pourrait  interjeter  appel  à  la  cour  supé- 
rieure la  plus  voisine. 

Les  impôts  indirects  auparavant  exigés  par  les  princes,  les  sei- 
gneurs et  les  villes,  douanes,  impôts,  redevances,  tout  cela  était 
supprimé,  aboli,  à  l'exception  de  ce  qui  serait  reconnu  d'urgente 
nécessité.  La  même  mesure  était  prise  pour  les  impôts  directs; 
un  seul  serait  exigible  tous  les  dix  ans  :  l'impôt  réclamé  par  l'Em- 
pereur. De  plus,  le  parcours  de  toutes  les  routes  de  l'Empire  serait 
affranchi  de  toute  taxe,  et  personne  ne  serait  plus  obligé  de  payer 
de  frais  d'escorte.  Si  dans  les  Élats  princiers,  dans  les  domaines 
seigneuriaux,  quelque  fort  avait  été  fait  à  un  sujet;  si,  par  exemple, 
on  avait  ravagé  sa  terre  ou  pris  injustement  son  bien,  les  princes 
et  seigneurs  répareraient  le  dommage  et  restitueraient  ce  qui  avait 
été  pris.  Désormais,  chacun  aurait  le  droit  d'exploiter  les  mines 
d'or,  d'argent,  de  vif-argent,  de  cuivre,  de  plomb  ou  de  tout  autre 
métal  sans  exception.  L'or,  l'argent,  le  plomb,  le  cuivre,  trouvés  et 
livrés  en  bonnes  conditions,  seraient  vendus  d'après  un  taux  fixé 
par  la  Chambre  impériale.  Ou  s'efforcerait  d'établir  dans  tout 
l'Empire  l'unité  de  monnaie;  vingt  ou  vingt  et  un  monnayeurs 
suffiraient  amplement  aux  besoins  de  l'Empire.  Les  monnayeurs 
assermentés  fondraient  et  marqueraient  au  même  coin  les  mon- 
naies d'or  et  d'argent;  la  moindre  infidélité  de  leur  part  serait 
punie  par  le  bûcher.  De  cette  manière  le  pauvre  homme  ne  serait 
plus  dupé. 

On  aviserait  à  remédier  au  grand  tort  fait  aux  pauvres  dans  les 
questions  d'achat  et  de  vente,  et  l'on  s'efforcerait  de  n'avoir  plus 
dans  l'Empire  "  qu'une  mesure,  une  aune,  un  tonneau,  un  poids,  une 
largeur  d'étoffe,  etc.  ». 


PROJET  D'UXE  UI^TUBLIQUE  DÉMOCRATIQUE  ET  SOCIALE.   1525.        475 

Les  grandes  compagnies  commerciales,  qui  opprimaient  pauvres 
et  riches  et  fixaient  arbitrairement  les  prix,  seraient  supprimées.  Il 
ne  serait  plus  permis  dorénavant  ni  à  une  société  ni  à  un  individu 
d'avoir  plus  de  dix  mille  florins  de  capital  actif.  Celui  qui  engage- 
rait au  delà  de  cette  somme  dans  son  commerce  serait  condamné  à 
restituer  le  capital  et  la  moitié  du  surplus  à  la  Chambre  impériale. 
Le  marchand  dont  la  fortune  dépasserait  dix  mille  florins  serait 
contraint  d'avancer,  de  prêter  et  d'aider  -'  évangéliquement  »  les 
marchands  moins  aisés  que  lui.  Il  déposerait  l'argent  au  conseil  de 
la  ville  à  raison  de  i  pour  100,  et  le  conseil  pourrait  ainsi  prêter 
à  5  pour  100  à  de  pauvres  bourgeois  qui,  grâce  à  ce  secours,  remet- 
traient leurs  affaires  à  flot.  Tout  agiotage  serait  interdit  sous  les 
peines  les  plus  sévères.  On  restreindrait  le  commerce  des  «  gros 
bonnets  »  ;  on  imposerait  des  limites  à  leurs  transactions,  de  ma- 
nière que  les  petits  marchands,  eux  aussi,  pussent  vivre.  Défense 
était  faite  aux  colporteurs  des  villes  de  débiter  plus  d'une  marchan- 
dise. Tous  les  marchands  recevraient  un  règlement  nouveau,  fixant 
les  conditions  dans  lesquelles  les  marchandises  devaient  être  livrées, 
afin  que  le  chaland  puisse  se  guider  d'après  ce  règlement,  et  que 
l'intérêt  commun  fiU  sauvegardé.  La  Réforme  demandait  en  outre 
que  les  ligues  et  alliances  des  princes  et  des  seigneurs  entre  eux 
fussent  abolies,  et  que  la  protection  et  le  sauf-conduit  impérial 
assurassent  désormais  la  sécurité  des  routes,  sans  qu'il  fût  besoin  de 
frais  d'escorte  ou  de  contribution  quelconque.  Les  lois  se  rappor- 
tant à  cet  objet  étaient  annulées,  et  ne  pourraient  être  rétablies 
sans  entraîner  pour  les  princes  la  perte  de  leurs  droits  régaliens  et 
de  leurs  privilèges.  Les  sujets  de  l'Empire,  et  même  les  étrangers 
venus  d'autres  royaumes,  pourraient  désormais  voyager  en  sûreté 
et  librement  à  cheval,  en  voiture,  sur  l'eau  ou  à  pied,  sans  être 
obligés  à  aucuns  frais  d'escorte,  corvée  ou  redevance  quelconque 
de  leurs  corps  ou  de  leurs  biens;  le  pauvre  homme  et  l'intérêt 
général  trouveraient  leur  avantage  dans  cette  mesure'. 

Frédéric  Weygand,  sommelier  de  Miltenberg,  sur  le  Mein,  avait 
aussi  élaboré  un  grand  nombre  de  propositions  de  ce  genre.  Il 
y  avait  joint  l'indication  des  moyens  à  prendre  pour  fonder  soli- 

1  I  Welcher  Gestalt  ain  Ordnung  Reformation  zu  Nutz  und  Frommen  und  lUohlfahrt  aller 
Christenbrüder  zu  begreyfen  und  aufzurichten  sei.  ^  —  Voy-  OEchslf,  p.  283-292.  —  WiL- 
CHjiER  et  BODENT,  p.  302-312.  —  Bensen,  p.  551-558.  Dans  le  rapport  d'une  com- 
mission nommée  parles  paysans  et  décidant,  pour  le  milieu  de  mai,  la  réunion 
des  frères  aux  environs  d'Ileilbronn,  on  lit  :  La  loi  est  divisée  en  douze  articles, 
et  chacun  deux  est  expliqué  en  quatre  points  particuliers;  on  les  trouve  à 
Francfort;  les  apporter  ou  les  renvoyer  à  Wendel  Hipler,  secrétaire  du  camp.  • 
Document  communiqué  par  Schlüssel  dans  sa  traduction  de  l'ouvrage  latin  de 
Gnodalius.  —  Voy.  Stalin,  t.  IV,  p,  298. 


476      NOUVELLE  CONSTITUTION  FONDEE  SUR   LA    "  PAROLE  DE  DIEU  .. 

dement  le  nouveau  système  et  assurer  le  succès  de  la  guerre  entre- 
prise pour  la  réforme  évangélique.  «  Le  jour  où  l'on  agira  d'après 
la  justice  et  la  parole  de  Dieu  »,  disait-il,  »  personne  ne  pourra 
résister.  » 

Pour  arriver  à  ce  but,  il  fallait  avant  tout  que  les  princes  ecclé- 
siastiques et  leurs  sujets  adoptassent  les  douze  articles  et  consen- 
tissent à  entrer  dans  la  ligue  des  bourgeois  et  des  paysans.  "  Aus- 
sitôt que  cette  fusion  serait  accomplie  «,  les  princes  temporels,  ainsi 
que  les  comtes  et  les  chevaliers,  viendraient  se  joindre  à  l'associa- 
tion des  frères,  et  de  concert  avec  eux  travailleraient  à  la  "  réforme  «. 
Toutes  les  villes  d'Empire  y  entreraient  ensuite,  et  Weygand  pensait 
qu'elles  ne  se  feraient  pas  beaucoup  prier.  Des  personnages  savants, 
loyaux,  pieux  et  éclairés  seraient  chargés  d'examiner  les  divers 
articles  de  la  Réformaiion,  et  de  constater  leur  entière  conformité 
au  droit  divin  et  au  droit  naturel. 

«  Le  prince  ou  le  seigneur  qui  n'observerait  pas  les  articles,  men- 
tant ainsi  à  ses  lettres  et  à  son  sceau,  serait  sans  aucun  doute  mas- 
sacré par  son  propre  peuple;  pendant  ce  temps-là,  les  frères  unis 
resteraient  en  paix  et  en  repos.  C'est  ainsi  que  l'on  pourrait  sûre- 
ment compter  sur  le  triomphe  de  la  bonne  cause  '.  » 

La  Constitution  nationale  de  Michel  Geismayer  renfermait  des 
réclamations  socialistes  d'une  bien  autre  portée  que  la  Réforme 
des  paysans  de  Franconie.  Geismayer,  s'inspirant  des  principes 
hussites,  commençait  par  demander  que  les  persécuteurs  impies  de 
l'éternelle  parole  de  Dieu,  qui  dans  l'avenir  pouvaient  encore  médi- 
ter l'oppression  du  pauvre  homme  et  la  détresse  publique,  fussent 
«  supprimés  ».  En  d'autres  termes,  une  guerre  d'extermination 
était  déclarée  à  tous  ceux  qui  refuseraient  de  se  conformer  aux  lois 
nouvelles. 

La  «  pure  parole  de  Dieu  »  devait  être  prêchée  en  tous  lieux,  inté- 
gralement et  fidèlement;  toute  sophistique,  toute  avocasserie  allaient 
prendre  fin,  et  les  livres  qui  les  prônaient  seraient  brûlés.  Dans  la 
ville  désignée  pour  devenir  le  siège  du  gouvernement  national,  une 
Université  serait  établie.  On  y  enseignerait  exclusivement  la  parole 
de  Dieu.  Trois  savants,  élus  parmi  les  docteurs  de  cette  Université, 
gens  experts  dans  la  sainte  Écriture  (par  laquelle  la  justice  de  Dieu 
peut  seule  être  expliquée),  seraient  appelés  à  siéger  au  Conseil  de 
régence,  et  à  décider  et  administrer  toutes  choses  d'après  la  loi 
divine,  gouvernant  le  peuple  chrétien  selon  l'équité. 

'  Dans  OEcHSLE,  p.  156-162.  La  lettre  de  Weygand  à  Wendel  Hipler,  où  il  fait 
allusion  à  des  plans  analof^ues  envoyés  précédemment,  est  datée  de  Miltenberg, 
jeudi  après  Caritaie  (18  mai  1525).  —  Voy.  Stalin,  t.  IV,  p.  297,  note  3. 


NOUVELLE  CONSTITUTION  FONDEE   SUl'.   l.X   -  l'AKOLE  DE  DIEU  •.      477 

La  nouvelle  «  constitution  clirclienne,  chargée  de  régler  les 
intérêts  de  tous  et  fondée  uniquement  sur  la  sainle  parole  de  Dieu  •■ , 
réclamait  et  exigeait  l'adoption  des  mesures  suivantes  dans  le  domaine 
ecclésiastique  :  Eu  premier  lieu,  la  destruction  de  toutes  les  images, 
statues  et  oratoires  des  champs;  l'aboliliou  de  la  messe,  «  qui  est 
une  abomination  devant  Dieu  et  est  entièrement  contraire  au  chris- 
tianisme »  ;  la  confiscation  des  calices  et  de  Torlevrerie  d'église  et 
de  couvents,  qui  serviront  à  l'avenir  aux  besoins  usuels;  la  trans- 
formation de  Ions  les  monastères  et  maisons  des  chevaliers  de 
Sainl-.lean  en  hôpitaux  et  établissements  de  providence,  enfin  l'in- 
stallation dans  chaque  paroisse  d'un  pasteur  annonçant  la  parole  de 
Dieu  d'après  la  doctrine  de  saint  Paul.  Le  traitement  de  ce  pasteur 
serait  prélevé  sur  les  dimes,  dont  le  surplus  serait  distribué  aux 
pauvres. 

Il  serait  pourvu  non-seulement  à  l'alimentation  des  indigents, 
mais  à  leur  habillement  et  à  lous  leurs  autres  besoins.  A  cet  effet, 
chacun,  en  dehors  de  la  dime,  payerait  exactement  la  contribution 
nécessaire,  «  et  si  cette  contribution  était  insuffisante,  la  somme 
voulue  serait  prélevée  sur  le  revenu  «. 

Dans  les  questions  temporelles,  la  Constitution  chrétienne  réclame  la 
complète  liberté  et  égalité  des  hommes  :  -  Tous  les  privilèges  seront 
abolis,  parce  qu'ils  sont  contraires  à  la  parole  de  Dieu  et  à  la  justice, 
et  que  personne  n'a  le  droit  de  jouir  d'un  avantage  refusé  à  un 
autre.  Les  murs  d'enceinte,  les  châteaux  forts  et  les  forteresses  seront 
rasés.  Désormais,  il  n'y  aura  plus  de  villes,  mais  seulement  des  vil- 
lages; il  ne  doit  exister  aucune  différence  entre  les  hommes,  car 
personne  ne  doit  être  ni  plus  élevé  ni  plus  à  son  aise  que  ses  frères; 
c'est  l'inégalité  des  fortunes  et  des  conditions  qui  a  engendré  les 
discordes,  les  troubles,  l'ambition  et  l'émeute.  -^ 

Quant  aux  impôts,  -'  les  états  de  chaque  pays  délibéreraient  sur 
l'opportunité,  ou  de  les  abolir  immédiatement,  ou  d'établir  l'année 
jubilaire,  conformément  à  la  loi  de  Dieu,  ou  de  les  prélever  pendant 
une  année  encore,  dans  l'intérêt  des  nécessités  pressantes  de  la 
nation  ».  Toutes  les  douanes  seraient  abolies,  mais  un  nouvel 
impôt  de  frontière  serait  exigé  :  "  Ce  qui  entre  dans  le  pays  ne 
paye  rien,  ce  qui  en  sort  est  imposé.  »  Les  fonderies  et  les  mines 
appartenant  aux  nobles,  aux  marchands  étrangers  et  aux  compa- 
gnies seraient  confisquées,  leurs  propriétaires  ayant  jusqu'ici  abusé 
de  leurs  droits  pour  pratiquer  l'usure.  Un  intendant  nommé  à  cet 
effet  ferait  exploiter  les  mines  de  manière  à  servir  les  intérêts  de 
tous.  Une  monnaie  de  bon  aloi,  mais  assez  lourde,  serait  frappée, 
les  anciennes  seraient  proscrites;  aucune  monnaie  étrangère  n'aurait 
cours. 


478         NOUVELLE  CONSTITUTION  FONDEE  SUR  LA    «   PAROLE  DE  DIEU  ^. 

Dorénavant,  personne  n'aurait  le  droit  de  faire  le  commerce;  de 
cette  manière,  nul  ne  serait  tenté  de  charger  sa  conscience  du 
péché  d'usure.  Mais  pour  que  cette  mesure  ne  soulevât  pas  de  récla- 
mations, que  le  bon  ordre  fiU  maintenu,  qu'à  l'avenir  personne  ne 
fût  trompé  et  surfait,  et  qu'on  piU  se  procurer  toutes  choses  à  un 
prix  juste  et  avantageux,  une  ville  spéciale  serait  désignée  (par 
exemple,  Trieste,  à  cause  du  bon  marché  de  ses  produits  et  de  sa 
position  centrale);  là,  tous  les  métiers  seraient  exercés,  tous  les 
produits  apportés  des  divers  territoires  du  pays.  «  Les  étoffes  de 
soie,  les  chaussures,  etc.,  y  seraient  confectionnées  sous  la  sur- 
veillance d'un  fonctionnaire  spécial.  En  de  certaines  localités,  des 
boutiques  garnies  de  toute  espèce  de  produits  seraient  ouvertes, 
mais  il  serait  sévèrement  défendu  au  marchand  de  tirer  aucun  béné- 
fice de  la  vente.  Tout  serait  livré  d'après  l'exact  prix  de  revient;  de 
cette  manière,  toute  fraude  et  falsification  serait  évitée,  on  pour- 
rait se  procurer  toute  chose  à  un  prix  modéré,  et  l'argent  resterait 
dans  le  pays  et  viendrait  en  aide  à  l'homme  du  peuple.  On  assure- 
rait un  traitement  fixe  au  fonctionnaire  préposé  au  commerce  et  à 
ses  employés.  ' 

Tous  ces  intérêts,  ainsi  que  l'élevage  des  bestiaux,  l'agriculture, 
l'exploitation  minière,  l'entretien  des  voies  d'eau  et  de  terre  et  la 
défense  du  pays,  seraient  réglés  par  un  gouvernement  central  élu 
par  le  peuple,  et  siégeant  à  Brixen,  où  l'Université  serait  aussi 
établie. 

Le  peuple  serait  chargé  de  l'administration  de  la  justice.  Chaque 
commune  élirait  tous  les  ans  un  juge  et  huit  jurés,  chargés  d'expé- 
dier toutes  les  affaires  :  la  justice  serait  rendue  tous  les  lundis.  Aucun 
procès  ne  pourrait  être  ajourné  au  delà  de  quinze  jours  :  les  juges, 
les  jurés,  les  scribes,  les  avocats,  les  gens  de  justice,  les  huissiers 
ne  pourraient  rien  accepter  de  personne;  ils  recevraient  des  appoin- 
tements fixes,  à  charge  pour  eux  d'être  présents  tous  les  lundis  au 
tribunal'. 

La  suppression  de  toute  distinction  sociale,  1'--  égalité  parfaite  « 
telle  que  l'entendait  Michel  Geismayer,  puis  l'établissement  dans 
tout  l'Empire  d'une  république  présidée  par  un  chef  portant  le 
titre  d'empereur,  tels  étaient  aussi  les  vœux  formulés  par  une  pro- 
clamation anonyme  intitulée  :  Adresse  des  frères  de  l' Oberland  à  l'assem- 
blée générale  des  paysans  allemands.  C'est  l'un  des  plus  fougueux  fac- 
turas révolutionnaires  qu'ait  jamais  produits  l'Allemagne.  Prétendant 
s'autoriser  de  la  parole  de  Dieu,  ce  violent  libelle  n'hésite  pas  à 


I 


'  Das  ist  die  Landesordnung,  so  Michel  Gaismaier  gemacht  hat  im  1526,  Jar,  Januar.  — 
BuCHHOiTZ,  Urkundenband,  p.  651-655. 


i 


AI'I'KL  AU  MASSACHE   DKS  FltlNCKS  ET  SEIGNEURS.    1525.  479 

conseiller  au  peuple  le  massacre  de  tous  les  princes  et  seigneurs, 
au  nom  '  de  la  sainte  parole  de  Dieu  ". 

«  Ces   princes,  ces  seigneurs  qui,   pour  leur  propre  avantage, 
imaginent  et  inventent  tous  les  jours  de  nouvelles  vexations,  se  sont 
témérairement  proposé  de  tromper  Dieu,  leur  maître.  Où  sont-ils, 
ces  loups   armés,    ces  tyrans   pervers   qui   établissent   charge   sur 
charge ,  oppriment  les  pauvres  gens ,  réclament  aujourd'hui   une 
corvée  volontaire,  et  la  changent  l'année  suivante  eu  obligation  per- 
manente, car  telle  est  l'origine  de  la  i)lupart  de  leurs  droits  tra- 
ditionnels!  Dans  quel  code  ont-ils  lu  (|ue  Dieu,   leur  maitre,  leur 
ait  jamais  donné  une  puissance  si  grande  que  nous  autres,  pauvres 
gens,  devions  être  contraints  de  cultiver  leurs   terres,  et  encore 
lorsque  le  temps  est  beau,  tandis  que  lorsqu'il  pleut,  il  faut  que  les 
malheureux  laissent  tomber  dans  leurs  propres  champs  leur  sanglante 
sueur!  Dieu,  dans  sa  justice,  ne  tolérera  pas  longtemps  cette  effroyable 
captivité  babylonnienne;  il  ne  peut  exiger  que  nous  autres  misé- 
rables nous  soyons    contraints    de    moissonner  et  de  faucher  les 
prairies  de  nos  maîtres,  de  labourer  leurs  champs,  d'y  semer  le  lin, 
de  le  dréger,  de  l'arracher  de  nouveau,  de  le  charrier,  de  le  laver, 
de  le  séparer,  de  le  filer.  Miséricorde  !  qui  donc  a  jamais  ouï  parler 
d'une  pareille  servitude?  Ils  taxent  et  usent  la  moelle  de  nos  os,  et 
nous  devons  encore  payer  la  dîme!  Où  sont-ils,  ces  beaux  jouteurs, 
ces  habiles  coureurs,  ces  joueurs,  ces  banquiers,  plus  repus  que  des 
chiens  vomissants?  Pour  entretenir  leurs  plaisirs,  nous  sommes  for- 
cés de  leur  payer  l'impôt,  la  dîme  et  les  redevances,  et  le  pauvre 
n'en  doit  pas  moins  trouver  à  la  maison  le  pain,  le  sel  et  la  graisse, 
et  nourrir  sa  femme  et  ses  pauvres  petits  enfants  qui  ne  sont  pa.? 
encore  élevés.  Où  sont-ils,  les  autres  voleurs  avec  leur  commerce 
et  leurs  douanes?  Maudits  soient  leurs  infamies  et  leurs  brigandages 
autorisés  !  Où  sont-ils,  les  tyrans  et  les  scélérats  qui  s'approprient 
les  dîmes,  les  taxes,  l'argent  donné  à  grand'peine  par  le  pauvre, 
puis  gaspillent  et  dépensent  d'une  manière  infâme  et  criminelle  ce 
qui  devait  entrer  dans  la  bourse  commune  pour  l'intérêt  de  tous? 
Et  néanmoins  personne  ne  rechigne,  personne  ne  les  traite  comme 
des  scélérats  qu'ils  sont,  personne  ne  songe  à  les  mettre  au  cachot, 
à  les  décapiter,  à  les  écarteler,  pour  qu'il  leur  soit  fait  moins  de 
lîiiséricorde  qu'à  des  chiens  enragés!  Si  Dieu  leur  a  donné  un  tel 
pouvoir,  qu'ils  montrent  donc  leurs  titres!  Où  l'ont-ils  lu,  ce  com- 
mandement de  Dieu?  Oui,  leur  autorité  vient  de  lui,  mais  en  ce 
sens  qu'ils  sont  les  suppôts  du  diable  et  qu'ils  ont  Satan  pour  capi- 
taine, car  ils  sont  véritablement  les  ennemis  jurés  de  leur  propre 
pays.  Et  ceux  qui  ont  des  serfs,  qu'ils  approchent!  Maudite  soit  leur 


478         NOUVELLE  CONSTITUTION  FONDEE  SUR  LA    "   PAROLE  DE  DIEU  -. 

Dorénavant,  personne  n'aurait  le  droit  de  faire  le  commerce;  de 
cette  manière,  nul  ne  serait  tenté  de  charger  sa  conscience  du 
péché  d'usure.  Mais  pour  que  cette  mesure  ne  soulevât  pas  de  récla- 
mations, que  le  bon  ordre  fiU  maintenu,  qu'à  l'avenir  personne  ne 
fût  trompé  et  surfait,  et  qu'on  piU  se  procurer  toutes  choses  à  un 
prix  juste  et  avantageux,  une  ville  spéciale  serait  désignée  (par 
exemple,  Trieste,  à  cause  du  bon  marché  de  ses  produits  et  de  sa 
position  centrale);  là,  tous  les  métiers  seraient  exercés,  tous  les 
produits  apportés  des  divers  territoires  du  pays.  «  Les  étoffes  de 
soie,  les  chaussures,  etc.,  y  seraient  confectionnées  sous  la  sur- 
veillance d'un  fonctionnaire  spécial.  En  de  certaines  localités,  des 
boutiques  garnies  de  toute  espèce  de  produits  seraient  ouvertes, 
mais  il  serait  sévèrement  défendu  au  marchand  de  tirer  aucun  béné- 
fice de  la  vente.  Tout  serait  livré  d'après  l'exact  prix  de  revient;  de 
cette  manière,  toute  fraude  et  falsification  serait  évitée,  on  pour- 
rait se  procurer  toute  chose  à  un  prix  modéré,  et  l'argent  resterait 
dans  le  pays  et  viendrait  en  aide  à  l'homme  du  peuple.  On  assure- 
rait un  traitement  fixe  au  fonctionnaire  préposé  au  commerce  et  à 
ses  employés.  » 

Tous  ces  intérêts,  ainsi  que  l'élevage  des  bestiaux,  l'agriculture, 
l'exploitation  minière,  l'entretien  des  voies  d'eau  et  de  terre  et  la 
défense  du  pays,  seraient  réglés  par  un  gouvernement  central  élu 
par  le  peuple,  et  siégeant  à  Brixen,  où  l'Université  serait  aussi 
établie. 

Le  peuple  serait  chargé  de  l'administration  de  la  justice.  Chaque 
commune  élirait  tous  les  ans  un  juge  et  huit  jurés,  chargés  d'expé- 
dier toutes  les  affaires  :  la  justice  serait  rendue  tous  les  lundis.  Aucun 
procès  ne  pourrait  être  ajourné  au  delà  de  quinze  jours  :  les  juges, 
les  jurés,  les  scribes,  les  avocats,  les  gens  de  justice,  les  huissiers 
ne  pourraient  rien  accepter  de  personne;  ils  recevraient  des  appoin- 
tements fixes,  à  charge  pour  eux  d'être  présents  tous  les  lundis  au 
tribunal". 

La  suppression  de  toute  distinction  sociale,  l'"  égalité  parfaite  » 
telle  que  l'entendait  Michel  Geismayer,  puis  l'établissement  dans 
tout  l'Empire  d'une  république  présidée  par  un  chef  portant  le 
titre  d'empereur,  tels  étaient  aussi  les  voeux  formulés  par  une  pro- 
clamation anonyme  intitulée  :  Adresse  des  frères  de  l'Oberland  à  l'assem- 
blée générale  des  paijsans  allemands.  C'est  l'un  des  plus  fougueux  fac- 
tums  révolutionnaires  qu'ait  jamais  produits  l'Allemagne.  Prétendant 
s'autoriser  de  la  parole  de  Dieu,  ce  violent  libelle  n'hésite  pas  à 


'  Das  ist  die  Landesordnung,  so  Michel  Gaismaier  gemacht  hat  im  1526,  Jar,  Januar .  — 
BUCHHOLTZ,  Urkundenhand,  p.  651-655. 


AI'I'KL  All  MASSACRE   DKS  l'IilNCKS  ET  SEIGNELKS.   1525.  479 

conseiller  au  peuple  le  massacre  de  tous  les  princes  et  seigneurs, 
au  nom  '  de  la  sainte  parole  de  Üicu  ». 

«  Ces   princes,  ces  seigneurs  qui,   pour  leur  propre  avantage, 
imaginent  et  inventent  tous  les  jours  de  nouvelles  vexations,  se  sont 
témérairement  proposé  de  tromper  Dieu,  leur  maître.  Où  sont-ils, 
ces  loups   armés,    ces  tyrans   pervers   qui    établissent   charge   sur 
charge,  oppriment  les  pauvres  gens,  réclament  aujourd'hui    une 
corvée  volontaire,  et  la  changent  Tannée  suivante  eu  obligation  per- 
manente, car  telle  est  l'origine  de  la  plupart  de  leurs  droits  tra- 
ditionnels!  Dans  quel  code  ont-ils  lu  que  Dieu,   leur  maître,  leur 
ait  jamais  donné  une  puissance  si  grande  que  nous  autres,  pauvres 
gens,  devions  être  contraints  de  cultiver  leurs   terres,  et  encore 
lorsque  le  temps  est  beau,  tandis  que  lorsqu'il  pleut,  il  faut  que  les 
malheureux  laissent  tomber  dans  leurs  propres  champs  leur  sanglante 
sueur  !  Dieu,  dans  sa  justice,  ne  tolérera  pas  longtemps  cette  effroyable 
captivité  babylonnienne;  il  ne  peut  exiger  que  nous  autres  misé- 
rables nous  soyons    contraints   de    moissonner  et  de  faucher  les 
prairies  de  nos  maîtres,  de  labourer  leurs  champs,  d'y  semer  le  lin, 
de  le  dréger,  de  l'arracher  de  nouveau,  de  le  charrier,  de  le  laver, 
de  le  séparer,  de  le  filer.  Miséricorde  !  qui  donc  a  jamais  ouï  parler 
d'une  pareille  servitude?  Ils  taxent  et  usent  la  moelle  de  nos  os,  et 
nous  devons  encore  payer  la  dime!  Où  sont-ils,  ces  beaux  jouteurs, 
ces  habiles  coureurs,  ces  joueurs,  ces  banquiers,  plus  repus  que  des 
chiens  vomissants?  Pour  entretenir  leurs  plaisirs,  nous  sommes  for- 
cés de  leur  pa>er  l'impôt,  la  dime  et  les  redevances,  et  le  pauvre 
n'en  doit  pas  moins  trouver  à  la  maison  le  pain,  le  sel  et  la  graisse, 
et  nourrir  sa  femme  et  ses  pauvres  petits  enfants  qui  ne  sont  pas 
encore  élevés.  Où  sont-ils,  les  autres  voleurs  avec  leur  commerce 
et  leurs  douanes?  Maudits  soient  leurs  infamies  et  leurs  brigandages 
autorisés!  Où  sont-ils,  les  tyrans  et  les  scélérats  qui  s'approprient 
les  dimes,  les  taxes,  l'argent  donné  à  grand'peine  par  le  pauvre, 
puis  gaspillent  et  dépensent  d'une  manière  infâme  et  criminelle  ce 
qui  devait  entrer  dans  la  bourse  commune  pour  l'intérêt  de  tous? 
Et  néanmoins  personne  ne  rechigne,  personne  ne  les  traite  comme 
des  scélérats  qu'ils  sont,  personne  ne  songe  aies  mettre  au  cachot, 
à  les  décapiter,  à  les  écarteler,  pour  qu'il  leur  soit  fait  moins  de 
miséricorde  qu'à  des  chiens  enragés!  Si  Dieu  leur  a  donné  un  tel 
pouvoir,  qu'ils  montrent  donc  leurs  titres!  Où  l'ont-ils  lu,  ce  com- 
mandement de  Dieu?  Oui,  leur  autorité  vient  de  lui,  mais  en  ce 
sens  qu'ils  sont  les  suppôts  du  diable  et  qu'ils  ont  Satan  pour  capi- 
taine, car  ils  sont  véritablement  les  ennemis  jurés  de  leur  propre 
pays.  Et  ceux  qui  ont  des  serfs,  qu'ils  approchent!  Maudite  soit  leur 


480  APPEL  AU  MASSACRE  DES  PRINCES  ET  SEIGNEURS.   1525. 

conduite  impie  et  païenne!  Quel  martyre  ils  nous  font  subir,  à  nous 
autres  pauvres  gens!  Nos  âmes  sont  les  serfs  du  prêtre,  et  nos  corps 
les  serfs  du  pouvoir  séculier!  » 

Mais  '  le  temps  des  tyrans  était  passé,  et  le  jour  du  salut  arrivé.  " 
(Luc,  XIX.)  «  Allons,  Dieu  le  veut!  sonnons  le  tocsin!  Préci- 
piter de  leur  siège  les  Moab,  les  Acliab,  les  Agag,  les  Phalaris,  les 
Néron,  c'est  la  joie  suprême  de  Dieu!  Ceux-là,  TÉcriture  ne  les 
appelle  pas  serviteurs  de  Dieu,  mais  loups,  serpents,  dragons!  Qui 
sait  si  le  pitoyable  cri  des  moissonneurs,  la  supplication  des  pauvres 
ne  sont  pas  arrivés  jusqu'aux  oreilles  du  Dieu  des  armées?  Qui  sait 
s'il  ne  les  a  pas  écoutés  dans  sa  miséricorde,  et  si  le  jour  du  massacre 
ne  va  pas  luire  pour  les  bestiaux  engraissés  qui  ont  noyé  leur  cœur 
dans  la  volupté  au  temps  même  de  la  détresse  du  peuple?  "  (Jacques,  v.) 

«  Mais  comme  tout  pays  ou  commune  a  le  droit  de  déposer  un 
souverain  inique,  je  vais  citer  ici  treize  maximes  de  la  justice  divine, 
que  les  portes  de  l'enfer  et  tous  les  suppôts  de  Satan  ne  pourront 
jamais  venir  à  bout  de  renverser.  Celui  qui  en  a  envie  peut  y  frotter 
sa  bosse,  je  suis  tout  prêt  à  soutenir  avec  lui  la  dispute;  mais  qu'il 
fasse  attention  à  ce  que  la  langue  ne  lui  fourche  pas,  comme  aux 
papistes!  » 

«  S'ils  disent  :  L'Empereur  seul  a  le  droit  de  déposer  vos  maîtres, 
ce  pouvoir  n'appartient  pas  aux  sujets,  ne  les  écoutez  pas,  ce  sont 
là  des  canards  bleus!  Et  que  diriez- vous  donc,  si  je  vous  révélais  que 
nous  pourrions  fort  bien  supprimer  l'Empereur  lui-même?  A-t-on 
oublié  que  plus  d'une  fois  rois  et  empereurs  ont  été  chassés  par  leurs 
sujets?  » 

Pour  justifier  la  révolte,  l'auteur  invoque  l'exemple  d'Élie  et  de 
Moïse,  qui  soulevèrent,  eux  aussi,  contre  Pharaon  la  révolte  d'un 
autre  «  pauvre  Conrad  ».  Il  en  appelle  même  au  Christ.  «  Ne  vous 
lais.sez  pas  égarer  ',  dit-il,  lorsque  vous  entendrez  invoquer  la 
tradition  par-ci,  la  vieille  coutume  par-là.  Qu'on  ne  me  parle  plus 
de  coutume,  à  moins  qu'elle  ne  soit  conforme  à  la  justice  !  Com- 
mettre pendant  mille  ans  une  iniquité  ne  constituera  jamais  un 
droit!  » 

Tout  pouvoir  héréditaire  est  funeste  à  l'intérêt  général.  Le  gou- 
vernement doit  être  élu  par  le  peuple,  et  seulement  pour  un  espace 
de  temps  déterminé. 

"  Lorsqu'on  parcourt  l'Écriture,  et  qu'on  sonde  les  choses  avec 
une  sérieuse  attention,  on  voit  clairement  les  misères  sans  nombre, 
les  maux  hideux,  engendrés  par  le  pouvoir  personnel  et  héréditaire. 
Que  ne  pourrions-nous  pas  dire  des  actes  arbitraires  du  passé! 
Mais  quels  crimes  pourraient  jamais  dépasser  l'horreur  de  ce  qui  se 
voit  en   notre  temps,  où  la  cupidité  et  le  luxe  des  princes  con- 


\i'i'i;i.  All  MAssAcci:  i)i;.s  I'iuncks  kt  si:r(.\f:i:r>s.  152.:;.  48i 

tredisent  si  hardiment  la  pure  parole  de  Dieu  cl  la  tiennent  opprinnée 
au  moyen  des  cachots,  des  supplices  et  de  cent  autres  traitements 
tyranniques?  Oh!  que  d'odieux  abus  de  pouvoir  commis  envers  les 
sujets  par  la  royauté  iiérédilaire,  impie  et  «'riminelle!  Tant  (jue  les 
Homains  ont  gardé  le  gouvernement  républicain,  par  conseils  et 
corporations,  ds  ont   vu  leur  puissance    s'étendre  journellement, 
jusqu'à  soumettre  le   monde  entier.  Mais  dès  qu'ils  se  sont  laissé 
chatouiller  par  le  désir  d'abandonner  le  gouvernement  populaire 
pour  mettre  à  leur  tète  des  rois  élus,  aussitôt  commença  leur  déca- 
dence, par  suite  de  Tégoisle  cupidité,  du  faste  et  de  l'orgueil  du 
souverain  élu.  "  -  Depuis  le  premier  empereur  Jules  César  jusqu'au 
grand  Charlemague,  on  compte  soixante-seize  empereurs  romains, 
sur  lesquels  trente-quatre  ont  été  lamentablement  massacrés,  tous 
à  cause  de  leur  tyrannie;  quelques-uns  noyés,  d'autres  décapités, 
dautres  brûlés.   "    <    En  résumé,  dès   que  le   peuple   romain   eut 
renoncé  à  gouverner  par  lui-même  pour  se  mettre  sous  le  joug  d'un 
empereur,  ce  fut  le  commencement  de  sa  misère,  ju^iqu'à  ce  qu'enfin 
il  fut  réduit  au  servage,  lui  qui  autrefois  avait  dominé  le  monde.  Si 
je  parle  ici  des  Homains,  voici  quel  est  mon  motif  :  c'est  que  nos 
grands  seigneurs  se  vantent  ordinairement  de  tirer  leurs  droits  et 
traditions  de  Rome.  Oui,  ils  se  font  gloire  de  revenir  à  l'antique 
tradition  païenne,  el  ils  ne  songent  pas  que  nous  descendons  tous 
de   Dieu,    et   que   personne,  quelle   que   soit  son    origine,  n'est 
plus  ancien  qu'un  autre  d'une  minute,  qu'il  soit  roi  ou  berger.  • 
L'auteur  du  libelle  allègue  ici  l'histoire  des   Hébreux   pour  établir 
que  les  souverains  et  le  principe  de  l'hérédité  font  généralement 
tomber  les   peuples   dans  l'idolâtrie  :    «  Tant  que   les  enfants  de 
l'alliance,  tant  que  le  peuple  de  Dieu  eut  un  gouvernement  démo- 
cratique et  point  de  rois,  Dieu  demeura  avec  eux  et  mit  sa  com- 
plaisance en  eux;  ils  étaient  dignement  gouvernés  et  vivaient  heu- 
reux. Mais  lorsque  la  convoitise  païenne  les  eut  séduits  et  tentés 
au  point  de  leur  faire  désirer  d'être  régis  par  un  roi  tout-puissant, 
lorsqu'ils  eurent  demandé  au  prophète  Samuel  de  choisir  pour  eux 
un  souverain  de  la  part  du  Seigneur,  il  est  dit  clairement  dans  le 
second  chapitre   de  Samuel  que   Dieu  s'en    montra  fort  irrité  et 
leur  fit  annoncer  par  son  prophète  que  de  grandes  calamités  allaient 
fondre  sur  eux,  et  que  la  misère,  le  servage  et  raille  autres  maux 
seraient  la  conséquence  du  pouvoir  héréditaire.  > 

Dans  un  chapitre  spécial  intitulé  :  Exhortation  consolante  à  nos 
frères  chrétiens ,  l'auteur  donne  aux  insurgés  des  conseils  pratiques. 
Ils  sont  invités  à  faire  tous  leurs  efforts  pour  maintenir  parmi  eux 
le  bon  ordre;  surtout  ils  doivent  faire  choix  de  bons  guides.  '  Sur 
six  hommes,  un  caporal  doit  être  élu;  dix  caporaux  nomment  un 

II.  31 


482  APPEL  AU  MASSACRE  DES  PRINCES  ET  SEIGNEURS.  1525. 

centurion;  dix  centurions,  un  capitaine;  dix  capitaines  élisent  enfin 
un  général  en  chef,  un  prince  ".  Mais  les  chefs  doivent  être  choi- 
sis parmi  le  peuple;  il  faut  éliminer  tous  les  nobles,  «  car  il  ne  con- 
vient pas  que  le  poil  du  loup  se  mêle  à  la  laine  de  la  brebis;  jamais 
dans  la  nature  on  n'a  vu  le  vautour  s'unir  à  la  colombe  ».  Les  chefs 
doivent  se  réunir  souvent,  «  rien  n'étant  plus  propre  que  les  assem- 
blées à  fortifier  et  à  maintenir  l'entente  et  l'union  cordiales  des 
armées  populaires  ».  Personne,  fût-il  pressé  par  le  besoin,  ne  doit 
souiller  ses  mains  d'un  bien  étranger.  -  Cependant  si  quelqu'un 
voulait  courir  quelque  aventure  avec  vous  et  s'obstinait  dans  cette  pen- 
sée, il  faudrait  laisser  la  volonté  de  Dieu  s'accomplir,  et  permettre 
le  désordre  à  qui  ne  voudrait  pas  se  laisser  persuader.  »  Les  frères  ne 
doivent  pas  douter  du  succès  de  leur  cause,  l'exemple  de  la  Suisse 
leur  dit  assez  la  puissance  d'une  persévérance  courageuse.  -  Et  sans 
que  je  rappelle  ici  l'histoire  ancienne,  que  de  hauts  faits  héroïques 
a  souvent  accomplis  la  pauvre  petite  troupe  de  nos  voisins!  Que  de 
fois  les  seigneurs,  tout  en  dégustant  leur  vin,  les  ont  battus  dans  leur 
pensée  orgueilleuse,  riant  de  ce  que  trois  pauvres  Suisses  osassent  leur 
résister,  et  de  ce  que  des  bergers  et  des  sacristains  pensassent  les 
vaincre!  Cependant  la  plupart  de  ces  fanfarons  prirent  la  fuite  à 
l'approche  des  Suisses  révoltés,  si  bien  que  rois,  empereurs,  princes, 
tous  sont  devenus  la  risée  du  monde,  malgré  leur  pouvoir,  leur 
armée  si  forte  et  si  bien  ('quipée!  »  »  Sans  aucun  doute,  tout  cela 
est  arrivé  par  la  permission  et  la  volonté  du  Dieu  tout-puissant. 
Comment  sans  cela  la  confédération  serait-elle  née  de  l'initiative 
de  trois  paysans?  Et  cette  confédération  s'augmente  encore  tous 
les  jours  et  ne  laissera  pas  de  relâche  aux  puissants,  car  Tor- 
gueilleux  pouvoir  personnel  ne  veut  pas  se  repentir,  de  sorte  que 
nous  verrons  peut  être  s'accomplir  la  prophétie  qui  assure  qu'à 
Schwanenberg',  en  Franconie,  une  vache  promènera  ses  regards 
sur  la  campagne  et  beuglera  si  fort  qu'on  l'entendra  jusqu'en 
Suisse.  En  vérité,  la  plaisanterie  n'est  pas  si  invraisemblable!  On 
connaît  le  dicton  populaire  :  '•  Qui  protège  la  Suisse?  L'Esprit  du 
Seigneur  M  » 

Les  révoltés  devaient  bien  se  garder  de  prêter  l'oreille  à  aucune 
proposition  de  paix  ou  paroles  d'accommodement  :  «  Songez-y  bien, 
mes  frères  bien-aimés,  vous  avez  rempli  de  tant  d'amertume,  de  tant 


1  Schwanenberg  près  d'Ipliosen,  dans  i'évêché  de  VVürzbour,'^. 
-  La  {gravure  sur  bois  du  froniispice  reproduit  ce  dicton.  Il  représente  une 
roue,  au-dessous  de  laquelle  se  lisent  les  vers  suivants  : 

A'oici  le  temps  et  l'heure  de  la  roue  de  la  fortune! 

Dites,  paysans,  bons  chrétiens,  romanistes,  so,jhistes. 

Qui  a  donné  bon  succès  à  la  Suisse?  L'esprit  du  Seigneur  ! 


\l'l'i;i.  AI:   MASSACKK   iJIiS  PllINCES  ET  SEIGNEURS.  1525.  483 

de  fiel  le  cœur  de  vos  maîtres  qu'il  est  impossible  que  maintenant  ils 
se  laissent  attendrir,  il  ne  faut  pas  y  songer.  Les  seigneurs  ne  souf- 
frenl  pascju'oii  les  irrite;  ils  veulent  être  les  niaitres,  ils  veulent  même 
iMre  des  idoles.  Un  proplièle  a  prédit  à  leur  sujet  qu'ils  s'élèveraient 
contre  le  Seigneur  et  contre  son  Christ  (psaume  ii).  »  «  Les  révoltés, 
en  consentant  à  parlementer  avec  les  seigneurs,  seraient  sûrs  d'attirer 
sur  eux  calamité  sur  calamité;  à  la  tin,  une  mort  horrible  serait  leur 
partage.  "  »  En  ce  temps-là,  malheur  à  vos  enfants!  Comment  auriez- 
vous  le  cœur  de  leur  léguer  un  si  effroyable  héritage?  Maintenant 
vous  faites  corvée  avec  le  lioyau,  la  charrue,  les  chevaux;  mais 
plus  lard  vos  enfants  devraient  s  atteler  eux-mêmes  à  la  herse.  Si 
jusqu'à  présent  il  vous  a  été  permis  d'entourer  vos  champs  de  haies 
pour  les  proléger  des  bètes  fauves,  vous  devriez  alors  les  laissera 
leur  merci.  Si  jusqu'ici  l'on  s'est  contenté  de  vous  crever  les  yeux, 
alors  ou  vous  ferait  passer  par  les  piques.  Si  vous  avez  payé 
jusqu'à  ce  jour  l'impôt  de  la  ■<  meilleure  tête  ",  si  vous  avez  été  serfs, 
once  temps-la  vous  seriez  de  vrais  esclaves  et  vous  n'auriez  plus  rien 
à  vous,  ni  dans  vos  corps  ni  dans  vos  biens;  ou  vous  vendrait  à  la 
mode  turque,  comme  le  bétail,  comme  les  chevaux  et  les  bœufs. 
Et  si,  vous  voyant  ainsi  traités,  vous  faisiez  la  moue,  loin  d'avoir 
égard  à  votre  douleur,  ou  vous  torturerait,  on  vous  jugerait,  on 
vous  emprisonnerait,  et  le  courir  sus  et  la  malédiction  ne  finiraient 
que  lorsque  les  valets  de  tyrans  vous  auraient  conduits  dans  le  donjon 
le  plus  proche  pour  vous  y  faire  subir  martyre  sur  martyre;  les 
uns  seraient  battus  de  verges,  les  autres  auraient  les  joues  brii- 
lées,  les  doigts  coupés,  la  langue  arrachée;  ils  seraient  écartelés, 
décapités!  " 

Aussi  l'auteur  espère-t-il  que  les  révoltés  fermeront  l'oreille  à 
toute  proposition  de  paix,  et,  terminant  son  libelle,  il  jette  encore 
un  dernier  et  insultant  défi  aux  princes  et  aux  seigneurs  :  «  Allons, 
remuez- vous!  En  fin  de  compte,  il  faut  que  vous  dégringoliez!  il  ne 
vous  sert  de  rien  de  me  regarder  de  travers  '!  » 


'  Le  tilre  porte  :  ^n  die  Versammlung  gemaijncr  Pauerschaft,  so  in  hochdeutscher  Mation 
und  ait  auderer  Ort,  mil  empöncnrj  und  uffrur  entstanden,  etc.  ;  ob  ir  empörunq  billicher 
oder  unbilliger  gestall  geschrheu,  und  was  sie  der  Oberkait  schuldig  ode>-  wchl  schuldig 
SL-ind,  etc.,  gegründet  aus  der  h.  Göttlichen  geschrifl,  von  Oberlendischen  m'lbrüdern  guter 
waynung  umgangen  und  beschrieben,  quatre  feuilles  iii-quarto,  sans  indication  de  lieu 
et  d'année  et  sans  nom  d'auteur.  Strubel  [Beiträge,  t.  II,  p.  45i  présume  d'après 
les  caraclères  qu'elles  ont  été  imprimées  à  Nuremberg.  —  Zimmermann,  t.  II, 
p.  115,  pense  que  si  elles  ne  sont  pas  de  Miinzer,  elles  proviennent  à  coup  sur 
du  cercle  de  ses  disciples.  Janke  (Studien  und  Skizzen,  p.  siOj  avait  déjà  fait 
observer  avec  raison  (|u'elles  ne  pouvaient  être  de  .Vunzer,  puisque  lauteur 
anonyme  invoque  l'autorité  de  Luther  pour  lequel  Münzer  professait  le  plus 
profond  mépris.  Personnellement,  Luther,  lui  non  plus,  n'a  rien  eu  à  voir 
dans  cette  proclamation. 

31. 


484  LA   RÉVOLUTION  SOCIALE,  VRAIE  GUERRE  DE  RELIGION. 


IV 


Ces  désirs  de  tout  détruire,  ces  tendances  en  partie  socialistes,  en 
partie  communistes,  n'empêchaient  point  la  révolution  d'avoir  avant 
tout  le  caractère  d'une  guerre  de  religion. 

"  J'apprends  ',  écrivait  le  conseiller  et  trésorier  de  Nuremberg 
Gaspard  Nïitzel,  -  que  les  paysans  se  rassemblent  en  grandes  troupes 
et,  tous  les  jours  plus  nombreux,  sont  résolus  de  soutenir  par  le 
glaive  le  saint  Evangile  et  la  parole  de  Dieu,  «  «  La  volonté  divine  », 
continue-t-il,  «  pousse  les  esprits  à  agir;  il  faut  qu'elle  s'accomplisse, 
sans  égard  pour  les  fausses  cérémonies  inventées  par  les  hommes.  '- 
"  On  ne  peut  nier  l'action  de  Dieu,  en  voyant  ce  peuple  de  cinquante 
mille  hommes  grossir  encore  tous  les  jours,  attirer  à  lui  les  cités 
elles-mêmes,  et  ne  se  proposer  qu'un  seul  but,  l'extirpafion  des  sectes 
et  l'établissement  vraiment  chrétien  de  l'Évangile.  >;  Ce  peuple  -  ad- 
mirable >'  avait  dès  longtemps  manifesté  l'ardeur  de  sou  zèle  par  le 
pillage  et  l'incendie  de  beaucoup  d'abbayes  et  couvents  des  envi- 
rons, mais  ces  faits  ne  déconcertaient  en  rien  le  trésorier  Niitzel, 
C'est  que  ni  lui  ni  nue  foule  de  bourgeois,  propriétaires  comme  lui, 
n'avaient  encore  clairement  compris  que  le  prolétariat  révolté,  tout 
en  ayant  sans  cesse  à  la  bouche  les  mois  d'  Évangile  >'  et  de  «  charité 
fraternelle  »,  ne  songeait  en  réalité  qu'au  partage  des  biens.  Niitzel  re- 
gardait la  guerre  faite  à  la  propriété  et  aux  droits  de  l'Eglise  comme 
une  bénédiction  du  Seigneur  :  '  Je  ne  puis  m'empécher  de  croire  », 
dit-il  à  propos  des  révoltés,  '  que  Dieu  nous  regarde  vraiment  avec 
une  particulière  miséricorde;  tous  les  jours  il  nous  envoie,  comme 
une  rosée  bienfaisante,  sa  grâce  et  sa  paix  '. 

«  Les  insurges  ne  dissimulent  aucunement  »,  lisons-nous  dans  une 
lettre  datée  du  7  avril  1525,  «  que  leur  but  est  d'exterminer  tout 
prêtre  qui  refuse  d'abandonner  l'Église;  qu'ils  veulent  détruire  les 
cloîtres  et  les  évêchés,  et  ruiner  complètement  la  foi  catholique  en 
Allemagne.  De  là  vient  que  tant  de  princes,  nobles  et  autorités  des 
villes,  favorables  aux  doctrines  de  Luther  et  des  autres  docteurs 
d'hérésie,  ne  se  sont  pas  encore  mis  en  demeure  de  leur  résister,  et 
leur  ont  même  fréquemment  prêté  leur  appui;  tant  qu'ils  se  sont 

'  Dans  HÖFLER,  Denhicûrdigleiten  der  Charitas  Pirkheimer,  p.  42,  57-58.  De  Sem- 
blables manières  de  voir  semblent  justifier  les  soupçons  des  princes  voisins,  qui 
assuraient  que  Nuremberg  était  d'intelligence  avec  les  paysans  révoltés  de 
Franconie.  —  Voy.  sur  ce  point  Jörg,  p.  150-155. 


I.A    IIKVOI.UTION  SOrrAI:!;,   VltAIK  (.IKKI'.K  DE  KKLIGION.  485 

bornés  à  décrier  le  clergé,  à  piller  et  détruire  les  couvents  et  les 
maisons  religieuses,  ils  ont  fout  approuvé;  mais  la  question  a  changé 
de  face  depuis  que  les  insurgés  parlent  d'abolir  toute  autorité  et  de 
dépouiller  ceux  qui  possèdent  '.  «  «  Tant  qu'on  a  pu  croire  »,  écri- 
vait le  prédicant  luthérien  Flérold,  <  qu'il  ne  s'agissait  que  de  moines 
et  de  clercs,  on  a  tranquillement  laissé  faire;  on  voyait  même  avec 
une  certaine  joie  les  prêtres  boire  le  coup  d'honneur,  et  l'on  espé- 
rait se  chauffer  bientôt  à  leur  feu.  Mais  ce  coup  d'honneur  n'a 
pas  été  seulement  pour  le  clergé,  comme  l'avaient  pensé  ceux  qui 
d'abord  avaient  applaudi  à  la  bagarre,  et  les  étincelles  du  feu  ont 
volé  si  loin  qu'en  peu  de  temps  non-seulement  les  cloîtres  et  les 
maisons  religieuses  ont  été  détruits,  les  biens  ecclésiastiques  con- 
fisqués, les  moines  et  les  vierges  chassés  de  leurs  asiles,  mais  que  les 
châteaux  et  les  villes  appartenant  aux  autorités  temporelles  ont  été 
à  leur  tour  assaillis,  et  que  les  insurgés  ont  parlé  de  supprimer  la 
noblesse  et  de  se  débarrasser  de  toute  autorité  ^  "  '  Au  début,  nous 
regardions  faire  »,  avouait  le  comte  luthérien  Guillaume  de  Hen- 
neberg, «  nous  n'étions  même  pas  fâchés  de  voir  l'orage  crever 
sur  la  tête  des  clercs  et  des  moines.  Hélas!  nous  ne  nous  doutions 
guère  que  la  grêle  était  bien  près  de  tomber  sur  nous  M  > 

Aussi  regarda-t-on  alors  comme  un  très-grand  bonheur  pour  le 
clergé  que  les  insurgés  se  fussent  si  vite  tournés  vers  la  noblesse; 
'  sans  cela  les  seigneurs  se  fussent  bornés  à  regarder  à  travers 
leurs  doigts,  et  eussent  très-froidement  assisté  à  l'entière  destruc- 
tion du  clergé.  Mais  ce  fut  bientôt  à  eux  de  se  mettre  en  branle, 
car  les  paysans  forcenés  saccagèrent  plus  de  deux  cents  châteaux  et 
couvents  ^.  » 

La  sauvage  furie  qui  se  déchaîna  alors  contre  tous  les  monuments 
et  symboles  de  l'antique  foi,  les  profanations  horribles,  inouïes 
jusque-là,  commises  pendant  la  guerre,  prouvent  assez  que  la  révo- 
lution était  avant  tout  une  guerre  de  religion.  Les  odieux  sacri- 
lèges commis   par  les   insurgés  n'étaient,  d'ailleurs,  que  la  con- 


'  *  Tricrischen  Sachen  und  Bris'fschafUn,  p.  91. 

ä  Chronik  von  Schicübifch-HiiU.,  p.  82-83. 

^  Lettre  au  duc  Albert  de  Prusse  du  2  février  1526,  Anzeiger  für  Kunde  der  deuts- 
chen lorzeii,t.  VII,  p.  113-117.  Le  chroniqueur  de  Ratisboune,  Léonard  VVidinann, 
écrit  en  1525  au  sujet  des  paysans  :  -  Ils  se  montrèrent  d'une  telle  férocité 
qu'il  semblait  que  le  Turc  fût  dans  le  pays;  ils  furent  cruels,  grossiers,  impi- 
toyables. Tant  que  l'orage  ne  tomba  que  sur  les  prêtres  et  les  couvents,  on 
laissa  faire,  iout  le  monde  riait;  mais  aussitôt  que  les  révoltés  commencèrent  à 
bi  iMer  les  châteaux,  à  chasser  les  nobles,  chacun  se  réveilla.  ■>  Chroniken  der  deut- 
schen Studie,  t.  XV,  p.  61. 

*  Knebel,  Donauwörther  Chronik,  dans  B.iUMANX,  Quellen,  p.  270.  —  Vov.  aussi 
l'opiuion  pleine  de  bon  sens  de  l'ambassadeur  de  Venise,  Tiepolo,  dans  Alberc, 
Rclazioni,  ser.  1,  t.  I,  p.  121-122. 


486  LA  RÉVOLUTION  SOCLALE,  VRAIE  GUERRE  DE  RELIGION 

séquence  bien  naturelle  de  la  haine  systématiquement  excitée  parmi 
le  peuple  par  tant  de  prédications,  d'agents  secrets,  de  pamphlets, 
de  libelles  incendiaires.  On  n'avait  cessé  de  répéter  aux  «  pauvres 
gens  55  que  l'imposture  et  les  artifices  diaboliques  du  clergé  avaient, 
depuis  des  siècles,  dépouillé  leurs  ancêtres  et  eux  delà  vraie  foi  chré- 
tienne et  du  saint  Évangile;  que,  contrairement  à  toute  justice,  on 
leur  avait  tait  supporter  des  charges  temporelles  écrasantes;  qu'ils 
avaient  payé  des  dîmes,  des  impôts,  malgré  le  commandement  exprès 
de  Dieu;  on  leur. avait  affirmé  qu'ils  avaient  été  perfidement  con- 
duits à  un  état  voisin  de  l'esclavage,  et  qu'il  était  de  leur  devoir 
de  refuser  de  payer  les  taxes,  de  détruire  les  couvents,  les  mai- 
sons des  clercs,  d'égorger  les  moines,  les  religieuses,  les  prêtres, 
qui  tous  n'étaient  que  les  serviteurs  du  démon'.  Aussi,  comme 
cela  n'était  que  trop  facile  à  prévoir,  le  peuple  finit-il  par  se  per- 
suader «  que  c'était  servir  Dieu  que  renverser  et  saccager  les  églises 
et  les  monastères,  et  qu'outrager,  humilier  tous  les  membres  du 
clergé,  c'était  faire  œuvre  pie^  ».  "  Les  fourberies  des  prêtres  >, 
avait  dit  en  pleine  chaire  le  prédicant  Éberliu  de  Günzbourg  (1521), 
«  ne  cesseront  que  lorsque  les  paysans  se  décideront  enfin  à  noyer 
et  à  pendre  les  bons  avec  les  méchants;  alors  leur  imposture  recevra 
vraiment  son  salaire 3.  » 

«  C'est  Luther  qui  a  sonné  le  premier  le  tocsin  >-,  lisons-nous  dans 
un  écrit  polémiste  du  temps;  il  ne  peut  détourner  de  lui  la  respon- 
sabilité de  la  révolte.  11  a  écrit,  il  est  vrai,  que  le  peuple  ne  devait 
employer  la  violence  que  lorsque  l'autorité  l'y  conviait,  et  pendant  la 
sanglante  lutte,  il  a  flétri  l'insurrection  avec  un  extrême  emporte- 
ment. Mais  le  peuple  ne  sait  point  faire  tant  de  distinctions;  il  n'a 
retenu  dans  les  écrits  et  prédications  de  Luther  que  ce  qui  servait 
sa  passion.  Or  tu  as  déclaré  dans  tes  livres  »,  dit  l'auteur  s'adres- 
sant  à  Luther,  «  qu'il  était  légitime  de  s'insurger  contre  le  Pape  et 
les  cardinaux,  et  qu'il  fallait  tremper  ses  mains  dans  le  sang  des 
clercs.  Tu  as  appelé  les  évêques  qui  ne  voulaient  pas  adopter  ta 
doctrine,  des  prêtres  d'idoles,  des  serviteurs  de  Satan;  tu  as  dit 
qu'une  violente  émeute,  qui  les  déracinerait  de  ce  monde  parla  force, 
serait  la  juste  punition  de  leurs  crimes,  et  que,  ce  cas  échéant,  il  ne 
faudrait  que  rire.  Tu  as  appelé  enfants  de  Dieu,  véritables  chré- 
tiens, ceux  qui  se  disposaient  à  saccager  les  évêchés  et  à  renverser  la 


I  Voy.  plus  baut,  p.  180-202. 

*  •  ...prrsuasionem  liabeni  se  Dei  negolium  a^ere  in  templis,  coenobiis,  mona- 
steriis  diriu  ndis,  spoliandisque  et  misère  affligendis  sacerdotibus.  »  Ferdinand  à 
Clément  vii,  20  mai  1525,  communiqué  par  Chmel  dans  les  Sitzungsberichten  der 
Wiener  Académie,  t.  II,  p.  28-34. 

'  XI 1/  Bundsgnoss. 


lA  RÉVOLUTION  SrtClAl.i:,   VI',  ME  (MERliE   IH:   IJElKilON.  487 

dominalioD  des  évèjjiies;  tu  ;is  ajoiifc  que  celui  qui  prêtait  obéis- 
sance aux  évoques  était  le  valet  du  diable;  tu  as  appelé  les  cloîtres 
des  cavernes  d'assassins,  et  lu  as  poussé  le  peuple  à  les  détruire  '.  ' 

Luiher  ne  pouvait  le  nier. 

Il  ne  pouvait  pas  davantage  se  laver  du  grave  reproche  que  lui 
faisait  plus  loin  le  même  auteur.  «  Non-seulement  dans  tes  écrits  de 
controverse  ",  lui  disait-il,  «  mais  dans  tes  livres  de  doctrine,  tu  as 
parlé  de  la  nécessité  de  raser  les  couvents.  » 

Dans  ses  sermons,  que  tant  d'éditions  avaient  propagés,  Luther,  en 
efïel,  avait  dil  :  <  La  destruction  des  abbayes  et  couvents  est  la 
première,  la  plus  utile  des  rélormcs.  Les  couvents  no  servent  de 
rien  à  la  chrétienté,  on  peut  parfaitement  s'en  passer.  Or  ce  qui 
n'est  ni  nécessaire,  ni  louable,  ce  qui  fait  un  mal  inexprimable  et 
ne  peut  être  réformé,  le  mieux  est  de  le  détruire  de  fond  en  comble.  » 
«  Le  piaulement  qui  se  pratique  dans  les  abbayes  et  les  couvents 
n'est  qu'une  pure  moquerie  de  Dieu,  c'est  tenter  Dieu  que  de  vou- 
loir le  continuer.  Il  serait  grand  temps  de  diminuer  enfin  ces  blas- 
phèmes, ces  scandales,  et  d'abattre  ces  "  maisons  de  raillerie  •', 
comme  parle  Arnos  au  chapitre  vu.  »  <  La  doctrine  des  bonnes 
œuvres  est  si  pernicieuse  et  si  funeste,  que  si  l'on  rasait  toutes  les 
églises  et  abbayes,  et  si  l'incendie  les  réduisait  en  cendres,  le  mal 
serait  moins  grand,  même  si  l'incendiaire  avait  agi  par  pure  ma- 
lice, que  si  une  seule  âme  était  entraînée  dans  une  semblable 
erreur.  Car  Dieu  n'a  point  fait  de  loi  au  sujet  des  églises,  il  n'a 
parlé  que  des  âmes,  et  ce  sont  les  âmes  qui  sont  ses  vrais  et  légi- 
times temples.  "  ;  Pour  détruire  cette  superstition,  il  serait  bon 
qu'on  renveisàt  une  bonne  fois  toutes  les  églises  du  monde  entier 
et  qu'on  ne  prêchât  plus  que  dans  les  maisons  ordinaires,  ou  sous 
la  voiUe  du  ciel.  C'est  là  qu'on  devrait  se  réunir  pour  prier,  baptiser 
et  célébrer  le  culte,  »  «  Comprends-tu,  maintenant,  pourquoi  le  ton- 
nerre frappe  plus  fréquemment  les  églises  que  tout  autre  édifice? 
C'est  que  Dieu  les  a  dans  une  horreur  singulière,  c'est  que  nul  repaire 
d'assassins,  nulle  maison  de  filles  publiques  n'est  témoin  de  plus  de 
péchés,  de  blasphèmes,  de  meurtres  d'âmes  et  de  crimes  mons- 
trueux. Là  où  l'Évangile  pur  «  (c'es(-à-dire  la  doctrine  de  Luther) 
"  n'est  pas  prêché,  l'entremetteur  de  filles  est  un  moins  grand  cri- 
minel que  le  prédicateur  papiste,  car  une  maison  de  perdition  fait 
moins  de  mal  qu'une  église.  Et  quand  bien  même  cet  entremetteur 
mettrait  à  mal  tous  les  jours  neuf  vierges,  neuf  pieuses  femmes  ma- 
riées ou  neuf  religieuses,  ce  qui  est  cependant  chose  effroyable  et 
horrible  à  imaginer,  il  ferait  un  moins  grave  péché  et  serait  cause 

'  Contra  M.  Lulherum,  fol.  19. 


488  REPRESSION    DE    LA    REVOLUTION. 

de  moins  de  mal  que  le  prédicateur  papiste.  >  ^  Si  le  clergé  ue  suit 
pas  la  voie  que  je  lui  trace,  je  souhaite  >•■,  avait  encore  dit  Luther, 
a  non-seulement  que  ma  doctrine  amène  l'entière  destruction  des 
couvents  et  des  abbayes,  mais  que  de  mes  propres  yeux  je  puisse 
un  jour  les  voir  réduits  en  un  monceau  de  cendres'.  -^ 


K  La  population  des  villes  et  des  villages,  affolée,  exaspérée, 
furieuse  »,  écrit  du  Uheingau  un  écrivain  contemporain,  "  était 
fort  à  son  aise  pour  se  livrer  au  pillage,  à  l'incendie;  elle  pou- 
vait à  son  gié  détruire,  profaner,  outrager  tout  ce  qu'il  y  a  de 
plus  sacré  au  monde  et  commettre  les  actes  les  plus  atroces,  car, 
depuis  longtemps  déjà,  il  n'y  avait  plus  aucune  espèce  d'autorité  en 
Allemagne.  Et  voilà  le  principal  motif  des  troubles  religieux  :  tous 
étaient  découragés,  divisés,  nul  ne  se  fiait  à  son  voisin.  Les  uns 
voyaient  avec  plaisir  la  ruine  du  clergé  et  ne  regardaient  les  prêtres 
que  comme  les  serviteurs  de  Baal;  les  autres  convoitaient  en  secret 
les  biens  ecclésiastiques,  et  se  disaient  que,  si  le  jeu  réussissait,  ils 
en  retireraient  sans  doute  un  bun  profit;  beaucoup  étaient  si  épou- 
vantés qu'ils  ne  savaient  que  résoudre;  beaucoup  sentaient  leur  coeur 
défaillir,  ne  sachant  que  trop  qu'ils  avaient  poussé  à  bout  la  patience 
du  pauvre  homme,  et  que  le  châtiment  de  Dieu  allait  les  atteindre-. 
«  Les  seigneurs,  même  les  jeunes  -',  dit  Anshelm  dans  sa  Chro- 
nique, i<  étaient  devenus  de  vrais  lièvres.  »  «  Lorsque  les  paysans, 
ayant  formé  leurs  bandes,  s'aperçurent  que  ces  nobles  vantards, 
qui  dans  leurs  discours  semblaient  toujours  prêts  à  les  dévorer, 
avaient  d'eux  une  si  épouvantable  peur  qu'ils  ne  songeaient  qu'à 
prendre  la  fuite  et  à  demander  grâce  et  merci,  lorsqu'ils  virent  que 
les  jeunes  gens  eux-mêmes,  ces  avaleurs  de  sabres  qui,  à  les  entendre, 
n'eussent  fait  qu'une  bouchée  de  dix  paysans,  n'osaient  pas  seule- 
ment les  regarder  en  face,  ils  s'enhardirent,  l'orgueil  leur  monta  à 
la  tête,  la  joie  les  rendit  fous;  ils  commencèrent  à  ravager  les  cam- 
pagnes, à  saccager  villages,  châteaux,  villes,  couvents,  abbayes,  à 


1  Sümmtl.  Werke,  t.  Vil,  p.  J21,  131,  222-223,  330.  —  Les  prêtres  et  les  moines 
sont  certainement,  à  moins  d'un  miracle  spécial  de  Dieu  et  par  le  seul  fait  de 
leur  état,  des  chrétiens  déchus,  des  apostats  ;  il  nest  pire  engeance  sur  terre.  Les 
Turcs,  eux  aussi,  sont  les  ennemis  du  Christ,  mais  sous  deux  rapports  ils  sont 
meilleurs  que  ceux-ci...  ■>  Sermon  pour  le  jour  de  l'an  de  1524,  t.  XVI,  p.  33. 

-  Voy.  plus  haut,  p.  464,  note  1. 


HKPKKSSION    DE    I,A    HKVOLUTION.  4Sf) 

attaquer,  dérober,  bouleverser,  piller,  briller:  à  vider  les  caves  et  à 
commettre  toutes  les  dévasiafions  imaginables.  On  tremblait  que 
rieu  u'échappât  à  leur  rajje'.  »  '  Les  priuccs  et  seijjneurs  «,  lisons- 
nous  dans  la  Chronique  de  Hall,  ont  eu  au  débul  un  jyrand  effroi;  ils 
ne  savaient  que  faire,  ni  (juel  était  le  dessein  de  Dieu  sur  eux.  Ce  fut 
en  vérité  une  guerre  étrange,  effroyable-!  »  '  Les  féroces  insurgés 
avaient  partout  la  liante  main  sur  les  princes  et  les  seigneurs.  » 
«  Hélas!  où  en  sommes-nous  réduits?  "  écrivait  le  duc  Georges  de 
Saxe  au  landgrave  Philippe  de  Hesse;  «  beaucoup  d'entre  nous  ont 
trouvé  intolérable  d'obéir  au  Pape  et  à  l'Empereur;  nous  avons 
secoué  le  joug  de  Taulorilé  temporelle  ou  ecclésiastique,  tant  nous 
nous  trouvions  habiles  et  nous  sentions  capables  de  tout  gouverner 
nous-mêmes;  et  voilà  que  Dieu  a  permis  qu'à  présent  nous  soyons 
régis  par  des  moines  défro(|ués  et  des  paysans  en  délireM  '  »  Le 
châtiment  de  Dieu  s'est  abattu  sur  nous  »,  dit  le  duc  à  un  autre 
endroit;  «  nous  avons  méprisé  le  Pape  et  l'Empereur,  et  mainte- 
nant des  rustres  nous  font  la  loi.  Si  Dieu  n'avait  suscité  parmi 
nous  quelques  cœurs  intrépides  et  loyaux,  mettant  leur  con- 
fiance eu  Dieu  bien  plus  qu'en  leur  propre  industrie,  les  hordes 
populaires  n'auraient  pu  être  mises  à  la  raison  par  le  petit  nombre 
de  nos  soldats*.  » 

On  n'avait  en  effet  à  opposer  aux  insurgés  qu'une  très-petite 
armée. 

Les  pouvoirs  dirigeants  étaient  désunis  et  en  ■'■  plein  désarroi  ". 
Les  lois  de  l'Empire  étaient  tombées  en  désuétude;  les  classes  riches, 
lâches  et  insouciantes,  pactisaient  avec  la  révolution. 

Lci  Conseil  de  régence  était  resté  longtemps  le  spectateur  inactif 
des  agissements  révolutionnaires,  et  avait  cru  ensuite  pouvoir  tout 
apaiser  en  offrant  son  intervention  et  sa  médiation;  mais,  à  la  pre- 
mière approche  des  paysans,  les  membres  du  Conseil  s'étaient  enfuis 
d'Esslingen  à  Geislingen. 

La  ligue  souabe  fut  dans  l'Empire  menacé  la  seule  force  vivante, 
énergique.  C'est  elle,  presque  exclusivement,  qui  fît  échouer  les  plans 
du  parti  de  la  destruction  et  de  l'anarchie \  L'Empereur  en  était 
lui-même  membre,  mais  seulement  pour  les  pays  de  l'Autriche  supé- 


'  Anshelm,  t.  VI,  p.  269,  283-285. 

-  Uerolt,  p.  106. 

^  Lettre  du  jeudi  après  Quasi  modo  geniii  27  avril)  1525,  dans  Rojimel,  t.  If, 
p.  8i. 

*  Instruction  de  Georges,  novembre  1525,  dans  Höfler,  Denkwürdigkeiten  der 
Charilaa  Pirkeimer,  LXX-LXXII. 

5  Ce  que  devint  avec  le  temps  la  ligue  formée  en  1522  pour  les  onze  années 
qui  allaient  suivre,  suffit  pour  prouver  le  relâchement  de  tous  les  ressorts 
sociaux  comme  de  tout  ordre  légal  à  cette  époque.  —  Voy.  Jörg,  p.  39-40. 


490  RÉPRESSION    DE    LA    RÉVOLUTION. 

rieure,  de  la  Souabe,  du  haut  Rhin,  du  Tyrol  et  du  duché  de  Wur- 
temberg, pays  restés  sous  la  tutelle  de  l'Autriche.  Les  autres  membres 
de  la  ligue  étaient  :  l'électeur  de  Mayence,  les  évêques  de  Wurz- 
bourg,  d'Eichsladt  et  d'Augsbourg,  les  ducs  de  Bavière,  le  land- 
grave de  Hesse,  plusieurs  prélats,  comtes,  seigneurs,  chevaliers,  et 
diliérentes  villes  libres  de  Souabe  et  de  Franconie. 

Les  ducs  de  Bavière  y  avaient  la  prépondérance,  à  cause  des  talents 
exceptionnels  de  leur  chancelier  Léonard  d'Eck,  conseiller  de  la 
ligue.  Quelque  funeste  qu'ait  été  plus  tard  le  rôle  d'Eck',  il  faut 
savoir  reconnaître  les  grands  services  qu'il  a  rendus  à  son  pays  pen- 
dant la  révolution  sociale.  Il  n'est  que  juste  d'affirmer  que  sa  fer- 
meté, son  coup  d'œil  juste  et  hardi  ont  sauvé  l'Allemagne.  C'est 
grâce  à  son  énergie  que  la  Bavière  put  rester  en  dehors  des  troubles 
et  des  orages  religieux,  des  horreurs  de  la  guerre  civile  et  de  la 
sauvage  fureur  des  anarchistes.  C'est  à  lui  que  l'Allemagne  a  dû  les 
armements  si  opportuns  de  la  ligue  souabe.  ;<  .le  sais  bien  •,  écrivait- 
il  au  duc  Guillaume,  «  que  les  lettres  que  j'ai  adressées  à  plusieurs 
reprires  à  Votre  Grâce,  et  où  je  lui  révélais  hi  pusillanimité  déplo- 
rable des  princes  et  des  chefs,  ont  été  raillées  de  bien  des  gens 
qui  peut-être  verraient  sans  déplaisir  une  catastrophe,  gens 
moins  tentés  de  se  battre  qu'amoureux  de  leur  repos.  »  «  On 
se  plait  »,  dit-il  encore,  "  à  exagérer  la  puissance,  les  forces,  les 
ressources  des  paysans  révoltés;  mais  fussent-ils  aussi  nombreux 
qu'on  le  préfend,  Votre  Grâce  ne  peut  nier  que  le  Turc  étant  à  nos 
portes,  il  ne  faille  se  défendre  à  tout  prix,  mourir  ou  être  expulsé! 
Le  premier  signal  de  notre  défaite  et  de  notre  ruine  totale  serait 
notre  timidité.  Les  émeutiers  ne  rêvent  que  d'humilier  les  princes 
et  de  se  débarrasser  de  toute  autorité.  »  Animé  d'un  infatigable  zèle, 
Eck  pressait  les  armements,  et  ne  cessait  d'insister  sur  la  nécessité 
de  réunir  les  subsides  indispensables  à  la  dé  ense  du  pays.  «  Le  bon 
succès  de  la  guerre  »,  écrivait-il,  «  est  attaché  à  notre  persévé- 
rance; surtout  il  est  important  de  ne  pas  débuter  par  un  revers. 
Tout  dépendra  de  nos  commencements,  et  d'une  résistance  oppor- 
tune. »  «  Je  dis  et  j'écris  nuit  et  jour  que  Votre  Grâce  doit  se  mon- 
trer vigilante.  Si  la  ligue  souabe  n'a  pas  inainlenani  les  yeux  ouverts, 
et  si  elle  n'est  sous  les  armes,  c'en  est  fait  de  l'Empire  romain  de 
nation  germanique  ^  » 

Ce  n'étaient  pas  seulement  les  révoltés,  c'étaient  surtout  les 
princes  qui  faisaient  courir  à  l'Empire  les  plus  graves  dangers.  Plu- 
sieurs d'entre  eux,  nouveaux  croyants  ou  catholiques,  ne  se  souciant 

'  On   trouvera  d'amples  détails    sur  la   politique  peu   loyale  d'Eck  envers 
l'Empire  et  l'Empereur  à  dater  de  1526  dans  le  troisième  volume  de  cet  ouvrage. 
2  Voy.  JÖRG,  p.  335-339,  348,  402. 


RKPRESSION    DE    I.A    REVOLUTION.  491 

que  de  l'augmenlalion  de  leur  pouvoir  par  ragrandisscment  de  leurs 
terrifoircs,  giietlaieiif  la  ruine  de  leurs  voisins  dans  l'espoir  d'en 
tirer  bon  parti.  Si  la  li(;ue  souabe  n'ciU  Tourni  un  point  de  rallie- 
ment ferme  et  stable,  il  eiU  été  presque  impossible  de  décider  les 
princes  à  une  action  commune;  les  territoires  allemands  eussent  été 
livrés  sans  délense  à  l'anarchie,  et  la  ruine  totale  de  l'Allemagne 
eiU  été  consommée. 


CHAPITRE  IV 

LA    RÉVOLUTION   SOCIALE. 


La  haute  Souiibe,  dans  toute  retendue  des  pays  frontières  de  la 
Suisse  et  du  Tyrol,  fut  le  premier  et  principal  foyer  de  l'insurrec- 
tion.  Elle  éclata  en  premier  lieu  dans  le  comté  de  Liipfen,  fief  que  le 
comte  Sigismond  de  Lüpfen  tenait  de  l'Empire. 

Le  2'ô  juin  1524,  les  paysans  de  Stiihliûgen  s'étant  rassemblés  se 
rendirent  en  armes  devant  le  château  du  comte,  «  qui  les  avait  acca- 
blés de  corvées  et  de  vexations  sans  nombre  au  sujet  des  chasses  '- 
t  Ils  étaient  bien  décidés,  lui  déclarèrent-ils,  à  ne  plus  se  soumettre 
aux  anciennes  corvées  et  servitudes;  ils  prétendaient  chasser  dans  les 
endroits  jusque-là  réservés  à  leur  seigneur,  abattre  le  gibier  dans  les 
forêts,  pêcher  dans  les  rivières  et  en  avoir  la  libre  jouissance.  Ils  ne 
payeraient  à  l'avenir  ni  redevances,  ni  dîmes.  Ils  ne  souffriraient 
plus  qu'on  traînât  dans  les  cachots  ceux  d'entre  eux  qui  s'étaient 
attiré  quelque  punition'.  »  Hans  Müller  de  Bulgenbach,  démagogue 
hardi  et  résolu,  s'était  mis  à  leur  tête.  «  Il  ne  manquait  pas  d'élo- 
quence ".rapporte  à  son  sujet  le  chroniqueur  André  Lettsch;  "  il 
avait  de  l'esprit;  un  orateur  de  sa  force  ne  se  rencontre  pas  souvent. 
Ce  Hans  était  redouté  de  tout  le  monde;  je  l'ai  beaucoup  connu;  il 
était  de  moyenne  taille;  il  avait  fait  autrefois  la  guerre  en  France*.  " 

Le  soulèvement  des  paysans  de  Stühlingen  fut  promptement  suivi 

•  Lettre  du  comte  Sigismond  de  Lupfen  datée  du  25  août  1524,  dans  Schreiber. 
Bauernkrieg,  t.  1,  p.  15-18.  Le  prétexte  de  lémeute  fut  vraisemblablement 
l'obligation  d'un  travail  excessif  imposée  aux  paysans  durant  le  temps  de 
leur  propre  moisson.  l'iUinger  Chronik,  dans  Mo.ne,  Qurllensammlung,  t.  II,  p.  90, 
note  2.  —  L'émeute  éclata  la  veille  au  soir  de  la  Saint-lean,  23  juin.  —  Voy. 
la  lettre  de  l'arcliiduc  Ferdinand,  du  U  juillet  1324,  dans  Schreiber,  t.  I, 
p.  3.  Au  début,  les  paysans  déclarèrent  que  leurs  réclamations  n'avaient 
rien  à  faire  avec  1'  -  Évangile  ».  —  Voy.  Stern,  Zwölf  Artikel,  p.  101-102.  — 
Stalin,  t.  IV,  p.  258,  note  3. 

-Mo\E,  t.  II,  p.  46. 


I.  A    RÉVOLUTION    SOCr  A  I.E.  4  93 

d'une  insurrection  dans  le  Klettj^auet  dans  fout  le  Hegau;  .lost  Fritz, 
qui  s'était  déjà  fait  remarquer  lors  des  preniii'rcs  émeutes  des  cam- 
pagnes', y  avait  soulevé  les  |)opuIations.  Il  affectait  de  laisser  croître 
sa  longue  barbe  grise,  et  répétait  à  tous  qu'il  ne  mourrait  pas 
avant  d'avoir  assisté  au  Iriomplie  du  Ihmdschuh^  •.-. . 

En  Thurgovie  /juin  I.j21i,  l'émcule  fut  sauvage.  Environ  cinq  mille 
paysans  assaillirent  à  l'improviste  la  Chartreuse  d'iltiogen,  près  de 
Frauenfeld,  la  pillèrent,  y  mirent  le  feu  et  saccagèrent  les  maisons 
des  prêtres  non  résidents'.  «  lisse  sont  conduits  d'une  telle  ma- 
nière ',  rapporte  le  conseil  de  Fribourg  en  Bri.«gau  (4  août  1524), 
«  que  cela  dépasse  l'imagination.  On  dit  que  l'un  d'enire  eux  s'est 
emparé  du  Saint  Sacrement  et  l'a  foulé  aux  pieds,  en  disant  :  C'est 
toi  qui  es  la  source  de  toutes  les  hérésies!  Tels  sont  les  admirables 
fruits  de  la  doctrine  de  Luther*. 

Tous  les  efforts  tentés  pour  apaiser  la  sédition  échouèrent  =.  Les 
paysans  de  Stühlingen  et  les  vassaux  de  l'abbaye  de  Saint- Biaise, 
au  nombre  de  douze  cents,  commandés  par  Hans  Müller  et  pré- 
cédés d'un  drapeau  noir,  rouge  el  blanc,  marchèrent  sur  Walds- 
liut,  où  ils  arrivèrent  le  24  août,  jour  de  la  fêle  patronale.  Les 
habitants  pactisèrent  avec  eux.  On  se  promit  des  deux  côtés  protec- 
tion, aide  et  secours  ^  et  les  révoltés  formèrent  entre  eux  une 
«  Fraternité  évangélique  - ,  jurant  de  secouer  le  joug  des  sei- 
gneurs et  de  ne  reconnaître  désormais  d'autre  maître  que  l'Empe- 

'  Voy.  plus  haut.  p.  42S. 

-  Dans  MONE.  t.  H.  p.  17.  —  Voy.  Mone,  Badisches  Archiv.,  t.  II,  p.  166. 

"  Lettre  de  Gui  Suter  (19juillet  1524)  dans  Schreibe«,  t.  I,  p.  i-5.  On  trouvera 
dans  l'ouvrage  de  Schreiber  d'amples  détails  sur  lorigine  de  l'émeute,  dont 
très-certainement  les  religieux  et  les  prêtres  d'Ittingen  ne  furent  en  rien  res- 
ponsables. 

^  Dans  Schreiber,  t.  1,  p.  9. 

*  Voy.  les  lettres  de  l'archiduc  Ferdinand  des  3  et  6  août  1524  dans  Schreiber, 
t.  I,  p.  7-8,  10-11.  Dès  le  3  aoiU  l'archiduc  affirme  que  les  troubles  de  la  forêt 
Noire  '  se  rattachent  à  la  question  luihérienne  ».  Zurich  invita  solennellement 
les  paysans  à  donner  à  leur  révolte  un  caniclère  religieux.  —  Voy.  Stern, 
Zwölf  Artikel,  p.  102-103.  et  Göul.Gcl.  Anzeigen,  1871,  p.  1748.  Au  début,  les  paysans 
du  Klettgau,  sujets  du  comte  Rodolphe  de  Sulz,  furent  plutôt  opposés  que  favo- 
rables à  l'émeute  de  leurs  voisins,  et  déclarèrent  que.  quant  à  eux,  ils  n'avaient 
pas  à  se  plaindre  du  comte.  Voy.  les  procès-verbaux  du  conseil  de  la  ville 
de  Zurich  (novembre  1524)  dans  Schreiber,  t.  I,  p.  115-117.  .Mais  dès  le  23  jan- 
vier 1525,  ils  découvrirent  tout  à  coup  qu'ils  étaient  à  un  tel  point  lésés  et  si 
accablés  d'impôts  qu'il  leur  était  impossible  de  supporter  plus  longtemps 
leur  situation.  Si  nous  patientions  plus  longtemps  ',  disaient-ils,  -  nous  et 
nos  pauvres  petits  enfants  devrions  prendre  avant  peu  le  bâton  de  mendiant.  ^ 
—  Voy.  Schreiber,  t.  II,  p.  4. 

0  Andreas  Letlsch,  dans  .MoNE,  Quellensammlung,  t.  II,  p.  46  :  «  Ceux  de  Waldshut 
se  sont  joints  aux  insurgés  de  Stüiilingen  et  à  quelques  paysans  de  la  furet 
Noire;  ils  ont  cherché  près  d'eux  secours,  conseil  et  appui  pour  leurs  plans 
séditieux.  •  Rapport  des  commissaires  autrichiens  à  la  Diète  de  la  ligue,  assem- 
blée à  Ulm  le  28  octobre  1524,  dans  Klupfel,  t.  II,  p.  282. 


494  LA    RÉVOLUTION    SOCIALE. 

reur;  à  celui-là,  ils  conseataient  à  payer  tribut,  «  mais  à  coadi- 
tion  de  n'y  être  pas  coutraiats  «.  Ils  s'apprêtaient  à  détruire  «  les 
châteaux,  les  couvents,  et  en  général  tout  ce  qui  avait  quelque  attache 
au  clergé'  ». 

'  Villinger  Chronik,  dans  MoNE,  t.  II,  p.  90.  —  Pour  apaiser  l'émeute  de  Stiili- 
lingen,  on  voulut  essayer  de  l'intervention  de  Schaffhouse.  Le  comte  Sigismond 
de  Lüpfen  et  les  délégués  des  paysans  conférèrent  enbcmble  le  10  septembre,  et 
signèrent  un  traité  de  paix  qui  nous  a  été  conservé,  et  va  nous  permetlre  d'appré- 
cier la  situation  des  paysans  à  cette  époque;  nous  verrons  combien  elle  était  pré- 
férable à  celle  qu'ils  euren  l  plus  tard,  surtout  vers  la  fin  du  seizième  siècle.  Voici 
les  principaux  articles  de  ce  traite  :  Tout  paysan  ayant  un  attelage  à  lui  ou  possé- 
dant de  un  à  trois  chevaux  ou  bœufs  doit  corvée  de  son  corps  et  de  son  attelage 
A\iTAUX.sepijour%,  soit  pour  la  culture,  soit  pour  la  moisson;  celui  qui  n'a  ni  atte- 
lage ni  bœufs  doit  corvée  de  son  corps  pendant  sc/;</oa;s.  Les  paysans  abaltront 
et  transportt^ront  le  bois  nécessaire  pour  la  bâtiïse  et  le  chauffage  du  château.  Ils 
pourront  partager  entre  eux  ce  travail,  t'endanl  le  temps  de  la  corvée,  ils  seront 
entretenus  aux  frais  du  seigneur;  "il  sera  convenablement  pourvu  à  leur  entre- 
tien. Us  seront  libres  les  jours  fériés,  .'i  l'heure  convenable.  En  dehors  de  leurs 
sept  jours  de  corvée,  les  tenanciers  devront  aider  tous  les  ans  pendant  deux 
jours  à  l'époque  des  chasses  »  ;  on  ne  leur  imposera  pas  l'obligation  de  garder 
les  chiens.  Celui  qui  a  cheval  et  charrette  doit  une  fois  par  an  conàuive  et  livrer 
la  venaison  au  château.  Une  fois  par  un  aussi,  il  conduira  le  blé  de  la  dirae  au 
marché  de  Schaffhouse,  et  pour  son  trajet  recevra  des  vivres  et  du  fourrage. 
Quant  à  la  défense  d'abattre  les  bêtes  fauves,  les  loups  et  les  ours  font  excep- 
tion; mais  le  paysan  qui  aura  tué  un  ours  devra  apporter  au  seigneur  la  tète 
et  une  patte  de  la  bêle.  Les  paysans  pourront  détruire  les  sangliers  qui  dété- 
riorent leurs  champs,  à  condition  d'envoyer  la  hure  au  seigneur.  Us  pourront 
poursuivre   les  bétes  fauves   avec  des  chiens  pour  empêcher  que  leurs  terres 
ne  soient  ravagées;  ils  n'abattront  pas  le  gros  gibier,  sous  peine  d'amende.  Ils 
auront  permission   de  prendre  les  oiseaux  avec  des  gluaux;  celui  ayant  obtenu 
droit  de   chasse  peut,  selon   l'ancien    usage,  chasser    aussi   les  blaireaux,  les 
renards,  les  lièvres    et  les  coqs  de  bruyère.   Aucun  colon  établi  dans  la  sei- 
gneurie  n'a    le   droit  de  pêcher  ;  cependant  si  une  femme  qui    a  une    bonne 
espérance  avait  envie  d'un   plat  de  poisson,  le  bailli  pourra  permettre  à  son 
mari  de  pê  her   Tous  les  ans  les  sujets  devront  payer  l'impôt  d'automne.  Le 
village  de  Wytzen  payera  pour  cela  annuellement  comme  impôt  quatre  florins 
et  demi.  L'avoine  du  fourrage,  l'avoine  folle  et  l'orge  pour  les  veaux  devront 
comme  autrefois  être  livrées.  Si  un  colon  n'a  point  laissé  de  bétail  après  sa  mort, 
on  ne  demandera  à  ses  héritiers  que  la  moitié  de  l'impôt  de  la  meilleure  tête, 
faute  de  quoi,  d'après  l'usage  reçu  dans  le  pays,  les  héritiers  payeront  l'impôt 
tout  entier.  Les  agents  seigneuriaux  devront  se  montrer  miséricordieux  envers 
les  colons;  personne  ne  devra  être  mis  en  prison,  excepté  pour  cause  de  malé- 
fices, "  quand  il  aura  prêté  caution;  s'il  n'a  pas  prêté  caution,  il  devra,  le  troi- 
sième jour  seulement,  comparaître  devant  le   tribunal.  D'après  ce  contrat, 
les  tribunaux  populaires  restent  dans  leur  ancien  état.   -  Les  ju,;es  ",  y  est-il 
dit,  -  même  si  le  jugement  qu'ils  ont  renJu  déplaisait  à  l'autorité,  ne  seront  pas 
conduits  devant  la  cour  souveraine,  ni  tourmentés,  ni  punis  »  ;  si  le  sujet  se 
trouve  lésé  par  la  sentence,  il  pourra  en  appeler  du  tribunal  du  comté  à  la  cour 
souveraine  la  plus  proche.  Dans  les  audiences  de  police  correctionnelle,  chacun 
restera  libre,  d'après  l'ancien  usage,  d'ac  user  qui  bon  lui  semblera.  Pour  les 
exécutions,   les  seigneurs   auront  le  droit  de  réquisitionner  un  homme  par 
maison;  en  cas  d'urgente  nécessité,  les  seigneurs  peuvent  réclamer  tous  les 
hommes  de  sa  terre,  jeun'^s  et  vieux.  Schreibek,  t.  I,  p.  41-50.  —  Les  paysans 
de  Stuhlingen  ne  semblent  pas  avoir  été  réduits  à  une  condition  bien  dure, 
puisque,  durant  leurs  pourparlers  avec  le  comte,  ils  dépensèrent  pour  leur 
nourriture  environ  trois  mille  florins.       Ils  se  sont  punis  eux-mêmes  ",  lisons- 


KMEUTliS    HANS    L\    KORKT    N  O  I  li  E.  49:. 

Le  mouvement  révolufioniiaire  pril,  à  parlir  de  ce  moment,  un 
caraclère  religieux  ii)ar(|ué.  Celui  qui  se  préxenfail  j)0ur  Taire  par- 
lie  de  la  «  Kralernik;  évaugi  licjue  »  devait  toules  les  seuiaiues  don- 
ner une  cotisation  d'un  demi-baizen.  Cet  argent  servait  à  payer  les 
émissaires  qui  allaient  recruter  des  frères  -  en  Souabe,  dans  les 
pays  du  Uliin,  en  Franconie,  en  Saxe,  en  Misnie.  Des  agilaleurs 
populaires  travaillaient  depuis  longtemps  Teveche  de  Bamberg,  per- 
suadant aux  paysans  que  la  loi  de  Dieu  défendait  de  payer  la  dime'. 

Hans  Müller  avait  été  élu  chei"  de  la  «  grande  Fraternité  clirélienne 
de  la  lorêt  Noire  ».  Revêtu  d'un  manteau  rouge  et  coiilé  d'un  béret  à 
plumes  de  même  couleur,  il  allait  de  village  en  village,  précédé  d'un 
héraut  à  cheval,  qui  menaçait  de  "  ban  laicjue'  «  tous  ceux  qui  refu- 
saient d'entrer  dans  la  "  Fraternité  .  Il  se  faisait  précéder  d'un  char 
orné  de  feuillage  et  de  rubans  portant  l'étendard  de  la  révolte,  gage 
de  la  future  délivrance  du  peuple.  Avec  lui,  le  prédicant  Balthasar 
Hubmaier  était  un  des  chefs  les  plus  fougueux  de  l'insurreciion.  «  Bal- 
thasar méprisait  souverainement  papes,  empereurs  et  rois  »,  et  de- 
mandait "  qui  les  avait  priés  de  régner  '.  Il  enseignait  que  le  peuple 
avait  le  droit  d'élire  et  de  déposer  l'autorité,  et  n'était  obligé  à  aucune 
dime,  redevance,  taille,  impcM  d'héritage,  etc.  L'eau,  le  poisson,  la 
foret,  le  champ,  la  vigne,  la  prairie,  le  gibier,  les  oiseaux  apparte- 
naient à  tous.  Il  insultait  dans  ses  discours  tous  les  "  éperons  jaunes  », 
il  ne  les  appelait  que  «  les  grands  benêts  »,  et  composait  des  chan- 
sons satiriques  sur  les  conseillers  de  l'Empereur.  Comme  il  devait 
plus  tard  le  confesser  lui-même,  "  il  avait  fait  à  Waldshut  des  prédi- 
cations séditieuses  qui  avaient  troublé  la  paix,  offensé  Dieu,  la  jus- 
tice et  la  conscience,  et  avaient  été  cause  de  plus  d'une  rixe  san- 
glante ».  Son  but,  comme  celui  de  ses  partisans,  n'était  pas  seulement 
de  rejeter  toute  autorité,  mais  surtout  d'en  créer  et  d'en  élire  une 
nouvelle  parmi  les  frères'.  "  Vraiment,  lorsqu'on  y  réfléchit  »,  dit 
André  Letsch,  «  on  reconnaît  que  ce  susdit  docteur  Balthasar  a  été 
le  véritable  instigateur  de  la  guerre  des  paysans,  et  que  c'est  à  lui 
qu'il  convient  d'attribuer  les  lamentables  événements  et  les  désastres 
qui  suivirent*.  » 

nous  dans  un  rapport  rédigé  par  deux  délégués  du  comte,  ils  se  sont  cliargés 
d'un  plus  lourd  f.irdeau  de  corvées  qu'auparavant  -  Schreiber,  t.  I,  p.  55.  Les 
paysans  avaient  donné  plein  pouvoir  à  leurs  délégués  de  conclure  le  traité;  mais 
lorsque  ceux-ci  le  leur  apportèrent,  ils  refusèrent  de  le  signer,  le  trouvüut  trop 
onéreux. 

'  Voy.  le  mandement  de  l'évéque  de  Bamberg  (5  août  1524),  dans  Höelek, 
Fränkische  Studien,  t.  VIII,  p.  269,  n»  159. 

-  Voy.  plus  haut,  p.  4G5. 

^  Voy  ces  documents  dans  Sterx,  Zwölf  Artikel,  p.  68-70. 

*  Mo.NE,  t.  II,  p.  46. 


496      AI.LIAXCE  DCLUICH  DE   WURTEMBERG  AVEC  LES  PAYSANS.   1524. 

Thomas  Mïmzer'  qui,  depuis  rautoniue  de  1524,  s'était  établi  au 
bourg  de  Griessen,  dans  le  Klettgau,  était  intimement  lié  à  Hubmaier. 
«  A  cette  époque  >,  écrit  Henri  Bullinger,  «  il  poursuivait  avec 
ardeur  sa  campagne  révolutionnaire  dans  les  localités  voisines,  y 
répandant  la  semence  empoisonnée  de  celte  révolte  qui  sitôt 
après  devait  germer  dans  les  cœurs  ^  "  Münzer  avoua  plus  tard  que 
dans  le  Klettgau,  le  Hegau,  et  aux  environs  de  Bâle,  il  avait  donné 
quelques  axiomes  sur  le  gouvernement  comme  tirés  de  l'Évan- 
gile, bien  qu'ils  fussent  de  son  invention.  Dans  ces  contrées, 
il  n'avait  pas  directement  soulevé  l'émeute,  car  la  population 
s'était  insurgée  d'elle-même;  '-  il  s'était  borné  à  y  étudier  de  près 
l'état  des  choses,  mettant  à  profit  les  exemples  que  lui  offraient 
d'autres  régions,  et  se  proposant  de  servir  ainsi  ses  propres  inté- 
rêts^ :.  11  prêchait  aux  paysans  "  le  saint  Évangile  du  royaume  de 
mille  ans  »,  qui  devait  triompher  avant  peu,  affranchir  la  chré- 
tienté des  tyrans,  et  former  un  peuple  de  frères.  "  Le  puissant 
cédera  au  petit  et  s'humiliera  devant  lui  -,  répétait-il.  Oh!  comme 
il  serait  utile  que  les  pauvres  paysans  méprisés  sussent  bien  cela!   ■ 

Après  avoir  pendant  huit  semaines  consécutives  joué  dans  le 
Rlettgau  et  le  Hegau  le  rôle  de  prophète  du  radicalisme  politique  et 
religieux,  MQnzer  était  revenu  en  Thuringe;  mais  il  resta  toujours 
en  relations  suivies  avec  les  révoltés  du  Sud,  -  excitant,  encoura- 
geant »  par  ses  messages  les  esprits  turbulents,  et  soulevant  les 
populations  contre  leurs  maîtres  et  autorités.  Ses  émissaires  répan- 
daient parmi  le  peuple  des  -  tablettes  «  où  étaient  indiquées  '•  les 
dimensions  des  balles  qu'on  fondait  à  Mulhausen,  et  qui  devaient 
bientôt  servir  les  ressentiments  des  paysans.  11  fortifiait  et  consolait 
ainsi  les  mécontents  \  •• 

■'  D'un  tout  autre  rang  social  que  .lost  Fritz,  Hans  Müller,  Hubmaier 
et  Münzer,  Ulrich  de  Wurtemberg,  <;  le  prince  déchu  >;,  -  duc  et  bour- 
reau du  Wurtemberg  -,  était  un  des  agitateurs  populaires  les  plus 
ardents.  Ulrich  avait  jadis  provoqué,  par  son  despotisme  cruel,  la 
révolte  du  «  pauvre  Conrad  «  ;  mais  depuis  que  la  sentence  du  ban 
avait  été  prononcée  contre  lui,  il  affectait  d'être  l'ami  des  paysans, 
et  signait  ordinairement  les  lettres  qu'il  leur  adressait  :  -  Ulrich  le 
paysan*.  -  S'appuyant  sur  la  populace  qu'il  flattait,  il  espérait,  avec 


1  Voy.  Stern,  Zicölf  Artikel,  p.  111-113.  —  Bensen,  p.  85. 
-  BüLLiNGEU,  Der  Wiedertäufern  Ursprung,  B1-. 

2  Mûnzer's  Bekentnuss,  El.  A'. 

*  Voy.  Zimmermann,  t.  II,  p.  86,  113-115.  —  Stern,  35-37.  —  Seidema.n.\,  Thomas 
Münzer,  p.  53,  152. 

*  .  Uotz  Bur.  • 


ALLIA  NOK   D'LLniCH   DE   VVLI!  IFMBKIU;  AVKC  LES  PAYSANS.  1J2{.       497 

son  aide,  reconquérir  son  duché  '.  c  II  lui  était  complètement  indif- 
férent »,  disait-il,  •<■  d'y  rentrer  par  la  botte  ou  par  le  soulier  ", 
c'est-à-dire  à  l'aide  du  /{und^r/iu/i  ou  de  l'éperon  du  chevalier. 
Une  fois  remis  en  possession  de  ses  terres  et  de  ses  (jens,  il  se  pro- 
posait de  décharger  si  charitablement  les  riches,  les  prêtres  et  les 
moines  du  fardeau  des  richesses  que,  comme  les  apôtres,  ils  fussent 
libres  de  parcourir  le  monde  en  portant  le  sac  du  mendiant  sur  le 
dos.  Quant  aux  riches  marchands,  «  ces  exploiteurs  du  peuple  », 
il  avait  l'intention  de  si  bien  les  rançonner  que  l'effroi  et  la  douleur 
«  leur  fissent  jaillir  le  sanjj-  des  yeux  '.  "  Mais  il  se  proposait  d'aban- 
donner une  bonne  partie  du  butin  à  ceux  qui  l'auraient  fidèlement 
aidé  au  temps  de  son  exil.  Ceux-là  parta{;eraient  sa  bonne  fortune, 
et,  sous  la  loi  du  nouvel  Évangile,  ils  jouiraient  tous  ensemble  dune 
existence  bien  préférable  à  celle  du  passé"-.  '■ 

Depuis  1.323,  Ulrich  avait  adhéré  au  "  nouvel  Évangile  >;  il  était 
plein  de  zèle  pour  sa  diffusion.  S'il  souhaitait  reprendre  possession 
du  Wurtemberg,  c'était  surtout,  écrivait-il,  parce  que  les  sujets  de 
l'Autriche,  sous  la  tutelle  de  laquelle  était  placé  le  Wurtemberg, 
souffraient  violence  «  quanta  l'unique  consolation  de  la  conscience, 
la  sainte  parole  de  Dieu  »,  et  qu'il  les  voulait  secourir.  Si  l'on  refu- 
sait de  l'aider,  il  se  croirait  autorisé  par  la  nécessité,  comme  il  le 
déclarait  dès  le  mois  de  janvier  1524  aux  Ordres  réunis  à  Wurtem- 
berg, à  user  de  tous  les  moyens,  pourvu  qu'ils  fussent  honorables 
et  humains,  pour  rentrer  en  possession  de  son  duché,  et  il  se  verrait 
contraint  de  s'aider  et  de  se  défendre  '.  Le  Wurtemberg  lui  devrait 
l'introduction  de  la  doctrine  luthérienne  \ 

En  juin  1-524,  avant  qu'aucune  insurrection  de  paysans  eût  encore 
éclaté,  Ulrich  avait  demandé  au  roi  de  France,  au  service  et  à  la  solde 
de  qui  il  était  alors,  un  secours  d'argent  considérable  pour  recruter 
des  soldats  contre  l'  «  ennemi  universel  îj,  l'Empereur,  et  pour  être  en 
état  de  se  déclarer  contre  lui  au  moment  opportun.  Son  château  de 
HohentNviel,  acheté  avec  les  deniers  français,  avait  été  muni  de  vivres 
et  d'abondantes  munitions.  Il  y  faisait  fondre  de  grandes  arquebuses 
et,  depuis  le  mois  de  septembre,  ne  cessait  d'entretenir  des  relations 
secrètes  avec  les  paysans  du  Hegau,  du  comté  de  Stühhngen  et  de  la 

'  Voy.  plus  haut,  p.  259-260,  331. 

-  C'est  uu  agent  de  l'archevêque  Richard  de  Trêves  qui  rapporte  ces  paroles 
d'Ulrich.  Lettre  *  de  1525,  sans  date  et  sans  signature.  Trierischen  Sachen  und 
Briefschaften,  fol.  sgi^-QO.  —  Vov.  la  lettre  de  Gui  Suter  du  3  décembre  1524  dans 
Beger,  p.  591. 

*  Voy.  Stalin,  t.  IV,  p.  234,  261.  Après  qu'Ulrich  eut  adhéré  à  1'  «  Évangile  •, 
Zwingle  disait  à  son  sujet  :  ^  Ego  ab  eo  homine  aliquando  vehementer  abhorrui, 
verum  siexSaulo  Paulus  factus  est,  non  aliter  amplecti  possem  hominera,  quam 
fratres  PauUim  quam  resipuisset.  -  —  Zuinolu  Op.  VII,  p.  360. 

^  Voy.  Begeu,  p.  581. 

n.  32 


498       ALLIANCE   D'ULRICH   DE  WURTEMBERG  AVEC  LES  PAYSANS.   1524. 

forêt  Noire.  Il  les  pressait  tous  de  faire  cause  commune  avec  lui, 
de  le  servir,  promettant  de  les  conseiller,  de  les  défendre  et  de 
les  seconder.  Ses  reilres  faisaient  de  continuels  voyages  dans  le 
Hegau.  A  la  fête  patronale  de  Hilzingen,  village  situé  à  Touest  de 
Holientwiel,  les  paysans  du  Hegau,  auxciuels  s'étaient  joiuts  ceux 
du  Klettgau,  ayant  formé  une  vaste  conjuration,  Ulrich  essaya  de  les 
gagner  à  ses  vues.  Ses  émissaires  allèrent  dire  aux  paysans  «  que  le 
duc  avait  de  l'argent,  grâce  auquel  on  pourrait  tout  de  suite  com- 
mencer le  jeu  ».  Le  conseil  de  Fribourg  en  Brisgau  écrivait  le  7  sep- 
tembre :  "  Ulrich  organise  un  Bundschuh.  Ceux  de  Bâle  lui  ont  prêté 
deux  mille  florins  sur  Mömpelgard.  -  Capito,  prédicant  de  Strabourg, 
s'occupait  activement,  avec  Egenolf  Roder  de  Diersbourp;  et  d'autres 
luthériens  considérés,  des  moyens  de  trouver  de  l'argent  pour  Ulrich, 
qu'il  s'agissait  d'aider  à  recouvrer  ses  États'. 

Nombre  de  chevaliers  bannis,  réfugiés  en  Suisse  depuis  la  dissolu- 
tion de  l'armée  de  Sickingen,  avaient  rejoint  Ulrich.  Dépossédés, 
«  sans  feu  ni  lieu  »,  ils  étaient  avides  d'émeutes  et  de  bouleverse- 
ments, et  partisans  de  tous  ceux  qui  y  poussaient,  ils  affectaient  de 
prendre  chaudement  à  cœur  les  intérêts  des  paysans  qu'ils  avaient 
autrefois  ruinés  par  leurs  guerres  privées  et  leurs  guets-apens^.  Le 
plus  intime  compagnon  d'Ulrich,  le  sanguinaire  Hans  Thomas 
d'Absberg^  plusieurs  bannis  ayant  autrefois  fait  partie  de  la  ligue 

1  Voy.  ses  lettres  dans  Schreiber,  t.  I,  p.  78,  82,  86,  105.  —  Chmel,  Aciensiûcke, 
t.  II,  p.  250.  —  Klupfel,  t.  II,  p.  280.  —  Voy.  St.ilix,  t.  IV,  p.  260,  note  2.  Ulrich 
entra  aussi  en  relation  avec  la  noblesse  du  Hegau,  mais  ces  relations  n'eurent 
point  de  suite.  —  Voy.  Beger,  p.  581-582. 

-  Une  chanson  du  temps  fait  dire  aux  gentilshommes  déchus  •  (voy.  plus 
haut,  p.  438,  note  l): 

Nous  sommes  de  l'ordre  des  chevaliers, 

>lais  maintenant,  devenus  pauvres, 

Nous  prétendons  nous  relever, 

NOUS  voulons  retourner  près  de  nos  femmes  et  de  nos  enfants. 

Loin  desquels  on  nous  a  proscrits 

Nous  voulons  recouvrer  nos  chiUeaux, 

Le  peuple  nous  aidera, 

Et  nous  tomberons  comme  des  loups 

Sur  les  hordes  des  prêtres! 

Nous  les  chasserons  tous, 

Nous  les  mettrons  tous  à  mort, 

Et  nous  boirons  leur  vin. 

La  parole  divine  ne  dit-elle  pas 

Que  nous  devons  nous  conduire  en  chrétiens, 

Et  vivre  comme  des  frères? 

5  Voy.  Baader,  Th.  d'Asberg,  p.  150,  157,  161).  Les  rançons  extorquées  par  Hans 
Thomas  à  ses  victimes  furent  à  diverses  reprises  déposées  à  Mömpelgard,  chez 
un  fidèle  serviteur  d'Ulrich,  pour  être  ensuite  restituées  à  Thomas.  Le  bandit  lui- 
même  demeurait  souvent  des  semaines  entières  chez  Ulrich.  Il  coupa  les  doigts  à 
un  chapelain  de  l'archiduc  Ferdinand,  et  outre  cela  le  mutila  de  la  manière  la 
plus  atroce.  Lorsque  Ferdinand  apporta  ces  faits  à  la  connaissance  du  conseil  de 
.Nuremberg,  il  lui  fut  répondu  (février  1525)  que  l'archiduc  n'avait  qu'à  agir 


|{F^;V()l,rK    KN    SOUAHE.    1525.  499 

de  Siclvm{jeü,  Hartnmlli,  de  Cronberg,  Sciiwicker  de  Sickin^jen, 
excitaient  les  Bohèmes  à  eavahir  la  Bavière  et  à  porter  jusqu'en  ce 
pays  riucendie  et  la  révolfe'.  .le.in  de  Fuclisteiii,  lon{',(enips  chance- 
lier de  l'Électeur  palatin  et  membre  du  Conseil  de  ré{jence,  aventu- 
rier hardi,  aussi  rusé  que  libertin*,  était  le  plus  adroit  chargé  d'af- 
faires d'Ulrich.  Kn  Janvier  152.),  il  l'avait  envoyé  en  ambassade  se- 
crète auprès  de  François  i",  dont  il  s'agissait  d'obtenir  de  nouveaux 
secours  d'argent.  Ulricli  faisait  savoir  au  Roi  par  l'entremise  de 
Fuchstein  «  que  la  chance  lui  souriait,  qu'il  était  en  état  de  réunir 
une  vaillante  troupe  de  fantassins  et  de  cavaliers,  parmi  lesfjuels  se 
trouvaient  en  grand  nombre  des  sujets  des  princes  autrichiens,  ces 
ennemis  du  i.oi  et  les  siens;  qu'il  ne  lui  manquait  plus  qu'une  petite 
somme  d'argent,  et  qu'il  le  suppliait  de  lui  avancer  quinze  mille 
couronnes  '    . 

Le  moment  de  commencer  les  hostilités  était  venu,  et,  au  dire 
d'Ulrich,  il  ne  pouvait  s'en  présenter  de  plus  favorable,  car  l'Empe- 
reur, pendant  l'hiver  de  (524-1525,  se  verrait  forcé  d'employer  ses 
principales  et  meilleures  forces  à  la  campagne  d'Italie.  8'appuyant  sur 
les  secours  promis  par  François,  Ulrich  avait  attaché  à  son  parti  cin- 
quante à  soixante  mille  Bohèmes,  parmi  lesquels  on  s'entretenait  déjà 
de  l'opportunité  d'envahir  les  États  de  l'archiduc  Ferdinand.  Enfin 
le  duc  Ulrich  lui-même  avait  peu  à  peu  rassemblé  une  trentaine  de 
bannières  de  toutes  nuances.  Sur  ces  bannières  se  voyaient  u  de 
grandes  croix  blanches,  avec  devises  françaises'  ».  Les  soldats  étaient 
presque  tous  Suisses;  Schweikard  de  Sickingen  le  rejoignit  bientôt 
avec  deux  cents  reitres.  Hans  Müller  lui  fournit  quelques  centaines 
de  paysans;  les  villes  de  Soleure  et  de  Bàle  lui  envoyèrent  des  armes, 
et  le  prédicant  .leau  Geyling  se  chargea  d'enflammer  le  courage  des 
troupes. 

Pendant  ces  apprêts,  de  nombreux  soulèvements  de  paysans  écla- 
taient au  sud-ouest  de  la  Souabe. 

Dans  l'Algau,  pays  montagneux  situé  entre  le  Lech  et  l'Argen,  le 
nouvel  Évangile  avait  fait  jusque-là  peu  de  partisans».  Mais  à  dater 
des  premiers  mois  de  1525,  les  prédicants  ayant  parcouru  ces  con- 
trées, démontrant  aux  paysans  que  les  autorités  les  avaient  honteu- 

auprès  des  états  de  Bohême  et  qu'à  solliciter  les  princes;  que  c'était  là  le  seul 
moyen  de  venir  à  bout  de  Thomas  et  de  ses  auxiliaires,  puisque  les  princes  lui 
servaient  de  receleurs.  —  Evader,  p.  179-144. 

'  Pour  plus  de  détails,  voy.  Jörg,  p.  157-172.  Lettre  de  Ferdinand  du  14  mars 
1525,  dans  Lanz,  Correspondenz,  t.  I,  p.  154. 

^  Voy.  plus  haut,  p.  255. 

3  Zimmermann,  t   11,  p.  46. 

*  Ketzler,  Sabbata,  t.  I,  p.  364. 

^  Voy.  Zimmermann,  t.  II,  p.  124. 

32. 


500  REVOLTE    EN    SOUAÜE.    1525. 

sèment  opprimés  «  par  le  servage,  l'impôt  d'héritage  et  autres  char- 
ges s  et  qu'ils  devaient  se  réunir,  jurer  de  prêter  main-forte  à  l'Évan- 
gile, et  aider  à  assurer  son  triomphe,  les  paysans  se  soulevèrent. 
»  iSOus  n'avons  pas  cru  mal  faire  -,  disaient  naïvement  les  vassaux 
de  l'abbaye  de  Roth  dans  une  adresse  à  leur  prince-abbé  (14  février 
1525).  Des  clercs,  des  savants  sont  venus  chez  nous,  et  nous  ont 
parlé.  Nous  les  avons  écoutés  longtemps,  et  ils  nous  ont  appris  que 
nous  autres,  pauvres  gens,  nous  avions  été  partout  écrasés.  Ils  nous 
ont  informés  que,  non  pas  dans  un  seul  endroit,  mais  dans  un  grand 
nombre  de  domaines,  les  pauvres  se  révoltaient.  »  <  Les  gens  très- 
savants  que  personne  ne  peut  contredire  nous  ont  enseigné  que  le 
Seigneur  Dieu  avait  fait  des  lois,  et  comment  il  les  avait  faites;  ils 
nous  ont  dit  que  ces  lois  étaient  seules  véritables,  et  que  l'étude  du 
saint  Évangile  prouvait  clairement  qu'un  homme  n'est  pas  au-dessus 
d'un  autre.  «  «  Outre  cela,  nous  entendions  répéter  que  les  sages  de 
la  ville  étaient  du  même  avis,  et  approuvaient  les  discours  de  ceux 
qui  étaient  venus  vers  nous  '.  ^  Le  même  jour,  les  paysans  du  haut 
Algau  déclaraient  s'affranchir  de  toute  corvée,  dîmes,  impôts,  etc., 
refuser  toute  obéissance  à  leurs  seigneurs  et  ne  plus  reconnaître  de 
maîtres  -. 

L'émeute  de  l'Algau  avait  été  soulevée  par  les  paysans  de  Kempten, 
depuis  longtemps  en  lutte  presque  continuelle  avec  ieur  prince-abbé 
à  propos  de  vraies  ou  de  prétendues  vexations.  A  les  entendre, 
Sébastien  de  Breitenstein,  leur  seigneur,  ne  tenait  aucun  compte  des 
anciennes  conventions  ^  Le  ferblantier  Knopf  de  Luibas,  comme  il 
l'avoua  lui-même  plus  tard,  entraîna  tous  les  mécontents;  puis  lui 
et  ses  partisans  gagnèrent  à  leur  parti  les  sujets  de  l'évéque  d'Augs- 
bourg,  du  comte  de  Montfort,  du  sénéchal  de  Waldbourg  et  de  toute 
la  noblesse  avoisinante.  Les  paysans  de  Kempten,  qui,  le  21  janvier 
15:25,  avaient  pris  la  résolution  de  porter  devant  les  tribunaux  leurs 
différends  avec  le  prince-abbé,  changeaient  maintenant  d'avis,  et  se 
déclaraient  résolus  à  trancher  la  querelle  avec  l'épée.  '  Ils  étaient  assez 
forts  ",  disaient-ils,  -  pour  se  passer  delà  justice*.  •-■  Le  24  février,  tout 
l'Algau  était  sous  les  armes  -  pour  le  maintien  de  l'Évangile  et  pour 
le  droit  divin  ».  Leprédicant  Hans  Ul  d'Oberdorf  avait  persuadé  aux 

'  Voy.  JÖRG,  p.  139.  —  Rohling,  p.  128. 

-  Chronique  de  Werdenstein,  dans  Bai  mann,  Quellen,  p.  486. 

'  Voy.  les  griefs  des  vassaux  de  l'abbaye  et  la  réponse  du  prince-abbé  du 
9-14  janvier  1525.  —  Voy.  le  protocole  des  états  tenus  à  Obergiinzbourg,  dans 
Baumann,  Acte»,  p.  51-84.  —  Voy.  aussi  les  plaintes  du  prince-abbé,  après  l'apai- 
sement de  l'émeute,  et  la  réponse  que  lui  firent  ses  sujets,  p.  32:}-342. 

^  Pour  plus  de  détails,  voy.  Baumann,  OherschcHhische  Bauern,  p.  3-7.  —  Voy. 
aussi  les  aveux  de  Knopf,  dans  Baumann,  Acten,  p.  378-387.  En  terminant  ses 
déclarations,  il  avoue  qu'il  a  été  le  promoteur  et  le  provocateur  de  toutes  les 
entreprises  révolutionnaires  de  l'Algau  '. 


KÉVOLTE    EN"    SOUABE.    15-25.  001 

insiirfjcs  «  que  le  duc  de  Saxe,  avec  une  armée  de  soixante  mille 
hommes,  s'apprêtait  à  venir  défendre  avec  eux  rKvanjjilc  '  '•. 

En  même  temps  que  les  monlajjnards  de  rAlp,au,  les  paysans  du 
lac  de  Constance,  de  la  vallée  de  Schiisseu,  et  la  population  de 
Baltringen,  au-dessus  d'Llm,  sur  le  Ried,  se  soulevaient  à  leur  tour, 
excités  par  un  certain  TIurlerna{',en,  «  marchand  perdu  de  mœurs  •. 
Une  armée  d'environ  dix-huit  mille  hommes  se  trouva  bientôt  ras- 
semblée, et  ne  tarda  pas  à  nouer  d'intimes  relations  avec  le  prédi- 
cant  de  Memmingen,  Christophe  Schappeler,  le  plus  foufyueux  apjita- 
teur  de  la  haute  Souabe.  Schappeler  avait  dit  un  jour  en  chaire  que 
les  laïques  des  deux  sexes  étaient  maintenant  beaucoup  plus  instruits 
que  les  misérables  prêtres  impies,  ces  «  mouches  sordides  »,  qui,  par 
intérêt  personnel,  avaient  tenu  la  vérité  si  lonfjtemps  captive.  Les 
laïques,  bien  mieux  que  les  clercs,  étaient  en  état  d'annoncer  la 
parole  de  Dieu;  mais  jusqu'à  présent  tout  ce  qui  s'était  passé  n'était 
qu'un  jeu.  Le  règne  de  la  justice  ne  pouvait  s'établir  sans  être  pré- 
cédé d'angoisse  et  de  douleur.  S'appuyant  sur  la  Bible,  il  avait 
démontré  à  son  auditoire  que  les  diraes  étaient  annulées  par  le  Nou- 
veau Testament,  et  que  les  seigneurs  péchaient  grièvement  en  exigeant 
des  redevances  et  des  taxes  "^  Son  disciple  le  plus  influent,  le  pelle- 
tier Sébastien  Lotzer,  prêchait  le  communisme  apostolique  :  <  Au 
temps  des  apôtres,  lorsque  les  Juifs  se  convertirent  à  la  foi  »,  disait- 
il,  u  toutes  choses  étaient  communes  entre  les  frères;  tous  alors 
étaient  bons  chrétiens;  nous  ferions  bien  d'imiter  cet  exemple.  » 
"  Nous  ne  réclamons  le  bien  de  personne  »,  disait-il  encore;  et  néan- 
moins les  bourgeois  propriétaires  avaient  de  fort  bonnes  raisons  de 
craindre  que  le  prolétariat  soulevé  «  ne  pillât  et  n'incendiât  les  de- 
meures des  riches,  et  ne  s'emparât  de  leurs  biens*  ». 

Le  pelletier  Lotzer  et  le  chef  des  révoltés  de  Baltringen,  maréchal 
ferrant  de  son  état,  ayant  réuni  leurs  bandes  à  Memmingen  (7  mars 
1525),  formèrent  entre  les  habitants  de  l'Algau,  des  bords  du  lac  de 
Constance  et  de  Baltringen  une  association  puissante  qui  prit  le  nom 
d'  «  Union  chrétienne  ».  Elle  prétendait  n'avoir  d'autre  but  que 
l'exaltation  de  l'Évangile  et  le  maintien  du  droit  divin.  Il  était  dit 
dans  les  articles  de  l'Union  :  «  Les  curés  et  vicaires  qui  oseront  s'op- 
poser à  l'Évangile  recevront  leur  congé  »  (c'est-à-dire,  seront  chas- 

•  Chronigue  de  IV erdenstein,  dans  Bauaiann,  Quellen,  p.  488.  II  ressort  clairement 
de  quelques  autres  relations  du  temps  que  les  révoltés  avaient  compté  sur  l'appui 
de  Frédéric  de  Saxe.  —  Voy.  OEchsle,  p.  160. 

^  Voy.  Ar\,  t.  II,  p.  192.  —  Baumwn,  Aden,  p.  1-2.  —  Quelques-uns  de  ceux 
qui,  à  Memmingen,  refusèrent  de  payer  la  dime,  déclarèrent  au  conseil  qu'ils 
avaient  tous  entendu  dire  que  nulle  part  la  sainte  Écriture  ne  faisait  un  de- 
voir aux  chrétiens  de  payer  la  dîme  ».  —  Voy.  Rohling,  p.  107. 

^  Voy.  Rohling,  p.  117-125.  —  Baumann,  Ohershwabische  Bauern,  p.  23-24. 


502  RÉVOLTE    EN    SOUABE.    1525. 

ses  du  pays);  on  disposera  de  leurs  cures.  Les  vassaux  des  princes  et 
des  seigneurs  entreront  dans  l'Union,  ou  seront  obligés  de  quitter  le 
pays,  avec  femmes  et  enfants.  Les  ouvriers  et  les  soldats,  en  ce 
moment  absents,  ne  devront  s'opposer  en  rien  à  l'Union,  mais  au 
contraire  l'avertir  de  tout  péril  pouvant  la  menacer  et,  en  cas  de 
danger,  se  hâter  de  retourner  dans  leur  patrie  pour  contribuer  à 
son  salut.  Les  dîmes,  rentes  et  redevances  ne  seront  pas  payées 
jusqu'à  la  future  réorganisation  de  la  constitution.  L'Union  chré- 
tienne déclarait  à  la  ligue  souabe  qu'elle  n'avait  d'autre  but  que 
l'établissement  du  droit  divin,  qu'elle  était  décidée  à  se  soumettre  à 
tout  ce  qu'il  réclamait,  et  ne  reconnaissait  d'autre  juge  dans  sa 
cause  que  la  seule  parole  de  Dieu  '-.  Le  conseil  de  la  ligue  ;  ap- 
préhendait fort  '■  que  l'Union  chrétienne  n'eût  des  intelligences 
secrètes  avec  Ulrich  de  Wurtemberg'. 

Pendant  ce  temps,  à  la  tête  de  ses  compagnies,  Ulrich  s'était  mis 
en  campagne  pour  reconquérir  son  domaine.  Après  la  victoire,  il  se 
proposait  d'envahir  la  Bavière  et  de  la  mettre  à  feu  et  à  sang,  pour 
se  venger  des  ducs  bavarois  qui,  jadis,  avaient  pris  une  part  active  à 
son  bannissement  -.  Ses  soldats  étaient  mal  équipés,  il  avait  une 
artillerie  insuffisante;  mais  il  espérait  que  le  conseil  de  régence  au- 
trichien, faible  et  peu  sympathique  à  la  nation,  ne  ferait  pas  grande 
résistance,  et  que  la  population  viendrait  au-devant  de  lui  avec  em- 
pressement, dès  qu'il  aurait  mis  le  pied  sur  le  sol  du  Wu^temberg^ 
«  Il  s'empare  de  tous  les  vivres  «,  écrit  à  son  sujet  le  28  février  le 
conseil  de  Villingen  à  celui  de  Fribourg;  «  il  ne  donne  rien  à  per- 
sonne. Au  village  de  Denkingen,  il  est  entré  à  l'improviste  dans 
l'église;  lui  et  ses  soldats  ont  pillé  tout  ce  qui  s'y  trouvait.  Nous 
savons  de  source  certaine  qu'il  n'a  pas  plus  de  cent  chevaux  et  de 
dix  mille  Suisses.  Ses  gens  sont  indisciplinés,  dissolus,  mal  équipés  ; 
peu  ont  des  fusils,  et  beaucoup  n'ont  point  d'armes  du  tout.  "  Le 
2  mars,  le  conseil  de  Villingen  écrit  encore  que  quelques  bandes 
de  Suisses  et  de  paysans  commencent  à  abandonner  le  duc  :  "  Ses 
hommes  s'égrènent  par  cinq,  six,  dix,  quinze,  vingt.  Hans  Müller, 
le  chef  des  paysans  de  Stühlingen,  a  déjà  opéré  sa  retraite,  entrai- 

'  Balmaxn,  Oberschtcàbische  Bauern,  p.  25-38.  —  Cornelius,  Zur  Geschichte  de 
Bauernkriegs,  p.  41-44. 

-  Voy.  ces  relations  dans  Vogt,  Bayerns  Slimmung  und  Stellung^  p.  41-48. 

^  Un  document  impariial,  une  lettre  du  chevalier  Sébastien  Schilling  au  duc 
Guilldumede  Bavière.prouveclairemenlqu'llrich  pouvait  compter  sur  l'appui  des 
paysans.  ^  Les  gens  des  campagnes  - ,  écrit  Schilling  le  25  février  1525,  «  ne  s'op- 
poseront point  au  duc  ülii(  h,  car  ils  aiment  mieux  avoir  un  maître  que  vingt- 
quatre;  OH  leur  a  jiTomis  beaucoup  de  fareurs  et  de  privilèges,  mais  on  a  peu  tenu.  En 
résumé,  les  paysans  sont  très-peu  dispi^sés  à  accorder  aux  conseillers  de  la 
Régence  autrichienne  leur  confiance  et  leur  foi.  -—Voy.  Jörg,  p.  4l3.  —  Vogt, 
p.  40-41. 


IXSUCCKS    D'ULRICH.    1525.  503 

nant  à  sa  suite  cent  cinqii.inte  hommes  de  pied.  Ils  donnent  pour 
raison  de  leur  défection  que  le  duc  ['Iricli,  après  leur  avoir  beau- 
coup promis,  ne  leur  donne  point  d'argent  et  n'en  a  pas  davantage'.  " 

Cependant  Ulrich  avait  réussi  à  surprendre  quelques  villes  et 
s'avançait  vers  Stuttgard;  mais  bientôt  une  nouvelle  falale  à  ses 
intérêts  vint  arrêter  tous  ses  projets.  Son  protecteur  et  bienfaiteur, 
François  I",  venait  d'être  vaincu  et  fait  prisonnier  par  les  Impériaux 
à  la  balaiile  de  Pavie(2i  février  i:)2.>)-.  Le  10  février,  François  écri- 
vait encore  à  Ulrich  qu'il  espérait  avoir  bientôt  u  de  bonnes  nouvelles 
à  lui  mander  »,  et  voilà  qu'il  se  voyait  lui-même  réduit  à  la  plus  triste 
extrémité.  La  diète  suisse,  dès  qu'elle  eut  appris  l'événement,  se 
hâta  de  rappeler  ses  hommes  d'armes,  leur  enjoignant  d'obéir  sans 
délai,  sous  peine  de  ban  ou  de  rigoureux  châtiments;  mais  avant 
même  d'être  informés  de  cet  ordre,  plusieurs  milliers  de  Suisses 
s'étaient  débandés,  mécontents  de  n'avoir  pas  reçu  leur  paye  jusque- 
là,  et  se  conduisant,  selon  l'expression  d'Ulrich,  «  comme  de  misé- 
rables parjures  et  des  déserteurs  infâmes  -.  Cet  exemple  influença 
le  reste  de  l'armée;  tous  les  jours,  les  rangs  s'éclaircissaient,  si  bien 
que  le  duc  se  vit  enfin  contraini  de  chercher  son  salut  dans  la  fuite  \ 
Le  17  mars,  il  était  de  retour  à  Ilohentwiel.  «  Qae  toute  l'affaire 
aille  aux  cinq  cents  diables!  =>  disait-il.  La  ligue  souabe,  commandée 
par  le  sénéchal  Georges  de  Waldbourg,  avait  eu  vraiment  peu  de 
peine  à  mettre  à  la  raison  ce  fou  dangereux,  et  sa  retraite  lui  fut 
très-avantageuse,  car  elle  eut  ainsi  la  main  libre,  et  put  concentrer 
toutes  ses  forces  contre  les  paysans  de  la  haute  Souabe.  «  Mais  la 
révolte  d'Ulrich  avait  coûté  la  vie  à  des  centaines  de  pauvres  gens, 
et  ses  secrètes  intelligences  avec  la  plus  vile  populace  laissaient 
encore  redouter  bien  des  maux\  » 

"  .le  ne  cacherai  pas  à  Votre  Grâce  »,  écrivait  d'Ulm  à  l'évêque  de 
Wurzbourg  le  docteur  Nicolas  Geys,  conseiller  du  prélat,  «  que, 
bien  que  le  duc  de  Wurtemberg,  ses  lansquenets  et  ses  Suisses  se 
soient  retirés,  les  uns  en  Suisse,  les  autres  à  Hohentwiel,  les  paysans 


'  Voy.  Schreiber,  t.  II,  p.  15-16. 

-  Le  10  mars  1525,  l'archiduc  Ferdinand  écrivait  au  sénéchal  Georfjes  -  qu'il  se 
confiait  en  Dieu,  et  que,  puisqu'il  avait  vain  u  les  principaux  appuis  du  due,  les 
Français  et  les  Suisses,  et  que  lt;s  intri,;ues  du  roi  de  France,  si  nuisibles  à  lui  et 
à  la  maison  d'Autriche,  venaient  d'être  déjouées,  la  victoire  sur  de  moindres  en- 
nemis serait  sans  doute  la  conséquence  d'un  si  heureux  début.  «  —  Baumann, 
Acteti,  p.  149-150. 

^  Ulrich,  '  au  désespoir  et  versant  des  larmes,  promit  aux  soldats  qu'ils  pour- 
raient retenir  en  caution  les  terres  qu'ils  allaient  conquérir.  Tout  fut  inu- 
tile. "  —  Ketzler,  Sabbata,  t.  I,  p.  365. 

*  Voy.  Stalin,  t.  IV,  p.  263-268.  Rapport  d'un  agent  de  l'archevêque  Richard 
de  Trêves;  voy.  plus  haut,  p.  495. 


504  REVOLTE    EN    SOUABE.    1525. 

de  Souabe  ne  se  calment  point;  ils  sont  toujours  en  nombre,  ils 
vont  même  se  fortifiant  tous  les  jours.  Depuis  Augsbourg,  entre  les 
montagnes  et  le  Danube,  jusqu'à  Ulm,  et  de  là  entre  lesdites  mon- 
tagnes et  la  principauté  du  Wurtemberg  jusqu'au  lac  de  Constance, 
les  paysans  et  vassaux  sont  tous  exaspérés  contre  leurs  seigneurs. 
On  prétend  que  le  Wurtemberg  va  se  soulever  à  son  tour.  Les 
bourgeois  d'Augsbourg  sortent  de  la  ville,  tambours  et  clairons  en 
tête,  pour  se  joindre  aux  paysans.  Il  y  a  là  un  conseiller  qui,  sou- 
tenu par  certains  riches  bourgeois,  ne  se  donne  pas  peu  de  mal. 
Nous  avons  reçu  la  nouvelle  que  les  paysans  du  Ries  se  soulèvent. 
Ils  se  sont  réunis  sur  une  montagne,  et  l'on  dit  que  ceux  de  Bade 
doivent  avant  peu  les  rejoindre.  D'ici  jusqu'à  Ulm,  on  entend  mau- 
dire les  moines  et  les  prêtres  comme  autrefois  on  maudissait  les 
Juifs.  Ce  qu'il  en  adviendra,  je  ne  saurais  le  dire  à  Votre  Grâce.  Les 
événements  sont  pénibles  et  rapides,  et  la  ligue  semble  encore  im- 
puissante '.  " 

Depuis  l'organisation  del'  «  Union  chrétienne»,  les  révoltés  souabes 
étaient  devenus  de  plus  en  plus  mutins  et  hâbleurs.  Les  "  douze  ar- 
ticles >:  propagés  par  les  paysans  de  la  haute  Souabe  avaient  été 
reçus  avec  empressement  par  ceux  du  sud  de  l'Allemagne.  Imprimés, 
distribués  dans  tous  les  territoires  comme  le  véritable  Évangile  po- 
pulaire -,  ils  avaient  pénétré  jusqu'en  Livonie  et  en  Esthouie.  La 
gravure  du  frontispice  représentait  une  bande  d'insurgés  armés  de 
piques,  commandés  par  un  chevalier  coiffé  d'un  haut  chapeau  à 
panache,  portant  une  bannière  où  était  peint  un  agneau  pascal,  et 
monté  sur  un  cheval  de  bataille. 

Le  parti  modéré  des  paysans  ne  tarda  pas  à  être  débordé  par  le 
parti  radical,  et  bientôt  de  nombreuses  voix  s'écrièrent  :  «  Il  nous 
faut  un  empereur!  >;  Sur  les  rives  du  Danube,  dans  le  Burgau,  Lei- 
pheim  était  le  centre  du  mouvement.  En  1524,  on  ne  sait  quels 
rustres  ignorants,  prêtres  ou  simples  chrétiens,  s'étaient  mis  à 
exercer  dans  la  cité  les  fonctions  de  pasteurs.  Le  curé  de  Leipheim, 
Hans  Wehe,  avait  pris  l'initiative  de  la  destruction  des  images.  «  Il 
souhailait  fort  voir  la  messe  abolie;  s'il  n'eiU  craint  de  pécher  contre 
la  charité  fraternelle,  il  eut  voulu  massacrer  autant  d'hommes  qu'il 
avait  dit  de  messes  en  sa  vie.  "  On  assurait  qu'il  encourageait 
les  paysans  à  bannir  toute  crainte;  combattant  pour  le  saint  Évan- 
gile, ils  pouvaient  être  certains  que  rien  ne  pourrait  leur  nuire, 
et  qu'ils  resteraient  invulnérables  au  milieu  des  balles  et  des  piques*. 

'  Voy.  Laurent  Fries,  p.  7-8. 

-  Voy,  ces  passages  dans  Badmann,  Quellen,  p.  59-60,  252.  A  Leipheina,  les  femmes 
surtout  étaient  ardentes;  c'étaient  elles  qui  entraînaient  leurs  maris  à  taré- 


FORFAITS    DES    REBELLES.    (525.  505 

Le  19  mars,  sept  mille  révoltés  or^,anis,'iient  clans  la  vallée  de  Mindel 
et  de  Kamlacli  les  trop  célèbres  «  bandes  rouges  r,.  Le  26,  les  habi- 
tants de  TAlgau  et  de  Bail  ringen  commençaient  à  piller  et  à  dé- 
truire églises,  couvents  et  châteaux. 

Quelques  emprunts  laits  aux  récifs  du  temps  pourront  nous 
donner  une  idée  de  la  fÎTOcilé  brutale  de  ces  hordes  dévastatrices. 

Nous  lisons  sur  le  pillage  du  couvent  et  de  l'église  collégiale  de 
Kempten  :  '^  Les  tenanciers  de  l'abbaye  et  les  paysans  de  l'Algau  se 
rendirent  en  tumulte  au  monastère,  et  s'emparèrent  de  tout  ce  qui 
s'y  trouvait.  Ils  se  gorgèrent  de  viande  et  se  soûlèrent  au  delà  de 
toute  mesure,  sans  remords,  sans  nulle  crainte  de  Dieu.  Ensuite 
ils  commencèrent  le  pillage  de  la  sainte  maison;  ils  saccagèrent 
tout,  et  ne  laissèrent  pas  un  seul  clou  dans  les  murailles.  Tout  ce 
qui  décorait  l'égUsc  l'ut  brisé,  les  autels,  los  tableaux  mis  en  pièces. 
Ils  firent  main  basse  sur  les  tentures  de  carême,  les  ornements  des 
prêtres,  les  missels,  les  livres  d'heures.  Ils  brisèrent  ou  emportè- 
rent les  calices,  et  tout  ce  qui  sert  au  culte.  Ils  assommèrent  les  bes- 
tiaux, les  moutons,  pour  suffire  à  leurs  ripailles.  Ils  firent  vendre 
le  blé  à  la  ville,  brisèrent  ou  emportèrent  tous  les  meubles  sans 
exception,  brisèrent  les  verrières  de  l'église,  se  conduisant  outre  cela 
comme  des  brutes  et  comme  des  impies.  Le  vendredi  saint  (14  avril), 
en  ce  jour  sacré  entre  tous,  il  semblait  que  le  diable  se  fût  com- 
plètement emparé  d'eux;  ils  démolirent  la  chapelle  du  Saint-Rosaire 
avec  sa  voiîte,  jetèrent  bas  les  tableaux,  et  abattirent  la  tête  de  la 
statue  de  Notre-Dame.  Beaucoup  de  gens  désœuvrés  de  Kempten 
étaient  accourus  au  couvent,  bien  qu'on  le  leur  eût  défendu,  et  y 
faisaient  peut-être  plus  de  mal  encore  que  les  paysans'.  <=  Ces  fu- 
rieux brisèrent  la  tête  de  toutes  les  statues  de  notre  Rédempteur 
et  de  sa  Mère  bénie;  l'Enfant  Jésus,  que  la  Madone  tenait  entre  ses 
bras,  fut  brisé  en  deux  morceaux;  les  statues  des  chers  saints  furent 
mises  en  pièces,  lancées  violemment  sur  le  sol,  profanées  et  jetées 
au  loin.  Ils  ont  été  assez  impies  pour  répandre  par  terre  l'eau  baptis- 
male; ils  ont  brisé  la  cuve  des  fonts  et  en  ont  emporté  les  débris. 
Le  tabernacle,  dont  l'ornementation  avait  coûté  si  cher,  a  été  dé- 
monté, brisé.  Le  Saint  Sacrement  a  été  retiré  du  saint  ciboire,  et 
ces  sacrilèges  l'eussent  jeté  à  terre,  si  un  prêtre  ne  se  fût  trouvé  là 
pour  s'y  opposer  ^  » 

volte.  —  Voy.  Seidemann,  TAornas  Münzer,  p.  101,  note  2.  [Le  conseil  de  31em- 
mingen  ordonna  de  jeter  en  prison  toutes  les  paysannes  convaincues  d'avoir 
parlé  de  poison  ou  d'incendie.  Voy.  B.iuJi\>'N,  .^cten,  p.  îs. 

1  Chronik  dis  Sti/tes  Kempten,  dans  Bauman.X,  Quellen,  p.  382-383. 

-  Rapport  du  prince-abbé  de  Kempten,  dans  Baumann,  Acten,  p.  331-332. 


506  UNIOIV    DES    VILLES    AVEC    LES    PAYSANS.    f525. 

A  Saiut-Blaise,  où  les  insurgés  de  la  forêt  Noire  commirent  des 
actes  analogues,  et  plus  abominables  encore,  le  Saint  Sacrement  fut 
également  l'objet  d'odieuses  profanations.  «  L'autel  du  Saint  Sacre- 
ment  »,  rapporte  la  chronique  de  l'abbaye,  »  contenait  beaucoup 
de  reliques  renfermées  dans  des  châsses  richement  ciselées,  ornées  de 
sculptures,  d'ivoire  et  de  pierres  précieuses.  Tout  fut  brisé  :  ils  arra- 
chèrent les  pierres  précieuses  et  foulèrent  les  reliques  aux  pieds;  ils 
allèrent  jusqu'à  fouiller  dans  les  fondements  de  l'église  et  à  profaner 
les  tombes  pour  y  trouver  quelque  chose  à  voler.  L'autel  du  Saint 
Sacrement,  richement  sculpté,  orné  de  nobles  et  précieux  ouvrages 
d'art,  fut  mis  en  pièces;  le  tabernacle  fut  forcé  et  brisé.  L'un  de  ces 
misérables  saisit  les  saintes  espèces  en  disant  "  qu'il  voulait  une 
fois  dans  sa  vie  manger  Dieu  de  tout  son  appélit  ».  Tous  étaient 
ivres  à  ne  pas  se  tenir  debout,  et  d'une  façon  si  ignoble,  qu'ils  finis- 
saient par  s'étendre  çà  et  là  dans  des  coins,  comme  des  brutes'.  ■ 
«  Les  paysans  du  Ries  >■,  écrit  un  témoin  oculaire,   «  ont  pillé 
les  cellules  du  couvent  d'Anhausen.  Ils  ont  indignement  torturé  le 
bétail,  pour  ne  rien  dire  de  plus  fort  :  un  porc  a  été  coupé  en 
deux;  une  vache  a  eu  le  dos  charcuté.  Ils  ont  répandu  sur  le  sol  les 
saintes  espèces,  emporté  les  ostensoirs,  arraché  de  l'autel  la  statue 
de  Notre-Dame,  dont  ils  avaient  brisé  les  bras,  les  pieds,  tous  les 
membres;  ils  ont  aussi  jeté  bas  les  têtes  des  statues  des  saints.  Ils 
disaient  :  «  Nous  n'avons  plus  besoin  d'église  !  »  Près  de  deux  cents 
fourgons  ont  emporté  tout  le  butin  hors  du  couvent^  » 

«  Les  paysans  ",  dit  un  autre  récit,  «  étaient  en  pleine  liesse, 
heureux  de  faire  les  maitres,  et  se  complaisant  dans  leurs  excès.  Ils 
se  croyaient  devenus  nobles,  et  ne  voulaient  plus  porter  de  blouse 
ni  de  culotte  de  coutil.  Ils  s'habillaient  de  blanc,  se  faisaient  tailler 
des  culottes,  des  habits  à  la  mode,  garnis  de  bleu,  et  portaient  de 
grands  chapeaux  ornés  de  plumes.  Ils  pensaient  ainsi  s'anoblir  et 
se  rendre  plus  imposants.  »  Ils  étaient  fort  consolés  par  l'attitude 
des  bourgeois  de  Nördlingen  qui  promettaient  de  leur  prêter  assis- 
tance; car  beaucoup  d'ouvriers  de  Nördlingen  étaient  de  leur  parti, 
et  leur  avaient  fait  dire  qu'ils  laisseraient  pour  eux  la  porte  ouverte 
et  leur  fourniraient  des  armes  ^  » 

'  Mo\E,  Quellensammlung,  t.  II,  p.  62  Cl  48. 

2  Voy.  ce  récit  dans  ,Iöi\g,  p.  254.  Sur  les  atrocités  commises  dans  l'évêché 
d'Augsbourg,  voy.  Steichkle,  dans  les  Beilrâ^en  zur  Geschichte  des  Bistliums  Augshurq, 
t.  I,  p.  57-63. —  c  ivuric  vero  monachi  sumus  »,  écrivait  l'aiibé  Jérôme  d'Elchia- 
gen  à  l'évêque  Christophe  d'Augsboiirg  le  22  avril  (samedi  de  Pâques)  1525,  dans 
la  relation  qu'il  lui  adresse  du  pillage  de  l'abbaye.  •  quia  in  paupertate  vivimus. 
Dormito  ego  et  aliqui  alii  in  straminibus  et  raerito,  quia  paupertate  oppressi.  • 
P.  60-61. 

3  Donmmorlher  Chronik,  dans   Bauman.N,  Quellen,  p.  2.55-257     «  Pendant  la  dévas- 


UNION    DES    Vir.r.ES    AVEC    LES    PAYSANS.    1025.  507 

De  Memminp,en,  de  Kepfen,  de  Kaiifbeuern,  d'Fsny,  de  Leutkîrch, 
de  Biberach,  d'Ulm,  la  populace  des  villes,  qui  avait  arraché  le 
pouvoir  des  mains  des  «  honorables  »,  envoyait  journellemenl 
aux  paysans  des  munitions  et  des  vivres.  Knopf  de  Luibas  déclara 
dans  son  interrogatoire  <  que  les  communes  de  Memmingen  et  de 
Kempten  avaient  encouragé  les  révoltés  dans  leurs  mauvais  des- 
seins, et  leur  avaient,  pour  ainsi  dire,  conseillé  linsurrection  ». 
Kempten  avait  autorisé  le  pillage  de  l'abbaye.  Tout  le  butin  avait 
été  dirigé  sur  la  ville;  tout  avait  été  mis  à  prix,  puis  acheté  par  les 
bourgeois  et  toutes  sortes  de  personnes'.  A  Memmingen,  la  po- 
pulation insurgée  criait  :  «  Détruisons  les  maisons  des  riches  et  des 
prêtres*!  » 

Des  lansquenets  débandés  venaient  en  masse  rejoindre  les  re- 
belles ^  D'autres,  entrés  au  service  de  la  ligue  souabe,  refusaient 
nettement  de  marcher  contre  les  paysans.  '•  Xous  avons  ici  environ 
quarante  mille  hommes  ■,  écrivait  Léonard  d'Eck  le  12  mars  aux 
ducs  de  Bavière,  «  mais  ils  ne  veulent  pas  bouger.  -  Un  jour,  ainsi 
qu'un  témoin  oculaire  en  fait  foi,  près  de  quinze  cents  hommes 
de  l'armée  alliée  désertèrent  pour  n'avoir  pas  à  combattre  leurs 
frères  '. 

Les  pourparlers  engagés  pendant  un  certain  temps  entre  les  révol- 
tés et  la  ligue  souabe  ne  furent  sincères  ni  d'un  côté  ni  de  l'autre. 
La  ligue,  en  les  prolongeant,  n'avait  d'autre  but  que  d'arrêter  les 
progrès  des  paysans  jusqu'au  moment  où  son  général  en  chef,  le 
sénéchal  Georges  de  NValbourg,  aurait  rassemblé  et  organisé  une 
armée  capable  de  les  mettre  en  déroute';  les  paysans,  de  leur 
côté,  prenaient  secrètement,  à  Memmingen,  l'engagement  de  ne 
point  faire  de  quartier  aux  chefs  de  la  ligue,  de  détruire  les  cou- 
vents, les  abbayes,  de  chasser  la  petite  noblesse,  et  de  vivre  ensuite 


tation  du  inouaslère  d'Aiihausen  ,  raconte  Knebel,  -  ces  coquins  passaient  une 
aube  sur  leurs  habits,  puis  un  ornement  de  prêtre,  et  commençaient  à  se  moquer 
de  la  sainte  messe  et  de  ht  dignité  sacerdotale;  mais  un  reître  qui  était  au  mar- 
grave Casimir  ayant  mi,N,  lui  aussi,  par  raillerie  sacrilège,  des  habits  de  prêtre, 
une  pique  le  transperça  tout  à  coup,  et  la  pique  et  lui  sont  restés  l'un  dans  l'autre 
jusqu'au  troisième  jour,  de  sorte  que  le  châtiment  de  Dieu  a  été  visible.  - 

'  Dans  JÖRG.  p.  1.37.  Sur  la  complicité  de.N  populations  des  villes,  voy.  aussi  les 
passages  cités  par  B\lmann,  Quellen,  p.  64,  305,  308,  362,  379-380. 

*  Rohling,  p.  150. 

^  Voy.  .löRG,  p.  241.  —  "  Parmi  eux,  il  y  avait  des  capitaines  et  de  bons  sol- 
dats; beaucoup  venaient  d'Italie  et  y  avaient  longtemps  fait  la  guerre.  »  — Biu- 
M\N.\,  Quellen,  p.  456,  565,  671.  Les  paysans  d'Alsace  ■=  avaient  près  de  1,500  lans- 
quenets et  Suisses  bannis  dans  leur  armée  -.  —  B.mm.wn,  /icien,  p.  306. 

*.IÖRG,  p.  241.  —  BviMANN,  Quellen,  p.  727-728,  618.  —  Voy.  aussi  la  lettre  citée 
plus  haut  de  l'archiduc  Ferdinand,  p.  484,  note  2. 

"  Voy  la  lettre  d'Eck,  chancelier  de  Bavière,  dans  .Iörg,  p.  407,  et  la  lettre  de 
l'abbé  Ger\vick  de  Weingarten,  dans  St.\li\,  t.  IV,  p.  270. 


508  TRAITE    DE    WEINGARTEN.    IÖ25. 

à  leur  guise,  dans  les  propriétés  de  ceux  qu'ils  auraient  dépouillés'. 
A  partir  des  derniers  jours  de  mars,  l'émeute  se  propagea  avec 
une  effrayante  rapidité  dans  la  plus  grande  partie  de  la  haute  Alle- 
magne. La  révolte  éclatait  partout  à  la  fois,  comme  si  elle  eût  été 
préparée  de  longue  main.  On  prétend  que  dans  la  seule  Souabe, 
l'armée  des  rebelles  comptait  plus  de  trois  cent  mille  soldats. 

Le  4  avril,  le  sénéchal  Georges  battit  environ  quatre  mille  paysans 
près  de  Leipheim  ^  11  s'empara  de  la  ville,  la  rançonna,  et  fît  déca- 
piter le  prédicant  Wehe  et  huit  chefs  de  paysans;  il  se  dirigea 
ensuite  vers  la  Souabe,  mit  en  fuite,  prés  de  Wurzach,  le  gros  de  la 
horde  de  Baltringen,  et  le  jour  suivant  offrit  la  bataille  à  une  armée 
de  quatorze  à  seize  mille  hommes,  tous  paysans  de  TAlgau  et  des 
bords  du  lac  de  Constance.  Déjà  l'action  était  engagée,  lorsque  les 
révoltés  demandèrent  à  parlementer.  Ils  conclurent  avec  la  ligue  un 
traité  que  signèrent  leurs  chefs,  portant  que  les  bandes  réunies  de 
l'Algau  et  de  Constance  renonceraient  à  leur  «  fraternité  »,  qu'elles 
livreraient  les  articles  de  leur  union,  et  s'engageraient  à  ne  jamais 
recommencer  la  guerre;  qu'elles  retourneraient  dans  leur  pays, 
restitueraient  ce  qui  avait  été  pris  et  dérobé,  et  payeraient  aux  sei- 
gneurs les  dîmes,  les  impôts,  les  redevancesjusqu'à  ce  qu'une  cour  sou- 
veraine, ou  simplement  le  droit  commun,  eût  fait  droit  à  leurs  récla- 
mations, lis  promettaient  d'écarter  à  l'avenir  tout  mauvais  vouloir. 
Quant  au  choix  des  tribunaux  qui  devaient  garantir  l'exécution  du 
traité,  il  fut  convenu  que  seigneurs  et  paysans  désigneraient  deux  ou 
trois  cités'.  Nulle  part  il  n'était  question  du  châtiment  des  rebelles. 
Le  sénéchal  ne  consentit  à  conclure  un  traité  si  visiblement  à  leur 
avantage  que  parce  que  son  armée,  la  seule  dont  la  ligue  souabe 
pût  disposer  en  ce  moment,  avait  une  infanterie  trop  faible  pour 
pouvoir  résister  aux  paysans,  dont  les  forces  étaient  de  beaucoup 
supérieures.  En  outre,  il  était  convaincu  que,  dans  le  cas  d'un 
échec,  la  plupart  des  villes  ouvriraient  leurs  portes  aux  insurgés  ^ 
car  les  princes  et  seigneurs  tenaient  pour  certain  que  les  cités  étaient 
les  vrais  foyers   de  l'insurrection*.  Néanmoins  quelques   princes 

'  Voy.  ,1ÖRG,  p.  137.  —  Bauma\n,  Oberschrcahische  Dauern,  p.  53-79,  102.  —  Aveux 
de  Knopf,  dans  Baumann,  Acte/i,  p.  379,  question  8. 

-  Voy.  dans  Bacmaw,  Acten,  p.  181-184,  les  détails  donnés  sur  les  forces  et  les 
chefs  de  bandes  de  i.eipheim 

^  Dans  Walchner  et  Bodent,  p.  260-268. 

*  Voy  la  lettre  du  tabellion  de  Ravensbourg  (3  mai  1525)  dans  Bau«an\,  Acten, 
p.  265.  "  A  mon  avis  » ,  dit-il,  «  une  des  raisons  de  la  conclusion  de  ce  traité,  c'est 
que  les  populations  des  villes  étaient  extrêmement  bien  disposées  pour  les  pay- 
sans, et  jusque-là  avaient  été  à  grand'peine  empêchées  de  renverser  les  auto- 
rités et  de  rejoindre  les  hordes.  »  —  Voy.  Jörg,  p.  134,  457. 

*  Voy.  la  lettre  du  margrave  Casimir  du  9  avril  1525,  dans  Jörg,  p.  135,  note  7. 


Kirvor/rE  ixr  tyiuh-.  1525.  5o«.> 

de  la  ligue  murmurèrent  contre  le  sénéchal,  le  blûmant  de  ce  qu'il 
se  finit  trop  aux  paysans,  et  disant  qu'il  eiU  dû  commencer  par 
exij^er  d'eux  non-seulement  la  remise  de  leurs  bannières,  mais  celle 
de  leurs  armes.  «  Dès  que  le  sénéchal  aura  le  dos  tourné  »,  disaient- 
ils,  il  est  clair  que  les  paysans  oublieront  leurs  promesses  et  se 
révolteront  de  nouveau.  »  «  La  {juerre  est  loin  d'être  terminée  «, 
écrivait  le  chancelier  Eck  le  26  avril;  «  j'ai  peur  qu'elle  ne  fasse  au 
contraire  que  commencer.  »  En  elTet,  dès  les  premiers  jours  de  mai, 
aussitôt  après  la  retraite  de  Georj^es,  les  paysans  de  l'Aljjau  tinrent 
conseil  à  Eglofs,  déchirèrent  le  traité  qu'ils  venaient  de  signer,  et 
firent  partager  leur  résolution  aux  bandes  de  Constance.  Les  insur- 
gés ne  se  souvenaient  plus  de  leur  promesse,  donnée  cependant 
sous  le  seing  et  le  sceau  de  leurs  chefs.  Dans  une  nouvelle  réunion 
tenue  à  Kempten,  ils  déclarèrent  qu'ils  ne  se  regardaient  liés  par 
aucun  contrat  et  ne  reconnaissaient  aucune  autorité.  L'Algau  s'en- 
gagea à  lournir  >  un  homme  sur  deux  ».  Peu  à  peu,  les  insurgés 
formèrent  une  armée  si  redoutable,  qu'on  put  craindre  un  moment 
de  les  voir  réussir  dans  le  dessein  qu'ils  annonçaient  d'aller  porter 
la  révolte  et  la  guerre  jusqu'au  cœur  de  la  Bavière  '. 

En  vain  le  sénéchal  pressait-il  le  lieutenant  impérial,  l'archiduc 
Ferdinand,  d'accourir  en  Souabe,  de  tout  tenter  pour  apaiser 
l'émeule  :  Ferdinand  était  «  hors  d'état  de  venir  à  son  secours  », 
car  dans  ses  propres  États,  en  Tyrol,  en  Slyrie,  eu  Carinthie,  le 
peuple  s'était  soulevé.  En  Tyrol,  il  avait  été  «  assailli  par  ses 
propres  sujets  >.  <■■  Les  tristes  nouvelles  se  succèdent  si  rapide- 
ment »,  écrivait-il  au  sénéchal,  «  les  paysans  sont  de  tous  cotés  si 
menaçants  que  nous  n'avons  pas  un  seul  jour  de  sécurité;  nous 
nous  attendons  tous  les  jours  à  être  surpris  à  Insprlick.  » 

L'insurrection  avait  absolument  le  même  caractère  dans  les  pays 
héréditaires  d'Autriche  que  dans  le  reste  de  l'Allemagne.  Ceux  qui 
n'avaient  rien  à  perdre  et  ne  pouvaient  que  gagner  à  la  bagarre,  met- 
taient l'émeute  en  branle,  et  réclamaient  l'égalité  en  toutes  choses, 
parce  que  tous  les  hommes  étaient  frères  en  Jésus-Christ,  comme 
l'Évangile  le  démontrait.  L'unique  et  quotidienne  occupation  des 
prêtres  et  des  nobles  avait  été  le  vol  et  le  brigandage  ^  Voici  com- 
ment Georges  Kirchmair  raconte  en  ses  Mémoires  le  début  de  la 

•  Pour  plus  de  détails,  voy.  Jorg,  p.  460-475.  —  Voy.  Moxe,  Quellensammlung, 
t.  II,  p.  132,  note. 

-  *  Tiré  d'une  lettre  d'un  conseiller  de  la  cour  dinspruck  du  14  juin  1524. 
dans  les  Trierischen  Sachen  und  Brief schaßcii,  fol.  92.  —  Voy.  l'aiertissenieiit  de  Fer- 
dinand à  la  population  d'Etschthal,  daté  du  22  mai  1525.  —  Bucholtz,  t.  VIII. 
p.  334. 


510  BÉVOLTE    DU    TYROL.    1525- 

révolte  :  '  Une  insurrectioa  horrible,  féroce,  effroyable,  s'est  pro- 
duite dans  nos  pays  parmi  les  paysans;  j'en  ai  été  témoin,  j'en  ai  vu 
les   effets   prodigieux.  Voici   comment   la   chose  commença  :  une 
troupe  de  braillards  dépravés  résolurent  de  soustraire  à  une  sentence 
bien  méritée  un  «  réfractaire  "  condamné'.  Après  qu'un  certain  mer- 
credi ils  eurent  accompli  cet  acte  séditieux,  les  paysans  commen- 
cèrent à  affluer  de  tous  les  points  de  la  contrée;  il  en  venait  des 
montagnes,  il  en  venait  des  vallées.  Vieillards,  jeunes  gens,  tous 
accouraient,  beaucoup  ne  sachant  pas  même  de  quoi  il  était  question. 
Donc,  lorsque  dans  la  plaine  de  Mühland,  sur  les  bords  de  l'Eisack, 
la  grande  horde  fut  rassemblée,  ils  convinrent  tous  ensemble  de  se 
délivrer  du  joug  qui  les  oppressait.  Un  gentilhomme  nommé  Sigis- 
mond  Brandisir,  intendant  de  Rodenegg,  entreprit  de  les  dissuader 
de  leur  mauvais  dessein,  et  leur  représenta  tout  le  danger,  l'humi- 
liation, la  ruine,  les  travaux,  les  châtiments  que  leur  attirerait  leur 
rébellion.  Bien  qu'il  en  eût  obtenu  la  promesse  de  ne  pas  commen- 
cer les  hostilités  et  d'apporter  leurs  griefs  devant  leurs  princes  légi- 
times, qui  en  ce  moment  étaient  à  luspriick,  ils  ne  tinrent  pas  pa- 
role et,  se  mettant  en  marche,  commencèrent  par  s'emparer  de 
Brixen  la  nuit  de  la  Pentecôte.  Là,  ils  pillèrent  et  dépouillèrent, 
malgré  Dieu  et  le  bon  droit,  prêtres,  chapelains,  chanoines.  Ensuite 
ils  se  rendirent  au  château  de  l'évêque,  chassèrent  le  conseil  et  les 
serviteurs  du  prélat  au  milieu  d'un  grand  tumulte,  et  se  livrèrent  à 
des  actes  si  atroces  que  cela  ne  se  peut  décrire.  Les  habitants  de 
Brixen  oublièrent  aussi  prompferaent  leur  devoir  envers  l'évêque 
Sébastien  que  les  paysans  de  Neustift  leurs  obligations  envers  leur 
seigneur,  le  prévôt  Augustin.  En  résumé,  aucun  d'eux  n'avait  plus 
aucune  souvenance  du  devoir,  de  la  loyauté,  de  la  foi  jurée.  Les 
paysans  et  les  habitants  de  Brixen  ne  faisaient  plus  qu'un;  les  uns 
et  les  autres  avaient  leurs  chefs.  Tous,  au  nombre  d'environ  cinq 
mille  hommes,  marchèrent  sur  l'abbaye  de  Aeustift  et,  sans  avoir 
donné  aucun  avertissement  ni  prétexte,  assaillirent  le  monastère  le 
vendredi  12  mai  1525.  On  pourrait  emplir  un  gros  livre  du  récit  des 
attentats  effroyables  auxquels  ils  se  livrèrent.  Le  prévôt  Augustin, 
prêtre  vénérable,  fut  chassé,  poursuivi,  et  les   prêtres  tellement 
abreuvés  d'outrages,  d'ignominies  et  de  mauvais  traitements,  que  cha- 
cun d'eux  en  avait  honte  pour  son  caractère  et  son  habit  de  prêtre. 
Les  paysans  firent  pour  plus  de  vingt-cinq  mille  florins  de  dégâts, 
détruisirent  les  bâtiments,  s'emparèrent  de  l'argent,  de  l'orfèvrerie, 
des  meubles,  papiers,  livres.  Nul  ne  saurait  dire  les  débauches,  blas- 


'  On  appelait  réfractaires  ceux  qui  notifiaient  à  leur  seigneur  ou  au  tribunal 
leur  refus  d'obéissance,  tt  prenaient  en  main  leur  propre  cause. 


KKVOLTK    MAI,  S  A  CK.    1.020.  511 

phèmes,  prolanation.s  donl  ce  couvent  fui  le  lliéàlre.  Il  eiii  fini 
par  (ilre  la  proie  de  l'incendie  si  Dieti  ne  VcM  prolé^jé.  •  I.e  samedi 
t'A  mai,  les  révollés  élurent  pour  chef  .Michel  (ieismayr ',  fils  d'un 
écuyer  de  Sterzing,  homme  pervers,  séditieux,  dépravé,  mais  habile 
et  ruse.  .Mors  commença  dans  tout  le  pays  la  persécution  du  clergé. 
Il  n'était  si  pauvre  prêtre  dans  la  contrée  qui  ne  dût  perdre  loul 
son  avoir.  Les  révoltés  assaillirent  ensuite  les  demeures  de  beau- 
coup de  nobles  qu'ils  pillèrent;  personne  n'était  à  l'abri  de  leurs 
attaques.  L'archiduc  Ferdinand  lui-même  et  sa  noble  épouse  n'étaient 
en  sécurité  nulle  part,  car  dans  tout  le  pays,  au  fond  de  la  vallée, 
au  bord  de  l'Adige,  il  y  avait  dans  les  villes  et  chez  les  paysans  une 
telle  excitation,  qu'aucun  honnête  homme  n'osait  plus  se  montrer 
dans  les  rues.  Le  vol,  le  pillage  étaient  devenus  crimes  si  ordinaires 
que  des  gens  connus  pour  honnêtes  se  laissaient  tenter  comme  les 
autres;  plus  tard  ils  s'en  sont  bien  repentis!  Et  à  vrai  dire,  aucun 
d'eux  n'en  est  devenu  plus  riche  ^!  > 

'  Il  nous  vient  du  Tyrol  et  de  la  Styrie  des  gens  qui  se  proposent 
d'attiser  chez  nous  la  révolte  «,  écrivait  un  chargé  d'affaires  de  l'ar- 
chevêque de  Trêves.  »  Tous  ont  fait  partie  des  bandes  de  l'.Xlgau  et 
de  l'Alsace,  et  veulent,  comme  j'en  ai  de  stires  nouvelles,  faire  alliance 
avec  les  nôtres.  Ils  s'en  prennent  à  toutes  les  autorités,  à  tous  ceux 
qui  possèdent;  il  n'est  bruit  ici  que  de  vols  et  d'incendies.  Que 
Votre  Grâce  ne  se  laisse  pas  égarer  par  les  articles  que  les  révoltés  lui 
présenteront,  car  en  vérité  il  s'agit  de  bien  autre  chose!  Les  Alsa- 
ciens mettent  tout  en  rumeur,  de  quelque  côté  qu'on  se  tourne'. 

En  Alsace,  l'émeute,  -  comme  un  incendie  de  forêt  -,  se  propa- 
geait de  ville  en  ville,  de  village  en  village.  -  On  ne  voit  chez 
nous  qu'insurrection  ' ,  écrit  le  30  avril  Wollgang  Capito,  prédicant 
de  Strasbourg;  «  partout  les  bandes  font  alliance  les  unes  avec  les 
autres.  Plusieurs  villes  et  beaucoup  de  châteaux  sont  aux  mains  des 
insurgés.  Les  papistes  sont  dans  une  inexprimable  angoisse;  les 
riches  tremblent  pour  leurs  trésors,  et  nous-mêmes,  dans  notre 
ville  fortifiée,  nous  ne  sommes  pas  exempts  d'inquiétude;  mais,  forts 
dans  le  Seigneur,  nous  n'en  poursuivons  pas  moins  notre  mission, 
qui  est  de  prêcher  librement  la  parole,  et  il  n'y  a  plus  ici  que  peu 
de  vestiges  du  culte  de  l'Antéchrist*.  »  L'épouvante  générale  servit 

'  Geismayr  avait  été  jadis  au  service  de  l'évêque  Sébastien  de  Brixen  coriiine 
employé  de  la  douane.  C'était  un  deinafjogue  hardi  et  résolu  qui  voulait  renver- 
ser tout  l'ordre  ecdésiastique  en  même  temps  que  l'état  politique  et  social.  — 
Voy.  plus  haut  son  plan  de  constitution,  p.  474. 

2  Fontes  rer.  Ausir.  script.,  t.  I,  p.  470-472,  475.  —  Voy.  WOLF,  t.  I,  p.  39-50. 

^  *  Dans  la  lettre  citée  plus  haut,  p.  495,  note  2. 

*  Dans  Baum,  p.   313-314.  Pour  plus  de  détails  sur  l'insurrection  d'Alsace, 


512  RÉVOLTE    D'ALSACE.    1525. 

de  prétexte  aux  nouveaux  croyants  de  Strasbourg  pour  provoquer 
un  brisement  d'images  ".  Les  paysans  insurgés  se  donnaient  pour  si 
experts  dans  la  science  du  «  véritable  Évangile  »,  qu'au  rapport  de 
Capito,  ils  sommèrent  les  abbés  et  les  prêtres  de  se  rendre  dans  leur 
camp,  pour  avoir  avec  eux  une  dispute  publique  sur  des  questions 
théologiques,  menaçant  d'envahir  tous  les  couvents  qui  refuseraient 
d'envoyer  leurs  représentants.  Strasbourg,  en  1524,  avait  eu  la  fai- 
blesse d'accorder  droit  de  cité  à  plusieurs  bourgeois  et  paysans 
chassés  des  principautés  voisines  pour  y  avoir  excité  des  troubles. 
Aussi  la  ville  se  voyait-elle  actuellement  gravement  menacée.  Le 
bruit  courait  que  le  conseil  avait  fait  emprisonner  seize  bourgeois 
'  soupçonnés  d'avoir  voulu  faire  pénétrer  les  hordes  insurgées  dans 
la  cité,  pour  piller  ensuite  avec  eux  clercs  et  laïques^  ».  Saverne,  ré- 
sidence de  l'évéque  de  Strasbourg,  ville  munie  de  bons  ouvrages  de 
fortification,  ouvrit  ses  portes  aux  révoltés  et  prêta  serment  «  à 
l'Union  chrétienne  ».  Ce  n'étaient  partout  qu'incendies,  vols,  pro- 
fanations d'églises,  criminelle  destruction  des  plus  nobles  ouvrages 
d'art.  Dans  l'abbaye  princière  de  Maurusmiinster,  près  de  Sa- 
verne, les  émeutiers,  après  avoir  tout  saccagé,  mirent  le  feu  à  la 
bibliothèque.  Pour  pénétrer  dans  la  maison  des  chevaliers  de  Saint- 
Jean,  il  fallait  marcher  '  jusqu'aux  genoux  dans  les  débris  de  livres 
et  de  papiers  ».  Dans  le  camp  des  paysans,  tout  reluisait  de  ca- 
lices, patènes,  orfèvreries  d'église  d'or  et  d'argent,  ornements 
d'autel  de  tous  genres  \  A  Wissembourg,  l'un  des  bourgmestres 
et  plusieurs  conseillers  étaient  du  parti  des  révoltés  *,  dont  le 
plus  grand  nombre  appartenait  aux  corporations  de  vignerons. 
L'abbaye  fut  pillée,  l'église  de  Saint-Étienne  assaillie;  des  voitures 
remplies  de  livres,  de  registres  de  dîmes,  amenées  sur  la  place 
du  marché,  et  leur  contenu  livré  aux  flammes.  Dans  un  récit  de  ces 
dévastations,  écrit  par  le  chapitre  de  l'abbaye,  on  se  plaint  plus 
amèrement  encore  des  bourgmestres  et  des  conseillers  que  des 
paysans.  «  Les  paysans  »,  y  est-il  dit,  «  n'ont  demandé  le  sang 
d'aucun  prêtre,  au  lieu  que  ceux  de  Wissembourg  se  sont  montrés 
d'un  tout  autre  avis,  comme  ils  le  savent  mieux  que  personne  ^  ■' 

voy.  ViRCK,  t.  I,  p.  107-194.  —  Hartfelder,  Slmssburg  wahrend  des  Bauernkriegs, 
p.  225. 

•  L'archiduc  Ferdinand  écrivait  le  20  mai  1525  au  pape  Clément  VII  :  «  ...quae 
apud  Argentinam  acta  sint,  pudet  referre;  nusquam  locorum  magis  est  spreta 
religio  quam  illic.  •  Communiqué  par  Chmel,  dans  les  Sitzungsberichten  der  lUiene: 
.académie  der  Wissenschaften,  t.  II,  p.  28-34.  —  BaLAN,  p.  457. 

-Lettre  du  27  avril  1525,  dans  Schreiber,  Bauernkrieg,  t.  II,  p.  63.  —  BaumaN.\, 
Quellen,  p.  786.  —  Uxrtfelver,  Strassbtirg  tcuhreiid  des  Bauernkriegs,  p.  245. 

^  Voy.  Zimmermann,  t.  II,  p,  575-576. 

■*  Voy.  BOELL,  p.  27,  46. 

'  BOELL,  p.  15-16,  23,  60,  67,  71. 


UKVOLTE    D'ALSACE.    1525.  513 

A  Schclestadt,  le  conseil  eut  toutes  les  peines  du  monde  à  empêcher 
la  populace  (le  piller  les  couvents '.  Au  dire  d'un  chef  de  paysans, 
le  coinfe  Louis  de  llanau-Lichlenberj;,  dans  l'espoir  de  tirer  bon 
paru  de  l'émeute,  fournissait  les  insurjjés  de  poudre,  de  plomb  et 
de  vivres  ^  <  Au  nom  du  -Sauveur  Jésus-Christ  »,  les  chefs  insurgés 
d'Alsace  exigeaient  que  chaque  ville,  hameau  ou  village  envoyât 
un  homme  sur  quatre  rejoindre  la  horde.  Dès  que  le  tocsin  sonnait 
dans  quelque  bourgade,  les  cloches  des  paroisses  environnantes  de- 
vaient s'ébranler  \  Dans  leurs  articles  publiquement  répandus,  les 
révoltés  alsaciens  allaient  bien  au  delà  des  réclamations  «  des  douze 
principaux  articles  des  paysans  de  Souabe  ».  Ils  refusaient  de  payer 
petites  et  grandes  dimes,  redevances  ou  tailles  quelconques,  récla- 
maient l'enlière  liberté  des  rivières  et  des  forêts,  et  déclaraient  ne 
reconnaître  d'autre  prince  et  seigneur  que  celui  qui  leur  convien- 
drait. ;<  Grâce  à  l'Evangile  »,  disaient  ceux  d'Obernai,  -  tout  sera 
changé;  celui  qui  est  maintenant  bourgmestre  ne  sera  plus  rien; 
celui  qui  est  maître  de  corporation  sera  à  peine  un  balayeur.  Un 
Jettera  par  la  fenêtre  les  seigneurs  de  la  Régence,  et  nous  serons 
les  mai  très  ^.  » 

'  Les  paysans  d'Alsace  sont  ivres  de  pillage  et  d'incendie  »,  rap- 
porte un  chargé  d'affaires  de  l'archevêque  de  Trêves;  "  mais  parmi 
la  population  des  villes  qui  demande  à  partager  avec  les  riches,  il  y 
a  encore  bien  plus  d'excitation  que  parmi  les  gens  des  campagnes. 
Là,  les  mécontents  s'écrient  d'une  seule  voix  :  Non-seulement  nous 
voulons  nous  emparer  des  couvents  et  des  châteaux,  mais  dans  les 
villes  aussi  nous  voulons  châtier,  piller,  être  les  maîtres!  Ils  sont 
d'intelligence  avec  plusieurs  bandes  venues  de  Lorraine,  et  avec  les 
grandes  hordes  de  la  forêt  Noire.  Ces  dernières  se  sont  rendues 
maîtresses  de  presque  tout  le  Brisgau,  et  parlent  de  contraindre 
Fribourg  à  leur  ouvrir  ses  portes ^  > 

Depuis  le  printemps  de  1525,  Fribourg  était  dans  le  plus  extrême 
péril,  "  et  ne  savait  comment  échapper  aux  paysans  ».  Dans  la  ville 
même,  par  les  secrètes  intrigues  d'un  boucher  séditieux,  la  popu- 
lace avait  noué  des  'elations  avec  les  hordes  insurgées  °.  "  Tout 
chez  nous  est  dans  l'emoi  et  le  trouble  »,  écrivait  Ulrich  Zasius  à  son 
ami  Amerbach;  <  à  toute  heure  du  jour,  nous  nous  attendons  à  une 
catastrophe.  Luther,  l'ennemi  détestable  de  toute  paix,  le  plus  dan- 
gereux de  tous  les  hommes,  a  plongé  l'Allemagne  dans  un  tel  délire 

'  Voy.  Schreiber,  Bauernkrieg,  t.  II,  p.  61-63. 

-  Hartfelder,  Scrassburg  während  des  Bauernkriegs,  p.  277. 

^  Circulaire  du  29  avril  1525,  daus  Schreiber,  t.  II,  p.  70. 

••  Gyss,    Hisl.  de  la  ville  (i'Oienia/ :  Strasbourg,  1886\  t.  I,  p.  353. 

5  Voy.  plus  haut,  p.  495,  note  2. 

«  Voy.  Martin  SuUer's  Urfehde,  8  mars  1525,  dans  SCHREIBER,   t.  II,  p.  23. 

II.  33 


514  LUTHER    SUR    LES    ARTICLES    DES    PAYSANS.    1525. 

qu'on  doit  appeler  repos  et  sécurité  Tespérauce  de  n'être  pas  as- 
sommé. Je  pourrais  en  écrire  beaucoup  sur  ce  sujet,  mais  la  douleur 
m'ote  la  plume  de  la  main'.  «  Le  21  mai,  douze  mille  paysans  mar- 
chèrent sur  la  ville,  interceptèrent  les  eaux  des  puits  et  des  moulins, 
surprirent  la  garnison  du  château  fort,  et,  maîtres  de  cette  position, 
entourèrent  la  cité  de  coulevrines.  Beaucoup  de  maisons  s'écrou- 
lèrent, le  faite  de  la  tour  de  la  cathédrale  s'abattit.  Le  24  mai,  Fri- 
bourg  capitulait,  et  concluait  un  traité  avec  les  révoltés  par  lequel 
elle  s'engageait  a  à  adopter  le  saint  Evangile  de  la  divine  vérité,  à 
prêier  main-forte  à  la  justice  de  Dieu,  et  à  faire  justice  aux  réclama- 
tions des  pauvres  =.  Par  rapport  aux  couvents  et  aux  abbayes,  le  con- 
seil dut  promettre  <  qu'avec  les  paysans,  leurs  amis  et  bons  frères  ",  il 
s'emploierait  «  à  les  humiUer,  à  les  abolir,  et  partagerait  ensuite  le 
butin  avec  les  émeutiers,  comme  tant  de  villes  et  de  pays  l'avaient 
déjà  fait  .  En  punition  de  l'assistance  prêtée  aux  prêtres  et  aux 
nobles,  la  ville  fut  condamnée  à  payer  trois  mille  florins  d'amende  ^ 
«  Ce  traité  »,  écrit  Zasius,  "  renferme  une  clause  à  la  fois  révol- 
tante et  grotesque,  chose  assez  naturelle,  étant  donné  les  auteurs  de 
l'écrit;  il  porte  que  l'Évangile  sera  «  protégé  -  !  Il  semble,  en  vérité, 
que  les  chrétiens  ne  l'aient  pas  maintenu  et  professé  pendant  tous 
les  siècles  précédents^!  >' 


II 


Luther,  que  Zasius  regardait  comme  le  véritable  père  de  la  révo- 
lution, avait,  à  la  fin  d'avril  1525,  publié  une  sorte  de  manifeste 
où  il  repoussait  toute  responsabilité  dans  les  malheurs  pubhcs  :  ses 
ennemis  seuls,  les  prophètes  homicides,  avaient,  disait-il,  entraîné 
le  peuple  à  la  sédition. 

Il  ne  comprenait  que  trop  le  tort  fait  à  son  parti  par  les  insurgés 
incendiaires  et  pillards  qui  invoquaient  en  tous  lieux  l'Évangile,  et 
prétendaient  combattre  pour  sa  cause;  il  redoutait  l'abolition  de 
toute  autorité,  de  tout  ordre  social,  le  bouleversement  et  la  ruine 
irrémédiable  de  l'Allemagne,  <  si  l'insurrection  continuait,  et  pre- 
nait la  haute  main  ». 

Il  avait  donc  le  sérieux  bon  vouloir  d'apaiser  la  révolution  et  de 
rétablir  la  paix;  mais  il  faut  convenir  que  la  manière  dont  il  s'y  prit 

1  Zasii  Epist..  p.  97.  —  Voy.  Stintzi\G,  p.  263-267.  —  Hartfelder,  Bauernkrieg, 
p.  326-330. 

*  Dans  Schreiber,  t.  H,  p.  131-133. 
'  Vôy.  la  note  1. 


r.IITIIEli    SIIi;    r.KS    articles    des    I-AYSANS.    1525.  515 

pour  obtenir  ce  rcsiillal,  ('l.iir  moins  f;ii(e  |)oiir  c.ilmer  les  esprits  que 
pour  jefer  encore  de  riiiiile  sur  le  feu. 

Son  ccrif  est  intitulé  :  /C.r/iortation  u  lu  jifii.c,  à  propos  fies  douze 
articles  des  paysans  de  Souahe  ' . 

i  l>es  paysans  de  .Souabe  ',  dif-il  en  coiiirnençant.  «  ont  rédifjé 
douze  articles  réclamant  l'abolition  des  intolérables  abus  dont  ils 
.sont  victimes  par  la  faute  des  autorités,  lis  se  fondent  sur  des  textes 
de  rÉcriInre,  et  ils  ont  fait  imprimer  leurs  articles.  .l'ai  vu  avec 
satisfaction  que,  dans  le  douzième,  ils  se  déclarent  prêts  à  accepter 
les  observations  qu'on  pourrait  leur  faire,  là  on  elles  seraient  justes, 
et  se  montrent  fout  disposés  à  se  laisser  instruire,  pourvu  qu'on  leur 
découvre  leur  erreur  en  s'appuyant  sur  l'Écriture;  car  il  est  juste  et 
légitime  que  la  conscience  de  chacun  soit  dirigée  dans  le  sens  précis 
de  la  parole  divine.  «  Or  les  paysans  ayant  prononcé  le  nom  de 
Luther,  et  l'ayant  mis  au  nombre  -  de  ceux  qui  maintiennent  ici-bas 
l'autorité  de  la  sainte  Kcriture  ••,  il  se  faisait  un  devoir  de  charité 
chrétienne  de  les  instruire  comme  ils  le  demandaient. 

La  première  partie  de  VExhortation  s'adresse  aux  princes,  la 
seconde  aux  paysans. 

Luther  commence  par  expliquer,  comme  il  l'avait  déjà  fait  aupa- 
ravant %  les  signes  nombreux  et  effroyables  qui  ont  paru  récem- 
ment au  ciel  et  sur  la  terre,  et  annoncent  une  catastrophe  en  même 
temps  qu'une  heureuse  révolution  à  l'Allemagne  '.  -  Ces  signes  vous 
regardent  ',  dit-il  s'adressant  aux  princes  et  aux  seigneurs;  -  ils 
ne  vous  présagent  rien  de  bon;  rien  d'heureux  ne  saurait  vous 
arriver.  Vous  seuls  méritez  nos  remerciments  pour  l'émeute  et  les 
troubles  actuels;  vous  en  êtes  responsables,  princes  et  seigneurs,  et 
vous  surtout,  évêques  aveugles,  prêtres  et  moines  insensés,  qui  au- 
jourd'hui encore  demeurez  dans  l'endurcissement,  et  ne  cessez  de 
vous  opposer  avec  fureur  au  saint  Évangile  ■  (c'est-à-dire  à  l'Évangile 
de  Luther);  «  et  cependant  vous  savez  qu'il  a  raison  et  ne  peut  être 
réfuté  !  Comment  avez-vous  gouverné  jusqu'ici?  Vous  ne  savez  que 


'  Sammil.  U'erl.e,  t.  XXIV,  p.  257-286.  I.fs  paysans  lui  avaient  envoyé  les  douze 
articles.  Son  nom  était  inscrit  en  tète  de  la  liste  des  "  docteurs  éminents 
appelés  à  définir  le  droit  divin  '. 

-  Voy.  plus  haut,  p.  296. 

^  >Iclanchthon  parle  aussi  des  ■  portenla  '  dans  une  lettre  à  Camerarius  du 
16  avril  1525,  et  snus  l'impression  nouvelle  de  la  guerre  des  paysans,  explique 
le  moine-veau  autrement  que  Luther  ne  l'avait  d'abord  fait  (voy.  plus  haut, 
p.  297j.  ~  Christus  homicidam  ab  initio  fuisse  Satanam  dixit,  nec  est  quod  pute- 
mus  nunc  aliud  agere,  quam  ut  faces  iniiciat,  et  incendium  excitet  quoquomodo. 
Hue  spectabant  portenta,  quae  nata  sunt  tam  multa  proximo  anno;  vitulo- 
monachus  certe  depravationem  Lutheranae  doctrinae  in  carnales  et  perniciosas 
opiniones  significabat.  Arcus  nocte  a  me  visus  in  nubibus  in  Loseri  domo  signi- 
ficabat  haud  dubie  populärem  motum.  >  —  Corp.  Reform,,  t.  I,  p.  738. 

33. 


516  LUTHER    SUR    LES    ARTICLES    DES    PAYSANS.    1525. 

pressurer,  que  dépouiller  vos  sujets  pour  soutenir  votre  faste  et  votre 
orgueil,  de  sorte  qu'il  devient  impossible  au  pauvre  homme  de  vous 
tolérer  plus  longtemps.  Le  glaive  est  sur  votre  gorge,  et  cependant 
vous  pensez  encore  être  si  solides  en  selle  qu'il  soit  impossible  de  vous 
renverser.  Mais,  par  une  si  aveugle  sécurité,  par  une  audace  si  obs- 
tinée, vous  ne  réussirez  qu'à  vous  casser  le  cou  plus  sûrement,  pre- 
nez-y garde!  C'est  ce  que  vous  cherchez,  semble-t-il;  vous  voulez 
absolument  périr,  nulle  remontrance,  nul  avertissement  ne  vous 
sert!  Aussi  Dieu  dispose-t-il  les  choses  de  manière  qu'on  ne  puisse, 
ni  ne  veuille,  ni  ne  doive  tolérer  plus  longtemps  votre  tyrannie;  il 
faut  que  vous  changiez,  il  faut  que  vous  cédiez  à  la  parole  de  Dieu  " 
(c'est-à-dire  à  la  doctrine  de  Luther).  ^  Si  vous  ne  le  faites  volon- 
tairement et  amiablement,  vous  vous  y  verrez  bientôt  forcés.  Si  les 
paysans  sont  aujourd'hui  vaincus,  demain  d'autres  seront  triom- 
phants; si  vous  les  mettez  en  déroute,  ils  n'en  seront  pas  moins 
vainqueurs,  car  Dieu  en  suscitera  d'autres,  parce  qu'il  a  résolu  de 
vous  humilier  et  de  vous  punir.  Ce  ne  sont  pas  les  paysans,  chers 
seigneurs,  qui  s'élèvent  contre  vous,  c'est  Dieu  même;  Dieu  eu  per- 
soune  s'apprête  à  corriger  votre  perversité.  Quelques-uns  d'entre 
vous  ont  dit  qu'ils  exposeraient  volontiers  leurs  terres  et  leurs  gens 
pour  anéantir  la  doctrine  de  Luther.  IMais  que  diriez-vous  si  vous 
aviez  été  vos  propres  prophètes,  et  si  vos  terres  et  vos  biens  étaient 
en  effet  compromis"?  - 

Les  princes  devaient  se  montrer  indulgents  envers  les  paysans  : 
1  une  charrette  de  foin  cède  le  chemin  à  un  ivrogne;  combien  plus 
devez-vous  renoncer  à  votre  violence,  à  votre  opiniâtre  tyrannie, 
et  traiter  avec  ménagement  les  pauvres  paysans  égarés!  N'entamez 
point  la  querelle  avec  eux,  car  vous  ne  savez  pas  quelle  en  serait 
l'issue.  » 

Quant  aux  douze  articles  des  révoltés,  «  quelques-uns  ',  dit 
Luther,  «  sont  si  équitables,  si  légitimes,  qu'ils  ont  l'approbation 
de  Dieu  et  du  monde  entier,  et  témoignent  de  la  vérité  de  ce  verset 
de  David  :  «  Dieu  a  déversé  son  mépris  sur  les  princes.  »  Le  premier, 
celui  qui  regarde  la  prédication  de  l'Évangile  et  le  droit  d'élire 
les  pasteurs,  ne  peut,  sans  injustice  évidente,  être  contesté.  Bien 
que  l'intérêt  personnel  s'y  glisse,  puisqu'il  y  est  question  d'entre- 
tenir le  curé  avec  des  revenus  qui  n'appartiennent  pas  aux  paysans, 
cependant  il  faut  convenir  qu'on  ne  saurait  leur  refuser  la  libre  pré- 
dication de  l'Evangile;  contre  une  pareille  réclamation,  l'autorité  ne 
peut  et  ne  doit  rien  entreprendre. 

.  Les  autres  articles  dénoncent  de  si  criants  abus,  comme  par 
exemple  la  mortaille,  les  dimes  continuellement  augmentées,  qu'ils 
sont  très-certainement  légitimes  et  justes,  car  les  princes  et  sei- 


À 


F,  UT  II  ER    SUR    I-ES    ARTICLKS    I)  K  S    l'AVSANS.    152.>.  517 

gneurs  n'ont  pas  CMé  constitués  pour  exploiter  les  sujets  selon  leur 
inti'iTf  ou  leur  caprice,  mais  unicpieinent  pour  prcnrlre  à  cœur  l'in- 
tértU  e(  l'avaufa^je  des  subordonnés;  oui,  il  est  Impossible  de  tolérer 
plus  lonjjfemps  les  extorsions  des  puissants.  Lorsque  le  champ  du 
pauvre  homme  rapporte  autant  de  florins  que  d'épis,  (juel  profit  en 
relirc-t-il,  puis(jue  les  princes  réclament  toujours  davant^i{jc,  mènent 
une  vie  de  plus  en  plus  fastueuse,  et  {jaspillent  le  bien  du  pauvre 
pour  les  satisl'aclions  de  leur  bien-être,  pour  leurs  babils  somp- 
tueux, leurs  iesliiis,  leurs  excès  de  table,  leurs  constructions  inutiles, 
et  qu'ils  usent  de  l'argent  acquis  par  la  sueur  du  paysan  comme  si 
c'était  de  la  paille?  »  Le  luxe  des  seigneurs  doit  être  réprimé,  et 
leur  prodigalité  restreinte;  il  est  juste  que  le  pauvre  homme  ait,  lui 
aussi,  son  bénéfice.  Les  articles  des  paysans  peuvent  instruire  leurs 
maîtres,  car  les  injustices  qui  les  oppriment  y  sont  très-nettement 
exposées.  » 

Dans  la  seconde  partie  de  l'ouvrage,  celle  qu'il  adresse  aux  paysans, 
qu'il  appelle  «  ses  cliers  seigneurs  et  frères  >,  Luther  répète  en- 
core :  «  Je  reconnais,  et  il  n'est  malheureusement  que  trop  certain, 
que  les  princes  et  seigneurs  ont  cherché  à  entraver  la  prédication  de 
l'Evangile,  el  accablé  si  despotiquement  leurs  sujets  qu'ils  ont  mé- 
rité d'être  traités  en  ennemis  et  précipités  de  leurs  sièges  par  la 
colère  de  Dieu;  car  ils  ont  gravement  péché  contre  le  Seigneur  et 
contre  leurs  frères,  et  u'onl  aucune  excuse. 

Un  tel  langage  ne  pouvait  qu'exciter  les  passions  populaires,  qu'at- 
tiser l'effroyable  brasier  de  l'insurrection;  il  ne  pouvait  contribuer 
au  rétablissement  de  la  concorde. 

C'était  en  vain  que  Luther,  s'adressant  aux  paysans  incendiaires 
et  pillards,  leur  répétait  :  «  Quand  même  l'autorité  serait  tyrannique 
et  injuste,  cela  n'excuserait  aucunement  l'émeute  et  la  révolte,  car 
châtier  l'iniquité  n'appartient  pas  à  tous;  l'aulorifé  seule  a  le  droit 
de  punir;  elle  a  le  glaive  en  main,  comme  disent  Paul  et  Pierre; 
c'est  à  elle  que  Dieu  a  confié  le  châtiment  du  méchant.  A  celui  qui 
te  prend  ton  manteau,  laisse-lui  aussi  ta  robe,  et  celui  qui  te  donne 
un  soufflet,  tends-lui  encore  l'autre  joue,  dit  l'Évangile.  Entendez- 
vous,  communautés  chrétiennes?  Comment  votre  conduite  s'accorde- 
t-elle  avec  ce  précepte  '?  » 

'  ^  Liïtlier,  dans  la  chaleur  de  sa  dispute  avec  Caristadt  et  Münzer  -^  dit  le 
protestant  Charles  Ha;çen  (Deutsche  Geschichte,  t.  II,  p.  182-184  ,  abandonna  beau- 
coup de  ses  premiers  el  libéraux  principes, et  présenta  ses  principales  doctrines 
sous  une  forme  si  ûpie,  si  absolue,  qu'il  était  impossible  à  tout  homme  de  bon 
sens  de  s'en  accommoder.  11  traitait  la  raison  de  gourgandine  du  diable,  disant 
qu'une  opinion  est  réfutable  dans  la  mesure  eîacte  où  elle  s'accorde  avec  elle. 
Non-seulement,  disait-il,  il  avait  encouragé  la  sédition,  mais  il  n'avait  pas  hésité 
à  inviter  le  peuple  allemand  à  se  baigner  dans  le  sang  des  papistes,  parce  que 


518  LUTHER    SUR    LES    ARTICLES    DES    PAYSANS.   1525. 

Abusés  par  de  faux  prophètes,  les  rebelles  ne  pouvaient  plus  se 
glorifier  du  nom  de  chrétien,  ni  se  vanter  de  suivre  la  loi  du  Christ. 
«  Admettons  que  votre  cause  soit  ce  que  vous  dites,  c'est-à-dire  bonne 
et  juste  :  en  devenant  vos  propres  juges,  eu  vous  révoltant  contre 
la  tyrannie  et  la  violence,  vous  faites,  il  est  vrai,  ce  que  Dieu  ne 
vous  défend  pas  absolument  de  faire,  mais  vous  vous  rendez  indignes 
de  votre  titre  de  chrétien;  le  nom  de  chrétien,  vous  dis-je,  renon- 
cez-y, et  n'en  faites  pas  le  honteux  manteau  de  votre  violence,  de 
votre  conduite  antichrétienne  et  séditieuse!  " 

'  Non  que  je  prétende  justifier  ou  défendre  l'autorité  dans  l'into- 
lérable préjudice  qu'elle  vous  cause;  les  princes  commettent  envers 
vous  des  injustices  criantes,  je  le  reconnais;  mais  s  ajoutait  Luther, 
«  du  moment  que  les  paysans  prennent  sur  eux  de  venger  eux-mêmes 
leur  querelle,  l'iiutorité  doit  être  avertie  qu'elle  n'a  plus  à  faire  à 
des  chrétiens,  mais  à  des  païens;  et  les  paysans,  de  leur  côté,  doi- 
vent avouer  qu'ils  ne  combattent  pas  en  chrétiens,  mais  en  païens. 
Changez  votre  dénomination,  dites  que  vous  êtes  de  ceux  qui 
luttent  pour  s'affranchir  d'un  joug  inique,  et  que  vous  suivez  l'im- 
pulsion naturelle;  mais  laissez  là  votre  titre  de  chrétien.  Que  si  vous 
y  tenez,  je  ne  puis  envisager  la  chose  autrement  qu'elle  ne  m'ap- 
parait;  je  ne  puis  vous  cacher  que  je  vous  tiens  pour  des  ennemis, 
qui  étouffez  mon  Évangile  et  y  mettez  obstacle;  car  je  vois  bien  que 
le  diable,  qui  jusqu'à  présent  n'a  pu  me  perdre  par  le  Pape,  cherche 
maintenant  à  me  dévorer  et  à  m'anéantir  par  les  prophètes  homi- 

ceux-là  font  une  chose  agréable  à  Dieu  qui  iinéantissent  et  démolissent  les 
églises  et  les  couvents!  ce  fut  après  avoir  été  abandonné  par  les  prophètes  de 
Zwickau,  Carlstadt,  Münzer  et  les  anabaptistes  qu'il  posa  pour  la  première 
fois  ses  célèbres  axiomes  sur  l'autorité;  et  pourtant,  à  ce  uiéuie  moment,  il 
appelle  les  princes  «  des  gredins,  des  misérables,  qui  renient  Dieu,  et  sont 
dignes  du  mépris  du  peuple;  des  fous  en  délire  et  sans  cervelle,  dont  on  ne 
voulait  ni  ne  pouvait  plus  tolérer  la  tyrannie  et  le  despotisme  -.  Il  ne  faut 
pas  s'étonner  si  les  lecteurs  de  semblables  invectives  les  recueillaient  précieu- 
sement, et  les  préféraient  aux  doctrines  sur  l'obéissance  passive,  dont  ils 
mettaient  fort  en  doute  l'orthodoxie.  Outre  que  nul  homme  raisonnable  ne 
peut  admettre  une  semblable  obligation,  et  qu'elle  est  en  contradiction  fla- 
grante avec  les  principes  fondamentaux  du  droit  allemand,  lequel  envisage 
*^orame  un  contrat  les  rapports  entre  prince  et  peuple,  et  déclare  que  le 
prince  ne  peut  le  violer  sans  cesser  d'avoir  droit  à  la  soumission  des  sujets, 
il  était  aisé  d'apporter  des  textes  bibliques  détruisant  la  nécessité  prétendue 
d'une  obéissance  si  servile.  —  La  singulière  façon  dont  Luther  invitait  à 
la  paix  princes  et  paysans  fut  imitée  par  les  prédicanis.  Bucer  disait  en 
pleine  chaire,  à  Strasbourg,  que  les  évêques  et  les  princes  avaient  opprimé 
le  pauvre  homme  au  delà  de  toute  mesure.  -  .Jusqu'ici  ils  l'ont  écorché  jus- 
qu'à l'os,  mais  maintenant  ils  se  mettent  à  sucer  la  moelle  de  l'os.  Écoute 
bien  ma  comparaison  :  Si  tu  ordonnes  au  loup  de  garder  les  brebis,  ou  bien  à 
ton  chat  de  soigner  le  lôti,  tu  peux  aisément  t'imaginer  la  manière  dont  tu 
seras  obéi.  C'est  ainsi  que  le  pauvre  homme  a  été  protégé  par  ses  maîtres.  ' 
Bucer  ajoutait  :  «  cependant,  gardez-vous  de  toute  émeute!  -  Lettre  du  9  juillet 
1526,  dans  Jörg,  p.  286,  note. 


LUTIIF.Ii    SUR    LES    AHTICr.ES    DES    PAYSANS.    I52r>.  51» 

cides  et  les  amis  du  désordre  que  vous  souffrez  parmi  vous.  Eh  bien 
done,  (jiie  Salan  me  dévore,  s'il  le  veut,  mais  son  ventre  en  deviendra 
bien  étroit,  je  l'eu  avertis!  ■ 

Les  articles  dont  quelques-uns,  au  dire  de  Luther,  étaient  si  légi- 
times, si  équitables  ,  sont  l'objet  d'un  jn^jernent  tout  différent 
dans  la  seconde  partie  du  livre.  L'emploi  que  les  paysans  veulent 
faire  des  revenus  ecclésiastiques  y  est  appelé  '•  vol,  escroquerie  ; 
la  pensée  de  supprimer  le  servage  «  est,  selon  Luther,  directe- 
ment opposée  à  rÉvaugile,  et  outre  cela,  inique  ■■.  Les  autorités 
et  les  paysans  agissent  les  uns  et  les  autres  contre  Dieu,  et  sont 
également  sous  le  coup  de  sa  colère.  -  Or,  les  deux  camps  en 
présence  étant  également  dans  leur  tort,  et  vous,  paysans,  vous 
arrogeant  le  droit  de  vous  rendre  justice  ä  vous-mêmes,  vous  pé- 
rirez les  uns  et  les  autres;  Dieu  fustigera  un  coquin  par  un  autre 
coquin.  » 

Voici  quel  était  son  conseil  :  les  princes  devaient  renoncer  à  leur 
tyrannie,  à  leur  oppression,  afin  que  -  le  pauvre  homme  put,  lui 
aussi,  avoir  de  l'air  et  de  l'espace  ".  Les  paysans,  de  leur  côté,  de- 
vaient abandonner  ^  ceux  de  leurs  articles  qui  montraient  trop 
d'exigences  et  visaien!  trop  haut  «.  Une  commission  composée  de 
nobles  et  de  magistrats  devait  travailler  à  conclure  un  accommode- 
ment pacifique.  Aux  paysans,  Luther  prédisait  que,  quand  bien  même 
ils  commenceraient  par  remporter  de  grands  avantages,  ils  étaient 
destinés  à  s'entre-dévorer  plus  tard  comme  des  bêtes  fauves.  Aux 
princes,  il  disait  :  Pour  vous,  mes  seigneurs,  vous  avez  contre  vous 
l'Écriture  et  l'histoire,  qui  vous  peuvent  avertir  de  la  manière  dont 
finissent  les  tyrans.  Les  poètes  païens  nous  ont  aussi  rapporté  la 
façon  dont  périssent  les  tyrans;  ils  meurent  rarement  d'une  mort 
sèche,  et  généralement  on  les  trouve  un  beau  matin  baignés  dans 
leur  sang.  Donc,  comme  il  est  notoire  que  vous  gouvernez  despoti- 
quement  et  férocement,  que  vous  interdisez  l'Évangile  et  que  vous 
pressurez  et  tyrannisez  le  pauvre  homme,  vous  n'avez  d'autre  per- 
spective et  consolation  que  le  genre  de  mort  dont  sont  morts  vos 
pareils'.  « 

'  Cette  Exhortation  à  la  paix  Contredit  étrangement  un  écrit  postérieur  de  Lu- 
ther dont  nous  pai-lerons  dans  la  suite  [Contre  les  troupes  homicides  et  pillardes  des 
paysans),  où  il  conseille  aux  princes  de  mettre  à  mort  les  émeutiers  comme 
des  chiens  enragés.  Du  côté  protestant,  on  a  cherché  à  expliquer  cette  contra- 
diction en  supposant  que  l'Exhortation  à  la  paix  avait  paru  à  un  moment  où  le 
mouvement  pouvait  encore  passer  pour  iuoffensif  (Ranke,  t.  II,  p.  221), 
probablement  en  mars  1525  Be.nsen,  p.  270  ,  par  conséqueut  avant  que  les 
paysans  aient  commis  leurs  plus  exécrables  forfaits.  C'est  lorsque  Luther 
fut  informé,  dit  Bensen,  surtout  des  horreurs  de  Weinsberg  (voy.  plus  bas, 
p.  527),  que  son  courroux  s'enflamma,  et  qu'il  composa  son  second  écrit.  Cette 
supposition  est  sans  fondement,  car  les  émeutiers  avaient  déjà  exercé   leur 


520  RÉVOLTE    EN    FRANCONIE. 


III 


C'est  à  une  conclusion  semblable,  c'est  au  massacre  général  de 
tous  les  tyrans  que  visaient  les  insurgés,  surtout  ceux  de  Franconie, 
qui  déclaraient  hautement  vouloir  anéantir  et  broyer  "  le  clergé, 
la  noblesse,  en  un  mot  toute  autorité  '  arrogante  et  fastueuse  •. 

L'émeute  éclata  en  premier  lieu  à  Hothenbourg,  ville  libre  de 
Franconie.  Le  2i  mars,  raconte  Laurent  Fries,  -  les  paysans  se 
rassemblèrent  dans  la  landwehr;  ils  allèrent  camper  à  Bretheim, 
et  invitèrent  tous  les  colons  des  domaines  environnants  à  venir 
les  joindre.  Ils  déclaraient  ne  plus  vouloir  de  maître,  et  se  disaient 
affranchis  des  charges  toujours  plus  nombreuses  dont  leurs  sei- 
gneurs les  accablaient  :  dîmes,  impôts,  douanes,  corvées,  impôts 
d'héritage,  redevances,  censives,  tailles,  servitudes,  etc.,  et  an- 
nonçaient leur  résolution  bien  arrêtée  de  marcher  avant  peu  sur 
Wurzbourg,  d'en  chasser  les  prêtres,  les  moines  et  les  reli- 
gieuses, et  de  s'emparer  de  leurs  biens.  »  <;  La  nouvelle  de  leur  sou- 
lèvement se  répandit  rapidement  dans  les  bourgades  et  villages 
environnants,  et  les  pauvres  gens  en  éprouvèrent  beaucoup  de  joie. 
Plusieurs  se  hâtèrent  de  courir  aux  informations,  demandant  aux 

saiivafîe  fureur,  même  en  Thuringe,  avant  la  publication  du  premier  écrit.  Le 
16  avril  Mélanchthon  écrivait  à  Camerarius  :  Lutlierus  articules  rusticorum 
scripto  publico  imnrohabii  et  tamen  principes  ad  cequitatem  horiabiiur.  ^  Corp. 
Reform.,  t.  I,  p.  739.  Du  côté  catholique,  on  a  avancé  que  Luther,  après  la  défaite 
des  paysans,  s'était  détourné  d  eux.  et  n'avait  publié  son  second  écrit  que  parce 
qu'il  sentait  bien  que  leur  cause  était  perdue.  Cette  supposition  n'est  pas  plus 
exacte  que  la  première.  Dès  le  4  mai,  au  fort  de  la  révolte,  Luther  ordonnait  à 
.Jean  Rühel,  conseiller  de  Mansfeld,  de  ne  pas  chercher  à  attendrir  le  comte  Albert, 
qui  s'apprêtait  à  châtier  énergiquement  les  révoltés.  Le  comte  devait  se  servir 
du  gl^ivCi  et  les  traiter  comme  des  meurtriers  et  des  parjures,  "  tant  qu'une 
veine  palpiterait  dans  son  corps  -.  De  Wette,  t.  II,  p.  653.  Dès  S!)n  premier 
manifeste,  Luther  juge  sévèrement  l'insurrection.  Bien  que  cet  écrit  semble  peu 
propre  à  pacifier  les  esprits,  on  ne  peut  nier  qu'en  présence  des  effroyables 
ravages  de  la  révolution,  il  n'ait  sincèrement  désiié  amener  entre  les  partis  un 
accommodement  pacifique.  La  preuve  en  est  qu'il  prit  soin  de  répandre  une 
seconde  édition  des  articles  du  traité  de  Weingarten  (voy.  plus  haut,  p.  506), 
dans  l'espérance  «  que  Dieu  donnerait  peut-être  sa  grâce  à  l'Allemagne,  et  que 
les  paysans,  renonçant  à  leurs  sanglantes  et  damnables  entreprises,  se  laisse- 
raient persuader  de  conclure  la  paix  -.  C'était  avec  joie,  disait-il  dans  la  préface, 
qu'il  avait  lu  le  traité  de  Weingarten;  il  le  regardait  comme  une  preuve  de  la 
grande  miséricnr.lc  de  Dieu,  dans  les  temps  sauvages  et  barbares  où  l'on  vi- 
vait. ■>  Sämmil.  U'crkf,  i.  i.xY,  p.  2.  L'attitude  de  Luther,  pendant  la  guerre  des 
paysans,  ne  saurait  donc  être  suupç  .nnée  de  duplicité;  mais  en  ses  deux  mani- 
festes, comme  à  son  ordinaire,  il  se  laisse  guider  par  la  passion.  Dans  le  pre- 
mier, il  dépasse  la  mesure  en  s'emportant  contre  les  princes  et  surtout  contre  le 
clergé;  dans  le  second,  il  accable  injustement  les  paysans. 


RÉVOLT  K    EN    FRANCOME.  &21 

révoltés  les  motifs  de  leur  soulèvemenl,  leurs  plans,  leurs  inlen- 
tioris.  lîevenus  chez  eux,  ces  jjens  portèrenl  aux  nues  Tcnl reprise 
des  insurgés,  grossirent  les  (aits,  et  préfèrent  au  mouvement  une 
importance  qu'il  n'avait  pas.  Sur  quoi  l'humeur  ardente,  inquiète, 
turbulente  de  la  population  s'enflamma  de  telle  sorte  <iu'en  beau- 
couj)  de  localités  des  souièvemenls  eurent  lieu.  Le  dimanche  de 
Lœlare  (26  mars),  les  paysans  d'OberschipF,  dans  l'Odenwald,  se  ras- 
semblèrent, attachèrent  un  soulier  sur  une  perche,  et  marchèrent 
au  son  du  tambour  sur  l  nlerschipf.  Les  villageois  du  territoire  de 
la  ville  vinreul  au-devant  d'eux,  portant  un  crucifix,  et  tous  ensemble 
allèrent  à  rauberjvc  prendre  le  vin  sacré  de  l'alliance.  Là,  les  nou- 
veaux amis  firent  bombauce  et  se  soûlèrent  à  cœur  joie.  » 

Comme  l'émeute  menaçait  de  gagner  l'évéché  de  Wurzbourg, 
l'évéque  Conrad  de  Thiingen  assembla  "  ses  nobles  conseillers  », 
pour  conférer  avec  eux  sur  les  mesures  à  prendre.  Quelques-uns 
furent  d'avis  de  ne  pas  perdre  de  temps,  d'agir  avec  une  grande 
vigueur,  et  de  profiter  du  moment  où  il  était  encore  possible  de  se 
rendre  maître  de  l'insurrection;  il  fallait,  disaient-ils,  confisquer  les 
biens  des  rebelles,  proscrire  leurs  femmes  et  leurs  enfants,  et  brû- 
ler quelques  villages,  afin  qu'ils  comprissent  tout  de  suite  qu'on  était 
bien  décidé  à  leur  résister.  Sans  nul  doute,  avertis  de  cette  manière, 
beaucoup,  au  lieu  de  courir  à  l'émeute,  resteraient  à  la  maison,  et 
ceux  qui  étaient  partis  se  hâteraient  d'y  revenir.  La  horde  diminue- 
rait journellement,  et  malgré  bien  des  ressentiments  secrets,  on 
pourrait  espérer  venir  à  bout  des  rebelles.  Mais  d'autres  membres 
du  conseil  épiscopal  rejetèrent  ce  plan,  disant  que  la  révolte  n'écla- 
tait pas  seulement  dans  l'évéché  de  \Vurzbourg,  mais  dans  ceux  de 
Mayence,  de  Bamberg,  dans  le  Falatiuat,  dans  le  marg^raviat  de  Bade; 
personne,  parmi  les  princes  et  électeurs  de  ces  pays,  ne  prenait  le 
parti  d'une  répression  énergique;  si  doue  leur  seigneur  l'évéque  pré- 
tendait résister  de  front  à  l'émeute  et  donnait  le  premier  le  signal  de 
la  répression,  il  s'attirerait  les  reproches  motivés  non-seulement 
des  paysans,  mais  des  princes.  Puis,  l'évéque  avait  bien  peu  de 
monde  à  sa  disposition;  si  la  fortune  le  trahissait,  si  les  paysans 
étaient  vainqueurs,  quelle  force  n'acquerraient-ils  pas!  quelle  arro- 
gance serait  la  leur!  Et  d'autre  part,  à  quelles  pertes,  à  quelle  ruine 
l'évéché  et  la  chevalerie  ne  se  verraient-ils  pas  exposés!  Pour  tous 
ces  motifs,  il  semblait  préférable  de  patienter  encore,  jusqu'à  ce 
qu'on  sût  le  parti  que  prendraient  les  princes  voisins,  aux  portes 
desquels  le  feu  était  également.  En  attendant,  il  fallait  réunir  les 
états  du  pays,  et  délibérer  sur  ce  qu'il  convenait  de  faire.  L'évéque 
se  rangea  à  ce  dernier  avis.  " 

Voyant  donc  »,  continue  Fries,    '  que  l'autorité  se  bornait  à 


522    INSURRECTION    A    ROTHENBOURG    SUR    LA    TAUBER.    I52Ö. 

regarder  faire,  et  les  laissait  libres  d'agir  à  leur  fantaisie  et  de 
se  réunir  les  uns  aux  autres,  les  paysans  accoururent  de  toutes  parts, 
et  la  horde  devint  tous  les  jours  plus  redoutable.  L'audace  des  ré- 
voltés allait  aussi  en  augmentant.  Dès  qu'ils  avaient  établi  leur  camp 
dans  un  endroit,  les  couvents  étaient  envahis,  les  presbytères  pillés, 
les  coffres  et  les  caves  vidés,  et  l'on  faisait  ripaille  avec  tout  ce 
qu'on  trouvait  à  boire  ou  à  manger.  Cette  nouvelle  manière  de 
comprendre  la  fraternité  plaisait  extrêmement  aux  paysans,  car 
pour  la  pratiquer  il  ne  s'agissait  que  de  bien  se  soûler,  de  manger, 
de  boire  et  de  ne  plus  payer  d'impôt.  On  a  rarement  vu  une  réunion 
de  gens  plus  grossiers,  plus  goulus,  plus  ivrognes.  S'ils  n'avaient 
commis  plus  d'un  assassinat  et  mis  le  feu  aux  châteaux,  je  me  de- 
manderais si  leur  conduite  ne  doit  pas  plus  justement  s'appeler 
farce  de  carnaval  que  guerre;  les  paysans,  comme  chacun  sait, 
sont  portés  à  faire  du  tapage,  à  se  livrer  à  la  licence  et  à  la  folie 
pendant  les  jours  du  carnaval.  C'était  bien  plutôt  une  échauf- 
fourée  de  rustres,  une  bataille  d'ivrognes,  qu'une  guerre  propre- 
ment dite.  Pour  abréger,  personne  ne  sut  se  défendre.  Les  paysans 
apportaient  avec  eux  leur  capital.  Ce  qu'ils  trouvaient  en  plus  était 
bénéfice  net^  ' 

Rothenbourg  était  le  foyer  de  l'émeiile;  de  nombreux  prédicants, 
missionnaires  ambulants  ou  résidant  dans  la  ville,  y  prêchaient 
la  "  liberté  évangélique  •  .  Un  paysan  des  bords  du  Ries  parlait  «  en 
maint  endroit,  mais  principalement  dans  la  plaine  où  était  établi 
le  tir  à  l'arquebuse,  et  le  peuple  se  pressait  autour  de  lui  ".  -  D'autres 
orateurs  prêchaient  sur  la  place  du  marché,  dans  les  rues,  dans  les 
cimetières,  faisant  part  à  leurs  auditeurs  de  ce  qu'ils  avaient  trouve 
dans  leurs  livres  concernant  les  idées  nouvelles.  «  «  Tout  ce  qui,  dans 
leurs  discours,  accusait  les  autorités  était  avidement  recueilli  par  la 
foule.  Les  ouvriers  interrompaient  de  temps  en  temps  l'orateur  pour 
faire  valoir  leurs  griefs  personnels,  avec  grande  abondance  de  paroles 
et  force  imprécations  séditieuses.  Tout  cela  se  passait  au  grand  jour, 
personne  ne  songeait  à  s'y  opposer-.  "  Parmi  les  prêtres  apostats, 
le  Carme  aveugle  Hans  Schmid,  surnommé  "  le  renard  ;,  et  le  pré- 
dicant  de  la  chapelle  Sainte-Marie,  Jean  Deuschlin,  le  même  qui 
avait  poussé  le  peuple  à  assaillir  la  synagog:ue  et  à  tomber  sur  les 
Juifs,  se  faisaient  surtout  remarquer.  Ces  deux  exaltés  attaquaient 
avec  violence  les  pouvoirs  spirituels  et  temporels,  et  soutenaient 
que  personne  n'était  obligé  de  payer  au  clergé  une  redevance  quel- 


1  Laurent  Fries,  9-10,  22-23,  30.  —  Voy.  64-65. 

^  Thomas  Zweifel,  dans  B\uma.n.\,  QueÙen  aus  Rotenburg,  p.  11-12. 


INSURRECTION    A    R  OT  II  K  N  I!  0  T  R  f;    SFR    LA    TAURKR.    1525.    523 

conque.  <  Aussi  le  peuple  rlaii-il  de  plus  en  plus  irrité  contre  l'au- 
lorilc,  et  (joiUail-il  de  plus  <'ii  plus  les  sermons  de  Deusclilin.  Les 
bourgeois  se  rassemblaient  dans  la  maison  de  ce  dernier.  »  Carlstadt, 
chassé  de  Saxe  et  de  retour  à  Iiothcnbour^j,  était,  avec  ces  deux 
hommes,  «  la  cheville  ouvrière  cl  le  principal  moteur  de  la  révo- 
lution ».  La  doctrine  de  la  charité  [raleruelle  et  évaugélique,  (jui 
prescrit  la  communauté  de  biens  et  condamne  tout  pouvoir  humain, 
«  séduisait  extrêmement  l'Iiomme  du  peuple  des  villes  et  des  cam- 
pagnes ' .  Il  voulait  (pi'à  l'avenir  nul  ne  piU  posséder  une  fortune 
plus  élevée  que  celle  de  ses  frères,  et  qu'on  fût  obligé  de  prêter  à 
(pii  était  dans  le  besoin,  sans  que  personne  pût  jamais  exiger  le 
remboursement  de  ce  qu'il  avait  avancé.  Peu  à  peu,  comme  cela 
s'était  déjà  vu  ailleurs,  un  parti  puissant,  composé  de  prolétaires, 
de  bourgeois  ruinés,  de  petits  hobereaux  des  environs  et  d'"  intri- 
gants de  villages  > ,  se  forma  dans  la  ville.  Tous  prétendaient  n'avoir 
en  vue  que  l'établissement  de  l'Évangile  et  l'abolition  de  ce  (jui  était 
contraire  au  texte  littéral  de  la  parole  de  Dieu,  car  <  toute  plante 
que  le  Père  céleste  n'avait  pas  plantée  devait  être  déracinée  .  Beau- 
coup de  bourgeois  pactisaient  ouvertement  avec  les  paysans  révoltés, 
et  promettaient  de  les  faire  pénétrer  dans  la  ville,  pour  piller  et 
massacrer  avec  eux  les  conseillers  et  les  riches. 

Etienne  de  Mcnziujjen,  autrefois  au  service  d'Ulrich  de  Wurtem- 
berg, jeune  noble  plein  de  capacité  et  d'énergie,  était  l'un  des  chefs 
du  mouvement.  Il  avait  le  don  de  la  parole,  mais  son  caractère  était 
«  double  et  faux'  ».  C'est  à  son  instigation  que,  vers  la  fin  de  mars 
1525,  l'ancien  gouvernement  de  la  ville  fut  renversé,  et  bientôt 
après  le  culte  catholique  aboli.  «  Le  24  mars  »,  dit  une  relation  du 
temps,  on  a  brisé  dans  le  cimetière  la  tête  et  les  bras  du  grand 
crucifix.  Le  vendredi  saint,  tous  les  offices  ont  été  supprimés.  .lean 
Deuschlin  seul  a  prêché;  il  a  accablé  d'injures  l'Empereur,  les  rois, 
les  princes  et  les  seigneurs,  les  accusant  de  mettre  obstacle  à  la  pa- 
role de  Dieu.  Le  moine  aveugle  a  parlé  ensuite.  Il  a  dit  que  le  Saint 
Sacrement  était  une  idolâtrie.  Le  saint  jour  de  Pâques,  on  n'a  ni 
chanté  ni  prêché  à  l'église;  le  lendemain,  Carlstadt  a  parlé  contre 
le  Sacrement-.  Ouelques  jours  auparavant,  il  avait  invité  le  peuple 
à  briser  les  images;  le  lundi  de  Pâques,  quelques  meuniers  et  gar 
çons  meuniers  se  réunirent  dans  la  vallée  de  la  Tauber,  proche  de 
la  ville,  entrèrent  en  tumulte  dans  la  belle  église  de  Notre-Dame, 
à  Kobenzell,  brisèrent  les  verrières,  profanèrent  les  autels  et  com- 
mirent d'ignobles  sacrilèges.  Les  missels,  les  tableaux,  œuvres  en 

'  Sur  Menzinjîen.  voy  la  chronique  de  Zweifel.  Voy.  aussi  ses  aveux  dans  Bau- 
MArSN,  Quellen  aus  Rotevhwij,  p.  542-545. 

-  Voy.  BaüMann,  Quellen  aus  Rotenburg,  p.  596-598 


524  EMEUTE    A    BAMBERG.    1525. 

partie  de  Michel  Wohlg^emuth,  le  maître  d'Albert  Dürer,  les  images 
saintes  en  bois  sculpté,  tout  fut  jeté  dans  le  fleuve.  Le  jour  suivant, 
18  avril,  de  nouveaux  attentats  furent  commis  dans  la  cathédrale. 
Tandis  que  Carlstadt  tonnait  contre  le  Saint  Sacrement,  quelques 
hommes  du  peuple  coururent  à  l'autel  pour  briser  les  images.  «  Ce 
que  les  pieux  chrétiens  d'autrefois  avaient  tant  vénéré,  ils  l'ont  bru- 
talement jeté  hors  de  l'église.  Ouelques-uns  ayant  voulu  s'opposer 
à  ces  profanations,  les  couteaux  brillèrent.  Le  jeudi  d'après  Pâques, 
des  femmes  armées  de  fourches  et  de  piques  couraient  débraillées 
et  furieuses  sur  le  port,  faisant  grande  rumeur,  et  disant  qu'elles 
allaient  envahir  et  piller  toutes  les  maisons  de  prêtres.  Les  in- 
surgés commirent  des  actes  sauvages  :  l'un  d'eux,  nommé  Lau- 
rent Knobloch,  ami  de  Menzingen  et  élu  chef  des  insurgés,  fut 
mis  en  pièces  par  ses  compagnons  au  moment  où  il  allait  com- 
mettre un  viol  sur  une  jeune  fille.  Les  émeutiers  se  jetèrent  les  uns 
aux  autres  ses  membres  mutilés;  enfin  ils  lui  tranchèrent  la  tête  et 
la  scièrent  en  deux'.  » 


IV 


A  Bamberg  comme  à  Rothenbourg,  ce  fut  un  prédicant  du  nouvel 
Evangile,  un  certain  Schwanhäuser,  qui  contribua  le  plus  à  déchaîner 
le  peuple  contre  les  prêtres  :  <  Nos  pères  spirituels,  nos  docteurs 
très-saints  et  très-éclairés,  >  disait-il  à  son  auditoire,  '=  persuadent  au 
pauvre  peuple,  malgré  le  témoignage  exprès  de  toute  l'Écriture,  que 
la  volonté  de  l'homine  est  libre,  qu'il  peut  comme  il  lui  plaît  faire  le 
bien  ou  le  mal,  et  que  son  salut  est  entre  ses  mains.  O  malheur,  ô  co- 
lère, ô  châtiment  de  Dieu  sur  nous!  Ouels  peuvent  être  les  fruits  d'une 
telle  doctrine?  Elle  ne  saurait  former  que  des  hypocrites,  des  cagots, 
des  iaux  dieux,  qui  iront  ensuite  frapper  à  la  porte  du  paradis  avec 
leurs  bonnes  œuvres  !  ;  «  Nos  guides  aveugles  nous  disent,  nous  prê- 
chent que  la  Passion  de  Jésus-Christ  eût  suffi  pour  racheter  plusieurs 
mondes,  et  d'autre  part  ils  enseignent  qu'elle  ne  suffit  pas  au  salut 
d'une  seule  àme,  et  qu'il  faut  que  l'homme  mette  encore  ses  œuvres 
dans  la  balance.  Us  ne  rejettent  pas  la  grâce,  mais  ils  y  ajoutent 
les  œuvres.  O  Dieu  du  ciel,  quel  blasphème  est  ceci!  Que  fait  cette 
paille  dans  le  noble  froment,  que  fait  cette  eau  dans  le  vin,  la  scorie 

'  Voy.  Baumann,  Quellen  aus  Rolenhurg,  p.  599-602.  —  Voy.  Bensen,  p.  63-1  Oi  — 
HÖFLER,  Fränkische  Studien,  t.  YIII,  p.  269,  n«  161. 


EMEUTE    A    BAMBEliG.    ISJ.i.  525 

SOUS  l'arficnl,  nos  actes  sonilh's  et  impurs  à  côté  de  la  sainte  {jrûce 
de  Dieu/  Cela  ne  s'appeile-t-il  pas  restreindre  et  oiilra^jer  la  grâce? 
N'est-ce  pas  là  ignorer  le  prix  de  la  F'assion  et  du  sang  de  Jésus- 
Christ,  l'insiiller,  le  blasphémer":'  Ouelqu'uu  Irouve-t-il  que  j'ai  tort? 
ou'il  me  dise,  alors,  ce  qu'il  entend  par  injure  et  blasphème!  Nul 
ne  ravage  plus  la  vigne  du  Seigneur  que  ceux  qui  devraient  la 
cultiver  avec  le  plus  d'amour.  Ils  ont  chassé  le  Christ  de  sa  vigne 
pour  se  substituer  à  lui;  ils  disent  qu'ils  soûl  les  lieutenants  de 
Jésus-Christ,  tandis  que  les  véritables  apôtres  du  Seigneur  sont 
persécutés  par  eux.  '  -  Mais  le  Christ  se  lèvera,  il  viendra  les  juger, 
et  il  leur  dira  :  C'est  vous  qui  avez  ravagé  ma  vigne,  et  la  dépouille 
des  pauvres  est  dans  votre  maison!  Du  temps  des  apôtres,  le  règne 
de  l'Antéchrist  avait  déjà  commencé,  mais  maintenant  sa  domi- 
nation es!:  toute-puissante.  Les  papes,  les  cardinaux  et  les  évèques 
persécutent  la  parole  de  Dieu;  voilà  pourquoi  je  les  tiens  pour  de 
vrais  Auteclirists,  et  pourquoi  le  Sauveur  les  nomme  voleurs  et  ho- 
micides. On  laisse  les  pauvres  sans  abri,  sans  feu,  sans  aliments,  et 
l'on  construit  aux  saints,  qui  sont  morts  depuis  longtemps,  de 
vastes  maisons  de  pierre;  ou  leur  apporte  de  l'or,  de  l'argent,  des 
pierres  précieuses  et  jusqu'à  des  animaux  et  des  charrettes  de  vi- 
vres. Nous  dépouillous  les  vivants  pour  ensevelir  nos  morts.  Si  nous 
étions  vraiment  chrétiens,  nous  vendrions  les  ostensoirs,  les  calices, 
les  ornements  d'église;  à  l'exemple  des  douze  apôtres,  nous  gagne- 
rions notre  vie  par  le  travail  de  nos  mains,  comme  nous  pourrions, 
ei  les  pauvres  seraient  secourus'.  ■ 

Des  discours  de  ce  genre  obtenaient  naturellement  l'approbation 
d'un  grand  nombre.  Le  11  avril  iö2ö,  les  plu?  remuants  sou- 
lèvent l'émeute  :  ils  sonnent  le  toscin,  élisent  des  chefs,  prennent 
possession  des  portes  de  la  ville,  contraignent  les  paisibles  bour- 
geois, les  nobles,  les  prêtres,  à  se  charger  du  service  de  la  cité,  à 
faire  les  corvées,  à  garder  les  portes.  Leurs  émissaires  se  répandent 
dans  les  environs,  et  somment  les  villageois  de  se  joindre  à  eux. 
Dès  le  lendemain,  plusieurs  milliers  d'émeuîiers  sont  déjà  réunis. 
Lorsque  l'évèque  Weigand  de  Redwitz  refuse,  comme  ils  le  de- 
mandent, de  sanctionner  la  confiscation  des  biens  du  clergé  et  de 
la  noblesse,  "  s'excusant  sur  ce  qu'il  ne  lui  est  pas  permis  d'agir 
ainsi  avant  qu'un  jugement  préalable  ait  été  rendu  >),  les  rebelles 
courent  à  sou  citâteau  et  le  saccagent.  Deux  jours  durant,  le  peuple 
pille,  à  la  ville  et  à  la  campagne,  les  maisons  de  la  plupart  des  cha- 
noines et  des  prêtres  séculiers.  Seule,  la  cathédrale,  défendue  par 
de  braves  bourgeois,  est  épargnée.  Le  ij  avril,  un  accord  est  conclu. 

'  Dans  Heller,  p.  165,  173-175.  135,  190-193. 


526  ÉMEUTES    DANS    LODENWALD.    1525. 

L'évêque,  assisté  de  sou  chapitre,  est  reconnu  pour  le  seul  seigneur 
du  pays.  On  nomme  une  «  commission  nationale  «  chargée  d'exa- 
miner et  d'abolir  tous  les  abus;  on  décide  que  jusqu'à  la  fin  de 
l'enquête,  tout  payement  d'impôt  ou  de  dime  sera  suspendu.  La 
paix  est  publiquement  proclamée,  ce  qui  n'empêche  pas  l'émeute 
de  continuer  sans  interruption  dans  l'évêché.  Plus  de  soixante-dix 
châteaux  et  beaucoup  de  couvents  sont  pillés  et  saccagés.  Dans  la 
ville  se  rassemblent  des  milliers  de  vauriens  accourus  des  envi- 
rons, "  de  sorte  que  personne  n'est  plus  en  sécurité  de  son  corps 
ou  de  ses  biens  les  jours  où  cette  populace  s'enivre  dans  les  caves 
des  prêtres,  comme  cela  arrive  continuellement  -.  A  Bamberg, 
la  conduite  des  émeuliers  <  est  si  grossière  et  si  sauvage  que 
non-seulement  les  vieux  et  respectables  bourgeois  en  sont  con- 
sternés, mais  ceux-là  mêmes  qui  au  début  avaient  applaudi  à  la 
révolte  '  ". 

Si  les  insurgés  n'avaient  tenu  aucun  compte  du  traité  conclu  avec 
l'évêque  le  15  avril,  c'est  qu'ils  avaient  reçu  de  bonnes  nouvelles, 
leur  annonçant  les  victoires  successivement  remportées  par  les  leurs 
dans  l'Odenwald,  la  vallée  du  Neckar,  et  dans  tout  l'évêché  de  Wurz- 
bourg. 


Dans  l'Odenwald  et  les  pays  qui  l'avoisinent,  les  paysans  s'étaient 
soulevés  à  la  voix  de  Georges  Metzler,  aubergiste  perdu  de  mœurs, 
et  de  l'ancien  chancelier  du  Hohenlohe,  \Vendel  Hipler,  surnommé 
Fischbach,  démagogue  adroit  et  rompu  aux  affaires.  "  J'ai  taillé  de 
l'ouvrage  à  ton  maître  ■■,  disait-il  le  23  mars  à  un  serviteur  du 
comte  de  Hohenlohe,  un  jour  qu'il  buvait  avec  ce  dernier  dans  une 
auberge  de  Weinsberg;  <  je  veux  que  cette  année  il  ait  de  la 
besogne!  A  OEringen  et  dans  les  alentours,  il  y  aura  certainement 
bientôt  quelques  prairies  à  acheter  à  bon  compte!  »  Révolutionnaire 
exalté,  il  servait  sans  cesse,  par  ses  paroles  et  par  sa  plume,  '■  la 
<;ause  du  peuple  ••.  Il  avait  organisé  des  sociétés  secrètes  dans  tous 
les  environs,  de  sorte  qu'en  peu  de  temps,  il  avait  en  main,  en  sa 
qualité  de  chancelier  et  de  premier  secrétaire  des  rebelles,  tous  les 

•  Pour  plus  de  détails,  voy.  Bense.x,  p.  376-384.  La  liste  des  châteaux  détruits, 
,p.  5Ü4-565.  Städter  tend  Bauernkrieg  im  ehemaligen  Fürstenthum  Bamberg,  dans  les 
Mistor.  polit.  Blättern,  p.  95-817. 


ÉMEUTES    DANS    I/O  IJ  F.  N  W  A  L  I).   1  .j2:>.  627 

fils  de  la  révolte.  «  Hipler  est  un  esprit  ai[',uisé,  un  homme  adroit 
et  entendu  ",  disait  de  lui  sou  ami  Götz  de  IJcrlichin|;en;  '  il  est 
rare  d'eu  rencontrer  (jui  le  vaillenl  dans  les  conseils  '.  >■ 

A  l'appel  de  Melzler,  les  paysans  accouraient  de  toutes  parts. 
Ils  venaient  en  troupes  bruyantes,  semblables  aux  abeilles  quand 
elles  essaiment.  »  Celui  (jui  relusait  de  les  suivre  était  menacé  de 
perdre  les  biens  et  la  vie  ",  et  de  laire  ainsi  l'expérience  de  ce  qu'il 
eu  coiUait  de  retuser  d'être  un  "  frère  clirélien  «.  Hlu  général  en 
chef,  Metzler  donna  rendez-vous  à  ses  troupes,  encore  grossies  par 
des  renforts  venus  des  territoires  de  Mayence,  de  Wurzbourg  et  des 
Étals  de  l'Ordre  leutonique,  à  l'abbaye  de  Cileaux,  située  près  de 
Schöntlial,  à  quatre  lieues  d'OEringen.  Là,  tous  les  bourgeois  et 
paysans  qui  ne  s'étaient  pas  encore  déclarés  devaient  se  présenter  à 
la  '  sainte  armée  > ,  animés  des  sentiments  de  la  plus  pure  charité 
fraternelle,  -  offrir  leur  assistance  aux  frères,  et  promettre  de  con- 
tribuer au  triomphe  de  la  parole  de  Dieu  et  de  la  doctrine  de  saint 
P.iul  s  les  troupes  de  Metzler  s'intitulaient  T"  armée  évangé- 
lique  '  ;  les  insurgés  déclaraient  n'avoir  d'autre  but  que  le  main- 
tien et  la  protection  de  la  parole  de  Dieu^  Du  4  au  10  avril,  ils 
campèrent  à  Schöntlial,  et  s'y  conduisirent  «  comme  des  bêtes  fé- 
roces ».  Ils  profanèrent  les  autels,  volèrent  les  vases  sacrés,  qu'ils 
se  partagèrent  ensuite,  détruisirent  les  plus  admirables  chefs - 
d'ceuvre,  et  brûlèrent  tout  un  village,  à  l'exception  de  quelques 
maisons. 

Pendant  ces  Jours  d'horreur,  Götz  de  Berlichingen,  -<  le  chevalier 
audacieux  et  vaillant  -,  vint,  accompagné  d'autres  ;î  frères  chrétiens  ' , 
rejoindre  les  paysans ^  -  Il  se  faisait  fort  ",  disait-il,  «  de  mettre  la 
noblesse  du  coté  des  révoltés,  les  nobles  étant  aussi  bien  que  les 
paysans  opprimés  par  les  princes*.  »  De  même  qu'autrefois,  dans 
une  de  ses  expéditions  de  rapine,  il  avait  salué  du  nom  de  -  chers 
compagnons  •  une  bande  de  loups  fondant  sur  un  troupeau  de  mou- 
tons, il  voyait  maintenant  dans  les  paysans  incendiaires  et  pillards 
de  «  chers  frères  chrétiens  -,  dont  il  pourrait  heureusement  se  servir 
contre  les  princes  et  les  seigneurs  ecclésiastiques  tant  détestés  de  lui. 
Il  espérait,  par  son  influence  et  la  part  personnelle  qu'il  comptait 
prendre  à  la  révolte,  réprimer  à  temps  la  fureur  des  bandes  in- 
surgées, et  les  empêcher  de  s'en  prendre  aux  biens  des  nobles. 
A  Schönthal,  il  convint  avec  les  paysans  «  que  dès  qu'il  les  verrait 


'  l'our  plus  de  détails  sur  Uipler,  voy.  Blhleu,  p.  155-159. 
■^  Voy.  Bexsen,  p.  107-119. 

3  Voy.  sur  lui  notre  premier  volume,  p.  538-541,  548. 

*  Tiré  des  aveux  de   Dyonisius   Schmid,  ancien  maire  de  Schwabacb,  dans 
Stalin,  t.  IV,  p.  296,  note  3. 


52S  SUCCÈS    DE    L'ARMÉE    ÉVANGÉLIOUE.    1525. 

arriver  à  Gundeisheim,  daus  les  environs  de  son  château  de  Horn- 
berg,  il  viendrait  les  rejoindre'  -. 

A  Schönthal,  des  hordes  venues  des  bords  de  la  Tauber  et  unies 
aux  lansquenets  de  la  bande  noire,  commandés  par  Florian  de 
(^eyer,  rejoignirent  F"  armée  évangélique  !.  Vinrent  ensuite  les 
bandes  du  comté  de  Hohenlohe  et  du  territoire  de  la  ville  libre 
d'Heilbronn,  commandées  par  le  sauvage  et  incendiaire  Jacques 
Rohrbach,  de  Bockingen.  Jacques,  comme  Metzler,  était  depuis 
longtemps  le  «  frère  «  de  Wendel  Hipler,  et  de  moitié  dans  tous  ses 
complots.  Intimidés  par  ses  menaces,  les  habitants  des  localités  en- 
vironnantes venaient  en  foule  se  joindre  à  l'Union  chrétienne.  «  Si 
vous  tardez  encore  -,  leur  avait-il  écrit,  it  si  vous  refusez  de  prêter 
main-forte  à  l'Évangile,  je  saurai  bien  vous  contraindre  à  l'obéissance; 
je  pillerai,  je  brûlerai  tout  ce  qui  vous  appartient!  ■  ■■■  C'est  ainsi  », 
rapporte  Sébastien  Franck,  -<  que  plus  d'un  honnête  homme  s'était 
vu  forcé  de  suivre  les  révoltés.  »  Jacques  faisait  jurer  à  ses  troupes 
de  l'aider  à  proscrire  moines  et  prêtres.  Après  leur  expulsion,  on  se 
partagerait  leurs  dépouilles.  Le  prédicant  de  l'armée  exhortait 
avec  lui  les  paysans  à  défendre  de  cette  manière  la  «  liberté  évan- 
gélique ^  » . 

Pendant  qu'à  Schönthal  les  insurgés  se  livraient  «  à  des  excès,  à 
des  débauches  qu'eussent  désavoués  des  Turcs  »,  arriva  soudain  la 
nouvelle  que  les  ■■'  frères  chrétiens  »  des  environs  de  Mergentheim 
avaient  pénétré  dans  la  ville  grâce  à  la  complicité  des  bourgeois, 
et  qu'ils  avaient  pillé  les  maisons  des  chevaliers  de  Saint-Jean  \ 
«  Ce  fut  une  liesse  nonpareille.  Les  insurgés,  voyant  la  fortune 
leur  sourire  de  tous  côtés,  se  flattaient  d'être  avant  peu  les  seuls 
maîtres  du  pays.  -^ 

L't  armée  unie  de  TOdenwald  et  de  la  vallée  du  Neckar  ",  forte 
d'environ  huit  à  dix  mille  hommes  et  commandée  par  Metzler, 
rebroussa  vers  le  sud  le  10  avril,  et  le  jour  suivant,  à  Neuenstein 
et  à  ^Valdenbourgj  ^  rangea  au  devoir  chrétien  les  comtes  Albert 
et  Georges  de  Hohenlohe.  Albert  avait  proposé  aux  paysans  de  s'en 
remettre  à  l'arbitrage  d'un  tribuual  souverain,  impartial,  chargé 
d'apprécier  tous  leurs  griet^;  mais  il  lui  fut  répondu  que  la  ■  sainte 

'  Aveux  de  Dyonisiiis  Schmid,  voy.  note  4  de  la  page  précédente.  Le  19  avril 
1525,  le  grand  prévôt  du  Wurtemberg  Frédéric  de  Freiberg  écrivait  de  Schorn- 
dorf au  Conseil  de  régence  autrichien  que  Götz  de  Berlichingen  était  le  véri- 
table général  en  chef  des  paysans,  bien  qu'on  ne  le  reconnût  pas  officiellement 
pour  tel.  —  Voy.  Stalin,  t.  iV,  p.  297. 

-  Voy.  Zimmermann,  t.  II,  p.  271-277.  —  Bensex,  119-222. 

3  Sur  le  pillage  de  .Mergentheim  et  du  château  voisin  de  Neuhauss,  apparte- 
nant à  l'Ordre  Teutonique,  voy.  OEchsle,  p.  138-141. 


lOFlFAITS    m;    WEfNSBERG.    152.'^.  529 

armée     ne  reconnaissait  raiiiorité  ni  de  l'Empereur  ni  des  Ordres, 
et  ne  se  }yuidair  (jue  d'après  ses  propres  décisions.  Si  les  comtes 
refusaient  de  faire  droit  à  leurs  réclamations,  leurs  propriétés  se- 
raient saccadées;  ils  durent  jurer,  à  p,enoux,  fidélité  à  l'Union,  et 
s'engapjCr  à  observer  les  douze  articles.   -^   Frère   Albert  et  vous, 
frère  Georges  »,  leur  dit  l'un  des  révoltés,    '  approchez,  jurez  de 
rester  parmi  nous  comme  de  bons  frères,  et  de  ne  rien  entreprendre 
contre  nous,  car  désormais  vous  ne  serez  plus  jamais  les  maîtres; 
c'est  nous  qui  sommes  à  présent  seijjneurs  de  Ilohcnlohe'.  "  Après 
qu'à  rinstip;ation  de  Jacques  Rohrbach  le  couvent  de  femmes  de 
Lichlimstern  eut  été  pillé,  les  hordes  marchèrent  sur  Löwenstein,  et 
contraignirent  les  comtes  Louis  et  Frédéric  à  entrer  dans  la  '  fra- 
ternité ».  I»evétus  d'habits  de  paysan,  tenant  à  la  main  des  bâtons 
blancs,  ceux-ci  se  virent  forcés  de  suivre  l'armée  et  durent  subir 
les  plus  grossiers  traitements.  Le  1  î  avril,  les  insurgés  s'emparèrent 
de  la  petite  ville  de  Xeckarsulm,  appartenant  à  l'Ordre  Teutonique; 
«  tout  ce  qui  était  bien  d'église  fut  saccagé  i.  L'armée  se  porta 
ensuite  sur  W'einsberg. 

A  Weinsberg,  petite  ville  du  Wurtemberg,  le  comte  Louis  Hel- 
freich d'Helfenstein,  grand  prévôt,  commandait  une  petite  garni- 
son d'environ  soixante-dix  a  quatre-vingts  cavaliers.  A  la  nouvelle  de 
l'approche  des  rebelles,  il  se  hâta  d'envoyer  demander  assistance  au 
Conseil  de  régence  autrichien,  qui  siégeait  alors  à  Stuttgard:  mais  il 
n'en  obtint  aucun  secours.  '  Les  bourgeois  »,  écrivait  le  comte,  <  bien 
qu'ils  m'aient  juré  fidélité  à  la  vie  et  à  la  mort,  donnent  lieu  à  des  soup- 
çons qui  semblent  bien  fondés;  leur  irrésolution  fait  tout  craindre. 
Les  enfants  perdus  de  Weinsberg  pactisent  avec  les  paysans,  leur 
enseignent  les  moyens  les  plus  faciles  d'assaillir  le  château,  et  leur 
promettent  aide  et  secours  au  moment  décisif,  »  Le  10  avril,  îe 
matin  de  Pâques,  le  comte  fut  averti  que  les  paysans  avaient  quitté 
leur  camp  dès  la  pointe  du  jour,  parlant  d'aller  quérir  leurs  œufs 
de  Pâques  à  Weiusberg.  Il  renforça  alors  sa  petite  armée,  et 
disposa  tout  pour  la  défense  des  portes  et  des  abords  de  la  ville. 
Ayant  rassemblé  ses  reitres,  ses  cavaliers  et  les  bourgeois  de  la  cité 
sur  la  place  du  marché,  il  s'efforça  de  leur  inspirer  courage  et 
confiance.  11  avait  laissé  sa  femme  et  son  enfant  au  château,  leur 
dit-il;  il  allait  se  mettre  â  leur  tète,  décidé  à  se  défendre  avec  eux 
jusqu'à  la  mort.  Il  leur  assura  que  ce  jour-là  même  il  attendait  de 
sûrs  renforts.  Accompagné  de  beaucoup  de  ses  cavaliers,  il  se  reu- 

'  Herolt,  p.  91 .  "  Doue  les  deux  comtes  restèrent  avec  les  paysans,  et  cepen- 
dant ils  avaient  de  bons  châteaux  forts!  Mais  notre  Seigneur  Dieu  leur  avait 
ùié  tout  courage.  »  Voy.  oEciislk,  p.  95-108. 

".  34 


530  FORFAITS    DE    WEINSBERG.    1525. 

dit  à  l'église,  assista  à  la  messe  et  reçut  la  sainte  communion.  Mais 
l'office  divin  n'était  pas  encore  terminé  qu'on  vint  lui  annoncer  que 
six  à  huit  mille  paysans  étaient  ameutés  devant  les  murs  de  la  ville, 
et  demandaient  à  ce  que  le  "  château  et  la  cité  fussent  livrés  à  la  sainte 
armée  de  l'Union  > .  Une  «  vieille  sorcière  »,  ^  la  Hofmann  noire  de 
Böckingen  »,  avait  prononcé  des  sortilèges  sur  l'armée  des  révoltés, 
et  prétendait  l'avoir  rendue  invulnérable.  Les  bandes  de  Florian 
Geyer  escaladèrent  le  château  '  comme  des  chats  »,  et  l'eurent 
bientôt  mis  à  sac.  Aidés  des  bourgeois  qui  leur  avaient  ouvert  les 
portes,  ils  furent  promptement  maîtres  de  la  ville  :  chevaliers  et 
cavaliers  se  défendirent  héroïquement  jusque  devant  la  porte  de 
l'église,  mais  enfin  il  fallut  céder  au  nombre.  •■  Tout  ce  qui  portait 
bottes  et  éperons  »  fut  condamné  à  périr,  et  les  prêtres  furent 
passés  au  fil  de  l'épée.  «  Les  paysans,  ivres  et  fous,  se  disputaient, 
parmi  les  cris  et  les  rixes,  les  ostensoirs,  les  calices,  les  vases 
d'argent,  les  vêtements  sacerdotaux,  et  autres  objets  précieux.  » 
'  Il  semblait  que  l'eufer  eût  déchaîné  ses  pires  bandes;  des  atro- 
cités vraiment  sauvages  furent  commises.  »  Jacques  Rohrbach,  qui 
s'était  chargé  de  la  surveillance  des  prisonniers,  résolut  de  mettre 
l'occasion  à  profit  pour  «  inspirer  une  salutaire  terreur  à  la  no- 
blesse ».  Lui  et  ses  compagnons  décidèrent  qu'ils  ne  feraient  grâce 
à  aucun  seigneur,  noble  ou  cavalier,  et  les  passeraient  sans  excep- 
tion au  fil  de  l'épée,  déclarant  en  même  temps  que  tout  paysan 
qui  oserait  prendre  le  parti  d'un  noble  serait  immédiatement  mas- 
sacré. Le  comte  d'Helfenstein  fut  condamné  à  être  -<  passé  par  les 
piques  -  au  son  des  tambours,  avec  vingt-quaire  de  ses  gentils- 
hommes et  quelques-uns  de  ses  plus  fidèles  serviteurs'.  On  con- 
duisit les  condamnés  dans  une  prairie  située  devant  la  porte  basse 
de  la  ville;  là,  on  leur  signifia  leur  sentence.  La  comtesse  d'Hel- 
fenstein, fille  naturelle  de  l'empereur  Maximilien,  se  jeta  alors  aux 
genoux  de  Rohrbach,  tenant  entre  ses  bras  son  fils  âgé  de  deux 
ans;  elle  le  conjurait  en  pleurant  de  lui  accorder  la  grâce  de  son 
mari;  mais  Rohrbach  la  repoussa  durement,  et  un  paysan  blessa 
"  le  petit  seigneur  d'un  coup  de  son  épée  ».  Le  comte,  pour  sauver 
sa  propre  vie,  lui  ayant  offert  une  rançon  de  trente  mille  florins, 
Rohrbach  lui  dit  :  «  Quand  bien  même  tu  nous  donnerais  deux 
tonnes  d'or,  il  faut  mourir!  »  L'ancien  joueur  de  fifre  du  comte, 
Melchior  Nonnenmacher,  se  tenait  devant  lui,  soufflant  joyeusement 
dans  son  instrument  :  «  Je  t'ai  si  souvent  fait  de  la  musique  lorsque 
tu  étais  à  table  »,  lui  disait-il,  «  n'est-il  pas  juste  que  je  te  régale 

'  Il  ressort  des  aveux  de  Pierre  Dohaim,  fait  prisonnier  à  Ulm  en  IÖ25,  qu'à 
peine  la  dixième  partie  de  larmce  des  paysans  fut  informée  du  meurtre 
du  comte.  OEchsle,  p.  107. 


FORIAITS    DE    VV  E  I  N  S  B  F,  P.  G .    ir,2r,.  531 

aujourd'hui,  au  niomenr  où  tu  vas  exécuter  ta  dernière  danse?  n 
Il  lui  ôta  de  la  tète  son  chapeau  à  plumes,  et  s'en  coiffa,  disant  : 
<  Tu  l'as  porté  assez  lonp,femps,  je  veux  être  scif^neur  à  mon  tour!  » 
A  peine  le  comte  avaitij  f;iit  trois  pas  sur  le  chemin  du  supplice 
qu'il  tomba  mort  sur  le  sol,  percé  de  cent  coups  de  pique.  La 
Hofmann  plongfea  alors  un  couteau  dans  ses  entrailles,  et  cira 
ses  souliers  avec  la  {jr;iisse  qui  en  tombait.  Jacques  Wirt  endossa  e 
pourpoint  de  damas  de  la  victime;  en  cet  cquipi{]?e,  il  se  présenta 
devant  la  comtesse  et  lui  dit  :  «  Femme,  comment  me  trouves=-tu 
ainsi?  •  On  fit  main  basse  sur  les  joyaux  de  la  veuve,  on  la  dé- 
pouilla même  d'une  partie  de  ses  vêtements,  puis  on  la  fit  monter 
avec  ses  femmes  sur  un  tombereau  de  fumier  qui  devait  la  conduire 
à  Heilbronn.  La  populace  de  Weinsberg  l'accompagnait  en  l'abreu- 
vant d'outrages.  «  Tu  es  venue  parmi  nous  en  carrosse  doré  n,  lui 
criait-on,  «  et  tu  t'en  vas  dans  une  charrette  de  fumier!  "  D'un  cou- 
rage tranquille,  l'infortunée,  songeant  sans  doute  à  la  semaine 
sainte  qui  venait  de  s'écouler,  répondit  avec  calme  :  ■  .l'ai  commis 
beaucoup  de  péchés!  Le  Christ,  le  Sauveur  sans  tache,  est  entré  à 
.lérusalem  le  jour  des  Hameaux  parmi  l'allégresse  du  peuple;  bientôt 
après  il  a  été  crucifié,  non  pour  ses  péchés,  mais  pour  les  nôtres! 
Qu'il  me  console  '  !  > 

Les  autres  gentilshommes*  périrent  de  la  même  façon  que  le 
comte;  on  éleva  les  jeunes  pages  au  bout  des  piques;  puis  on  les 
acheva. 

Le  bruit  des  atrocités  commises  à  Weinsberg  se  répandit  rapide- 
ment dans  toute  l'Allemagne  <<■  comme  un  râle  d'agonie  »,  excitant 
partout  un  profond  sentiment  de  honte,  un  ardent  désir  de  ven- 
geance. '  Chacun  ",  dit  un  chrouiqueur,  «  méditait  au  fond  de  son  âme 
la  grande  iniquité,  l'inhumaine  barbarie  des  paysans  évangéliques. 
Comment  gouverneraient-ils,  si  le  jeu  continuait  à  leur  réussir?  Les 
paysans  ne  s'étaient-ils  pas  conduits  en  véritables  Turcs?  N'était- 
ce  pas  ainsi  qu'agissaient  les  infidèles,  lorsqu'ils  étaient  victorieux 
et  répandaient  lamentablement  le  sang  chrétien,  aussi  bien  celui 
des  vieillards  que  celui  des  jeunes  gens^?  « 

Au  conseil  de  guerre  des  paysans,  où  se  discutaient  les   plans 


'  La  comtesse  se  réfu;];ia  plus  tard  chez  son  frère  l'archevêque  Georges  de 
Liège,  puis  chez  sa  deuii-sœur  Marguerite,  gouvernante  des  Pays-Bas,  où  elle 
mourut  en  1037.  ilENNr,  Hisl.  du  regne  de  Charles  V en  Belgique,  t.  IV,  p.  80. 

-  Pour  les  listes  des  vie  times,  et  tous  les  documents  concernant  les  événements 
de  Weinsberg,  voy.  Stalin,  t.  IV.  p.  286,  note  1-3. 

^  Tkoman's  ll'eissenhorner  Hislorii-,  dans  BauMANN,  Quellen  :ur  Gesch.  des  Bauernkriege 
in  Obcrschicaben,  p.  90.  —  ^  L'ancien  proverbe  populaire  qui  affirme  »  que  la 
hache  n'est  jamais  plus  tranchante  que  loriqu'uii  paysan  dévient  seigneur  et 
maître  »,  ne  ment  point  ",  dit  llaarer  dans  Göbcl,  p.  115). 

34. 


532  RÉVOLTE    DHEILBRONN.    1525. 

des  saintes  armées,  Florian  de  Geyer  proposa  de  brûler  et  de  raser 
tous  les  châteaux  forts,  un  noble,  pas  plus  qu'un  paysan,  ne  devant 
avoir  plus  d'une  porte  à   sa  demeure.  Les  couvents,  disaient  ses 
compagnons,  devaient  aussi  être  détruits  et  les  moines  contraints  de 
labourer  et  de  défricher  le  sol,  comme  de  simples  cultivateurs.  Ces 
résolutions  furent  adoptées  à  l'unanimité,  et  il  fut  convenu  qu'on 
allait  commencer  par  obliger  Heilbronn  à  entrer  dans  la      Frater- 
nité chrétienne  >•.  Ensuite  on  pénétrerait  par  le  territoire  de  Mayence 
dans  l'évêché  de  Wurzbourg,  où  l'émeute  se  montrait  déjà  toute-puis- 
sante. Le  17  avril,  Götz  de  Berlichingen'  fut  élu  général.  Avant  de 
quitter  Weinsberg,  1'     armée  évangélique  -  reçut  des  comtes  de 
Hohenlohe  deux  coulevrines  et  un  demi-quintal  de   poudre,  avec 
l'assurance  que  "  les  seigneurs  ne  souffriraient  pas  que  leurs  sujets 
fissent  aucune  résistance  aux  révoltés*  >•. 
Heilbronn  fut  prise  «  à  aussi  peu  de  frais  que  Weinsberg  ». 
Depuis  la  révolte  de  la  haute  Souabe,  une  ■'  Fraternité  >  s'y  était 
formée.  Elle  tenait  ses  assemblées  secrètes  chez  un  boulanger-caba- 
retier;  dans  la  ville  et  dans  les  villages  environnants,  tout  depuis 
longtemps  se  préparait  en  secret  pour  un  "  soulèvement  chrétien.  > 
On  avait  soumis  les  douze  articles  à  l'appréciation  des  paysans.  Un 
des  meneurs,  les  pressant  de  se  déclarer,  leur  disait  :  ■  Allons,  cou- 
rage! vous  êtes  des  hommes  libres!  Oui  vous  oblige  à  payer  les 
tailles,  les  redevances,  les  dîmes?  A  l'œuvre  donc!  La  corporation 
des  vignerons  ne  vous  abandonnera  pas!  -  "  Frères  >;,  s'était  écrié 
un  soldat  qui  avait  autrefois  servi  sous  Sickingen  lors  de  la  cam- 
pagne de  Trêves,     que  le  Bundschuh  se  lève  enfin!  »  Jacques  Rohr- 
bachétaitle  plus  violent  agitateur  d'Heilbroun.  ^  Mes  amis  -,  disait- 
il  aux  conjurés  attablés  avec  lui  le  1"  avril  dans  la  maison  du  bou- 
langer autour  de  la  friture  et  du  vin  blanc,  «  c'est  maintenant  que 
nous  allons  commencer  une  vie  chrétienne!  c'est  maintenant  que  la 
horde  des  paysans  va  se  signaler!  •  ■■  Nous  commencerons  par  punir 
les  prêtres  »,  disait  un  autre,  '  puis  nous  passerons  aux  seigneurs; 
nous  prononcerons  la  sentence  de  tous  ceux  qui  nous  ont  affamés; 
que  le  châtiment  de  Dieu  les  atteigne!  Leurs  maisons  vont  devenir 
les  nôtres!  ■  A  l'assemblée  de  Flein,  où  les  '  frères  -  d' Heilbronn  et 
huit  cents  paysans  se  trouvaient   réunis,  on  adopta,  sur  la  proposi- 
tion de  P.ohrbach,  la  résolution  suivante  :      Comme  celui  qui  pos- 
sède plus  que  son  frère  est  strictement  obligé  de  l'aider  et  de  le  se- 
courir, il  faut  mettre  la  main  sur  les  propriétés  des  chevaliers  de 
Saint-Jean,  et  partager  entre  les  bourgeois  tout  ce  qui  s'y  trouvera 


1  Voy.  Stalix,  t.  IV,  p.  -296,  note  3. 
-  Dans  OEOHSLE,  p.  109-110, 


I.AHMKi;    ÉVANfJÉI.IQUI':    A    IIEILBROW.    1525.  533 

Les  champs  seront  réparfis  enlre  les  pauvres;  les  moines  et  les  religieux 
seront  chassés.  »  Vers  le  milieu  d'avril,  presque  toute  la  corporatiou 
des  vignerons  d'Hcilbronii  riait  en  bonne  intelligence  avec  les  cmeu- 
tiers,  et,  dans  la  ville  même,  un  p;irli  puissant  s'étail  déclaré  contre 
le  conseil.  Ce  parti  se  composait  d'ouvriers  à  leur  aise,  de  bourgeois 
ayant  autrefois  servi,  et  de  nombreux  prolétaires,  dont  un  inven- 
taire tombé  plus  tard  entre  les  mains  des  princes  va  nous  permettre 
d'apprécier  les  ressources  :  l'un  d'entre  eux  ■  ne  possède  rien  qu'un 
bois  de  lit,  un  traversin  et  deux  oreillers,  sur  lesquels  sont  couchés 
ses  six  enfants  »  ;  un  autre  «  n'a  qu'une  table,  un  petit  lit  et  quatre 
enfants  ;  un  troisième  <^  a  pour  tout  bien,  lui  et  ses  quatre  enfants, 
un  vieux  lit,  une  cruche  et  une  cuirasse  .  Tous  étaient  d'avis  qu'il 
fallait  sans  délai  défendre  l'Evangile,  soutenir  la  cause  de  Dieu,  et 
"  passer  les  riches  au  crible  .  Le  boulanger  Hans  Müller,  surnommé 
Flux,  qui  avait  visité  les  paysans  dans  leur  camp,  vint  redire  aux 
amis  d'Heilbronn  :  -  îSos  frères  se  mettent  en  marche  avec  une 
armée  si  considérable  que  les  ennemis  ne  pourront  jamais  en  ve- 
nir à  bout.  Ils  m'ont  fait  part  de  lous  leurs  plans;  ils  marche- 
ront devant  eux  aussi  loin  que  le  monde  est  grand.  Je  les  ai  vus  à 
l'œuvre  à  Lichlenstern,  où  ils  ont  détruit  et  brisé  tout  ce  qui  se 
trouvait  !  A  nous  de  tomber  sur  les  nonnes  et  les  moines!  à  nous  de 
châtier  les  affameurs  qui  les  soutiennent!  à  nous  de  faire  jouer  le 
glaive  !  » 

Le  conseil  d'Heilbronn,  "  divisé  contre  lui-même,  privé  de  chef  ", 
ne  résista  pas  longtemps.  Le  dimanche  de  Pâques,  16  avril,  la 
révolte  éclata  sur  la  place  du  marché.  Ceux  qui  tenaient  pour 
les  paysans  envoyèrent  des  messagers  à  Georges  Metzler  et  à 
Jacques  Rohrbach,  les  invitant  «  à  se  rendre  promptement  à  Heil- 
bronn,  parce  qu'il  serait  très- facile  d'y  pénétrer  -.  Si  les  conseillers 
refusaient  d'ouvrir  les  portes,  on  ferait  sauter  leurs  tètes  par- 
dessus les  murs  ".  Lue  bande  d'insurgés  se  rua  sur  l'hôtel  de  ville, 
criant  :  -.  A  mort  les  scélérats  qui  sont  là  dedans!  '  Ce  ne  fut  qu'à 
grand'peine  que  le  prédicant  de  Saint-Nicolas,  le  docteur  Lach- 
raann,  ami  de  Mélanchthon,  parvint  à  les  calmer.  Lorsque  la  nou- 
velle de  l'attentat  de  VVeinsberg  se  répandit  dans  la  ville,  «  les 
conseillers  tombèrent  dans  le  trouble  et  le  désespoir  ».  Aussitôt 
après  le  forfait,  quelques  bourgeois  qui  y  avaient  pris  part  ou 
avaient  été  de  connivence  avec  les  révoltés  revinrent  à  Heilbronn. 
Parmi  eux  se  trouvait  Christian  Weyermann,  t  dont  la  pique, 
encore  dégouttante  de  sang,  gardait  des  débris  de  cheveux  et  de 
chair  humaine  -.  En  franchissant  la  porte  d'Heilbronn,  il  s'était 
écrié  :  -  C'est  maintenant  que  la  danse  va  commencer  pour  de 


534  L'ARMÉE    EVANGÉLIQUE    A    HEILBRONN.    1525. 

bon  !  Tous  les  gens  à  éperons  seront  massacrés  !  «  Luz  Taschen- 
macher,  dont  la  pîque  était  encore  ensanglantée,  portait  l'habit  de 
gala  du  comte  d'Helfenstein.  Hans  Waldner  était  coiffé  de  son  béret 
et  avait  son  épée  au  côté;  avec  eux  était  aussi  le  «  porcher  de  Kres- 
bach  »,  un  misérable  qui  avait  été  des  plus  ardents  au  pillage  du 
château,  et  avait  demandé  à  grands  cris  la  mort  du  comte. 

La  «  Fraternité  "  fut  d'avis  de  .  faire  passer  par  les  piques  »  tous 
les  grands  seigneurs  d'Heilbronn  :  u  Nous  allons  nous  faire  justice! 
maintenant  cela  va  marcher!  notre  fortune  commence!  les  coquins 
nous  ont  assez  longtemps  trompés,  leur  affaire  est  claire!  nous  ne 
ferons  aucun  mal  aux  pauvres,  nous  n'en  voulons  qu'aux  riches.  On 
coupera  les  mains  de  tous  ceux  qui  ont  prêté  serment  contre  nous!  » 

L'armée  de  l'I  nion  se  présenta  le  mardi  de  Pâques  devant  la  ville, 
«  demandant  â  danser  à  la  kermesse  d'Heilbronn  ».  Georges  Metzler 
fit  savoir  au  conseil  que  lui  et  ses  frères  étaient  venus  pour  châtier  leurs 
ennemis  les  prêtres.  Le  devoir  de  la  ville  était  d'accueillir  les  frères 
chrétiens,  et  les  bourgeois  devaient  partager  avec  eux.  Si  la  Fraternité 
était  repoussée,  elle  était  résolue  à  mettre  en  haut  ceux  qui  étaient 
au  dernier  rang;  mais  si  on  lui  donnait  entrée  de  bonne  amitié,  les 
chefs  se  prêteraient  volontiers  à  un  accommodement.  Le  conseil 
entama  les  négociations;  mais  tandis  qu'elles  se  poursuivaient,  les 
paysans  pénétrèrent  dans  la  ville,  soit  que  les  portes  leur  eussent  été 
ouvertes  par  ordre  du  conseil,  soit  que  les  bourgeois  révolutionnaires 
eussent  pris  l'initiative.  Dès  lors,  les  insurgés  furent  maîtres  et  sei- 
gneurs de  la  cité.  Rohrbach  et  ses  affidés  expliquèrent  à  la  popula- 
tion, assemblée  sur  la  place  du  marché,  «  qu'ils  ne  voulaient  rien  entre- 
prendre contre  l'autorité  de  l'Empereur,  et  que,  dociles  à  la  doctrine 
de  saint  Paul,  ils  avaient  pris  les  armes  pour  protéger  l'Evangile.  >• 

Cette  «  protection  de  l'Évangile  »  commença  immédiatement  par 
le  pillage  de  la  maison  de  Saint-Jean.  Les  lettres,  comptes,  papiers 
des  chevaliers  furent  déchirés,  éparpillés,  jetés  dans  le  ruisseau.  Les 
femmes  et  les  enfants  allaient  et  venaient,  transportant  du  vin,  de 
l'avoine,  du  linge,  de  l'argenterie,  des  objets  de  ménage  de  tous 
genres.  Rohrbach  établit  un  marché  dans  le  château,  et  fît  savoir  à 
toute  la  ville  que  le  butin  allait  être  mis  à  l'enchère.  A  la  caisse  du 
blé  des  commendes,  on  voyait  des  bourgeois  mesurer  le  froment  et 
l'avoine  avec  le  bâton  de  justice  et  les  balances  municipales;  les 
femmes  portaient  des  soutanes  et  des  aubes  de  chœur,  et  s'étaient 
fait  des  tabliers  avec  le  linge  d'église.  Nous  séjournerons  quelque 
temps  ici  »,  disaient-elles;  quant  aux  bourgeois,  ils  peuvent  aller 
habiter  nos  villages!  »  Ou  contraignit  les  chevaliers  de  Saint-Jean 
de  s'asseoir  tête  nue  à  la  table  des  paysans.  >'  Aujourd'hui,  mon  petit 
seigneur  »,  disait  un  paysan  à  un  chevalier,  <  nous  sommes  grands 


L'ARMÉE    ÉVAN(;ÉLIQUE    A    IIKILBRONN.    1525.  535 

maîtres!  »  Et  ce  disant,  il  lui  porta  un  si  rude  coup  qu'il  le  fit  tomber 
à  la  renverse.  Tout  l'arfjent  comptant  qui  se  put  trouver  fut  saisi  et 
partiijjé.  Le  couvent  de  Sainte-Claire  dut  payer  une  rançon  de 
5,000  florins;  cehii  dos  Carmélites,  situé  à  quelque  distance  de  la 
ville,  eu  oflrit  3,000  et,  mal{;ré  des  promesses  formelles,  fut  très- 
endommafjé.  Partout  les  paysans  faisaient  de  riches  captures  ;  aussi 
cussenl-ils  bien  voulu  voir  se  prolonjjer  indéfiniment  la  <  fraternité 
évan{;élique  >.  Leur  principal  chef,  Georges  .Metzler,  reçut  pour  sa 
part  13,000  florins.  Rohrbach  déposa  chez  une  veuve  une  somme  de 
soixante  et  onze  florins,  un  rouleau  de  doubles  ducats,  des  pierres  pré- 
cieuses enchâssées  d.ms  l'or,  de  superbes  hanaps  en  arjjenf,  et  divers 
autres  bijoux  de[»raude  valeur.  On  vit  un  bourgeois  d'Heilbronn por- 
tant sur  son  dos  un  sac  contenant  1,400  florins,  partager  la  somme 
avec  quatre  cmeutiers.  Ces  -  féroces  sangliers  «  pénétraient  aussi 
chez  les  prêtres  qui  étaient  nombreux  dans  la  ville,  et  s'emparaient 
de  l'argenterie,  des  gobelets  d'argent  et  du  vin  qu'ils  trouvaient. 

Le  conseil  avait  'sacrifié  le  clergé  à  sa  propre  sûreté.  Il  ■  jura 
d'observer  localement  les  douze  articles  présentés  par  les  paysans, 
et  fit  savoir  à  (ous  les  habitants  d'Heilbronn  que  chacun  était  libre 
de  se  joindre  aux  rebelles,  et  que  le^  citoyens  qui  voudraient  suivre 
les  révoltés  pourraient,  plus  tard,  quand  il  leur  plairait,  rentrer 
dans  la  ville  sans  crainte  d'être  inquiétés,  parce  qu'il  ne  serait  fait 
aucun  tort  à  leurs  droits  de  bourgeoisie,  à  leur  réputation,  ni  à 
leurs  biens  '  v . 

'  On  lit  dans  une  chanson  populaire  du  temps  : 

(  HeilbroM.n,  tu  as  été  coupable. 

Tu  n"a>  pas  bien  réfl'^chi, 
Tu  expieras  ta  faute, 
Car  lu  as  causé  la  ruine  de  bien  des  gens! 
A  cause  de  loi,  plus  d'un  coeur  loyal 
A  été  livré  au  d-sespoir, 
Et  beaucoup  ont  perdu  la  vie 
Par  suite  de  ton  crime! 
Tu  as  fait  alliance  avec  les  paysans, 
Et  tu  n'y  étais  pas  forcée, 
Toi  qui  as  de  si  profonds  fossés, 
I>e  si  bonnes  murailles! 
Alors  les  pauvres  braves  gens  ont  eu  peur, 
Car  dans  leurs  campagnes. 
Leurs  vülag-rs,  leurs  bourgs  découverts, 
Ils  n'avaient  aucun  secours  à  espérer! 


Et  à  la  fin 


^'eut-on  que  je  dise  la  vérité  ? 
Dans  plus  d'une  ville 
Le  mal  n'e-t  pas  venu 
Des  seigneurs  ni  du  conseil. 
Il  est  venu  des  vauriens 
Qu  iont  dirigé  tout  le  jeu, 
Et  qui,  n'ayant  rien  à  perdre, 
Ont  voulu  gagner  beaucoup. 


LiLlE.NKRON,  t.  III,  p.  an,  451. 


536  L'ARMÉE   ÉVANGELIOUE    A    HEILBRONN.    15i5. 

Aussitôt  que  le   conseil   de   Wimpfen    eut  apprit  qu'Heilbronn 
avait  ouvert  ses  portes  aux  insurgés,  il  leur  envoya  des  délégués,  et 
conclut  avec  eux  un  traité  de  paix,  aux  dépens  du  clergé.  La  ville 
s'engageait    à    livrer  une   certaine  somme    d'argent  et  à  fournir 
les  paysans  de  vin  et  de  blé  prélevés  sur  les  biens  d'Église.  Liberté 
était  laissée  aux  bourgeois  de  se  joindre  aux  révoltés  et  d'adop- 
ter  leurs   articles  ;   les   meneurs   révolutionnaires  de   la  ville  ob- 
tinrent, pour  eux  et  les  leurs,  une  lettre  de  protection  les  met- 
tant entièrement  à  l'abri,  et  laissant  à  leur  libre  disposition  tous 
les  biens  ecclésiastiques.  Redoutant  les  représailles  de  la  ligue  souabe, 
qui  avait  droit  de  juridiction  sur  Heilbronn,  les  paysans  convin- 
rent de  ne  pas  arborer  de  bannière  aux  couleurs  et  armes  de  la 
ville.  Hans  Flux,  qui  avait  servi  d'intermédiaire  entre  les  conseillers 
et  les  rebelles,  leva  donc  l'  <  étendard  libre    d'Heilbronn.  11  exhortait 
en  ces  fermes  les  habitants  de  la  cité  :  «  Chrétiens  mes  frères,  mar- 
chez hardiment  sous  cette  bannière,  venez  prompt ement  au  secours 
de  l'Evangile!  A  tous  sera  donné  un  égal  butin,  même  ration  de  blé, 
de  vin,  même  solde!  Le  riche  sera  tenu  en  même  estime  que  le  pau- 
vre! "  Le  conseil  consentit  à  fournir  les  révoltés  de  piques,  de  cui- 
rasses, de  poudre  et  de  pièces  d'artillerie.  «  Aussitôt  que  vous  dési- 
rerez nous  revoir,  faites-le-nous  savoir  au  plus  vite  >,  dit  Flux  à 
l'un  des  bourgmestres  au   moment  de  quitter  Heilbronn;  à  quoi 
celui-ci  répondit    en   tremblant  :   «    Merci,    cher  Hans,  et  bonne 
chance!  ''   Un  bourgeois   d'Heilbronn  fut  élu   premier  maître  de 
quartier  au  conseil  de  guerre  des  paysans.  L  n  autre  avouait  haute- 
ment le  but  qu'on  se   proposait  :  «  Tomber  sur  les  cités,  égorger 
tous  nos  ennemis,  nous   en  donner  à   cœur  joie!   »   Une  troupe 
de  femmes  suivait  l'armée,   portant  comme  les  hommes  armes  et 
cuirasses,  et   faisant  cortège  à   cette  même    "    Hofmann   noire  » 
qui,  à  Weinsberg,  avait  plongé  son  couteau  dans  le  corps  du  comte 
d'Helfeinstein  et  avait  proféré  des  imprécations  sur  Heilbronn  et 
surtout  sur  les  conseillers,  "  ces  scélérats  et  ces  coquins  ".  Si  l'on 
avait  suivi  les  conseils  de  cette  mégère,  la  ville  entière  eiU  été 
détruite.  Elle  eut  voulu  «  déchiqueter  toutes  les  robes  des  nobles 
dames  pour  les  voir  aller  par  les  rues  comme  des  oies  plumées  ". 
Exhortant  les   troupes  au  pillage,    elle   leur  répétait    «   qu'il  ne 
fallait  pas  laisser  pierre  sur  pierre  à   Heilbronn,  et  que  la  ville 
allait  être  transformée  en  village,  parce  que  tout  devait  être  ni- 
velé '  » . 

'  Sur  ces  événements,  voy.  la  relation  de  Jacques  Sturm  dans  Schreicer, 
t.  II,  p.  66.  —  Jager,  Geschichte  von  Heilbronn,  t.  Il,  p.  35-SO.  —  Zimbiermann.  l.  II, 
p.  4i39-490.  La  Hofmann  est  l'une  des  personnalités  les  plus  repoussantes  de  la 
révolution  sociale.  Elle  fit  preuve  ..une  telle  férocité  que,  parmi  les  femmes 


KM  EUT  K. s    DANS    l,E    \V  lî  lî  T  K  M  B  E  P,  G  .    l.>2:i.  537 

Le  22  avril,  l'arinrc  de  l'Union  quilta  k-  caini)  d'Heilbronn  pour 
opérer  sa  Jonclioa  avec  plusieurs  autres  bandes  qui,  pendant  ce 
lemps,  commandées  le  plus  souvent  par  Florian  de  (ieyer,  avaient 
soumis  à  la  «  Fraternité  n  les  contrées  du  Neckar,  du  Kocher  et  du 
.laxt,  soit  par  la  force,  soit  du  libre  consentement  des  populations. 
Une  partie  de  ces  bordes  assaillit  et  pilla  Scbeuerberfj,  château 
appartenant  aux  chevaliers  de  Sainf-.Iean  et  situé  sur  la  montajyne  qui 
surmonte  .\eckarsulm,  et  liorncck,  donjon  de  Dietrich  de  Cleen, 
grand  maître  de  l'Ordre  l'eutonique.  Les  révoltés  pénétrèrent  en- 
suite au  cœur  du  Wurtemberg. 

Là,  plusieiu's  hordes  s'étaient  déjà  l'ormées  •  pour  ie  soutien  du 
droit  et  de  la  justice,  pour  la  cause  du  saint  Évangile  et  de  la  parole 
de  Dieu  = ,  L'une  d'elles  était  entrée  le  25  avril  à  Stuttgard,  d'où  le 
Çonseilde  régence  autrichien  s'était  hâté  de  s'enfuir.  D'autres  avaient 
soumis  prescpic  toutes  les  villes  de  la  lorét  Noire  wurtembourgeoise. 
Dans  la  ville  libre  de  Hall,  les  paysannes,  accourues  des  environs, 
choisissaient  d'avance  les  maisons  qu'elles  se  promettaient  d'habi- 
ter. "  Avant  peu  %  disaient-elles  aux  bourgeoises  de  la  ville,  •=  nous 
aussi  nous  serons  de  grandes  dames!  ■  Néanmoins  la  ville  essaya  de 
résister;  mais  ses  paysans  Iraternisèrenl  avec  les  bandes  de  la  sei- 
gneurie de  Limpurg,  qui  avaient  leur  quartier  général  à  Gaildorf, 
et  qui,  brûlant  et  pillant  sur  leur  passage,  jetaient  l'épouvante 
parmi  tous  ceux  qui  avaient  encore  quelque  chose  à  perdre.  Ces 
hordes  s'intitulaient  1'  «  Union  générale  »,  et  prétendaient  ne  s'être 
associées  que  par  un  motif  fraternel  de  charité  chrétienne,  pour 
établir  le  saint  Evangile  et  pi)ur  extirper  les  abus  >.  La  rage  de 
destruction  des  insurgés  se  donna  surtout  carrière  au  couvent  de 
Lorch,  auquel  ils  mirent  le  feu  le  12  mai;  ils  n'épargnèrent  même 
pas  les  tombes  des  empereurs  de  la  maison  de  Hohenstaufen.  Le 
capitaine  d'une  compagnie  formée  dans  les  villages  du  territoire 
de  Gmünd  marcha  avec  trois  cents  hommes  contre  le  château  impé- 
rial de  Hoheustaulen,  le  pilla  et  y  mit  le  feu.  Partout  vainqueurs, 

hussites  qui,  au  quinzième  siècle,  se  firent  remarquer  par  leur  cruauté,  leur 
féroce  soif  de  vengeance,  on  trouverait  difficilement  son  égale.  Auxiliatrice 
et  conseillère  de  Jacques  ({ohrbacli,  elle  ne  respirait  qu'incendie,  pillage, 
meurtre.  Elle  marchait  ù  la  téta  des  hordes  armées  dont,  elle  enflammait  le  cou- 
rage :  «  Dieu  était  pour  les  paysans,  ils  devaient  marcher  joyeusement,  hardi- 
ment !  ^  Elle  avait  prononce  sur  eux  des  sortilèges;  aucune  pique,  hallebarde  ou 
balle  ne  pouvait  leur  nuire.  Zimmermann,  t.  II,  p.  490,  célèbre  la  •  Hof- 
mann  >,  et  l'appelle  la  Jeanne  d'Arc  de  la  guerre  des  paysans!  «  Triste  opprimée, 
femme  héroïque  sortie  des  huiles  du  Neckar,  être  fatal,  à  l'âme  énergique  et 
sauvage,  cœur  passionné,  aimant  et  haïssant  avec  la  même  vigueur,  avec  ton 
Dieu  U  vcui!  sur  les  lèvres  et  ton  âme  éprise  de  vengeance,  de  guerre  et  de  li- 
berté, comme  tu  vivrais  dans  la  légende  et  dans  l'histoire,  comme  la  musique 
et  l'éloquence  l'auraient  glorifiée,  si  ta  cause  avait  triomphé,  ou  si  du  moins 
tu  n'avais  pas  pris  naissance  dans  la  hutte  du  paysan  i  . 


538  EMEUTES    DAMS    LE    WURTEMBERG.   1Ô25. 

les  paysans  se  persuadaient  que  Dieu  était  avec  eux  et  prenait  lui- 
même  leur  défense.  Les  conseillers  de  Gmünd  furent  invités  à  plu- 
sieurs reprises  à  se  joindre  à  la  «  Fraternité  ».  Si  vous  hésitez  », 
leur  écrivaient  avec  menace  les  bandes  de  Gaildorf,  «  de  par  la  justice 
divine  et  le  courage  que  Dieu  nous  a  mis  au  cœur  en  nous  révélant 
sa  sainte  parole,  nous  marcherons  contre  vous,  et  ne  vous  regarde- 
rons plus  que  comme  des  impies  et  des  ennemis  de  Dieu.  « 

Mais  les  paysans  du  Wurtemberg  dissuadèrent  les  incendiaires  de 
Gaildorf  de  pénétrer  plus  avant  dans  le  pays.  ^-  lis  se  sentaient  en 
état  V,  disaienl-ils,  -  de  purifier  eux-mêmes  les  couvents  et  les  coffres- 
ibrts  du  duché.  » 

«  Voilà  déjà  le  septième  jour  que  je  marche  avec  les  paysans  ', 
disait  le  général  de  la  horde  de  Stuttgard  à  un  enseigne  qui  lui  ame- 
nait un  renfort  de  deux  cents  hommes;  'j'ai  cru  d'abord  qu'ils  ne 
se  proposaient  que  le  règne  de  TÉvangile,  mais  je  vois  bien  à  présent 
que  la  plupart  d'entre  eux  ne  songent  qu'au  vol  et  au  pillage,  ^i 

Le  duc  Ulrich,  qui  avait  conclu  depuis  longtemps  une  aUiance 
en  règle  avec  les  insurgés  du  Hegau  et  de  la  forêt  A'oire,  et  qui, 
d'Hohentwiel,  leur  avait  envoyé  toute  son  artillerie,  ne  se  trouvait 
pas  en  personne  parmi  les  bandes  dévastatrices  de  Wurtemberg; 
mais  son  conseiller  et  chargé  d'affairef,  Fuchs  de  Fuchstein,  mar- 
chait avec  le  quartier  général  et  rendait  compte  au  duc  de  tous  les 
mouvements  de  l'armée.  Lorsque  les  révoltés  se  furent  emparés  de 
Sulz,  ville  appartenant  au  comte  de  Geraldseck,  Ulrich,  alors  à 
llothweil,  où  il  s'était  établi  avec  sa  cavalerie,  fit  dire  à  Fuchstein 
«  qu'il  devait  s'efforcer  de  soustraire  la  ville  à  la  domination  du 
comte,  car  autrement  les  hordes  n'agiraient  pas  fraternellement 
envers  lui  >•.  -  Lorsque  vous  êtes  sur  le  point  de  livrer  bataille  -, 
disait  Ulrich  aux  paysans,  «  faites  toujours  votre  possible  pour 
que  les  choses  se  passent  rondement  et  que  l'assaut  soit  donné 
avec  entrain  et  vigueur,  car  cela  est  très-important.  Si  nous  agissons 
avec  énergie,  nous  ne  pouvons  douter  qu'avec  l'aide  du  Seigneur  la 
victoire  ne  soit  nôtre  '.  Dieu  est  pour  nous!  » 

'  ZiMME[iM\NN,  t.  II,  p.  337-385  —  Wagner,  p.  233-244.  —  Stalin,  t.  IV,  p.  288- 
295.  Parlant  de  son  alliance  avec  les  paysans,  Ulrich  écrivait  le  29  avril  1525  à 
schaffhouse  :  ■  Comme  Dieu  et  la  nature  nous  permettent  d'adopter  et  de  cher- 
cher tous  les  secours  possibles  pour  recouvrer  notre  bien,  nous  nous  sommes  mis 
d'intelligence  avec  l'assemblée  des  paysans,  maintenant  réunie  dans  le  Hegau  et 
la  forêt  \oire,  et  nous  avons  reçu  d'eux  l'assurance  qu'ils  nous  aideraient  à 
recouvrer  notre  terre  et  nos  gens  avec  toutes  nos  propriétés,  nous  permet- 
tant ainsi  de  rentrer  dans  notre  droit.»  — Schreiber,  Bauernkrieg,  t.  II.  p.  69. 
Sur  le  séjour  d'Ulrich  à  Rothweil,  voyez  la  Chronique  de  Villinger,  dans  Mo>e, 
Quellensammlung,  t.  II,  p.  85.  Voyez  la  lettre  d'Ulrich  à  Fuchstein  du  7  mai 
1525  dans  OEschle,  p.  349.  .  Beaucoup  disaient  ,  écrit  le  chroniqueur  de  Berne 
Anshelm,  t.  VI,  p.  287,  >.  que  Dieu  avait  permis  que  le  duc  ne  fiU  pas  choisi 


GÖTZ  DE  BERLICHINfJEN,  GÉNÉRAL  i;\  CHEF   DES  REBKI.LES.  5:i9 

"  Lc  Saint-Esprit  se  déclare  pour  le  peuple,  Dieu  le  veut,  tout 
doit  nous  réussir!  »  (elle  «'lait  aussi  la  eonviclion  des  liorrles  incen- 
diaires qui  s'étaient  rassemblées  dans  le  mar{;raviat  de  Bade,  et  se 
ruaient  sur  les  couvents  et  les  châteaux.  «  Ton  bien  est  mon  bien, 
mon  bien  est  ton  bien  «,  disait  un  prolétaire  à  un  comte,  :  car  nous 
sommes  tous  frères,  tons  é{;aux  dans  le  Clirisf  '  !  »  Durlach  pactisa 
avec  les  insurgés  et  laissa  pénétrer  environ  trois  mille  hommes  dans 
ses  murs.  Bientôt,  aux  paysans  badois  vinrent  s'unir  les  hordes  de 
l'évéchcde  Spire  venues  du  Brulirain;  elles  au.ssi  s'élaient  assemblées 
pour  prêter  assislance  à  la  jusiice  de  Dieu;  elles  s'étaient  emparées 
de  Bruchsal  et  y  avaieni  installé  un  nouveau  pouvoir  (23  avril).  Il 
avait  été  décidé  qu'a  l'avenir,  deux  de  leurs  chefs,  Frédéric  Wurm 
et  Jean  de  Hall,  refîneraient  sur  le  pays,  dirigeraient  et  conduiraient 
tout  au  nom  des  paysans.  Les  ^  hordes  unies  des  pays  de  Bade  et 
du  Bruhraiu  «  dévastèrent  toutes  les  abbayes  et  châteaux  des  en- 
virons. <  En  somme,  les  paysans  sentaient  leur  cœur  bondir  d'allé- 
gresse à  la  vue  des  ruines  qu'ils  avaient  amoncelées.  >'  Des  pour- 
parlers de  paix  enlamés  par  l'évèque  Georges  de  Spire  et  le 
margrave  Philippe  de  Bade,  et  basés  sur  les  réclamations  des  ré- 
voltés, n'eurent  aucun  résultat;  les  voies  de  fait,  les  pillages  conti- 
nuèrent de  plus  belle.  Dans  le  Palatinat,  où  l'émeute  s'était  égale- 
ment soulevée  presque  partout,  les  énergiques  efforts  du  comte 
palatin  Louis  pour  aj)aiser  la  révolte  et  mettre  fin  aux  dévastations 
n'eurent  aucun  effet  durable^. 


VI 


Après  la  prise  d'FIeilbronn,  les  hordes  des  émeutiers  de  Franconie, 
dispersées  de  côté  et  d'autre,  se  réunirent  à  Gundelsheim,  où  les 
chefs  tinrent  conseil.  Wendel  Hipler,  chancelier  et  premier  secré- 
taire des  rebelles,  proposa  de  solder  les  lansquenets  qui  se  trou- 
vaient en  grand  nombre  dans  les  environs,  et  de  les  employer  à  l'in- 
struction militaire  des  paysans,  afin  qu'on  put  s'appuyer  sur  un  noyau 
de  troupes  expérimentées.  Mais  les  paysans  repoussèrent  ce  plan, 

par  les  paysans  pour  général  en  clief,  parce  que  son  conseil  et  son  habileté 
auraient  plongé  tout  l'Empire  dans  la  détresse,  ou  bien  qu'il  eût  tout  conquis 
pour  lui-niéine,  étant  donné  les  forces  dont  il  disposait  et  la  faible  résistance 
qui  lui  était  faite.  » 

'  Voy.  ZiMMEivMWN,  t-  II,  p.  584-58G. 

^  Battcinkrieg  am  Oberrheim,  dans  Mo.NE,  Quellensammlung,  t.  II,  p.  18-31.  —  Haarer. 
p.  27-34,  36,  50-59.  —  Voyez  IUrtfeldf.r,  Bauernkrieg,  p.  198.  —  GEISSEL,  p.  275- 
297. 


540  GÖTZ  DE  BERLICUINGEX,   GENERAL  EN  CHEF  DES  REBELLES. 

n'étant  nullement  disposés  à  partager  avec  d'autres  le  fruit  de  leurs 
rapines.  En  revanche,  ils  adoptèrent  le  second  projet  de  Hipler,  et 
élirent  pour  leur  général  en  chef  Götz  de  Berlichingen.  Götz,  depuis 
longtemps  leur  ami  ',  se  présenta  donc  au  camp  de  Gundelsheim  et 
fut  reçu  solennellement  dans  la  Fraternité.  On  lit  dans  une  cir- 
culaire datée  du  21  avril  lô2ô  :  «  Moi,  Georges^  .Metzler  de  Ballen- 
berg, général,  et  les  autres  chefs  des  hordes  chrétiennes,  nous  fai- 
sons savoir  à  tous  que  nous  avons  reçu  dans  notre  association  et 
Fraternité  le  très-loyal  chevalier  Götz  de  Berlichingen ^  -  Le  plan 
des  révoltés  était  de  soumettre  d'abord  les  territoires  de  Mayence  et 
de  Wurzbourg,  puis  de  se  porter  vers  Trêves  et  Cologne. 

Le  30  avril,  l'armée  des  rebelles,  commandée  par  Götz  de  Berlichin- 
gen et  Georges  Metzler,  parut  devant  Amorbach,  abbaye  bénédictine. 
Les  deux  chefs  déclarèrent  à  l'abbé  et  aux  conventuels,  •  avec  force 
menaces  et  graves  paroles  ",  qu'ils  étaient  venus  en  qualité  de  frères 
chrétiens  pour  réformer  le  couvent,   et  que  les  religieux  devaient 
«  leur  remettre  de  bon  cœur  tout  l'argent  comptant,  les  ouvrages 
d'orfèvrerie,  les  joyaux,  enfin  tout  ce  qu'ils  possédaient,  sous  peine 
de  perdre  la  vie  ».  Pendant  qu'on  parlementait,  la  ■•  horde  frater- 
nelle ')  pénétra  dans  l'abbaye,  pilla  et  détruisit  tous  les  objets  de 
prix  qu'ils  y  trouvèrent  :  vêtements,  vases  sacrés,  missels  précieux 
recouverts  d'or  et  d'argent,  vins  et  céréales,  bestiaux  et  meubles; 
l'autel  fut  profané,  le  magnifique  orgue  de   l'église  brisé.   «   Et 
tout   cela   -,  dit  une  relation  du  temps,    «   les  chefs,  et  surtout 
Götz,  eussent  pu  aisément  l'empêcher;  mais  leur  propre  intérêt  les 
égara;  ils  crurent  que  là  où  était  la  guerre,  le  pillage  devait  jouer  le 
premier  rôle.  »  Götz  eut  sa  part  du  butin.  Un  lot  de  joyaux  valant  cent 
cinquante  florins  lui  fut  assigné;  la  riche  crosse  de  l'abbé  en  faisait 
partie,  et  sa  «  digne  épouse  »  en  arracha  aussitôt  les  perles  et  les  pier- 
reries pour  se  faire  un  collier.  «  Outre  cela,  les  paysans  abandonnèrent 
au  chevalier-brigand  une  somme  de  cinquante  florins.  L'abbé,  dé- 
pouillé de  son  habit  religieux,  revêtu  d'une  blouse  de  laine  que  quel- 
qu'un lui  avait  prêtée  par  compassion,  dut  assister  au  banquet.  "  On 
ne  but  guère  que  dans  les  calices,  dont  seize  avaient  été  dérobés 
à  l'abbaye.  Comme  l'abbé  ne  parvenait  pas  à  dissimuler  sa  douleur, 
Götz  lui  dit  avec  ironie  :  ><  Soyez  donc  de  bonne  humeur!  ne  prenez 
pas  la  chose  si  à  cœur,  ne  vous  affligez  pas  tant  1  j'ai  été  moi-même 
trois  fois  ruiné,  et  pourtant  je  suis  encore  ici!   L'habitude  vous 
manque!  »   «  Un  pauvre  paysan  apporta  trois  hanaps,  dont  l'un 
d'or  massif  et  les   deux  autres  d'argent  doré.  Il  les  avait,  dit-il, 


'  Voy.  plus  haut,  p.  525. 
-  Dans  OECHSLE,  p. 342. 


INSUKRECTION    A    K  R  A  N  C  K)  IM -S  (!  i;-L  E-.M  K  I  N.  5il 

Irouvés  dans  le  clocher,  sous  les  ardoises,  où  le  sacristain  les  avait 
c;ichés.  Les  chefs  s'eu  saisirent,  et  fircnl  fo(iciU;r  rie  verjjes  le  sa- 
cristain '.  >' 

Ü'Amorbach,  (iötz  et  .Meizler,  en  leur  qualité  de  premiers  chefs  du 
conseil  cl  delà  conin)unaulc  deGundelsIieiin  > ,  firent  publier  un  ordre 
sévère  enjoi[;naut  de  détruire  cntiérenieni  et  de  raser -^  sans  nid  délai 
le  château  d'Horncck,  ancienne  résidence  du  {jrand  maître  de  l'Ordre 
Teutoniquc.  A  AmorJjach,  les  chefs  décidèrent  aussi  le  massacre  de 
tous  les  princes,  seijyneurs  et  nobles;  cependant  ils  s'enp,ageaient 
à  ne  point  in((uiéler  les  {gentilshommes  qui  viendraient  de  leur  plein 
gré  leur  jurer  foi  et  homma[ie^ 

Bientôt  on  apprit  à  Francfort-sur-le-Mein  que  l'armée  évangélique 
marchait  sur  la  ville,  et  se  proposait  d'exterminer  les  chevaliers  de 
l'Ordre  Teu Ionique  et  les  Juifs'. 


VII 


A  Francfort  aussi,  pendant  ces  fêtes  de  Pâques  que  les  paysans 
célébraient  de  tous  côtés,  cette  année-là,  par  des  émeutes  et  des  pil- 
lages '■,  une  émeute  avait  éclaté.  Le  docteur  Gérard  Westerbourg, 
de  Cologne,  beau-frère  de  Carlstadt \  partageant  toutes  ses  vues, 
en  avait  été  le  véritable  instigateur.  Il  se  donnait  pour  ^  un  homme 
de  Dieu  »;  il  avait  fondé  '•  une  Fraternité  évangélique  ",  et  dans  sa 
maison,  ordinairement  pendant  la  nuit,  faisait  de  fréquentes  con- 

'  Tiré  du  cahier  des  doléances  de  Mayence,  dans  OEciisle,  p.  350-352,  Zimmer- 
mann, t.  Il,  p.  504-506. 

^  Berlichingi;n-K()Ss.\h.  Gesch.  des  Ritters  Götz  ton  Berlichingcn  -Leipzlff,  186l'i. 
p.  -230.  —  Voy.  Wegele,  p.  15!)-I64,  où  il  est  ainplemeiit  prouvé  que  Götz  n'était 
pas  aussi  innocent  qu'il  s'est  représenté  dans  ses  mémoires.  Voyez  l'article  de 
A.  Baumgartner  sur  G(ilz,  dans  les  Stimmen  aus  Maria-Laach.  1879,  p.  298-315. 

^  Aveux  de  Dyonisius  Schmid,  dans  OLcusli:,  p.  372. 

*  Sur  l'insurrection  de  Francfort,  voyez  pour  plus  de  détails  Ki\iEr.K.  Frank/ui- 
icr  Bürgerzwiste  und  Zustande,  p.  137-203,  et  Steitz,  Gerhard  lieslerburg,  70-102.  Le 
premier  de  ces  historiens  envisage  les  événements  plutôt  au  point  de  vue  poli- 
tique, le  second  se  place  surtout  au  point  de  \ue  relifjieux  t-t  social,  a  I'o!]- 
vrage  de  Kriegk  comparez  les  articles  d'Otto  dans  les  Histor.  pol.  Bl.,  p.  74,  32t!- 
332.  Sur  la  rédaction  îles  articles  de  Francfort  par  Westerburfj,  voy.  le  .Journal 
de  Königstein,  n»  86,  p-  2-20.  et  les  Annales  de  Fichard,  dans  Fichard' s  Frankfur- 
ter Arcliir.  für  ältere  deutsche  Lilteralur  und  Gesch.  (Francfort,  1811),  p.  16.  Quant  à 
l'origine  des  articles,  comme  Otto  l'avait  déjà  remarqué,  les  recherches  n'ont 
pas  encore  donné  de  résultat  certain.  —  Voy.  Stern,  Die  Artikel  der  Frankfurter 
vom  April  1525,  dans  les  Forschungen  zur  deutschen  Gesch.,  t.  I.V,  p.  631-641,  et 
Stiucker,  dans  les  Mitlhcilungen  des  Vereins  für  Frankfurts  Gesch.  und  Allerthumskundc, 
t.  IV,  p.  195. 

ä  Voy.  K RAFFT,  flricfc  Und  Documente,  p.  85. 


542  INSURRECTION    A    F  R  ANC  FO  RT-S  U  R-L  E-M  E  I  N- 

férences  aux  factieux.  Avant  l'explosion  du  complot,  le  17  avril, 
il  avait  rédigé  des  articles,  qui  avaient  été  envoyés  en  manuscrit 
de  Francfort  à  Mayence,  puis  portés  à  Cologne  pour  y  être  im- 
primés, et  enfin  répandus  par  beaucoup  d'exemplaires,  dans  le  but 
avoué  d'exciter  une  émeute,  s'il  se  pouvait,  simultanée  dans  ces 
deux  villes.  Ces  articles  étaient  à  peu  près  semblables  à  ceux  des 
autres  révoltés;  ils  commençaient  par  rejeter  l'autorité  ecclésiastique 
et  temporelle;  puis  ils  s'élevaient  contre  les  taxes  excessives,  l'usure 
juive,  les  concussions  et  déloyautés  des  avocats,  et,  comme  les  autres, 
se  fondaient  sur  l'Evangile.  Dans  l'envoi  au  conseil  qui  les  précède, 
on  lit  :  "  Bien  que  le  Dieu  tout-puissant  ait  communiqué  à  tant 
d'âmes  l'Esprit  de  vérité  et  le  véritable  sens  de  son  saint  Évangile, 
qui  illumine  les  cœurs  dans  la  foi,  cependant  les  clercs  ont  continné, 
sans  aucun  motif,  à  opprimer  le  saint  Évangile  ;  le  diable,  dont  ils 
sont  les  serviteurs,  a  tout  fait  pour  égarer  le  peuple;  ses  calomnies, 
ses  injures,  colportées  par  ses  agents,  ont  partout  répandu  le  men- 
songe, et  répété  que  la  parole  de  Dieu  engendre  l'émeute.  Or,  comme 
il  vaut  mieux  obéir  à  Dieu  qu'aux  hommes,  il  est  urgent  que  nous 
adoptions  entre  frères  certaines  lois  ayant  en  vue  la  gloire  de  Dieu, 
l'honneur  de  >'otre-Seigneur  Jésus-Christ,  et  le  triomphe  de  l'amour 
et  de  lu  concorde  fraternelle.  Il  faut  que  nous  nous  réformions  nous- 
mêmes,  afin  que  des  étrangers  n'aient  point  à  nous  réformer'.  » 

Déjà,  pendant  un  office  du  carême,  le  bruit  avait  couru  dans 
l'église  qu'avant  la  fin  de  la  messe  "  on  verrait  dans  la  ville  quelque 
chose  de  nouveau,  parce  qu'une  vaste  conspiration  e!  émeute  se  tra- 
mait, et  que  nobles  et  roturiers  en  faisaient  partie  ».  Le  17  avril,  les 
habitants  des  principaux  faubourgs  s'unirent,  et  quelques  jours 
après,  la  ville  était  au  pouvoir  des  insurgés.  <  L'honorable  conseil  ", 
dit  la  Chronique  de  la  ville,  «  était  semblable  à  un  orphelin  surpris, 
trahi,  abandonné  et  désarmé,  et  comme  ceux  qui  ne  sont  plus  en  sé- 
curité de  leurs  corps,  de  leur  vie,  de  leur  honneur  et  de  leurs  biens*.  » 
Les  chefs  des  insurgés  qui  avaient  formé  un  comité  révolutionnaire 
composé  de  soixante  et  onze  membres  étaient  :  le  tailleur  JNico- 
las  Wild,  surnommé  '  le  Guerrier  ",  parce  qu'il  avait  servi  quelque 
temps;  puis  l'ami  de  Westerbourg,  Hans  Hamerschraidt  de  Siegen, 
"  chef  hardi  des  cordonniers  et  des  apprentis  cordonniers^  ».  Le 
conseil  ayant  demandé  que  quatre  de  ses  membres  fussent  adjoints 

'  Voy.  Steitz,  p.  75. 

^  Aufiùhrbuchj  p.  7. 

S  Voy.  Kriegk,  p.  509,  note  !09.  •  Duo  ex  infima  plèbe,  alter  si:tor,  alter  sar- 
tor,  seditionis  fuere  capita,  »  lisons-nous  dans  une  relation  de  l'émeute  com- 
muniquée par  Faust.  Fischard  dit  aussi  dans  ses  Annules:  «  Duces  illiusscdilionis, 
quorum  praecipui  eraut  Nicolaus  Wild,  sartor,  vir  temerarius  et  inter  milites 
aliquot  annis  versalus,  unde  vulgo  dicebatur  a!io  cogncraine  N.  Krieger,  alter 


INSURRECTIONS  I>ANS  I  ES  KV^XIIKS   liE  MA^ENrF   ET  UV.  TRftVES.     5Vi 

au  comilo,  les  révoltés  ré|)ontlirenl  ([»'ils  n'avaicnl  .uiciin  besoin 
fie  conseillers;  qu'ils  étaient  à  eux-mêmes  leurs  conseillers,  leurs 
bourgmestres,  leur  pape  et  leur  empereur.  Les  villages  environ- 
nants pactisèrent  avec  les  rebelles,  et  vinrent  appr)rlcr  leurs  récla- 
mations au  conseil. 

Dans  une  adresse  présentée  le  22  avril  au  conseil  par  le  comité 
révolutionnaire  après  la  remise  des  articles,  nous  lisons  :  u  si  nous 
devions  nous  en  rapporter  aux  anciens  contrats  et  aux  lois  hu- 
maines, comme  cela  s'est  pratiqué  jusqu'à  présent,  il  nous  faudrait 
abandonner  la  parole  de  Dieu  et  renoncer  à  l'amour  fraternel;  or 
nous  sommes  chrétiens,  et  il  ne  peut  nous  convenir  en  aucune  ma- 
nière de  nous  laisser  plus  longtemps  opprimer  par  des  maximes 
païennes,  opposées  à  rKvangile.  Nous  aimerions  mieux  perdre 
nos  biens  et  nos  vies  que  de  tolérer  que  la  crainte  des  homme«,  les 
institutions  humaines  ou  les  privilèges  portassent  plus  longtemps 
atteinte  à  la  parole  de  Dieu.  Cependant  si  par  mégarde  il  s'était 
glissé  dans  un  ou  plusieurs  de  nos  articles  quelque  réclamation  con- 
traire à  l'Kvangile  ou  blessant  la  charité  fraternelle,  et  si  ce  fait 
nous  était  démontré  par  des  textes  précis,  tirés  de  la  sainte  Ecri- 
ture, nous  consentirions  aussitôt,  pour  la  gloire  de  cette  divine  pa- 
role, en  toute  cordialité  et  bonne  volonté,  à  nous  laisser  corriger, 
et  nous  aurions  égard  à  la  remontrance  qui  nous  seniit  adressée. 
Mais  ce  fait  ne  s'élant  pas  encore  produit,  nous  déclarons  ne  pas 
vouloir  nous  laisser  égarer  <à  l'avenir  par  les  lois  humaines,  résolus 
que  nous  sommes  à  persévérer  dans  l'observance  de  la  parole  de 
Dieu  et  dans  la  pratique  de  la  charité  chrétienne'. 

Les  insurgés  ne  cessèrent  de  menacer  et  d'intimider  qu'après 
avoir  obtenu  du  conseil  et  du  clergé  la  sanction  de  tout  ce  qu'ils 
réclamaient.  «  Le  conseil  ",  lisons-nous  dans  un  acte  municipal  offi- 
ciel, «  ne  sachant  comment  se  comporter  dans  des  circonstances 
si  difficiles,  se  résigne,  en  présence  de  l'injuste  violence  qui  lui 
est  faite,  à  adopter,  comme  on  le  lui  demande,  les  articles  pro- 
posés. »  Les  conseillers  jurèrent  donc  d'observer  les  articles,  au 
nombre  de  quarante-cinq;  puis  les  bourgeois,  levant  la  main,  re- 
nouvelèrent leur  serment.  La  révolution  paraissait  apaisée  et  la 
tranquillité  rétablie. 

IMais  on  s'aperçut  bientôt  de  l'importance  qu'avait  l'habile  res- 
triction placée  à  la  fin  des  articles.  Les  insurgés,  eu  effet,  s'étaient 
réservé  le  droit,  si  le  besoin  s'en  faisait  sentir,  d'y  ajouter  les  récla- 

.loaiines  Ilamerschmilt  a  Sigen,  siilor,  ambo  vicini  el  veteres  amici.  -  Aufruhrlmch, 
t.  VIII,  note  1.  Voy.  Cochl-EUS,  De  actis  et  scn'ptis  Luiluri,  p.  115. 
'  Au/iuhibtick,  p.  45-46.  —  Voy.  Steitz,  Gerhard  Wcslcrburg,  p.  8"2. 


544     INSURRECTIONS   DANS  LES  EVÉCHES  DE  MAYENCE  ET  DE  TRÊVES. 

mations  «  qui,  après  un  raiîr  examen,  sembleraient  légitimes  et  vrai- 
ment conformes  à  la  volonté  divine  .  Aussi  le  comité  révolution- 
naire, au  lieu  de  se  dissoudre,  forma-t-il  avec  les  plus  radicaux  de 
ses  membres  un  comité  plus  restreint  qui,  sous  la  présidence 
d'Hans  Hammersclimidt,  apportait  tous  les  jours  de  nouvelles  de- 
mandes au  conseil,  ajoutant  continuellement  à  ce  qui  avait  été 
adopté,  "  imaginant,  forgeant  sans  cesse  de  nouveaux  articles,  et 
s'efforçant  de  rendre  les  anneaux  de  la  chaîne  toujours  plus  longs 
et  pUis  solides  >■. 

Dans  les  villes  et  villages,  de  Mayence  à  Coblent?,  les  paysans  et 
les  bourgeois  se  soulevaient.  A  Mayence,  le  25  avril,  les  insurgés 
s'emparèrent  des  portes  de  la  ville,  et  se  saisirent  de  Tartillerie. 
Le  coadjuteur  de  Tarchevéque,  Guillaume,  évèque  de  Strasbourg,  et 
le  chapitre,  parlemenièrent  avec  eux,  et  consentirent  à  adopter  les 
articles*.  Les  chefs  de  la  révolte  distribuèrent  dans  tout  le  Bhein- 
gau  «  des  symboles  d'alliance,  des  invitations  à  l'émeute,  des  as- 
surances de  mutuel  secours^  ».  Tout  le  pays  était  travaillé  par 
des  agents  révolutionnaires  éloquents  et  habiles,  probablement 
envoyés  par  Luther;  ils  représentaient  tous  les  jours  aux  gens 
du  peuple  que  si,  imitant  l'exemple  donné  par  tant  de  sujets  des 
princes  de  l'Église,  ils  savaient  se  débarrasser  du  gouvernement 
des  clercs  et  voulaient  enfin  être  libres,  ils  n'avaient  point  de 
temps  à  ])erdre,  et  devaient  profiter  d'un  moment  où  ils  pou- 
vaient compter  rur  la  sûre  protection  de  princes  puissants  et 
de  seigneurs  dévoués  ^  Le  Rheingau  ne  tarda  donc  pas  à  lever 
aussi  l'étendard  de  la  révolte;  le  coadjuteur  et  le  chapitre  furent 
sommés  d'adopter  les  articles".  Aux  environs  de  Trêves,  dans  les 
territoires  de   Sarrebourg  et   de   Blies -Castel,   des   insurrections 

'  Voy.  Hennés,  Albrechl  von  Brandeuburii,  p.  212-216.  —  May,  t.   I,  p.  665-669. 

-  Voy.  BODMANN,  Rheingauischc  AUerlhiimer ,  p.  416,  note  6. 

^  Aus  den  Manualactcn  des  rhcingauischen  Statthalters  Vltsthum  Heinrich  Brömser,  dnns 
BODMANN,  p.  419,  note  4.  —  Voy.  Falk,  Luther  und  der  Bauernaufruhr  im  liheingav, 
dans  le  Katholik,  1877,  p.  lOi-108. 

■*  L'un  de  ces  articles  portait  :  »  .\ucun  Juif  n'habitera  ou  ne  séjournera  à  l'ave- 
nir dans  le  Rheinfïau,  àcause  du  dommage  que  les  Juifs  font  au  pauvre  homme. 
SCHIJNK,  Beitrage  zur  Mainzer  Geschichte^  t.  1,  p.  181,  201.  Un  article  présenté  par 
les  paysans  du  Sundgau  et  de  l'Alsace  demande  aussi  que  «  tous  les  Juifs  soient 
chassés  du  pays,  que  les  autorités  ne  leur  concèdent  ni  droit  de  bourgeoisie  ni 
droit  de  colon,  et  qu'elles  ne  leur  accordent  ni  protecliou  ni  asile  ».  La  chevalerie 
du  Rheingau  déclarait  relativement  à  cet  arti;  le  «  qu'en  ce  qui  la  concernait,  elle 
l'acceptait  entièrement  ».  —  Schreiber,  Bauemlricj,  t.  III,  p.  20,  31.  Les  paysans 
des  environs  d'Isenheira  voulaient  qu'on  leur  livrât  îous  les  biens  des  Juifs  et  des 
prêtres,  pour  qu'ils  en  fassent  tel  emploi  qu'il  leur  plairait.  A  Rergheim,  lesémeu- 
tiers  mirent  en  pièces  tous  les  livres  juifs  et  saccagèrent  les  synagogues.  Hart- 
FELDEK,  Bauernkrieg,  p.  27,  83.  Les  bourgeois  de  Mayence  se  bornaient  à  demander 
que  le  commerce,  les  ventes  et  les  achats  de  vêtements,  d'argenterie,  de  vaisselle 
d'étain,  d'objets  neufs  ou  vieux,  sans  en  rien  excepter,  leur  fussent  interdits. 


FHANCFOirr-SUR-LE-MKIN    MKNACKE.    J5i5  515 

t'clnlèrent  eu  mémo  (enips.  Wesel  et  lioppard  fureiil  sur  le  point 
de  p;icliser  avec  les  rebelles.  La  nouvelle  de  ra|)|)roche  des  paysans 
ineendiaires  jetait  les  populations  dans  réponvanle.  «  F.n  l'espace 
de  (juelques  jours  >•,  écrit  l'arclievcVjue  liicliard  de  Trêves  le 
17  avril,  <  beaucouj)  de  hameaux  et  de  villages  des  bords  du  Rhin 
ont  été  criminellcnieni  incendiés,  soif  tolalemeni,  soit  en  |)arlie, 
et  Ton  prétend  que  des  niendianls,  des  {jeiis  sans  aveu,  ont  élé 
chargés  de  la  beso{;ue  '.  '• 

L'  «  année  unie  de  l'CJdeuwald  ;'  s'ellorçail,  au  moyen  de  ses 
émissaires,  de  contraindre  les  populations  des  diverses  régions  de 
l'archevêché  de  .Mayence  à  embrasser  la  <  sainte  cause  de  l'Évangile  » . 
Francfort  aussi,  disaient  les  chefs,  devait  être  obligée  à  se  convertir. 
Sous  la  conduite  de  GiUz  de  Berlicliingen  et  de  (ieorges  >îelzler, 
l'armée  des  rebelles  résolut  de  marcher  sur  cette  ville.  A  celte  nou- 
velle, le  conseil  de  Francfort  se  iiàia  de  demander  aux  corporations 
s'il  pouvait  compter  sur  elles  en  une  nécessité  si  pressante.  Oiielques- 
unes  répondirent  <  qu'elles  exposeraient  volontiers  leurs  corps  et 
leurs  biens  pour  le  service  de  l'honorable  conseil  et  de  la  commune, 
et  qu'elles  avaient  bonne  souvenance  de  ce  qu'elles  avaient  jadis  pro- 
mis et  juré,  mais  que,  dans  la  crainte  d'attirer  de  grandes  calami»és 
sur  Francfort,  elles  ne  s'engageaient  nullement  à  prendre  la  défense 
des  clercs  et  des  .luifs  ».  D'autres  déclarèrent  que,  si  les  paysans  se 
présentaient,  elles  étaient  décidées  à  ne  plus  obéir  qu'au  comité  révo- 
lutionnaire.  "  il  y  avait  dans  les  corporations  ><,  dit  Konigstein, 

qu'ilsii'exerçassent  plus  le  mélier  de  changeur,  qu'ils  s'abstinssent  de  toute  espèce 
de  commerce  jusqu'.^  la  procluiine  foire,  etc.,  etc.,  Sciunk,  t.  HI,  p.  69  19  avril). 
.\  Francfort,  la  populace  fut  sur  le  point  de  se  ruer  sur  les  Juifs,  qui  ne  durent 
leur  salut  qu'à  rinterveuiiou  de  quelques  liourjjeois  courageux.  Dans  leurs 
articles,  les  Francforlois  demandaient  •  que  rinloléraljle  usure  par  laquelle  les 
.luifs  oppriment  le  pauvre  homme  leur  fi*!!  absolument  interdite,  et  qu'à  1  avenir 
il  leur  fi\i  défendu  soit  d'acheter,  soit  de  vendre,  f.e  conseil  répondit  ù  ces  récla- 
mations que,  de  son  côté,  il  était  résolu  à  ne  plus  tolérer  linique  usure  juive,  dont, 
au  reste,  il  n'avait  pas  élé  suffisamment  informé:  mais  qu'il  serait  difficile  de 
défendre  aux  .luifs  de  vendre  ou  d'acheter  à  l'intérieur  de  la  ville.  -  Kirchnep., 
Geschichte  von  Franc/uri,  t.  Il,  p.  513-521.  Dans  une  lettre  de  .Mutian  à  Frédéric  de 
Saxe  '25  avril  15J5',  il  dit  que  les  entretiens  qu'il  a  eus  avec  les  hommes  les  plus 
éclairés  de  son  temps  l'ont  convaincu  que  les  villes  libres,  par  de  secrètes  ma- 
chinations et  sous  le  couvert  de  l'Évangile,  excitaient  en  sous-main  les  paysans 
à  la  révolte,  encourageaient  les  intrigues  de  meneurs  turbulents,  soutenus  par 
les  .luifs,  rêvaient  la  ruine  des  maisons  princières,  de  la  haute  noblesse,  du  gou- 
verneur, des  évéques  et  des  princes  spirituels,  et  songeaient  à  donner  à  l'État  la 
forme  républicaine.  Ce  témoignage  est  curieux.  —  Tentzelii  Rel.  epp.  Miuiani, 
p.  75.  En  ce  qui  concerne  les  plans  des  villes  libres,  il  ne  manque  pas  de  vrai- 
semblance; mais  par  rapport  aux  Juifs,  aucun  fait  ne  le  confirme.  En  tout  cas,  on 
ne  peut  conclure  des  paroles  de  Mutian  que  les  Juifs  aient  jamais  formé  quelque 
alliance  avec  les  paysans.  —  Voy.  \.  Stekn,  De  Juden  im  grossen  deutschen  Bauern- 
krieg  1525,  dans  le  Jüdischen  Zeitschrift  für  Wissenschaft  und  Leben  (Breslau,  1S70', 
8"  année,  57-72. 

'  Kraus,  Deiiräge,  16-17. 

11.  35 


5i6   TRAITÉ  CONCLU  PAR  LE  COADJUTEUR  AVEC  LES  REBELLES.  1525. 

«  bon  nombre  dé  misérables  qui  se  réjouissaient  de  conduire  à  l'abat- 
toir les  prêtres,  les  Juifs  et  les  chevaliers  de  Saint-.lean,  et  donnaient 
à  entendre  qu'ils  n'observeraient  les  articles  qu'autant  qu'ils  les 
trouveraient  ä  leur  gré.  •  La  maison  du  grand  maître  de  l'Ordre  Teu- 
tonique  fut  menacée  de  pillage;  les  compagnons  s'emparèrent  de 
plusieurs  propriétés  foncières  appartenant  à  la  ville;  ils  allaient  de 
maison  eu  maison,  cherchant  à  exciter  l'émeute.  Un  membre  du 
comité  révolutionnaire  courut  sonner  le  tocsin,  voulant,  disait-il, 
mettre  sur  pied  la  populace,  surprendre  les  conseillers  et  traiter  avec 
euK  à  sa  guise.  Le  vieux  bourgmestre,  assailli  dans  sa  maison,  dut 
payer  une  rançon  de  cent  florins;  entre  le  parti  radical  et  le  parti 
modéré,  les  choses  en  vinrent  bientôt  à  une  lutte  ouverte'. 

Heureusement,  l'  armée  de  l'Union  changea  lout  à  coup  son 
plan  de  campagne.  Ce  revirement  subit  lut  pour  Francfort  comme 
un  sauvetage  opéré  au  moment  du  plus  extrême  péril  ". 

L'armée,  après  avoir  contraint  les  neuf  villes  de  l'archevêché  de 
Mayence  situées  dans  l'Odemvald  et  sur  le  Rhin  à  faire  partie  de 
r  Ci  Union  ",  rebroussa  chemin,  et  vint  assiéger  dans  son  château 
le  coadjuteur  de  l'archevêque  d'Aschaffenbourg.  La  bourgeoisie 
seconda  les  insurgés  de  tout  sou  pouvoir.  ■-  Nous  avions  solennel- 
lement promis  au  coadjuteur  Guillaume,  lorsque  nous  fûmes  infor- 
més de  la  venue  des  paysans,  d'exposer  notre  corps  et  nos  biens  pour 
Sa  Grâce  '■ ,  avouait  plus  tard  le  conseil,  '^  et  le  coadjuteur  avait  accepté 
tous  les  articles  que  nous  lui  avions  présentés,  nous  donnant  eu  outre 
beaucoup  de  gracieuses  assurances.  Mais  nous  avons  pitoyablement 
oublié  nos  serments.  »  Le  coadjuteur  ayant  manifesté  l'inteulion  de 
s'embarquer  pour  Steinheim  avec  sa  suite  et  toute  la  chancellerie, 
les  bourgeois  s'ameutèrent,  coururent  aux  armes,  s'emparèrent  des 
portes  de  la  ville,  élevèrent  des  barricades  avec  des  charrettes,  des 
tonneaux,  des  arquebuses,  laissèrent  pénétrer  dans  la  ville  deux  cents 
paysans  de  Spessart  et,  secondés  par  eux,  tinrent  durant  trois  jours 
le  coadjuteur  prisonnier  dans  son  château,  jusqu'à  ce  qu'enfin  il  eût 
consenti  à  parlementer  avec  l'Union  et  à  accepter  les  articles.  En- 
suite ils  proposèrent  aux  paysans  de  Spessart  d'assaillir  les  maisons 
des  clercs,  promettant  de  les  y  aider,  d'emporter  tout  le  vin  qu'on 
pourrait  y  trouver,  et  de  le  boire  avec  eux.  Ils  poussèrent  aussi  à 
la  révolte  les  villageois  des  environs,  et  en  envoyèrent  un  grand 
nombre  seconder  les  bourgeois  qui  déjà  marchaient  sur  Wurzbourg  ^ 

'  Pour  plus  de  détails,  voy.  Kriegk,  p,  168-178. 

*  l'eischreibuiig  von  Montag  nach  unsers  Herrn  Frojileichnamslag  (19  juin)  1525,  dans 
M.\.Y.  Beilauen  und  Urkunden,  p.  145-150.  —  Voy.  la  lettre  de  l'évêque  (^iuiliaume  à 
l'archevêque  Richard  de  Trêves,  vendredi  après  Misericordiœ  (5.  mai;  1525,  dans 
Kraus,  p.  30-31. 


EM  K  UTK    DANS    f,  F.  V  I- C  H  K    [iE    \V  t:  i;  Z  C  0  U  li  G.    1525.  5i7 

Non-sculcmcnl  le  coadjiilcur,  .ipprouvé  pur  le  chapitre,  adopta  les 
douze  articles  dans  le  traité  qu'il  conclut  le  7  mai  avec  les  insurgés, 
mais  il  eut  encore  la  faihicsse  cracceplei'  luiil  ar-liclcs  sup|)léineri- 
laircs,  calculés  pour  (■Iciidre  l'insurreclion  à  tout  le  |)ays.  Les  villes 
et  villages  y  étaient  sommés  de  i-aliticr  le  traité,  de  promettre  et 
de  jurer  de  le  niainlenir,  et  en  consé(|uence  de  se  montrer  obéis- 
sants envers  les  cliel's  élus  par  l'Union.  Les  communes  qui  relu- 
seraieut  de  se  soumettre  pouvaient  s'attendre  à  être  assaillies.  Elles 
devaient  s'engager,  en  cas  de  nécessité,  â  aider  et  à  protéger  les 
Irères  chrétiens,  c.  et  à  mettre  à  leur  disposition  les  fusils  et  pièces 
d'artillerie  -.  Tous  les  nobles  devaient,  dans  le  courant  du  mois,  se 
présenter  devant  les  chefs  de  l'Cuion  et  se  faire  recevoir  dans 
la  Fraternité.  S'ils  s'y  refusaient,  on  devait  les  y  contraindre.  Le 
cler};é  de  l'archevêché  devait  fournir,  dans  un  délai  de  (juinze  jours, 
une  somme  de  (juinze  mille  florins.  «  Tous  les  couvents  seraient 
ouverts  »,  et  le  prêtre  ou  le  religieux  qui  continuerait  à  porter  un 
habit  particulier  serait  exclu  de  la  ^<  concorde  et  union  frater- 
nelle .  Le  coadjuteur  souscrivit  à  tout,  et  promit  en  outre  de  se 
soumettre  à  ce  qui  serait  adopté  et  ordonné  dans  la  suite  par  des 
personnes  équitables,  éclairées,  compétentes  et  propres  à  bien 
juger  des  véi-itables  intérêts  du  pays.  Le  conseiller  du  coadju- 
teur, Max  Stumpf,  qui  eut  à  cette  négociation  la  part  la  plus  im- 
portante, alla  jusqu'à  promettre  aux  rebelles  de  marcher  avec  eux 
sur  Wurzbourg  ', 

Le  comte  Georges  de  Wertheim  ne  montra  pas  plus  de  courage. 
Il  vint  en  personne  au  quartier  général  de  l'armée  de  l'union,  à  Mil- 
tenberg, où  avait  été  signé  ce  traité.  Il  prêta  serment  de  fidélité  aux 
chefs  des  insurgés  en  leur  donnant  la  main,  promit  de  les  aider  de 
sa  personne  et  de  ses  biens,  leur  envoya  tout  de  suite  des  vivres  et, 
comme  l'armée  se  disposait  à  quitter  Miltenberg,  se  mit  en  devoir 
de  la  suivre  avec  son  artillerie  et  d'abondantes  munitions-.  Il  in- 
cendia et  saccagea  deux  villages  des  environs,  l'abbaye  de  Bronn- 
bach,  le  monastère  des  Carmes  à  Grünau,  près  de  Wertheim,  et 
le  cloitre  bénédictin  de  Holzkirchen,  entre  Weriheim  et  Wurz- 
bourg ^  Aussi  l'évêque  de  Wurzbourg  se  plaignait-il  plus  tard 
amèrement  du  comte  Georges.  Il  avait,  disait-il,  lâchement  aban- 
donné son  seigneur  au  moment  de  sa  plus  extrême  détresse.  Non- 
seulement,  après  en  avoir  été  requis,  il  avait  refusé  de  lui  envoyer 

•  Voy.  Zimmermann,  t.  II.  p.  5Î9-521.  —  Hennés,  p.  205-207. 

-  Voy.  Zimmermann,  t.  II.  p.  521. 

'  S'il  faut  en  croire  le  Livre  brun  des  archives  de  de  Wertheim,  docu- 
ment qui  du  reste  n'est  nullement  défavorable  au  comte.  Communiqué  par 
A.  Raufmann,  dans  les  Freiburgr^  Diöeeian  Archiv.,  t.  II,  p.  50. 

35. 


548  ÉMEUTE    DANS    L'ÉVÈCHÉ    DE    VVUIiZBOURG.    1525. 

des  troupes  et  de  prêler  son  artillerie,  mais  il  avait  été  jusqu'à  se 
joindre  aux  ennemis,  à  faire  cause  commune  avec  eux;  il  leur  avait 
fourni  d'importants  subsides,  des  arquebuses,  de  la  poudre,  com- 
battant dans  leurs  rangs,  et  portant  ainsi  un  nofable  dommage  à 
son  légitime  seigneur.  A  la  tète  de  sa  petite  armée,  il  avait  assailli 
avec  les  rebelles  le  château  fort  de  Wurzbourg,  agissant  non  pas 
en  vassal,  mais  en  révolté'.  Götz  de  Berlichingen,  également  vassal 
de  l'évêque,  ne  tarda  pas  à  lui  signifier  aussi  son  refus  de  le  recon- 
naître à  l'avenir  pour  son  seigneur.  Lui.  Georges  Metzler,  et  1'  .-  ar- 
mée générale  de  l'Union  de  la  vallée  du  Neckar  et  de  TOdemvald  », 
sommèrent  l'évêque  d'adopter  les  douze  articles,  «  et  toutes  les  ré- 
formes qui  seraient  plus  tard  imposées  aux  Ordres  et  autorités.  Toutes 
les  lois  allaient  être  modifiées,  amplifiées,  améliorées  ;  d'autres  se- 
raient promulguées;  l'évêque  devrait  consentir  à  tout.  Jusque-là 
-  le  saint  Évangile  et  la  parole  de  Dieu  n'ayant  été  ni  annoncés  ni 
expliqués  suffisamment,  les  paysans  avaient  été  non-seulement 
trains,  mais  grandement  et  indiciblement  opprimés  »  ;  ils  avaient 
été  accablés  de  si  rudes  fardeaux  <  qu'il  était  impossible  à  des  cœurs 
chrétiens  de  les  endurer  davantage  ».  L'Union  accordait  quatre  jours 
à  l'évêque  pour  envoyer  ses  pleins  pouvoirs  et  conclure  un  traité. 
S'il  dépassait  ce  terme,  elle  le  prévenait  qu'elle  se  verrait  con- 
trainte de  protéger  par  les  armes  ses  frères  chrétiens,  répandus  dans 
tout  le  pays^  Du  reste,  les  sujets  de  l'évêque  invitaient  eux-mêmes 
les  pa^sans  de  l'Odenwald  et  de  la  Franconie  à  assaillir  Wurzbourg  ^ 

Tout  le  pays  était  en  pleine  insurrection. 

^c  Les  événements  vont  si  vite  chez  nous  et  sont  si  gros  de  périls  >-, 
écrivait  le  16  avril  le  chancelier  de  l'évêque  à  un  de  ses  parents  rési- 
dant à  Constance,  -  que  tout  le  monde  supporte  la  vie  à  regret, 
qu'il  soit  maître  ou  serviteur.  Sept  villes  et  neuf  bailliages,  dans 
l'espace  de  trois  jours,  ont  abandonné  Sa  Grâce,  et  Wurzbourg  se 
montre  si  mal  disposée  pour  elle,  que  personne  ne  saurait  dire  si  Sa 
Grâce  est  encore  en  vie!  "  -  On  n'entend  retentir  que  ce  cri  :  A  mort! 
à  mort!  Aussi  beaucoup  de  chanoines  ont-ils  quitté  la  ville;  quelques- 
uns  se  sont  réfugiés  à  Mayence,  d'autres  au  château  de  Wurzbourg, 
d'autres  dans  quelque  sûr  abri.  Je  ne  voudrais  pas  pour  cent  florins 

'  *  Handlung  zwischen  U'ürzburg  und  H'erthcim  zu  Heidelberg,  vom  Montag  nach  Inroca- 
vit  iö27.  h'lngeiniyiksn"  ^.  l'nterlassener  Assiilenz  des  Grafen  Jörg  und  Hilf  gegen  ll'ürz- 
burq  in  der  Bauerschcn  Aufruhr.  Dans  la  Gemeinschaft.  Fürstl.  Löicensteinischen  Archiv, 
zu  U'eriheim.  Pftirrsachen,  n«  1.  Le  coiute  f^eorf^es  chercha  dans  la  suite  à  se  justi- 
fier et  à  prouver  •  que  sa  conduite  avait  été  celle  d'un  gentilhomme  loyal  eL 
pieux  ».  —  Voy.  aussi  la  Zimmeritchen  Chronik,  t.  III,  p.  59. 

*  Daté  d'Amorbach,  4  mai  1525.  Yoy.  Laurent  Fries,  p.  191-194.  —  Voy. 
l'excellente  réponse  de  l'archevêque,  qui  s'était  réfugié  à  Heidelberg,  p.  199-200. 

^  «  Comme  j'ai  pu  m'en  assurer  par  mainte  lettre  »,  dit  Laurent  Fuies,  p.  174. 


ROTIIENBOUIU;    FAIT    ALLIANCE    AVEC    LES    PAYSANS.    1525.    540 

passer  les  f(Mes  de  P;U|ues  ici,,  car  la  population,  adonnée  à  l'ivro- 
{Vncrie,  est  brutale  cl  féroce  dès  qu'elle  est  excitée.  Les  paysaus  de 
Franconie  ont  enlevé  à  mon  {yracieux  sei(ïneur  beaucoup  de  couvents 
et  (jnelciiies  cliAteaux,  villes,  bour{',s  et  villages,  dont  une  partie  a  été 
incendiée.  "  «  11  nous  faut  supporter  d'inexprimables  an{;oisses  et 
travaux;  moi  et  quatorze  autres  secrétaires,  nous  siégeons  au  con- 
seil jour  et  nuit;  il  laut  sans  cesse  écrire,  inventer  des  expédients. 
Mon  gracieux  seigneur  et  moi  n'avons  certainement  pas  dormi 
seize  heures  en  Tespace  de  huit  jours.  ^  Tandis  qu'il  écrit,  la  nou- 
velle lui  arrive  que  deux  villes  et  trois  bailliages  viennent  encore  de 
se  rendre  aux  insurjjes.  «  Toute  cette  population  est  perverse, 
dépravée  plus  qu'on  ne  peut  dire  %  ra|)porte-l-il;  «  lorsque  par 
hasard  nos  cavaliers  mettent  la  main  sur  un  rebelle,  il  se  laisse 
égorger  sans  nulle  résistance,  comme  un  poulet;  ce  peuple  est 
méchant  et  lâche.  Au  reste,  à  mon  avis,  ce  qui  nous  arrive  a  été 
envoyé  par  Dieu  pour  le  châtiment  des  clercs  et  des  séculiers".  » 

Tandis  que  l'armée  évangéliquc  d'une  part  et  l'armée  de  Fran- 
conie de  l'autre  se  dirigeaient  vers  Wurzbourg-,  et  que,  par  tontes 
les  routes,  s'approchaient  de  la  ville  des  milliers  de  '  nettoyeurs  de 
coffres  et  de  videurs  de  bourses-  »,  lesquels  se  livraient  en  chemin  à 
d'horribles  dévastations,  les  frères  chrétiens  faisaient  à  Rothenbourg 
"  une  bonne  affaire  ». 

Les  chefs  de  IT'nion  avaient  écrit  au  conseil  de  Rothenbourg:  ^  C'est 
par  l'ordre  de  Dieu  que  l'insurrection  s'est  soulevée.  Voire  ville, 
pour  l'établissement  du  saint  Évangile,  pour  l'accroissement  de  la 
justice  et  le  maintien  de  la  parole  divine,  doit  se  joindre  à  l'Cniou  et 
nous  envoyer  loiile  son  artillerie,  avec  des  munitions  suffisantes  et 
des  troupes;  si  les  bourgeois  veulent  être  nos  frères,  il  faut,  dans 
cette  pressante  nécessité,  qu'ils  abandonnent  femmes  et  enfants, 
avoir  et  bien,  et  qu'ils  accourent  nous  rejoindre.  Nous  vous  ordon- 
nons de  nous  ouvrir  vos  portes.  «  Là-dessus  la  pire  canaille  de  la  ville 

'  Laurent  Fries,  p.  116  119.  Cette  lettre  tomba  entre  les  mains  des  paysans,  et 
n'y  causa  p:is  peu  d'émotion,  parre  quelle  renfermait  aussi  la  nouvelle  que  la 
lifjue  souabe  n'avait  pas  l'intention  d'envoyer  des  secouurs  ù  l'évèque.  ^  Ema- 
nant d'un  con.>ei!ler  très-intime  de  l'évèque  »,  écrit  Laurent  Fries,  »  on  ne  mit 
pas  en  doute  la  nouvelle,  et  l'on  tint  pour  certain  que  la  lißue  ne  ferait  rien 
pour  l'évèque  de  Wurzbourg.  Aussi  les  gens  des  campaf^nes  avoisinantes  com- 
mencèrent-ils à  hésiter.  Florian  Geyer  avait  dit  ouvertement  ^  que  lui  et  ses 
frères  les  paysans  avaient  arrangé  les  choses  de  manière  que  chaque  prince 
eilt  la  danse  iparlant  de  l'émeute)  devant  sa  porte,  et  qu'ainsi  aucun  ne  pi\t 
fournir  de  l'aide  à  l'autre  ».  Plus  d'un  honnête  paysan  commença  donc  à  douter 
de  ce  qu'il  devait  f.iire,  voyant  que  l'autorité  n'enverrait  ni  aide  ni  secours. 
La  lettre  du  secrétaire  intime  avait  été  imprimée,  et  en  peu  de  Jours  expédiée 
à  toutes  les  villes  et  bourgades  de  l'évé^hé.  ■ 

-  Voy.  ŒCHSLE,  p.  149. 


550    ROTHENBOURG    FAIT    ALLIANCE    AVEC    LES    PAYSANS.    1525. 

menaça  le  conseil  de  sonner  le  tocsin, .de  courir  aux  armes  et  d'aller 
grossir  Tarmee  rebelle,  s'il  refusait  de  laisser  entrer  les  frères  chré- 
tiens. Les  lansquenets  de  service  dans  la  ville  déclarèrent  à  leur  tour 
qu'aussitôt  l'arrivée  des  paysans,  ils  abandonneraient  leur  poste. 
Au  sein  même  du  conseil,  le  parti  révolutionnaire  était  le  plus  fort; 
taudis  que  des  pourparlers  étaient  entamés,  ce  parti,  pactisant  avec 
les  ouvriers  révoltés,  décida  que  tout  ce  qui  appartenait  aux  prêtres 
séculiers  (bien  que  ceux-ci  eussent  renoncé  a  l'habit  ecclésiastique 
et  consenti  à  faire  corvée  comme  les  autresi  serait  saisi;  que  les  vivres 
trouvés  chez  les  clercs,  céréales  et  vins,  seraient  immédiatement  par- 
tagés, de  manière  que  chaque  bourgeois  pût  en  avoir  sa  part;  qu'on 
vendrait  l'orfèvrerie  d'église  et  les  calices,  et  que  du  prix  qu'on  en 
retirerait  on  payerait  la  solde  des  bourgeois.  •  11  restait  à  peine 
aux  prêtres  dépouillés,  aux  moines  et  aux  religieuses  une  croûte  de 
pain  à  mettre  sous  la  dent,  et,  dans  la  ville,  jeunes  et  vieux  se  li- 
vraient à  la  bonne  chère  et  s'enivraient  comme  des  brutes.  Les  rues 
étaient  jonchées  de  gens  qui,  ne  pouvant  plus  se  soutenir  sur  leurs 
jambes,  se  couchaient  le  long  des  murs;  on  voyait  parmi  eux  beau- 
coup de  jeunes  enfants.  »  Le  14  mai,  la  ville  conclut  un  traité  avec 
les  paysans  de  Franconie,  On  lit  dans  les  articles  de  ce  contrat  :  i  En 
l>remier  lieu,  l'armée  de  l'Union  se  propose  d'établir  le  règne  de  la 
sainte  parole  de  Dieu  et  la  doctrine  évangélique;  dorénavant  l'Évan- 
gile sera  prêché  purement  et  clairement,  sans  aucun  mélange  de 
doctrine  ou  de  prescriptions  humaines.  Ce  que  le  saint  Évangile 
approuve  doit  être  approuvé;  ce  qu'il  rejette,  rejeté.  On  ne  payera 
à  aucun  seigneur  ni  dlme,  ni  redevance,  ni  droit  régalien,  ni  taxe 
quelconque  jusqu'à  ce  que  les  très-savants  docteurs  de  la  sainte,  di- 
vine et  véritable  Écriture  aient  établi  la  réforme.  Les  châteaux  qui 
nous  ont  fait  tant  de  mal,  les  donjons  et  les  forteresses  qui  ont  fait 
supporter  jusqu'à  ce  jour  à  l'homme  du  peuple  de  si  effrayantes 
charges,  seront  détruits  ou  incendiés.  Cependant  ce  qui  s'y  trouve 
de  transportable  reviendra  à  ceux  qui  voudront  être  nos  frères,  et 
n'auront  rien  entrepris  contre  l'armée  de  l'Union.  Les  fusils  qui 
seront  trouvés  dans  les  châteaux  seront  remis  à  l'armée.  Les  nobles, 
ecclésiastiques  ou  séculiers,  et  aussi  les  roturiers,  seront  tenus  à 
l'avenir  d'observer  les  lois  des  paysans  et  des  bourgeois  unis;  ils 
partageront  en  tout  le  sort  du  peuple.  Les  nobles  devront  restituer 
à  l'Union  les  biens  des  clercs  qu'ils  se  sont  appropriés,  ainsi  que  les 
biens  des  seigneurs  qui  auraient  osé  s'opposer  à  l'armée  sainte,  et 
cela  sous  peine  de  perdre  la  vie,  ou  de  voir  leurs  propriétés  confis- 
quées. Et  pour  conclure  :  ce  que  la  réforme  et  la  loi  nouvelle,  ce  que 
les  docteurs  versés  dans  la  sainte  Écriture  auront  décidé,  comme  il  a 
été  dit  plus  haut,  tout  prêtre,  tout  laïque  devra  désormais  s'y  cou- 


INS  UlUi  KCTION    F,  N    T  MURI  NOK.    IS^S.  5jl 

former.  »  Uollicnboiirjj  jura  d'observer  fidrloincnt  le  Irnilé  perulaiit 
ceul  un  ans.  Les  meilleures  pièees  d'arlillcric  de  la  ville  el  d'abon- 
dantes muuilioiis  Jureiil  livrées  aux  émeuliers.  L'ancien  bour{;mcstre 
Erlienlried  Kum|)l,  partisan  des  doctrines  de  CarIstadI,  (|ui  avait  ac- 
livemenl  travaillé  à  réconcilier  la  ville  avec  les  insur{;és,  ^.  souhai- 
tant fort,  la  mise  en  pratique  de  l'Kvanftile  «,  se  rendit  bien  équipé  à 
\\  urzbourj;  dans  le  camp  des  révoltés,  qui  donnaient  alors  l'assaut  à 
la  citadelle  de  la  ville.  W'urzbourj;,  disait  Kumpi,  ayant  été  opprimé 
par  l'Empire  à  cause  de  la  tyrannie  de  ses  évéques,  sa  citadelle  de- 
vait être  rasée '. 


VIII 


Pendant  que  ces  insurrections  désolaient  la  haute  Allemagne,  la 
révolte  éclatait  en  Thurinjje. 

Mulhausen  en  était  le  principal  foyer,  'iliomas  IMiinzer  et  son  com- 
pa[',non  Henri  IMelfler^  y  avaient  soulevé  l'émeute  |)opulaire  en 
septembre  L")2î.  Les  églises  et  les  couvents  avaient  été  pillés;  les 
tableaux,  les  ornements  d'autel  emportés,  les  reliques  indigne- 
ment profanées'.  Les  deux  prédicants  enseignaient  aux  personnes 
de  toute  classe  qui  se  pressaient  autour  d'eux,  «  que  l'on  n'était  pas 
obligé  d'obéir  à  l'autorité,  que  l'on  ne  devait  à  personne  dime  ou 
redevance  quelconriue,  et  qu'il  fallait  persécuter  et  proscrire  tous 
les  Ordres  religieux  ».  «  La  parole  du  Seigneur  '-,  disaient-ils,  <  vous 
est  annoncée  maintenant  dans  toute  sou  intégrité  et  pureté.  Vous 
avez  fait  disparaître  les  autels  el  les  images  de  l'idolâtrie;  mais  il 


'  Thomas  /irei/vl,  dailS  BvDMVNN,  Quellen  aus  llolenburg,  p.  3i6.  —  Voy.  Bi;nse\, 
p.  224-246,  261.  Pendaiil  l'assaut  de  Fraiieuberjy,  où  les  paysans  perdirent  un 
temps  précieux  et  leurs  meilleures  forces,  Sébastien  de  Uotenlian,  au  dire  de 
l-anrent  Frics,  se  conduisit  en  liéros.  «  Les  nobles  du  conseil  de  l'évoque  tirent 
tant  pour  donner  du  courage  à  leur  maître,  qu'ils  lui  persuadèrent  de  mettre 
en  état  de  défense  son  château  de  Frauenberg,  ce  qui  arriva  en  effel.  Mais 
parmi  tous  les  gentilshommes  et  serviteurs  de  l'évêque,  ce  fut  le  seigneur 
Sebastien  de  Fîotenhaii,  chevalier,  sénéchal,  qui  eut  le  plus  de  part  au  bon 
succès  de  l'entreprise,  lu  tel  homme  devrait  être  désigné  à  l'admiration  de  la 
postérité,  car  en  vérité  ce  chevalier,  par  ses  actes  loyaux  et  mâles,  a  bien  mérité 
d'être  loué  à  jamais.  -  Fries  donne  d'amples  détails  sur  l'activité  intelligente 
de  Rotenh  m,  et  dit  eu  concluant  :  ■  C'est  la  vérité  que  j'ai  entendu  dire,  non  à 
une  seule  personne  présente  à  la  défense,  mais  publiquement  et  en  particulier, 
et  par  beaucoup,  que  si  ce  Rotenhan  avec  ses  conseils  prudents,  ses  discours, 
ses  consolations,  ses  mesures,  ses  exhortations,  ses  travaux,  n'eiU  pas  été  là, 
Fraueuberg  (sans  parler  de  l'aide  de  Dieu,  qui  a  fait  là  des  miracles)  aurait  été 
endommagé  gravement  par  les  paysans.  ■- 

-  Voy.  plus  haut,  p.  395. 

3  Mühlhauser  Chronik.  [).  365. 


552  INSURRECTION    EN    T  H  URINGE.    1525. 

VOUS  reste  encore,  si  vous  voulez  être  sauvés,  à  enlever  les  idoles  des 
maisons  et  des  bahuts,  à  arracher  des  murs  la  belle  vaisselle  d'étain, 
à  vous  emparer  de  l'argenterie,  de  Torlevrerie,  de  l'argent  comp- 
tant renfermés  dans  les  coffres'.  >'  Comme  Mïmzer  et  Pfeifler,  Jean 
Laue,  l'ex-grand  maître  de  l'Ordre  Teutonique,  se  faisait  remarquer 
par  son  zèle  pour  la  «  nouvelle  union  chrétienne  ».  Il  prenait  tous 
les  jours  la  communion,  et  mettait  à  même  dans  sa  poche  les  par- 
celles de  pain  qu'il  ne  consommait  point.  Par  son  ordre,  les  tableaux, 
les  images  étaient  détruits  et  brisés;  avec  les  tuyaux  d'orgue,  il  faisait 
fabriquer  des  pintes.  «  Les  princes  ",  disait-il  en  pleine  chaire,  "  sont 
des  niais,  des  oies,  des  chiens  dévorants;  on  n'est  point  obligé  de 
leur  obéir.  »  Lui  aussi  eût  désiré  que  "  les  idoles  des  riches  bourgeois 
fussent  enlevées  des  coffres,  des  chambres  et  des  murs  »,  car  tous 
les  biens  étaient  communs.  11  disait  que  les  prêtres,  dans  les  pro- 
cessions, ne  portaient  pas  le  Saint  Sacrement,  mais  le  diable.  11 
proposait  de  renverser  le  conseils 

■•(■  L'autorité  »,  écrivait  le  26  septembre  1524  Sittich  de  Ber- 
lepsch,  bailli  de  Salza,  au  duc  Georges  de  Saxe,  "  semble  agir  au 
hasard  et  perdre  la  boussole.  Les  paysans  des  villages  environnants 
se  sont  réunis  et  ont  lait  savoir  au  conseil  que  sa  conduite  antichré- 
tienne n'était  plus  tolérable;  que,  s'il  ne  changeait,  ils  se  verraient 
forcés  d'établir  un  autre  pouvoir,  parce  qu'autrement  ils  seraient 
infailliblement  ruinés.  Hier  dimanche,  vers  le  soir,  les  paysans  de 
Bolkstadt  ont  été  avertis  que  leur  village  était  cerné  aux  quatre 
coins,  et  qu'ils  devaient  se  tenir  sur  leurs  gardes.  Le  lendemain 
matin,  avant  le  jour,  ce  village  a  été  incendié;  une  grande  quantité 
de  blé  a  été  briHce.  Le  docteur  Luther  a  envoyé  un  prédicant  à 
Mulhausen  pour  prêcher  contre  Münzer  :  Münzer  et  lui  se  traitent 
réciproquement  d'hérétiques  et  de  fripons.  »  Berlepsch  joignait  à  sa 
lettre  la  copie  des  articles  que  Münzer  et  f^ fei ffer  avaient  rédigés,  et 
qu'ils  avaient  envoyés  aux  villages  du  territoire  de  Mulhausen  et  à 
la  population  de  la  ville.  Ces  articles  débutaient  ainsi  :  «  Pour  la 
gloire  de  Dieu,  les  communes  de  Mulhausen,  de  Saint-Nicolas,  de 
Saint-Georges,  de  Sainte-Marguerite,  les  tisseurs  de  lin  de  Saint- 
Jacques  et  un  grand  nombre  d'ouvriers ,  ont  dressé  une  consti- 
tution nouvelle,  fondée  sur  la  parole  de  Dieu.  Cependant,  si  en 
quelque  chose  elle  était  contraire  à  l'Évangile,  ils  consentiraient  à  la 
modifier.  »  .  Le  conseil  doit  être  complètement  renouvelé.  Le  nouveau 
pouvoir  appréciera  toutes  les  questions  conformément  à  la  justice, 
et  d'après  les  prescriptions  de  la   Bible.  Si  vous  prétendiez  vous 

'  Voy.  ces  lettres  dans  Seidemann,  Beiträge,  t.  ir,  p.  378-382. 
-  Interrogatoire  de  Laue  dans  Seidesiann,  Beiträge,  t.  XI,  p.  382,  et  ses  aveux, 
dans  la  MûhUiauser  Chronik,  p.  393. 


INSURRECTION    EN    T  II  IJ  li  I  N  G  K.    1025.  553 

opposera  cette  loi  divine,  nous  vous  demanderions  de  nous  apprendre 
ce  que  vous  ont  lait  le  bon  Dieu,  sou  ImIs  iinicjue  .lésus-Ciirist  el  le 
Sain(-Kspri(,  |)our  (jue  vous  relusicz  de  laisser  ré^jner  le  .Seigneur 
sur  voire  misérable  sac  à  vers.  A-l-il  pu  vous  Jiieulir  ou  vous  tromper, 
lui  qui  est  la  justice  môme?  Notre  sentiment  et  notre  décision  à 
tous,  c'est  que  nos  actes  et  noire  manière  d'aj;ir  envers  la  justice 
divine  el  sa  loi  doivent  être  rélormés  ou  maintenus  selon  (ju'ils  se 
rapportent  ou  s'opposent  aux  commandements  de  Dieu.  Il  nous  laut 
donc  choisir  entre  ce  qui  est  agréable  aux  hi)mmes  et  contraire  à 
Dieu,  ou  entre  ce  <[iii  est  af^réable  à  Dieu  eî  contraire  aux  hommes. 
Ür  nous  préférons  de  beaucoup  avoir  Dieu  pour  ami  et  les  hommes 
pour  ennemis  que  Dieu  pour  ennemi  et  les  hommes  pour  amis,  car 
il  est  terrüjlo  de  tomber  entre  les  mains  du  Dieu  vivant.  Nous  vous 
écrivons  ceci,  frères  chrétiens,  afin  que  vous  puissiez  vous  diri^jer 
d'après  cet  avertissement  '.  » 

Au  commencement  de  1525,  de  nouvelles  destructions  d'images 
et  de  nouveaux  pillages  eurent  lieu  à  IMulhausen  ^.  I.e  provincial  des 
Dominicains  écrivait  au  Conseil  de  régence,  siégeant  alors  à  Esslingen 
(Il  janvier  1525)  :  "  J'ai  beaucoup  à  me  plaindre  des  attentats  commis 
envers  mes  frères  de  IMulhausen  et  de  la  violence  qui  leur  a  été  faite. 
Parce  qu'ils  n'ont  pas  voulu  célébrer  la  messe  et  prêcher  à  la  mode 
luthérienne,  parce  qu'ils  ont  refusé  de  renier  leur  saint  habit,  leur 
état  et  leurs  vœux,  on  leur  a  enlevé  tous  ce  qu'ils  possédaient, 
ostensoirs,  calices,  meubles  d'église;  le  tout  a  été  porté  à  l'hôtel 
de  ville;  on  leur  a  interdit  de  dire  la  messe;  on  a  brisé  et  brûlé  les 
autels,  tableaux  et  images  de  leur  église.  Les  émeutiers  sont  venus 
les  assaillir  chez  eux  avec  des  armes  meurtrières;  la  populace  les 
suivait.  Toutes  leurs  provisions  de  farine,  de  pain,  de  blé,  de 
viande  ont  été  emportées  ou  brûlées,  péle-mèle  avec  les  images 
des  saints,  dans  le  couvent  même.  Enfin  les  assaillants  ont  exigé 
et  emporté  toutes  les  clefs;  et  comme  nos  frères  persistaient  à  porter 
l'habit  de  leur  Ordre,  on  les  a  chassés  de  la  ville'.  »  Les  Carmes 
déchaussés  lureul  traités  de  la  même  manière;  pendant  une  semaine 
enlicre  ou  vendit  à  l'enchère,  dans  leiu'  monastère,  les  vêtements 
sacerdotaux,  el  le  velours,  la  soie,  les  perles  qui  servaient  à  les  coa- 
fectionner. 

Dès  (jue  Mimzer  fut  reveau  de  sa  tournée  dans  la  hante  Allemagne 
et  la  Suisse,  le  nouveau  *  gouvernement  chrétien  "  qu'avaient  annoncé 
les  articles  fut  inauguré  à  Mulhausen  (mars  1525) ^  L'ancien  conseil 

'  Seidemann,  Ueiiiäge,  t.  XI,  p.  379-3S1. 

-  iluhlhnuser  Chronik,  p.  38^. 

^  Seidkm.vnn,  Beiträ;)r,  t.  XI,  p.  385. 

*  Voy.  Seidema.n.n,  Thomas  Münzer,  p   48-53,  65-66. 


5.')4      THOMAS    IVI  U  N  Z  E  R    EXCITE    LES    HÉ  VOLT  ES    AU    MEURTRE. 

fut  déposé.  Un  conseil  '  perpétuel  »,  composé  exclusivement  de 
partisans  de  Miinzer,  fut  élu.  «  On  rencouire  encore  à  Mulhausen  ", 
écrit  Sit  lieh  de  Berlepsch  au  duc  Georp^es,  «  plus  d'un  d'hounéte 
bour{;eois  auquel  cet  événement  cause  une  peine  sincère;  mais  les 
prédicants,  qui  sont  d'habiles  intrigants,  ont  foit  cause  commune 
avec  la  populace  mutinée,  et  ont  tellement  envenimé  les  choses  que 
les  l)raves  gens  n'ont  plus  aucune  chance  d'être  écoutés.  »  Le  con- 
seil perpétuel  était  en  grande  partie  composé  de  pauvres  hères 
et  d'aventuriers.  «  Les  nouveaux  magistrats  disent  à  qui  veut  les 
entendre  qu'ils  peuvent  disposer  de  cinq  ou  six  cents  hommes,  et 
qu'ils  ont  reçu  des  forces  nouvelles  des  paysans  de  la  forêt  Noire, 
lesquels  demandent  aussi  à  faire  partie  de  l'Union.  »  «  Les  communes 
des  environs  sont  presque  toutes  gagnées  au  parti  de  la  révolte;  les 
paysans  répètent  que  Dieu  seul  est  leur  maître,  et  qu'ils  ne  se  sou- 
mettront à  aucun  autre.  » 

•  Nous  ne  voulons  que  le  règne  de  Dieu,  nous  n'acceptons  au- 
cune autre  autorité  ",  prêchait  Münzer.  On  ne  pouvait  plaire  à 
Dieu,  disait-il,  si  l'on  ne  revenait  à  l'état  primilif  et  si  l'on  n'adoptait 
la  communauté  des  biens.  Les  paysans  des  environs  de  Mulhausen  se 
rassemblaient  par  milliers  pour  entendre  cetle  »  heureuse  annonce 
du  royaume  de  Dieu  ".  routes  les  fois  que  Münzer  prêchait,  des 
chœurs  déjeunes  gens  et  déjeunes  filles,  disposés  près  de  lui,  chan- 
taient les  promesses  faites  par  Jéhovah  aux  fils  de  .Inda  :  «  Demain 
vous  vous  mettrez  en  route,  et  le  Seigneur  sera  avec  vous!  "  Les 
pauvres  gens  de  la  ville  ne  voulaient  plus  travailler;  l'un  d'eux  avait- 
il  besoin  de  hlé  ou  de  linge,  il  allait  aussitôt  chez  un  riche,  et  pre- 
nait tout  ce  qu'il  lui  fallait;  il  appelait  cela  agir  i-  d'après  le  droit 
chrétien  ».  Parmi  les  propriétés  ecclésiastiques  confisquées.  Münzer 
s'attribua  le  château  des  chevaliers  de  Saint-.lean,  avec  toutes  ses 
redevances  :  il  fit  fondre  des  arquebuses  et  des  balles  dans  l'ancien 
couvent  des  Carmes,  et  appela  la  populace  aux  armes.  Pendant  ce 
temps,  ses  disciples  allaient  de  tous  côtés  prêcher  le  royaume  de 
Dieu.  En  ses  manifestes  ardents.  Münzer  invitait  les  popula'ions 
à  massacrer  les  princes  et  seigneurs.  «  Chers  frères,  combien  ue  iemps 
dormirez-vous?  »  écrivait-il  aux  mineurs  du  comté  de  ^Linsfeld.  «  A 
l'œuvre!  sus!  combattez  le  combat  du  Seigneur,  il  en  est  temps! 
Animez  vos  frères  à  ce  saint  combat;  qu'ils  ne  se  raillent  point  du 
témoignage  de  Dieu;  sans  cela,  ils  périraient  tous.  Voici  que  les  pays 
allemands,  français,  welches,  se  sont  tous  soulevés  !  Le  Maître  va  jouer 
son  jeu,  les  méchants  tombent!  A  Fulda,  pendant  la  semaine  de  Pâques, 
quatre  abbayes  ont  été  saccagées.  Les  paysans  du  Hegau,  du  Klettgau 
et  de  la  forêt  Noire  se  sont  levés,  forts  de  plus  de  trois  cent  mille 


DI^VASTATION    DES    COirVENTS    IT    HKS    A  »  B  A  Y  H  S .    Ij26       555 

lioriimcs,   e(   l.i   l);iii(lc  j;r(»ssi(  tous  les  jours!  A   votre  tour,  à 

l'<ruvrc,  en  avant,  il  est  lenips!  <juc  les  scélérats  soient  chassés 
comme  des  ciiieiiseura}iés.  \c  \ous  laissez  pas  séduire  |)ar  une  pitié 
coupable;  si  même  Ksaii  venait  à  vous  avec  de  l)onnes  paroles,  ne 
l'écoutez  pas.  iNe  vous  arrêtez  |)as  à  plaindre  la  détresse  de  l'impie; 
cncomaj-ez  à  vous  suivre  les  villages  et  les  villes,  et  surtout  les 
ouvriers  mineurs.  Appelez  d'autres  bons  camarades  à  la  besogne,  et 
qu'ils  s'y  mettent  de  tout  cd'ur.  Il  ne  vous  est  pas  permis  de 
dormir  plus  l()n{;lemps.  Les  pa\saus  de  l'EichsIeld  viennent  de 
se  divertir  aux  dépens  de  leurs  sei{jncurs;  ils  ne  leur  ont  point  fait 
de  <juarlier;  suivez  leur  exemple!  En  avant,  en  avant,  en  avant, 
tandis  que  le  fer  est  chaud!  Oue  le  sanp,- ne  se  refroidisse  pas  sur 
la  lauK;  de  vos  épées!  Pink,  pank  sur  l'enclume  de  .Nemi"od!  Oue 
tous  tombent  sous  vos  coups!  Tant  que  les  nobles  seront  eu  vie,  vous 
ne  serez  pas  affranchis  de  la  crainte  humaine;  tant  qu'ils  régneront 
sur  vous,  vous  ne  pourrez  vous  dire  les  enlants  de  Dieu!  Sus,  sus, 
en  marche  pendant  que  le  jour  brille!  Dieu  vous  précède,  suivez-le! 
Votre  histoire  est  écrite  au  chapitre  vingt-quatre  de  saint  Matthieu. 
JNe  vous  laissez  pas  effra\er,  car  Dieu  est  avec  vous.  Ce  n'est  pas 
votre  combat,  mais  celui  du  Seigneur  que  vous  livrez;  ce  n'est  pas 
vous  qui  combattez,  c'est  Dieu.  Donc,  que  votre  attitude  soit  éner- 
gique et  mâle,  et  vous  verrez  infailliblement  le  secours  du  ciel  venir 
à  vous!  ■•  -.  Tandis  que  .losaphat  prononçait  ces  ])arüles  -,  dit  l'Flcri- 
ture,  il  fut  anéanti.  »  «  Agissez  de  par  Dieu,  il  vous  fortifiera; 
rejetez  toute  crainte  humaine,  inspirez-vous  de  la  véritable  foi! 
Amen!  -  Cette  lettre  était  signée  :  Thomas  Miinzer,  serviteur  de 
Dieu,  envoyé  contre  les  impies  *. 

Tandis  que  Miinzer  poussait  ainsi  les  populations  à  ce  qu'il  appe- 
lait le  >  divin  massacre  -,  Pfeiffer,  son  compagnon,  à  la  tète  d'une 
troupe  de  gens  du  peuple  accourus  de  tous  côtés,  envahissait 
l'Eichsfeld.  -  Les  révoltés  ",  dit  une  relation  du  temps,  "  ont  volé, 
assassiné;  partout  oii  ils  ont  pénétré,  ils  ont  incendié  cloîtres  et 
châteaux,  l'hisieurs  villages  ont  été  réduits  en  cendres  et  saccagés. 
Outre  cela,  ils  ont  forcé  les  gens  bien  intentionnés  à  se  joindre  à 
eux  :  qui  s'y  refusait  passait  par  les  piques*.  » 

'  Voy.  cette  lettre  dans  Stroorl,  Thomas  .1  fumer,  p.  93-96. 

-  Voy.  Seidemann,  Münzer.  p.  75.  —  Strobel,  p.  89-90.  —  Mùhlkauser  Chronik, 
p.  384-385.  Sur  les  dévastations  et  les  pillages  de  couvents  et  de  châteaux  dans 
le  comté  de  jMansfeid,  de  Stolber«j,  etc.,  voy.  Sp.4.\"ge\'berg,  Mansfeldische  Chronik, 
p.  421.  I,es  cloîtres  et  les  abbayes  suivants  furent  détruits  en  Thurin.;^e  par  le 
vandalisme  des  insurgés  :  à  Allendorf.  le  couvent  des  Bénédictines;  à  Annerode, 
le  couvent  des  relisieuses  de  Cîteaux;  à  Beuren,  un  couvent  du  même  Ordre;  à 
Bonnerode,  le  couvent  des  religieuses  bénédictines;  à  Capellendorf,  le  couvent 


5Ô6        MUTIAN    SUR    LE    VANDALISME    DES    INSURGÉS.    1525. 

L'émeute  5e  propagea  avec  une  effrayante  rapidité  dans  toute  la 
Thuriuf,e  et  les  pays  avoisinauts.  Dans  les  comtés  de  Man^^feld,  de 
Stolberg,  de  Schwarzbourp;,  dans  l'Eichsleld,  la  Hesse,  le  Brunswick, 
la  Saxe  et  la  Misnie,  les  villages,  les  bourp,s,  les  villes  se  soulevaient 
et  voulaient  être  libres  comme  ceux  de  Mulhausen.  '•  !Mon  seigneur 
et  mon  roi  >^  écrivait  de  Gotha  à  Frédéric  de  Saxe  Thumaniste 
Conrad  Mufian  (27  avril  1525),  «  mon  âme  est  triste  jusqu'à  la 
mort  en  voyant  avec  quelle  brutalité,  quelle  perversité  la  sauvage 
horde  des  paysans  pille  et  saccage  les  saints  temples  de  Dieu.  Ces 

des  relifjieuses  de  Ci(eaiix;  à  Cronspitz,  le  couvent  des  Aufjustins;  à  Eisenach, 
la  colléjfiale  des  clianoiiies  de  Saint-Aii!T;ustin,  le  couvent  des  Bénédictines, 
ceux  des  Dominicains  et  des  Cisterciens;  plus  loin,  le  couvent  de  Franciscains, 
au  pied  de  la  Wartbour;?,  et  près  d'Eisenacli  le  couvent  des  religieux  de 
Citeaux  de  Johannisthal  ;  à  Gerbstadt,  le  couvent  des  religieuses  bénédictines; 
à  Gérode,  un  couvent  du  même  Ordre;  à  Frankenhausen,  le  couvent  des  reli- 
gieuses de  Citeaux;  à  Franenbreilungen,  le  couvent  des  Augustines;  à  Frauen- 
Priessnitz,  le  couvent  des  religieuses  de  (tteaux;  à  Frauensee,  un  couvent  du 
même  Ordre;  à  Georgentbal,  le  couvent  de  Ciîeaux;  à  Georgenzeil,  un  couvent 
du  même  Ordre;  à  Gollingen,  le  couvent  des  i.énrdictins  ;  à  lladersleben,  le 
couvent  des  Cisterciens;  à  lieiligenstadt,  la  collégiale  des  chanoines  de  Saint- 
Augustin;  à  llelffta,  le  couvent  des  religieuses  bénédictines;  à  llerrenbreitungen, 
le  couvent  des  Bénédictins;  à  lleitstadt,  le  couvent  des  Carmes;  à  Holzzelle,  le 
couvent  des  religieuses  bénédictines;  à  llombourg,  près  de  Langensalza,  le 
couvent  des  Bénédictins  ;  à  Ichtershausen,  le  couvent  des  religieuses  de  Citeaux, 
à  lechaburg,  la  collégiale  des  chanoines  de  Saint-Augustin;  à  léna.  le  couvent 
des  Carmes;  à  ivaltenborn,la  collé;',iale  des  chanoines  de  Saint-Augustin  ;  à  Kelbra, 
le  couvent  de-  religieuses  de  Citeaux;  à  Königsberg,  le  couveni  des  Augustius  ;  à 
Kreuzhurg,  le  couvent  des  Augustins;  à  Mönchptiffel,  le  couvent  des  religieux 
de  Ciîeaux;  à  Mönchröden,  le  couvent  des  Béuédictins;  à  Munchenlohra,  un 
couvent  de  religieuses;  à  Mcolausried,  le  couvent  des  religieuses  de  Citeaux; 
à  Xordliausen,  les  couvents  des  Augusiins,  des  Dominicains  et  des  Franciscains, 
et  le  couvent  des  religieuses  de  Citeaux;  à  Oldisleben,  le  couvent  des  Bénédic- 
tins; à  Paulinzelle,  un  couvent. du  même  Ordre;  à  Pelersberg,  le  couvent  des 
religieuses  de  Citeaux;  à  Reifenstein,  le  couvent  des  cistercii  ns;  à  Rheinhards- 
btunn  ,  le  couvent  des  Bénédictins;  à  Roda,  le  couvent  des  Frémontrés;  à 
Rohibacb,  le  couvent  des  religieuses  de  Citeaux;  à  Rossleben,  la  collégiale  des 
chanoines  de  Saint-Augustin;  à  Saalfeld,  le  couvent  des  religieuses  de  Saint- 
Augustin;  à  Schnialkalden,  le  couvent  des  Augustins  et  la  collégiale  des  cha- 
noines de  Saint-Augustin;  h  Sinnershausen,  le  couvent  des  Guillaumistes;  ù  Sit- 
tichenbach, le  couvent  des  Cister.iens;  à  Teistungenbourg,  le  couvent  des 
religieuses  de  Citeaux;  à  Troststadt,  le  couvent  des  religieuses  de  Préraontrés; 
à  Veilsdorf.  le  couvent  des  Bénédictins;  à  Volkenroda.  le  couvent  des  Cister- 
ciens; h  Walheck,  le  couvent  des  Bénédictins;  à  Wasungen,  le  couvent  des  Guil- 
laumistes: h  Weissenborn,  un  couvent  du  même  Ordre;  à  Wiederstadt,  le  cou- 
vent des  religieuses  augustines;  à  Wiinnielburg,  le  couvent  des  Bénédictins; 
à  Worbis,  le  couvent  des  i  eligieu.ses  de  citeaux;  à  Zella,  le  couvent  des  reli- 
gieuses liénédictines,  et  à  Zella  Saint-Biaise,  le  couvent  des  Béuédictins.  Beau- 
coup d'autres  ahbayes  et  couvents  ne  furent  pas  entièrement  pillés,  saccagés 
et  brûlés,  mais  eurent  à  souffrir  des  dommages  considérables.  La  liste  précé- 
dente est  extraite  du  travail  si  consciencieux  d'Ilermann  sur  les  anciennes 
al)i)ayes,  couvents  et  monastères  de  la  Saxe,  de  la  Thuringe  et  de  la  Thuringe 
prussienne.  —  Voy.  \3i  Zritschri/t  des  Vereins  fur  thün'noische  Geschichte  und  Aller- 
thumskuiulf  (léna.  1871  ,  t.  Vlil,  p.  1-176.  Que  ne  possédons-nous  sur  tous  les  pays 
allemauds  des  renseignements  aussi  exacts! 


INSnUKECTlON    A    l,  A  .N  G  K  ^  S  A  LZ  A.    1525.  557 

(jcns  n'ont  ni  loi,  ni  Ircin,  ni  crainic  de  Dieu.  Les  relifjieuses 
erranles  Ibiit  compassion  à  voir;  les  prtMres,  sans  leu  ni  lieu,  sont 
chassés  de  leurs  saints  asiles  j)ar  les  pillards  de  temples.  Moi-même, 
misérable  et  nécessilcux,  je  me  vols,  dans  ma  vieillesse,  réduit  à 
mendier  mon  |)ain '.  Les  émeuliers    >,  lisons-nous  dans   une 

relation  de  1  liurin};e,  <■■  ont,  dans  beaucoup  de  localités,  jeté  les 
saintes  espèces  sur  le  sol;  puis  ils  les  ont  foulées  aux  pieds,  et,  avec 
une  insultante  et  .sacriléj^e  ironie,  ils  ont  dit  :  •  Si  tu  es  notre  Dieu, 
défends-loi!  »  ajoutant  beaucoup  d'autres  paroles  et  actes  impies, 
inhumains  et  insensés  '\  > 

La  fumée  qui  s'élevait  des  places  incendiées  témoignait  de  tous 
côtés  du  zèle  pour  la  foi  des  frères  chrétiens,  des  vrais  amis  du 
royaume  de  Dieu.  Tout  marche  mal  et  lamentablement  chez  nous  •, 
écrit  le  receveur  d'impôts  d'Alsledt;  les  cloitres  des  environs  ont 
été  pillés.  L'autorité  n'est  plus  écoutée,  tout  le  monde  la  méprise. 
C'est  une  véritable  fatalité  que,  de  tant  de  princes  (jui  habitent  ce 
pays,  aucun  ne  soit  disj)osé  à  tirer  l'épée  pour  nous  débarrasser  de 
nos  ennemis.  "  «  Comme  les  hordes  n'ont  plus  de  couveuts  à  détruire, 
elles  se  jettent  maintenant  sur  les  châteaux.  •  Beaucoup  de  nobles, 
parmi  les(iuels  les  comtes  Ernest  de  Hohenstein  et  Gauthier  de 
Scliwarzbourjy,  se  faisaient  recevoir  ^<  frères  '  dans  la  «  sainte 
Union  »,  et  entretenaient  des  correspondances  avec' Miinzer.  «  lion 
nombre  de  prédicants  de  l'armée  =>,  rapporte  le  receveur  d'Alsledt, 
«  prêchent  l'Evanj'ile  d'après  Tmlerprétatiou  de  Luther,  et  n'ont  pas 
un  fort  grand  respect  pour  Mimzer.  -  «  A  Salza  aussi,  l'émeute  s'est 
déclarée,  soulevée  par  une  foule  de  scélérats  dépravés  qui  n'ont  rien 
à  perdre,  et  prêchent  au  peuple  le  vol  et  l'incendie  pour  la  cause  de 
l'Evangile.  ' 

La  «  Fraternité  évangélique  »  organisée  à  Langensalza  parlesave- 

'  Voy.  ïnNzrr,,  ^Icl.  epp.  Muiiani,  p.  75-78.  Mulinn,  après  de  loîijîiies  erreurs, 
•  épouvanté  à  la  vue  de  l'abime  que  la  soif  de  destruction  des  novateurs 
ouvrait  devant  ses  rc;;;irds  »,  s'était  de  nouveau  tourné  vers  1  K;;lise  uiére,  et 
«  la  religion  de  ses  ancêtres  ne  lui  avait  jam;iis  paru  plus  digne  de  ses  res- 
pects que  maintenant  que  tout  semblait  s'unir  pour  la  détruire  ••  Mais  le  sou- 
venir de  sa  conduite  passée  pesait  lourdement  sur  sa  conscienre,  car,  lorsqu'il 
jetait  les  yeux  sur  la  première  partie  de  sa  vie,  il  était  obligé  de  reconnaître 
qu'il  avait  beaucoup  contribué  à  préparer  les  événements  actuels.  Cette  pensée 
empoisonnait  ses  jours  et  lui  enlevait  la  confiance  et  la  joie  avec  lesquelles 
ses  amis  catholiques  entraient  en  lice  pour  la  défense  de  l'Église.  Jadis  un 
motif  d'excessive  prudence  l'avait  empêché  d'exposer  ses  idées;  maintenant  il 
se  croyait,  à  cause  de  son  passé,  condamné  au  silence.  Sans  ressource,  en 
proie  à  la  plus  cruelle  détresse,  il  mourut  le  30  mars  1526,  dans  les  senti- 
ments de  la  plus  touchante  résignation  chrétienne.  «  Ö  Christ,  regarde  ton 
serviteur  avec  miséricorde!  Que  ta  volonté  soit  faite  !  »  Telles  furent  ses  der- 
nières paroles.  —  Kampschllte,  t.  II,  p.  229-237. 

-  Voy.  cette  relation  dans  Seidemànn,  Thomas  Mûnzer,  p.  5. 


558  INSURRECTION    A    LANGENSALZA.    1525. 

tier  .Melchior  Wigand  reçut,  vers  le  milieu  d'avril,  une  importante 
recrue  dans  la  personne  du  prédicant  Jean  Teigfuss  '.  Comme  à  l'oc- 
casion de  la  kermesse  beaucoup  de  villageois  des  environs  se 
trouvaient  dans  la  ville,  déjà  gagnée  en  partie  à  la  révolte,  Wigand, 
le  20  avril,  fit  tout  à  coup  sonner  le  tocsin,  et  la  foule,  promptement 
rassemblée,  munie  de  carabines  et  de  boule-leu,  se  rendit  bientôt 
maîtresse  du  conseil.  On  commença  par  chasser  de  leurs  couvents 
les  moines  et  les  religieuses;  on  leur  répéta  à  plusieurs  reprises  que 
la  communauté  de  Langensalza  était  décidée  à  ne  plus  tolérer  de 
couvents,  et  cependant  on  avouait  n'avoir  aucun  reproche  à  adresser 
aux  religieux.  Les  églises  et  monastères  furent  dépouillés;  on  mit  tout 
ce  qu'on  y  put  trouver  en  réserve  ,  et  l'on  somma  les  moines  de 
faire  corvée,  de  fondre  les  balles,  de  garder  la  ville,  de  faire  le 
service  militaire  et  de  se  marier.  .<  L'ancien  culte  fut  aboli.  Teigfuss, 
prêchant  sans  aucune  modération,  conseillait  ouvertement  la  révolte, 
injuriant  le  pouvoir  et  les  autorités,  et  poussant  à  la  destruction  de 
tout  ce  qui  était  établi.  ■  Le  29  avril,  à  la  tête  d'une  horde  considé- 
rable, il  marcha  sur  Nägelstädt.  La  ville  fut  prise  et  pillée,  les  calices, 
ornements  d'autel,  croix,  ostensoirs,  orfèvrerie  d'argent,  enlevés 
aux  églises;  les  cloches  et  les  fenêtres  brisées,  les  bestiaux,  les 
céréales  capturés.  Le  jour  suivant,  la  populace  de  la  ville  s'unit  à 
une  horde  considérable  de  paysans,  parmi  lesqne^  se  trouvait  Albert 
Menge,  l'un  de  leurs  chefs,  ■-  de  sou  métier  et  selon  les  circonstances, 
médecin  français,  barbier  ou  tondeur  de  drap  '.  Le  conseil  et  la 
noblesse  des  environs  furent  contraints  de  recevoir  le  «  saint  Évan- 
gile "  et  les  douze  articles  des  paysans.  Ensuite  les  frères  chrétiens 
.:  se  levèrent  n,  conduits  par  leur  chef  Wigand,  résolus  d'aller  dans 
tout  le  pays  environnant  prêter  main-forte  à  1'  -•  Evangile  ».  '  Chers 
amis  ■',  écrivaient-ils  au  conseil  de  Weissensee,  »  vous  savez  très 
certainement  que  nous  avons  quitté  Salza  par  la  volonté  de  Dieu, 
pour  le  saint  Évangile,  et  afin  de  vous  proposer  et  vous  faire  adopter 
quelques  articles  fondés  sur  la  sainte  Écriture;  si  votre  ville  refusait 
de  nous  ouvrir  ses  portes,  la  redoutable  horde  de  Mulhausen  qui 
vient  de  détruire  et  d'abattre  dans  l'Eichsfeld  les  plus  beaux  châ- 
teaux, et  ils  sont  nombreux,  accourrait,  et  vous  ferait  subir  de  cruels 
dommages  dans  vos  corps  et  dans  vos  biens.  ■'  Mais  Weissensee 
tint  néanmoins  ses  portes  fermées.  -  .Nous  espérons  '•,  répondirent 
aux  insurgés  le  conseil  et  les  bourgeois,  ^  bien  qu'il  soit  impossible 
à  l'homme  de  vivre  sans  péché,  que  nous  nous  sommes  jusqu'à  pré- 
sent comportés  en  bons  chrétiens.  Pour  le  moment,  nous  entendons 
nous  en  rapporter  entièrement  à  la  parole  de  Dieu  et  à  notre  gra- 

•  Voy.  plus  haut,  p.  395. 


i 


KltriîllT    FAIT    CAUSK    C.OMMUNK    AVKC    LES    HKVOI.TÉS.      5.09 

ciciix  .sci[jiieiir  et  prince  souver.iiii,  le  duc  (icorgcs  de  S;ixc;  nous 
décl;iron.s  vonloir  vivre  cl  mourir  à  son  service,  et  soiiiiiies  décides 
à  exposer  pour  lui  nos  corps  et  nos  biens.  Kn  même  temps,  ils 
suppliaient  Geor{',es  de  venir  à  leur  secours,  et  celui-ci  leur  faisait 
annoncer  ."-a  |)rocliain(,'  arrivée  *. 

«  Nous  avons  élé  oljlijyés  de  mettre  sur  pied  Ions  nos  hommes  >•, 
écrivait  (Jeorjyes  le  20  avi'il  au  land[;rave  de  liesse ;^  ainsi  le  com- 
mandait la  };ravilé  des  événements.  Les  paysans  de  TOUerland,  (|ui 
s'intitulent  rCnion  clirélicnne,  se  sont  soulevés;  les  prédicants  ont 
prêché  rKvan}',ile  Inihérien  d'une  façon  si  claire  que  nous  pouvons 
recueillir  â  celle  heure  les  fruils  de  leurs  exhorlalions.  Comme, 
par  la  [jrâce  de  Dieu,  nous  avons  toujours  été  fort  ennemis  de  ces 
sortes  de  nouveautés,  il  est  â  craindre  que  nous  et  les  nôtres  ne 
soNons  plus  exposés  que  personne;  néanmoins  nous  continuons  à 
èlre  persuadés  (pie  si  l'on  n'avait  excité  les  pauvres  gens  à  oublier 
leur  serment  et  à  se  jelersur  le  bien  du  prochain,  il  n'y  aurait  pas 
eu  d'émeute  *.   ' 

Depuis  lon{j(cm|)s  les  prédicants  d'Erfurt  dépassaient  tous  les 
autres  en  zèle  et  en  fanatisme,  mettant  tout  en  œuvre  pour  soulever 
les  |)()pnlalions  des  villes  et  des  campagnes.  "  Les  bêches  et  les 
boyaux  du  cidlivalcur  ■ ,  disait  l'un  d'eux,  -  doivent  prolection  à 
l'Évangile.  Dés  152.3,  le  sagace  Usingen,  témoin  de  ces  funestes 
excilaüous,  avait  prédit  (jn'une  révolte  populaire  en  serait  l'infail- 
lible résultat  ^  En  apprenant  (juc  les  paysans  de  la  Souabe  et  de  la 
Franconie  s'étaient  soulevés,  ceux  du  territoire  d'Erfurt  commen- 
cèrent au  i)rintemps  de  1525  à  se  réunir.  Ils  résolurent  de  laisser 
pénétrer  dans  la  ville  tous  les  paysans  insurgés  des  alentours,  d'élire  à 


'  Pour  plus  (le  détails  sur  les  troubles  de  Langensalza,  voy.  Seidkmann,  Beiträge, 
t.  XIV,  p.  513-548. 

*  Voy.  KoMAiEL.  t.  II,  p.  83-8i.  —  Yoy.  SFroKMANV,  t.  XI,  p.  391. 

*  »  Quid  pra'itnderas,  •  écrivait-il  au  prédicant  Mecliler,  «  cjuando  de  sufï{i;esto 
et  vernacuiis  iiitimalionibus  plebeui  rudem  ad  illam  idisputationem)  citaveras! 
Quid  deiiique  dum  eo  loci  ;id  populum  claïuaveras,  necesse  esse,  ut  vel  pastino, 
sarculis  et  Ii{i0iiibus  .«■uburbauis  Evanjjeiio  ronsuleretur,  quando  iiec  tua,  nec 
tuopuui  proficcteut  verl)a!  Veiniuisline  rusticae  insolenti*,  qua  jain  passim 
subditi  in  dominos  suos  tumultuantes  et  insurgunt  contra  fidelitatem,  quam 
illis  promiseruut  et  juraverunt ?  »  »  Nescitis,  populum  esse  bestiam  multorum 
capitum,  bestiam  crueutam,  qua-  sanguinem  sitit,  vosne  ergo  rem  veslramsaii- 
guinariis  perficietis!  •  —  Voy.  Kampschulte,  t.  Il,  p  203-204.  Les  lettres 
d'Eoban  Ilessus  à  Sturz,  nous  montrent  sous  le  plus  triste  jour  l'état  d'Erfurt. 
Eoban  constate  avec  douleur  que  les  vices  y  croissent,  que  les  exécutions  y 
sont  presque  quotidiennes;  il  raconte  entre  autres  celle  d'un  père  condamné 
à  mort  pour  avoir  deshonoré  sa  propre  fille.  Les  prisons,  dit-il,  sont  trop 
petites  pour  contenir  les  criminels.  —  Krause,  Eobanus  Hessus,  t.  I,  p.  400-401. 


560      ERFURT    FAIT    CAUSE    COMMUNE    AVEC    LES    RÉVOLTÉS. 

la  place  de  l'ancieu  pouvoir  un  conseil  perpétuel,  et  de  faire  rece- 
voir leurs  arlicles;  si  les  membres  du  conseil  faisaient  quelque  ré- 
sistance, ils  seraient  massacrés  et  les  maisons  des  riches  pillées.  Le 
25  avril,  cinq  mille  paysans  armés  paraissaient  devant  les  portes 
d'Erfurt,  demandant  â  entrer.  Le  conseil  leur  envoya  des  vivres,  et 
promit  de  leur  faire  conuailre  sa  réponse  le  lendemain  matin.  Mais 
les  paysans  refusèrent  de  traiter  avec  «  des  hommes  sanguinaires  et 
impies  %  ne  voulant,  disaient-ils,  avoir  aflviire  qu'au  peuple  de  la 
cité.  Alors  ceux  qui  dans  la  ville  appartenaient  au  parti  luthérien' 
pactisèrent  ouvertement  avec  les  révoltés,  s'assemblèreu!,  et  me- 
nacèrent le  conseil,  avec  force  paroles  injurieuses,  d'ouvrir  les 
portes  malgré  lui.  En  vain  le  conseil  eut-il  recours  aux  prédicants, 
espérant,  par  leur  entremise,  parvenir  à  maîtriser  l'émeute;  en 
vain  réclama-t-il  leur  appui  :  eux-mêmes  ne  savaient  que  résoudre. 
«  Puisque  vous  avez  préparé  ce  qui  se  passe  ,  leur  dit  alors  avec  ru- 
desse le  président  du  conseil,  Frideram,  ..  puisque  toujours  vous  avez 
pris  le  parti  de  ces  scélérats,  tirez-vous  maintenant  d'affaire!  =>  Seul 
Eberlin  cle  Gïmzbourg,  qui,  depuis  Lj24,  s'était  fixé  à  Erfurt,  parvint 
â  force  de  courage  et  d'efforts  conciliants  à  se  faire  un  instant  écouter 
delà  populace;  mais  s'étant  ensuite  rendu  dans  le  camp  des  paysans, 
il  n'en  put  rien  obtenir.  Les  insurgés  ne  cessaient  d'insister  pour  que 
les  portes  de  la  ville  leur  fussent  immédiatement  ouvertes,  et  pour 
que  leurs  articles  fussent  adoptés.  Pour  se  sauver,  le  conseil  conclut 
avec  eux  un  lâche  marché.  Il  leur  permit  d'entrer,  à  la  condition 
qu'ils  respecteraient  les  biens  des  bourgeois,  et  il  leur  abandonna 
tous  les  biens  d'Église,  plus  le  château  de  l'archevêque  de  xMayence, 
c  seigneur  héréditaire  de  la  ville  -,  la  maison  de  douane  et  les 
gabelles.  Le  2S  avril,  les  révoltés  faisaient  leur  entrée  à  Erfurt,  ayant 
à  leur  tête  le  capitaine  de  la  milice  urbaine,  qui  les  animait  et  les 
encourageait  au  pillage.  »  Le  conseil  d'Erfurt  >,  dit  une  relation 
contemporaine,  <  a  ouvert  ses  portes  toutes  grandes  aux  hordes 
féroces;  il  leur  a  permis  de  piller  et  de  saccager  les  églises,  les 
couvents,  les  monastères,  le  château  archiépiscopal,  le  tribunal,  la 
douane,  la  prison,  les  gabelles  et  enfin  presque  toutes  les  maisons 
de  prêtres.  De  plus,  il  s'est  emparé  de  beaucoup  d'églises,  du  couvent 
des  August  ins,  de  celui  des  Carmélites,  d'une  bonne  partie  des  tré- 
sors de  sacristie,  et  de  tous  les  ornements  d'église.  >-  Attablés  à  de 
copieux  banquets,  plongés  dans  l'orgie,  les  paysans  se  gorgeaient 
des  vivres  et  du  vin  qu'ils  trouvaient  dans  les   couvents,  et  sac- 

'  Yoy.  la  lettre  de  Jean  Elli[;er,  témoin  de  ces  faits,  à  Jean  lleclit,  dans  Jörg, 
p.  127-128.  "  Les  niartiniens  'c'est  ainsi  qu'on  désignait  au  début  les  luthériens) 
voulaient  abattre  à  coups  de  liache  la  porte  Saint-Augustin  pour  laisser  pénétrer 
les  paysans  dans  la  ville.  » 


i 


m;  TT  HKS    Di;    MCNZKH    ATX    P  R  I  N  C  K  S  .    1  025.  061 

caf];caicnf  loiil  cc  (jik;  la  |)opiila(-('  flc  la  ville  avait  c'par[jné  dans  les 
étneules  ilos  années  |)rccédeMles  '.  Ils  brisèrent  flans  les  éjjlises  les 
tabicanx  et  les  antels,  et  volcrcnl,  rien  <}ue  dans  réjjlisc  collefjiale, 
cent  calices  d'or  el  darjyenl.  VA  non-seulement  le  conseil  donnait 
a  libre  rotn-s  à  ciMlc  raj;e  de  desiruclion  et  de  pillafje,  mais  lui- 
même  en  profilait.  Il  s'appropria,  entre  autres  choses,  la  cliAsse 
d'argent  où  tMaient  reulermées  les  reliques  de  saint  Eoban  et  de  saint 
Adelaire.  11  abandonna  aux  évanfjélisles  les  églises  pillées  par  les 
paysans,  el  nomma  le  prédicant  Lange  ä  la  chaire  de  la  cathédrale. 
i>'hnmaniste  Eoban  Hessus  se  monirait  ravi  de  tout  ce  qui  se  passait. 
"  Aous  avons  chassé  l'évéque  de  Mayence  -,  écrit-il  à  un  ami,  nous 
sommes  résolus  à  rompre  pour  jamais  avec  ce  mailre  impudent  ou 
plutôt  ce  tyran  pervers.  Tous  les  moines  sont  expulsés,  les  reli- 
gieuses chassées,  les  chanoines  congédiés,  les  temples,  et  même  les 
trésors  de  sacristie,  pillés;  on  tient  compte  de  l'intérêt  public;  les 
douanes  et  les  maisons  de  douane  sont  supprimées;  la  liberté  nous 
est  rendue!  «  Mais  ,  ajoute-t-il,  -  un  orage,  je  le  pressens,  nous 
menace  encore!  »  Cet  orage  ne  larda  pas  à  se  déchaîner  sur  les 
-.  honorables  conseillers  ,  d'abord  si  ravis  de  l'aide  «jue  les  émeu- 
tiers  leur  avaient  apportée.  Les  paysans  et  la  populace  de  la  ville 
se  liguèrent  de  nouveau  contre  eux,  et  le  bruit  courut  qu'on  allait 
i>  faire  sauterleurs  tètes,  parce  qu'ils  avaient  dèslongtemjjs  mérité  ce 
trailemeut  ■ .  Une  seconde  émeu!e  renversa  le  conseil.  Celui  qui  le 
remplaça  n'était  composé  que  des  élus  du  peuple  :  une  complète  anar- 
chie ne  tarda  pas  à  régner  dans  la  ville.  Ce  lut  au  tour  des  couvents 
de  religieuses  à  è(re  pillés;  le  peu  de  prêtres  qui  restait  encore 
fut  chassé,  et  tout  homme  possédant  quelque  bien  fut  menacé  d'en 
être  dépouillé.  Miinzcr  ne  cessait  d'animer  les  -<  frères  chrétiens  à 
une  lutte  d'extermination  contre     les  tyrans  et  les  richards*  -. 

Parvenu  avec  ses  hordes  aux  portes  de  Frankcuhausen,  il  écri- 
vait au  comte  .\lbert  de  Mansfeld,  prince  cependant  favorable  aux 
nouvelles  doctrines  :  ^-  T'imajvinais-tu  donc  que  le  Seigneur  Dieu 
ne  saurait  pas  se  servir  de  son  peuple  ignorant  pour  abolir  dans 
sa  colère  les  tyrans  exécrés?  Ézéchiel  n'avait-il  pas  dit  que  Dieu 
ordonnerait  à  tous  les  oiseaux  du  ciel  de  s'engraisser  de  la  chair 
des  princes,  et  l'Apocalypse,  que  les  animaux  sans  raison  s'abreu- 
veraient du  sang  des  puissants?  Si  tu  veux  reconnaître  la  force  que 

'  Voy  plus  haut,  p.  168,  215. 

-  Voy.  l'excellente  narration  de  ces  faits  dans  K.vmpschllte,  t.  II,  p.  208-214.  — 
Voy.  RuiüSE,  Eohamis  Hessus,  t.  I,  p.  401-402.  —  RiggenbaCU,  p.  232-238.  — 
Zimmermann,  t.  II,  p.  626-630.  —  Zimmermann  appelle  les  événements  d'Erfurl 
•  une  iniisjnifiante  échauffourée,  où  le  sang  ne  coula  point  >. 

H.  36 


562  BATAILLE    D  F,    F  K  A  N  KE  MI  A  U  S  E  N  .    15    MAI    1525. 

Dieu  a  donuée  à  son  peuple,  si  tu  veux  te  présenter  humblement  de- 
vant nous  et  renoncer  à  ta  foi,  nous  te  recevrons  volontiers,  et  nous 
te  tiendrons  pour  un  de  nos  frères;  sinon,  nous  ne  nous  soucierons 
guère  de  ton  bavardage  creux  et  vide,  et  nous  te  combattrons, 
car  tu  es  un  des  pires  ennemis  de  la  fol  chrétienne.  "  Dis-nous, 
])auvre  misérable  sac  à  vers  ,  mandait-il  le  même  jour  au  comte 
catholique  Ernest  de  Mansfeld,  qui  t'a  fait  prince  du  peuple  que 
Dieu  a  racheté  par  son  sang  précieux.  -  Le  comte  était  sommé  de 
se  présenter  immédiatement  au  camp  des  paysans  et,  s'il  était  chré- 
tien, de  demander  pardon  publiquement  de  la  tyrannie  dont  il  avait 
usé  envers  ses  sujets,  avouant  les  motifs  qui  l'avaient  porté  à  se  con- 
duire comme  un  infâme  païen.  Si  tu  tardes  à  venir  et  à  l'acquitter 
du  devoir  qu'on  le  trace,  je  crierai  au  monde  entier  que  tous  les 
i'rères,  pleins  de  joie,  doivent  exposer  leur  sang  pour  t'exterminer 
comme  un  maudit,  et  alors  tu  seras  poursuivi,  et  enfin  déraciné  de 
la  terre  !  L'Éternel,  le  Dieu  vivant,  a  ordonné  de  te  précipiter  de 
fou  siège;  c'est  pour  cela  qu'il  a  remis  sa  force  entre  nos  mains,  car 
tu  es  inutile  à  la  chrétienté,  tu  n'es  que  le  méchant  balai  des  ser- 
viteurs de  Dieu!  Ton  nid  doit  être  arraché  et  détruit.  11  nous  faut 
une  réponse  aujourd'hui  même,  sinon  nous  irons  te  visiter  au  nom 
du  Dieu  des  armées.  Dirige-toi  d'après  cela;  pour  nous,  nous  ferons 
sans  délai  ce  que  Dieu  nous  commande  de  faire.  Arrange-toi  du 
mieux  que  tu  pourras;  je  tiendrai  parole!  Ces  deux  lettres  étaient 
signées  :   ■  Thomas  Miinzer,  ceint  de  l'épée  de  Gédéon'. 

Münzer  avait  fait  savoir  à  tous  les  paysans  des  villages  environ- 
nants que  s'ils  ne  venaient  pas  de  bon  cœur  rejoindre  l'armée, 
l'armée  saurait  bien  les  aller  chercher.  Aussi  voyai!-on  tous  les 
jours  de  longues  files  de  paysans  se  diriger  vers  Frankenhauseu; 
les  femmes,  les  enfants  pleuraient  et  gémissaient  ou  bien  pous- 
saient ûcti  cris  d'allégresse,  selon  que  ce  qui  allait  se  passer  leur 
inspirait  confiance  ou  terreur  ■.  L'armée  des  insurgés  éîait  forte 
d'environ  huit  mille  hommes. 

Riais  pendant  ce  temps,  les  princes  s'étaient  enfin  réveillés.  Le 
landgrave  Philippe  de  Hesse,  après  être  venu  facilement  à  bout  des 
révoltés  campés  dans  les  abbayes  d'Hersfeld  et  de  Fulda,  avait  réuni 
ses  troupes  à  celles  de  Georges  de  Saxe,  de  Henri  de  Brunswick 
et  de  quelques  autres  petits  princes  voisins.  Ayant  ainsi  ras- 
semblé environ  cinq  ou  six  mille  cavaliers,  les  alliés  marchèrent  sur 
Frankenhausen    >-   pour  y  châtier  les  homicides,  les   incendiaires 

'  Lettres  aux  comtes  Albert  et  Ernest  de  Mansfeld.  datées  de  Frankenhausetn, 
le  vendredi  apiès  Jubdate  (12  mai)  1525,  dans  Strubel,  Thomas  Münzer,  p.  98- 
102. 


nATAIJ.LE    DE    F  R  A  N  K  E  N  II  A  IJ  S  T:  N  .    là    MAI    1525.  563 

et  les  blasphémateurs  '  -.  F.cs  paysans  étaient  mal  armés,  mal 
équipés;  .Miiiizcr  élablit  sou  camp  sur  un  monliculc  qu'il  fit  en- 
tourer d'un  rernparl  de  chariots,  il  s'eliorça  d'enfiammer  le  cou- 
rage des  paysans  et  de  leur  inspirer  la  certitude  de  la  victoire. 
'<  Les  princes  -,  leur  di(-il  au  moment  de  l'action,  '  ruinent  vos 
terres  et  vous  oppriment;  ils  viennent  déléndre  et  rétablir  le  faux 
culte  des  prêtres  et  des  moines;  mais  Dieu  a  juré  la  perte  de  ces  nou- 
veaux (liananéens  !  Ne  vous  laissez  pas  intimider  parla  chair  et  le 
sang,  allafjuez  hardiment  les  ennemis!  Dieu  e>t  pour  nous,  vous  le 
voyez,  car  il  nous  donne  en  ce  moment  un  signe  certain  de  sa  pro- 
tection. Cet  arc-en-ciel  qui  se  montre  dans  les  nues  signifie  qu'il 
vient  lui-même  à  notre  secours;  ne  portons-nous  pas  un  arc-en-ciel 
dans  notre  bannière?  Or,  par  ce  même  signe,  Dieu  menace  les 
princes,  ces  homicides,  de  sa  justice  et  de  son  châtiment.  Soyez 
donc  sans  crainte,  et  ne  songez  qu'à  bien  vous  battre!  Dieu  ne  veut 
pas  que  vous  lassiez  la  paix  avec  les  impies!  Alors  les  paysans  en- 
tonnèrent le  cantique  :  Viens,  Esprit-Saint!  et,  sûrs  de  vaincre, 
attendirent  le  premier  choc  de  l'ennemi.  .Mais  à  peine  la  cavalerie 
des  princes  alliés  eut-elle  brisé  leurs  faibles  retranchements,  à 
peine  les  premiers  d'entre  eux  furent-ils  tombés,  qu'ils  s'enfuirent 
dans  un  inexprimable  désordre.  Six  raille  furent  impitoyablement 
massacrés.  De  ceux  qu'on  fit  |)risonnlers  à  l'intérieur  de  la  ville, 
trois  cents  furent  décapités  sur-le-champ.  Nous  avons  conquis 
Frankenhausen  -,  écrivait  le  landgrave  Philippe  le  16  mai  au  len- 
demain de  la  bataille,  i  et  nous  avons  passé  au  fil  de  l'épée  tout  ce 
que  nous  y  avons  trouvé  de  rebelles;  la  ville  a  été  saccagée.  Ainsi 
donc,  avec  laide  de  Dieu,  nous  avons  remporté  la  victoire,  ce  dont 

'  •  On  peut  à  peine  s'expliquer  ' ,  remarque  l'équitable  Strobel  (p.  105),  •  l'ex- 
trême apathie  des  princes  durant  les  premiers  mois  des  émeutes.  Pourquoi 
assistèrent-ils  passivement  à  de  telles  dévastations?  Peut-être  faut-il  cher- 
cher la  raisjn  principale  de  l'indifférence  dont  ils  firent  preuve  (en  parti- 
culier l'électeur  Frédéric  de  Saxe»  dans  le  fait  que  les  premières  attaques  des 
rebelles  furent  dirigées  sur  les  couvents,  les  prêtres,  les  moines  et  les  reli- 
f^ieuses,  et  qu'ils  ne  voyaient  pas  sans  une  certaine  satisfaction  la  puissance  et  la 
richesse  du  clergé  attaquées.  •  Le  14  avril  1525,  alors  que  depuis  longtemps  la 
populace  des  villes  et  des  campagnes  avait  exercé  de  tous  côtés  d'affreux 
ravages,  Frédéric,  déjà  atteint  de  la  maladie  dont  il  mourut,  écrivait  à  son 
frère  lean,  pour  satisfaire  aux  instantes  prières  du  duc  Georges  de  Saxe,  que 
les  princes  feraient  peut-être  bien  d'unir  leurs  forces  pour  arrêter  la  révolte. 
«  Il  faut  opposer  la  force  à  cette  puissante  rébellion.  Peut-être  a-t-on  donné 
sujet  aux  pauvres  de  se  soulever  ainsi,  surtout  en  interdisant  la  parole  de  bien  ; 
peut-être  les  pauvres  ont-ils  été  opprimés  de  beaucoup  de  manières  par  nous 
autres  autorités  spirituelles  et  temporelles.  Si  telle  est  la  volonté  de  Dieu,  il 
peut  arriver  que  le  pouvoir  passe  aux  mains  du  peuple.  Si  au  contraire  ce  n'est 
pas  sa  divine  volonté  et  ne  doit  pas  revenir  à  sa  gloire,  nous  verrons  bientôt 
les  choses  changer  de  face.  »  —  Strorel,  p.  126.  L'Électeur  mourut  le  5  mai.  en 
pleine  tourmente  révolutionnaire.  La  sanglante  guerre  de  religion  qu'il  avait 
prédite  le  jour  de  Noél  1517  éclatait  à  ce  moment  de  tous  côtés. 

36. 


564        SUPPLICE    DE    MUNZER.    CHATIMENT    DES    REBELLES. 

il  est  juste  que  nous  rendions  grâces  au  Tout-Puissant,  espérant 
avoir  agi  pour  sa  gloire'. 

Münzer,  qu'on  trouva  caché  sous  un  lit  à  Fraukenhausen,  fut 
amené  en  présence  des  princes,  interrogé  sur  le  motif  qui  l'avait 
porté  à  égarer  et  à  perdre  un  si  grand  nombre  d'hommes,  il  répondit 
avec  hauteur  :  ^^  que  c'était  à  bon  droit  qu'il  avait  conçu  le  dessein 
de  châtier  les  princes,  puisque  ceux-ci  s'élaient  opposés  à  l'Évangile 
du  Christ.  -  Au  landgrave  qui  s'efforçait  de  lui  prouver  par  des 
textes  de  la  Bible  qu'on  est  obligé  de  se  soumettre  aux  autorités 
constituées  par  Dieu,  il  ne  répondit  rien.  Lorsqu'on  lui  mit  les 
menottes,  le  duc  Georges,  l'entendant  pousser  un  cri  de  douleur,  lui 
dit  :  "  Tu  souffres,  Thomas!  Mais  combien  les  pauvres  gens,  mas- 
sacrés par  ta  faute,  n'ont-ils  pas  souffert  davantage!  Münzer  lui 
répondit  avec  un  rire  sauvage  :     C'est  vous  qui  l'avez  voulu! 

Il  fit  des  aveux  complets;  après  avoir  conquis  tout  le  territoire  de 
Mulhausen,  puis  la  Hesse,  il  s'était  propose,  déclara-t-il,  d'établir 
une  complète  égalité  parmi  les  chrétiens,  et  d'expulser  ou  de  mettre 
à  mort  tous  les  princes  on  seigneurs  qui  refuseraient  de  soutenir 
l'Évangile  et  de  se  joindre  à  l'inion  >•. 

Pendant  sa  captivité,  ses  dispositions  changèrent  complètement. 
11  écrivit  aux  habilants  de  Mulhausen  pour  les  invilcr  à  se  soumettre 
à  Taulorilé,  disant  »en  terminant  sa  lettre  :  -  Avant  de  quitter  ce 
monde,  et  pour  ôter  de  mon  àme  le  lourd  fardeau  qui  l'oppresse,  je 
viens  vous  sup])lier  encore  de  ne  plus  vous  révolter  à  l'avenir,  afin 
que  le  sang  innocent  soit  épargné-.  "  -  Sans  y  être  aucunement  con- 
traint, poussé  par  le  mouvement  de  sa  propre  conscience  -,  il  ré- 
tracta loutes  ses  erreurs,  se  reprochant  surtout  d'avoir,  par  ses  dis- 
cours incendiaires  contre  les  pouvoirs  établis,  fomenté  tant  d'émeutes 
et  de  séditions  pernicieuses;  priant  qu'ayant  égard  au  comman- 
dement de  Dieu,  on  oubliât  le  scandale  cju'il  avait  causé,  qu'on 
obéit  à  l'avenir  aux  autorités  constituées  par  Dieu,  et  qu'on  lui 
pardonnât  l'exemple  funeste  qu'il  avait  donné  «.  "  11  s'accusait  sur- 
tout d'avoir,  par  ses  prédications,  poussé  à  la  révolte,  tenté  beau- 
coup d'âmes,  et  propagé  des  doctrines  fausses,  des  hérésies,  des 
blasphèmes  touchant  le  Très-Saint  Sacrement  du  Corps  de  .lésus- 
Christ  et  les  lois  de  l'Église  universelle.  11  reconnut  pour  véritable 
tout  ce  que  la  sainte  Église  a  toujours  tenu  et  tient  encore  pour  dogme 
immuable,  et  rentra  dans  l'union  et  la  paix;  il  déclara  vouloir  mourir 

'  Relation  de  la  bataille  de  Frankenhausen  par  Philippe  de  liesse,  le  mardi 
après  Cantate  (16  mai)  lô25,  dans  Kraus,  p.  42-43.  Le  l;tndp,rave  évalue  à  six  mille 
les  morts  de  cette  journée,  et  à  six  cents  le  nombre  des  prisonniers. 

-  Seidemann,  Thomas  Münzer,  p.  146. 


LUTiii'ii  SI' Il   i,.\  iu:i'iii;.ssioN  in;s  i-aysans.  io-'ô.       56.0 

en  fils  obéissant  e(  repenlant  de  la  sainte  Éjjlise,  suppliant  qu'au 
nom  (le  Dieu,  on  vouli^l  bien  prier  pour  son  ätne  el  lui  pardonner 
(•"ralerneileineiit  ses  loris;  il  demanda  aussi  «pTil  IVil  permis  à  sa 
femme  et  à  ses  euianis  de  recueillir  son  liéritajje'.  Il  se  prépara 
pieusement  à  la  mori,  se  confessa  selon  le  rite  catholifiue  et  com- 
munia sous  une  seule  espèce.  Avant  de  recevoir  le  coup  mortel,  il 
reconnu!  une  dernière  l'ois  ses  fautes  devant  tous,  mais  en  même 
temps  il  exhorta  les  princes  qui  l'entouraient  à  se  montrer  doux  et 
équitables  envers  leurs  sujets,  afin  qu'à  l'avenir  de  si  iuuestes  ré- 
voltes pussent  ôlre  évitées.  Il  les  exhorta  à  lire  pour  leur  instruclion 
les  livres  de  Samuel  et  des  H  ois,  el  d'y  méditer  ce  ([ui  y  est  rapporté 
sur  la  mort  réservée  aux  tyrans. 

Le  compagnon  de  Miinzer,  Prcif'l'er,  fait  prisonnier  à  Kisenach 
avec  environ  cent  de  ses  partisans,  mourut  aussi  de  la  main  du  bour- 
reau; 1  mais  il  Ht  une  mort  d'endurci  •■,  sans  préparation,  sans 
repentir,  sans  sacrements. 

Cependant  les  princes  alliés,  auxquels  s'était  joint  le  nouvel  élec- 
teur, Jean  de  Saxe,  s'étaient  emparés  de  Mulliausen.  Tète  nue  et 
pieds  nus,  tenant  à  la  main  des  bâtons  blancs,  les  bourgeois  se 
présentèrent  dans  le  camp  des  princes  alliés  et  leur  remirent  les 
clefs  de  la  ville.  .Mulhausen  (les  droits  de  l'Kmpereur  et  de  l'Empire 
réservés)  dut  jurer  obéissance  à  l'Électeur,  au  duc  (ieorges  et  au 
land[;rave  Philippe,  payer  quarante  mille  florins  d'indemnité  de 
guerre,  un  tribut  annuel,  abattre  ses  donjons,  ses  murs  et  forte- 
resses, restituer  au  clergé  tout  ce  qui  lui  avait  été  enlevé,  et  dé- 
dommajver  la  noblesse  des  pertes  subies.  Plusieurs  chefs  de  la 
révolte  lurent  décapités;  en  peu  de  temps,  l'insurreclion  était  com- 
plélemenl  domptée  dans  les  différents  territoires  des  princes.  A  Lan- 
gensalza, quarante  rebelles  périrent  sur  l'échafaud.  A  Erfurt,  l'ancien 
conseil  reprit  ses  fonctions,  et  se  montra  sans  pitié  et  sans  misé- 
ricorde pour  ceux-là  mêmes  que,  si  peu  de  temps  auparavant,  il 
avait  traités  de  frères,  et  fait  servir  d'instruments  à  sa  honteuse  po- 
litique. 


IX 


=  La  barbarie  dont  on  use  envers  les  pauvres  gens  ",  écrivait 
Luther  les  23  el  30  mai  à  propos  des  représailles  dont  les  paysans 
étaient   l'objet,   -  est  chose  vraiment  lamentable.  Mais  comment 

1  Bckentnus,  Bl.  A.,  1-3. 


566  LUTHER    SUH    LA    RÉPRESSION    DES    PAYSANS.    1525. 

faire;"  II  fallait  être  sévère,  et  Dieu  veut  qu'une  crainte  salutaire  soit 
imjjrimée  aux  coupables,  autrement  Salan  ferait  bien  pis  encore!  » 
u  Ouelle  raison  anrait-ou  de  montrer  aux  paysans  une  si  p,rande  clé- 
mence? S'il  se  trouve  des  innocents  parmi  eux,  Dieu  saura  bien  les 
protéger  et  les  sauver,  comme  il  a  fait  avec  Loth  et  .lérémie.  Si  Dieu 
ne  les  sauve  pas,  c'est  donc  qu'ils  sont  criminels;  le  moindre  mal 
qu'ils  aient  pu  commettre,  c'es!  de  se  taire,  de  laisser  faire,  de  con- 
seutir.  S'ils  l'ont  fait  par  stupidité  ou  par  peur,  ils  n'en  sont  pas  moins 
coupables,  et  ils  ont  mérité  le  châtiment  de  Dieu,  tout  comme  celui 
qui,  par  crainte  des  hommes,  renie  le  Christ.  Et  si  je  me  montre  si 
dur  envers  eux,  c'est  surtout  parce  qu'ils  ont  forcé  et  contraint  les 
peureux  et  les  faibles  à  partager  leur  rébellion,  ce  qu'ils  ne  cessent 
encore  de  faire  tous  les  jours.  Qu'on  leur  donne  de  la  paille  d'avoine 
à  manger,  car  ils  n'écoutent  pas  la  parole,  ils  n'ont  pas  l'ombre  de 
bon  sens!  Puisqu'il  eu  est  ainsi,  il  faut  leur  faire  comprendre  leur 
di;voir  par  l'arquebnse  et  le  fouet,  et  certes  ils  l'ont  bien  mérité! 
Prions  pour  eux,  afin  qu'ils  apprennent  à  se  soumettre;  mais  il  n'y  a 
pas  lieu  de  beaucoup  les  plaindre!  Croyez-moi,  laissez  les  carabines 
fredonner  à  leurs  oreilles,  sans  cela  ils  feront  mille  fois  pis.  "  -  Celui 
qui  a  vu  Münzer  peut  bien  dire  qu'il  a  vu  le  diable  en  chair  et  en  os, 
dans  sa  plus  grande  furie!  0  Seigneur  Dieu,  s'il  règne  un  tel  esprit 
parmi  les  paysans,  il  est  grand  temps  de  les  égorger  comme  des 
chiens  enragés!  "  Et  comme  à  cause  de  semblables  paroles  on  traitait 
Luther  d'hypocrite,  de  flatteur  de  princes,  il  témoigna  qu'un  tel 
reproche  lui  plaisait  fort,  et  qu'il  s'en  faisait  gloire  '. 

Ce  nouvel  écrit  était  intitulé  :  Contre  les  hordes  homicides  et  pillardes 
des  paysans,  c.  L'autorité  chrétienne  ■■,  disait  Luther,  «  doit  s'effor- 
cer de  traiier  en  toute  justice  et  loyauté  avec  les  rebelles  insensés, 
bien  qu'ils  ne  le  méritent  pas  ;  mais  si  les  bons  procédés  restent  insuf- 
fisants, il  ne  faut  pas  hésiter  à  se  servir  de  l'épée.  >'  S'étant  montrés 
déloyaux,  parjures,  menteurs,  rebel  es,  scélérats,  infâmes,  les  paysans 
avaient  plus  d'une  fois  mérité  la  mort  dans  leurs  corps  et  dans  leurs 
âmes.  Aussi  non-seulement  l'autorité,  mais  le  premier  venu  avait-il 
le  droit  et  le  devoir  de  les  mettre  à  mori,  car  un  homme  qu'on  peut 
convaincre  du  crime  de  rébellion  est  au  ban  de  Dieu  et  de  l'Empe- 
reur, et  tout  chrétien  peut  et  doit  l'égorger,  et  fera  bien  de  le  f  sire, 
parce  (]ue,  vis-à-vis  d'un  rebelle,  chacun  est  investi  des  pouvoirs  de 
juge  cl  de  bourreau,  ù  Donc  celui  qui  eu  a  l'occasion  peut  égor- 
ger, exterminer  soit  publiquement,  soit  en  secret,  le  rebelle 
qu'il  rencontre,  et  bien  se  persuader  que  rien  n'est  plus  venimeux, 
plus  pernicieux,  plus   diabolique  qu'un  révolté.   Il   en  est  de  lui 

'  De  Wette,  t.  II,  p.  606,  669-670,  671. 


MAHI.\f;E    DE    LUTH  LR.    1.025.  jG7 

comme  fl'mi  cliicn  eur.ijjé  :  si  tu  ue  l'abats  pas,  il  (e  luera,  et  tous 
ceux  (le  Ion  pays  avec  toi.  .  Tonte  autorili';  qui  ne  châtie  point 
du  cleiiiier  supplice  celui  qui  s'est  dcclaiT  contre  elle  est  res|)Ou- 
sable  des  meurtres  qui  se  commettront  dans  l'aveuir.  Il  n'est  pas 
question  ici  de  patience  et  de  miséricorde!  C'est  maintenant  le 
temps  du  jjlaive,  le  temps  de  la  colère,  et  non  celui  de  la  {;ràce!  ' 
Luther  avait  nié  jus(|ue-là  qu'on  piU  obtenir  le  ciel  par  la  prière  ou 
les  bonnes  œuvres,  mais  maintenant  il  écrit  :  «  Nous  vivons  en  des 
temps  si  extraordinaires  qu'un  prince  peut  mériter  le  ciel  en  versant 
le  san^y,  beaucoup  plus  aisément  que  d'autres  en  |)riant.  Rien  qu'en 
considération  des  malheureux  que  les  paysans  contraignent  à  entrer 
dans  leur  lip,ue  diabolique,  l'autorité  peut  en  toute  conscience  se 
servir  du  glaive.  '^  C'est  pourquoi,  chers  seigneurs,  déchainez-vous, 
.sauvez-nous,  aidez-nous,  ayez  pitié  de  nous,  exterminez,  égorgez,  et 
que  celui  qui  en  a  le  pouvoir  agisse!  Si  tu  meurs  pour  avoir  suivi  ce 
conseil,  ton  sort  est  digue  d'envie,  car  tu  ne  saurais  faire  une  mort 
plus  sainte  '.  » 

«  Que  de  malédictions  n'ai-je  pas  attirées  sur  ma  tête  par  mon  petit 
livre  contre  les  paysans!  •  écrit  Luther  le  15  juin  1525  à  .leau  Rühel 
et  à  deux  autres  de  ses  amis;  -  tous  les  bienfaits  dont  Dieu  a  comblé 
le  monde  par  mou  entremise  sont  oubliés.  Maintenant  les  seigneurs, 
les  prêtres,  les  paysans,  tous  à  la  fols  sont  contre  moi  et  me  mena- 
cent de  mort.  Mais  comme  ses  ennemis  ^  sont  des  insensés  et  des 
furieux  -,  Luther  se  propose  de  les  rendre  plus  fous  et  plus  furieux 
encore».  11  s'était  marié'-;  le  17  juin,  il  écrivait  â  l'un  de  ses  amis  en 
l'invitant  à  ses  noces  :  Vous  savez  ce  qui  m'est  arrivé?  Je  me  suis 
embarlificoté  dans  les  nattes  de  ma  catin!  Dieu  prend  plaisir  à  émer- 
veiller, à  berner,  à  rendre  fou  le  monde  et  moi!  Préparez-vous,  le 
jour  du  festin,  à  aider  ma  fiancée  â  bien  certifier  que  je  suis  un 
homme'!  »  -■  Notre  Luther  •■,  mande  à  cette  date  le  prédicant  .iuste 
Jonas  à  Spalatin,  <  a  pris  Catherine  de  Bora  pour  femme.  J'étais 
présent  à  la  fête;  j'ai  vu  la  fiancée  couchée  dans  son  lit,  et,  à  ce 
spectacle,  je  n'ai  pu  retenir  mes  larmes!  En  vérité.  Dieu  est  admi- 
rable dans  ses  conseils  et  dans  ses  œuvres  *■  !  - 

1  Siinnntl.  Werke,  t.  XXIV,  p.  288-294. 

*  [)E  Wette,  t.  III,  p.  1-2. 
'  De  Wette,  t.  III,  p.  9. 

*  •  Lutlierus  noster  duxit  uxorem  Catharinam  de  Bora.  Ileri  adfui  rei  et  vidi 
sponsHiii  in  llialmno  jacentem.  Non  potui  me  continere,  astaiis  huic  spectacnlo, 
qnin  iiiaclirj  maien.  nescio  quo  affectu  aiiimum  percellente...  mirabilis  Dtus  in 
coiisiliis  etoperibus  suis!  ■  Spalatini  .-.  dans  Mencken,  t.  II.  p.  645.  Mélanchtiion  s'ex- 
prime Ktut  différemment  à  propos  de  ce  mariage,  dans  une  lettre  confidentielle 
écrite  à  (  amerariiis,  lettre  qui  témoigne  de  peu  de  respect  pour  Lutlier  et  pour 
Catherine  de  Bora.  Il  accuse  de  tout  le  mal  les  religieuses  échappées  de  leur 


568  LUTHER    CONTRE    LES    PAYSANS.    1525. 

De  même  que  Luther  regardait  son  mariage  comme  l'œuvre  de 
Dieu,  il  considérait  son  livre  comme  inspiré  par  Dieu  même'.  Celait 
de  par  Tordre  du  Seigneur,  disait-il,  qu'il  s'opposait  aux  paysans, 
et  il  ne  voyait  dans  ceux  qui  le  blâmaient  et  l'accusaient  à  ce  sujet 
que  les  complices  des  rebelles  :  Il  faut  conseiller  à  ceux  qui  criti-. 
quent  mon  petit  livre  -,  dit-il  dans  une  lettre  adressée  au  chancelier 
de  Mansfeld,  Gaspard  Müller,  de  tenir  leur  gueule  fermée,  et  de 
veiller  sur  eux,  car  cerlaineraent  leur  cœur  est  en  secret  révolté. 
Ils  sont  du  parti  des  rebelles  :  ceux  qui  les  plaigneu*  les  justifient 
et  ont  pitié  de  ceux  dont  Dieu  n"a  pas  pitié,  qu'il  châtie  et  veut 
perdre.  Celui  qui  soutient  ainsi  les  coupables,  soyez  sur  cjue,  s'il  en 
trouvait  l'occasion  et  l'heure,  il  préparerait  de  nouveaux  attentats, 
depuis  longtemps  résolus  au  fond  de  sou  àme.  Aussi  l'autorité  doit- 
elle  se  saisir  de  tels  personnages,  et  veiller  à  ce  qu'ils  se  taisent,  et 
soient  bien  avertis  qu'il  ne  faut  pas  plaisanter  en  un  tel  sujet ^  " 


couvent  qui  demeuraient  chez  Luther.  »  Luther»,  écrit-il,  «  est  un  homme  ex- 
trêmement ardent  (àvr,p  oS;  [j.âXirjTa  EO/j>r,ç  ,  et  les  religieuses  ont  employé  envers 
lui  toutes  sortes  de  ruses,  si  bien  qu'elles  en  sont  venues  à  bout.  La  cohabi- 
tation la  efféminé  et  enflammé  de  passion,  bien  que  ce  soit  un  homme  éner- 
gique et  d'un  grand  caractère.  »  -  C'est  ainsi  qu'il  est  tombé  dans  le  panneau.  « 
Mélanchthon  espérait  que  le  mariage  améliorerait  Luther  et  le  calmerait  Otî  ô 
ß{o;  o-jTocri  r;i\j:/rj-z  r/y/  aOxov  T^oir.Gzi).  Cette  lettre,  copiée  sur  le  texie  original,  a 
été  communiquée  par  W.  Meyer.  dans  les  Slizumjkhcricluen  der  Münchener  Académie 
der  U'isienschaflen  philosoph.  philolog  -und  hislonsche  Classe,  1876,  p.  601-604.  —  Voy. 
K.  Germanls,  lù'/urmalorenbilder  iFribourg,  1883),  p.  285,  note  20. 

■  -  Dominus  me  subito  aliaque  cogitantem  »,  écrivait-il  le  20  juin  5  Venceslas 
Link;  «  conjecit  mir.?  in  conjugium  cum  Catherina  Borensi  moniali  illa.  »  Le 
22  juillet,  il  écrivait  au  même  ami  :  'Beiie  vale  in  Domino.  Je  suis  lié  et  empri- 
sonné par  Catherine,  et  je  suis  couché  sur  la  funèlire  litière  (jeu  de  mot  intra- 
duisible :  Ich  liege  auf  der  Bore  [Bahre  i,  scilicet  mortuus  mundo.  Salutut  autem  te 
tuamque  Catenam  mea  Cateiia.  •  Et  à  Spalatin  ie  16  juin  :  '-  Sic  me  vilem  et 
contemptuiii  bis  nuptiis  feci,  ut  angelos  ridere  et  omnes  da>mones  fleresperem. 
iN'ecdnm  nniiidus  et  sapientes  agnoscunt  opus  Dei  pium  et  sacrum  et  in  me 
uno  faciuiit  id  impium  et  diabolicum.  »  —  De  Wette,  t.  III,  p.  3,  10,  18. 

'  Luther  écrivait  à  Amsdorf  à  propos  de  son  livre  :  «  Ego  vero  non  tam  mise- 
reor  nostrorum  socioruin,  qui  me  judicantessuum  simul  spiritum  sanguinarium 
et  seditiosum  produnt.  Ouare  gaudeo  sic  Sataiiam  indignari  et  Idasphemare, 
quoties  a  me  langitur.  Oui  enim  sunt  nisi  Satanae  illse  voces,  quibus  me  et 
Evangelium  traducere  nititur?...  Erit  forte  tempus,  ut  et  mihi  liceat  dicere  : 
Omnes  vos  scandalum  patiemini  in  ista  nocte.  »  «  Ego  sic  sentio,  melius  esse 
omnes  rusticos  ca-di,  quam  principes  et  magistratus.  eo  quod  ruslici  sine  auclori- 
tale  bei  gladium  accipiunt.  Quam  nequiliiuu  Satana'  sequi  non  polest  nisi  mera 
satanica  vastitas  regni  Dei,  et  mundi  principes,  etsi  cadunt,  tamen  gladium  auc- 
toritate  Dei  gerunt.  Ibi  utrumque  regnum  consistere  potest,  quare  nulla  niise- 
ricordia,  nulla  patientia  rusticis  debetur,  sed  ira  et  indignatio  Dei  et  hominum 
lis,  qui  non  acquiescunt  monitis,  nec  oblatis  conditionihus  acquissimis  ceduut, 
.sed  furore  Satana?  solo  pergunt  omnia  miscere,  quales  sunt  isti  Thuringici  et 
Franconici.  Ilos  ergo  juslificare,  horum  misereri,  illis  favere,  est  Deum  negare, 
blasphemare  et  de  cœlo  velle  dejicere.  •  —  De  Wette,  t.  II,  p.  671-672.  Le  pré- 
dicant  de  Zwickau,  Hausmann,  qui,  sur  la  demande  de  l'électeur  de  Saxe,  et  con- 
trairement aux  conseils  de  Luther,  s'était  montré  clément  envers  les  paysans, 


LU  TU  KU    (;f)NTKE    I,  K  S    PAYSANS.    1525.  569 

«  Oue  si  mon  scnliinciil  vous  semble  (rop  dur,  si  vous  le  trouvez 
violent,  emporté,  injuste,  je  vous  répondrai  (|ue  j'ai  le  droit  de  parler 
ainsi,  car  un  révolté  n'est  pas  dij^ne  (|u'on  parle  raison  avec  lui;  il 
ne  veut  rien  entendre.  Ce  n'est  (pie  par  le  poinj;  qu'il  faut  répondre 
à  ces  bodclies  maudites,  jiiscpi'à  ce  (jue  la  sueur  leur  sorte  par  le  nez! 
Les  paysans  ne  veulent  rien  écouter,  ils  ne  soutirent  pas  qu'on  les 
avertisse;  donc  il  laut  leur  trotter  les  oreilles  avec  des  pierres  d'arque- 
buse, et  faire  voler  leur  tète  en  l'air!  A  de  tels  écoliers  convient  une 
telle  férule!  .  Si  l'on  dit  (ju'en  cette  question  je  manque  d'luin)anité 
et  de  miséricorde,  je  répondrai  :  Cessez  vos  bavardages!  Il  s'agit 
mainten.iMl  de  la  |)arole  de  Dieu,  qui  veut  que  le  souverain  soit  honoré 
cl  les  révoltés  détruits,  et  Dieu  est  cependant  tout  aussi  miséricor- 
dieux que  vous!  »  "  C'est  pourquoi  mon  petit  livre  est  équitable  et 
restera  tel,  quand  bien  même  le  monde  entier  s'en  scandaliserait. 
Ce  que  j'ai  écrit,  je  le  répète  encore  :  Les  ])aysans  obstinés,  endurcis, 
aveuglés,  qui  ne  veulent  pas  être  repris,  personne  ne  doit  en  avoir 
pitié;  que  celui  qui  en  a  l'occasion  les  hache,  les  empale,  les  égorge, 
les  assomme  comme  des  chiens  enragés,  et  qu'on  vienne  ainsi  eu 
aide  à  ceux  (pji,  par  leurs  méchants  conseils,  seraient  ruinés,  séduits 
et  tentés!  Exterminer  les  insurgés,  c'est  travailler  à  la  paix  et  à 
la  sécurité  générales.  " 

Si  quchjues  semaines  auparavant  '  il  avait  affirmé  que  le  joug 
pesant  et  intolérable  des  princes  et  des  seigneurs  avait  été  la  seule 
cause  de  la  révolte,  il  était  à  présent  convaincu  que  la  volonté  de 
Dieu  s'était  révélée  pendant  la  guerre,  de  iaçon  que  les  paysans  en 
retirassent  une  utile  leçon;  jusque-là,  leur  vie  avait  été  trop  douce; 
n'ayant  pas  su  apprécier  les  bons  jours,  il  leur  fallait  maintenant  ap- 
prendre à  bénir  Dieu  de  leur  sort;  désormais  quand  ils  auraient  à 
donner  une  vache  à  leur  seigneur,  ils  s'estimeraient  très-heureux  de 
pouvoir  garder  l'autre  en  toute  sécurité,  ils  avaient  oublié  le  prix 
de  la  paix,  de  la  tranquiUité.  Ils  ignoraient  combien  l'on  doit  se 
trouver  satisfait  lorsqu'on  peut  manger  eu  paix  son  morceau  de 
pain  et  boire  son  coup  de  vin  sans  inquiétude;  puisque  autiefois  ils 
n'avaient  pas  su  se  montrer  reconnaissants  des  bienfaits  de  Dieu,  il 
était  juste  qu'ils  en  subissent  à  présent  la  peine,  afin  que  la  déman- 
geaison de  l'émeute  ne  les  reprit  pas  de  sitôt. 

Les  princes  et  seigneurs,  selon  la  manière  dont  Luther  envisageait 


écrivait  pour  se  justifier  :  «  Veuillez  m'excuser  auprès  de  Luther.  On  m'assure 
qu'on  nie  représente  à  ses  yeux  comme  ayant  mal  et  injustement  agi  en  inter- 
cédant pour  les  pays;ins.  Mais  je  voyais  et  j'entendais  dire  que  des  innocents 
étaient  emprisonnés,  qu'on  n'usait  pas  envers  eux  de  mesures  équitables,  et  que 
la  torture  était  employée  »,  etc.  —  Strobel,  Thomas  Mànzer,  p.  135. 
'  Voy.  plus  haut,  p.  513. 


570  VICTOIRES    REMPORTEES    SUR    LES    REBELLES.    lr,25. 

mainlenant  la  question,  devaient  à  leur  tour  retirer  une  leçon 
salutaire  des  événements  qui  venaient  de  se  passer;  à  l'avenir,  ils 
devaient  se  montrer  fermes  et  gouverner  avec  rigueur.  -  Avant 
l'insurrection  »,  disait  Luther,  nulle  main  énergique  ne  savait 
tenir  les  rênes;  Tordre  n'était  nulle  part,  le  peuple  avait  perdu 
tout  respect,  toute  crainte.  Tout  était  permis,  et  tout  allait  à  la  dé- 
rive; cliiicun  ne  faisait  que  ce  qui  lui  plaisait.  On  se  refusait  à 
payer  les  dîmes;  on  ne  se  plaisait  que  dans  les  festins,  les  dé- 
bauches, les  riches  habits,  l'oisiveté;  il  semblait  que  tous  fussent 
devenus  seigneurs.  »  De  même  que  l'âne  doit  être  étrillé,  le  peuple 
doit  êlre  maté;  Dieu  le  sait  bien;  aussi  a-t-il  mis  entre  les  mains  de 
l'autorité,  non  la  queue  d'un  renard,  mais  un  glaive.  ' 

A  la  fin  de  sa  lettre,  il  répète  encore  :  «  Ce  que  j'enseigne  et  écris 
restera  vrai,  dût  le  monde  en  crever  de  dépit  '  !  » 

"  Moi,  Martin  Luther  -,  écrivait-il  bien  des  années  après,  "j'ai 
exterminé  tous  les  pajsaus  insurgés;  j'ai  moi-même  ordonné  leur 
supplice,  et  tout  leur  sang  rcîombe  sur  moi.  Mais  je  le  fais  remonter 
jusqu'à  notre  Seigneur  Dieu,  car  c'est  lui  qui  m'a  ordonné  de  parler 
comme  je  l'ai  fait  *!  » 


X 


Antérieurement  à  la  journée  de  Frankenhausen,  le  sénéchal  Georges, 
à  la  tête  des  troupes  alliées  de  Souabe,  avait  remporté  une  brillante 
victoire  sur  une  armée  de  paysans  de  dix  à  ving:t  mille  hommes, 
près  de  Böblingen  (12  mai  1525).  Ce  succès  décisif  avait  suffi  pour 
apaiser  entièrement  la  révolte  du  Wurtemberg.  Melchior  Nonneu- 
macher,  le  même  qui  avait  joué  du  fifre  au  moment  du  meurtre 
du  comte  d'Helfenstein,  et  .Jacques  Wirt,  qui  avait  porté  le  premier 
coup  â  la  vicsime  et,  revêtu  du  pourpoint  de  damas  du  comte,  avait 
insulté  à  la  douleur  de  sa  malheureuse  épouse,  furent  faits  prison- 
niers; tous  deux,  liés  à  des  arbres,  furent  lentement  brûlés.  Jacques 
Rohrbach,  pris  après  le  combat  tandis  qu'il  fuyait,  fut  chargé  de 
1ers  et  condamné  au  même  supplice.  «  Les  représailles  ne  furent 
pas  moins  barbares  que  les  crimes  avaient  été  féroces.  '•  Le  17  mai, 
le  duc  Antoine  de  Lorraine,  qui  considérait  la  guerre  comme  une 
croisade  entreprise  pour  la  défense  de  l'Eglise  ca(holique\  mit  en 

^  Ein  Sendbrief  von  dem  liarlcn  Büchlein  wider  die  Bauern.  Sümmtl.  (l'erke,  t.  XXIV, 
p.  295-319. 

-  Samnll.  Werke,  t.  LIX,  p.  281-285. 
•*  HaRTFELDEU,  Bauernkrieg,  p.  120. 


VI  CTO  I»  ES    HKMI'OHTF.ES    SUR    LES    REBELLES.    1525.         571 

déroute  les  rebelles  d'Alsace  près  de  Saverne.  Vin(;l  mille  pay.sans 
environ  périrent  en  peu  <lc  Jours  :  Les  villages  sont  déserts  > , 
écrivail  le  niar[;rave  Ernest  de  Bade  au  conseil  de  Bâle;  <  les  femmes 
et  les  enfants  prennent  la  luite,  et  c'est  un  spectacle  pitoyable  '.  Le 
18  mai,  le  sénéchal  (;corj;es,  après  (pie  les  |)aysans  du  \Vurteml)er}', 
eurent  renouvelé  entre  ses  mains  leur  serment  de  fidélité,  retourna 
sur  ses  pas,  pour  aller  venger,  à  VVeinsberg,  les  forfaits  du  16  avril. 
La  ville  fut  livrée  aux  flammes  et  détruite  de  fond  en  condjle,  avec 
tout  ce  qu'elle  contenait  de  vivres,  de  meubles  et  de  bétail.  Sur  la 
plac<'  où  les  nobles  avaient  été  massacrés,  une  chapelle  fut  érigée; 
un  service  funèbre  annuel  y  tiil  fondé.  On  mit  le  feu  à  plusieurs 
villages  et  hameaux  des  environs,  oii  l'insurrection  menaçait  encore 
d'éclater. 

Pendant  ce  temps,  l'électeur  palatin  Louis  avait  peu  à  peu  ras- 
semblé à  Heidelberg,  où  les  évéques  Conrad  de  Wurz'oourg  et 
Georges  de  Spire  s'étaient  réfugiés,  une  armée  de  mille  cavaliers  et 
de  trois  mille  hommes  de  pied,  munie  d'excellentes  pièces  d'artille- 
rie. L'archevêque  de  'l'rèves  lui  avait  envoyé  un  renfort  de  trois 
cents  cavaliers  et  de  quinze  cents  hommes  de  pied,  et  le  landgrave 
Philippe  de  Hesse,  trois  cents  cavaliers  de  Clèves,  avec  leur  capi- 
taine. Cette  armée,  le  23  mai,  quitta  le  camp  d' Heidelberg  et  se 
dirigea  vers  Bruchsal,  où  campait  l'armée  des  insurgés  du  Bruhraiu, 
forte  d'environ  sept  mille  hommes.  A  la  nouvelle  de  l'approche  des 
princes,  plusieurs  bourgeois  et  conseillers  de  la  ville  demandèrent 
à  parlementer  avec  le  maréchal  de  camp  de  l'Électeur.  Us  promirent 
de  se  soumettre,  eux  et  la  ville,  sans  condition;  les  portes  furent 
ouvertes  aux  alliés  le  25  mai  :  les  rebelles  durent  livrer  leurs  armes 
et  payer  une  amende  de  quarante  mille  florins  ;  plusieurs  de  leurs 
chels  furent  décapités. 

Dans  le  margraviat  de  Bade,  un  traité  de  paix,  conclu  le  25  mai, 
mit  hn  à  l'insurrection  *. 

Le  28  mai  eut  lieu  près  de  Fürfeld,  entre  Hilsbach  et  Neckarsulm, 
la  jonction  des  armées  de  Trêves  et  du  Palatiuat  avec  l'armée  de  la 
ligue  souabe.  Les  princes  avaient  maintenant  sous  leurs  ordres  huit 
mille  hommes  de  pied  et  vingt-cinq  mille  cavaliers.  -  Princes,  cava- 
liers, lansquenets,  tous  brûlaient  de  mettre  fin  aux  révoltes  de 
Franconie,  et  se  sentaient  remplis  despoir,  car  ils  recevaient  de  tous 
côtés  de  bonnes  assurances  que  les  paysans,  malgré  leurs  fanfaron- 
nades, étaient  sans  ressource,  perdaient  courage,  et  de  plus  étaient 
divisés  entre  eux  '.  >■ 

'  Anshelm,  t.  VL  p.  29^. 

-  HarTFF.LDEU,  Bann-nkrieg,  p.  190. 

^  Relatioa  du  5  juin  1526  dans  les  Trierischen  Sachen  und  Biie/scha/len^  p.  S2. 


572       FROCLAMATION    DES    UEBELLtS    EN    FRAÎN'CONIE.    1525. 

Les  chefs  des  hordes  de  Wurzboiirg,  voyant  qu'ils  ne  parvenaient 
pas  à  organiser  le  parlement  populaire  d'Heilbronu,  où  devait  être 
élaborée  '  une  nouvelle  constitution,  convoquèrent  le  27  mai  une 
"  assemblée  nationale  ■  à  Schweinlurt.  Là  devaient  être  discutés 
les  moyens  de  défendre  --  la  parole  de  Dieu,  la  paix  et  le  droit  ;  là 
un  nouveau  pouvoir  devait  êire  établi  «.  Cette  assemblée  avait  élé 
convoquée  pour  le  1"  juin;  les  princes  alliés,  les  comtes,  les  sei- 
gneurs devaient,  autant  que  possible,  y  paraître  en  personne;  les 
villes  et  villages,  s'y  faire  représenter  par  deux  délégués  au  moins. 
La  veille  de  l'appel  fait  à  toutes  les  autorités,  le  26  mai,  les  chefs  des 
rebelles,  par  une  lettre  signée  de  leur  sceau  et  de  celui  de  Wurz- 
bourg,  réclamaient  solennellement,  pour  la  défense  de  l'Evangile, 
l'appui  des  électeurs,  princes  et  autres  ordres  de  l'Empire,  et  celui 
de  tous  les  bourgmestres  et  conseillers  des  villages  et  des  com- 
munes. "  Comme  il  faut  être  plus  obéissant  à  Dieu  qu'aux  hommes  », 
disait  leur  proclamation,  '  nous  nous  sommes  unis  fraternellement  et 
amicalement  pour  la  cause  du  saint  Évangile,  et  pour  le  maintien  de 
la  paix  et  du  droit.  INous  avons  résolu  de  raser  tous  les  châteaux,  ces 
repaires  de  brigands,  car  ils  ont  causé  le  dommage  et  la  ruine  des 
marchands  et  du  peuple.  Nous  poursuivrons  notre  œuvre  avec  l'aide 
du  Tout-Puissant;  nous  ferons  proclamer  la  paix  générale  sur  les 
routes  et  rivières.  Nous  vous  prions  donc  respectueusement  et  ami- 
calement de  nous  prêter  main-forte  et  assistance  en  une  si  chré- 
tienne entreprise,  et  de  ne  vous  opposer  à  nous  ni  par  les  actes,  ni 
de  quelque  manière  que  ce  soit-.  -^  Quelque  temps  auparavant,  ces 
mêmes  chefs  avaient  fait  savoir  à  tous  les  nobles  de  l'Empire  que, 
désormais,  ils  n'avaient  à  recevoir  d'autres  ordres  que  ceux  de  la 
"  Fraternité  ".  Il  était  interdit  à  tout  gentilhomme  de  se  montrer  à 
cheval  dans  les  rues  ou  sur  les  routes;  il  devait  aller  à  pied,  se  con- 
tenter de  la  nourriture  commune,  et  être  en  tout  égal  aux  autres. 
Cependant  lorsqu'un  noble  demanderait  à  acheter  quelque  chose 
avec  son  argent,  on  ne  devait  point  s'y  opposer.  L'armée  unie  était 
d'avis  que  les  nobles  devaient  renoncer  à  leurs  anciennes  demeures, 
et  faire  construire  dans  les  villes  et  villages  des  maisons  semblables 
en  tout  à  celles  de  leurs  frères.  Si  quelque  noble  demandait  a 
détruire  lui-même  son  habitation  et  à  tirer  parti,  selon  ses  besoins, 
de  ce  qu'elle  renfermait,  on  pourrait  le  lui  permettre.  Mais  si  un 
gentilhomme  avait  du  blé  en  grande  abondance,  il  devait  sans 
hésitei'  le  mettre  à  la  disposition  de  l'armée  de  l'Union,  pour  servir 
les  intérêts  et  les  besoins  de  ses  frères  •\ 

'  Voy.  plus  haut.  p.  471. 
-  Bense.\,  p.  342-344. 
^  Bensen,  p.  205. 


(iOTz  DE  in:iu, ICH  iNr;F. \  abandonnk  i. i:s  paysans.     573 

IVF.iis  laiMOîj^ancc  des  révoltés  cf  des  incendiaires  alhiif  prendre 
fin.  Ceux  qui  auparavant  leur  avaient  prêté  secours,  avant  que  les 
princes  se  lussenl  armés  et  mis  en  campaf>ne,  ou  ne  pouvaient 
pins  rien,  ou  désertaient,  saisis  d'efïroi.  L'assemblée  de  Schwcinturt 
n'eut  pas  lieu.  Le  peu  d'hommes  qui  s'y  rendirent  se  dispersèrent 

comme  de  la  paille  an  vent,  dès  qu'on  entendit  siffler  les  arque- 
buses '  ". 

Ce  fut  en  vain  que  les  paysans  de  Franconic  implorèrent  le  secours 
du  duc  Ulric  de  Wnrlendier;';,  l'allié  de  leurs  frères,  lui  alfirmant 
"  qu'ils  s'apprêtaient  à  marcher  contre  la  lijjue  souabe  avec  une  armée 
d'environ  trente  mille  hommes,  bien  résolus  de  défendre  la  parole 
de  Dienet  la  liberté  chrétienne,  et  de  mettre  un  terme  à  l'oppres- 
sion dont  les  pauvres  étaient  victimes  "  ». 

Ce  lut  également  en  pure  perle  (pi'ils  demandèrent  du  secours 
à  Ileilbronn  et  à  >;urembcrp;.  Peu  de  temps  auparavant,  les  conseil- 
lers de  cette  dernière  ville  avaient  sonlfert  sans  mot  dire  (pie  les 
paysans  vinssent  chercher  chez  eux  des  vivres  et  des  munitions,  et 
lorsque,  le  M  mai,  les  révoltés  les  avaient  interrogés  sur  ce  qu'ils  pour- 
raient attendre  d'eux,  lorsqu'ils  se  dirip,eraieut  vers  la  Franconie 
du  Sud  à  la  tète  de  leurs  bandes,  ils  avaient  répondu  que  leur  fidé- 
lité à  la  cause  évan{',élique  était  bien  connue,  et  que  les  paysans, 
pourvu  que  la  cité  ne  fût  point  inquiétée,  n'avaient  rien  à  redouter 
de  leur  part.  Mais  après  la  victoire  du  sénéchal  et  des  princes 
alliés,  leurs  dispositions  changèrent  complètement,  et  ils  firent 
écrire  aux  paysans  que  la  révolte  "  n'était  pas  évangélique,  mais 
diabolifjue  '  .  Ileilbronn  se  montra  tout  aussi  mal  disposé  pour  la 
Fraternité  chrétienne.  Jusque  dans  le  camp  des  révoltés  régnaient 
le  trouble  et  la  discorde.  «  Parmi  les  paysans  >>,  écrivait  Erhenfried 
Kumpf,  «  il  n'y  a  ni  paix,  ni  obéissance,  ni  union,  ni  fidélité,  ni  foi. 
Tout  ce  qui  a  été  garanti,  juré,  écrit,  on  n'eu  tient  aucun  compte 
dès  le  lendemain,  et  l'on  agit  dans  un  sens  tout  contraire^  '  Les 
insurgés  étaient  trahis  et  abandonnés  par  leurs  propres  chefs.  Götz 
de  Berlichingcn,  qui,  selon  le  traité  signé  au  camp  de  Wurzbourg^ 
devait,  avec  huit  mille  hommes  et  quarante-six  pièces  d'artillerie, 
empêcher  la  ligue  souabe  d'opérer  sa  jonction  avec  les  princes  et 
couvrir  les  paysans  des  environs  de  Sulm,  s'échappa  secrètement,  au 

'  Dit  la  relation  citée  page  précédente. 

*  Dans  Walciine[\  und  Bodent,  p.  316-317.  —  Voy.  OEchsle,  p.  190. 

^  Voy.  OEchsle,  p.  116,  190.  —  Ben.sen,  p.  361-362.  —  «  C'est  la  vérité  que  les 
chefs  du  camp  d'IIeidinjjsfeld  se  sont  emparés  à  Wurzbourg  de  beaucoup  de  vin 
qui  avait  appartenu  aux  clercs,  et  l'ont  dirigé  sur  Nuremberg;  là  ils  l'ont  vendu, 
et  avec  l'argent  ils  ont  acheté  de  la  poudre.  -  —  Laurent  Fiues,  p.  226. 

*  Bensen,  p.  410,  note  1. 


574     VICTOIRES  REMPORTEES  SUR  LES  REBELLES  EN  FRANCOME.  1525. 

milieu  de  la  uuit  du  29  au  30  mai,  non  loin  d'Adolzfurt,  et  précisé- 
ment au  moment  oii  la  sanglante  bataille  allait  se  livrer.  Sa  trahison 
fut  pour  les  paysans  le  signal  de  la  déroute'.  A  Konigshofeu,  où 
Tarmée  des  princes  alliés  offrit  la  bataille  aux  hordes  du  Neckar  et 
de  rodenwald,  Georges  Metzler,  le  général  en  second  de  V  ■■  Union 
chrétienne  »,  chercha  également  son  saint  dans  k  fuite  au  moment 
même  où  l'action  allait  s'engager  *. 

Pendant  cette  horrible  journée,  les  paysans,  privés  de  chef, 
affolés  par  la  terreur,  furent  traqués  comme  un  troupeau  de  san- 
gliers ».  "  La  plupart  jetaient  leurs  fusils,  les  autres,  dans  leur 
épouvante  et  leur  angoisse,  ne  savaient  comment  s'en  servir;  fuir 
leur  semblait  la  meilleure  arme.  On  en  fit  un  affreux  carnage.  Une 
troupe  de  ces  malheureux  s'étant  jetés  dans  un  bois,  pensant  pou- 
voir se  défendre  en  interceptant  les  chemins,  furent  mis  à  mort  par 
les  soldats.  Lesunsgrimpaientsurlesarbreset  étaient  abattus  à  coups 
de  mousquet;  les  autres  élaient  massacrés  par  les  piques  de  la  cava- 
lerie, ou  périssaient  sous  les  pieds  des  chevaux.  Environ  treize  cents 
finirent  ainsi^  »  ^-  Le  chiffre  total  des  victimes  fut  de  trois  mille*. 
Il  y  eut  trois  cents  prisonniers.  L'artillerie,  les  munitions  de  guerre 
furent  capturées.  -  Et  les  vainqueurs,  pleins  d'allégresse,  parcouraient 
le  champ  de  bataille,  au  joyeux  son  des  clairons  et  des  trompettes.  ■ 

Le  3  juin,  Mergensteiu  se  rendit  à  grâce  et  à  merci  .  Le  4,  les 
armées  de  Franconie,  commandées  par  Florian  de  Geyer,  furent  mises 
en  déroute  à  Ingolstadt,   au  sud  de  Wurzbourg  \    <  Au  village  et 

1  Voy.  WEGELE,p.  159-164. —Voy.  Stalin,  t.  IV,  p.  304-305,  note  3.  (,e  29  mai,  Goîz 
rapportait  à  llans  Reuter,  maire  de  Bieriiigen,  qui  commandait  avec  lui  l'armée 
de  ITiiion,  qu'il  avait  njjtenu  de  Dietrich  Spät,  au  nom  de  la  li[;ue  souabe.  la 
promesse  que  les  paysans,  même  s'ils  avaient  commis  des  actes  dhosiilité  envers 
la  ligue,  seraient  recula  miséricorde  et  merci,  excepté  les  moteurs  de  l'émeute 
et  les  meurtriers  de  V/einsberg.  Mais  comme  les  paysans  ne  voulurent  point 
croire  Götz,  il  s'écria  :  ^  Plutôt  je  serai  loin  de  vous,  plus  je  serai  satisfait, 
car,  de  la  manière  dont  vont  les  choses,  je  vois  bien  que  je  ne  pourrais  long- 
temps mériter  vos  remerciments!  Me  mettre  en  campagne,  guerroyer  contre 
les  ennemis  ne  me  convient  pas,  car  bien  que  j'aie  soutenu  votre  cause,  je  suis 
engafîé,  comme  vous  le  savez,  avec  la  ligue,  et  en  récompense  de  tout  le  zèle 
que  j'ai  montré  pour  vous,  elle  me  ferait  vite  mon  affaire.  Donc,  je  vous  sup- 
plie de  me  décharger  de  mon  fardeau.  »  -  En  dehors  de  cela  ».  poursuit  Götz,  -je 
n'ai  rien  à  te  mander,  si  ce  n'est  que  la  ligue  a  beaucoup  de  cavalerie.  -  Dans 
Berlichinc.en  Rossach,  p.  237.  —  Voy.  l'article  de  Baumgartner  sur  Götz  de 
Berlichingen  dans  les  Stimmen  aus  Maria  Laach,  1879,  p    31Ö-313. 

'  Voy.  Bensen,  p    424. 

3  IlEROLT,  p.    lOy-110. 

*  C'est  le  chiffre  que  donne  Georges  de  Waldbourg  dans  sa  relation  de  la  ba- 
taille. —  Voy.  Be.nse.n,  p.  569. 

5  Florian  de  Geyer  parvint  à  se  frayer  un  passage  à  travers  l'armée  ennemie, 
et  se  rendit  dans  le  lerritoiie  de  Hall,  où,  le  9  juin,  il  succomba  dans  un  duel 
avec  son  beau-frère  Guillaume  de  Grumbacb,  devenu  plus  tard  si  célèbre.  — 
Voy.  Stali.n,  t.  IV,  p.  306. 


vifridiiiKs  HKMi'ORTi^i'.s  siii  i.rs  r.i  iîi;i.!,ES  f:n  fhancomf:.  1525.    .',75 

cliAleau  criii{;ül.sla(l(  -,  r.iconlc  Scliiirlliti  de  Hiirtenbach  dans  ses 
Mcinoircs,  <  nous  avons  massacré  (jualrc  mille  paysans.  (^)ua(re  cents 
s'étaient  réfugiés  dans  les  ruines  du  château  incendié,  où  ils  avaient 
élevé  un  fort  rctranclieinenl  ;  mais  nous  en  sommes  vite  venus  à 
bout,  et,  après  la  victoire,  prcscpje  tous  ont  péri;  dans  une  église  voi- 
sine, deux  cents  paysans  ont  été  brûlés  vifs'.  Plusieurs  se  sont  laissé 
mettre  à  mort  sans  aucune  résistance,  dans  l'endroit  même  où  ils 
s'étaient  réfugiés;  ils  criaient  comme  des  porcs;  quelques  uns  s'enfon- 
çaient la  tète  dans  le  sol,  s'imaginant  qu'on  ne  les  verrait  point.  Ceux- 
ci  se  cachaient  les  yeux  pour  ne  |)oint  voir;  ceux-là  imploraient 
la  miséricorde  de  Dieu.  On  en  lit  un  tel  carnage,  sans  qu'ils  son- 
geassent à  se  défendre,  qu'il  semblait  qu'une  bande  de  loups  vint 
fondre  sur  un  troupeau  d'oies  ou  de  moutons.  Un  cavalier  en  égorgea 
dix  et  plus  à  la  fois;  ces  malheureux  se  tenaient  serrés  les  uns 
contre  les  autres;  pas  un  seul  ne  se  défendit^  - 
Le  7  juillet,  Wurzbourg  se  rendit  \ 

'  Lebeiisbisclircihuiij  des  ftilters  Sebastian  Schertlin  de  linrlcubuck  (Francfort,  1877i, 
p.  14. 

'^  riEUOLT,  p.    110. 

^  ..  .Iiisqu'alors  ■,  raconte  Laurent  Pries  (p.  329),  «  voici  comment  les  choses 
s'étaient  passées  ;\  VVurzboiirfj  :  Toute  autorité,  tout  pouvoir  avaient  été  retirés 
au  cleryé  ;  il  avait  dA  se  soumettre  aux  Ijourfjeois  et  aux  paysans;  non-seule- 
ment il  avait  été  ol)lif;é  de  s'inclincM-,  de  s'iiumilier,  mais  encore,  pour  n'être 
pas  entièrement  luiné,  il  lui  avait  fallu  solliciter  la  protection  et  l'appui  de  ceux 
qui  avaient  en  main  l.i  puissance.  Volontiers  les  clercs  se  seraient  faits  bourgeois, 
mais  on  ne  voulait  pas  le  leur  permettre.  Aucun  deux  ne  pouvait  fuir,  et  pour 
pouvoir  conserver  quelque  chose  ils  étaient  ohligés  de  le  cacher  en 'jrand  secret.  • 
«  A  présent  tout  était  bien  changé,  si  auparav;int  les  clercs,  dont  la  vie  avait  été 
si  douce  autrefois,  avaient  dû  implorer  les  bourgeois,  maintenant  c'étaient  les 
bourgeois  qui  imploraient  l'assistance  des  clercs.  Ils  les  suppliaient  d'intercéder 
pour  eux  auprès  de  leur  commun  seigneur,  l'évêque.  Ouelques-uns,  à  cause  de 
la  difficulté  des  temps,  avaient  adopté  l'habit  miliiaire;  mais  ù  présent  ils 
reprenaient  leurs  habillements  ordinaires.  Plus  d'un  bourgeois  qui  avait  coupé 
ses  cheveux  et  s'était  fait  faire  une  l)loue.e  anr.iit  bien  vonpj  maintenant  retrou- 
ver sa  chevelure.  Quelques  memi)res  du  conseil  allèrent  trouver  le  seigneur  F  ucha- 
riu:»  de  Thungenelle  seigneur  Michel  de  Saunsheim, chanoines,  et  les  supplièrent, 
ainsi  que  leurs  confrères,  d'implorer  leur  grâce  auprès  des  princes,  ce  que  firent 
les  deux  chanoines;  ils  écrivirent  ù  l'évêque,  et  envoyèrent  la  lettre  à  Unter- 
frauenberg,  pensant  que  l'évêque  s'y  trouvait.  Mais  il  n'était  pas  encore  au 
château.  »  Le  bourgmestre  et  le  conseil  de  la  ville  lui  écrivirent  donc  eux- 
mêmes  (5  juin  1,525)  :  a  Très-gracieux  prince  et  seigneur,  les  dévastations 
impies  que  nous  avons  sous  les  yeux  nous  cm  toujours  été  en  horreur,  et  sur- 
tout la  lamentable  effusion  du  sang,  le  dommage  fait  aux  terres  et  aux  gens, 
et  particulièrement  aux  sujets  de  Votre  Grâce,  dont  Hieu,  du  haut  du  ciel, 
daigne  avoir  compassion!  Nous  avons  donc,  eux  et  nous,  été  trouver  les 
paysans  révoltés  et  leur  Fraternité,  â  laquelle  ils  ne  donnent  pas  un  autre  but 
que  la  défense  de  l'Évangile,  bien  qu'ils  aient  un  tout  autre  motif.  Nous  avons 
beaucoup  examiné  la  question,  et  demandé,  parlicuiiérement  aux  conseillers 
de  Votre  Grâce,  comment  de  telles  rébellions  pourraient  le  plus  aisément  être 
apaisées.  Mais  tout  cela  n'a  servi  de  rien  auprès  des  paysans;  ils  se  sont 
oiistinés  dans  leur  entreprise;  ils  nous  ont  contraints  d'entrer  dans  leur  Fra- 
ternité, ce  que  nous  avons  fait  pour  sauver  nos  corps  et  nos  vies,  mais  à  la 


576     LARMÉE    DES    ALLIÉS    S'EMPARE    DE    WURZBOURG.    1525. 

«  Les  paysans  ne  nous  ont  pas  tenu  parole  ",  écrivait  de  Wurz- 
bourp;,  le  8  juin,  Gilp,  Halbergà  sou  père,  conseiller  de  Hall;  ils  nous 
avaient  affirmé  qu'ils  prendraient  la  citadelle  s;ins  notre  aide,  et  nous 
laisseraient  bien  tranquilles  dans  la  cité  pourvu  cpie  nous  leur  four- 
nissions du  pain  e(  du  vin  en  échauge  d'argent;  mais  ils  n'ont  exé- 
cuté ni  l'un  ni  l'autre  de  leurs  engagements.  ;;  ;.  Mon  seigneur  est 
venu  ici  avec  quatre  princes.  On  était  dans  l'angoisse  et  la  terreur; 
nous  fûmes  reçus  à  merci  et  miséricorde.  Ouelques-uns  ont  eu  la 
tête  triinchée;  on  a  exigé  une  amende  de  dix  florins  de  plusieurs 
autres,  bien  qu'ils  protestassent  de  leur  innocence.  On  a  commencé 
par  désarmer  tous  les  bommes.  Les  armes,  les  cuirasses,  tout  a  été 
porté  au  cbâteau;  puis  mon  gracieux  seigneur  a  exigé  le  serment 
d'hommage.  J'ous  les  châteaux  de  mon  seigneur  ont  été  saccagés, 
à  l'exception  de  deux.  ='  -  L'armée  de  la  ligue  campe  ici,  et  com- 
mence à  dévaster  tout  le  pays;  après  leur  départ,  il  ne  restera  pas 
graud'chosel  nous  serons  tous  ruinés.  Dieu  sait  le  sort  qui  nous 
attend!  .le  suis  incapable  de  t'en  écrire  plus,  tant  la  douleur  m'op- 
presse le  cœur.  '  Item  •■,  dit  Halberg  dans  un  feuillet  qu'il  ajoute 
à  sa  lettre,  plus  de  cent  vingt  châteaux  ont  été  brûlés  dans  les 
environs;  la  plupart  étaient  à  mon  gracieux  seigneur;  plus  de  qua- 
ranle-neul  couvents  ont  subi  le  même  sort.  Hem,  on  a  enlevé  à 
mondit  seigneur  i.>rès  de  trois  mille  foudres  de  vin  et  à  peu  près  dix 
mille  muids  de  grain.  ■■ 

On  évalue  à  deux  cent  vingt-neuf  le  nombre  des  châteaux  incendiés 
et  à  cinquante-deux  le  chiffre  des  couvents  pillés,  détériorés  ou  entiè- 
rement rasés  par  l'iûcendie  '. 

"  Iiem  ,  continue  Halberg,  ..  le  secrétaire  de  mou  gracieux  seigneur 
m'a  dit  aujourd'hui  que  mondit  seigneur  de  Wurzbourg  perdait  en- 
viron trois  cent  mille  florins  dans  l'affaire,  sans  compter  ce  qu'il  lui 


condition  qu'on  nous  permettrait  de  ne  pas  attaquer  Frauensberß-,  et  de  rester 
paisibles  et  cois  chez  nous.  On  nous  l'avait  promis,  mais  on  nous  a  manqué  de 
parole.  Ils  nous  ont  forcés  de  leur  prêter  main-forle  et  assistance,  etc.  »  «  .le 
laisse  au  lecteur  à  juger  »,  dit  Fries  (p.  .332),  «  si  les  sentiments  exprimés  ici  par 
le  bourgmestre  et  le  conseil  étaient  sincères.  Le  mercredi  7  juin,  la  ville  et  la 
population  qui  s'y  trouvait,  après  beaucoup  de  discours,  de  prières,  d'efforts, 
d'iiltercations  et  de  p.jurparlers,  se  sont  rendues  à  miséricorde  et  merci.  Le  même 
jout  je  me  rendis  à  cheval  à  Wurzbourg,  pour  y  voir  ma  di.ïne  épouse  et  mes 
amis.  Dans  la  cour  de  mon  château,  je  trouvai  beaucoup  de  femmes  et  près  de 
soixante  enfants  venus  du  faubourg  de  Blaichach;  ils  étaient  venus  se  réfugier 
chez  moi,  parce  que  le  bruit  avait  couru  qu'on  allait  mettre  le  feu  aux  fau- 
bourgs. » 

'  Tiré  du  p.'imphlet  :  Wahrhaftige  Xewe  Zeylwig  und  Aiilzal  der  vorbrenlen  zustörten 
Schlosser  und  Cluster  zu  Frankentand  mit  .Wunen  anlzaijgl.  1225.  Conrad  Wimpina 
affirme,  lisons-nous  dans  Cochlaeus  (öc  actis  et  scriptis  M.  Lutheri,  p.  lli),  que 
rien  qu'en  F.-anconie  (seu  Francia  oriental!)  «  devastata  esse  monasteria  et 
arces  295.  • 


m:  MAr;(;iiAVK  casimmî  ii'ansi'.\(:ii-iîmi;i:i ni  \t  i.ks  iNsnuiKS.     077 

faudra  encore  débourser  avaiil  d'avoir  pu  chasser  tout  ce  monde  du 
pa\s.  Ifeni,  uu  fanboiir,«,,  de  ce  côlé  du  Mein,  a  déjà  été  j)ill(''.  .le  ne 
sais  ce  qui  peul  encore  advenir.  Kein,  aujourd'hui  on  a  fN'capilé 
trente-six  liommcs,  cin([  bourgeois  de  Wurzbourjy  et  vingt  et  un 
des  petites  villes  et  villages  d'alentour,  capitaines  des  compagnies 
d'insurjjés.  Les  conseillers,  les  quartcniers,  les  membres  du  comité 
sont  en  prison.  Dieu  seul  connaît  le  sort  qui  leur  est  réservé'! 
Soixante  insurgés  périrent  de  la  main  du  bourreau;  les  bourgeois 
turent  condamnés  à  payer  huit  mille  florins  d'amende,  et  à  l'aire 
abattre  les  murs  et  la  citadelle  de  la  ville,  en  lace  du  château.  Les 
paysans  désarmés,  tenant  à  la  main  des  bâtons  blancs,  reçurent  la 
permission  de  quitter  la  ville,  mais  beaucoup,  s'étant  mis  en  roule, 
furent  massacrés  par  les  cavaliers  et  les  soldats  de  l'armée  alliée, 
«  de  sorte  que  les  vignes,  les  chemins,  les  fossés,  étaient  jonchés  de 
cadavres,  et  c'était  chose  épouvantable  à  voir*  ;.  Les  pauvres  gens 
ont  été  cruellement  châtiés  -,  écrit  un  chroniqueur  contemporain; 
-  beaucoup  ont  été  massacrés,  beaucoup  traînés  en  prison  et  ran- 
çonnés; on  leur  a  enlevé  leurs  armes;  de  plus,  Notre-Seigneur  Dieu 
a  permis  qu'une  terrible  disette  affligeât  ce  malheureux  pays  pendant 
sept  ans  ^  ;'. 

A  Anspach-Baireuth,  le  margrave  Casimir  de  Brandeboug  exerça 
d'atroces  représailles  envers  les  paysans. 

Casimir  était  tout  dévoué  à  la  doctrine  luthérienne.  Peu  de  temps 
avant  que  la  révolution  éclatât,  il  avait  chargé  deux  prédicants 
'  d'implanter  l'Évangile  dans  ses  États*  ".  Lorsque  la  révolte  de  Fran- 
conie  éclata,  il  avait  paru  décidé  à  se  défendre  vaillamment,  et  défît 
même  plusieurs  fois  les  hordes  des  rebelles;  -  mais  à  tout  prendre, 
il  n'était  pas  fâché  d'attendre,  pour  bien  voir  de  quel  côté  tour- 
nerait la  chance,  et  pouvoir  tirer  le  meilleur  parti  possible  des 
événements  ".  La  ville  de  Kitzingen  avait  pris  les  armes  ^  pour  la 
cause  du  saint  Évangile  -,  et  avait  ajouté  deux  compagnies  aux 
armées  de  Franconie;  à  Neustadt  sur  l'Aisch,  qui  s'était  égale- 
ment associée  à  l'insurrection,  les  propriétés  du  margrave  et  les 
biens  d'Église  avaient  été  pillés;  dans  tous  les  villages  dépendant 
d'Hoheneck,  les  ornements  sacerdotaux,  les  calices,  les  cloches 
avaient  été  vendus;  avec  l'argent  qu'on  en  avait  retiré,  les  rebelles 
avaient  acheté,  à  iNuremberg,  des  carabines  et  des  hallebardes; 
beaucoup  de  couvents  et  de  châteaux  avaient  été  livrés  aux  flammes; 
cependant,  durant  tout  ce  temps,  Casimir  était  resté  paisiblement 

'  Jeudi  après  la  Pentecôte  (8  juin)  1525.  Dans  üEchsle,  p.  427-423. 
'^  Laurent  Fries,  p.  330-338.  —  Voy.  Bense.n,  p.  443-450. 
'  Herolt,  p.  m. 
*  Be.nsen,  p.  394. 

n.  37 


578      LE  MARGRAVE  CASIMIR  D'ANSPACH-BAIREUTH  ET  LES  INSURGÉS. 

dans  son  château  d'Onolzbach.  Ce  ne  fut  que  le  13  mai  qu'il  en 
sortit,  à  la  fête  de  sept  cents  cavaliers  et  de  mille  fantassins,  pour 
aller  établir  son  camp  à  Markt  Erlbach,  et  là,  il  noua  d'actifs  pour- 
parlers avec  les  chefs  des  révoltés,  qui  assiégeaient  alors  Wurzbourg. 
Le  10  mai,  le  comte  Guillaume  de  Henneberg,  lui-même  du  parti  des 
paysans  et  zélé  partisan  du  nouvel  Evangile,  représenta  au  margrave 
'  qu'il  serait  maintenant  très-facile,  avec  l'aide  des  troupes  insur- 
gées et  du  landgrave  de  Hesse,  de  transformer  l'évèclié  de  Wurz- 
bourg  en  principauté  temporelle,  et  de  faire  d'un  margrave  de 
Brandebourg  un  duc  de  Franconie  ••.  «  J'ai  appris  aujourd'hui  de 
bonne  source  ,  écrit  le  25  mai  le  chancelier  Eck  à  son  maitre  le  duc 
Guillaume  de  Bavière,  "  que  le  margrave,  qui  s'était  contenté  jus- 
qu'ici d'assister  aux  événements,  espère  maintenant  tirer  bon  parti 
de  la  détresse  de  Nuremberg  et  de  la  malheureuse  situation  des 
évéques  de  Wurzbourg  et  de  Bamberg.  '  Des  espions,  envoyés  par 
le  conseil  de  Nuremberg  dans  le  camp  des  révoltés,  rapportèrent  que 
les  paysans  étaient  fort  bien  disposés  pour  Casimir,  et  parlaient  de 
porter  la  guerre,  non  dans  ses  États,  mais  à  Nuremberg.  Jusqu'au 
17  mai,  ils  restèrent  persuadés  que  le  margrave  recevrait  les  douze 
articles,  et  deviendrait  bienlôt     un  frère  chrétien'    . 

Mais  l'approche  de  l'armée  palatine,  sa  jonction  avec  la  ligue 
souabe,  et  surtout  la  bataille  de  Königshofen,  avaient  fait  prendre 
un  aspect  tout  nouveau  aux  événements.  Casimir  devint  tout  à  coup 
le  violent  adversaire  des  bourgeois  et  des  paysans  révoltés,  et  mar- 
cha contre  eux,  -  portant  partout  le  meurtre  et  l'incendie  ".  Le 
8  juin,  à  Kitziugen,  il  lit,  en  un  seul  jour,  crever  les  yeux  à  cin- 
quante-sept bourgeois;  un  peu  plus  tard,  à  deux  frères;  ces  exécu- 
tions étaient  publiques,  et  se  passaient  au  milieu  des  lamentations 
des  femmes  et  des  enfants;  un  grand  nombre  d'insurgés  eurent  les 
doigts  coupés  ^  La  plupart  des  pauvres  mutilés  moururent  prompte- 


'  Voy.  JÖRG,  p.  610-615.  —  Bensen,  p.  345,  385,  401,  404.  —  La  liste  des  châteaux 
et  des  couvents  détruits  se  trouve  à  la  p.  566.  —  Voy.  Baumann,  Quellen  aus 
Rotenburg,  p.  619.  Castell  était  au  nombre  de  ses  châteaux.  "  Lorsqu'il  fut  assailli, 
le  comte  était  au  château  de  Frauenberg.  La  comtesse  et  ses  cinq  enfants, 
dont  l'ainé  n'avait  que  six  ans,  furent  chassés  de  chez  eux,  et  comme,  par  crainte 
des  paysans,  tout  le  monde  leur  refusait  un  abri,  ils  se  cachèrent  pendant  quatre 
semaines  sous  le  noyer  de  Léonard  llertlin,  vivant  d'aumônes.  La  (omtesse  en- 
voya son  petit  oifant,  âgé  de  trois  mois,  avec  sa  nourries,  au  château  de  Bren- 
berg,  où  demeurait  son  père,  le  comte  Michel.  En  chemin,  la  nourrice  fut 
reconnue,  et  un  paysan  se  disposait  déjà  à  écraser  contre  li  muraille  le  -  fils 
du  seigneur  ',  lorsque  la  nourrice  le  sauva,  en  jurant  qu'il  lui  appartenait.  » 
—  Bensen,  p.  402,  note. 

*  llolzwart,  qui  porte  à  soixante-dix  le  nombre  de  ces  infortunés,  rapporte  : 
«  Plerique,  antequam  oculis  privarentur,  rogabant,  uti  potius  vel  strangularen- 
tur  vel  decollarentur,  se  enim  potius  ojjtare  mortem,  quam  tam  miseram  et 
Jumine  orbatam  ducere  vitam,  sed  nullus  vel  ad  graviora  vel  ad  leviora  sup- 


i;i:i)i)rnc)N  de  scii  we inkiht  i:t  de  liAMBERt;.  ir,25.     579 

ment;  le  peu  qui  survécurcnl,  après  (ju'on  les  eut  dépouillés  de  tout 
ee  qu'ils  possédaient,  furent  relé{',ués  à  dix  milles  de  Kitzin^jeu;  ils 
s'en  allaient  par  petits  groupes,  formant  un  spectacle  digue  de 
pitié;  ils  traversaient  le  pays  se  tenant  l'un  l'autre  par  la  main, 
et  mendiant.  Un  chanoine  d'Auspacli  écrivait  d'Onolzbacli  à  l'un 
de  ses  pareuls  (8  mal  1525)  :  -  Le  margrave  fait  décapiter  ou  passer 
au  fil  de  l'épée  les  capitaines  de  compagnies;  il  confisque  les  biens 
des  absents,  rançonne  les  habitants,  et  fait  incendier  beaucoup  de 
villages;  cette  rigoureuse  répression  ne  cesse  point.  Dès  qu'un 
révolté  se  présente,  Téchafaud  se  dresse  sur  la  place  du  marché;  les 
supplices  sont  très-fréquents,  ici  et  ailleurs;  beaucoup  de  rebelles 
ont  eu  les  doigts  coupés.  On  a  ôté  aux  paysans  leurs  armes,  muni- 
tions et  vivres.  Des  centaines  de  fourgons,  chargés  de  tout  ce  qu'ils 
avaient  dérobé  aux  couvents,  aux  châteaux  et  aux  églises,  ont  été 
dirigés  sur  Onolzbach,  et  cela  forme  un  gros  butin,  comme  je  l'ai 
vu  moi-même  de  mes  propres  yeux.  ■'  -  Dans  les  tristes  événements 
qui  se  succèdent,  on  n'entend  parler  que  de  sanglantes  rixes,  de 
dures  calamités;  le  nombre  des  veuves  et  des  orphelins  augmente 
tous  les  jours.  Le  sang  innocent  coule  à  flots,  car  beaucoup  ont  été 
entraînés  comme  malgré  eux  dans  la  sédition,  espérant  toujours  que 
ceux  qui  étaient  cause  de  tout  le  mal  seraient  prompteraent  atteints 
par  la  justice  de  Dieu  '.  ■  Pour  payer  la  solde  de  ses  troupes,  le  mar- 
grave confisqua  l'argent,  les  joyaux,  les  vases  sacrés,  les  cloches  des 
abbayes  placées  sous  sa  juridiction  ^ 

Le  13  juin,  l'armée  de  Casimir  vint  s'unir,  devant  Schweinfurt  \ 
à  l'armée  de  la  ligue  souabe,  commandée  par  le  sénéchal  Georges 
qui,  la  veille,  avait  quitté  Wurzbourg.  Schweinfurt  ne  fit  point  de 
résistance,  et  ses  bourgeois  s'engagèrent  à  payer  chacun  dix  florins 


plicia  exorare  polerat;  ajebat  enim  (le  margrave)  illos  jurasse,  se  ne  qiiidem 
aspecluros  marchionem,  ijjiuir  se  illoruin  votis  consulturum,  ne,  si  quaudo  se 
aspiciant,  perjuri  fiant.  »  —  B.vlmann,  Quellen,  p.  685. 

-  Lettre  de  die  Joris  pose  Pentkecosten,  (8  juin)  1525,  dans  OESCHLE,  p.  429-431. 

-  UÖFLER,  Friinl.ische  Stw/ieii,  t.  VIII,  p.  266,  n"'  153  et  154. 

*  Laurent  Frics  rend  compte  comme  il  suit  de  ce  qui  se  passa  après  le  départ 
de  l'armée  des  alliés  (p.  337)  :  -  Quand  donc  les  princes  et  les  alliés  furent  partis 
avec  leurs  hommes  d'armes,  l'évêque  de  Wurzbourg  prit  à  sa  solde  une  troupe 
de  lansquenets  dont  le  capitaine  se  nommait  Gaspard  de  Rotenlian.  Ces  lans- 
quenets furent  logés  dans  la  ville  et  dans  les  maisons  bourgeoises,  et  chargés 
de  réprimer  toute  tentative  d'émeute  au  cas  où  il  s'en  produirait.  Or,  la  solde 
et  le  vin  étaient  bons;  aussi  les  lansquenets  chérissaient-ils  leur  oisiveté. 
Bientôt  ils  commencèrent  à  faire  du  tapage  et  du  désordre,  et  les  bourgeois 
devaient  les  régaler  et  les  abreuver,  sachant  trop  que,  sans  cela,  ils  auraient  à 
s'en  repentir.  Les  soldats  leur  parlaient  dune  façon  rude  et  grossière,  ainsi 
que  les  valets  et  vauriens  qu'ils  attiraient  dans  les  maisons.  Ils  s'invitaient  l'un 
l'autre  dans  leurs  logements;  ils  se  livraient  à  la  bonne  chère,  et  ne  payaient 

37. 


580       REDDITION    DE    S  C  H^V  E  1  N  F  ü  R  T    ET    DE    BAMBERG.    1525. 

d'amende  comme  indemnité  de  guerre.  Le  comte  Guillaume  de  Hen- 
neberg,  ayant  romjîu  avec  les  paysans,  reçut  cinq  mille  florins  eu 
dédommagement  des  pertes  subies.  Dans  l'évêché  de  Hamberg, 
"  les  généraux  élus,  lesdélég;ués  des  villes  et  des  districts  de  révêché 
de  Bamberg  ■■,  prenaient  encore  le  23  mai  la  résolution  de  détruire 
ou  dinceudier  les  donjons,  les  places  fortes  •  qui  avaient  été  pour 
leurs  ancêtres  et  pour  eux  une  cause  si  funeste  d'oppression  et 
d'injustice'  ".  L'évêque,  comme  il  le  mandait  au  sénéchal,  ;  avait 
été  serré  de  si  près  et  tellement  maltraité  par  ses  propres  sujets,  que 
ni  lui  ni  son  chapitre  ne  savaient,  tant  avait  été  grand  leur  effroi, 
s'ils  parviendraient  jamais  à  sauver  leurs  vies  ".  Mais  l'approche  de 
l'armée  alliée  fit  perdre  toute  assurance  aux  insurgés;  quatre  cents 
d'entre  eux  s'enfuirent  dans  la  direction  de  Nuremberg,  et,  le  19  juin, 
le  conseil  et  la  population  de  Bamberg  renouvelaient  entre  les  mains 
de  l'évêque  leur  serment  de  fidélité.  Un  traité  fut  conclu  :  les  vaincus 
s'engageaient  à  restituer  aux  clercs  leurs  propriétés,  à  reconnaître 
leurs  privilèges,  à  rendre  tous  les  objets  précieux  dérobés  aux 
églises,  à  payer  les  dîmes,  redevances  et  taxes  comme  dans  le  passé, 
enfin  à  livrer  toutes  leurs  armes.  Ouant  aux  griefs  que  la  bour- 
geoisie pouvait  avoir  contre  l'évêque,  elle  promettait  de  s'en  rap- 
porter ä  la  décision  du  Conseil  de  régence  ou  bien  au  jugement 
de  la  ligue  souabe;  deux  chefs  de  rebelles  furent  décapités  sur  la 
place  du  marché;  on  confisqua  les  biens  de  neuf  bourgeois,  com- 
promis dans  l'insurrection-.  En  l'espace  de  peu  de  jours,  la  révolte 
était  complètement  apaisée. 

Le  22  juin,  le  margrave  Casimir  fut  autorisé  par  le  général  en 
chef  de  la  ligue  à  punir,  décapiter,  confisquer,  brûler,  piller,  comme 
il  le  trouverait  à  propos  dans  la  ville  et  le  territoire  de  Rothen- 
bourg;  à  châtier  tout  rebelle  selon  ses  méfaits,  et  de  la  manière 
qui  lui  paraîtrait  la  plus  équitable    . 

rien  pour  cela;  et  quand  ils  s'étaient  bien  grisés,  ce  qui  était  leur  principale 
besogne,  ils  juraient,  blasphémaient,  brisaient  les  portes  et  les  fenêtres,  ou 
bien  eux  et  les  leurs  se  conduisaient  d'une  façon  indécente  et  abominable  avec 
les  femmes  et  les  filles,  n'épargnant  personne,  que  (e  filt  une  jeune  fille,  un 
enfant  ou  une  matrone.  Et  les  bourgeois  n'osaient  pas  se  plaindre.  Bien  que 
quelques-uns  d'entre  eux  eussent  obtenu  à  prix  d'argent  du  capitaine  ou 
d'antres  hauts  personnages  la  permission  d'être  quelque  temps  délivrés  de 
leurs  hôtes,  ils  devaient  les  reprendre  aussitôt  qu'ils  cessaient  de  payer,  et  se 
voyaient  enfin  obligés  de  supporter  cette  charge  dans  leur  maison.  Et  les  bour- 
geois des  faubourgs  ne  furent  pas  épargnés;  après  qu'on  eut  laissé  quelque 
temps  les  lansquenets  dans  la  ville,  on  les  cantonna  dans  les  faubourgs.  Ce  fut 
alors  que  les  bourgeois  de  Wurzbourg  virent  et  comprirent  ce  que  c'est  que  la 
guerre,  et  tout  le  malheur  qu'ils  avaient  attiré  sur  leur  cité.  » 

'  Schreiben  an  lYuniberg.  inarài  après  VocemjucunditatisrlZ  mai)  1525,  dans  Höfler, 
Fränkische  Studien,  t.  VHI,  p.  268,  n"  15". 

ä  BenseN,  p.  456-458,  Hislor.  polit.  Blatter,  t.  LXXXV,  p.  902. 


SOUMISSION    DF.    H  OT  II  E  N  ß  0  U  R  C    1525.  581 

A  Piodicnboiirc,  dcpiiis  la  dcCailc  de  KiMiijjsliorcii,  les  paysans 
t'Iaiciil  loiiihcs  dans  le  plus  prolond  décoiiraycmciit.  Bourgmestre  et 
cüJiseillers  avaient  ressaisi  le  pouvoir,  et  le  7  juin,  le  conseil  envoya 
des  délcj^ués  au  camp  du  sénéchal,  à  Hcidiiifysfeld.  Ah!  vous  voilà! 
vous  liumilicz-vous  cnîin?  s'écrièrent  les  soldats  de  la  li{;uc  en  les 
apercevant.  ><  11  en  était  vraiment  temps!  encore  un  peu,  et  nous  al- 
lions vous  chercher  chez  vous!  La  ville  lut  condamnée  i\  payer  sept 
florins  d'amende  pour  chaque  maison  située  à  l'intérieur  de  ses  murs 
d'enceinte  (en  tout  quatre  mille  florins),  et  de  plus  mille  florin'^ 
pour  indemnité  de  ouerre.  Klle  abandonnait  à  la  li[}ue  le  châtiment 
des  rebelles.  É tienne  de  Menzin^jen,  jeune  gentilhomme  qui  avait 
été  l'un  des  principaux  lauicnrs  de  la  révolte,  tenta  de  s'évader, 
mais  il  lut  arrêté  et  condui:  en  prison.  A  mon  aide,  braves  bour- 
geois! criait-il  tandis  qu'on  l'entraînait;  à  mon  secours,  Irères 
chrétiens!  Mais  une  voix  lui  cria  de  la  foule  :  Ami,  le  temps  de 
la  Fraternité  est  passé!  ■  Tous  les  efforts  du  margrave  pour  ob- 
tenir la  nii^e  en  liberté  de  celui  qui  avait  été  autrefois  son  intime 
ami  furent  inutiles.  Le  28  juin,  à  la  téfe  de  deux  mille  soldats, 
Casimir  fil  son  outrée  dans  la  ville.  Le  conseil  lui  remit  la  liste  des 
principaux  chefs  de  Tinsurrectiou.  En  tète  de  cette  liste  figuraient 
les  prédicants  Deutschlin,  le  moine  aveugle  Carlsladt,  puis  Menzin- 
gen  et  Ehrenfried  Kumpf,  ce  dernier  coupable  d'avoir  soutenu 
Carlstadt,  usurpé  â  Wurzbourg  la  charge  de  bourgmestre,  et  con- 
seillé la  destruction  de  trois  châteaux;  la  liste  se  terminait  parles 
noms  de  soixante-trois  bourgeois,  accusés  d'avoir  mal  parlé  de  l'Em- 
pereur, des  princes,  des  seigneurs  du  conseil,  des  autorités,  et  d'avoir 
dit  hautement  et  avec  menace  qu'ils  aideraient  les  paysans  â  pé- 
nétrer dans  la  ville,  chasseraient  les  conseillers,  les  honorables  », 
les  riches  b<)ur{>,eois,  et  partageraient  le  butin  avec  les  émeutiers. 
Beaucoup  d'inculpés,  Ehrenfried  Kumpf  et  Carlstadt  entre  autres, 
avaient  réussi  à  s'évader  à  temps  '.  Le  30  juin,  après  que  le  conseil 

'Le  récit  que  nous  a  laissé  Caiistadt  de  sa  fuite  est  intéressant.  ^  A  Tliiin- 
gerslieiin,  entre  Wurzliniirjj  et  Carlstadt,  j'aperçus  -■,  raconte-t-il,  "  un  groupe  de 
paysans;  ils  étaient  armés  d'arquebuses  et  d'autres  armes.  Je  les  entendis  dire 
que  si  quelqu'un  du  nom  de  Carlstadt  venait  ù  passer  avec  sa  femme,  ils  uiet- 
iraient  la  main  sur  ses  bagages.  A  Stetten,  à  un  demi-mille  de  Carlstadt,  un  paysan 
me  reconnut,  et  me  dit  que  Luther  et  moi,  nous  étions  cause  de  tout  le  mal.  .Mais 
je  me  débarrassai  de  cet  homme  et  d'autres  encore  avec  de  bonnes  paroles.  " 
Non  loin  de  Thiingen,  quelques  paysans  voulurent  le  dévaliser,  lui  et  sa  femme  : 
«A  Fromensbach,  des  voleurs  faisant  partie  des  hordes  de  paysans  me  reconnu- 
rent, délibérèrent  entre  eux,  et  décidèrent,  la  veille  de  la  Trinité  (10  juin;,  qu'ils 
me  lieraient  àun  arbre  dans  la  forêt  de  Spessart.  et  me  mettraient  à  mort, pour 
s'emparer  ensuite  des  effets  qui  nous  restaient  encore,  à  ma  femme  et  à  moi.  » 
Mais  ce  dessein  fut  révélé  à  temps  à  Carlstadt,  et  il  parvint  à  s'évader.  —  Voy.  l'ar- 
ticle de  Steitz  .sur  Gérard  Westerbourg,  p.  69-7"i.  A  la  prière  de  Luther,  Carlstadt 
obtint  la  permission    de  rester  en  Saxe,  à   la   condition  qu'il  rétracterait  ses 


582  SOUMISSION    DE    RO  T  HEN  BO  U  R(i .    15-25. 

et  la  population  eurent  renouvelé  leui-  serment  de  fidélité,  dix  bour- 
geois furent  décapités  sur  la  place  du  marché.  Casimir  ayant  fait 
un  dernier  effort  pour  sauver  Menzingen,  Deuschlin  et  le  moine 
aveugle,  le  conseil  déclara  avec  fermeté  qu'il  lui  était  impossible 
de  souscrire  au  désir  du  prince,  parce  que,  s'il  épargnait  ces  crimi- 
nels, tout  le  monde  aurait  le  droit  de  lui  reprocher  d'avoir  commis 
la  veille  une  criante  injustice  envers  ceux  qui  avaient  été  mis  à  mon. 
D'ailleurs,  ces  trois  hommes  ayant  été  les  véritables  fauteurs  de  la 
révolte,  on  ne  pouvait  leur  faire  grâce.  Casimir  fut  obligé  de  sacri- 
fier ses  protégés;  leurs  tètes  tombèrent  le  jour  suivant;  quatre 
bourgeois  et  deux  chefs  de  paysans  eurent  le  même  sort.  Le  conseil 
exerça  plus  tard  d'autres  rigoureuses  représailles.  Un  prédicant  des 
environs,  qui  avait  assuré  aux  paysans  qu'il  avait  le  pouvoir  d'enve- 
lopper Rothenbourg  d'un  brouillard  si  épais  que  trois  cents  hommes 
pourraient  y  pénétrer  sans  être  aperçus,  fut  attaché  au  pilori,  mar- 
qué au  fer  rouge  et  fouetté  de  verges.  Plusieurs  rebelles  eurent  les 
yeux  crevés  ou  les  doigts  coupés.  La  maison  du  tondeur  de  drap 
Kilian  Etsclich,  qui  avait  servi  de  lieu  de  réunion  aux  insurgés,  fut 
rasée;  à  la  place  où  elle  avait  été,  on  sema  du  sel.  Cent  ans  après, 
le  «  sol  maudit  '>  était  encore  un  lieu  d'épouvante  pour  le  peuple. 
Ehrenfried  Rumpf  fut  condamné  à  payer  une  amende  de  quatre  cents 
florins;  on  lui  restitua  son  capital,  mais  on  lui  défendit  d'habiter 
Rothenbourg.  Il  mourut  fou. 

La  misère  était  générale.  Un  grand  nombre  de  gentilshommes, 
empêchés  par  un  jugement  rendu  par  la  ligue  souabe  de  faire  valoir 
auprès  de  la  ville  leurs  droits  à  des  indemnités  de  guerre,  ne  se 
faisaient  aucun  scrupule  de  chercher  un  dédommagement  a  cet  arrêt, 
en  pillant,  brûlant,  rançonnant  dans  les  environs. 

Le  margrave  Casimir,  eu  vertu  d'une  convention  signée  le  3  juil- 
let 152.3,  obtint,  comme  indemnité  de  guerre,  la  cession  des  villages 
appartenant  à  la  ville,  dans  le  territoire  d'Aisch,  et  beaucoup 
d'autres  situés  en  dehors  de  la  landwehr'. 


erreurs,  et  s'engaj;erait  à  ne  plus  écrire  ni  prêclier.  II  s'établit  d'abord  h  Se- 
{;rena,  puis  à  Kemberg,  où  il  tint  lonrjîemps  une  boutique  ambulante  de  bière 
et  d'eau-de-vie.  L'opinion  généralement  reçue  que.  dans  les  années  qui  suivirent, 
il  ne  chercha  plus  à  faire  triomphei"  sa  doctrine  de  l'Kucharistie,  est  erronée. 
Yoy.  Justification,  dédiée  au  chancelier  Brück  à  Weimar  (merciedi  d'après  saint 
Laurent),  12  août  1528.  dans  \a  Zciisrlirift  fur  trissensc/ia/tllche  Tkeolo:/ie,t.  VII,  p.  99- 
112.  L'éditeur,  E.  Labes,  reuiarque  '  qu'elle  semlij^  pleine  de  divinité  et  de 
modération,  comparée  aux  inveciivcs  de  Luther.  Carlstadt,  en  effet,  ne  se  plaint 
pas  des  critiques  dont  ses  opini.m«  sont  l'objet;  il  se  borne  .^  déplorer  que  la 
doctrine  qu'il  défend,  et  qui  lui  lient  tout  autant  au  citur  qu'à  Luther  la  sienne, 
ait  été  bi'utalement  rcjeloe  sans  avoir  été  examinée.  - 

'  Thomas  Zweifel,  dans  Calji.^nn,  Quellen  aus  liotenùouri/.  p.  4Ü'.). —  Voy.  Bensenv 
p.  462-479. 


PAriKICATlON    DE    F  R  A  N  CF  0  IH -S  U  R-LE-M  E  1  N.    1525.  583 

Pciulaiil  ce  lcm\)9.,  le  sénéchal  (ieoqve'',  Iravcrsant  le  F^ies,  avait 
pénélré  (iaiis  rAJjjaii,  er  s'unissaiil  à  (;eür};es  de  Frundsbei-j'j,  »lui 
lui  amenait  quehiues  milliers  de  lansfinenets,  avait  contraint  les^ 
paysans  à  mettre  bas  les  armes  et  à  livrer  leurs  chefs.  Les  villajjes- 
furent  incendiés  sans  miséricorde.  Dans  le  Hegau,  Max  Sittlich 
d'Holicnems  et  le  comte  Félix  de  Werdenberg  remporlèrent  une 
iniportanle  victoire  sur  les  insurgés  près  d'Ililziugen  (10  juin  1025). 
Dans  le  Kletigau,  la  révolte  ne  put  être  complètement  domptée 
(ju'en  novembre,  et  Waldshtit,  (|ui  en  avait  été  le  premier  foyer,  ne 
se  rendit  qu'an  commencement  de  décemi)re. 

L'armée  alliée  de  Trêves  et  du  Palatinat,  étant  sortie  de  Wurz- 
bourg  le  V\  juin,  acheva  de  soumettre  les  paysans  dans  des  combats 
successifs  sur  le  Mein  et  sur  le  Hliin.  \x  15  juin,  les  princes  auxquels 
s'étaient  joints  le  coadjuteur  de  l'évêque  de  Mayence,  Guillaume 
de  Strasbourg  et  cent  de  ses  cavaliers,  convinrent  d'imposer  une 
amende  générale  à  tout  rarchevèché,  puis  de  se  partager  les  sommes 
recueillies.  Ils  se  proposaient  de  marcher  ensuite  sur  Mayence, 
et  d'envahir  le  Hheingau;  mais  le  coadjuteur  étant  intervenu,  on 
s'occupa  de  conclure  un  accommodement  avec  les  révoltés  de  ces 
pays,  qui  avaient  envoyé  leurs  chargés  de  pouvoirs  aux  princes. 
Ils  prêtèrent  de  nouveau  serment  à  leurs  seigneurs,  et  payèrent 
quinze  mille  florins  d'amende.  An  camp  de  Pfeddersheim,  où  ce 
traité  fut  conclu,  on  vit  aussi  arriver  des  députés  du  conseil  de 
Francfort-sur-le-Mein. 

Les  électeurs  de  Trêves  et  du  l\ilatinat  et  le  coadjuteur  de  Mayence 
avaient  adressé  à  Francfort,  le  18  juin,  une  lettre  menaçante,  portant 
que  les  princes  avaient  été  informés  que  beaucoup  de  révoltés  des 
villes  et  des  campagnes  s'étaient  réfugiés  dans  la  cité  et  y  séjour- 
naient encore,  et  qu'un  assez  grand  nombre  de  nobles  et  de  prêtres 
avaient  été  dépouillés  de  leurs  biens.  Les  princes  exigeaient  que 
nobles  et  prêtres  rentrassent  dans  leurs  propriétés,  et  que  les  réfu- 
giés fussent  livrés.  Si  Francfort  ne  faisait  pas  droit  à  ces  deux  récla- 
mations, elle  serait  considérée  par  la  ligue  comme  ayant  pris  part  à  la 
révolte  '.  Au  reçu  de  cette  lettre,  le  conseil  s'était  empressé  d'envoyé'' 
ses  députés  aux  princes.  Ceux-ci  apprirent  eu  route  que  Mayence  et 
tout  le  Rheingau  s'étaient  soumis,  que  le  23  juin  la  cavalerie  des  princes 
avait,  près  de  Pfeddersheim,  fait  un  affreux  carnage  des  paysans, 
dont  plus  de  quinze  mille  avaient  été  massacrés;  qu'on  avait  enlevé 

'  Lettre  du  dimanche  après  le  Corporis  Christi  (18  juin)  1525,  dans  le  Frankfurier 
All/ruhrbuch,  p.  32.  —  Kraus,  80-81.  \on-seuleinent  on  devait  restituer  leurs  pro- 
priétés aux  gentilshonnnes  des  environs,  comme  le  dit  Steitz  dans  son  livre  sur 
Gérard  Westeibour};,  p.  98,  mais  aussi  aux  clercs. 


584  PACIFICATION    DE    FR  A  NCF  ORT-S  U  H-L  E-M  E  I  N.    1525. 

aux  révoltés  leur  butin,  leurs  armes,  et  que  le  jour  précédent  Pfed- 
dersheim  avait  été  prise  d'assaut.  Lorsqu'ils  arrivèrent  au  camp 
(25  juin),  les  princes  leur  firent  reprcseuler  que  personne  n'igno- 
rait ce  qui  s'était  passé  chez  eux  par  rapport  à  certains  articles 
acceptés  par  le  conseil  et  contraires  à  Sa  Majesié  Impériale,  â  la 
paix  publique,  au  droit  et  à  l'équité.  Ces  articles  avaient  été  livrés 
à  l'impression,  répandus  dans  les  principautés  et  pays  environ- 
nants, et  ne  contenaient  autre  chose  que  ces  mots,  ou  écrits  ou  sous- 
entendus  :  "  Arrivez,  chers  frères,  suivez-nous!  Votre  route  est 
tracée  devant  vous,  nous  vous  l'avons  ouverte  I  » 

Ces  reproches  n'étaient  pas  sans  fondement.  Les  articles  de  Franc- 
Fort  avaient  eu  effet  servi  de  modèle  aux  émeuliers  de  Mayence, 
de  Worms,  de  Spire,  et  vraisemblablement  aussi  à  ceux  de  Co- 
logne et  de  Münster,  en  AVestphalie'. 

On  rappela  ensuite  aux  délégués  ce  qui  s'était  passé  par  rapport 
aux  sacrements,  et  que  les  prêtres,  même  les  curés  de  Francfort, 
avaient  été  déposés.  On  voulait  bien  croire  que  le  conseil  n'avait  pas 
pris  plaisir  à  ces  choses,  et  qu'il  y  avait  été  contraint;  mais  du  moins 
était-il  urgent  que  les  auteurs  de  semblables  délits  fussent  punis 
comme  ils  le  méritaient,  et  que  les  articles  fussent  abolis;  faute  de 
quoi,  les  princes  se  verraient  obligés  de  mettre  le  siège  devant 
Francfort ,  et  de  se  charger  eux-mêmes  du  châtiment  des  cou- 
pables, comme  ils  l'avaient  déjà  fait  en  d'autres  lieux.  Apre-;  de 
longs  pourparlers,  les  députés  de  Francfort  apportèrent  aux  princes 
cette  déclaration  solennelle  :  Sur  notre  honneur  et  foi,  nous 
avons  promis,  assuré  et  conclu  qu'en  vertu  de  cette  lettre,  les 
derniers  et  nouveaux  articles  et  traités  que  nous  avions  adoptés  con- 
jointement avec  le  clergé  et  la  population  dans  la  ville  de  Franc- 
fort, seront  abolis,  et  nous  les  abolissons  présentement,  les  con- 
sidérant comme  nuls  et  non  avenus.  Us  s'engageaient  à  remettre 
ies  articles  entre  les  mains  de  lÉlectenr  palatin,  à  rétablir  le  clergé 
u  de  tous  les  degrés  dans  son  premier  élat  et  condition,  et  a  lui 
rendre  ses  privilèges,  libertés,  dîmes,  redevances,  etc.  .  De  plus, 
ils  promettaient  de  prendre  si  bien  leurs  mesures  qu'à  l'avenir 
de  semblable^  attentats  contre  la  propriété,  les  voies  de  fait,  les 
actes  de  rébellion,  les  émeutes  ne  pussent  jamais  se  renouveler  ^ 

Les  articles  furent  en  effet  abandonnés,  mais  rien  de  ce  qui  con- 
cernait la  religion  et  le  clergé  ne  fut  modifié.  -•  Il  nous  est  prouvé, 
et  de  siirs  renseignements  nous  l'attestent  ;,  écrivait  le  7  juillet  à 
l'archevêque  de  Trêves  le  coadjuteur  de  Mayence  qui  venait  de  ren- 


Voy.  Steitz.  fierliard  Weslerlioury.  p.  104-105. 
A/ifruhibuc/i,  p.  36-41.  —  Vov.  Kraus,  ÎS1-S3. 


PACincATION    DE    I  R  A  N  CI' O  i;T-S  M  H-I,  E-M  E  I  N  .    1525.  585 

Irer  (mi  jjraiid  appareil  flans  la  ville  et  fie  la  remcdre  sous  son 
obéissance,  «  que  ceux  de  Franclorf,  maljjré  la  soumission  qu'ils 
aHeclenl  eu  paroles,  (»ardent  jusqu'à  celte  heure,  et  se  proposent 
de  conserver,  trois  prédicanis  luthériens  qui  sont  les  principaux 
auteurs  de  tous  les  (roubles.  Si  Ton  a  la  l'aiblesse  de  le  tolérer. 
Votre  Grâce  peut  apprécier  ellc-ménie  les  bons  résultats  d'une 
telle  poliiicjue;  aussi  est-il  très-nécessaire  d'être  vigilant,  afin  qu'à 
l'avenir  de  plus  grands  désordres  soient  évités'.  Le  renseigne- 
ment était  exact.  Dès  la  fin  d'avril,  le  conseil  avait  élu  et  installé 
des  prédicants  dans  la  ville.  -  Le  -i  juin,  le  saint  jour  de  la  Pen- 
tecôte -,  raconte  dans  son  Journal  Wollgang-  Konigslein,  chanoine 
de  l'abbaye  de  iSotre-Dame,  ■•  les  échevins  ont  chargé  un  prédi- 
cant  luthérien,  un  ex-moine,  de  prêcher  dans  notre  église  l'après- 
midi.  Le  lundi  et  le  mardi  de  la  Pentecôte,  le  moine  a  de  nouveau 
prêché;  un  autre  luthérien  a  également  parlé  à  Saint-Léonard. 
Ces  deux  prédicants  étaient  Dyonisius  Melandcr  et  Jean  Algers- 
heimer.  Tous  deux  -,  continue  Königstein,  "  ont  accablé  d'in- 
jures le  Pape  et  le  clergé;  de  plus,  ils  ont  blasphémé  le  Très- 
Saint  Sacrement,  raillant  toutes  les  cérémonies  du  culte,  et  parti- 
culièrement la  messe.  »  Le  conseil,  même  longtemps  après  que  la 
révolution  de  152.5  eut  été  entièrement  apaisée,  resta  l'impuissant 
témoin  des  scènes  de  désordre  et  des  actes  séditieux  dont  les  pré- 
dicants, soutenus  parla  populace,  étaient  les  constants  excitateurs. 
L'archevêque  de  Mayence  ayant  réclamé  leur  expulsion,  le  conseil 
lui  écrivit  :  ^  Nous  prions  très-humblement  Votre  Grâce  de  vouloir 
bien  avoir  compassion  de  nous,  car  nous  ne  saurions  lui  obéir  sans 
exposer  notre  ville  aux  plus  graves  dangers.  Jusqu'à  présent  nous 
avons  réussi  à  apaiser  les  troubles  sans  violence  et  efliision  de  sang, 
mais  nous  sommes  l'ermement  convaincus  que  les  prédicants  ne 
consentiraient  point  à  abandonner  sans  résistance  le  poste  qui  leur 
a  été  confié^.  " 

'  Appendice  de  la  lettre  du  vendredi  après  saint  Ulricli  (7  juillet)  1525  dans 
Kraus,  p.  91. 

^  Voyez  dans  l'appendice  du  journal  de  Kömgstf.in,  p.  203-204,  les  représenta- 
tions faites  par  l'archevêque  aux  députés  du  conseil  louchant  la  conduite  des 
prédicants.  Ces  derniers  avaient  dit  en  pleine  ch;âre  «  que  le  Saint  Sacrement 
n'était  autre  chose  que  de  l'eau  et  de  la  farine;  que  les  prêtres,  les  diseurs  de 
messes  accomplissaient  une  œuvre  diabolique,  qui  (  rucifiait  Dieu;  que  l'on 
ne  devait  ni  se  confesser,  ni  jeilner,  qu'on  n'était  obligé  d'obéir  à  aucune  auto- 
rité, parce  qu'on  n'avait  d'autre  maître  que  Dieu  »,  etc.  Outre  cela,  plusieurs 
membres  du  conseil  avaient  pris  part  aux  désordres.  Königstein  rapporte 
'  qu'un  chanoine  de  Saint-Léonard  qui,  escorté  par  ses  parents  et  ses  servi- 
teurs, retournait  chez  lui  à  huit  heures  du  soir,  avait  été  attaqué  par  le 
l)our;;me.sire  Mcolas  Scheit  et  par  .».es  gens,  tous  à  cheval,  et  avait  été  griè- 
vement iilessé  .  Il  ajoute  :  "  l.e  jour  on  le  clergé,  selon  l'usage,  portait 
processiounellement  le  Saint  Sacrement  à  Sachsenhausen,  Becblbold  de  Ryu, 


586  RÉVOLTE    ET    PACIFICATION    DU    TYROL.    1525. 


XI 


Pendant  que  les  révoltés,  durant  les  mois  de  mai  et  de  juin,, 
essuyaient  dans  l'Empire  les  plus  rudes  revers,  ils  triomphaient  dans 
le  Tyrol.  Ils  s'y  étaient  emparés  de  plus  de  cent  châteaux,  et  dispo- 
saient de  l'argent,  des  biens,  de  la  vie  et  de  la  mort  des  citoyens.  Il 
ne  pouvait  être  question  de  se  défendre,  car  Ferdinand  n'avait 
point  d'armée,  et  encore  moins  d'argent.  Aux  états  du  comté, 
ouverts  le  15  juin  à  Inspruck,  l'archiduc  avait  reçu  communica- 
tion de  cent  six  articles  rédigés  à  IMéran  par  un  comité  composé 
de  bourgeois  et  de  paysans,  et  contenant  toutes  les  réclamations  des 
révoltés,  u  Beaucoup  semblaient  être,  au  premier  abord,  à  l'avantage 
du  prince.  Ou  le  suppliait  de  donner  les  mains  à  la  sécularisation 
générale  des  biens  du  clerp,é,  et  d'incorporer  immédiatement  à  ses 
États,  en  sa  qualité  de  prince  souverain  et  héréditaire  du  comté, 
les  possessions  des  évêques  de  Brixen  et  de  Trêves  (qui  relevaient 
directement  de  l'Empire,)  ainsi  que  toutes  les  propriétés  ecclésias- 
tiques enclavées  dans  le  pays,  et  appartenant,  soit  à  des  évéchés,  soit 
à  des  abbayes  du  dehors.  Michel  Geysmayr,  l'un  des  principaux 
chefs  des  rebelles,  s'intitulait  le  «  Protecteur  des  Etats  de  Son 
Altesse  -.  Un  grand  nombre  de  gentilshommes  faisaient  cause 
commune  avec  les  paysans  et  les  bourgeois  révoltés,  soit  qu'ils  y 
eussent  été  contraints  par  la  nécessité,  soit  poussés  par  l'espoir 
d'acquérir  quelque  bon  lot  au  moment  de  la  sécularisation  tant 
désirée,  et  de  se  dédommager  ainsi  de  pertes  récemment  subies. 
Aussi  approuvaient-ils  entièrement  le  plan  et  les  articles  présentés 
à  l'archiduc.  -  Tous  entonnaient  la  même  chanson  que  les  paysans, 
estimant  que,  sans  cela,  tout  irait  de  mal  en  pis'.        Je  crains  fort  ", 


Nicolas  Scheit  et  autres  meinl)res  du  conseil,  ont  organisé  une  farce  de  carnaval* 
dans  une  m;iison  située  sur  le  pont,  et  devant  laquelle  le  cortège  devait  passer.  Us 
ont  mis  à  la  fenêtre  le  simulacre  d'un  loup,  ont  garni  de  peaux  de  loup  les  autres 
fenêtres,  au  milieu  de  rires  et  de  quolihets,  et  lorsque  la  procession  revint,  la; 
populace,  rassemblée  sur  le  pont,  chanta  des  chansons  impies,  criant  :  «  Au 
loup!  Au  loup!  Le  Saint  Sacrement  a  été  tourné  en  dérision,  la  procession,, 
la  foule  des  fidèles  insultées.  Un  autre  jour  oii  la  plupart  des  membres  du 
conseil  prenaient  part  à  une  procession,  la  populace  se  mit  à  les  railler,, 
insulta  les  seigneurs  du  con.seil  et  le  clergé,  et  le  Saint  Sacrement  fut  l'objet 
d'odieuses  profanations.     Ko.negstein,  années  1526-1527,  p.  113,  117,  119. 

'  Il  tenait  un  tout  autre  langage  à  ses  confidents  :  «  J'avais  apporté  des  cara- 
bines, et  je  voulais  m'einparer  de  toutes  les  cloches  pour  les  fondre  et  en; 
faire  des  arquebuses;  ensuiie  je  me  proposais  d'entrer  «  derrière  le  cuir»  da 
prince  et  des  nobles.  •  —  Gueuteu,  p.  52. 


RI^VOLTK    ET    l' A  CI  K  I  CAT  t  O  N    DU    TYKOL.    1520.  587 

écrivait  le  duc  F^ouis  de  Bavière  à  son  frère  Ciuillaume  le  21  juin  1525, 
.<  que  la  province  du  Tyrol  ne  se  décide  à  laisser  le  pouvoir  entre 
les  mains  do  l'arcliiduc  ([iravcc  l'inlenfion  de  gouverner  à  sa  place  et 
de  lui  dicter  des  ordres,  il  n'en  résultera  rien  de  bon;  si  les  paysans 
arrivent  à  leur  but,  j'jii  réellement  peurcjue  ce  ne  soit  bientôt  à  notre 
tour  de  baisser  la  télc  '. 

Aux  étals  du  comté,  «  cette  race  de  li;d)lcurs  qui  voient  d'un 
meilleur  (1m1  la  détresse  d'un  pays  que  .sa  prospérité  "  avait  la  pré- 
pondérance; mais  Ferdinand  repous.sa  avec  fermeté  le  projet  de  sé- 
cularisation, et  refusa  éjyalement  de  favoriser  l'établissement  de 
l'  u  Kvanyile  pur  et  sans  allia[;e  >•.  11  ne  voulut  pas  davantage  en- 
tendre parler  pour  les  communes  du  droit  d'élire  ou  de  déposer  leurs 
curés,  u  L'archiduc  prend  le  parti  des  prêtres  »,  mandait  un  chargé 
d'affaires  bavarois  à  .Muiiicli,  -•  ce  qui  est  cependant  tout  ä  fait  op- 
posé à  l'esprit  qui  règne  ici.  »  Ferdinand  s'efforça  d'expliquer  aux 
états  les  motifs  de  ses  refus.  Les  évèques  de  Trieste  et  de  Brixen 
sont  princes  de  l'Empire,  leur  dit-il,  et  l'on  ne  peut  admettre  que 
leur  situation  présente  puisse  être  modifiée  eu  aucune  manière  sans 
l'assentiment  de  l'Empereur;  outre  cela,  les  comtes  du  Tyrol  se 
sont  obligés  par  contrat  à  défendre  et  à  protéger  ces  évêchés. 
Or  si  l'on  mettait  la  main  sur  les  propriétés  des  princes  ecclésias- 
tiques et  des  monastères  voisins,  le  comté  se  verrait  exposé  aux 
représailles  de  la  ligue  souabe,  des  princes  de  Bavière,  du  comte 
palatine!  de  tous  les  Ordres  de  l'Entpire.  Ouant  aux  biens  ecclésias- 
tiques qui  ne  dépendent  point  de  rEnq)ire,  nous  ne  sommes  pas 
non  plus  libres  d'en  disposer,  car  ils  sont  sous  la  protection  de 
l'Empereur.  Mais,  en  dehors  de  tous  ces  motifs,  ravir  à  quelqu'un 
son  avoir,  son  héritage,  contre  sa  volonté  et  par  un  acte  arbitraire, 
ce  n'est  pas  se  conduire  .selon  les  préceptes  du  saint  Évangile, 
c'est  au  contraire  n'y  avoir  aucun  égard.  Néanmoins  la  nécessité 
contraignit  bientôt  Ferdinand  à  consentir  à  la  sécularisation  de 
l'évôché  de  Brixen  et  des  propriétés  de  l'Ordre  Teutonique  «  jusqu'à 
ce  qu'un  concile  général  ou  une  nouvelle  constitution  ait  décidé 
la  question  en  dernier  ressort  .  La  juridiction  ecclésiastique  et 
l'exercice  du  pouvoir  temporel  restèrent  garantis  sans  condition 
à  l'évêque  de  Brixen  ^  Ferdinand  se  vit  aussi  forcé  d'approuver  une 
nouvelle  constitution  nationale  -  offrant  aux  révoltés  de  grands 
avantages,  et  favorisant  grandement  les  prétentions  des  bourgeois 
et  des  paysans'.  Les  procès-verbaux  des  états,  expédiés  le  23  juil- 

'  Dans  JÖRG,  p.  524-525. 

-  Déclaration  de  Ferdinand  lors  de  l'occupalion  de  l'évéché  de  Brixen,  21  juil- 
let 1525.  Voy.  BuCHHOLZ,  Urkundenbuch,  p.  642-643. 
3  Voy.  BuoHHOLZ,  t.  VIII,  p.  335-338. 


588        INSURRECTION  DANS  L'ARCHEVÊCHÉ  DE  SALZBOURG.   1525-1526. 

let  à  toutes  les  juridictions,  villes  et  populations  minières  du  pays, 
furent  adoptés  dans  toute  la  vallée  de  i'Inn,  à  Inspruck,  Hall, 
Brixen,  Clausen  et  Neuslilt;  mais  dans  le  reste  du  comté,  l'insur- 
rection continua  de  plus  belle.  Les  tribunaux  de  l'évéché  de  Brixen 
se  refusaient  à  restituer  les  maisons  et  châteaux  dont  les  révoltés 
s'étaient  emparés.  A  Méran,  Sterzing  et  Brixen,  deux  prédicants 
cherchaient  à  soulever  de  nouveau  la  populace;  des  insurgés  de 
Schlanders  pillèrent  la  Chartreuse  de  Schnals.  Les  habitants  de  Is'un- 
myer  brûlèrent  leur  seigneur  justicier  dans  sa  propre  maison.  Le 
désordre  fut  surtout  affreux  à  Valzigan  et  dans  les  environs  de 
Trieste;  on  ne  parvint  à  étouffer  la  révolte  qu'au  moyen  d'une 
répression  sanglante'.  Mais  nulle  part  la  paix  ne  fut  plus  longue 
à  rétablir  que  dans  l'archevêché  de  Salzbourg. 

«  rvous  sommes  dans  une  grande  anxiété  ",  écrivait  le  18  mai  1525 
le  cardinal-arclievéque  .Mathieu  Lang  à  Guillaume  de  Bavière,  »  au 
sujet  des  pauvres  ouvriers  et  autres  habi!au(s  de  notre  ville  de  Salz- 
bourg, qui  n'ont  plus  rien  à  perdre.  Si  l'émeute  éclatait  parmi  les 
paysans  de  notre  archevêché,  les  ouvriers  seraient  bien  vite  tentés 
de  se  joindre  ä  eux.  «  L'archevêque  suppliait  le  duc  Guillaume  d'en- 
voyer sans  retard  un  délégué  au  conseil  de  Salzbourg  pour  lui  repré- 
senter la  nécessité  de  protéger  terres  et  gens  contre  les  paysans 
révoltés  de  la  Souabe,  de  maintenir  le  pays  dans  la  concorde,  la  paix 
et  la  soumission,  et  de  ne  plus  souffrir  qu'aucun  acte  séditieux  restât 
impuni  dans  le  territoire  de  la  ville.  .  Ces  mesures,  ces  acies  -,  écri- 
vait l'archevêque,  consoleront  et  rassureront  grandement  les  bour- 
geois, les  honorables  qui  ont  du  bien  et  sont  en  possession  de  leurs 
droits  légitimes;  et  les  pauvres,  que  l'appât  du  gain  attire  si  facile- 
raenî  dans  l'émeute,  concevront  de  leur  coté  une  crainte  salu- 
taire-.  :  Mais  quelques  jours  plus  tard,  le  2-J  mai,  la  révolte  éclatait 
a  Hof,  dans  le  Gaslein,  et  l'archevêque  recevait  la  nouvelle  qu'à 
Zell,  dans  le  Pinzgau,  «  quelques  paysans  étrangers  au  pays,  quel- 
ques soldats  de  rencontre  -•,  s'étaient  réunis,  dans  le  dessein  de 
marcher  sur  Salzbourg  avec  loas  ceux  qui  voudraient  se  joindre  à 
eux  sur  la  route.  Bientôt  fout  le  pays  de  Salzbourg,  jusqu'à  un  mille 
de  Reicheuhall,  ne  fut  plus  -  qu'une  vaste  émeute  ;  de  village  en 
village  «n  entendait  sonner  le  tocsin.  Les  montagnards  accouraient 
de  tous  cotés,  armés  de  foui-ches,  de  piques,  de  massues  ou  d'armes 
depuis  longtemps  hors  d'usage.  La  population  de  Salzbourg  s'em- 
pressa de  pactiser  avec  les  émeutiers.  Depuis  le  29  mai  ■■,  écrivait 
l'archevêque  à  Munich,  notre  situation  est  devenue  si  affreuse  que 
nous  n'avons  autre  chose  à  attendr(;  qu'égorgeraent,  pillage  et  mas- 

'  Pour  pins  de  détails,  voy.  Buchholz,  t.  VIll.  p  350-345 
-  Dans  Jonc,  p.  113-114. 


iNS[!;i!i:(;i[ON  dans  i;Aiu:ifi:VK(;iii-;  dk  .salzbourg.  15_>5-15-.>(î.      581> 

sacre;  pcrsoiiue  n'est  silr  de  sou  voisin.»  (.'arclicv(>que  s'ciiferm,'» 
dans  son  cliAleaii  avec  son  cliapiire  cl  ses  conseillers.  Les  paysans  et 
les  ouvriers  des  corporatioas  s'éfanl  rendus  maîtres  de  la  ville,  pil- 
lèrent le  palais  épiscopal,  puis  vinrent  donner  l'assaut  au  château.  Ils 
se  regardaient  déjà  comme  les  niaiires  du  pays,  exigeant  que  foutes 
les  villes  et  bourgs,  à  l'exception  de  Muhldorf^  leur  prêtassent  ser- 
ment de  tidclitcS  et  leur  {^énéral  en  chef  somma  tous  les  intendants 
et  lonclionnaircs  de  l'archevêque  d'avoir  à  comparaiire  à  Salzbourj; 
pour  rendre  compte  de  leur  acliiiinistration. 

L'archevêque  se  flattait  que  la  Bavière,  conformément  à  la  con- 
vention de  Ralisbonne  (1524)',  viendrait  à  son  secours;  mais  il  fut 
déçu  dans  son  attente,  car  Guillaume  ne  songeait  qu'à  tirer  parti, 
pour  lui  et  sa  maison,  de  la  déiressc  du  prélat.  Il  fit  assurer  les  chefs 
des  rebelles,  -  sur  sa  parole  et  son  honneur  de  prince  »,  que  «  sou 
humeur,  intention  et  résolution  n'étaient  nullement  d'accorder  au  car- 
dinal de  Salzboin-g  appui,  subsides  ou  renfort  (juelconque  -,  et  envoya 
une  ambassade  aux  révoltés  pour  conclure  avec  eux  «  un  accommo- 
dement pacifique  ■.  Quelques  hordes  de  paysans  firent  entendre  ä 
ses  délégués  (ju'ils  ne  voulaient  plus  à  aucun  prix  de  l'archevêque, 
qu'ils  lui  préféreraient  de  beaucoup  un  prince  temporel,  et  n'étaient 
pas  éloignés  de  consulter  la  population  pour  savoir  si  elle  n'accep- 
terait pas  pour  souverain  un  prince  de  Bavière  ".  Déjà  le  duc  avait 
décrété  l'occupation  de  Muhldorf,  ville  dépendante  de  févêché,  sans 
l^ùre  aucune  mention  des  droits  de  l'archevêque,  et  ses  chargés  d'a(^ 
faires  avaient  reçu  la  mission  d'agir  auprès  des  -•  lieutenants,  conseil- 
lers et  membres  des  étals  du  pays  ■■,  de  manière  aies  faire  consentir 
à  cette  mesure,  dans  l'intérêt  «  de  la  bonne  entente  qui  doit  exister 
entre  voisins.  L'occupation  de  Muhlberg  ne  pourrait  porter  préjudice 
à  personne,  assurai!  le  duc;  d'ailleurs,  elle  ne  serait  que  provisoire,  et 
ne  durerait  que  jusqu'au  moment  où  les  destinées  du  pays  seraient 
définitivement  fixées^.     Le  chancelier  Léonard  d'Eck  tenta  vaine- 

'  •  Dans  laquelle  -,  dit  rarciievêque,  'il  éiail  convemi  entre  aiilres  choses  que 
si  l'un  ou  plusieurs  d'enlrenousse  voyaient  exposés  à  quelque  contradictio)!,  rébel- 
lion, révolte  de  leurs  sujets  à  cause  de  notre  clirélienne  entreprise  (de  combattre 
la  doctrine  de  Luther  et  autres  hérésies  séditieuses),  nous  nous  eiij'jajjions  à  nous 
assister  et  conseiller  mutuellement.  Or,  voici  quel  avait  été  le  prétexte  de 
la  guerre  :  Xous  avions  fait  emprisonner  quelques  prédicants  séditieux  qui 
avaient  prêché  contre  l'institution  de  la  sainte  Église  chrétienne;  l'un  d'eux 
avait  été  condamné  par  jugement  et  sentence  à  la  prison  perpétuelle;  le  jour 
qu'on  l'emmena,  plusieurs  émeutiers,  se  jetant  avec  violence  sur  les  nôtres, 
tentèrent  de  leur  arracher  le  coupable,  et  pour  cet  acte  de  rébellion,  deux 
d'entre  eux  furent  décapités.  Là-dessus  les  séditieux  crièrent  bien  haut  que  nous 
nous  étions  opposés  à  la  prédication  de  l'Évangile,  que  nous  n'avions  pas  voulu 
tolérer  qu'il  filt  annoncé  au  peuple,  et  c'est  pour  cela  qu'ils  ont  refusé  leur  obéis- 
sance à  notre  gouvernement  et  autorité  souveraine.  •■  Dans  Jörg,  p.  570. 

'  Dans  JÖRG,  p.  557-558. 


590        INSURRECTION  DANS  L'ARCHEVÊCHÉ  DE  SALZBOURG.  1525-1526. 

ment  de  détourner  son  maître  d'une  pareille  politique.  Il  lui  écri- 
vait, le  7  juin  152Ô  :  "  Quand  bien  même  l'évêque  de  Salzbourg 
et  tout  son  clergé  seraient  mis  à  mort,  quand  bien  même  les 
paysans  resteraient  les  maîtres  du  pays  et  l'offriraient  à  Votre 
Altesse,  Votre  Altesse  doit  bien  se  persuader  que  jamais  les  gens 
d'équité  et  d'expérience  ne  lui  couseilleraient  d'accepter.  Les  ancê- 
tres de  Votre  Grâce,  qui  ont  régné  jusqu'ici  sur  tant  de  générations, 
entourés  du  respect  de  tous,  n'ont  jamais  sanctionné  de  semblables 
attentais.  »  ■  Etre  d'intelligence  avec  les  paysans,  entrer  dans 
leurs  plans,  s'entendre  avec  eux  d'une  manière  quelconque,  c'est 
laisser  brûler  la  maison  du  voisin  sans  protéger  la  sienne,  c'est 
par  conséquent  les  perdre  toutes  deux.  -  .le  pense  que  Votre 
Grâce  ferait  beaucoup  mieux  d'équiper  une  armée  à  ses  Irais  et 
de  marcher  contre  les  paysans,  que  d'abandonner  l'archevêque  '. 
.'  Assurément  -,  disait  encore  le  chancelier,  «  le  duc  pouvait  en  toute 
loyauté  et  honneur  travailler  pour  le  profit  et  l'avantage  de  sa 
principauté,  mais  il  ne  devait  pas,  dans  ce  but,  s'appuyer  sur  les 
paysans;  c'était  vers  l'archevêque  qu'il  fallait  se  tourner,  et  sans 
l'assentiment  du  prélat  Muhklorf  ne  devait  pas  être  occupée.  Avant 
tout,  il  fallait  faire  tous  ses  efforts  pour  assurer  au  duc  Ernest, 
frère  du  duc  et  administrateur  de  l'évêché  de  Passau,  la  succession 
au  siège  archiépiscopal  de  Salzbourg.  -^  .Mais  Ernest  se  montrait 
peu  disposé  pour  le  moment  à  accepter  la  charge  épiscopale;  il 
écrivait  :  ^  En  présence  des  difficultés  et  des  afflictions  que  le  clergé 
a  de  nos  jours  à  subir  de  la  part  de  l'état  laïque,  préoccupé  des  évé- 
nements périlleux  de  notre  temps,  je  me  sens  peu  enclin  à  me  charger 
de  plus  de  maux  encore.  Il  ajoutait  en  manière  d'avertissement  : 
"  Ce  qui  se  passe  dans  ie  pays  de  Salzbourg  est  bien  fait  pour 
donner  à  réfléchir  aux  princes,  car,  se  réglant  sur  cet  exemple,  les 
sujets  des  pays  voisins  ne  se  feront  bientôt  plus  aucun  scrupule  de 
déposer  et  de  renverser  leurs  souverains  et  légitimes  seigneurs-.  Un 
certain  nombre  de  révoltés  s'étaient  tournés  vers  l'archiduc,  l'enga- 
geant à  se  faire  élire  souverain  temporel  de  l'archevêché,  ou  bien  à 
nommer  un  évêque  autrichien  au  siège  de  Salzbourg.  La  population 
de  la  vallée  de  l'inn,  réunie  à  celle  de  Salzbourg,  le  suppliait  aussi  de 
se  déclarer  franchement  contre  l'évêque  ;  en  ce  cas  les  jeunes  nobles 
de  Schwaz  promettaient  de  lui  venir  en  aide  avec  cinq  mille  fantas- 
sins^et  les  seigneuries  etbourgs  salzbourgeoisdeKrobsberg.deZiller- 
îhal,  de  Kitzbiîhlet  de  MatreyMui  étaient,  disaient-ils,  tout  dévoués. 

'  Dans  .loRG,  p.  332-335,  359. 
-  Dans  JÖRG,  p.  578-579. 
^  JÖRG,  p.  514. 
*  Voy.  JÖRG,  p.  603. 


INSURRECTION  DANS  L'ARrilEVF.rilF,   DK  SALZBOURG.   1525-1526.        591 

Enirc  les  maisons  rèijnanlcs  d'Aulriclie  et  de  Willelsbach  la  pos- 
session (le  rai'clievéclié  deviiil  le  sujet  de  coii(e>lalioiis  si  vives 
qu'une  guerre  sanglante  iaillil  en  être  le  résultat. 

Lors(iue  la  ligue  souabe,  à  la  requôte  de  l'arclicvöque,  décréta  que 
deux  mille  de  ses  soldats  iraient  rejoindre  l'armée  de  iiavière, 
entretenue  à  ses  irais,  et  que  toute  cette  force  serait  dirigée  sur 
Salzbourg,  le  duc  Guillaume  parvint  à  retarder  pendant  (}uelque 
temps  l'exécution  de  cet  ordre.  Le  6  juin,  il  cherchait  encore  à 
nouer  des  relations  directes  avec  les  rebelles,  et  s'informait  même 
auprès  de  sou  chancelier  ^  de  l'opportunité  d'envahir  par  surprise 
les  Kfats  de  l'archiduc  .  Les  secours  de  la  ligue  arrivèrent  enfin, 
et  firent  cesser  toules  Uïs  angoisses  de  l'archevêque;  dans  les  der- 
niers jours  d'aoïU,  la  paix  lut  conclue.  Les  rebelles  s'engagèrent  à 
remettre  à  l'archevêque  les  articles  de  leur  union,  à  payer  comme 
auparavant  au  clergé  et  à  la  noblesse  les  taxes  établies,  à  restituer 
ce  qui  avait  été  dérobé,  enfin  à  payer  à  ia  ligue  souabe  quatorze 
mille  florins  d'indemnité  de  guerre.  Une  totale  amnistie  était  ga- 
rantie aux  insurgés.  La  ligue  se  réservait  d'apprécier  plus  tard  les 
griefs  auxquels  on  ne  pourrait  tout  de  suite  faire  droit.  L'archevêque 
;  se  montra  satisfait  du  traité  ■•,  et  consentit,  jusqu'à  son  exécution, 
à  laisser  siéger  dans  son  conseil  <  trois  hommes  pieux  et  éclairés  ' , 
choisis  parmi  les  membres  des  états.  Le  1"  septembre,  le  bourg- 
mestre de  Salzbourg  mit  à  ses  pieds,  à  la  requête  des  paysans  '■, 
les  armes  et  les  bannières  des  rebelles'.  Mais  de  nouvelles  émeutes 
ne  tardèrent  pas  à  menacer;  les  hordes,  de  nouveau  soulevées,  par- 
laient de  recommencer  la  guerre  «  aussitôt  que  les  arbrisseaux 
seraient  verts  ••,  annonçant  leur  dessein  de  se  débarrasser  le  plus 
promptement  possible  de  la  noblesse  et  des  seigneurs*  > . 

'  Pour  plus  de  détails,  vo\ .  ,Iöug,  p.  579-608. 

2  Jöi\G,  p.  636-656.  Celle  nouvelle  exploiiou  de  l'insurrection  se  rattachait  au 
châtiment  infligé  à  Schlüdniinjy,  ville  de  la  Styrie  supérieure,  dont  le  gouver- 
nement avait  été  confié  p:ir  Ferdinand  au  comte  Nicolas  de  Salm.  Schladming 
avait  été  le  centre  de  la  révolte  pour  tout  le  pays,  et  le  3  juillet  1525,  le 
sénéchal  de  la  province,  Sigismond  de  Dietriohstein,  y  avait  été  attaqué  à 
l'improviste.  Voy.  sur  ce  sujet  la  relation  de  Dietrichstein  à  l'archiduc  Ferdi- 
nand, dans  les  Archiv,  für  Kunde  österreichischer  Geschichstqiiellen,  t.  X\'II,  p.  ISS- 
US. -  Ce  qu'on  a  raconté  d'un  échafaud  élevé  par  les  paysans  de  Scliladming, 
où  auraient  été  décapités  nombre  de  gentilshommes,  n'est  qu'une  histoire 
inventée  à  plaisir.  »  —  Rrones,  Handbuch  der  Geschichte  Oesierretchs  (Berlin, 
1877),  t.  II,  p.  640.  Sur  les  atrucilés  commises  pendant  la  guerre  par  le  comte 
de  Salm,  >oy.  les  documents  puMiés  par  Oberleitner  pour  l'histoire  de  la  guerre 
(les  paysans  dans  le  Tyrol  et  dans  l'évêché  de  Salzbourg  (1525-1526). —Voy.  aussi 
A'otizcnblatt  Jiir  Kunde  Österreichischer  Gechischtsquellen,  t.  IX,  p.  88-89.  Le  6  Octobre 
1525,  Salm  mandait  au  Conseil  d'Ktat  de  Vienne  qu'il  avait  mis  le  feu  à  la 
ville  de  Schladmin;;,  et  l'avait  incendiée  de  fond  en  comble,  puis  que  le  lende- 
main il  avait  donné  Tordre  de  piller  et  d'incendier  toutes  les  localités  environ- 
nantes. «  Kevenant  ensuite  sur  mes  pas,  j'ai  ravagé  les  alentours  de  Grobming 


592       INSURRECTION  DANS  I/ARCHKVECHE   DE  SALZBOURG.  1525-1520. 

Au  printemps  de  1o2ß,  les  rebelles  étaient  en  effet  sons  les  armes. 
Ce  ne  fut  qu'eu  juillet  lô26  que  la  haute  cour  de  justice  de  Rastadt 
parvint  à  pacifier  complètement  le  pays. 

(dans  le  territoire  de  SalziMjurg).  .J'ai  parcouru  les  montajjnes  et  les  vallées,  jai 
tout  »lis  ù  feu  et  à  sang,  de  sorte  que  peu  de  villages  sont  l'estés  debout,  .le 
voulais  détruire  Grobming  comme  Schladininfj,  mais  je  l'ai  éparf^née  sur  les 
instances  de  la  noblesse.  »  Le  11  octobre,  le  Conseil  d'État  de  Vienne  donna 
à  Salm  l'ordre  de  ménager  le  plus  possiljle  Aussee  et  Eisenerz,  de  peur 
que  le  pays  n'eût  trop  à  souffrir.  Le  15  octobre,  Salni  écrivait  de  Leoben  qu'il 
avait  renoncé  ■  à  la  ilambée  »,  parce  qu'il  n'y  avait  pas  de  population  plus 
effroyablement  féroce  que  celle  du  pays  où  il  se  trouvait.  Toutefois  il  espé- 
rait qu'elle  resterait  soumise.  Le  principal  chef  de  linsurrection  de  Salz'uourg 
était  .Michel  Geismayr,  qui  ci)ercba  plus  tard  à  soulevé;*  de  nouvelles  révoltes  dans 
leTyrol.ll  finit  par  se  réfu;ier  dans  les  États  vénitiens,  «  et  fut  reçu  en  amitié, 
lui  et  tout  son  mande,  par  la  République,  qui  en  fit  beaucoup  de  cas,  et  lui  ac- 
corda une  pension  de  quatre  cents  ducats,  s'en  servant  comme  d'un  utile  auxi- 
liaire contre  l'Empereur  et  l'Empire.  Il  se  fixa  dans  les  environs  de  Padoue.  ■ 
Ses  revenus  eu>sent  suffi  à  l'entretien  d'un  cardinal.  ■  !1  resta  toujours  en 
relation  avec  les  révolutionnaires  d'Allemagne.  Il  mourut  assassiné.  >  —  Voy. 
BCOHOLTZ,  t.  VIII,  p.  347-348,  et  son  Urhunclcnband,  p.  G55-G5".  —  JouG,  p.  G5Î- 
657.  —  Voy.  aussi  le  t.  III  de  cet  ouvrage. 


en  Al' IT  HE    V 

KTAT    l)l':    l'aL(,E.MA(;N  K    APUKS    LA    RKVOLUTION    SOCIALE, 


La  révolulioiî,  qui  avait  failli  anéantir  toute  la  tradition  du 
passé  chrétien,  et  avec  elle  tout  l'équilibre  social  et  politique  de 
l'Empire,  était  enfin  domptée. 

Mais  "  l'aspect  d'une  p,rande  partie  de  l'Allemagne  était  à  jamais 
changé,  et  la  répression  qui  suivit  ces  lunestes  émeutes  rendit  plus 
alïreuse  encore  la  situation  du  pays  -. 

c;  O  chimérique  espérance  d'un  impossible  bonheur  -,  s'écrie  Lau- 
rent Frics  dans  ses  Reßexions  sur  la  rémUition  de  \'i2'i,  tu  aveuples 
tellement  les  sujets,  qu'ils  ne  peuvent  plus  apprécier  ce  qui  est  selon 
üieu,  ce  qui  est  selon  l'honneur  et  la  loyauté!  Tu  les  berces  de  l'illu- 
sion qu'après  la  lutte  ils  seront  libres  de  toute  charge,  qu'ils  de- 
viendront leurs  propres  maîtres,  et  lorsque  enfin  ils  ont  cédé  à 
tes  conseils  perfides  et  impies,  tu  en  fais  des  esclaves  et  des  valets. 
Non-seulement  tu  ne  les  délivres  pas  de  leurs  fardeaux,  mais  tu 
rends  deux  fois,  trois  fois,  dix  fois  plus  lourdes  et  plus  insuppor- 
tables des  charges  qui  auparavant  étaient  faciles,  modérées,  lé."-ères. 
Tu  persuades  aux  pauvres  gens  que,  sans  beaucoup  de  peine  et  de 
travail,  ils  verront  leur  sort  s'adoucir,  qu'ils  deviendront  riches  et 
heureux,  et  tu  les  conduis  à  la  plus  triste,  à  la  plus  lamentable 
détresse!  Tu  les  excites  à  saccager  les  châteaux  et  les  maisons  des 
princes,  des  seigneurs  et  autres  autorités,  tu  leur  conseilles  l'incen- 
die, le  pillage,  et  tu  es  cause  que  ces  malheureux,  voués  par  état  à 
un  travail  rude  et  fatigant,  doivent  encore  payer  de  leurs  deniers 
tout  ce  qu'ils  ont  détruit,  et  remplir  de  nouveau  les  coffres  et  les 
caves  qu'ils  ont  vidés.  A  cause  de  toi,  on  ravage  leurs  vignes,  on 
piétine  leurs  champs,  on  briHe  leurs  cabanes,  on  pille  leurs  épargnes, 
on  confisque  leurs  vêtements,  leurs  meubles,  on  les  expatrie  au 
loin.  Mais  ce  qui  est  surtout  odieux  et  abominable,  c'est  que  tu 
oses  donner  à  la  source  maudite  et  honteuse  de  tant  de  forfaits,  de 
meurtres  et  de  ruines,  le  nom  le  moins  propre  à  la  déterminer, 
l'appelant  une  «  Fraternité  ».  Outrageant  et  injuriant  notre  Sauveur 

»•  38 


594  ÉTAT  DE  L'ALLEMAGNE  APRÈS  LA  RÉVOLUTION  SOCL\LE. 

et  Rédem pleur  Jésus-Christ,  tu  couvres  tes  crimes  atroces  de  son 
saint  nom,  de  son  nom  noble  et  adoré,  et  tu  qualifies  de  cliré- 
tiennes  ces  associations  de  scélérats,  ces  prétendues  Fraternités! 
Dans  les  proclamations  des  soi-disant  frères,  des  actions,  des  ten- 
tatives exécrables,  païennes,  tyranniques,  bestiales,  sont  appelées 
c  grâces  de  Dieu  »  et  c  paix  du  Christ  > ,  tandis  qu'en  réalité,  comme 
ces  mêmes  frères  sont  bien  obligés  de  l'avouer  eux-mêmes,  la  révolte 
n'engendra  jamais  que  calamités,  troubles,  guerres,  profanations, 
vols,  rapts,  incendies  et  meurtres'.  - 

Cochlseus  s'écrie  en  terminant  le  récit  qu'il  nous  a  laissé  de  la 
guerre  des  paysans  :  -  Quand  verrons-nous  relevés  îous  ces  châ- 
teaux, ces  couvents,  ces  abbayes,  ces  églises,  ces  villages  qui,  en  un 
si  court  espace  de  temps,  ont  été  saccagés,  incendiés?  Et  qui  donc 
a  ga[iaé  à  tant  de  ruines?  Les  lansquenets  et  les  reîtres!  Oui  ne 
se  sentirait  ému  de  douleur  à  la  pensée  de  tant  de  religieux 
qui,  dune  vie  honorable,  méritante  et  dévote,  sont  tombés  dans 
l'ignominie,  dans  l'extravagance  et  Tinconduite,  et  mènent  main- 
tenant dans  le  monde  une  scandaleuse  et  honteuse  existence, 
obligés,  ou  de  mourir  de  faiin,  ou  de  soutenir  leur  vie  en  ayant 
recours  à  des  industries  déshonnêtes?  car  ils  n'ont  pas  appris  de 
métier,  et  ne  savent  point  cultiver  les  champs.  Un  certain  nombre 
se  sont  enfuis  de  leur  monastère  de  leur  propre  gré,  sollicités  par 
les  désirs  de  la  chair,  ou  bien  poussés  à  bout  par  les  vexations, 
humiliations,  souffrances,  mépris  de  tous  genres  qu'on  leur  a  fait 
endurer,  à  cause  des  doctrines  de  Luther.  D'autres  ont  été  chassés 
de  chez  eux  par  la  violence;  beaucoup,  déjà  parvenus  à  la  vieillesse, 
incapables  de  se  suffire,  pauvres  gens  qui  avaient  servi  Dieu  jour 
et  nuit,  priant  pour  tous  les  hommes  depuis  vingt,  trente  ou 
quarante  ans,  ne  savent  plus  maintenant  où  aller,  n'ayant  plus 
leur  pain  assuré.  Les  marchands,  les  ouvriers  luthériens  des  ville? 
se  sont  jusqu'à  présent  montrés  fiers,  dédaigneux  et  arrogants 
vis-à-vis  d'eux.  Tant  de  veuves,  d'orphelins,  de  vieillards,  d'in- 
firmes tombés,  dans  ces  temps  déplorables,  dans  une  horrible 
détresse  et  désolation,  ne  méritent  pas  moins  de  compassion,  car 
les  chefs  de  famille  qui  devraient  nourrir  cette  foule  d'impuis- 
santes victimes  ont  été  massacrés  par  milliers.  Les  maisons  sont 
en  cendres,  les  champs  et  les  vignes  en  friche,  les  habits,  les 
meubles  volés  ou  brûlés;  on  a  enlevé  au  cultivateur  ses  vaches,  ses 
moutons,  ses  chevaux,  ses  attelages,  et  pourtant  le  prince  ou  le 
seigneur  veut  être  payé  et  recevoir  de  sa  ferme  la  redevance  accou- 
tumée. Dieu  du  ciel!  où  donc  les  veuves  et  les  pauvres  petits  orphe- 

"'  L.Turent  Fries,  p.  338-339. 


I/AI.LEMA(;NK    APRKS    la    RKVOI-IITION    sociale  595 

lins  iront-ils  clicrclicr  cet  argent?  Une  telle  misère  attendrirait 
imc  pierre!  Oue  de  lois,  que  de  rèjjlemcnts  nos  lulhériens  n'onl-ils 
pas  faits  contre  les  moines  quôteurs,  les  écoliers  indigents,  les 
pauvres,  les  pèlerins,  disant  qu'ils  ne  soulTriraient  plus  ce  peuple  de 
mendianis  dans  leurs  villes!  Oue  leur  semble,  à  préseul,  de  l'élal  des 
choses?  Dieu  a  permis,  pour  noire  punition  à  tous,  que,  pour  un  men- 
diant, nous  en  ayons  mainlenanl  vingt,  trente,  ou  même  davantage',  n 

c  Au  commencement  ",  dit  le  chroniqueur  Anslielm,  on  tremblait 
que  personne  n'échappât  â  la  fureur  des  paysans;  mais  à  la  fin,  il 
s'est  trouvé  que  ce  sont  eux  qui  n'ont  pu  se  soustraire  au  glaive 
sanglant.  Les  seigneurs  et  les  gentilshommes,  qui  de  lions  étaient 
devenus  lièvres,  sont  de  nouveau  redevenus  lions;  et  les  paysans, 
qui  de  lièvres  étaient  devenus  loups,  sont  redevenus  lièvres;  de 
sorte  qu'après  avoir  fait  joyeuse  chasse,  après  avoir  détruit,  ravagé, 
saccagé  sans  merci,  ils  sont  maintenant  fugitifs,  (raqués,  vaincus, 
impitoyablement  massacrés.  Après  leur  entière  défaite,  on  a  cal- 
culé que,  dans  la  haute  Allemagne,  environ  cent  mille  paysans 
avaient  péri  sur  les  champs  de  bataille  ou  autrement.  De  plus,  cette 
guerre  de  dévastation  a  causé  renchérissement  des  denrées;  la 
viande  surtout  est  hors  de  prix.  Puis  la  peste  est  survenue,  et  les 
paysans,  pliant  sous  la  peine,  ont  dû,  après  taut  de  sueurs,  taire 
l'expérience  d'une  sueur  autrement  affreuse  et  glacée,  celle  de  la 
mort,  ou  d'une  longue  et  douloureuse  mal'idie.  Ainsi  donc,  pour 
salaire  de  leur  brutale  et  tyrannique  entreprise,  ils  ont  été  traités 
à  leur  tour  avec  brutalité  et  tyrannie;  caries  seigneurs,  depuis  la 
victoire,  sont  dcveuus  plus  durs,  plus  cruels  qu'auparavant;  ceux-là 
mêmes  qui,  par  impuissance  ou  par  peur,  avaient  laissé  leurs  gens 
sans  protection,  et  ceux,  moins  nombreux,  qui  jadis  avaient  été 
portés  â  la  douceur  et  à  l'humanité,  sont  à  présent  disposés  aux 
mesures  les  plus  rigoureuses,  et  se  persuadent  qu'eu  serrant  le  mors 
et  le  bât  de  l'ànc,  ils  l'empêcheront  de  ruer,  et  le  maintiendront 
sous  le  joug  -.  " 

L'Allemagne,  dans  tous  les  territoires  ravagés  par  l'émeute,  offrait 
un  lamentable* et  horrible  spectacle.  Plus  de  mille  couvents  et  châ- 
teaux n'étaient  plus  que  des  ruines;  des  centaines  de  villages  étaient 
en  cendres;  les  champs  restaient  sans  culture;  les  instruments  de 

'  Eyn  huilzer  heçiriff  der  auß'rureii,  rollen  und  häufen  der  bauren  in  hohen  Teutschland, 
Im  M.D.XXl'  hir,  Sehlussu-ort. 

-Ansiiki.m.  l.  VI,  p.  2Ü9,  285.  »Afin  que  la  révolte  fAl  punie  •,  dit  Ilerolt  (p.  10"), 
•■  Dieu  mit  en  la  main  des  .sei;;neurs  la  force  et  le  j;laive,  de  sorte  qu'ils  revin- 
rent vivants,  et  même  enflammés  de  courajye;  au  lieu  que  ks  paysans  étaient 
devenus  comme  des  lièvres,  et  partout  ils  furent  exterminés  et  martyrisés. 
Quel  a  été  là  deJans  le  dessein  de  Dieu?  cela  dépasse  mon  intelligence;  sans 
doute  il  a  permis  tout  ceci  pour  l'instruction  des  princes  et  autorités.  • 

38, 


596  L'A  t.  LE  MAGNE    APRÈS    LA    REVOLUTION    SOCIALE. 

labour  et  les  attelap,es  étaient  brisés,  disparus,  les  bestiaux  assommés 
ou  voles;  les  veuves  et  les  orphelins  de  plus  de  cent  mille  morts 
étaient  plongés  dans  la  plus  affreuse  détresse'. 

u  Tout  était  dans  un  tel  état  qu'une  pierre  eu  eût  été  attendrie,  et 
pourtant  les  choses  devaient  encore  aller  en  empirant,  car  la  soif  de 
vengeance  était  ardente  chez  les  seigneurs.  «  «  Eux  aussi  étaient 
devenus  féroces  dans  cette  lamentable  guerre;  bien  peu  étaient 
disposés  à  se  laisser  toucher  par  la  pitié  et  la  miséricorde  chré- 
tiennes*. " 

C'est  alors  que  les  princes  et  seigneurs  commencèrent  avec  les 
paysans  ^-  un  jeu  de  sang  et  d'or  ■^.  «  J'espère  -,  écrivait  l'un 
d'eux,  «  que  nous  allons  jouer  avec  les  têtes  comme  les  jeunes  gar- 
çons jouent  avec  les  boules.  »  ^  On  n'en  a  pas  encore  fini  avec  les 
exécutions  -,  écrit  tristement  Spalatin,  prédicant  de  la  cour  élec- 
torale de  Saxe  (juillet  152.5);  •  il  y  a  un  nombre  inouï  de  veuves  et 
d'orphelins  abandonnés  et  sans  ressource.  -  Daus  le  territoire  de 
Wurzbourg,  le  bourreau  se  vantait  d'avoir,  en  l'espace  d'un  mois, 
exécuté  trois  cent  cinquante  personnes.  Un  bourreau  au  service  de 
Casimir  d'Anspach-Bayreuîh,  margrave  de  Brandebourg,  fournit  un 
mémoire  de  quatre-vingt-dix  hommes  décapités  et  de  soixante- 
deux  autres  auxquels  on  a  crevé  les  yeux;  outre  cela,  sept  paysans 
avaient  eu  les  doigts  coupés.  •  Si  nous  exterminons  tous  nos 
hommes  n,  écrivait  le  margrave  Georges  â  son  frère  Casimir,  -  où 
prendrons-nous  d'autres  paysans  pour  nous  nourrir?  Songeons  à 
nous  montrer  prudents  en  cette  affaire.  -  Néanmoins  les  emprison- 
nements, les  tortures  continuèrent  sans  interruption  dans  le  mar- 
graviat jusqu'à  la  fin  de  1Ô2G.  Le  chevalier  Hans  de  >Valdenlels 
représenta  alors  au  margrave  (6  novembre)  -  que  c'était  pour  des 
paroles  insignifiantes,  des  actes  de  peu  d'importance,  qu'une  masse 
de  malheureux  étaient  accusés,  torturés  et  poursuivis,  et  que  les 

'  Dans  une  circulaire  de  l'évêque  Georfjes  de  Spire,  le  nombre  des  paysans 
restés  sur  le  champ  de  bataille  est  év.ilué  à  plus  de  cent  cinquante  mille.  — 
Gf.iSSCl,  h'niser/lo77i.  p.  315,  note  1. 

2  Voy.  la  liste  citée,  p.  464,  note  1.  ^  Dès  que  les  grands  seigneurs  se  crurent 
affranchis  d'un  péril  de  mort,  leur  vie  de  plaisir  recommença.  Beaucoup  ne 
l'avaient  même  pas  interrompue  pend  int  les  horreurs  de  la  révolution,  ce  qui 
était  véritablement  honteux  de  leur  part,  menacés  qu'ils  étaient  de  si  graves  dan- 
gers. "  La  Chronique  de  Zimmer  dépeint  la  vie  que  menaient  au  fort  de  la  révolu- 
tion les  nobles  réfugiés  à  Rothweil  (t.  II,  p.  400-403).  -  Là  se  trouvaient  Jean 
Werner  et  Guillaume  Werner,  de  Zimmer,  les  abbés  Ulrich  d'Alpirsbach  et  Jean 
de  Saint-Georges,  ainsi  que  quelques  memi)res  de  la  petite  noblesse;  et  tandis 
que  l'émeute  et  le  tumulte  régnaient  partout,  eux,  se  sentant  en  pleine  sécu- 
rité, ne  songeaient  qu'à  se  divertir,  et  entretenaient  nombreuse  compagnie. 
Les  banquets  allaient  leur  train,  les  seigneur>  les  donnaient  à  tour  de  rôle.  Ils 
jouaient  quelquefois  à  des  jeux  singuliers,  qui  les  divertissaient  beaucoup,  (»n 
lançait  les  meubles  de  côté  et  d'autre,  de  façon  à  les  briser,  à  les  détruire  ;  puis  on 
se  jetait  à  la  figure  des  débris  de  gâteaux,  ou  bien  l'on  s'aspergeait  d'eau  sale.  • 


L'ALLEMAGNE    APRÈS    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE.  597 

femmes  abandonnées,  les  petits  enfants  de  ces  pauvres  fjens,  inca- 
pables de  se  suffire,  mouraient  de  misère  el  de  faim.  Le  prince 
devait  craindre  de  se  laisser  influencer  par  des  gens  qui,  tout  en 
affichant  un  zèle  exagéré,  étaient  sans  doute  les  plus  coupables  de 
fous.  Waldenfels  sup()liait  le  duc,  au  nom  de  ce  qu'il  avait  de  plus 
cher,  d'oublier  euf-in  le  passé,  et  d'incliner  .-on  C(L'ur  vers  la  misé- 
ricorde. '  Selon  les  lumières  de  leur  faible  entendement  -,  écri- 
vaient à  Casimir  les  conseillers  de  Culmbacli,  il  leur  semblait 
excessif  de  punir  si  rigoureusement  des  paroles  insignifiantes  et 
inconsidérées.  Casimir  avait  fait  exécuter  plus  de  cinq  cents 
hommes,  et  les  amendes  lui  rapportèrent  environ  quatre  cent  mille 
florins.  L'aisance  des  paysans  d'alors  était  telle  que,  parmi  les  familles 
des  condamnés  ou  des  bannis,  à  peine  s'en  trouva-t-il  ([uehpies-uues 
(jui,  après  avoir  vendu  leurs  biens  et  payé  leurs  dettes,  n'eussent 
encore  en  réserve  cinquante  à  cent  florins  d'or,  après  une  guerre  si 
désastreuse.  Il  n'était  |)as  de  village  où  l'on  ne  trouvât  des  paysans 
possédant  de  sept  cents  à  mille  florins  d'or,  c'est-à-dire,  d'après  la 
valeur  qu'avait  alors  l'argent,  une  fortune  de  noble. 

Dans  les  autres  territoires,  <  les  maitres  bourreaux  avaient  aussi 
beaucoup  de  besogne  n.  Un  bourreau  de  Bàle  se  faisait  gloire 
d'avoir  tranché  la  tète  à  cinq  cents  condamnés.  Le  chevalier  Conrad 
de  Riethheim  fit  arracher  la  langue  à  trois  paysans.  Dans  le  U'ur- 
temberg,  quelques  femmes,  pour  avoir  voulu  se  mêler  de  prêcher, 
subirent  le  même  supplice.  De  douze  prédicants  révolutionnaires, 
onze  furent  roués,  brrilés  vifs  ou  noyés,  un  seul  décapité.  Le  prévôt 
de  la  ligue  souabe  exécuta  de  sa  propre  main  douze  cents  hommes, 
et  reçut  plus  tard  une  liste  supplémentaire  contenant  les  noms 
de  condamnés  épargnés  ou  oubliés  dans  les  exécutions  précédentes. 
Le  chiffre  des  exécutions,  rien  que  dans  les  domaines  de  la  ligue 
souabe,  est  évalué  à  dix  mille  dans  une  liste  présentée  aux  états  de 
la  ligue  vers  la  fin  de  l.j26.  Quand  l'échafaud  ne  suffisait  pas,  ou 
avait  recours  à  l'incendie.  ..  Le  cœur  du  paysan  est  tellement  empoi- 
sonné et  endurci  ,  écrivent  des  conseillers  de  Saxe,  "  que  l'uu 
mérite  aussi  bien  que  l'autre  le  dernier  supplice.  Les  exécutions  ne 
les  intimident  point  et  ne  les  délournenl  pas  de  leur  obstination 
perverse,  de  sorte  qu'il  devient  nécessaire  d'eu  venir  à  bout  par 
l'incendie  '.  - 

'  Voy.  Baumv.W,  Quellen  aus  Oberschwahen,  p.  106,  112-113,  126,  270,  347,  707,  795. 
—  Laurent  Fuies,  p.  119,  évalue  i  trois  cents  le  nombre  des  rebelles  exécutés 
à  VVurzJJourg  et  dans  le  reste  de  l'évèché.  D'après  une  liste  publiée  par  Bensen 
\p.  492),  il  n'y  aurait  eu  que  deux  cent  soixante-douze  victimes.  Voy.  le 
mémoire  fourni  par  le  bourreau  du  margrave  dans  V Anzeiger  fur  die  Kunde 
deutscher  Vorzeit,  t.  II,  p.  139.  —  Voy.  aussi  JÖRG,  p.  634.  —  ZIMMERMANN,  t.  II, 
p.  902.  —  Bensen,  p.  498.  —  Voy.  la  lettre  du  margrave  Georges  dans  rarlicle 


598  L'ALLEMAGNE    APRÈS    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE. 

Dans  tous  les  lieux  où  il  y  avait  eu  révolte,  les  paysans  durent 
livrer  leurs  armes.  Pleurant,  gémissant,  le  cœur  rempli  d'amer- 
tume -,  écrivent  du  Lech  les  capitaines  bavarois  chargés  de  faire 
exécuter  les  ordres  de  la  ligue  (23  juillet  1525),  les  paysans  des 
territoires  souabes  sont  venus  déposer  à  nos  pieds  leurs  armes,  et 
même  leurs  inséparables  compagnons,  les  sabres  '.       On  imposa 

publié  par  Schmidt  sur  la  {guerre  des  paysans  dans  Y Encydopuiie  de  F.rsch  ei 
Grcber,  t.  VIII,  p.  185,  note  43.  —  Voy.  la  lettre  du  chevalier  de  Waldeiifels 
dans  Bensen,  p.  462.  Pour  plus  de  détails  sur  Casimir,  voy.  Lang,  Geschichte  ion 
Baireuth.  t.  I,  p.  196,  197,  212.  Relation  du  bourreau  de  Bâle  dans  Boos, 
Thomas  und  Felix  Plater ,  p.  .327.  Parmi  les  châtiments  bizarres  imposés  aux 
paysans,  nous  trouvons  l'obligation  de  porter  la  barbe  entière  d'un  côté,  et 
de  tenir  l'autre  moitié  du  visage  complètement  rasée.  On  lit  dans  le  serment 
prononcé  après  sou  jugement  par  Pierre  .Schmidt  de  Neckarsulm  :  ^  .le  m'en- 
gage à  ne  porter  désormais  ma  barbe  que  d'un  seul  côté  du  visage,  et  de 
la  laisser  pousser,  sans  la  diminuer  d'aucune  manière,  telle  qu'elle  viendra. 
Je  me  raserai  tous  les  quinze  jours  l'autre  côté  de  la  figure.  »  -  .le  m'engage 
aussi  ^ ,  est-il  dit  plus  loin,  -  à  n'entrer  jamais  dans  aucune  auberge,  à  n'assister 
à  aucune  réunion  populaire  ou  autre,  à  ne  jamais  franchir  le  territoire 
de  Neckarsulm,  à  ne  point  porter  d'armes,  et  à  n'en  pas  user  dans  ma  mai- 
son ^,  etc.  —  Voy.  OEcHSLE,  p.  234.  —  Jacques  Holz  d'ileitersheim,  accusé 
d'avoir  proféré  des  imprécations  contre  le  bourgmestre  et  le  conseil  de  Fri- 
bourg,  avait  été  condamné  à  mort  :  -  Mais  le  bourgmestre  et  le  conseil  -,  dit 
l'accusé  dans  son  interrogatoire  (25  août  1525},  -  ont  usé  envers  moi  de  grande 
miséricorde,  et  l'exécuteur  sest  borné  à  me  couper  les  deux  premiers  doigts 
de  la  main  droite.  >  Jacques  Stolz  dut  en  outre  quitter  la  ville,  et  envoyer 
dans  un  délai  de  huit  jours  dix  livres  de  pfennings  comme  amende.  ^  J'ai  ac- 
cepté tout  cela  avec  une  grande  et  joyeuse  reconnaissance  " ,  dit-il.  Dans 
Schreiber,  Bauernkrieg,  t.  III,  p.  98-99.  —  Voy.  OEchslc,  p.  235.  Le  comte 
Albert  de  Prusse  convoqua  le  30  octobre  1525,  dans  les  plaines  de  laut,  aux 
environs  de  Königsberg,  ceux  de  ses  paysans  qui  avaient  pris  part  à  la 
révolte.  Ils  les  obligea  à  paraître  devant  lui  équipés  comme  ils  étaient  le 
jour  où  ils  s'étaient  soulevés  pour  chasser  tous  les  nobles  et  établir  l'éga- 
lité. Le  comte  ordonna  aux  paysans  "  que  pour  lui  rendre  hommage  ils 
eussent  à  s'agenouiller,  ce  qu'ils  firent,  se  mettant  devant  lui  dans  la  plus 
humble  posture,  après  avoir  jeté  leurs  armes  par  terre  -.  Lorsque  tout  cela  fut 
terminé,  le  prince,  «  décidé  à  user  de  ses  droits  ^,  fit  jouer  son  artillerie 
sur  ce  peuple  sans  défense.  '^  Jamais  on  ne  vit  plus  lamentable  spectacle.  - 
Après  cela,  les  plus  rjches  paysans  des  environs  de  Königsberg  furent  con- 
duits au  château,  dans  le  donjon;  les  caves  étaient  remplies  autant  qu'elles 
pouvaient  l'être,  de  sorte  que  beaucoup  périrent  à  cause  des  exhalaisons 
fétides.  Elbingisch-Preussiscke  Chronik  de  Falk,  publiée  par  Treppen  Leipzig,  1879). 
—  La  chronique  d'Ilenneberg',  rédigée  par  Spangenberg,  nous  montre  aussi  sous 
quels  prétextes  frivoles  on  condamnait  ou  graciait  parfois  les  accusés.  •^  Dans 
le  village  de  Sulzfeld,  il  n'était  resté  que  deux  habitants,  tous  deux  couvreurs. 
L'un  se  mit  à  pleurer  amèrement  lorsque  le  comte  lui  signifia  son  arrêt,  et  pré- 
tendit ne  rien  regretter  dans  la  vie,  si  ce  n'était  le  château  de  SdU  Altesse, 
parce  qu'il  était  sur  que  personne  n'y  mettrait  de  tuiles  aussi  solides  que  les 
siennes.  L'autre,  petit  homme  gros  et  trapu,  éclata  de  rire  en  entendant 
prononcer  sa  sentence,  et  comme  on  lui  en  demandait  la  raison,  il  répondit 
-  que  la  chose  lui  avait  tout  à  coup  paru  si  drôle,  parce  qu'il  s'était  demandé 
oii  donc  il  pourrait  percher  son  chapeau,  après  qu'on  lui  aurait  enlevé  la 
tête  -.  Tous  deux  obtinrent  leur  grâce  en  faveur  de  leurs  bons  mots.  »  —  Ben- 
sen, p.  498. 

'  Voy.  JÖRG,  p.  632. 


L'ALLEMAGNE    APHÈS    l,A    11  F^  V  O  LU  Tl  O  N    SOCIALE.  599 

(les  amendes  de  Irois  à  douze  florins,  et  souvent  diivanlage,  à 
chaque  chef  de  laniillc.  .  Tout  village,  (oui  hameau  ,  lisons-nous 
dans  une  ordonnance  de  la  li(;ue  soiiahe,  nous  apportera,  comme 
amende,  six  (lorins  par  loyer,  et  le  riche  devra,  en  cetle  occasion, 
venir  en  aide  .m  |)anvre.  Le  village  ou  hameau  qui  n'aura  pas  au 
temps  fixé,  cl  coiîMiie  les  chefs  le  lui  prescrivent,  apporté  sa  con- 
tribution, sera  pillé  cl  incendié  \  Il  laut  que  je  le  Tavoue  -, 
écrivait  un  i^  honorable  "  de  lîothenbourj";  ä  l'un  de  ses  parents, 
«  notre  ville  est  ruinée  el  taxée  au  delà  de  ses  moyens,  et  ce  sont 
surtout  les  innocents,  par  exemple  moi,  les  miens  et  ceux  qui  ont 
quelque  chose  à  perdre,  qui  sont  imposés.  Un  bourj^^eois,  un  paysan 
n'ayant  pris  aucune  part  au  tumulte,  doit  néanmoins  payer  l'amende. 
A  ma  connaissance,  plus  d'un  homme  qui  jamais  ne  s'est  joint  aux 
révoltés  a  été  imposé;  mon  bcau-fils  a  été  obli^yé  de  donner  une  forte 
somme.  En  résumé,  nous  autres  honorables  de  Holhenbourf,,  nous 
sommes  littéralement  ruinés  par  la  révolte  populaire,  et  je  ne  puis 
songer  à  me  faire  indemniser  j)ar  les  vrais  coupables,  car  ils  n'ont 
rien  ^  ••  Pour  avoir  pris  part  à  la  destruction  du  château  de  Schil- 
linj<;slurs(,  Holhenbourp,  fut  condamnée  par  les  comtes  de  Hohenlohe 
a  payer  \i\]i>,\  mille  florius  d'indemnité,  un  insurjjé,  pour  avoir 
si{;né  une  Ici  Ire  où  les  paysans  réclamaient  des  arquebuses,  lut  con- 
traint par  les  comtes  de  leur  en  payer  le  prix. 

La  li[vue  souabe  aurait  voulu  faire  recueillir  les  amendes  par  ses 
commissaires;  mais  les  sei[;neurs  fonciers  s'y  opposèrent,  disant  que 
cet  office  leur  appartenait  de  droit  en  leur  qualité  de  seigneurs  ban- 
nerets.  Les  nobles  feudataires  firent  la  même  réclamation,  de  sorte 
qu'il  y  eut  des  cas  où  les  paysans  furent  obligés  de  payer  deux  et 
trois  fois.  Les  amendes  récollées  parle  comte  palatin  Louis,  l'un  des 
princes  les  plus  impitoyables  de  cette  époque,  montèrent  à  deux  cent 
mille  florius. 

Un  assez  grand  nondire  de  princes  ecclésiastiques  se  montrèrent 
généreux  envers  leurs  sujets. 

"  Cetle  malheureuse  population  ',  dit  la  Chronique  de  Gvebwilkr, 
en  général  très-mal  disposée  pour  les  paysans,  -  se  rattache  à  la  vie 
€omme  elle  peut.  Oh!  combien  d'honnêtes  gens,  absolument  inno- 
cents, ont  péri  sur  l'échafaud!  Gémissons-en  devant  Dieu.  Nous 
étions  ici  dans  une  terrible  anxiété,  à  cause  de  la   grande  exi- 

'  Voy.  OECHSLE,  p.  437.  L'archiduc  Ferdinand  se  montra  plus  clément.  — 
Voy.  Schreiber,  Bauernkrieg,  t.  111,  p.  130,  171.  —  «  Jlcm,  les  chefs  et  les  excitateurs 
de  cette  affaire  et  émeute  ne  seront  pas  punis  de  mort,  mais  subiront  des  peines 
soit  dans  leurs  corps,  soit  dans  leurs  biens,  proportionnées  à  la  gravité  de  leurs 
délits.  » 

-  Voy,  OECHSLE,  p.  437. 


600  L'ALLEMAGNE    APRÈS    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE. 

gence  des  seigneurs  d'Ensishcini;  mais  l'jibbé  de  Muhrbacli,  iioire 
gracieux  seigneur,  s'est  compurlé  envers  nous  comme  un  père 
indulgent.  Si  notre  bon  prince  eiU  été  moins  débonnaire,  ceux 
d'Ensisheim  nous  auraient  certainement  retenus  prisonniers  dans 
nos  propres  demeures.  •'  En  effet,  la  noblesse  d'Ensisheim  repro- 
chait vivement  à  l'abbé  sa  trop  grande  modération'.  La  Chronique 
de  Zimmer  s'exprime  comme  il  suit  au  sujet  de  Tévèque  Georges 
de  Spire  :  ^  Un  prince  et  un  souverain  si  éclaire,  si  débonnaire, 
devrait  vivre  ;iu  delà  des  années  ordinaires  de  l'humanité.  Très- 
peu  parmi  ses  paysans  ont  payé  leurs  crimes  de  leur  sang  ou  de 
leurs  biens.  On  s'est  efforcé  d'adoucir  pour  tous  la  misère  et  les 
calamités  qui  sont  les  inévitables  suites  de  la  guerre-.  »  L'évêque 
Guillaume  de  Strasbourg  fit  preuve,  lui  aussi,  de  la  plus  grande 
indulgence;  tous  ceux  de  ses  sujets  qui  avaient  pris  part  à  l'insur- 
rection furent  amnistiés.  La  chancellerie  de  l'archevêché  ordonna  à 
l'official,  an  commencement  du  carême  de  1526,  d'expédier  à  tous 
les  prêtres  du  diocèse  un  mandement  accordant  une  amnistie  gé- 
nérale à  tous  les  paysans  qui  avaient  aidé  à  détruire  les  églises  et 
les  couvents  ^  L'abbé  de  Maurusmunsler,  Gaspard  Rieggert,  ne  se 
montra  pas  moins  miséricordieux,  et  pourtant  les  paysans  avaient 
saccagé  et  pillé  sou  couvent,  son  église,  sa  bibliothèque,  et  sa 
vie  avait  été  menacée.  Il  obtint  la  mise  en  liberté  de  beaucoup  de 
malheureux.  ^  H  était  toujours  prêt  â  sacrifier  ses  intérêts  pour 
adoucir  la  détresse  du  pauvre  peuple,  et  lui  obtenir  l'entier  pardon 
de  ses  fautes  *.  » 

Dans  la  plupart  des  pays  où  l'émeute  avait  éclaté,  les  familles 
privées  de  leurs  chefs  étaient  en  proie  à  la  plus  affreuse  misère. 
La  ligue  souabe  avait  ordonné  que  tout  fugitif  qui  ne  serait  pas 
venu  au  temps  voulu  implorer  sa  grâce  et  se  soumettre  au  châti- 
ment qu'on  jugerait  à  propos  de  lui  infliger,  serait  puni  par 
la  confiscation  de  tous  ses  biens,  dont  la  moitié  reviendrait  au 
seigneur  légitime;  sa  femme  et  ses  enfants  devaient  être  expulsés 
du  pays.  Un  renseignement  fourni  par  la  Chronique  de  Donaiverlh 
nous  fait  entrevoir  l'énorme  chiffre  d'inlortunés  qui  eurent  à  subir 
les  conséquences  d'une  mesure  si  rigoureuse  :  -■  Cinquante  mille 
paysans  environ,  jadis  en  possession  d'une  grande  aisance,  s'expa- 


'  IIartfeloer,  Baiiernhricg,  p.  57. 

-  Zimmerisclie  Chronik,  t.  II,  p.  426.  —  Reimling,  Geschichte  der  Bischöfe  von  Speyer, 
t.  II,  p.  2G1.  I)aIl^  l'évéché  de  Bamberg,  on  procéda  à  la  punition  des  coupa- 
bles avec  beaucoup  de  modération  et  d'humanité.  —  Voy.  Histor. polit.  Blätter, 
t.  LXXXV,  p.  921-922. 

^  Hautfeldeh,  Bauernh-ieg,  p.  174. 

*  Hartfelder,  Bauernkrieg,  p.  175. 


I/ALLEMAGNE    AFIîKS    LA    1!  K  V  0  L  U  T  I  O  N    SOCIAt.E.  601 

trièrent,  et  la  li[ïiic  .'onabc  décréta  que  tout  homme  ayant  mis 
à  mort  uu  fußilif  ne  serait  ni  puni,  ui  considéré  comme  cou- 
pable '. 

Les  chansons  du  temps  donnent  une  assez  juste  idée  de  la  triste 
situation  des  paysans  : 

Je  vais  vous  dire  un  nouveau  conte  : 
Dans  loul  le  pays  allemand, 
Les  seij^neurs  ont  ballu  les  paysans, 
Qui  sont  dans  une  grande  misère! 
Maintenant  nous  allons  leur  écrire 
Qu'ils  nous  permettent  de  rester 
Auprès  de  nos  enfants  et  de  nos  femmes, 
Et  c(u'ils  nous  laissent  notre  bien  ! 

En  dépit  de  votre  arrogance 

Envers  les  princes,  mes  bonnes  gens, 

Tout  le  monde  sait  assez 

Que  vous  avez  maruiué  .'i  votre  parole! 

Vous  aviez  juré  fidélité  aux  princes, 

Et  vous  avez  oublié  votre  serment! 

Cela  a  irrité  la  noblesse: 

Maintenant  prenez  garde  A  vous! 

La  pi(|uc  est  bien  pi  es  de  votre  porte! 

Vous  vous  en  doutez  bien. 

Et  vous  faites  tous  vos  efforts 

Pour  ne  pas  perdre  à  la  fois 

La  vache  et  le  veau  ! 

Hélas!  le  blé,  l'avoine,  les  meubles  du  ménage, 

Le  bétail  de  votre  étable, 

Il  vous  faut  renoncer  ^  tout  cela, 

Et  prendre  le  b;Uon  de  mendiant"-! 

''  Les  pauvres  f^ensqui  s'étaient  persuadés  que  l'émeute  améliorerait 
leur  sort  et  qu'ils  s'en  trouveraient  bien,  ceux  qui  avaient  murmuré 
sur  les  peines  de  leur  condition  et  souffert  avec  impatience  les 
impôts,  les  corvées,  les  redevances,  rêvant  de  devenir  les  maîtres, 
se  trouvèrent,  après  la  révolte,  beaucoup  plus  malheureux,  plus 
pauvres  et  plus  misérables  qu'auparavant.  » 

La  vie,  pendant  très-longtemps. 
Avait  été  douce  et  facile. 


'  Voy.  Bensen,  p.  485,  50O.  —  QEchsle,  p.  437.  —  BauManx,  Quellen,  p.  278. 
«  Beaucoup  de  paysans  bannis  ",  rapporte  Knöringer  dans  les  Annales  Faucenses, 
se  rendirent  près  du  roi  de  France,  d'autres  chez  les  Vénitiens,  d'autres  chez  les 
Turcs,  et  prirent  du  service  chez  les  étrangers  contre  l'ünipereur  et  l'Empire 
romain.  »  Baumann,  Quellen,  p.  408. 

*  LlLiEXCRO.v,  t.  m,  p.  445-446.         , 


602  L'ALLEMAGNE    APRES    LA    REVOLUTION    SOCIALE. 

Tout  à  coup,  on  refusa  de  payer  les  dimes, 

On  mit  en  oubli  le  devoir,  le  serment, 

On  brilla,  on  pilla  comme  des  Turcs, 

On  SI*  luütilra  féroce,  sans  piiiél 

Les  autorités  devaient  apprendre  à  connaîtr- 

La  puissance  du  peuple! 

On  voulait  le  partage  des  biens. 
On  voulait  tHre  seigneur  et  maître! 
Mais  le  châtiment  vint  bien  vite. 
Ah!  Hieu  du  ciel,  prends  pitié  de  nous! 
Maintenant  les  seigneurs  punissent, 
Ils  appesantissent  toutes  les  charges, 
Rien  ne  met  ;\  l'abri  de  leur  courroux, 
On  en  est  vraiment  écrasé! 

VoilA  la  fin  de  \^  chanson, 

Lue  tyrannie  barbare! 

A!i!  Seigneur  Dieu,  donne-nous  la  paix, 

Kt  fais  trêve  à  tant  de  châtiments'  ! 

Wolfgang  Capito,  prédicant  de  Strasbourg,  écrivait  à  Pomera- 
nius  que  le  manifeste  de  Luther  contre  les  paysans  n'avait  pas  peu 
contribué  à  conduire  les  princes,  de  la  première  surprise  causée  par 
la  révolte,  à  une  vengeance  sans  frein!  Maintenant,  les  veuves  et  les 
orphelins  de  milliers  de  malheureux,  mis  à  mort  en  grande  partie 
avec  perfidie,  après  s'être  complètement  soumis  dans  Tespoir  du 
pardon,  sont  recherchés  soigneusement  :  c'est  qu'on  veut  confisquer 
les  trois  quarts  de  leurs  bieus;  de  sorte  que  de  la  misère  ils  tombe- 
ront bientôt  dans  le  désespoir*. 

Tous  les  hommes  de  bon  sens  furent  saisis  d'un  douloureux  éîonne- 
ment,  en  voyant  Luther,  au  milieu  de  la  détresse  générale,  inex- 
primable, où  l'Allemagne  se  voyait  précipitée  à  la  suite  de  la 
guerre  de  religion,  recommencer  de  plus  belle  à  exciter  ses  parti- 
sans à  la  haine,  aux  outrages  contre  le  Pape  et  le  clergé  séculier 
et  régulier.  Dans  un  nouvel  écrit,  publié  le  premier  jour  de  l'an 
1526,  il  dit  en  commençant  :  «  Quelques-uus  pensent  qu'on  peut 
maintenant  cesser  de  se  railler  du  papisme  et  de  l'état  ecclésiastique, 
et  qu'après  tant  d'écrits,  délivres,  de  pamphlets,  ils  ont  été  assez 
bafoués,  chansonnés,  lacérés,  insultés  de  toutes  manières  pour  qu'on 
puisse  espérer  les  avoir  démasqués,  et  croire  qu'il  leur  sera  désor- 
mais impossible  de  remonter  sur  leau.  Je  ne  partage  point  cet 
avis;  je  pense,  avec  l'Apocalypse  de  saint  Jean,  qu'il  faut  continuer 
à  abreuver  la  Prostituée  Rouge,  que  les  rois  et  les  princes  de  la 

'  Voy.  le  passage  cité  à  la  p.  438,  note  2. 

-  Balm,  Buizcr  und  Capito,  p.  331.  —  Voy.  aussi  la  lettre  d'Herinann  Muehipfort, 
de  Zwickau,  à  Etienne  Rotte,  4  juin  lô25,  dans  Kolde,  Analecia  Luiherana,  p.  64-68. 


i.'Ai.i.EM a(;ne  aî'I! i;s   la   k évolution  sociale.  60:', 

(erre  on(  coiirtiH-i;  c(  coiirlisciir  encore,  c(  lui  compler  autant  de 
douleurs  et  d'umcriumcs  qu'elle  a  eu  jadis  de  joies  et  d'honneurs, 
jusqu'à  ce  (jirolle  soil  Ibiilée  aux  pieds  dans  les  rues  connut'  la  boue, 
et  que  rien  ne  soit  j)lus  honni,  plus  vil  en  ce  monde  que  celle  .léza- 
bel  sanj'jUinaire.  L'ap,ression,  selon  l>uther,  était  surtout  néces- 
saire depuis  rentière  défaite  des  paysans  :  ^  Depuis  lors,  ils  fc'est- 
à-dire  le  Pape,  les  evecjues,  les  prêtres  séculiers  et  les  religieux) 
recommencent  à  se  |)avaner,  à  se  renjjorger,  comme  s'ils  vou- 
laient étaler  plus  de  lasie  que  jamais  et  parvenir  à  de  plus  grands 
honneurs  que  dans  le  passé!  Ils  se  prélassent,  ils  se  félicitent,  ils 
se  croient  fvii<''iSi  absolument  ressuscites!  L'échec  qu'ds  ont  subi 
ne  les  a  en  rien  corrijjés;  ils  semblent  souhaiter  de  nouveaux  ho- 
rions, et  vouloir  entendre  encore  une  fois  les  louanges  que  mérite 
leur  conduite  diaboli(|ue!  Puis(]u'il  en  est  ainsi,  nous  ne  leur  refu- 
serons pas  cette  consolation!  nous  remuerons  encore  vigoureusement 
le  tas  de  fumier  qui  eût  aimé  à  rester  stagnant  et  puant,  afin  qu'ils 
puissent  s'en  barbouiller  à  co'ur  joie  le  museau  et  le  nez!  Donc,  chers 
amis,  recommençons  à  écrire,  à  imaginer,  à  rimer,  à  chanter,  à 
peindre,  à  tourner  en  dérision  la  race  païenne  et  idolâtre  des  papistes, 
comme  elle  le  mérite  et  comme  elle  en  est  digne!  Maudit  soit  celui 
qui  sera  négligent  dans  ce  devoir,  puisqu'il  .»ait  bien  que  l'accomplir, 
c'est  servir  Dieu,  qui  veut  la  ruine  et  l'extermination  de  cette  abomi- 
nation de  la  terre'!  »  "  Un  tel  langage  ",  dit  un  polémiste  catho- 
lique contemporain,    <  ne   pouvait  qu'aigrir  les  esprits  et  surexci- 

'  Summil.  U'cr/.r,  t.  \\l\,  p.  3"7-:i78.  —  Kpüojjiie  aux  vers  satiriques  accom- 
pagnés de  caricatures  (|ue  quelques  «  pieux  pcrsimnages  -  avaient  envoyés  à 
Lutlier,  et  qu'il  publia  le  premier  jour  de  l'an  de  1526.  On  y  lit  entre  autres 
choses,  à  propos  du  clergé  : 

Tes  héraiilts  de  l'Antéchrist, 

Qui  ne  se  sont  en  rien  améliorés, 

Possèdent  et  gouvernent  terres  et  gens, 

r.'ebt  vraiment  un  outrage  à  Dieu! 

Ils  nous  entraînent  tons  vers  le  diable. 

Comme  malheureusement  nous  nous  en  sommes  apernis  trop  tard. 

Prions  pour  que  Dieu  change  les  choses. 

Et  d-truise  la  meute  du  diable.' 

Luther  dit  dans  sa  préface  :  -  Je  passe  sous  silence  leurs  crimes  et  leurs 
blasphèmes,  les  impiétés  qu'ils  commettent  avec  leurs  messes  et  pendant  la 
■messe,  et  toutes  les  cérémonies  de  leur  culte,  institué  par  Satan  pour  que 
Dieu  soit  blasphémé  et  les  âmes  perdues  !  •  »  Le  clergé  a  englouti  les  biens 
de  toute  la  terre,  de  sorte  qu'on  a  de  fortes  raisons  de  penser  qu'il  est  ce  grand 
peuple  de  Rog  et  de  Magog  dont  Ézéchiel  et  l'Apocalypse  ont  parlé,  disant  qu'il 
avait  cerné  la  cité  de  Dieu,  mais  qu'enfin  il  avait  été  exterminé  sur  les  mon- 
tagnes et  donné  en  pâture  aux  oiseaux  du  ciel.  C'est  ce  dont  nous  sommes  main- 
tenant témoin,  grâce  à  l'Évangile.  »  -  Les  clercs  forment  cette  armée  de  saute- 
relles, de  chenilles,  de  hannetons  et  de  vers  rongeurs  qui  dévorent  et  ruinent 
notre  pays,  .loel  I.  ^  ^  Sois  donc  diligent  à  remercier  Dieu,  et  n'oublie  jamais  la 
grâce  qu'il  t'a  faite  en  te  faisant  comprendre  cette  vérité,  et  en  te  délivrant  de 
tant  d'ennemis.  » 


60i  L'ALLEMAGNE    APRÈS    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE. 

ter  les  passions.  Et  cependant  ou  avait  encore  sous  les  yeux  les 
ruines  fumantes  d'innombrables  abbayes  et  églises,  détruites  dans 
l'effroyable  guerre,  et  l'on  tremblait  à  chaque  instant  de  voir  de 
nouvelles  émeules  éclater '! 

^  Conira  M.  Luiheium,  fol.  21.  «  Néaniiiuiiis  >,  dit  l'auteur  «  on  s'en  prenait  aux 
prédicants  séditieux,  aux  sectaires,  aux  pamphlets,  aux  libelles  répandus  en  tous 
lieux  du  caractère  atroce  de  la  guerre.  -  Sebastien  Franck  écrivait  de  son 
côté:  "  Les  papistes  accusent  Luther  et  sa  doctrine  d'avoir  allumé  le  feu,  et 
ensuite  excité  les  auioriiéi  à  massacrer  et  éf;ora;ei-  les  rebelles,  leur  assurant 
que,  de  cette  manière,  on  gignait  le  ciel.  Lorsque  l'incendie  fumait  encore 
de  toutes  parts,  il  a  voulu  l'éteindre,  mais  il  n'était  plus  temps.  Au^si,  lorsque 
dans  maint  endroit  où  la  doctrine  de  Luther  était  propagée,  on  entendait 
sonner  le  prêche,  les  gens  se  disaient  souvent  les  uns  aux  autres  :  -  l'oilu 
la  cloche  de  l'assassinat  qui  tinte!  .  Lmser  s'applique  à  prouver  dans  des  rimes 
satiriques  que  Luther,  après  avoir,  par  ses  écrits,  encouragé  les  paysans  à  la 
révolte,  «  veut  maintenant  retirer  sa  tète  du  collet  "  : 

Il  prétend  mettre  tout  sur  le  compte  du  diable, 

Et  cependant  c'est  lui  qui  a  tout  fait  ! 

.Si  Luther  n'avait  jamais  écrit  de  livres, 

L'.ilieuiagne  serait  restée  toute  en  pais. 

Et  n'aurait  point  connu  une  telle  affliction! 

Il  a  excité  le  frère  contre  le  frère, 

Comme  on  le  découvre  maintenant; 

Puis,  après  avoir  allumé  le  feu, 

Il  a  couru  se  laver  les  mains  avec  Pilate  ! 

Il  tourne  sou  manteau  s=lon  le  vent, 

Et  donne  maintenant  au  diable 

Tous  ceux  qui  s'opposent  à  l'autorité, 

Qu'auparavant  lui-mîme  a  tant  outragée, 

Lors!]u'il  appelait  les  princes  bourreaux  et  valets  de  bourreaux, 

Et  l'Empereur  un  sac  à  vers! 

Aussi  ne  peut-il  le  nier. 

Il  a  poussé  le  peuple  à  la  révolte; 

Il  a  appelé  chers  enfanis  du  bon  Dieu 

Ceux  qui  exposeraient  leurs  corps  et  leurs  biens 

Pour  délivrer  l'Allemajne  du  clergé, 

Félicitant  d  avance  tons  ceux 

Qui  baigneraient  leurs  mains  dans  le  sang  des  pr/tres. 

Abattraient  abbayes,  églises,  monastères, 

Et  massacreraient  moines  et  clercs! 

Tout  cela,  il  l"a  publié  au  grand  jour, 

Il  a  fait  tout  ce  qui  était  en  son  pouvoir 

Pour  faii'e  réjiandre  ses  écrits  par  des  pr.Ures  hérétiques. 

Des  moines,  de  faux  prédicateurs  et  autres  singes 

Et  prétendus  ecclésiastes; 

En  particulier  les  maîtres  d'école,  les  greffiers. 

Les  soimeurs,  les  sacristains,  les  vieilles  commères, 

Ont  été  ses  émissaires. 

Et  vous  ont  si  longtemps  sifflé 

Qu'enfin  vous  avez  fini  par  vous  lever  et  prendre  voire  épée. 

Pensant  agir  très-sagement, 

Parce  qu'il  vous  avait  appris  à  juger  ainsi  ! 

Alais  on  vous  avait  graissé  le  museau 

.\vec  une  fausse  dociriue;  tous  avez  été  grossièrement  attrapés, 

Ce  dont  vous  pouvez  vous  apercevoir  aisément  ; 

Car  voilà  Luther  qui  pousse  maintenant  les  seigneurs 

A  vous  exterminer,  pauvres  gens  que  vous  ries  ! 

Il  ordonne  à  qui  le  peut 

De  vous  traquer,  de  vous  égorger, 

Et  dit  que  vous  avez  encouru  le  ban  d'Empire. 

Lui  qui  a  jadis  criblé  l'Empereur  d'outrages 


1,'AI.LEMAONK    AP  HKS    (,A    RKVOI.UTîON    SOTIALE.  605 

Des  a}',ent.s  révoluliomiaires  piircüiir.iiciH  la  Francotiic  ef  le  Pala- 
liuat,  encourageant  les  paysans  à  prendre  patience  jusqu'au  prin- 
temps suivant;  alors  l  Iricli  de  Wurtemberg  prendrait  leur  cause 
en  main,  et  recommencerait  la  camp.igne  avec  ses  corps  francs. 
Des  mendiants  pris  en  (lagranl  délit  avouèrent  avoir  été  soudoyés 
pour  mettre  le  tcu  aux  châteaux,  aux  palais  des  noble«,  des  grands 
personnages,  ennemis  des  paysans  et  amis  de  la  ligue  souabe  ■■. 
[Jne  bande  d'assassins,  surpris  dans  l'exercice  de  cet  etfrovable 
métier,  payèrent  leurs  crimes  de  leurs  vies.  On  en  saisit  quatre 
cents  environ. 

\'ous  dit  maintenant  de  liien  rén''chir 

A  votre  serment,  (|uand  liii-ini!me  a  o;il)lii»  le  s'en; 

Lui,  déloyal  envers  son  souverain  et  son  f)ien, 

Et  <|ui  à  cause  de  cela  a  m^'iit^  la  mort. 

Selon  la  sentence  ipi'il  [iroiionce  liii-m'mp  sur  vous, 

Tombant  ainsi  dans  son  propre  pi'ge! 

Kiuser  recoinmaiide  aux  princes  d'être  indul;;eiits  pour  les  paysans  séduits; 
il  les  «'onjure  de  travailler  à  une  véritable  léfonne  : 

Je  prie,  au  nom  de  la  gloire  de  Dieu, 

Tous  les  princes  et  seigneurs 

De  l)ien  réfléchir  à  toutes  ces  choses. 

Et  Â  la  manirre  de  gouverner  à  Tavenir  ! 

ftuils  aient  piti'î  de  vous,  qu'ils  vous  é,(argnent, 

.Surtout  qu'ils  récompensent  comme  ils  le  mérilenl 

Ceux  qui  vous  ont  entraînés  oans  ce  jeu. 

Ceux  dan»  lesquels  vous  avez  eu  tro,i  de  confiance  I... 

One  Dieu  donne  aux  princes  victoiie  et  puissance, 

AHn  que,  pour  l'iionneur  de  sou  nom. 

Ils  prot'-SiMit  et  d-fendent 

L'antique  doctrine  do  l'Église; 

Afin  (|u'une  heureuse  rél'orme  soit  établie, 

Oiie  l'erreur  soil  écartée. 

Vi  foi  et  les  bonnes  mœurs  relev-^es, 

Et  que  tous  ceux  <|uisoat  accablés, 

Ceux  dont  le  droit  est  opprim"  et  menacé 

Par  la  ruse,  la  faveur,  les  pots-de-vin,  la  supercherie, 

L'escroquerie  des  avocats. 

Retrouvent  enfin  la  s-'curilé 

Grilce  aux  pouvoirs  temporels  et  spirituels; 

Afin  que  chacun  ait  satisfaclion 

De  toui  les  trompeurs  et  pervers  ! 

Voy.  encore  :  Admirait,  des  ll'underers,  genannt  Johann  Fundling,  Anzatjgung  ziccir 
falschen  Zungen  des  Lulhfr's,  wie  er  mil  der  ainen  die  Bauern  verführt,  mit  der  audcrn  sin 
verdamm  hat  1525.  —  Voy.  aussi  la  relation  de  Jean  Eck  sur  les  fructus  ger- 
minis  Luiheri,  dans  B\L.vN,  p.  501.  -  Nous  récoltons  maintenant  •,  dit  Érasme 
écrivant  à  Luther,  «  les  fruits  amers  de  ton  ijénie.  ru  n'avoues  point  ces  émeu- 
tiers,  mais  eux  t'avouent  fort  bien,  et  l'on  sait  assez  que  beaucoup  qui  se 
parent  du  titre  d'évani;élistes  ont  été  les  premiers  auteurs  de  l'émeute  bar- 
bare. Il  est  vrai  que  dans  ton  manifeste  sanguinaire  contre  les  paysans  tu  cher- 
ches à  repousser  cette  accusation,  mais  tu  ne  pourras  jamais  nous  empêcher  de 
penser  que  tes  livres,  pu'.iliés  en  lanrjue  vulgiire  et  dirigés  contre  les  moines 
et  les  évéques,  livres  composés  en  faveur  de  Li  liberté  évangélique  et  contre  la 
tyrannie  hum  line,  n'aient  donné  naissance  à  la  catastrophe.  "  —  Eratmi  Hyperas- 
ptsies,  t.  i,  p.  t032.  Eisenhart  inséra  les  vers  d'Emser  dans  sa  Chronique.  —  Voy. 
Bense.N,  p.  575,  et  BaojiaNN',  Quellen  aus  Rotenburg  an  der  Tauber,  p.  620. 


ene         l'Allemagne  après  i,a  révolution  sociale. 

Au  commencement  de  1.327,  quelques  hordes  insurj^ées  se  réu- 
nirent dans  la  seigneurie  de  Roleln,  et  convinrent  d'agir  secrè- 
tement auprès  des  paysans  des  alentours  pour  la  reprise  de  la 
guerre.  Le  18  janvier  1527,  le  margrave  Philippe  de  Bade  mande 
à  révéque  Georges  de  Spire  que,  dans  l'Ortenau  et  le  Brigau 
alsaciens,  -•  s'ourdissent  beaucoup  d'intrigues  et  de  complots,  et 
que  cinquante  hommes  se  sont  réunis  en  un  même  lieu,  pi)ur 
s'entendre,  prêter  serment,  et  s'armer  contre  les  autorités;  leur 
chef  était,  disait-on,  un  homme  de  guerre,  nommé  Mattenhans, 
lequel  avait  perdu  une  main  à  la  guerre  .  Le  1"  avril  1527,  le 
margrave  Casimir  écrivait  confidentiellement  à  son  frère  le  duc 
Albert  de  Prusse,  qu'il  avait  été  averii  par  plusieurs  agents  secrets 
de  la  ligue  que,  malgré  la  rigueur  avec  laquelle  l'autorité  avait 
réprimé  la  révolte  l'année  précédente,  en  Suisse,  dans  le  Hegau  et 
aux  environs  de  Feldlvirch,  de  nombreux  efforîs  étaient  tcnté>  pour 
recomposer  de  nouvelles  hordes,  et  que  les  paysans  donnaient  â 
entendre  qu'ils  sauraient  bien,  cette  fois,  faire  tourner  la  chance  de 
leur  côté  -.  «  Item,  ces  mêmes  émissaires  ont  ajouté  qu'à  Stras- 
bourg, on  avait  aussi  tenté  de  former  une  Fraternité  et  de  ren- 
verser le  conseil.  -  Le  17  octobre  1527,  les  archevêques  Albert  de 
Mayence,  Hermann  de  Cologne,  Richard  de  Trêves,  et  l'électeur 
palatin  Louis,  signèrent  une  convention  par  laquelle  ils  s'enga- 
geaient à  conjurer  par  tous  les  moyens  possibles  le  réveil  de  l'insur- 
rection. 11  y  était  dit  :  •'  Comme  la  récente  émeute  est  en  grande 
partie  venue  d'une  fausse  manière  d'entendre  la  sainte  foi  chré- 
tienne, et  que  le  peuple  n'a  pas  encore  été  suffisamment  éclairé  sur 
ce  point,  il  est  à  craindre  que  de  nouveaux  soulèvemenls  ne  vien- 
nent à  éclater  à  i'improviste;  auquel  cas,  les  quatre  Électeurs  s'en- 
gagent à  s'entr'aider  et  soutenir  mutuellement  '.  » 

Depuis  l'apaisement  delà  révolte,  il  n'avait  été  nullement  question 
d'entreprendre  de  sérieuses  réformes  économiques  et  sociales,  ni 
de  travailler  à  améliorer  le  sort  des  basses  classes;  au  contraire, 
les  maux  dont  on  gémissait  semblaient  redoubler;  renchérisse- 
ment, les  abus  du  monopole,  l'exploitation  du  peuple  par  les  com- 
pagnies commerciales  n'avaient  subi  aucune  modification,  et  ce  fut 
alors  que  le  capital  montra  puur  la  première  ("ois  toute  la  portée 
de  sa  funeste  puissauce  -.  Tandis  que  le  prix  des  choses  de  pre- 
mière nécessité  montait  sans  cesse,  le  salaire  des  journaliers,  des 


'OECHSLE,  p.  243-244.  —  Zimmermaw,  t.  lî,  p.  896.  —  JÖr\G,  p.  634,  657.  — 
Stern,  liegesten,  dans  la  Zeilschrif'l fur  die  Geschichte  des  Oberrheins,  t.  XXIII,  p.  198- 
201.  —  Voy.  aussi  notre  troisième  volume. 

-  "  L'expérience  a  prouvé  »,  dit  M.  II.  Martensen,  évéque  protestant  de  la 
Zelande,    »   qu'opprimés  par   le  capital,   une   masse   d'individus  sont   tombés 


I,'.\I.I,  KMACNK    ATliKS    LA    HEVOI.IITION    SOCIALE.  607 

ouvriers,  des  cullivjitetirs,  élail  df  moitié  moins  élevé  qu'au  siècle 
précédent.  Comme  en  IJoliéme  après  la  jyuerre  liussile,  les  con- 
ditions d'existence  du  paysan  devenaient  de  plus  en  plus  mau- 
vaises. Pensant  anéantir  à  fout  Jamai>^  les  droits  des  seigneurs 
fonciers,  les  in»urj]és  avaient  détruit,  déchiré,  brûlé,  les  chartes, 
les  contrats,  qui  autrefois  avaient  ré{;lé  les  dîmes,  les  rede- 
vances, les  taxes,  les  corvées.  Maintenant  les  seigneurs,  ou  rédi- 
geaient de  nouveaux  coulumiers  tout  entiers  à  leur  avantage,  ou 
tranchaient  arbitrairement  des  questions  que  nulle  convention  n'avait 
fixées  d'avance.  A  présent  on  ne  lait  que  ce  qu'on  veut  -;  ce  mot 
si  juste  de  Mathieu  de  Normann  peut  s'appliquer  à  beaucoup  de 
territoires  de  l'Empire  an  moînenl  qui  nous  occupe'.  Ce  que  les 
chroni<iueurs  du  quinzième  siècle  nous  rapportent  de  l'essor  de 
l'agriculture,  du  bien-être  des  paysans  à  leur  époque,  contraste  dou- 
loureusement avec  le  tableau  que  les  auteurs  du  seizième  siècle, 
entre  autres  Sébastien  Franck  et  Sébastien  Münster,  nous  font  de 
l'existence  des  cultivateurs  de  leur  temps ^  «  Les  paysans  mènent 
une  vie  grossière  et  misérable  ",  écrivent-ils;  '  leurs  maisons  sont 
de  méchantes  huttes  de  boue  et  de  bois,  posées  sur  la  terre  nue,  et 
recouvertes  de  paille.  Ils  se  nourrissent  de  pain  de  seigle,  de  bouillie 
d'avoine,  de  pois  et  de  lentilles,  et  ne  boivent  guère  que  du  petit 
lait.  Un  sarrau  de  coutil,  des  souliers  ferres,  uu  chapeau  de  feutre, 
voilà  leur  accoutrement.  Les  seigneurs  exigent  d'eux  un  assez  grand 
nombre  de  journées  par  an.  Ils  sont  obligés  de  labourer,  de  semer, 
de  moissonner,  de  serrer  le  blé  dans  les  greniers,  de  scier  le  bois, 
de  creuser  des  fossés  pour  les  seigneurs.  Poiut  de  besogne  dont  le 
l)auvre  homme  ne  soit  forcé  de  s'acquitter,  et  il  ne  peut  refuser, 
sachant  trop  qu'il  aurait  à  s'en  repentir.  «  >  Du  temps  de  mon 
père,  qui  était  cultivateur  -,  écrit  Menri  Müller  en  Iô.jO,  -  la  nour- 
riture des  paysans  était  bien  différente  de  celle  qu'ils  ont  aujour- 
d'hui; tous  les  jours,  ils  mangeaient  delà  viande;  la  table  était 
chargée  de  mets;  maintenant  la  nourriture  des  plus  à  leur  aise  est 


dans  un  état  qui  ne  dil'tere  pas  essentielieuient,  de  celui  des  esclaves  de  la 
société  antique.  Il  esl  juste,  outre  cela,  de  constater  que  c'est  certainement  la  réforme 
qui  a  donné  l'élan  à  la  puissance  de  développement  du  capital,  en  Ca  qu'elle  a  puissam- 
ment contribué  à  renverser  les  barrières  élevées  par  le  moyeu  âge.  Malheu- 
reusement la  réforme  a  eu  d'autres  torts  :  dans  la  sécularisation  des  biens  de 
rÉ{^lise  catholique,  elle  n'a  jamais  eu  en  \uc  la  question  sociale.  Pour  un  prix 
dérisoire,  elle  a  livré  ces  biens  à  cert.iius  individus  avides,  et  véritablement 
les  a  dilapidés.  »  Eiik  (Gotha,  1879j,  t,  111,  p.  168-171.  —  Voy.  de  ce  même  Mat,- 
TENSEX  Sucialismus  und  Ctiristentiuim  (Kiel,  1875),  p.  22-25.  "  L'ère  du  capitalisme  =, 
dit  Charles  jVIarx  {Das  Capital,  2«  éd..  p.  128  et  744),  <■  date  du  seizième 
siècle.  • 

'  Voy.  Gaede,  Die  gutshcrrlicli-häuerlichen  Besitzverhältnisse,  p.  34-35,  40. 

'  Voy.  notre  premier  vol.,  p.  262-308. 


608  L'ALLEMAGNE    APRES    LA    UKVOIATTION    SOCIALE. 

pire  que   ne  l'était  autrefois   celle    des  journaliers   et    des   servi- 
teurs '.  " 

Les  paysans  se  répandaient  eu  lamentations  sur  leur  propre 
misère.  On  les  avait,  disaient-ils,  leurrés  de  vaines  promesses  pour 
les  décider  à  se  soulever;  à  en  croire  les  meneurs,  ils  ne  pouvaient 
manquer  d'arriver  à  la  fortune,  aux  honneurs;  mais  au  lieu  de  ces 
belles  chimères,  la  misère  était  leur  triste  partage  : 

On  nous  avait  dit  :  Vous  deviendrez  riches, 

Vous  serez  heureux,  considérés! 

On  nous  avait  promis  cent  félicités; 

C'est  ainsi  qu'on  nous  a  égarés! 

Sommes-nous  devenus  riches? 

Oh!  que  Dieu  ait  pilié  de  nous! 

Le  peu  que  nous  avions,  nous  l'avons  perdu! 

C'est  maintenant  que  nous  sonin)es  pauvres! 

Autrefois,  avant  d'être  soldat, 

Avant  d'oublier  mon  seigneur  et  mon  serment, 

J'avais  A  la  maison  bon  gîte  et  bon  renom: 

A  Kestenberg,  je  buvais  de  bon  vin  au  gros  tonneau! 

Ami,  devine  ce  qui  m'est  arrivé! 

Je  suis  comme  le  chien  quand  il  n'a  que  du  gazon  à  manger! 

Ce  plaisir  m'a  coiUé  treize  florins  et  un  quart, 

Et  le  diable  m'a  béni  le  régal! 

Un  autre  chantait  : 

En  ce  temps-K^,  à  l'armée, 

Vers  le  temps  de  l'été. 

Plus  d'un  village  perdit  ce  qui  était  A  lui. 

Voilà  ce  qu'ont  produit  la  haine  et  l'envie  des  paysans 

Cachées  sous  un  prétexte  de  religion! 

Ensuite,  en  peu  de  temps,  les  seigneurs  ont  repris  le  dessus. 

Et  a  huit  journées  d'ici,  pas  plus  loin, 

Tu  sais,  là  où  est  Pfcdersheim, 

Les  seigneurs  du  Palatinat  se  sont  rassemblés, 

Ils  ont  conduit  si  bien  la  guerre, 

Que  beaucoup  des  nôtres  ont  péri. 

Tout  ce  (|u'ils  possédaient  a  été  perdu! 

Ainsi  la  révolte  n'a  produit  que  malheur! 

Comme  un  chien  tourmenté  par  les  puces  d'août, 

On  a  voulu  se  débarrasser  des  corvées,  de  la  taille, 

Et  tout  a  conduit  le  pauvre  homme  à  sa  perte! 

Voilà  ce  qui  est  arrivé  en  l'an  du  Christ  quinze  cent  XXV  -. 

•  Voy.  notre  premier  vol.,  p.  303.  Pour  plus  de  détails  sur  la  triste  transforma- 
tion de  l'état  économique  et  industriel  de  l'Allemagne  au  seizième  siècle  et  sur 
les  causes  de  ce  changement,  nous  renvoyons  le  lecteur  au  cinquième  volume 
de  cet  ouvrage. 

^  Voy.  GEISSEL,  p.  315-316. 


L'ALLEMAGNE    APRÈS    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE.  609 

Dans  leurs  chansons,  les  paysans  de  Franconie  célèbrent  avec  une 
mordante  ironie  les  hauts  faits  de  trois  de  leurs  chefs  : 

Schnabel,  Schar  et  Schippe! 

Olli  changé  notre  bon  |)ourpoint  doublé  en  blouse  de  toile  '! 

Dans  le  Wurtemberg;,  un  prédicant  constatait  avec  horreur,  plus 
de  dix  ans  après  l'insurrection,  qu'on  maudissait  encore  1'-'  Évan- 
gile "  dans  le  pays  :  >.  Au  diable  foutes  vos  sottises  luthériennes  et 
vos  nouvelles  doctrines!  ■■  disait-on.  C'est  avec  cela  que  vous  nous 
avez  séduits,  nous  autres  gens  simples,  et  que  vous  avez  amené  chez 
nous  la  guerre  et  la  désolation  *!  > 

Les  paysans,  pendant  la  révolution  sociale,  avaient  inscrit  le  mot 
«  Evangile  >  sur  leur  étendard,  fondant  sur  le  saint  livre  la  légiti- 
mité de  toutes  leurs  réclamations;  mais  depuis  l'insurrection  ce 
m.^me  Évangile  n'était  plus  invoqué  par  les  prédicants  que  pour 
S)  rvir  les  intérêts  des  pouvoirs  dirigeants.  Luther,  Mélanchthon  et 
autres  chefs  de  la  révolution  religieuse  ne  se  lassaient  pas  d'insister 
auprès  des  grands  pour  qu'ils  usassent  de  la  plus  extrême  rigueur 
envers  leurs  subordonnés;  l'homme  du  peuple,  disaient-ils,  doit  être 
accablé  de  fardeaux,  sans  cela  il  devient  turbulent. 

«  L'Écriture  -,  écrit  Luther  en  1526,  -  appelle  les  gouvernants  des 
geôliers,  des  piqueurs,  des  chasseurs;  elle  se  sert  d'une  comparaison 
familière  pour  définir  leurs  devoirs  :  de  même,  dit-elle,  que  les 
âniers  doivent  continuellement  tirer  le  licou  de  leurs  bêtes  et  les 
faire  marcher  à  coups  de  trique,  puisque  sans  cela  elles  ne  bouge- 
raient point,  de  même  l'autorité  doit  exciter,  assommer,  égorger, 
pendre,  brûler,  décapiter  et  rouer  le  seigneur  Omnes,  car  il  faut 
qu'elle  se  fasse  craindre,  et  le  peuple  doit  sentir  la  bride.  Dieu  ne 
veut  pas  que  l'on  se  contente  d'exposer  la  loi  aux  populations;  il 
veut  qu'on  les  presse,  qu'on  les  force  par  le  poing  à  la  mettre  en 
pratique,  car  si  l'on  se  contente  de  prêcher  sans  jamais  contraindre,  on 
n'arrivera  jamais  à  rien.  »  Chargée  de  faire  exécuter  la  loi,  l'autorité 
devait  =  aiguillonner  le  rude  et  {;rossier  seigneur  Omnes,  comme  le 
chasseur  traque  et  force  le  sanglier  ou  la  bête  fauve  ^  ".  En  1527, 
Luther  va  même  jusqu'à  conseiller  le  rétablissement  du  servage  tel 
qu'il  était  pratiqué  chez  les  Juifs.     En  ce  temps-là   -,  lisons-nous 

'  Voy.  Becbstein,  Deutsches  Museum,  t.  II,  p.  51.  —  Voy.  JiiuG,  p.  315. 

*  Jean  Klopfer,  Vennahnung  zur  Busse  und  Besserung  (1546).  «  Le  peuple  •,  dit 
Klopfer  en  gémissant,  •  ref;reUe  encore  journellement  et  sans  fin  l'abomination 
papiste  de  la  messe,  le  sacrifice  expiatoire,  la  messe  pour  les  trépassés;  il  estime 
si  peu  la  prédication  et  la  personne  des  serviteurs  de  l'Évangile,  il  les  méprise 
et  les  raille  de  telle  sorte,  qu'il  ne  faudrait  pas  s'étonner  beaucoup  si  Dieu 
défendait  aux  plantes  et  aux  herbes  de  pousser.  •  —  Voy.  D öllisgei\,  Be/ormaiion, 
t.  H.  p.  79-80. 

=  Sämmlt.  Werke,  t.  XV,  p.  276. 

H-  39 


610  L'ALLEMAGNE   APRÈS    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE. 

dans  son  sermon  sur  le  premier  livre  de  Moïse,  ■  Abimélech  prit  des 
moutons  et  des  bœufs,  des  serviteurs  et  des  servantes,  et  il  les  donna 
à  Abraham.  Tel  fut  son  royal  présent  :  il  donna  à  Abraham  des 
moutons,  des  bœufs,  des  serviteurs  et  des  servantes,  comme  étant 
tous  également  biens  mortaillables,  dont  il  pourrait  disposer,  et  qu'il 
pourrait  vendre  comme  il  l'entendrait.  C'était  le  meilleur  arrange- 
ment du  monde,  car  avec  un  autre  système  il  est  impossible  de  mater 
les  serviteurs.  «  "  Tu  vois  clairement  par  ce  passage  qu'Abraham  et 
Abimélech  avaient  des  serfs!  Ici  tu  me  diras  :  C'eût  été  une  grande 
bonté  et  miséricorde  à  eux  de  laisser  la  liberté  à  leurs  gens  !  Et  comment 
donc  la  charité  put-elle  souffrir  que  ces  pauvres  gens  aient  été  ainsi 
traités?  A  cola  je  te  réponds  :  Tout  comme  elle  tolère  qu'on  attache  les 
coupables  à  la  potence  ou  qu'on  les  exécute,  et  par  la  raison  qu'il  faut 
maintenirles  droits  de  l'autorité  temporelle,  si  l'on  veut  que  les  sujets 
soient  matés  et  domptés.  Ainsi  donc,  tu  vois  la  manière  dont  on  en 
agissait  autrefois.  Si  Abraham  avait  suivi  son  propre  mouvement, 
peut-être  eût-il  laissé  les  choses  aller  leur  train,  mais  cela  n'eût  pas 
été  bien  agir,  car  les  gens  deviennent  trop  orgueilleux  quand  on 
leur  reconnaît  tant  de  droits,  et  qu'on  les  traite  comme  soi-même  ou 
comme  ses  propres  enfants.  Il  est  impossible  de  tenir  le  peuple 
en  bride  sans  la  férule  de  l'autorité  temporelle;  et  s'il  y  a  tant  de 
plaintes  en  ce  monde  sur  les  serviteurs  et  domestiques,  la  faute  en 
est  à  l'autorité.  Depuis  longtemps,  il  n'y  a  plus  de  vraie  autorité; 
chacun  fait  uniquement  ce  qui  lui  plait.  Si  l'on  craignait  un  peu  plus 
le  joug  et  la  bride,  si  chacun  savait  ne  pouvoir  bouger  sans  s'expo- 
ser à  recevoir  un  bon  coup  de  poing  sur  la  tête,  les  choses  en  iraient 
mieux,  car  sans  la  sévérité,  tout  est  inutile.  Quand  ces  gens-là  se 
marient,  ils  prennent  des  femmes  mal  élevées,  incultes,  grossières, 
qu'on  ne  peut  employer  à  rien!  Mais  fous  ces  discours  sont  oisifs. 
L'important,  c'est  que  nous  sachions  bien  que  les  pieux  et  saints  per- 
sonnages du  passé  étaient  plus  habiles  que  nous  en  matière  de  gouver- 
nement, et  cela  est  vrai,  oui,  même  parmi  les  païens.  Maintenant  rien 
ne  marche  plus  comme  il  faut.  Vn  serviteur  se  payait  autrefois  d'un 
à  huit  florins;  une  servante,  d'uü  florin  à  six,  et  l'un  et  l'autre  faisaient 
tout  ce  que  voulait  la  ménagère.  Si  l'on  veut  que  le  monde  dure,  si 
l'ordre  doit  être  rétabli,  il  faudra  pourtant  i:ieu  en  revenir  là'.  > 

'  Sammtl.  lUerke,  t.  \XXIII,  p.  389-390.  —  ■  Les  paysans  ',  écrir-il  en  1529,  «sont 
dans  une  meilleure  situation  que  les  princes.  Je  suis  en  colère  contre  nos  pay- 
sans; ils  veulent  se  gouverner  eux-mêmes,  et  n'apprécient  point  du  tout  le  bon- 
heur qu'ils  ont  de  rester  assis  en  paix  sous  la  protection  de  leurs  seigneurs. 
Anes  grossiers  et  stupides  que  vous  êtes,  ne  comprendrez- vous  jamais?  Que 
le  tonnerre  vous  écrase  !  Vous  avez  la  meilleure  part,  c'est-à-dire  le  nécessaire, 
l'usage;  vous  avez  le  suc  de  la  vigne,  et  les  princes  n'en  ont  que  la  pulpe.  Vous 
avez  la  moelle,  ils  ont  l'os,  et  néanmoins  vous  êtes  ingrats,  vous  ne  voulez  pas 


L'ALLEMAGNE    APKÈS    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE.  i>tl 

Un  jour  que  le  seigneur  Henri  d'Einsiedel,  se  sentant  la  conscience 
troublée  à  propos  des  corvées  dont  ses  paysans  étaient  accablés, 
réclamait  à  ce  sujet  l'avis  de  Lulhcr,  celui-ci  lui  conseilla  de  ne  pas 
imposer  de  nouvelles  servitudes  à  ses  {jens,  mais  de  ne  se  (aire  au- 
cun scrupule  quant  à  celles  qui  avaient  été  ré{jlées  et  établies  par  ses 
parents  et  aïeux.  «  Il  ne  serait  pas  bon  ,  lui  écrit-il,  de  laisser 
tomber  en  désuétude  le  droit  d'imposer  des  corvées;  l'homme  du 
peuple  doit  sentir  le  joug,  sans  cela  il  se  cabre'.  »  Mélanchthon 
répondait  aux  perplexiiés  de  ce  même  seigneur  :  >^  Votre  Honneur 
ne  doit  l'aire  aucun  cliangemeni  dans  les  anciennes  corvées,  et  cela 
en  toule  sécurité  de  conscience.  L'exercice  de  l'autorité,  dans  les 
choses  temporelles,  est  agréable  à  Dieu;  les  corvées,  bien  que  variant 
selon  les  lieux,  et  quehjuefois  trop  dures,  doivent  néanmoins  être 
maintenues,  et  Votre  Honneur  peut  relire  le  chapitre  xiii  de  l'Epilre 
aux  Romains,  dans  laquelle  saint  Paul  dit  expressément  que  se  sou- 
mettre à  l'autorité  temporelle,  c'est  accomplir  la  loi  de  Dieu.  >  «  D'ail- 
leurs, les  charges  et  les  corvées  des  pauvres  gens  sont,  à  vrai  dire, 
très-supportables,  comparées  aux  peines  de  ceux  qui  s'efforcent  de 

prier  pour  vos  princes,  vous  refusez  de  leur  payer  la  dîme.  »  (T.  XXXVI,  p.  175.) 
•  Si  les  iioljles,  les  bourgeois  et  les  paysans  avaient  un  peu  les  coudées  fran- 
ches, sois  silr  que  lu  ne  trctuverais  pas  beaucoup  de  conseillers  et  de  bour- 
geois vraiment  attachés  à  iKvangile  parmi  eux.  •  (XLV,  p.  IIG.)  Luther»,  dit 
Scherr,  est  le  véritalile  inventeur  de  la  doctrine  de  l'obéissance  passive.  On 
comprend  avic  quel  empressement  les  prin;  es  allemands  devaient  applaudir 
aux  principes  de  politique  servile  du  luthéranisme.  -  Deutsche  Culiw  und  Sittenge- 
schichte [Z*  éd  ),  Leipzi;;,  1866,  p.  620.  •  Loin  d'imiter  l'Église  catholique  ■■ ,  dit 
Be.nsen,  p.  275,  qui  jamais  ne  justifia,  du  moins  dans  sa  doctrine,  la  tyrannie 
des  princes  spirituels  ou  temporels,  et  défendit  avec  force,  et  presque  toujours 
victorieusemeni,  même  contre  l'Empereur,  les  droits  de  l'homme  et  ceux  du 
peuple,  les  réformateurs  évangéliques  se  sont  attiré  le  reproche  mérité  d'avoir  les 
premiers  prêché  et  enseigné  aux  Germains  l'esprit  de  servilité  et  le  règne  de  la 
force.  •  Bensen,  comme  Scherr,  est  d'ailleurs  un  adversaire  déclaré  de  l'Église 
catholique,  et  nous  trouvons  fréquemment  dans  son  ouvrage  l'expression  de 
son  amère  aversion  pour  elle. 

'  Dans  Kapp,  Xachlene,  t.  I,  p.  281-282.  •  Spalatin  s'accordait  en  cela  complète- 
ment avec  le  vénérable  et  très-savant  maître  Martin  Luther,  notre  bien-aimé 
père.  »  •  La  pressante  nécessité  du  moment  réclame  impérieusement  -,  écrivait- 
il  au  chevalier  d'Kinsiedel,  •  le  maintien  de  la  paix,  de  1  ordre  et  de  la  concorde, 
car  il  faut  que  les  musses  sentent  le  frein.  Joseph,  ce  grand  serviteur  de  Dieu, 
imposa  des  lois  autrement  rudes  au  royaume  d'Egypte.  Les  Juifs  étaient  alors 
obligés  de  donner  le  cinquième  de  leurs  biens,  et  pourtant  nous  voyons  que  Dieu 
eut  cette  loi  pour  agréaijle.  •  •  Je  ne  voudrais  pas  vous  voir  abolir  les  corvées 
anciennes  dont  l'usage  vous  a  été  légué  par  vous  ancêtres.  Le  peuple,  trop  mé- 
nagé, deviendrait  turbulent.  Saint  Pierre  dit  dans  son  premier  chapitre  que 
nous  devons  être  soumis  et  obéissants  envers  toule  loi  humaine.  D'ailleurs,  des 
charges  semblables  existent  en  beaucoup  de  pays,  nations  et  peuples,  et  soûl 
même  bien  plus  lourdes  que  chez  nous.  Far  con,«équent,  si  j'étais  à  votre  place, 
je  mettrais,  au  nom  de  Dieu,  mon  cœur  et  ma  conscience  en  paix  sur  cette  ques- 
tion, et  lorsque  je  me  sentirais  quelque  tourment  à  ce  sujet,  je  prendrais  en 
main,  pour  me  calmer,  l'un  de  nos  cbers  psaumes  de  consolation.  "  —  Kapp. 
t.  I,  p.  28Î-286. 

39. 


«12  L'ALLEMAGNE    APRÈS    LA    RÉVOLUTION    SOCIALE. 

faire  leur  devoir  dans  les  armées,  les  conseils  ouïes  emplois.  Ce  que 
je  dis  là  est  la  pure  vérité.  Chacun  convient  que  la  répression  des 
délits  est  de  nos  jours  beaucoup  trop  douce,  et  voilà  pourquoi  Dieu 
permet  que  les  contributions,  corvées  et  redevances  augmentent, 
car  d'une  manière  ou  d'une  autre  le  peuple  doit  senlir  le  joug, 
si  l'on  veut  que  le  monde  subsiste.  Le  livre  des  Proverbes  dit  très- 
bien  au  chapitre  xxxiii,  cité  avant  nous  par  maître  Georges  Spa- 
latin  :  Le  fardeau,  le  bâton,  le  fourrage  sont  pour  l'âne;  le  pain, 
le  travail  et  le  châtiment  sont  pour  le  serviteur.  »  Ces  sortes  de 
charges  matérielles  et  corporelles  doivent  être  imposées.  Elles  ne 
peuvent  être  partout  les  mêmes,  mais  dans  leur  ensemble  elles  sont 
très- certainement  agréables  à  Dieu.  Les  lois  établies  par  Joseph 
lorsqu'il  gouvernait  l'Egypte  étaient  autrement  rudes;  en  France, 
en  Italie,  les  paysans  sont  beaucoup  plus  chargés  que  les  nôtres, 
les  corvées  y  sont  plus  nombreuses  que  chez  nous,  et  cependant  rien, 
dans  les  lois  de  ces  pays,  n'est  contraire  à  l'équité.  Des  contrées  diffé- 
rentes ne  peuvent  avoir  mêmes  lois.  Que  Votre  Honneur  soit  donc  en 
paix,  car  maintenir  les  anciennes  traditions,  c'est  très-certainement 
agir  selon  l'Évangile  et  la  vérité.  Ces  anciennes  coutumes  plaisent  à 
Dieu  et  sont  raisonnables,  tout  en  étant  diverses,  et  plus  rudes  en 
un  pays  qu'en  un  autre.  Que  Dieu  donne  aux  autorités  le  courage 
d'en  publier  de  semblables,  et  même  de  plus  sévères  encore  '!  « 

En  un  traité  spécial,  publié  à  la  fin  de  mai  1525,  Mélanchthon 
expose  ses  vues  sur  l'obéissance  absolue  que  les  sujets  doivent  à 
leurs  maîtres,  dans  toutes  les  réclamations  et  questions  temp!>relles. 
'  Les  sujets  «,  dit-il,  <  doivent  bien  se  persuader  qu'ils  servent 
réellement  Dieu  en  s'acquittant  des  charges  qu'impose  l'autorité, 
qu'il  s'agisse  de  voyager,  de  payer  des  redevances  ou  d'autre  chose, 
et  que  c'est  faire  une  sainte  action  que  d'obéir  comme  si  l'on  enten- 
dait Dieu  même  commander,  comme  si,  par  exemple,  il  ordonnait 
â  quelqu'un  de  ressusciter  un  mort,  ou  telle  autre  chose  qu'on 
voudra.  •  "  Les  sujets  doivent  tenir  l'autorité  pour  sage  et  équi- 
table, et  lui  être  reconnaissants.  •  -'  On  entend  souvent  les  gens  se 
plaindre;  à  les  entendre,  on  leur  a  fait  tort,  à  eux  ou  à  quelqu'un 
des  leurs;  mais  ces  personnes  ne  songent  point  qu'oliéir  à  l'autorité, 
c'est  obéir  à  Dieu  même,  et  que,  d'ailleurs,  jamais  il  n'y  eut  sur  la 
terre  un  pouvoir  qui  ait  été  exempt  de  quelque  blâme.  Si  tu  me 
dis  :  Comment  puis-je  raisonner  ainsi,  quand  je  me  sens  traité  avec 
dureté  et  injustice?  je  te  répondrai  :  Si  même  un  prince  en  agit 
mal  envers  toi,  s'il  t'écorche  et  te  tond  contrairement  à  toute 
équité,  tu  n'en  serais  pas  moins  criminel  de  te  révolter.  "  ^  Celui 

»  Corp.  Reform.,  t.  VII,  p.  432-133- 


LALI-EMAGNE    APRKS    LA    REVOLUTION    SOCIALE.  61! 

qui  s'oppose  à  raiitorilé  s'oppose  à  l'Evangile,  car  l'Évangile  nous 
ordonne  de  tolérer  et  de  supporter  l'injustice,  non-seulement  lorsque 
l'autorité  la  commet,  mais  de  la  part  de  tous  nos  frères,  (^uant  au 
droit  d'élire  les  pasteurs,  tant  réclamé  par  les  paysans  dans  leurs 
articles,  il  serait  certainement  bon  que  les  églises  fussent  partout 
investies  du  droit  de  choisir  leurs  curés,  mais  à  la  condition  que  le 
prince  assiste  à  l'élection,  car  il  convient  que  l'autorité  exerce  sa 
surveillance  en  ces  madères,  afin  que  rien  de  séditieux  ne  soit  prêché 
ni  encouragé.  Dans  beaucoup  de  territoires  allemands,  les  paysans 
ont  fait  choix  de  prédicanls  qui  n'ont  ensuite  songé  qu'à  les  flat- 
ter, et  qui  ont  enseigné  au  peuple  qu'on  n'est  pas  obligé  de  payer 
la  dime,  la  taille,  sans  parler  de  beaucoup  d'autres  funestes  doc- 
trines, mères  de  lamentables  insurrections.  «  Tout  le  monde  doit 
payer  l'impùt  établi  par  le  pouvoir  temporel,  dans  la  mesure  où 
ce  pouvoir  l'a  fixé,  qu'il  s'agisse  du  dixième  ou  du  huitième  des 
biens.  Les  Romains  s'étant  emparés  de  trésors  autrefois  attribués 
par  Dieu  même  au  temple  de  Jérusalem  et  aux  lévites,  les  Juifs  dis- 
putèrent beaucoup  entre  eux  pour  savoir  s'ils  avaient  le  droit  de 
payer  un  impôt  que  Dieu  n'avait  pas  autorisé;  mais  bientôt  ils  se  virent 
forcés  de  donner  ce  que  l'autorité  réclamait,  puisqu'ils  n'étaient  plus 
maîtres  de  leurs  biens.  -  •<  On  est  obligé  de  payer  les  dimes;  l'auto- 
rité ayant  réglé  la  question  des  intérêts  des  sujets,  on  lui  doit  obéis- 
sance, et  celui  qui  se  révolte  contre  ce  qu'elle  a  décidé  prétend  la 
dépouiller  de  son  droit  légitime,  et  se  conduit  en  rebelle.  En  Egypte, 
les  sujets  donnaient  le  cinquième  de  leurs  biens;  tous  étaient  serfs, 
et  pourtant  Joseph,  leur  législateur,  avait  très-certainement  été  in- 
spiré par  le  Saint-Esprit  :  néanmoins  il  jugea  nécessaire  de  charger 
ainsi  le  peuple,  et  tous  se  tinrent  pour  obligés  de  donner  ce  qu'il 
réclamait.  -  D'après  Mélanchthon,  le  sujet  n'a  jamais  à  se  préoc- 
cuper de  l'emploi  que  l'autorité  fait  de  ses  revenus  :  "  Qu'est-ce 
que  cela  te  regarde?  Il  ne  t'en  faut  pas  moins  donner  ta  part 
dès  que  l'autorité  a  commandé,  et  te  soumettre  jusqu'au  moment 
où  elle  en  décidera  autrement.  -  C'était  de  la  part  des  sujets  une 
insolence  inouïe  que  de  se  révolter  contre  le  servage.  Une  telle 
opposition  faisait  injure  à  l'Evangile,  et  n'avait  aucune  excuse, 
'<  car  en  vérité  il  serait  fort  nécessaire  qu'un  peuple  aussi  grossier, 
aussi  inculte  que  les  Allemands,  ait  moins  de  liberté  encore  qu'il 
n'en  a!  Joseph  traita  rudement  l'Egypte,  sachant  bien  qu'il  ne  faut 
pas  laisser  !a  bride  trop  lâche  au  peuple.  Si  les  sujets  se  plaignent 
que  certaines  parties  du  communal  aient  été  confisquées,  s'ils 
gémissent  de  la  multiplicité  des  corvées  et  des  dimes,  pourquoi  ne 
Tendraient-ils  pas  les  tribunaux  juges  de  leurs  griefs?  »  -  Souvent 
l'autorité  a  dos  motifs  qu'ils  n'aperçoivent  pas  pour  mettre  la  main 


614  L'ALLEMAGNE    APRÈS    LA    RÉVOLUTION    SOCIALt. 

sur  un  bien  communal;  c'est  peut-être  pour  l'entourer  de  haies,  ou 
pour  quelque  autre  raison;  mais  quand  bien  même  elle  agirait  arbi- 
trairement, il  serait  criminel  à  un  sujet  de  se  révolter.     Mélanchthon 
se  borne  à  réclamer,  à  cause  des  veuves  et  des  orphelins,  l'abolition 
.  de  l'impôt  de  la  meilleure  tète    .  Mais  lorsque  les  paysans,  avec 
tant  de  raison,  insistaient  pour  que,  dans  la  punition  des  délits,  on 
eût  égard  aux  anciens  règlements,  à  la  tradition,  et  pour  que  les 
châtiments  ne  fussent  pas  abandonnés  à  l'arbitraire  des  seigneurs, 
Mélanchthon  déclarait   ne  les   point  approuver  :       Le  pouvoir  », 
disait-il,     a  le  droit  d'imposer  et  d'instituer  tous  les  châtiments  qu'il 
veut,  selon  qu'il  les  trouve  appropriés  aux  besoins  du  pays,  car  Dieu 
lui  a  ordonné  d'écarter  le  mal  et  de  le  punir  dès  qu'il  se  produit,  et  les 
paysans  auraient  tort  de  vouloir  dicter  des  lois  au  pouvoir  à  ce  sujet. 
Le  peuple  allemand  est  si  turbulent,  si  féroce,  qu'il  est  bon  et  juste 
de  le  traiter  plus  rudement  que  tout  autre.  Salomon  a  dit,  au  trei- 
zième chapitre  des  Proverbes  :  Au  cheval,  l'étrivière;  à  l'âne,  le  licou; 
au  dos  de  l'insensé,  la  verge.  Et  l'Ecclésiasîe,  au  chéipitre  xxiii  :  A  l'âne, 
le  fourrage,  le  fouet  et  le  fardeau;  au  serviteur,  la  nourriture,  le 
châtiment  et  le  travail.  Dieu  appelle  le  pouvoir  temporel  un  glaive; 
or  un  glaive  est  fait  pour  trancher;  que  le  châtiment  soit  dans  les 
biens,  le  corps  ou  la  vie,  selon  que  le  crime  le  réclame,  peu  importe.  >• 
Aprèsavoirainsijustifié  l'omnipotence  du  pouvoir,  Mélanchthon  ex- 
horte les  princes  non-seulement  à  confisquer  les  biens  ecclésiastiques, 
mais  encore  à  s'immiscer  dans  les  questions  du  gouvernement  intérieur 
de  l'Église.  Il  était  ;  urgent  i,  selon  lui,  qu'ils  prissent  la  haute  main 
dans  le  gouvernement  des  couvents  et  abbayes,  afin  que  l'abomina- 
tion delà  messe  pût  être  abolie.  <  C'était  à  cause  d'abus  de  cette  na- 
ture que  Dieu  châtiait  les  terres  et  les  gens,  comme  le  prouvait  bien 
un  texte  de  saint  Paul;  car  s'il  y  avait  eu  tant  d'infirmes  parmi  les  Co- 
rinthiens, c'était  pour  ce  motif!     En  outre,  les  princes  devaient  concé- 
der le  mariage  aux  personnes  ecclésiastiques,  saint  Paul  ayant  déclaré 
"  que  ceux  qui  interdisent  le  mariage  sont  inspirés  par  les  démons  ". 
Si  les  princes  traitaient  leurs  sujets  avec  indulgence  et  se  mon- 
traient soigneux  d'écarter  de  pareils  '    abus  ",  il  était  à  espérer 
«  qu'une  bonne  parole  trouverait  un  bon  terrain  ".  Mais  dans  le  cas 
où  quelques-uns  ne  prendraient  pas  en  bonne  part  les  '    droites 
intentions      de  leurs  gouvernants  et  se  montreraient  récalcitrants 
et  rebelles,  les  princes  devraient  alors  mettre  tout  en  œuvre  pour 
châtier  de  si  grands  coupables  et  les  traiter  comme  on  traite  les 
meurtriers,  «^  se  persuadant  bien  qu'en  agissant  ainsi  ils  servaient 
Dieu,   qui   ne  les   avait  établis   que  pour  réprimer  les  vices*   ". 

1   Ein  sehri/t  Philippi  Mélanchthon  tcider  die  Artickel  der  Pawerseha/l,  1525,  dans  Corp. 


L'ALLEMAGNE    APRÈS    LA    KÉVOLUXrON    SOCIALE.  615 

Mais  celui  des  nouveaux  docteurs  qui  alla  le  plus  loin  dans  la  défi- 
nition de  l'omnipotence  des  princes  et  dans  la  doctrine  de  l'obéis- 
sance passive,  même  dans  les  questions  de  foi  et  de  conscience, 
c'est  certainement  Martin  Hucer.  Toute  autorité,  quelle  qu'elle  fût, 
avait,  selon  lui,  droit  à  la  soumission  la  plus  entière  du  sujet,  car 
là  où  était  le  pouvoir,  là  était  le  droit.  Dans  le  cas  mi^me  ou  l'auto- 
rité édictait  des  lois  contraires  aux  commandements  de  Dieu,  le  sujet 
était  obligé  de  se  soumettre,  car  alors  il  devait  croire  que  Dieu  lui- 
même  prenait  la  verge  pour  le  châtier.  L'autorité,  en  possession 
du  pouvoir  suprême,  avait  juridiction  sur  toutes  les  choses  de  la  foi. 
Elle  avait  le  devoir  de  s'enquérir  des  mœurs,  et  comme  la  religion 
seule  conduit  à  une  bonne  vie,  elle  avait  le  devoir  d'exercer  sa  sur- 
veillance sur  les  choses  de  la  conscience.  Donc  elle  devait  détruire 
^  par  le  feu  et  le  fer  "  tous  ceux  qui  faisaient  profession  d'hérésie, 
parce  qu'une  foi  erronée  est  la  mère  de  tous  les  vices.  Les  sectaires 
méritaient  de  bien  plus  rigoureux  châtiments  que  les  voleurs,  les 
brigands,  les  meurtriers.  Les  femmes,  les  enfants  innocents,  les  bes- 
tiaux appartenant  aux  hérétiques  devaient  être  étranglés'. 

La  nouvelle  doctrine  sur  l'omnipotence  des  gouvernants,  les 
exhortations  sur  l'urgente  nécessité  de  confisquer  tous  les  biens 
d'Église,  rencontraient  naturellement  la  sympathie  d'un  grand 
nombre  de  princes  et  de  seigneurs,  et  dans  beaucoup  de  territoires 
allemands,  on  voyait  arriver  ce  temps  dont  Sébastien  Frank,  bien 
qu'adversaire  de  l'antique  Église,  devait  dire  dans  la  suite  :  "  Au- 
trefois, sous  le  papisme,  on  était  bien  plus  libre  que  de  nos  jours  de 
fustiger  les  vices,  même  ceux  des  princes  et  des  seigneurs;  mainte- 
nant tous  veulent  être  flattés,  ou  bien  viennent  les  émeutes;  le 
monde  d'aujourd'hui  est,  en  vérité,  devenu  bien  susceptible!  Oue 
Dieu  ait  pitié  de  nous!  '•  •  Chacun  s'évertue  à  flatter  le  pouvoir; 
il  faut  adorer  le  dieu  du  pays.  Un  prince  meurt-il,  et  un  autre  juge 
en  matière  de  foi  vient-il  à  lui  succéder?  Aussitôt  la  parole  de  Dieu 
subit  des  changements,  et  le  peuple  court,  sans  motif,  d'une  doc- 
trine à  une  autre;  ceux  qui  prétendent  être  ses  modèles  et  ses 
évêques  font  comme  lui  ^  '■ 

Les  princes,  les  seigneurs,  les  magistrats  des  villes  se  présentaient 
pour  recueillir  l'héritage  de  la  révolution. 

Riform.,  t.  XX,  p.  641-662.  Sur  rorif,ine  de  cet  écrit,  voy.  le  Corp.  Reform.,  t  I. 
p.  742,  747.  —  llOUTFELDER,  Bauernkrieg,  p.  184-189. 

'  Voy.  HaGen,  Literarische  l'arhält/iisse,   t.  III,  p.  154-157. 

*  Cosmographie,  37''.  —  Voy.  Cornelius,  i/ÛMS^er/w/ier,  Aufruhr,  t.  II,  p.  44-47. 

FIN    DL'    TOME   SKCOM). 


Aa 


V)^- 


c 


TABLE    DES    PERSONNAGES    CITÉS 


AbSberg  (H.  T.   i>'),  2i4,  246,  269. 

Adf.laiue  (saint),  559. 

Adrien  VI  (papej,  141,  ICi,  265,  282-289, 

291,  292,  297,  323,  328,  329,  332. 
Agricola,  2,  4. 

Agripp.\  de  Ni;tte.sueim,  39,  100. 
Alantsee  (éditeur),  316. 
Alcjergati  (V.),  283. 
Albert  de  Br.vndebourg  (grand  maître}. 

56,  139. 
Albert  de  Brandebourg    arcbevèque  , 

60,  61,    66,  77,  94,   97,   100,  106,   117, 

142,  219,  221,  223,  251,  252,  .336,  3il, 

436,  455,  604. 
AlÉandre  (légat).  14,  150-152,   154,  157, 

160,162, 164-166,176,177,219,248,412. 
Algesueimer  (I.),  583. 
Alveld  (Ihéol.  ,  102. 
Ambroise  (saint),  184. 
Amerbach  (B.),  8,  180,  189,  512. 
Ammoml's  (A.),  6. 
Amsdorf,  223. 
Anshelm    ^chron.),   119,   409,    447,   486, 

5.36,  593. 
Antoine  (Dominicain).  368. 
Antoine  (duc  de  Lorraine),  568. 
Apulée,  29. 

Aquin  (saint  Thomas  d"),  4. 
Aristote,  68,  311. 
Armersdouff  (p.  d';,  166. 
AUER,  243. 

AuFSESs(H.  G.  et  VV.  H.  de),  245. 
Augustin  (prévôt),  508. 
Augustin  (saint),  75,    77,  87,  I6i,   181, 

184,  195,  317,  390. 
AUSONE,  150. 


Bamberger  (S.),  abbé,  431. 
Beatus  Rhénan  us,  10. 
Bebel  (II.),  31,  32. 
Beckmann,  85. 
Behaim  (B.;,  405. 
Behaim  (L.j,  55. 


Bi-UAIM  (.S.„  405. 
Bekam,  61. 
Bennon  (saint),  292. 
Berlepscu  (S.  DEi,  550,  552. 
Berlichingen  (G.  de),  525,  530,  537,  539, 

546,  571,  .572^ 
Bermeter  (Dans),  460. 
Bernard    évéque  de  Trente),  290,  462. 
Bernard  (prévôt  de  Feldkirch),  223. 
Bernardin,  50. 
Berthold  (archevêque  de  .Mayence),  66, 

163. 
Biel  ((;.),  2. 

BiLiKANUs  (Th.  ,  189.  467. 
Blarer  (Th.),  180,  181. 
BucACE,  26. 
BoDMANN  (C.!,  65,  134,  162,  181,  211,  218, 

219,  221,  250,  259,  302,  323,  326,  331, 

339,  342,  350,  357,  360. 
BOÈCE,  195. 
BÖHM  (H.),  422-424. 

BONET   DE  LaTES,  50. 

BoMFACE  YIII    pape),  329. 

Bonnivet  (amiral),  330. 

Bora  (Cath.  de),  294,  565,  566. 

Bourbon  (duc  Charles  de),  329,  330. 

Branda  (légat),  420. 

Brauneggen  (M.  G.  de),  432. 

Brant  (S.),  4,  15,  23,  51,  73,  434. 

Breitenstein  (S.  de),  abbé,  498. 

Brezonva (L.  de\  419. 

Brindisir  (S.;,  508. 

Brück  (chancelier),  161,  397,  580. 

Brunfeld  (0.),  264. 

BuCER  (M.),  84,  166,   24.5,  246,  264,  379, 

449,  516,  613. 
Bullinger  iH.;,  45.  188,  494. 
Buren  ^comte  dej,  330. 
Blsciie  (H.  de),  25,  26,  33,  53,  177. 
Buschler   H.i,  453. 
Butzbach  (D.i,  164. 
Butzbach  (I.),  45. 


Cvjetan  (cardinal;,  82-85,  93. 
Camerarius,  14,  312,  513,  518,  565. 


618 


TABLE    DES    PERSONNAGES    CITES. 


CvMr-EGGio  (L.),  légat,  347,  348,  335,  358. 

(  .vMSius  (Pierre),  13,  Î8. 

CvPiTO   (W.),    14,  26,    90,  120,   121,  220- 

223,  379,  449,  496,  509,  510,  600, 
Caraccioli  (légal),  IjO,  152. 
Carben  (Victor  de),  42,  43. 
Carlstadt  (A.),  84-87,  221-229,  231,  396- 

399,  400,  40!,  404,  406,  463,  515,  516, 

528,  549,  579,  580. 
(Aiipi   (Albert,  prince   de),    15,  26,   34, 

58,  64,  56,  324. 
Carvajal  (B.  de),  cardinal,  323. 
C^esarils  (humaniste),  58. 
Casimir  "(margrave    de   Brandebourg), 

139,  245,  278,  436,   506,   575-580,   594- 

596,  604. 
t:AVALi.i  (M.),  ambassadeur,  324. 
Celtes  (C),  6,  25. 
Charles-Qui\t  (empereur).   41-44.   47, 

48,  50,  95,  107,   117,   121-124,  128,  131, 

133,    134,   137-148,    152,    1.53.    157-160, 

164-166,    169-172,    175,    176,    178,   197, 

218,   221,    241,   242,  246,  248-250,  253, 

263,  272,  275,  277,  280,   281,  2S3,  287, 

288.    290,    291,  302-304,   310,   323-340, 

3J2-344,  346,  350,   354,   355,   308,  487. 

488,  495,  599,  609. 
Chieregato  (F.),  légat,  277,  284,  285. 
ChiÈvres  (seigneur  de),  154. 
CuRYSosTOME  (saintj,  34,  181,  195. 
Christophe  (évêqiie  d'Augsbourg),  504. 
CicÉRON,  19,  32,  68,  312. 
Cleen  (Dietrich  de),  535,  596. 
Clément  IV  (pape),  123. 
Clément  VIII  (p;ipe),  322,  334,  342,  347- 

349,  353,  355,  356,  484,  487. 
Cochl^us  (J.),  23,  32,  88,  92,  100,   101, 

151,  173,  211,  299,  300,  301,  304,   317, 

438,  445,  574.  592. 
Coelde  (D),  72. 
COLET  (,].),  8,  9,  10,  12,  39, 
Collin(C.1,  45,  46. 
CONRAD  IV  (roi),  123. 
Conrad  (évêque  de  VVurzbourg),  569. 
Constantin  (empereur,  63. 
CoNTARiNi  (légat),  143,  169,  263,  327, 

342. 
Cotta  (dame),  68,  69. 
Cotta  (II.),  68. 
Cranach  (L),  120,  121,  155,  174,  207, 

451 
Crel  (.1.),  170. 
Cronberg  (chevalier  Ilarmuth  de),  232, 

246,  248,  249.  255 
Crotus  Ri'BiANus  (H.  Jäger),  24,  28,  32, 

45,  .53-55,  57,  .58,   69,  91,  98,  99,    101, 

t05,  118,  119,  167,  )68,  180. 

Cl'NÉGONDE  DE  BaVIÈRE,  42. 

CrsA  (Nicolas  de),  2. 


Dantiscüs  (J.),  186,  187. 
Denk  (>I.),  407. 
Deischlin  (J.),  520,  580. 
Dietenberger  (.1),  305,  309. 
Dietrich  (G.),  317. 
Dietrichstein  (S.  de),  589. 
Dirnstein  (C.  Lerch  de),  252. 
DoNHEiM  (Piirre),  538. 
Draconites  (humaniste),  312. 
Drandorf  (,I.),  421. 

Dürer  (Albert),  10,  61,  91,  92,  175,  450, 
451,  .522. 


Eberlin    de   GuNznoiRG,    123,   191,    192, 

194,  195,  197,  457,  484,  558. 
Eberstein  (Mangold  de),  245. 
Ebner  (H.),  91,  335,  370,  382,  385. 
Ebner  (Catherine),  384,  385. 
Ebrach  (.1.  iVilling  d'),  244,  250. 
ECK  (J.),  18,  83,  84-87,  91,  92,  114,   116, 

151,  356,  603. 

Eck  (L,   d'),  250-252,  259,   269,  279,  280. 

341,  488,  505.  507,576,  587 
Egramus  (S),  85. 

EiNSIEDEL  [II.   de),  609. 

Ellenbog  (II.),  298,  327. 

ELLIGER   (J.),  558. 

Ellingen  (commancieur),  596. 

Emser    fll.i,    68,    78,    109-111,  211,    212. 

225,   287,  298,  300,  302-308,   310,  311, 

412.  602,  603. 
Endres  (C.;,  274.  280,  324-326,  .330,  335, 

336,  345,  351,  408,  456,  466. 
EoBAN  Hessus,  22,  24-28,  53,  57,  90,  97, 

166,   167,  177,   178,  267,  268,  312,  313, 

557.  559. 
Erasme  de  Rotterdam,  5-22,  25,  26,  34, 

56-59,    62,   64,    84,    8991,  94,   95,   124. 

152,  154,    167,  179,  247,  264-266,   269, 
312,  316,  .399,  401,  439,  441. 

Ernest  de  Bavière  (administrateur  de 

Passau),  588. 
Ernest  (margrave  de  Bade),  569. 
Esope,  28. 

Este  (cardinal  d').  138. 
Etschliüu  (K.),  580. 
EiRir.us  CORDUS,  90,  91,  312. 


Faber  i.I.),  124. 
Fabri  (F.),  5. 

Faust  (chroniqueur),  540. 
Feilitzsch  (Ph.  de),  223,  289. 
Ferdinand  (archiduc),  95,  99.  117,  143, 
260,  261,  269,  273,  278,  279,  288,  326, 


TAi'.i  r   DIS    i'Ki;s()N.N  \(;k.s   cités. 


fiia 


329,   331,  331.  3^9-311,   3{3,    M:,,  316, 
349,  351,  .351-366,  .36S.  458,    184.   490, 
491,  496  497,   501,   505,   507,  509.510, 
584,  585,  588,  589,  597. 
KlCHAI\D,  540. 

pRvNrois  (saint).  217. 

Franck  (S.i,  410,  526,  602,  605,  613 

François  I"  (roi  de   hrancei,  94,   138, 

139'   178,  256,   323  .3.32,   3i0.  341.  495, 

497.  599. 
Frépéric  III  (empereur  ,  195. 
FnÉDKuic  (électeur  de  Saxe),  75,  79,  83. 

84,    117,   118,    121,    139,    152-154,    158, 

160,   161,  170,   174.   176,  206,  207,214, 

222,  224,  227,  228,  230,  233,   235,  239, 

259,  263,  281,  282,  285.  286,  288,  289, 

292,  295,  336,  338,  341,  346,  355,  392, 

394.  399,  401,  542.  554,  561- 
FntiiÉiuc  (margrave  de  Brandebourg/, 

241. 
Frédéric  (comte  palatin  ,  244,  255,  272, 

273,  880,  340. 
Freiberg  (F.  de),  526. 
Frideram  (président  de  conseil),  558. 
Fuies  (I,.  rbron.  ,  434,  518,  520,  546,  547, 

573,  574,  577,  591. 
FRonEN-l-AcuNER  (imprimeur),  316. 
Frlndsberg  (U.  DE),  326,  581. 
FiCHSSTEiX  (J.  Fuchs  de),  255,  281,  497, 

536. 
FuggeR  (les),  66,  103. 
Flxdling  (J.),  603 
Flrer  (Chr.),  381,  383. 
FuRSTENBERG  (les  comtcs  DE),  249,  262, 

330. 
Fl'RSTENBErg  (député),  146-149,  156,  157, 
169.  272,  273. 


Gerhard  (l'irichi,  432. 

Geismayr  (Micheli,    470,   474,  476,  509, 

584,  590. 
Gemmingen  (Cr.  et  U.  de).  66,  163. 
Georges  (duc   de  Saxe),   73-77,  85,   86, 
109,  162,  175,  2(10,  211,  212,   227.  228. 
234,  259,  261,  280,  281,  291,  292,  338. 
362-365,  411,  412,   487,  498,  557,   560- 
563. 
Geouges  (comte  palatin  et  évéquei,  50, 

536,  569,  594,  598,  604. 
Georges  (évéque  de  Liège),  254,  529. 
Geroldseck  des  comtes  de),  536. 
Gerstenwell  (VVolf),  458. 
Gerwick  (abbé),  505. 
Gelder  (M.).  376,381. 
Geyer  (Florian  de),  526,  528,  529.   535, 

547,  572. 
Geyling  [.].  ,4d7. 
Geyss,  500,  501. 


Giech  (g.  de),  245. 
(;lapio\,  160,  161,  166,  197. 
(;lareanls,  316. 
(;LArBLRC  (.1.  de).  253.  275. 
Glockevdon  iminiaturisle  ,  61. 
GoKDE  (11),  27,  35. 
Gratiis  (O.i,  58. 
Grégoiiie  (saint  ,  195. 
Grégoire  de  Nazianze,  2. 
Grégoire  VU,  2. 
Gricils  (S.),  maître  es  arts,  62 
Grimam  (^cardinali,  50. 
Grimbach  (.\.  de),  295. 
Grlmbach  {(',.  dei,  572. 

GRrNBECK(.J.).  200. 
GRI  NDHERR    (F.),   377, 

Grindherr  (L.),  361. 
Grunewald  (M.),  61. 
Glillalme  (duc  de  Bavière).   251,  259. 

279,  295,  341,  355,  356,  358,  361,  488. 

576. 
Glillaime  (évéque  de  Strasbourgi,  541, 

544,  581,  585-587,  589,  598. 


H 


Haarer  (chroniqueurj,  529. 
Halberg,  Gilo,  574. 
Hall  (.lean  de  ,  536. 
Hamerschmidt  (Uans,(,  540,  541. 
Hanac-Lichtenberg  (comte  L.  de),  511, 

512. 
Hannart   (J.),   ambassadeur,  331.    335. 

33G,  339-343. 
Hartlieb  (Hans),  459. 
Haslang  (U.  de,,  243. 
Hassenstein  (B.),  413,  418. 
Hacska  (m.),  399. 

Hausmann  (surintendant),  116,  566 
Hegius  (A  ),  2. 
Heinz  (chevalier).  199. 
Helfenstein   (  Loui.s    Helfreich,   comtt 

DE  ,  527-529,  532,  564,  568. 
Helfenstein    (comtesse   d';,    528.  529, 

568. 
Helferich,  199. 
Helt   g  ),  222. 
Hemmerlin  (Félix^,  455. 
Henneberg  (comte  G.  de),  483.  576,  578. 

596. 
Henri  IV  (empereur),  95,  123. 
Henri   VIII  d'Angleterre,  138-140,  165. 
231,  2.32,  281,  291,  323,   326-330.   332. 
341,  342,  353,  398. 
Henri  (duc  de  Brunswick),  560. 
Heni'.i  (duc  de  Mecklembourg  ,  212. 
Henri  (comte  de  Nassau),  154. 
Herberstein  (S.  de).  207. 
Herebold  (H.),  36. 


620 


TABLE    DES    PEI 


Hereboud  (von   der  Marlhen),   28,  31 

35,  36,  52. 
Hermann  (archevêque  de  Colo.ïne),  604. 
Herolt  (prédicant  ,  483.  4S7,  593. 
Herrer  (F.),  315. 
llERTLIN  (L.),  576. 
HiPLER  (W.),  524-526,  536.  538. 
HiRSCH.VUER  (O.),  243. 
HÖCHSTTETTER  (Ics),  436.  447. 

HOCHSTRATEN,  39,  42,  43,  45,  46,  49,  50, 

58,  59,  96. 
Hofmann  (la),  528,  529,  534,  535. 

HOHENEM.S  (M.    .S.    de),  581. 

KOHENLOHE     (IcS    COIlUeS    DE).    524.     525. 

527,  530,  597. 
HoBENSTEiN  (cointe  Emcst  de),  555. 
Holbein  (Hansi,  10,  450. 
HOLZHAUSEN  'H.  DE \  148,  253,  260.  261, 

27.-^-275,   277,  290,   335,  336,  338,  345. 
HoLzcHu«ER  (Jér.  ,  381. 

HOLZSCHLHEP.  (J.   ,   91. 

HoLzwAKT  (chroniqueurj,  576. 

Motz  (.J.-,  596. 

Hlbmaier     Balthasar),   410.   411,   493, 

494. 
HuGüEs(r,eorges  d'Unterasried),  369, 427. 
HcGO  févéque  de  Constance),  369. 

HüRLEMAGEN,  498. 

Hlss  (J),  85.  87,  88,  104,  111,  112,  155. 
157.  302,  412,413,  415.  420. 

Hütten  (F.  df).  53,  54,  58,  252. 

Hltten  (Hans  deI,  55. 

Hltten  (L.  de),  62. 

Hütten  (ül.  de),  7,  23,  26,  28,  38,  45, 
55-57,  61-64,  67,  93,  95.  97-100,  102- 
105,  108,  117,  118,  121-123,  125-128. 
133,  151,  163,  165.  169,  171,  )74,  177, 
198,  199,  219,  233,  243,  245-247,  249, 
264-269,  337,  386,  417. 


ICKELSHAMER  (V.),  400. 
IMHOF  (A.),  383. 
Isocr.ATE,  35. 

J 

Jacques  (saint',  167,  181,  210,  229. 

Jean  XIV  (pape),  123. 

Jean  (duc  de  Clèves;,  330. 

Jean  (duc  de  Saxe),  i54,  221,  392. 

Jean  (électeur  de  Saxe,  227,  398,  561, 

563,  566. 
Jean  (abbé  de  Saint-Biaise^.  454. 
Jean  (abbé  de  Saint-Georges),  594. 
Jean  de  Hall,  537. 
Jean  ab  Indagine,  219. 
Jérôme  (saint),  181,  184,  195. 
Jérôme  (abbé  d'Elchingen  ,  504. 


CITES. 

largrave  de  Brandebourg), 
"5,   183.  234,  261,  288,  340. 

ce  d'Anhalt),  228. 

22,28,  58,90,  91,  153,  168, 

8,  491,494. 
•i3. 
55,  65,  66. 


ii; VÉNAL,  23. 


Kaisersberg  (fi.  de),  2,  3,  4,  15,  73. 

Karsthans  (paysan),  198,  213. 

Kettenbach  (H.),  197,  202,  249,  254. 

Kirchmair  iG.\  271,  607. 

Klopfer  (J.),  507. 

Knebel  (chroniqueur  ,  505. 

Knobloch  (L.),  528. 

Knopf  de  Luibas,  465,  498,  505,  506. 

Knöringer,  599. 

KÖBEL  (J.),  117,  118. 

KOLLEBECK  [B.).  243. 

KÖNIGSTEIN  (W.),  539,  542,  583. 

KOPPE  (L.),  293. 

KORSANG  (M  ),  427. 

Kraft  (U.),  72. 

Klmpf  (E.),  549,  571,  579. 


Lachmann  (prédicant),  531. 

Lamparteu  (g.),  170. 

Lang  (J.),  317. 

Lang  (M.),  cardinal,  586. 

Lange  (J.),  69,  77,  81,  85,  107,  108,  168, 

215-217,  311,  558. 
Langennantel  (j.),  325. 
Latomls  (J.),  34,  ICI. 
Lal-ce(G.),  317. 
Laue  (J.),  458,  550. 
Laufen  (G.  de),  249. 
Leib  (K.),  188,  431. 
Leibnitz,  4. 
Léon  X   (pape),  6,  9,  32,  50,  56,  58,  63, 

65,  66,   73,    77,    78,    80,    9C,  115,    117, 

121,  141,    150,   152,  154,   155,    157-160, 

162,  263,  325-327. 
LÉONARD  (archevêque),  245. 
Lesch  (M.),  246. 
Lettsch   (A.),  490,  493. 
LiKBENSTEiN  (J.),  Archevéquc,  66. 
LiNCK  (V.),    82,   101,    234,   262,  298,  382, 

5S6. 
LiSTRius  (G.),  57. 
LORCH  (J.  IL  de\  249. 
LORENZ  (H.),  460. 
LoTZER  (S.),  498. 
Louis  (électeur  palatin),  249,  254,  255, 

340,  366,  536,  569,  597,  604. 


T/ 


SO?»  NAGES    CITES. 


621 


Louis   (duc    de   P.-  >^t7, 

361,  585. 
Louis  iduc  de  I) 

LÖWENSTEIN'  (C  Louis). 

527. 
LUCIEV,  10. 
LUDEI\   (P.'' 

LuPFEN  (r  i92. 

LuTHEii  (iians),  67,  o.,        ,  72. 

LuTHKR  (Martin),  l."?.  14,  20,  66-71,  73- 
93.  96-116,  118-122,  124,  126,  130-133, 
150,  15(,  153-161.  163-180,  182-189, 
192,  195,  197.  199,  202-216,  219,  220, 
223,  226,  228-233,  236-2 iO,  246,  248, 
256,  257,  259,  262.  263,  265,  267,  280- 
282,  285-289,  291-.308,  310,  311,  317, 
334,  338,  352,  353,  356,  357,  3G6,  370- 
372,  379,  382,  386-391  ,  396-399,  400- 
408,  410-413,  433,  438.  4.39.  441,  443. 
446,  462,  4SI,  482,  484-486,  491,  512- 
517,  518,  541,  550,  555,  5(3-566,  567, 
568,  578,  580,  587,  592,  600-603,  607, 
609. 

Mansfeld  (comte  Alijert  de),  518,  559. 
Mansfeld  (comte  Ernest  de),  559,  560. 
Mantel  (prédicant),  460. 
Manli  L  DE  Portugal  (don),  138. 
Marcile  FiciN',  28. 
MARGOLITa  (J.),  38. 

Marguerite  (gouvernante  des  Pays-Bas), 

529. 
Mark  (Robert  DE  lvi,  duc  de  Bouillon, 

178,  .324. 
Marschalk  (N.),  27. 
Massmunster  (A.  de\  422. 
Materne  Pistoris,  27. 
Matiiesius,  68,  75,  185. 
Matthenhans.  604. 
Maximilien  I"  (empereur).   42,  43,   49, 

50,  80,  100,  142,  14i-146,  200,271,  327, 

347,  430,  528. 
Mechler  (prédicant),  233,  567. 
Mehemet  (l)ey),  271. 
Meisterlin  (S.),  417,  452. 
MÉlanchthon  (Pli.),  14,53,  74,  87,  89,  93, 

95-97,  99,  168,  178-180,  182,  186,  187, 

189,   195,   220-222.   224,  230,   246,  258, 

265,  267.  296,  297,  311,  313,  316,  370, 

371,  380,  440.  513,  518,  531,  565,  609, 

610,  612. 
Melander  (D),  583. 
Menge  (A.),  460,  556. 
Menius  (J  ),  58. 

Menzingen  (E.  de),  520,  528,  579,  580. 
Mercurius  (chancelier),  170. 
Metzler  (G.),  460,  524-526,  531-533,  537, 

539,  542,  546,  572, 


Meyeu  (curé),  îi,  216,  217. 

Mii,ri/.(f;.  DE),  82,  H5. 

MiNCKWiTZ  (N.  de).  252,  337. 

Moïse,  29,  .38,  41,  .368. 

Montaigne,  21. 

Montmorency,  330. 

Morus  (  Ihonias),  7.  205. 

Ml  FFEL  (lacquest,  381. 

Muiir.BACii  (abijé  de),  598. 

MuLLER  (Gaspard),  chancelier,  566. 

MuLLER   (H.   de   Bulgenijach),   490,  491, 

497,  500. 
Mlller  (Flux),  531,  534. 
MuLLER  (Henri),  605. 
MuLLNER  (chroniqueur!,  385. 
Munster  (S.),  chroniqueur,  605. 
"Ml  NZER(Thom:is),  172,  233,  389-397,  400. 

406,  407,  458,  481,  494,  515,  510,  549- 

5;)3,  555,  559-504. 

Mu  RM  EL  LI  US  (.1- :,    45. 

MuRNER  (Thomas),  128,  130-134,  200,  412, 

437,  438. 
Musa  (A.),  185. 
MuTiAN  (C),  22,  24,  25,  27-32,  3Î-36,  51- 

59.  89,  90.  179,  542,552,  555. 
Myconius,  183. 

IV 

Nathin  (Matthieu),  71. 
NeseN  (G.).  22. 
Neuenar  (A.),  59. 
Nogaret  (W.),  329. 

NONNENMACHER  (M.),   528,  558. 

NORMWN  (M.  de),  605. 

NossEN   humaniste),  312. 

Nutzel  (Gaspard),  conseiller,   355,  370, 

378,  382,  385. 
Nutzel  (Clara),  379. 

O 

OEcolampade,  87,  .399.  463. 
OElhafen  (S.),  conseiller,  170. 
o  RI  gène,  195. 
OsiANDER  (A.),  370.  379. 
Otton  m  (empereur),  123. 
Ovide,  53,  -15 


Pace  (R.),  ambassadeur,  138. 

Paul  (saint),  7,  15,  16,  75,  8î,  87,  91. 
loi,  104,  112,  115,  143,  164,  167,  172, 
18.,  194,  199,  203,  208,  2î0,  211,  222, 
233,  308,  375,  495,  515,  532,  6(i9,  612. 

Pellicanus  (C),  14. 

Penz  (G.),  405 

Petrejus  {['.  Eberbach),  24, 28,  30,  31,51. 

Peutinger  (C),  143,  170,  172. 


■622 


TABLE    DES    PERSONNAGES    CITÉS, 


Pfefferkorn  (.1.),  40-44,  47,  49,  59,  Ort. 

63,  64. 
Pfeiffer  (11),  395,  549,  550,  563. 
Pfinzing  iS.),  383. 
Philippe  le  Bel  (archiduc),  9. 
Philippe  le  Bel  (roi  de  France  ,  329. 
Philippe  (land{;rave  de  Hesse),  247,  249, 

250,  268,  337,  366,    4b7,   5Ü0-563,    569, 

576. 
Philippe  de  B.vde,  430,  536,  604. 
Philippe  (eiecleiir  palatin),  281. 
Philomlsls  (J.  Locher),  23,  26,  53. 

Pic  DE    L.V  >llR.4\D0LE,  4,  37,  39. 

Pierre  (saint),  13,  15,  112,  115,  167,  185, 

203    208,210,  211,  238,  289,  407. 
Pierre  Martyr,  219,  515,  609. 
Pirkheimer  ((.harité),  abbesse,  371,  373- 

376,  378-382,  384,  386. 
PiRKHEiMER  (Clara),  378. 
PiRKHEiMER  (VViübald),  87,  92,  174,  177, 

188,  312,  316,  370,  371,  38Ü,  381,  400, 

450. 
PiSTORis  (M.),  27,  215. 
PL.01TZ  (H.  DE  la),   280.  282,    288,  291, 

292. 
Plater  vThomas),  595. 
'Platon,  7,  13,  307,  313. 
Plai;te,68,  69. 
Plème  (Gérard  de),  342. 
POLITIEN,  28. 
Pollich  (J.),  86. 
POLLlCfl  (M.),  75. 
POMERANLS  prédicant),  600. 

POMPO.NATIUS  (p.),  91. 

PouPET  DE  LA  Chaux,  326. 
PriÉrias  [S.),  101,  102,  107. 

l'YTHACORE,  7,  38. 


R 


Ratzenberger,  70. 

Reiffenstein  (E.  de),  246. 

Reigiier  (E.),  243. 

Reinhard  (M.),  399. 

REiscu(Reusch  (;.),  2,  43. 

Reuchlin  (j.),  19,  36-53,  56-62,  69,  88,  89, 

96,  97. 
Relter  (Ilans),  572. 
Richard  de  Greiffenclap  (archevêque), 

172,  247-250.  252,   253,   341,  495,  501, 

509,  542,  544,  bb9,  582.  004. 
RiEGGERT  (Gaspard),  abbé,  598. 
RiETHEiM  (C.  de),  595. 

RÔDER    DE    Ü1EUSB0URG,   496. 

Roheisen  (Georges),  428. 

ROHRBACH  (Jacques),  460,  526,  527,  530, 

531-533,  535,  568. 
ROHRBECK,  243. 
ROSENBERG  (H.  de),  245,  249. 


ROSENBERG  (M.  de),  245. 

RosiNLS  (chapelain),  50. 

ROTENHAN  (C.  de),  577. 
ROTENUAN  (S.),   549. 

Rlhel  (J.),  518,  565. 
Ryn  (B.  de),  588. 
Rynmann  (éditeur),  316 


Sachs  (Hans),  370. 

Sadolet  (Cardinal),  78. 

Salamanoue  (conseiller),  341 

Salb  (Nicolas),  460. 

Saldner  (C),  24. 

Salm  (comte  Nicolas  de),  589,  590. 

Saunsheim  (m.  de),  573. 

Schalbe  (C),  22,  69. 

Schappeler  (Christophe),  197,  498,  499 

ScHAR  (chef  de  paysans),  607. 

SCHARTLIN    DE  BURTENBACH,   573. 
SCHAUMBURG  (S.  DE),  99,    102. 

SCHEIT  (C),  557,  583. 

SCHEL'RL  (Christophe),  77,  84,  85,  87,  91. 

159,214. 
Schilling  (S.),  500. 
SciiipPEL  (chef  de  paysans),  607. 
Schmidt  (H),  le  Renard,  520,  521. 
Schmidt  iP.),  596. 
Schnabel  (chef  de  paysans),  607. 
ScpoTT  (imprimeur),  9. 
Schurpf  (IL),  170. 
Schvvanhauser  (j),  521. 
Schwarz  (P.),  69. 
Schwarzburg  (comte  Günther  de),  555.  ' 

SCHWARZENBERG   (.1.    DE),  287. 
SCHWARZENBERG  (Ch.  DE),  173. 
SCHWEBEL  (.1.),  366. 
SCWEIKART  (N.'l,    197. 

SÉBASTIEN  (é\éque  de  Brixeni,  508. 

SicKiNGEN  (Franz  de),  95-100,  102,  117, 
121,  124,  126-128,   166,    172,   177,   178, 
198,    233,   241,  243,    245-257,  259-264,        * 
268,  269,  273,  287,  337,  386,  417,  .530. 

SiCKiNGEN  (SchM'icker  de),  262,  362,  497. 

SiGiSMOND  icmpereur),  143. 

Simon  de  Weiersheim,  458. 

Sixte  IV  (pape),  361. 

SOCRATE,  19,  28,  57. 

SODERiM  (cardinal),  329. 

Soliman  (ailtan),  271,  326,  327. 

SOLON,  5,  7,  35. 

Spalatin  ((;.  Burkhard),  8,  28,  53,  81, 
83-88,  98,  99,  101.  102,  108,  115.  117, 
118,  121,  153,  168,  174,  207.208,  224, 
229,   239,  248,  253,263,  281,  565,  610. 

Spath  (D.),  572. 

Spath  (L.),  249. 

Spengler  (L),  91,  92,  369. 


TAULt    Dt  S    l'fc:KSONNA(;ES    (  IT  K  S  . 


G.Z 


Spenlein  '*'■!,  76. 

Stadion  (Christophe  df.j,  évéque,   359. 

Stalpitz  (I.  dk),  75,  81,  87,  239,  371. 

Stein  (E.),  56. 

Stiin  (ll.i,  2. 

Stiefel  iM.),  119. 

Stockheim  (G.  de),  246. 

Stolle  (chroniqueur  ,  i'2-'.. 

Storch  (N.),  223- 

Stralss  (prédit-an II,  559. 

Stromer   ll.i,  59,  220. 

SiLMPF  (M.),  545. 

Sl'ffolk  (duc  de),  330. 

SuLz  (comte  R.  de,  491. 

Sylvestre  (pape,  63. 


Tanner  (.1  ),  243. 

Taschenmacher  (L),  532. 

Taltenberc.  (E.  de),  2i4. 

Teigfüss  (.t.),  556. 

Tempor,  340. 

Tetzel  '¥.),  381.  382,  385. 

Tetzel  (Jean),  77,  79,  80. 

Tetzel  (nnargr),  382-385. 

ThÉodote,  30. 

Thomas  dAqlin  (saint).  3. 

Ihlnfeld  (C),  chevalier,  124. 
Thungen  (E.  de),  573. 
Thongen  (C.  de),  évéque,  519. 
Tiloninls,  32. 

TiTE-LiVE,  17,  18,  68. 

Tongres  ^A.  de),  45-47,  43,  51.  59. 

lONSTALL  (ambassadeur),  165. 

TrithÈme  (.1.).  2,  422. 

Tröster  (J.),  26. 

Trlchsess  .GeoPiies  de),  chanoine.  50 

Irutfetter  (J.),  27,  84. 


ÜHL  de  Pegnit/.,  461. 

Ul  ^Hans  d'Oberdorf),  498. 

iLRiCH  n'ALPiRSBAcn  (abl)é  ,  594. 

l  LRicH  (duc  de   Wurteinberfî),   55,  95, 

2G0,  269,  .330,  4.30,   431,  494-497.    500, 

501,  520,  536,  571,  603. 
Urbanls  (U.  ,  30,  32. 
Uriel  deMayence,  42,  44.  163. 
USINGEN  (.\rnoldi),  27.  217.  218.  412.  557 


Valdez  (.\.),  219. 
Valla  (L.),  9,  63. 


VehiS  (H.),  172. 
Venceslas  (roi),  117. 
Venninger  (docteur),  337,  338. 
Virgile,  19,  68,  69. 
Voltaire,  10. 
V<»LTz  iGeoryes),  458. 

Waldbirg  (Oeorfîcs  i.i  ).  >pnpchal.  49S. 

501,  505-507,  56«,  572,  577,  581. 
WaLDENuls  iH.   de),  594,  595. 
WaldneR   11.^1  532, 
WalSa  (H.  de),  245. 
VVavbeL  (M.),  197. 
Wehe  (H).  502,  505. 
VVeigand  di;  Kedwitz  (évéque  ,  522. 
WfRDENnEiiG  (comte  F.  de  ,  581. 
Werdenstein  (chevalier  G  j,  463. 
Wertheim    i,les    comtes    de  s    250,    521, 

545,  556. 
Wessobrlnn  ((;.  de",  86. 
Westerbolrg  (D'  (;.j,  .398.  539,  579 

WE  Y  ERMANN  iCh.),  531. 

Weygand  (F.),  473,  474. 

Weygand  de  Redvitz  (évêquet,  529. 

WiCK  (doct.),  105. 

Wicleff,  111,  311,  413,  416. 

WlDMvNN  (E),  317. 

WlDMANN  (L.),   483. 

WiED  (H.  de),  archevêque,  163. 

WiGAND   M.),  395,  461,  556. 

WiLD  iN.),  540. 

WiMPHELiNG  (.].;,  2,  3,  4,  23,  51,  163.  437. 

455. 
WiMPiNA  iJ.),  79,  574. 
Wirsperger,  405. 
Wirt  (.!.',  529,  568. 
Wirt(C.),  461. 
Wolgemlth  (M.),  .522. 
Wolsey  icardinal',  328. 
WcRM  (F.),  536,  537. 


Zasils  (H.',  21,   22,    180,   181,   189,   31  î, 

399.  512. 
Zimmern  (I.  et  G.  Werner  dei,  595 
ZiSKA.    127,    128,    199,    246,    254,    2(.3, 

417. 

ZOBEL,   219. 

ZoLLERNdes  comtes  de  ,  249.  262. 
Zwilling  (Didymei.  221,  226,  228. 
ZwiNGLE  iH.),  14,  220,  264,  268,  .379,  3'.i9, 
408.  463. 


s 


TABLE   GÉOGRAPHIQUE 


Adolzfurt.  572 

Afrique,  110,  139. 

Aisch  (contrée  de  1),  581. 

Aii-la-Chapelle,  130,  142. 

.Mexandrie,  328. 

AlfiBU,  459,  461,  465,  497-499,  503,  506. 

507,  581. 
Allendorf  couvent),  553. 
.\lpirsbach  (couvent),  594. 
Alsace,  255,  423.  427,  430,  4.56,  458,  505, 

509,511,  542,  569.  604. 
Alstedl,  389,  394.  397,  407,  555. 
Aitenbourg,  234. 

Amorbach  fabbayc  d'j,  538,  539,  546. 
Andiau.  427. 
Angleterre.  6,  8,  11,  21,  117,  138.  161, 

277,  279,  328,  33J,  348. 
Anhausen  (couvent),  504,  505. 
Annenrode  (couvent),  553. 
Anspach-Baireuth,  575,  577. 
Anvers,  175. 
Appenzell,  {13. 
Aschaffeubourj;,  163,  544. 
Aschersleben,  393. 
Asie  Mineure,  110,  137,  328. 
Auîîsbourj;  (ville  et  evèché).  24,  82,  85, 

92,   144,    197,   247,  316,  325,  3,30,  334. 

345.  347.  359,  409,  427,  436,  502. 
.\u&see,  590. 
Autriche,   138,   145,  191,  211,  271,   487. 

488,  495,  507,  526,  527,  535,  589. 


Bade   (margraviat   de.   432,    537,   569, 

604. 
Bâle  (ville,  évêché  et  Université),  198. 

264,  268,  314,  3l6,  463,  494,  496,  497, 

569,  595,  596. 
Ballenberg,  538. 
Baltringen,  499,  503,  506. 
Bam))erg  (ville  et  évéché),  98,  437,  459, 

461,  493,  519,  522,  578,588. 
Barcelone,  141. 
Bavière,    191,   211.   256,   257,  259,   271, 

II. 


.354,  356.  .359,  .361,  .362,   423,  427,  45<J, 

488,  497,  500,  501,  587,  589. 
Bayreuth,  244,  461. 
Beigrade.  271,  326. 
Bergheim,  542. 
Berne,  51,  430. 
Beuren  (couventi,  553. 
Biberach,  464,  505. 
Bicoque  (la),  326. 
Bieringen,  572. 

Biaise  (.Saint-i,  453,  454,  491,  504. 
Blies-Caslel.  552. 
Böblingen,  508. 
Böckingen,  460,  526.  528. 
Bohême,  17,  83-85,   112.   227,  255,  263, 

277,  279,  302,  315,  368,  889,  412,  413, 

415-422,  433,  467,  497,  505,  605. 
Bolkstedt,  550. 
Bologne,  56,  87,  283. 
Bonnerode,  553. 
Boppard, 543. 
Botzen,  460. 

Bourgogne,  6,  145,  152.  325,  330. 
Brandebourg  (évéché  et  marquisat  de), 

86,  211,  220. 
Branneggen, 432. 
Bretheim.  516. 

Brisgau,  255,  428-430,  466,  511,  604. 
Brixen  (ville  et  évêché),  163,  465,  508. 

509,  584,  585. 
Bronnbach  (abbaye),  545. 
Bruchsal,  428,  537,  5G9. 
Bruhrain  (le),  537,  569. 
Brunswick,  456. 
Bruxelles,  8,  100. 
Bulgenbach,  490. 
Burgau,  502. 

C 

Calcutta,  443. 
Candie,  327,  328. 
Capellendorf  (couvent),  553. 
Carinthie,  422,  432,  456,  507. 
Carniole,  432,  456. 
Gasten  (château),  576. 
Castille,  139,  324. 


40 


626 


TABLE    GÉOGRAPHIQUE. 


Chypre,  328. 

Clausen,  586. 

Coblentz,  49,  542. 

Cobourg, 183. 

Cologne  (ville,  archevêché,  Université), 
25,  33,  39,  41-45,  47-53,  58-61,  64,  96, 
101,  119,  139,  142,  146,  152,  154,  191, 
197,  252,  253,  315,  459,  538,  540,  582. 

Constance  (ville  et  concile),  80,  87,  157, 
176,  368,  369,  412,  456,  464,  499,  502, 
506,  507. 

Constantinople,  218,  328. 

Croatie,  277. 

Cronspitz  (couvent),  554. 

Ciilmbach,  595. 

D 

Darmstadt,  250. 
Denkingen,  500. 
Deux-Ponts,  366. 
Donawerth,  483,  598. 
Dresde,  77. 
Durlach,  537. 


Ebernbourg  (château),  117,  165,  166, 
169,  170,  172,  262. 

Ecosse,  528. 

Eglofs,  507. 

Eichsfeid,  553,  556. 

Eichstadt,  83,  87. 

Eilenbourg,  227,  228. 

Eisenacb,  27,  68,  75,  459,  554,  563. 

Eisenerz,  590. 

Eisleben,  07,  393. 

Elchingen  (couvent),  504. 

Ensisheim,  598. 

Erfurt  (ville  et  Université),  25,  27,  28, 
32,  35,  36,  42,  49,  52,  68-71,  73,  75,  85, 
90,  91,  114,  166,  167,  168,  214,  215,  217, 
221,  222,  229,268,  312,313,  367,  453, 

Esclavonie,  271,  557-559,  563. 

Espagne,  6,  134,  138,  241,  283,  324,  326, 
333. 

Esslingen,  119,  345,  355,372,  487,  551. 

Esthonie,  502. 

Etats  de  IKglise,  326,  327. 

Etsch  (r),  507. 


Feldkirch,  223,  604. 

Flandre,  8,  152. 

Flein,  530. 

Forchheiiu  (Franconie),  453. 

Forêt  Noire,  260,  428,  429,  432,  456,  465- 

467,  491,  493,  496,  497,  504,  511,  535, 

536,  552. 


Framersbach,  579. 

France,  6,  8,  11,  150,  161,  277,  323,  329, 

330,  .332,  343,  348. 
Francfort-sur-le-Mein,  44,  63,  146,  173, 

246,  247,  252,  272,  325,  3,36,  342.  372, 

430,  539,  540,  543,  544,  581-583. 
Francfort-sur-l'Oder,  79. 
Franconie.   5i,   102,  125,  126,  250,  261, 

269,  421,  453,   456,  459,  467,  474,  482, 

488,  493,   516,  537,  546,  548,  557,  569, 

571,  572,  575,  607. 
Frankenhausen,  393,  554,  559-562,  568. 
Frauenberg  (château   fort),    549,  574, 

576. 
Frauenbreitungen  (couvent),  554. 
Frauenfeld,  491. 

Frauen-Priessnilz  (couvent),  554. 
Frauensee  (couvent),  554. 
Freiberg,  296. 
Freising,  359. 
Fribourg  en  Brisgau,  22,  43,  314,  411, 

429,  466,  491,  996,  500,  511,  596. 
Friedberg,  174. 
Frioul,  271. 

Fulda  (abbaye),  54,  437,  552,  560. 
Fürfeld,  569. 
Fürstenberg,  256. 
Füssen,  463. 


ii 


Gaildorf,  335,  336. 
Call  (Saint-),  407.  409. 
Geislingen,  487. 
Gelnhausen,  252. 
Gênes,  325-327. 

Geürjies  (Saint-),  couvent,  594. 
Georgenlhal  ^couvent),  30,  554. 
Georgenzeil  (couventi,  554. 
Gerbstadt  (couvent),  554. 
Gerode  (couvent),  554. 
Geisdorf,  243. 
Gesess,  461. 
Gmünd,  535,  536. 
Göllingen  (couvent),  554. 
Gotha,  28,  30,  32,  168. 
Gouda,  6. 
Griessen,  494. 
Gröbniing,  589,590. 
Grünau  (chartreuse),  5i5. 
Guebwiller,  597. 
Gundelsheim,  526,  537,  538. 
Günzbourg,  191,  197. 

H 


Iladersleben,  554. 
Haguenau,  432. 
Halberstadt,  56,  220. 


TABI.i;    GÉOGRAPHIQUi:. 


f)2r 


Hall,  153.  «87,  535,  572,  574. 

Hall(Tyr()l|,  586. 

Halle,  85,  393. 

Haslanjjkreut,  243. 

Hauenstein  (seigneurie  de),  410. 

Hefïau,  260,  491,  494-197,  53G,  552,  .581, 

604. 
Ileidelberff,  42,  45,  84,  314,  359,  546,  569. 
Ileinilinfïsfeld,  571,  579. 
Ileilbronn,    431,  470,  526,  529-535,  .537, 

570,  571. 
Heill)ronn  (couvent),  431. 
Heiligenstadt,  58,  554. 
Heilersheim,  596. 
Ilelfta,  554. 

Herrenbreitungen,  554. 
Hersfeld  (al)baye),  560. 
Hesse,  96,  250,  254,    262,  366,  423,   456, 

562. 
Ilettstadt,  554. 
llilsbach,  569. 
Hilsingen,  496,  581. 
Hof  (Ga^tein),  586. 
Hoff,  317. 
Hoheneck,  575. 

Hohenlohe  (comté  de),  524,  526,  527. 
Hohenstaufen  (château),  535. 
Holienlwiel,  263,  311,  495,  496,  501,  536. 
HoIzkircliPii,  545. 
Ilolzzell,  554. 
Hombourg,  554. 
Hongrie,  271,  276,  -79,  326. 
Hornberg  (château),  526. 
Horneck  (château',  535,  339. 
Hungerberg  (la),  427. 


laxt  (contrée  du),  535. 

Ichtershausen,  554. 

lerhabourg,  554. 

léna,  398,  554. 

Indes,  443. 

Ingolstadt,  315,  356. 

Ingolstadt,  près  Wurzbourg,  572. 

Inn  (vallée  de  l'\  509,  586,  588. 

Insprück,  290,  411,  507,  584,  586. 

Iphofen,  480. 

Isenheim,  542. 

Isny.  505. 

Italie.  2,  6,  8,  11,  26-28,  54,  56,  61,  63, 

73,  120,   138,   150,  324,  325,  329,   330- 

332,  497,  505. 
Ittingen  (Chartreuse),  191. 


.lérusalem,  78,  234. 


Kaiserslautern,  255. 

Kaltenborn,  554. 

Kamlach  (vallée  de),  503. 

Kaufljeuern,  463,  505. 

Kelbra,  554. 

Kemberg  (couvent),  223,  580. 

Kempten,   197,  427,  463,  465,   503,  50.^ 

507. 
Kirchzarten,  466. 
KitzbOhel,  588. 
Kitzingen,  575-577. 
Klettgau,  491,  494,  496,  497,  552,  581. 
Kobenzell,  522. 
Kocher  (rives  du),  535. 
Komotau,  418. 
Ronigshofen,  572,  576,  579. 
Königsberg,  554. 
Königsberg  (Prusse),  596. 
Kresbach,  532. 
Kreuzbourg,  554. 
Krobsberg,  588. 


I.aibach,  272. 

Landstuhl  (rhâteau\  262-264. 

Langensalza,  395,  461,  554-556,  563. 

Lankwart,  243. 

Lausanne,  51. 

Laut.  596. 

Lech  (le),  456. 

Lehen,  près  Fribourg,  430. 

Leipheim,  502,  506. 

Leipzig,  83,   85-87,    114,   180,  302,   314, 
400. 

Leoben,  590. 
Leutkirch,  505. 

Lichîenstern  (abbaye),  527,  531. 
Limpurg  (seigneurie),  535. 
Lindau,  96,  248,  287. 
Lisbonne,  441. 
Livonie,  319,  502. 
Lombardie,  325,  329. 
Lorch  icouvent),  535, 
Lorraine,  146,  327,  511. 
Louvain,  34,  49,  204,  283. 
Löwenstein  (comté  dej,  527. 
Lucerne,  430. 
Lucques,  398. 
Ltitzelstein  (donjon).  265. 
Lyon,  331,  335. 


M 


Magdebourg,  68,  85,  219. 
Mansfeld  (Comté  de),  67,  393,  552,  553, 
566. 


628 


TABLE    GÉOGRAPHIQUE. 


Marbüurg,  268. 

Markgröninijen,  4.31. 

Marla-Eiibacb,  519. 

.Matrey,  588. 

Maurusmünster  (abbaye),  510,  598. 

Mayence,  39,  42-44,  49,  56,  57,  61,  65, 
94,  97,  99,  120,  2(8,  219,  251,  4.3.3,  519, 
525,  530,  538,  540,  542,  543,  5i6,  öis' 
581,  583. 

Meiningen,  68. 

Meissen,  292. 

Memmingen,  76,  197,  499,  505. 

Méran,  584,  586. 

Mergentheim,  526,  572. 

.Mersebourg,  86,  87. 

Metz,  i!6.  146,  253. 

Milan.  Milanais,  325,  326,  328,  330,  331. 

Miltenberg,  473,  474,  545. 

Mindel  (vallée  de),  503. 

Misnie,  257,  296,  423,  493. 

Mühra,  67. 

Moldavie,  271. 

Molino  del  Rey,  137. 

Mömpelgard,  331,  496. 

Mönclipfit'fel,  554. 

Mont  fort  (comté  de),  498. 

Mühland  (plaine  de),  508. 

Mühidorf,  587,  588. 

Mülhausen,  395,  494,  549-552,  .^56,  562 

563. 
Mulhouse.  71,  268. 
Münchenlohra,  554. 
Munich,  585,  587. 
Münster,  459,  582. 
Murbach  (abbaye),  598. 


]\' 


Nägelstädt,  556. 

Napies,  106,  138,  324.  326. 

Navarre,  324. 

Neckar  (vallée  du),  460,  524,  526,  535, 
5iC. 

Neckarsulm,  527,  535,  569,  572,  596. 

Neuenstein,  526. 

Neuhaus  (château),  526. 

Neustadt  sur  l'Aisch,  575. 

Neustift  (abbaye),  508,  586. 

Niklashausen,  422-424. 

Nikiausried,  554. 

Nimptsch,  29  i. 

Nordhausen,  389,  554. 

Nördlingen,  504. 

Numy,  586. 

Nuremberg  (ville  et  diètes),  77,  82,  91, 
145,  146,  170,  197,  241,  244,  249,  253, 
259-261,  271,  272,  275,  278,  280,  282, 
286.  291,  316,  317,  332-.335.  338,  341, 
345,  347,   348,   354,  .3.55,  369-374,  381, 


382,  385,  .386,  400,   405,  407,  410,  436, 
452,  453,  481,  482,  496,  571,  575,'  576! 

578. 


« 


Oberehenheim,  511. 

Oherschipf,  519. 

Ochsenhausen.  427. 

Odenwald,  460,  519,  524,  526,  543,  545. 

572. 
OEhringen,  460,  .524,  525. 
oldisleben,  55i. 
Onolzbnch,  576,  577. 
Oppenheim,  117,  166. 
Orlamünde,  395,  396,  398,  399. 
Ortenau,  60i. 

Ottenbeuern  (couvent),  327. 
Oxford,  117. 


Padoue,  59i). 

Palatinat,   163,  247,   254,  262,  359,  368, 

456,  519,  ,537,  581. 
Paris,  49,    101,   117,  150,    197,  204,  324. 

329,  330,  420. 
Parme,  326. 
Passau,  361,  588. 
Paulinzelie,  554. 
Pavie,  501. 

Pays-Bas,  6,  334,  390. 
Peters!)erg,  .554. 
Pfeddersheim,  581. 
Pinzgau,  586. 
Plaisance,  326. 
Pologne,  6,  279. 
Poméranie,  366. 
Prague,  85,  117,  255,  413. 
Prusse,  366. 


Ouerfurt,  393. 


a 


R 


Radstadtt,  590. 

liappoltswiller,  458. 

Ratisbonne,  38,  163,  355,  359,  483,  587. 

Ravens!)Ourg,  506. 

Reggio,  326. 

Reichenhall,  586. 

Reifenl)erg,  554. 

Reinhardsbrunn  (couvent),  168,  554. 

Rheingau  (le),  3.  250,  423,  4.30,  4.56,  488, 


493, 


il. 


Rhodes  (île  de),  277,  326 -.328. 
Ries  ile),  502,  504,  520,  581. 
Riga,  319. 
Roda,  554. 


TABLE    CKOGRAPIIIQCE. 


620 


no(h-nci',f'„  508. 

Rnlirhach  {couvent^,  213,  :>'>i. 

lîome,  50,  50.  Gi,  65.  73.  71,  7«  83.  88, 
90,  91,  96.  08,  inn,  101,  105,  106,  108, 
117,  118.  120.  121,  12:î,  125.  126,  118, 
151,157,  I.',«,  162,  1.55,  177,  178,  185, 
218,  277,  278,  283,  291,  29G,  297,  324. 
326,  328,  .329,  331.  3Î7.  3i9,  .356,  400. 
402. 

Rosileben,  554. 

KosKtck,  3H. 

Röteln.  601. 

Rolhenbourj;  isiir  la  Tauber),  67,  400, 
402,  459,  516,  521,  547-549,  578,  597. 

Roth  (couvent  ,  498,  579.  580. 

Rothweil.  .>3t;,  591. 

Rotterdam,  6. 


.Siialfeld,  55Î. 

Saarbouijj.  5 {2. 

Sachsenhiiusen,  583. 

.Salza,  550,  5.05.  556. 

Sal7.bour{;,  456,  586-589,  590. 

.Sangerhaiisen,  393. 

Saverne,  510,  569. 

Savoie,  327. 

Saxe,  86.  93,  120,  197,  211,  245,  246,  366. 

389,  394,  399,    401,   408.   42t,  423,  4.56. 

493,  521,  554,  579,  594.  595. 
Schaffhouse,  492,  .536. 
Srhauinboiir{;  (sei{;neiirie),  250. 
.Schelestadt.  92,  427,  511. 
Schenrljerf;,  535. 
.Schillinfîsfiirst.  597. 
.Schladming.  589,  590. 
Schlaiiders,  586. 
Schnialkalden,  554. 
Schnals,  586. 

.Schonthal  icouvent),  525. 
Schorndorf.  431,  526. 
Schüssen  (vallée  de),  199. 
Schwabach,  525. 
Schwabisch-IIall,  î87. 
Schwäbisch-Gmünd,  372. 
Schwanenberjj,  480. 
Schwarzbourg  (comté),  554. 
Schwaz,  588. 

Schweinfurt,  453,  570,  571,  577. 
Segrena,  580. 
Sicile,  324,  .326,  329. 
Siegen,  5{0. 
Silésie,  421. 
Siminerhausen,  25  4. 
Sion,  51. 

Sittichenbach.  554. 
Soleure,  430.  497 
Sontheim,  465. 


i  Souabe,  191.  255.  372,  423,  424,  429,  467. 
I       168,  488.  490,  493.  499,  501,  502.  5üG. 
]      511,  513,  530.  556,  568,  586. 
Spessart,  54î,  579. 
Spire  (ville  et  évéché).  50,  53,  96,  146. 

273,  331,  338.   342,  354,  3.55,  367.  368. 

128,  .537,  582. 
.'^teckeüjeif;  fchâteau),  54.95.  97. 
stein  ('couvent),  6. 
Steinheini,  511. 
Sterzing,  509,  586. 
Stellen,  579. 
Stockholm,  61. 
siolberg  (comté  de),  553. 
Strasbourg,  02.  169,  198,  245.  247-249, 

252,  262,  334,  359,  458,  496,   509,  510. 

604. 
Stühlingen,  190,  491,  492-495.  500. 
Stuttgard.  40.  431,  535.  536. 
Styrie,  456,  507,  509,  589. 
Suéde,  61. 
Suisse,  148,  149,  191,  197,  262,  325,  368. 

408,  428,  430,  456,  463,  467,  490,  496, 

551,  604. 
Sulz,  536. 
Sulzfeld,  596. 
Sundgau.  255,  542. 
Syrie,  28. 


Tonn, 243. 

Tauber  contrée  de  las  521. 

Tautenberg,  244. 

Teistungenbourg,  554. 

Thungen.  570. 

Thünger>heim,  579. 

Thurgovie,  491. 

Tiiuringe,  408,  456,  494,  516,  549,  554. 

555. 
Thurnthenning,  243. 
Trêves,  39,    40,    59,   127.   249,  250.  252- 

254,  262,  386,  533,  542,   543,  569,  581. 
Trieste,  478,  586. 
Trostadt,  554. 
Tubingue,  31,  431  . 
Turquie,  5,  91,    12  i,   137,   139,  271-273. 

323.  .356,  529,  590. 
Tyrol,  4i0,  432,  4.56,  458,  463,  488,  490. 

507,  509,  584,  585,  589. 


Ufnau  (ile  d'),  268.  372. 

lim,   146,   192,    197,  3o0,  338,  421,   491. 

499,  501,  502,  505.  528. 
L'nterasried.  427. 
Untershipf,  519. 
Utrecht,  283. 


630 


TABLE    GEOGRAPHIQUE. 


Valachie,  271. 

Valladolid,  333,  335,  336. 

Veilsdorf,  554. 

Venise,  277,  325,  327,  483,  590. 

Vienne,  24,  191,  315,  316,  589,  590. 

Ville,  427. 

Villingen,  465,  492,  500. 

Volkenrode,  554. 

Vosges  (les),  432. 

IV 

Walbeck,  554. 

Waldbourg  (comté  de),  498. 

Waldenbourg,  526. 

Waldshut,  411,  453,  468,  491,  493,  581. 

Waltersdorf,  296. 

Walzigau,  586. 

Wartbourg  (lai,   174-177,  182,  183,  214, 

229,  554. 
Wassungen,  554. 
Weingarten  (couvent),  506. 
Weinsberg,  516,  524,  527,  529,  530,  531. 

534,  569,  572. 
Weissenborn,  554. 
Weissenhorn,  465. 
Weissensee,  556. 
Wendel  (.Saint-),  250. 
Wertheim,  545. 
Wesel,  543. 
Westphalie,  459. 
Wétéravie,  423. 
Wiederstadt,  554 


Wimmelbourg,  554. 

Wimpfen,  534. 

Wissembourg,  432,  510. 

Wittem!)erg  (ville  et  Université),  68, 
75,  77,  79,  81,  85,  89,  93,  1  U,  119,  120, 
122,141,  166,  180,  183,  206,  207,214, 
220-224,  227,  229-232,  246,  281,  282, 
295,  296,  303,  313,  314,  356,  367,  389, 
395-397,  399,  400,  405,  406,  408,  428, 
430. 

Worbis,  554. 

Worms  (ville,  diète  et  édit),  96,  97, 
135,  137,  142,  146,  154,  156,  157,  159, 
160,  162.  163,  164,  166,  168,  169,  171, 
172,  174-177,  179.  180,  190,  215,  231, 
232,  247,  248,  273,  275,  277,  285,  327, 
336,  340,  344,  360,  421,  436,  582. 

Wurtemberg  (duché),  49,  260,  330,  356, 

459,  460,  488,  495,  500,  502,  526,  527, 
535,  536,  568,  569,  595,  607. 

Wurzach,  506. 

Wurzbourg  (ville  et  évéché),  218,  [459, 

460,  516,  519,  521,  525,  530,  538,  544- 
547,  549,  570-579,  581,595. 

Wytzen,  492. 


Zäsingen,  422. 

Zell,  554. 

Zell  en  Pinzgau,  554. 

Zillerthal,  588. 

Zurich,  92,  266,  268,  408,  455,  463,  491. 

Zwickau,  223,  389,  407,  408,  516,  566. 

Zwolle,  283. 


PARIS.    TYPOGR.4PHIE    DE    E.     PLÖN,    NOURRIT    ET    C'*,    RUE    GAR.\NClÈlV&,    8. 


ERIWTV 


Page  8,  note  3,  lijjne  3,  du  duc  Philippe,  lisez  :  de  l'archiduc  Philippe. 

P.  37,  ligne  18,  qui  l'aidât,  Uslz:  qui  l'aidait. 

P.  66,  ligne  22,  des  produits.  Usez  :  du  produit. 

P.  71,  note  1,  ligne  9,  Mulhouse,  Usez  :  Muhlhausen. 

P.  75,  ligne  23,  Eisenach,  Usez  :  Erfurt. 

P.  76,  ligne  5,  Menningen,  Usez  .-  Memmingen. 

P.  149,  ligne  19,  un  de  leurs  délégués,  Usez  :  Un  des  leurs. 

P.  225,  ligne  16,  Dieu  lui  répondra.  Usez  :  Dieu  répondra. 

p.  29.J,  ligne  19,  envers  les  usages  diaboliques  et  établis,  Usez  :  et  envers  les 
usages  diaboliques  établis. 

P.  297,  ligne  27,  les  théologiens  poursuivaient.  Usez  .-  poursuivent. 

P.  305,  note  1,  ligne  9,  par  la  foi  de  ses  propres  (Euvres.  Usez  :  par  ses  propres 
œuvres. 

P.  369,  ligne  17,  de  décrier  hautement,  lisez  :  de  décrier. 

P.  370,  ligne  11,  à  encourager.  Usez  :  à  y  encourager. 

P.  382,  ligne  31,  elles  les  avertissaient,  Usez  .-  elles  l'avertissaient. 

P.  395.  note  1,  ligne  1,  Eutblössung,  Usez  :  Entblossung. 

P.  402,  ligne  23,  chères  âmes  de  Rothenbourg?  Usez  .-  chers  amis  du  désordre. 

P.  406,  ligne  11,  prendre  à  part,  Usez  :  et  instruire  eu  particulier. 

p.  410,  ligne  11,  abandonner  son  père.  Usez  :  quitter  son  père. 

P.  436,  ligne  18,  un  complot  tramé  au  grand  jour...,  ne  rêva  plus  que....  Usez: 
les  meneurs  n'eurent  plus  d'autre  rêve  que... 

P.  440,  ligne  17,  l'ouvrier,  l'apprenti  savait.  Usez  :  savent. 

P.  450,  ligne  29,  les  anciennes  conventions  sont  mises  en  oubli.  Usez  .-  sont 
passées  de  mode- 

P.  456,  ligne  31,  les  soldes  des  gens  de  guerre.  Usez  :  la  solde  des  hommes 
d'armes. 

P.  471,  ligne  12,  cette  défense  blessait  la  charité.  Usez  :  cette  coutume. 

P.  494,  note  I,  ligne  26,  celui  ayant  obtenu  droit  de  chasse,  Usez  :  le  paysan 
qui  a  obtenu  droit  de  chasse. 

I'.  496,  ligne  2,  intimement  lié  à  Hubmaier,  Usez  :  avec  Hubmaier. 

P.  507,  ligne  1,  Replen,  Usez  :  Kempten. 

P.  514,  ligue  20,  que  les  chrétiens  ne  l'aient  pas  maintenu  et  professé.  Usez  : 
ni  maintenu  ni  professé. 

P.  530,  ligne  10,  ils  furent  promptement  maîtres  de  la  ville,  Usez  .-  les  révoltés 
se  rendirent  promptement  maîtres  de  la  ville. 

P.  539,  ligne  14,  Les  hordes  dévastèrent  toutes  les  abbayes  et  châteaux,  Usez  : 
les  abbayes  et  les  châteaux. 

P.  553,  ligne  23,  tous  ce  qu'ils  possédaient.  Usez  :  tout  ce  qu'ils  possédaient. 

P.  577,  ligne  25,  Lorsque  la  révolte  de  Franconie  éclata,  Usez  :  au  début  de  la 
révolte  de  Franconie. 

P.  581,  ligne  21,  le  moine  aveugle  Carlstadt,  Usez:  le  moine  aveugle,  Carlstadt . 


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